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2
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3
P.-J. BONZON
Instituteur honoraire, lauréat des prix :
•Jeunesse*
"Enfance du monde"
' New York Herald tribune '
Grand prix de littérature du Salon de l'enfance
POMPON
à la ville
PREMIER LIVRE DE LECTURE COURANTE (SUITE)
DELAGRAVE
4
AVANT-PROPOS
P.J. Bonzon.
5
TABLE DE LECTURES
Pompon. 8
Un projet de papa. 10
L'attente. 12
La bonne nouvelle. 14
La remorque. 16
Le grand départ. 18
Un drôle d'incident. 20
Un drôle d'incident (suite). 22
Une arrivée mouvementée. 24
La rue des Ouistitis. 26
La première nuit. 28
La première nuit (suite). 30
Une nouvelle école. 32
Les admirateurs de Pompon. 34
Où est passé Pompon ? 36
Les macaronis. 38
L'indigestion. 40
Une idée de Guitou. 42
Les patins à roulettes. 44
Une idée farfelue. 46
Pompon patineur. 48
Pompon chez le droguiste. 50
La punition. 52
Voici le froid. 54
Les grands magasins. 56
Les culottes de Pompon. 58
Le travail de maman. 60
Pompon se fâche. 62
Le propriétaire. 64
Une idée de papa. 66
Un paradis. 68
Un réveil brutal. 70
La neige. 72
Le bonhomme de neige. 74
La patinoire. 76
Bientôt Noël. 78
La fête de l'école. 80
Les petits pains. 82
6
Les mauvais jours. 84
Le projet de Guitou. 86
Le bonbon. 88
Pompon se venge. 90
La charrette anglaise. 92
La fugue. 94
Le verglas. 96
Le bulldozer. 98
La patte dans le plâtre. 100
Une nuit agitée. 102
Le transistor. 104
Le chiffonnier. 106
Le chiffonnier (suite). 108
La langue de Pompon. 110
Le chef-d'œuvre. 112
Premiers beaux jours. 114
Le voyage en ville. 116
Circulez!... Circulez!. 118
Le parking souterrain. 120
Pin-Pon !... Pin-Pon!.... 122
La Casquette galonnée. 124
Vive la campagne, 126
7
Vous ne connaissez pas Pompon ?
C'est un joli petit âne gris, avec des sabots noirs bien cirés
et une longue queue qu'il agite comme un chasse-mouches.
Le papa de Guitou et de Finette l'a acheté à un fermier
voisin pour faire plaisir à ses enfants. Pompon est très gâté.
Papa, Guitou et Finette lui ont construit une cabane qu'ils
appellent son « château ».
Toutes sortes d'aventures sont arrivées à Pompon... et ce
n'est pas fini. En effet, papa a décidé de déménager. Papa est
artiste-peintre. Il compose de magnifiques tableaux, des
paysages, des portraits, des natures-mortes (1), etc.
Il doit faire une exposition dans une grande ville, loin du
village où il habite. Cette exposition durera plusieurs mois.
Aussi faudra-t-il déménager pour résider (2) quelque temps
dans cette ville.
8
— Oh! non, papa, se récrient les enfants. Restons
ici avec Pompon, il est si heureux dans son château, dans son
pré... Ou alors, emmenons-le.
— Vous n'y pensez pas, mes enfants, répond papa. Un
âne dans une ville? J'ai décidé de vendre Pompon. Plus tard,
nous rentrerons ici, à Favantines, je vous en achèterai un autre.
— Non, non et non, proteste Finette, indignée.
Jamais nous n'accepterons d'autre âne que Pompon.
— Alors, dit papa, je ne vois qu'une solution. Je partirai
seul.
Mais Guitou et Finette ne veulent pas non plus être
séparés de leur papa... et maman de son mari. Comment
résoudre ce difficile problème?
9
C'est le soir. Guitou et Finette sont couchés, chacun dans
sa chambre. Cependant, ils ne dorment pas encore. Tous deux
pensent à Pompon, qu'on va vendre. Ils en ont les larmes aux
yeux.
Finette a trop de chagrin. Elle se lève, en pyjama, et va
trouver son frère.
- Comment faire, Guitou, pour conserver Pompon?
Rappelle-toi, l'an dernier, pour ne pas le quitter pendant les
vacances, je m'étais piquée aux orties. J'avais voulu faire croire
à maman que j'avais la rougeole.
- Oui, approuve Guitou. A mon tour, je pourrais inventer
une maladie, mais laquelle?... Non, ce serait mal de mentir.
La chambre de Guitou est contiguë (1) à celle des parents.
Aussi parlent-ils à voix très basse. Mais tout à coup, les enfants
comprennent que papa et maman ne dorment pas eux non
plus. Ils discutent tout haut.
10
— Non, dit maman. Je le regrette beaucoup pour Guitou
et Finette, mais nous ne pouvons pas emmener Pompon en
ville.
Papa soupire et répond :
— Pourtant ils seront si malheureux. On pourrait peut-
être louer une maisonnette, dans la banlieue, (2) une
maisonnette qui posséderait un jardin.
— Ce n'est pas un jardin qu'il faudrait à Pompon mais un
pré, comme ici.
— Écoute, reprend papa, demain je partirai seul, en
voiture, pour la ville. Je chercherai quelque chose. Nous nous
débrouillerions alors pour emmener aussi Pompon... Mais pas
un mot aux enfants! Ils seraient trop déçus (3) si je ne trouvais
rien.
11
Guitou et Finette ont tout entendu. Ah ! que papa est
gentil !
— Je retourne dans ma chambre pour dormir, dit alors
Finette.
Le lendemain, Guitou est éveillé de bonne heure par un
bruit de moteur. Il bondit de son lit et regarde par la fenêtre.
C'est papa qui démarre.
Il court alors éveiller sa sœur qui dort encore.
— Papa vient de partir. Il a tenu sa promesse!
Ils descendent vite déjeuner dans la cuisine.
— Vous êtes bien matinaux, (1) aujourd'hui, dit maman.
— Je sais, répond Finette. Nous aurons le temps de dire
bonjour à Pompon.
Leurs bols vidés, ils courent vers le « château ». Le petit
âne est encore couché sur sa paille, les yeux fermés.
12
— On vient t'apprendre une bonne nouvelle,
Pompon, dit Guitou, en lui parlant dans le creux de sa longue
oreille velue (2). Nous allons peut-être t'emmener à la ville.
On dirait que Pompon comprend. Il se dresse sur
ses quatre pattes et pousse un hi-han de joie.
— Pourtant, dit Finette, en regardant vers la fenêtre, tu ne
le méritais pas. Oh ! le vilain ! Tu as encore mangé tes rideaux.
La première fois, tu as pris les jaunes pour de la paille, la
deuxième fois les verts pour de l'herbe et sans doute,
aujourd'hui, les rouges pour des carottes.
Pompon sait quand on le gronde. Il rabat ses oreilles et
prend un air contrit (3). Il a l'air de dire :
— Ce n'est pas ma faute si j'aime l'étoffe des rideaux, elle
est si tendre à déchiqueter (4).
13
A sept heures du soir, papa n'est pas encore rentré.
Pourtant la distance de Favantines à la ville n'est pas très
grande : une centaine de kilomètres.
— Papa n'a pas trouvé de maison avec un pré autour,
dit Finette, toute triste, à son frère.
Dehors, la nuit tombe. C'est le moment de passer à table.
Les enfants manquent d'appétit, ils mangent du bout des dents.
— N'attendez pas le retour de votre papa, dit maman.
Pensez à l'école, demain ! Allez vous coucher.
— Donne-nous simplement le temps de dire bonsoir à
Pompon, dit Guitou.
Ils traversent le pré envahi par les ténèbres (1) et
pénètrent dans le « château » du petit âne. Celui-ci n'est pas
encore couché, on dirait qu'il attend, comme les enfants, le
retour de papa.
14
Finette l'embrasse sur l'étoile blanche de son front et elle
rentre à la maison avec son frère.
A neuf heures. Finette et Guitou sont au lit. Mais ils ont
juré de rester éveillés. Il est déjà très tard, dans la nuit quand
Guitou reconnaît le bruit de l'auto. Il se lève prestement (2),
court chercher sa sœur, et tous deux dégringolent l'escalier en
pyjama.
— Bonsoir papa !
— Bonsoir mes enfants !
Ils n'osent demander à leur père ce qu'il est allé faire à la
ville car ils sont censés l'ignorer (3). Mais papa annonce
aussitôt :
— Une bonne nouvelle! Nous pourrons emmener
Pompon. J'ai trouvé à louer, une maison sans étage avec un
pré autour.
— Un pré? répète Guitou... un pré aussi grand qu'ici?
— Plutôt un jardin. Il sera tout de même assez grand pour
Pompon.
Les enfants sautent au cou de leur père. Ils n'ont jamais
été aussi heureux.
15
C'est donc décidé. On emmènera Pompon... mais
comment? Le petit âne ne serait pas capable de faire d'une
seule traite(1) cent kilomètres à « pattes ».
— C'est simple, dit maman, louons une remorque
à bétail (2). Souvenez-vous de l'an dernier. Quand
Pompon avait perdu un fer, un paysan avait emmené Pompon
chez le forgeron, dans sa remorque à bestiaux.
Impossible, répond papa. Une telle remorque serait trop
lourde pour notre petite cinq-chevaux... surtout avec Pompon
dedans.
— Alors, propose Guitou, fabriquons-en une avec
des planches, une sorte de grande caisse basse et
légère.
— D'accord, approuve papa. C'est l'idée qui m'était
venue, à moi aussi. On la montera sur des roues de bicyclette.
16
Papa distribue les consignes (2). Tandis qu'il se rend à la
scierie pour acheter des planches, Guitou s'occupe de dénicher
de vieilles roues de vélo. Quant à Finette, elle court au village
chercher des clous et des vis.
Toute la journée, on n'entend qu'ordres, contre-ordres,
coups de marteaux et grincements de scie.
Enfin, le soir, la remorque est prête, bien plus légère que
celle du paysan de l'an dernier. Papa, fier de lui et de ses
enfants, la fixe solidement à l'arrière de la cinq-chevaux pour un
essai. Pompon est alors invité à monter dans la caisse. Il ne se
fait pas prier. On dirait qu'il comprend que c'est pour l'emmener
très loin.
Est-elle solide, au moins? s'inquiète maman, en voyant les
planches plier sous le poids de Pompon.
— Très solide, affirme papa. Je mets ma main au feu que
le trajet s'effectuera (4) sans le moindre incident.
17
Tout est prêt! La veille, les enfants ont rassemblé leurs
affaires, leurs jouets. Finette emporte ses deux poupées,
Guitou son tracteur en bois et ses quilles, pour jouer dans le
pré.
Maman, elle, s'est chargée des vêtements et du linge.
Cependant on n'emporte pas les meubles car la maison louée
est toute meublée.
Papa a fait le plein d'essence. Il n'en manque pas une
goutte dans le réservoir.
— En route! C'est l'heure.
Finette s'assied à l'avant, entre ses parents. Guitou est
relégué (1) à l'arrière avec son teckel (2) et Mizou, le chat de
Finette. Il disparaît sous les bagages. Ah! ces bagages! Le toit
de la pauvre cinq-chevaux plie sous le poids des valises et des
paquets.
Enfin, papa actionne le démarreur. Le moteur tousse deux
ou trois fois avant de vrombir aussi fort que celui d'un tank.
18
Adieu Favantines! Ou plutôt au revoir! On ne reviendra
que dans six mois, après l'hiver. Pour Finette, c'est une éternité
(3).
Déjà, la voiture atteint la grande route. Elle roule
lentement, à cause du poids des bagages et de Pompon. Dans
les côtes, le moteur s'échauffe. Le radiateur fume comme une
cocotte-minute. Papa est obligé de s'arrêter pour laisser l'eau
refroidir. Maman s'inquiète :
— Tu crois que nous allons pouvoir continuer ?
— Parbleu ! répond papa qui est optimiste (4).
Guitou, lui non plus, n'est pas très tranquille, sous son
monceau de bagages. Il croit entendre, par moments, de
sourds craquements qui proviennent de la remorque de
Pompon.
— Ce n'est rien, dit papa. Cette caisse est aussi solide
qu'un roc.
19
On roule depuis trois heures déjà mais on n'a pas
parcouru plus de quatre-vingts kilomètres. La malheureuse
cinq-chevaux, que papa appelle « Gertrude », se fait tirer
l'oreille. (1)
— Allons Gertrude! Un peu plus de nerf, s'il te
plaît!
Miracle ! Soudain, l'auto qui s'essoufflait, se met
brusquement à rouler plus vite, sans que papa appuie
davantage sur l'accélérateur.
— Elle a compris que nous sommes en retard, dit Finette.
Elle veut rattraper le temps perdu.
Mais, au même moment, Guitou, qui regarde par la fenêtre
arrière, s'écrie à son tour ;
— Pompon! Je ne sais pas ce qui lui arrive. Il ouvre tout
grands ses naseaux (2) et sa bouche. Il balance sa tête d'une
drôle de façon.
20
Maman et Finette se retournent. C'est vrai, Pompon
a l'air malade. Il transpire, la sueur fume sur son dos.
— Papa, arrête-toi !
La voiture stoppe au bord de la route. Tout le monde met
pied à terre.
— Oh ! regarde, papa, dit Guitou en montrant le bas de la
remorque.
Stupeur! (3) Le plancher de la caisse s'est complètement
effondré. Il ne reste plus qu'un grand vide.
— Ah! s'exclame Guitou, je m'explique à présent la sueur
de Pompon et ses naseaux grands ouverts. Puisqu'il n'y
a plus de plancher il était obligé de courir pour suivre Gertrude.
Papa ne peut s'empêcher de rire.
— Et moi aussi, je comprends pourquoi, subitement
la voiture s'est mise à aller plus vite. Elle n'avait plus à traîner
Pompon.
Pauvre Pompon! Il est encore tout essoufflé de sa course
derrière la cinq-chevaux.
— Mon Dieu ! qu'allons-nous faire?, s'inquiète
maman.
21
Maman, qui est la sagesse même, propose d'abandonner
ce qui reste de la remorque et d'attacher Pompon à une corde,
à l'arrière de la voiture.
— On roulera très lentement, dit-elle. Pompon suivra en
trottinant. Il ne nous reste plus qu'une vingtaine de kilomètres à
parcourir.
Papa n'est pas de cet avis. D'abord, Pompon n'a pas
l'habitude d'être tiré par une corde. Il regimberait (1). Ensuite,
en arrivant en ville, l'intense (2) circulation l'effraierait. Il ferait
des écarts qui pourraient être dangereux.
— Pourtant, intervient Guitou, on ne peut tout de même
pas retirer tous les bagages de la voiture pour fourrer Pompon
dedans. Il n'y entrerait pas.
22
Finette ne peut s'empêcher de rire en imaginant le petit
âne assis sur une banquette.
— Alors, demande maman à papa, que proposes-
tu ?
— Voici mon idée ! Laissons Pompon tel qu'il est dans
la caisse privée de son fond. Il se croira protégé par les
montants de la remorque. Je roulerai très lentement. Il trottera
derrière nous sans être attaché. Quand nous atteindrons la
ville, je suis persuadé (3) qu'il se tiendra tranquille.
— Oui, approuve Guitou... et si je montais sur son dos? Il
se sentirait encore plus à l'aise. Il m'obéit bien... Et puis, je ne
serai plus empêtré (4) dans cette ribambelle (5) de bagages.
— Très juste! dit papa.
Guitou saute donc sur le dos de Pompon tandis que papa
maman et Finette regagnent leur place à l'avant de la voiture
qui démarre lentement.
— Hue Pompon! crie Guitou, en lui chatouillant le cou
avec une badine. (6)
Et le petit âne se met à trottiner derrière Gertrude dans sa
caisse sans fond.
23
Pompon trotte tranquillement dans sa caisse sans fond. Il
n'a qu'à suivre l'auto qui roule à une allure très réduite (1).
Guitou est fier d'être sur son dos.
Les dix premiers kilomètres sont parcourus facilement. Les
cinq suivants un peu moins vite. Le petit âne commence à se
fatiguer. Bref, c'est au pas qu'il arrive dans la ville.
Cette entrée dans la cité (2) est très remarquée. Les gens
s'arrêtent pour regarder cet étrange équipage. A un carrefour,
papa doit s'arrêter à un feu rouge. Pompon est ravi de cette
halte, si ravi qu'au moment où le feu passe au vert, il refuse de
repartir.
Derrière la remorque, des automobilistes impatients se
fâchent, klaxonnent sans arrêt. Ce bruit infernal (3) agace le
petit âne qui secoue les oreilles comme s'il était piqué par des
mouches.
24
Pour décider le récalcitrant (4) à repartir, papa met
Gertrude en marche. Pompon s'arc-boute (5) de toutes ses
forces dans la caisse et papa cale son moteur.
Un agent intervient :
— Circulez!... Circulez!...
L'ordre reste sans résultat. Pendant ce temps,
l'embouteillage s'accroît.
Soudain Guitou a une idée en apercevant l'étalage d'un
marchand de légumes. Il saute à bas de sa monture, enjambe
la caisse et court acheter une botte de carottes. Il suspend la
botte devant le nez de Pompon, au bout d'un bâton. Du coup, le
petit âne se décide à repartir, attiré par ces beaux légumes
rouges qui se balancent devant lui.
— Ouf ! soupire maman. Heureusement, nous
sommes presque arrivés.
2. JE COMPRENDS LESMOTS :
(1) Allure très réduite : Très ralentie.
(2) La cité : Autre nom de la ville. L'habitant de la cité est un citadin.
(3) Infernal : On dit aussi un bruit d'enfer. Un très grand bruit.
(4) Récalcitrant : Un récalcitrant est celui qui refuse de faire ce qu'on lui
commande.
(5) S'arc-boute : Pompon prend appui sur ses pattes pour résister.
25
Maman se trompe en se croyant presque arrivée.
L'équipage doit traverser toute la ville avant d'atteindre la rue
des Ouistitis, où papa a loué la maison pour l'hiver.
— Quel drôle de nom, dit Finette. Qu'est-ce que
c'est, des ouistitis?
— De petits singes très malicieux (1), répond
maman.
— Oh ! des singes, fait Finette en battant des
mains, nous en verrons?
— Certainement pas. Les ouistitis ne vivent qu'en
Amérique. Je ne vois pas pourquoi on a donné un pareil nom à
cette rue.
D'ailleurs, où la trouver, cette rue? Papa tourne en rond,
dans le quartier, sans la découvrir. Il doit s'adresser à des
passants. Enfin, il s'écrie :
— Voici la maison !
26
Oh ! qu'elle est petite, s'exclame maman. Elle n'a qu'un
rez-de-chaussée (2). Les pièces doivent être minuscules (3).
— C'est vrai, reconnaît papa, mais le grenier est vaste.
Je pourrai y installer mon atelier de peintre.
Et le pré? demande Finette. Où est le pré de Pompon?...
Est-ce simplement ce jardin, devant la maison?
- Que veux-tu, ma petite Finette, la ville n'est pas la
campagne. Pompon s'habituera comme nous à un espace plus
réduit.
Sorti de sa caisse, le petit âne est aussitôt introduit dans
son domaine. Oh! Merveille! Dans ce jardin, Pompon découvre
des choux que les premières gelées de l'automne n'ont pas
encore abimés. Il se précipite, en mange quatre ou cinq de
suite et fait le tour du jardin au grand galop en poussant des hi-
hans de joie.
— Voyez comme il est heureux! dit papa...
27
C'est le premier soir dans la nouvelle maison. A sept
heures et demie, on a dîné dans la salle de séjour. A présent,
Guitou et Finette sont couchés.
Ils n'ont pas chacun leur chambre comme à Favantines. Ils
partagent la même pièce où leurs lits sont séparés par un
paravent (1). Ils pourront bavarder. Le petit âne, lui, est enfermé
dans le garage, à la place de la cinq-chevaux que papa a
laissée dans la rue.
— C'est drôle, dit Finette, je ne me sens pas tranquille.
— Pourquoi? demande Guitou.
— Parce que notre chambre est au niveau de la rue.
Un voleur pourrait entrer par la fenêtre... As-tu fermé les
volets?
— J'ai mis les crochets; tu peux être tranquille, Finette.
28
Ils se taisent, ferment les yeux, mais le sommeil ne vient
pas. Dehors, on entend des bruits insolites (2), des ronflements
de moteur, des grincements de freins, des voix de passants.
— A Favantines, dit Finette, on n'écoutait que le cri des
chouettes et des hiboux.
— Dors, Finette! dit Guitou. Demain, tu ne sauras pas
t'éveiller à l'heure pour que maman nous conduise à notre
nouvelle école.
Finette obéit, mais son sommeil est agité. Elle fait des
rêves bizarres. Quelqu'un lui frappe la tête à coups de marteau.
Ce n'est pas drôle du tout.
Et soudain, elle s'éveille. Non, elle ne rêve pas. De l'autre
côté du mur, à l'emplacement de la tête de son lit, quelqu'un
frappe de grands coups pour démolir la maison. Elle se lève,
toute tremblante, pour alerter (3) son frère. Mais elle a oublié le
paravent, entre leurs lits. Elle le renverse et le paravent s'abat
sur Guitou qui pousse un cri de frayeur.
3. JE DESSINE : un paravent.
29
— Qu'y a-t-il? s'inquiète Guitou, en frottant la
bosse faite par le paravent en tombant sur sa tête.
Ecoute!... De l'autre côté du mur!... Ça fait : pan!
pan ! pan ! Quelqu'un est en train de démolir la maison.
Guitou n'a pas besoin de déboucher ses oreilles
avec son petit doigt pour percevoir les pan, pan, pan !
— C'est vrai. Finette, la maison tremble. Elle va
s'effondrer. Mais, aussitôt il réfléchit.
— Non, ce ne sont pas des démolisseurs.
— Qui, alors?
— Pompon ! Le garage est juste contre le mur de la
maison. C'est Pompon qui fait tout ce bruit. Il est peut-être
malade.
— Alors, dit Finette, réveillons papa et maman.
Ils courent frapper à la porte de la grande chambre.
— Papa, lève-toi vite !
30
Papa apparaît. Lui aussi entend les coups frappés contre
le mur.
— Allons voir au garage, dit-il.
Tous trois sortent dans la nuit étoilée. Guitou aide papa à
tirer la porte coulissante (1) du garage. La tête du petit âne
apparaît dans l'entrebâillement. (2)
— Eh bien, Pompon, qu'as-tu?
Pompon pousse un grand hi-han de satisfaction en levant
la tête vers la lune.
— Je comprends, dit Guitou. A Favantines, il pouvait
regarder par la fenêtre de son « château ». Ici, il se croit
prisonnier.
— Demain, promet papa, je pratiquerai (3) une ouverture
dans la porte. Il pourra contempler la lune à loisir... En
attendant allez vite vous recoucher, mes enfants. Vous
grelottez!...
31
Ce matin, maman conduit Guitou et Finette à leur nouvelle
école, au bout de la rue des Ouistitis. Guitou n'est pas trop
intimidé. Finette, elle, se sent mal à l'aise. Elle demande à
maman :
- Comment sont les garçons et les filles de la ville? Sont-ils
plus savants que nous?
- Pourquoi plus savants? Ce sont des enfants comme les
autres. Les garçons doivent jouer aux billes et les filles à la
corde ou à la marelle.
L'école de la rue des Ouistitis est toute neuve, bien plus
grande que celle de Favantines. Elle est mixte. (1) La directrice
accueille aimablement les arrivants. Elle appelle tout de suite
Finette et Guitou par leurs prénoms.
Malgré tout, quand maman s'en va. Finette éprouve
un
32
serrement de cœur. Elle se sent une étrangère parmi ces
petits citadins (2).
Cependant dès le début de la classe, elle s'aperçoit qu'elle
lit aussi bien qu'eux... peut-être mieux, ce qui lui vaut un
compliment de la maîtresse.
A la récréation, les deux nouveaux sont très entourés,
dans la cour. On leur demande d'où ils viennent, ce que fait leur
papa.
— Papa est artiste-peintre, explique fièrement Guitou. Il
est venu ici faire une exposition.
— Nous n'avons pas apporté nos meubles, ajoute Finette,
mais on a emmené Pompon.
— Qui est Pompon?
— Notre âne.
— Un vrai âne?
— Un vrai âne, qui fait hi-han!
Du coup, les écoliers restent confondus (3). Un âne, un
vrai âne en pleine ville... Non, ce n'est pas possible.
33
— C'est vrai?., bien vrai?... tout à fait vrai? répète une
petite fille haute comme trois pommes. Un âne vivant?... qui
remue la queue ?... qui gambade ?... qui trotte ?...
—Oui, affirme Finette. Je le jure; un vrai petit âne. Dans la
journée, il se promène dans le jardin. La nuit, il dort dans le
garage.
— Oh! on pourrait le voir?
— Bien sûr. Nous habitons tout près, à l'autre bout de la
rue des Ouistitis.
Les enfants n'en croient pas leurs oreilles. Certains n'ont
jamais vu d'âne autrement que sur des images.
A la sortie de l'école, c'est une envolée vers la maison de
Guitou et de Finette. Ils sont bien cinquante enfants à vouloir
admirer Pompon.
34
Guitou saute alors, à califourchon (1), sur le dos de son
âne qui se met à trotter autour du jardin.
— Je voudrais essayer, dit un garçon au nez
retroussé et à l'air fanfaron. (2)
— C'est facile, répond Guitou en sautant à terre, mais je te
préviens, Pompon ne sera peut-être pas aussi docile (3) avec
toi.
— Bah ! répond le fanfaron, nous allons voir.
Il grimpe sur le dos du petit âne et crie de toutes ses
forces :
— Hue! hue!
Pompon ne bouge pas. Alors, pour montrer qu'il n'a pas
peur, le garçon, qui s'appelle Jojo, donne une grande tape sur
l'encolure (4) de sa monture. Du coup, Pompon se fâche. D'un
coup de rein, il lève très haut ses pattes de derrière. Projeté en
avant, Jojo passe par-dessus la tête du petit âne et tombe dans
les choux qui amortissent (5) la chute.
— Je te l'avais bien dit, fait Guitou, il n'obéit pas à tout le
monde.
2. JE COMPRENDS LESMOTS :
(1) A califourchon : Une jambe de chaque côté de l'âne.
(2) Fanfaron : Qui se vante de faire des choses qu'il est incapable de
réaliser.
(3) Docile : Pas seulement doux mais facile à conduire. Qui obéit
facilement.
(4) Encolure : Le cou de l'âne.
(5) Amortissent : Les choux rendent la chute moins dure, moins
douloureuse.
35
Le jardin n'était pas grand. Les choux furent vite
dégustés(1 ). Un matin, Pompon s'éveilla le ventre creux.
— Hi-Han! Hi-Han! J'ai faim! J'ai faim!
Bien entendu, les marchands de légumes du quartier
vendaient à discrétion (2) : carottes, salades, raves, navets,
haricots etc., mais ces denrées coûtaient cher, très cher en
cette saison.
— Pompon est trop coûteux à nourrir, déclara
maman. Je l'avais bien dit. Quelle idée d'amener un âne en
pleine ville? Il faudra se résoudre (3) à s'en débarrasser.
A ce mot, « débarrasser » Guitou et Finette protestèrent
farouchement (4) Pompon faisait leur joie, à eux, mais aussi
celle des enfants du quartier.
— Je sais, dit maman, mais l'exposition de papa ne
rapporte pas autant que nous l'avions escompté (5). Il n'a
vendu que trois toiles, jusqu'à présent. Les fins de mois vont
devenir difficiles. Il faudra prendre une décision.
36
Or, à quelques jours de là, en se levant, plus tard que
d'habitude, parce que c'était jour de congé, Guitou et Finette
poussèrent une exclamation.
— Pompon?... Où est Pompon?
Le petit âne n'était ni dans le garage ni dans le jardin.
Finette pensa que maman l'avait vendu sans rien dire.
— Je vous jure que non, mes enfants, assura celle-
ci. Je ne sais pas où est Pompon. A huit heures il était encore
dans le jardin.
— C'est bien vrai?
Voyons, est-ce qu'une maman pourrait mentir?
— Alors, il s'est sauvé?
— Il a peut-être sauté par dessus la palissade (6). Allez
vite à sa recherche., mais attention aux voitures !
37
Finette et Guitou se mirent aussitôt en quête (1) de
Pompon. Ils en oublièrent leur petit déjeuner.
— Demandons aux voisins s'ils l'ont vu, dit Finette.
Ils s'adressèrent à celui de droite, un bonhomme
grincheux (2) qui déclara :
— Si le diable pouvait avoir emporté votre âne, je serais
bien soulagé. Il me rebat les oreilles avec ses hi-han ! hi-han ! à
longueur de jour et de nuit.
Dans la maison de gauche habitait une vieille femme. Elle,
ne se plaignit pas de Pompon car elle était sourde. Mais elle ne
comprit pas un mot.
Enfin, un facteur les renseigna :
— Un petit âne gris? Oui, j'en ai aperçu un du côté de
cette usine qui fabrique des pâtes alimentaires.
38
Finette et Guitou coururent jusque là. Ils risquèrent un
œil dans un grand entrepôt (3) où travaillaient des ouvrières en
blouse blanche. Soudain, Guitou tendit le doigt : Regarde,
Finette!
Il montra Pompon. On ne voyait du petit âne, que sa
croupe (4) et sa queue. Le cou et la tête étaient plongés dans
un grand sac. Guitou se précipita.
— Laissez-le faire, dit une ouvrière en riant. Il ne nous
cause aucun préjudice (5). C'est nous qui lui avons donné
ces déchets de macaronis.
Rassurés, les deux enfants contemplèrent Pompon qui, la
tête dans son sac, n'avait même pas reconnu la voix de ses
petits maîtres. Soudain, Finette s'écria :
— Oh! Guitou, regarde son ventre. Il est rond
comme une barrique.
Ils durent se mettre à deux pour arracher le petit âne à ses
macaronis.
39
Le sac à peine éloigné. Pompon voulut y replonger sa tête.
- Ah! non, dit Finette. Si tu te voyais dans une glace!
Elle aida Guitou à ramener le petit âne à la maison.
Pompon pouvait tout juste marcher, tant les macaronis lui
pesaient sur l'estomac.
Au moment où il entrait dans le garage, il s'affaissa et
tomba comme une masse sur le sol. Finette courut chercher
maman.
— Viens vite ! Nous avons retrouvé Pompon. Son ventre
est gros comme un tonneau. Il a trop mangé de macaronis.
— Quoi ? des macaronis ? Où les a-t-il trouvés ?
— Dans une fabrique de pâtes. Viens vite!
Pompon paraissait très mal en point (1). Il bâillait,
gémissait, comme s'il allait trépasser (2). Finette se souvint
avec
40
effroi du jour où le petit âne avait léché toute la peinture,
sur la palette de papa. Il avait failli mourir. On avait dû appeler
le vétérinaire, et le pharmacien avait fourni une potion (3).
— Non, dit maman, ce n'est pas la même chose.
Les macaronis ne sont pas nocifs (4) puisqu'ils sont destinés
à notre alimentation. Pompon est simplement victime d'une
indigestion.
Tous trois restèrent un moment auprès du petit âne qui
bâillait toujours, tirant une langue longue comme ça, et
gémissait sourdement. Enfin, il ferma les yeux et se mit à
ronfler.
— Laissons-le dormir tout son saoul (5), dit
maman, c'est le meilleur remède.
Pompon dormit ainsi toute la journée, toute la nuit, et
encore toute la matinée suivante. Il ne s'éveilla qu'à midi, quand
les enfants revinrent de l'école. Il se mit alors à braire en
regardant du côté de la fabrique de pâtes.
- Ah ! non, dit maman, une fois suffit. A te gaver (6) de
macaronis tu finirais par tomber malade pour de bon.
41
Depuis son escapade à la fabrique de macaronis, Pompon
ne cesse de regarder du côté de l'usine. Il a oublié sa
magistrale (1) indigestion pour ne se souvenir que de la saveur
des pâtes.
Hélas! un petit âne ne peut pas se nourrir que de
macaronis, de nouilles ou de vermicelle (2). Il lui faudrait autre
chose. C'est bien l'avis de papa, de maman et des enfants.
Cependant, cet incident a fait réfléchir maman. Elle est
moins décidée qu'avant à vendre Pompon. Finette et Guitou ont
eu trop de chagrin quand ils ont encore cru que le petit âne
allait mourir.
— Il faut absolument trouver une solution, dit-elle,... mais
laquelle?
— Ça y est, dit un matin Guitou au saut du lit, j'en ai
découvert une. Le dimanche, au lieu de flâner (3) sur
les
42
boulevards de la ville à lécher (4) les vitrines, nous irons
dans la campagne. Nous demanderons à un paysan de nous
vendre du foin.
D'accord, approuve maman, mais dans quoi le
transporterons-nous?
Dans la remorque de Pompon.
Elle n'a plus de fond.
- Je vais la réparer avec des planches neuves. Elle sera
assez solide pour porter du foin.
— Et ce foin, où l'entasserons-nous ? demande
Finette.
Dans le grenier, répond papa. Il me restera
encore assez de place pour peindre.
Le jour même, Guitou se met à l'œuvre, avec des
planches trouvées dans le grenier. Le lendemain, la remorque
est remise en état. Il ne reste plus qu'à attendre dimanche pour
partir dans la campagne malgré le froid de novembre qui
commence à sévir (5).
43
A l'école de Favantines, les garçons comme les filles
ignoraient les patins à roulettes. Où auraient-ils pratiqué ce
sport? Les trottoirs n'étaient ni cimentés ni goudronnés.
Il en était autrement à la ville. La rue des Ouistitis était
bordée de trottoirs aussi lisses que des miroirs. Presque tous
les enfants du quartier possédaient leurs patins, et se rendaient
même en classe sur leurs roulettes.
Naturellement Guitou et Finette grillaient (1) de les imiter,
surtout Guitou. Mais de bons patins coûtaient cher.
Or, un jour papa déclara :
— Mes enfants, je viens de vendre une toile à la galerie
(2). Pour marquer cet événement, j'ai décidé de vous faire un
cadeau. Que diriez-vous de patins à roulettes?
44
— Oh! des patins! s'écrièrent à la fois Guitou et Finette en
sautant au cou de leur père. Rien ne pouvait nous faire plus
plaisir!
Le soir même, en revenant de son exposition, papa
rapporta les patins convoités (3). Malgré la nuit déjà tombée et
-l'air vif, les enfants voulurent les essayer.
- Attendez demain, conseilla sagement maman. Vous êtes
inexpérimentés (4). Un accident est si vite arrivé!
Mais Guitou et Finette étaient trop impatients. Ils sortirent
dans la rue, éclairée par des lampadaires (5). Assis au bord du
trottoir, ils fixèrent solidement les courroies sur leurs
chaussures.
Le résultat fut ... foudroyant, c'est bien le mot. A peine se
relevait-elle pour esquisser un pas que Finette sentit les patins
partir en arrière. Patatras! Elle s'aplatit le nez sur la chaussée.
Quant à Guitou, ce fut exactement le contraire. Les
roulettes s'enfuirent en avant et il se retrouva sur le derrière.
Décidément, le patin à roulettes n'était pas un sport facile.
3. JE DESSINE :
45
Si leurs débuts furent laborieux (2), Finette et Guitou se
rattrapèrent vite. En quelques jours, ils se tinrent bien en
équilibre sur leurs patins pour rouler le long du trottoir.
Puis, ils surent s'arrêter, ce qui n'était pas le plus facile,
tourner et décrire toutes sortes de circonvolutions (3).
Certes, il leur arrivait encore de tomber mais ils avaient
appris à se méfier des traîtres écarts des roulettes et ils en
étaient quittes pour quelques bleus sans gravité.
Guitou était devenu tout de suite un enragé du patin. Dès
qu'il rentrait de l'école, il déposait son cartable dans la salle de
séjour en disant :
Vite, Finette! Nos patins!
Par chance, la rue des Ouistitis accusait (4) une légère
pente. C'était commode pour des débutants. En prenant leur
élan devant la maison, ils descendaient jusqu'au carrefour sans
avoir à bouger les pieds.
46
— C'est merveilleux ! disait Finette. Regarde,
Guitou, à présent j'arrive à rouler sur un seul pied.
Si les deux enfants s'émerveillaient de leurs propres
prouesses(5), Pompon n'était pas moins attentif à leurs
exploits. Il dressait la tête par-dessus la palissade pour assister
aux évolutions de ses petits maîtres, sur le trottoir. Il avait l'air
de se dire :
— C'est drôle, ils ne bougent pas les pieds et pourtant, ils
avancent. Moi, quand je ne remue pas les pattes, je reste sur
place.
Lorsque les enfants s'éloignaient, en direction du
carrefour, il se penchait en avant pour ne pas les perdre de
vue.
C'est alors qu'une idée farfelue traversa l'esprit de Guitou.
Un jour, il dit à Finette :
— Si on apprenait à Pompon à faire du patin !...
3. JE DESSINE :
47
— Oh! oui, dit Finette enthousiasmée (1), apprenons
à patiner à Pompon... mais comment? Il a quatre pattes; il lui
faudrait quatre patins.
— Justement deux et deux font quatre. Les tiens et les
miens !
— Tu crois que maman nous permettra?
— Bah! dit Guitou, nous ne lui dirons rien... seulement
quand Pompon saura patiner.
Un matin de congé, tandis que maman était au marché, ils
sortirent Pompon dans la rue.
— Commençons par les pattes de devant, dit
Guitou. Fixer les courroies sur les sabots noirs du petit âne
ne fut pas chose aisée (2). Heureusement Pompon était
docile. Il ne broncha (3) pas. II sentit pourtant qu'à
présent, ses
48
pattes de devant glissaient sur le trottoir, mais il pouvait se
retenir avec ses sabots de derrière.
Pas pour longtemps, car ceux-ci furent bientôt équipés
comme les autres. Ainsi chaussé, le petit âne comprit tout de
suite que s'il bougeait, il risquait de perdre l'équilibre. Il se raidit
sur ses pattes, immobile.
— Hue ! cria Guitou.
Pompon se contenta de secouer les oreilles. Il s'obstina(4)
à ne pas remuer d'une patte.
Hue! Pompon, cria Finette à son tour. Rien n'y fit.
Pompon était comme vissé sur le trottoir.
— Aide-moi! dit alors Guitou à sa sœur, nous allons le
pousser.
Ils s’arc-boutèrent (5) contre sa croupe et poussèrent de
toutes leur forces.
— Ça y est! s'écria Guitou, il démarre!
Lentement, raide sur ses pattes comme si elles étaient en
bois, Pompon glissa sur le trottoir en pente...
3. JE DESSINE
49
Guitou, Finette et les enfants du quartier qui se trouvaient
là éclatèrent de rire. Jamais ils n'avaient vu un spectacle aussi
cocasse (1). Pompon avait vraiment l'air d'un de ces petits ânes
en bois qui tournent en rond sur les manèges.
Cependant très vite, les rires cessèrent. A cause de la
pente, la vitesse de Pompon s'accentuait (2).
Courons vite après lui! cria Guitou. Il ne saura pas
s'arrêter à temps.
Les enfants se précipitèrent et se cramponnèrent à la
queue du petit âne pour freiner son allure. Hélas ! Si Pompon
n'était pas très gros, il était tout de même d'un poids
respectable (3). Même solidement retenu par la queue, le petit
âne continuait de dévaler la pente.
50
— Malheur! s'écria Guitou. Il va arriver au carrefour de la
rue des Ouistitis.
C'est bien ce qui se produisit, en effet. Dans une grande
secousse, Pompon quitta le trottoir pour atteindre la chaussée
(4). Par chance, le feu du carrefour était au vert. Il ne risquait
pas de se faire écraser.
Tirez plus fort! cria Finette affolée.
Mais Pompon était parti et bien parti. II traversa toute la
chaussée, comme une flèche. Puis, brutalement il heurta le
trottoir d'en face.
Ce fut la catastrophe. Emporté par son élan mais retenu
par ses sabots, Pompon piqua une tête en avant. On entendit
un craquement sec suivi de bruits de verre. La glace d'une
droguerie n'avait pas résisté au choc. Pompon venait de
s'effondrer dans le magasin, les pattes en l'air, au milieu de
bouteilles, de bidons, de balais et de je ne sais quoi encore.
2. JE DESSINE :
51
En quelques instants, ce fut la cohue (1) devant la
droguerie. Tout le quartier avait entendu le bris de la vitrine et
les cris des enfants. Honteux, Guitou et Finette auraient voulu
être à cent lieues (2) sous terre.
— Garnements du diable! Rugit(3) le droguiste en blouse
blanche, a-t-on idée de mettre des patins aux sabots d'un
âne?... D'abord, d'où vient-il, à qui appartient-il, cet animai?
— A nous deux, avouèrent en même temps Guitou
et Finette. Ce n'est pas notre faute, monsieur le droguiste.
— Comment? Pas votre faute?
Nous pensions arrêter Pompon à temps.
— Vous pouvez vous vanter d'avoir de la chance. A part
la vitre, les dégâts ne sont pas trop graves. Imaginez ce qui
serait arrivé si l'animal s'était renversé sur le dos ce bidon
d'acide sulfurique (4).
52
Pauvre Pompon ! affalé (5) dans la boutique, il ne
parvenait pas à se relever, à cause des patins.
— Eh ! bien, dit le droguiste, qu'attendez-vous pour
lui enlever ces engins de malheur?
Le frère et la sœur débouclaient les courroies fixées aux
sabots quand maman passa devant la droguerie, son panier au
bras.
— Mon Dieu ! s'écria-t-elle en reconnaissant
Pompon. Qu'est-il arrivé?
Guitou et Finette sentirent leur visage se décomposer. La
gorge serrée, ils furent incapables de dire un mot. Le droguiste
se chargea d'expliquer les faits.
- Oh ! maman, supplia Finette, ne nous gronde pas. Nous
sommes si ennuyés.
Ils étaient tous deux si pâles que maman se contint (6).
— C'est bon, dit-elle seulement. Vous connaissez le
proverbe? Qui casse les verres les paie. En rentrant à la
maison vous vicierez vos tirelires pour régler le prix de la vitre.
2. JE DESSINE :
53
Les jours deviennent de plus en plus courts. Le soir,
quand Guitou et Finette reviennent de l'école, la nuit est
presque venue. Ils ne manquent quand même jamais de dire
bonjour à Pompon avant de rentrer se chauffer.
Ce soir, l'air est particulièrement mordant (1).
— C'est bientôt l'hiver, dit Finette. Crois-tu, Guitou, que
Pompon aura froid, la nuit, dans son garage?
— Je ne sais pas, avoue Guitou. L'hiver dernier
nous n'avions pas Pompon.
Mais il ajoute, pour jouer au savant, auprès de sa sœur :
— Je crois que les ânes n'ont jamais froid.
— Ce n'est pas vrai, proteste Finette. Les ânes sont
comme nous. Quand on court, on a chaud. Quand on reste sur
place, le froid vient vite.
54
— Pompon n'a pas l'air frileux (2).
— Si, ce soir, il tremblait. Son jardin est trop petit II lui
faudrait un grand pré pour courir.
— On ne peut tout de même pas le promener en ville, dit
Guitou, ni installer un poêle dans le garage.
Non, mais on pourrait l'habiller. Guitou éclata de rire.
— L'habiller?
— Avec un manteau sur le dos. Pourquoi pas aussi
avec des culottes?
— Justement, un jour, sur une image, j'ai vu un âne qui
portait des culottes pour lui tenir chaud aux pattes.
C'est vrai? Alors, demandons à maman de lui couper des
vêtements. Tu crois qu'elle acceptera?
2. JE DESSINE :
55
Guitou et Finette vont donc trouver maman. Ils lui confient
leur idée. Tout d'abord, maman reste ébahie (1 ).
— Comment? Un costume pour Pompon? Cependant
elle réfléchit. Après tout, cette idée n'est pas stupide (2). Les
dames du quartier mettent bien des manteaux à leurs petits
chiens quand elles les promènent.
— C'est vrai, dit-elle. Pompon ne doit pas avoir très chaud
dans le jardin, à rester immobile. Après demain, je vous
emmènerai dans un grand magasin, au centre de la ville.
Guitou et Finette sont ravis, pour Pompon d'abord, mais
aussi pour eux. Le centre de la ville est plein d'attraits (3) en
cette période de fin d'année.
Le surlendemain, tandis que papa peint assidûment (4)
dans le grenier, tous trois prennent l'autobus, au carrefour
56
de la rue des Ouistitis. La grosse voiture rouge les
dépose bientôt au cœur de la cité où les magasins sont très
nombreux.
— Entrons dans celui-ci, dit maman. On y vend de tout.
Finette est séduite par de belles étoffes de laine épaisse.
Mais maman explique :
— Non, pas cela. Finette.
— Pourtant maman, c'est chaud la laine! Mon manteau
est en laine, n'est-ce pas?
— Certes, mais quand il pleut la laine devient une
véritable éponge. Les jours de mauvais temps, Pompon
serait trempé.
— Alors, dit Guitou, il vaudrait mieux une toile
imperméable.
Très juste, approuve maman, une nappe de cuisine,
par exemple.
Du rayon (5) des lainages, les visiteurs passent à celui des
articles ménagers.
— Oh ! la belle toile cirée verte avec des
marguerites, s'écrie Finette!
La vendeuse demande à maman ce qu'elle désire. Maman
est bien embarrassée. Peut-elle dire qu'elle cherche un
vêtement pour un âne?
2. JE DESSINE :
57
La toile cirée verte à marguerites est achetée. A présent, il
faut faire l'emplette (1 ) d'une étoffe pour confectionner les
culottes.
— Que désirez-vous encore? demande la vendeuse.
Maman est de nouveau embarrassée. Elle a peur d'être
ridicule (2).
— Euh !... Je voudrais du tissu pour une paire de
pantalons.
— Non, maman, rectifie Guitou, une paire pour les pattes
de devant et une autre pour celles de derrière.
En entendant parler de « pattes », la vendeuse prend un
air étonné.
— C'est pour qui? demande-t-elle.
— Un âne, répond Guitou.
58
— Notre petit âne, ajoute Finette. Nous l'avons
amené de Favantines. Il grelotte dans le jardin.
— Nous ne vendons pas d'articles pour les ânes, explique
la vendeuse, seulement des paletots (3) pour chiens et chats.
— Je m'en doutais, dit maman. Alors, donnez-moi
le tissu nécessaire pour confectionner moi-même ces
culottes.
La vendeuse ne peut s'empêcher de sourire. A-t-on jamais
vu un âne habillé? Cependant elle est là pour vendre la
marchandise. Elle déploie toutes sortes de coupons (4).
Guitou penche pour du bleu. Il aime beaucoup le bleu.
Maman préférerait du vert pour harmoniser (5) les culottes avec
le manteau. Mais Finette opte (6) pour le jaune. Et c'est elle qui
l'emporte.
— Quelle longueur ? demande alors la marchande.
Maman n'est pas très fixée. Heureusement, Guitou a tout
prévu.
— J'ai mesuré les pattes de Pompon, dit-il. Elles
m'arrivent jusqu'au cou.
La vendeuse coupe la longueur nécessaire. Maman règle
son achat et on sort du magasin.
— Ah ! que Pompon va être beau ! s'exclame
Finette.
2. JE DESSINE :
59
Le vrai froid est venu. Ce matin, en partant pour l'école,
Guitou et Finette ont aperçu une pellicule (1) de glace sur l'eau
du caniveau (2). Il est grand temps d'habiller Pompon.
En rentrant de classe, le frère et la sœur sont
heureusement surpris de constater que maman s'est mise à
l'œuvre.
— Ce n'est pas aussi simple que vous l'imaginez, dit-
elle. Je n'ai pas eu de problèmes pour le paletot... mais les
culottes !
— Elles sont déjà faites? demande Finette.
— Celles de devant seulement.
Guitou tient à les essayer. Ah! quel spectacle! Elles sont si
longues qu'elles lui remontent jusqu'aux yeux. Et encore
traînent-elles sur le plancher. On mettrait deux petits
bonhommes comme lui à l'intérieur, un dans chaque jambe.
60
Finette et maman rient aux éclats.
— Et celles de derrière? demande Finette.
— J'ai dû m'interrompre (3) pour préparer le
déjeuner, explique maman, je les coudrai cet après-midi.
Finette s'inquiète de la façon dont ces culottes seront
fixées.
— Avec des ficelles, qui serviront de bretelles. Je ne vois
pas d'autre solution. Pourvu que Pompon les supporte.
Les enfants sont ravis. Le déjeuner terminé, ils reprennent
le chemin de l'école. Pendant la classe, ils pensent à Pompon
et se l'imaginent habillé de vert et de jaune.
Enfin, voici l'heure de la sortie. Au lieu de papoter (4) avec
leurs camarades, le frère et la sœur se précipitent vers la
maison. Par chance, le ciel est dégagé. La nuit ne viendra pas
trop vite.
— Alors, maman, le costume est prêt?
— Oui, allons habiller Pompon !
59
61
A cause du froid, Pompon s'est retiré dans son garage.
Guitou l'invite à sortir dans le jardin. Maman lui jette alors la
toile cirée verte à marguerites sur le dos. Puis, elle attache
solidement cette toile sous le ventre, avec des cordelettes (1)
de nylon.
Pompon ne bronche pas. Il paraît même satisfait.
— A présent, dit maman, aidez-moi à lui passer
les culottes... d'abord celles de devant.
Guitou, lui soulève un sabot, puis l'autre. Après quoi, il
remonte les culottes qu'il attache à l'encolure de l'animal. Le
petit âne ne proteste pas.
— Il a compris que c'est pour lui tenir chaud, dit Finette.
Hélas! la suite de l'habillage est plus laborieuse (2). Guitou doit
se gendarmer (3) pour obliger Pompon à lever les pattes de
derrière. Le petit âne se monte rétif (4) lui si obéissant
d'habitude. Enfin, les culottes sont passées, les cordelettes
nouées sur la croupe.
62
— Ça y est! s'écrie Finette. Regardez comme il est beau!
Et elle ajoute :
— Fais le marcher, Guitou!
Pompon avance de deux pas, de trois, mais les culottes,
surtout celles de derrière, le chatouillent. Il lève un sabot, puis
l'autre. Affolé, il se dresse sur ses pattes de devant pour lancer
une ruade.
Crac ! les belles culottes jaunes se déchirent d'un seul
coup. Effrayé par le bruit de la déchirure le petit âne part au
galop dans le jardin, s'empêtre (5) dans l'étoffe et, finalement,
roule à terre, les pattes en l'air, comme un hanneton retourné
sur sa carapace. En moins de deux minutes, les culottes ne
sont plus que des lambeaux d'étoffe éparpillés sur le sol.
Le petit âne se redresse alors... sans culottes. Il n'a gardé
que la toile cirée qui, elle, ne le gêne pas... Et il se met à tirer la
langue pour lécher les marguerites.
63
Malgré le froid opiniâtre (1), Pompon se promenait à
longueur de journée dans le jardin. Sa toile cirée verte à
marguerite le protégeait de la pluie. Il ne rentrait au garage que
pour manger son foin et dormir.
En somme, il n'était pas malheureux. Depuis que papa
avait ouvert une fenêtre dans la porte du garage, le petit âne
pouvait à loisir contempler les étoiles et la lune.
C'était trop beau pour durer. Un jour un gros homme
ventru et moustachu se présenta en disant :
— Je suis le propriétaire de cette maison. Qui a percé
ce trou dans la porte du garage?
— Moi, dit papa, pour que notre âne ait un peu d'air et de
lumière.
64
— Vous avez détérioré (2) ma propriété. Un garage n'est
pas une écurie.
— Où voulez-vous que nous mettions Pompon, dit
maman.
—Cela ne me regarde pas. La place des ânes est à la
campagne. Si demain le trou n'est pas obturé (3), vous aurez
affaire à moi.
Bien, dit papa, je ferai le nécessaire. Là-dessus,
l'homme ventru et moustachu se retira en bougonnant
(4).
Quand il fut parti. Finette demanda à son père : • C'est
vrai, papa ?... tu vas boucher la fenêtre de Pompon ?
— Tu l'as entendu comme moi, le propriétaire l'exige (5)...
Si nous ne faisions pas ce qu'il demande, il serait capable de
nous expulser.
— Qu'est-ce que cela veut dire, expulser? demanda
Finette.
— Qu'il nous ferait partir d'ici.
—Oh! le méchant bonhomme. Je le déteste, fit Guitou. Il
ne comprend rien aux animaux.
— Moi aussi, ajouta Finette, je le déteste.
65
Le soir même, papa boucha hermétiquement (1) la lucarne
... Et ce qui devait arriver arriva. Privé de l'air frais du dehors et
de la pâle lumière de la nuit le petit âne se sentit de nouveau en
prison.
Toute la nuit, il donna des coups de sabot à en ébranler
les murs. Finette et Guitou ne purent fermer l'œil.
Le lendemain matin, le frère et la sœur se levèrent en
bâillant. Ils se seraient volontiers recouchés au lieu d'aller à
l'école. Maman s'inquiéta :
— Si Pompon fait ce vacarme (2) toutes les nuits, dit-elle,
vous allez tomber malades, mes enfants. Il faut trouver une
solution.
Rouvrons la lucarne, dit Finette. Tant pis pour le
propriétaire !
— Ou construisons un autre « château » dans le jardin,
proposa Guitou.
66
Non, objecta (3) papa, ce n'est pas possible. Le
propriétaire nous accuserait d'avoir élevé une construction
hideuse (4) à ses yeux... Et puis, où se procurer des planches
en quantité suffisante? Nous n'avons pas de scierie à proximité
(5) comme à Favantines.
- Alors papa? dit Guitou.
Laissez-moi réfléchir. En peignant, je trouverai un moyen
de tout arranger. Déjeunez vite, mes enfants, et partez pour
l'école !
Quand Guitou et Finette rentrèrent, à midi, papa
avait trouvé. Il expliqua :
— Je vais tout simplement installer Pompon au grenier.
— Au grenier ? s'exclama Finette... Comment
Pompon y grimpera-t-il? Il a horreur des escaliers et il ne sait
pas les redescendre.
— Justement, je vais lui fabriquer un plan incliné
(6). Le grenier n'est pas haut. Rien de plus facile... et le
propriétaire ne trouvera plus rien à dire.
2. JE DESSINE :
67
Le soi-même, le plan incliné était construit. Papa avait
trouvé assez de planches pour fabriquer quelque chose de
solide qui ne s'effondrerait pas sous le poids de Pompon.
Ainsi, au lieu de rentrer dans son garage, Pompon fut
invité à gravir (1) les planches en pente. Tout d'abord, il secoua
la tête. Il n'avait pas oublié son aventure de Favantines quand il
était monté au premier étage de la maison. Il n'avait pas osé
redescendre et papa avait dû lui bander les yeux.
— En somme, se dit Pompon, dans sa tête de petit âne, il
n'y a pas de marches. Je ne risque rien.
Hue ! Pompon ! cria Guitou en le poussant.
Et c'est ainsi que Pompon pénétra dans le grenier où papa
avait installé son chevalet (2), ses toiles, ses pinceaux et ses
flacons de toutes sortes.
68
Le petit âne aperçut tout de suite la provision de foin
entassée sous les combles (3).
Oh ! Oh ! se dit-il, je vais pouvoir manger à mon aise. C'est
le paradis.
Puis, il s'approcha du vasistas (4) et regarda
dehors.
— Hi-Han! Comme je suis haut!... Je vois des maisons
que je n'apercevais pas par la lucarne de mon garage. Je suis
beaucoup mieux ici.
Finette voulut lui enlever son paletot en toile cirée.
Pompon refusa. Il n'avait pu supporter les culottes mais il
adorait son imperméable.
Le petit âne poussa deux ou trois hi-hans! très puissants,
puis se roula dans le foin.
Laissons-le s'endormir, dit papa. Au moins, cette nuit, tout
le monde reposera en paix.
Papa se trompait...
2. JE DESSINE :
69
Ce soir-là, Guitou et Finette se couchèrent de bonne heure
pour rattraper le sommeil perdu la veille.
Le frère et la sœur dormaient depuis un moment quand
Finette s'éveilla en sursaut (1). Elle entendait du bruit. Ce bruit
ne venait pas du garage mais d'en haut.
Écoute, Guitou! Pompon est réveillé. Il marche dans le
grenier.
Bah ! il s'est levé pour regarder les étoiles par le vasistas.
— Ou il a entendu des souris. Il y a des souris dans le
grenier. Papa en a vu.
— Tais-toi, Finette, dit Guitou, grognon (2), laisse-
moi dormir, je meurs de sommeil.
Finette resta coite (3) et finit pas se rendormir elle aussi.
70
Mais tout à coup, au beau milieu de la nuit un « crac »
formidable les réveilla tous les deux. Guitou sentit des plâtras
(4) lui tomber sur la tête. Il donna la lumière... et poussa un cri.
Le plafond était percé. Une longue patte terminée par un sabot
s'agitait au-dessus de lui. Le petit âne avait marché sur une
planche pourrie et traversé le plafond.
Le frère et la sœur coururent alerter papa et maman qui
avaient entendu, eux aussi. Tous quatre grimpèrent au grenier.
Pompon faisait peine à voir. Il avait beau essayer
d'extirper (5) sa patte, il n'y parvenait pas. Il fallut se mettre à
quatre pour le tirer de sa fâcheuse position.
Pauvre Pompon ! soupira Finette, en caressant l'étoile
blanche de son front, il t'en arrive des malheurs!
— Il n'est pas blessé, c'est l'essentiel, dit papa. Demain, je
remplacerai la planche pourrie... Non, pas demain, tout de
suite. Guitou et Finette, redescendez vous coucher.
Mais ni Guitou ni Finette ne purent retrouver leur sommeil,
cette nuit-là encore.
2. JE DESSINE :
71
Depuis quelques jours le ciel est uniformément (1) gris,
triste et bas. Le méchant hiver est arrivé... Mais l'hiver a tout de
même de bons côtés.
Ce matin, en se levant, Finette et Guitou poussent un cri
de joie.
— Il neige!...
De gros flocons descendent doucement du ciel, sans bruit,
comme pour ne pas se faire remarquer. Le jardin est déjà tout
blanc. Guitou et Finette adorent la neige. La dernière, celle de
l'hiver précédent, remonte à si loin!
— La neige ! La neige ! clame Finette. Pourvu
qu'elle tombe longtemps, que la couche soit bien
épaisse!
Folle de joie, elle monte au grenier où le petit âne dort
encore.
72
— Eh bien! Pompon?... tu n'as pas vu?... Dehors, tout
est blanc. C'est la neige !
Le petit âne descend avec précaution le plan incliné mais il
s'arrête net au bas des planches. Il a l'air de se dire :
— C'est drôle, je ne reconnais plus rien. Que
s'est-il passé pendant que je dormais?
Il avance à pas feutrés (2) dans cette couche immaculée
(3). Il constate que ce blanc est très doux sous ses sabots,
doux comme un tapis. Alors, il se vautre (4) dans cette
blancheur, les pattes en l'air. Guitou et Finette en profitent pour
le bombarder de boules de neige. Pompon se remet vivement
sur ses pattes, pour esquiver (5) les pelotes blanches.
Vlan! une boule éclate sur son échine (6)... Vlan! une autre
sur sa croupe. Vlan ! une autre sur son front. Il secoue les
oreilles mais ne paraît pas agacé. Il comprend que c'est un jeu.
Mais tout à coup, Finette se met à pleurer. Elle a l'onglée
(7). C'est terrible l'onglée!
— Mets tes gros gants, comme moi, lui conseille son frère.
2. JE DESSINE :
73
En classe, Guitou et Finette écoutent distraitement les
leçons de leurs maîtresses. Ils regardent à chaque instant par
la fenêtre.
— Pourvu que la neige ne s'arrête pas de tomber, se
répète inlassablement (1 ) Finette.
A midi, quand le frère et la sœur quittent l'école, la couche
atteint bien vingt centimètres. Ils s'y enfoncent plus haut que la
cheville.
— Rentrons vite chez nous! dit Guitou.
Pompon les attend dans le jardin. De temps à autre, il
essaie de happer (2) un gros flocon. Il est tout étonné de
constater que celui-ci fond immédiatement sur sa langue.
— Faisons un bonhomme de neige, dit Guitou. Aide-moi,
Finette, à rouler d'abord une grosse boule.
74
En quelques minutes, la boule est devenue énorme,
presque impossible à remuer. Il s'agit à présent d'en faire un
bonhomme en tassant encore de la neige sur la boule. C'est
fait. Le blanc personnage est aussi haut que Finette.
— Il faudrait lui faire des yeux, dit celle-ci.
— Avec des marrons, répond Guitou... et à la place du nez
je vais mettre une pomme de pin.
— Oh ! une idée, ajoute Finette, nous allons lui
fixer une des pipes de papa et son grand chapeau de paille.
Quel curieux bonhomme! Il n'a pas l'air commode du tout.
Les deux marrons sombres lui donnent un regard perçant.
Pompon n'est pas très rassuré. Il a l'air de se dire :
— Qui est cet étranger dans mon jardin? Il me regarde
avec de drôles d'yeux. Est-ce que j'aurais fait quelque chose
de mal ?
Pris de panique (3), il se met à trembler. Il pousse trois ou
quatre hi-hans de peur et s'enfuit vers son grenier pour ne plus
en sortir.
75
Hélas! la neige ne dura pas longtemps. Elle cessa de
tomber dès le début de l'après-midi. En quelques heures, la
belle couche blanche fondit en un véritable bourbier (1).
Là-dessus, un froid de nouveau très vif sévit (2) sur la ville.
L'eau produite par la fonte de la neige se transforma en glace.
Dans le jardin, une longue flaque se mua (3) en patinoire.
— Quelle chance! dit Guitou. Nous allons pouvoir glisser.
La flaque avait bien une dizaine de mètres de long. C'était
suffisant.
— Attention! dit Guitou.
Il prit son élan et, comme une flèche, sans tomber,
traversa de bout en bout la patinoire improvisée (4).
— A mon tour, dit Finette, en prenant du recul sur la
terre ferme.
76
Mais à peine eut-elle un pied sur la glace qu'elle tomba sur
le derrière et c'est dans cette position qu'elle atteignit le bout de
la patinoire.
Du coup. Pompon lança un formidable hi-han ! comme s'il
se moquait d'elle.
Le petit âne, lui aussi, était tenté par cette surface lisse et
brillante.
Non, Pompon, ne t'avance pas ! Tu ne te souviens
donc pas des patins à roulettes?
Rien n'y fit. Pompon n'était pas un âne pour rien. Quand il
avait une idée, elle lui sortait difficilement de la tête.
Tout à coup, lui aussi prit son élan. Guitou et Finette se
précipitèrent pour se cramponner à sa queue et le retenir. Trop
tard!
A peine toucha-t-il la glace qu'il dégringola, entraînant
dans sa chute Guitou et Finette... Décidément, Pompon n'était
pas doué (5) pour le patinage. Il faudrait lui trouver un autre
sport...
2. JE DESSINE
77
On était à la mi-décembre. Noël approchait. A l'école, on
ne pensait qu'à la fête qui aurait lieu le dernier dimanche avant
les vacances.
Pour cette fête, les enfants préparaient des numéros (1).
Ces numéros seraient présentés sur une estrade dressée dans
le gymnase (2).
Un jour, la maîtresse de Finette proposa à sa classe :
— Pour que la fête soit plus réussie, vous devriez
demander à vos mamans de vous costumer... Par exemple si
l'un d'entre vous a une grand-mère lorraine, il se déguisera
en Lorrain. Si vous êtes d'origine bretonne, vous vous
habillerez en Breton ou Bretonne. Avez-vous compris ?
— Oui, dit Finette en levant la main. Ma grand-mère à
moi est normande. Est-ce que je pourrais m'habiller en
Normande ?
78
— Bien sûr.
— Et mon frère aussi, en Normand? N'avez-vous
pas la même grand-mère?
En rentrant à la maison, Finette répéta aussitôt ce qu'on lui
avait dit.
Bonne idée, en effet, approuva maman. Je vais d'abord
confectionner une coiffe blanche, pour toi, Finette, et un bonnet
de coton à pompon pour ton frère. Nous nous occuperons du
costume ensuite.
Et maman ajouta :
— Autrefois, votre arrière-grand-mère allait traire ses
vaches en costume, avec sa coiffe. Elle se juchait (3) sur un
petit âne gris qui portait les cruches de cuivre de chaque côté,
sur les flancs (4).
— Un âne? s'exclama Guitou. Elle montait sur un âne?...
Un vrai âne comme Pompon?
Maman comprit qu'elle aurait mieux fait de se
taire; mais c'était trop tard.
2. JE DESSINE :
79
Non, maman n'avait pas pensé qu'en parlant de l'âne de
l'arrière-grand-mère une idée viendrait à Guitou.
Quand celui-ci fut seul, avec Finette, il proposa :
— Le jour de la fête, nous grimperons sur le dos de
Pompon. Ainsi, nous aurons l'air de vrais Normands.
— Oh ! protesta Finette. Jamais maman ne voudra.
— Pour la fête de l'école, tout est permis. Tu verras,
maman sera très fière, au contraire.
Le grand jour fut vite là. Naturellement les parents étaient
invités à voir évoluer (1) leurs enfants sur l'estrade. Papa avait
décidé d'accompagner maman.
— Nous finirons de nous habiller seuls, dit Guitou. Partez
les premiers, papa et maman. Il n'y aura peut-être pas de place
pour tout le monde.
80
Maman ne comprit pas pourquoi Guitou était si pressé de
les voir partir. Restés seuls, les deux enfants firent sortir l'âne
du jardin. Puis ils sautèrent sur son dos, Guitou devant, Finette
sur la croupe.
Cependant, sur le trottoir, Pompon hésita. Il regarda ses
sabots. Non, il n'avait pas de patins à roulettes. Alors, il
descendit d'un pas léger la rue des Ouistitis. Il arriva ainsi
devant l'école.
Les portes du gymnase étaient ouvertes. Sans hésiter, il
s’engouffra (2) dans la vaste salle. Aussitôt des dizaines de
voix d'enfants s'écrièrent :
— Un âne!... Un âne!...
Sans se soucier (3) de ces cris, Pompon suivit l'allée
centrale et grimpa sur l'estrade. A ce moment, une maîtresse
mit en marche un tourne-disques. Les flons-flons (4) d'une
valse emplirent le gymnase. Séduit par cette musique, Pompon
se mit à tourner en balançant la tête. Il faisait son numéro.
Dans la salle ce fut du délire (5), les applaudissements
éclatèrent.
2. JE DESSINE :
81
La valse terminée. Pompon continua à se
trémousser (1) sur l'estrade comme s'il attendait un
autre air.
— Ah ! non, dit Guitou. Ton numéro est terminé.
Il eut toutes les peines du monde à le faire
descendre pour le conduire au fond de la salle.
Reste-là et tiens-toi tranquille! dit Finette en
sautant à terre en même temps que son frère.
Pour plus de sécurité, elle attacha le petit âne à un
pilier. Puis, elle courut vers la scène, car c'était à son
tour de danser, le ballet (2) des libellules.
Vraiment, la fête était réussie. Parents et enfants
étaient ravis. Après un dernier disque, une maîtresse
annonça :
- A présent, nous allons distribuer les goûters.
Chacun aura droit à un petit pain au chocolat, un sac de
82
papillotes et une orange. Les paniers sont au fond de la
salle.
83
2. JE DESSINE :
84
toutes sortes d'animaux : des moutons, des chèvres, des porcs,
des lapins, des poules, des pigeons, etc...
Cependant, aujourd'hui, ils éprouvent une grosse
déception (3).
85
(3) Déception : Chagrin de voir que ce qu'on espérait ne s'est pas réalisé.
(4) Fléchir : Finir par céder, par accepter ce qu'on nous demande.
(5) Navrés : Très ennuyés, très tristes.
2. JE DESSINE :
86
Pompon, par exemple, des feuilles de salade, des fanes (1) de
carottes, des épluchures de pommes de terre. Pompon n'est
pas difficile, il mange de tout.
87
1. JE COMPRENDS LES MOTS :
(1 ) Fanes : Les fanes de carottes sont les feuilles vertes des carottes qui se
fanent très vite.
(2) Exposèrent : Ils expliquèrent à maman, en donnant des détails.
(3) Commet : Fait.
2. JE DESSINE :
88
Guitou et Finette n'avaient compté que sur quelques amateurs
(2), une demi-douzaine tout au plus... Il en vint plus de
cinquante.
89
(3) Comestibles : Bons à manger. Qui ne risquent pas d'empoisonner.
(4) Nièce : La nièce du boulanger est la fille du frère ou de la sœur du
boulanger.
(5) Rassis : Qui n'est plus frais. Du pain que le boulanger ne peut plus
vendre parce qu'il a été fait depuis trop longtemps.
2. JE DESSINE :
90
— Euh!... pour le faire aller plus vite.
— Méfie-toi. Tu le sais. Pompon n'aime pas être brutalisé.
91
(4) Désarçonner : Jeter à terre, en parlant d'un cheval ou d'un âne.
2. JE DESSINE :
92
En effet, quelques jours plus tard, le grand-père reparaît
avec sa petite fille. Il dit à Guitou et à Finette :
Quand vous aurez fini de promener tous ces bambins (2),
vous viendrez chez moi... avec Pompon.
— Chez vous?
- Je reste ici à vous attendre, avec Églantine. Le
soir venu, Guitou et Finette, montés sur leur âne,
suivent donc le grand-père. Ils arrivent ainsi dans une cour.
Oh ! Quelle surprise!
— Oui, dit le grand-père, une surprise! Je suis menuisier
de mon état (3). J'ai fabriqué cette charrette anglaise
(4) pour Pompon. Ainsi, le petit âne pourra promener
Églantine et les autres enfants qui n'osent pas encore grimper
sur son dos.
Quelle merveille ! cette charrette anglaise, avec ses vraies
roues en bois, à rayons et gros moyeu (5), ses deux bancs!
Guitou et Finette restent confondus... mais Églantine, elle, a le
sourire.
2. JE DESSINE
93
La charrette anglaise mit tous les enfants du quartier en
joie. Il en vint même de partout. La nouvelle se répandit comme
une traînée de poudre qu'un petit âne gris promenait les
écoliers dans une charrette, les jours de congé.
Jamais, Pompon ne fut aussi bien nourri. On lui apportait
de tout... et il mangeait tout. On ne voyait plus ses côtes
comme auparavant. Il prenait même de l'embonpoint (1).
Hélas! c'était trop beau pour durer. Après un mois de
janvier très clément (2), le temps se remit au froid, à l'humidité,
à la neige, au brouillard.
Finies les sorties dans le jardin public ! Pompon fut de
nouveau condamné à tourner en rond dans son étroit jardin
pour se réchauffer,
94
— Pompon s'ennuie, dit Finette à son frère.
Comment le distraire?
Bah ! répondit Guitou, le beau temps reviendra. Or,
un matin qu'ils s'étaient levés tard parce que c'était jour de
congé, Guitou et Finette constatèrent que le petit âne n'était
pas dans le jardin.
— II dort peut-être encore, dit Finette. Montons au
grenier. Pompon n'était pas non plus là-haut.
— Oh! regarde. Finette, s'écria soudain Guitou. Il a fait un
trou dans la palissade. Il s'est sauvé.
Ils parcoururent la rue d'un bout à l'autre, descendirent
jusqu'au carrefour qu'il avait traversé avec ses patins. Pas de
petit âne !
— Je parie, dit Finette, qu'il est retourné au jardin public. Il
connaît le chemin par cœur.
Le frère et la sœur coururent jusque là. Pas de Pompon
dans le parc, où le verglas (3) avait rendu les allées glissantes.
— Rentrons vite prévenir papa, dit Finette.
2 . JE DESSINE :
95
Ils allaient sortir du jardin public quand Guitou crut
entendre un drôle de bruit derrière une haie de troènes (1). Il
contourna cette haie et découvrit le petit âne étendu au pied
des feuillages.
— Pompon! Que fais-tu là? Pourquoi restes-tu
couché sur la terre glacée?
— Il a l'air malade, dit Finette. Il a pris froid.
D'une voix douce, Finette l'encouragea à se lever.
Pompon ne bougea pas. Cependant, au bout de quelques
instants, pour faire plaisir à ses maîtres, Pompon fit un effort. Il
ne réussit qu'à lever son arrière-train (2).
- Oh! regarde, Guitou, s'écria Finette, une de ses pattes de
devant est enflée, celle de droite. Il ne peut pas s'appuyer
dessus. Il a dû glisser sur le verglas. Pauvre Pompon!
- Va vite chercher papa, dit Guitou. Moi, je reste auprès de
lui.
96
Papa abandonna ses pinceaux et accourut. Il tâta la patte
blessée. Le petit âne poussa un cri de douleur.
- Probablement une fracture (3), dit papa. Restez là, mes
enfants, je vais téléphoner à un vétérinaire.
Papa repartit en courant. Il resta longtemps absent... si
longtemps que Finette crut que son père, lui aussi avait glissé
sur le verglas.
Enfin, il reparut en annonçant :
- Les deux premiers vétérinaires avec lesquels j'ai pris
contact (4) ne consentent pas à se déplacer. Ce sont des
vétérinaires de ville. Ils ne soignent que les chiens, les chats et
autres petits animaux.
- Alors, s'inquiéta Guitou, qu'allons-nous faire? —
Heureusement, le troisième, a naguère (5) travaillé à la
campagne, il va arriver.
- Tu crois, papa, demanda Finette qu'il faudra couper la
patte de Pompon?
Papa ne répondit pas et Finette sortit son mouchoir pour
essuyer une larme.
97
Enfin, voici le vétérinaire. Il se penche sur Pompon et
examine la patte blessée.
- Non, dit-il, pas de fracture ouverte, une fêlure du
métacarpe (1).
- C'est plus grave? demande Finette.
- Au contraire... mais tout de même sérieux. Pour
commencer, il faudrait transporter ce petit âne, bien au
chaud, dans son écurie.
- Il n'a pas d'écurie, dit Guitou. Il couche dans le grenier de
la maison.
- Dans le grenier! Comment le hisser là-haut? Malgré sa
petite taille, il pèse au moins deux cents kilos. Tous
réfléchissent. Soudain, Guitou s'exclame :
98
- Écoutez! De l'autre côté du jardin, des ouvriers sont en
train de creuser la terre pour construire une maison. Vous
entendez ronfler leur bulldozer?... Si on leur demandait de
transporter Pompon avec leur engin ?
- Excellente idée ! approuve le vétérinaire.
Quelques instants plus tard, le bulldozer est là.
- Attendez, dit le vétérinaire. Avant de déposer l'âne dans
la benne (2), je vais lui placer des attelles pour qu'il ne souffre
pas pendant le transport.
- Des attelles? demande Finette; qu'est-ce que c'est?
— Tu vas voir.
Le vétérinaire coupe deux solides branches de troènes. Il
les place de chaque côté de la partie blessée et les fixe
solidement avec des bouts de corde. Ainsi la patte est
parfaitement immobilisée.
Ensuite, les deux ouvriers, papa et le vétérinaire soulèvent
délicatement Pompon pour le placer dans la large pelle... Et
voilà le petit âne soulevé dans les airs. Guitou et Finette ne
peuvent s'empêcher de rire. Pompon a l'air si drôle, dans la
benne. Peut-être se croit-il dans un ascenseur?
99
L'énorme bulldozer vient de déposer Pompon à l'entrée de
son grenier. Le petit âne paraît soulagé de se retrouver chez
lui. Il cesse de grelotter.
— Qu'allez-vous lui faire, à présent ? demande
Guitou au vétérinaire.
— Je vais repartir chez moi chercher le nécessaire, c'est-
à-dire du plâtre, de la toile et une scie.
En entendant parler de scie, Finette sent son cœur battre
à grands coups.
— Oh! Vous allez lui couper la patte?
— Non, ma petite. On ne coupe jamais la patte
d'un cheval ou d'un âne. Quand la blessure est trop grave, il
faut abattre l'animal.
100
— Vous... vous voulez dire qu'on le tue?
— Hélas! Il faut s'y résigner (1)... mais ce n'est pas le
cas de votre Pompon. A mon retour, je vais lui fabriquer un
plâtre qui immobilisera la patte plus sérieusement que
ces bouts de bois provisoires (2).
Une demi-heure plus tard, le vétérinaire est de retour. Il
réclame de l'eau pour diluer (3) le plâtre. Il fabrique une sorte
de bouillie qu'il colle autour de la patte blessée. Pour faire
adhérer (4) ce plâtre, il se sert d'une bande de toile. Puis,
l'opération terminée, il coupe les bouts qui dépassent avec sa
scie.
- Voilà, dit-il, c'est fait. Dans deux heures le plâtre aura
pris. Il sera dur comme de la pierre.
Et Pompon pourra se lever?
- II tiendra debout, mais qu'il ne quitte pas son grenier. Je
reviendrai dans trois semaines lui enlever cette gaine (5).
- Dans trois semaines! soupire Finette. Pas avant? Oh!
qu'il va s'ennuyer!...
2. JE DESSINE :
101
Les premiers jours, Pompon resta sagement couché sur
sa litière. Il regardait son plâtre obstinément (1) avec l'air de se
dire :
— Qu'est-ce que j'ai à la patte ? Pourquoi est-
elle si lourde?
Enfin, il se décida à se lever et constata qu'il ne souffrait
pas. Du coup, il redevint tout guilleret (2).
Par exemple, il ne comprit pas pourquoi on le maintenait
enfermé. Il voulait sortir. Il frotta sa tête contre la porte du
grenier pour soulever le loquet (3).
— Non, Pompon, pas encore, dirent Guitou et
Finette. Attends la permission du vétérinaire.
Il arriva alors une chose curieuse. Ainsi cloîtré (4), le petit
âne prit l'habitude de dormir pendant le jour et de rester éveillé
la nuit.
102
Le soir venu, il quittait sa litière et déambulait (5) dans le
grenier. Les premières fois, il se contenta de marcher à petits
pas sans faire trop de bruit mais bientôt il s'énerva. Dans leur
chambre, Guitou et Finette entendaient de sourds
martèlements (6) au-dessus d'eux.
Les enfants se gardèrent bien de dire à papa et à maman
que le petit âne les empêchait de dormir. Mais une nuit.
Pompon se livra à une telle sarabande (7) que la maison
sembla s'effondrer... Et il poussa de si tonitruants (8) hi-hans
que tout le quartier fut ameuté.
Le lendemain, les voisins affluèrent.
- Si ce vacarme se reproduit la nuit prochaine, dit un
grincheux, je me plaindrai à la police.
Moi, dit une femme, j'avertirai le propriétaire de cette
maison. Il vous fera déguerpir (9) avec votre bourricot.
Finette et Guitou comprirent que ce remue-ménage de
Pompon ne pouvait pas durer. Il fallait trouver une solution...
mais laquelle?
2. JE DESSINE :
103
Toute la journée, Guitou et Finette se demandèrent
comment empêcher Pompon de s'agiter la nuit et surtout de
braire. Maman proposa une solution.
— Ce soir, on devrait lui administrer (1) un somnifère (2).
— D'accord, approuva papa, mais comment lui faire
avaler le comprimé ?. D'ailleurs, un seul comprimé
suffirait-il ?
Et il ajouta :
— Rassurez-vous, le ciel est en train de se découvrir.
Tout à l'heure, la lune se montrera. Pompon passera son
temps à la regarder, par le vasistas.
Guitou et Finette se couchèrent inquiets. Tout d'abord, au
début de la nuit, Pompon se tint tranquille. Il devait contempler
la lune. Puis les enfants l'entendirent aller et venir, au-dessus
d'eux. Finalement, le petit âne recommença sa sarabande en
poussant des hi-hans à faire trembler les vitres.
104
— Levons-nous vite, dit Guitou et montons sans
bruit au grenier.
Ils jetèrent leur manteau sur leurs épaules et grimpèrent
sous les combles. Ravi de voir ses petits maîtres, Pompon se
calma un peu... mais pas pour longtemps. Ayant dormi tout le
jour, il avait de l'énergie (3) à dépenser.
Pour l'apaiser, Finette se mit alors à chanter. Elle avait une
jolie petite voix. Pompon fut charmé. Cependant Finette ne
pouvait pas passer toute sa nuit à fredonner (4) des chansons.
Elle tombait de sommeil.
Guitou chanta à son tour... mais lui aussi avait envie de
dormir. Soudain, il posa la main sur le bras de sa sœur.
— Encore une idée, Finette!
Il descendit dans la maison et revint avec le transistor qu'il
avait eu pour Noël. Il tourna le bouton. L'effet fut immédiat. Le
petit âne tendit les oreilles pour mieux écouter. Puis, bercé par
la musique, il se recoucha et s'endormit.
— Redescendons sans bruit, dit Guitou. Nous aussi, nous
allons passer une bonne nuit.
2. JE DESSINE :
105
Enfin, les trois semaines sont écoulées (1 ). Un matin, en
rentrant de l'école, Guitou et Finette sont tout surpris
d'apercevoir Pompon dans le jardin. Sa patte avant-droite ne
porte plus de plâtre.
- Oui, explique maman, le vétérinaire est revenu pendant
votre absence. Il a coupé le plâtre avec sa scie.
- Il a dit que Pompon était guéri?
- Presque. Pompon peut se promener à sa guise...
Cependant, il ne lui est encore pas permis de porter quelqu'un
sur son dos ou de traîner la charrette anglaise.
— Quand pourra-t-il retourner dans le jardin
public?
— Pas avant quinze jours, quand sa patte sera
consolidée (2).
106
Et maman ajoute :
- De toute façon, le temps est si maussade (3) que le parc
est désert.
Peu importe. Pompon est guéri. Fous de joie, Guitou et
Finette l'embrassent sur le front. Mais pourquoi maman n'est-
elle pas aussi joyeuse qu'eux?
- Qu'as-tu maman ? demande Finette. Tu n'es
pas contente de voir Pompon dans le jardin ? Maman pousse
un soupir.
Hélas! mes enfants. Votre papa et moi, nous avons
beaucoup de soucis en ce moment. Il a fallu payer le
vétérinaire... et puis Pompon a épuisé sa nourriture. Nous
devrons de nouveau lui acheter du fourrage, en attendant que
vos camarades lui apportent de quoi manger.
- Oh! demande vivement Guitou, nous ne serons pas
obligés de le vendre?
- Justement, répond maman, ce matin un chiffonnier est
passé, avec sa voiture à bras (4). Il a remarqué Pompon dans
le jardin. Il a demandé s'il était à vendre. Je lui ai dit : non...
Mais il repassera dans quelques jours,
2. JE DESSINNE
107
Depuis le jour où maman a parlé du chiffonnier, Guitou et
Finette vivent dans la terreur (1) de voir reparaître l'homme à la
voiture à bras.
Chaque midi et chaque soir, ils rentrent vite de l'école pour
s'assurer que Pompon est toujours dans le jardin. Maman voit
bien qu'ils sont inquiets, mais elle ne dit rien. Elle explique
seulement :
— Bien sûr, vous auriez beaucoup de chagrin... Moi
aussi. Mais les toiles de papa ne se vendent pas très bien. J'ai
du mal à joindre les deux bouts.
— Qu'est-ce que cela veut dire : « joindre les deux bouts»
demande Finette.
— Que nous manquons d'argent, à la fin du mois.
Guitou et Finette proposent à maman de vider leurs tirelires
mais ils ne sont pas riches, eux non plus.
108
Or, un matin de congé, le frère et la sœur jouent dans la
rue quand ils aperçoivent le chiffonnier, avec sa barbe noire,
ses cheveux en broussaille (2). Maman est sortie faire des
provisions. Une idée vient à Finette.
— Si on disait que Pompon est déjà vendu?
— Non, répond Guitou, ce serait un mensonge.
— Alors, expliquons que Pompon s'est blessé, qu'il
n'a pas la patte solide. Ce n'est pas mentir, n'est-ce pas?
Le chiffonnier s'est arrêté pour souffler. Guitou et Finette
s'approchent, avec crainte. Cet homme barbu leur fait peur.
Vous... vous venez acheter Pompon ? bredouille (3) Guitou. Il
n'est pas à vendre.
L'homme sourit.
— Je sais, dit-il. Je viens de rencontrer votre
maman. Elle m'a dit que ses enfants y tenaient trop... et elle
aussi. Tant pis! Je continuerai de pousser ma charrette à bras.
Tandis que le chiffonnier se remet en route, Guitou et
Finette poussent un soupir de soulagement.
2. JE DESSINE :
109
Ainsi, pour faire plaisir à ses enfants, maman avait
définitivement renoncé à se séparer de Pompon. Elle ne se
doutait pas que le petit âne allait la remercier, à sa façon.
Comment aurait-elle pu penser que Pompon lui permettrait de
joindre les deux bouts comme elle disait?
En effet, après chaque séance de travail, papa rangeait
soigneusement son attirail (1) de peintre dans le grenier. Il
n'oubliait pas qu'un jour Pompon avait failli s'empoisonner en
dégustant (2) la peinture déposée sur la palette.
Or, un soir, papa omit (3) de mettre à l'abri la toile qu'il
était en train de peindre. Le tableau représentait une vue de la
rue des Ouistitis avec ses hauts immeubles.
110
Quelle surprise, le matin, pour les enfants, en montant
chercher le petit âne dans le grenier! Pompon n'avait pas
seulement passé sa nuit à écouter le transistor. Il avait aussi
promené sa langue de long en large sur la grande toile.
Du coup, la peinture avait changé d'aspect. Les traînées
de peinture produisaient un curieux effet de brouillard. Trouvant
cet effet très drôle, Guitou et Finette appelèrent leurs parents.
— Venez vite voir!...
Papa fut un peu choqué (4) de voir sa toile ainsi
transformée mais maman trouva le tableau mirobolant (5).
— Surtout, recommanda-t-elle à papa, n'y touche
plus. Laisse-le tel qu'il est.
— Oh! oui, papa, approuva Guitou, emporte-le à la
galerie. Papa hocha la tête, sceptique (6). Il reconnut
cependant
que ces teintes fondues donnaient à son œuvre une
certaine originalité (7).
D'accord, dit-il, dès qu'il sera sec je l'emporterai. Après
tout, il se vendra peut-être aussi bien qu'un autre.
2 JE DESSINE :
111
Sitôt la toile sèche, papa l'a emportée à la galerie d'art. Il y
a quatre jours de cela. Depuis, papa n'est pas retourné en ville.
Il ne sait rien du fameux tableau retouché (1) par Pompon.
Or, aujourd'hui, à midi, pendant que toute la famille est à
table la sonnerie du téléphone grésille (2). Papa se précipite
vers l'appareil et demande qui l'appelle.
Guitou, Finette et maman écoutent. Ils comprennent que
c'est le directeur de la galerie qui demande à papa de venir le
voir.
- C'est urgent ? demande papa... Bien, je passerai
à la galerie au début de l'après-midi.
- Qu'arrive-t-il? demande maman, quand papa a reposé
l'appareil.
112
— Si cela pouvait être vrai.
Tout l'après-midi, Guitou et Finette s'interrogent. Ils ont
hâte de rentrer de l'école. Quand ils arrivent à la maison, papa
n'est pas encore de retour.
Mais tout à coup, vers six heures, Guitou reconnaît
le ronflement de « Gertrude », dans la rue des Ouistitis. C'est
lui ! C'est papa !
Ils se précipitent. A peine descendu de voiture, papa
s'écrie :
— Une bonne nouvelle! mes enfants. Le tableau
retouché par Pompon a séduit (3) un amateur. Il me l'a acheté,
un très bon prix... autant que toutes mes autres toiles
réunies. Il a même dit que c'était un chef-d'œuvre (4).
— Et tu lui as raconté, demande Guitou, que c'est
Pompon qui l'a achevé? (5).
Non, mais Pompon m'a fait comprendre ce qui manquait
à ma peinture. Grâce à lui, je vais connaître le succès.
2. JE DESSINE
113
Papa a suivi la leçon de Pompon. A présent, il peint des
toiles plus floues (1) qui produisent un effet mystérieux (2). Ses
nouveaux tableaux sont très appréciés (3). Ils ne restent pas
longtemps en vitrine à la galerie. Les amateurs se les disputent
et les paient un bon prix.
Moins que jamais, il n'est question de se séparer de
Pompon. D'ailleurs, le petit âne est complètement guéri. Il ne
boite plus du tout... et il est très impatient de retourner au jardin
public.
Au premier jour de beau temps. Finette et Guitou l'attellent
de nouveau à la charrette anglaise et le conduisent dans le
parc. Il y retrouve les enfants qu'il promenait le mois précédent.
Il reconnaît leurs petites frimousses (4) rosés.
114
Cependant il regarde avec étonnement les quelques
arbres du jardin. Il y découvre des bourgeons... les premiers
bourgeons de la saison nouvelle.
Tiens tiens! se dit-il, dans sa tête de petit âne, est-ce que
ce serait bientôt le printemps?
L'herbe des pelouses est plus verte. Oh! qu'il ferait bon la
brouter! Hélas! le gardien du jardin veille. Il est terrible ce
gardien. Comme si l'herbe n'était pas faite pour être mangée.
Pour tout dire, malgré sa joie, Pompon éprouve une sorte
de nostalgie (5). Il en a assez de la ville. Toujours marcher sur
du goudron, du bitume (6) ou des pavés! Pompon voudrait
retourner dans le pays où il est né. Finette le comprend. Elle
aussi regrette la campagne.
Bientôt nous repartirons, lui glisse-t-elle à l'oreille. Tu
retrouveras ton grand pré couvert de pâquerettes et tu pourras
t'y rouler à ton aise.
Pompon devine ce que lui dit sa petite maîtresse. Pour la
remercier, il penche la tête et Finette l'embrasse sur l'étoile
blanche de son front.
2. JE DESSINE :
115
La vie était redevenue heureuse à la maison de la rue des
Ouistitis. Papa sifflait de nouveau en peignant. Maman
chantonnait en essuyant sa vaisselle. Quant à Pompon, depuis
qu'il prenait l'air toute la journée dans le jardin, il n'avait plus
besoin de transistor, la nuit, pour dormir.
Guitou et Finette travaillaient bien à l'école. L'unique
marronnier de la cour y laissait éclore (1) ses bourgeons. Le
jardin public connaissait une affluence(2) record.
Oui, le printemps approchait. Cette arrivée de la belle
saison se voyait à peine, mais on la devinait. Guitou et Finette
pensaient à toutes les fleurs qui allaient envahir la campagne.
Ils avaient hâte de retourner chez eux.
— Avant de partir, dit maman, j'aimerais faire quelques
achats en ville. J'aurais besoin de tissu pour te couper une
robe. Finette, et de drap pour un nouveau costume, Guitou.
116
Elle demanda à papa :
Voudrais-tu nous conduire en auto vers les grands
magasins du centre. Demain est jour de congé pour les
enfants. Nous les emmènerions.
D'accord ! approuva papa. J'en profiterai pour faire ma
provision de toiles et de couleurs.
Hélas! le lendemain, au moment de partir, Gertrude refusa
obstinément (3) de démarrer. Sa batterie d'accumulateurs avait
rendu l'âme (4). Mais papa ne s'embarrassa pas pour si peu.
Tant pis, dit-il. Attelons Pompon à la charrette anglaise.
Ce sera plus agréable que de prendre l'autobus.
Pompon, lui, ne refusa pas de démarrer. Il avait de
l'énergie à revendre depuis qu'on lui donnait de l'avoine.
Papa et maman grimpèrent sur le siège avant. Les enfants
s'installèrent à l'arrière. Et, fouette cocher! En route pour le
centre de la ville.
2. JE DESSINE :
117
Quelle foule grouillante (1 ) dans le centre de la ville !
Pompon en était affolé. Jamais de sa vie de petit âne, il n'avait
vu autant de piétons sur les trottoirs, autant d'autos dans les
rues.
— Nous avons mal choisi notre jour, dit maman.
C'est la période des soldes (2). Où garer Pompon?
— Bah ! répondit papa, j'en fais mon affaire. Tiens ! Voici
justement une voiture qui quitte son stationnement.
Docilement, Pompon se laissa conduire à la place de
l'auto qui venait de démarrer. Papa l'attacha au montant du
parcmètre (3) et glissa une pièce dans la fente de l'appareil. La
pièce était à peine tombée dans l'espèce de tirelire que surgit
(4) un agent.
Vous n'avez pas le droit de stationner ici, dit-il. Ce bord de
trottoir est réservé aux véhicules (5).
118
Mais, protesta papa, cette charrette est un véhicule.
Pardon, trancha l'agent, aux véhicules à moteur et non
aux véhicules à crottin.
— Ce n'est écrit nulle part, dit papa. Pour toute réponse,
l'agent donna un coup de sifflet.
— Circulez!... Circulez!... Papa ne l'entendait pas ainsi.
Dans ces conditions, rendez-moi la pièce que je viens de
glisser dans la fente du parcmètre.
Impossible, répondit l'agent. Je n'ai pas la clef pour
l'ouvrir. Circulez ! Circulez !...
Papa s'énerva. Il voulait d'abord récupérer (6) sa pièce.
On verrait ensuite. Un attroupement s'était formé pour écouter
la discussion. Maman était gênée comme si elle se trouvait en
défaut. Finalement, un passant déclara :
Pourquoi cette charrette ne se garerait-elle pas dans le
parking souterrain? Il y a toujours de la place.
— Oh ! oui, approuva maman. Au moins, nous
serons tranquilles.
2. JE DESSINE :
119
— Où est-il, ce parking souterrain ? demande papa.
— Là-bas, dit le passant, sous la place de la poste. D'ici
on aperçoit l'entrée.
Maman et Finette descendent de voiture. Guitou, lui, reste
avec son père. Tous deux conduisent le petit âne vers le
parking. Mais, à l'entrée du grand trou noir, Pompon se montre
rétif (1). Il refuse d'avancer. Cette demi-obscurité l'effraie. Les
mauvaises odeurs lui chatouillent désagréablement les narines.
Le gardien qui distribue les tickets s'impatiente :
— Eh bien ! Allez-vous vous décider à entrer, oui ou non?
Papa est obligé de descendre de la charrette pour tirer
Pompon par la bride. Le petit âne finit par obéir.
Cependant, la descente est raide. Pompon glisse sur ses
fers.
120
— Serre le frein de la charrette! crie papa à Guitou. Hélas!
le premier sous-sol est plein d'autos. Pas une place
libre! Il faut descendre au second. Pompon n'est pas rassuré.
Oh ! non, pas du tout.
Enfin, Guitou découvre un endroit où placer le petit âne...
et un pilier pour l'attacher. Pauvre Pompon ! Il a l'air bien
malheureux. Il secoue ses oreilles comme si cela pouvait
chasser les mauvaises odeurs d'essence, d'huile et de gaz-oil
(2) qui emplissent ce sous-sol.
Au moment où Guitou et papa vont le quitter, il pousse un
hi-han de détresse (3) qui a l'air de dire :
— Si j'avais su qu'on m'abandonne dans ce trou, je ne
me serais pas laissé atteler.
Pour le calmer, Guitou lui donne une tape amicale sur le
cou et l'embrasse au front.
— Remontons vite papa ! et dépêchons-nous de faire nos
commissions, je ne suis pas tranquille pour Pompon.
2. JE DESSINE :
121
Papa est parti chez son marchand de couleurs et à la
galerie où il expose ses tableaux. Maman a emmené Guitou et
Finette dans un grand magasin. Que de tentations!... pas
seulement pour maman mais pour les enfants.
Finette contemple les poupées du rayon des jouets.
Guitou regarde un train électrique.
- C'est fou comme le temps passe vite dans un grand
magasin ! Enfin, au bout de trois heures qui ont dû paraître
interminables, à Pompon, la famille se retrouve devant le
parking souterrain.
— Dépêchons-nous, dit Guitou, inquiet.
Le premier, il arrive au deuxième sous-sol. Il pousse un
cri.
— Oh ! Pompon.
122
Le petit âne gris gît (1), effondré, entre les brancards de la
charrette. On le dirait mort. Finette fond en larmes. Guitou et
papa se précipitent pour le relever. Peine perdue. Pompon ne
réagit pas.
— J'aurais dû m'en douter, dit papa navré (2). Cet air
pollué (3) l'a asphyxié. Je vais prévenir le gardien. Il
demandera du secours.
Un quart d'heure plus tard, les pompiers arrivent sur la
place :
— Pin-Pon... Pin-Pon!...
Une voiture rouge de première urgence (4) descend dans
le parking. Deux pompiers essaient de faire respirer de
l'oxygène au petit âne. Hélas, celui-ci reste inerte (5).
Alors, un des pompiers court téléphoner pour réclamer
une voiture de dépannage. Celle-ci arrive aussitôt. Pompon est
accroché par les pattes au crochet d'une grue. Pauvre Pompon,
il fait pitié, la tête en bas. Mais aussitôt dehors, au grand air, il
pousse deux hi-hans formidables qui ameutent les passants. A
peine détaché de la grue, il se remet sur ses quatre pattes.
Guitou et Finette poussent un soupir de soulagement. Ah ! on
s'en souviendra du voyage en ville et du parking souterrain !,..
2. JE DESSINE
123
Le printemps est arrivé, mais c'est à peine si, en ville, on
s'en aperçoit. Seul, le jardin public s'est revêtu d'une parure (1)
nouvelle.
Pour Pompon, c'est sa dernière sortie dans le parc.
Demain, on repartira à la campagne. Pour ce dernier jour, tous
les enfants du quartier sont venus lui dire adieu. Ils ont le cœur
gros. Pompon va leur manquer. On dirait que le petit âne le
devine. Pour leur faire plaisir, il en supporte trois, quatre sur
son dos et deux fois plus dans la charrette.
Il se dévoue (2) tant, qu'il transpire. Il se rafraîchirait
volontiers en happant quelques bonnes touffes d'herbe, sur la
pelouse.
Pourquoi le gardien lui défend-il d'y goûter? Ce doit être
un méchant homme qui n'aime pas les animaux.
124
Mais, justement le gardien, surpris par ces premières
chaleurs, s'est étendu de tout son long sur le gazon. Il dort, sa
casquette dorée à côté de lui.
Pompon a-t-il compris qu'il ne risquait pas d'être grondé? Il
quitte l'allée et s'avance sur la pelouse vert tendre.
— Laissons-le faire, dit Finette, puisque le gardien ne le
verra pas.
Le petit âne se régale. Il happe les plus belles touffes.
Mais comme par hasard, ces plus belles touffes se trouvent du
côté du gardien. Lentement, Pompon se rapproche de l'homme
endormi. Guitou et Finette n'osent pas s'avancer pour
l'empêcher d'aller plus loin.
Finalement, Pompon arrive tout près du gardien... et de sa
casquette galonnée. Soudain, il happe la casquette, la déchire
entre ses dents... et l'avale.
Cela s'est passé si vite que ni Guitou ni Finette n'ont eu le
temps d'intervenir (3).
- Sauvons-nous! dit Finette, affolée. Si le gardien s'éveille
nous sommes perdus!...
2. JE DESSINE :
125
Papa et maman se sont levés de bonne heure pour
préparer les bagages... Guitou et Finette également. Tous sont
radieux (1 ), même Pompon.
Le voyage a été ainsi organisé. Papa emportera valises,
sacs et colis dans la cinq-chevaux qu'il conduira. Maman et les
deux enfants partiront dans la charrette anglaise traînée par
Pompon.
— Quelle chance I s'écrie Finette, ce soir nous
allons coucher sous la tente.
En effet, le petit âne ne peut pas effectuer d'une seule
traite les cent kilomètres qui séparent la ville de Favantines. On
fera une halte et on couchera à la belle étoile. C'est
merveilleux!
Guitou et Finette se chamaillent (2) un peu. Qui conduira
Pompon ?
— Moi, dit Guitou, je suis le plus grand.
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— Tous les deux, chacun à votre tour, rectifie
maman.
Pour ce grand départ, tous les enfants du quartier se sont
réunis dans la rue des Ouistitis. Finette et Guitou sont un peu
tristes de les laisser mais, c'est promis, papa reviendra l'an
prochain puisque ses tableaux se vendent si bien, à présent...
Et puis, certains petits citadins iront faire un tour à Favantines,
cet été.
Cette fois, Gertrude ne refuse pas de démarrer. Papa part
le premier, avec son monceau (3) de bagages. Il allumera un
grand feu en arrivant pour chasser l'humidité de l'hiver dans la
maison.
Au tour de Pompon à présent.
Hue Pompon !...
Le petit âne refuse de tirer la charrette. Il tourne sans
cesse la tête vers la maison. Aurait-il du regret de partir? Hue!
Pompon !
Rien à faire... Mais tout à coup, Finette s'écrie :
•Oh! je comprends! Nous avons oublié Mizou, mon
petit chat.
Elle court chercher Mizou et l'installe sur ses genoux.
Cette fois. Pompon n'hésite pas. Il démarre en flèche, Adieu la
ville! Vive la campagne!...
2 JE DESSINE :
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