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Et puis, l'Apologétique n'est-elle point, par son but, un art aussi bien qu'une
science? Si elle prétend convaincre et toucher, ne lui faudra-t-il pas compter avec les
circonstances de temps, de pays, de personnes? Le choix des arguments, leur
importance respective, la manière de les faire valoir : c'est en cela que précisément
consistera le talent de l'apologiste, son mérite et son succès.
Malgré des imperfections inévitables en une matière qui touche à des problèmes
si délicats, vous avez réalisé une œuvre de valeur.
Vous excellez à mettre les idées dans un ordre lumineux et serré. Vous êtes plus
touché par la solidité des arguments que par la renommée de leurs auteurs. Vous savez
puiser les informations aux bonnes sources, sans abdiquer la légitime indépendance de
votre jugement.
Je souhaite donc à votre livre, cher Monsieur l'Aumônier, le même succès qu'à
ses devanciers. Je suis heureux de vous encourager à poursuivre les travaux que vous
avez entrepris, depuis quelques années, pour la diffusion de la science qui est la plus
nécessaire, je pourrais dire, la plus passionnante de toutes : celle de la Religion.
A. EN TANT QUE DÉMONSTRATIVE, elle vise le croyant, d'une part, et d'autre part,
l'indifférent et l'athée: - a) le croyant, pour le soutenir dans ses convictions en lui
permettant d'établir le bien-fondé de sa foi, en éclairant son intelligence et en
affermissant sa volonté; - b) l'indifférent et l'athée, le premier pour le convaincre que la
question religieuse s'impose, et que l'indifférence, en matière aussi grave, est
déraisonnable, le second pour le tirer de son incrédulité. Elle veut les amener tous les
deux à réfléchir, à étudier et à se convertir[3].
DIVISION DE L'APOLOGÉTIQUE.
6. - La religion catholique ayant pour fondement le lien, les rapports qui existent entre
Dieu et l'homme, ou plutôt l'âme humaine, il s'ensuit que l'apologétique doit traiter de
Dieu, de l'homme et de leurs rapports. Or la solution des problèmes qui concernent ce
13. - Valeur des différentes méthodes. -1. Nous n'avons pas à apprécier ici les deux
méthodes, descendante et ascendante. Qu'il nous suffise de remarquer que la
démonstration à un degré, méthode ascendante, a l'avantage d'être moins longue, mais
aussi l'inconvénient d'être moins complète. - 2. Que faut-il penser des méthodes
extrinsèque, intrinsèque et d'immanence ? Il est bien évident que leur efficacité, et par
conséquent leur valeur, varie avec les époques et l'état des esprits auxquels elles
s'adressent[8]. Aucune n'est d'ailleurs sans dangers si elle ne reste dans de justes
limites. - 1) La méthode extrinsèque, poussée trop loin, tombe dans l'intellectualisme.
En exagérant la part de l'esprit et la force de la raison, elle paraît détruire la liberté de
la foi et risque de manquer son but. Car elle aura beau démontrer comme un théorème
qu'il y a une révélation divine et que l'Église catholique en garde le dépôt, nous ne
consentirons à y adhérer que si elle correspond à nos aspirations. - 2) De même, la
méthode intrinsèque, si elle rabaisse trop la raison et accorde trop de place à la volonté
et au sentiment dans la genèse de l'acte de foi, aboutit au subjectivisme et au fidéisme,
et manque également son but. Il ne suffit pas, en effet, dé montrer la conformité de la
révélation chrétienne avec les aspirations du cœur humain; si l'on passe sous silence
les preuves historiques qui attestent son origine divine, les adversaires pourront
toujours objecter que la religion catholique n'a pas plus de valeur que les autres
religions. - 3) Ce que nous venons de dire de la méthode interne s'applique à la
méthode d'immanence. Celle-ci peut être une excellente préparation d'âme, mais elle
ne saurait être irréprochable que dans la mesure où elle n'est pas exclusive.
HISTORIQUE DE L’APOLOGÉTIQUE
Que les méthodes de l'apologétique aient varié avec les temps, qu'elles aient dû
s'adapter aux idées et aux besoins des milieux, cela va de soi. Il est permis cependant,
parmi les tendances diverses, de distinguer trois courants principaux, et par con-
séquent, trois sortes d'apologétiques : l'apologétique traditionnelle, l'apologétique
moderne et l'apologétique moderniste.
Il suffit de jeter un rapide coup d'œil sur les principaux apologistes, pour se con-
vair1cre qu'elle a su faire une heureuse alliance des méthodes extrinsèque et intrin-
sèque. - 1. A commencer par Notre-Seigneur lui-même, n'est-il pas évident qu'il
attache le plus grand prix à la préparation morale? (Paraboles de la semence, Marc, IV,
1, 20 ; des invités aux noces, Mat., XXII, Luc, XIV). Il ne consent généralement à
donner des signes de sa mission divine qu'à ceux qui ont la foi, la confiance et l'hu-
milité. - 2. Les Apôtres ne procèdent pas autrement que leur Maître. - 3. Plus tard, au
temps des persécutions, l'apologétique est avant tout, défensive. Les chrétiens sont
accusés de complot contre la sûreté de l' Etat, d'athéisme et d'immoralité. Pour les
défendre de ces calomnies, les apologistes instituent un parallèle entre le paganisme et
le christianisme, ils font ressortir la transcendance de celui-ci (critères internes), puis
ils invoquent les miracles d'ordre moral: la conversion du monde, la sainteté de vie des
chrétiens, leur constance héroïque au milieu des supplices, leur nombre croissant (saint
JUSTIN, TERTULLIEN). - 4. Saint THOMAS D'AQUIN, le grand apologiste du
moyen âge, après avoir exposé les préambules de la foi et réfuté les objections des
adversaires (Somme contre les Gentils), montre, dans sa Somme théologique,
l'harmonie et l'accord des vérités chrétiennes, avec les aspirations de notre âme
(critères intrinsèques). - 5. L'on comprendra mieux le modernisme quand on aura
étudié le chapitre suivant et en particulier le système intuitionniste de M. BERGSON.
Au XVIIe siècle, BOSSUET fait, il est vrai, un usage exclusif des critères externes[9],
mais PASCAL, en revanche, s'attache surtout aux critères internes, au point qu'il a pu
être regardé comme l'initiateur de la méthode d'immanence dont il a été question plus
haut (N ° 12.) Débutant par les critères internes d'ordre subjectif, il considère la nature
humaine dans sa grandeur et sa misère. Il veut ainsi amener l'homme à reconnaître que
la religion lui est nécessaire comme explication et comme remède à son indigence; elle
seule nous fait comprendre, en effet, notre misère en nous en découvrant la cause dans
le péché originel, et elle nous indique le remède dans la Rédemption du Christ. Pascal
fait donc la préparation du cœur avant de prouver la vérité du christianisme par les
critères externes.
Ce bref aperçu suffit à nous montrer que le modernisme détruit toute idée de vraie
religion et va à l'encontre de l'apologétique catholique.
PLAN DE L'OUVRAGE
18. - Nous suivrons, dans notre démonstration de. la foi catholique, l'ordre que nous
avons indiqué plus haut (Nos 6, 7 et 8). Cet ouvrage comprendra. donc trois parties:
Nous ferons précéder chaque partie d'un tableau synoptique qui en marquera les points
principaux.
SECTION I : DIEU
Chapitre Préliminaire – Le problème de la certitude.
21. - 1° Notion. - On entend par certitude l'état de l'esprit qui a l'in· time persuasion de
se trouver d'accord avec la vérité. Etre certain, c'est par conséquent porter un jugement
qui exclut le doute et toute crainte d'erreur.
2° Espèces. - La certitude n'admet pas de degrés: elle est ou elle n'est pas. Car, pour
peu qu'il y ait dans l'esprit crainte d'erreur, la certitude s'évanouit et fait place à
l'opinion ou au doute. Cependant l'on peut distinguer divers ordres de certitude selon
les aspects sous lesquels on la considère.
Le critérium qui est la marque infaillible de toute vérité et le motif de toute certitude,
c'est l'évidence. Mais qu'est-ce que l'évidence ? Le mot évident, conformément à
l'étymologie, indique que la vérité apporte avec elle une clarté qui la fait briller à nos
yeux. L'évidence exerce donc sur notre esprit une sorte de contrainte; elle le met dans
l'impossibilité de ne pas voir. Je suis certain parce que je vois que la chose est ainsi et
qu'elle ne peut .pas être autrement; et je vois que la chose est ainsi soit par une
intuition directe, soit par une démonstration, soit par un témoignage incontestable qui
ne permettent pas à mon esprit de croire le contraire.
26. - 4° L'intuitionnisme. - L'intuitionnisme, - nom sous lequel nous désignons ici les
théories de M. BERGSON sur la connaissance,-procède du relativisme de Kant et de
l'évolutionnisme de H. Spencer.
Pour M. BEGSON, nous avons deux manières de connaître : par l'intelligence et par
l'intuition. - a) Par l'intelligence, Comme Kant, il admet que la raison pour arriver à la
connaissance objective des choses, mais à cette impuissance il assigne des causes
différentes Tandis que, dans la théorie kantienne, la connaissance est toujours
subjective, du fait que nous imposons aux objets les formes immuables de notre esprit,
M. BERGSON prétend qu'une première cause d'erreur vient, au contraire, de l’activité
de l'esprit, qui, loin d'avoir des formes invariables, travaille sur les objets avec lesquels
il est en contact, les modifie en se les assimilant, tout comme notre organisme
transforme la nourriture qui lui est confiée. Une seconde cause d’erreur, c'est que les
objets eux-mêmes sont soumis à un perpétuel changement et qu'on ne peut les saisir
qu'à un moment de leur existence mobile. Une troisième cause d'erreur vient de ce que
les changements s'opèrent par d'insensibles liaisons: il y a évolution des choses plutôt
que transformation. Or, la raison étant obligée de procéder par concepts stables, il
s'ensuit qu'elle ne peut, ni exprimer le mouvement des, choses, ni marquer ce qu'il y a
de continu dans leur évolution ; elle doit isoler les états successifs des objets,
substituer le discontinu et le morcelage de la réflexion au continu et à l'unité de leur
devenir. b) Par l’intuition. Mais et c’est ici que M. Bergson entend dépasser Kant, si la
raison n’arrive pas à une connaissance objective des choses, il y a. un autre moyen
pour atteindre la réalité. Ce moyen, c'est l'intuition qui perçoit le réel vivant et mobile
par une vue immédiate et directe de l'objet. Seule la connaIssance intuitive est donc
objective
C. LE SENS COMMUN. - Il est bien certain que le sens commun est en faveur du
dogmatisme. Tous les hommes croient, - et même les philosophes qui font profession
de ne pas y croire, - que leur pensée a plus qu'une valeur subjective et qu'elle est
conforme à la réalité des choses. « Quel est le savant qui ne se mettrait à rire si on lui
soutenait sérieusement que les propositions de physique ou de chimie qu'il a
découvertes après tant de pénibles tâtonnements, ne correspondent à rien, que
l'oxygène ou le carbone, par exemple, ne sont en en dehors de sa pensée et que les
éclipses de la lune ou de. Vé,nus ne, sont que de pures, « représentations » de sa
conscience ? Or il n’est guère admissible que l’instinct naturel et universel du genre
humain le fasse ainsi se tromper sur une chose de cette importance. »[18]
Conclusion. - Ce que nous affirmons des choses est donc vrai, bien que ce ne soit pas
l'exacte et adéquate reproduction de la chose même. Etant hommes, il serait insensé de
désirer l'impossible et de vouloir posséder une science surhumaine. Retenons par
conséquent le conseil de LACTANCE qui nous apprend que « la sagesse consiste à ne
pas croire qu'on sait tout, ce qui n'appartient qu'à Dieu, ni qu'on ne sait rien, ce qui est
le propre de la brute. »
Sans exagérer le rôle de la volonté, il est donc permis de dire que la vérité religieuse ne
peut en tirer dans l'esprit par la simple vertu d'un syllogisme. Faut-il ajouter, avec
BRUNETIÈRE, qu' « on ne croit pas pour des raisons d'ordre intellectuel. » Mal
interprétées, ces paroles prêteraient le flanc à la critique; mais, dans l'esprit de leur
auteur, elles signifiaient sans doute que la foi ne naît pas de la force des arguments si,
préalablement, on ne prend pas soin de préparer l'âme par l'humilité, la mortification
des passions et surtout par la prière. Les grandes conversions, les transformations
morales opérées par le christianisme à travers les siècles, ont été l'œuvre de la volonté
et de la grâce, autant et plus, que le fruit du raisonnement.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
30. - La question de l'existence de Dieu comporte une triple étude: 1° Une question
préliminaire: est-il possible de démontrer l'existence de Dieu' ? - 2° Seconde étude:
exposé des preuves qui établissent l'existence de Dieu.- 3° Enfin une question
subsidiaire: si la raison démontre Dieu d'une façon péremptoire, comment expliquer
qu'il y ait des athées ? Quelles sont les causes de l'athéisme et quelles en sont les
conséquences ? D'où trois articles:
31. – Devant le problème de l'existence de Dieu, trois attitudes sont possibles: on peut
répondre par l'affirmation, par la négation, ou par une fin de non-recevoir. Au premier
groupe appartiennent les théistes ou croyants, au second, les matérialistes ou athées, au
troisième, les agnostiques ou indifférents.
1° Théisme (du grec théos, Dieu). - Les théistes affirment qu'il est possible de
démontrer l'existence de Dieu. Dans l'article suivant, nous exposerons les preuves sur
lesquelles ils appuient leur croyance.
Ainsi, là où le matérialiste prend position contre Dieu, l'agnostique observe une sage
réserve: il « ne nie rien, n'affirme rien, car nier ou affirmer ce serait déclarer que l'on a
une connaissance quelconque de l'origine des êtres et de leur fin» (LITTRÉ). Il consent
même à admettre la distinction entre le phénomène et la substance, entre le relatif et
l'absolu, pourvu,
Toutefois, tous les agnostiques ne vont pas aussi loin. Certains, comme KANT,
LOCKE, HAMILTON, MANSEL, H. SPENCER, distinguant entre existence et nature
de Dieu, proclament que l'être en soi existe mais que nous ne pouvons rien savoir de ce
qu'il est. Si, dans ce système, Dieu devient, selon le mot de H. SPENCER, une «
Réalité inconnue», il reste cependant une réalité et un objet de croyance.
Les preuves de l'existence de Dieu nous sont fournies par l'âme tout entière: par la
raison, par le sentiment et la conscience. Cependant, il est bon de noter aussitôt que si
la raison n'est pas l'unique instrument, elle en est certainement l'essentiel. L'on peut
aller à Dieu par d'autres voies, mais à condition de ne pas rejeter celle-là, ni même de
la rabaisser, comme si elle était désormais une voie défectueuse et cadrant mal avec la
pensée moderne. Le concile du Vatican a déclaré, en effet, que « la sainte Église notre
Mère, tient et enseigne que, par la lumière naturelle de la raison humaine, Dieu,
principe et fin de toutes choses, peut être connue avec certitude, au moyen des êtres
créés, car depuis la création du monde, ses invisibles perfections sont vues par
l'intelligence des hommes au moyen des êtres qu'il a faits» (Rom., I ,20). - A son tour,
l'Encyclique Pascendi a rappelé la décision du concile du Vatican. - Et plus
récemment, le serment antimoderniste, prescrit par le Motu proprio du 1er sept. 1910,
a confirmé et complété le texte du concile: « Et d'abord, je professe, y est-il dit, que
Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu, et par conséquent aussi,
démontré avec certitude par la lumière naturelle de la raison au moyen des choses qui
ont été faites, c'est-à-dire par les ouvrages visibles de la création, comme la cause par
ses effets. » Il convient de remarquer les deux additions très importantes, faites par le
serment antimoderniste, au texte du concile du Vatican. Ce dernier affirmait bien que
Dieu peut être connu, mais comme on pouvait épiloguer sur les voies qui mènent à la
connaissance, le serment antimoderniste a précisé ce qu'il fallait entendre par là : Dieu
peut être connu et par conséquent aussi démontré,. donc connaissable et démontrable.
Démontrable, comment ? Par les lumières naturelles de la raison, qui, prenant son
point de départ dans les êtres créés et s'appuyant sur le principe de causalité, remonte
des effets à la cause[22].
33. - 2° Erreurs. - Par ces différentes décisions l'Église entendait condamner: - a) les
ontologistes, comme MALEBRANCHE, et les intuitionnistes, comme BERGSON, qui
soutiennent que Dieu n'est pas démontrable par la raison. Il est vrai que dans leurs
systèmes cette démonstration n'est pas nécessaire parce que nous avons, soit l'idée
innée, soit l'intuition directe de Dieu; - b) les fidéistes et les traditionalistes (J. DE
MAISTRE, DE BONALD, LAMENNAIS) qui, affirmant ou exagérant l'impuissance
de la raison, prétendent que l'existence de Dieu ne peut être démontrée par le
34. - Il y a bien des manières d'exposer les preuves de l'existence de Dieu. 1° Les uns
ne font pas de classification et se contentent de présenter un certain nombre de
preuves. Ainsi, Saint THOMAS distingue cinq preuves qu'il donne à la suite. Partant
des choses que l'on peut observer dans le monde, il aboutit à cinq attributs qui
impliquent l'existence de Dieu. Il est certain, et les sens le constatent, que dans ce
monde il y a des choses qui sont mues, des êtres qui sont causés par d'autres, des
choses qui peuvent être et ne pas être, qui sont plus ou moins parfaites, des êtres
dépourvus d'intelligence qui agissent d'une manière conforme à leur fin. Or tout être
mû ne s'explique que par l'immobile (argument du premier moteur), tout être causé par
une cause première (argument des causes efficientes ou de la cause première), l'être
contingent par l'être nécessaire (argument de la contingence), les êtres imparfaits par
l'Etre parfait (argument par les degrés des êtres), les choses ordonnées par un
ordonnateur (argument tiré de l'ordre du monde). Donc il est nécessaire de remonter à
un premier moteur, une cause première, etc., que nous appelons Dieu.
35. - Si nous observons le monde extérieur, tel qu'il est, du moins dans la mesure où
nous pouvons le connaître, nous y constatons trois choses: - a) son existence d'abord; -
b) le mouvement dont il est animé, et - c) l'ordre qui y règne. Or ces trois faits
supposent qu'il y a quelqu'un, en dehors du monde, qui est. la cause de son existence,
la source de son activité et le principe de l'ordre que nous y découvrons. Ce quelqu'un
nous le nommons Dieu. D'où trois preuves tirées: - 1. de l'existence du monde; - 2. du
mouvement du monde; et - 3. de l'ordre du monde.
36. - Argument - Cet argument peut être présenté de diverses façons. On peut dire très
simplement : l'existence d'un monde contingent ne s'explique pas sans un être
nécessaire que nous appelons Dieu. BOSSUET l'a formulé ainsi: « Qu'il y ait un
moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera.» Ce qui revient à dire: L'existence
d'un monde, qui n'est ni éternel ni nécessaire, ne s'explique que par l'existence d'un être
éternel et nécessaire, appelé Dieu.
Il faut entendre par cause seconde une cause qui est à la fois cause et effet, qui doit sa
propre existence à une autre cause (ex: le père), et être contingent celui qui n'a pas en
soi la raison de son existence et qui pourrait ne pas être, Au contraire, la cause
première est celle qui ne doit son existence à aucune autre, et l'être nécessaire est celui
qui porte en soi la raison de son existence et qui ne peut pas ne pas être. Comme on le
voit, toute cause seconde est contingente puisqu'elle n'a pas en soi la raison de son
existence, et réciproquement, tout être contingent est cause seconde puisqu'il tient son
existence d'un autre. La différence entre les deux dénominations c'est que, d'un côté,
nous considérons le monde dans le fait de son existence, c'est-à-dire en tant que cause
seconde, et de l'autre, nous l'envisageons dans sa nature, c'est-à-dire en tant que
contingent.
Que les causes secondes supposent une cause première, cela découle, à la fois du
principe de causalité et du principe de raison suffisante, car l'on ne peut pas alléguer
que les causes secondes s'expliquent les unes par es autres. Qu'on remonte, en effet, la
série des causes secondes, qu'on aille du fils au père, du père à l'aïeul, et ainsi de suite,
aussi loin qu'on le voudra; qu'on suppose même une série infinie[28], si la chose le
peut, on ne fera que reculer la difficulté, et il faudra bien recourir à une cause
première, car il va de soi que, si chaque cause subordonnée est insuffisante par elle-
même à produire son existence, ce n'est pas le nombre de semblables Muses qui en
changera la nature. Prenez dix, vingt, cent, une multitude infinie d'ignorants, vous
a) Matière brute. - Si nous examinons la matière qui s'offre à nos regards, nous en
concevons très bien la non-existence, Nous ne pensons pas que les minéraux, que les
cailloux du chemin que nous foulons aux pieds, devaient nécessairement exister et
existent par eux-mêmes.
b) Etres vivants. - Mais où la chose apparaît, non pas plus certaine, mais plus
facilement démontrable, c'est quand il s'agit des êtres vivants. A commencer par nous-
mêmes, n'est-il pas évident que nous avons le sentiment de notre contingence[29].
L'être que nous avons, nous le tenons de nos parents; à aucun moment, nous ne
sommes les maîtres de notre vie; nous aurions pu ne pas naître et nous devrons mourir,
Et ce qui est vrai de nous, ne l'est pas moins des autres hommes, et, a fortiori, des êtres
inférieurs, des animaux et des végétaux.
Nous pouvons du reste aller plus loin. Non seulement nous pensons que les êtres
vivants que nous voyons, ne tiennent pas d'eux-mêmes leur propre vie, qu’ils auraient
pu ne pas exister et n'existeront pas toujours, mais la science positive établit que la vie
a commencé sur la terre, qu'il fut un temps où il n'y avait dans le monde aucun être
vivant, où la vie n'était même pas possible. C'est la géologie qui nous l'apprend. Elle a
étudié, en effet, le globe terrestre et lui a demandé les secrets de son passé. Dans les
couches supérieures, dans les terrains quaternaires, elle a rencontré la trace des races
humaines; au-dessous, dans les couches tertiaires, elle n'a vu que des traces de plantes
et d'animaux supérieurs; puis, plus profondément, dans les terrains secondaires, elle a
découvert les restes des mollusques qui peuplaient les mers et des grands reptiles qui
régnaient sur les continents humides; plus bas encore, dans les étages primaires, la vie
revêtait les formes les plus simples. Enfin plus loin encore, dans les roches cristallines
primitives, aucun vestige de vivants; non point que le temps en ait fait disparaître les
traces, mais parce qu'alors aucun être n'existait et que l'écorce terrestre, étant à l'état de
fusion ignée, à 3000°, offrait des conditions incompatibles avec la vie.
Considéré au point de vue de la matière brute et des êtres vivants qu'il renferme, le
monde ne porte donc pas en soi l'explication de son existence; n'ayant pu se faire seul,
Réfutation. - Les positivistes entendent n'étudier que les phénomènes et leurs relations
de succession et de similitude. Mais qu’est-ce que cet antécédent invariable et cette
condition nécessaire, sinon ce à quoi nous donnons le nom de cause - Quand ils
prétendent en outre que la science ne dépasse pas les phénomènes, nous sommes
d'accord avec eux. Ce n'est pas la science expérimentale qui doit nous mener à Dieu.
Dieu ne s'aperçoit ni au bout d'un télescope ni au fond d'une éprouvette. Aussi n'est-ce
pas à la science positive de rechercher Dieu, mais à la métaphysique. Or celle-ci
n'outrepasse pas ses droits en s'appuyant sur le principe de causalité, qui s'impose à la
raison comme évident, bien que l'expérience ne parvienne pas toujours à en faire la
vérification. Personne ne met en doute, sauf les positivistes, du moins en théorie, que
tout ce qui n'a pas en soi sa raison d'être, a une cause, et que la cause n'est pas
seulement suivie de son effet, mais qu'elle le produit.
38. -B. La causalité, dit-on encore, implique le passage de l'inactivité à l'activité, donc
changement. En effet, concevoir Dieu comme créateur d'un monde qui n'est pas
éternel, c'est dire qu'il a posé dans le temps un acte qui n'est pas éternel, c'est admettre
qu'en devenant cause, Dieu a changé et que, par conséquent, il n'est ni immuable ni
nécessaire.
Réfutation. - C'est une erreur de concevoir la cause première comme les causes
secondes que nous observons par l'expérience. Tandis que celles-ci sont soumises à la
loi du temps, celle-là est en dehors. C'est de toute éternité que Dieu est cause première
et qu'il conçoit et décrète la création du monde. Que cet effet se produise dans le
a) Mais comment prouver que le monde est éternel - Par trois faits soi-disant vérifiés
par la science : à savoir l'indestructibilité de la matière, la conservation de l'énergie et
la nécessité des lois de la nature: 1. Indestructibilité de la matière. C'est un principe
admis, disent-ils, depuis les expériences de Lavoisier, que la masse des corps n'est pas
altérée au milieu des transformations qu'ils peuvent subir: rien ne se crée, rien ne se
perd[32]. - 2. Conservation de l'énergie. De même que la matière est indestructible,
ainsi la quantité d'énergie que possède l'univers, reste constante. - 3. Nécessité des lois
de la nature: la matière obéit à des lois qui sont invariables. Si la matière et l'énergie se
conservent toujours et qu'elles obéissent à des lois immuables, nous pouvons conclure,
disent les matérialistes, que le monde n'aura pas de fin, et s'il ne doit pas avoir de fin, il
n'a pas eu de commencement : il est éternel.
c) Quand les conditions requises pour la vie sont remplies, on voit éclore les premiers
êtres vivants par génération spontanée, par une sorte d'évolution créatrice[33]
(BERGSON), et sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'intervention d'un Dieu
créateur. Contenus en germe dans la matière éternelle, les êtres particuliers sont donc
comme les cellules de cet immense organisme qu'on appelle le monde: s'ils nous
apparaissent contingents, c'est parce que nous avons le tort de les « abstraire de tout
continu» (LEROY) et que nous ne les regardons pas dans leur collectivité.
Mais accordons que la matière soit éternelle. Dira-t-on aussi qu'elle est nécessaire ? Il
faudrait prouver alors qu'elle a en soi sa raison d'être, qu'elle ne peut pas ne pas être, ni
être autrement qu'elle n'est. Mais qu'est-ce qu'un être nécessaire qui est sujet du
devenir, qui se transforme indéfiniment, qui suit une incessante évolution créatrice ?
Qu'est-ce qu'un être nécessaire qui est borné par deux termes, la naissance et la mort ?
– Sans doute, les matérialistes répondent que ce n'est pas ainsi qu'ils l'entendent., et
que, dans leur conception, le monde n'est un être nécessaire, qu'autant qu'on l'envisage
b) Formation du monde - Après avoir posé en principe que la matière ne requiert pas
de créateur parce qu'elle est éternelle, les matérialistes se mettent en mesure
d'expliquer la formation du monde en dehors de Dieu. Adoptant l'hypothèse
cosmogonique de LAPLACE, d'ailleurs généralement admise, quoique avec des
modifications, ils supposent que l'univers était, à l'origine, une poussière d'atomes, et
qu'un jour, sous l'influence d'un fluide quelconque, appelé indifféremment force,
énergie ou électron, la matière s'est mise à évoluer et a formé successivement les
mondes que nous voyons.
Mais de deux: choses l'une: ou bien la matière et l’énergie sont toutes deux éternelles,
ou elles ne le sont pas, - 1. Si elles sont éternelles, elles ont dû évoluer de toute
éternité. Or cette supposition contredit l'hypothèse de LAPLACE qui admet un
commencement et une fin au mouvement de la matière et à l'évolution. Il est clair par
ailleurs, que si l'évolution doit avoir une fin, ce serait chose déjà faite, du moment
qu'on suppose qu'elle a lieu de toute éternité. - 2. Il faut donc admettre la seconde
alternative qui pose en principe que la matière et l'énergie ont eu un commencement,
ou tout au moins l'une des deux[35]. Mais si l'énergie, par exemple, n'est pas éternelle,
qui l'a donnée à la matière ? Ne la possédant pas de toute éternité, elle n'a pu se
l'attribuer par la suite: on ne se donne pas ce qu'on n'a pas. Elle l'a donc reçue de
quelqu'un, en dehors d'elle et au-dessus d'elle, et ainsi, de toute nécessité, il faut arriver
à Dieu.
41. - Argument. - Sous sa forme la plus simple, cet argument peut-être ainsi présenté:
le mouvement que nous constatons dans le monde ne s'explique pas sans Dieu. Nous
développerons cette preuve dans le syllogisme suivant: Tout ce qui est en mouvement,
tous les moteurs seconds supposent un moteur premier immobile. Or nous constatons
du mouvement dans le monde. Donc le mouvement du monde suppose un premier
moteur[37].
A. Hypothèse mécaniste. Cette hypothèse met en avant la loi d'inertie. D'après ce principe,
admis par la science, les corps sont indifférents au repos ou au mouvement: ils sont donc
incapables de modifier l'état dans lequel ils se trouvent, sans l'intervention d'une cause
étrangère. Mais si un corps persiste dans l'état où il est, repos ou mouvement, il suffit pour
expliquer le mouvement du monde, de supposer qu'il est éternel.
Mais admettons le principe d'inertie. Si les corps sont indifférents au repos! comme au
mouvement, pour expliquer qu'ils sont en mouvement plutôt qu'en repos, il faut une cause
autre que les corps, il faut supposer une cause étrangère qui les ait fait sortir de cet état
d'indifférence. Il ne suffit pas de dire que le mouvement est éternel, il faut dire qui l'a
imprimé. Du reste, nous avons vu précédemment que, selon l'hypothèse de Laplace, le
mouvement a commencé un jour et qu'il est antiscientifique de le supposer éternel (voir la
note sur la loi de la dégradation de l'énergie (N° 40).
Réfutation. - Si nous admettons que les corps sont en mouvement en vertu de la loi
d'attraction universelle, c'est-à-dire parce qu'ils sont doués d'une force qui les pousse
les uns vers les autres, comment se fait-il que les atomes ne se sont pas rencontrés en
une masse unique ? Pour rendre compte de la formation des mondes, les dynamistes
sont donc obligés d'admettre deux forces en présence. La force attractive ou centripète
est, selon eux, contrebalancée par une autre force, la force tangentielle ou centrifuge,
qui produit des mouvements giratoires et donne naissance à ces astres innombrables
qui remplissent l'espace. Mais comment expliquer que la matière soit animée de deux
mouvements, celui d'attraction et celui de rotation, dont les effets se contrarient et
s'opposent ? Il y aurait alors dans la matière deux forces contraires. En outre,
l'hypothèse dynamiste supposant que la matière est éternelle. il s'ensuit que les atomes
doivent s'attirer de toute éternité et que l'évolution des mondes n'aurait pas eu de
commencement; et ainsi, encore une fois, nous nous trouvons en contradiction avec le
système de Laplace. Il faut donc toujours, qu'on le veuille ou non, recourir à la
chiquenaude initiale, au premier moteur.
44. - Argument. - L'ordre du monde ne s'explique pas sans Dieu. Sous la forme
poétique, c'est le même argument que nous retrouvons dans ces deux vers souvent cités
de Voltaire:
Nous exposerons l'argument dans le syllogisme suivant: Tout ordre requiert une
intelligence ordonnatrice. Or il y a de l'ordre dans le monde. Donc l'ordre du monde
suppose une intelligence ordonnatrice.
Cette preuve très populaire, présentée déjà par SOCRATE (Mémorables), par
CICÉRON (De natura deorum), par SÉNÈQUE (de Beneficiis), exposée avec
beaucoup d'ampleur par FÉNELON (Traité de l'existence de Dieu), et pour laquelle
KANT lui-même professait de l'admiration, est connue sous le nom de preuve
téléologique (de telos, fin) ou des causes finales.
Ce qu'il faut entendre par causes finales. - Pour comprendre cette expression causes finales, il
faut dire auparavant ce que l'on entend par fin et par moyen. La fin d'une chose est le but, ce à
quoi cette chose est destinée: une horloge a pour fin d'indiquer l'heure, l'œil a pour fin de voir.
Le moyen est ce par quoi l'on atteint une fin. Il va de soi qu'à chaque fin correspondent des
moyens différents. D'où il suit que la fin poursuivie inspire le travail de l'ouvrier, elle est la
cause qui le détermine dans le choix des moyens. La finalité ou cause finale, c'est-à-dire cette
recherche des moyens pour atteindre la fin, cette appropriation des moyens à la fin, qui
constitue l'ordre, suppose donc une intelligence qui ait conscience, à la fois, du but à atteindre
et de l'aptitude des moyens.
Quand il s'agit du monde, l'on peut distinguer deux sortes de finalités: la finalité
interne et la finalité externe. Si l'on prend chaque individu en particulier, nous voyons
qu'il a des organes parfaitement disposés pour la fin qu'il poursuit : le poisson a des
nageoires pour nager, l'oiseau a des ailes pour voler, etc.: c'est la finalité interne. La
finalité externe, c'est la fin qui est assignée à chaque être dans l'ensemble de la
création: le minéral a pour fin de nourrir la plante, la plante est utilisée par l'animal,
lequel est utilisé pour l'homme. La finalité externe étant plutôt difficile à déterminer,
nous ne parlerons, dans l'argument, que de la finalité interne.
Et maintenant du monde céleste, descendez sur la terre que vous habitez, vous ne
trouverez pas moins d'ordre et d'harmonie. Le physicien vous dira les lois auxquelles
les corps obéissent d'une manière inflexible (lois de la chute des corps, de la chaleur,
de la propagation de la lumière). Le botaniste vous fera admirer la fleur des champs: la
symétrie des parties qui la composent, sa forme élégante, la richesse et la variété de ses
couleurs, tout vous dira qu'elle est l'œuvre d'un artiste consommé. A son tour, le
physiologiste peut vous décrire tout ce qu'il y a de beauté dans les organes du corps
humain, et spécialement, dans ces deux organes si délicats que sont l'œil et l'oreille.
Et si vous voulez même descendre l'échelle des êtres, vous y trouverez encore les
choses les plus étonnantes. Vous aurez à admirer l'instinct de l'abeille qui façonne si
ingénieusement sa ruche, de l'araignée qui tisse sa toile d'une manière si parfaite, de
l'oiseau qui bâtit impeccablement son nid; vous verrez comment tous adaptent les
moyens à la fin qu'ils veulent atteindre.
« Le monde actuel, pouvons-nous conclure avec KANT, nous offre un si vaste théâtre
de variété, d'ordre, de finalité et de beauté que toute langue est impuissante à traduire
son impression devant tant et de si grandes merveilles.» (V. la valeur de cette preuve p.
59).
D'autre part, la formation des organes s'explique par un long travail d'évolution. «
Considérons l'exemple sur lequel ont toujours insisté les avocats de la finalité: la
structure d'un œil tel que l'œil humain... Tout paraît merveilleux, en effet, si l'on
considère un œil tel que le nôtre, où des milliers d'éléments sont coordonnés à l'unité
Réfutation. - La finalité est une illusion de notre esprit, nous disent les
évolutionnistes, ou en tout cas, elle n'est pas l'œuvre d'une cause intelligente, elle est le
résultat des forces inconscientes propres à la nature, qui adaptent les organe_ aux
besoins suivant la loi de l'évolution. Ainsi, il ne faut pas dire que l'oiseau a des ailes
pour voler, il faut dire: l'oiseau vole parce qu'il a des ailes. - Mais que les ailes aient
été faites pour voler, ou que l'oiseau vole parce qu'il a des ailes, il n'en reste pas moins
qu'il y a une merveilleuse adaptation entre l'organe et sa fonction, et la conclusion est
toujours la même: c’est que l'adaptation des moyens à la fin suppose un plan, et que le
plan, selon lequel le monde a été conçu, suppose un ouvrier très habile.
Mais, nous réplique-t-on alors, cet ouvrier très habile qui a fait l'aile de l'oiseau et l'œil
de l'homme, c'est l'évolution: c'est le milieu qui a créé l'organe. - C'est là une
affirmation toute gratuite et que les évolutionnistes sont bien incapables de démontrer
expérimentalement.
Nous ne voyons pas bien, en effet, comment l'air a pu créer l'aile de l'oiseau, comment la
lumière a pu produire par son action l'organe qui lui est approprié, ce merveilleux appareil qui
faisait dire à Newton: « Celui qui a fait l'œil a-t-il pu ne pas connaître les lois de l'optique ? »
Admettons néanmoins que l'évolution soit la grande loi qui gouverne le monde. Nous
pourrons toujours demander qui l'a faite, cette loi. Elle suppose d'abord l'existence de la
matière et nous avons vu que la matière n'a pas en soi la raison de son existence. De toute
façon, l'évolution peut être un procédé de formation comme un autre, elle peut être une loi,
mais non une cause. Si par conséquent la théorie évolutionniste accepte de laisser Dieu à la
base, pour créer les atomes, pour leur donner l'énergie et tracer le plan suivant lequel la
matière doit faire son développement dans la suite du temps, nous n'avons pas à combattre
cette hypothèse. Dieu reste alors à sa place et n'est pas diminué parce qu'il n'interviendrait pas
il chaque instant dans l'organisation incessante de l'univers. Si c'est cela ce qu'on appelle
Que l'ordre du monde soit le résultat, non d'un acte immédiat de Dieu, mais le produit
de causes secondes et de lois qu'il a établies de toute éternité, nous aimons autant cette
hypothèse qu'une autre[41].
46. - 2° CONTRE LA MINEURE. - Il n'est pas vrai, disent les pessimistes, que
l'ordre règne dans le monde. Les preuves du désordre sont, au contraire, nombreuses.
Le monde est plein de monstruosités, d'êtres mal faits ou inutiles; les catastrophes y
sont fréquentes. Il y a donc du désordre, donc pas d'ordonnateur.
47. - Après avoir observé le monde extérieur, nous devons interroger l'âme humaine.
L'étude de ce monde intime qui fait le fond de notre être, nous conduira également à
Dieu. Nous trouvons, en effet, dans notre intelligence l'idée de parfait, dans notre cœur
les aspirations d'infini et dans notre conscience, l'existence de la loi morale. Or, l'idée
de parfait, le besoin d'infini et le fait de l'obligation morale impliquent l'existence de
l'être parfait et infini et du souverain législateur. D'où trois preuves tirées: 1° de l'idée
de parfait; 2° des aspirations de l'âme et 3° de l'existence du devoir.
Ces trois preuves sont toutes trois des preuves psychologiques, dans ce sens qu'elles
sont tirées de l'analyse de notre âme. Toutefois, la première, qu'on appelle ontologique,
est considérée comme une preuve métaphysique. La troisième est connue sous le titre
Preuve ontologique.
48. - Exposé. - Si nous interrogeons notre pensée, elle nous dit que tout ce que nous
voyons est incomplet, borné, dépendant, en un mot, imparfait. Or pour reconnaître que
les choses sont imparfaites, il faut que nous ayons l'idée du parfait, car nous ne
pouvons juger de l'imparfait qu'autant que nous le comparons avec le parfait. Donc
l'être parfait existe, car s'il n'existait pas, il ne serait plus parfait. Cet argument a été
exposé différemment par saint ANSELME, DESCARTES et BOSSUET.
49. - Argument de saint Anselme. - Après avoir cité les mots de l'Écriture: « Dixit
insipiens in corde suo : non est Deus »[42], saint ANSELME se propose de convaincre
l'impie que c'est une folie de nier Dieu. L’homme, dit-il, a l'idée d'un être tel qu'il n'en
peut concevoir de plus grand. Donc cet être parfait existe en réalité. Si en effet il
n'existait que dans l'intelligence, je pourrais le concevoir plus grand, en lui attribuant
l'existence réelle: ce qui ne peut se faire sans contradiction, vu que je le conçois
comme le plus grand. Donc Dieu existe dans l'intelligence et dans la réalité. (V. la
critique de la preuve ontologique p. 61).
50. - Argument de Descartes. - Je trouve en moi l'idée d'un être parfait. Or cette idée
ne peut me venir du néant, incapable de rien donner, ni de moi, puisque je trouve
partout dans mon être des bornes et des imperfections. Donc cette idée doit me venir
d'un être infini et parfait qui l'a mise en moi comme « la marque de l'ouvrier sur son
ouvrage ».
52. - Argument. - C'est un principe admis par la philosophie et par la science qu'un
désir de la nature ne saurait être vain. Or l'homme appelle Dieu de tous ses désirs.
Donc Dieu doit exister.
disait le poète. L'homme, en effet, tend à l'infini par toutes les puissances de son âme. Il a une
intelligence qui veut arriver au vrai, une volonté qui, malgré sa faiblesse et ses écarts, aspire
au bien; il a surtout un cœur qui a une soif insatiable de bonheur. Or, non seulement la terre ne
nous donne pas ce que nous voulons, mais elle nous apporte souvent ce que nous ne voulons
pas. Notre intelligence se sent enveloppée de toutes parts par l'inconnu, notre volonté est
poussée vers le mal et notre cœur est souvent torturé par le chagrin. Alors même que la vie
nous est douce et que la fortune paraît nous sourire, nous ne trouvons nulle part le bonheur
rêvé: ni la richesse, ni la gloire, ni la science, ni l'amour n'épuisent les immenses désirs de
notre cœur. Et plus nos désirs sont grands, mieux ils nous font sentir notre misère.
Mais comment expliquer que notre intelligence, notre volonté et notre cœur, qui sont
pourtant des puissances finies et bornées, nous poussent ainsi :ers le Vrai, le Bien et le
Beau, vers le « souverainement désirable », comme dit ARISTOTE, s'il n'y avait rien
pour répondre à notre appel ? Le besoin d'infini, d'une vie indéfectible et heureuse,
suppose donc l'existence d'un objet infini et d'une source de bonheur qui puisse
combler l'insuffisance de notre âme. Cet infini, c'est Dieu.[44] (V. N° 60).
53. - Argument. - La conscience nous témoigne qu'il existe une loi morale qui nous
commande le bien et défend le mal, et que cette loi morale doit être appuyée par une
sanction. Or la loi morale et la sanction supposent un législateur et un juge qui ne
peuvent être autres que Dieu. Donc Dieu existe.
1° La loi morale. - A. L'existence de la loi morale est hors de conteste. Il y a une règle
absolue, universelle, antérieure et supérieure à toute législation humaine, qui s'impose
à notre volonté, qui nous prescrit certains actes et nous en défend certains autres. Peu
importe du reste que les hommes se trompent parfois sur les conceptions du bien et du
mal, le principe reste intact: ce qui est estimé bien par la conscience, est commandé; ce
qui est jugé mal est défendu.
b) En dehors de nos semblables. La loi morale s'impose à, tous les hommes, elle ne
représente donc pas la supériorité d'un homme sur ses semblables. Mais si le
législateur est hors de nous et hors de nos semblables, il faut le chercher plus haut.
Dieu seul peut commander; seul il est la raison d'être du devoir, de l'impératif
catégorique[45]. (V. la Critique de la preuve morale n° 60).
55. - 2° La sanction. - Avant nos actes, la conscience nous fait connaître l'existence
d'une loi morale qui commande les actions bonnes et défend les mauvaises. Après nos
actes, la conscience intervient à nouveau pour poser la double question de
responsabilité et de sanction. Et quand elle a porté un jugement sur la valeur
56. - Objection. - Mais, dit-on, la sanction n'est pas nécessaire pour fonder la morale;
et si elle l'est, l'on peut trouver des sanctions sans recourir à Dieu. - a) La sanction,
disent les partisans de la morale rationnelle, n' est pas nécessaire pour fonder la
morale. Il faut faire le bien pour le bien, et non pour l'amour de la récompense. Moins
il y a de calcul intéressé dans l'accomplissement du bien, plus notre action gagne en
grandeur et en mérite.- b) Mais, la sanction fût-elle nécessaire, ne peut-on pas trouver
de nombreuses sanctions, sociales et même naturelles, en dehors de Dieu ? Il y a, par
exemple: - 1. l'opinion publique, - 2. les répressions sociales, - 3. la justice immanente
des choses, et - 4. par-dessus tout, le témoignage d'une bonne conscience.
Réfutation. - a) Toute sanction, dit-on, est inutile, parce que la vertu doit être
désintéressée.- Que le bien doive être fait pour de bien d'abord, et non pour l'amour de
la récompense, nous ne le contesterons pas, puisque c'est la un des principes essentiels
de la morale chrétienne.
Ne pas prendre la récompense pour motif d'action, c'est assurément très bien; mais la
mépriser est une marque d'orgueil, ce n'est plus la vertu; la rejeter c'est aller contre
l'ordre des choses et la justice. Car s'il n'y a pas de sanctions, s'il n'y a pas de
récompense pour la vertu, il n'y a pas non plus de châtiment pour le crime; le bien et le
mal sont dès lors mis sur le même pied: ce qui est contraire à toute idée de morale. La
sanction est donc nécessaire, non pour fonder la morale, mais pour la couronner.
4. le témoignage de la conscience. Il faut bien admettre que voilà enfin une sanction, à
première vue, acceptable. La conscience, toutefois, en tant que justicière, n'est pas à
Mais si, d'une part, la sanction doit être le complément de la loi morale et si, d'autre
part, rien ne nous garantit la justice des sanctions terrestres, n'avons-nous pas tout lieu
de croire qu'il y a ailleurs un Rémunérateur équitable qui, après avoir établi la loi
morale, appréciera les actes à, leur vraie valeur et leur appliquera les sanctions qu'ils
méritent ?
57. - Argument. - Le témoignage de l'histoire nous atteste que, dans tous les temps et
dans tous les pays, les hommes ont cru à l'existence de Dieu. Or ce que tous les
hommes tiennent instinctivement pour vrai, dit ARISTOTE, est une vérité de nature.
Donc Dieu existe.
Aucune époque n'a poussé plus loin que la nôtre l'étude des religions. Or l'inventaire
des documents fournis par l'histoire et la préhistoire n'a pu signaler le moindre cas d'un
peuple sans croyances religieuses. Telle est la constatation faite par des érudits comme
Max MULLER et de QUATREFAGES: « Obligé par mon enseignement même, dit ce
dernier, de passer en revue toutes les races humaines, j'ai cherché l'athéisme chez les
plus inférieures, comme chez les plus élevées. Je ne l'ai rencontré nulle part si ce n'est
à l'état individuel ou à celui d'écoles plus ou moins restreintes, comme on l'a vu en
Europe au siècle dernier, comme on le voit encore aujourd'hui. L'athéisme n'est nulle
part qu'à l'état erratique.» Ainsi l'histoire des religions nous conduit à cette conclusion
qu'aucun peuple, considéré dans sa masse, n'a jamais été athée, et que l'athéisme a
toujours été le fait de quelques individus ou de quelques écoles. Il importe peu de
savoir si leurs conceptions de la divinité furent plus ou moins justes, et elles furent
d'ailleurs moins grossières qu'on ne pourrait le croire au premier abord. Quelque
impression bizarre que puissent nous donner certaines mythologies, elles contenaient
sans doute une part importante de vérité[46].
58. – 1ère Objection. - Le suffrage universel est une mauvaise marque de vérité. Dire:
tous les hommes croient en Dieu, donc Dieu existe, c'est tirer une conclusion que ne
renferment pas les prémisses. Il y a eu des erreurs universelles ; telle fut, par exemple,
la croyance à l'immobilité de la terre.
Réfutation. - Le consentement des foules n'est pas une preuve infaillible de vérité, il
faut bien en convenir. Toutefois, il constitue déjà une présomption sérieuse. «Avant de
croire que tout le monde se trompe, dit le P. MONSABRÉ, on est tenté de croire que
tout le monde a raison. 1) La croyance collective acquiert surtout une très haute valeur
lorsqu'elle s'appuie sûr des raisons sérieuses. - Il y a eu cependant, dit-on, des erreurs
universelles. Ce n'est pas contestable, mais il faut ajouter aussi que ces erreurs avaient
une cause et qu'elles ont fini par être découvertes et redressées. Ainsi la croyance à
l'immobilité de la terre, qui s'explique par l'illusion des sens, ceux-ci ayant pris
l'apparence pour la réalité, a cessé avec le progrès des sciences.
c) Enfin l'influence des législateurs et des prêtres ne saurait être invoqué pour
expliquer la croyance des peuples. - 1. Les législateurs ont pu se servir de la croyance
en Dieu pour mieux gouverner leurs peuples, mais ils n'ont pas pu la créer. L'on ne cite
pas, du reste, le nom de l'inventeur; et l'on pense bien qu'on devrait le connaître s'il
existait, en raison des difficultés qu'il aurait rencontrés pour imposer un dogme
contraire aux inclinations et aux mauvais instincts du cœur humain. - 2. La supercherie
60. - Si nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur les preuves de l'existence de Dieu, il
n'est pas sans intérêt de rechercher quelle est la valeur et la portée de chaque preuve,
considérée isolément. Nous l'établirons brièvement en reprenant chaque groupe de
preuves.
1° Valeur des preuves cosmologiques. - Des trois preuves qui nous sont fournies par
l'observation du monde extérieur, les deux premières, - argument de la contingence et
du premier moteur, - nous permettent de conclure qu'il y a un Etre nécessaire, et, par le
fait, éternel, puisqu'un Etre nécessaire ne peut pas ne pas être ; distinct du monde,
puisque le monde est sujet du devenir, puisqu'il se transforme et que l'Etre nécessaire,
la cause première et le premier moteur ne peuvent être sujets au changement. La
troisième preuve par l'ordre du monde a moins de portée.
B. La preuve par les aspirations de l'âme n'a pas une valeur absolue. Il n'est pas
possible, en effet, de démontrer rigoureusement qu'un bonheur fini ne pourrait
satisfaire les désirs de l'homme, et pas davantage, que le désir, même naturel, implique
nécessairement l'existence de l'objet désiré.
C. La preuve par la loi morale et la sanction avait, aux yeux de Kant, une très grande
force; elle lui arrachait cet aveu significatif: « Deux choses me remplissent l'âme d'un
respect et d'une admiration sans cesse renaissants: le ciel étoilé au-dessus de nos têtes,
la loi morale au-dedans de nous-mêmes. » Toutefois, il est bon de remarquer que, dans
l'exposé de cette preuve, nous ne suivons pas la même voie que le philosophe
allemand. D'après Kant, l'existence de la loi morale suppose Dieu non comme
législateur, mais comme rémunérateur.
Cependant, même ainsi présentée, la preuve tirée de la loi morale peut être attaquée
dans sa majeure. En effet, la connaissance claire et distincte d'une loi morale, de
caractère universel et obligatoire, présuppose la connaissance de l'existence de Dieu,
c'est-à-dire d'un législateur suprême qui, seul, a le pouvoir de lier la conscience; de lui
intimer une obligation absolue, (impératif catégorique). Mais si la connaissance de la
loi morale exige au préalable la connaissance de l'existence de Dieu, c'est que la notion
de Dieu est antérieure à la loi morale et, par conséquent, n'en découle pas; L'argument
est donc vicieux de ce fait qu'il contient dans ses prémisses ce qui ne doit venir que
dans la conclusion[52].
Ainsi, l'ensemble des preuves qui se complètent l'une par l'autre et nous présentent
Dieu sous un aspect différent, forme un bloc intangible.
Chacun reste libre d'ailleurs de choisir l'argument qui convient le mieux à sa mentalité, à sa
tournure d'esprit, et le plus apte à étayer ses convictions,.
61. - Après l'exposé des preuves de l'existence de Dieu, une question subsidiaire,
avons-nous dit, se pose à nos investigations. Si Dieu est nécessaire pour expliquer le
monde, comment se fait-il qu'il y ait des athées ? Mais est-il vrai tout d'abord qu'il y ait
des athées ? Et s'il y en a, quelles sont les causes et les conséquences de l'athéisme.
1° Y a-t-il des athées ? - L'athée (du grec a privatif et theos, dieu) est celui qui ne
croit pas à l'existence de Dieu.
62. - 2° Causes de l'athéisme, - L'on explique généralement l'athéisme par des raisons
intellectuelles, des raisons morales et des raisons sociales.
« Il y a toujours dans un cœur égaré par les passions, dit Mgr FRAYSSINOUS, des
raisons secrètes de trouver faux ce qui est vrai... On se persuade aisément ce qu'on
aime et, quand le cœur se livre au plaisir qui séduit, l'esprit s'abandonne volontiers à
l'erreur qui justifie »[55].
Et Paul BOURGET, dans une analyse très pénétrante de l'incrédulité, écrit les lignes
suivantes: «l’homme, en se détachant de la foi, se détache surtout d'une chaîne
insupportable à ses plaisirs... je n'étonnerai aucun de ceux qui ont traversé les études
de nos lycées en affirmant que la précoce impiété des libres penseurs en tunique a pour
point de départ quelque faiblesse de la chair accompagnée d'une horreur de l'aveu au
confessionnal. Le raisonnement - quel raisonnement ! - arrive ensuite et fournit des
preuves (!!!) à l'appui d'une thèse de négation acceptée d'abord pour les besoins de la
pratique »[56]; - c) Les mauvais livres et les mauvais journaux. Sous cette
dénomination nous n'entendons pas les livres et les journaux qui sont immoraux, mais
ceux qui, sous des formes parfois dissimulées, s'attaquent à tout ce qui est à la base de
la moralité, et veulent faire croire, au nom du soi-disant Progrès et d'une prétendue
Science, que Dieu, l'âme, la liberté ne sont plus que des mots qui recouvrent des
chimères.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
65. — Dieu est, mais pouvons-nous savoir ce qu'il est? Pouvons-nous avoir de sa
nature une connaissance, sinon parfaite, au moins initiale et confuse?
1° A PR1ORI, c'est-à-dire en déduisant ce qui est contenu dans les notions de Cause
première, d'Etre nécessaire et de premier Moteur, nous pouvons tirer cette triple
conclusion : — a) Dieu est l’Être parfait. En effet, un être imparfait est un être limité
et contingent, puisqu'il pourrait changer pour devenir meilleur et acquérir la perfection
qui lui fait défaut. Or, s'il pouvait recevoir cette qualité d'un autre, il ne serait plus la
Cause première de tout, ni l'Être nécessaire, vu qu'il pourrait être autrement qu'il n'est.
La Cause première, l'Être nécessaire est donc en même temps l'Être parfait. — b) Dieu
est infini. La notion d'infini découle de celle d'Être parfait. Dire que Dieu n'est pas
infini, c'est dire qu'il n'a pas la plénitude absolue de l'être, et, par conséquent, qu'il
n'est pas parfait, qu'on pourrait concevoir un être plus grand, à savoir, celui qui aurait
cette plénitude de l'être. — c) Dieu est unique. L'unicité de Dieu se déduit de la notion
d'infini. La raison ne peut admettre l'existence de deux êtres infinis. Car, ou bien ils
sont indépendants l'un de l'autre, ou l'un dépend de l'autre. Dans le premier cas, la
puissance de l'un étant limitée par la puissance de l'autre, aucun n'est infini. Dans le
second cas, celui qui dépend de l'autre ne saurait être infini. Le dualisme, qui admet
l'existence de deux dieux, le polythéisme qui en admet plusieurs, sont donc des
erreurs : la raison nous dit qu'il ne peut y avoir qu'un seul Dieu.
2° A POSTERIORI, c'est-à-dire en prenant pour point de départ les êtres créés, nous
déduisons les perfections divines. Si nous examinons l'œuvre de Dieu, et en particulier
l'homme, nous y trouvons des qualités mêlées à des imperfections. Or, étant donné que
Dieu est l'Etre parfait, comme nous venons de l'établir a priori, il s'ensuit que nous
devons retrancher de sa nature toutes les imperfections des êtres créés et lui attribuer
toutes leurs qualités[60]. D'où deux procédés : — a) la voie de négation ou
d'élimination qui supprime on Dieu tous les défauts des créatures, et — b) la voie
d'éminence qui lui attribue, en les élevant à l'infini, toutes les perfections des êtres
créés. La méthode a posteriori n'est pas de l'anthropomorphisme[61]. Nous nous
servons des qualités des créatures pour nous représenter Dieu, mais nous ne concevons
pas la nature de Dieu sur notre modèle, nous ne le faisons pas à notre ressemblance.
Nous attribuons à Dieu les qualités des créatures par analogie[62] seulement, et nous
pensons bien que l'intelligence divine par exemple n'est pas seulement supérieure à
l'intelligence humaine, mais d'un autre ordre.
69. — 2° Espèces — Par le double procédé indiqué plus haut, nous obtenons deux
sortes d'attributs : — a) les attributs négatifs ou métaphysiques, par la voie de
négation, et — b) les attributs positifs ou moraux par la voie d'éminence.
2° Simplicité. — Dieu n'est pas composé de parties. S'il était composé de parties,
celles-ci seraient finies ou infinies. Si elles étaient finies, Dieu ne serait plus l'infini,
car l'addition du fini avec le fini ne donne pas l'infini. Dire, d'autre part, que les parties
sont infinies est une chose contradictoire : nous venons de voir plus haut que la notion
d'infini implique l'unité. Mais si Dieu est simple c'est qu'il est esprit, vu que le propre
de la matière est d'être composée de parties et divisible.
71. — Les attributs positifs s'induisent en prenant comme point de départ les facultés
de l'homme et en les élevant à un degré infini. Or les facultés de l'homme sont
l'intelligence, la volonté et la sensibilité. Les attributs de Dieu seront donc :
l'intelligence, la volonté et l'amour.
— 2. Dire, d'autre part, que ce que Dieu a prévu arrive nécessairement n'est pas une
expression plus juste. Sans doute, la science de Dieu est infaillible ; et ce que Dieu voit
de toute éternité, arrivera certainement dans le temps. Mais ne nous y trompons pas.
La chose arrivera : — 1 ) d'une manière nécessaire, s'il s'agit des êtres privés de raison
et qui obéissent aux lois physiques de leur nature ou aux impulsions de leur instinct ;.
b) Mais, à supposer que le terme « prescience» soit juste et puisse être retenu, à propos
de la science divine, n'est-il pas évident que le fait de prévoir un événement n'est
nullement la cause de cet événement? Je prévois qu'un aveugle, qui marche dans la
direction d'un précipice, va tomber dans l'abîme et se tuer. Dira-t-on que ma prévision
a été cause de sa chute et de sa mort? Donc la prescience de Dieu, tout éternelle et
infaillible qu'elle est, n'est pas la cause de nos actions, elle n'en est que la
conséquence.
c) I1 est vrai que notre imagination se représente mal ces choses, mais, quand on ne
peut pénétrer tous les secrets d'un mystère, il faut écouter le conseil de BOSSUET, qui
nous dit de tenir fermement les deux bouts de la chaîne, — science de Dieu et liberté
de l'homme, — bien que nous ne voyions pas les anneaux intermédiaires par ou ils se
relient.
73. — 2° La volonté de Dieu. — La volonté de l'homme est limitée dans son mode
d'opération et dans son objet. Elle n'arrive souvent à ses ' fins qu'au prix de laborieux
efforts et elle ne fait pas tout ce qu'elle veut, En Dieu, la volonté est toute-puissante :
elle ne connaît ni l'effort ni la limite. Dieu peut tout Ce qu'il veut, mais il ne peut
vouloir que ce qui est conforme aux lumières de son intelligence, c'est-à-dire le bien.
74. — Objection. — Mais, dira-t-on, Dieu n'est pas libre, s'il ne peut choisir entre le
bien et le mal.
77. — 1° Exposé du Panthéisme. — Pour les panthéistes, Dieu n'est pas une
personnalité transcendante et distincte II ne fait qu'un avec le monde : il lui est
immanent[64]. Et voici la raison principale qu'ils invoquent pour appuyer leur thèse.
Dieu, disent-ils, est l'infini. Or rien ne peut exister en dehors de l'infini. Donc le monde
doit en faire partie intégrante : Dieu est tout et tout est Dieu. D'où l'origine de leur nom
(du grec « pan » tout, et « theos» Dieu).
80. — Objection- — Le monde, disent les panthéistes, doit faire partie intégrante de
l'infini, sinon l'infini aurait des limites, ce qui est contradictoire.
La création, par conséquent, que les panthéistes considèrent comme impossible parce
qu'elle aurait limité l'infini, n'a rien ajouté à la perfection de Dieu. Il y a eu, en plus,
des êtres seconds, limités, imparfaits, bref, des êtres finis ; l'Etre infini est resté le
même. La coexistence de l'infini et du fini n'est donc pas contradictoire, parce que les
deux ne sont pas du même ordre.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
81 — Après avoir établi l'existence et la nature de Dieu, nous devons rechercher quelle
est son action, ou, si l'on préfère, quels sont ses rapports avec le monde. Dieu est la
Cause première de tout, nous l'avons vu en démontrant son existence. Nous devons
poursuivre plus loin et faire sur ce sujet une double enquête. Nous nous demanderons :
1° Comment Dieu, qui est le seul Etre nécessaire, a produit le monde, s'il l'a créé, ou
s'il l'a tiré de sa substance, et 2° comment il le gouverne. D'où deux articles.
Art. I. — De la Création.
82. — 1° Erreurs sur ce point- — On ne peut expliquer l'origine du monde que de trois
manières : — a) Ou bien l'on peut dire que la matière est éternelle, nécessaire,
indépendante comme Dieu qui n'en serait alors que l'organisateur : c'est la réponse du
dualisme. — b) Ou bien le monde est une émanation de la substance divine, Dieu
l'aurait tiré de sa propre substance : c'est la réponse du panthéisme. Une forme de
panthéisme, plus à la mode de nos jours, le panthéisme évolutionniste (N° 78), dit
plutôt que Dieu, c'est le monde qui évolue. — c) Ou bien le monde a été produit de
rien par la toute-puissance de Dieu, il a été créé : c'est la réponse des théistes.
Seule, la dernière réponse est acceptable. Les deux premières constituent des erreurs.
— a) Le dualisme, qui fait de la matière un être nécessaire et indépendant, suppose par
le fait qu'il y a deux dieux. Or nous avons vu (N° 70) que, Dieu étant l'être infini, il ne
C. NÉCESSITÉ. — La création est non seulement possible, mais elle est nécessaire.
Nous avons vu en effet que les systèmes, dualiste et panthéiste, étaient inadmissibles.
La création est donc la seule explication valable de l'origine du monde[68].
Mais si le fait de la création peut être affirmé avec certitude, le problème se complique
quand il s'agit d'en déterminer le mode. Comment le monde a-t-il été formé ? Nous
renvoyons, pour les réponses que la Foi et la Science font à cette question, à notre
Doctrine catholique (Nos 55-57).
§ 2. — ORIGINE DE LA VIE.
85. — 1° Création. — Selon cette hypothèse, les premiers êtres vivants ont été créés
par Dieu. Toutefois, cette création a pu se faire de deux façons. — a) Ou bien Dieu,
par un acte de sa toute-puissance, a fait apparaître les premiers êtres vivants lorsque les
conditions nécessaires à la vie furent réalisées sur la terre : il y aurait eu, dans ce cas,
création directe. — b) Ou bien Dieu a déposé, à l'origine, au sein de la matière, soit
des germes, soit des forces capables de produire les premiers organismes, au moment
propice à leur éclosion : dans ce second cas, il y aurait eu création indirecte. La
supposition de germes, créés par Dieu en même temps que la matière, est du reste peu
vraisemblable, car il serait difficile d'expliquer, dans cette hypothèse, comment ces
germes auraient pu résister aux températures extrêmement élevées que la terre a
connues dans sa période d'incandescence
Le premier problème que les adversaires de Dieu avaient donc à résoudre, c'était de
prouver que la vie peut sortir de la matière. A maintes reprises, les hétérogénistes
crurent qu'ils tenaient la solution. Mais les expériences de Pasteur ( 1859-1865)
renversèrent leurs espérances. Un savant de marque, POUCHET, avait prétendu qu'il
n'y a pas de germes dans l'air et qu'il avait obtenu la génération spontanée d'infusoires
dans une matière putrescible. PASTEUR démontra au contraire par une triple
expérience : — 1. que l'air contient en suspens des corpuscules organisés semblables à
des germes ; — 2. que, si l'on prend soin d'éliminer ces germes, on n'obtient jamais de
production d'infusoires ; — 3. qu'on peut obtenir ou supprimer les productions
d'infusoires selon qu'on introduit ou qu'on supprime les germes obtenus par la
première méthode.
La science expérimentale en est toujours là. Les expériences de Pasteur restent intactes
: l'être vivant vient d'un autre être vivant. Si les laboratoires ont été impuissants à créer
la vie, c'est qu'entre la matière inorganique et la matière vivante, il y a apparemment
une barrière infranchissable. Le principe vital dépasse les forces de la matière ; en
d'autres termes, la vie ne peut être le produit de la matière. Jusqu'à preuve du contraire,
nous avons donc le droit dé conclure que la vie a dû être créée en dehors des forces de
la nature.
Les apologistes catholiques n'ont donc pas à prendre parti dans le débat. Ils affirment
seulement que, si la vie a commencé par génération spontanée, c'est que Dieu avait
doué la matière de forces capables de produire la vie. Directement ou indirectement, il
faut toujours recourir à la création. Ainsi nous pouvons conclure, avec le matérialiste
VIECHOW, que la création spontanée « ce ne sont pas les théologiens qui la
repoussent, ce sont les savants ».
87. — Quelle que soit l'origine de la vie, elle nous apparaît actuellement sous
beaucoup de formes qui vont des plus simples aux plus compliquées. Si nous
considérons les deux grands règnes, végétal et animal, dans lesquels on classe tous les
êtres vivants, nous constatons que, depuis l'algue unicellulaire jusqu'au chêne, et
depuis l'infusoire jusqu'au mammifère, il y a de multiples variétés, de nombreuses
espèces, dont les ressemblances et les divergences sont en proportion de la distance qui
les sépare. D'où viennent ces espèces? Ont-elles été créées par Dieu, par autant d'actes
88. — 1° Fixisme. — Dans l'hypothèse fixiste, les espèces ont été créées par Dieu,
telles que nous les voyons. Ou tout au moins, elles proviennent de germes créés
directement par Dieu, en aussi grand nombre qu'il y a d'espèces différentes, et qui
auraient éclos lorsqu'ils auraient été dans les conditions voulues. Quelle que soit, du
reste, la manière dont elles ont été créées, les espèces ont pour caractéristique d'être
fixes, de ne pouvoir subir aucune modification essentielle, et partant, d'être inaptes à
produire de nouvelles espèces par voie d'évolution. Cette hypothèse que, pour cette
raison, on appelle fixisme, a eu pour partisans la plupart des anciens apologistes, et des
naturalistes de première valeur : CUVIER, DE QUATREFAGES, FLOUKENS,
AGASSIZ, FAIVRE, HÉBERT, BLANOCHIARD, DE NADAILLAC, etc. Nous
verrons plus loin les arguments qu'elle oppose à l'évolutionnisme.
93. — Arguments des transformistes. — Que les espèces ne sont pas fixes et n'ont
pas été créées telles qu'elles sont, qu'elles ont une descendance commune, qu'elles
proviennent, sinon du même ancêtre, tout au moins d'un nombre d'ascendants très
restreint, les évolutionnistes prétendent pouvoir en faire la preuve scientifique par la
double étude du passé et du présent.
B. POUR LE PRÉSENT, les évolutionnistes font appel surtout aux données de deux
sciences : l’anatomie et la biologie. — a) En anatomie, disent-ils, nous voyons qu'il y a
similitude entre les organes et les os des différentes espèces : ainsi, la patte d'un lion,
celle d'une tortue, la nageoire d'une baleine, l'aile d'une chauve-souris et le bras d'un
homme comportent les mêmes os semblablement disposés et ne différant que par leurs
Les évolutionnistes allèguent encore que deux faits sont inexplicables dans l'hypothèse
fixiste : — 1. la présence, chez un grand nombre d'animaux, d'organes rudimentaires
si peu développés qu'ils sont impropres à tout usage : tels sont, par exemple, les dents
fœtales de la baleine, les ailes de l'autruche qui ne lui servent pas à voler, les lobes des
poumons chez les serpents, etc. Dans la théorie fixiste, il faut dire que Dieu a fait
œuvre inutile en créant des tronçons d'organes. Les évolutionnistes y. voient, au
contraire, une preuve de la descendance commune : ces organes atrophiés par suite du
manque d'usage, rappellent l'ancêtre commun et sont comme sa signature ; — 2.
L'histoire du développement individuel que nous révèle l'embryologie. D'après
HAECKEL et l'école transformiste, ['ontogenèse (développement de l'individu) serait
la reproduction à grands traits de la phylogénèse (développement de l'espèce) ; en
d'autres termes, chaque individu répéterait brièvement, au cours de sa formation, les
phases par lesquelles a dû passer son espèce. Les transformistes objectent aux fixistes
que le passage d'un être par des formes inférieures à son espèce, est incompréhensible
dans leur hypothèse, tandis que pouf eux, la chose paraît toute simple, l'évolution
individuelle étant comme la reproduction abrégée de l'évolution de l'espèce
94. Arguments des fixistes. —Les fixistes pensent, au contraire, que la théorie des
évolutionnistes n'a aucune base scientifique, ni dans le passé, ni dans le présent, et que
les transformations invoquées par eux n'ont jamais été assez grandes pour former des
espèces nouvelles, qu'elles n'ont abouti qu'à constituer des races parmi les espèces.
95. Conclusion. — 1. A notre époque, dans tous les pays, en France, en Belgique, en
Italie, en Allemagne, aux Etats-Unis, etc., on s'accorde à proclamer que le
transformisme passe par une crise grave et que sa prétention de vouloir expliquer la
formation des espèces par l'évolution lente et graduelle d'un seul ou d'un nombre très
restreint de types, ne repose sur aucun fondement solide.
2. Remarquons, par ailleurs, que seuls sont condamnés par l'Eglise les évolutionnistes
matérialistes, c'est-à-dire ceux qui se servent de l'évolution comme d'une machine de
guerre contre la religion, ceux qui, pour supprimer Dieu, se font fort de tout expliquer
par cette triple formule : éternité de la matière (V. N° 40), génération spontanée sans
intervention surnaturelle (N° 86), formation des espèces par les lois de l'évolution.
c) Consentement universel. — Dans tous les temps, les peuples ont cru à la
Providence. Les prières et les sacrifices, en usage dans tous les pays en sont une
preuve évidente : ces appels à la divinité, ces actes de dépendance et de soumission
pour obtenir les faveurs et écarter les maux, n'auraient pas, de sens sans la foi à un être
souverain qui peut intervenir dans la marche des événements.
99. — On fait contre la Providence trois sortes d'objections. La première est tirée de la
nature de Dieu ; la seconde, de la difficulté de concilier le gouvernement divin avec la
liberté de l'homme ; la troisième, de l'existence du mal dans le monde.
1re Objection tirée delà nature divine. — D'après ARISTOTE, Dieu ne peut
s'occuper des créatures, parce qu'elles sont imparfaites. Le gouvernement du monde
détournerait Dieu de la contemplation de son être et de ses infinies perfections. Il ne
serait plus alors souverainement heureux : ce qui est inadmissible.
Réponse. -— Dieu n'a pas à se détourner de la contemplation de son être pour voir
tous les êtres créés : c'est à travers son essence qu'il connaît toutes choses. Du reste, le
fait de connaître une chose imparfaite et d'en prendre soin, ne constitue nullement une
imperfection
Réponse. — Cette objection revient à celle qui a déjà été faite contre la science divine
(N° 72). Le concours divin ne modifie pas la nature des êtres. « Dieu meut les
créatures, dit saint THOMAS, selon le mode de leur nature, si bien que l'acte de l'agent
nécessité est nécessaire, et que celui de l'agent libre est libre.» La coopération divine
accompagne donc et affermit la volonté mais ne la violente pas.
Réponse. — II paraît certain, en effet, que le monde n'a pas toute la perfection qu'il
pourrait avoir[81]. Mais, fût-il plus parfait, il aurait toujours des limites, car qui dit
créature, dit être contingent et limité. Dès lors, reprocher à Dieu d'avoir créé un monde
imparfait c'est tout simplement lui reprocher d'avoir créé. Toute la question est donc de
savoir si le monde, malgré ses imperfections, est bon ou mauvais, s'il vaut mieux être
que ne pas être. Or il ne fait pas de doute que l'être vaut mieux que le non-être, que la
vie présente est bonne et qu'il dépend de nous, créatures libres, qu'elle suive une
ascension continue vers le mieux et qu'elle se rapproche de plus en plus de la
perfection. La vie vaut donc ce que nous la faisons et, si elle devient mauvaise, qui
avons-nous le droit d'accuser, sinon nous-mêmes et notre action.
2° MAL PHYSIQUE. — Tandis que le mal métaphysique est purement négatif, qu'il est
le défaut d'être ou de perfection, le mal physique a un caractère positif : il est la
privation d'un bien qui devait appartenir à la nature. Comment concilier alors le mal
physique avec la puissance et la bonté de Dieu ? Pourquoi tant de désordres dans la
nature ? Pourquoi les tremblements de terre, les inondations, les incendies? Pourquoi
les catastrophes ? Pourquoi les fléaux, la peste, la famine, la guerre? En un mot,
pourquoi la douleur? Comment justifier Dieu d'avoir refusé à la nature et à certains
êtres la perfection à laquelle il semble qu'ils avaient droit î
B. LA DOULEUR. — Au surplus, si le mal qui est dans la nature nous révolte, c'est
que nous en souffrons. Tout se ramène donc à cette unique question : pourquoi la
douleur ? Incontestablement, la douleur est un mal, mais si elle se doit tourner en bien,
si elle est, non une fin, mais un moyen, la bonté de Dieu n'est plus en défaut. Pour
justifier la Providence, il suffit donc d'établir que le bien peut sortir du mal, et partant,
que le but pour suivi par Dieu est bon.
« L'homme est un apprenti, la douleur est son maître Et nul ne se connaît tant qu'il n'a
pas souffert » (A. DE MUSSET). 2) Enfin la douleur est un excellent moyen
d'expiation. Elle est le creuset où l'homme pécheur purifie son âme Elle devient alors «
la bonne souffrance» qui arrache l'homme aux choses de la terre et tourne son regard
vers le ciel. « Les épreuves n'ont-elles pas pour effet de faire rentrer l'homme en lui-
même, de l'attacher à la réalité éternelle, au mépris des plaisirs? Que- d'âmes, qui se
perdaient parce que tout leur souriait ici-bas, ont été ramenées à Dieu par les
déceptions, les mécomptes, les chagrins ! Qui n'a entendu la sagesse antique nous dire
que la vertu languit, si elle n'éprouve pas de contradictions, qu'elle s'épure dans
l'adversité comme l'or s'épure dans la fournaise ? qu'on la reconnaît à sa force au
milieu des épreuves, que l » plus beau spectacle est celui du juste aux prises avec
l'infortune, et se montrant supérieur à elle? .. Si Dieu, lorsqu'il nous châtie, agit comme
un père, qui retient ses enfants sous une discipline sévère, afin de les rendre vertueux,
comme un médecin qui donne un breuvage amer pour rétablir la santé ou la fortifier,
loin de se plaindre et de maudire à l'occasion des épreuves du juste, n'y a-t-il pas lieu,
au contraire, de remercier et de bénir[85]? »
b) L'inégale répartition des biens est un fait incontestable. La plainte ne doit pas
cependant être exagérée : il s'en faut de beaucoup que la vertu soit toujours
malheureuse et le vice toujours prospère. D'autre part, il est un bien qui n'abandonne
pas le juste, même au sein de la misère, et qui n'appartient qu'à lui : c'est la pais, de
l'âme que seul peut donner le témoignage d'une bonne conscience. Mais surtout il né
faut pas perdre de vue que les biens de la terre peuvent, être nuisibles, qu'ils sont
toujours éphémères et que la vie présente n'est pas un terme, qu'il y a une autre vie où
se feront les compensations nécessaires. Peu importent donc des privations passagères
si elles sont le gage d'une récompense plus élevée.
Ainsi l'existence du ma] moral comme du mal physique, loin d'être un argument contre
la Providence, démontre la nécessité d'un Dieu infiniment juste pour rétablir un jour
l'équilibre que nous ne trouvons pas ici-bas, d'un Dieu sage qui se sert de la souffrance
passagère comme d'un moyen pour nous conduire à une gloire éternelle[86].
SECTION II : L'HOMME
DÉVELOPPEMENT
102. — La religion consiste, avons-nous dit (N° 6), dans l'ensemble des rapports qui
existent entre Dieu et l'homme. L'homme est donc le second objet qui s'impose à notre
étude. Or, dans cette étude de l'homme, la première question qui intéressé l'apologiste,
c'est celle de sa nature, car seule la nature d'un être permet d'en déduire l'origine et la
destinée, et conséquemment, les relations qui en découlent entre lui et son créateur. A
cette question capitale, deux réponses peuvent être faites : celle du matérialisme et
celle du spiritualisme.
Voici, du reste, les quelques points fondamentaux qui résument la théorie matérialiste
sur l'homme : — a) L'homme est formé d'une seule substance : le corps. L'âme est une
hypothèse inventée pour rendre compte de certains phénomènes que la matière paraît,
à première vue, incapable d'expliquer. — b) Entre l'homme et l'animal il n'y a pas de
différence essentielle. L'homme est un animal perfectionné qui doit sa supériorité au
développement de son cerveau. — c) La pensée est un produit de la matière cérébrale,
et le libre arbitre est une pure illusion.
Or ce principe ne peut être le corps, car il est scientifiquement démontré qu'il est
soumis au tourbillon vital, qu'il évolue et se transforme sans cesse, à tel point qu'en
Réponse. — Assurément, l'âme ne tombe pas sous les sons. Mais est-il vrai que les
sens, c'est-à-dire la perception extérieure, soient le seul moyen de connaître? Nous
pensons, au contraire, que la conscience est un procédé tout aussi légitime, et nous
venons d'établir qu'elle perçoit directement le moi, ses actes et ses modifications en
même temps que sa permanence. Au reste, alléguer que l'âme n'existe pas, parce qu'on
ne la voit pas, est un argument qu'on peut tout aussi bien retourner contre ceux qui
vous l'opposent. Car si la pensée était un produit de la matière, une fonction du
cerveau, comment se fait-il qu'ils n'en peuvent faire la preuve expérimentale ? Nous
pouvons donc conclure que l'âme ne se voit pas, non parce qu'elle n'existe pas, mais
parce qu'elle est spirituelle (voir N° 108).
Il est donc permis de conclure que, grâce à ces deux facultés, raison et liberté,
l'homme est séparé de l'animal par une distance infranchissable, que l'évolution ne peut
expliquer le passage de l'âme animale à l'âme humaine, et que seule l'action divine a
pu créer l'âme humaine[90]
108. — La raison et la liberté sont lés deux facultés par lesquelles l'âme humaine se
différencie de l'âme des bêtes. Nous devons faire un pas plus loin, et nous demander
de quelle nature est ce principe qui produit la pensée : il nous faut donc démontrer,
avec le spiritualisme chrétien, que l'âme humaine est une substance spirituelle, et non
pas matérielle, comme le prétendent les matérialistes.
En outre, deux autres faits s'élèvent contre la doctrine matérialiste : la folie et les
localisations cérébrales. — 1. La folie. Il a été reconnu que la folie peut exister sans
lésion cérébrale. Comment expliquer qu'un instrument, qui est l'unique cause de la
pensée, fonctionne mal alors qu'il est intact? — 2. Les localisations cérébrales. Il fut
un temps où les matérialistes fondaient grand espoir sur la théorie des localisations
cérébrales : ils avaient déterminé la place des centres sensitifs et moteurs, de la
mémoire, etc., ils croyaient même pouvoir loger la pensée dans les lobes frontaux. Or,
b) En second lieu, si le cerveau est la cause de la pensée, il doit y avoir une similitude
de nature entre la cause et l'effet. Si par conséquent la cause est matérielle, l'effet doit
l'être aussi. La parole de K. VOGT retourne donc contre la thèse matérialiste. Il est
bien vrai que le foie sécrète la bile, mais précisément l'effet est matériel comme sa
cause. Pour que la comparaison fût vraie, il faudrait dès lors que le cerveau qui est
matériel, composé et multiple, produisît un effet du même ordre. Or l'intelligence est
une,et simple, elle a des idées qui n'ont rien de commun avec la matière. Elle ne peut
donc procéder d'une cause matérielle ; elle suppose une activité immatérielle, qui est
l'âme.
c) Enfin, comment concilier l'identité personnelle du moi, dont nous avons parlé plus
haut (N° 104) avec les changements continuels du corps, et particulièrement, du
cerveau ? Comment l'identique pourrait-il résulter du changement 1 Et comment les
molécules nouvelles qui se sont substituées aux anciennes dans le cerveau, peuvent-
elles garder le souvenir d'événements ou d'impressions qui ont affecté les molécules
dont elles ont pris la place ?
d) II faut donc conclure, avec le spiritualisme, que le cerveau n'est pas la cause de la
pensée ; il n'en est que la condition. Il n'est pas l'organe de l'intelligence ; il est tout
simplement un instrument à son service, semblable à la harpe qui ne peut rendre de
sons que sous les doigts du harpiste. L'âme seule est la cause de la pensée ;
absolument parlant, elle n'a pas besoin d'organe, mais dans l'état actuel des choses,
étant donné que nous ne pensons pas sans images et que les images sont transmises au
cerveau par les organes des sens, le cerveau est un instrument nécessaire à l'exercice
de la pensée. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les accidents, les lésions qui
surviennent dans les centres nerveux, paralysent les fonctions qu'ils ont à remplir.
D'une harpe brisée le harpiste ne sait plus tirer de sons ; il n'en reste pas moins
harpiste, après comme avant.
De ce qui précède, nous pouvons conclure que le cerveau seul n'explique pas la
pensée, que par conséquent, il n'en est pas la cause. Il n'en est que la condition
nécessaire, au moins dans l'état présent de la nature humaine.
110. — 1° Notion. — Étymologiquement, être libre (latin liber) c'est être affranchi de
tout lien. Et comme il y a des liens physiques et matériels (chaînes), et des liens
moraux (lois), il y a aussi deux sortes de libertés : la liberté physique et la liberté
morale. Il est clair que nous ne jouissons pas de ces deux libertés, toujours et d'une
façon complète. Ainsi le prisonnier qui est enchaîné, n'a pas la liberté physique ; aucun
de nous n'a une liberté morale absolue, car la loi morale la restreint dans la mesure ou
elle nous impose ses commandements. Nous n'avons donc de liberté sur ce point qu'en
tout ce qui n'est pas défendu par notre conscience.
La liberté dont il est ici question, ou plutôt le libre arbitre, c'est le pouvoir que la
volonté a de choisir entre deux alternatives, d'agir ou de ne pas agir, de se déterminer
pour une chose ou pour une autre sans qu'elle y soit contrainte par une force extérieure
ou intérieure. Tandis que la matière obéit nécessairement aux lois qui la régissent et
que les animaux suivent irrésistiblement les impulsions de leur instinct, l'homme est
maître de ses décisions et peut prendre le parti qu'il lui plaît. C'est donc la liberté qui
fait de l'homme seul un être moral, responsable, capable de mérite et de démérite. L'on
peut juger par là combien il importe de prouver l'existence du libre arbitre.
§ 2. — LE DÉTERMINISME.
Réfutation.— 1. Dire que lé déterminisme, que nous constatons dans le monde, est
une règle universelle, c'est affirmer une chose qu'on aurait bien de la peine à
démontrer. De ce que le déterminisme des lois paraît régir tous les phénomènes d'ordre
physique, est-on en droit de conclure qu'il s'applique également au monde de l'esprit?
Il est d'autant moins permis de le faire que les deux ordres de faits n'ont rien de
commun entre eux et que ce qui est vrai pour l'un, peut ne pas l'être pour l'autre. —
D'autre part, est-il vrai que le libre arbitre s'oppose à la science, c'est-à-dire à la
détermination des lois ? En aucune manière. La loi dit que les mêmes causes
produisent les mêmes effets dans les mômes circonstances. Or, que ma volonté
modifie les circonstances, qu'elle fasse par exemple, dévier un mouvement de sa
direction normale, il est clair que, en dépit de mon intervention, la loi reste la même,
bien que dans la circonstance elle n'ait pas son application et que la cause ne soit pas
suivie de son effet. La science n'a donc rien à craindre du libre arbitre et peut continuer
d'établir les lois qui régissent le monde matériel. — 2. Ce qui vient d'être dit du
déterminisme des lois, vaut pour le principe de la conservation de l'énergie. Les
déterministes ne peuvent pas démontrer que ce principe, qui s'applique aux forces de la
nature, est également valable pour la volonté. Du reste, à supposer que nos
déterminations soient des transformations des forces qui sont en nous, notre volonté
Réfutation. — II n'est pas vrai que nos déterminations soient toujours prises par le
motif qui exerce sur nous l'attrait le plus puissant. Bien souvent, au contraire, l'homme
résiste à ses tendances, préfère le sacrifice au plaisir: l'égoïste n'agit pas toujours en
égoïste, l'avare en avare... Naturellement, le motif qui entraîne notre volonté est le plus
fort, mais il s'agit de savoir si c'est le plus fort qui a été choisi ou s'il est le plus fort
parce que la volonté l'a choisi.
Conclusion. — Aucun des systèmes que nous venons d'exposer rapidement, n'infirme
les preuves de l'existence du libre arbitre. Nous pouvons donc conclure que Dieu a
doté l'âme humaine de la noble prérogative de pouvoir choisir entre le bien et le mal et
d'être la maîtresse de sa destinée. Mais, écrit Paul JANET (La Morale), « l'homme
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
119. — État de la question. — En étudiant sa nature, nous avons vu que l'homme est
composé d'une double substance : l'une, spirituelle, qui s'appelle l'âme ; l'autre,
matérielle, qui s'appelle le corps. Il en résulte que la question de l'origine de l'homme
se subdivise en deux points : 1° l’origine de l’âme ; 2° l’origine du corps.
Remarquons, avant d'aller plus loin, que cette question n'est 'pas définie par l'Église, et
que, de ce fait, une certaine latitude est laissée aux apologistes catholiques. Sans doute,
il est dit au chapitre II de la Genèse que « Dieu forma l'homme du limon de la terre et
lui souffla dans ses narines un souffle de vie » et qu'il forma la femme d'une des côtes
d'Adam (v. 7, 21, 22). Il est vrai encore que la plupart des Pères de l'Église ont
interprété ces paroles dans le sens obvie d'une création directe de Dieu, et que,
conformément à cette opinion traditionnelle, l'Eglise réprouve comme téméraire la
théorie des évolutionnistes catholiques, selon laquelle Dieu se serait borné à prendre le
corps de l'animal le plus perfectionné et à lui infuser une âme humaine. Mais il y a une
autre doctrine évolutionniste plus mitigée, qui ne semble pas inconciliable avec
l'opinion traditionnelle de l'Eglise et avec les idées de saint AUGUSTIN (Traité sur la
Genèse, l. VII, c. XXIV) et de saint THOMAS (II-Ia q. 91, 2, ad 4) : c'est celle qui
professe que Dieu, pour créer l'homme, se serait servi d'un corps déjà organisé auquel
il aurait fait un certain nombre de retouches et ajouté quelques perfections avant d'y
introduire l'âme. Le limon dont parle la Genèse aurait donc été, dans cette hypothèse,
un organisme préparé peu à peu par un long travail d'évolution, et mis au point par une
nouvelle intervention directe de Dieu[91].
Cette remarque faite, voyons, en nous plaçant sur le seul terrain scientifique-, ce que
valent les arguments de la thèse matérialiste.
122.— Théorie matérialiste.—A. Ses arguments. — Pour prouver que l'homme sort
de l'animal par voie d'évolution, qu'il n'est pas un être à part, qu'il est tout simplement
un animal perfectionné, les matérialistes invoquent un triple argument : — a)
l'évolution disent-ils, est la loi générale qui gouverne le monde. Le système de
LAPLACE la suppose comme une hypothèse nécessaire pour expliquer la formation
du monde physique. L'évolution est également admise, du moins d'une manière
générale, pour rendre compte des espèces végétales et animales. Mais, s'il en est ainsi
pourquoi l'homme seul ferait-il exception et échapperait-il à la loi générale ?
D'ailleurs, ajoutent-ils, il n'est même pas besoin de recourir au passé pour découvrir les
échelons intermédiaires entre l'homme et l'animal. D'une part, le sauvage actuel est un
témoin vivant de ce type primitif: il lui ressemble par sa structure physique et il n'est
b) Les ressemblances entre l'homme et l'animal, dont les matérialistes font grand état,
sont singulièrement contrebalancées par les divergences sur lesquelles ils insistent
moins. Si l'on compare le corps de l'homme, avec celui du singe, par exemple, il y a
des différences essentielles : l'attitude verticale propre à l'homme[95], l'existence de
deux mains seulement, l'angle facial[96], qui, dans la race humaine, flotte entre 70 et
90°, tandis qu'il n'atteint chez le singe qu'un maximum de 50° — sans parler des
facultés de l'âme, raison et liberté, qui mettent un abîme entre les deux. Par ailleurs,
comment expliquer, dans l'hypothèse de la descendance animale de l'homme, que
l'animal soit supérieur à l'homme par ses organes des sens (ex : odorat du chien),
quand la sélection naturelle aurait dû développer chez l'homme les qualités qui
existaient déjà chez l'animal? Pourquoi l'homme a-t-il été jeté nu sur la terre nue,
nudus in nuda humo, comme dit PLINE L'ANCIEN? Si les poils étaient pour l'animal
un précieux avantage pour le garantir du froid, n'auraient-ils pas pu rendre le même
service à l'homme? Ainsi, tandis que l'animal porte en soi des armes de défense qui lui
permettent de lutter contre ses adversaires, l'homme en est réduit à les chercher dans
les forces de la nature. Donc, même à ne considérer que le corps, la 'parenté directe
entre l'homme et l'animal n'existe pas.
Cela nous amène à envisager le cas du sauvage qui, dans l'hypothèse matérialiste,
serait aujourd'hui encore, un représentant de la forme intermédiaire entre l'animal et
l'homme. Les évolutionnistes prétendent qu'il y a moins de distance entre l'animal et le
sauvage? qu'entre-le sauvage et l'homme civilisé. C'est là une assertion dont l'absurdité
est manifeste, car il est incontestable qu'entre le sauvage et le civilisé il n'y a aucune
différence de nature, et que seul le développement diffère. Le sauvage, tout sauvage
qu'il est, reste homme dans toute la force du terme, c'est-à-dire doué d'une âme
raisonnable qui le rend apte au progrès, alors que l'animal, même dressé, ne devient
jamais capable de penser, de raisonner, d'inventer, etc. Sans doute, l'intelligence des
sauvages est inférieure parce qu'elle n'est pas cultivée, mais elle ne représente pas un
moyen terme entre l'intelligence du civilisé et l'instinct de l'animal.
Nous pouvons en dire autant de l'enfant. L'évolution, par laquelle il passe, avant de
devenir homme, ne répète nullement les phases qu'aurait traversées l'humanité ; il ne
faut pas considérer l'enfant comme s'il était simple animal d'abord, et s'élevait peu à
peu à la forme humaine. L'enfant obéit seulement aux lois du développement qui
régissent la nature de l'homme.
Conclusion. — De ce qui précède il ressort que, dans l'état actuel de la science, les
matérialistes ne peuvent apporter aucune preuve de la descendance animale de
l'homme. — 1. Au point de vue de l'âme, il y a une démarcation radicale entre l'homme
et la brute ; le passage de l'un à l'autre n'a pu se faire, car l'évolution développe bien ce
qui existe déjà, mais ne crée pas ce qui n'est pas en germe. — 2. Au point de vue du
corps, l'hypothèse évolutionniste n'est aucunement vérifiée. Tous les squelettes
humains que renferment nos musées appartiennent à la même humanité que la nôtre ;
l'homme a fait son apparition sur la terre avec tous les caractères qui le distinguent
aujourd'hui et le séparent de l'animal. Que si les recherches scientifiques démontrent
un jour le contraire, l'Église sera la première à adopter une solution qu'elle n'a jamais
combattue officiellement[97].
127. — État de la question. — Tous les hommes qui composent l'humanité ont-ils une
descendance commune et appartiennent-ils à la même espèce[99]? Voilà bien une
question qu'il importe de résoudre, car le monogénisme, c'est-à-dire la provenance de
tous les hommes d'un couple unique, est impliqué dans les dogmes du péché originel et
de la rédemption, qui sont à la base de la religion chrétienne. Il s'agit donc de savoir si
la science est en opposition ou s'accorde avec la foi qui, s'appuyant sur l'Écriture,
affirme que le genre humain tout entier est issu d'un seul homme, Adam, et d'une seule
femme, Eve.
Ainsi, les polygénistes, insistant sur les différences qui caractérisent les trois types que
nous venons de passer en revue, concluent que l'humanité n'a pas une descendance
commune et se rattache à plusieurs ancêtres.
A. PREUVE INDIRECTE. — Aucun des traits qui différencient les trois types ci-
dessus mentionnés, ne peut être considéré comme constituant une divergence
essentielle entre eux, d'autant plus qu'il y a des différences plus grandes entre certaines
races d'animaux dont on ne conteste pas l'unité d'espèce.
Les polygénistes objectent encore la diversité des langues dont certaines paraissent
n'avoir aucune racine commune. S'il en était ainsi, -— et plusieurs philologues
distingués comme Max Muller le contestent, — l'on pourrait seulement en conclure
que la langue primitive unique aurait disparu sans laisser partout de traces.
B. PREUVE DIRECTE. — Les différences entre les races ne dressent pas entre elles
une barrière infranchissable. Il y a plus. Leur communauté d'origine ressort de leurs
ressemblances : — 1. Ressemblances anatomiques. « Plus on étudie, dit DE
QUATREFAGES, et plus on s'assure que chaque os du squelette, depuis le plus
volumineux jusqu'au plus petit, porte avec lui dans sa forme et dans ses proportions,
un certificat d'origine impossible à méconnaître ». — 2. 'Ressemblances
physiologiques. Tant au point de vue de la vie de l'individu que de la conservation de
l'espèce, les races sont identiques et diffèrent notablement des animaux. De plus,
l'interfécondité des races est le signe le plus évident de l'unité de l'espèce[100].— 3.
Ressemblances psychologiques. Si nous considérons les races, du point de vue
intellectuel et moral, il y a sans contredit de notoires différences dans leur degré de
culture et de moralité, mais elles sont loin d'être irréductibles et les distances peuvent
être comblées, plus ou moins vite, par l'éducation : aussi bien ne peut-on pas observer
de pareils écarts entre individus de même race et de même pays? N'y a-t-il pas, à Paris
même, des individus à demi-sauvages à côté de gens de la plus haute culture? Quoi
qu'il en soit du degré de civilisation propre à certains individus et à certaines races, il
est bien certain que tous les hommes sont doués d'intelligence, capables, par le fait, de
penser, de raisonner, de progresser et d'inventer.
Mais, dira-t-on encore, si les hommes actuels paraissent descendre du même couple,
peut-on affirmer la môme chose des hommes qui ont appartenu aux temps
préhistoriques? « Quand on visite les collections préhistoriques, répond à cela le
marquis DE NAPAILLAC, il est impossible de se défendre d'un véritable étonnement
en voyant partout les mêmes formes, les mêmes procédés de travail, et cela chez des
populations sans communication entre elles, séparées par des océans ou par des déserts
arides. » Conclusion. — De ce qui précède nous pouvons tirer une double conclusion :
130. — La foi nous enseigne, — et la science n'y contredit pas, — que l'humanité tout
entière descend d'un couple unique. Une dernière question intéresse l'apologiste : c'est
celle de savoir quand ce couple primitif fit son apparition sur la terre. Quel est sur ce
point l'enseignement de l'Église? Est-il en opposition avec les données de la science?
Ainsi, notons ces deux points importants : — a) La Bible ne fournit aucun chiffre sur
la date d'apparition du premier homme ; — b) on ne connaît pas le texte original de la
Mais en admettant même que le texte original de la Bible fût connu, il resterait à
démontrer que l'autour inspiré entendait nous donner une chronologie authentique et
une histoire complète du peuple hébreu. Il apparaît, au contraire, que son but essentiel
était d'inculquer aux Juifs des vérités morales et religieuses. Qu'il existe des lacunes
dans les arbres généalogiques des premiers patriarches, la chose paraît vraisemblable,
évidente même, si l'on prend soin de remarquer que les écrivains sacrés comme tous
les Orientaux, se laissèrent guider généralement dans leurs chronologies par une
raison mnémotechnique. Il ne faut pas oublier en effet que les Livres sacrés étaient
destinés à être appris par cœur. Alors pour faciliter le travail de la mémoire, leurs
autours n'hésitaient pas, dans les listes généalogiques, à supprimer des intermédiaires
et à grouper les noms dans des nombres plus commodes à retenir. C'est pour cette
raison sans doute que les patriarches d'avant et d'après le déluge, sont partagés en deux
groupes de dix. L'on peut trouver, d'ailleurs, des exemples analogues, dans des livres
où les omissions sont faciles à contrôler : telle, par exemple, la généalogie de Jésus par
saint Matthieu, où trois noms d'ancêtres les plus connus, Ochozias, Joas et Amazias,
sont passés sous silence, sans doute parce que l'Évangéliste voulait diviser sa liste en
trois groupes symétriques de quelques noms chacun.
Il faut donc conclure que la Bible ne fixe aucune date pour l'apparition du premier
homme. Mais, objectent les adversaires mal intentionnés ou mal informés, comme
Gabriel DE MORTILLET, est-ce que BOSSUET lui-même dans son Discours sur
l'Histoire universelle n'a pas fait remonter la création du monde à 4.000 ans avant
Jésus-Christ, date que certains catéchismes ont répétée et répètent encore? Sans doute,
mais ni Bossuet, ni les catéchismes n'ont jamais émis la prétention de donner cette
chronologie comme un enseignement officiel de l'Église. Et la preuve en est bien que
ceux qui font profession d'exégèse ne se croient nullement liés par une date
quelconque, et que l'un des plus illustres d'entre eux, LE HIE, a pu écrire les paroles
suivantes que nous adoptons comme conclusion. « La chronologie biblique flotte
indécise ; c'est aux sciences humaines qu'il appartient de trouver la date de la création
de notre espèce. »
Quoi qu'il en soit, il s'agit pour la préhistoire de retrouver les premières traces de
l'espèce humaine et de calculer combien d'années ont pu s'écouler depuis. Or, comme
on peut le voir aisément, le problème une double difficulté. La première c'est que la
géologie n'est jamais sûre d'atteindre les traces du premier homme, et la seconde c'est
qu'il n'est guère possible d'établir de chronologie.
Toute tentative de chronologie doit dès lors prendre là son point de départ. Mais
comment apprécier l'âge de l'époque quaternaire? On l'a essayé en se basant sur la
marche des glaciers. Les uns, comme DE MORTILLET, ont évalué l'âge de l'humanité
à plus de deux cent mille ans ; d'autres, à dix mille ans. L'écart des deux chiffres suffit
à montrer combien les résultats de la science manquent de précision.
Conclusion. — Ainsi, comme on peut le voir, d'une part, la Foi ne peut être en
contradiction avec la Science, vu qu'elle ne fixe aucun chiffre ; d'autre part, la Science
manque encore de données suffisantes pour résoudre un problème qui doit rester bien
son domaine[105].
BIBLIOGRAPHIE. — L'Ami du Clergé, 1er mars 1923 (N° 9). — Mgr FARGES, Le
Cerveau, l'Ame et les Facultés (Berche et Tralin). — P. JANET, Le Matérialisme
contemporain. — Mgr DUILHÉ DE SAINT-PROJET, Apologie scientifique de la Foi.
— GUIBERT, Le conflit des croyances religieuses et les sciences de la nature ; Les
Origines. — POULIN et LOUTIL, Dieu (Bonne-Presse). — Dans le Dictionnaire ap.
de la Foi ; DARIO, Art. Matérialisme ; COCONNIER, Art. Ame Dr SURBLED, Art.
Cérébrologie ; P. DE MONNYNCK., Art. Déterminisme ; abbés BREUIL et
BOUYSSONIE, Art. L'Homme préhistorique d'après les documents
paléontologiques ; GUILBERT, Unité de l'Espèce humaine. — DAUMOIJT, Le
problème de l'évolution de l'homme (Se. et Foi). — DE NADAILLAC, L'homme et le
singe (Bloud), Le problème de la vie (Masson). — DE QUATREFAGES, L'Espèce
humaine (Alcan). — DE LAPPARENT, L'ancienneté de l'homme et les silex taillés
(Bloud). — M. BOULE, Les Hommes fossiles, Éléments de Paléontologie humaine.
Voir sur ce livre le compte rendu des Études (5-20 mars 1921) et la Chronique de
Préhistoire dans la Rev. d'Ap. (1er et l5 avrill921).—VIALLETON, L'Origine des êtres
vivants, L'Illusion transformiste, Paris, 1929.
DÉVELOPPEMENT
132. — Les Rapports entre Dieu et l'homme. — Entre Dieu, créateur et Providence, et
l'homme doté d'une âme raisonnable, libre et immortelle, il importe de savoir quels
sont les rapports. Que le lien de dépendance qui rattache la créature à son créateur,
impose à l'homme des devoirs envers Dieu, cela va de soi. Ce qui est certain encore,
c'est qu'à l'aide de sa raison seule, l'homme peut déterminer, plus ou moins bien sans
doute, l'ensemble de ses obligations qui constituent ce qu'on appelle la religion.
Mais la raison ne saurait aller plus loin. Ce qu'elle ne peut pas dire a priori c'est si les
rapports qui doivent exister en droit, sont ceux qui existent en fait. Car les relations,
qui se forment entre deux personnes, ne dépendent pas, toujours et uniquement, de
l'ordre naturel des choses, mais encore et surtout, de leur libre volonté. Or, sur ce
point, seule, l'histoire peut nous renseigner. C'est donc elle qu'il faut consulter pour
apprendre si, en dehors du lien naturel qui unit la créature à son créateur, il a plu à
Dieu d'établir d'autres rapports avec l'humanité, s'il n'a pas élevé l'homme à une
destinée plus haute que celle à laquelle il avait droit, et conséquemment, s'il ne lui a
pas imposé des devoirs nouveaux.
134. — Si nous considérons la religion au point de vue général, nous pouvons nous
demander : 1° quel concept nous devons nous en faire ; 2° quelle en est la nécessité ;
et 3° quelle en est l’origine.
Par ce double procédé nous aboutissons au même résultat, et nous voyons que la
religion comporte un triple élément ; des croyances, des préceptes et un culte : — 1.
Des croyances ou dogmes. Il est clair, en effet, qu'aucune religion ne peut subsister
sans un certain nombre de croyances, tant sur l'existence même et la nature de la
divinité, que sur l'existence et la survivance de l'âme humaine. « Sans doute, dit DE
QUATREFAGES, cette religion pourra être rudimentaire, souvent puérile ou bizarre...
maie elle « ne perd pas pour cela son caractère essentiel... Toute religion repose sur la
croyance à certaines divinités. Les idées que les divers peuples se sont faites de ces
138. — 3° Objection. — II n'est pas vrai, nous objecte-t-on, que toutes les religions
comprennent les trois éléments que nous venons de signaler comme formant l'essence
de la religion en général. Il est possible de découvrir partout une sorte de culte, si l'on
appelle de ce nom les innombrables pratiques de superstition et de magie. Mais il n'en
va pas de même des croyances et des préceptes. — a) Pour ce qui concerne d'abord les
croyances, il y a des religions qui n'admettent aucune divinité. Telle est par exemple la
religion des sauvages dont les seuls éléments, sont, d'après M. Salomon REINACH
(Orpheus), l'animisme, la magie, les tabous et le totémisme. — b) Quant à la morale,
elle n'a, d'après TYLOR, « aucun rapport avec la religion ou n'a tout au plus que des
rapports rudimentaires. »[106] Et les principaux facteurs du développement de la
morale auraient été, selon G. LE BON[107], l'utilité, l'opinion, le milieu, les
sentiments affectifs, l'hérédité, mais non la religion.
Est-il vrai que la Religion des Primitifs consiste uniquement dans quelques croyances
et pratiques superstitieuses dont nous venons de signaler brièvement les principales ?
Sans doute, « il y a, dit Mgr LE ROY, du Fétichisme chez les Noirs, mais il y a autre
chose : le Fétichisme n'est pas tout leur culte, et encore moins toute leur Religion...
Quand on a longtemps vécu avec nos Primitifs... on arrive bientôt à cette constatation
que, derrière ce qu'on appelle leur Naturisme, leur Animisme, leur Fétichisme, surgit
partout, réelle et vivante, quoique souvent plus ou moins voilée, la notion d'un Dieu
supérieur — supérieur aux hommes, aux mânes, aux esprits et à toutes les forces de la
Nature. Les autres croyances, en fait, sont variables comme les cérémonies qui s'y
rattachent ; celle-ci est universelle et fondamentale »[113]. La Religion des Primitifs
n'est donc pas, comme on l'a prétendu, un Fétichisme pur et simple. Là, comme
ailleurs, il importe de distinguer ce qui constitue les vrais éléments de la Religion, de
ceux qui n'en sont que la contrefaçon.
Conclusion. — Pour les préceptes, comme pour les croyances, il faut donc savoir faire
la distinction entre les défenses de nature religieuse et celles de nature superstitieuse.
Mais il reste incontestable que les Religions, même les plus rudimentaires comme
celle des Primitifs, comportent une croyance à un être supérieur et des obligations qui
découlent de cette connaissance.
§ 2. NÉCESSITÉ DE LA RELIGION.
1° Adversaires. — Cette nécessité est niée : — a) par les athées. Que la religion n'ait
pas sa raison d'être pour ceux qui n'admettent pas l'existence de Dieu, comme les
athées, ni même pour ceux qui le déclarent inconnaissable, comme les positivistes et
les agnostiques, c'est là une conséquence toute naturelle ; — b) par les indifférentistes
qui, sans être athées, pensent que Dieu n'a que faire de nos hommages ; — c) par
certains déistes, qui ne croient pas à l'utilité de la prière ou qui estiment que Dieu doit
être adoré en esprit et en vérité, et non par un culte extérieur et public.
Que la religion soit un fait universel, c'est là un point d'histoire que l'on ne conteste
plus à notre époque.— 1. Sans doute, certains paléontologistes, comme Gabriel DE
MORTILLET, l'ont nié de l'homme primitif et ont prétendu que la préhistoire ne
pouvait apporter aucune preuve que la religion aurait existé à l'âge de la pierre taillée.
3. Il est vrai que des positivistes, tels que A. COMTE, tout en reconnaissant le fait,
essaient d'en contester la valeur en faisant entrevoir la disparition des dogmes dans un
avenir plus ou moins prochain, en montrant la science succédant à la religion, et l'ère
théologique faisant place à la religion de l'Humanité, laquelle doit répondre, d'une
façon définitive, à l'irréductible instinct religieux de la nature humaine. C'est là une
pure hypothèse qui ne repose sur aucun fondement et qui, en tout cas, sort du domaine
des faits. Nous n'avons pas à percer le voile de l'avenir, ni à rechercher ce que
l'humanité sera un jour ; il s'agit de ce qu'elle fut et de ce qu'elle est. Sur ce double
terrain des faits, — le seul sur lequel puisse se placer tout positiviste conséquent avec
lui-même, — nous pouvons dire que les hommes de tous les temps, non seulement ont
affirmé l'existence du surnaturel, mais même ont cru à la possibilité d'entrer en
relations avec des êtres supérieurs, de se les rendre propices soit par la prière, soit par
d'autres moyens. Toutes les religions se sont proposé de mettre l'homme en rapport
avec la divinité, et la Religion naturelle, quelque séduisante qu'elle puisse paraître dans
les descriptions de Jean-Jacques ROUSSEAU (Profession de foi d'un Vicaire
Savoyard), de V. COUSIN et de J. SIMON (La Religion naturelle), a toujours paru
insuffisante.
Nous avons donc le droit de conclure que la nécessité de la Religion nous est
démontrée par la raison, par les aspirations de l'âme humaine et par l'histoire.
§ 3. — ORIGINE DE LA RELIGION.
Deux hypothèses principales ont été proposées pour expliquer l'origine de la religion :
la première, soutenue par les rationalistes, suppose que la religion primitive est le
produit de l'homme et que la première forme en fut le polythéisme ; la seconde pense,
au contraire, que l'espèce humaine fut instruite, d'abord, par Dieu lui-même, et que la
religion primitive fut le monothéisme. Nous allons exposer rapidement ces deux
opinions.
Cependant l'évolution n'est qu'une partie du système rationaliste, car il va de soi que, si
elle suffit à expliquer, dans une certaine mesure, le développement des religions, elle
ne dit pas comment est né le sentiment religieux. La question de l'origine de la religion
n'est donc pas résolue par la doctrine de l'évolution. Si l'homme n'a pas toujours été
religieux, ou même s'il l'a toujours été, d'où lui est venu ce besoin du surnaturel? Les
rationalistes ont proposé, pour solutionner le problème, de multiples théories dont les
trois principales sont : la théorie naturiste, la théorie sociologique et la théorie
psychologique. — 1. Théorie naturiste. A mesure qu'il se dégagea de l'animalité,
l'homme voulut se rendre compte des phénomènes merveilleux de la nature qui
frappaient son imagination. Incapable d'en découvrir la cause réelle, il supposa qu'il y
avait derrière eux des agents qui les produisaient à leur gré ; c'est ainsi qu'il peupla le
monde d'êtres invisible, d'âmes, de génies, de dieux, etc. L'origine de la religion serait
donc à chercher dans l'étonnement devant la grandeur des phénomènes
atmosphériques, dans l'ignorance et la crainte physique ou morale, dans les troubles de
conscience nés de la peur du châtiment. Cette théorie est adoptée, au moins dans son
fond, par les positivistes A. COMTE, LITTRE, H. SPENCER, LUBBECK, et plus
récemment, par A. RÉVILLE. — 2. Théorie sociologique. D'après les partisans de
cette théorie (DURKHEIM, MAUSS, LÉVY, HUBERT...) la religion serait l'œuvre de
la société ; elle aurait été d'abord un ensemble de croyances et d'interdictions (tabous)
imposées par la collectivité à ses membres : croyances et interdictions sans lesquelles
aucune société ne saurait ni exister ni se développer. Et la preuve que telle est bien
l'origine de la religion, disent les sociologistes, c'est que le culte et toutes les
manifestations religieuses ont toujours fait partie de la vie sociale. — 3. Théorie
psychologique. Bien que-différant dans leurs explications, tous les psychologistes
s'accordent sur ce point général que la religion serait issue de la nature de l'homme,
que les croyances, la morale, le culte, bref, toute l'organisation religieuse serait le
produit du cœur humain. Et le principal argument sur lequel ils s'appuient, est tiré de la
permanence et de l'identité du phénomène religieux. Les mêmes effets supposant les
mêmes causes, il faut, disent-ils, rejeter l'hypothèse d'une simple coïncidence ou du
hasard, et admettre comme seule cause possible l'identité de la nature humaine. « II
faut donc, dit M. Salomon REINACH (Culte, Mythes et Religions), chercher l'origine
des religions dans la psychologie de l'homme, non pas de l'homme civilisé, mais de
celui qui s'en éloigne le plus, dans la psychologie des sauvages actuels. »
b) L’argument historique invoqué par les rationalistes n'a pas plus de valeur. L'histoire
ne prouve pas que l'animisme soit la plus ancienne forme religieuse. « En effet, dit
l'abbé DE BROGLIE, il est une conception religieuse, toute différente de la conception
animiste, tout aussi ancienne que celle-ci et qui semble lui être irréductible, et ne
pouvoir nullement en sortir. C'est la conception de la divinité que nous trouvons dans
les Védas dé l'Inde et dans la religion officielle de l'Egypte et qui paraît aussi être
l'antique religion de la Syrie. Ce qui caractérise ces religions c'est une conception de la
divinité très élevée, mais vague.» [120] Mais à supposer que l’histoire fût en faveur de
la thèse rationaliste, la question de l’origine de la religion ne serait pas encore résolue,
car de l’histoire il faudrait remonter à la préhistoire, et celle-ci, nous l'avons déjà vu,
ne peut nous donner que des éléments très incomplets de solution (voir N° 140, Argu-
ment historique).
jours pour l'individu, a eu lieu à l'origine pour l'espèce humaine ? Pourquoi le premier
homme n'aurait-il pas pu être instruit directement par Dieu ? Pour trouver cette
hypothèse inadmissible, il faudrait dire, ou que Dieu n'existe pas, ou que, s'il existe, il
se désintéresse de son œuvre. L'idée d'une révélation primitive est donc vraisemblable.
Elle a de plus l'avantage de rendre compte de ce fond identique que nous retrouvons
dans les conceptions religieuses de tous les temps et de tous les pays.[121]
La religion naturelle est pour l'homme un devoir autant qu'un besoin, voilà ce dont
l'article précédent nous a donné la certitude (N° 139). Autre question maintenant : la
religion naturelle suffit-elle ? Certainement oui, s'il n'existe entre Dieu et la créature
que les rapports qui découlent de la création. Non, au contraire, si Dieu a établi un
nouvel ordre de choses, s'il lui a plu, par un don purement gratuit, d'appeler l'homme à
une vie supérieure, à une vie surnaturelle entraînant la connaissance d'autres vérités et
d'autres devoirs. Mais il est clair, d'autre part, que, si cette hypothèse s'est réalisée, les
hommes n'ont pu l'apprendre que par révélation divine. D'où le travail préliminaire, qui
s'impose à notre étude, de rechercher : 1° ce qu'il faut entendre par la révélation ; 2° si
elle est possible, et 3° si elle est nécessaire.
a) Dans le sens général du mot, la révélation c'est la manifestation d'une chose cachée
ou inconnue. Elle est humaine ou divine, selon que la chose est révélée par l'homme ou
par Dieu. — b) Dans le sens spécial et théologique, la révélation c'est la manifestation,
faite par Dieu, de vérités ou de devoirs que l'homme ne connaît pas. La révélation est
donc toujours un fait surnaturel, vu qu'elle implique l'intervention de Dieu. Mais elle
peut l'être de double façon, soit quant à la substance, soit quant au mode : — 1. Quant
146 — 2° Espèces. — A. Selon la MANIÈRE dont elle est faite, la révélation est
immédiate ou médiate : — a) immédiate, lorsqu'elle vient directement de Dieu lui-
même ; — b) médiate, lorsqu'elle est portée à notre connaissance par l'intermédiaire
d'un autre homme, comme par exemple, la révélation qui nous a été transmise par les
Apôtres.
§ 2. — POSSIBILITÉ DE LA RÉVÉLATION.
147. — La révélation, entendue dans le sens d'une communication, faite par Dieu, soit
de vérités inaccessibles ou non à la raison, soit de préceptes qui obligent la conscience
humaine, est-elle possible ?
c) Du côté de l'objet révélé.— 1. Que Dieu puisse nous révéler des vérités accessibles
à la raison, mais que l'intelligence humaine, réduite à ses seules forces, découvrirait
difficilement, cela est évident. — 2 Qu'il révèle des préceptes positifs qui ne découlent
pas de la nature des choses et qui dépendent de sa libre volonté, cela se comprend
encore, car, en tant que créateur. Dieu est notre maître, et en tant que maître, il est
législateur. Il a donc le droit de faire des lois soit pour préciser les commandements de
la loi naturelle, soit pour réclamer de nous la soumission que toute créature lui doit
§ 3. — NÉCESSITÉ DE LA RÉVÉLATION.
150. — La révélation est possible ; bien plus, elle convient ; faut-il aller plus loin et
dire qu'elle est nécessaire?
1° Ce qu'il faut entendre par nécessité. — D'une manière générale, on dit qu'une
chose est nécessaire, quand elle est le seul moyen d'atteindre la fin que l'on poursuit.
Or le moyen est : — a) physiquement nécessaire lorsque aucun autre ne peut le
suppléer ; — b) moralement nécessaire, lorsque, sans lui, la fin ne saurait être atteinte
qu'avec beaucoup de peine ou imparfaitement.
A. ARGUMENT HISTORIQUE. — L'histoire nous montre que tous les peuples, même
les plus civilisés, comme les Grecs et les Romains, tombèrent dans les plus graves
erreurs sur la religion. Nous voyons par leurs mythologies, que, non seulement ils
étaient polythéistes idolâtres, mais qu'ils concevaient leurs dieux à leur image : vicieux
et criminels comme eux, afin de trouver un encouragement ou une excuse à leurs pires
excès, car il est tout à fait logique que d'une notion fausse de la divinité découlent les
conséquences les plus fâcheuses pour la morale. Le culte lui-même ne fut-il pas chez
eux un prétexte à la débauche ? Qui n'a entendu parler, par exemple, des bacchanales,
des lupercales et des saturnales, de ces fêtes en l'honneur des dieux où le désordre et la
licence se donnaient libre cours ?
Mais, dira-t-on, les philosophes illustres de l'antiquité, les Socrate, les Platon, les
Aristote, les Cicéron, les Sénèque, les Marc-Aurèle ne pouvaient-ils pas instruire le
peuple ? — Sans compter qu'ils avaient pour lui le mépris le plus profond, témoin ce
vers du poète latin :
ils auraient dû auparavant se mettre eux-mêmes d'accord sur les questions les plus
vitales de la religion : sur la nature de Dieu et du monde, sur l'origine et la destinée de
l'âme humaine, etc.[124]
Dira-t-on encore que ce que le passé n'a pu faire, les philosophes modernes l'ont
réalisé, et que, s'il se rencontre parmi ces derniers un certain nombre de matérialistes,
de positivistes ou d'agnostiques, il y a eu aussi des spiritualistes comme J. SIMON,
qui, sans autre secours que la raison, ont pu tracer tous les devoirs de la religion
naturelle? Sans doute, mais à supposer que les philosophes en question n'aient subi
aucunement l'influence de la révélation chrétienne, — ce qui serait difficile à prouver,
car les traces du contraire apparaissent avec évidence dans le livre de J. SIMON (La
Religion naturelle), où l'auteur promet par exemple la vision béatifique à ses adeptes,
— à supposer donc que la raison soit assez puissante pour établir les grandes lignes de
la religion naturelle, cela démontrerait justement les deux points de notre thèse : à
savoir que la raison, considérée individuellement, n'est pas radicalement impuissante,
mais qu'elle l'est si on l'envisage dans l'ensemble du genre humain.
Conclusion. —De cette insuffisance de la raison humaine, nous pouvons donc déjà
présumer l'existence de la révélation, ou tout au moins, d'un secoure spécial. Car nous
avons peine à croire que la Providence ait pu nous faire défaut dans des choses aussi
nécessaires, et nous ne comprendrions pas que là bonté ot la sagesse de Dieu n'aient
pas répondu aux besoins de notre nature.
Or l'on peut présumer qu'une telle révélation existe, de ce double fait : — 1. que toutes
les religions se donnent comme surnaturelles et supposent l'intervention divine, et —
2. que le genre humain est incapable, par ses seules forces et en dehors d'un secours de
Dieu, d'acquérir la somme de vérités religieuses nécessaires pour accomplir sa
destinée.
Cette obligation a été niée : — a) par les rationalistes qui pensent que la raison suffit à
établir la religion naturelle ; — b) par les indifférentistes qui affirment que toutes les
religions sont bonnes ; et — c) par les modernistes qui, plaçant la révélation et la
religion dans la conscience que nous avons de nos rapports avec Dieu, en font une
affaire individuelle : ce qui signifie en d'autres termes que toutes les religions sont
vraies, dans la mesure où nous en faisons l'expérience.
Il ne faut pas prétexter davantage que toutes les religions sont bonnes et que Dieu est
indifférent à la manière dont on l'honore. Cela ne peut pas être, car il est inadmissible
que Dieu mette sur le même pied le vrai et le faux, le juste et l'injuste. Il importe donc
de rechercher quelle est la vraie religion, mais l'enquête ne se peut mener à bien que si
l'on dépose auparavant tout préjugé, toute idée préconçue, et si l'on va à la lumière de
toute son âme.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
154. — Nous avons vu dans le chapitre précédent que la révélation est moralement
nécessaire pour constituer la religion naturelle, et absolument nécessaire dans
l'hypothèse d'une religion surnaturelle. Mais si la révélation existe, comment pouvons-
nous le savoir ? Par l'histoire sans doute. Il nous faut cependant des signes auxquels
nous puissions la reconnaître. Il va de soi, en effet, qu'avant de croire à la parole de
Dieu, il faut être sûr que Dieu a réellement parlé[127]. L'assentiment de foi n'est
raisonnable que s'il s'appuie sur des motifs moralement certains, disons plus, sur des
motifs d'autant plus certains et plus forts que la vérité révélée est plus obscure, et ne
porte pas en soi une évidence intrinsèque (mystères). Nous allons traiter de ces signes
ou critères en général, et en particulier, du miracle et de la prophétie. Ce chapitre
comprendra donc trois articles : 1° Des critères en général ; 2° Du miracle ; 3° De la
prophétie.
155. — 1° Définition. —Les critères (grec « kritêrion » qui sert à juger) sont les
signes qui permettent de discerner la vraie révélation de celles qui sont fausses.
2. Les critères positifs sont des signes qui démontrent, dans une certaine mesure, que la
révélation qui les possède, est divine. Qu'on suppose, par exemple, une religion qui,
non seulement soit en conformité avec la raison et les aspirations du cœur humain,
mais qui produise, dans l'ordre moral, des effets qui paraissent dépasser la puissance de
toute autre doctrine philosophique ou religieuse : il y a tout lieu de croire qu'elle est
d'origine divine[128]. Les critères internes positifs apparaissent donc dans toute leur
valeur lorsque, à l'aide de l'analyse et de la comparaison, l'on peut faire ressortir la
transcendance d'une religion sur toutes les autres (méthode de l’abbé de Broglie).
§ 1. — NATURE DU MIRACLE.
c) Pour qu'il y ait miracle proprement dit, il faut en troisième lieu que le fait soit
produit par Dieu. Mais comment le reconnaître? La chose est difficile s'il s'agit d'un
ange ou d'une autre créature prise par Dieu comme intermédiaire; peu importe du reste,
puisque, dans ce cas, le thaumaturge n'est que l'instrument de la volonté divine. Quant
aux œuvres accomplies par le démon, on les distingue de celles qui ont Dieu pour
auteur par certains signes que nous signalerons plus loin (N° 166).
§ 2. — POSSIBILITÉ DU MIRACLE.
§ 3. — CONSTATATION DU MIRACLE.
Deux cas sont à envisager : — a) le cas du fait actuel rapporté par un témoin oculaire,
et — b) le cas du fait passé rapporté par l'histoire.
A. Cas du fait actuel. — Que faut-il pour qu'un témoin oculaire qui rapporte un fait
de caractère miraculeux soit digne de foi? Deux choses : qu'il soit bien informé et
sincère, autrement dit, qu'il ait la compétence voulue pour être à même de constater le
miracle, et la probité, pour raconter les faits tels qu'il les a vus et ne pas en dénaturer le
caractère.
1. Pour l'existence du fait sensible, la question ne fait pas de doute. Bien que le miracle
soit en dehors des lois de la nature, il reste un fait comme tous les autres faits :
tombant sous les sens, il est donc observable. Tout le monde peut constater la guérison
d'un aveugle-né : il suffit de savoir que l'individu en question était aveugle de
naissance et qu'il a recouvré la vue ; de même, pour la résurrection d'un mort, il suffit
de constater deux moments différents : l'état de vie qui succède à l'état de mort. — 2.
2. Quant à la prétention émise par RENAN et CHARCOT, que Dieu ait à opérer ses
prodiges « devant une commission de savants », c'est une amusante plaisanterie.
Prennent-ils donc les miracles pour des tours de force destinés à amuser le public ou à
provoquer les recherches des savants ? Les miracles ne sont pas cela. Ils viennent à
leur heure ; et quand Dieu juge à propos de manifester sa puissance ou de faire
entendre sa parole, il choisit les témoins qu'il lui plaît, les humbles et les ignorants tout
aussi bien que les superbes et les savants. Le témoignage des non-professionnels a la
même valeur que celui des professionnels, puisqu'il ne s;'agit, dans la plupart des cas,
que d'avoir les organes des sens en bon état, de constater les faits tels qu'ils sont et de
les rapporter tels qu'ils se sont passés. Au surplus, si les commissions scientifiques
tiennent à être témoins de miracles, au lieu de sommer Dieu de comparaître devant
elles et d'accomplir ses merveilles en leur présence, pourquoi ne vont-elles pas là où
ces merveilles ont lieu, à Lourdes, par exemple ?
— 1. On allègue tout d'abord la vertu curative de l'eau de la grotte. Pour les besoins
de la cause, on lui attribue, soit des propriétés chimiques spéciales, soit une puissance
radio-active, ou bien l'on invoque les effets thérapeutiques des bains froids que les
malades prennent dans la piscine.
2. La suggestion semble, à notre époque, une solution plus heureuse. D'après les
suggestionneurs « toute cellule cérébrale actionnée par une idée, actionne les fibres
nerveuses qui doivent réaliser cette idée »[142]; en d'autres termes, il suffirait d'être
persuadé que l'on va guérir, que l'on est guéri, pour l'être en effet. — Est-il donc vrai
que la suggestion produise des résultats si merveilleux1? Disons d'abord que les
médecins ont coutume de distinguer deux ordres de maladies : les maladies
organiques où il y a lésion de l'organe, et les maladies fonctionnelles ou nerveuses où
l'organe est intact et sans lésion, mais fonctionne mal. Or tout le monde admet
aujourd'hui que la suggestion ne guérit que les maladies fonctionnelles et jamais les
maladies organiques, qu'elle n'a que des résultats éphémères et que, pour obtenir ces
résultats, encore faut-il qu'elle s'exerce fréquemment et pendant un certain temps. Au
contraire, les guérisons de Lourdes portent tout aussi bien sur les maladies organiques
que sur les maladies nerveuses[143] ; elles sont radicales et durables et se font
instantanément. Donc la suggestion ne solutionne pas le problème de Lourdes.
3. -Obligés d'abandonner ces deux premières hypothèses, les incrédules n'ont plus
d'autre ressource que d'en appeler aux forées inconnues de la nature dont il a été parlé
dans l'objection précédente. Nous sommes loin, disent-ils, de connaître toutes les
forces de la nature. La science, depuis un siècle, a multiplié ses découvertes : vapeur,
électricité, téléphone, radiographie, télégraphie sans fil, etc. Ne sommes-nous pas en
droit alors de supposer que les miracles sont dus à des forces ignorées, et non à
l'intervention divine1? — II est certain que nous ne connaissons pas toutes les lois des
corps, mais il importe peu, car, que nous connaissions les lois ou non, les corps n'en
gardent pas moins leurs propriétés et produisent quand même leurs effets. Ainsi, les
corps n'ont pas attendu que Newton découvrît sa fameuse loi, pour s'attirer en raison
directe de leurs masses et en raison inverse du carré des distances. Si par conséquent,
les guérisons de Lourdes sont le fait d'une force inconnue, elles doivent se produire
toujours de la même façon, les conditions étant les mêmes. Or c'est justement le con-
traire qui arrive. La force mystérieuse agit dans les circonstances les plus diverses et
les plus dissemblables, aussi bien en plein soleil sur le passage du Saint-Sacrement que
dans l'eau, au milieu des piscines, le soir comme dans le jour, et, ce qui paraît plus
étrange encore, sur certaines personnes seulement, et non sur d'autres, d'ailleurs aussi
croyantes et aussi vertueuses et qui ont peut-être prié plus que les premières.
169. — B. Cas du fait ancien rapporté par l'histoire. — S'il s'agit d'un fait de date
ancienne, avant de procéder à la critique du témoignage, il faut commencer par la
critique du document qui le contient. Donc deux points à établir.
170. — Objections. — Nos adversaires rejettent le miracle rapporté par l'histoire pour
différents motifs. — a) Les uns, comme MM. SEIGNOBOS et LANGLOIS, et les
positivistes, en général, écartent le miracle historique parce qu'il est en contradiction
avec les lois scientifiques[147]. — Réponse. — Que cette assertion soit fausse, cela
ressort des preuves qui démontrent la possibilité du miracle (voir N°8163 et 164).
b) D'autres (STUART MILL, HUME) sont d'avis qu'il faut toujours, dans l'interpréta-
tion des faits, chercher les explications les plus simples et les plus vraisemblables, ou,
en d'autres termes, celles qui ne recourent pas à l'intervention du surnaturel. —
Réponse. — Cette opinion n'est pas plus admissible que la précédente. Dans un tel
système, en effet, il faudrait retrancher de l'histoire tous les faits qui sont rares,
singuliers, anormaux, tout ce qui n'a pas encore été vu. L'application d'une pareille
c) D'autres encore disent, avec Jean-Jacques ROUSSEAU, que « le miracle qui n'est
connu que par le témoignage humain ne saurait garantir avec certitude une révélation
». — Réponse. C'est là rejeter l'histoire, qui n'a d'autre fondement que l’autorité du
témoignage. S'il n'y avait de sûr que ce que l'on peut expérimenter soi-même, non
seulement il n'y aurait plus de certitude historique, mais la somme de nos connais-
sances serait bien restreinte puisque la plupart des choses que nous savons, nous les
tenons du témoignage d'autrui.
e) Dans le même ordre d'idées, RENAN dit que les miracles rapportés par TITE-LIVE
et PAUSANIAS sont controversés. Donc, conclut-il, il en est de même des miracles
évangéliques. — Réponse. De ce qu'il y a eu dans tous les temps, et, dans le passé plus
que de nos jours, des historiens dont les récits étaient fantaisistes, on n'a pas le droit de
conclure que tous doivent être mis sur le même pied. On ne passe pas ainsi du
particulier au général : à Tite-Live et à Pausanias l'on peut opposer du reste des
historiens consciencieux, comme Thucydide et Tacite.
171. — Thèse. — Les miracles, opérés en faveur d'une doctrine, sont une marque
certaine de son origine divine. Cette proposition s'appuie sur la raison et le
consentement universel.
§ 1. — NATURE DE LA PROPHÉTIE.
§ 2 — POSSIBILITÉ DE LA PROPHÉTIE.
174. — La possibilité de la prophétie est démontrée par une double preuve : indirecte
et directe.
A. Preuve indirecte tirée de la croyance universelle. — L'histoire nous atteste que tous
les peuples ont eu leurs devins à qui ils demandaient les secrets de l'avenir. Que les
oracles rendus par eux aient été de vraies prophéties ou non, ce n'est pas ici la
question, il s'agit seulement de montrer la croyance de tous les peuples comme une
présomption en faveur de la possibilité de la prophétie.
§ 3. — CONSTATATION DE LA PROPHÉTIE.
175. — Constater une prophétie revient à vérifier les deux points suivants : 1° la
réalité de la prophétie, et 2° son accomplissement.
Qu'on n'allègue pas davantage les prédictions des somnambules. Tout le monde sait
qu'elles sont d'une valeur très relative, et que, semblables aux oracles antiques, elles ne
brillent pas généralement par leur clarté.
176. — La prophétie est un miracle proprement dit, vu que Dieu seul connaît les
événements qui dépendent des déterminations libres de l'homme. D'où il suit que
tout ce qui a été dit de la valeur démonstrative du miracle s'applique aussi bien à la
prophétie.
177. — Deux points ont été établis dans la première Partie de l'Apologétique. Le
premier, c'est que l'homme, en tant que créature douée d'une âme raisonnable et libre,
est obligé, à tout le moins, de professer la religion naturelle. Le second c'est que, selon
toute vraisemblance. Dieu, Créateur et Providence, est intervenu dans la marche de
l'humanité -pour guider l'homme dans sa recherche de la vérité religieuse, et peut-être
même, pour l'élever à une dignité plus grande et à une destinée plus haute.
Il s'agit maintenant, dans cette seconde Partie, de soumettre à l'examen cette dernière
hypothèse. Pour cela, il nous faut interroger l'histoire et lui demander si, en fait, elle
nous apporte le témoignage d'une Révélation divine. Or, comment instituer cette
enquête religieuse? La chose serait simple, s'il n'existait par le monde qu'une seule
religion : il suffirait alors de vérifier ses titres à notre créance. Mais il n'en est pas
ainsi, et les religions sont nombreuses, soit dans le passé, soit dans le présent, qui ont
revendiqué ou revendiquent une origine divine.
Deux voies sont dès lors ouvertes à l'apologiste chrétien qui prétend que sa religion
est, à l'heure actuelle, la seule Religion révélée, — 1. Ou bien, laissant de côté toutes
les autres religions, il peut aller droit au christianisme et lui faire l'application des
critères dont nous avons parlé précédemment (N° 156). Et si, de cet examen, il résulte
que la religion chrétienne est, sans doute aucun, une religion révélée, toute enquête
ultérieure devient superflue. Car, comme d'une part, il est manifeste que, en beaucoup
de points de son dogme et de sa morale, elle est en opposition avec les autres religions,
et comme d'autre part, il n'est pas moins évident que Dieu n'a pu révéler des vérités
successives et contradictoires, la vérité de l'une implique la fausseté des autres. L'étude
de ces dernières ne pourrait, dans ce cas, se faire qu'à titre de contre-épreuve.
Ce premier travail terminé, et, comme on dit, le terrain une fois déblayé, il n'y a plus
qu'à aborder la seule religion qui n'ait pas été éliminée, c'est-à-dire, dans l'espèce, la
religion chrétienne. Cependant il n'est pas permis de dire, comme tout à l'heure dans la
première méthode, que la fausseté de toutes les religions, passées en revue, implique la
vérité de la religion chrétienne : celle-ci pourrait être fausse comme les autres. Pour
être en droit de tirer une telle conclusion, il faudrait démontrer auparavant qu'il y a
certitude de l'existence d'une religion révélée. Que la chose puisse être présumée, cela
ne fait pas de doute. Mais un fait d'histoire s'établit par l'histoire, et non par le
raisonnement. C'est, dès lors, par l'histoire qu'il faudra prouver l'existence et la vérité
de la Religion chrétienne.
C'est cette seconde méthode que nous suivrons ici. Cette partie comprendra donc deux
sections.
L'enquête religieuse.
1° Conditions. — Nous avons vu (N° 156) qu'il y a deux sortes de critères auxquels on
peut reconnaître la valeur objective d'une religion. — a) Les uns sont tirés de la
doctrine (critères intrinsèques). Ainsi toute religion qui a sur Dieu et sur l'homme des
conceptions opposées aux conclusions que la raison seule nous a permis d'établir dans
la première Partie, ne peut être la vraie religion. — b) Les autres sont tirés du
fondateur ( critères extrinsèques). L'on pense bien qu'il ne suffit pas a un homme de se
présenter comme chargé d'une mission divine, il faut qu'il la prouve et qu'il garantisse
son enseignement par des signes authentiques qui soient comme le sceau de Dieu.
Pour savoir ce que vaut une religion, nous la soumettrons donc à une double épreuve.
Nous nous tournerons d'abord vers le fondateur et nous lui demanderons ses litres.
Puis nous étudierons sa doctrine et nous verrons ce qu'elle vaut.
2° Religions sur lesquelles portera notre enquête. — Notre enquête portera d'abord sur
les religions auxquelles nous ne reconnaissons pas les marques d'origine divine. Nous
parlerons ; — 1° du paganisme ; — 2° des religions de la Chine ; -— 3° de la religion
de la Perse ; — 4° du Mithriacisme ; — 5° des religions de l’ Inde ; — 6° de
L’Islamisme ; et — 7° du Judaïsme actuel.
Art. I. — Le Paganisme.
179. — Sous ce titre il faut entendre les diverses religions qui ont professé ou
professent encore le polythéisme. Aussi loin que remonte l'histoire, nous constatons
que le paganisme fut la religion de tous les peuples de l'antiquité, exception faite des
Juifs : les Chaldéens, les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs et les
Romains, tous furent polythéistes. De nos jours, le paganisme est encore la religion des
peuplades fétichistes de l'Asie et de l'Afrique.
Tout compte fait, par conséquent, et « si l'on veut comparer le polythéisme antique à
un état de l'humanité où il n'y aurait aucune religion, à l'état où voudraient nous
amener les matérialistes modernes, peut-être la conclusion sera-t-elle que le paganisme
est préférable et que mieux vaut une croyance quelconque, même superstitieuse, à un
monde invisible, qu'un état où l'homme serait entièrement renfermé dans le monde
terrestre...
« Quoi qu'il en soit de ce problème, il est de toute évidence que le polythéisme antique
ne saurait entrer en comparaison, en tant que solution des problèmes de la destinée
humaine, avec le christianisme, ni même avec les religions fondées sur l'idée d'une
révélation positive. »[151]
190. — REMARQUE. — On a constaté entre la religion des Perses et celle des Juifs
un certain nombre de ressemblances qui semblent indiquer que l'une des deux a
influencé l'autre. Ainsi toutes deux attendent le royaume de Dieu et admettent la
résurrection des morts. Naturellement, les rationalistes prétendent que les Juifs sont
les emprunteurs. Sans doute, ces derniers, ayant été sous la domination des Perses,
auraient pu adopter une partie des croyances de leurs vainqueurs. Cependant cette
hypothèse n'est guère vraisemblable, car les convictions des Juifs étaient trop fortes,
elles remontaient trop loin dans le passé pour subir aussi facilement les influences
étrangères. Et pour ce qui concerne l'idée du royaume de Dieu, il ne fait aucun doute,
dit le P. LAGRANGE, que « le règne attendu qui est celui de Dieu et celui du bien,
dont les justes procurent l'avènement et qui aura son Messie, c'est le royaume de Dieu,
des prophètes et ensuite de l'Évangile. Or s'il est une idée dont il soit possible de suivre
le développement chez le peuple juif, c'est celle du royaume de Dieu et de son
Messie... Cette première conception eschatologique est pour nous certainement
d'origine juive.» De même, à propos de la résurrection des morts, « il est difficile de
faire remonter très haut la croyance des Perses... Dans Israël, elle fait partie, d'après les
Pharisiens contemporains de Jésus, de la foi nationale et elle s'appuie sur des textes
qu'on ne peut pas, en tout cas, faire descendre aussi bas que 150 avant Jésus-Christ.
D'une façon générale, on constate que les Perses ont été bien plus entraînés par les
Sémites qu'ils n'ont eux-mêmes agi sur leurs sujets conquis. »[156]
Le culte de Mithra offre avec le culte chrétien des analogies non moins perceptibles.
L'initiation mithriaque comprenait sept degrés qu’on a comparés à nos sept sacrements
: elle comportait, entre autres choses, des ablutions symboliques, l'impression d'un
signe sur le front, l'oblation de pain et d'eau, des onctions de miel...
192. — Les religions principales qui se sont succédé dans l'Inde sont : le Védisme, le
Brahmanisme, le Bouddhisme et l'Hindouisme ou Néo-brahmanisme.
Le dieu Brahmâ est l'être unique : de lui procède le monde par émanation. Tous les
êtres sortent donc de lui et y retournent pour en sortir de nouveau, et ainsi un certain
nombre de fois, jusqu'à ce que l'âme, purifiée de toute souillure, puisse s'absorber
définitivement en Brahmâ et entrer pour toujours dans le Nirvana.
197— 3° Critique. — Nous n'avons pas à insister pour prouver que la religion
bouddhiste n'est pas d'origine divine, car Çakya-Muni n'a jamais voulu se faire passer
ni pour Dieu ni pour envoyé de Dieu ; il n'a jamais prétendu qu'au titre de sage. Si
nous considérons maintenant sa doctrine, il faut bien reconnaître que, au point de vue
moral, elle a une valeur incontestable. En prêchant le renoncement, le détachement des
biens de là terre, la chasteté et l'esprit d'apostolat, en inspirant aux hommes une grande
crainte des châtiments futurs, elle a pu atteindre de sérieux résultats. Mais
malheureusement sa doctrine métaphysique n'est pas à la hauteur de la morale. Elle
encourt d'abord le grave reproche l’athéisme, quoique, en pratique, ses partisans soient
200. — 3° Critique. — Pas plus dans l'hindouisme que dans le bouddhisme nous ne
trouvons des traces de l'action divine. Le culte néobrahmanique se signale, au
201. — Avant la fondation du Mahométisme, les Arabes, sémites comme les Hébreux,
se disant descendants d'Ismaël, fils d’Abraham et d'Agar, étaient divisés en tribus
indépendantes, les unes nomades, et les autres sédentaires. Un lien rapprochait ces
tribus : c'était la Kaaba, leur sanctuaire commun, qui s'élevait dans une gorge de
l'Hedjaz, à environ 90 kilomètres de la mer Rouge. Là, ils adoraient le Dieu
d'Abraham, mais ce culte n'excluait pas celui des idoles particulières à chaque tribu.
Les Arabes y venaient chaque année en pèlerinage.
Notons encore, pour mieux faire connaître les influences qui purent s'exercer sur
l'esprit de Mahomet, que la Mecque qui fut construite vers le VI e siècle après Jésus-
Christ, était peuplée en partie de Juifs et de chrétiens.
202. — 2° Doctrine. —Le Coran est le livre sacré de l'Islam, il contient les révélations
de l'archange Gabriel au prophète. Mais le livre n'a pas été écrit par le prophète lui-
même ; il est le recueil de fragments de discours que ses disciples avaient retenus ou
recueillis sur des tablettes. Le Coran est pour le mahométan Le livre par excellence,
celui qui remplace tous les autres : il renferme la loi civile aussi bien que la loi
religieuse, le Code du juge et l'Évangile du prêtre.
La mort est suivie du jugement particulier : l'âme est destinée alors au Paradis ou à
l'Enfer, mais, jusqu'à la résurrection, elle reste dans la tombe, heureuse -ou
malheureuse suivant la sentence prononcée.
« Si l'on voulait, dit l’abbé DE BROGLIE, attribuer à l'islamisme une origine divine,
on pourrait poser ce dilemme : ou le christianisme directement opposé à l'islamisme
est divin de son côté, ou c'est une œuvre humaine. S'il est divin, il y aurait donc deux
religions divines opposées, l'une prêchant la chasteté, la patience, la douceur de ses
martyrs, l'autre permettant les mœurs dissolues, la propagation de la vérité par le sabre.
Si, d'autre part, on considérait l'islamisme comme divin et le christianisme comme uns
œuvre humaine, ce serait alors l'homme qui prêcherait la chasteté, l'indissolubilité du
mariage, la patience, le mépris des richesses, et ce serait Dieu qui, par son prophète,
autoriserait les hommes à se livrer à leurs passions sensuelles et à leur cupidité. »
Nous pouvons donc conclure que l'islamisme « présente le plus singulier mélange
d'erreur et de vérité que l'on puisse imaginer. Son dogme fondamental, l'unité de Dieu,
est une grande et salutaire vérité. Il en est de même du principe dé l'exclusion de
l'idolâtrie, qui en est la conséquence... La sanction de la morale se trouve également
dans l'idée de la vie future, du jugement, du ciel et de l'enfer.»[159] Les prières
précédées d'ablutions qui ont lieu cinq fois par jour, le jeûne rigoureux du Ramadan,
sont des pratiques excellentes. On peut supposer que les musulmans qui « croient que
Dieu existe et qu'il récompense ceux qui l'approchent», selon la parole de saint Paul
(Héb., XI, 6), qui sont de bonne foi dans leur religion et suivent leur conscience, y
trouvent les éléments nécessaires pour leur salut.
204. — Nous ne nous arrêterons pas longtemps sur le judaïsme actuel. La preuve qu'il
n'est pas la vraie religion découle, en effet, de la démonstration' que nous ferons plus
loin de la divinité du christianisme. Nous verrons plus loin (N° 213) que la religion
mosaïque était une religion préparatoire, et qu'un des dogmes principaux de sa
doctrine c'était l'idée messianique, c'est-à-dire L'attente d'un Envoyé divin qui
transformerait la religion particulariste et nationale des Juifs en une religion
universelle. Or, si nous apportons la preuve que cette espérance s'est réalisée dans le
Christ, le judaïsme actuel est dans l'erreur lorsqu'il prétend, soit que le Messie n'est pas
venu et qu'il viendra un jour comme un roi temporel à qui toutes les nations seront
soumises, soit qu'il est venu, mais qu'il est resté inconnu à cause des péchés de son
peuple.
205. — Conclusion générale — 1° De l'examen rapide que nous venons de faire des
principales religions de l'humanité, il ressort qu'aucune ne porte les signes d’une
origine surhumaine. — a) D'une part, leurs fondateurs ne sont pas, et généralement, ne
prétendent pas être, des envoyés de Dieu; il arrive même parfois que leur existence,
comme celle de Zoroastre, est problématique, ou que les récits qu'on fait de leur vie,
comme c'est le cas pour Çakya-Muni, s'ont plutôt du domaine de la légende que de
celui de l'histoire. — b) D'autre part, leur doctrine est mêlée d'imperfections, et les
miracles qu'on leur attribue sont des faits, dont la réalité n'est pas suffisamment
établie, ou qui sont explicables par une^ cause naturelle : tels sont, par exemple, les
oracles de Delphes et de Memphis, ie8 faits miraculeux mis sur le compte de l'empereur
Vespasien, et les faits de magie qui se produisent encore fréquemment de nos jours
dans l'Extrême-Orient. 2° De ce que les religions que nous venons de passer en revue
sont fausses, nous n'avons garde de conclure que le christianisme est vrai. Ce serait
évidemment tirer une conséquence que ne renferment pas les prémisses. Mais n'est-ce
pas un semblable illogisme que commettent les historiens rationalistes des religions,
lorsqu'ils prétendent que, les religions ci-dessus mentionnées étant fausses, le
christianisme l'est aussi. Il est vrai qu'ils cachent le vice de leur raisonnement sous une
forme plus habile. Ou bien, en effet, ils accordent que la religion chrétienne est une
religion supérieure, que sa doctrine est la plus belle, et son fondateur, l'homme idéal;
en un mot, ils veulent bien concéder qu'elle est transcendante[160], mais pour mieux
lui dénier toute origine divine. Ou bien ils exaltent les fausses religions et rabaissent la
religion chrétienne pour pouvoir plus facilement conclure que toutes se valent, qu'il y a
équivalence de doctrines et de fondateurs, et dès lors, que toutes les religions sont
fausses. La seule réponse à de telles attaques c'est la démonstration de l'origine divine
du christianisme, comme nous nous proposons de le faire dans la section suivante, en
justifiant les titres du fondateur et en faisant ressortir la qualité de la doctrine.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
206. — Deux méthodes s'offrent à l'apologiste chrétien pour démontrer l'origine divine
du christianisme. — 1° Ou bien, procédant comme il vient d'être fait à propos des
fausses religions, il va directement au fondateur et lui demande ses titres. Si celui-ci
peut lui apporter le témoignage de nombreux miracles, dûment constatés et consignés
dans des documents authentiques, dont la valeur et l'autorité ne sauraient être
contestées, il "n'y a pas de doute : il est un envoyé divin, et nous n'avons plus qu'à
écouter sa parole et accepter sa doctrine. — 2° Si cette première méthode paraît très
logique, elle n'en a pas moins le défaut de ne pas être totalement conforme à l'histoire.
Car il ne faut pas oublier que Jésus-Christ, le fondateur du christianisme, ne s'est pas
donné comme un simple envoyé de Dieu, mais comme l'Envoyé attendu par les Juifs,
comme le Messie promis par Dieu au peuple qu'il s'était choisi et chez lequel il avait
gardé le trésor de la vraie religion. La démonstration chrétienne ne doit pas être, par
conséquent, une démonstration indépendante : le christianisme se présentant comme la
troisième phase de la Révélation divine, et se rattachant plus particulièrement à la
Religion mosaïque dont il se dit le couronnement, c'est, en réalité, la démonstration de
cette triple Révélation qu'il s'agirait de faire. Pour cela, il est indispensable, avant tout,
de vérifier les documents qui rapportent le fait de cette triple Révélation. Il faut donc
établir la valeur historique : — a) du Pentateuque qui contient les deux premières
Révélations : la Révélation primitive[161] et la Révélation mosaïque[162] ; et — b)
celle des Évangiles où est consignée la Révélation chrétienne.
Nous suivrons cette seconde méthode, de préférence à la première qui nous paraît
incomplète et dangereuse[163], sans cependant nous croire obligé à faire la
Ainsi, comme l'admet la Commission biblique, le Pentateuque a subi dans la suite des
temps un certain nombre de modifications portant sur des points accessoires et
n'atteignant pas le fond de l'ouvrage. Quelles furent ces modifications, c'est à la
critique de le déterminer : la Commission biblique lui en reconnaît le droit, mais à une
condition, c'est qu'elle justifie ses suppositions et qu'elle laisse le dernier mot à
l'Église, celle-ci devant toujours juger, en dernier ressort, et dire si les critiques ont
raison ou si leurs conclusions manquent de valeur.
§ 2. — AUTHENTICITÉ DU PENTATEUQUE.
A vrai dire, cette quatrième preuve de l'origine mosaïque du Pentateuque est utilisée,
en sens contraire, par les rationalistes dont nous avons signalé plus haut les principales
hypothèses. C'est, en effet, sur la critique interne du livre qu'ils s'appuient pour
prétendre que le Pentateuque est un ensemble d'écrits, — documents, fragments ou
suppléments, — d'époques diverses et ne saurait être attribué à Moïse. Pour démontrer
leur thèse, ils allèguent : — 1. les diversités de langue, de style, d'idées qui trahissent
une époque et des auteurs différents ; — 2. l'emploi de deux noms, Elohim et Jahweh,
pour désigner Dieu, — 3. les doublets, c'est-à-dire les faits racontés deux fois : il y a,
par exemple, un double récit de la création, du déluge, de l'enlèvement de Sara, de
l'expulsion d'Agar ; Joseph est vendu à des Ismaélites et à des Madianites : la chose
leur paraît inexplicable dans l'hypothèse de l'unité de composition et d'auteur ; -— 4.
les passages relatant des faits ou des institutions manifestement postérieurs à Moise,
par exemple, les endroits où il est question de la terre au-delà du Jourdain que Moïse
n'habita jamais, de la mort de Moïse, et de lois concernant le royaume (Deut, XVII,
19).
A ces difficultés soulevées par les rationalistes, nous répondrons, en nous inspirant des
conclusions de la Commission Biblique : — 1. que de nombreux mots égyptiens
témoignent que l'auteur a vécu en Egypte, ce qui est le cas de Moïse, que les diversités
de langue et de style s'expliquent non seulement par la diversité des sujets, mais par ce
fait que Moïse a pu se servir de secrétaires qui, sous sa direction et d'après son plan
ont rédigé, chacun, des œuvres complètes par elles-mêmes et souvent parallèles, qu'il a
pu utiliser, lui-même ou par ses collaborateurs, des sources, antérieures ou
contemporaines, écrites ou orales, sources qui ont été insérées, mot à mot, ou quant
aux idées, tantôt abrégées, tantôt développées comme certains épisodes de l'histoire
d'Abraham, de Jacob et de Joseph. Ajoutons, d'autre part, que rien, dans le décret de la
C. B. du 27 juin 1906 ne nous oblige à supposer que ces œuvres de Moïse et de ses
scribes auraient été fusionnées en un seul tout de leur vivant. Il nous suffit de croire
que ces documents remontent à Moïse, qu'ils en dépendent, qu'ils lui sont imputables
et n'ont subi aucune altération substantielle. — 2. L'emploi des deux mots, Elohim et
Jahweh pour nommer Dieu, n'implique nullement qu'il y ait eu deux sources ou deux
auteurs différents : les deux mots, en effet, n'ont pas le même sens ; le premier désigne
Dieu en tant que Créateur et Providence, le second désigne le Dieu d'Israël, le Dieu qui
a contracté une alliance solennelle avec son peuple d'élection. — 4. Pour ce qui
concerne les passages d'origine certainement postérieure à Moïse, la chose s'explique
par des modifications qui ont pu se produire au cours des siècles sans détruire, pour
cela l'intégrité substantielle (V. N° 209).
Des quatre preuves qui précèdent il résulte que l'authenticité mosaïque du Pentateuque
reste incontestable.
214. — Les quatre Évangiles[168] selon[169] saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et
saint Jean, sont les principaux[170] documents qui contiennent le fait de la Révélation
chrétienne. Il y a donc lieu, comme pour le Pentateuque, d'en rechercher la valeur
historique. Dans trois paragraphes nous établirons : 1° leur intégrité ; 2° leur
authenticité ; et 3° leur véracité.
215. — Les textes actuels des Évangiles sont-ils tels qu'ils sont sortis des mains de
leurs auteurs? Telle est la première question qui se pose. Que la solution en soit
difficile, on le devine aisément, si l'on remarque, d'un côté, que les originaux, écrits
sans doute sur du papyrus, matière friable et de peu de durée, ont disparu depuis
216. — Voici, du reste, pour chaque Évangile, les endroits dont l'authenticité est mise
en doute. — a) Saint Matthieu. La question d'authenticité du premier Évangile est plus
complexe que celle des autres: la raison en est que cet Évangile a été très
vraisemblablement écrit d'abord dans l'idiome araméen, la langue courante des Juifs de
Palestine, puis traduit en grec. Quel rapport exact y a-t-il entre le texte grec que nous
possédons et le texte primitif araméen? A cette question la Commission biblique a
répondu, dans son décret de juin 1911, que l'Évangile grec est en substance identique à
l'Évangile écrit par l'Apôtre dans la langue de son pays. — b) Saint Marc. Seule
l'authenticité de la finale (XVI, 9-20) a été rejetée par un certain nombre de critiques
sous le prétexte qu'elle manque dans beaucoup de manuscrits anciens et qu'elle n'est
pas conforme au style de saint Marc. La Commission biblique (26 juin 1912) a déclaré
qu'il fallait tenir Marc pour l'auteur des douze derniers versets. — c) Saint Luc. Il n'y a
discussion que sur quelques points de détail, spécialement sur les versets 43 et 44 du
chapitre XXII La Commission biblique a décrété (26 juin 1912) qu'il n'est pas permis
de douter de la canonicité des. récits de saint Luc sur l'Enfance du Christ, sur
l'Apparition de l'Ange qui réconforta Jésus et la sueur de sang. — d) Saint Jean. Les
difficultés à propos du IVe Évangile se bornent à trois passages : 'au récit relatif à
l'ange de la piscine probatique (V, 3, 4), à l'épisode de la femme adultère (VII, 53 ;
VIII, 11) et enfin à l'appendice (XXI). Mais n'insistons pas. Ces différents passages
que nous venons de mentionner, — les seuls dont l'authenticité soit sérieusement
contestée, — sont de peu d'intérêt pour l'apologétique et ne doivent guère être utilisés
dans les arguments qui serviront à la démonstration de la divinité du christianisme.
Qu'ils aient été interpolés ou non, c'est donc ici une question secondaire.
Comme on le voit par les témoignages qui précèdent, les écrivains ecclésiastiques des
premiers siècles attribuent unanimement la composition du premier Évangile à l'apôtre
saint Matthieu. La chose ne peut s'expliquer que par la vérité du fait, car s'il s'était agi
de mettre un ouvrage anonyme sous l'autorité d'un nom célèbre, on aurait choisi un
nom plus en relief, celui de Pierre, par exemple, et non pas celui de saint Matthieu,
tard venu dans l'apostolat et qui n'avait joué dans le collège apostolique qu'un rôle
accessoire.
Nous pouvons donc conclure que l'authenticité du premier Évangile repose sur un
ensemble de preuves, d'ordre externe et interne de la plus grande valeur.
Or tous les caractères que nous venons d'indiquer conviennent bien à Marc, disciple de
saint Pierre, et dont la mère, nommée Marie, possédait à Jérusalem une maison où
Pierre s'abrita lorsqu'il sortit de la prison d'Hérode Actes, XII, 12).
L'authenticité de l'Évangile de saint Jean, admise par tous les critiques catholiques,
repose sur les mêmes arguments que celle des trois premiers Évangiles
221. — Les Évangiles nous sont parvenus dans leur intégrité substantielle, et ils ont
bien pour auteurs deux apôtres : saint Matthieu et saint Jean, et deux disciples
d'apôtres : saint Marc et saint Luc. Troisième question à résoudre : quelle est la valeur
historique de ces documents ?
Deux conditions sont requises pour qu'un historien soit digne de foi, Il faut 1° qu'il soit
bien informé et 2° qu'il soit sincère (V. Nos 166 et 169). Connaître les événements tels
Pour déterminer la valeur historique des Synoptiques, nous allons donc répondre à
cette double question : 1° Les trois premiers Évangélistes étaient-ils bien informés? 2°
Étaient-ils sincères?
223. — 1° Les trois premiers Évangélistes étaient bien informés. — Pour établir ce
premier point, un travail préliminaire s'impose : il faut étudier les documents eux-
mêmes pour savoir comment ils ont été composés. Sont-ils des récits de témoins
oculaires et auriculaires qui se bornent à rapporter exactement ce qu'ils ont vu et
entendu? Ou bien ont-ils été écrits par des historiens qui ont puisé à des, sources et
utilisé d'autres documents? Autrement dit, sont-ils œuvres de première main ou œuvres
de seconde main? Et s'ils sont œuvres de seconde main, quelle est la valeur de leurs
sources? Ceux de qui ils tiennent leurs renseignements sont-ils dignes de foi? Cette
question, nous sommes d'autant plus amenés à la poser, que les trois premiers
Évangiles présentent entre eux des ressemblances frappantes, tandis qu'ils diffèrent
entièrement du quatrième. Comment expliquer leurs rapports? Problème délicat qui n'a
reçu jusqu'ici d'autre solution que celle d'hypothèses plus ou moins acceptables. Nous
allons dire un mot et du problème et des solutions qui ont été proposées pour le
résoudre.
2. Quoi qu'il en soit du mode de composition des Synoptiques, il ressort de ce qui vient
d'être dit, - et telle est l'unique question qui nous intéresse ici, — que nous pouvons
considérer le témoignage des trois premiers Évangiles comme venant d'historiens bien
informés, car, ou bien les Synoptiques racontent ce dont eux-mêmes ont été les
témoins, ou ils rapportent ce que beaucoup d'autres avaient vu et entendu, ce qui faisait
226. — 2° Les trois premiers Évangélistes étaient sincères. — Non seulement les
Synoptiques étaient bien informés, mais ils étaient sincères. Leur sincérité ressort avec
évidence : — a) de la critique interne des Évangiles. Les récits que nous y trouvons
donnent l'impression que nous avons affaire à des gens qui rapportent les faits tels
qu'ils se sont passés, et qui disent les choses telles qu'elles sont : c'est ainsi qu'ils font
d'eux-mêmes un portrait peu flatteur ; ils n'hésitent pas à confesser leur basse extrac-
tion, à dévoiler leur intelligence étroite et bornée, leurs faiblesses, leur lâcheté au cours
de la Passion de leur Maître, leur découragement après sa mort, leur incrédulité ; — b)
du manque d'intérêt qu'ils avaient à mentir. Les hommes ne mentent pas,
généralement, si le mensonge ne doit pas leur profiter. Mais ils songent encore bien
moins à mentir s'ils risquent de payer leur imposture de leur vie. Il est vrai qu'on peut
mourir par fanatisme et pour défendre une idée fausse. Encore faut-il cependant qu'on
la croie vraie, car à moins d'être fou, on ne ment pas pour soutenir ce qu'on croit être
une erreur, ce qui ne vous est d'aucune utilité, ce qui vous coûte et vous demande des
sacrifices, et s'il n'est pas absolument juste de conclure, avec PASCAL, qu'il faut
croire « les histoires dont les témoins se font égorger »[177], tout au moins pouvons-
nous dire qu'il n'y a pas lieu de douter de la sincérité de semblables témoins.
Mais à quoi bon insister sur la sincérité des Évangélistes ? A notre époque, elle n'est
plus mise en doute par les critiques sérieux. Sans doute « il fut un temps, dit M.
HARNACK, OÙ l'on se croyait obligé de regarder la littérature chrétienne primitive, y
compris le Nouveau Testament, comme un tissu de mensonges et de fraudes. Ce temps
est passé. » Oui, le temps où les adversaires du christianisme accusaient les
Evangélistes d'imposture et de fraude, est bien passé, mais les attaques n'ont fait que
changer de terrain, comme nous allons le voir.
CONCLUSION. — IL est donc permis de conclure que l'Évangile selon saint Jean a
une valeur historique, comme les Synoptiques. « Sans doute l’Apôtre a pu imprimer
son cachet propre dans la manière de raconter les miracles du Sauveur, dans le choix
qu'il a fait de scènes évangéliques. Il est même incontestable que ses comptes rendus
de discours ne prétendent pas reproduire la pleine réalité, étant donné l'éloignement où
l'auteur était des faits. »[183] Cependant « ses narrations ont beau avoir leur cachet
propre, elles n'en correspondent pas moins aux faits. Ses discours peuvent porter la
marque de son esprit, ils n'en reproduisent pas moins la pensée authentique du
Sauveur. »[184] Nous avons donc le droit, dans! la démonstration de la divinité du
christianisme, de nous appuyer sur le quatrième-Évangile comme sur les Synoptiques.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
229. — Pour connaître l’origine, et par conséquent, la valeur d'une religion, il faut,
avant tout, se tourner du côté du fondateur, et lui demander qui il est.^ Personne,
mieux que lui, n'est à même de le savoir et de le dire. S'il est un Envoyé de Dieu, c'est
à lui de nous le faire connaître et de nous en apporter la preuve.
Or, l'apologiste chrétien veut démontrer : — 1° que Jésus est l’ Envoyé de Dieu, l'Oint
ou Messie, annoncé par la voix des prophètes ; — 2° que ce Messie n'est pas un
Envoyé ordinaire, qu'il est le Fils unique de Dieu, Dieu lui-môme. Il est clair que, s'il
arrive à faire cette démonstration, il aura le droit de conclure que la Révélation
chrétienne est d'origine divine.
Nous avons donc à rechercher tout d'abord[185] si Jésus s'est bien donné pour le
Messie attendu des Juifs et pour un Messie d'une nature tout à fait transcendante, pour
le Fils de Dieu, ayant la même essence que Dieu le Père. À cette double question
quelle a été la réponse de Jésus et quelle foi devons-nous y ajouter ? D'où trois
articles: — 1° L'affirmation de Jésus sur sa messianité. 2° L'affirmation de Jésus sur sa
filiation divine. 3° La valeur de ce double témoignage.
230. — Nota — A vrai dire, la première question, seule, importe à l'apologiste, IL lui
suffit, en effet, de montrer que Jésus a déclaré et prouvé qu'il était un Envoyé de Dieu,
qu'il était le Messie attendu et qu'il a fondé une Église infaillible, chargée d'enseigner,
jusqu'à la fin des siècles, ce qui doit être cru et pratiqué. Ce résultat une fois acquis, il
ne reste plus qu'à écouter cette Église et à accepter les dogmes qu'elle propose à notre
foi, parmi lesquels se détache au premier rang la divinité du Christ. La seconde
question sort donc du domaine de l'apologétique ; tout au moins de l'apologétique
constructive (V. N° 2). Car s'il s'agit de l'apologétique défensive c’est une autre affaire.
Les rationalistes modernes prétendent, comme nous le verrons plus loin, non
seulement que Jésus n'est pas Dieu, mais qu'il n'a jamais revendiqué ce titre, qu'il n'a
jamais eu conscience d'être Dieu, et que dès lors le dogme n'a aucune base historique :
c'est à ce point de vue, c'est-à-dire sur le terrain de l'apologétique défensive, ou si l'on
231. — Jésus s'est-il donné pour le Messie prédit par les Prophètes? Que croyait-il
être et qu'a-t-il dit qu'il était1! Le seul moyen de nous éclairer sur ce point, c'est de
consulter les Évangiles et d'y recueillir son témoignage. Avant de le faire, remarquons
que les Évangiles ne sont pas considérés ici comme des écrits divinement inspirés,
mais comme de simples documents humains dont nous avons établi précédemment la
valeur historique.
Il ne faut pas lire longtemps les Évangiles pour remarquer qu'il y a eu dans les
déclarations de Jésus comme une marche ascendante, et que son affirmation comporte
des degrés. Mais, qu'elle se soit traduite, soit d'une manière implicite, en raison des
circonstances de temps et de personnes, soit d'une manière explicite, il n'en est pas
moins certain qu'elle n'a jamais varié dans sa substance et que Jésus a toujours eu
conscience de sa messianité. Nous distinguerons donc entre ses affirmations implicites
et ses affirmations explicites, en insistant davantage sur les premières parce qu'il est
plus facile d'en contester le sens et la portée.
L'on devine aisément que dans des sectes où les intérêts étaient si opposés, l'espérance
messianique ne se présentait pas sous le même aspect. S'accommodant assez bien-de
leur situation, les Sadducéens n'attachaient qu'un prix très minime à la venue du
nouveau royaume, et si, par orgueil national, ils souhaitaient l'indépendance de leur
pays, la sujétion leur rapportait assez de bénéfices pour ne pas courir au devant d'un
bouleversement qui pouvait ne pas tourner à leur profit. Les Pharisiens, au contraire,
supportant mal un régime qui humiliait leur orgueil et les laissait sans privilèges,
appelaient de tous leurs vœux l'avènement du Royaume attendu qui ferait de Jéhovah,
leur Dieu, le Maître de l'univers, qui mettrait surtout la nation juive à sa place, c'est-à-
dire au premier plan, et qui ferait succéder aux humiliations et aux injustices du jour
les triomphes et les réparations du lendemain. Telles étaient les aspirations de la
plupart des Juifs, mais lorsqu'il s'agissait de déterminer le caractère du futur royaume,
les esprits se divisaient. Les uns, insistant sur le côté moral et religieux, considéraient
l'avènement messianique comme le triomphe des justes, comme le grand jour où
chacun recevrait selon son mérite. Les autres, — c'était la masse, et les Apôtres
partageaient cette mentalité, — faisaient des rêves de grandeur et de prospérité
matérielle, et voyaient déjà dans le Messie un grand conquérant, un guerrier fameux
qui apparaîtrait soudain sur les nuées du ciel et ferait son entrée triomphale à
Jérusalem. Jamais il n'était question d'un Messie souffrant, libérateur des âmes, et non
des corps, rachetant les fautes des hommes et réconciliant l'humanité coupable avec
Dieu.
Que, dans de telles conditions, Jésus ne se soit pas révélé brusquement le Messie, et le
Messie, tel, qu'il devait être, il n'est que trop naturel. Il ne pouvait le faire sans éveiller
les appréhensions des Sadducéens, et sans provoquer les enthousiasmes des Pharisiens
et déchaîner des manifestations et des troubles qui auraient entravé son œuvre, s'il ne
Les choses étant telles, comme du reste l'indiquent les récits évangéliques, nous
n'avons plus à nous étonner que Jésus, au début de sa carrière, ne manifeste pas
ouvertement sa qualité de Messie, qu'il l'insinue seulement par des déclarations
indirectes, par ses œuvres et par toute son attitude. — a) Par des déclarations
indirectes. C'est ainsi que, sans prononcer le nom de Messie, il dit qu'il est « venu »,
qu'il a été « envoyé», pour prêcher l'Évangile du royaume (Marc, I, 38), pour appeler
les pécheurs (Marc, II, 17), pour prêcher l'Évangile aux pauvres (Luc, IV, 18). Puis il
commence déjà son enseignement, mais craignant de faire briller tout d'un coup une
lumière trop vive, il enveloppe sa pensée sous les dehors énigmatiques de la parabole,
dans le but d'intriguer les esprits, de les pousser à la recherche de la vérité, se réservant
d'ailleurs d'aller plus loin avec les disciples qu'il s'est attachés, et de les instruire, en
dehors de la foule. — b) Par ses œuvres. Jésus multiplie ses miracles ; mais, pour ne
pas précipiter les événements, il impose la consigne rigoureuse de n'en point parler.
Cependant il n'hésite pas à répondre aux envoyés de saint Jean-Baptiste qui lui
demandent s'il est « celui qui doit venir », que les œuvres qu'il opère doivent être pour
eux un signe évident que l'œuvre messianique annoncée par Isaïe (XXXV, 5, b) se
réalise (Luc, VII, 18, 23). — c) Par son attitude. Jésus s'arroge des pouvoirs que n'ont
jamais revendiqués les plus illustres prophètes. Il se met au-dessus de la Loi. Il
supprime le divorce toléré dans certains cas par Moïse. Il déclare que « le Fils de
l'homme»,— c'est ainsi qu'il se désignait, — était « maître du Sabbat » (Marc, il, 28),
etc.
Donc, soit d'une manière implicite, soit d'une manière explicite, Jésus a bien affirmé
qu'il était le Messie attendu, et les prétentions des rationalistes qui le nient, ne reposent
sur aucun fondement. On ne peut plus soutenir sérieusement que les Évangiles sont
une collection de légendes, maintenant qu'il est admis par les meilleurs critiques, qu'ils
datent du 1er siècle. Il est bien évident par ailleurs que la vie de Jésus et la propagation
du christianisme ne sauraient s'expliquer par des légendes (Voir N° 229) . Quant à la
seconde thèse rationaliste qui affirme que Jésus n'a pas eu conscience d'être, de son
vivant, le Messie, et qu'il a considéré son rôle comme eschatologique et ne concernant
que le royaume des cieux à venir, il faut, pour arriver à une telle conclusion, qu'elle
laisse de côté ou interprète à sa façon et d'une manière fantaisiste, les déclarations que
nous avons rapportées plus haut. Il est vrai que certaines paroles de Jésus visent le
futur royaume, le royaume des élus dont le Christ doit être le chef suprême : il est vrai
que le titre de Messie lui conviendra, d'une manière spéciale, à la fin des temps, et
quand le royaume messianique aura reçu son achèvement définitif. Sans doute aussi, sa
Résurrection et son Ascension le manifesteront déjà comme un Messie glorieux. Mais
quel que soit le moment de la carrière messianique qu'on envisage, qu'on la prenne à
ses origines, au moment où Jésus prépare le royaume messianique, ou à la fin des
temps qui sera le couronnement de son œuvre, Jésus ne s'en présente pas moins dans
les Évangiles, non pas seulement comme celui qui doit être le Messie, mais comme
celui qui l'est déjà, comme le Messie en personne et en fonction.
234. — Nous savons que Jésus s'est donné pour le Messie. Mais de quelle nature ce
Messie prétendait-il être? Simple créature, quoique dépassant le commun des mortels
par sa mission, ou être divin ; homme ou Dieu[187]. La réponse à cette nouvelle
question ne peut se trouver ailleurs que dans le témoignage de Jésus.
235. — 2° Thèse. — Jésus s'est donné four le Fils de Dieu, dans le sens strict du mot,
soit explicitement par ses paroles, soit implicitement par sa manière d'agir.
2. Les limites de la question étant ainsi tracées, il apparaît avec évidence que notre
proposition ne peut être démontrée que par l'affirmation personnelle de Jésus.
Invoquer le témoignage des Apôtres ou de l'Église, comme le font certains apologistes,
c'est prêter des armes à l'adversaire, — rationalistes et modernistes, — dont la
tactique consiste précisément à dire que Jésus n'a jamais voulu se faire passer pour
Dieu, qu'il n'a été Dieu que vis-à-vis de la conscience chrétienne, autrement dit, qu'il
n'a été Dieu que parce que ses disciples et les premiers chrétiens se sont figuré qu'il
l'était, sans que lui-même l'eût dit. Encore une fois, la seule preuve de la divinité de
Jésus, c'est son affirmation personnelle.
Les déclarations de Jésus sur sa nature, sur son union substantielle avec le Père sont
donc bien claires dans le quatrième Évangile, mais il n'est pas besoin d'insister,
puisque aussi bien nos adversaires ne discutent pas le sens de ces textes et ne rejettent
que l'autorité historique du livre.
a) Dans ses paroles. — 1. Il est incontestable que le titre de « Fils de Dieu » est un de
ceux que Jésus se donne parfois ou qu'il accepte de la part de ses interlocuteurs et de
ses adversaires. Nous avons vu précédemment que Pierre le proclame le « Christ, le
Fils du Dieu vivant « ( Mat., XVI, 16), et que devant le Sanhédrin, lorsque le grand-
prêtre l'adjure de dire s'il est « le Christ, le Fils de Dieu», il répond affirmativement.
La question revient dès lors à savoir quel sens cette appellation a dans la bouche de
Jésus. Sans nul doute, le titre de Fils de Dieu est une expression courante dans la
Sainte Écriture. C'est de ce nom que Dieu lui-même désigne le peuple d'Israël : « Ainsi
parle Jéhovah : Israël est mon fils, mon premier né» (Exode, IV, 22). « Le juste est fils
de Dieu» est-il dit dans la Sagesse (II, 18). L'on peut même aller plus loin et prétendre
que, à un certain point de vue et sous le rapport de la création, tout homme est fils de
Dieu. Que Jésus ne se soit pas donné ce titre dans un sens aussi large, c'est ce qu'il est
superflu de démontrer. Mais faut-il admettre, avec les rationalistes et les modernistes,
que le titre de Fils de Dieu ne dépasse pas celui de Messie? Il De semble pas, car,
même en laissant de côté la confession de Pierre et son affirmation solennelle devant le
Sanhédrin où il marque nettement que sa filiation divine lui confère les mêmes droits
que son Père, entre autres, celui d'être un jour le grand juge de l'humanité[192], il y a d
autres manières de dire de Notre-Seigneur qui indiquent bien que ses relations avec le
Père sont d'un ordre unique. Ainsi, qu'il parle de Dieu avec ses disciples, il dit : « mon
Père », « votre Père », jamais il ne dit « notre Père ». Le Notre Père qu'il enseigne à
ses disciples ne fait même pas exception, car la prière est censée sortir de la bouche de
ses disciples et non de la sienne ; ainsi il dit encore à propos du jugement dernier : «
Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon
Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du
monde... (Mat., XXV, 34); et à l'institution de l'Eucharistie, il fait ses adieux à ses
disciples par ces mots : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au
b) Dans ses actes. — Plus encore que ses paroles, la manière d'agir de Jésus rend
témoignage de sa divinité. — 1. Jésus s'attribue les perfections, divines :
impeccabilité, .éternité, ubiquité... — 2. Il revendique les droits divins : il demande de
ses disciples la fo,i, l'obéissance et l'amour, même jusqu'au sacrifice de la vie : «
Quiconque m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui
est dans les cieux. Qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi»
(Mat., X, 32, 37). Il accepte des hommages qui ne sont rendus qu'à la divinité, il
souffre qu'on se prosterne devant lui et qu'on l'adore : c'est dans cette humble attitude
que le lépreux au pied du mont des Béatitudes (Mat., VIII, 2), que le possédé de
Gérasa (Marc, V, 6) implorent leur guérison ; Jaïre, un chef de la Synagogue, se
prosterne également devant Jésus pour le prier de rendre la vie à sa fille qui vient de
mourir (Mat, IX, 18). Nous voyons, au contraire, les Apôtres agir tout différemment
dans les mêmes circonstances. Lorsque saint Pierre se rend auprès de Corneille, celui-
ci « tombant à ses pieds se prosterne. Mais Pierre le releva en disant : « Lève--toi, moi
aussi je suis un homme» (Actes, X, 25, 26). De même, Paul et Barnabé, après avoir
guéri un boiteux, se dérobent aux honneurs qu'on veut leur rendre (Actes, XIV, 10-17).
L'attitude de Notre-Seigneur est donc- d'autant plus significative qu'elle contraste avec
celle de ses Apôtres. — 3. Il s'arroge les pouvoirs divins. Nous avons vu déjà qu'il se
met au-dessus de la Loi, qu'il traite sur le pied d'égalité avec le divin Législateur du
238. — Dans les deux articles qui précèdent, nous avons recueilli le témoignage de
Jésus sur sa personne. Nous avons vu qu'il s'était affirmé Messie, Fils de Dieu. Cela ne
suffit pas, car il est évident qu'un témoignage ne vaut que ce que vaut le témoin. Or
trois hypothèses sont possibles. Ou bien le témoin manque de sincérité et veut nous
tromper. Ou bien il se méprend et s'illusionne sur son propre cas. Ou bien il sait la
vérité et veut la dire. Donc, ou imposteur, ou illusionné, ou véridique, telles sont les
trois alternatives entre lesquelles il faut choisir. Nous prouverons qu'il faut écarter les
deux premières et retenir la troisième.
1° Jésus n'était pas un imposteur. — Jésus a-t-il trompé? Lorsqu'il affirmait qu'il
était le Messie, File de Dieu, Jésus avait-il conscience de ne pas être ce qu'il disait
être? Mentait-il? Les critiques contemporains sont trop pénétrés de la grandeur morale
du Christ pour s'arrêter à une hypothèse aussi injurieuse. Tous reconnaissent que la
loyauté et l'humilité de Jésus le mettent au-dessus de tout soupçon. — a) Sa loyauté.
Nous ne faisons appel ici qu'à deux vertus du Christ qui s'opposent plus directement à
l'hypocrisie et à l'orgueil présupposés nécessairement par l'hypothèse qui veut faire
passer Jésus pour un imposteur. Nous pourrions invoquer toutes ses autres vertus, sa
personne morale tout entière, sa sainteté[193] incomparable qui ne connaît pas la
moindre défaillance, mais à quoi bon insister, puisque aussi bien on ne prend plus au
sérieux les railleries de VOLTAIRE et des Encyclopédistes qui regardaient Jésus
comme un fourbe et les Apôtres, comme des faussaires qui auraient inventé les
miracles de l'Évangile dans le but de faire adorer leur Maître.
Partant de ce principe a priori que le surnaturel n'existe pas et qu'il n'y a pas d'Envoyé
divin, les rationalistes modernes concluent que Jésus a été victime de l'illusion et qu'il
est une sorte d'halluciné. Nous avons eu l'occasion déjà (N° 234) de signaler comment
le plus habile d'entre eux décrit les états d'âme par lesquels le Sauveur serait soi-disant
passé pour arriver à la conscience de sa messianité. Au point de départ, il suppose « la
conviction profonde» que Jésus avait « de son union intime avec Dieu », union telle
qu'il « se croyait avec Dieu dans les relations d'un fils avec son père, bien plus, qu'il se
croyait, à un degré unique et incomparablement au-dessus des autres hommes, le Fils
de Dieu. » « Dieu est en lui, il se sent avec Dieu, et il tire de son cœur ce qu'il dit de
son Père... Il se croit en rapport direct avec Dieu, il se croit Fils de Dieu. » Et alors
convaincu qu'il était le « Fils de Dieu, Jésus se sentit aussitôt la mission de faire
participer tous les hommes à sa filiation divine, en leur apprenant à connaître Dieu
comme leur Père et à recourir à lui comme des fils. »[194] A partir de ce jour, où il «
se proposa de créer un état nouveau de l'humanité», où son « idée fondamentale» fut «
l'établissement du royaume de Dieu», Jésus accepte le rôle de Messie. Et comme tout
aussitôt il se heurta à l'opposition violente des pharisiens, il comprit qu'avant d'être le
Messie triomphant et d'être appelé à la fonction glorieuse de Juge suprême de
l'humanité, il devait passer par la souffrance et la mort.
Mais écoutons, pour répondre à RENAN, un des représentants les plus fameux du
protestantisme libéral en France : « Jésus, écrit M. STAPFER, s'est dit Messie. Cela
est prouvé, cela est certain. Comment en est-il arrivé là? Y a-t-il eu folie, oui ou non?
Telle est, nous semble-t-il, la seule alternative qui se pose désormais entre les croyants
et les non-croyants. »[195] « Renan a dit : Jésus, enivré par le succès, s'est cru le
Messie. Il était sain d'esprit au commencement de son ministère, il ne l'était plus à la
fin, et son histoire, telle que la raconte Renan, est, malgré les ménagements qu'il y
apporte, l'histoire de la surexcitation croissante d'un homme qui a commencé par le
bon sens, la clairvoyance, la santé morale d'un noble et beau génie, et qui a fini par une
exaltation maladive voisine de la démence. Le mot folie n'a pas été écrit par Renan,
mais la pensée se trouve exprimée à chaque page. Eh bien, les faits s'opposent à cette
explication. »[196] « Ce qui frappe au contraire» en Jésus, « plus on l'étudié de près,
c'est sa possession de lui-même, sa clairvoyance, son absence complète d'illusion . »
IL est extrêmement remarquable que la foi de Jésus en lui-même et en son œuvre reste
DÉVELOPPEMENT
L'argument prophétique.
240.— Préliminaire. — Dans le chapitre précédent, nous avons vu que Jésus s'était
donné pour le Messie prédit par les prophètes. Quelque de foi que puisse être la parole
d'un homme que recommandent par ailleurs la sainteté de sa vie et la sublimité de sa
doctrine, il n'en reste pas moins qu'une telle affirmation demande à être contrôlée.
Si Jésus est un Envoyé divin, il doit nous apporter des marques non équivoques de sa
mission divine, telles que prophéties et miracles. Mais, avant tout, si Jésus est l'Envoyé
divin annoncé par les prophètes, il doit réaliser dans sa personne et dans son œuvre les
prophéties faites à son sujet ; il faut qu'il y ait relation étroite entre l'Ancien et le
Nouveau Testament, que l'un s'explique par l'autre, que le second confirme le premier.
B. DANS LA SECONDE CATÉGORIE d'adversaires il faut ranger les Juifs qui, tout en
reconnaissant l'existence des prophéties messianiques, n'admettent pas qu'elles se
soient réalisées en Jésus. Pour prétendre le contraire, il faudrait, selon eux, détourner
les prophéties de leur sens naturel et les interpréter en dehors de leur contexte. C'est
pourquoi — et c'est encore SABATIER qui nous le dit — « les Juifs, d'après leur exé-
gèse, ont bien pu ne pas voir dans Jésus de Nazareth le Messie qu'ils attendaient,
puisqu'ils n'auraient pu croire eu lui qu'en renonçant aux espérances politiques et
nationales que leurs livres leur avaient données. Il est permis de dire que les prophéties
messianiques, en tant qu'elles ont un sens historique et grammatical, n'ont jamais été
accomplies, et qu'elles n'ont paru l'être dans la vie, l'enseignement, la mort de Jésus-
Christ et le merveilleux développement de son œuvre, que suivant un sens que cer-
tainement elles n'avaient pas dans l'esprit de ceux qui les avaient prononcées tout
d'abord. »[199]
A. Dans le premier sens, ou sens large, le prophète, appelé nabi en hébreu, est donc un
interprète. C'est ainsi que Moïse qui alléguait sa difficulté de parole pour se dérober à
la charge redoutable que le Soigneur lui imposait, entendit Dieu lui répondre : «
Aaron, ton frère, sera ton nabi» (Ex., IV, 16) ; autrement dit : Aaron parlera à ta place.
— Dans la Bible, le mot prophète est encore employé pour désigner un homme qui
chante les louanges de Dieu : il est dit, par exemple, de Saul, que dans ses accès de
mélancolie, il prophétisait (c'est-à-dire chantait) dans sa maison, pendant que David
jouait des instruments (I Sam., XVIII, 10).
Comme on le voit, dans quelque sens qu'on entende le mot, le prophète était «
l'interprète de Dieu, l'intermédiaire entre Dieu et son peuple ; il recevait les ordres du
Seigneur et communiquait à la race d'Abraham le plan divin... Sa mission était double,
l'une se rapportant au temps présent, l'autre à l'avenir »[201].
a) Les premiers, au nombre de quatre, sont : ISAÏE, JÉRÉMIE avec BARUCH pour
appendice, ÉZÉCHIEL et DANIEL. — b) Les seconds, au ombre de douze, sont :
OSÉE, JOËL, AMOS, ABDIAS, JONAS, MICHÉE, NAHUM, HABACUC,
SOPHONIE, AGGÉE, ZACHARIE, MALACHIE.
L'ère prophétique s'ouvrit avec ABDIAS[203] au début du IXe siècle avant Jésus-
Christ et fut close avec MALACHIE, vers l'an 435 : c'est donc une période de quatre
siècles et demi qu'elle embrasse.
Outre les grands et les petits prophètes dont nous venons de citer les noms, il y eut
dans l'Ancien Testament une longue suite d'hommes illustres qui méritent le nom de
prophètes, entendu dans le sens large du mot, c'est-à-dire qui ont été soit auprès du
peuple d'Israël, soit auprès de ses chefs, les représentants et les interprètes des volontés
divines. Tels sont MOÏSE, le libérateur et le législateur du peuple hébreu ; SAMUEL
qui détourna Israël des cultes de Baal et d'Astaroth ; NATHAN sous le règne de David,
et DAVID lui-même ; ÉLIE et ELISÉE qui, après le schisme d'Israël, furent chargés
par Dieu de restaurer le vrai culte de Jahvé.
247. — Est-il vrai, comme l'affirme la majeure de l'argument prophétique, qu'il existe
dans l'Ancien Testament une série de prophéties qui prédisent la personne et l'œuvre
du Messie? Telle est la première question qui se pose.
Conclusion. — Ainsi, le rôle des prophètes au sujet du royaume à venir fut double. —
Leur première mission fut de garder intacte chez le peuple juif la foi en un Dieu
unique, et de maintenir l'adoration exclusive de Jahvé. — La seconde mission qui fut
réservée, d'une manière plus spéciale, aux prophètes proprement dits, fut d'annoncer,
pour un avenir plus ou moins rapproché, un ordre nouveau, une religion spirituelle qui
ferait une plus large part au culte intérieur, une religion non plus nationale et restreinte
au peuple juif, mais universelle, à laquelle tous les hommes seraient appelés, et qui
serait ainsi comme le complément de l'antique religion juive.
Ainsi, la vie de Jésus est déjà écrite, pour ainsi dire, longtemps à l'avance. Les
circonstances en sont si bien marquées qu'il sera facile de constater si le Messie
attendu en réalise toutes les conditions.
Avant de conclure, nous avons à nous demander si les oracles qui annonçaient le
Messie remplissent les conditions de la prophétie proprement dite (Nos 172 et 173).
Étaient-ils la prévision certaine et l'annonce de choses futures qui ne peuvent être
connues par les causes naturelles? Il est facile de démontrer que les oracles
messianiques avaient les caractères requis pour être de véritables prophéties. — a) Ils
étaient d'abord des prédictions certaines, et non conjecturales. La preuve en est que
l'attente messianique était générale, comme en témoignent les Évangiles et même les
Il est bien vrai que le Nouveau Testament se trouve déjà en germe dans l'Ancien, et
que l'Ancien à son tour ne s'explique que par le Nouveau.[207]
Réponse. — La thèse rationaliste qui prétend trouver dans l'évolution une explication
très simple des prophéties messianiques, est fausse à son point de départ et à son point
d'arrivée.
2. LE POINT D'ARRIVÉE de la thèse rationaliste n'est pas plus solide. L'on soutient
que l'idée messianique, une fois jetée dans la circulation par les prophètes, y a travaillé
à la manière d'une idée-force qui s'est emparée des esprits, les a échauffés et y a
produit une telle effervescence que l'idée a fini par se résoudre en fait. Or tout ceci est
encore contraire à l'histoire. Le règne des prophètes n'a duré qu'un peu plus de quatre
siècles ; leur voix qui annonçait l'établissement du royaume messianique s'est fait
entendre du IXe au Ve siècle avant Jésus-Christ ; puis tout d'un coup elle s'est tue et,
pendant quatre siècles, elle est restée muette. Il n'y a donc pas eu progrès,
développement de l'idée, comme le voudrait la loi de l'évolution. Les rationalistes
Concluons donc que la théorie de l'évolution ne rend pas compte de l'existence des
prophéties messianiques, et que la seule explication qui reste valable c'est la révélation
divine.
253. — 2° Mais si tant est, objectent encore les rationalistes, qu'il y a eu des prophéties
messianiques, elles ne se sont pas réalisées. Les Juifs n'ont connu ni la félicité
temporelle ni le rétablissement du royaume d'Israël que les prophètes leur avaient
prédits. Tout au contraire, ils ont vu la destruction de leur temple, la ruine de
Jérusalem et leur dispersion à travers le monde.
Réponse- — Remarquons d'abord que, si Jésus n'avait pas été persécuté et rejeté par
les siens, s'il n'avait pas été mis à mort par eux, — bref, s'il avait été reconnu par le
peuple juif, — il ne serait pas le Messie, puisque les oracles messianiques qui
annonçaient ces différents points, ne se seraient pas réalisés.
Malgré cela, l'on a toujours le droit de se demander comment les Juifs ont pu se
tromper en si grand nombre sur l'interprétation des prophéties, et comment il se fait
que les uns se sont convertis au christianisme, tandis que les autres se sont obstinés
dans le judaïsme. — « Les Israélites, dit l'abbé DE BROGLIE, qui ont résisté à la
lumière de l'Évangile, ceux qui n'ont pas voulu recevoir le Messie, s'étaient attachés
d'avance à la conception d'un royaume temporel ; ils s'y étaient tellement attachés
qu'ils ne voulaient point s'en déprendre. Ils tinrent à cette conception au point de tout
sacrifier, et, dès qu'ils virent que le Sauveur s'écartait de leur pensée, ils le rejetèrent.
Les Apôtres, au contraire, et les premiers disciples du Christ, avec cette même
conception, avaient l'esprit plus simple, plus soumis et plus docile. Ils avaient reconnu
en Jésus-Christ le caractère du Messie ; et saisis d'admiration par sa sainteté, par sa
sagesse, par ses œuvres incomparables, certains qu'il était le Fils de Dieu, ils
sacrifièrent leur propre pensée à son enseignement. Ils se dirent : « Voilà comment
nous comprenions les prophéties, mais peut-être nous nous trompions. Et, avec
répugnance, sans doute avec peine, en sacrifiant leur propre jugement, ils acceptèrent
dans leur vrai sens les paroles de Notre-Seigneur. Ils avaient résisté d'abord : ils se
soumirent et l'événement leur donna raison. »[208]
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
Pour prouver qu'il disait vrai lorsqu'il affirmait qu'il était le Messie (voir chapitre II),
Jésus ne s'est pas borné à réaliser en sa personne et en son œuvre les prophéties de
l'Ancien Testament ; il a voulu encore appuyer sa parole par des signes propres à
authentiquer sa mission et à en démontrer l'origine divine. Ces signes sont : 1° les
prophéties ; 2° les miracles ; et 3° le miracle suprême de sa résurrection. Nous
traiterons ces trois points dans les trois articles qui suivent.
Trois choses sont nécessaires pour que les prophéties de Jésus aient la valeur d'un
signe confirmatif de son affirmation. Il faut : 1° que les prédictions qu'il a faites se
soient réalisées ; 2° que ces prédictions remplissent les conditions de la vraie
prophétie ; et 3° qu'elles aient été faites en confirmation de sa parole, ou si l'on veut,
de la vérité de sa mission.
255. — Tous les Évangélistes sont d'accord pour attribuer à Jésus le don de prophétie,
la faculté de deviner les secrets des cœurs et de lire dans l'avenir. D'après, leur
commun témoignage, Jésus a fait des prophéties relatives : — 1° à lui-même ;. — 2° à
ses disciples ; — 3° aux destinées de l'Église et des Juifs ; — 4° à la ruine de
Jérusalem et du temple et à la fin du monde.
OBJECTION.
Réponse. — Ne dissimulons pas que les passages qui rapportent la double prédiction
de Jésus sur la ruine de Jérusalem et sur la fin du monde sont de ceux dont l'exégèse
est loin d'être facile. — a) Quant à la première attaque qui porte sur l’ensemble du
passage et qui accuse les Evangélistes d'avoir forgé eux-mêmes la prophétie, elle ne
résiste pas à l'examen. On ne saurait prétendre que nous sommes on présence de
prédictions faites après coup, car il y a dans les récits un tel enchevêtrement de faits,
une confusion de choses qui ne se comprendrait pas si la rédaction avait été faite après
l'événement. Si les Évangélistes avaient écrit après la ruine de Jérusalem, ils auraient
distingué mieux entre la ruine de Jérusalem et la fin du monde, et ils auraient indiqué
avec plus de clarté l'événement dont ils donnaient les signes précurseurs. — Par
ailleurs, l'historien EUSÈBE (Hist. eccl., III, 5, 3) nous apprend que les chrétiens de la
Judée se souvinrent de la prédiction de Jésus, lorsqu'ils virent les Romains
s'approcher, qu'ils s'enfuirent en grand nombre à Pella, de l'autre côté du Jourdain, et
qu'ils échappèrent ainsi aux horreurs de l'invasion.
b) Quant à la seconde attaque des rationalistes et des modernistes qui prétendent que
Jésus a donné la fin du monde comme imminente, et que par conséquent il a commis
une erreur, elle n'a pas plus sa raison d'être. Sans doute il y aurait erreur si les paroles
de Jésus « cette génération ne passera pas que ces choses n'arrivent», s'appliquaient à
la fin du monde, mais il n'en est pas ainsi. C'est en effet une règle élémentaire
d'exégèse que les passages obscurs doivent être interprétés d'après les autres plus
intelligibles. Or, dans le même discours, Jésus déclare que le jour du jugement n'est
connu de personne, sauf de Dieu (Mat., XXIV, 36) ; il déclare, en outre, qu'avant la fin
du monde l'Évangile doit être prêché dans le monde entier, et à toutes les nations
(Mat., XXIV, 14). Voilà donc deux passages qui, dans l'hypothèse rationaliste, seraient
en contradiction flagrante avec la première prédiction. Est-il admissible que, d'un côté,
Jésus affirme que la fin du monde est proche, quand, de l'autre côté, il déclare qu'il
n'en connaît pas l'époque et qu'elle n'aura pas lieu avant que l'Évangile soit prêché dans
le monde entier c'est-à-dire avant un laps de temps forcément de grande étendue. Il
s'ensuit que ces paroles « Cette génération ne passera pas... » doivent s'entendre de la
destruction de Jérusalem, et non de la fin du monde et de son glorieux avènement.
261. — Les prophéties faites par Jésus sont en connexion étroite avec sa mission. C'est
pour prouver l'origine divine de celle-ci, et par conséquent, la vérité de son
affirmation, que Jésus prophétise. Plusieurs fois il en fait la déclaration formelle à ses
Apôtres. Ainsi, après avoir prédit la trahison de Judas, il déclare : « Dès maintenant, je
vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle sera arrivée, vous croyiez à
ce que je suis. »(Jean, XIII, 19). de même, après leur avoir annoncé les persécutions
qui les attendent, il ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que. lorsque l'heure en sera
venue, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » . (Jean, XVI, 4). Comme on le
voit, Jésus indique clairement le but qu'il se propose par ses prophéties: il veut que les
Apôtres croient plus fermement à sa parole et à son origine divine, lorsqu'ils verront
ses prédictions se réaliser.
Conclusion.— Il est donc permis de conclure que Jésus a fait des prédictions qui se
sont réalisées, que ces prédictions avaient tous les caractères de la vraie prophétie et
qu'il les a faites dans le but de prouver sa mission divine. Donc il est un Envoyé divin.
Nous suivrons ici la même marche que dans l'article précédent. Trois choses sont
nécessaires pour que les miracles attribués à Jésus-Christ aient la valeur d'un signe
CERTAINS.
262. — La certitude des miracles attribués à Jésus ressort de la valeur historique des
Évangiles qui les rapportent. Il a été établi précédemment (Nos 223 et suiv.) que les
Évangélistes sont dignes de foi et que leur autorité humaine est indiscutable : les
écrivains sacrés étaient à la fois bien informés et sincères ; bien informés, puisque
deux d'entre eux, saint Matthieu et saint Jean étaient des Apôtres, et partant, des
témoins oculaires ; sincères, la chose ne prête plus à discussion à notre époque, aucun
critique ne prenant les Évangélistes pour des imposteurs.
Qu'on ne prétende pas que les miracles soient des interpolations qu'on aurait
introduites après coup dans les récits évangéliques. Il ne faut pas lire longtemps les
Évangiles pour être convaincu du contraire. Que les miracles appartiennent à la
substance même de l’histoire évangélique, cela résulte : — a) de la place considérable
qu'ils tiennent dans les Évangiles. S'il ne s'agissait que de deux ou trois miracles, on
pourrait, à la rigueur, admettre qu'ils auraient été ajoutés par la suite, mais comme ils
dépassent la quarantaine, l'hypothèse de l'interpolation est absolument invraisemblable
; — b) du rôle qui leur est attribué dans l'histoire évangélique. Retrancher les miracles
des Évangiles, c'est rejeter l'histoire du Christ Les miracles sont une partie si
essentielle des Évangiles que ceux-ci, sans eux, deviennent incompréhensibles. Ce
sont les miracles qui expliquent la foi des Apôtres et de beaucoup de Juifs : ainsi, il est
dit, que, après le miracle de Cana, « ses disciples crurent en lui » (Jean, II, 11),que
«pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de Pâque, beaucoup crurent en son nom,
voyant les miracles qu'il faisait » (Jean, II, 23). Le jour de la Pentecôte, saint Pierre,
s'adressant au peuple, rappelle les miracles accomplis par Jésus (Actes, II, 22). Or
comment saint Pierre aurait-il osé en appeler aux miracles de Jésus, s'ils avaient pu
être mis en doute par ses auditeurs? Au reste, ni les Juifs contemporains du Christ, ou
postérieurs, qui ont écrit dans le Talmud[211], ni les païens adversaires de la religion
chrétienne : Celse, Porphyre, Hiéroclès, Julien et autres, n'ont rejeté la réalité des
miracles de Jésus. Ces derniers se sont contentés de les attribuer à la magie et à un
commerce avec les démons ; ils ont repris à leur compte l'accusation des Pharisiens, à
savoir que, si Jésus chassait les démons, c'était par Belzébuth, prince des démons
(Mat., XII, 24). Devant la notoriété publique des miracles et la non-protestation des
Juifs, ils n'ont pas osé dire que c'étaient là des fables inventées par l'imagination fertile
des Évangélistes.
263. — 1° Les miracles. — Nous laisserons de côté les miracles opérés par Dieu en
faveur de Jésus : apparition des Anges aux bergers, apparition d'une étoile aux Mages
lors de sa naissance ; témoignage rendu à l'occasion de son baptême et de sa
transfiguration, etc. Nous ne parlerons que des miracles que Jésus-Christ a accomplis
lui-même pour prouver la divinité de sa mission.
Or les miracles qui font partie de la matière évangélique, — plus de quarante, comme
il a été dit plus haut, — peuvent être divisés en trois classes. Il y a : — a) les miracles
opérés sur les substances spirituelles ; autrement dit, la délivrance des possédés. Jésus
a chassé les démons ; les Évangiles nous rapportent sept miracles de ce genre ; — b)
les miracles opérés sur les éléments et les êtres privés de raison. Dans cette catégorie,
il faut ranger : — 1. le miracle du changement de l'eau en vin aux noces de Cana
(Jean, II, 1-11) ; — 2. la tempête du lac apaisée (Mat., VIII, 24, 26) ; — 3. deux
pêches miraculeuses (Luc, v, 1, 11 ; Jean, XXI, 3, 11) ; — 4. la multiplication des
pains (Mat., XIV, 15, 21 ; Marc, VI, 30, 44 ; Luc., IX, 10, 17 ; Jean, VI, 1, 15) ; — 5.
le figuier desséché (Lue, XIII, 6-9) ; — 6. la marche de Jésus sur les flots (Mat., XIV,
25) ; — c) les miracles opérés sur les hommes. Les Évangélistes ne relèvent pas moins
de quinze guérisons de maladies corporelles : guérisons de lépreux, de paralytiques, du
serviteur du centurion qui a la main desséchée, d'hydropiques, de sourds-muets et
d'aveugles. Outre ces guérisons de maladies, Jésus a ressuscité trois morts : le fils de la
veuve de Naïm, la fille de Jaïre et Lazare.
264. — 2° Ce sont de vrais miracles- — Après avoir jeté un rapide coup d’œil sur les
miracles rapportés dans les Evangiles, il nous faut établir que ces faits sont bien des
miracles proprement dits, c'est-à-dire des faits surnaturels et divins.
Aucune des explications qui précèdent ne suffit à rendre compte de l'ensemble des
miracles contenus dans l'Évangile. Nous disons de l'ensemble des miracles, car, ou
bien l?on admet la valeur historique des Évangiles, ou bien on la rejette. Si on la
rejette, si l'on considère la partie miraculeuse comme mythique ou légendaire, toute
discussion devient inutile. Mais si on l'admet, il n'y a aucune raison qui permette de
faire un choix entre les miracles et de retenir tel miracle plutôt que tel autre. Ceci posé,
nous prétendons que les miracles ne s'expliquent : — a) ni par l'habileté et l'influence
morale du thaumaturge. Tout d'abord on ne saurait prendra Jésus pour un adroit
metteur en scène : tout ce que nous savons de son caractère s'y oppose. Et puis,
quoique habile que soit une personne, quelque influence morale qu'elle ait sur une
autre, il va de soi qu'elle ne pour rendre la vue à un aveugle, l'ouïe à un sourd et la
parole à un muet ; — b) ni par la suggestion et l'hypnotisme. Nous avons vu déjà (N°
168) que la suggestion a des limites très étroites par rapport aux sujets et aux
affections qu'elle peut guérir. Elle est sans efficacité sur les maladies organiques, telles
que la lèpre, l'atrophie, la cécité, l'hémorragie habituelle. On ne voit pas bien non plus
l'influence que la suggestion pourrait avoir sui les vents déchaînés ni comment elle
pourrait calmer soudain une tempête. Ajoutons on outre que le Christ opère ses
miracles instantanément ; ce qui n'arrive jamais dans les guérisons dues à l'hypnotisme
et à la suggestion qui exigent et le temps et l'emploi des moyens ;, — c) ni par la foi
qui guérit. Il est faux de prétendre que Jésus requiert toujours la foi : il l'exige, il est
vrai, de ceux qui viennent lui demander la guérison, et ce n'est que trop juste ; mais il
ne l'exige pas, dans toutes les circonstances, du malade lui-même ; la preuve en est que
plusieurs fois il accomplit ses miracles à distance, comme il arriva pour la
Cananéenne. On ne peut donc soutenir que la foi des malades fut toujours la cause de
leur guérison. En outre, l'hypothèse de la foi qui guérit ne pour s'appliquer qu'à un
nombre très restreint de cas ; elle est sans valeur pour tous les mi-racles opérés sur la
nature : elle ne rend compte ni des tempêtes apaisées, ni des pains multipliés, ni des
morts ressuscités. Aussi les partisans de cotte théorie se voient-ils contraints, comme
nous l'avons dit plus haut, de faire un choix arbitraire dans les matériaux fournis par
l'histoire évangélique, et de rejeter, contrairement aux règles de la méthode historique,
tous les faits qui sont on opposition avec leurs préjugés philosophiques.
Conclusion. — De ce qui précède nous avons le droit de conclure que les prodiges
attribués à Notre-Seigneur sont de vrais miracles. D'où il suit qu'il faut reconnaître en
Jésus l'existence d'une force surhumaine, transcendante, surnaturelle. Ceux qui
n'acceptent pas la conclusion sont obligés de rejeter les faits eux-mêmes et de contester
la valeur historique des Évangiles : c'est là une nécessité à laquelle ils se trouvent
acculés mais dont ils ont à fournir l'explication.
MISSION.
265. — A. Jésus ne se contente pas d'affirmer qu'il est le Messie ; il entend le prouver
par ses œuvres et particulièrement par ses miracles. — a) Aux envoyés de Jean-
Baptiste qui lui demandent s'il est le Messie, il renvoie à ses miracles (Mat., XI, 5). —
b) Aux Juifs qui lui posent la même question, il répond : « Les œuvres que je fais au
nom de mon Père rendent elles-mêmes témoignage de moi» (Jean, X, 25). — c) Avant
la résurrection de Lazare, il déclare que le miracle qu'il va accomplir, c'est pour que le
peuple qui l'entoure croie à sa mission (Jean, XI, 42).
B. Les miracles de Jésus ne furent d'ailleurs pas interprétés autrement par tous ceux
qui en ont été les témoins. — a) Par ses disciples. Nous avons dit précédemment qu'ils
crurent en lui à partir et à cause du miracle de Cana ; — b) par Nicodème, qui le
confesse on ces termes : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu
comme docteur ; car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est
pas avec lui» (Jean, III, 2) ; — c) par l'aveugle-né qui croit en Jésus après sa guéri-son
(Jean, IX, 38) ; — d) par les foules en général « qui étaient dans l'admiration et
disaient : N'est-ce point là le fils de David? » (Mat., XII, 23).
Deux choses sont nécessaires pour que la Résurrection de Jésus ait toute sa valeur
apologétique et puisse être regardée comme un signe divin IL faut : 1° que le fait soit
historiquement certain, et 2° qu'il se soit accompli pour confirmer la mission divine de
Jésus. Il n'y a pas lieu en effet de démontrer le caractère miraculeux du fait, que
personne ne conteste. D'où deux paragraphes seulement
Pour prouver, ou mieux, pour rappeler aux Corinthiens que Jésus est ressuscité, saint
Paul invoque donc six apparitions qu'il divise en trois groupes : — 1. Dans le premier
groupe, deux apparitions, l'une à Pierre, l'autre aux Douze ; — 2. dans le second, trois
apparitions, la première à cinq cents frères, la seconde à Jacques, la troisième à tous les
Apôtres ; — 3. dans le troisième, une seule apparition, celle dont il fut lui-même gra-
tifié. Toutes les apparitions d'ailleurs sont mises sur le même pied, mais il y a tout lieu
de présumer que, aux yeux de saint Paul, l'apparition aux cinq cents frères avait une
importance particulière, car, au moment où il écrivait, quelque vingt-cinq ans après
l'événement, la plupart de ces témoins étaient encore vivants, et c'est une sorte d'appel
à leur témoignage commun que l'Apôtre ne craint pas de leur adresser.
269. — Objection. — Les apparitions, objectent les rationalistes, sont mises par saint
Paul sur le même pied ; toutes furent du même genre, puisque l'apôtre les décrit de la
même manière, et qu'il emploie partout le même mot, le verbe ôphtê qu'on peut
traduire par les expressions françaises, « il a été vu» ou « il est apparu». Telle fut
l'apparition de Jésus à Saul sur le chemin de Damas ; telles furent donc les autres
apparitions. La question revient dès lors à déterminer ce que l'Apôtre a voulu signifier
en disant qu'il avait vu le Christ ressuscité. Or saint Paul n'a pas pu entendre par là
qu'il avait vu le Christ revenu en vie dans le corps qui avait été déposé dans le tombeau
; il n'a vu qu'une lumière, « un corps de gloire» (Phil., III, 21). Et la lumière même
qu'il a vue n'était pas une lumière réelle et objective. « IL a eu la sensation de voir,
sans qu'il y ait rien à la portée de son regard. Il était halluciné.»[219] Et comment cette
hallucination se produisit-elle? C'est que, d'après M. MEYER, saint Paul, homme de
génie mais atteint d'une maladie nerveuse, et coutumier de semblables visions, se
trouvait corporellement et intellectuellement prédisposé à l'événement du chemin de
Damas. Les idées de Jésus Messie, de Jésus principe de vie, de Jésus vivant et
immortel s'étaient formées peu à peu à son insu dans sa subconscience. Sur la route de
Réfutation. — Nous admettons avec les rationalistes, comme nous l'avons du reste dit
précédemment, que les apparitions décrites par saint Paul, sont mises sur le même
pied. Mais est-il vrai que l'Apôtre, en rappelant l'apparition dont il fut témoin sur le
chemin de Damas, veut parler d'une « vision subjective» Le contexte indique tout le
contraire. La pensée intime de l'Apôtre peut on effet se déduire du but qu'il poursuivait
dans sa lettre. Voulant combattre l'opinion de certains fidèles de Corinthe qui niaient la
résurrection corporelle des morts, saint Paul entend en démontrer l'existence et la
nature en s'appuyant sur la Résurrection de Jésus. Son raisonnement eût donc tombé à
faux, si, pour prouver que les morts reprendront leurs corps, leurs vrais corps, quoique
glorieux et doués de propriétés nouvelles, il eût commencé par dire, que la Résurrec-
tion du Christ, qui en était le principe et le modèle, n'avait pas été corporelle. Quand il
déclare que le Christ ressuscité lui est apparu, il veut donc dire qu'il l'a vu dans le
même corps qui était mort et avait été enseveli, identique à ce qu'il avait été durant sa
vie terrestre, sauf la qualité de gloire en plus. Telle est, à ne pas en douter, le fond de la
pensée de l'Apôtre. — Cela est juste, répliquent les rationalistes, « les Évangélistes et
saint Paul n'entendent point raconter des impressions subjective? ; ils parlent d'une
présence objective, extérieure, sensible, non d'une présence idéale, bien moins encore
d'une présence imaginaire. Les conditions d'existence de ce corps étaient différentes,
mais c'était le même qui avait été mis dans le tombeau, et que l'on croyait n'y être point
demeuré »[220]. Oui, mais c'était là, d'après M. LOISY toujours, pure hallucination ou
simple illusion, de la part des Apôtres.
1. Pour ce qui concerne le propre cas de saint Paul, peut-on dire qu'il fut halluciné? Il
est vrai que plusieurs fois dans sa vie, il eut des visions, mais il a toujours pris soin de
distinguer entre celle-ci et les autres. La vision du chemin de Damas était, à ses yeux,
le fondement de sa vocation. C'est parce qu'il avait vu le Christ glorieux, qu'il s'était
rencontré avec lui et avait entendu son appel, qu'il revendiquait le titre d'apôtre. Jamais
il n'aurait osé se prévaloir de ce titre s'il n'avait eu la conviction d'avoir vu le Christ
aussi réellement que les autres Apôtres, et d'avoir ouï sa voix qui l'appelait à
l'apostolat.
Sans doute, poursuivent nos adversaires, saint Paul fut sincère, mais cela n'empêche
pas qu'il fut victime de l'hallucination. Tout en poursuivant les chrétiens, il se fit au
fond de son être un travail inconscient ; il eut des doutes sur la vérité de la doctrine de
Jésus, sur la légitimité de ses persécutions, bref, il eut des remords. Ces impressions
restées d'abord latentes, à l'intérieur de son être, jaillirent subitement de sa
subconscience à sa conscience, provoquant les hallucinations de la vue et de l'ouïe, et
produisant dans son esprit des convictions nouvelles et causant sa conversion. — Or
2. Mais supposons, si on le veut, que saint Paul fut halluciné. Dira-t-on que les autres
témoins, dont parlent saint Paul et les Évangélistes, furent tous hallucinés ? Tout
repousse cotte supposition : les conditions de nombre, de temps et de circonstances
ne comportent pas une telle hypothèse. — 1. Le nombre. Il n'est pas raisonnable de
supposer que tant de témoins d'un caractère si différent aient été victimes d'une illusion
de leurs sens. Ce n'est pas une fois que Notre-Seigneur se montre ressuscité, mais de
nombreuses fois ; ce n'est pas à une personne, ce n'est pas même à ses soûls Apôtres
qu'il apparaît, mais à cinq cents frères à la fois. — 2. Le temps. Les apparitions ont ou
lieu après la mort de Jésus, c'est-à-dire à un moment où les disciples étaient
désemparés et songeaient à se cacher. Dans un pareil état d'esprit, ils ne pouvaient
s'imaginer que le Crucifié leur apparaissait dans la gloire. Les apparitions ont donc dû
s'imposer du dehors et dans des conditions d'objectivité telles qu'elles ont entraîné une
foi irrésistible à la Résurrection. — 3 Les circonstances. Saint Paul il est vrai, ne
mentionne aucune circonstance, mais si nous nous reportons aux récits des
Évangélistes, nous voyons que les Apôtres sont d'abord incrédules et croient voir un
esprit. Jésus leur fait alors toucher ses plaies (Luc, XXIV, 37, 40 ; Jean, XX, 27) ; il
mange devant eux (Luc, XXIV, 43) ; il leur fait remarquer « qu'un esprit n'a ni chair ni
os » (Luc, XXIV, 39) ; il permet aux saintes femmes d'embrasser ses pieds (Mat.,
XXVIII, 9).
Dira-t-on encore que les hallucinations, telles qu'on les entend, ont été des
hallucinations vraies, des hallucinations objectives, produites directement par Dieu
pour obtenir la foi des Apôtres à Jésus vivant et triomphant? Cette hypothèse n'est pas
plus historique que les autres ; elle est de plus blasphématoire, vu qu'elle regarde Dieu
comme la cause directe de l'erreur.
a) Argument tiré de la découverte du tombeau vide. — Suivant les récits des quatre
Évangélistes, les femmes et les disciples qui se rendirent au sépulcre pour embaumer
Jésus, trouvèrent le tombeau vide. La pierre qui fermait l'entrée du sépulcre était
rejetée sur le côté (Marc, XVI, 4). A l'intérieur du sépulcre, les linges gisaient à terre,
les linceuls et le suaire séparément (Jean, XX, 7) ; le corps de Jésus n'était plus là
(Luc, XXIV, 3). Un Ange leur annonça la Résurrection. Les gardes effrayés avaient fui
et étaient allés annoncer la nouvelle aux princes des prêtres qui leur donnèrent une
forte somme d'argent pour publier que les disciples avaient enlevé le corps pondant
qu'ils dormaient (Mat, XXVIII, 11, 13).
2. Ou bien ils ont nié la matérialité du fait et ont prétendu que le récit de la découverte
du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération
chrétienne, et ils en veulent voir la preuve dans le silence de saint Paul. Si saint Paul,
disent-ils, dont le témoignage est antérieur à celui des Évangiles, ne mentionne pas
l'argument du tombeau vide, c'est qu'il ne le connaissait pas et que la légende n'était
pas encore formée au moment où il écrivait.
3. Dire que le rapt a été commis par les Juifs, est une hypothèse plus absurde encore
et contredite par les faits. Il faut se souvenir en effet que les Apôtres prêchèrent la
Résurrection, non seulement devant le peuple, mais devant les chefs de la nation.
Pierre et Jean furent emprisonnés pour cela, et ils comparurent devant le tribunal juif
4. Est-on mieux fondé à prétendre que la découverte du tombeau vide est une légende
inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne[227] ? Comment
expliquer alors la foi des Apôtres, la transformation totale, qui s'est faite en eux
quelque temps après le grand drame de la croix qui les avait laissés si découragés et si
abattus? Si rien n'est venu les remettre de leur déception, si la foi à la Résurrection ne
s'est formée que peu à peu, comment se fait-il que, de lâches et timides qu'ils étaient au
cours de la Passion, ils soient devenus, après, intrépides, audacieux et qu'ils prêchèrent
la Résurrection jusqu'au sacrifice de leur vie? Faut-il croire « ces témoins qui se font
égorger » ou les prendre pour des exaltés et des fous?
272. — b) Argument tiré des apparitions. — Tandis que l'argument tiré du tombeau
vide n'est qu'une preuve indirecte, vu que le fait peut être expliqué par d'autres
hypothèses que la Résurrection, les apparitions constituent une preuve directe.
Si l'on compare les deux témoignages de saint Paul et des Évangélistes, l'on peut
compter onze apparitions, celle du chemin de Damas à saint Paul non comprise. Deux
apparitions mentionnées par saint Paul ne figurent pas chez les Évangélistes, à savoir
l'apparition aux cinq cents disciples et l'apparition à Jacques. Le total des apparitions
relatées par les Évangélistes s'élève donc à neuf, dont sept eurent lieu à Jérusalem ou
aux environs, et deux en Galilée. Dans le premier groupe, — les apparitions
hiérosolymitaines, — l'on compte les apparitions : — 1. à Marie-Madeleine (Marc,
XVI, 9 ; Jean, XX, 14, 15) ; — 2. aux femmes qui revenaient du sépulcre ( Mat.,
XXVIII, 9) ; — 3. à Simon Pierre (Luc, XXIV, 34) ; — 4. aux deux disciples qui
allaient à Emmaüs (Marc, XVI, 12 ; Luc, XXIV, 13 et suiv.) ; et — 5. aux Apôtres
réunis dans le Cénacle, Thomas absent (Marc, XVI, 14 ; Luc, XXIV, 36 et suiv. ;
Jean, XX, 19-25). Ces cinq premières apparitions eurent lieu le jour de Pâques. — 6.
Huit jours plus tard, à Jérusalem encore, Jésus apparut aux onze Apôtres, Thomas pré-
sent et invité par le Seigneur à toucher les plaies de ses mains et de son côté (Jean,
XX, 26-29). — 7. En Galilée, il apparut à sept disciples sur le lac de Tibériade (Jean,
XXI, 1, 14) ; puis — 8. aux onze Apôtres sur une montagne de (ralliée (Mat., XXVIII,
16, 17). — 9. Enfin, une dernière apparition qui précéda l'Ascension et qui eut lieu sur
le Mont des Oliviers devant tous les Apôtres assemblés (Luc, XXIV, 50).
Remarquons, par ailleurs, que la plupart des divergences s'expliquent très bien par le
but différent que les Évangélistes poursuivaient. Ainsi saint MATTHIEU, écrivant
pour le milieu juif où le bruit courait que les disciples avaient enlevé le corps du Christ
montre l’invraisemblance d’une telle accusation par le récit de la garde mise au
tombeau et de l'apposition des scellés sur la pierre du sépulcre. Saint MARC écrivant
pour le milieu romain, très attaché aux formes juridiques, rapporte d'abord que la mort
de Jésus a été constatée officiellement par une enquête de Pilate auprès du Centurion
chargé de l'exécution de la sentence, puis il insiste sur l'incrédulité des disciples qui
refusent d'ajouter foi au récit de Marié-Madeleine. — Saint Luc, écrivant pour le
Conclusion. — Ainsi, de l'examen des documents, il résulte que, dès les premiers
jours, les Apôtres, tant par la découverte du tombeau vide que par les apparitions,
crurent que leur Maître était ressuscité, qu'ils se le représentèrent survivant, non
seulement dans son âme immortelle, mais dans son corps. Ils crurent que son corps
n'était pas resté au tombeau, mais qu'il vivait à nouveau et pour toujours, transformé et
glorifié[228].
Il ne sera donc pas nécessaire d'insister longuement sur ce point. La pensée de Jésus
de lier sa mission au miracle de la Résurrection, ressort : — 1. de ce fait qu'il prédit
l'événement à plusieurs reprises, comme étant une marque révélatrice du Messie : «
Alors (après la confession de Pierre) il commença à leur (aux Apôtres) enseigner qu'il
fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup... qu'il fût mis à mort et qu'il
ressuscitât trois jours après. » (Marc, VII, 31). A trois autres reprises, Jésus prédit
encore sa mort et sa résurrection (Marc, IX, 8, 9 ; 30 ; X, 32-34) ; — 2. de cet autre
fait qu'on doux circonstances Jésus fit appel à sa Résurrection future comme au seul
signe qui serait donné pour prouver sa mission. — 1. Dans une première circonstance,
un groupe de Pharisiens lui demande un signe de sa mission : « Maître, nous
voudrions voir un signe de vous. » Il leur répondit : « Cette race méchante et adultère
demande un signe, et il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui du prophète
Jonas : de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi
Conclusion. — Ainsi le seul signe que Jésus consente à donner à ses ennemis en
faveur de sa mission divine, c'est sa Résurrection. Et comme celle-ci est un fait
historiquement certain, nous pouvons conclure que Jésus nous a laissé le témoignage
le plus authentique et le plus grand de son origine divine.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
275. — Maintenant que nous avons vérifié les titres du fondateur du christianisme et
que nous avons démontré que Jésus est le Messie annoncé par les prophètes, il semble
superflu de mettre en lumière la qualité de la doctrine. Il y a tout lieu, en effet, de
préjuger qu'elle est transcendante, puisqu'elle est l'œuvre d'un Envoyé divin.
Nous plaçant sur le seul terrain de l'apologétique défensive, nous nous bornerons ici à
répondre à une objection que les rationalistes tirent de l'histoire comparée des
religions. Lorsque nous avons parlé des fausses religions, à dessein nous avons mis en
relief les ressemblances qui existent entre elles et le christianisme. Nous tenons à y
revenir, afin d'écarter définitivement l'objection rationaliste qui voudrait représenter la
doctrine chrétienne comme une doctrine d'emprunt et sans individualité propre.
276. — 1° Objection rationaliste. — Nous avons vu précédemment (N° 142) que les
rationalistes, s'appuyant sur la doctrine de l'évolution, assignent au sentiment religieux
une origine tout humaine, où il n'y a place ni pour le surnaturel ni pour la révélation.
Partant de ce principe qu'ils érigent en dogme, ils étudient les religions comme des
institutions humaines, ils en relèvent avec soin les points de ressemblance, et n'hésitent
pas à tirer les conclusions suivantes : à savoir que toutes les religions sont de la même
essence, qu'elles se sont influencées réciproquement, que le judaïsme et le
christianisme ne sont pas des religions plus originales que les autres, et qu'en
particulier, le christianisme est une religion d'emprunt, qu'il a puisé son dogme, sa
morale et son culte soit au judaïsme, soit aux doctrines philosophiques de la Grèce et
de Rome, soit surtout aux religions de plus vieille date, telles que le zoroastrisme, le
bouddhisme et le mithriacisme, bref, qu'il est une synthèse de doctrines étrangères.
277. — Réfutation. — Ainsi, les historiens rationalistes des religions, après avoir noté
les points de contact qu'il y a entre le christianisme et les autres religions, se croient en
droit de conclure que le christianisme est coupable de plagiat, et que, de ce fait, il ne
saurait revendiquer une origine divine, puisqu'il aurait emprunté sa doctrine à des
religions que lui-même déclare d'origine humaine.
a) Dogme. — D'après les rationalistes, qu'il s'agisse des vérités naturelles ou des
vérités surnaturelles, il n'y a rien dans le christianisme qui ne se trouve déjà ailleurs.
— 1. Ainsi, les philosophes de l'antiquité grecque et latine, tels que Socrate, Platon,
Aristote, Cicéron, Sénèque, etc., ont enseigné, plus ou moins clairement, l'existence
d'un Dieu unique, d'une Providence qui gouverne le monde, d'une âme spirituelle et
libre destinée à une survie où elle recevra soit la récompense de ses bonnes actions,
soit le châtiment de ses fautes. D'une façon plus précise encore, ces vérités sont
enseignées par les livres sacrés des Juifs. — 2. Passons maintenant aux dogmes qui
paraissent former le fond original de la religion chrétienne, c'est-à-dire aux trois
grands mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption, celle-ci avec son
a) Dogme. — 1. Que les vérités naturelles, telles que l'unité et l'immortalité de l'âme
aient été enseignées par des philosophes antérieurs au christianisme, cela se conçoit,
puisque la raison peut, par ses seules forces, découvrir ces vérités. L'on pourrait
cependant remarquer qu'elles ont été rarement connues sans mélange d'erreur. Ainsi
PLATON, tout en reconnaissant une Divinité suprême, est dualiste. ARISTOTE rejette
la Providence, SÉNÈQUE paraît plutôt panthéiste, et presque tous ont représenté la
Divinité comme soumise à l'aveugle Destin.
Les ressemblances d'ailleurs s'arrêtent là. Et si nous voulions relever les divergences
entre les deux religions, établir le contraste entre le rigorisme, l'orgueil et la justice
austère des Pharisiens, d'une part, et d'autre part, la bonté, l'humilité la charité
inépuisable de Jésus, nous forcerions nos adversaires à confesser que la religion
chrétienne, tout en étant une évolution de la religion juive, a accompli un tel progrès
qu'elle peut être considérée comme une religion tout à fait neuve et originale.
Par ailleurs, les ressemblances signalées sont-elles si complètes que l'on puisse dire
que les dogmes du christianisme sont empruntés? « Ne consistent-elles pas fort
souvent en de simples analogies très éloignées, de telle sorte qu'il y ait entre les
éléments correspondants du christianisme et des autres cultes autant de différence que
de ressemblance?... Nous voyons dans plusieurs religions l'idée d'une trinité divine,
mais entre les triades païennes, vagues et changeantes, composées généralement d'un
père, d'une mère et d'un fils, et la conception de la Trinité chrétienne, il y a un abîme.
Sur un grand nombre de points il est possible de constater, à côté des ressemblances,
des différences aussi grandes. »[229]
L'on pourrait s'étonner encore que l’idée d'un libérateur se retrouve en dehors du
christianisme, que Çakya-Muni, par exemple, se soit donné, avant Jésus, pour le
.sauveur de l'humanité. Mais il convient de se rappeler que l'attente messianique avait
Quant aux circonstances historiques des dogmes. c'est-à-dire à tout ce qui porte sur la
vie et les actes des fondateurs, les rapprochements signalés plus haut sont loin d'être
défavorables au christianisme. Sans parler du mithriacisme qui s'est propagé dans
l'Empire romain à la même époque que le christianisme et que les apologistes chrétiens
ont pu accuser de plagiat sans recevoir de démenti (V. N° 191), l'on ne saurait regarder
la vie du Bouddha comme un modèle sur lequel les Évangélistes auraient calqué la vie
du Christ. Au contraire, la biographie de Çakya-Muni est relativement moderne dans la
littérature de l'Inde, la rédaction définitive n'en ayant pas été faite avant le XIIe siècle
de notre ère. Pour démontrer que le christianisme est tributaire du bouddhisme, il
faudrait donc prouver que les livres actuels qui contiennent la vie du Bouddha sont
identiques aux originaux ; et c'est ce qui n'a pas été fait. Il n'y a pas lieu davantage de
nous arrêter au parallélisme qu'on a voulu établir entre la résurrection de Jésus dont
nous avons apporté précédemment les preuves indiscutables, et la mort et la
résurrection des dieux mythologiques, Osiris, Adonis et Atys, lesquelles ne sont autre
chose que des symboles, destinés à figurer la succession des saisons, la mort apparente
de la nature en hiver et sa résurrection au printemps.
Mais on dit encore qu'il y a eu dans l'Inde des moines qui ont pratiqué les conseils
évangéliques avant et tout aussi bien que les ascètes chrétiens. Nous voulons bien
l'admettre, mais tout au plus peut-on en conclure que la nature humaine a été la même
dans tous les temps et sous tous les cieux, qu'il y a toujours eu des âmes d'élite qui ont
aspiré à un idéal de perfection, et que leurs instincts religieux leur ont découvert les
mêmes moyens d'y parvenir.
c) Culte. 1. Nous n'avons pas à répondre à l'objection qu'on tire des ressemblances
qu'il peut y avoir entre les sept sacrements chrétiens et les sept degrés de l'initiation
mithriaque, puisque le mithriacisme n'est pas antérieur au christianisme, et que, s'étant
répandu à Rome, il a pu entrer facilement en contact avec la religion de Jésus et lui
emprunter ses rites. — 2. Quant au culte des saints et des images que l'on rapproche du
culte des dieux et des idoles, les deux s'expliquent par la tendance de la nature humaine
« à multiplier les objets de culte et à choisir des objets visibles de vénération religieuse
: cette tendance, abandonnée à elle-même, a produit dans l'antiquité païenne le
polythéisme et l'idolâtrie. Dans l'histoire du christianisme, ces mêmes aspirations,
gouvernées et dirigées pari Esprit-Saint et par l'Église, ont trouvé leur satisfaction dans
un culte de vénération envers les saints, distinct du culte d'adoration qui est réservé à
Dieu seul, et dans l'usage légitime d'images qui ne sont nullement des idoles »[231].
S’il est arrivé parfois que la distinction entre le culte de Dieu et celui des saints n'a pas
été suffisamment établie et que le culte d'un saint a remplacé purement et simplement
le culte d'un dieu local sans qu'il y eût de différence dans la manière de vénérer l'un et
d'adorer l'autre, ce sont là des abus qui sont imputables à l'ignorance des nouveaux
convertis, et non à la religion elle-même. — 3. On allègue enfin l'identité des
cérémonies du culte chrétien et du culte païen pour accuser le premier de plagiat. A
supposer que la liturgie chrétienne ait emprunté tous ses rites secondaires soit au culte
juif, soit au culte païen, c'est-à-dire en somme, au milieu dans lequel elle pénétrait, et
qu'elle les ait adaptés à ses besoins, il n'y aurait pas là de quoi l'accuser de plagiat. Les
cérémonies, en tant que formes extérieures par lesquelles l'homme se propose
d'adresser ses hommages à la divinité, sont du domaine public. Pourquoi voudrait-on
refuser à la vraie religion le droit de faire usage, par exemple, des encensements, des
processions, des chants, des vêtements sacerdotaux, sous prétexte que d'autres cultes
les auraient employés avant elle ? La nature humaine étant la même partout, comme
nous le disions plus haut, comment trouver étrange qu'elle traduise ses sentiments
d'une manière identique ? « L'homme qui se sent coupable et malheureux se tourne
naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A
quelque race qu'il appartienne, il risque fort d'imploré! la miséricorde divine dans les
mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L'attitude de la prière, les
manifestations extérieures du respect et de l'humilité sont à peu près les mêmes partout
: on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d'obtenir une grâce,
plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie... Il est assez
naturel de porter solennellement en procession les images de ceux qu'on veut présenter
à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d'ablutions,
Les apologistes qui adoptent la première hypothèse, font une part très large aux
circonstances favorables à la propagation du christianisme. De l'admirable
enchaînement des causes secondes qui ont permis à la religion nouvelle de faire une
pénétration si rapide, ils remontent à la Cause suprême « qui prépare les effets dans les
causes les plus éloignées »[233], de la même façon que de l'ordre du monde l'on peut
conclure à un sage ordonnateur. Une telle hypothèse, bien que supposant l'action
continue de Dieu, est exclusive du miracle. Elle est du reste parfaitement soutenable,
mais elle a, à notre époque, le grave inconvénient de prêter des armes à nos
adversaires, qui, partant de là, exagèrent, d'un côté, les circonstances favorables à la
rapide diffusion du christianisme, 3t de l'autre, affaiblissent les obstacles qui
s'opposaient à ses progrès, pour pouvoir aboutir à cette conclusion que la propagation
du christianisme s'explique très bien par des causes naturelles et en dehors de Dieu.
La seconde hypothèse, qui est celle que nous exposerons, tout en laissant aux causes
humaines la part qui leur revient, les regarde comme impuissantes à produire de tels
Mais que faut-il entendre par miracle d'ordre moral ? Pour bien saisir le sens de cette
expression, il faut se rappeler que tous les êtres créés obéissent à des lois propres à leur
nature : les êtres sans raison à des lois nécessaires, les êtres raisonnables à des lois
morales où la liberté joue son rôle. Ainsi, des leçons que l'histoire tire de la marche des
événements, il résulte que l'on peut considérer comme une loi morale qu'une masse
d'hommes ne changent pas d'opinion ni de mœurs, lorsque leurs passions, leurs intérêts
et surtout leur vie sont en jeu. Si le changement se produit, il faut donc l'attribuer à une
intervention spéciale de Dieu, et non aux causes secondes, et de ce fait, recourir à
l'hypothèse du miracle moral. D'où il suit que le miracle moral, c'est tout fait qui, ne
s'expliquant pas par les lois ordinaires de l'histoire, suppose, comme condition
nécessaire, l'intervention spéciale de Dieu.
Pour démontrer le bien-fondé de cette hypothèse, nous avons dès lors à établir: 1° le
fait même de la rapide diffusion du christianisme, et 2° le caractère surnaturel de ce
fait.
a) Au 1er siècle — Nous avons, pour nous renseigner sur la marche de l'Évangile, le
témoignage des auteurs sacrés et celui des auteurs profanes. — 1. Témoignage des
auteurs sacrés. C'est aussitôt après la descente du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte,
que se place le berceau du christianisme. Les Actes des Apôtres rapportent que les
deux premiers discours de Pierre font cinq mille convertis (Act, II, 41 ; IV, 4). Ailleurs,
ils parlent « de milliers de Juifs convertis » (Act., XXI, 20). Dans l'Apocalypse (I, 11)
il est fait mention de sept Églises. Les progrès de la nouvelle doctrine sont si rapides
que la finale de saint Marc constate que, selon l'ordre donné par Jésus, d'annoncer
dans le monde entier l'Évangile du royaume (Mat., XXIV, 14), « les disciples partirent
et prêchèrent en tous lieux» (Marc, XVI, 20). Saint Paul, à son tour, entre 53 et 57,
c'est-à-dire vingt ans environ après l'Ascension de Notre-Seigneur, ne craint pas
d'écrire aux Romains que « leur foi est annoncée dans le monde entier» (Rom., I, 8). —
2. Témoignage des auteurs profanes. TACITE et SUÉTONE parlent de nombreux
chrétiens qui périrent par la persécution de Néron, en l'an 64.
2) Au IIe siècle, — 1. Nous avons, tout au début du IIe siècle, vers 112, l'important
témoignage de Pline le jeune. Api es avoir parcouru, en vertu de ses fonctions de légat
impérial, les vastes provinces de Bithynie et du Pont, il écrit une lettre-rapport à
Trajan, dans laquelle il lui exprime sa surprise d'avoir rencontré « de nombreux
chrétiens de tout âge, de tout sexe et même de tout rang, et d'avoir constaté que les
temples des dieux étaient presque abandonnés, les sacrifices depuis longtemps
interrompus, les victimes destinées aux dieux ne trouvant plus que de rares acheteurs
». — 2. Témoignage des Pères. Saint JUSTIN, philosophe célèbre de l'école de Platon,
converti au christianisme, déclare dans son Dialogue avec Tryphon, qu'« il n'y a pas
une seule race d'hommes, soit barbares, soit grecs, ou de quelque nom qu'ils
s'appellent, Scythes qui vivent sur les chars ou nomades qui habitent sous la tente, chez
qui ne soit invoqué le nom de Jésus-Christ ». Saint IRÉNÉE, vers 170, voulant prouver
l'unité de l'Église, la montre répandue par tout l'univers : « Les langues sont diverses
dans le monde, écrit-il, mais la tradition de la foi est partout la même. Ni les Églises
qui s'élèvent en Germanie n'ont une autre foi ou une autre tradition, ni celles qui sont
en Ibérie ou chez les Celtes, ni celles qui sont vers le Levant, ni celles qui sont en
Egypte, ou en Libye, ni celles qui sont vers le centre du monde (c'est-à-dire vers la
Palestine)». A la fin du IIe siècle, vers 197, TERTULLIEN écrit dans son
Apologétique, c. XXXVII, n° 124 : Nous ne sommes que d'hier et nous remplissons
tout votre empire, vos cités, vos maisons, vos places fortes, vos municipes, les
assemblées, les camps mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum,
nous ne vous laissons que vos temples. » Et Tertullien ajoute même, plus loin : « Il est
évident que si les chrétiens voulaient se révolter, ils seraient plus redoutables que les
Maures, les Parthes ou les Marcomans ; ou si seulement ils venaient à se retirer de
l'Empire, les païens seraient effrayés de leur solitude ; il y aurait un silence et une sorte
de stupeur comme si le monde était mort. »
c) Au IIIe siècle. Un des plus précieux témoignages du me siècle est celui d'Oui GÈNE
qui, après avoir écrit, dans sa IXe homélie sur la Genèse, qu'il n'y avait « presque aucun
lieu qui n'eût reçu la semence de la parole divine», avouait, avec une loyauté digne
d'un historien moderne, que «la fin du monde était encore loin, puisque l'Évangile
n'avait pas encore été prêché partout». Un autre témoignage de la même époque doit
être rappelé, quoique moins précis et moins mesuré que le précédent ; c'est celui de
saint CYPRIEN qui compare l'Église de son temps au soleil dont les rayons éclairent
tout le monde, à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terré, à un fleuve qui
répand ses eaux de tous côtés.
Nous arrivons ainsi au début du IVe siècle où nous entendons, d'un côté, le païen
PORPHYRE qui se plaint de trouver des chrétiens partout, et de l'autre, l'historien
EUSÈBE, évêque de Césarée, qui proclame que le Christ est adoré dans le monde
entier. D'ailleurs les nombreux conciles, — on en compte plus de cinquante avant le
concile œcuménique de Nicée en 325, — qui se sont tenus de toutes parts, à Rome, en
Afrique, dans les Gaules, en Espagne, en Grèce, dans la Palestine, etc., sont une
preuve évidente que le christianisme était déjà en pleine floraison ayant la conversion
de l'empereur Constantin.
Pour résoudre le problème, il suffit de savoir s'il y a, oui ou non, juste proportion entre
les moyens employés et les résultats obtenus. Comme on le devine bien, tous les
rationalistes répondent par l'affirmative, quoiqu'ils se divisent sur le caractère et sur le
nombre des causes qu’ont produit la rapidité du développement chrétien. Les
apologistes catholiques soutiennent la thèse contraire. Avant d'exposer les arguments
que font valoir ces derniers, il convient, en toute justice, que nous passions en revue
les circonstances favorables invoquées par nos adversaires.
a) Le milieu juif. — Sous ce nom il faut entendre non seulement les Juifs qui habitaient
la Palestine, ou Juifs palestiniens, dont la langue était le dialecte araméen, mais les
Juifs helléniques, c'est-à-dire tous ceux qui, à partir de l'exil de Babylone, avaient
essaimé dans le monde gréco-romain et qui ne parlaient que le grec. Ces derniers, au
début de l'ère chrétienne, formaient une population importante dans les centres
principaux de l'Empire romain ; on trouvait des communautés juives ou juiveries à
Antioche, à Damas, à Smyrne, à Éphèse, à Thessalonique, à Athènes, à Corinthe, à
Alexandrie, à Rome. L'ensemble des communautés constituait ce qu'on a appelé la
Diaspora, d'un mot grec qui veut dire dispersion. Chaque juiverie avait sa synagogue ;
elle y menait sa vie religieuse comme dans la mère-patrie, restant inviolablement
attachée à ses institutions, à son culte et à ses espérances Toutefois, bien que gardant
leur individualité de race et évitant tout contact avec les païens sur le terrain religieux,
les Juifs avaient, par l'élévation de leur doctrine monothéiste, exercé une assez forte
influence autour d'eux. Ils avaient même détaché des cultes païens bon nombre d'âmes
droites qui, désabusées des erreurs idolâtriques, avaient reconnu le vrai Dieu et
s'étaient affiliées au Judaïsme par la circoncision et l'observance des prescriptions
mosaïques[235].
Il est donc incontestable, concluent les rationalistes, que la Diaspora favorisa les
débuts du christianisme en lui fournissant les cléments des premières chrétientés. —
Contentons-nous de remarquer ici que les apologistes chrétiens reconnaissent le fait de
cette première circonstance favorable à l'éclosion du christianisme, mais toute la
question revient à savoir si la chose doit être regardée comme l'effet du hasard ou
comme une heureuse disposition de la Providence.
Ces conclusions, nous nous garderons d'autant plus de les contredire que nous sommes
les premiers à proclamer l'excellence de la doctrine chrétienne et à regarder la
transcendance de l'enseignement du Christ comme une présomption en faveur de son
origine divine.
N'ayant pour elle ni les attraits séducteurs de sa morale, ni la force des armes, la
nouvelle religion avait-elle au moins à sa disposition l’éloquence de ses prédicateurs ?
Douze hommes, appartenant à une race mal vue, douze Juifs, sans crédit, sans argent et
sans puissance, presque tous illettrée, parlant mal la langue grecque, comme leurs
écrits le prouvent ; même saint Paul, saint Jean et saint Luc qui sont des esprits de
plus grande envergure, sont, sur ce point, inférieurs aux philosophes-grecs ou latins de
l'époque. Voilà les seuls instruments que le Christ a choisis pour faire la conquête du
monde. Da reste, les apôtres de la nouvelle religion ne se targuent pas de gagner les
esprits par la logique et la force des arguments, et saint Paul ne se fait pas scrupule de
dire que « Dieu a choisi ce qui était insensé aux yeux du monde pour confondre les
sages, la bassesse et l'opprobre du monde, ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce
qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. » (I Cor., I, 27, 29). Ils ne
s'appuient que sur une chose, sur l'autorité divine, sur les miracles du Christ et en
particulier sur sa résurrection.
Ainsi, tandis que dans le monde tout disparaît avec le temps, tandis que les empires
s'écroulent les uns après les autres, que les écoles philosophiques ne gardent la faveur
du public que peu de temps, en un mot, tandis que toutes les institutions humaines,
quelles qu'elles soient, naissent et meurent tour à tour, seul le Christianisme demeure,
gardant toute sa vitalité et ne donnant aucun signe de déclin : Stat crux, dum volvitur
orbis. Aussi le concile du Vatican a-t-il, avec raison, présenté le fait de l'Église comme
« un grand et perpétuel motif de crédibilité. »
Dans ce but, ils considèrent le martyre chrétien sous un double jour : à un point de vue
psychologique et à un point de vue historique. — 1. Au point de vue psychologique, ils
prennent comme point de départ le fait de cette phalange innombrable de chrétiens qui
291. — Nous allons voir : 1° ce qu'il faut entendre par martyrs ; 2° quel fut le nombre
de chrétiens martyrisés ; et 3° s'ils furent martyrisés parce que chrétiens
La tradition sur le grand nombre des martyrs fut d'ailleurs acceptée sans conteste
jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Elle fut mise en doute en 1684 par le protestant
DODWELL qui, tout en réduisant le nombre des victimes des persécutions, admet
cependant qu'il fut assez considérable pour être une preuve en faveur du christianisme.
Après le critique anglais, la même thèse fut soutenue, au XVIIIe siècle, par
VOLTAIRE naturellement, et tout récemment par certains rationalistes: HOCHARD
(Études au sujet de la persécution de Néron), HAVET (Le Christianisme et ses
origines), AUBE (Histoire des persécutions de l’Église jusqu'à la fin des Antonins),
M. HARNACK (op. cit.).
Mais la thèse du grand nombre des martyrs a été suffisamment prouvée par d'autres
historiens tels que TILLEMONT dans ses Mémoires pour servir à l'histoire
ecclésiastique des six premiers siècles, par RUINART, dans ses Acta sincera
Martyrum, par LE BLANC dans son Supplément aux « Acta sincera» de Dom
RUINART, par P. ALLARD, dans son Histoire des persécutions du Ier au IVe siècle,
par G. BOISSIEK dans La fin du Paganisme, et même par RENAN dans son Histoire
des Origines du Christianisme.
Au demeurant, alors même qu'il faudrait diminuer le nombre des martyrs, le chiffre en
resterait toujours imposant, et il ne faut pas oublier que l'atmosphère de crainte et de
péril dans laquelle vivaient tous ceux qui faisaient profession d'être chrétiens,
équivalait pour ainsi dire à la mort. , Dans le passage que nous avons cité (N° 287), M.
HARNACK n'hésite pas à le reconnaître, et il confesse sans détour que là situation
des chrétiens était intolérable.
Et si nous n'arrêtions pas notre enquête aux trois premiers siècles, nous pourrions
ajouter qu'à travers sa longue histoire- l'Église a toujours eu des martyrs, et que le
témoignage du sang ne lui a jamais fait défaut. Qu'on consulte les Annales de la
Propagation de la Foi des cinquante dernières années, et l'on pourra lire le récit du
martyre de nombreux chrétiens, missionnaires et laïques, qui sont tombés pour la foi
du Christ, au Japon, en Chine, en Cochinchine, au Tonkin, en Mongolie, dans
l'Ouganda, etc.
b) Tortures physiques. Les tortures physiques n'étaient pas moindres que les tortures
morales. Depuis l'arrestation jusqu'à l'exécution, il arrivait fréquemment que les
malheureux accusés devaient passer par les plus rudes épreuves. Jetés dans d'affreuses
geôles où ils étaient chargés de lourdes chaînes, ayant parfois les jambes emboîtées
dans des blocs de bois munis de trous (neivus) et tenues dans un écart douloureux,
297. — 2° Mais, répliquent encore les rationalistes, toutes les religions ont leurs
martyrs. L'hindou, le musulman, le protestant peuvent donc, tout aussi bien et pour les
mêmes motifs que le catholique, se réclamer de leurs martyrs en faveur de la divinité
de leur religion[250].
Réponse. — Si toute mauvaise cause peut avoir des partisans capables de mourir pour
elle, si l'on a vu des pétroleurs tomber bravement en criant : Vive la Commune, des
nihilistes et des anarchistes se faire tuer pour leurs idées révolutionnaires, à plus forte
raison toute religion, même fausse, peut avoir ses martyrs. Sur ce point comme sur
bien d'autres, rien n'empêche qu'il y ait ressemblance entre la vraie et les fausses
religions. Tout n'est pas erreur dans les religions fausses, et tout n'est pas mauvais on
Ces concessions une fois faites, qui oserait prétendre qu'il y ait équivalence entre
l'histoire du martyre chrétien et celle des autres religions! Qu'on compare, non pas
seulement quelques martyrs entre eux, mais qu'on regarde l'ensemble, et l'on verra que
jamais, à nulle époque de l'histoire, aucune religion n'a donné tant d'exemples de
constance et de courage devant la souffrance et la mort. Le fait du miracle moral, ce
n'est donc pas dans quelques cas isolés que nous le voyons ; c'est dans cette multitude
d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui vont au devant des plus affreuses
tortures et que l'on doit même parfois retenir, qui supportent la douleur sans pousser
une plainte et sans prononcer une parole de désaveu. Non, jamais aucune religion n'a
donné autant de marques de virilité, n'a manifesté un héroïsme aussi pur, aussi
universel, aussi persévérant. Et cela nous suffit pour ne pas douter que Dieu était avec
la religion chrétienne et ses martyrs.
298. — Ainsi que l'indique le tableau qui précède, cette troisième Partie de
l'Apologétique se partage en trois sections.
La conclusion à laquelle nous avons abouti, dans la seconde Partie, c'est que, entre
toutes les religions actuelles qui revendiquent le nom de religion révélée, une seule
porte les marques d'origine divine ; cette religion c'est la religion chrétienne. Mais cela
ne suffit pas, et il reste à savoir où nous pouvons la trouver. Donc deux questions :
Jésus-Christ a-t-il fondé une institution quelconque, une Église dont il nous soit
possible de découvrir les traits essentiels dans l'Écriture, et à qui il ait confié le dépôt
exclusif de sa doctrine! Dans l'affirmative, — et étant donné que plusieurs sectes
prétendent être cette Église fondée par le Christ, — quelles sont les marques
auxquelles nous puissions la discerner? Quelle est la vraie Église?
DÉVELOPPEMENT
DANS LE LANGAGE DES PÈRES, le mot Église se retrouve avec les deux mêmes
sens — a) sens restreint, soit d'assemblée des fidèles : ex. Didachè (IV, 12) soit de
groupement local ou régional des fidèles: ex. première Épître de saint Clément pape
aux Corinthiens dans la suscription et XLVII, 6; — b) sens général, pour désigner
l'ensemble des fidèles appartenant à la religion chrétienne : le mot se trouve ainsi
employé dans les écrits du pape saint Clément, de saint Ignace, de saint Irénée, de
Tertullien et de saint Cyprien.
301, — Nota. — I. Il est facile de voir, par les deux notions qui précèdent, que le
concept du royaume est beaucoup plus étendu que celui de l'Église. L'Église est
quelque chose du royaume. Elle en est le côté visible et social, mais elle n'est pas tout
le royaume, celui-ci ayant deux aspects : l'aspect terrestre et l'aspect céleste ou
eschatologique (N° 299). Cependant l'Église, entendue au sens large, se confond avec
302. — II. Division du Chapitre. — Une double question doit faire l'objet de notre
étude. 1° Tout d'abord nous avons à rechercher si Jésus a pu songer à fonder une
Église : c'est la question préalable. 2° Puis, dans l'affirmative, nous aurons a établir,
d'après les documents de l'histoire, quels sont les caractères essentiels de l’Église
fondée par le Christ. D'où deux articles. Dans le premier, nous rencontrerons devant
nous les rationalistes, les protestants libéraux et les modernistes. Dans le second, nous
aurons les mêmes adversaires, et en plus, les Protestants orthodoxes et les Grecs
schismatiques.
303. — D'après les protestants libéraux et les modernistes, l'institution d'une Église ne
pouvait pas être dans la pensée de Jésus, la prédication du Sauveur n'ayant d'autre but
que l'établissement du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu, en effet, tel que nos
adversaires le conçoivent, est incompatible avec la notion catholique de l'Église. Le
royaume de Dieu prêché par Jésus serait: — 1. un royaume purement spirituel, d'après
les uns (SABATIER, STAPFER, HARNACK) ; — 2. un royaume uniquement
eschatologique, d'après les autres (M. LOISY). NOUS allons examiner ces deux
systèmes, et nous montrerons qu'ils sont une interprétation incomplète, et par
conséquent fausse, de la pensée et de l'œuvre de Jésus.
RÉFUTATION.
justice du nouveau royaume où les vertus intérieures telles que l'humilité, la chasteté,
la charité, le pardon des injures, occupent la première place.
Mais, ces justes concessions une fois faites, s'ensuit-il qu'il y ait lieu de conclure, avec
HARNACK, que le royaume de Dieu annoncé et établi par le Christ, soit un royaume
purement individuel, une société invisible composée des âmes justes, et qu'il n'ait
aucun caractère collectif et social ? Est-on même en droit de prétendre que la
perfection intérieure doit être considérée comme l’essence du christianisme, parce que
seule elle est l'œuvre du Christ? Il semble bien que non, et il y a dans cette manière de
voir un sophisme que M. LOISY a relevé dans les termes suivants. « II y aurait, dit-il,
peu de logique à prendre pour l'essence totale d'une religion ce qui la différencie
d'avec une autre. La foi monothéiste est commune au judaïsme, au christianisme et à
l'islamisme. On n'en conclura pas que l'essence de ces trois religions doive être
cherchée en dehors de l'idée monothéiste. Ni le juif, ni le chrétien, ni le musulman
Du reste, la chose apparaît tout à fait évidente si l'on prend soin de remettre le langage
de Jésus dans les conditions de milieu et d'idées dans lesquelles il a été tenu. Si le
Sauveur insiste tout particulièrement sur l'idée de perfection intérieure et de rénovation
spirituelle, c'est qu'il doit corriger les conceptions fausses des Juifs. Ceux-ci attendent
un royaume temporel ; ils se sont attachés dans les prophéties à l'élément secondaire
(V. Nos 248 et 253) et ils croient à la restauration du royaume d'Israël. Le Messie veut
donc redresser leurs conceptions fausses et leur faire comprendre que le royaume de
Dieu qu'il est venu établir, n'est nullement un royaume temporel, qu'il n'est pas le
triomphe d'une nation sur les autres, mais un royaume qui s'adresse à tous les peuples
et dans lequel aura accès tout homme de bonne volonté qui pratique les vertus morales
et intérieures.
Que le royaume ne soit pas purement spirituel, qu'il ait au contraire un caractère
collectif et social, c'est ce qui ressort surtout de nombreuses paraboles, qui sont, on le
sait, une des formes les plus ordinaires sous lesquelles Jésus donne son enseignement.
Il est clair, par exemple, que les paraboles où Notre-Seigneur compare le royaume au
champ du père de famille sur lequel poussent à la fois le bon grain et l'ivraie (Mat.,
XIII, 24, 30), au filet du pécheur où se confondent les bons et les mauvais poissons
(Mat., XIII, 47), n'auraient aucun sens dans l'hypothèse d'un royaume purement
intérieur et spirituel.
D'autre part, le terme de royaume de Dieu ne serait-il pas bien impropre s'il fallait
l'entendre du règne de Dieu dans l'âme individuelle? Ce n'est plus en effet d'un
royaume qu'il s'agirait, mais d'autant de royaumes qu'il y aurait d'âmes.
Les partisans de ce système s'appuient, il est vrai, pour prouver leur thèse, sur ce texte
de saint Luc (XVI, 20) « Ecce regnum Dei intra vos est » qu'ils traduisent ainsi : « Le
royaume de Dieu est en vous. » Mais ce texte comporte un autre sens, et il semble plus
juste et plus en rapport avec le contexte de traduire : « Le royaume de Dieu est au
milieu de vous. » D'après saint Luc, en effet, ce sont les pharisiens qui interrogent
Notre-Seigneur. Comme ils lui demandent quand viendra le royaume de Dieu, il leur
répond : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne
dira point : Il est ici, ou : il est là ; car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de
vous. » Ainsi remise dans son cadre, la parole de Jésus paraît plutôt contredire le
système d'un royaume purement intérieur que de le favoriser. S'adressant à des
pharisiens qui étaient incrédules, qui, du fait qu'ils rejetaient l'Évangile, se mettaient en
Conclusion. — De la correcte interprétation du texte de saint Luc, ainsi que des raisons
qui précèdent, il résulte donc que le royaume de Dieu ne peut être considéré comme un
royaume purement spirituel, qu'il est au contraire collectif et social, et qu'on ne peut
induire de là que Jésus n'ait jamais songé à fonder une Église visible.
RÉFUTATION.
final.
L'on pourrait se demander ce que M. LOISY fait des textes évangéliques qui
rapportent l'institution de l'Église. C'est bien simple. Comme les protestants libéraux, il
les déclare sans valeur pour l'historien, et il en donne comme raison que « les textes
qui concernent véritablement l'institution de l'Église sont des paroles du Christ glorifié
». Ces textes seraient donc des produits de la pensée chrétienne. Et M. LOISY conclut
que « l'institution de l'Église par le Christ ressuscité n'est pas un fait tangible pour
l'historien»[256].
307. — 2° Réfutation. — N'ayant d'autre objectif que de préparer les âmes à la venue
imminente du royaume des cieux et à sa parousie, le Christ ne pouvait songer à
organiser une société durable : telle est l'idée maîtresse du système de M.Loisy. Or
nous allons prouver que, pour soutenir une thèse aussi absolue, il est nécessaire de se
livrer à un découpage de textes que rien n'autorise, et procéder à un choix inadmissible
ou à une interprétation fantaisiste des passages de l'Évangile qui s'appliquent à l'Église.
Considérons d'abord le point de départ Est-il vrai que les contemporains de Jésus
n'aient eu d'autre idée que l'établissement du règne définitif de Dieu? Comme l'a fort
bien démontré le P. LAGRANGE[257], l'on peut distinguer au contraire dans la
littérature de l'époque deux manifestations de la pensée juive : celle que l'on trouve
dans les apocalypses et celle des rabbins. Or, pas plus dans l'une que dans l'autre, le
règne messianique n'est identifié avec le règne final de Dieu ; ni d'un côté ni de l'autre
l'on ne se désintéresse de l'avenir d'Israël en ce monde. Il y a toutefois cette différence
entre les deux que les auteurs apocalyptiques insistaient beaucoup plus sur le royaume
eschatologique tandis que les rabbins, dans leur concept du règne messianique,
attachaient une part plus importante au monde présent. Si, par conséquent, Jésus avait
adopté les idées des apocalypses et n'avait voulu prêcher qu'un royaume purement
eschatologique, il n'aurait pas manqué de corriger les croyances des rabbins Or cela, il
ne l'a pas fait. De l'examen impartial des Évangiles il résulte au contraire que le
Sauveur présente le royaume comme devant avoir une double phase : une phase
Mais c'est surtout dans les paraboles que l'enseignement de Jésus transparaît le plus.
Le royaume y est représenté comme une réalité déjà existante et concrète, comme un
royaume destiné à grandir et à se développer, — parabole du grain de sénevé (Mat.,
XIII, 31, 35; Marc, IV, 30, 32), — comme un royaume comportant le mélange des
bons et des méchants, — paraboles du bon grain et de l'ivraie (Mat., XVIII, 24, 30), du
filet qui ramasse des poissons de toutes sortes, bons et mauvais (Mat., XIII 47, 50), des
vierges sages et des vierges folles (Mat., XXIV, 1, 18). Autant de caractères qui ne
sont pas applicables au royaume eschatologique et qui ne peuvent convenir qu'à un
royaume déjà formé, susceptible de s'étendre et de se perfectionner, préparatoire à une
autre forme de royaume qui, elle, sera la forme; définitive, où le bon grain seul sera
engrangé, où le tri entre les bons et les mauvais poissons sera chose faite, et d'où les
vierges folles seront exclues.
Tout cela serait juste, répliquent alors les partisans du système eschatologique, si les
textes allégués pour prouver l'annonce d'un royaume terrestre étaient authentiques.
Mais, ils ne le sont pas. Ils ont été introduits dans la trame évangélique par la première
génération chrétienne qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique attendu, n'a
pas craint de travestir 1 enseignement du Sauveur pour mettre sa pensée et ses paroles
en harmonie avec les faits. Qu'il y ait dans les Évangiles deux séries de textes : l'une
eschatologique, l'autre non eschatologique, et que les textes qui annoncent la fin du
monde et la parousie soient incompatibles avec ceux qui parlent d'un royaume
terrestre, c'est ce que tout critique de bonne foi doit reconnaître. Mais si les deux séries
sont exclusives l'une de l'autre, il faut donc choisir entre les deux et rechercher la
tradition primitive, celle qui doit être attribuée à Jésus. Or, ajoute-t-on, il y a tout
L'objection des modernistes est plus spécieuse que solide. Ils ont raison sans doute,
lorsqu'ils affirment qu'il y a dans les Évangiles deux séries de textes, mais sont-ils en
droit de conclure que ces deux séries sont exclusives l'une de l'autre? N'y a-t-il pas
plutôt un moyen de les concilier? Le nœud du problème est là. Si Jésus a annoncé la
fin du monde et l'avènement du royaume eschatologique comme des choses
imminentes, il y a sans contredit opposition entre les deux séries de textes. Jésus qui se
serait mépris si gravement en montrant le royaume eschatologique dans un avenir tout
proche, ne pourrait plus être l'auteur de la série non eschatologique. Mais la question
Quant aux passages qui déclarent imminente la venue du Fils de l'homme sur les nuées
du ciel (Mat., XVI, 28 ; XXVI, 64 ; Marc, IX, 1 ; Luc, IX, 27 ; XXII, 69), il est permis
d'entendre par là la prédiction de l'admirable essor que prendra bientôt le règne
messianique et dont la génération à laquelle Notre-Seigneur s'adresse sera
témoin[258]. Ainsi interprétés, ces textes se sont vérifiés à la lettre, vu que la diffusion
de la religion chrétienne s'est faite avec une merveilleuse rapidité.
Les Protestants orthodoxes, que nous avons désormais devant nous, soutiennent la
première hypothèse. Ils n'admettent pas que Jésus ait créé une autorité vivante. Les
vérités à croire, les préceptes à suivre et les moyens de sanctification, tout serait
abandonné à l'appréciation subjective de chaque croyant. Entre Dieu et la conscience
Jésus n'aurait placé aucun intermédiaire obligatoire. Que si on leur demande alors
pourquoi ils se groupent et tiennent des réunions; ils répondent que c'est tout
simplement pour prier en commun, pour lire et commenter l'Évangile, pour pratiquer
les rites du baptême et de la cène, et pour s'édifier mutuellement dans l'amour de Dieu
et la charité fraternelle mais non pour obéir à une autorité constituée. C'est d'ailleurs
sur l'histoire que les Protestants entendent appuyer leur point de vue. Nous verrons
plus loin comment ils expliquent la création d'une hiérarchie, et partant, les origines
du catholicisme (V. N° 312).
Contre de telles affirmations il s'agit donc de prouver que Jésus a institué une
hiérarchie permanente, — le collège des Douze et leurs successeurs, — à la tête de
laquelle il a placé un chef unique, Pierre et ses successeurs : hiérarchie à laquelle il a
octroyé une autorité gouvernante, revêtue d'une divine garantie: l’infaillibilité
doctrinale. Pour mieux atteindre notre but, nous décomposerons les questions dans les
propositions suivantes. Nous prouverons : 1° que Jésus a fondé une hiérarchie en
conférant aux Apôtres le triple pouvoir d'enseigner, de régir et de-sanctifier, qu'il a
donc constitué une autorité vivante ; — 2° que cette hiérarchie est permanente, le
triple pouvoir des Apôtres devant se transmettre à leurs successeurs ; — 3° que, à la
tête de la hiérarchie, il a placé un chef unique (primauté de Pierre et de ses
successeurs) ; — 4° qu'il a garanti la conservation intégrale de sa doctrine en octroyant
à l'Eglise enseignante le privilège de l'infaillibilité. D'où quatre paragraphes.
309. — État de la question. — a) Les Protestants orthodoxes, avons-nous dit (N° 308),
n'admettent pas que Jésus ait constitué à la tête de son Église une autorité vivante,
mais ils concèdent l'historicité et même l'inspiration des textes évangéliques invoqués
par les catholiques en faveur de leur thèse. — b) Au contraire, les rationalistes, les
Protestants libéraux et les modernistes rejettent l'authenticité de ces textes. Ils pré-
tendent qu'ils sont dus à un travail postérieur et rédactionnel d'auteurs inconnus et
auraient été introduits dans la trame évangélique après les événements, c'est-à-dire au
moment où l'institution d'une Église hiérarchique était un fait accompli.
La thèse catholique s'appuie donc sur un double argument: — 1. sur un argument tiré
des textes évangéliques que nous sommes en droit d'invoquer contre les Protestants
orthodoxes, et — 2. sur un argument historique, où nous aurons à réfuter la fausse
conception des libéraux et des modernistes sur les origines de l'Église hiérarchique.
A. CHOIX DES « DOUZE ». — Tous les Évangélistes sont d'accord pour témoigner
que, parmi ses disciples, Jésus en choisit douze qu'il nomme ses Apôtres (Mat., X, 2,
4 ; Marc, III, 13, 19 ; Luc, VI, 13, 16 ; Jean, I, 35 et suiv.), qu'il instruit d'une façon
toute particulière, à qui il dévoile le sens des paraboles qui restent incomprises de la
foule (Mat., XIII, 11), qu'il associe déjà à son œuvre en les envoyant prêcher le
royaume de Dieu aux fils d'Israël (Mat., X, 5, 42 ; Marc, VI, 7, 13 ; Luc, IX, 1,6).
b) Le pouvoir qu'il avait d'abord promis, Jésus le confère, peu de jours avant son
Ascension, au collège des Douze, alors devenu le collège des Onze par la défection de
Judas : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre, leur déclare-t-il.
Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je
suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » (Mat., XVIII, 19,20). Ainsi le
Christ accorde à ses Apôtres le triple pouvoir: — 1. d'enseigner : « Allez, enseignez
toutes les nations » ; — 2. de sanctifier, par les rites institués à cet effet, en particulier,
par le baptême ; — 3. de gouverner, puisque les Apôtres devront apprendre au monde
à garder ce que Jésus a commandé.
Et qu'on n'objecte pas encore que ce texte n'a aucune valeur sous prétexte que les
paroles et les actes du Christ ressuscité ne peuvent être contrôlés par l'historien. Le
préjugé rationaliste serait manifeste. Du moment en effet que la Résurrection peut être
démontrée comme un fait historique et qu'elle est une réalité dont les Apôtres ont
acquis la certitude, il y aurait autant de parti-pris à rejeter les paroles du Christ ressus-
cité que la résurrection elle-même. Du reste, les paroles du Christ ressuscité sont si
bien liées avec les paroles de la promesse, que contester les unes c'est contester les
autres, et que nier les unes et les autres c'est rendre inexplicable la conduite des
Apôtres qui, après la mort de leur Maître, revendiquèrent le triple pouvoir ci-dessus
mentionné.
2. Les documents qui servent à l'étude du christianisme naissant sont les Actes des
Apôtres[260], les Épîtres de saint Paul[261], et pour la période sub-apostolique (c'est-
à-dire pour les trois générations qui suivent les Apôtres) les écrits des Pères et des
écrivains ecclésiastiques.
2. Est-il vrai, comme on l'affirme bien légèrement, que les Apôtres trompés par la
prédication de Jésus et attendant la venue prochaine du royaume eschatologique, ne
purent songer, pas plus que leur Maître, à une institution durable? S'il en était ainsi, si
les Apôtres et les premiers chrétiens avaient été vraiment convaincus que le Christ leur
avait annoncé l'imminence du royaume final, si tel était le dogme essentiel de leur foi,
comment expliquer que cette première communauté ne se soit pas dissoute, dès que les
faits lui démontrèrent que Jésus avait enseigné une erreur ? La chose paraît si évidente
que des historiens libéraux, tels que Harnack, reconnaissent que l'Évangile était plus
que cela, qu'il était quelque chose de nouveau, à savoir « la création d'une religion
universelle fondée sur celle de l'Ancien Testament ».
3. Dire que les charismes ont fourni les premiers éléments d'organisation, est une
hypothèse aussi dénuée de fondement. N'est-il pas évident, — et le fait n'est-il pas
d'expérience quotidienne? — que l'inspiration individuelle n'aboutit jamais qu'à
l'anarchie? RENAN lui-même n'hésite pas à l'avouer. « La libre prophétie, écrit-il
dans Marc Aurèle, les charismes, la glossolalie, l'inspiration individuelle, c'était plus
qu'il n'en fallait pour tout ramener aux proportions d'une chapelle éphémère, comme
on en voit tant en Amérique et en Angleterre. »
4. Il n'est pas plus juste de prétendre que les premières communautés chrétiennes
n'eurent aucune autonomie et qu'elles n'étaient guère distinctes des synagogues ou des
associations païennes. Sans doute, sur certains points secondaires, des concessions
furent faites d'un côté comme de l'autre : c'est ainsi que les communautés composées
exclusivement de Juifs convertis, « les judaïsants » furent autorisés à garder la pratique
de la circoncision, tandis que les païens étaient admis au baptême sans passer par le
judaïsme. Il fallait bien ménager les transitions. Mais ce qui n'en est pas moins vrai,
c'est que le christianisme apparaît dès les premiers jours, comme une religion distincte,
6. Quant à l'influence attribuée au Symbole des Apôtres pour créer l'unité de foi de
l'Église et pour réagir contre les hérésies naissantes, rien n'est plus contestable. Il n'est
pas probable en effet que le texte romain qui était la profession de foi baptismale
commune à Rome et aux églises de Gaule et d'Afrique, au temps de saint Irénée et
même avant, fût imposé aux églises de la chrétienté grecque. Il y a tout lieu de croire
même que celles-ci n'ont possédé aucun formulaire commun de leur foi avant le
concile de Nicée (325). L'on ne peut donc soutenir que ce fut le symbole romain qui
fut cause d'unité.
Les rationalistes supposent que le Symbole des Apôtres aurait été rédigé à l'occasion
des hérésies naissantes, en particulier du gnosticisme et du montanisme. Or il n'y a
dans cette formule de foi aucune préoccupation antignostique, et les articles s'en
retrouvent équivalemment dans des écrits antérieurs à l'hérésie gnostique, par exemple
chez les apologistes comme saint Justin (vers 150), Aristide (vers 140) et saint Ignace
(vers 110) ; on peut même dire que, tout au moins dans leur substance, ils font partie
déjà de la littérature chrétienne de l'âge apostolique. A plus forte raison, le Symbole
romain est-il indépendant du montanisme qui est une hérésie plus tardive et qui ne
pénétra guère dans le monde chrétien d'Occident avant 180 : date à laquelle la formule
du Symbole était déjà rédigée, de l'avis de nos adversaires.
Conclusion. — De cette longue discussion, il résulte bien que l'Église chrétienne est,
au début de son existence, une société hiérarchisée, entendue au sens de la doctrine
catholique (N° 300). Ce que les rationalistes appellent l'âge précatholique est un
mythe. Mais si les Apôtres, aussitôt après l'Ascension de leur Maître, parlent et
agissent en chefs, c'est qu'ils s'en croient le droit et les pouvoirs. Et s'ils se croient en
possession de tels pouvoirs, c'est, selon toute vraisemblance, qu'ils les ont reçus de
Jésus-Christ. Par conséquent, les textes de l’Évangile concordent avec les faits de
l'histoire, et l'on ne voit plus, dès lors, de quel droit nos adversaires peuvent prétendre
qu'ils ont été interpolés. C'est donc à juste titre que nous avons appuyé notre thèse sur
un double argument, sur l'Évangile et sur l'histoire.
316. — État de la question. — Nous avons établi, dans le paragraphe précédent, que
Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique du fait qu'il a institué une autorité
enseignante et gouvernante dans la personne des Apôtres. Il s'agit maintenant de savoir
si la juridiction conférée aux Apôtres était transmissible, et, dans le cas affirmatif, à
qui la succession devait échoir.
Ici encore deux thèses sont en présence : la thèse rationaliste et la thèse catholique. —
a) D'après la première, la hiérarchie n'étant pas d'institution divine, la question de la
transmission de la juridiction apostolique ne se pose pas. C'est seulement le besoin qui
aurait créé l'organe ; l’épiscopat serait une institution purement humaine. Nous
verrons plus loin à quelles circonstances les rationalistes en attribuent l'origine. — b)
1° Argument tiré des textes évangéliques. — Les textes de l'Évangile doivent nous
servir à traiter la question de droit, qui est de savoir si l'autorité apostolique était
transmissible. Or la chose paraît découler, d'une manière évidente, des textes déjà
invoqués, et en particulier, des paroles par lesquelles .Notre-Seigneur met les Apôtres
à la tête de son Église. Ne leur dit-il pas en effet : « Allez, enseignez toutes les nations,
les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout
ce que je vous ai commande : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin
du monde »? (Mat., XXVIII, 20). Jésus donne à ses Apôtres la mission de prêcher
l'Évangile à toute créature, de baptiser et de régir son Église jusqu'à la fin du monde.
Voilà une tâche qui ne saurait être remplie par ceux à qui elle est confiée. Il suit donc
de là que les pouvoirs conférés aux Apôtres n'ont pu être limités ni dans l'espace ni
dans le temps, et que, par conséquent, dans la pensée du Christ, ils devaient se
transmettre aux successeurs des Apôtres.
b) La distinction établie entre les deux classes d'ouvriers[270] qui travaillent à l'œuvre
chrétienne, entre ce qu'on a appelé la hiérarchie itinérante et la hiérarchie stable, n'est
pas contestable. Mais c'est à tort que les rationalistes y cherchent une preuve contre
l'origine divine de l’épiscopat, comme nous allons le voir dans la discussion du
troisième article de leur thèse.
c) Avec le troisième point où l'on tente d'expliquer les origines de l'épiscopat par une
série de crises et de transformations, nous arrivons au cœur de la question. On prétend
qu'il n'y avait, au début, aucune institution de l'épiscopat et on en donne comme
preuves : — 1. que les deux termes episcopi et presbyteri sont équivalents, et — 2. que
l'histoire ne mentionne aucun exemple d'évêque monarchique constitué par un apôtre
et auquel il ait transmis la totalité ou une partie de ses pouvoirs.
Réponse. — 1. Que les mots episcopi et presbyteri aient été d'abord synonymes, la
chose paraît bien évidente. Ainsi, —pour ne donner qu'un exemple, — saint Paul écrit
dans sa Lettre à Tite : « Je t'ai laissé en Crète, afin que tu achèves de tout organiser, et
que, selon les instructions que je t'ai données, tu établisses des presbytres dans chaque
ville. Que le sujet soit d'une réputation intacte... Car il faut que l’évêque soit irrépro-
chable, en qualité d'administrateur de la maison de Dieu» (Tit., I, 5, 7). Il est apparent
que dans ce passage, les deux mots presbytre et évêque sont employés indistinctement
l'un pour l'autre.
2. Il est vrai encore que. au premier abord, nous ne retrouvons pas les traces de
l’évêque monarchique, tel qu'il existera par la suite. Les presbytres ou épiscopes, que
les Apôtres mettent à la tête des communautés fondées par eux, forment un conseil, le
presbyterium, chargé de gouverner l'église locale (Act., XV, 2, 4 ; XVI, 4 ; XXI, 1.8).
On nous dit que les pouvoirs étaient attachés aux charismes, et que, pour cette raison,
ils n'étaient pas transmissibles, les charismes étant incommunicables. Sans nul doute,
les charismes étaient des dons de circonstance, des dons personnels, venant
directement de l'Esprit, donc incommunicables. Mais il ne faut pas confondre pouvoirs
apostoliques et charismes. Si ceux-ci ont accompagné ceux-là, ils n'en ont pas été le
principe. Les charismes étaient des signes divins qui appuyaient l'autorité, mais ils ne
la constituaient pas. Les Apôtres avaient donc reçu de Jésus-Christ des pouvoirs
indépendants des charismes, donc transmissibles. Consultons maintenant les faits et
voyons s'ils les ont transmis. — 1. Interrogeons tout d'abord les Épîtres de saint Paul.
Elles nous apprendront que, tout en se réservant l'autorité suprême dans les Églises
qu'il fondait (I Cor, V, 3 ; VII, 10, 12 ; XIV, 27, 40 ; II Cor., XIII, 1, 6), saint Paul
confie parfois ses pouvoirs à des délégués. Ainsi il commissionne Timothée pour
instituer le clergé à Éphèse ; il lui donne les pouvoirs d'imposer les mains et
d'appliquer la discipline (I Tim., V, 22). De même, il écrit à Tite ces mots que nous
avons cités plus haut : « Je t'ai laissé en Crète, afin que tu achèves de tout organiser...
» (Tit., I, 5). Timothée et Tite reçoivent donc la mission d'organiser- les églises et les
pouvoirs d'imposer les mains, c'est-à-dire les pouvoirs épiscopaux. — 2. La première
lettre de Clément de Rome à l'Église de Corinthe nous apporte encore un exemple très
précieux de la transmission des pouvoirs apostoliques. La lettre de CLÉMENT était
destinée à rappeler à l'ordre la communauté de Corinthe qui avait destitué des prêtres
de leurs fonctions. Dans ce but, il leur déclare que, de même que Jésus-Christ a été
envoyé par Dieu, les Apôtres par Jésus-Christ, de même des prêtres et des diacres
furent établis par les Apôtres : on leur doit, de ce fait, la soumission et l'obéissance. ,
Après quoi il conclut que « ceux qui furent établis par les Apôtres, ou après, par
d'autres hommes illustres, avec l'approbation de toute l'Église... ne peuvent être démis
de leurs fonctions sans injustice. » On ne saurait proclamer plus clairement le principe
et le fait de la transmission des pouvoirs apostoliques. Qu'est-ce que ces hommes
illustres qui ont établi des prêtres et des diacres, sinon les délégués ou les successeurs
des Apôtres? Ces successeurs ne portent pas encore le nom d'évêques : ce sont des
hommes illustres, faisant partie, comme les Apôtres, du clergé itinérant et jouant le
rôle d'évêques. Qu'importe que le titre fasse défaut, du moment que la fonction existe1?
3. Considérons maintenant l'Église du IIe siècle. Nous venons de découvrir, dès l'âge
apostolique, le germe de l'épiscopat. Tout au début du IIe siècle, nous allons en
constater l'éclosion. L'existence de l'épiscopat monarchique nous est attestée par de
nombreux témoignages : — 1) Témoignage de saint Jean. Au début de son
Apocalypse, saint JEAN écrit qu'il va rapporter ses révélations sur les « sept Églises
qui sont en Asie : à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie
On objecte contre l'historicité de ces listes épiscopales, que les noms des évêques
varient de catalogue à catalogue, et que la liste de saint IRÉNÉE diffère de la liste du
catalogue « Libérien» dressé, en 354, par PHILOCALUS, sous le pape Libère. — II
est vrai qu'il y a entre les deux listes quelque divergence : ainsi le catalogue « Libérien
» fait suivre Lin immédiatement de Clément et dédouble Anenclet en Clet et Anaclet.
De telles variantes sont assez minimes pour qu'on n'y attache pas une trop grande
importance, et il y a par ailleurs tout lieu de croire qu'elles sont le fait des copistes.
Conclusion. — Nous pouvons donc tirer de ce qui précède les conclusions suivantes:
— 1. Des textes de l'Évangile et des documents de la primitive Église il résulte que les
319. Nous avons démontré, dans les deux paragraphes précédents, que l'Église fondée
par Jésus-Christ n'est pas une démocratie qui comporte l'égalité des membres, qu'elle
est une société hiérarchique où il y a des chefs qui détiennent leurs pouvoirs, non du
peuple chrétien, mais de droit divin. Une autre question se pose encore. l’autorité
souveraine qui appartient à l'Église enseignante réside-t-elle dans le corps des Evêques
ou dans un seul de ses membres? L'Église est-elle une oligarchie ou une monarchie
[272]? A la tête de son Eglise Jésus-Christ a-t-il constitué un chef suprême? La
négative est soutenue par les Protestants et les Grecs schismatiques. Cependant ces
derniers et un certain nombre d'Anglicans concèdent que Pierre reçut une primauté
d'honneur et non une primauté de juridiction[273]. Les catholiques prétendent le
contraire. Ils affirment que Jésus-Christ a conféré la primauté de juridiction à saint
Pierre, et dans sa personne, à ses successeurs. Les deux points de la thèse catholique
que nous devons établir séparément, s'appuient sur un argument tiré des textes
évangéliques et sur un argument historique.
De ce texte trois choses doivent être relevées, qui vont à la démonstration de la thèse
catholique : — a) Tout d'abord il convient de remarquer que Jésus change le nom de
Simon en celui de Pierre. Or le changement de nom est, d'après l'usage biblique, le
signe d'un bienfait. Ainsi, Abram fut appelé Abraham, lorsque Dieu voulut contracter
alliance avec lui et le désigner comme le père des croyants (Gen., XVII, 4, 5). — b)
Dans le cas présent, le nouveau nom, donné à Simon, symbolise la mission dont Jésus
veut le revêtir. Simon s'appellera désormais Pierre, parce qu'il doit être la pierre[274],
la roche sur laquelle Jésus veut fonder son Église[275]. Ce qu'est le rocher par rapport
à l'édifice, Pierre le sera par rapport à la société chrétienne, à l'Eglise du Christ :
fondement ferme qui assurera la stabilité à toute la construction, roc inébranlable qui
défiera les siècles et sur lequel viendront se briser « les portes de l'enfer» autrement
dit, les assauts du démon. — c) Enfin les dés du royaume des deux sont remises entre
les mains de Pierre- Nous ne nous arrêterons pas aux pouvoirs de lier et de délier ; ils
ne sont pas en effet, la propriété exclusive de Pierre ; il les partage avec les autres
apôtres. Mais la remise des clés est un privilège insigne et spécial, elle confère un
pouvoir absolu. Le royaume des cieux est comparé à une maison. Or, — cela va de soi,
— seul, celui qui a les clés et ceux à qui ce dernier veut bien ouvrir, ont accès à la
maison. Voilà donc Pierre constitué le seul intendant de la maison chrétienne, l'unique
introducteur au royaume de Dieu. Inutile d'insister plus : la promesse du Christ est trop
claire pour qu'il reste un doute sur sa signification. Seul Pierre change de nom, seul il
est appelé le fondement de la future Église, seul il en recevra les clés : si les mots ont
un sens, c'est bien la primauté de Pierre qu'ils signifient.
Les adversaires objectent, suivant leur tactique habituelle, que le passage en question
est inauthentique et qu'il a été interpolé au moment où l'Église avait déjà vécu tin
certain temps et avait accompli son évolution vers la forme catholique. Ils en voient la
preuve dans ce fait que saint Matthieu est le seul à rapporter les paroles de Notre-
Seigneur.
On nous objecte, il est vrai, que saint Paul n'a pas reconnu la primauté de Pierre. —
Comment se fait-il alors que, trois ans après sa conversion, il soit venu à Jérusalem
pour le visiter (Gal., I, 18, 19). Pourquoi est-il allé à Pierre, plutôt qu'aux autres, plutôt
qu'à Jacques qui présidait à l'Église de Jérusalem? N'est-ce pas une preuve évidente
qu'il le regardait comme le chef des Apôtres? — S'il en était ainsi, réplique-t-on,
pourquoi ne le nomme-t-il pas toujours le premier? — La chose est bien simple, c'est
que saint Paul ne recense jamais ex professo le collège apostolique, et ne fait que citer
quelques noms en passant. Parfois aussi, comme au passage (I Cor., I, 12), il lui arrive
de suivre une gradation ascendante, puisque, après Pierre, il nomme le Christ.
Comme on peut le constater, le conflit est né de la fameuse question, soulevée par les
judaïsants, de savoir si la loi mosaïque avait gardé son caractère obligatoire et s'il était
exigé de passer par la circoncision pour entrer dans l'Église chrétienne. Or, — qu'on
remarque bien ce point, — les deux Apôtres ont toujours été d'accord pour répondre
que non : il n'y a donc pas eu conflit entre eux sur le terrain dogmatique. Et voici où le
litige va surgir. Il arriva que saint Pierre, pour ne pas provoquer les récriminations des
judaïsants, s'abstint de manger avec les Gentils qui s'étaient convertis sans passer par
le judaïsme.
Mais que si saint Paul attachait une telle importance à la conduite de saint Pierre,
objecterons-nous à notre tour aux rationalistes, n'est-ce pas, de toute évidence, que son
influence sur les églises était plus grande et moins incontestée? L'argument des
rationalistes retourne donc contre eux, et le conflit d'Antioche, loin de prouver contre
la primauté de Pierre, nous en apporte un nouveau témoignage.
1° Argument tiré des textes évangéliques. — Du texte de saint Matthieu (XVI, 17, 19)
invoqué précédemment pour pouvoir la primauté (N° 320), il résulte que Pierre a été
choisi pour être le fondement de toute l'Église et qu'il a reçu les clés du royaume des
cieux. Or le fondement doit durer aussi longtemps que l'édifice lui-même. Et comme
325. — Thèse II. Les successeurs de Pierre dans la primauté sont les Évêques de
Rome[278]. — Pour prouver cette thèse, il faut établir deux choses : 1° que Pierre est
venu à Rome et peut être considéré comme le premier Évêque de l'Église de Rome ; et
2° que la primauté des Évêques de Rome, ses successeurs, a toujours été reconnue
dans tonte l’Église. La question est donc tout historique.
2. Le fait de la venue et de la mort de saint Pierre à Rome était nié autrefois par les
critiques rationalistes et protestants, qui voyaient dans cette contestation un excellent
argument contre la primauté de l'Évêque de Rome. Mais la faiblesse de leurs
arguments était telle que RENAN n'hésita pas à reconnaître, dans un appendice à son
volume L'Antéchrist (1873), comme une chose « très admissible que saint Pierre fût
venu à Rome » et même à regarder « comme probable le séjour de Pierre à Rome ».
Les critiques actuels vont plus loin et ne font plus de difficultés pour soutenir le point
de vue catholique. Citons quelques lignes du plus illustre d'entre eux : « Le martyre de
Pierre à Rome, écrit M, HARNACK –(Chronologie) a été combattu jadis en vertu de
préjugés protestants tendancieux... Mais que ce fût une erreur, cela est évident
aujourd'hui pour tout chercheur qui ne s'aveugle pas. » « Aujourd'hui, dit encore le
même critique dans un Discours prononcé en 1907 devant l'Université de Berlin, nous
savons que cette venue (de Pierre à Rome) est un fait bien attesté, et que les
commencements de la primauté romaine dans l'Église remontent jusqu'au IIe siècle. »
Les voici, en suivant l'ordre régressif, et siècle par siècle, — a) Au début du IIIe siècle,
nous avons les témoignages du prêtre romain Caius et de Tertullien. — 1. CAIUS,
écrivant contre Proclus, disait : « Je puis vous montrer les monuments des apôtres. Que
vous veniez au Vatican ou sur la voie d'Ostie, vous aurez sous les yeux les monuments
des fondateurs de notre Église. » Ce passage, qui date des environs de l'an 200, prouve
qu'à cette époque on était persuadé que les tombeaux du Vatican et de la voie d'Ostie
gardaient les reliques de saint Pierre fit de saint Paul, fondateurs de l'Eglise romaine et
martyrs sous Néron. — 2. TERTULLIEN, à la même époque, discutant contre les
gnostiques, rappelle le martyre que, sous Néron, saint Pierre et saint Paul subirent à
Rome, le premier sur la croix, le second par le glaive du bourreau.
b) A la fin du IIe siècle. — 1. Saint IRÉNÉE écrivait en Gaule : « Ce sont les apôtres
Pierre et Paul qui ont évangélisé l'Église romaine... et c'est pour cela qu'entre toutes
elle est la plus antique, la plus connue, tenant des apôtres sa tradition : c'est pour cela
que chaque Église doit se tourner vers elle et reconnaître sa supériorité. » — 2.
DENYS DE CORINTHE, écrivant aux Romains, en 170, leur disait : « Venus tous
deux à Corinthe, les deux apôtres Pierre et Paul nous ont élevés dans la doctrine
évangélique ; partis -ensuite ensemble pour l'Italie, ils nous ont transmis les mêmes
enseignements, puis ont subi en même temps le martyre. »
c) Parmi les Pères apostoliques[280] nous avons les témoignages de saint Ignace et du
pape saint Clément. — 1. Saint IGNACE D'ANTIOCHE venait d'être condamné aux
bêtes et avait été envoyé à Rome pour y subir le dernier supplice. Ayant appris que la
communauté romaine avait entrepris des démarches pour le sauver, il lui écrivit de n'en
rien faire, l'adjurant en ces termes : « Ce n'est pas comme Pierre et Paul que je vous
commande ; eux, ils étaient apôtres et moi je ne suis plus qu'un condamné. » « Ces
paroles, dit Mgr DUCHESNE, ne sont pas l'équivalent littéral de la proposition : saint
Pierre est venu à Rome. Mais supposé qu'il y soit venu, saint Ignace n'aurait pas parlé
autrement ; supposé qu'il n'y soit pas venu, la phrase manque de sens. »[281] — 2.
Saint CLÉMENT. Ecrivant aux Corinthiens entre 95 et 98, il met en relief les souf-
frances des deux apôtres Pierre et Paul « qui restent chez nous le plus beau des
exemples». Ainsi saint Clément qui est romain, qui envoie sa lettre en qualité d'évêque
de Rome, insiste sur cette circonstance, que les actes d'héroïsme qu'il décrit se sont
passés sous ses yeux, que le martyre de saint Pierre et de saint Paul a été d'un grand
exemple « chez nous», c'est-à-dire à Rome.
d) Au temps des Apôtres, nous avons le témoignage de saint Pierre lui-même, qui date
de Babylone la première Épître adressée aux fidèles d'Asie (I Pierre, V, 13). Or «
Babylone, dit RENAN, désigne évidemment Rome. C'est ainsi qu'on appelait dans les
chrétientés primitives la capitale de l'Empire ».
Réponse. — Nous avons déjà observé que l'argument tiré du silence n'a de valeur que
si le point passé sous silence rentrait dans le sujet traité par l'historien et aurait dû être
mentionné par lui. Or — 1. pour ce qui concerne saint Luc, l'objection est sans
fondement pour la bonne raison que les Actes des Apôtres ne décrivent que les débuts
de l'Église chrétienne dans les douze premiers chapitres et qu'à partir du chapitre XIII,
il n'est plus question que des Actes de saint Paul. Que les Actes soient par ailleurs loin
d'être complets, c'est ce qui est bien évident ; ainsi, ils ne parlent pas non plus du
conflit d'Antioche. — 2. Il n'y a pas lieu de s'étonner davantage que saint PAUL ne
mentionne pas saint Pierre dans son Épître aux Romains : ses autres Épîtres nous
montrent qu'il n'avait pas l'habitude de saluer les évêques de la ville. Lorsqu'il écrit aux
Éphésiens, il ne parle pas non plus de Timothée, leur, évêque. — 3. JOSÈPHE déclare
qu'il a voulu passer sous silence la plupart des crimes de Néron ; s'il omet la
crucifixion de Pierre, il ne parle pas davantage de l'incendie de Rome et du meurtre de
Sénèque.
c) La primauté des Evêques de Rome est en outre attestée par ce fait qu'ils
interviennent dans les différentes Églises pour terminer les différends. Ainsi, sans
rappeler à nouveau que, à la fin du Ier siècle déjà, CLÉMENT DE ROME écrivit à
l'Église de Corinthe pour la remettre dans le droit chemin, nous verrons plus tard les
Évêques orientaux eux-mêmes, entre autres saint Athanase et saint Jean Chrysostome,
en appeler à l'Évêque de Rome pour la défense de leurs droits.
329. — Les Protestants objectent : — 1. que ceux à qui on donne le nom d'évêques
n'étaient en réalité que les présidents du presbyterium ; — 2. qu'en toute hypothèse,
leur autorité n'a pas été universellement reconnue, puisque saint Cyprien et les évêques
Réponse. — 1. Pour prouver que les Évêques n'étaient que de simples présidents du
presbyterium, on allègue ce fait que la Prima Clementis, les lettres de saint Ignace aux
Romains et le Pasteur d'Hermas ne parlent pas d'un évêque monarchique de Rome. —
Or le silence d'un écrivain sur un fait, avons-nous déjà dit, ne prouve pas
nécessairement contre l'existence de ce fait. Ainsi, en 170, Denys de Corinthe envoie
une réponse à l'église de Rome, et non à son évêque Soter, et pourtant M. HARNACK
lui-même qui fait l'objection, admet que Soter était certainement évêque monarchique.
Il importe donc peu que la première lettre de Clément aux Corinthiens ne porte pas son
nom et ait été envoyée au nom de l'Église de Rome ; il ne fait pas de doute que son
auteur est un personnage unique et n'est autre que le pape Clément. — Quant à la
lettre d’Ignace aux Romains (107) et au Pasteur d'Hermas, s'ils ne mentionnent pas
l'Évêque de Rome, il n'y a pas à en conclure que celui-ci n'existait pas, car ils ne
parlent pas davantage des presbytres et des diacres de Rome dont personne ne songe
pourtant à contester l'existence.
2. Il est vrai que saint CYPRIEN, estimant que la réitération du Baptême était surtout
disciplinaire a résisté au décret du Pape Etienne. Mais la résistance d’un homme,
même très saint et de bonne foi, ne détruit en rien le fait de cette autorité. N’a-t-on pas
vu aussi, de temps en temps, de grands évêques comme Bossuet, adhérer à des
propositions condamnées, tout en reconnaissant la primauté du Souverain Pontife ?
Conclusion. — La primauté des Évêques de Rome découle donc de ce premier fait que
saint Pierre a fixé sa chaire à Borne, et de ce second, qu'elle a toujours été reconnue
dans l'Église universelle. L'on ne peut dire dès lors que l'autorité suprême des papes
soit née de l'ambition des Évêques de Rome et de l'abdication des autres Évêques. Si
en effet les évêques avaient été d'abord égaux de droit divin, comme le prétendent les
adversaires, il y aurait eu, à un moment de l'histoire, un changement total dans là foi et
la pratique de toute l'Église. Or cela n'aurait pu se produire sans soulever des
dissensions et des réclamations sans fin, de la part des autres Évêques, qui auraient été
lésés dans leurs droits, et dont les privilèges auraient été d'autant diminués. Comme
l'histoire ne porte aucune trace d'une semblable agitation, et qu'elle ne relève des
discussions que sur des points secondaires, tels que la célébration de la fête de Pâques
et la question des rebaptisants, il faut en conclure que le principe de la primauté de
l'Évêque de Rome n'a jamais été contesté, et que l'Église universelle lui a toujours
reconnu, non pas seulement une primauté d'honneur, mais une vraie primauté de
juridiction.
330. — Nous avons vu que Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique du fait qu'il a
conféré au collège des Apôtres, et des Évêques leurs successeurs, le triple pouvoir
d'enseigner, de sanctifier et de régir. Dans ce paragraphe nous démontrerons qu'au
pouvoir d'enseigner Jésus a attaché le privilège de l'infaillibilité. Nous parlerons : 1°
du concept de l'infaillibilité ; 2° des preuves de son existence ; et 3° de ceux à qui
appartient le privilège.
Qu'une telle règle de foi soit tout à fait insuffisante, c'est ce que nous n'aurons pas de
peine à montrer. — 1. Tout d'abord comment savoir quels sont les livres inspirés, si
aucune autorité n'a été constituée pour nous en garantir l'inspiration[286], ou même s'il
n'y a personne pour nous dire que le texte que nous avons sous les yeux n'a pas été
altéré par la faute des copistes[287]. — 2. Mais, supposé qu'en dehors de là il y ait un
333. — b) Au contraire, la règle de foi catholique est un moyen sûr de nous faire
connaître la doctrine intégrale du Christ. Il est facile de voir qu'elle n'a aucun des
inconvénients du système protestant. Sans doute, le catholicisme reconnaît
l'infaillibilité de l'Écriture Sainte ; mais, à côté de cette première source de la
révélation, il en admet une seconde, non moins importante et antérieure à l'Écriture,
qui s'appelle la Tradition. Et surtout, — et c'est ce qui met un abîme entre la théorie
protestante et la théorie catholique, — celle-ci soutient que Jésus-Christ a constitué
une autorité vivante, un magistère infaillible qui, avec l'assistance de l*Esprit-Saint, a
reçu pour mission de déterminer quels sont les livres inspirés, de les interpréter
authentiquement, de puiser à cette source comme à celle de la tradition la vraie
doctrine de Jésus pour l'exposer ensuite à l'ensemble des fidèles : savants et ignorants.
Qu'il y ait entre les deux systèmes, considérés au seul point de vue de la raison, une
présomption en faveur du catholicisme, c'est ce que reconnaissent même certains
Protestants. « Le système catholique, dit SABATIER, a mis l'infaillibilité divine dans
une institution sociale, admirablement organisée, avec son chef suprême, le pape ; le
Cette seconde proposition s'appuie sur les textes de l'Écriture, sur la conduite des
Apôtres et sur la croyance de l'antiquité chrétienté : — a) Sur les textes de l'Écriture.
Ces textes, nous les avons déjà passés en revue. A Pierre spécialement il a été promis
que « les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre l'Église » (Mat., XVI, 18) ; à tous
les Apôtre » Jésus a également promis par deux fois de leur envoyer l'Esprit de vérité
(Jean, XIV, 16 ; XV, 26) et d'être lui-même avec eux jusqu'à la fin du monde (Mat.,
XXVIII, 20). De telles promesses, si elles ont un sens, signifient bien que l'Église est
indéfectible, que les Apôtres et leurs successeurs ne pourront errer lorsqu'ils
enseigneront la doctrine chrétienne, car il est évident que l'assistance du Christ ne
saurait être vaine et que là où est l'Esprit de vérité, il n'y a pas possibilité d'erreur ; —
b) sur la conduite des Apôtres. De l'enseignement des Apôtres il ressort qu'ils ont eu
conscience d'être assistés de l'Esprit divin. Le décret du concile de Jérusalem débute
par ces mots : « II a semblé bon à l'Esprit Saint et à nous» (Act., XV, 28). Les Apôtres
donnent leur prédication « non comme parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est
véritablement, comme une parole de Dieu» (I Thess., II, 13), à laquelle il faut accorder
un plein assentiment (II Cor., X, 5) et dont il convient de garder précieusement le
dépôt (I Tim., VI, 20). Bien plus, ils confirment la vérité de leur doctrine par de
nombreux miracles (Act., II, 43 ; III, 1, 8 ; V, 15 ; IX, 34) : preuve évidente qu'ils
étaient des interprètes infaillibles de l'enseignement du Christ, sinon Dieu n'aurait pas
mis à leur usage sa puissance divine ;
— 1. Dans la première moitié du IIIe siècle, ORIGÈNE répond aux hérétiques qui
allèguent les Écritures, qu'il faut s'en rapporter à la tradition ecclésiastique et croire ce
qui a été transmis par la succession de l'Église de Dieu. TERTULLIEN dans son traité
« De la prescription» oppose aux hérétiques l'argument de prescription[289] et
affirme que la règle de foi est la doctrine que l'Église a reçue des Apôtres. — 2. A la
fin du second siècle, saint IRÉNÉE, dans sa lettre à Florin et dans son Traité contre
les hérésies, présente la Tradition apostolique comme la saine doctrine, comme une
Cependant il y a une distinction à établir entre les Apôtres et les Évêques. Les Apôtres
avaient comme champ d'action tout l'univers, la parole de Notre-Seigneur : « Allez,
enseignez toutes les nations » ayant été adressée à eux tous. Ils étaient donc
missionnaires universels de la foi : partout ils pouvaient prêcher l'Évangile en docteurs
infaillibles. Les Évêques, au contraire ne peuvent être considérés comme les
successeurs dés Apôtres que pris dans leur ensemble ; chaque Évêque n'est pas le
successeur de chaque Apôtre. Ils ne sont les chefs que d'une région déterminée, dont
l'étendue et les limites sont fixées par le Pape. Ils n'ont donc pas hérité
Il n'est pas besoin d'insister pour prouver que l'infaillibilité de Pierre est passée à ses
successeurs. Ce que Pierre devait être pour l'Église naissante, ses successeurs devront
encore l'être dans la longue série des siècles, car, à tout moment de son histoire,
l'Église ne pourra remporter la victoire sur les entreprises de Satan que si le fondement
sur lequel elle repose garde la même fermeté.
337. — B. ARGUMENT HISTORIQUE. — Pour prouver par l'histoire que les papes
ont toujours joui du privilège de l'infaillibilité, il suffit de montrer que ce fut toujours
la croyance de l'Église et qu'en fait les papes n'ont jamais erré sur les questions de foi
et de morale. — a) Croyance de l'Eglise. Évidemment la croyance de l'Église ne s'est
pas traduite de la même façon dans tous les siècles. Il y a eu, si l'on veut, quelque
développement dans l'exposé du dogme et même dans l'usage de l'infaillibilité
pontificale. Le dogme n'en remonte pas moins à l'origine, et nous le trouvons en germe
dans la Tradition la plus lointaine. La chose nous est attestée par le sentiment des Pères
et des conciles, et par les-faits : — 1. Sentiment des Pères. Ainsi au IIe siècle, saint
IRÉNÉE déclare que toutes les Églises doivent être d'accord avec celle de Rome qui
seule possède la vérité intégrale. Saint CYPRIEN dit que les Romains sont « assurés
dans leur foi par la prédication de l'Apôtre et inaccessibles à la perfidie de l'erreur».
Pour mettre fin aux controverses qui déchiraient l'Orient, saint JÉRÔME écrit au pape
b) Les papes n'ont jamais erré sur les questions de foi et de morale. Ceci est le point
important de l'argument historique, car si nos adversaires pouvaient nous prouver que
certains papes ont enseigné et défini l'erreur, l'infaillibilité de droit serait plus que
compromise. Or les historiens rationalistes et protestants prétendent précisément qu'ils
sont en mesure de nous donner ces preuves de faillibilité. Les principaux cas qu'ils
invoquent sont ceux du pape LIBÈRE qui serait tombé dans l'arianisme, d'Honorius
qui aurait enseigné le monothélisme, de PAUL V et URBAIN VIII qui condamnèrent
Galilée. Comme la question de Galilée sera traitée plus loin, nous ne retiendrons ici
que les deux premiers cas.
Réponse. —A. Exposé des faits. — Rappelons brièvement les faits. En 355, l'em-
pereur Constance, favorable à l'arianisme, avait enjoint au pape LIBÈRE de souscrire à
la condamnation d'ATHANASE, évêque d'Alexandrie, le grand champion de la foi
B. Solution de la difficulté. — La question qui se pose est donc de savoir pour quelles
raisons l'empereur lui accorda cette faveur. Deux opinions ont été émises sur ce point.
Les uns, à la suite de RUFIN, SOCRATE, THÉODORET, CASSIODORE, prétendent
que l'empereur Constance mit 0n à l'exil du pape par crainte des soulèvements du
peuple romain et du clergé, en raison de la grande popularité dont jouissait le pontife.
D'autres, au contraire, et c'est à cette dernière opinion que nous avons à répondre,
pensent que le pape n'obtint la cessation de son exil qu'au prix de condescendances
coupables et de concessions sur le terrain de la foi.
Les partisans de cette seconde opinion s'appuient, pour démontrer leur point de vue,
sur deux sortes de témoignages : — 1. d'abord les dépositions des contemporains :
saint ATHANASE, saint HILAIRE de Poitiers, saint JÉRÔME ; — 2. puis les aveux
de LIBÈRE lui-même. Il nous est parvenu, parmi les fragments de l’Opus historicum
de saint Hilaire, neuf lettres du pape Libère, dont quatre, datant de son exil, ont un
caractère plutôt compromettant. Dans ces dernières lettres, le pape intrigue pour
obtenir sa grâce, déclarant qu'il condamne Athanase et professe la foi catholique
formulée à Sirmium, et il prie ses correspondants orientaux, entre autres Fortunatien
d'Aquilée, d'intercéder auprès de l'empereur pour abréger son exil.
A ces deux sortes de témoignages invoqués par nos adversaires, certains apologistes
ont répondu en contestant 1 authenticité des dépositions des contemporains, et en
rejetant les lettres de l'exil du pape Libère comme apocryphes. Mais comme il n'est pas
possible de prouver que les témoignages en question, tant ceux des contemporains que
ceux du Libère lui-même, sont inauthentiques, nous devons accepter la discussion dans
l'hypothèse de leur authenticité. Toute la question reviendra donc à savoir quelle fut la
faute du pape et quelle formule il a souscrite. Car, à l'époque où Libère fut délivré de
son exil, il y avait déjà trois formules dites de Sirmium. De ces trois formules la
seconde seule, qui déclare que le mot consubstantiel doit être rejeté comme « étranger
à l'Écriture et inintelligible», est considérée comme hérétique. Or l'on admet que ce
n'est pas cette formule que le pape a signée et que vraisemblablement c'est la
troisième. Hais qu'il s agisse de la première ou de la troisième, les théologiens
s'accordent à dire qu'elles ne sont pas absolument hérétiques et qu'elles ont surtout le
tort de favoriser le semi-arianisme en retranchant le mot consubstantiel de la
profession de foi du concile de Nicée.
Réponse. — A. Exposé des faits. — Quelques mots d'abord sur les faits. En 451 le
concile de Chalcédoine avait défini contre Eutychès qu'il y avait en Jésus-Christ deux
natures complètes et distinctes : la nature humaine et la nature divine. Si dans le Christ
il y avait deux natures complètes, il y avait aussi deux volontés : le concile ne l'avait
pas dit, mais la chose allait de soi, car une nature intelligente ne peut être complète
sans la volonté. Tel ne fut pas l'avis de certains théologiens orientaux qui enseignèrent
qu'en Jésus-Christ il n'y avait que la volonté divine, la volonté humaine se trouvant
pour ainsi dire absorbée par la volonté divine. Une telle doctrine apparaissait
évidemment fausse, mais ses partisans voyaient là un moyen de conciliation entre les
Eutychiens ou monophysites, c'est-à-dire les partisans d'une seule nature, et les
catholiques. Les premiers admettraient les deux natures en Jésus-Christ et les seconds
concéderaient l’unité de volonté. Cette tactique fut adoptée par Sergius qui écrivit dans
ce sens au pape Honorius. Dans une lettre pleine d'équivoques et où la question était
présentée sous un faux jour, il lui disait qu'il avait ramené beaucoup de monophysites à
la vraie foi et lui demandait qu'il voulût bien interdire de parler d'une ou"deux
énergies, d'une ou deux volontés. Honorius se laissa prendre et répondit, d'une part, à
SERGIUS, deux lettres dans lesquelles il le félicitait de son succès auprès des
monophysites, de l'autre, à saint SOPHRONE, patriarche de Jérusalem et défenseur de
l'orthodoxie, une lettre dans laquelle il lui recommandait d'éviter les mots nouveaux de
« une ou deux opérations», opération dans le langage de l'époque étant synonyme de
volonté. Malgré ces lettres dictées par un esprit de pacification, les querelles reprirent
de plus belle jusqu'au VIe concile oecuménique, le troisième de Constantinople (580-
681), qui porta I'anathème contre les monothélites, et entre autres, contre le pape
Honorius
Mais, dit-on, HONORIUS a été condamné par le VIe concile œcuménique et par le
pape LÉON II. — Remarquons d'abord que toutes les paroles contenues dans les Actes
des Conciles ne sont pas infaillibles et que les décisions d'un concile ne jouissent du
privilège de l'infaillibilité qu'autant qu'elles sont confirmées par le pape. Or préci-
sément les Actes du VIe Concile contenant un anathème contre Honorius en même
temps que contre les principaux monothélites tels que Sergius, n'ont pas reçu la
confirmation pontificale. Le pape Léon II s'est contenté de blâmer la conduite d'Ho-
norius, mais il n'a pas lancé contre lui I'anathème qu'il a prononcé contre les autres et
ne lui a pas infligé la note d'hérétique.
DÉVELOPPEMENT
A la rigueur, l'on pourrait dire qu'une telle enquête est superflue, et que la
démonstration que nous poursuivons ici, est chose faite. Nous avons montré en effet
que la société fondée par Jésus est une société hiérarchisée à la tête de laquelle il a mis
l'apôtre Pierre. Or comme il a été établi par ailleurs que les Évêques de Rome sont les
successeurs de Pierre dans sa primauté, il ne reste plus qu'à conclure que l'Église
romaine est la vraie Église, vu que nous retrouvons en elle seule les organes essentiels
constitués par Jésus-Christ. Raisonner ainsi ne serait pas assurément tirer une
conclusion en dehors des prémisses. Cependant, étant donné que les dissidents
regardent les Évêques de Rome comme des usurpateurs, et non comme les héritiers
légitimes de la primauté de Pierre, il convient de nous placer sur un autre terrain
commun accepté par les Églises dissidentes[291], tout au moins par celles qui ont un
caractère hiérarchique. En partant des quatre notes données par le concile de Nicée
Constantinople (IVe siècle), bien antérieurement à la séparation des Églises grecque et
protestante, l'apologiste catholique a donc pour tâche de démontrer que l'Église
romaine possède ces notes, soûle, et à l'exclusion des autres confessions.
Nous diviserons cet article en deux paragraphes. Nous traiterons : 1° des notes de la
vraie Église considérées en général et 2° des quatre notes du concile de Nicée-
Constantinople et de leur valeur respective.
342. — 1° Définition. — II faut entendre par « notes » de l'Église tout signe qui
permet de discerner la véritable Église du Christ de celles qui sont fausses.
343. — 2° Espèces. — Les notes peuvent être, soit négatives, soit positives. — a) La
note négative est celle dont l'absence démontrerait la fausseté d'une Église, mais dont
la présence ne suffit pas à en démontrer la vérité. Les notes négatives peuvent être
multipliées à l'infini et elles peuvent appartenir à n'importe quelle Église et n'importe
quelle religion. Ainsi, qu'une religion enseigne le monothéisme, qu'elle prescrive le
bien et défende le mal, elle peut être, mais elle n'est pas nécessairement pour cela la
vraie religion. — b) La note positive est colle dont la présence démontre la vérité de
l'Église où elle se trouve : elle est donc une propriété exclusive de la société fondée par
Jésus-Christ.
344. — 3° Conditions. — de la définition qui précède il suit que deux conditions sont
requises pour qu'une propriété devienne « note « de l'Église. Il faut qu'elle soit une
propriété essentielle et visible : — a) essentielle. Il est clair que, si la propriété n'était
pas de l'essence de la vraie Église, si elle n'avait pas été indiquée par Jésus-Christ
comme devant appartenir à la société qu'il fondait, elle ne saurait être un critère de la
vraie Église ; — b) visible. Cola va de soi : un signe n'est signe qu'autant qu'il est exté-
rieur, observable et plus apparent que la chose signifiée. Toute propriété essentielle
A. Il faut d'abord écarter les deux critères proposés par les protestants orthodoxes,
savoir: la prédication exacte de l'Évangile et l'usage correct des sacrements.
b) L'administration correcte des Sacrements.— Ce critère proposé n'est pas une pro-
priété plus visible que la prédication exacte de l'Évangile : la preuve en est que les
Protestants sont bien dans l'impossibilité de déterminer, d'après les seuls textes de
l'Écriture, comment les deux sacrements qu'ils retiennent : le Baptême et l'Eucharistie,
doivent être administrés correctement. Faut-il conférer le Baptême au nom du Père et
du Fils et du Saint-Esprit, selon l'ordre donné par le Christ ressuscité (Mat., XXVIII,
La sainteté remplit les deux conditions requises pour être une note (N° 344). Elle est :
— «) une propriété essentielle. Que la sainteté des principes soit une marque
essentielle de la vraie Église, il est facile de le prouver par le caractère de l'Évangile de
Jésus. Le Sauveur ne se contente pas d'imposer l'observance des préceptes obligatoires
en rappelant les devoirs du Décalogue (Mat., XIX, 16, 19), il veut que ses disciples
fassent mieux, qu'ils vivifient la lettre par l'esprit, c'est-à-dire par l'intention, que leur
justice ne soit pas formaliste comme celle des Pharisiens, mais qu'elle prenne pour
motif l'amour de Dieu et du prochain. « Je vous déclare, leur dit-il dans son Discours
sur la montagne, que si votre justice n'excelle pas plus que colle des scribes et des
pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mat., V, 20). Jésus va
plus loin, — et c'est ce qui va caractériser son Église, — au-de3sus des vertus
communes, de ce qu'on appelle couramment l'honnêteté et qui est un devoir strict pour
tous, il propose la perfection aux âmes d'élite, comme un idéal auquel elles doivent
tendre par les actes les plus contraires a la nature, par les sacrifices les plus durs :
«Vous donc soyez parfaits, comme voire Père céleste est parfait» (Mat, V, 48). D'où il
suit que dans la vraie Église l'on doit trouver des membres qui se distinguent par une
sainteté éminente et des vertus héroïques.
b) La sainteté est une propriété visible. Cola ne fait aucun doute pour le premier
élément : la sainteté des principes est une chose que tout le monde peut observer. Il
n'en va pas tout à fait de mémo pour la sainteté des membres. La sainteté étant avant
tout une qualité intérieure et visible au seul regard de Pieu, l'on pourrait objecter que
ce ne peut être là une propriété visible, une note de la véritable Église. — II est vrai
que la sainteté consiste surtout dans un fait intérieur et que l'hypocrisie peut revêtir les
mômes apparences que la sainteté. Cependant il est permis de poser en règle générale
que l'extérieur est le miroir fidèle de l'intérieur. La sainteté dont on perçoit les
manifestations extérieures, surtout quand elle s'accompagne d'humilité, est une
propriété apparente aux yeux des hommes. Considérée dans l’ensemble des membres
L'unité a les deux conditions requises pour être une note de la vraie Église. Elle est : —
a) une propriété essentielle. Jésus a voulu qu'il n'y eût « qu'un seul troupeau et un seul
pasteur » (Jean, X, 16). Il a prié à cet effet « pour que tous soient un» (Jean, XVII,
21). N'ayant prêché qu'un Évangile, il a voulu l'adhésion de tous ses disciples à cette
doctrine révélée : d'où unité de la foi. Voulant la fin, il est clair qu'il devait en prendre
les moyens. C'est dans ce but qu'il a institué une hiérarchie permanente, pourvue des
pouvoirs nécessaires pour assurer l'unité de la société chrétienne ; — b) une propriété
visible. La subordination de tous les fidèles à une même juridiction est une chose
visible et vérifiable ; il n'est pas plus difficile de constater l'unité hiérarchique dans
l'Église que dans toute autre société. — Nos adversaires objectent, il est vrai, que la foi
étant une qualité intérieure, n'est pas visible. Sans doute, la foi est intérieure et
invisible si on la considère en elle-même : mais, tout intérieure qu’elle est elle peut se
manifester par des actes extérieurs, tels que la prédication, les écrits et la récitation de
formules de foi. Au surplus, l'unité dont il s'agit ici, est avant tout l’unité de
gouvernement. C'est cette derrière qui est le principe de l’unité de foi et de l’unité de
culte. Si la première est constatée, les deux autres doivent suivre, comme des
conséquences naturelles.
La catholicité remplit également les deux conditions de la note. Elle est : — a) une
propriété essentielle. Alors que la Loi primitive et la Loi mosaïque ne s'adressaient
qu'au peuple juif, seul gardien des promesses divines, la Loi nouvelle s'adresse à
l'universalité du genre humain : « Allez, dit Jésus à ses Apôtres, enseignez toutes les
nations «(Mat., XXVIII, 19). Toute Église par conséquent qui resterait confinée dans
son milieu, qui serait l'Eglise d'une province, d'une nation, d'une race, n'aurait pas les
caractères de l'Église du Christ, puisque Jésus a prêché sa doctrine pour tous et qu'il a
fondé une société universelle. Est-ce à dire que l'Église du Christ devait être
universelle dès le premier jour, ou même qu'elle devait l'être un jour, d'une catholicité
absolue et physique? Évidemment non. La diffusion de l'Évangile devait suivre une
marche progressive, dont Jésus lui-même avait tracé le plan à ses Apôtres : il les avait
352. — II. Valeur respective des quatre notes. — Avant de faire l'application des
quatre notes, il convient d'établir leur force probante, leur valeur respective.
Toutefois, la sainteté est un critère à'ordre moral : entendez par là qu'il requiert des
dispositions morales de la part de celui qui en fait l'application. Si en effet on a l'esprit
prévenu contre la société religieuse qu'on étudie, il peut arriver qu'on s'arrête avec trop
de complaisance aux faiblesses et aux défauts de cette société sans accorder la place
voulue aux vertus héroïques dont elle a droit de se glorifier. Pour cette raison, la note
de sainteté, quoique suffisante en soi, demande à être complétée par les autres notes,
2° L'UNITÉ est une note négative. Elle n'a donc qu'une valeur d'exclusion : elle nous
permet de dire que toute société qui ne l'a pas ne peut pas être la vraie Église. Mais elle
ne nous conduit pas plus loin, car rien n'empêche de concevoir une société où tous les
membres soient subordonnés aux mêmes chefs et acceptent les mêmes croyances sans
être pour cela la véritable Église.
Cependant le concept de catholicité est plus étendu que celui d'unité. Une société peut
être une et ne pas dépasser les limites d'an pays, tandis que la catholicité qui suppose
une certaine universalité, implique en même temps l'unité. Que serait en effet la
catholicité, si l'Eglise qui embrasse plusieurs contrées n'était pas la même à tous les
endroits? Une Église peut donc être une sans être catholique, mais elle ne peut être
catholique sans être une.
4° L’APOSTOLICITÉ est une note positive. Du moment qu'une Église peut démontrer
que sa hiérarchie descend des Apôtres par une succession continue et légitime, il y a
toute certitude qu'elle est la véritable Église. Mais le point délicat de cette note est de
prouver que la succession a toujours été légitime, que la juridiction épiscopale n'a pas
été annulée par le schisme et l'hérésie, c'est-à-dire par la rupture avec l'œuvre authen-
tique de Jésus-Christ. Or la rupture ne deviendra évidente que si cette Église ne
possède plus les trois notes précédentes. L'apostolicité doit donc être contrôlée par les
autres notes, et en particulier, par l'unité et la catholicité.
2. L'Église qui possède les quatre notes est nécessairement la vraie Église. Car la
sainteté et l'apostolicité, étant des notes positives, sont des critères qui suffisent à
prouver l'authenticité d'une Église. Cependant il est bon de ne pas les isoler, nous
venons de dire pourquoi.
353. — Nous diviserons cet article en deux paragraphes. Dans le premier, nous
donnerons quelques notions préliminaires sur le protestantisme. Dans le second, nous
montrerons qu'il n'a pas les quatre notes de la vraie Église.
Le mot Réforme sert également à désigner le protestantisme. La raison en est que ses
principaux chefs : LUTHER et CALVIN se donnèrent comme des envoyés de Dieu
ayant pour mission de réformer l'Église du Christ, de restaurer la religion de l'esprit et
de substituer aux ténèbres de l'erreur et à la corruption des mœurs la lumière de la
vérité et la pureté de la morale : « Post tenebras lux ».
354. — II. Origine. — Si l'on considère le protestantisme, d'un point de vue général,
et sans s'arrêter aux circonstances particulières qui déchaînèrent le mouvement dans
les différents pays de l'Europe, l'on peut dire qu'il a son origine dans trois ordres de
causes : intellectuelles ! religieuses et politiques. — a) Causes intellectuelles. Il y a un
lien très étroit qui rattache la Réforme, mouvement religieux, à la Renaissance,
mouvement intellectuel. De la dernière moitié du XVe siècle aux vingt premières
années du XVIe, époque où éclata le luthéranisme, la Renaissance battait son plein. Or
l'humanisme ne se signalait pas seulement par le culte de l'antiquité païenne, mais
aussi par une réaction contre la philosophie scolastique, par des tendances rationalistes
De nos jours, l'Église anglicane se divise encore en trois partis: la Haute Église, la
Basse Église et l'Église Large. — a) La Haute Église (High Church) se considère
comme un des trois rameaux de l'Église catholique dont les deux autres seraient
l'Église romaine et l'Église grecque. Le parti le plus avancé de la Haute Église s'appelle
soit puseyisme parce que PUSEY un des plus actifs propagandistes du mouvement
d'Oxford[301], soit ritualisme parce que le mouvement, en s'accentuant vers 1850,
tendit à rétablir les principaux rites de l’Église romaine, entre autres, la messe et ses
cérémonies, le culte des saints et même la confession auriculaire. Bref, les ritualistes
364. — Remarque. — Quelle que soit la diversité des sectes et des doctrines, dont
nous avons constaté l'existence au sein de l'Église réformée, l'on peut classer les
protestants en deux groupes : les protestants conservateurs et les protestants libéraux.
— a) Les protestants conservateurs ou orthodoxes sont ceux qui se rapprochent le
plus de l'orthodoxie catholique : ils gardent la plupart des dogmes révélés, mais ils
rejettent la constitution de l'Église telle que nous l'avons décrite dans le chapitre précé-
dent. — b) Les protestants libéraux ne diffèrent guère des rationalistes. Disciples de
KANT, qui proclame l'autonomie de la raison, ils répudient tout élément surnaturel et
tout dogme révélé. Cependant, certains, à la suite de SCHLEIERMACHER (mort en
1834) et de RITSCHL (mort en 1889), se sont efforcés de combler les lacunes de la
raison par une sorte de sens religieux et de disposition morale qui nous permettent
d'atteindre l'Infini et de reconnaître ce qui est inspiré dans l'Écriture Sainte. Nous
avons eu du reste l'occasion de parler de leurs conceptions, lorsque nous avons étudié
les caractères essentiels de l'Église.
365. — L'étude qui précède, quoique succincte, nous permettra de faire rapidement au
protestantisme l'application des notes de la véritable Église, et de montrer qu'il ne les
possède pas.
b) Le protestantisme n'est pas saint dans ses membres.— 1. Remarquons d'abord que
le protestantisme ne saurait invoquer la sainteté de ses fondateurs. Ni Luther, ni
Calvin, ni Henri VIII ne furent certes des modèles de vertu ; oserait-on même dire
qu'ils aient pratiqué les vertus communes? A vrai dire, un protestant aurait mauvaise
grâce à reprocher à Luther son orgueil et sa sensualité, à Calvin son esprit vindicatif et
cruel, à Henri VIII ses adultères et ses débauches. N'agissaient-ils pas conformément à
leur doctrine ? « Pèche fortement, mais crois plus fortement.» Du moment qu'un
homme est sincère dans ses idées et qu'il met sa conduite en rapport avec ses idées, de
quoi peut-on l'accuser? De rien apparemment, sauf toutefois d'avoir des principes
mauvais et destructeurs de la morale. — 2. Le protestantisme qui n'est pas saint dans
ses fondateurs, l'est-il dans ses autres membres ? C'est assurément une chose bien
délicate que de faire le parallèle entre la somme de vertus qui se trouvent dans deux
sociétés, sinon rivales, du moins divergentes. Nous concéderons donc volontiers qu'il y
a chez les protestants un niveau moral assez élevé, qu'on trouve chez eux des vertus
supérieures, parfois des vertus héroïques. L'on voit même, de nos jours, certaines
sectes protestantes qui prêchent la pratique des œuvres surérogatoires et reprennent la
vie religieuse[303]. Mais si les choses sont ainsi, — et l'on nous rendra cette justice
que nous n'hésitons pas à le reconnaître, — c'est par un manque de logique ; c'est
précisément parce que les protestants n'appliquent pas les principes de leurs
fondateurs. Et cela nous suffit pour condamner le système et l'Église qui le professe.
Nous n'avons pas besoin d'ajouter, que, s'il n'y a pas d'unité de gouvernement, encore
moins peut-il y avoir unité de foi. Les chefs ne s'accordent même pas entre eux. Calvin
reprend sans doute la doctrine de Luther, mais il en modifie des points essentiels (N°
359). Les anglicans s'approprient les doctrines de Luther et de Calvin, mais ils
conservent l'épiscopat que les deux chefs de l'hérésie protestante avaient rejeté. Et
malgré cette conservation de l’épiscopat, et avec lui, d'une hiérarchie capable de
produire l'unité, que de variations, de luttes et de divergences au sein de l'anglicanisme
! Alors que la Haute Église se rapproche du catholicisme, au point de donner parfois
l'illusion qu'elle se confond avec lui sur le terrain de la doctrine et du culte[304],
l'Église Large va à l'extrême opposé et tombe dans le rationalisme et l'incrédulité.
a) Les églises non épiscopaliennes comportent autant de sectes que l'on veut, puisqu'il
n'y a aucun lien pour les rattacher. — b) Les églises épiscopaliennes ont un domaine
moins restreint, mais, du fait même qu'elles reconnaissent le chef de l'État comme
autorité suprême, elles ne peuvent dépasser les limites d'un pays. C'est ainsi que nous
avons les églises luthériennes de Suède, de Norvège, de Danemark, et l'Église
anglicane, circonscrite aux régions de domination ou d'influence britannique.
369. — 1. Définition. — Sous le nom d'Église grecque nous comprenons toutes les
Églises qui, à la suite du schisme commencé par PHOTIUS au IXe siècle et consommé
par MICHEL CÉRULAIRE au XIe, se sont séparées définitivement de Rome. Ces
Églises, que les catholiques désignent sous le nom « d'Église grecque schismatique »,
et qui s'intitulent elles-mêmes « Église orthodoxe», portent encore les noms d'Église
orientale, Église gréco-russe ou gréco-slave, Églises autocéphales ou indépendantes.
Nées du schisme de Photius, elles seraient dénommées plus justement Églises
photiennes.
a) CAUSE GÉNÉRALE. — Les historiens voient dans l'antagonisme de race entre les
Orientaux et les Occidentaux une des causes les plus importantes qui ont préparé le
schisme grec. La sujétion à un même pouvoir civil et à une même autorité religieuse,
1. Ingérence du pouvoir civil. — Quelque étrange que la chose puisse paraître, il faut
aller chercher le germe du schisme grec dans la conversion même de Constantin. C'est
qu'en effet le passage d'une religion à une autre, surtout quand il est déterminé par le
sentiment et, a fortiori, par l'intérêt politique, n'entraîne pas avec soi l'évolution des
idées ; et c'est ainsi que les empereurs païens, tout en adhérant à la nouvelle doctrine,
gardaient au fond d'eux-mêmes, et presque inconsciemment, les préjugés, les habitudes
et les mœurs de leur passé. Or c'était précisément une idée païenne que les pouvoirs,
civil et spirituel, devaient résider dans la même main ou, tout au moins, que le pouvoir
spirituel était entièrement subordonné au pouvoir civil. Partant de ce principe, les
empereurs se firent à la fois les protecteurs et les maîtres du christianisme. N'osant pas
aller jusqu'à vouloir jouer le rôle de pape, Constantin prit le titre d' « évêque du dehors
», s'attribua des fonctions qui auraient dû être réservées à l'autorité religieuse, comme
celles de convoquer, de présider et de confirmer les conciles, de poursuivre les
hérétiques et de surveiller les élections épiscopales. L'on comprend dès lors l'influence
que purent avoir les empereurs soit pour l'union, soit pour le schisme.
373. — IV. État actuel. — Le schisme grec s'est propagé dans la Turquie d'Europe, la
Grèce, les îles de l'Archipel, on Russie, dans une partie de la Pologne et de la Hongrie,
et en Asie-Mineure.
« Ce n'est plus avec Rome, mais avec l'Église protestante que, depuis le XVIe siècle,
les Grecs ont repris ces éternels essais d'union qui n'aboutissent jamais... Dans la
première moitié du XVIIe siècle, le calvinisme faillit s'implanter dans la grande Église
par les soins de CYRILLE LUCAR, et au début du XVIIIe siècle, la secte anglicane
des Non-jureurs[307] tenta vainement un rapprochement avec l'Église phanariote et
l'Église russe. Depuis 1867, les relations amicales, avant-coureuses de l'union, ont
repris entre Anglicans et Orthodoxes, auxquels sont venus se joindre, et non sans doute
pour augmenter l'harmonie, les Vieux-Catholiques[308] de Dôllinger, Herzog et
Michaud. »[309]
2. Bien que les efforts des Papes aient été infructueux sur la masse des Églises
séparées, ils ont cependant réussi à faire rentrer dans l'unité catholique quelques
groupes qu'on désigne sous le nom d'Uniates[310]. On appelle donc uniates les
communautés de grecs, de monophysites et de nestoriens qui ont reconnu et accepté la
suprématie du Pape. Il y a, parmi eux, des grecs-unis, des chaldéens-unis, des coptes-
unis, etc. Le Saint-Siège leur a permis de garder leurs liturgies nationales et leur
discipline qui, entre autres règles, autorise le mariage des prêtres.
1° L'Église grecque n'a pas la sainteté. — a) L'Église grecque possède sans doute la
sainteté des principes puisqu'elle a gardé au moins les points essentiels de la doctrine
et des institutions de la primitive Église. — b) Sainte dans ses principes, l'Église
grecque l'est-elle aussi dans ses membres? Elle ne l'est certainement pas dans ses
fondateurs : Photius et Michel Cérulaire sont assurément plus remarquables par leur
ambition que par leur piété et leurs vertus. Quant à la sainteté des autres membres en
général, l'on ne saurait dire qu'elle y brille d'un vif éclat. Malgré l'existence des ordres
religieux, les œuvres d'apostolat et de charité y sont plutôt rares. Il est vrai que les
Églises orientales ont canonisé un certain nombre de leurs fidèles ; mais leurs procès
de canonisation n'impliquent pas une enquête rigoureuse sur l'héroïcité des vertus et ne
requièrent aucun miracle proprement dit : l'enquête ne porte que sur quelques Bignes
extérieurs tels que l'état de conservation du corps. Et alors même qu'il y aurait des
miracles authentiques, il faudrait prouver qu'ils ont été faits, non pas uniquement pour
récompenser les mérites et la vie sainte d'hommes vertueux, mais pour prouver la
vérité de leur doctrine.
376. — 2° L'Église grecque n'a pas l'unité. — L'unité, c'est-à-dire, comme nous
l'avons dit plus haut (N° 349), la subordination de tous les fidèles à une autorité
suprême et à un magistère enseignant, n'est pas chose possible dans l'Église grecque.
Sans doute, les schismatiques professent que l'autorité infaillible appartient au concile
œcuménique. Mais c'est là un organe qui demeure atrophié depuis le VIIIe siècle. Déjà,
s'il fallait réunir tous les Évêques orientaux appartenant aux différents groupes que
nous avons signalés, la chose serait irréalisable. Combien le serait-elle davantage si
l'on voulait obtenir l'adhésion des Occidentaux : Église latine et confessions
protestantes !
379. — L’'Église romaine, ainsi appelée parce qu'elle reconnaît pour chef suprême
l'Évêque de Rome, c'est-à-dire le Pape, possède les quatre notes de la vraie Église.
1° L'Église romaine possède la noté de sainteté. — a) Elle est sainte dans ses
principes. Puisque nous faisons l'application comparative des notes de la vraie Église
aux diverses confessions chrétiennes, il y aurait lieu de mettre ici en parallèle tous les
points de doctrine sur lesquels le protestantisme et le schisme grec sont en divergence
avec le catholicisme. Comme ce travail a été fait précédemment, nous n'avons pas à
nous y arrêter. Nous rappellerons cependant que, à rencontre du protestantisme,
l'Église romaine enseigne que la justification requiert, non seulement la foi, mais
encore la pratique des bonnes œuvres. Par ailleurs, elle ne se borne pas à exiger de
l'ensemble de ses fidèles, l'observation des commandements de Dieu et la pratique des
vertus communes, elle porte plus haut son idéal, elle recommande les vertus
supérieures et même les vertus héroïques. Dans tous les temps elle a favorisé
l'institution de nombreux Ordres religieux, où les âmes d'élite tendent, par la
contemplation, par les œuvres de charité et par la pratique des conseils évangéliques,
au plus haut degré de l'amour de Dieu, à ce qu'on appelle la Perfection chré-
tienne[311]. — b) Elle est sainte dans ses membres. Loin de nous la pensée de
380. — 2° L'Église romaine possède l'unité. — L'Église romaine est une ; — a) dans
son gouvernement. Bien qu'il y ait de nombreuses Églises locales qui jouissent d'une
certaine autonomie, l'unité de ces groupements est assurée par l'obéissance des fidèles
aux Évêques et des Évêques au Pape ; — b) dans sa foi. De l'unité de gouvernement
découle l'unité de foi. C'est en effet un des principes les mieux observés du
catholicisme qu'il y a obligation stricte pour tous les fidèles de se soumettre à l'autorité
infaillible qui les enseigne. Conformément à ce principe, l'Église romaine rejette de
son sein ceux- qui se séparent de sa foi par l'hérésie ou s'affranchissent de sa discipline
par le schisme. Tous ses sujets professent donc la même foi, admettent les mêmes
sacrements et participent au même culte. Mais naturellement l'unité de foi et de culte
se concilie avec les discussions théologiques sur les points de doctrine non
définis[312], avec les divergences accidentelles des règles disciplinaires ou des rites
liturgiques, divergences qui peuvent être commandées par les convenances spéciales
des pays, des races et des temps.
381. — 3° L'Église possède la catholicité. — Pas plus que les autres confessions,
l'Église romaine n'est catholique de fait. Nous avons vu que cette catholicité n'est pas
requise. Tout au moins possède-t-elle une catholicité de droit, puisqu'elle s'adresse à
tous, qu'elle envoie ses missionnaires dans toutes les régions, puisqu'elle n'est l'Église
d'aucune nationalité ni d'aucune race et qu'elle sait s'adapter aux peuples les plus
divers. En dehors de cotte catholicité de droit, l'Église romaine possède l'universalité
morale et relative, elle s'étend à la majeure partie du monde, et le nombre de ses
fidèles est supérieur à celui des autres sociétés chrétiennes[313].
Les adversaires objectent, il est vrai, qu'il fut un temps où les Papes résidaient à
Avignon, qu'il y eut des interrègnes, qu'il y eut surtout le grand schisme d'Occident. —
La résidence momentanée des Papes à Avignon n'a nullement interrompu la succession
apostolique : il est de toute évidence que la juridiction n'est pas attachée à l'endroit de
la résidence, mais dépend uniquement de la légitimité de la succession et du titre. Les
Papes pouvaient donc résider à Avignon comme ailleurs et rester les Évêques légitimes
de Rome. On allègue d'autre parties interrègnes et le grand schisme d'Occident.
Rappelons brièvement les faits. A la mort de GREGOIRE XI, septième Pape
d'Avignon (1378),URBAIN VI fut élu à Rome par seize cardinaux, dont onze français.
Après l'élection, quinze des cardinaux déclarèrent l'élection nulle sous prétexte qu'elle
avait eu lieu sous la pression du peuple romain qui avait réclamé un Pape italien, et ils
élurent Robert de Genève qui prit le nom de CLÉMENT VII et s'établit à Avignon. La
chrétienté se divisa alors en deux parties, l'une obéissant au Pape de Rome, et l'autre,
au Pape d'Avignon. Ainsi commença ce qu'on appelle le grand schisme d'Occident qui
devait durer trente-neuf ans (1378-1417). — Faut-il conclure de là que l'Église
romaine ne possède plus la juridiction d'origine apostolique? Certainement non. Les
trois règles suivantes nous donneront du reste la clé de cette difficulté : — 1. Si deux
élections se font en même temps ou successivement, l’apostolicité appartient au Pape
légitimement choisi. — 2. S'il y avait doute, comme c'était le cas pour le grand
schisme d'Occident, l'apostolicité n'existerait pas moins, quand bien même la chose ne
serait connue que tardivement.
b) L'Église romaine est apostolique dans sa doctrine. Les protestants accusent les
catholiques d'avoir introduit des dogmes nouveaux dans l'enseignement apostolique.
Sans doute, le Credo actuel est plus développé que celui des Apôtres, mais il ne
contient pas des différences essentielles. L'Église enseignante n'a jamais défini une
vérité de foi qu'elle ne l'ait tirée soit de l'Écriture Sainte, soit de la Tradition il y a donc
eu développement du dogme, mais non point changement de la doctrine apostolique.
383. — Nous venons de démontrer que l'Église romaine est seule la vraie Église
instituée par Jésus-Christ. Devons-nous en conclure qu'il y a nécessité de lui
appartenir pour faire son salut? Si oui, comment faut-il entendre cette nécessité et
comprendre la formule courante qui la traduit : « Hors de l'Église pas de salut » ?
Si l'on jette un rapide coup d'œil sur l'enseignement traditionnel de l'Église sur ce
point, il apparaît que la question n'a pas été mise d'abord en pleine lumière et n'a été
considérée que d'un point de vue assez restreint. — a) D'une manière générale,
jusqu'au xvr8 siècle, les Pères et les Docteurs de l'Église enseignent que l'appartenance
à l'Église est d'une nécessité absolue et que tous ceux qui refusent de se soumettre à
son autorité doctrinale et disciplinaire, les hérétiques et les schismatiques, perdent tout
droit au salut éternel. Mais il semble bien que cette intransigeance est plus apparente
que réelle et provient de ce que la question n'est pas présentée sous toutes ses faces. La
preuve en est que saint AUGUSTIN (354-430) tout en posant en principe qu'il est
nécessaire d'appartenir à l'Église pour faire son salut, ajoute qu'on peut être dans
l'erreur, qu'on peut se tromper sur la question de savoir où est la vraie Église, et
qu'alors on ne doit pas être rangé parmi les hérétiques. — b) Au XVIe siècle,
BELLARMIN et SUAREZ élargissent déjà la question et discutent surtout les
conditions requises pour appartenir au corps de l'Église. — c) Au XIXe siècle, les
théologiens réalisent un grand progrès dans l'explication du dogme, grâce aux
distinctions qu'ils établissent, à juste titre, entre les différents sens des mots
appartenance et nécessité.
1. Les uns distinguent l'appartenance réelle (in re) et l'appartenance de désir (in voto).
On peut en effet « appartenir à l'Église par le désir, par la volonté, par le cœur, quand,
sans en être membre à proprement parler, on souhaite de l'être. Ce souhait peut être
explicite, comme c'est le cas des catéchumènes ; il peut être implicite, comme c'est le
cas pour ceux qui, sans connaître encore l'Église, désirent faire tout ce que Dieu veut.
Tous ces hommes de bonne volonté appartiennent implicitement à l'Église »[314].
2. Les autres, distinguant entre l’âme et le corps de l'Église, disent qu'il est de
nécessité de moyen d'appartenir à l’âme de l'Église, et de nécessité de précepte
d'appartenir à son corps. — 1) Or appartiennent à l'âme de l'Église tous ceux qui,
vivant dans une ignorance invincible : infidèles, hérétiques, schismatiques, observent
leur religion de bonne foi et s'efforcent de plaire à Dieu selon les lumières de leur
conscience. Dieu les jugera sur ce qu'ils auront connu et accompli, non sur ce qu'ils
auront ignoré de la. loi. — 2) N'appartiennent ni à l'âme ni au corps de l'Église tous
ceux qui sont dans l'erreur volontaire et coupable, ceux qui, sachant que l'Église
catholique est la vraie Église, refusent d'y entrer parce qu'ils ne veulent pas accepter
les devoirs que la vérité impose. C'est à ceux-là spécialement qui « pèchent contre la
lumière », selon la parole de NEWMAN, que s'applique la maxime : « Hors de
l'Église pas de salut. »
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
385. — Pour découvrir la vraie Église, nous avons, au début de la section précédente,
fixé les traits essentiels de la société fondée par Jésus-Christ. Nous connaissons donc
déjà, au moins dans ses grandes lignes, la constitution de l'Église romaine, vu que
seule elle est la vraie Église.
Dans le chapitre suivant, nous traiterons des droits de l’Église et doses relations avec
l'État.
386. — Nous avons vu que l'Église a été fondée sur le principe de la hiérarchie (N 08
309 et suiv.),- qu'elle est une société inégale comprenant deux groupes distincts .
l'Église enseignante et l'Église enseignée. L'Église enseignée composée des laïques
Les auxiliaires du Pape forment ce qu'on appelle la Curie romaine. La Curie romaine,
composée des cardinaux, des prélats et des officiers inférieurs, comprend le Collège
des cardinaux ou Sacré-Collège, les Congrégations romaines, les Tribunaux et les
Offices.
Les Évêques ont pour auxiliaires :— 1) les Vicaires généraux, qui ne font avec lui
qu'une personne morale, et le suppléent dans l'administration du diocèse ; — 2) le
Chapitre, c'est-à-dire la réunion des chanoines attachés à l'église cathédrale ou
métropolitaine, et formant un corps institué canoniquement, dont le rôle se borne
aujourd'hui[316] à réciter 1’Office au chœur et à nommer, à la mort de l'évêque, le ou
Les Curés sont aussi des auxiliaires des Évêques, mais, de droit divin, ils n'ont aucune
part aux pouvoirs de l'Église. Ils ne peuvent ni décider de la doctrine, ni édicter aucune
loi concernant la discipline ou le culte. Leur rôle se borne à desservir une paroisse, à
l'administration de laquelle ils ont été délégués par leur Évêque. Les Curés ne
constituent donc pas un troisième degré de la hiérarchie. Et la chose se comprend
aisément si l'on veut bien se rappeler que les paroisses n'existaient pas primitivement.
C'est seulement au IIe siècle qu'en remonte l'origine. Jusque-là il n'y avait ou dans
chaque ville épiscopale qu'une seule Église. L'Évêque, bien qu'assisté d'un collège de
prêtres, en gardait l'administration personnelle, et se réservait mémo, d'une manière
habituelle, les pouvoirs de prêcher, de baptiser, de célébrer l'eucharistie, et
d'administrer le sacrement de pénitence. Lorsque le christianisme prit une plus grande
extension, l'on construisit dans les villes, outre les églises cathédrales, et aussi dans les
bourgs et les villages, des églises moins importantes, appelées églises paroissiales. Les
Évêques déléguèrent alors pour l'administration de ces paroisses, des prêtres, -qui
devinrent ainsi des pasteurs de second ordre, et que l'on appela curés (du latin «cura»
soin), parce qu'ils étaient chargés du soin des fidèles appartenant à ces
circonscriptions.
389. — A cette Église enseignante dont nous venons de montrer la hiérarchie, Jésus-
Christ a conféré (V. N° 310) un triple pouvoir : — a) le pouvoir doctrinal pour
enseigner la vraie foi ; — b) le pouvoir d'Ordre pour administrer les sacrements ; et —
c) le pouvoir de gouvernement pour obliger les fidèles à tout ce qui peut être
nécessaire ou utile à leur salut. Comme la question du pouvoir de ministère se rattache
au sacrement de l'Ordre[317], nous ne parlerons que du pouvoir doctrinal et du
pouvoir de gouvernement.
390. — Nous avons vu déjà que le pouvoir doctrinal conféré par Jésus à son Église
comportait le privilège de l’infaillibilité (N° 330), et que ce privilège avait été accordé
aux Apôtres et à leurs successeurs (Nos 335 et suiv.). Il s'agit donc maintenant d'en
déterminer l'objet et le mode d'exercice.
b) Les vérités implicitement révélées sont celles qui se déduisent, par voie de
raisonnement, d'autres vérités révélées. Ainsi, du dogme explicitement révélé que
Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, découlent les autres dogmes qui affirment
l'existence de deux natures et de deux volontés dans le Christ ; ainsi encore, les
dogmes de la transsubstantiation, de l'Immaculée Conception, de l'Infaillibilité
pontificale ne sont pas exprimés d'une manière explicite dans la Révélation mais ils
résultent d'autres vérités clairement révélées.
§ 2. — LE POUVOIR DE GOUVERNEMENT.
396. — Nous avons démontré que Jésus-Christ avait constitué à la tête de son Église
un chef suprême, saint Pierre, que l'Évêque de Rome, c'est-à-dire le Pape, était le
successeur de saint Pierre dans la primauté (N° 325) et que, de ce fait, il avait la
plénitude des pouvoirs conférés par Jésus -Christ à son Église. Il ne nous reste donc
plus qu'à déterminer l'objet et le mode d'exercice de ses pouvoirs, doctrinal et de
gouvernement.
397. — 1° Objet. — Le Pape ayant la plénitude des pouvoirs dans l'Église, il est
permis de poser en principe général que l’objet de son pouvoir doctrinal et de son
infaillibilité est aussi étendu que celui de l'Église. Tout ce que nous avons dit plus haut
(Nos 390 et 391) de l'objet direct et de l'objet indirect du pouvoir doctrinal de l'Église,
s'applique donc au pouvoir doctrinal du Pape.
2. Après la définition du dogme, l'infaillibilité pontificale a été niée par une fraction
minime de catholiques, et, en particulier, par un groupe de catholiques allemands, qui
avaient à leur tête DÔLLINGER et REINKENS, et qui prirent la dénomination de
Vieux-Catholiques. Naturellement, les Protestants rejettent tous le dogme, et, la plupart
du temps, ne s'en font pas une notion exacte. Les uns confondent l'infaillibilité avec
l’omniscience (DRAPER), ou avec l'inspiration (LITTLEDALE) ; d'autres la prennent
pour une union hypostatique de l'Esprit Saint avec le Pape (PUSEY).
Comme il résulte de ces paroles, l'infaillibilité pontificale a son objet bien délimité et
requiert des conditions précises. Pour jouir de l'infaillibilité, il faut que le Parle ex-
cathedra[325], ce qui implique quatre conditions. Il faut : —1. qu'il remplisse la
charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens. En tant que docteur privé, il n'est
donc pas infaillible ; dans ses écrits comme dans ses sermons il peut se tromper[326].
Sans doute, l'infaillibilité lui est personnelle ; elle est bien attachée à sa personne et
non au Siège apostolique, et elle ne peut être communiquée ou déléguée à aucun autre,
mais elle n'est personnelle que dans la mesure où le Pape remplit la charge de docteur
universel ; — 2. qu'il définisse, c'est-à-dire qu'il tranche, d'une manière définitive, une
question jusque-là controversée ou non ; — 3. qu'il définisse la doctrine sur la foi ou
les mœurs, c'est-à-dire les vérités révélées qu'il faut croire ou pratiquer, et les vérités
connexes aux vérités révélées. En dehors de cet objet, par exemple, sur le terrain des
sciences humaines, le pape est, comme tout homme, sujet à l'erreur. L'infaillibilité
pontificale n'est donc pas un pouvoir arbitraire et ridicule contre lequel il y ait lieu de
s'insurger ; — 4. qu'il définisse avec l'intention d'obliger toute l'Église : il va de soi, en
effet, qu'une doctrine définie impose à toute l'Église l'obligation d'y adhérer. Mais
Les enseignements pontificaux, quelle qu'en soit la forme, et alors même que le Pape
n'en fait pas l'objet de définitions solennelles, ont toujours droit à notre assentiment
intellectuel, tout au moins à titre provisoire. Nous disons à titre provisoire, car, au lieu
que les dogmes sont des jugements irréformables qui entraînent avec soi une certitude
absolue et définitive, les autres enseignements du Souverain Pontife, si respectables
qu'ils soient, n'excluent pas la possibilité d'amendements ultérieurs.
Primitivement, le mot cardinal (du lat. cardo, gond, point d'appui) désignait soit un
évêque, soit un prêtre, soit un diacre, attaché de façon stable à une église ou à un titre
ecclésiastique, qui devenait, de ce fait, son point d'appui, le centre de son activité. L'on
peut donc reporter l'origine de l'institution cardinalice à la primitive Église et en voir
les traces dans le presbytérium composé de prêtres et de diacres qui avaient pour
mission d'aider l'évêque dans son ministère. Plus que tout autre, l'Évêque de Rome, en
raison de sa lourde tâche, devait éprouver le besoin d'assistance. Aussi le voyons-nous,
dès les premiers siècles, entouré d'un corps de diacres chargés du soin des pauvres et
d'un corps de prêtres qui devaient remplir leur ministère, dans l'église même du
pontife, ou dans d'autres églises paroissiales, qui prirent la dénomination de titres.
Le nom de cardinal, d'abord générique et indéterminé, fut par la suite réservé au clergé
des églises cathédrales, puis peu à peu il devint un titre exclusif de l’Église romaine
qui peut être considérée comme le cardo, le vrai point d'appui de l'unité de l'Eglise.
2. Nombre. — Le nombre des cardinaux a varié avec les époques. A la fin du XVIe
siècle, le pape SIXTE-QUINT fixa le nombre des cardinaux-diacres à 14, celui des
cardinaux-prêtres à 50, et celui des cardinaux-évêques à 6 : trois classes par
3. Rôle. — Le rôle des cardinaux consiste dans une double fonction: extraordinaire et
ordinaire. — 1) Leur fonction extraordinaire est de se réunir en conclave[329] le plus
tôt possible après la mort du Pape, et de lui élire un successeur. Ce droit leur a été
attribué, à l'exclusion du clergé inférieur et du peuple, par un canon du troisième
concile œcuménique de Latran (1179). — 2) Leur fonction ordinaire est d'aider le
Souverain Pontife dans le gouvernement de l'Église. Ce concours habituel, ils le
prêtent dans les consistoires et les congrégations.
405. — A.. CONSISTOIRES. — Les consistoires pontificaux sont les assemblées des
cardinaux présents à Rome présidées par le pape. Ces réunions avaient lieu autrefois
deux ou trois fois par semaine et traitaient presque toutes les affaires importantes ;
elles sont devenues beaucoup plus rares et ne se tiennent plus qu'à des intervalles
irréguliers. Les consistoires sont secrets ou publics : — 1. secrets, si les cardinaux
seuls y sont admis. Il y est question de la création de nouveaux cardinaux[330], de la
nomination des évêques et des différents dignitaires de la cour épiscopale, etc. ; — 2.
publics, quand d'autres prélats et des représentants des princes séculiers peuvent y
assister. Les consistoires publics ont pour objet particulier une canonisation (N° 391,
n.), la réception d'un ambassadeur, le retour d'un légat a latere, ou autres affaires
d'intérêt général.
La constitution Sapienti consilio de PIE X (29 juin 1908) ne maintient que onze
congrégations proprement dites, outre les trois tribunaux de la Sacrée Pénitencerie, de
la Rote, de la Signature apostolique, et les cinq offices ou secrétaireries. Depuis, le
pape BENOÎT XV a supprimé la congrégation de l'index et a attribué son ministère à
la congrégation du Saint-Office ; d'autre part, il a fondé une nouvelle congrégation,
celle des Églises orientales, de sorte que le nombre des congrégations reste fixé à onze.
Ces onze Congrégations sont :
canonisation.
11. La Sacrée Congrégation des Églises orientales. — Érigée en 1917, elle est
présidée par le Pape, elle doit s'occuper des Églises d'Orient qui rentraient autrefois
dans la Congrégation delà Propagande. (Can. 247-257).
Elle « est ainsi constituée cour d'appel pour toutes les curies ecclésiastiques du monde
entier... Toutefois la Rote juge en première instance toutes les affaires que le
Souverain Pontife lui confie de son propre mouvement, ou sur la demande d»s
parties... Rappelons-nous que tous les fidèles ont le droit absolu de demander à être
jugés à Rome ; on peut toujours recouru au Souverain Pontife, qui est le Père commun
de tous les chrétiens »[336] ; — 3. la Signature apostolique qui est la cour de cassation
de la Rote et reçoit les recours en cassation de jugements attaqués pour vices de forme
et les demandes en révision.
409. — Les Offices sont : — 1. la Chancellerie apostolique qui a pour office d'expé-
dier, sur l'ordre de la Congrégation consistoriale ou du Pape, les lettres apostoliques,
les bulles avec k sceau de plomb (sub plumbo) relatives à la provision des bénéfices et
des offices consistoriaux, à l'institution des nouveaux diocèses, chapitres et à d'autres
affaires majeures ; — 2. la Daterie apostolique qui expédie les lettres apostoliques
pour la collation des bénéfices non consistoriaux réservés au Saint-Siège ; — 3. la
Chambre apostolique à qui est attribuée l'administration des biens et droits temporels
du Saint-Siège, principalement pendant la vacance du siège ; — 4. la Secrétairerie
d'État qui comprend trois sections : la section des Affaires extraordinaires, la section
des Affaires ordinaires et la secrétairerie des Brefs ; — 5. les secrétaireries des Brefs
aux princes, et des Lettres latines, à qui incombe le soin d'écrire en latin les Actes du
Souverain Pontife (can. 260-264).
411. — 1° Leur pouvoir doctrinal. — Comme les Evêques ont dans leur diocèse une
juridiction ordinaire, ils jouissent, dans les limites des circonscriptions qui leur sont
assignées, du même pouvoir que le Pape dans le monde entier, h'objet de leur pouvoir
doctrinal est donc, toutes proportions gardées, le même que celui du Pape : il embrasse
la Révélation tout entière et ce qui lui est connexe. Cependant, les Évêques ne
jouissant pas individuellement du privilège de l'infaillibilité, il convient que, dans les
controverses importantes sur les questions de foi, ils en réfèrent au Souverain Pontife.
Ils doivent veiller à la propagation et à la défense de la religion : ce qu'ils font
généralement par leurs lettres pastorales et leurs mandements. Ils ont le droit et le
devoir de prohiber les mauvais livres, les mauvaises publications. Tous les livres qui
traitent des questions de fois de morale, de culte et de discipline ecclésiastique doivent
dès lors être contrôlés par eux et ne peuvent s'imprimer sans leur approbation, ou
imprimatur.
Le collège des Évêques, pris dans son ensemble et en union avec le pape, peut être
considéré soit dispersé dans le monde, soit assemblé en concile œcuménique.
413. — 1° Les Évêques dispersés. — II n'est pas nécessaire que les Évêques se
réunissent en concile général pour être infaillibles. Même dispersés, ils forment le
corps enseignant de l'Église et ne jouissent pas moins de l'infaillibilité. Quand Jésus a
promis à ses Apôtres d'être avec eux jusqu'à la fin des siècles, il n'a pas mis la
condition qu'eux ou leurs successeurs devaient se réunir à un endroit quelconque pour
obtenir son assistance. Du reste, le consentement unanime de l'Église a toujours été
reconnu comme une des meilleures preuves de la vérité de la doctrine, et saint
VINCENT DE LÉRINS a pu poser cette règle qu'il faut croire « ce qui a été cru
partout, toujours et par tous ». Au surplus, que les choses doivent être ainsi, la raison
nous le dit., ce n'est pas seulement dans des circonstances exceptionnelles, mais en tout
temps, que l'épiscopat est chargé de renseignement ; donc, à tout moment, il doit avoir
le privilège de l'infaillibilité. Aussi, avant le premier concile œcuménique qui n'a eu
lieu qu'au début du IVe siècle (en 325 à Nicée) le magistère ordinaire du corps
épiscopal avait déjà amené le dogme à un haut degré de développement. L'Église
enseignait déjà d'une manière explicite les dogmes de la Trinité et de la divinité de
Jésus-Christ, de la Rédemption, de la virginité et de la maternité divine de Marie, les
éléments du dogme du péché originel ; elle avait presque fixé sa doctrine sur les
principaux sacrements, entre autres, sur le baptême, sur la présence réelle du Christ
dans l'Eucharistie, à la fois sacrement et sacrifice, etc. Les conciles qui se tiendront à
partir de cette date, ne feront le plus souvent que préciser les points encore discutés et
donner une autorité plus ferme à la croyance déjà établie.
L'on pourrait ajouter que, dans les premiers siècles, bien des hérésies furent
condamnées par les décisions dogmatiques d'un nombre restreint d'Évêques, dispersés
dans le monde, ou simplement réunis en concile particulier : provincial ou national.
Mais les décrets conciliaires ont-ils, dans toute leur teneur, la même autorité
doctrinale? Il convient de distinguer, dans les décisions rendues par plusieurs conciles,
notamment par les conciles de Trente et du Vatican, une double partie : une partie
positive, représentée par les chapitres consacrés à l'exposition de la véritable doctrine,
et une partie négative représentée par les canons où sont condamnées les erreurs
contraires. Quelle est la valeur des uns et des autres? Aucun doute n'est possible pour
ce qui concerne les canons. Comme ils portent l’anathème[342] contre quiconque
contredit la vérité définie par les chapitres, de toute évidence ils constituent une
définition infaillible et de foi catholique, qu'on ne peut rejeter sans tomber dans
l'hérésie. Les chapitres doctrinaux contiennent, eux aussi, un enseignement infaillible,
mais à côté de la substance de la définition, il y a des considérants et des arguments
A ces différents points de vue, les conciles sont d'une utilité indiscutable. Ils ne sont
pas absolument nécessaires, comme les Jansénistes le prétendaient, mais il peut arriver
qu'ils soient relativement et moralement nécessaires dans les cas où l'unité de l'Église
serait mise en péril, par le fait du pape lui-même, qui deviendrait hérétique, en tant que
docteur privé, ou pécheur scandaleux (V. N° 399, n. 3) et surtout dans le cas où 1
élection d'un pape serait douteuse, comme la chose s'est présentée lors du grand
schisme d'Occident.
L'on compte généralement jusqu'à notre époque dix-neuf conciles[344]. Les voici dans
leur ordre avec quelques indications sur leur objet.
Le premier Concile de Nicée, en 325, réuni par Constantin sous le pontificat de saint
Sylvestre, il définit contre Arius la consubstantialité du Verbe, c'est-à-dire la divinité
de Jésus-Christ, sanctionna solennellement les privilèges des trois sièges patriarcaux
de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche, et étendit à toute l'Église la coutume de l'Église
romaine, quant à la date de la célébration de la fête de Pâques.
10. Le deuxième Concile de Latran, en 1139, sous Innocent II, édicté des mesures
disciplinaires concernant le clergé.
11. Le troisième de Latran, en 1179, sous Alexandre III, condamne les Cathares et
règle le mode d'élection des papes, en déclarant validement élu le candidat qui aura
réuni les deux tiers des voix des cardinaux.
12. Le quatrième de Latran, en 1215, sous Innocent III. L'un des plus importants
conciles, il condamne les Albigeois et les Vaudois; il fixe la législation ecclésiastique
sur les empêchements de mariage, et impose à tous les fidèles l'obligation de la con-
fession annuelle et de la communion pascale.
13. Le premier Concile de Lyon, en 1245, sous Innocent IV, régla la procédure des
jugements ecclésiastiques et prononça la déposition de l'empereur FRÉDÉRIC II.
14. Le deuxième de Lyon, convoqué en 1274. par Grégoire X, rétablit l'union avec les
Grecs qui, outre la légitimité du Filioque, reconnurent la primauté du pape et la
doctrine catholique de l'Église latine enseignant l'existence du Purgatoire.
17. Le cinquième Concile de Latran, convoqué par Jules II, en 1512, et continué par
son successeur Léon X jusqu'en 1517, avait pour but primaire la réforme du clergé et
des fidèles. Il publia quelques décrets concernant les nominations aux charges
ecclésiastiques, le genre de vie des clercs et des laïques.
18. Le Concile de Trente, convoqué par Paul III et ouvert dans cette ville en 1545,
transféré deux ans plus tard à Bologne, suspendu bientôt après, puis réinstallé à Trente
par Jules III en 1551, interrompu à nouveau, puis repris et terminé sous Pie IV en 1563
a eu pour but de combattre les erreurs protestantes. Il est le plus célèbre par le nombre
et l'importance de ses décrets dogmatiques et disciplinaires.
On entend par société parfaite toute société qui ne dépend d'aucune autre, tant dans la
fin qu'elle poursuit que dans les moyens qui lui sont nécessaires pour atteindre cette
fin. Au contraire, la société imparfaite est colle qui est subordonnée à une autre et qui
n'a de pouvoirs que ceux que cette autre veut bien lui concéder. Ainsi, les Sociétés de
chemins de fer, de mines, etc., sont des sociétés imparfaites, vu qu'elles sont
subordonnés à l'État.
Que l'Église soit une société parfaite, cela découle de son origine et de sa nature : —
a) de son origine. C'est de la volonté de Jésus-Christ, de la volonté de Dieu, par
conséquent, que l'Église est née. Ne dépendant dans son existence d'aucune volonté
humaine, il s'ensuit qu'elle ne peut être subordonnée a aucun pouvoir civil : elle est, de
par son origine, une société autonome et indépendante ; — b) de sa nature. L'Église est
une société d'ordre spirituel, puisque Jésus-Christ lui a donné la mission et les pou-
voirs de conduire les hommes à leur fin surnaturelle. Mais, si elle est une société
d'ordre spirituel, il est évident qu'elle ne peut recevoir d'aucune société d'ordre
temporel les moyens dont elle a besoin pour sa fin surnaturelle ; ses pouvoirs ne
peuvent dépendre de l'autorité civile comme s'ils eu étaient une dérivation ou une
participation. II ne faut doue pas s'étonner que l'Église ait toujours revendiqué cette
prérogative d'être une société parfaite et que maintes fois elle ait affirmé son
indépendance du pouvoir civil, comme elle l'a fait, en particulier, en condamnant les
propositions suivantes du Syllabus : « L'Église n'est pas une vraie et parfaite société
pleinement libre et ne jouit pas de droits propres conférés par son^divin fondateur ;
c'est au pouvoir civil à définir ses droits et les limites dans lesquelles elle peut les
exercer » (Prop., XIX). « Le pouvoir ecclésiastique ne doit pas exercer son autorité
sans la permission et l'assentiment du gouvernement. » (Prop., XX). Les Pères du
Concile du Vatican (1870) ont condamné de nouveau l'opinion selon laquelle le Saint-
Siège ne pourrait exercer ses pouvoirs de gouvernement sans le placet du pouvoir civil
(Const. I de l’Église du Christ, ch. 3).
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
Société d'ordre spirituel, l'Église est, de par son origine et sa nature, une société
parfaite : telle ost la conclusion à laquelle nous avons abouti dans le chapitre précédent
(N° 419). Deux points restent à établir : 1° les droits de l'Église ; et 2° les relations de
V Église et de l'État. Ce chapitre comprendra donc deux articles.
420. — Société parfaite, l'Église est indépendante dans son existence et dans l'exercice
de ses pouvoirs : de là découlent tous ses droits. Mais comment déterminer ces droits ?
Il suffit, pour cela, de nous rappeler que tout pouvoir légitime entraîne comme
conséquences des droits correspondants, et d'autre part, que l'Église a reçu de son divin
fondateur la triple mission d'enseigner, de sanctifier et de gouverner. L'Église possède
donc tous les droits qui sont en corrélation avec sa mission et avec son triple pouvoir
doctoral, de ministère et de gouvernement.
421. — Il est permis de poser en principe général que, en vertu du pouvoir doctoral
qu'elle tient de Notre-Seigneur, l'Église a le droit d'enseigner partout la doctrine
A cela l'on objecte, il est vrai, que la caserne est une meilleure école que le séminaire,
pour faire l'apprentissage de la vertu, et qu'elle est un excellent moyen d'éprouver et de
rejeter les vocations mal affermies. Sans nier ce qu'il peut y avoir de juste dans cette
objection, il n'en est pas moins faux de prétendre qu'une vocation n'est solide qu'autant
qu'on l'a exposée aux plus dangereuses épreuves.
L'on objecte encore, au nom du fameux principe de l’égalité que, si les clercs
participent aux avantages de la vie sociale, il convient qu'ils prennent aussi leur part
des charges communes. Le raisonnement paraît impeccable, mais il s'agit de savoir
précisément si le clergé ne porte point sa part du fardeau commun. L'Église pense, au
contraire, que ses prêtres rendent à la société, par leur ministère, des services plus
grands que ceux qu'ils rendraient comme soldats. Sans doute, il faut des soldats contre
les ennemis du dehors ; il n'en faut pas moins, mais d'une autre sorte, pour résister aux
ennemis du dedans: pour lutter contre la propagation des idées fausses et subversives,
contre l'impiété et la corruption des mœurs. Et pour se préparer à cette mission, les
sacrifices du prêtre qui, à partir du séminaire, abdique sa liberté et renonce aux joies
du monde et de la famille, dépassent certainement en grandeur ceux des soldats. Nous
pouvons donc conclure que l'exemption du service militaire, longtemps reconnue à
l'Église comme un droit, n'était nullement un privilège excessif dont il y ait lieu de
s'étonner ou de se scandaliser.
qui leur incombe, d'élever ou faire élever chrétiennement leurs enfants, et protester
auprès des maîtres qui trahissent leur mission. Allons plus loin. L'Église, comme toute
autre personne qui remplit les conditions voulues, doit jouir de la liberté d'ouvrir elle-
même des écoles[347]: primaires, secondaires et supérieures (universités). A quel titre
l'enseignement pourrait-il devenir le monopole de l'État? Est-ce que, de droit naturel,
les enfants n'appartiennent pas aux parents d'abord, à la société ensuite? N'est-ce pas à
ceux qui ont donné la vie du corps qu'il revient de former l'intelligence et de faire
l'éducation de l'esprit? Mais s'il est vrai que l'instruction est une fonction des parents,
Du second droit découle l'origine de l'Index. On appelle Index le catalogue des livres
condamnés par le Saint-Office comme nuisibles à la foi ou aux bonnes mœurs, et dont
la lecture et la détention sont défendues aux fidèles.
L'ORIGINE de l'Index, en tant que catalogue, remonte au XVIe siècle. C'est seulement
quand, par l'invention de l'imprimerie, les livres en général et les mauvais livres en
particulier, se multiplièrent, que l'Église sentit le besoin de surveiller plus attentive-
ment les productions littéraires. Nous trouvons la première ébauche de l'Index dans un
catalogue de livres prohibés, dressé par les ordres de PAUL IV en 1557 d'abord, puis
en 1559 ; mais la véritable institution de l'Index date du concile de Trente et de PIE IV,
qui promulgua un catalogue avec un ensemble de règles concernant la publication, la
lecture et la détention des ouvrages répréhensibles (1564). Ces règles ont été plusieurs
fois retouchées par différents papes, et, en dernier lieu, par LÉON XIII, qui, dans sa
Constitution apostolique Officiorum ac Munerum (fév. 1897), porta des Décrets
généraux sur la prohibition et la censure des livres. Le Saint-Siège ne pouvant con-
naître tous les livres pernicieux qui sont édités dans le monde entier, LÉON XIII
qui attaquent, à l'occasion, la religion ou les bonnes mœurs ; — 4. les livres des
acatholiques qui traitent ex professo de la religion, à moins qu'il ne soit constaté qu'ils
ne contiennent rien contre la religion catholique ; — 5. les livres ou brochures qui
édicta un certain nombre de règles générales qui condamnent en bloc tous les mauvais
livres, règles qui forment le canon 1399 du Code.
A cette liste de livres condamnés d'une manière générale, il faut ajouter tous les livres
désignés nommément au catalogue de l'Index. A ce sujet, il convient de remarquer que
les rigueurs de l'Index ont été adoucies. Autrefois, des condamnations globales étaient
portées contre toutes les productions d’un auteur dont les tendances étaient reconnues
mauvaises. Ces prohibitions faites en haine de l’auteur, ont disparu de la récente
édition de l'Index.
USAGE. — Ceux-là seuls peuvent lire et garder les livres condamnés, qui en ont reçu
régulièrement l'autorisation du Saint-Siège ou de ses représentants.
« Les libraires ne peuvent ni vendre, ni prêter, ni garder les livres qui traitent ex
professo de choses obscènes ; quant aux autres livres condamnés, ils ne peuvent les
vendre qu'avec l'autorisation du Saint-Siège, et seulement à ceux qu'ils croient
prudemment avoir le droit légitime de les acheter (can. 1404).
« Les Ordinaires, et tous ceux qui ont le soin des âmes doivent opportunément avertir
les fidèles du danger et du mal de la lecture des mauvais livres, surtout des livres
condamnés. » (Can. 1405, § 2.)
La VALEUR de l'Index découle de ce qui a été dit précédemment (N° 402) au sujet de
l'autorité en général des décisions des congrégations, de celles du moins qui reçoivent
425. —Objection. — Bien des critiques ont été élevées contre l'Index. Au nom des
grands principes modernes : liberté de conscience, liberté d'opinions, liberté de parole
et d'écrit, l'on attaque la législation de l'Église et le droit qu'elle revendique de
défendre l'usagé de certains livres.
Réponse. — Le droit de l'Église de proscrire les livres dangereux, repose sur la Sainte
Écriture, sur la tradition et sur la raison : — 1) Sainte Écriture. Comme nous l'avons
vu (N° 310), l'Église a reçu de Jésus-Christ la mission d'enseigner la doctrine du
Christ. De là dé ouïe pour elle le devoir, non seulement de prêcher la vraie doctrine,
mais de s'opposer à tout ce qui pourrait entraver la conservation de la vérité intégrale:
elle a donc plus que le droit, elle a le devoir de flétrir et de condamner les livres impies
ou immoraux. — 2) Tradition. La pratique de l'Église, encore que, sous, sa forme
actuelle, elle date seulement du XVIe siècle, remonte aux origines du christianisme.
Saint Paul met son disciple Timothée en garde contre les discours profanes et vains qui
font des ravages comme la gangrène (II Tim., II, 16, 17), recommandation qui doit
s'entendre autant et plus encore des discours écrits. Il est dit, en outre, dans les Actes
(XIX, 19) que, à la suite de ses prédications à Éphèse, « beaucoup de ceux qui s'étaient
adonnés aux superstitions dangereuses, apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant
tout le peuple ». Depuis les Apôtres, les Pères de l'Église, les conciles et les papes
n'ont jamais cessé de stigmatiser les mauvais livres, ainsi que le rappelle LÉON XIII
dans sa constitution « Officiorum » : « L'histoire, dit il, atteste le soin et le zèle vigilant
des Pontifes romains à empêcher la libre diffusion des ouvrages hérétiques, véritable
calamité publique. L'antiquité chrétienne est pleine de ces exemples. Anastase 1er
condamna rigoureusement les écrits dangereux d'Origène ; Innocent Ier ceux de Pelage,
et Léon le Grand tous ceux des manichéens... De même, dans le cours des siècles, des
sentences du Siège Apostolique ont frappé les livres funestes des monothélites,
d'Abélard, de Marsile de Padoue, de Wicleff et de Huss. »[349] — 3) Raison. I1 est
évident que la doctrine qui revendique, au nom de la liberté, le droit illimité pour tout
individu, de soutenir sur toutes les questions l'opinion qu'il lui plaît, est une doctrine
absurde, déraisonnable et anarchique. Ce serait en effet mettre sur le même pied le
bien et le mal, le juste et l'injuste, le vrai et le faux, la vertu et le vice. Aucune société
ne s'accommoderait de tels principes ; quelque loin que puisse aller son amour de la
liberté, il y a cependant des limites qu'elle n'oserait dépasser. Pourquoi s'étonner alors
que l'Église, qui est une société parfaite, qui a pour ses sujets la sollicitude d'une mère,
prenne le plus grand soin à écarter le poison qui menace l'âme de ses enfants!
426. — Parmi les principaux droits que l'Église détient de son pouvoir de
gouvernement, il convient de citer :
Que, dans le cours des siècles, l'Église ait varié dans le mode d'organiser sa hiérarchie,
qu'il lui soit arrivé, par exemple, d'accorder au peuple ou aux chefs d'État le privilège
d'intervenir et de désigner eux-mêmes le candidat, il n'y a pas lieu de s'en étonner. Ce
sont là autant de concessions que l'Église a faites en raison des avantages que par
ailleurs elle en retirait. Il est bien certain, en effet, pour ne prendre qu'un exemple, que
l'élection des ministres sacrés par le peuple, avait le double avantage de désigner, tout
au moins d'une manière générale, le candidat le plus digne (vox populi vox Dei) et, en
tout cas, celui qui devait être le mieux agréé. De toute façon, de telles concessions
n'ont jamais rien retranché et ne retrancheraient rien, si elles étaient faites à nouveau,
au droit imprescriptible que l'Église possède de nommer elle-même ses pasteurs et de
leur donner l'institution canonique.
427. — 2° Le droit de fonder des Ordres religieux. — Deux côtés sont à considérer
dans la fondation des Ordres religieux : le côté spirituel et le côté temporel. Le
premier, qui consiste dans le choix d'un genre de vie le plus propre à l'observation des
conseils évangéliques, rentre dans les droits de l'Église. Indubitablement, c'est à elle
qu'il revient de régler la forme suivant laquelle il convient de pratiquer les conseils
évangéliques. Le côté temporel, puisque aucune association terrestre, de quelque
nature qu'elle soit, ne saurait s'en désintéresser, est du ressort du pouvoir civil, mais
celui-ci a le devoir de traiter ces questions, d'accord avec l'Église.
L'on objecte contre le droit de propriété que, les biens de l'Église étant des biens de
mainmorte, ils causent à l'État et à la société un préjudice très grave, car, du fait qu'ils
sont rarement aliénés et jamais transmis, ils échappent aux droits de mutation. —
L'objection ne vaut pas, attendu que l'État, d'un côté, peut toujours limiter l'étendue du
droit d'acquisition, et de l'autre, qu'il sait remplacer les impôts de mutation par d'autres
non moins lourds. C'est ainsi qu'en France les propriétés des religieux ont été frappées
du « Droit d'accroissement», qui constitue un impôt d'exception dépassant plusieurs
fois les impôts qu'ont à payer les sociétés anonymes, industrielles, commerciales, ou
financières.
Le pouvoir temporel de la Papauté est une des questions sur lesquelles la doctrine de
l'Église a été souvent et âprement discutée. Ses adversaires représentent le pouvoir
temporel comme une usurpation, et comme le fruit de l'ambition des papes, fis le
disent incompatible avec le pouvoir spirituel et en opposition avec les paroles de
Jésus-Christ qui a proclamé que son royaume n'était pas de ce monde (Jean, XVIII,
36). Et ils concluent que PIE IX, en censurant dans le Syllabus les adversaires du
pouvoir temporel, a commis un véritable abus de pouvoir. Ces attaques sont
injustifiées. Assurément, la souveraineté temporelle du Pape n'est pas un dogme. Elle
n'est pas d'institution divine, et l'on ne saurait prétendre davantage qu'elle soit d'une
nécessité absolue, vu qu'elle n'a pas toujours existé et qu'elle n'existe plus. Mais c'est à
tort qu'on l'accuse d'être illégitime et de ne servir à rien, bien plus, d'être nuisible et de
faire tort à la puissance spirituelle. — 1. Loin d'être illégitime, le pouvoir temporel des
Papes s'appuie sur les titres les plus authentiques. Ce sont les peuples eux-mêmes qui
ont investi les Papes de leur souveraineté temporelle. Certains auteurs ont mis l'origine
du pouvoir temporel dans une donation de CONSTANTIN, lorsque cet empereur,
devenu chrétien, abandonna Rome au Pape et alla fonder Constantinople. Cette
opinion n'a plus guère de créance ; ce qui est plus vrai, c'est que, à partir de ce
moment, les empereurs furent inférieurs à leur tâche. Au moment où les barbares
a) l'excommunication est une censure qui retranche celui qui en est frappé de la
communion des fidèles (can. 2257, §1). Il y a deux classes d'excommuniés : les
excommuniés dénoncés ou à éviter (vitandi) et les excommuniés tolérés, selon qu'ils
ont été, ou non, nommément excommuniés. Tout excommunié est privé du droit
d'assister aux offices divins, sauf à la prédication (Can. 2259), du droit de recevoir les
sacrements (Can. 2260). Il ne peut administrer licitement les sacrements, sauf dans le
péril de mort (Can. 2261). Il ne participe plus aux indulgences, suffrages, prières
publiques de l'Église (Can. 2262), et ne peut plus être pourvu des bénéfices et des
charges ecclésiastiques (Can. 2263). L'excommunié dénoncé est privé de la sépulture
ecclésiastique (Can. 2260). [354] Comme toute peine, l'excommunication est dite
latae sententiae (sentence portée d'avance) ou ferendae sententiae (sentence à porter)
selon qu'elle est encourue par le fait même (ipso facto) qu'on a commis une faute
déterminée car les canons, ou qu'elle a seulement son effet après la sentence rendue
contre le coupable. — b) La suspense est une censure qui enlève au clerc ou au prêtre
l'usage delà totalité ou d'une partie de ses pouvoirs : elle le prive, soit des fonctions de
son pouvoir d'ordre (suspense a divinis) soit de son office, c'est-à-dire de ses pouvoirs
de juridiction (suspense a jurisdiclione), soit de son bénéfice, c'est-à-dire des revenus
attachés à son titre. Si la suspense est totale, elle le prive des trois à la fois. Le prêtre
suspens a divinis ne peut plus exercer licitement les fonctions qui relèvent de son
pouvoir d'ordre (v. g. dire la messe, administrer les sacrements). Le prêtre suspens a
iurisdictione ne peut plus exercer ni validement ni licitement aucun acte de juridiction
il n'administre donc plus validement le sacrement de Pénitence qui requiert le pouvoir
de juridiction pour être valide. Mais le clerc suspens peut, comme tous les fidèles
participer à l'usage passif, ou réception, des sacrements. — c) l'interdit « prive de
l'usage de certaines choses saintes, comme, par exemple, de quelques sacrements de
quelques offices publics, de quelques cérémonies solennelles, de la sépulture
ecclésiastique, etc. »[355] (voir can. 2268 et suiv.) On distingue : 1. l’interdit
personnel qui frappe clercs ou laïcs ; 2. l’interdit local, s’il est prononcé contre un
lieu : église, cimetière, ville, paroisse ; 3. l’interdit particulier qui n’atteint qu’un
personne ou un lieu ; 4. l’interdit général qui frappe toute une contrée[356], le clergé
de tout un Etat, tous les membres d'un chapitre, d'une congrégation, etc.
Il est vrai que l'Église, par rapport à la fin qu'elle poursuit, est une société spirituelle.
Mais, toute spirituelle qu'elle est, ce n'en est pas moins une société composée
d'hommes, par conséquent, d'éléments visibles comme toutes les autres sociétés.
Comme celles-ci, elle a donc le droit de se protéger contre ceux qui mettent son
existence en péril. Et si les peines spirituelles ne suffisent pas, pourquoi ne pourrait-
elle pas, par des moyens corporels, empêcher ses enfants dévoyés et rebelles, de nuire
aux autres, les ramener eux-mêmes dans la voie du devoir et, s'il le faut, sacrifier le
corps pour sauver l'âme?
Ce droit, l'Église l'a toujours revendiqué, et, tout récemment encore, PIE IX ne
craignait pas de condamner l'opinion contraire ainsi formulée dans la proposition
XXIV du Syllabus : « L'Église n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun
pouvoir temporel direct ou indirect. » Mais si l'Église s'est reconnu dans le passé, et se
reconnaît encore le droit d'appliquer des peines corporelles, elle est la première à
estimer que ce qui a pu convenir à une époque où la société était chrétienne, où les
principes de la religion pénétraient si profondément les institutions politiques, ne s'ac-
commoderait plus aux besoins du moment. Il ne faut donc pas s'étonner de ce que
l'Église, au moyen âge, recourut au bras séculier pour punir les crimes, comme ceux
d'hérésie, qui semblent être du domaine exclusif des idées pures, mais qui, en fait,
troublaient la sécurité de l'État chrétien, et devenaient alors de véritables crimes
sociaux et politiques. Il est d'ailleurs contraire aux lois élémentaires de la critique
historique de juger les mœurs du passé par celles du présent, les idées anciennes par
les idées modernes.
433. — Bien que société parfaite, l'Église est appelée à vivre dans l'État. Voilà, par le
fait, deux sociétés autonomes, indépendantes, placées, sinon en face, du moins à côté
l'une de l'autre. Quelles seront donc leurs relations ? II y a deux façons de les
déterminer. Ou bien l'on considère l'Église seule, dans sa divine constitution, — avec
ses pouvoirs et ses droits, — sans tenir compte des situations diverses dans lesquelles
elle peut se trouver» Ou bien on la considère d'une manière concrète et dans les
circonstances de fait auxquelles forcément elle doit s'adapter. En d'autres termes, il y a
lieu de distinguer entre les principes et leur application, entre la théorie et la pratique,
ou, pour employer les termes courants, entre la thèse et l'hypothèse. Toutefois, si l'on
prend soin de remarquer que les principes peuvent s'appliquer dans le cas d'un État
catholique, la thèse se confond alors avec l'hypothèse. D'où il suit que nous pouvons
établir les relations de l'Église et de l'État en restant toujours dans le domaine des
réalités. Ainsi ferons-nous dans les deux paragraphes suivants où nous étudierons les
rapports des deux sociétés : 1° dans le cas d'un État catholique ; et 2° dans le cas d'un
État acatholique.
Le libéralisme modéré, avec des nuances diverses, a été la grande erreur du siècle
dernier. Nous le voyons naître, avec LAMENNAIS, quelque peu après la Révolution
de 1830. En face d'une société totalement transformée, et désormais acquise à ce qu'on
appelle les libertés modernes, les libéraux catholiques rêvèrent de réconcilier l'Église
A. Les Principes. — 1. L'Église et l'État sont tous les deux des pouvoirs distincts,
indépendants, chacun dans son domaine. « Dieu, dit LÉON XIII dans son Encyclique
Imrnortale Dei, a divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances, la
puissance ecclésiastique et la puissance civile : celle-là préposée aux choses divines,
celle-ci aux choses humaines. Chacune d'elles en son genre est souveraine, chacune est
renfermée dans des limites parfaitement déterminées, et tracées en conformité de sa
nature et de son but spécial ». Il n'est donc pas vrai de prétendre, avec le césarisme et
le libéralisme absolu, que l'État est le pouvoir souverain d'où découlent tous les droits,
ceux de l'Église aussi bien que ceux des autres sociétés. Sans doute, l'Église est dans
l'État, mais elle y est, comme société parfaite, et non comme une partie qui doit être
subordonnée au tout. Chaque puissance est souveraine dans sa sphère, et cette sphère
est tracée par la nature et la fin des deux sociétés. A l'Église donc les affaires
spirituelles, c'est-à-dire tout ce qui se rapporte au salut des âmes : prédication de
l'Évangile, administration des sacrements, célébration du culte divin, jugement sur la
moralité des actes humains, etc. A l'État, les affaires temporelles, c'est-à-dire tout ce
qui concerne les intérêts matériels de ses sujets et ce qui est requis pour le bien et la
protection de la société, comme le pouvoir de déterminer les droits politiques des
citoyens, les effets civils des contrats, d'établir des impôts, de lever des armées, de
promouvoir les sciences et les arts, de punir les transgresseurs des lois civiles, etc.
Les deux puissances étant souveraines, chacune dans leur sphère, il s'ensuit que l'une
est subordonnée à l'autre pour tout ce qui n'est pas de son ressort. Donc l'Église est
dépendante et subordonnée à l'État dans les questions temporelles ; elle est
indépendante et souveraine dans les questions spirituelles, et c'est du reste la condition
de son existence. Car si l'Église était assujettie au pouvoir civil sur le terrain religieux,
elle serait fractionnée en autant de parties qu'il y aurait d'États ; elle ne serait plus ni
une, ni universelle, ni indéfectible : en un mot elle ne serait plus l'Église catholique.
Ainsi, d'après la doctrine catholique, si l'Église et l'État ont des domaines distincts, ils
ont aussi des frontière? communes. Et comment en serait-il autrement, alors que les
deux sociétés détiennent leurs pouvoirs de Dieu et s'adressent aux. mêmes sujets? I1
est vrai que leurs fins sont différentes, mais celles-ci ne doivent jamais s'opposer entre
elles, plus que cela, la fin temporelle, que poursuit l'État, manquerait son but si, en
définitive, il n'était pas tenu compte de la fin éternelle et de la destinée future. Il peut
donc arriver que les mêmes objets (v. g. les écoles, le mariage, à la fois contrat civil et
religieux), et quoique à des titres différents, ressortissent à la juridiction de l'une et de
l'autre puissance», comme dit LÉON XIII. Il peut arriver encore que certaines choses,
temporelles de leur nature, rentrent dans l'ordre spirituel par leur destination et
tombent de ce fait sous la juridiction de l'Église. Tel est le cas des lieux et des objets
sacrés : églises, mobilier, servant au culte, biens destinés à l'entretien des ministres,
etc. Sur ces différents points qui forment ce qu'on appelle les questions mixtes, on ne
saurait contester la juridiction de l'Église. Il est même permis d'aller plus loin et de dire
que, à un certain point de vue, l'Église a un pouvoir indirect sur toutes les choses
temporelles, non pas en tant qu'elles sont temporelles, mais parce qu'elles doivent
toujours être des moyens d'atteindre la fin surnaturelle. C'est en vertu de ce pouvoir
que les Papes du moyen âge se sont parfois élevés contre les princes qui abusaient de
leur puissance, qu'ils sont allés jusqu'à les déposer comme indignes de la souveraineté
et ont délié leurs peuples du serment de fidélité.
Il suit de là que, en principe, s'il surgit des conflits, l'État doit céder, puisque son
pouvoir est inférieur à celui de l'Église par sa nature et sa fin. En pratique, il convient
qu'il y ait union entre les pouvoirs ; il faut que l'Église et l'État, loin de s'ignorer
réciproquement, se parlent, fassent des conventions ou concordats[358] et que ces
derniers soient loyalement observés par tous les deux.
437. — B. Application des principes dans le cas d'un État catholique. — Dans
l'hypothèse d'un État catholique, c'est-à-dire, là où les principes peuvent recevoir leur
application, quels seront donc les devoirs réciproques de l'Église et de l'État ?
L'on peut dire, d'une manière générale, que la concorde qui doit régner entre eux
requiert : — 1) du côté négatif : que chaque puissance veille à. ne pas violer les droits
de l'autre et à ne pas entraver son action ; — 2) du côté positif, que chacune mette au
service de l'autre l'influence dont elle dispose pour le bien des deux sociétés.
438. — 1re Objection. — Contre la thèse catholique, nos adversaires objectent les
empiétements de l'Église, et font remarquer que, si l'État admet l'indépendance de
l'Église, et lui reconnaît tous les droits qu'elle revendique, elle formera un « État dans
l'État» et deviendra un gouvernement théocratique intolérable.
439. — 2e Objection. — Mais, dit-on encore, si l'État impose à ses sujets un culte
quelconque, s'il prétend remplir, au nom de tous, des devoirs que tous ne reconnaissent
pas, et plus encore, s'il met sa puissance au service de l'Eglise contre les hérétiques et
contre ceux qui ne veulent pas de religion, ne sort-il pas de son rôle? N'opprime-t-il
pas les consciences et n'est-il pas intolérante Et que deviendront alors nos libertés
modernes : liberté de pensée et de parole, liberté de conscience et de culte?
Réponse. — a) Observons d'abord que nous nous sommes placés, pour établir la thèse
catholique, dans l'hypothèse d'une société unie dans les mêmes croyances. Or il est
évident qu'aucune société ne peut subsister si les principes sur lesquels elle s'appuie,
ne sont pas respectés. On l'admet bien quand il s'agit, par exemple, des institutions,
comme celles de la famille et de la propriété. Pourquoi le rejetterait-on a propos de la
religion, si l'on reconnaît, par ailleurs, qu'elle est une des bases de la société! A ceux
qui prêcheraient la polygamie, la polyandrie, l'union libre, à ceux qui voudraient
renverser la propriété individuelle, l'État ne manquerait pas d'opposer la contrainte. I1
agirait de même avec les internationalistes, qui refuseraient de concourir, par le service
militaire, à l'unité de la patrie. Dira-t-on que l'État fait acte de tyrannie lorsqu'il
poursuit les révolutionnaires et les anarchistes qui menacent sa sécurité? Tous les gens
sensés avouent qu'il ne fait au contraire que jouer son rôle et remplir sa mission. « Eh
bien, dit Mgr D'HULST, transportez ces principes dans une société dont tous les
membres sont chrétiens, où la croyance religieuse rencontre, sinon l'unanimité absolue,
qui n'est pas de ce monde, du moins la même unanimité morale que nous constations
tout à l'heure à l'égard des idées qui inspirent et soutiennent nos institutions fonda-
b) Lorsqu'on nous objecte les « libertés modernes », il semble bien qu'on sort de
l'hypothèse d'une société presque exclusivement catholique. Voyons cependant ce qu'il
faut en penser, du seul point de vue absolu, c'est-à-dire en restant sur le terrain des
principes. L'Église condamne-t-elle toutes ces libertés que l'on considère comme le
fondement de la société moderne1? Condamne-t-elle, en particulier, la liberté de penser
et de parler, la liberté de conscience et de culte ? Avant de répondre à cette question, il
est bon de s'entendre sur le sens qu'il faut attacher au mot liberté. D'après la doctrine
de l'Église, la liberté c'est le pouvoir physique d'agir de toile ou de telle façon, mais ce
n'est pas le droit d'agir de n'importe quelle façon. La raison prescrit à l'homme de
croire ce qui est vrai et de faire ce qui est bien. La liberté ne peut donc pas être le droit
de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, le juste et l'injuste. « La
volonté, dit LÉON XIII, par le seul fait qu'elle dépend de la raison, dès qu'elle désire
un objet qui s'écarte de la droite raison, tombe dans un vice radical qui n'est que la
corruption et l'abus de la liberté. Voilà pourquoi Dieu, la perfection infinie, qui, étant
souverainement intelligent et la bonté par essence, est aussi souverainement libre, ne
peut pourtant en aucune façon vouloir le mal moral... La faculté de pécher n'est pas
une liberté, mais une servitude. » (Enc. Libertas).
Les libéraux, qui mettent en avant les libertés modernes, pour combattre ce qu'ils
appellent l'intolérance de l'Église, entendent-ils par là que l'homme a le droit de
penser, de dire, d'écrire, d'enseigner tout ce qu'il veut, le faux comme le vrai, le mal
comme le bien, qu'il a une liberté de conscience illimitée, qu'il « lui est loisible de
professer telle religion qui lui plaît ou même de n'en professer aucune », qu'il a le droit
de s'affranchir de ses devoirs envers Dieu? Si telle est leur conception de la liberté, il
est évident qu'elle est en opposition flagrante avec la doctrine catholique, disons plus,
avec la raison. Cette soi-disant liberté, l'Église l'appelle « pure licence», et assurément,
elle la condamne. Jamais elle n'admettra que la liberté puisse être le droit d'agir contre
la raison et la nature, le droit d'embrasser l'erreur et de choisir le mal.
En principe, par conséquent, l'erreur et le mal n'ont aucun droit : ils n'ont droit ni à la
tolérance ni même à l'existence. Saint AUGUSTIN a dit, il est vrai, qu'il faut «
exterminer les erreurs et aimer les hommes». Et cela est juste, mais comment frapper
les erreurs si l'on ne touche pas aux hommes qui les professent? En pratique donc,
lorsque ces hommes sont de bonne foi, — et il n'est pas permis sans de graves motifs
de supposer le contraire, — il convient de les traiter avec de grands ménagements et
beaucoup de charité : ils ont droit à la tolérance. Mais il ne faut pas que cette tolérance
puisse tourner au désavantage des autres membres de la société. Car, dans toute
société, la liberté individuelle finit où commence le droit d'autrui. Aussi longtemps que
la liberté de pensée et de conscience se confine au for intérieur, Dieu reste le juge de
nos opinions. Mais si ello se traduit au dehors (discours ou écrits révolutionnaires),
elle tombe alors sous l'appréciation du pouvoir social, et rien n'empêche celui-ci, plus
440. — Dans le paragraphe précédent, nous avons exposé ce qu'on appelle la thèse et
l'application de la thèse dans l'hypothèse d'un État catholique. Immuables en eux-
mêmes, les principes restent toujours vrais, et ne dépendent ni de la reconnaissance ni
de l'approbation du pouvoir civil. Cependant, tout immuables qu'ils sont, ils ne sont
pas absolus quant à leur application. Dans la revendication de ses droits, l'Église est
bien obligée de tenir compte des contingences et d'accepter la situation de fait qui lui
est imposée. Mais, en se pliant aux circonstances, elle n'abandonne rien de ses
principes. C'est sur ce point que le libéralisme se met en opposition avec la doctrine
catholique. Son erreur consiste précisément à ne pas distinguer entre la thèse et
l'hypothèse, à accorder en principe les mêmes droits à l'erreur et à l'hérésie qu'à la
vérité et à l'orthodoxie, et à faire rentrer tous les cultes dans le même droit commun.
Les principaux cas, où l'Église ne peut pas appliquer ses principes, sont «eux : 1° d'un
État hétérodoxe ; 2° d'un État infidèle; et 3° d'un État neutre.
1° Hypothèse d'un État hétérodoxe. — Les États hétérodoxes sont ceux qui, tout en
appartenant à la religion chrétienne, sont séparés de l'Église catholique par le schisme
ou l'hérésie. En principe, les États chrétiens doivent reconnaître à l'Église catholique
441. — 2° Hypothèse d'un État infidèle. — Nous désignons sous ce titre toutes les
religions dont nous avons démontré la fausseté dans la première section de la seconde
Partie. En principe, l'Église catholique, s'appuyant sur la raison et sur toutes les
preuves qui font éclater la transcendance du christianisme, peut réclamer tous les
droits qui, du seul point de vue naturel, doivent être accordés à la vraie religion. En
pratique, les missionnaires qui évangélisent les contrées païennes, ne revendiquent
guère que la liberté de prêcher la foi du Christ, et trop souvent ils l'achètent au prix de
leur sang.
442. — 3° Hypothèse d'un État neutre. — Ce que nous appelons ici « État neutre»
pourrait s'appeler tout aussi bien État libéral. Il désigne, de toute façon, l'État qui,
acceptant les libertés modernes, ne reconnaît aucun culte officiel. Quelles seront, dans
cette hypothèse, les relations de l'Église et de l'État? La réponse ne saurait être
générale. — 1. S'agit-il d'un État vraiment neutre, où les sectes dissidentes sont
nombreuses, il est clair que l'union de l'Église et de l'État est pratiquement impossible.
Le régime de la séparation devient alors la situation normale. L'Église, quoique ne
reniant rien de ses principes, peut donc, en pratique, accepter la séparation comme le
seul « modus vivendi» possible dans telle circonstance donnée. Mais qui dit séparation
ne dit pas désunion, encore moins hostilité. Pas davantage la séparation ne doit
impliquer l'indifférence. Un État, même neutre, n'a pas plus le droit de se désintéresser
de la religion que de la morale. Qu'un État ne prenne pas parti entre les diverses
religions, qu'il accepte tous les cultes, soit ; mais il lui reste toujours le devoir de
protéger la religion en général, contre les athées qui, en détruisant l'idée de Dieu,
tentent de saper la base essentielle de toute religion. Quel que soit son amour des
libertés modernes, il ne doit pas tolérer des doctrines qui compromettent la sécurité de
l'État et l'ordre public. De même qu'il ne peut permettre de tout faire, il ne peut laisser
la liberté de tout dire et de tout enseigner. Si l'État neutre ne peut donc accorder BOB
faveurs à telle religion, à l'exclusion des autres, il peut protéger toutes les religions. De
l'application de cette doctrine, les États-Unis nous fournissent un illustre exemple.
Dans ce pays, si partagé au point de vue des croyances qu'il eût été tout à fait
impolitique de protéger un culte plutôt qu'un autre, où la séparation s'imposait comme
une nécessité, nous voyons le pouvoir civil favoriser, de multiples façons, toutes les
religions, sauf la secte des Mormons (v. notre Histoire de l'Eglise, n° 298), accorder à
toutes la plus grande liberté d'action et sauvegarder les intérêts de chacune par l'équité
de ses lois et par la justice de ses jugements.
Mais, dira-t-on, s'il en est ainsi, pourquoi le pape PIE X a-t-il condamné avec tant de
véhémence la loi de Séparation par son Encyclique Vehementer du 11 février 1906?
Les raisons en sont très claires et découlent de ce que nous avons dit dans ce chapitre.
— 1) C'est, en premier lieu, que, en se plaçant sur le terrain de la thèse, la séparation
n'est pas le régime normal, et contredit la doctrine de l'Église. — 2) C'est, en second
lieu, que la rupture -d'un concordat ne doit se faire que du consentement réciproque
des deux parties contractantes, comme PIE X le déclare : « Le concordat passé entre le
Souverain Pontife et le gouvernement français, comme du reste tous les traités du
même genre que les États concluent entre eux, était un contrat bilatéral qui obligeait
des deux côtés. Le Pontife romain, d'une part, le chef de la nation française, de l'autre*
s'engagèrent solennellement, tant pour eux que pour leurs successeurs, à maintenir
inviolablement le pacte qu'ils signaient. Il en résultait que le- concordat avait pour
règle, la règle de tous les traités internationaux, c'est-à-dire le droit des gens, et qu'il ne
pouvait en aucune manière être annulé par le fait d'une seule des deux parties ayant
contracté... Or aujourd'hui l'État abroge de sa seule autorité le pacte solennel qu'il avait
signé. Il transgresse ainsi la foi jurée. » Sans doute, le temps et les circonstances ont
déjà fait reconnaître la justesse de ces observations, et tout nous porte à croire que,
dans un avenir assez proche, la France reprendra avec le Saint-Siège, sinon son
alliance traditionnelle, du moins un régime de bonne relation et d'entente.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
444. — Divine dans son origine et dans sa constitution, l'Église n'en reste pas moins
une société composée d'éléments humains. Il serait donc surprenant que, à travers les
diverses périodes de sa longue existence, elle n'ait jamais connu la moindre
défaillance. Le gouvernement de l'Église, comme tout autre qui se sert d'instruments
humains, a pu commettre et a certainement commis des abus. Que ses adversaires ne
perdent pas l'occasion de les lui reprocher, fort bien. Là où leurs critiques sont
impartiales, nous ne ferons pas de vains efforts pour en contester le bien-fondé. Mais
les fautes rejaillissent sur les hommes et non sur les institutions. Et même quand il
s'agit des hommes, encore convient-il de les juger sans passion, en tenant compte du
milieu où ils ont vécu, des idées de leur époque, de toutes les circonstances enfin qui
peuvent expliquer, et souvent, justifier leur conduite.
En nous appuyant sur ces principes, nous allons passer en revue les principales
accusations qui sont portées contre l'Église. Et comme une société ne doit pas être
jugée d'après les fautes qu'on lui reproche avec plus ou moins de raisons, en face des
accusations nous dresserons un rapide inventaire des services que l'Église a rendus. Ce
chapitre comprendra donc deux articles : 1° Les principales accusations contre
l'Église. 2° Les services rendus par l’ Église.
Les principales accusations portées contre l'Église sont les suivantes : 1° Les
Croisades. 2° La Croisade des Albigeois et Y Inquisition. 3° Les Guerres de religion et
la Saint-Barthélemy. 4° Les Dragonnades et la Révocation de l'Édit de Nantes. 5° Le
Procès de Galilée. 6° l’ingérence des Papes dans les affaires temporelles. 7° Le
Syllabus et la condamnation des libertés modernes.
445. — Remarque préliminaire. — Toutes les questions que nous allons étudier
comporteraient de longs développements, s'il fallait les traiter dans toute leur étendue.
Tel n'est pas ici notre rôle. L'apologiste ne fait pas œuvre d'historien, et il lui suffit de
se borner aux seuls points qui sont indispensables à l'intelligence du sujet. Chaque
paragraphe comprendra donc trois divisions : 1° un exposé succinct des faits ; 2°
L’accusation portée par les adversaires ; 3° la réponse, où nous aurons à dégager
l'Église des griefs qui ne lui incombent pas.
446. — Exposé des faits. — Les croisades, au nombre de huit, — ainsi dénommées
parce que ceux qui y prenaient part, portaient sur leurs habits une petite croix d'étoffe
rouge, — furent des expéditions entreprises dans le but d'arracher les Lieux Saints à la
domination des musulmans.
Depuis le IVe siècle, les Lieux Saints étaient le but de nombreux pèlerinages. Attires là
par un motif de piété ou de repentir, les chrétiens jouirent d'une assez large tolérance,
aussi longtemps que Jérusalem resta sous le joug des Arabes. Mais lorsque les Turcs
Seldjoukides s'emparèrent de la ville, en 1078, menaçant l'empire byzantin et la
chrétienté tout entière, non seulement les relations économiques entre l'Asie et
l'Europe furent troublées, mais les pèlerins furent maltraités par les Turcs fanatiques.
C'est alors que le pape URBAIN II, voulant protéger les chrétiens opprimés, tant ceux
qui étaient fixés à Jérusalem que ceux qui ne faisaient qu'y passer, conçut l'idée de la
croisade. A sa voix et à celle d'un moine picard, PIERRE L'ERMITE, les populations
se soulevèrent d'indignation, et l'on décida de partir en masse pour la délivrance de la
Terre Sainte.
447. — 2° Accusation. — Nos adversaires prétendent que les Croisades furent l'œuvre
de l'ambition des papes et qu'elles aboutirent à de misérables résultats.
448. — 3° Réponse. — Ainsi les ennemis de l'Église attaquent les Croisades à la fois
dans leur principe et dans leurs résultats. — A. LE PRINCIPE. On vient de le voir :
les Croisades eurent pour but la délivrance des Lieux Saints. Accuser les Papes d'en
avoir été les promoteurs, c'est leur reprocher A'avoir fait leur devoir. Que les Papes
aient profité de leur autorité incontestée sur les rois et les princes chrétiens pour les
déterminer à se croiser, il n'est que trop naturel, mais, en tout cela, nous ne voyons pas
les traces d'une ambition de mauvais aloi qui ne recule pas devant l'injustice d'une
cause pour satisfaire la soif de domination d'un homme. Au contraire, l'on peut dire
que les Papes furent de tous les souverains de leur temps, les plus clairvoyants, car ils
Estimant que les Albigeois faisaient courir un grave danger à l'Église et à la société
civile, la papauté entreprit de les réduire par la force. Le concile de Latran, en 1139,
puis le concile de Reims, en 1148, prononcèrent des sentences contre eux, et défen-
dirent aux seigneurs de les recevoir sur leurs terres, sous peine d'interdit. Or les princes
répondirent avec empressement à l'appel de l'Église ; ils mirent même tant d'ardeur
dans la répression de l'hérésie qu'ils en vinrent bientôt à accuser la papauté de faiblesse
et à réclamer de nouvelles mesures de rigueur. Alors, en 1179, le IIIe concile de
Latran, puis, en 1184, sous l'inspiration du pape Lucius III et de l'empereur FRÉ-
DÉRIC BARBEROUSSE, le synode de Vérone portèrent des décrets qui enjoignaient
aux évêques de rechercher, par eux-mêmes ou par des commissaires, ceux qui sur leur
territoire étaient suspects d'hérésie, de les faire juger par l'officialité diocésaine et d'en
faire exécuter la sentence par les magistrats civils. Mais ces mesures ne furent que
médiocrement efficaces. Les évêques qui étaient souvent en rapports de parenté ou
d'amitié avec les familles des hérétiques, montraient peu de zèle à suivre les
prescriptions du synode. Ce fut seulement en 1207, et après l'assassinat du légat du
Pape, PIERRE DE CASTELNAU, par les ordres du comte de Toulouse, RAYMOND
VI, que le pape INNOCENT III résolut de mettre un terme à leurs violences contre les
catholiques. Après avoir excommunié leur protecteur, le comte RAYMOND, le pape
convoqua les princes et les peuples à une nouvelle croisade, non plus cette fois contre
les infidèles, mais contre les hérétiques qui jetaient le trouble dans le pays. Les
seigneurs accoururent et se rangèrent sous la bannière de SIMON DE MONTFORT,
poussés plus, il est vrai, par les appâts du gain que par les intérêts de l'orthodoxie. La
guerre, qui dura vingt ans, et dont les événements principaux furent le siège de Béziers
(1209), la bataille de Muret (1213) et le massacre de Marmande (1219), fut marquée
par un grand nombre d'atrocités. Mais il convient d'ajouter que le pape INNOCENT III
désavoua ceux qui s'en rendirent coupables.
Les sentences n'étaient pas toujours rendues sur-le-champ. Il arrivait, comme cela se
passa assez fréquemment au Portugal, en Italie, et surtout en Espagne, qu'elles étaient
prononcées au milieu du peuple assemblé et en grand apparat : c'est ce qu'on appelait
l'autodafé. L'autodafé (mot espagnol qui signifie acte de foi),—- ainsi dénommé parce
que celui qui était chargé de lire les sentences, s'interrompait de temps en temps pour
faire réciter par l'assistance des actes de foi,— était donc la lecture solennelle des
sentences portées contre ceux que le tribunal de l'Inquisition avait eu à juger. S'ils
étaient déclarés innocents, on les remettait en liberté ; s'ils étaient déclarés coupables,
ils étaient mis en demeure d'abjurer aussitôt. Quant aux opiniâtres et aux relaps, c'est-
à-dire ceux qui refusaient de rétracter leurs erreurs ou qui étaient convaincus de
récidive, ils étaient frappés de pénalités diverses : pénitences canoniques, amendes,
contributions à des œuvres pies, port sur les vêtements de petites croix, croisade
pendant un temps déterminé, pèlerinage en Terre Sainte, confiscation des biens ; ou
peines afflictives comme la flagellation, l'emprisonnement temporaire ou perpétuel, et,
— la peine la plus grave, — la mort par le bûcher. Toutefois cette dernière peine n'était
pas prononcée par le tribunal de 1 Inquisition mais par les juges civils, autrement dit,
par le bras séculier, auquel les juges ecclésiastiques remettaient en certains cas ceux
qui étaient convaincus d'hérésie.
c) Champ d'action. — L'Inquisition fut établie peu à peu dans une grande partie de la
chrétienté. Cependant plus d'un pays catholique lui échappa. Elle ne pénétra en
Angleterre qu'à propos de l'affaire des Templiers et uniquement pour cette affaire. En
France, elle ne fonctionna guère, du moins d'une façon suivie, que dans les régions
méridionales, dans ce qu'on appelait le comté de Toulouse, et plus tard le Languedoc,
puis dans l'Aragon. L'édit de Romorantin, en 1560, la supprima et reconnut aux
évêques seuls le droit d'informer contre l'hérésie, jusqu'au moment où les Parlements,
s'emparant de cette partie de la juridiction épiscopale, s'attribuèrent la connaissance
exclusive des procès contre les hérétiques, les magiciens et les sorciers. Les
inquisiteurs s'établirent en outre dans les Deux-Siciles, en maintes cités de l'Italie et en
Allemagne[362].
Mais c'est surtout en Espagne que l'Inquisition a laissé les plus profonds et les plus
regrettables souvenirs. Instituée dès le XIIIe siècle, suivant les formes canoniques, elle
fut modifiée, à la fin du XVe siècle, par FERDINAND V et ISABELLE. SOUS leur
Cependant il ne faut rien exagérer, et, qu'il s'agisse des abus ou de l'institution elle-
même, il convient de les apprécier avec un esprit impartial. — a) Les abus.
Assurément, l'Inquisition a été une institution humaine où les intérêts supérieurs de
l'Église ont été parfois sacrifiés aux passions, aux haines et aux intérêts des juges. L'on
a fait remarquer[363] que la peine de la confiscation, en excitant les convoitises, a pu
déterminer des jugements iniques, que des haines personnelles ont pu dicter des
b) L'institution. — En dehors des abus qui ont pu être commis et qui sont imputables
aux inquisiteurs, et non à l'Église qui les a désavoués, l’institution elle-même a été
l'objet des plus acerbes critiques. Les particularités de sa procédure dont nous avons
relevé plus haut les trois traits caractéristiques, les pénalités qu'elle infligeait et, par-
dessus tout, la mort par le bûcher, ont soulevé les plus violentes diatribes contre
l'Église. — Il ne rentre pas dans notre dessein de défendre ce qui ne nous paraît pas
défendable. « Rien ne nous oblige, dirons-nous avec Mgr D'HULST, à tout justifier
dans l'histoire de cette institution : par exemple, la procédure secrète, l'instruction
poursuivie en dehors du prévenu, l'absence de débats contradictoires : ce sont des
formes juridiques arriérées qui répondent mal à un sentiment d'équité aujourd'hui
universel et qui est lui-même un fruit lentement mûri sur la tige de la civilisation
chrétienne[364]. « Toutefois, si rien ne nous oblige à tout justifier, rien ne nous
empêche non plus d'expliquer ce qui est explicable. — l. On reproche d'abord à l'In-
quisition de ne pas avoir livré les noms des dénonciateurs et des témoins à charge, et
de ne pas les avoir confrontés avec l'accusé. Or « cette coutume, dit M. DE
CAUZONS, n'avait pas été imaginée pour entraver la défense des prévenus ; elle était
née des circonstances spéciales où l'Inquisition s'était fondée. Les témoins, les
dénonciateurs des hérétiques avaient eu à souffrir de leurs dépositions devant les
juges ; beaucoup avaient disparu, poignardés ou jetés dans les ravins des montagnes
par les parents, les amis, les coreligionnaires des accusés. Ce fut ce danger de
représailles sanglantes qui fit imposer la loi dont nous nous occupons. Sans elle, ni
dénonciateurs ni témoins n'eussent voulu risquer leur vie et déposer à ce prix devant le
tribunal. » La règle de taire les noms des témoins n'était du reste pas absolue, et
l'inquisiteur les communiquait quand le danger n'existait pas ou avait disparu ; il les
communiquait toujours aux notaires, aux assesseurs, à tous les auxiliaires qui avaient
le droit et le devoir de contrôler ses actes. Ajoutons que des peines très graves
frappaient les faux témoins.
Mais, dit-on encore, les tribunaux de l'Inquisition étaient comme une menace
perpétuelle qui supprimait toute liberté de penser. Cette accusation n'est pas justifiée.
Lorsqu'elle fut organisée dans la première moitié du XIIIe siècle, l'Inquisition était
uniquement dirigée contre l'hérésie albigeoise. Elle s'étendit plus tard, il est vrai, à
d'autres hérésies comme celle des Vaudois, mais elle ne visait jamais que les
hérétiques. « Dès lors les païens et les musulmans échappaient à sa juridiction ; et si,
plus tard, en Espagne, par exemple, elle prononça contre eux des sentences, ce fut par
une contradiction avec ses principes, que lui imposa la politique des princes, plutôt que
le souci de l'orthodoxie. Les Juifs ont bénéficié d'une plus large tolérance encore. M.
SALOMON REINACH l'a parfaitement démontré dans une conférence faite à la
Société des Études juives, le 1er mars 1900, et publiée dans la Revue des Études juives
de cette même année... Il est cependant deux cas où l'Inquisition a eu à s'occuper du
judaïsme. En 1239. Grégoire IX lui ordonna de saisir partout les exemplaires du
Talmud et de les brûler... «Tandis qu'on brûlait les chrétiens hérétiques, on se mit à
brûler avec non moins de zèle les livres juifs. En 248, il y eut deux exécutions de ce
genre à Paris... En 1267, Clément IV prescrit à l'archevêque de Tarragone de se faire
livrer tous les Talmuds... En 1319, à Toulouse, Bernard Gui en réunit deux charretées,
les fait traîner à travers les rues de la ville et brûler solennellement. Ainsi, au
témoignage de Salomon Keinach, ce sont les livres, et non les fidèles du judaïsme, qui
ont eu à subir les rigueurs de l'inquisition ». Il est un second cas où l'Inquisition eut à
s'occuper des Juifs. Elle voulut préserver de leur lente infiltration la pureté du chris-
453. — 1° Exposé des laits. — Les Guerres de religion sont les luttes civiles entre
catholiques et protestants, qui, durant les règnes de FRANÇOIS II, CHARLES IX et
HENRI III, ensanglantèrent la France. Au nombre de huit, elles débutèrent en 1562, à
la suite du massacre de Vassy et se terminèrent par la promulgation de l'Édit de Nantes
(1598) qui garantissait aux protestants le libre exercice de leur culte dans les villes où
il avait été organisé par les précédents édits, le droit de bâtir des temples, l'accès à
toutes les charges publiques, etc.
Conclusion. — Nous pouvons donc conclure que l'Église n'a ni préparé le massacre de
la Saint-Barthélemy, ni ne l'a glorifié en tant que massacre.
457. — 1° Exposé des faits. — L'Edit de Nantes avait été un acte du pouvoir royal,
une concession, non un contrat entre deux parties. En laissant à chacun la liberté d'être
protestant ou catholique, autrement dit, en accordant la liberté de conscience et la
liberté de culte, Henri IV posa le premier le principe de tolérance, et cela, à un
moment où tous les souverains d'Europe, protestants et catholiques, n'admettaient pas
que leurs sujets eussent une autre religion que la leur.[368] Malheureusement les
protestants abusèrent des concessions qui leur avaient été faites. Profitant des garanties
dont ils jouissaient dans de nombreuses places de sûreté, ils commirent la double faute
de vouloir s'isoler du reste de la nation, pour former un État dans l'État, et surtout
d'entretenir des relations suspectes avec l'étranger. Plusieurs fois, ils s'étaient alliés,
soit avec les Espagnols, soit avec les Anglais. En 1627, la Rochelle où ils étaient les
maîtres, s'était révoltée ; le Languedoc, travaillé par le duc de ROHAN, avait suivi son
exemple. Les Réformés furent donc tenus pour des sujets dangereux, et RICHE-LIEU,
voulant en finir avec eux, dirigea lui-même le siège de la Rochelle qui se rendit, après
Louis XIV voulut aller plus loin que Richelieu. Imitant les autres États protestants, il
voulut qu'il n'y eut dans son royaume qu'une seule foi et un seul culte, et forma le
projet d'amener tous les réformés à la religion catholique. Tout d'abord il entreprit de
les convertir par des prédications et des missions. Bossu ET écrivit une réfutation du
Catéchisme général de la Réformation publié par PAUL FERRI à Sedan (1654), et
entrant dans la pensée du roi, il travailla à la réconciliation des deux confessions,
catholique et protestante, par la discussion et la persuasion, « chrétiennement et de
bonne foi », sans violenter la conscience ni des uns ni des autres. Mais aux efforts des
controversistes et des missionnaires les Réformés répondirent par de mauvaises
dispositions et parfois par des violences. De plus, ils continuèrent leurs relations avec
les ennemis de la France, entre autres, avec les Pays-Bas pendant la longue guerre qui
commença en 1672. Mécontent alors de leur attitude, le roi Louis XIV adopta à l'égard
des protestants des mesures analogues à celles qui étaient en vigueur contre les
catholiques dans les États protestants tels que l'Angleterre et la Hollande. Des
intendants furent envoyés partout pour seconder l'œuvre des missionnaires et mettre la
force au service de la persuasion. Les intendants outrepassèrent les ordres reçus ; -sur
le conseil du ministre de la guerre, Louvois, le roi envoya des dragons qui devaient
loger chez les protestants qui refusaient de se convertir. Les violences et les excès de
toutes sortes que commirent ces « missionnaires bottés» sont restés tristement célèbres
sous le nom de dragonnades. Mais il faut dire, à la décharge de Louis XIV, qu'il
ignorait les cruautés dont ses soldats se rendaient coupables. On lui faisait seulement
connaître le nombre des conversions qui s'opéraient, et ce nombre était tel que bientôt
le roi crut qu'il ne restait plus guère de protestants en France, que l'unité religieuse était
faite. Alors il révoqua l’Édit de Nantes (16 octobre 1685). Les Réformés se virent
donc obligés de choisir entre la conversion hypocrite ou l'exil.
§ 5. — LE PROCÈS DE GALILÉE.
460. — 1° Exposé des faits. — Dès 1530, le chanoine COPERNIC formulait déjà
l'hypothèse que la terre et toutes les planètes tournent autour du soleil, et non le soleil
autour de la terre, comme l'enseignait le système de PTOLÉMÉE, généralement admis
jusque-là. Au début du xvir3 siècle, GAULÉE[369], ayant présenté le système de
Copernic comme une hypothèse certaine, fut, de ce fait, cité deux fois devant la Saint-
Office. Ce sont ces deux procès qui forment le point central de ce qu'on appelle 1' «
affaire Galilée ».
B. PROCÈS DE 1633. — Après son procès de 1616, Galilée était allé reprendre à
Florence le cours de ses travaux. En 1632, il publia son Dialogue sur les deux plus
grands systèmes du monde. Cet ouvrage portait l'imprimatur de l'inquisiteur de
Florence et celui de Mgr RICCARDI, Maître du Sacré-Palais, chargé par office de
surveiller la publication de tous les livres qui paraissaient à Rome. Or ce dernier avait
bien accordé l'imprimatur, mais sous la condition, que l'ouvrage contiendrait une
préface et une conclusion indiquant que le système n'était présenté qu'à titre d'hy-
pothèse. La préface et la conclusion"^ y trouvaient en effet, mais, de la manière dont
elles étaient rédigées, elles parurent une moquerie. Les théologiens du Saint-Office
furent d'avis que Galilée transgressait les ordres donnés en 1616. En conséquence, il
fut cité à nouveau devant le Saint-Office. Après avoir différé plusieurs fois son voyage
sous prétexte de maladie, il se mit enfin en route et arriva à Rome le 16 février 1633,
où il jouit d'un régime de faveurs, puisque, au lieu d'être interné dans une cellule du
Saint-Office, il put descendre chez un de ses amis Niccolini ,l'ambassadeur de
Toscane.
Or, nous le savons, la question d'infaillibilité ne se pose même pas, quand il s'agit d'un
décret d'une Congrégation quelle qu'elle soit, eût-elle comme Préfet le Pape lui-même.
»[370] Deux conditions leur manquent pour pouvoir être des définitions ex-cathedra,
et partant, infaillibles. La première c'est que la censure portée contre la théorie
copernicienne ne se trouve que dans les considérants qui ne sont jamais l'objet de
l'infaillibilité, et la seconde c'est que les décrets n'ont pas été des actes pontificaux,
mais des actes des Congrégations, lesquelles ne jouissent pas du privilège de
l'infaillibilité. Au reste, aucun théologien n'a jamais considéré ces décrets comme des
articles de foi, et, même après les sentences du Saint-Office, les nombreux adversaires
du système copernicien n'ont jamais allégué contre lui qu'il avait été condamné par un
jugement infaillible.
L'infaillibilité du Pape mise hors de cause, l'on peut s'étonner à bon droit de l'erreur
des juges du Saint-Office. Il y a cependant de bonnes raisons qui expliquent, et même
justifient, leur conduite On a dit que la condamnation de Galilée était le résultat d'une
machination tramée contre lui par des adversaires jaloux, que le pape URBAIN VIII se
serait reconnu dans le « Dialogue » sous le personnage un peu ridicule de Simplicio
B. Dans quelle mesure peut-on dire que l'Église a frappé un innocent et que Galilée est
un martyr de la science ? Qu'il ait eu à souffrir pour la défense de ses idées, que, mis
dans l'alternative d'avoir à les sacrifier ou de désobéir à l'Église, il ait enduré dans son
intelligence et dans son cœur de cruelles tortures, la chose ne semble pas contestable.
Mais dire, que l'Église l'a martyrisé, c'est aller un peu loin. — 1. Tout d'abord, il est
faux de prétendre qu'il fut forcé d'abjurer une doctrine qu'il savait être certaine. Il lui
semblait bien par les expériences qu'il avait faites que le système de Copernic était une
hypothèse plus vraisemblable que celle de Ptolémée, mais de la vérité de cette
hypothèse il n'eut jamais la certitude évidente. — 2. Encore moins peut-on dire qu'il
fut traité avec rigueur. « On peut défier les plus fanatiques de citer où et quand,
pendant ou après son procès, Galilée aurait subi une heure de détention dans une
prison proprement dite.»[371] Le pape PAUL V admirait GALILÉE et lui donna de
nombreuses marques de bienveillance. — L'on objecte, il est vrai, qu'URBAiN VIII le
fit menacer de la torture. Mais cette menace, qui ne fut d'ailleurs pas exécutée, était un
des moyens juridiques d'alors, analogue à l'isolement et au secret dont on se sert
aujourd'hui, pour provoquer les aveux des prévenus. Il serait, d'autre part, injuste de
dire qu'URBAiN VIII fut dur à son égard puisque, le lendemain de sa condamnation,
le 23 juin 1633, GALILÉE fut autorisé à quitter les appartements du Saint-Office où il
devait être détenu, et à se rendre dans le palais de son ami, le Grand-Duc de Toscane ;
d'où il put bientôt repartir pour sa villa d'Arcetri. Et c'est là qu'il mourut, après avoir
reçu tous les ans une pension que le Pape lui accordait depuis 16.30.
463. — 1° Exposé des faits. — L'histoire nous témoigne que, au moyen âge, les Papes
se sont considérés comme les chefs suprêmes des États chrétiens, qu'ils ont revendiqué
le droit de citer à leur tribunal souverains et sujets, et qu'ils ont infligé aux princes
scandaleux, non seulement des peines spirituelles telles que l'excommunication, mais
même des peines temporelles en les déposant et en les privant de leurs droits de
commander. Ainsi GRÉGOIRE VII (le moine Hildebrand), célèbre par sa lutte dans la
Querelle des Investitures[373], excommunia une première fois l'empereur
d'Allemagne, HENRI IV, qui ne voulait pas se laisser dépouiller du droit de
1’investiture, le réduisit à venir, s'humilier devant lui au château de Canossa (1077) et
l'excommunia une seconde {ois (1078) parce qu'il ne tenait pas ses promesses. INNO-
CENT III (1198-1216) obligea PHILIPPE-AUGUSTE à reprendre sa femme
Ingelburge ; en Angleterre, il déposa JEAN SANS TERRE, puis le rétablit sur le
trône ; en Allemagne, il excommunia OTHON IV et délia ses sujets du serment de
fidélité. INNOCENT IV, au concile de Lyon (1245), déposa FRÉDÉRIC II, empereur
d'Allemagne. BONIFACE VIII (1294-1303) lutta, pendant toute la durée de son
pontificat, contre le roi de France, PHILIPPE LE BEL. Comme ce dernier, toujours à
court d'argent, voulait imposer le clergé à son gré, sans tenir compte des immunités
ecclésiastiques (N° 422, n.), le Pape dans sa bulle « Clericis laicos », rappela la
doctrine de l'Église et interdit aux clercs de payer le tribut aux puissances laïques. Sur
la demande du clergé français lui-même, il accorda ensuite l'autorisation. Mais la lutte
recommença bientôt et BONIFACE VIII publia contre PHILIPPE LE BEL une série
de bulles, entre autres, la bulle « Ausculta, filin, dans laquelle il se disait « constitué
au-dessus des rois et des royaumes!, et la bulle « Unam Sanctam », dans laquelle,
après avoir rappelé l'unité de l'Eglise, il déclarait que « ce corps unique ne doit pas
avoir deux têtes, mais une seule, le Christ et le Vicaire du Christ », que deux glaives
sont au pouvoir de l'Église, un spirituel, et un matériel, que « le premier doit être
manié par l'Église, le second pour 1 Église i et que, le second devant être soumis au
465. — 3° Réponse. — A. L'intervention des papes dans les affaires temporelles des
États chrétiens n'était pas illégitime : elle ne constituait nullement, de leur part, un
abus de pouvoir.
Les papes avaient le droit d'intervenir à un double titre : — a) Tout d'abord en vertu de
leur pouvoir indirect sur les choses temporelles dont nous avons précédemment
démontré l'existence (N° 436). « Le pouvoir spirituel, dit BELLARMIN, ne s'immisce
pas dans les affaires temporelles, à moins que ce3 affaires ne s'opposent à la fin
spirituelle ou ne soient nécessaires pour l'obtenir : auxquels cas le pouvoir spirituel
peut et doit réprimer le pouvoir temporel et le contraindre par toutes les voies qui
paraîtront nécessaires. » Lorsque les Papes précités ont frappé les princes qui abusaient
de leurs pouvoirs, non seulement de peines spirituelles comme l'excommunication,
mais même de peines temporelles comme la déposition, ils ont donc agi en vertu du
pouvoir spirituel attaché à leur charge suprême et du pouvoir indirect sur les choses
temporelles qui découle du pouvoir spirituel. — b) En dehors du droit divin dont nous
venons de parler, le droit public du temps, reposant sur le libre consentement des
peuples et des princes, légitimait l'intervention de la papauté dans les affaires
temporelles. Rappelons-nous en effet que, en vertu de ce droit public, il y avait une
alliance étroite entre l'Église et l'État, que le Pape était regardé comme le chef naturel
de la chrétienté, à qui appartenait le droit de trancher les différends, et que le prince,
avant de monter sur le trône, faisait serment de gouverner avec justice, de protéger la
Sainte Église romaine, de défendre la foi contre l'hérésie, et de ne pas encourir lui-
même l'excommunication. Que si alors le prince devenait parjure à son serment, s'il
gouvernait contre les droits de l'Église ou contre les justes intérêts de son peuple, la
papauté avait le droit et même le devoir de lui remettre devant les yeux les
engagements sacrés qu'il avait pris, et en cas de refus, de l'excommunier, au besoin, de
le déposer, et de déclarer ses sujets déliés de leur serment d'obéissance à l'égard d'un
souverain indigne du pouvoir[374].
B. Non seulement l'intervention des papes dans les affaires temporelles n'était pas
illégitime, mais il faut reconnaître combien elle fut heureuse et bienfaisante, tout à
l'avantage des faibles et des opprimés. Durant cette rude époque de la féodalité où tout
était livré au plus fort, seule l'Église avait assez de puissance pour rappeler aux rois et
aux seigneurs qu'au-dessus de la force il y a le droit. La prérogative que les Papes
revendiquaient de déposer les rois dont la conduite était scandaleuse, et de délier leurs
peuples du serment de fidélité, bien loin d'être une usurpation ,du pouvoir spirituel sur
le pouvoir temporel, lui servait au contraire de frein et de contrepoids. Quand le droit
Quelle est l’autorité doctrinale du Syllabus? Faut-il le considérer comme un acte ex-
cathedra, comme le veulent certains théologiens de valeur : FRANZELIN,
MAZZELLA, HURTER, PESCH, OU bien n'est-il qu'un document de grande autorité
auquel tout catholique doit adhérer sans qu'on puisse le taxer d'hérésie, dans le cas
contraire? La question n'est pas tranchée, et du fait qu'elle ne l'est pas et que chaque
catholique reste libre d'adopter l'une ou l'autre opinion, le Syllabus ne s'impose pas à la
croyance comme une définition infaillible. Il est vrai que le pape PIE IX en a pris la
responsabilité, mais, dit le P. CHOUPIN, « toute constitution pontificale, même
relative à la foi et solennellement promulguée n'est pas une définition ex-cathedra : il
faut encore et surtout que le Pape manifeste suffisamment sa volonté de trancher dé-
finitivement la question par une sentence absolue »[375]. Par conséquent, bien que les
propositions condamnées doivent être repoussées par tout catholique d'un assentiment
ferme, il ne s'ensuit pas que la proposition contradictoire soit de foi. La proposition
condamnée n'ayant pas été qualifiée d'hérétique, la proposition contraire ne saurait être
de foi. Il importe, en outre, pour mesurer tout le sens d'une proposition condamnée
dans le Syllabus, de se reporter au document d'où elle est extraite.
De même, le pape PIE IX ne condamne pas toute liberté et tout libéralisme. Personne
n'a jamais défendu la vraie liberté plus que l'Église catholique : elle affirme la liberté
naturelle contre les matérialistes et les déterministes qui la nient, la liberté individuelle
contre les esclavagistes qui la suppriment, la liberté de conscience contre les pouvoirs
publics qui l'oppriment. Ne disons donc pas que l'Église est l'ennemie des libertés,
anciennes ou modernes : ce qu'elle frappe d'anathème c'est la fausse liberté, c'est le
droit à l'erreur et au mal, c'est, d'une manière générale, l'opinion qui soutient que la
liberté implique le droit absolu d'embrasser et de soutenir toute doctrine philosophique,
religieuse et politique, qui vous plaît. Après avoir rappelé les vieilles erreurs déjà
condamnées du panthéisme, du naturalisme, du rationalisme, de l'indifférentisme,
après avoir réprouvé les thèses socialistes et communistes de l'origine populaire du
pouvoir et du droit absolu des majorités, etc., PIE IX, à l'exemple de GRÉGOIRE
XVI, dans son Encyclique Mirari vos, proclame que les droits de la vérité sont
supérieurs à ceux de la liberté, les droits de Dieu supérieurs à ceux de l'homme, les
droits de la justice supérieurs à ceux du nombre et de la force, et, avec une grande
sagesse, il condamne le libéralisme absolu qui, par son culte extravagant et mal
entendu de la liberté, est la source profonde d'un grand nombre d'erreurs
contemporaines.
469. — A côté des griefs que nos adversaires accumulent dans leur sévère réquisitoire
contre l'Église, il serait injuste de ne pas mentionner les services que le christianisme a
rendus et de méconnaître la part qui lui revient dans la marche de la civilisation. Nous
allons donc voir brièvement ce que l'Église a fait pour l'individu, pour la famille et
pour la société, comment elle a travaillé au progrès, au bien-être des peuples, à leurs
intérêts matériels, intellectuels et moraux. Les bienfaits qu'elle a rendus sur ce terrain
méritent d'être d'autant plus appréciés qu'ils sont en dehors de la sphère d'action et de
la mission tracées par le Christ. Car, ne l'oublions pas, l'Église a été instituée pour
recevoir et transmettre le dépôt de la révélation chrétienne, pour conduire les hommes
à leur salut éternel, et non pas pour travailler, tout au moins d'une façon immédiate, à
leur bonheur temporel. Et cependant elle n'a cessé de s'en préoccuper et de tendre, par
tous les moyens en son pouvoir, à améliorer le sort de l'humanité. « Chose admirable,
pouvons-nous dire avec MONTESQUIEU, (L’Esprit des lois), la religion chrétienne
qui semble n'avoir d'autre objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur
dans celle-ci. »
§ 1, — L'ÉGLISE ET L'INDIVIDU.
470. — Si nous considérons l'homme d'une manière générale et du seul point de vue
individuel, nous constatons que, presque partout dans l'antiquité, l'humanité est
partagée en deux classes : l'homme libre, et l’esclave. Ce qu'était l'esclave et ce qu'a
fait l'Église pour lui, telles sont les deux questions qui se posent.
471. — 2° Ce que l'Église a fait pour l'esclave. — Qu'on ne se figure pas tout
d'abord que l'Église a renversé d'un seul coup l'état de choses établi. Les révolutions
doivent être amenées par une lente évolution des idées, car l'opinion publique ne rompt
pas du jour au lendemain avec les idées ambiantes, avec les traditions et les vieilles
coutumes. La transformation d'une société nécessite donc une action continue, un
travail préparatoire de longue haleine. Or ce travail, l'Église l'entreprit par sa doctrine,
par sa législation et par ses actes : — a) par sa doctrine. Dès l'origine du christianisme,
l'Église commence sa lutte contre l'esclavage. Le premier et le plus éloquent interprète
de sa doctrine est saint PAUL. Avec une habileté et un art consommés, l'Apôtre des
Gentils pose les grands principes de l'égalité et de la fraternité, qui sont comme le
fondement de la liberté individuelle. Il proclame, à la face des maîtres orgueilleux qui
se trouvent dans le vaste Empire gréco-romain, que tous les hommes sont issus de la
même origine, rachetés du même sang et appelés à la même béatitude éternelle, par
conséquent, égaux et frères. « II n'y a plus écrit-il aux Galates, ni Juif ni Grec, ni
esclave, ni homme libre, il n'y a plus ni homme, ni femme ; car vous êtes tous un dans
le Christ Jésus. » ( Gal., II, 28). Mais, tout en posant les principes qui doivent peu à
peu détruire l'esclavage, saint Paul se garde bien de prendre une attitude agressive
contre les maîtres, de prêcher la lutte dos classes et de pousser à une révolution trop
rapide qui compromettrait le succès de son œuvre. Il juge beaucoup plus sage pour le
moment de rappeler aux uns et aux autres leurs devoirs réciproques : obéissance de la
part des esclaves, bonté de la part des maîtres : « Serviteurs, dit-il aux premiers,
obéissez à vos maîtres selon la chair avec respect et crainte et dans la simplicité de
votre cœur, comme au Christ... Servez-les avec affection, comme servant le Seigneur
et non des hommes, assurés que chacun, soit esclave, soit libre, sera récompensé par le
Seigneur de ce qu'il aura fait de bien. Et vous maîtres, dit-il aux seconds, agissez de
même à leur égard et laissez là les menaces, sachant que leur Seigneur et le vôtre est
dans les cieux et qu'il ne fait pas acception des personnes. » (Eph., VI. 5-9).
Les invasions barbares au Ve siècle sont néfastes à la cause des esclaves et lui font
perdre du terrain. Mais l'Église, par les nombreux conciles qu'elle tient, du VIe au IXe
siècle, en Gaule, en Bretagne, en Espagne, en Italie, continue de travailler en leur
faveur. Le concile d'Orléans de 511 et le concile d'Epône, en 517, proclament le droit
d'asile, en vertu duquel l'esclave, même « coupable d'un crime atroce » s'il s'est réfugié
dans une église, ne pourra subir un châtiment corporel. Le concile d'Auxerre, à la fin
du VIe siècle, le concile de Chalon-sur-Saône, au milieu du VIIe siècle, défendent de
faire travailler les esclaves le dimanche. Plusieurs conciles interdisent la traite des
esclaves, ou, s'ils n'osent pas aller aussi loin, lui apportent des entraves, comme on en
trouve un exemple dans le 9e canon du concile de Châlons-sur-Marne qui défend de
vendre aucun esclave en dehors du royaume de Clovis». En outre, l'esclave est admis
par l'Église- au sacerdoce et à la profession monastique, pourvu qu'il ait obtenu de son
maître le consentement préalable, ou l'affranchissement. Enfin, les conciles du vin"
siècle reconnaissent formellement la validité des mariages contractés, en connaissance
de cause, entre des hommes libres et des esclaves.
c) Par ses actes. — 1. Dans l'exercice de son culte, l'Église primitive ne tient aucun
compte des distinctions sociales. « Entre le riche et le pauvre, l’esclave et le livre, il
n’y a pas de différence », écrit l’apologiste LACTANCE. Telle est, à n’en pas douter,
l’un des raisons les plus fortes qui contribueront à l’affranchissement de l’esclave.
RENAN lui-même ne fait pas de difficulté à le reconnaître : «Les réunions à l'Eglise, à
elle s seules, écrit-il dans son Marc Aurèle, eussent suffi à ruiner cette cruelle
institution (de l'esclavage). L'antiquité n'avait conservé l'esclavage qu'en excluant les
esclaves ,des cultes patriotiques. S'ils avaient sacrifié avec leurs maîtres, ils se seraient
relevés moralement. La fréquentation de l'église était la plus parfaite leçon d'égalité
religieuse... Du moment que l'esclave a la même religion que son maître, prie dans le
même temple que lui, l'esclavage est bien près de finir. » — 2. L’admission des
esclaves au sacerdoce et à la vie monastique que nous avons signalée plus haut est une
autre source d'où doit sortir le nivellement de tous les rangs sociaux. Sous la bure ou le
voile monastique, on ne discerne plus les maîtres des esclaves : les uns et les autres
travaillent et prient en commun, confondus dans une égalité parfaite. — 3. A partir du
vie siècle, l'Église, enrichie par les donations pieuses des rois et des seigneurs, emploie
ses richesses au rachat de nombreux prisonniers de guerre et d'esclaves, afin de les
affranchir, ou tout au moins, de « leur rendre la vie douce et facile a, selon la
recommandation des papes et des conciles.
§ 2. — L'ÉGLISE ET LA FAMILLE.
472. — Nécessaire pour conserver la vie tout autant que pour la donner, la famille est
de droit naturel, en même temps que d'origine divine. Cependant les conditions de la
famille, — et nous entendons par là les relations entre eux des membres qui la
composent, — peuvent varier avec les temps et les lieux. Voyons donc ce que fut la
famille dans l'antiquité et ce qu'elle est depuis le christianisme.
Les féministes prétendent que la femme n'a pas encore' dans la société la place qui
devrait lui revenir et que, au triple point de vue politique, social et économique, sa
condition est très inférieure à celle de l'homme, et ils demandent que, étant soumise
aux mêmes lois et ayant des charges au moins équivalentes à celles de l'homme, elle
jouisse aussi des mêmes droits. Si l'Église n'a pas formulé sur ce sujet de doctrine
précise, il est permis de dire qu'elle ne saurait qu'encourager tout effort qui tend à
améliorer le sort de la femme.
§ 3. — L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ.
1° Services rendus dans l'ordre matériel — A tout moment de son histoire, l'Église a
travaillé au bien-être du peuple. Le bien-être matériel est en effet la résultante d'un
ensemble de choses : travail, épargne, bonnes mœurs, sans lesquelles il n'y a pas de
prospérité ni de bonheur possibles. Or tandis que dans l'antiquité toutes ces vertus
étaient inconnues, tandis surtout que le travail manuel était regardé comme quelque
chose de dégradant pour l'homme libre, la doctrine chrétienne, en enseignant la grande
loi du travail, a réhabilité celui-ci aux yeux de l'humanité. Et l'Église ne s'est pas
contentée de donner son enseignement, elle a estimé que le meilleur moyen d'en
assurer le succès était de l'appuyer de ses exemples. Aussi voyons-nous régner une
activité intense parmi les premières générations chrétiennes. Plus que les autres, les
moines travaillent à la prospérité de l'Europe en défrichant les vieilles forêts, en
labourant et cultivant les déserts, et en créant autour de leurs monastères des villages et
des villes où fleurissent bientôt le commerce et l'industrie.
Et de nos jours, où l'ouvrier a déjà pris et veut prendre une place prépondérante dans la
société, l'Église, après avoir relevé sa dignité morale, continue de s'intéresser à son
sort. L'Encyclique Rerum novarum (16 mai 1891) de LÉON XIII et l'Encyclique
Quadragesimo Anno (15 mai 1931) de PIE XI témoignent que l'Église attache le plus
haut intérêt à la solution de la question sociale. De toute son âme elle souhaite que les
justes revendications des travailleurs soient couronnées de succès. Elle n'a pas de plus
476. — 3° Services rendus dans l'ordre moral. — Dans l’ordre moral, nous avons
vu déjà ce que l'Église a fait pour l'individu et pour la famille. En revendiquant ainsi la
liberté pour les individus, elle a, du même coup, transformé les mœurs publiques. Aux
chefs d'État elle a appris que « tout pouvoir vient de Dieu» et que dès lors on doit
l'exercer avec justice et sagesse. Aux sujets elle a prescrit l'obéissance et le respect vis-
à-vis des gouvernants en s'appuyant sur cette simple parole du Christ : « Rendez à
César ce qui appartient à César. » Enfin elle a rendu meilleures les relations de peuple
à peuple. En enseignant partout que tous les hommes, sans distinction de race et de
nationalité, sont frères, enfants de Dieu et de l'Église, elle leur a fait comprendre que
c'était une monstruosité de se traiter en barbares.
477. — Objection. — Contre les services rendus à la société par l'Église catholique,
nos adversaires objectent que les nations protestantes sont plus puissantes et plus
prospères que les nations catholiques, que leur niveau moral est plus élevé ; et, de ce
fait qu'ils prennent comme point de départ et qu'ils regardent comme historiquement
Réponse. — II faut distinguer dans l'objection qui précède deux choses : le point de
vue historique et le point de vue doctrinal, ou, si l'on veut, la question du fait, et la
thèse qu'on veut établir sur le fait. Évidemment, s'il était possible de prouver que les
faits historiques ne sont pas tels qu'on le prétend, ou n'ont pas la portée qu'on leur
attribue, nous serions en droit de conclure aussitôt que la thèse est fausse. Mais admet
tons par hypothèse que les nations protestantes sont vraiment supérieures aux nations
catholiques ; s'ensuit-il que la cause de la supériorité des unes et de l'infériorité des
autres soit la religion ?
B. LES FAITS. — Non seulement la thèse, prise en soi, est fausse, mais les faits eux-
mêmes la démentent. — a) Car, s'il s'agit du passé, l'on ne saurait contester que dans
une longue période de notre histoire, les nations catholiques : la France, l'Autriche et
l'Espagne, furent à la tête de la civilisation. Or le moment où elles ont atteint leur
apogée correspond précisément avec celui où la vie catholique était le plus intense et
où les principes chrétiens étaient le mieux observés. — b) S'il s'agit du présent, il faut
bien confesser que les nations catholiques dont nous venons de parler, sont, \ au point
de vue économique, dans un état d'infériorité sur les grandes nations protestantes :
Angleterre, États-Unis, Allemagne. Or si l'on veut absolument que la religion soit la
cause de cette infériorité, nous répondrons que les États catholiques sont tombés en
décadence parce qu'ils ont été infidèles à leur religion et qu'ils ont été rongés par la
plaie de l'indifférentisme ou même de l'athéisme. Du moins cela était vrai hier de la
France, mais aujourd'hui qu'elle a été comme purifiée par une rude épreuve, au cours
de laquelle elle a étonné le monde par sa vitalité, par son esprit d initiative, par son
abnégation et par le réveil de sa foi, qui peut dire de quoi demain sera fait et si elle ne
va pas reprendre sa place à la tête de la civilisation matérielle morale et religieuse ?
Art II. — P. ALLARD, Les esclaves chrétiens depuis les premiers temps de l'Église...
(Lecoffre) ; art. Esclavage (Dict. d'Alès). - D'AZAMBUJA, Ce que le christianisme a
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
478. — Quelque fortes et déterminantes que soient les raisons de croire proposées par
l'Apologétique, elles seraient évidemment frappées de nullité, si nos adversaires
pouvaient démontrer que l'Église catholique enseigne des dogmes absurdes. Croyant
trouver là un terrain d'attaque très propice, les rationalistes s'élèvent contre la foi, au
nom de la raison -et de la science : ils prétendent qu'il y a antagonisme entre celles-ci
et celle-là, que les deux modes de connaissance sont opposés entre eux, ou tout au
moins étrangers l'un à l'autre. Nous allons voir que les choses ne sont pas ainsi, en
établissant : 1° les rapports de la foi et de la raison, et 2° les rapports de la foi et de la
science.
480. — Réponse. — Nous avons déjà établi ailleurs[377] les rapports entre la foi et la
raison, et nous avons constaté que la prétendue opposition invoquée par les
rationalistes n'existe pas. « Bien que la foi soit au-dessus de la raison, dit le concile du
Vatican, il ne saurait pourtant y avoir jamais de véritable désaccord entre la foi et la
raison. Car le Dieu qui révèle les mystères et répand la foi en nous étant le même que
Ainsi, d'après la doctrine catholique, trois traits caractérisent les rapports entre la foi et
la raison. — a) La foi et la raison sont deux principes de connaissance distincts. — b)
Loin d'être en désaccord, ils doivent se prêter un mutuel concours. — c) Là où les
deux principes se rencontrent, la foi est au-dessus de la raison.
B. PAS DE DÉSACCORD, MAIS MUTUEL CONCOURS. — S'il est vrai que les deux
principes viennent de Dieu comme l'affirme la doctrine catholique, comment
pourraient-ils être en désaccord? Comment le vrai pourrait-il s'opposer au vrai! Et non
seulement il n'y a pas, il ne peut y avoir de désaccord entre la foi et la raison, mais
elles se prêtent un mutuel concours. La raison précède la foi, elle lui prépare le terrain,
elle construit les fondements intellectuels sur lesquels elle doit reposer. Puis, quand la
foi est en possession de la vérité révélée, c'est encore la raison qui scrute et analyse,
pour les rendre intelligibles, autant que faire se peut, les vérités qu'elle croit. A son
tour, la foi éclaire la raison : elle l'empêche de s'égarer à travers la multiplicité des
systèmes faux et condamnés par l'Église. Elle stimule et élève la raison en lui ouvrant
de nouveaux horizons, en proposant à ses investigations le vaste champ des vérités
surnaturelles.
48 i. — Mais, objectent les rationalistes, les mystères, pour l'explication desquels vous
réclamez le concours de la raison, sont absurdes. Prenez tous les dogmes
fondamentaux de votre religion : un Dieu en trois personnes, le péché originel, un Dieu
fait homme, la naissance virginale du Christ, la rédemption par la mort d'un Dieu sur
une croix... Ne suffit-il pas de les énoncer pour constater qu'ils sont en contradiction
avec la raison ?
Assurément les mystères sont au-dessus de la raison, mais ils ne sont pas contre. Il est
vrai qu'ils paraissent et même qu'ils sont en contradiction avec les lois de la nature,
mais cela ne prouve pas qu'ils contredisent notre raison. Cette contradiction n'existe
que lorsqu'on déforme les dogmes par des conceptions fausses et des termes
impropres. Prenons un seul exemple que nous emprunterons au livre de SULLY
PRUDHOMME sur « La vraie religion selon Pascal». Voici comment il expose le
mystère de la Sainte Trinité, et la contradiction qu'il y relève. « Dire qu'il y a trois
personnes en Dieu, c'est dire qu'il y a en Dieu trois individualités distinctes. D'autre
part cependant, la formule du mystère déclare qu'il n'y en a qu'une, celle de Dieu
même : le Père est Dieu, le Fils également ; le Saint-Esprit également ; les trois
personnes divines ne sont qu'un seul et même être individuel. » — Si les théologiens
présentaient le dogme sous cette forme, il est bien certain qu'il y aurait une
contradiction dans les ternies. On ne saurait en effet concevoir trois individualités dans
le même être individuel. Aussi n'est-ce pas ainsi qu'ils s'expriment. Laissant à SULLY
PRUDHOMME les termes ambigus d' « individualités » et « d'être individuel », ils
disent que le mystère de la Sainte Trinité consiste dans le fait d'une nature unique
subsistant en trois personnes, en d'autres termes, qu'il n'y a en Dieu qu'une seule
nature, mais que cette nature est possédée par trois personnes. Que le critique ne
comprenne pas, nous n'en sommes pas surpris, mais vraiment la contradiction ne se
trouve que dans sa formule. C'est donc celle-ci qu'il faut réviser.
Les difficultés que nous venons de signaler n'embarrassent guère l'apologiste, pour
cette bonne raison que l’universalité absolue du déluge n'a jamais été enseignée par
l'Église comme article de foi, et que dès lors les opinions ont libre cours. L'universalité
du cataclysme décrit dans la Genèse peut donc s'entendre : — 1. dans ce sens que les
eaux inondèrent seulement la terre habitée ; — 2. ou même dans ce sens plus restreint
qu'elles ne firent périr que la race de Seth, et non l'humanité tout entière.
Ces deux systèmes, qui supposent que l'universalité du déluge fut relative, tout en
s'accordant avec les sciences naturelles, ne sont nullement en contradiction avec le
texte de la Genèse. Car l'écrivain sacré n'a pu vouloir parler des contrées, telles que
l'Amérique et l'Australie ou autres, dont il y a tout lieu de croire qu'il ignorait
l'existence. Du reste, il arrive souvent dans la Sainte Écriture que les expressions « la
terre » et même c toute la terre » ne sont pas employées dans un sens absolu. Ainsi il
est dit dans l'histoire de Joseph qu' « il y eut famine sur toute la terre » (Gen., XXI,
57). De même, saint Luc nous montre réunis à Jérusalem, le jour de la Pentecôte, « des
hommes pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel» (Act., II, 5). Rien ne nous
Le nombre placé après chaque mot indique le numéro ; la lettre n. renvoie à la note du
numéro indiqué.
AME HUMAINE, existence, 104 ; objection, 105; nature : l'âme humaine et l'âme des
bêtes, 106, 107 ; spiritualité de l'âme humaine, 108 ; objection matérialiste, 109.
APOLOGIE, 3.
ATTRIBUTS (de Dieu), notion, 68 ; espèces, 69; négatifs, 69, 70 ; moraux, 71-75.
AUTODAFÉ, 450.
BOUDDHISME, 194-197.
BRAHMANISME, 193.
CATHOLICITÉ, 350.
CHAPITRE, 388.
CONCILES, œcuménicité, 414 ; autorité, 415, 416; utilité, 417; leur nombre, 418.
CONFUCIANISME, 184-186.
CONSISTOIRES, 405.
CONSULTEURS, 407.
CRÉATION, 81 et suiv.
CURÉ, 388.
DARWINISME, 92.
DÉLUGE, 484.
ÉGLISE, concept, 300 ; Jésus-Christ a pu songer à fonder une Église, 303 et suiv. ;
caractères essentiels de l'Église qu'il a fondée, 308 ; notes de la vraie Église, 342 ;
constitution, 385 ; hiérarchie, 386 ; l'Église, société parfaite, 419 ; ses droits, 420 et
suiv. ; l'Église et les diverses formes de gouvernement, 443 ; services rendus par
l'Église, 469 et suiv.
ENCYCLIQUES, 401.
FÉTICHISME, 138.
FIDÉISME, 33.
482 et suiv.
FOSSILES, 93.
HOMME, nature, 102 ; origine, 120; destinée, 124 ; antiquité de l'homme, 130, 131.
temporelles), 463.
INTERDIT, 430.
LAMARCKISME, 91.
MAGIE, 138.
MAHOMET, 201.
MITHRIACISME, 191.
MYSTÈRES, 149.
NOTES (de la vraie Église), 342 et suiv. ; leur application au Protestantisme, 365 et
suiv. ; à l'Église grecque, 375 et suiv. ; à l'Église romaine, 379 et suiv.
ONTOLOGISME, 33.
PANTHÉISME, 77 et suiv.
PAPE, 325 (n) ; ses pouvoirs, 396 et suiv. ; pouvoir temporel, 428.
PAROISSE, 388.
PERSÉCUTIONS, 287.
PHOTIUS, 371.488
PROVIDENCE, 96 et suiv.
RIG-VEDA, 192.
RITUALISTES, 363.
SUSPENSE, 430.
TABOU, 138.
TAOÏSME, 182,183.
TOTÉMISME, 138.
TRADITIONALISME, 33.
UNIATES, 374.
VEDISME, 192.
ZEND-AVESTA, 188.
[2] L'apologie a donc sa place dans l'exposé de la Doctrine catholique. Nous renvoyons aux trois
fascicules de notre ouvrage.
[3] Qu'elle s'adresse aux croyants ou aux incroyants, l'apologétique a toujours pou but de produire
dans les âmes la certitude touchant l'existence de la révélation chrétienne. Or plusieurs écoles
philosophiques contestent à l'esprit humain le pouvoir d'atteindre la vérité. Il conviendra donc de
résoudre avant tout, le problème de la certitude (voir chapitre préliminaire).
[4] Les preuves que l'apologiste nous fournit du fait de la révélation doivent nous amener à former
deux jugements: le premier, c'est que la révélation se manifeste à nous avec une évidence objective,
qu'elle est croyable (credibile est), jugement de crédibilité; le second, c'est que, si elle est croyable, il y
a obligation de croire (credendum est), jugement de crédentité. Alors que le premier jugement est
d'ordre spéculatif et ne s'adresse qu'à l'intelligence, le second va plus loin, il atteint la volonté: c'est un
jugement pratique.
[5] Toutefois, il est bon de remarquer que, si l'examen est permis. le doute ne l'est pas. Le Concile du
Vatican déclare, en effet, que. ceux qui ont reçu la foi sous le magistère de l'Eglise ne peuvent jamais
avoir une raison valable de Changer leur foi ou d'en douter Const. Dei Filius, Can. III , et Can. VI). A
ceux qui prétendent qu'il faut d'abord faire table rase de sa foi pour arriver à la vérité, LEIBNIZ
répond: « Quand il s'agit de rendre compte des choses, le doute n'y fait rien ... Que, pour surmonter le
doute, on examine, soit. Mais que, pour examiner il faille commencer par douter, c'est ce que je nie. »
Et M. BLONDEL, après avoir cité ces mots de Leibniz, ajoute à son tour: « Qu'on cesse de se
méprendre sur le véritable sens de l'esprit critique: avoir l'esprit bon et l'appliquer bien, ce n'est, à
aucun moment de la recherche, cesser de voir; loin de là, c'est voir, au contraire, qu'il y a toujours plus
à voir, et mieux à prouver, et davantage à vivre. C'est chercher la lumière avec la lumière, Et pourquoi
faudrait-il, parce qu'on aspire à voir plus clair, commencer par éteindre toute clarté ? »
[8] C'est surtout au point de vue de la méthode que l'apologétique peut être regardée comme un art.
Ayant pour objectif de convaincre les esprits et de toucher les cœurs, Il est assez naturel qu'elle prenne
les moyens les plus adaptéS aux conditions de temps et de personnes. Immuable dans son fond,
l'apologétique est donc très variable dans sa forme: la manière de présenter les motifs de crédibilité, le
choix des arguments, l'importance qu'il convient de donner à chacun, tout cela est laissé à l'habileté de
l'apologiste.
[9] BOSSUET, dans la 2e Partie du Discours sur l'histoire universelle, prouve historiquement la
divinité du christianisme par l'intervention de Dieu dans son origine, ses progrès, sa diffusion et sa
stabilité: démonstration par la Providence.
[12] L'on comprendra mieux le modernisme quand on aura étudié le chapitre suivant et en particulier
le système intuitionniste de M. BERGSON.
[13] Le mot diallèle (grec dia lêllon l'un par l'autre) est synonyme de cercle vicieux.
[14] Toute doctrine qui pose en principe que nous ne pouvons atteindre l'objet tel qu'il est en lui-
même, mais seulement tel qu'il est dans notre esprit, porte le nom générique d'idéalisme. Parmi les
multiples variétés d'idéalisme. nous n'avons signalé ici que les deux principales: l'idéalisme critique,
ou criticisme de KANT, et l'idéalisme métaphysique de BERGSON, la forme la plus moderne
d'idéalisme que nous désignons plus loin sous le titre d'intuitionnisme.
[15] Le noumène (du grec noumenon connu par le « nous » la raison pure) désigne l'essence des
choses, ce qui est, par opposition à ce qui apparaît. D'après KANT, le noumène peut être objet de fol,
non de science.
[16] La raison pratique n'est pas autre chose que la conscience morale, c'est-à-dire la faculté de juger
du bien et du mal par le moyen de la loi morale.
[17] Les mots « absolu », « chose en soi » « noumène » tels qu'ils sont employés dans cette leçon,
sont des termes synonymes et s'opposent aux mots « relatif », « apparence », « phénomène ».
[19] Les trois dénominations: matérialiste, naturaliste, moniste, désignent, sous des aspects différents,
le même fond de doctrine. Tous trois prétendent expliquer le monde par l'existence d'un seul élément,
mais tandis que le matérialiste met en avant la seule matière, le naturaliste parle de la nature, ce qui est
déjà un terme plus vague, et le moniste fait appel au mouvement cosmique. - Le moniste dont nous
parlons ici est évidemment le moniste matérialiste.
[20] Agnostique (du grec « a » privatif et « gnosis » connaissance). - D'après l'étymologie, le mot
agnostique est opposé à gnostique.. l'agnostique déclare ignorer là où le gnostique prétend savoir. Le
mot a été jeté dans la circulation par le philosophe anglais HUXLEY vers 1869. , La plupart de mes
contemporains, dit-il un jour, pour faire profession de libre-pensée, pensaient avoir atteint une certaine
gnose et prétendaient avoir résolu le problème de l'existence; j'étais parfaitement sûr de ne rien savoir
sur ce sujet, et bien convaincu que le problème est insoluble : et comme j'avais Hume et Kant de mon
côté, je ne croyais pas présomptueux de m'en tenir à mon opinion. .
La première hypothèse, qui les regarde comme vérité de foi, est assez vraisemblable, vu que ces
additions font partie d'une profession de foi et qu'elles sont précédées du mot « profiteor » je professe,
qui désigne, dans le langage de l'Eglise, un acte de foi.
[23] OLLE-LAPRUNE a dit très justement à propos du fidéisme: « L’Eglise condamne tout fidéisme.
Elle qui, sans la foi, ne serait pas, elle commence par rejeter comme contraire à la pure essence de la
foi, une doctrine qui réduirait tout à la foi. L'ordre de la foi n'est assuré que si l'ordre de la raison est
maintenu. » (Ce qu'on va chercher à Rome).
[24] L'expression a priori veut dire antérieur à l'expérience et signifie par conséquent que l'on raisonne
indépendamment de l'expérience, en s'appuyant seulement sur les principes de la raison. L'expression a
posteriori a le sens contraire et signifie que l'on s'appuie sur l'expérience, que l'on remonte des effets
aux causes.
[25] L'on pourrait objecter également à cette classification que toutes les preuves rationnelles sont, en
somme, métaphysiques, puisqu'elles s'appuient toutes sur le principe de causalité.
[26] Le syllogisme est un raisonnement composé de trois propositions telles, que, les deux premières
(les prémisses) étant admises, la troisième (la conclusion) s'ensuit nécessairement. La première
proposition des prémisses s'appelle la majeure, la seconde, la mineure. Pour plus de clarté, nous
distinguerons la majeure et la ,mineure, que nous prouverons séparément.
[27] L'argument est quelquefois formulé sous la forme suivante: Tout ce qui a commencé d'exister
n'existe pas par soi et suppose un créateur. Or le monde a commencé d'exister. Donc le monde a dû
recevoir l'existence de Dieu. Ainsi présenté, l'argument parait défectueux, car les adversaires ne
manqueront pas de reprendre aussitôt la mineure et de dire: « Mais le monde n'a pas commencé.
L'argument ne s'appuie pas sur le commencement du monde mais sur sa contingence, au point de vue
de son existence et de sa nature. Que le monde ait commencé ou non, qu'Il soit éternel ou créé dans le
temps, Il n'en reste pas moins contingent, c'est-à-dire insuffisant, et appelle un être nécessaire. Les
philosophes, comme PLATON et ARISTOTE, qui croyaient à l 'éternité du monde, n'en admettaient
pas moins l'existence de Dieu, et il n'est pas démontré par la raison Dieu n’aurait pas pu créer le
monde ab aeterno.
[29] En réalité, cette analyse du moi et de sa contingence, pourrait être reportée au second groupe de
preuves qui part de l'observation du monde intérieur. Si on voulait en faire une preuve spéciale, il
suffirait de dire: la contingence et les imperfections de notre être supposent une cause première
nécessaire et parfaite.
[30] Les philosophes distinguent en effet la série infinie du nombre infini. Si le nombre infini est une
impossibilité mathématique, parce qu'il n'y a pas de nombre tel qu'on ne puisse en former un plus
grand, il n'en va pas de même de la série qui est un ensemble de choses distinctes et successives de
quelque manière. D'après ARISTOTE et saint THOMAS, il n'y a pas de répugnance à admettre une
régression sans fin dans la série des phénomènes qui se seraient succédé dans le passé, ni même à
concevoir une multitude actuellement infinie et innombrable. C'est pour cela que saint THOMAS
pensait que la révélation seule nous apprend que le monde n'est pas créé de toute éternité.
[31] De cette école, HAECKEL a été un des plus récents et des plus ardents champions. Son livre, Les
énigmes de l'univers, paru en 1900 et répandu à profusion, en Allemagne, puis en France en 1905, a
pour but d'exposer le pur monisme et de résoudre les problèmes de l'univers: « Nous nous tenions
fermement, y est-il dit, au monisme pur... qui ne reconnaît dans l'univers qu'un' substance unique, à la
fois Dieu et Nature; la matière et l'esprit ou énergie sont les deux attributs fondamentaux, les deux
propriétés essentielles de l'Etre cosmique divin qui embrasse tout, de l'universelle substance. »
[32] Ainsi un même corps peut passer par différents états physiques sans varier en quantité: tel est le
cas de l'eau, qui peut être tour à tour solide (glace), liquide ou gazeuse (vapeur).
[33] Tout en faisant allusion ici au système, bergsonien qui suppose un grand courant vital rayonnant
d'un centre, s'insinuant dans la matière pour l'organiser et créer ainsi les végétaux et les animaux, notre
pensée n'est pas évidemment de ranger M. BERGSON parmi les matérialistes.
[34] Les philosophes modernes de l'école bergsonienne essaient de tourner la même difficulté en
disant que l'ensemble, le Grand Tout n'est pas précisément une somme de tontes les parties, mais une
source d’où elles jaillissent, la substance d'où émanent tous les êtres par voie d'évolution. M.
BERGSON parle « d'un centre d'où tous les mondes jailliraient comme les fusées d'un immense
bouquet ». L'évolution créatrice, p. 270. - Mais quand on a expliqué la formation des mondes par
l'évolution de la matière, il reste toujours à dire d’où vient la matière elle-même.
Ainsi, de cette loi de la dégradation de l'énergie, les apologistes en question concluent : 1. - qu'il y a eu
des commencements dans le monde, que l'énergie utilisable a commencé puisqu'elle n'est pas infinie,
et - 2, que, dès lors, le mouvement du monde n'a pu venir de la matière, vu qu'elle n'était pas douée
d'énergie utilisable. Ce second point appartient à la preuve suivante (argument du premier moteur).
[36] De toute façon, la théorie de l'évolution ne saurait s'appliquer à l'homme, du moins à son âme.
Nous verrons plus loin (N° 106 et suiv.) que l'homme n'est pas un animal perfectionné et que, si son
corps ne diffère pas essentiellement de celui des animaux supérieurs, son âme est d'une autre nature et
possède des facultés intellectuelles et morales qui la séparent entièrement de la brute.
[37] L'argument du premier moteur se rattache à l'argument de la cause première: il s'appuie sur le
même Principe et suit la même marche. Aussi certains auteurs l'exposent-ils en même temps.
[38] Le mot acte s'opposant au mot puissance, il s'ensuit que dire de Dieu qu'il est acte pur revient à
dire qu'il n'y a rien en lui qui soit à l'état de puissance ou de devenir, qu'il est une réalité pleine et
complète, ou si l'on veut, qu'il possède toutes les qualités.
[39] « Le hasard, dit BOSSUET, est un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à
l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce
conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre » (Discours sur l’
Histoire universelle ; chap. VIII).
[41] Nous exposerons plus loin d'une manière plus complète la théorie évolutionniste (Voir N° 89 et
suiv.).
[42] «L'insensé a dit dans son cœur: Il n'y a point de Dieu.. (Ps., LII, 1).
[43] Cette preuve peut être présentée avec un autre point de départ. Au lieu du désir on peut envisager
l'action humaine. Notre action n'est jamais telle que nous la voudrions. Il y a toujours disproportion
entre l'objet et la pensée, entre l'acte et la volonté. Notre action aspire sans cesse au mieux. « Au bout
de la science et de la curiosité de l'esprit, dit M. BLONDEL, au bout de la passion sincère et meurtrie,
au bout de la souffrance et du dégoût, le même besoin renaît », le besoin du transcendant, de Dieu:
ainsi Dieu est Immanent au centre de notre action.
[44] Il ne faut pas confondre cette preuve psychologique par les aspirations de l'âme avec ce que les
modernistes appellent l'expérience individuelle. Pour les immanentistes, l'expérience individuelle nous
découvre Dieu, nous le fait atteindre directement dans les profondeurs de la conscience, tandis que la
preuve psychologique, tout en prenant comme point de départ nos états d'âme, ne conclut l'existence
de Dieu que par le rais8onnemt, et non par suite d'une intuition directe.
[45] La loi morale est appelée par KANT' impératif catégorique. C'est un impératif, c'est-à-dire qu'elle
commande sans contraindre; catégorique, parce que ses ordres sont absolus, sans condition.
[46] MAX MULLER va même jusqu'à prétendre que l'unité divine n'était pas inconnue des peuples
apparemment polythéistes. « Les races païennes primitives, dit-il, ne furent pas polythéistes, à
proprement parler, Ce n'est pas à dire qu'elles adorassent un Dieu unique, mais on peut dire qu'en un
certain sens elles adoraient un Dieu un, c'est-à-dire que leurs hommages s'adressaient en somme à la
divinité, bien que celle-ci leur apparût sous diverses formes personnelles lesquelles recueillaient tour à
tour, par une contradiction que voilait le symbole, des hommages quasi-exclusifs et souverains ».
[47] On a multiplié les recherches pour découvrir un peuple athée. On a cru un certain temps en avoir
trouvé un en Océanie dans les îles sauvages d'Adaman habitées par une peuplade nègre si primitive
qu'elle ne sait ni cultiver la terre ni élever le bétail. Après un examen plus approfondi, l'on a été obligé
d'avouer que ces hommes incultes admettaient un Dieu unique, créateur et rémunérateur. De même, il
a fallu reconnaître que les Négritos de la presqu’île Malacca et des Philippines, les pygmées d'Afrique,
[48] Cette erreur fut surtout le fait des impies du XVIIIe siècle et en particulier de VOLTAIRE.
[49] Preuve par la révélation. - Aux preuves rationnelles de l’existence de Dieu convient-il d'ajouter
une autre preuve complémentaire tirée du témoignage de l’histoire, qu'on pourrait formuler de la
manière suivante?
Si nous étudions les Livres Saints, non pas comme livres inspirés, mais simplement comme livres
humains, présentant tous les caractères d'authenticité et de véracité que la critique est en droit d'exiger
de tout livre historique, nous constatons que Dieu s'est révélé à Adam, à Noé, à Abraham, à Isaac, à
Jacob, à Moïse, au peuple israélite dans le désert, aux prophètes, et plus récemment par Jésus-Christ,
qu'il s'est manifesté souvent et qu'il se manifeste encore de nos jours (ex: à Lourdes) par le miracle et
la prophétie. Donc nous devons croire à l'existence de Dieu tout aussi bien que nous croyons à l'exis-
tence d'Alexandre le Grand, de César et de Napoléon, puisqu'elle nous est attestée par des documents
aussi dignes de foi.
Exposée ici, cette preuve n'a aucune valeur pour ceux qui nient l'autorité des Livres Saints qui ne sera
démontrée que par la suite. La preuve ne s'adresse donc qu'aux croyants, et dès lors il nous semble
qu'il vaut mieux la réserver pour la partie dogmatique, où l'existence de Dieu est présentée comme une
vérité rationnelle et une vérité de foi, s'appuyant à la fois sur le raisonnement et sur la Révélation voir
notre Doctrine catholique N° 28).
[50] Cette preuve aboutit donc tout aussi bien au polythéisme qu'au monothéisme.
[51] Il ne faut pas confondre la preuve ontologique, qui prend pour point de départ la notion de Dieu,
avec l'ontologisme, signale plus haut parmi les erreurs, et d'après lequel nous aurions une vue
immédiate de Dieu.
[52] D'après l'Ami du Clergé (10 mai 1923), au lieu de la loi morale, il serait préférable de prendre
pour point de départ l'ordre essentiel qui régit les êtres raisonnables: on aurait alors la quatrième
preuve de saint THOMAS « par les degrés de perfection» envisagée sous l'aspect spécial du vrai et du
bien. On remarque dans la nature quelque chose de plus ou moins bon, de plus ou moins vrai, de plus
ou moins noble. Or, le plus ou le moins de perfection ne peut se dire des objets que par comparaison
avec l'être le plus parfait. Il y a donc quelque chose qui est le bon, le vrai, le noble, et par conséquent
l'être par excellence... qui est cause de ce qu'il y a d'être, de bonté et de perfection dans tous les êtres,
et c'est cette cause que nous appelons Dieu. » Somme th. l, 1,q. 2, art 3 (Voir sur ce sujet le Traité de
philosophie par les Professeurs de l'Université de Louvain).
[57] Nous appelons agnostiques dogmatiques ceux qui bornent leur agnosticisme à la nature de Dieu,
par opposition aux agnostiques purs qui prétendent que l'existence même de Dieu est du domaine de
l'inconnaissable.
[58] « L'aséité de Dieu, sa nécessité, son immatérialité, sa simplicité, son individualité, son
indétermination logique, son infinité, sa personnalité métaphysique, son rapport avec le mal qu'il
permet sans le créer ; sa suffisance, son amour de lui-même et son absolue félicité : franchement,
qu'importent tous ces attributs pour la vie de l'homme? dit W. JAMES. S'ils ne peuvent rien changer à
notre conduite, qu'importe à la pensée religieuse qu'ils soient vrais ou faux ? » (L'expérience
religieuse.)
[59] Nous ne parlons ici que de la connaissance de Dieu par la raison. Cette connaissance a été
augmentée par la Révélation qui, en nous découvrant les mystères de la Trinité et de l'Incarnation,
nous a fait pénétrer plus avant dans les secrets de la vie divine.
[60] Ainsi nous attribuons à Dieu toutes les perfections de? créatures parce que nous avons d'abord
établi a priori que Dieu est l’Etre parlait. Nous ne nous appuyons donc pas sur le principe de causalité
selon lequel tout ce qu'il y a dans les effets se retrouve dans la cause. Cette dernière méthode parait en
effet défectueuse, car de ce que toutes les perfections des effets se retrouveraient dans la cause, même
à un degré supérieur, il ne s'ensuit pas que la cause première soit infinie et parfaite, vu que les effets
sont finis et Imparfaits et n'exigent cas dès lors une cause parfaite.
[63] Nous employons ici l'expression courante « être personnel » en tant qu'elle s'oppose au système
panthéiste gui confond Dieu avec le monde. Évidemment, nous ne voulons pas entendre par là qu'il n'y
aurait en Dieu qu'une seule personne. A la rigueur, l'expression « être personnel » serait
avantageusement remplacée par cette autre expression « substance distincte ».
[64] Ainsi le mot immanent s'oppose à transcendant. Dire de Dieu qu'il est transcendant, c'est affirmer
son existence hors du monde; dire qu'il est immanent c'est l'identifier avec le monde.
[66] Mentionnons aussi le dualisme manichéen, d'après lequel il y aurait deux principes : un principe
bon, source de tout bien, qui est l'esprit, et un principe mauvais source de tout mal, qui est la nature.
Le bien et le mal que nous constatons dans le monde s'expliqueraient par une lutte éternelle entre ces
deux principes.
[67] Il est facile après cela de saisir le sens exact de l'expression « tirer du néant ». Le néant et l'objet
créé n'ont pas ici les rapports de cause à effet ; pas davantage, ils ne sont les deux termes d'une
évolution. La relation qui existe entre les deux est une relation purement mentale. Tirei du néant
marque donc le passage du non-être à l'être, sans qu'il y ait entre le premier et le second d'autre
relation que celle de deux moments différents.
[68] Nous pourrions faire remarquer ici que la science ne peut rien opposer au dogme de la création.
La création, en effet, est en dehors du champ d'observation de la science, et elle ne présente rien de
contraire aux faits constatés par la science.
[69] II n'y a pas lieu, en effet, d'envisager une troisième hypothèse comme celle du panspermisme
interastral, d'après laquelle la terre aurait été ensemencée par des germes tombés des espaces
interplanétaires, au moment où elle commença à se refroidir. Une semblable réponse ne ferait que
reculer la difficulté, car il faudrait toujours dire comment ces germes se trouvaient dans les autres
astres et quelle en était l'origine.
[71] Le protoplasme (de deux mots grec prôtos, premier, et plassein, former) désigne, selon
l'étymologie du mot, l'organisme primitif, la première forme d'être vivant.
[72] A vrai dire ni l'une ni l'autre des deux thèses, ni celle qui affirme ni celle gui nie la possibilité de
jamais produire chimiquement un organisme élémentaire, ne peut Invoquer l'autorité de l'expérience.
Elles sont toutes deux invérifiables, la première parce que la science n'a pas encore avancé d'un pas
vers la synthèse chimique d'une substance vivante, la seconde parce qu'il n'existe aucun moyen
concevable de prouver expérimentalement l'impossibilité d'un fait. » (H. BERGSON, L'évolution
créatrice.)
[73] L’évolution, n'est du reste pas une idée nouvelle ; nous la trouvons déjà chez les philosophes
grecs (École d’Ionie, Stoïciens, Alexandrins), chez certains Pères de l'Eglise (saint GRÉGOIRE DE
NYSSE, saint HILAIRE, saint AMBROISE, saint AUGUSTIN), chez les scolastiques (ALBERT LE
GRAND, saint THOMAS). Chez les modernes, BACON, PASCAL, LEIBNIZ sont plus ou moins
évolutionnistes ; TURGOT et CONDORCET défendent l'idée de progrès, voisine de celle d'évolution.
H. SPENCER a fait de l'évolutionnisme une vaste synthèse où l'évolution est regardée comme la loi
générale qui régit le monde.
[74] Il ne faut pas confondre, en effet, le transformisme qui est la théorie générale affirmant la
transformation des espèces, avec les systèmes particuliers : le lamarckisme ou système de
LAMARCK, le darwinisme ou système de DARWIN, qui prétendent expliquer comment l'évolution a
eu lieu, et indiquer les causes qui ont déterminé les transformations.
[75] D'après le darwinisme, les survivants transmettent à leurs descendants leurs caractères acquis ;
d’après le néo-darwinisme (WEISSMANN) ils transmettent seulement leurs caractères innés.
[76] La sélection (seligere, choisir) naturelle, c'est donc la nature qui, pour améliorer les espèces,
semble imiter les éleveurs qui choisissent pour la reproduction les animaux les mieux constitués.
[78] En se plaçant sur un autre terrain, et en ne considérant que le point de vue philosophique, les
fixistes peuvent encore objecter aux évolutionnistes que dans le moins il n'y a pas le plus, en d'autres
termes, qu'on ne donne pas ce qu'on n'a pas, que par conséquent l'évolution peut développer les
qualités, mais non en créer de nouvelles et que dès lors une espèce n'a pas par elle-même de quoi
produire une espèce supérieure
[79] Pour expliquer la disparition de certaines espèces et l'apparition postérieure d'autres espèces, les
fixistes sont en effet obligés de dire que les espèces disparues par suite de bouleversement dans
l'écorce terrestre, ou de toute autre cause, ont été ensuite remplacées par de nouvelles créations, à
moins toutefois qu'ils n'admettent qu'il y ait eu a l'origine des germes de toutes les espèces.
[80] On appelle déiste celui qui admet l'existence de Dieu et de la religion naturelle mais ne reconnaît
ni révélation ni Providence. — Le rationaliste rejette également la révélation et prétend n'admettre que
les vérités démontrées par la raison
[82] Devant certains cataclysmes, comme ceux de la Martinique et de Messine dont le souvenir est
encore récent, on est tenté de maudire l'apparente sauvagerie des forces de la nature. Mais «le plus
souvent, ces désastres n'atteignent que les régions où il a fallu à l'homme quelque témérité pour
espérer d'y fonder une installation durable. Il a cru pouvoir braver un fléau dont les manifestations
étaient espacées, et la plupart du temps cette hardiesse a été récompensée par de notables profits
(fertilité du sol). Comment se plaindre, le jour où la nature reprend pour un moment des droits qu'elle
n'avait jamais abdiqués? » (DE LAPPARENT, La Providence créatrice.)
[83] « Soyons, dit Mgr FRAYSSINOUS, plus modérés dans nos désirs... plus sobres, plus tempérants,
plus éloignés des voluptés et des vices qui énervent a la fois l'âme et le corps, et nous verrons
disparaître le plus grand nombre des maux dont nous souffrons. » (La Providence dans l'ordre moral.)
[86] La doctrine de l'Église dégage mieux encore la Providence de reproches qui lui sont laits (voir
notre Doctrine catholique, fasc. I, N° 37).
[87] Comment deux substances de nature aussi opposée peuvent-elles s'unir, former un tout
harmonieux, et exercer l'une sur l'autre une influence réciproque : c'est là un des problèmes les plus
ardus que puisse aborder l'esprit humain. Aussi les solutions proposées n'ont-elles qu'une valeur
relative. Au surplus, cette question intéresse plus le philosophe que l'apologiste. Nous renvoyons donc
pour ce point aux .traités de Philosophie. Signalons seulement la théorie de l'animisme, professée par
ARISTOTE, puis par saint THOMAS et les scolastiques, d'après laquelle le corps et l'âme sont deux
substances incomplètes, formant par leur union étroite un tout substantiel, appelé le composé humain,
l'âme vivifiant le corps, devenant la forme qui anime ce corps et le différencie des autres. — Toutefois,
bien qu'incomplète si on la considère dans l'ensemble de ses facultés dont quelques-unes (sensibilité,
perception extérieure...) nécessitent le concours des organes, l'âme n'en reste pas moins, dans ses
facultés supérieures, une substance complète, capable de vivre de sa vie propre.
[88] Le mot abstraire désigne cette opération de l'esprit qui consiste à considérer une qualité en dehors
de l'objet qui la possède : par exemple, la blancheur d'un mur en l'isolant du mur qui la possède. Le
mot abstrait est opposé au mot concret.
[89] On pourrait signaler encore le rire comme étant une des caractéristiques les plus curieuses qui
distinguent l'homme de l'animal. Le comique ou le ridicule des choses qui provoquent le rire,
supposent la raison pour les percevoir.
[90] Cette impossibilité du passage de l'animal à l'homme peut être invoquée comme preuve de
l'existence de Dieu. Si, en effet, l'âme de l'homme ne peut sortir par évolution de l'âme animale, de
toute nécessité, il faut recourir à quelqu'un qui la crée directement.
[91] Cette opinion est celle de RUSSEL WALLACE, d'ailleurs transformiste convaincu, qui, après
Darwin, fut le défenseur le plus ardent de la théorie de la sélection naturelle.
[94] A supposer que l'évolution fût une loi définitivement établie, elle ne supprimerait pas Dieu. Nous
avons prouvé ailleurs (N° 45) qu'il n'en faudrait pas moins recourir à un Etre tout-puissant pour créer
la matière et régler son développement selon la loi de révolution.
[95] « L'homme, dit DE LAPPARENT, est le seul mammifère dont la station soit absolument
verticale, et dont le visage soit fait pour regarder en face, en respirant à pleins poumons, le Ciel où sa
destinée l'appelle. » La Providence créatrice. — Le poète latin avait dit déjà :
Jussit...
[96] L'angle facial est l'angle formé par la rencontre de deux lignes hypothétiques; l'une, verticale,
allant des incisives supérieures au point le plus saillant du front ; l'autre, horizontale, allant du conduit
auditif aux mêmes dents.
[97] Le livre de M. BOULE, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, paru au début de
1921, et qui a pour titre : « Les hommes fossiles », ne saurait modifier notre conclusion. Après avoir
rappelé les principales découvertes de fossiles faites jusqu'à nos. jours, ce savant paléontologiste
prétend que de la reconstitution anatomique des nommes préhistoriques qu'il est permis de faire
d'après les squelettes qu'on a retrouvés, il ressort que l'homme primitif diffère moins des singes
anthropoïdes que ceux-ci des singes inférieurs. S'appuyant alors sur ce principe que « te ressemblance
prouve la parenté », M. BOULE conclut que le corps de l'homme provient par filiation soit d'un singe,
soit d'un ancêtre commun au singe et à l'homme. Cette déduction n'est qu'une hypothèse que nous
sommes en droit de ne pas admettre, tant qu'elle n'est pas vérifiée. (V. N« 94 et 95). De toute façon,
elle ne concerne que le corps ; l'abîme entre l'âme de l'homme et l'âme des bêtes reste Infranchissable
[98] Malgré sa force, cette preuve ne doit pas être isolée des deux autres. Car, d'une part,
l'anéantissement, qui est la base de l'argument, n'est nullement inconcevable : Dieu peut rendre au
néant ce qu'il lui a pris ; d'autre part, l'immortalité de la substance n'est pas nécessairement
[99] L'espèce est définie par DE QUATREFAGES « l'ensemble des individus plus ou moins
semblables entre eux qui peuvent être regardés comme descendus d'une paire primitive unique par une
succession ininterrompue et naturelle de familles. »
[100] II faut noter en effet que le caractère essentiel qui distingue la race de l'espèce, c'est que les
croisements entre individus de races différentes sont indéfiniment féconds, tandis qu'entre individus
d'espèces différentes, même les plus rapprochées, ils sont frappés de stérilité immédiate ou du moins à
brève échéance.
[104] La période tertiaire comprend quatre phases : éocène, oligocène, miocène et pliocène. C'est
dans une couche du miocène que les silex en question de l'abbé BOURGEOIS furent trouvés.
[105] M. REID MOIR a retrouvé récemment dans un terrain tertiaire d'Ipswich, localité proche de
Cambridge (Angleterre), des outils de silex manifestement taillés par l'homme, et dont la présence
dans ce terrain semble ne pouvoir s'expliquer par des apports artificiels. Ces outils, qui sont du type
moustérien, marquent déjà, par la finesse du travail, un certain degré d'évolution et de culture,
supérieur aux produits de l'homme chelléen. Si rien ne vient contredire ces assertions, il s'ensuivrait
que l'homme remonterait au moins à l'époque tertiaire. L'avenir nous réserve sans doute d'autres
découvertes encore. Quelles qu'elles puissent être, elles ne pourront modifier notre conclusion et ne
[108] « Le fétiche est un objet vulgaire, sans aucune valeur en lui-même, mais que le Noir garde,
vénère, adore, parce qu'il croit qu'il est la demeure d'un esprit... Une pierre, une racine, un vase, une
plume, une bûche, un coquillage, une étoffe bigarrée, une dent d'animal, une peau de serpent... tout au
monde peut être fétiche pour ces grands enfants. » RÊVILLE, Les religions des peuples non civilisés.
— II y a trois catégories de fétiches : les fétiches familiaux, tirant leur vertu des reliques des ancêtres
et destinés à protéger la famille, le village ou la tribu ; les fétiches des bons génies et les fétiches des
esprits mauvais ou fétiches vengeurs.
Le fétiche se différencie : — a) de l'amulette en ce qu'il tire sa force et son influence de l'esprit qui
l'habite, tandis que l'amulette qui est un petit objet que l'on porte sur soi est censée préserver des
malheurs et procurer du bonheur par une vertu secrète, mystérieuse et inconsciente ; et — b) du
talisman, petit objet marqué de signes cabalistiques que l'on ne porte pas toujours sur soi comme
l'amulette, et qui est destiné à exercer une action déterminée sur les choses ou les événements, à en
changer le cours ou la nature. (Voir Mgr LE ROY, La Religion des Primitifs).
[109] Comme on le voit, l'animisme est chez les sauvages ce que le spiritisme est chez les peuples
civilisés.
[116] Le surnaturel, tel que nous l'entendons ici, désigne le monde invisible, distinct du nôtre, où il y a
des êtres réels, vivants, personnels et libres avec lesquels toutes les religions enseignent que l'homme
peut avoir des rapports. — II ne faut pas confondre cette signification avec le sens strict du mot, et
comme l'emploient les théologiens catholiques, pour désigner la révélation proprement dite et la grâce,
moyen surnaturel, c'est-à-dire au-dessus des exigences de notre nature, pour arriver à la vision
béatifique.
[118] L'histoire des religions paraît même la contredire. Elle nous atteste, en effet, que les idées
religieuses ne se sont pas toujours perfectionnées, qu'il y a eu parfois recul : ainsi, les peuples
sémitiques sont souvent allés du plus parfait au moins parfait, du monothéisme au polythéisme, à
l'idolâtrie et au fétichisme.
[119] BRUNETIERE, Sur les chemins de la croyance, Ch. III, La religion comme fait sociologique.
[121] Une autre hypothèse (Max MULLER), appelée l'hénothéisme, pense que la religion rait le
résultat d'un double élément : un élément subjectif et un élément objectif. L’élément subjectif
consisterait dans une faculté spéciale à l’homme par laquelle il percevrait l’infini et aurait le sentiment
du divin. L'élément objectif serait fourni par l'univers et les grands phénomènes de la nature. De la
rencontre de ces deux éléments serait née l'idée de la divinité, d'une divinité une, mais pouvant
subsister en plusieurs sujets, par opposition au monothéisme qui croit nue les attributs divins, que la
divinité réside dans un sujet unique
[122] Nous ne parlons que des vérités de l'ordre surnaturel. Non pas que nous prétendons qu'il n'y ait
pas de mystères dans l'ordre naturel. Nous pensons au contraire que la science est loin d'avoir résolu
toutes les énigmes de la création, et que le savant Berthelot qui proclamait que « Le monde est
aujourd'hui sans mystères », était bien vain de le croire et de le dire. Cependant il faut admettre que sur
ce terrain l'impuissance de la raison n'est qu'accidentelle, et que, plus la science progresse, plus elle
fait reculer le mystère. Il n'en est pas de même des vérités de l'ordre surnaturel : ces dernières ne
peuvent être que des mystères, puisqu'elles sont d'un ordre qui dépasse la nature.
[124] « Parmi les philosophes anciens, qui n'eurent pas le bienfait de la foi, dit LÉON XIII dans son
Encyclique Aeterni Patris, ceux mêmes qui passaient pour les plus sages, tombèrent, en bien des
points, dans de nombreuses erreurs. Vous n'ignorez pas combien, à travers quelques vérités, ils
enseignent de choses fausses et absurdes, combien plus d'incertaines et de douteuses, touchant la
nature de la divinité, l'origine première des choses, le gouvernement du monde, la connaissance que
Dieu a de l'avenir, la cause et le principe des maux, la un dernière de l'homme et l'éternelle félicité, les
vertus et les vices et d'autres points de doctrine, dont la connaissance vraie et certaine est d'une
nécessité absolue au genre humain. »
[125] « Quand un éloquent écrivain du siècle dernier, écrit Emile SAISSET dam ses Essais sur la
philosophie et la religion, prétendit écrire le symbole de la religion naturelle sous l'inspiration de sa
seule conscience, il l'écrivait, en effet, sous la dictée d'une philosophie préparée par le Christianisme.
Ce n'est pas l'homme de la nature qui parle dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, c'est un
prêtre devenu philosophe. » « Je ne sais pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philosophie la
belle morale de nos livres, confesse lui-même Jean-Jacques ROUSSEAU (Lettres de la montagne).
Cette morale, tirée de l'Evangile était chrétienne avant d'être philosophique. »
[126] Fin surnaturelle. — Pour bien comprendre cette expression, il faut se rappeler que tous les êtres
créés par Dieu poursuivent une fin appropriée à leur nature. Or l'homme, en tant que créature
raisonnable, doit arriver, par sa raison, a la connaissance de l'Etre infini, et par sa volonté, à l'amour de
Dieu proportionné à cette connaissance : c'est là sa fin naturelle et l'ordre naturel des choses.
Mais si Dieu a assigné à l'homme, comme fin dernière, le bonheur de le contempler un Jour face à
face, tel qu'il est, dans la plénitude de sa splendeur (I. Cor., XIII, 12), de l'aimer et de le posséder, la
fin est au-dessus des exigences de la nature humaine, elle est surnaturelle, et constitue un nouvel ordre
de choses : l'ordre surnaturel.
[127] Cette expression « Dieu a parlé aux hommes » ne doit pas nécessairement être entendue au sens
obvie, sauf lorsqu'il s'agit de l'enseignement oral du Christ. Il est clair que Dieu a de multiples moyens
d'instruire les hommes : représentations imaginatives ou intellectuelles, impressions visuelles ou
auditives, et qu'il sait proportionner la forme de son message à l'aptitude de son destinataire. Ce qui
importe donc, c'est que sa révélation soit entourée de signes qui ne laissent pas de doute sur la réalité
du fait.
[128] Les critères internes pourraient s'appeler aussi critères probables par opposition aux critères
externes (miracles et prophéties) qui sont des critères certains.
[130] Il est clair, en effet, que si l'on conçoit toute réalité sur le modèle des êtres libres et spirituels
dont on ne peut prévoir les actes, il n'est plus possible d'établir de lois et, par conséquent, de constater
le miracle. Poussé jusqu'à ces limites, ce système est surtout le fait de M. Ed. LE Roy. Les théoriciens
de ce qu'on a appelé la philosophie nouvelle, MM. BOTTTKOUX, BERGSON, DUHEM, Henri
POINCARÉ, W. JAMES, ne sont pas allés si loin. Ils ont affirmé seulement qu'il y a de la contingence
dans le monde, que tout n'y est pas soumis à une nécessité absolue, et que ce qui est considéré par les
scientistes ou déterministes comme des lois universelles et certaines de toute réalité, n'est en somme
qu'un ensemble de règles approximatives qui gouvernent la matière, qu'il convient, par conséquent, de
faire une place au psychique, c'est-à-dire à l'élément spirituel, auquel il faut reconnaître la possibilité
d'intervention.
[135] Bien que nous parlions des trois conditions requises pour constater un miracle à propos du
témoin, il est clair que le rôle de ce dernier peut et souvent doit se borner à la constatation du fait
sensible (voir N° 167).
[136] En dépit de sa forme, le mot de PASCAL ne contient pas de cercle vicieux. Car il n'est pas
question de prouver la doctrine par les miracles seuls et les miracles par la doctrine seule. C'est la
raison qui démontre d'abord la valeur d'une doctrine, qui déclare si elle est bonne ou mauvaise, et c'est
encore la raison qui juge si les miracles portent les signes dont nous venons de parler et qui permettent
de les attribuer à Dieu. Ce travail préliminaire une fois fait, il est clair que la doctrine confirme les
miracles, et réciproquement, que les miracles confirment la doctrine.
[139] Ce n'est pas ici une objection nouvelle. Mais, tandis que l'objection précédente (N° 167) se tient
à un point de vue général et abstrait, l'instance concrétise en quelque sorte le cas. En prenant un
exemple dans le fait de Lourdes, qui est toujours d'actualité, elle a l'avantage de mettre mieux à jour la
tactique des incrédules.
[141] Voir la liste détaillée des guérisons obtenues à Lourdes, depuis 1858 jusque 1904, dans G.
BERTIN, Histoire critique des événements de Lourdes.
[143] D'après l'abbé BERTIN, Le Fait de Lourdes (Dict. ap. de la Foi cat.) le Bureau médical écarte
de plus en plus les maladies nerveuses, les guérisons de ces maladies pouvant être attribuées à une
cause naturelle. Il est donc faux de croire et de dire que les affections nerveuses forment la grande
clientèle de Lourdes ; elles ne fournissent pas même la quinzième partie des guérisons. Jusqu'en 1913,
on en compte 285, tandis qu' « on trouve 694 cas pour les maladies de l'appareil digestif et de ses
annexes, 106 pour les maladies de l'appareil circulatoire, dont 61 pour celles du cœur, 182 pour les
maladies de l'appareil respiratoire (bronchites, pleurésies), 69 pour les maladies de 1 appareil urinaire,
143 pour celles de la moelle, 530 pour celles du cerveau, 155 pour les affections des os, 206 pour
celles des articulations, 42 pour celles de la peau, 119 pour les tumeurs, 546 pour les maladies
générales et les maladies diverses, dont 170 pour les rhumatismes, 22 pour les cancers, et 54 pour les
plaies. Signalons aussi spécialement 55 aveugles, qui ont eu le bonheur de voir, et 24 muets qui ont
recouvré la faculté de parler, tandis que 32 sourds recouvraient celle d'entendre ».
[144] Forces physiques (gr. phusis, nature) et psychiques (gr. psuchê, âme) = forces matérielles et
spirituelles.
[145] L'on voit par là que les guérisons si nombreuses, si étonnantes dont la grotte de Lourdes est le
théâtre permanent, peuvent être un argument très précieux au service de l'Apologétique. Celle-ci a le
droit d'y puiser différentes preuves : — a) la preuve de l'existence du miracle, et — b) la preuve de la
vérité de la Religion catholique puisque ces miracles sont accomplis en faveur de sa doctrine pour
appuyer son autorité. Et si l’on considère les circonstances de l’apparition de la Sainte Vierge à
Bernadette, sa réponse à l’interrogation de l’enfant : « Je suis l’Immaculée Conception », il est permis
de croire que Dieu voulut, à quelques années de la promulgation du dogme, ratifier la décision
doctrinale du pape Pie IX.
[147] « Une vérité scientifique ne s'établit pas par témoignage. Pour affirmer une proposition, H faut
des raisons spéciales de la croire vraie. » SEIGNOBOS et LANGLOIS Introduction à la Méthode
historique.
[148] « Aucun des miracles dont les vieilles histoires sont remplies, dit RENAN, ne s'est passé dans
des conditions scientifiques. Une observation qui n'a pas été une seule fois démentie nous apprend
qu'il n'arrive de miracles que dans les temps et les pays où l'on y croit, devant des personnes disposées
à y croire. »
[150] Nous avons vu (N° 12) que, selon l'importance que l'on attache à chaque série de critères, la
méthode d'apologétique employée dans la démonstration de la vraie religion est dite intrinsèque ou
extrinsèque. Il serait bon de relire ici cette question capitale qui a été traitée dans l'introduction (N" 10
et suiv.).
[154] Les mages étaient les prêtres du zoroastrisme. Ils passaient pour astrologues et magiciens.
L'Évangile de saint Matthieu (II, 1, 7) rapporte, qu'à la naissance de Jésus, des mages, guidés par une
étoile, se rendirent à Bethléem et adorèrent « le roi des Juifs »
[157] Il est bon de remarquer que le moine bouddhiste n'est pas lié par des vœux et qu’il se contente
d'accepter la chasteté comme une règle. De même, sa vie se passe à mendier et a méditer sur le néant
de l'existence : il ne s'adonne pas au travail manuel.
[160] Il n'y a pas lieu d'établir ici la transcendance de la religion chrétienne. Celle-ci sera
suffisamment démontrée lorsque nous aurons apporté les preuves de la divinité du christianisme.
Évidemment la transcendance est une condition nécessaire de la vraie religion, et la faire apparaître
peut servir d'échelon préparatoire à la démonstration de la divinité, mais c'est une voie qu'il n'est pas
nécessaire de prendre pour arriver au but que nous poursuivons.
[161] La Révélation primitive ou patriarcale est celle que Dieu a faite à nos premiers parents et aux
patriarches. Elle a : — 1. pour dogmes principaux : l'unité de Dieu, créateur du ciel et de la terre, ayant
fait tout bien dès le principe, dogme qui excluait le polythéisme et le dualisme ; l'existence de l'âme
humaine, spirituelle et libre, la chute originelle et la promesse d'un sauveur ; — 2. pour préceptes :
l'obligation de rendre un culte à Dieu, de lui offrir des sacrifices et, plus tard, au temps d'Abraham, la
Circoncision comme signe de l'alliance entre Dieu et le peuple juif.
[162] La Révélation mosaïque est celle qui fut faite au peuple juif par l'intermédiaire de Moïse et des
prophètes : elle avait pour but d'instaurer à nouveau la religion primitive et de préparer l'avènement du
Messie et la religion chrétienne. Elle a : — 1. les mêmes dogmes que la religion primitive, mais elle
met plus particulièrement en relief le dogme de 1 unité divine (monothéisme) que les autres nations
avaient perdu de vue ; —- 2. les préceptes moraux formulés dans le Décalogue, lesquels sont une
promulgation de la loi naturelle, s'adressant par conséquent à toute l'humanité, sauf la sanctification du
sabbat qui ne concernait que les Juifs. A cette première catégorie de préceptes s'en ajoutait une autre,
tout à fait spéciale aux Juifs, et qui réglait les questions de culte (cérémonies, objets sacrés, jours de
fêtes, personnes consacrées à Dieu).
[163] Nous disons que la première méthode est : — 1. incomplète. En effet, dès lors qu'elle se borne à
prouver que Jésus-Christ est un simple envoyé divin, elle supprime l'un des meilleurs arguments en
faveur du christianisme, à savoir l'argument tiré des prophéties ; — 2. dangereuse, car cette méthode
parait une concession à la thèse rationaliste qui rejette l'authenticité du Pentateuque. Il est vrai que la
[164] L’intégrité est évidemment le premier point à établir, vu que, pour rechercher l'auteur, l'on
s'appuie sur la critique Interne du document, laquelle n'a d'autorité qu'autant qu'elle porte sur le
document authentique.
[165] Tout ce qui est inséré au milieu d'un texte porte le nom à'interpolation. Il y a donc deux sortes
d'additions-: la continuation et l'interpolation. La continuation consiste à reprendre le récit où l'auteur
l'avait laissé et à le compléter ; ce procédé était fréquemment employé au Moyen Age : beaucoup de
chroniques ont été continuées sans qu'il soit possible de savoir où commence et où finit le travail des
différents continuateurs, ceux-ci n'ayant pas pris soin de le déterminer. "L'interpolation c'est
l'insertion, au milieu d'un texte, de mots ou de phrases qui n'étaient pas dans le manuscrit de l'auteur.
[166] En somme, les adversaires de l'authenticité du Pentateuque ont suivi la tactique des critiques
littéraires qui ont attribué la composition de l'Iliade et de l'Odyssée à plusieurs auteurs, qui ont
considéré ces deux poèmes épiques comme un assemblage de petits poèmes indépendants, ou comme
formés d'un noyau primitif grossi par des additions et remaniements successifs.
[167] Nous insisterons davantage sur la question de la véracité dans l'article sur les Évangiles (N os 233
et suiv.).
[168] Le mot Évangile (du grec « euaggelion » bonne nouvelle) a un double sens. Il désigne : — 1.
soit la nouvelle par excellence, celle du salut apporté au monde par Jésus-Christ ; — 2. soit les livres
eux-mêmes qui contiennent cette bonne nouvelle. Il n'y a donc qu'un Évangile, celui de Jésus-Christ,
et quatre livres qui le rapportent.
[169] A première vue, cette expression selon pourrait signifier que nos Évangiles actuels sont des
écrits se couvrant simplement de l'autorité de saint Matthieu... Mais toute l'antiquité a vu dans cette
formule l'indication des auteurs, comme nous le montrerons dans le paragraphe 2.
[170] Nous disons que les Évangiles sont les principaux documents de la Révélation chrétienne. Ils ne
sont pas, en effet, notre seul moyen d'information sur la vie et l'œuvre du Christ. Outre les Évangiles,
il y a encore : — a) parmi les sources chrétiennes canoniques, les Actes des Apôtres et tous les autres
écrits du Nouveau Testament, entre lesquels les Epîtres de saint Paul occupent une place de tout
premier ordre ; — b) parmi les sources chrétiennes non canoniques, les Évangiles apocryphes. Le mot
Remarquons enfin que, même en l'absence de tout document écrit, nous aurions toujours, pour
connaître les traits de Jésus, le témoignage de la tradition, ce grand fait historique de l'existence d'une
communauté chrétienne dont la naissance et le développement ne s'expliquent pas en dehors de la vie
et de l'œuvre du Christ.
[171] Les manuscrits grecs et latins déjà retrouvés sont plus de 12.000. Voici les principaux : le
Vaticanus, du IVe siècle, à la bibliothèque du Vatican ; le Sinaïticus,. du IVe siècle, découvert au
"couvent du Mont Sinaï par TISCHENDORF et actuellement à Saint-Pétersbourg ; l'Alexandrinus du
Ve siècle qui se trouve au Musée britannique de Londres; le Codex Ephraemus rescriptus du Ve siècle
à la Bibliothèque nationale de Paris ; le Codex Bezae du VIe siècle, à l'Université de Cambridge.
[172] Les Évangiles ayant été écrits en grec, sauf l'Évangile primitif de saint Matthieu qui était en
hébreu, on appelle versions les traductions qui en ont été faites dans une autre langue. La plus célèbre
des anciennes versions s'appelle la Vulgate, traduction latine, faite par saint JÉRÔME à la fin du IVe
siècle. Il y a aussi des versions syriaque, égyptienne, éthiopienne, arménienne.
[173] Les Pères de l'Église citent souvent les Écritures. Mais leurs citations ne sont pas toujours
littérales, auquel cas elles ne peuvent servir qu'à la reconstitution du sens et non de la lettre.
[174] Que les corrections tendancieuses soient rares, cela s'explique par une double raison. La
première c'est que les chrétiens veillaient sur leurs Écritures avec un soin jaloux, les apprenant par
cœur, les lisant dans toutes leurs assemblées, bref, les entourant d'un respect et d'un culte presque à
l'égal de l'Eucharistie, considérant l'altération de leurs Livres Sacrés comme une profanation grave. La
seconde c'est que les adversaires des chrétiens : juifs, hérétiques, infidèles, étalent, eux aussi, attentifs
à la destinée des Écritures, épiant toutes les occasions d'en découvrir les points faibles ou de
surprendre les chrétiens en flagrant délit de falsification
[176] Les critiques rationalistes reculent la date de composition du 4e Evangile beaucoup plus loin
rentre 160-170 (BAUR), vers 125 (RENAN), entre 80-110 (HARNACK),entre 100-125 (LOISY).
[177] D'après l'édition Havet, page 387, le texte de PASCAL est le suivant : « Je ne crois que les
histoires dont les témoins se feraient égorger. » Ce qui revient à dire que jamais on ne s'est fait
martyriser pour des miracles qu'on dit avoir vus, mais en réalité on n'a pas vus et qu'on n'est pas fou au
point de subir le martyre pour soutenir un mensonge
[179] Ibid.
[180] D'après M. LOISY, la rédaction définitive de l'évangile selon saint Marc peut être fixée
approximativement à l'an 75, celle du premier Évangile et du troisième aux environs de l'an 100
[181] D'après M. LOISY (Autour d'un petit livré), le quatrième Évangile n'est pas l'écho direct de la
prédication du Christ. C'est un livre de théologie mystique où l'on entend la voix de la conscience
chrétienne, non le Christ de l'histoire.
[182] Il est incontestable que l'auteur du quatrième Évangile s'attache moins à exposer les faits qu'à les
interpréter et que son récit de la vie du Sauveur1 n'est pas essentiellement historique comme ceux des
trois premiers Évangélistes, qu'il est plutôt doctrinal et théologique. Mais un fait historique ne cesse
pas d'être historique parce que l'auteur s'applique plus à le commenter, à en déduire des conclusions
dogmatiques, qu'à le raconter.
[184] Ibid.
[186] Il importe donc de bien distinguer les deux questions : la messianité et la divinité de Jésus.
Comme le but de l'apologiste est de démontrer la divinité du christianisme, il suffit de prouver que le
fondateur est accrédité par Dieu dans sa mission, qu'il est un légat divin. A ce point de vue, la
démonstration chrétienne ne diffère pas de la démonstration de la divinité du judaïsme. De même que
le judaïsme est d'origine divine sans que son fondateur, Moïse, soit Dieu, de même le christianisme est
divin, du moment qu'il est reconnu que Jésus était Bien le Messie promis et envoyé de Dieu.
[187] Sans doute si l'on envisage la question du point de vue dogmatique, et que l'on considère le
Messie comme le Rédempteur du monde, une réparation adéquate des pêches de l'humanité exigeait
l'Incarnation d'une personne divine, mais Dieu pouvait accepter une expiation proportionnée aux
capacités de l'homme, auquel cas le Messie pouvait être une simple créature.
[190] Ibid.
[192] C'est, du reste, l'opinion des rabbins les plus célèbres, que Jésus fut condamné à mort parce qu'il
se proclamait Dieu. Jésus comparait devant le Sanhédrin, écrit M. WEIL (Le Judaïsme, ses dogmes, sa
mission, t. III) pour répondre à l'accusation de lèse-majesté divine. » Incontestablement, écrit à son
tour M. COHEN (Les Déicides), Jésus, par la proclamation de sa divinité, non seulement heurtait
violemment les croyances séculaires du peuple juif, inquiétait toutes les consciences et détruisait
toutes les vérités reçues, mais portait une atteinte spécialement grave à cette loi qu'il avait déclaré,
d'abord si solennellement, n'être pas venu modifier. »
[196] La thèse de Renan a été reprise de nos jours par le Dr BINET-SANGLÉ, qui, dans un ouvrage
Interminable « La folie de Jésus » (4 vol. in-8°, 1908-1915), a prétendu démontrer que Jésus était un
fou atteint de théomanie, autrement dit, un fou religieux. Cette thèse a été réfutée, tout dernièrement,
au double point de vue médical et exégétique, par le Dr VÉRUT. dans un livre qui a pour titre : « Voilà
vos bergers... Jésus devant la science. » (Paris, 1928).
[200] Ces notions générales sont indépendantes de la question de savoir s'il y a eu des prophéties
messianiques lesquelles se seraient réalisées en Jésus.
[204] Le but que nous poursuivons ici étant uniquement de montrer le rôle des prophètes dans l'origine
de l'espérance messianique, nous n'avons pas à rechercher la date précise où leurs livres furent
composés. Il suffît qu'ils aient été antérieurs à l'avènement du Christ (V. N° 251).
[205] Il convient de remarquer que les deux termes Envoyé et Messie qui, dans le langage courant,
sont employés indistinctement l'un pour l'autre, ne sont pas en réalité des termes équivalents. Le mot
Messie, transcription de l'hébreu Meschiah, et synonyme dU mot grec Christos, signifie : oint, sacré,
de sorte que, quand nous disons Messie, nous voulons désigner un personnage oint, sacré par Dieu, et
non pas un Envoyé.
[206] Les rationalistes prétendent que le livre de Daniel ne serait pas de Daniel ; il aurait été composé
beaucoup plus tard. La chose importe peu, puisque aussi bien Ils reconnaissent que le livre est
antérieur à l'ère chrétienne, au moins de deux siècles, et que par conséquent il y a eu prophétie. Et
comment pourraient-ils ne pas le reconnaître? Sans compter qu'il est rapporté, dans l'Évangile, que
Notre-Seigneur cite la prophétie de Daniel lorsqu'il annonce que l'abomination de la désolation doit
fondre sur Jérusalem (Mat., XXIV, 15), il est bien certain que les Juifs n'auraient jamais inscrit le livre
de Daniel parmi leurs livres sacrés, s'il avait été composé après l'Évangile.
[207] L'on remarquera que nous n'avons fait usage, dans l'argument prophétique, que des textes qui
peuvent être entendus au sens littéral, mais il y en a beaucoup d'autres que l'exégèse chrétienne a
toujours considérés comme formant des prophéties spirituelles ou figuratives, dominée qu'elle a
toujours été « par ce principe que toute l'économie de la Loi était figurative de l'ordre futur, que les
personnages, les institutions, les usages d'antan étaient des symboles, des types, des ombres, de ce qui
devait se réaliser dans l'avenir... Les apologistes ont donc le droit de voir dans les interventions de
Dieu au cours de l'histoire juive, le prélude des interventions futures et dans les grandes âmes de
l'Ancien Testament les figures de celles du Nouveau, et en particulier de celle qui devait dominer
toutes les autres, et dans les vieux rites mosaïques eux-mêmes l'ombre des augustes réalités dé l'ordre
nouveau» (TOUZARD)
[208] « N'est-ce pas ce qui se passe encore de nos jours ? continue l'abbé DE BROGLIE (Les
prophéties messianiques, seconde conférence). Que de difficultés, que d'objections contre la foi sont
venues de ce que, pareils en cela aux Juifs obstinés, nous nous étions fait de la religion une conception
qui n'était pas la conception de Dieu I Bien des personnes avaient rêvé une Église dégagée de tout lien
terrestre ; lorsqu'elles ont vu qu'afin de pourvoir aux besoins des ministres et du culte on demandait de
l'argent, elles ont abandonné une société qui ne répondait pas à leur idéal. D'autres ont imaginé une
Église dont la sainteté exclurait de ses adeptes et de ses ministres toute faute, toute imperfection. Là où
ils rencontrent le moindre scandale, ils ne reconnaissent plus l'Église et ils s'en vont.
« Ou bien : Dieu est bon, donc il ne doit imposer aux hommes qu'une certaine mesure d'épreuves. Si la
mesure leur parait dépassée, Dieu n'est pas bon, et, en conséquence, Dieu n'est pas. C'est imiter la
conduite des Juifs, c'est se former soi-même une certaine conception de Dieu, de sa Providence, de sa
religion et de son Église, s'obstiner dans cette conception, et tout lui sacrifier. Et, s'il arrive que Dieu
ne se plie pas à nos désirs, a notre conception, on donne tort a Dieu.
Qu'ont fait les Apôtres? Ils ont reconnu, ils ont senti, à un certain jour, que Jésus-Christ était le
Messie, et dès qu'ils eurent reconnu cette autorité divine du Messie, ils se remirent entre ses mains. Ils
ont accepté tout ce qu'il voulait, même ce qui leur répugnait le plus et qu'ils comprenaient le moins,
même l'idée que le roi glorieux d'Israël, le fils de David qui devait régner sur les douze tribus, et sur
toutes les nations, serait cloué sur un gibet. »
Bien que ce passage soit indépendant de l'argument prophétique, il nous a paru intéressant de le citer à
cause de son caractère apologétique d'application quotidienne.
[209] Le mot parousie (du grec « parousia » présence) est synonyme d'avènement (adventus, venue).
Tous les deux désignent le glorieux avènement de Jésus-Christ aux derniers jours du monde.
[210] Pour l'interprétation des textes de saint PIERRE (I Pet., I, 6 ; II Pet., III, 9, 15) et de saint PAUL
(I Thess., IV, 15-17 ; II Thess., I, 6, 7 ; I Cor., VII, 29-31 ; IV, 51, 53 ; Rom., XIII, 11, 12 ; Heb., X,
25, 37) qui semblent annoncer le jour de la Parousie comme prochain, la Commission Biblique, dans
sa décision du 18 juin 1915, a énoncé les principes suivants :
1er Principe. — Pour résoudre les difficultés qui se rencontrent dans les épîtres de saint Paul et des
autres apôtres où il est question de la Parousie, c'est-à-dire du second avènement de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, il n'est pas permis à un exégète catholique d'affirmer que les Apôtres, bien que sous
l'inspiration du Saint-Esprit ils n'enseignent aucune erreur, émettent néanmoins leurs propres opinions
tout humaines ou peut se glisser l'erreur ou l'illusion.
2e Principe. — L'apôtre saint Paul n'a absolument rien dit, dans ses écrits, qui ne concorde
parfaitement, en ce qui concerne l'époque de la Parousie, avec cette ignorance dont le Christ a dit
qu'elle était commune à tous les hommes.
3e Principe. — Quand saint Paul a écrit : « Nous les vivants qui sommes restés » (I Thess., IV, 15), il
n'a voulu, en aucune façon, affirmer une Parousie tellement prochaine qu'il se soit rangé, lui et ses
lecteurs, au nombre des fidèles qui seront alors vivants et iront au devant du Christ... (V. L'Ami du
Clergé, 6 mai 1920)
[211] Le mot « Talmud » est le nom sous lequel les Juifs désignent l'ensemble des doctrines et
préceptes enseignés par leurs docteurs les plus autorisés. Le Talmud représente donc la tradition,
juive, et il est pour nous une excellente source de renseignements pour l'histoire du judaïsme
postérieur à Jésus-Christ.
[214] LOISY, Quelques lettres sur. des questions actuelles et sur des événements récents.
[216] Lorsque nous avons établi la valeur historique des écrits du Nouveau Testament, notre étude
s'est bornée aux Évangiles et il n'a pas été question des Epîtres de saint Paul dont nous invoquons ici
le témoignage. Ce n'est point là une omission. La raison pour laquelle nous ne nous arrêtons pas à
prouver l'historicité de la première Epître aux Corinthiens, c'est qu'elle n'est pas contestée par les
critiques rationalistes.
[217] « Conformément aux Écritures ».— Cette expression répétée deux fois par saint Paul, est
invoquée à tort par les rationalistes qui s'en servent pour diminuer la valeur du témoignage. Il n'y a pas
lieu, en effet, de s'étonner que les Apôtres aient pris soin de rapprocher les faits de la vie de Jésus des
prophéties de l'Ancien Testament. Aux yeux des Juifs qui ne juraient que par les Écritures et qui
mettaient l'argument prophétique au-dessus de tout, l'accord entre les prédictions des prophètes et les
événements de la vie de Jésus avait plus de valeur que le témoignage des Apôtres affirmant qu'ils
avaient vu Jésus ressuscité. Mais ce recours aux Écritures n'enlevait rien à la vérité du témoignage, et
les Apôtres n'en restaient pas moins des témoins bien informés et sincères, alors que les faits qu'ils
rapportaient s'étaient déroulés « conformément aux Ecriture
[218] Cette hypothèse M. LOISY l'a renouvelée dans son grand ouvrage Les Evangiles Synoptiques.
[221] Cette hypothèse ne put résister longtemps à la réplique des apologistes chrétiens Aussi vit-on
bientôt les Juifs reporter leur accusation sur le jardinier du lieu où était le tombeau, qui aurait fait
[222] MM. Albert RÉVILLE et Edouard LE ROY ont supposé que les autorités Juives qui détestaient
Jésus et ne supportaient pas qu'il eût une sépulture honorable avaient fait enlever le corps afin qu'il
subit le sort que la loi réservait aux cadavres des suppliciés
[225] P. ROSE, Etudes sur les Évangiles. C'est là sans cloute la raison qui a déterminé les rationalistes
contemporains à imaginer l'hypothèse de la fosse commune. Ils pensent ainsi échapper à la nécessité
qui leur incombe d'expliquer pourquoi les Juifs n'ont pas confondu les apôtres en reproduisant le
cadavre.
[227] Les rationalistes supposent deux stades dans la formation de la légende. Au premier stade se
placent les hallucinations. Après la grande épreuve delà Croix, l'amour des Apôtres pour leur Maître
triomphe de leur découragement. Pierre d'abord, puis les autres Apôtres, suggestionnés par Pierre, ont
des visions dans lesquelles ils se figurent voir Jésus ressuscité. Telle est la première étape de la
croyance à la résurrection où il n'est question que de Jésus vivant et immortel, étape dont nous
trouvons l'écho dans le témoignage de saint Paul. Au second stade, les Apôtres, pour légitimer leur
prédication, commencent à matérialiser la croyance à la survivance du Christ. Pour les besoins delà
cause, l'on forge de toutes pièces les circonstances de la résurrection : l'ensevelissement, la garde au
tombeau, la découverte du tombeau vide, Jésus faisant toucher ses plaies, etc.
[230] Ibid.
[233] BOSSUET, Discours sur l'Histoire universelle, 3e Part., ch. VIII. L'importance que Bossuet
attache à l'action des causes secondes n'est nullement une diminution de l'action divine, car c'est Dieu
qui prépare la suite et la succession des choses par le travail des causes secondes et qui en dispose
l'enchaînement pour la réalisation de son plan éternel, et de ce que Bossuet appelle sa politique céleste
(Sera, sur la Providence). Rien n'est donc laissé au hasard. « Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils
incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui
renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la
même fin ; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les
rencontres particulières. »
[234] Nous exposons la thèse de M. HARNACK, parce qu'elle est une des plus récentes et des plus
documentées.
[235] Les païens qui s'affiliaient au judaïsme s'appelaient les prosélytes (grec « proselytos = lat. «
advena» celui qui vient du dehors). Comme les Juifs, ils attendaient le Messie et devaient participer
aux promesses messianiques.
Les prosélytes proprement dits, ou, comme on les a appelés plus tard, les prosélytes de la justice
étaient beaucoup moins nombreux que ceux qui, abandonnant leurs pratiques idolâtriques, adhéraient
au culte du vrai Dieu, sans toutefois se soumettre à la circoncision et aux observances de la Loi
mosaïque. Ceux-ci sont appelés dans le Nouveau Testament les t craignant Dieu » (Act., X, 2). On les
désigna au moyen âge sous le nom de prosélytes de la porte, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas le droit
de franchir l'enceinte du temple, dont l'accès était réservé aux juifs et aux prosélytes proprement dits.
[237] Syncrétisme. — Etymologiquement le mot syncrétisme (du grec « sun » avec et keran,
mélanger) signifie la réunion de systèmes différents et même incompatibles. Le syncrétisme diffère
donc de l'éclectisme (grec eklegein, choisir) en ce qu'il est un assemblage plus ou moins arbitraire
d'opinions diverses, tandis que l'éclectisme est un système qui consiste à choisir parmi les doctrines
différentes ce que chacune a de vrai.
[240] Ibid.
[247] Il ne faut pas oublier en effet que la législation romaine ne connaissait pas la liberté des cultes.
Dans la pratique, il est vrai, la tolérance était grande, autant par indifférence du pouvoir que par crainte
de se rendre hostiles les dieux dont on aurait persécuté les adeptes. Jusqu'en 64, c'est-à-dire aussi
longtemps qu'on le confondit avec le judaïsme, le christianisme profita de cette tolérance, mais à partir
de cette date, on lui appliqua toutes les rigueurs des lois, parce qu'il était regardé par les païens comme
une religion athée (N° 287).
[248] « En principe, dit M. P. ALLARD, la décapitation est le privilège des gens de condition
honnête, la croix le supplice des esclaves et des personnes viles, le feu et les bêtes celui des non-
citoyens; mais en ce qui concerne les chrétiens, ces distinctions s'effacèrent vite ; dès la fin du n"
siècle, le choix de leur supplice dépendit moins de la condition des personnes que de l'arbitraire du
magistrat. Citons, parmi le» martyrs décapités : au Ier siècle, saint Paul, citoyen romain ; au ns siècle,
Justin et ses disciples ; au m» siècle, le pape Sixte II et plusieurs de ses diacres, saint Cyprien... Dans
la dernière persécution, il est aussi question de noyades : chrétiens « innombrables » de Nicomédie
portés liés sur des barques et précipités en pleine mer, martyrs Jetés dans les fleuves, quelquefois
cousus dans un sac comme des parricides, quelquefois « avec une pierre au cou». Art. Martyre (Dict.
d'Alès).
[250] Pour se dérober à cette objection, les apologistes du XVIIIe siècle (BERGIER) ont répondu que
la valeur apologétique de l'argument du martyre n'était pas là, et que les martyrs étaient des témoins,
non d'une idée, mais d'un fait. A notre époque M. P. ALLARD a repris la même méthode
d'argumentation : « Quelles que soient les confusions introduites par l'usage dans la langue courante,
écrit-il (Dix leçons sur le Martyre), tout homme qui meurt pour une opinion ne peut être appelé un
martyr. Selon l'étymologie du mot, un martyr est un témoin. On n'est pas témoin de ses propres idées.
On est témoin d'un fait... Les martyrs (chrétiens) sont témoins non d'une opinion, mais d'un fait, le fait
chrétien. Les uns l'ont vu naître sous leurs yeux, ils ont connu son auteur. Ils ont assisté à la vie, à la
mort, à la résurrection du Christ. Ce sont ses Apôtres, ses disciples immédiats... Quand ces hommes
bravent tous les périls, acceptent toutes les privations et toutes les fatigues pour attester les faits
extraordinaires qui se passèrent sous leurs yeux, et enfin meurent en affirmant leur foi, il est difficile
de douter d'un témoignage scellé de leur sang. Entre l'attestation qu'ils en donnent par leur sang, et la
mort d'hérétiques qui refusent de renoncer à une opinion nouvelle, il n'y a pas de commune mesure.
Quand même la sincérité et le courage seraient égaux, la valeur du témoignage est toute différente, ou
plutôt les premiers seuls ont le droit au titre de témoins.» — Cette distinction entre les martyrs du
christianisme et ceux des autres religions ne nous paraît pas soutenable. En tout cas, si on veut
l'établir, en bonne logique il faut refuser le titre de martyrs à tous ceux qui n'ont pas été les
contemporains du Christ, et même à ceux qui l'ont été mais n'ont pas été les témoins de ses miracles.
C'est, du même coup, retrancher du martyrologe chrétien toute une multitude. D'autre part, il est
historiquement certain que les chrétiens ne mouraient pas pour attester un fait, mais pour adhérer à
une doctrine. L'interrogatoire des juges ne portait que sur un point, sur une seule question qui était de
savoir si l'accusé était chrétien ou non. Au surplus, comme nous l'avons déjà dit, l'argument du
témoignage des martyrs appartient à la preuve de la divinité du christianisme par les miracles du
Christ, et lorsqu'il s'agit de démontrer la réalité de ces miracles par la valeur des historien» nui ont
scellé leur parole de leur sang.
[251] A L’origine le mot « Eglise » ne désigne donc pas le local où les disciples se réunissent. Il faut
bien rappeler d’ailleurs que les premiers chrétiens ne disposent pas d’édifices propres à leurs réunions
religieuses et qu’il s’assemblent où ils peuvent, chez l’un ou l'autre, chez celui d'entre eux qui peut
mettre à la disposition de ses frères une salle plus spacieuse. Le mot Église désigne donc l'assemblée.
Cependant il est bon d'ajouter que saint Paul applique le mot non seulement à l'assemblée, à la réunion
en acte, mais encore à la collectivité des membres qui sont les habitués des réunions. Il écrit par
exemple dans son Epître aux Romains (XVI, 5) : « Saluez Priscille et Aquila... Saluez aussi l'Église
qui est dans leur maison. »
[259] Hiérarchie (gr. ieros, sacré, arche, commandement). Étymologiquement le mot hiérarchie
désigne un pouvoir sacré, directement institué par Dieu. C'est dans ce sens que ce mot sera employé au
cours de cet article où nous voulons prouver que l'Église fondée par Jésus-Christ est une société
hiérarchique investie de pouvoirs divins.
[260] Les Actes des Apôtres. — D'après une tradition universelle et constante, saint Luc est l'auteur
des Actes des Apôtres. La tradition repose : — a) sur un argument extrinsèque (témoignage de saint
IRÉNÉE, du canon de Muratori, de TERTULLIEN, de CLÉMENT D'ALEXANDRIE), et — b) sur
un argument tiré de la critique interne. Il résulte en effet de l'analyse de l'ouvrage que l'auteur était
médecin et compagnon de saint Paul et que les Actes offrent les mêmes particularités de langue et de
composition que le troisième Évangile : tous traits qui s'appliquent à saint Luc.
Comme le livre s'arrête à la première captivité de saint Paul à Rome, il y a tout lieu de croire qu'il a été
composé à la lin de la première captivité et certainement avant la mort de saint Paul (67). Les Actes
sont donc pour l'historien des origines de l'Eglise un document des plus précieux. L'auteur y rapporte
les faits soit en témoin oculaire, soit d'après le récit de témoins oculaires : Paul, Barnabé, Philippe,
Marc. La précision et les détails circonstanciés avec lesquels ils sont narrés, repoussent toute
hypothèse de légende ou d'amplification tendancieuse. Quant aux discours qui y sont contenus, ils ont
été puisés sans doute à des sources écrites : et que semblent indiquer les nombreux archaïsmes qu'on y
rencontre. La sincérité de saint Luc n'est, du reste, pas suspectée, et les critiques rationalistes ne
rejettent que ce qui contredit leur thèse, c'est-à-dire les miracles et certains discours à cause de leur
portée doctrinale.
On devine l'importance des Actes des Apôtres par ce double fait qu'ils contiennent un exposé complet
de la première prédication des Apôtres et nous font connaître l'organisation de la primitive Église.
[261] Les Epîtres de saint Paul, tant par leur ancienneté que par leur valeur documentaire, sont aussi
pour l'apologiste des sources de premier ordre.
D'après la date de composition, les Epîtres de saint Paul peuvent être classées en quatre groupes — a)
1er groupe : Ire et IIe Ep. aux Thessaloniciens (51);— b) 2e groupe: Les grandes Epîtres I et II aux
Corinthiens, aux Galates, aux Romains (56, 57) ; — c) 3e groupe : Les Epîtres de la captivité aux
Philippiens, aux Éphésiens, aux Colossiens, billet à Philémon (61 -62) ; — d) 4e groupe : Les
[263] Le judéo-christianisme est la doctrine professée dans les premiers temps du christianisme par la
secte dite des « judaïsants » et qui prétendait que la loi mosaïque (et en particulier la circoncision)
n'était pas abrogée, qu'on ne pouvait pas par conséquent entrer dans l'Eglise de Jésus-Christ sans
passer par le judaïsme. Cette doctrine qui n'avait été appliquée ni par saint Pierre ni par saint Paul, fut
définitivement condamnée par le Concile de Jérusalem (vers 50), où sur la proposition de saint Pierre
et de saint Jacques, il fut décidé que le rite de la circoncision ne devait pas être imposé aux païens qui
se convertissaient au christianisme. A dater de là, le judéo-christianisme devint une hérésie.
[265] Parmi les témoignages du second siècle nous pourrions encore citer ceux: — 1. d'HÉGÉSIPPE
qui montre les Eglises gouvernées par les Evêques successeurs des Apôtres ; — 2. de DENYS DE
CORINTHE qui, dans sa lettre à l'Église romaine, écrit que Corinthe garde fidèlement les admonitions
qu'elle a reçues autrefois du pape Clément ; — 3. d'ABERCIUS Dans cette inscription célèbre de la fin
du IIe siècle, Abercius, peut-être évêque d'Hiéropolis raconte que dans ses voyages à travers les
Églises chrétiennes, il a trouvé partout même foi, même Écriture, même Eucharistie.
[267] Ibid.
[268] Pour prouver que l'autorité dérive de l'ensemble des fidèles et ne peut être exercée que du
consentement du peuple chrétien (système appelé multitudinisme ou presbytérianisme professé par
certaines sectes protestantes),les historiens rationalistes allèguent qu'autrefois les évêques ont été
souvent élus par le peuple.— C'est évidemment là confondre deux choses : l'élection, d'une part, et
d'autre part, la collation de la juridiction et la consécration. — 1. Pour ce qui concerne l'élection, il est
vrai que les fidèles ont parfois concouru au choix du candidat. — 2. Mais l'élection ne conférait pas le
pouvoir à l'élu. Lorsque le choix des fidèles avait été ratifié par les évêques de la province, les élus ne
recevaient la juridiction et la consécration que du métropolitain et, par la suite, du Souverain Pontife.
Le peuple ne participait ni à l'une ni à l'autre
[270] Cette distinction entre les deux classes d'ouvriers est déjà établie par saint PAUL dans l'Epître
aux Ephésiens. Dans la première classe saint Paul mentionne les apôtres, .les prophètes, les
évangélistes, et dans la seconde les pasteurs et les didascales (Eph., IV, 11).
A. Les apôtres, les prophètes et les évangélistes, c'est-à-dire les ouvriers de la première catégorie,
étaient des missionnaires : ils formaient la hiérarchie itinérante.
a) Le terme d'apôtre comporte un sens large et un sens strict. — 1. Au sens large, d'ailleurs conforme
à l'étymologie du mot (gr. « aposlolos » envoyé, messager), l'apôtre est un messager quelconque (II
Cor., VIII, 23 ; Phil., II, 25). Étaient apôtres tous ceux qui servaient d'intermédiaires, qui, par exemple,
étaient chargés par une église de porter une lettre ou quelque communication à une autre église. — 2.
Au sens strict, le mot apôtre désigne les envoyés du Christ. Toutefois, même dans ce sens, il ne
s'applique pas exclusivement aux Douze, car on ne saurait exclure de l'apostolat Paul et Barnabé. Les
deux expressions « les Apôtres» et « les Douze» ou collège des Douze (N° 310), ne sont donc pas
identiques. Mais qu'est-ce qui constitue 1'aposfolcrf proprement dit? C'est à la fois le fait d'avoir vu le
Christ vivant ou ressuscité et d'avoir reçu de lui sa mission. Ce sont les deux raisons que saint Paul
invoque pour revendiquer le titre d'apôtre du Christ.
b) Les prophètes étaient ceux qui, sans avoir été envoyés directement par le Christ, parlaient au nom
de Dieu, en vertu d'une inspiration spéciale. Doués du don de prophétie, et de la faculté de lire au fond
des cœurs, ils avaient pour rôle « d'édifier, d'exhorter » et de convertir les infidèles (I Cor., XIV, 3,
24-25).
c) Les évangélistes. Ce mot qui ne se trouve que trois fois dans le Nouveau Testament (Act., XXI, 8 ;
Eph., IV, 1-1 ; II Tim., IV, 5) désigne celui qui est chargé d'annoncer l'Évangile.
B. Dans la seconde catégorie saint Paul place : — a) les pasteurs, c'est-à-dire les chefs préposés aux
églises locales : évêques ou prêtres ; — b) les didascales ou docteurs, sortes de catéchistes attachés à
quelque localité et chargés d'instruire les fidèles.
[271] D'après saint JEAN CHRYSOSTOME et saint THOMAS, les deux titres presbyteri et episcopi
avaient une signification générale et étaient employés indifféremment pour désigner les évêques et les
prêtres. D'après saint JÉRÔME et le P. PETAU, ils ne désignaient que les simples prêtres. Il y a même
un passage célèbre de saint Jérôme sur lequel s'appuient les rationalistes et les protestants pour nier la
suprématie des évêques sur les prêtres dans la primitive Église (Voir SABATIER, op. cit., p. 144).
[274] Le jeu de mots qui a toute sa force dans la langue araméenne où le nom « Képhas » que Jésus
donne a Pierre, est du masculin et signifie roche, pierre, disparaît en grec et en latin, Pierre se disant
Petros ou Petrus et roche se disant petra.
[275] Ce passage a prêté a d'autres interprétations. Il y a des protestants qui ont prétendu que Jésus, en
disant : « sur cette pierre je bâtirai mon Église», voulait se désigner lui-même parce que seul 11.est la
pierre angulaire de 1 Église. Plusieurs Pères (ORIGÈNE, saint JEAN CHRYSOSTOME, saint
AMBROISE et saint HILAIRE) ont cru que le rocher désignait la foi de l'Apôtre, et ils en ont déduit
que tous ceux qui ont une fol semblable, sont, eux aussi, des rochers. C'est, d'un coté comme de l'autre,
une exégèse qui fait violence au contexte
[277] JACQUES demande que les Gentils aient à s'abstenir de quatre pratiques : « des souillures des
idoles » (c'est-à-dire des viandes offertes aux idoles), « de l'impureté » que les païens ne regardaient
pas comme un désordre grave, « des viandes étouffées et du sang» dont l'usage était interdit aux Juifs
(Act., XVII, 20). A ses yeux, outre que ces prescriptions éviteront le scandale des faibles, elles seront
de nature à aplanir les difficultés de rapports entre les chrétiens de différente origine.
[278] Le nom de pape (gr. pappas, père), qui est réservé de nos jours à l’évêque de Rome, était donné
autrefois aux autres évêques, et était, dans la bouche de ceux qui l'employaient, un terme de déférence.
Une inscription qui date du pape Marcellin (mort en 304) nous fournit la première attestation de
l'application au mot à l'Évêque de Rome.
[279] Certains catholiques, comme BARONIUS, ont prétendu que saint Pierre avait été Evêque de
Rome pendant 25 ans, à partir de l'an 42. C'est là un chiffre qui paraît bien exagéré, cependant la thèse
en question s'appuie sur plusieurs témoignages de valeur : — 1. sur le catalogue, dit libérien, qui
comprend la chronologie des papes, telle qu'elle était alors reçue dans l'Église romaine ; — 2. sur le
témoignage de Lactance et — 3. sur celui de l’historien Eusèbe. De ce triple témoignage, il ressert tout
d'abord -que l'on peut considérer comme une tradition généralement admise au IVe siècle, — puisque
les trois témoignages sont de cette époque, — que saint Pierre était venu à Rome et y avait gouverné
l'Eglise pendant 25 ans. Et comme il y eu tout lieu de croire que le catalogue libérien dérive du
catalogue d'Hippolyte dont nous avons parlé plus haut, et que l'historien Eusèbe a utilisé des
Remarquons en outre que ceux qui soutiennent la thèse des 25 ans d'épiscopat de Pierre à Rome ne
prétendent pas que l’apôtre soi toujours resté à Rome. Le contraire est trop certain. En effet, les Actes
des Apôtres nous le montrent à Jérusalem, en 44, pour les fêtes de Pâques, et en 50, où il préside le
concile. Le gouvernement d'une Église ne requiert jamais la présence continuelle du chef ; à plus forte
raison aux temps de la primitive Église.
[280] On nomme Pères apostoliques les écrivains (ou écrits dont plusieurs sont anonymes) de la fin du
Ier ou de la première moitié du IIe siècle, et qui sont censés avoir connu les Apôtres et tenir d'eux leur
enseignement. Les principaux écrivains sont saint CLÉMENT, troisième successeur de saint Pierre,
saint IGNACE, évêque d'Antioche, célèbre par ses Epîtres, saint POLYCARPE, évêque de Smyrne.
Les principaux écrits sont la Doctrine des Doute Apôtres ou Didaché, le Pasteur d'Hermas et le
Symbole des Apôtres.
[283] Le premier concile œcuménique n'ayant eu lieu qu'au IVe siècle (325 à Nicée), il est clair que
nous ne pouvons pas apporter de témoignages antérieurs.
[285] Il faut entendre par règle de foi le moyen pratique de connaître la doctrine de Jésus-Christ.
[286] Saint AUGUSTIN disait déjà qu'il ne croirait pas aux Evangiles s'il ne croyait d'abord à l’Eglise.
[287] « A quoi bon, en effet, dit SABATIER, postuler l'inspiration divine d'un texte antique et son
infaillibilité jusqu'à l'iota, si, dès à présent, ce texte écrit en langues mortes depuis longtemps, n'est
accessible qu'à quelques savants philologues, et si le peuple chrétien doit se contenter de versions
vulgaires, qui ne sont, elles, ni infaillibles ni parfaites ».
[290] C'est le même argument que reprendra plus tard TERTULLIEN en lui donnant une forme plus
savante et plus juridique : argument de la prescription dont il a été parlé plus haut
[291] On appelle Église dissidente tout groupement qui se dit chrétien, mais qui est séparé de la grande
Église soit par le schisme, soit par l'hérésie.
[292] Ce que nous disons ici des protestants orthodoxes ne s'applique pas aux protestants libéraux.
Ceux-ci, plus conséquents avec la théorie du libre examen, n'hésitent pas à déclarer que la question des
notes ne se pose pas. A leurs yeux, la vraie Eglise est une société invisible, composée des âmes des
justes : elle est l’Eglise des promesses connue de Dieu seul. Sans doute, l'éducation et la force de
l'habitude peuvent nécessiter la création de communautés extérieures, d'Eglises matériellement
visibles, mais là ne saurait être la vraie Eglise. La vraie Eglise, dit M. HARNACK, « n'est pas la
communauté particulière dont nous sommes membres, C'est la Societas fidei, qui a des membres
partout, même parmi les catholiques grecs ou romains. » L'essence du christianisme, 15e Conf.
[294] Dans les trois premiers siècles, les Pères de l'Eglise ont insisté surtout sur l'unité et l'apostolicité.
Saint AUGUSTIN met en plus grand relief la catholicité et la sainteté, attaquées ou mal comprises pas
les donatistes. Depuis le Concile de Constantinople, les théologiens ont proposé d'autres notes ; mais
soit qu'elles se ramènent facilement aux au XVIe siècle, BANNEZ dit que l'Eglise est une, sainte,
catholique, apostolique et visible, et BELLARMIN énumère jusqu'à quinze notes, qui peuvent, à son
avis, se ramener aux quatre notes du Symbole de Constantinople.
[295] LUTHER avait été devancé dans sa théorie sur l'inefficacité des bonnes œuvres par ZWINGLI,
réformateur suisse, né à Wildhaus (canton de Glaris) en 1484 qui fut d'abord curé de Glaris, en 1506,
[296] Voir Mgr JULIEN, Bossuet et les Protestants, chap. IV. La justification p. 158.
[297] La doctrine catholique ne me pas le rôle de la fol dans la Justification. Hais elle enseigne que
d'autres dispositions sont requises. Voir notre Doctrine catholique N° 321
[298] La doctrine catholique admet aussi que certains hommes sont prédestinés à la gloire du ciel
tandis que d'autres ne le sont pas. « Ceux sur qui son regard s est arrêté d'avance, dit saint PAUL, il les
a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils pour que celui-ci soit un premier-né parmi
beaucoup de frères. Or, ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a
aussi justifiés. Or, ceux qu 'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rom, VIII, 29-30).
Le décret de la prédestination à la gloire est-il absolu et antérieur à la prévision des mérites, comme le
soutiennent les thomistes, ou est-il conditionnel, comme le pensent les molinistes? Le dogme
catholique ne tranche pas la question, mais ce qu'il affirme, —et ce en quoi il diffère du calvinisme, —
c'est que l'homme possède le libre arbitre, et que le prédestiné fait son salut, non pas seulement parce
que Dieu le veut et lui donné sa grâce, mais parce qu'il le veut lui-même, qu'il travaille avec Dieu à
son salut, parce qu'il correspond à la grâce et qu'à la roi il ajoute les bonnes œuvres.
[299] Il convient de remarquer que, depuis Calvin, le consistoire ne comprend plus que des
ecclésiastiques et dépend de l'autorité civils.
[300] L'anabaptisme est une secte qui fut fondée en 1521 par Thomas MUNZER. Les anabaptistes
sont ainsi nommés, parce qu'ils soutiennent qu'on ne doit pas baptiser les enfants ou, en tout cas, les
rebaptiser lorsqu'ils ont l'âge de raison.
[301] Le mouvement d'Oxford, qui débuta en 1833 par un sermon de KEBLE, ne se fit pas sans de
violentes protestations de l'Église officielle. En 1843, en effet, PUSEY fut suspendu de ses fonctions.
C'est alors que plusieurs de ses amis, dont NEWMAN et WARD, se firent catholiques. Plus tard, en
1858, la conférence épiscopale de Lambeth interdit la pratique de la confession privée. En 1899, dans
une autre conférence dite seconde de Lambelh, les archevêques de Cantorbéry et de York interdirent
toute cérémonie non prescrite dans le Prayer-book. Le ritualisme survécut a cette condamnation, mais
forcément ses progrès furent ralentis.
[302] En dehors de ces Églises, nous, pourrions encore mentionner plusieurs sectes indépendantes : —
a) les Congrégationalistes qui rejettent l'autorité des Evêques et des Synodes, et prétendent que
[303] Ainsi l'on signale en Allemagne des congrégations de diaconesses, et en Angleterre, quelques
monastères constitués du reste sur le modèle du catholicisme romain
[304] Beaucoup de ritualistes qui comprennent qu'un centre est nécessaire pour assurer l'unité,
n'hésitent pas à se tourner vers Rome comme le centre indiqué, témoin ces paroles de lord HALIFAX,
président d'une association ritualiste1: « Autrefois, dit-il dans un discours prononcé à Bristol le 14
février 1895,il n'y avait qu'une seule Eglise, et de cette Église et de cette unité Rome était le symbole
et le centre... La beauté du spectacle que présenterait l'Eglise d'Occident réunie une fois de plus, la
disparition du schisme et la paix régnant de nouveau entre tous ses membres, doivent faire désirer à
tous le jour où l'Église d'Angleterre, notre propre Église, que nous aimons tous, sera unie de nouveau
par les liens d'une communion visible avec le Saint-Siège et toutes les Églises de l'Occident.
[305] Le concile in Trullo est ainsi appelé parce qu'il se tint dans une salle du palais des empereurs à
Constantinople, désignée sous le nom de Trullus ou Trullum (mot qui signifie dôme). Ce concile
s'appelle aussi quinisexte parce qu'il eut pour but de compléter, sur les questions de discipline, les V et
VIe conciles œcuméniques (quinisexte venant de deux mots latins quini, cinq et sextus, sixième)
[306] L'Église du Phanar, ou phanariote (Phanar, nom d'un quartier de Constantinople) désigne le
patriarcat grec.
[307] Lorsque GEORGES I, électeur de Hanovre, succédant à Anne Stuart, monta sur le trône
d'Angleterre (1714), beaucoup de membres du clergé refusèrent de prêter serment à la nouvelle
dynastie : d'où leur nom de Non-jureurs.
[308] On appelle Vieux-Catholiques les dissidents d'Allemagne et de Suisse qui rejetèrent les décisions
du Concile du Vatican (1870) sur l'infaillibilité du pape et formèrent une Église particulière qui
prétendit suivre la foi de l'ancienne Église. Leurs adhérents, au nombre de 30.000 environ au début,
n'ont fait, depuis, que peu de recrues soit en Allemagne, soit en Autriche.
[312] C'est le cas d'appliquer ici la formule courante de l'Église : In necessariis unitas, in dubiis
libertas, in omnibus caritas, unité dans les croyances nécessaires (articles de foi), liberté dans les
questions non définies, charité en tout.
[313] D'après les statistiques les plus récentes, le chiffre approximatif des trois grandes Eglises
chrétiennes serait le suivant : — 1° Catholiques romains: 270 millions; — 2°Protestants : 170
millions ; — 3° Église grecque: 110 millions, plus 7 millions d'autres sectes, ce qui donne pour les
Eglises séparées d'Orient près de 120 millions.
[315] Dans la hiérarchie de juridiction il y avait autrefois les métropolitains, qui jouissaient d'une
juridiction réelle sur les évêques de leur province, et les primais ou patriarches, qui avaient autorité
sur les archevêques et évêques. De nos jours, le titre, qui subsiste toujours, n'est plus qu'un titre
d'honneur et de préséance.
[316] Pendant bien longtemps les chapitres eurent une autre importance. Ils étaient le conseil ordinaire
de l'évêque, et, à sa mort, ils étaient chargés d'administrer le diocèse et d'élire un successeur, ce qui
n'existe plus que dans de rares pays. (V. N° 410, n.).
[318] L'on peut distinguer (rois sortes de faits): — a) les faits révélés (v. g. résurrection du Christ, la
conversion de saint Paul) sur lesquels l'infaillibilité de l'Eglise ne saurait être contestée ; — b) les faits
non révélés, purement historiques (v. g. la défaite de Pompée par César) qui sont hors du domaine de
l'Infaillibilité ; et — c) les faits dogmatiques c'est-à-dire ceux dont il est ici question.
[320] Canonisation.—La canonisation d'un saint implique une longue et minutieuse procédure,
exclusivement réservée au Saint-Siège. Bile ne comprend rien moins que trois procès dits de
Vénérabilité, de Béatification et de Sainteté. L'Evêque du diocèse, dont le Serviteur de Dieu est
originaire, se borne à faire une première enquête. — le procès d'information, — sur la pureté de sa
doctrine par l'examen de ses écrits, sur la renommée de sa sainteté, de ses vertus et de ses miracles ou
de son martyre, sur l'absence de tout obstacle qui serait péremptoire. et le non-culte (can. 2038). Après
qu'il en a communiqué les résultats à la S. Congrégation des Rites, la cause est introduite, s’il y a lieu.
1. La S. Congrégation commence alors la discussion du procès d’information. Le jugement sur
l’héroïcité des vertus u sur le martyre est réservé au Pape : c'est seulement après ce jugement que le
Serviteur de Dieu est qualifié de Vénérable. - 2. Pour la Béatifications, deux miracles au moins requis,
outre l'héroïcité des vertus ou le martyre. C'est encore le Pape qui fait promulguer, quand il le juge
bon, le décret dit de tuto, permettant de procéder à la Béatification, laquelle a lieu au cours d'une
messe, très solennelle où lecture est faite du décret Le Bienheureux peut être désormais l'objet d'un
culte public ; ses reliques peuvent être vénérées mais non portées en Procession. Il a droit à un office,
concédé à certaines régions ; mais on ne peut pas encore lui dédier une église ni mettre l’auréole à son
image — 3. Le dernier procès le procès de canonisation, consiste dans la discussion de deux nouveaux
miracles obtenus par l'intercession du Bienheureux depuis sa béatification formelle (can. 2138). S'ils
sont admis, le Pape signe un nouveau décret de tuto. Il va enfin trois consistoires, le premier, secret,
qui se termine par un vote, le. second, public où un discours est prononcé en faveur de la cause, le
troisième semi-public où Fon fait un dernier vote, et où l'on fixe la date de la lecture du décret de
canonisation dans la Basilique de Saint-Pierre à Rome (Can. 1999-2141).
[321] Dans ce cas, la décision de l'Église qui proclame que tel personnage est saint et digne d'un culte
spécial, reste sans application concrète. L'objet formel du culte ne serait pas le damné en tant que tel,
mais le personnage fictif dont l'Église honorerait les vertus héroïques supposées. — Qu'il s'agisse par
ailleurs de la canonisation formelle ou de la canonisation équipollente, il ne faut pas confondre la
canonisation avec les faits historiques, ce qu'on appelle la légende du saint, ni avec l'authenticité de
ses restes. Quand elle canonise un personnage, l'Eglise n'entend pas définir la vérité de sa légende ni
l'authenticité de ses reliques.
[322] On appelle censure doctrinale le jugement porté par l'Église et contenant soit un simple blâme,
ou une critique, soit une condamnation totale contre un livre ou une proposition, appréciés au point de
vue de la doctrine.
Une proposition est dite : — 1. hérétique, lorsqu'elle est directement opposée à la foi catholique ; —.2.
proche de l'hérésie, lorsqu'elle est opposée à une doctrine tenue universellement pour vraie, mais non
définie; — 3. erronée, lorsqu'elle contredit une vérité révélée, mais non dogmatiquement définie ni
universellement reçue, ou bien lorsqu'elle est opposée à une conclusion théologique ; — 4. téméraire,
quand la doctrine opposée s'appuie sur de graves arguments d'autorité et de raison ; — 5. offensive des
oreilles pies et malsonnante, quand les termes employés vont contre le respect dû aux choses saintes
ou que les mots sont impropres et prêtent à de fausses interprétations.
[325] Ex-Cathedra (lat. : du haut de la chaire). Cette expression employée depuis longtemps pour
désigner le magistère infaillible du pape, et consacrée par la définition du Concile du Vatican, vient de
ce que la chaire, ou le siège, d'où l’Evêque instruisait primitivement le peuple, symbolise à la fois
l'autorité épiscopale et son enseignement lui-même. La Chaire de Pierre, le Siège apostolique et le
Saint-Siège sont donc des expressions identiques qui désignent l'autorité doctorale du Pape. Pareille
expression se trouve déjà dans la Sainte Écriture. Notre-Seigneur ne dit-il pas ( Mal., XXIII, 2) que
« les Scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse », pour indiquer qu'ils sont, dans la
religion juive, les représentants de Moïse et ont le droit d'enseigner?
[326] Les théologiens vont plus loin et se demandent si le pape, en tant que docteur privé, peut tomber
dans l'hérésie et y adhérer sciemment et obstinément. Ils répondent généralement qu'il peut
accidentellement, et par ignorance, errer sur la foi, mais, vu la divine Providence, ils ne supposent pas
qu'il puisse persévérer dans son erreur et devenir hérétique formel. Que si la chose arrivait, ils sont
d'avis qu'un pape, du fait même qu'il serait formellement hérétique, ne serait plus membre de l'Église,
et, a fortiori, ne pourrait plus en être le chef. Il serait, dans ce cas, déclaré privé de sa dignité par le
corps des évêques, et, d'après PALMIERI, dépouillé par Dieu lui-même de sa juridiction suprême.
[327] Nous en avons un exemple dans la conduite d'iNNOCENT I qui envoya un décret aux Églises
d'Afrique condamnant l'erreur de Pelage, et définissant la doctrine sur la grâce, non seulement pour
l'Eglise à laquelle le décret était adressé, mais pour l'Eglise universelle.
[328] Légats et Nonces. — Primitivement, tous les représentants du Pape soit auprès d'une cour
étrangère, soit auprès d'un Concile, portaient le nom de légats. Au moyen âge il y avait trois sortes dé
légats : — a) les légats-nés qui étaient des archevêques chargés de représenter le pape d'une manière
permanente dans un royaume ou dans une province ; — b) les légats envoyés (les missi) qui jouaient
auprès des princes le rôle d'ambassadeurs ; — c) les légats a latere, ou, d'après le sens des mots latins,
les légats du côté, ceux qui viennent du voisinage du pape, c'est-à-dire qui ont reçu de lui les pouvoirs
les plus étendus.
Le légat-né n'est plus aujourd'hui qu'un titre honorifique. Les légats envoyés sont remplacés par les
nonces (lat. nuntus, messager) lesquels sont de véritables ambassadeurs du pape et le représentent, en
tant que chef spirituel,—et, avant 1870, en tant que chef temporel, — auprès des princes et des
gouvernements. La charge de légat a latere existe toujours, mais elle consiste en une mission
temporaire.
de Lyon (1274).
1. Les cardinaux doivent se réunir dans les dix jours, — délai porté par PIE XI (1922) à 15 ou 18
jours, — qui suivent la mort du pape, dans un endroit si bien fermé que nul ne puisse y entrer ni en
sortir. — 2. Personne du dehors ne doit communiquer avec eux, ni de vive voix ni par écrit, sous peine
d'excommunication ipso facto. — 3. Le conclave doit se tenir dans le palais qu'habitait le pontife
défunt, ou, s'il est mort en dehors de la cité où il résidait avec sa cour, dans la ville dont dépend le
territoire où le pape est mort. Quant au mode de scrutin, l'élection peut se faire : — 1) soit par scrutin
secret et à la majorité des deux tiers des votants. — 2. soit par compromis, si, par suite de graves
divergences de vues parmi les cardinaux sur le sujet à élire, ils donnaient mandat à quelques-uns
d'entre eux pour le choix à faire. Ainsi fut élu GRÉGOIRE X à la suite d'une vacance du siège qui ne
dura pas moins de trois ans ; — 3. soit par acclamation. Les deux derniers modes n'existent plus qu'en
théorie. Après chaque scrutin, les bulletins qui ont été déposés dans un calice, sont immédiatement
brûlés.
[330] Sur ce point, comme sur les autres, les cardinaux n'ont que voix consultative. C’est au Pape seul
qu’il appartient de créer de nouveaux cardinaux ; mais il le fait parfois à la demande de certains Etats
Catholiques. C’est ainsi que, en vertu d’une vieille coutume, la France, l’Espagne, l’Autriche et le
Portugal ont droit à un cardinal du curie qui représente leurs intérêts auprès du Saint Siège.
[332] Autrefois, lorsque le Saint-Office avait rendu sa sentence de condamnation, celle-ci était
enregistrée et publiée par la Sacrée Congrégation de l'Index, laquelle avait en outre le droit d'accorder
les dispenses qu'elle estimait nécessaires.
[334] Le Cardinal secrétaire d'État est une sorte de ministre des Affaires étrangères, qui a pour
mission de se tenir en rapport constant avec les ambassades et les nonciatures. C'est une des fonctions
les plus importantes avec celle du Cardinal-Vicaire qui est chargé de l'administration du diocèse de
Rome.
[335] Le mot for (lat .forum, tribunal) signifie tribunal, juridiction. Le for interne désigne l ' donc la
juridiction, l'autorité de l'Église sur les âmes et sur les choses spirituelles, autre-! ment dit, sur les
choses de la conscience. Le for externe est, au contraire, la juridiction de l'Eglise sur les choses
temporelles, sur les actes extérieurs.
[337] Ceux qui adoptent la première opinion prétendent que la juridiction suit le pouvoir d'ordre et,
comme le pouvoir d'ordre vient directement de Dieu, il en est de même du pouvoir de juridiction, bien
que celui-ci reste en suspens jusqu'à la désignation d'un diocèse Les partisans de la seconde opinion,
d'ailleurs généralement admise, pour prouver que la juridiction épiscopale vient immédiatement du
Souverain Pontife, allèguent au contraire, et à juste titre, que le pouvoir de juridiction ne peut dériver
du pouvoir d'ordre puisqu'il lui est antérieur, les évêques régulièrement nommés et confirmés par le
Pape ayant déjà juridiction sur leur diocèse, et pouvant l'exercer, avant leur consécration, et aussitôt
qu'ils ont montré leurs Bulles de provision au chapitre (Can. 334).
[338] Nous disons que le Pape choisit ou approuve, car les nominations d’évêques varient avec les
temps et les pays. A. Dans l’Eglise d’occident, l’on peut distinguer quatre systèmes. Les nominations
se font : — 1. soit par le libre choix du pape qui désigne le sujet à son gré : système pratiqué en
France, en Italie, en Belgique, au Brésil, au Mexique et dans les vicariats apostoliques ; — 2. soit par
présentation des chefs d'Etats, dans les pays qui sont régis 'par un concordat : Autriche-Hongrie,
Espagne, Portugal, Pérou, Alsace-Lorraine j — 3. soit sur une proposition de noms, comme cela se
passe aux États-Unis, au Canada, en Hollande, en Angleterre, en Irlande, Les curés inamovibles se
réunissent sous la présidence du métropolitain et proposent une liste de trois noms, à laquelle les
évêques de la province peuvent en ajouter plusieurs : liste qui est alors présentée au Pape, sans qu'il y
ait obligation pour lui de choisir l'un des noms mentionnés ; — 4. soit par élection capitulaire.
Certains chapitres, comme ceux de Suisse. d'Allemagne, sauf celui de Bavière, des évêchés autrichiens
de Salzbourg et Olmutz, ont le privilège d'élire leur évêque ; mais leur nomination doit être confirmée
par le Pape.
B. Dans l'Église d'Orient, depuis Pie IX, les évêques sont choisis dans une liste de trois noms proposée
par les évêques du patriarcat, et les patriarches sont élus par les évêques seuls, sauf à être confirmés
par le Pape.
[340] De droit divin et ordinaire, doivent être convoqués tous les évoques ayant une juridiction
actuelle, c'est-à-dire ceux qui sont préposés à un diocèse et qui s'appellent ordinaires ou résidentiels.
Les évêques titulaires, c'est-à-dire ceux qui sont revêtus de la dignité épiscopale, sans avoir de
juridiction sur un diocèse, et les Vicaires apostoliques peuvent être convoqués, mais ne le sont pas de
droit. Dans les premiers siècles, à cause de la longueur et de la difficulté des voyages, les
métropolitains seuls étaient directement convoqués, avec charge pour eux d'amener un certain nombre
de leurs suffragants.
De nos jours, par privilège et en raison de la coutume, sont également convoqués, en dehors des
évêques ordinaires : — 1. les cardinaux, même s'ils ne sont pas évêques ; — 2. les abbés et autres
prélats ayant juridiction quasi-épiscopale avec territoire séparé ; — 3. les abbés généraux de
monastères groupés en congrégations et les supérieurs généraux d'Ordres... (Can. 223). A titre
consultatif, des théologiens et des canonistes peuvent être admis aux séances, mais sans prendre part
au vote. De même, il est arrivé autrefois que les princes catholiques ont été invités à titre honorifique.
[341] Nous disons convoqué par le pape ou de son consentement. C'est qu'en effet l'histoire des huit
premiers conciles nous les montre comme convoqués par les empereurs. Ceux-ci agissaient-ils en leur
propre nom, ou avaient-ils reçu mandat du Souverain Pontife? Leurs lettres de convocation, leurs
déclarations aux conciles où ils disent qu'ils ont convoqué le concile par l'inspiration de Dieu, ainsi
que les témoignages des contemporains, évêques, conciles, papes eux-mêmes qui leur reconnaissent ce
droit, pourraient faire croire au premier abord qu'ils agissaient en dehors des papes. Mais il convient
de distinguer entre la convocation matérielle et la convocation formelle. A cause de la difficulté des
déplacements, de l'insécurité des routes, des multiples dangers et ennuis d'un si long voyage, les
évêques auraient hésité à quitter leur résidence ; en outre, les réunions nombreuses étaient interdites
par la législation de l'Empire. Seuls les empereurs avaient entre les mains l'autorité et la puissance
voulues pour appeler les évêques, les protéger et les dispenser des lois existantes, bref, pour faire la
convocation matérielle. Mais les papes n'en restaient pas moins les auteurs de la convocation formelle,
dans ce sens qu'en présidant l'assemblée, soit par eux-mêmes, soit plus souvent par des légats, ils
l'érigeaient en un corps juridique ayant qualité pour définir les points de dogme et de morale ou pour
porter ries lois disciplinaires.
[342] Anathème (du gr. anathêma, objet consacré, séparé). Ce mot, qui, dans l'Ancien et le Nouveau
Testament, a le sens de maudit, est employé par l'Eglise pour désigner l'excommunication, 18
retranchement, la séparation d'avec le corps de l'Eglise.
[343] Non seulement les conciles œcuméniques ne sont pas nécessaires, mais il y a eu des époques de
l'histoire de l'Eglise où ils ont été très rares. Nous avons déjà dit qu'il n'y en a pas eu Jusqu'en 325.
Entre le huitième et le neuvième conciles, il y eut, comme on le verra au numéro suivant, plus de deux
siècles et demi, et plus de trois siècles entre le concile de Trente et celui du Vatican
[345] Voir, pour toute cette question, FORGET, art. Conciles (Dict. Vacant-Mangenot)
[346] On entend par immunité le droit en vertu duquel les ecclésiastiques sont exempts de certaines
obligations communes. L'immunité est personnelle, ou locale, ou réelle: — 1. personnelle, si elle
s'attache à la personne, v. g. l'exemption du service militaire, le privilège du for ecclésiastique (N°
432), le privilège du canon qui, déclarant la personne des clercs inviolable, défend de les frapper sous
peine d'excommunication ; — 2. locale, si elle s'attache à un lieu : églises, cimetières, etc. Ainsi, le
droit d'asile était le privilège en vertu duquel ceux qui jadis se réfugiaient dans une église, ne
pouvaient être saisis par le bras séculier sans le consentement de l'autorité ecclésiastique ; — 3. réelle,
si elle s'attache aux choses. Par exemple, les biens' ecclésiastiques étaient autrefois exempts des
charges et impositions communes
[347] En raison des services qu'elle rend à la société, elle a même le droit de réclamer l'aide morale et
pécuniaire de l'État (répartition proportionnelle scolaire) et le retrait des lois interdisant aux
Congrégations religieuses d'enseigner.
[348] Les livres qui contiennent des propositions hérétiques, mais sans que l'auteur les soutienne et
s'efforce de les faire admettre par le raisonnement, ne tombent donc pas sous le coup de
l'excommunication.
[349] Cet argument de la tradition peut fournir la matière de longs développements. L'on pourrait faire
remarquer, par exemple : — 1. que la pratique de l'Eglise catholique se retrouve dans d'autres sociétés
religieuses. Ainsi, chez les Juifs, la lecture de plusieurs livres de l'Ancien Testament (Genèse,
Cantique des Cantiques, etc.) était interdite aux jeunes gens, à cause des périls que certains passages
pouvaient faire courir à des imaginations encore trop jeunes pour découvrir le vrai sens du texte ; — 2.
que les protestants eux-mêmes ont prohibé les doctrines opposées aux leurs. Ne sait-on pas que les
disciples de LUTHER jetaient l'anathème sur les écrits des zwingliens et des calvinistes et que ces
derniers usaient de réciproque à l'égard des luthériens? — 3. que la société païenne n'était pas moins
sévère sur ce point. N'est-il pas rapporté, dans CICÉRON (De natura Deorum, liv. I, chap 23) que
pour avoir écrit cette simple phrase « Que les dieux existent c’est ce que je ne peux affirmer ni nier »
PROTAGORAS D’ABDÈRE fut banni du territoire d’Athènes et son livre brûlé sur l’agora ?
[350] Voici, à propos du pouvoir de posséder, les propositions condamnées dans le Syllabus : Prop.
XXVI. « L'Église n'a pas le droit naturel et légitime d'acquérir et de posséder. Prop. XXVII. « Les
ministres sacrés de l'Église et le Pontife romain doivent être absolument exclus de tout soin et domaine
[352] La loi du 13 mai 1871 est maintenant abrogée. La« Question romaine », née en 1870 de
l'annexion de Rome au royaume d'Italie, a été résolue, le H fév. 1929, parles «accords de Latran,»
traité entre le Saint Siège et l'Italie, qui reconnaît au Saint Siège pleine propriété, pouvoir exclusif et
absolu et juridiction souveraine « sur la Cité du Vatican, assurant ainsi au Pape « la liberté et
l'indépendance nécessaires au gouvernement pastoral du diocèse de Rome et de l'Eglise catholique
dans le monde ».
[353] L'appel comme d'abus est un recours de l'autorité civile contre les soi-disant abus du pouvoir
ecclésiastique
[354] Pour les délits contre lesquels l'Église porte la peine d'excommunication voir le nouveau Code
de Droit canonique (Can. 2314 et suiv.).
[356] Ainsi, il est arrivé autrefois que la France a été mise en interdit v g par le Pape GRÉGOIRE
sous le règne de ROBERT LE PIEUX (998) ; par INNOCENT II sous Louis VII (1141) ; par
INNOCENT III sous PHILIPPE AUGUSTE (1200) etc. L'interdit local entraînait alors la défense de
célébrer les offices, d'administrer les sacrements de l’Eucharistie de l'Ordre et de l'Extrême-Onction et
de donner la sépulture ecclésiastique.
[357] JOSEPH II, empereur d'Allemagne (1741-1790), entreprit de réformer l'Église catholique en la
subordonnant entièrement à l'État. C'est ainsi que, de sa propre autorité, il supprima certains Ordres
religieux, plaça les autres sous le contrôle de l’Etat, prétendit au droit de nommer les évêques, exigea
d'eux le serment de fidélité, établit le mariage civil et le divorce, etc.
[358] Le Concordat est un traité passé entre le Pape et le Chef d'une nation en vue de régler les
rapports de l'Eglise et de l'Etat dans les questions touchant aux affaires religieuses. Le concordat, étant
un contrat bilatéral ,ne peut être rompu que d'un commun accord. — Principaux concordats: celui de
[359] MGR D’HULST , Car. 1895, La morale du Citoyen, 5e Conf. L'Église et l'État
[361] L'on voit par là que la théorie du « droit divin », d'après laquelle les monarques entendaient tenir
directement de Dieu le pouvoir qu'ils exerçaient et nullement de leur peuple, ne représente pas la
doctrine de l'Église.
[364] Mgr d’Hulst Car. 1895, La morale du Citoyen .5e Conf. L'Église et l'État
[365] LÉA, op. cit., pp. 234-235, cité par VACANBARD, 1’Inquisition, pp. 271, 272.454
[367] Ainsi saint PIE V écrivait à CATHERINE DE MÉDICIS, le 28 mai 1569 : « Ce n'est que par
l'extermination des hérétiques que le roi pourra rendre à ce noble royaume l'ancien culte de la religion
catholique ; si Votre Majesté continue à combattre ouvertement et ardemment les ennemis de la
religion catholique, jusqu'à ce qu'ils soient tous massacrés, qu'elle soit assurée que le secours divin ne
lui manquera pas. »
[368] Qu'on se rappelle, en effet, ce qui se passait en Angleterre, sous les règnes dé HENRI VIII et
D'ELISABETH : toutes les persécutions et violences légales contre les catholiques, les lois interdisant
l'élection aux charges de l'État à ceux qui ne pouvaient prouver leur participation à la cène, le papiste
déclaré déchu de ses héritages, le protestant qui se convertissait au catholicisme, regardé comme
coupable du crime de haute trahison, l'entrée du royaume interdite à tout prêtre catholique sous peine
de mort...
[373] Querelle des investitures. — Quand un seigneur donnait un nef à son vassal, l'investiture, c'est-
à-dire la mise en possession du bien octroyé se faisait généralement par une cérémonie symbolique,
dans laquelle le suzerain remettait au vassal, soit une motte de terre, soit une couronne, soit un sceptre,
soit la crosse et l'anneau lorsqu'il s'agissait de hauts dignitaires ecclésiastiques. Comme à chaque siège
épiscopal les rois avaient attaché un bénéfice ou fief ecclésiastique, il arrivait que les évêques et les
abbés recevaient à la fois, au moment de leur nomination, un fief et une Juridiction religieuse. Il
sembla bientôt naturel aux rois et empereurs, puisqu'ils donnaient l'investiture par la crosse et l'anneau,
que le pouvoir spirituel découlait de leur autorité, aussi bien que le pouvoir temporel, et que, par
conséquent, ils pouvaient supprimer l'élection traditionnelle, et nommer eux-mêmes directement aux
évêchés et aux abbayes. D'où il arriva que les évêchés furent donnés aux courtisans, ou vendus à prix
d'argent (simonie) et que le clergé ne fut pas digne de ses fonctions. Cet état de choses fut surtout le
fait de l'Allemagne. La papauté, pour y porter remède, défendit de recevoir l'investiture d'un laïque. La
querelle des investitures, particulièrement grave entre GRÉGOIRE VII et HENRI IV d'Allemagne,
dura plus d'un demi-siècle, jusqu'au concordat de Worms (1122) qui établit à nouveau la distinction
entre l'évêque, en tant que pontife, et l'évêque en tant que vassal de l'empire.
[374] L'on pourrait ajouter que beaucoup de princes avaient fait hommage de leur couronne au siège de
saint Pierre, et s'étaient reconnus les vassaux du Pape. Tel était le cas des royaumes de Naples, de
Sicile, d'Aragon et de l'Empire ressuscité en Charlemagne par le pape Léon III, appelé le Saint Empire
romain. C'est ainsi que les rois de France, de Germanie ou d'Italie devenaient empereurs par le droit
pontifical, en vertu du couronnement fait par les mains du Pape, couronnement qui leur conférait, non
une souveraineté spéciale, mais une dignité supplémentaire, plutôt morale que matérielle, et leur
attribuait le rôle de protecteurs de l'Eglise. En vertu de ces actes, le Pape apparaissait comme une sorte
de suzerain auquel le droit féodal reconnaissait le droit de punir la félonie du vassal qui manquait à ses
obligations, de lui reprendre son fief et d'en donner l'investiture à un autre.