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Didier Lacapelle - La Conscience Le Verbe Et Le Monde
Didier Lacapelle - La Conscience Le Verbe Et Le Monde
le Verbe et le Monde
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SOMMAIRE
Introduction ............................................................................................................... 4
De la gnose .............................................................................................................. 13
Du matérialisme ...................................................................................................... 35
Du langage............................................................................................................... 44
De la morale ............................................................................................................ 60
Des garanties ........................................................................................................... 74
De la démocratie...................................................................................................... 89
Conclusion............................................................................................................. 106
Annexe : La phénoménologie d’Henry ................................................................. 117
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Introduction
Deux questions taraudent l’homme sans qu’il puisse y apporter de réponse
satisfaisante. La première est celle de la cause : « Pourquoi sommes-nous sur
Terre ? ». Elle est du même ordre que « Pourquoi avons-nous deux jambes ? ». La
seconde est celle du but : « Pour quoi sommes-nous sur Terre ? ». Elle est du
même ordre que « Pour quoi avons-nous des jambes ? »
Les réponses semblent logiques : nous avons des jambes parce que les êtres
humains ont un code génétique qui fait pousser des jambes aux bébés, et nous
avons des jambes pour marcher. Mais dans un développement plus avant nous
pouvons nous demander pourquoi notre code génétique nous programme ainsi, et
pour quoi nous marchons. Dans une poursuite du questionnement à l’infini, nous
ne parviendrions jamais à la cause première et au but ultime. C’est le vague
soupçon qu’ils ne connaissent pas la réponse qui produit un sentiment d’embarras
chez les parents quand les enfants demandent « pourquoi » et « pour quoi faire ? ».
Pourquoi faisons-nous des enfants puisqu’ils vont mourir ? Pourquoi
poursuivons-nous des objectifs puisque nous aussi allons mourir ? Pourquoi
poursuivons-nous ces objectifs puisque sitôt ceux-ci atteints, il nous en faut de
nouveaux ?
La bonne réponse peut faire sourire, mais il y a peu de gens qui y
parviennent consciemment : il n’y a pas de cause ou de but sans préjugé ou pétition
de principe. Pour des raisons pratiques, on exprime la causalité ou le but sous la
forme d’une chaîne d’événements réduite à quelques maillons. Ceci donne lieu à
une contraction du champ des représentations. Mais le plus souvent, l’homme n’a
pas conscience de cette contraction et du caractère conditionnel de l’expression de
la causalité et du but. Il peut gâcher beaucoup d’énergie à rechercher la cause
première et le but ultime. On dit parfois qu’il est prisonnier d’une conception
finaliste de l’univers, ou encore d’une conception linéaire du temps, avec un début
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et une fin. Nous pourrions en avoir l’intuition en constatant simplement que l’idée
d’un univers ayant un début et une fin est profondément insatisfaisante. Car nous
voudrions toujours savoir ce qui se trouve avant le début et après la fin.
Une fois que l’on aura perçu l’imitation par le discours comme étant une
règle de fonctionnement de l’humanité, il n’est plus possible de surestimer
l’intelligence collective. L’homme met sa confiance dans la parole de gens ayant
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autorité pour s’exprimer. Pour certains, il suffit d’un discours simple et d’un
caractère fort. Pour d’autres, c’est la complexité du langage et le prestige
intellectuel qui les fascineront. Mais sur le fond, il n’y a pas de différence entre
ceux qui croient ce que dit la télévision, et ceux qui croient ce que dit un
intellectuel de référence. Les êtres humains sont enclins à croire absolument tout ce
qu’on leur dit, du moment que cela soit dit par des gens nombreux, importants ou
ayant l’air compétent. Ils prennent des hypothèses ou des rumeurs pour des faits,
ne vérifient rien par eux-mêmes, et adorent parader avec un savoir d’emprunt.
Le chercheur verra que des individus peuvent obtenir des positions de
prestige avec un discours incompréhensible, dépourvu de cohérence et de sens,
mais avec l'apparence de la science. Il se demandera comment cela est possible, et
quelles sont les motivations de ces personnages qui passent leur vie à écrire faux.
Car la production est impressionnante. Parfois des dizaines de milliers de pages
pour un seul auteur !
Pour chacun d’entre nous, les idées qui nous traversent l’esprit ne sont pas
toujours très justes, influencés que nous sommes par les idées à la mode, le dernier
qui a parlé et nos propres élucubrations. Et il n’est pas du tout facile d’en faire le
tri.
Souvent nous avons de bonnes intuitions mais ne les développons pas, parce
que les influences extérieures sont plus puissantes. Ainsi l'information vue à la
télévision est analysée comme vraie, tandis que nous rejetons nos propres
observations. Beaucoup de gens peuvent vivre toute leur vie avec une
incongruence entre ce qu’ils perçoivent vraiment, et la manière dont ils vont
interpréter le monde. D’autres vivent très mal cette incongruence, mais ne
l’interrogent pas de manière intellectuelle. Ils supposent que c’est d’eux que vient
le problème puisque l'information reçue par ailleurs n'est pas remise en question.
D’autres encore prennent toutes les idées qui leur passent par la tête, et ne se
préoccupent jamais de les tester. Ce sont les intellectuels.
La plupart des êtres humains ont une certaine capacité à conceptualiser. Cela
permet d’utiliser le langage pour faire passer des notions complexes. Tout le
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problème vient de ce que nous croyons que tout le monde comprend une notion
comme nous la comprenons. Mais ce n’est pas le cas.
Un intellectuel est un individu capable de conceptualiser sans se référer à
une expérience sensible. C’est fondamentalement un psychotique qui s’ignore. Ou
alors un individu très influençable. Le raisonnement se suffit à lui-même. La
« critique de la raison pure » de Kant consiste d’ailleurs à demander à la
métaphysique de s’intéresser un peu aux faits. Les théories intellectuelles se
fondent ainsi le plus souvent sur des affirmations non démontrées. C’est toute
l’histoire de la pensée humaine, des religions aux sciences humaines.
La première question est celle de l’objet qui porte la valeur. Dans les
théories classiques, il s’agit du bien lui-même. On a donc dit que l’argent était un
voile sur les échanges, et que les éventuels déséquilibres de la quantité de monnaie
et de biens circulants débouchaient sur une perte de valeur de la monnaie, appelée
inflation. Puis l’argent en circulation est devenu la contrepartie d’un dépôt d’or
dans les établissements bancaires. Au départ, l’or était un bien comme un autre.
Puis il est apparu que la monnaie circulante n’était la contrepartie que du seul or.
Enfin on a affirmé qu’une des fonctions de la monnaie était de servir d’étalon de
valeur. Ainsi trois théories inconciliables cohabitaient : l’une disait que c’était la
monnaie qui avait de la valeur, une autre que c’était l’or, une troisième que
c’étaient les biens qui en avaient. Dans un troisième temps, l’émission monétaire a
été déconnectée des quantités d’or détenues par les banques. Les partisans de
l’étalon-or disaient que la monnaie ne valait désormais plus rien. Les partisans de
la valeur travail – liée au bien lui-même - disaient qu’il fallait bien adapter la
quantité de monnaie à l’explosion de la production. Mais il est resté un résidu de la
croyance en l’étalon-or avec la constitution de réserves obligatoires pour garantir la
confiance.
L'existence de cette fameuse valeur était déjà très difficile à croire avec
autant d'étalons différents. Mais en réalité, la seule existence d’un étalon suffit à
prouver que la valeur en soi n’existe pas. Un étalon est la conséquence de la
nécessité d’un point fixe pour réaliser les mesures. Ce point fixe arbitraire est à la
valeur ce que le choix d’une origine est au référentiel spatial dans la théorie de la
relativité. La valeur possède une grande similarité avec les coordonnées du
référentiel spatial. Elle est donc essentiellement relative.
Toutefois, avec le temps, la signification du terme étalon a pris une
signification toute particulière dans le domaine économique. Dans un système de
poids et mesures, un étalon est un point de référence arbitraire, mais les rapports
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entre les choses mesurées sont fixes. Dans l’imaginaire économique, c’est tout le
contraire : un étalon monétaire n’est absolument pas arbitraire, il a une valeur fixe,
et il est le seul bien disposant d’une valeur fixe, ce qui en fait un refuge face à la
volatilité supposée de la valeur des autres biens.
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Nous voudrions déterminer la nature de cette insaisissable qualité appelée
valeur.
Les théories marxiste et libérale oscillent entre l’idée que le prix est la valeur
de l’objet, et l’idée qu’il s’agit de notions différentes. Le mécanisme des crises de
surproduction chez Marx, l’absence de recul des libéraux sur les « chiffres » de
l’économie voient se confondre le prix et la valeur. La distinction entre l’essence
(valeur) et le phénomène (prix) chez les marxistes, et le concept d’inflation en
feraient plutôt deux notions distinctes.
On en vient souvent à confondre les théories économiques avec le
fonctionnement réel de l’économie, ainsi qu’à confondre l’origine ontologique de
la valeur et les déterminants réels du prix. Le temps de travail humain (théorie de
la valeur travail) est confondu avec les coûts de production, l’utilité marginale avec
la tendance bien réelle des prix à évoluer en fonction de l’offre et de la demande.
Normalement, les économistes utilisent des modèles simplifiés dont la qualité est
fonction de leur capacité à prévoir l’évolution des prix. Une théorie dogmatique
comme la théorie de la valeur travail fétichise un de ces déterminants en prétendant
qu’il attribue de manière fixe une valeur aux biens produits, sans fluctuation
possible à travers le processus de l’échange.
Les deux options cohérentes seraient au contraire de ne considérer que le
prix, qui serait égal à la valeur, ou de séparer les raisonnements sur le prix et les
raisonnements sur la valeur. Dans ce second cas, cela voudrait dire que la valeur
existe, mais est une caractéristique intrinsèque de l’objet non mesurable par les
outils économiques, et n’a pas d’expression phénoménale. Quelque raisonnement
que l’on fasse, la valeur n’a alors aucune incidence sur les mécanismes
économiques réels. Dans les deux cas précités, la valeur est une notion inutile.
Pouvons-nous dire en ce cas que la valeur n’existe pas ?
Il existe deux types de concepts. Un objet peut être assorti d’un prix, mais ce
prix n’est pas intrinsèque à l’objet, même les marxistes en seront d’accord. Rien
dans la nature n’a de prix sauf si l’esprit humain décide de lui affecter un prix.
Cependant ce prix existe puisque il est affiché. A la différence d’un concept
théorique comme la valeur, les concepts comptables comme le prix, la croissance,
ou encore le Produit intérieur brut sont également des « faits ». Il s’agit de faits
parce qu’ils font l’objet d’un consensus : ces prix sont réels parce que les hommes
sont d’accord pour les considérer comme tels. La théorie a créé des objets
intellectuels, et le consensus à leur sujet leur a donné le rang de faits économiques.
Il n’est pas toujours simple de faire comprendre cela. Tout dans l’économie est
inventé. Mais la comptabilité structure la réalité. Nous pourrions résumer les objets
économiques à trois catégories. La sphère de production produit des biens
tangibles. Le processus de l’échange utilise des prix qui n’existent pas dans la
nature, mais accèdent à l’existence par l’effet du consensus. Les théories
économiques utilisent le concept de valeur qui n’existe qu’en tant que concept et
n’a de pertinence que pour les gens qui discutent de la valeur.
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Le courant marxien des « critiques de la valeur » est issu de l’école de
sociologie de Francfort. Selon la théorie issue de ce courant, la forme-pensée
« valeur » a été inventée quand la notion de travail est devenue abstraite, et a
permis de faire croire à une possible équivalence entre des travaux différents. Mais
la théorie de Marx va plus loin que cela ; elle suppose une existence objective tant
au travail abstrait qu'à la valeur. Le travail abstrait n'est pas seulement chez Marx
un artifice de langage, mais est lui-même une forme-pensée. On peut observer dans
son œuvre un glissement progressif fréquent entre la conceptualisation à des fins
explicatives et la réification du concept. C’est ainsi que si la « valeur » est inventée
pour Marx, une partie du livre premier du Capital est consacrée à décrire une
mécanique par laquelle le travail se transforme en unités de valeur, assortie de
nombreux calculs prétendument objectifs !
Les théories qui s’appuient sur une comptabilité sont donc à la fois
objectives et subjectives. D’une part, les concepts comme le PIB renforcent l’idée
d’une valeur qui soit objective. D’autre part, les hommes décident eux-mêmes de
la valeur qu’ils octroient aux choses à travers le marché. Il y a objectivisation de la
subjectivité.
Un consensus devrait normalement être perçu comme bienfaisant. Or nous
constatons à l’évidence que le fonctionnement de l’économie conduit à des
difficultés parfois très importantes. Il devrait être possible à tout moment d’en
changer les règles. C’est ce qu’a fait en France la commission Stiglitz, chargée de
redéfinir le contenu de la croissance en mettant en avant des préoccupations
éthiques et environnementales. Les faits économiques bruts seraient les mêmes,
mais le discours qui les accompagne serait totalement réécrit pour faire apparaître
ce qu’il convient de montrer.
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DE LA GNOSE
De la gnose
Nous avons pu montrer que les théories économiques sont incohérentes.
Selon les besoins de la démonstration, la valeur est portée par la monnaie, l’or,
l’utilité d’un bien, sa rareté, le rapport entre l’offre et la demande, ou encore le
temps de travail nécessaire pour le produire. La théorie économique est également
contredite par la pratique comptable.
La surprenante conclusion à laquelle nous sommes parvenus est que la
valeur (au sens de prix) d’une chose est une pure convention. A de la valeur ce que
l’homme affirme avoir de la valeur. Voilà donc une chose parfaitement subjective
que la valeur, mais à laquelle le consensus donne une apparence d’objectivité.
Comme invention de la pensée, la valeur se comporte de la manière dont l'homme
s'attend à ce qu'elle se comporte. Elle est l’idéaltype de la forme-pensée.
Or il apparaît que la valeur économique n’est pas le seul concept faussement
objectif. Cette propriété est même extrêmement commune parmi les concepts. Il en
est ainsi de la justice : est juste ce que j’estime juste. De la légitimité : est légitime
ce que j’affirme légitime. De la morale : est moral ce que je considère moral. Ainsi
du beau et du bien.
Il apparaît dès lors que les hommes sont incapables de faire la différence
entre un fait et une opinion, un objet réel et un concept. Il apparaît également que
la philosophie commune n’a aucune valeur. Puisque l’homme ne distingue pas
entre un fait et une opinion, il est inutile d’aller plus loin : il n’entendra rien à la
philosophie que ce qui conforte ses opinions.
Les petits faits du quotidien sont là pour le démontrer. Faites la queue à un
guichet. Une personne vous dit qu’elle n’est là que pour un renseignement et vous
demande si elle peut passer devant vous. Vous lui répondez que tout le monde
vient à ce guichet pour un renseignement et que vous ne voyez pas pourquoi vous
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DE LA GNOSE
devriez céder votre rang dans la file. La personne vous agresse verbalement, elle
semble parfaitement sincère et elle l’est sans doute. Sa demande était pour elle
parfaitement légitime, et vous êtes un emmerdeur.
Cette incapacité à faire la différence entre un concept et un objet réel
possède aussi quelques variantes. Une variante assez fréquente est celle de
l’hypothèse prouvée fausse à laquelle le sujet ne veut pas renoncer. Un exemple
remarquable est celui de l’étalon-or. Il n’y a plus d’étalon-or, mais selon certains, il
DEVRAIT y avoir un étalon-or. En conséquence, si on crée de la monnaie sans
posséder de l’or, la monnaie perd de sa valeur. Comme on fait ça tout le temps, la
monnaie pour eux ne vaut rien et nous sommes en hyperinflation. On a beau leur
expliquer que la boîte de sardines ne coûte pas plus cher, ils n’en démordent pas :
nous achetons la baguette avec des brouettes d’euros comme en Allemagne dans
l’entre-deux-guerres.
Il faut bien comprendre que la vérité pour ce genre d’individus est tout à fait
autre chose qu’un constat ou une évidence : c’est un concept. Toutes proportions
gardées, on pourrait présenter cette complexion psychologique comme suit. Si un
chien un blanc, il est tout à fait indifférent pour eux que ce chien soit blanc ou noir.
Ce sont des propositions équivalentes. Ils disent que le chien qu’ils voient est blanc
non pas parce qu’ils voient un chien blanc, mais parce qu’ils s’alignent sur
l’opinion générale qui affirme que le chien est blanc.
Nous avons affaire à des imitateurs. Et nous devons constater que c’est une
qualité valorisée. Le système scolaire notamment ne favorise certes pas l'esprit
critique, mais la capacité à imiter le discours de l'enseignant. Cela n'est pas propre
au système scolaire, mais un mode de fonctionnement commun à l'humanité. Car si
on y regarde de plus près, ce n'est pas seulement le fayotage et la tendance à hurler
avec les loups qui est récompensée. Le discours d'imitation ne ressemble pas à une
imitation. Il n'a rien de grossier, n'a pas l'apparence d'un « à peu près » qui
ressemblerait au discours de référence produit par un original réellement
compétent sur le sujet.
Un bon imitateur sait reproduire exactement le discours original. Parfois, il
peut produire des variantes, qui se présenteront alors comme des écoles, mais un
des traits saillants du discours d'imitation est qu'il peut être d'une très grande
précision, maîtriser toutes les références et les codes de la discipline abordée, et
user d'un langage particulièrement complexe.
Mais ce qui distingue une imitation de pensée d'une pensée authentique, c'est
qu'à aucun moment le locuteur ne semble douter. Il peut certes affirmer qu'il doute,
mais son mécanisme de base le fera écarter les objections sans en tenir compte.
C'est le propre des politiciens qui sont « en boucle ». On se demande pourquoi tant
de gens croient encore au mythe du débat, quand les maîtres du dit débat ne sont
même pas influencés à la marge par une idée n'appartenant pas à leur propre champ
de discours.
On remarquera que la culture populaire valorise la constance des opinions,
c'est-à-dire la rigidité intellectuelle, et utilise les opinions passées d'une personne
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DE LA GNOSE
toujours à son discrédit. On pourra également remarquer que les gens qui ne
changent jamais d’opinion et les gens qui évoluent à cet égard sont des catégories
très largement étanches l’une à l’autre. Il est totalement inutile d'espérer
convaincre les gens de la première catégorie qu'ils se trompent.
description est la seule possible, à l’exclusion de toutes les autres. Les classes
deviennent « l’infrastructure » de la société, la lutte des classes le « moteur »
unique de l’Histoire et son énoncé rien de moins qu’une découverte scientifique.
Marx écrit aussi - mais à sa décharge il a tous les économistes classiques
avec lui - que l'objet « travail » (tout court, ou « vivant » pour les marxiens) subit
une transsubstantiation en valeur. On tente ainsi d'expliquer des phénomènes réels
par des constructions du mental. Dans un processus mental associé, le mot
« réification » perd de son sens. Il sera utilisé par les marxistes, qui ne voient
absolument pas qu’ils réifient, mais en accusent les idéalistes.
Des centaines d'auteurs vont cependant suivre ce schéma de pensée, en bons
imitateurs. Ils se présentent comme « chercheurs » en « sciences » humaines, se
persuadent qu’ils font avancer la connaissance alors qu’ils ne produisent que de
l’idéologie. L’idée que les sciences humaines sont des sciences est une arme
puissante pour le conditionnement des esprits.
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DE LA GNOSE
Pour certains, la France doit être métissée. Pour d'autres, elle doit être blanche.
Aucun argument ne peut résoudre le désaccord, et c'est la discorde éternelle.
Certains affirmeront que leurs critères de choix sont objectifs. Voilà bien
tout le malheur: même si certains hommes reconnaissent que la subjectivité atteint
des domaines bien plus vastes qu'on ne le pense généralement, et vont jusqu’à
adhérer à ces principes gnostiques, ils se croient – eux - capables de faire la
différence entre subjectif et objectif. Or parmi ceux-là, très peu le peuvent
réellement.
L'homme se figure donc que le monde est mal fait et juge la création. Il
est l'ange déchu des mythes chrétiens, en révolte contre le monde.
Le jugement survient à travers le langage. Le langage crée une réalité
« culturelle » qui se superpose à la réalité objective. L'homme invente à travers lui
la valeur et avec elle l'économie, les riches et les pauvres, les crises économiques.
Il invente des institutions et crée pour les légitimer des principes ad hoc, comme la
démocratie, ou la justice.
Il n'existe pas de crises économiques en dehors de gens qui y croient et se
soutiennent dans leur croyance commune. Il n'existe pas de société démocratique
mais un mythe fédérateur.
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DE LA GNOSE
Ils sont alors devenus des proies pour toutes sortes d'influences. Les préjugés
qu'ils adoptent leur sont imposés par leur environnement culturel et ils imaginent
qu'ils sont le fruit de leur propre réflexion autonome.
Puisqu'il n'existe pas de pensée sans préjugés, la seule qualité d'une pensée
est d'avoir conscience des préjugés qu'elle utilise. L'homme de la tradition assume
volontiers sa subjectivité et ne prétend pas être dépositaire de valeurs universelles.
Que l'on s'y reconnaisse ou qu'on la combatte, on identifie souvent la pensée
traditionnelle à la « droite ». Au 18ème siècle, on pouvait à bon droit faire ce
rapprochement, l'universalisme et les droits de l'homme étant clairement des idées
progressistes rattachées à la gauche de l'hémicycle. Les grands penseurs de la
droite étaient pleinement conscients de se rattacher à une culture enracinée et à des
valeurs subjectives. Ils comprenaient qu'au-delà de la défense d'un ordre antérieur
et une hiérarchie, c'était leur culture qui était menacée.
A l'inverse, la gauche croyait que ses idées représentaient un « progrès »
contre un supposé obscurantisme antérieur. Ses valeurs étaient objectivement
meilleures. Elle n'avait aucune conscience de ses préjugés. D'ailleurs, elle pense en
général que les préjugés n'existent qu'en face.
Il est significatif que beaucoup de gens de gauche soient absolument
incapables de distinguer un fait d'une opinion. Sitôt aura-t-on fait admettre le
caractère subjectif d'une opinion, ils affirment que les faits aussi sont subjectifs.
C'est là la caractéristique du matérialisme et des ses rejetons - structuralistes,
constructivistes ou encore l'économie - où tout ce qui est affirmé est toujours vrai.
Les hommes de la gauche jusqu'au milieu du 20ème siècle conservaient aussi
un fort lien à leurs terres et à leur culture. Aujourd’hui beaucoup de gens ne
comprennent même plus le relativisme culturel, qu'ils assimilent d’office au
racisme. Ce n’est pas seulement la gauche, mais tout le spectre politique qui est
concerné. Pour tout le monde, le clivage droite/gauche est désormais un désaccord
sur le degré des inégalités et l'interventionnisme de l'Etat dans l'économie. La
droite a totalement assimilé le discours progressiste : elle est mondialiste,
américanisée et défend des valeurs à prétention hégémonique que l'on dira
« occidentales » à défaut d'être liées à une tradition d'Occident. Cette grande
similitude de vues entre la « droite » et la « gauche » échappe totalement à la
majorité des individus, tant ils partagent cette idéologie universaliste.
Les anciens hommes de droite ne se trompaient donc pas en pensant que ce
n’était pas seulement les hiérarchies humaines que le progressisme voulait détruire,
mais bien leur culture.
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libre-arbitre. Ils peuvent être soumis par la culture - qui leur est extérieure - ou par
leur nature - qui leur est propre.
Si nous sommes « libres » de nos choix de vie, ceux-ci nous sont imposés
par la société et nos inclinations. D'abord, la subjectivité s'impose socialement par
toute une série de conventions qui ne disent pas leur nom. Tout le discours sur tous
les sujets possibles est un vaste storytelling. Il cache des jugements de valeur à
toutes les phrases. Cotillons et serpentins évoquent la fête. Sans eux, on s’ennuie.
Aussitôt les a-t-on sortis, tout le monde s’amuse. Une fête devient « chaude » à
deux heures du matin, jamais à 23 heures. On trouvera des spécialistes médicaux
pour nous expliquer le cycle de production des hormones en boîte de nuit. Mais
c'est plus sûrement une hypnose de masse : si tout le monde est persuadé qu'une
fête devient chaude à 2 heures, elle le deviendra.
L’individu ordinaire ne sait évidemment pas qu’il est subjectif. Il suit
souvent un archétype sans même sans rendre compte. Il est parfois tellement
surdéterminé par l'archétype en question qu'il reconnaît l'archétype en lui, sans
savoir qu'il s'agit d'un archétype. Ainsi un américain déclarait avoir voté pour
Obama parce que « pour la première fois, un candidat s'était adressé aux gays,
s'était adressé à moi ».
Le Tao enseigne que tout ce qui est entrepris de manière volontaire, dans
l'affrontement d'obstacles apparemment insurmontables est voué à l'échec. Tout
doit se faire naturellement, en conformité avec notre nature. Il s'ensuit que toute
une culture populaire ment. Il n'y a pas de « quand on veut, on peut », mais plutôt
« quand on peut, on veut ». Et comme on veut, on s'imagine que c'est pour cela que
ça marche. Si Roger Federer est un immense champion de tennis, ce n'est pas parce
qu'il a énormément travaillé son coup droit, qu'il s'est forgé un physique et un
mental à toute épreuve et qu'il a énormément de mérite. C'est parce qu'il est dans la
nature de Roger d'être un grand joueur de tennis qu'il fait ce qui lui est naturel, à
savoir travailler son coup droit, son physique et son mental. Si n'importe qui fait
cela, il s'acharnera pour rien, jamais il ne jouera à son niveau. La culture minimise
le « talent » (une chose qui existe), et maximise le « mérite » (une notion inventée
et subjective). On peut se demander si ce n'est pas à dessein que la culture nous
enseigne des valeurs visiblement fausses. Sont-elles délibérément destinées à nous
faire perdre notre temps et notre énergie, afin que nous n'écoutions pas nos
intuitions et suivions un chemin qui n'est pas le nôtre ?
Comment certaines personnes peuvent-elles faire des choses qui nous
semblent incroyables ? Leur talent ? La bêtise ou la peur des autres ? Tout le
monde ne peut pas devenir gourou d’une secte, inspirer de la peur, être un virtuose
de l’escroquerie, faire croire n’importe quoi à n’importe qui. Oser ne suffit pas. Ils
réussissent parce qu'ils osent ce qui leur est naturel. Ne croyez pas à la « loi
d'attraction » comme quoi tout ce que vous visualisez devient la réalité. Ca ne
marche que quand vous visualisez ce qui vous est accessible et naturel.
Les hommes surtout ont toujours des théories pour justifier ce qu'ils font, ils
tuent pour ce qui leur semble de « bonnes raisons ». Les femmes n'en ressentent
pas toujours le besoin, parce que les instincts n'ont pas à être justifiés. Quand elles
détestent quelqu'un, elles ne songent pas à expliquer pourquoi.
Toute la subtilité consiste à ne pas confondre une description et une
explication. Vous pouvez donner une foule de détails, une chaîne de « causes à
effets », une description de l'enchaînement des pensées conscientes ou
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subconscientes qui font que certaines femmes préfèrent les voyous égoïstes et
superficiels (le phénomène est assez connu, mais ne semble pas reculer).
Cependant l'explication de fond est différente : elles pensent comme cela parce que
c'est dans leur nature de penser comme cela. Sur ce point, on peut même y voir une
égrégore de groupe.
Bien entendu, l’esprit ne se laisse pas toujours imposer sa manière de penser.
Si un individu se fait la remarque qu'il n'est pas dans son intérêt de penser comme
il le fait, et décide de changer ses pensées, il peut le faire. C'est le grand secret de
la magie, si simple et à la fois si puissant : nous pouvons choisir nos influences.
Les individus ordinaires, eux, n’y arrivent pas. Eux comme nous font ce qui
leur est naturel. Mais il est naturel pour nous de le savoir. C'est un cadeau, mais un
cadeau personnel. Il n'est transmissible qu'à ceux qui le possèdent déjà, ou à ceux
dont la nature est de le posséder. Quel espoir pouvons-nous mettre dans la
politique, puisqu'il est dans la nature d'une majorité de gens d'être gouvernés
comme ils le sont ?
Nous ne faisons que ce qui est conforme à notre nature. Pour ce qui est de
l’entendement, nous ne comprenons que ce que nous sommes à même de
comprendre. Ainsi l'enfant en bas âge ne comprend le chiffre que comme une
qualité de l'objet. Une boule est la boule n°1 par essence. La cardinalité et
l'ordinalité ne lui viendront que plus tard.
Mais tous les individus ne connaîtront pas nécessairement le même
développement intellectuel, et il en est qui ne comprendront jamais la cardinalité et
l'ordinalité. Certaines personnes ne voient pas un certain nombre de couleurs,
d'autres ne distinguent pas la musique du son brut. Pour ces derniers, c'est la notion
même de musique qui est dépourvue de sens.
De l'autre côté, certaines personnes ont le don. Pour les uns, ce sera l'oreille
absolue, pour d'autres une aptitude sportive hors du commun, pour d'autres encore
une compréhension de la physique et des mathématiques d'ordre supérieur.
Certains auront des dons insolites et peu valorisés et passeront dans des shows
télévisés.
Ce sont là des cas peu fréquents, et il serait aisé de les classer comme des
« anomalies » pour supposer que pour l'essentiel, l'entendement humain est
universel. Tel n'est pas le cas. L'entendement humain est multiforme et nous en
aurions une preuve en comparant l'analyse d'une situation commune par deux
personnes différentes.
Ainsi, il n'est pas possible à beaucoup de voir une construction sociale,
morale et conceptuelle, pour tout dire une invention du cerveau humain, dans la
démocratie représentative, la séparation entre la droite et la gauche, la notion de
justice. Ils sont convaincus de décrire des oppositions objectives, un camp des
gentils et un camp des méchants, et se vautreront dedans avec enthousiasme et foi
en leurs valeurs fabriquées.
Tout ce subjectif, ce conditionné, nous l'appelons la culture. Les hommes
l'aiment, et ils ne s'en méfient donc pas. Sans y réfléchir plus que cela, ils assument
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ce subjectif comme un élément de leur nature. On franchit un pallier chez ceux qui
prétendent exprimer des valeurs « universelles ». Ceux-là voient la subjectivité
seulement chez les autres, et l'objectivité avec eux. Dans une culture donnée, tout
écart à la norme peut être perçu comme une menace pour le groupe et être éliminé.
Pour les tenants des valeurs universelles et de la morale objective, tout écart à leur
norme est immoral. Il peut donc être perçu comme une menace pour l'univers
entier.
L'occidental est certain qu'il agit pour le bien de ces pays lorsqu'il envoie des
troupes en Irak ou en Afghanistan. Il voit bien parfois les enjeux géostratégiques
cachés derrière les appels à la défense des droits humains, mais même s’il proteste,
il reste dans le fond convaincu qu’il a le droit moral d’imposer dans ces pays un
mode de vie qui lui convienne à lui. L'occidental est très tolérant envers les gens
qui pensent et vivent comme lui. Aussi il fait semblant de croire que le racisme est
une question de couleur de peau, puisque dans le fond tout le monde souhaite
partager la culture occidentale. Au mieux, il reconnaîtra comme éléments culturels
valables les arts et la littérature des pays exotiques, qu’il survalorisera d’autant plus
qu’il cherchera à détruire leur pensée fondamentale.
politique. Mais nous ne sommes pas identiques. Les autres font des choses que
nous ne comprenons pas et nous demandons pourquoi. « Pourquoi est-il devenu
un meurtrier ? » Les études sociologiques et psychologiques ne fournissent que le
contexte. La réponse ultime est qu'il était dans l'ordre des choses qu'il en soit un. Et
si nous ne sommes pas nous des meurtriers, c'est qu'il n'est pas dans l'ordre des
choses que nous en soyons. Nous ne dirons pas que le paradigme humain n'existe
pas, mais qu'une fois révélée notre tendance à projeter sur autrui ce qui n'existe
qu'en nous, nous comprenons que chacun est un être très particulier, qui ne voit, ne
pense et ne ressent pas les choses comme nous.
Notons que logiquement on pense ce que l’on pense. C’est-à-dire que tout ce
que nous percevons et pensons est nécessairement correct pour soi. On peut se
demander si ce que nous percevons est correct, mais in fine, si notre nature est de
percevoir correctement, nous percevrons correctement. Ceux qui doivent
comprendre comprennent. Ceux dont il n’est pas dans la nature de comprendre ne
comprennent pas. Que celui qui a des oreilles entende.
Ces rôles immanents que nous nous trouvons contraints de jouer sont connus
dans la littérature sous le nom d’archétypes. Nous agissons dans le monde en
incarnant des archétypes, parce que le « choix » de l'archétype est la seule liberté
acceptée. Mais comme d'autre part, nous sommes dirigés de telle manière que nous
devons agir de la manière qui nous est naturelle, même ce choix est finalement
contraint. Nous sommes mus par des forces extérieures si puissantes que
l'autonomie finit par ne plus exister que sur le plan divin. Et pourtant nous dirons
que ce plan divin n'est accessible qu'à ceux auxquels il est accessible. L'autonomie
n'est pas donnée à tous, même sur ce plan.
Karl Marx disait à cet égard que ce sont les conditions matérielles et morales
d'un individu qui déterminent sa conscience à un moment donné. Les hommes
deviennent les instruments d'une histoire qui les dépasse. Cela est vrai, mais
insuffisant.
Marx ne dit pas ce qui crée les conditions matérielles et morales, qui
semblent sortir de nulle part. Pour lui il n'existe pas d'archétype, mais une
évolution finaliste des sociétés humaines, un darwinisme appliqué aux sciences
sociales.
Il prétend que cette évolution, il la maîtrise dans sa totalité. Il peut expliquer
l'évolution passée en posant les différentes phases de développement des sociétés.
Il peut aussi prédire l'évolution future parce que sa conviction d'avoir affaire à une
simple mécanique et à une mécanique simple lui font croire qu'il a découvert un
nouveau domaine des sciences physiques.
On peut sans doute imaginer la possibilité d'existence d'une physique des
archétypes, de l'interaction entre le domaine éthérique et le domaine de la matière,
mais il s'agit d'une physique relevant des recherches sur le champ unifié ou les
quanta, une physique de pointe sacrément plus compliquée que les théories
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DE LA GNOSE
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DE LA GNOSE
Qu'est-ce qui fait que les plus grands esprits commencent souvent par se
poser les bonnes questions, proposent des développements souvent justes et
brillants, manient avec facilité le langage le plus complexe, et échouent à voir la
conclusion évidente ?
Sans avoir la réponse, je me permets de suggérer une possibilité : le cerveau
subit manifestement un blocage. Aurait-il été manipulé ?
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DE LA GNOSE
Des émotions
Que ce soit chez Gurdjieff ou dans le Tao, nous sommes engagés à nous
méfier de notre esprit discursif et sa tendance à prendre ses suppositions pour la
réalité. Gurdjieff appelait cela le centre intellectuel inférieur. Il décrivait aussi un
centre émotionnel inférieur. Ceci suggère que les émotions ressenties aussi sont
arbitraires.
Mes manifestations de joie quand mon équipe marque sont arbitraires. Parce
que le choix de l'équipe est arbitraire, et parce que décider de suivre le football est
tout aussi arbitraire. Ma tristesse dans la détresse est ambivalente : je la sais
subjective, et comme j'aime moins être triste qu'être joyeux (c'est aussi un choix),
cela atténue son impact.
D'autres que moi ne perçoivent pas du tout leur rôle de supporter comme
arbitraire. Le sport s'impose à eux et l'amour qu'ils portent à leur équipe ne souffre
aucune distance. Parfois des personnes se suicident après la défaite.
Beaucoup d’esprits forts ne comprennent pas l'intérêt que d'autres peuvent
porter à vingt-deux joueurs en short poursuivant un ballon. Mais ils ont plus de mal
à admettre que d'autres ne comprennent pas l'intérêt qu'ils portent au théâtre
contemporain ou à la philosophie allemande (qui a moins d’excuses, car en plus
d’être ennuyeuse, elle est généralement fausse).
Nos émotions, comme nos opinions, nos goûts, notre personnalité, peuvent
être façonnés de manière culturelle, notamment à travers le langage. On suppose en
général que les entités ont une influence si on croit à leur influence. Au contraire,
ce sont les personnes qui ignorent que les idées qu’elles conçoivent et les émotions
qu’elles ressentent peuvent être choisies qui sont le plus vulnérables ; elles feront,
penseront ou ressentiront tout ce que ces influences leur dicteront de faire, penser
ou ressentir. Ceux qui savent reconnaître les influences en eux sont plus aisément
en mesure de les contrôler, et peuvent même choisir dans une certaine mesure les
influences qu’ils manifesteront. Il existe toutefois des influences puissantes que
leur exposition peut affaiblir, mais qui ne se laissent pas juguler facilement. Ainsi
l'instinct sexuel peut être tenu en laisse, mais il est rarement vaincu. Certaines
expériences de vie créent aussi des idées coriaces que l’évidence du contraire ne
parvient pas à effacer. Nous pouvons les savoir fausses, mais nous les croyons
malgré tout.
La Tradition n'a d'importance que dans la mesure où elle donne des clés de
compréhension du monde. Mais on trouvera surtout des idéologues de la Tradition,
qui ne l'ont en rien intégrée, mais qui connaissent par cœur chaque livre de Guénon
et d'Evola, tout ce qui a été écrit à leur sujet, et dont la grande fierté est de pouvoir
en entretenir la tombe et le souvenir. La possibilité d'évolution individuelle est
évacuée au profit d'une lecture civilisationnelle, directement politique pour
certains, faussement dépolitisée pour d'autres, progressiste ou réactionnaire.
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DE LA GNOSE
L'important pour eux est de défendre une ligne académique contre toute déviance
potentielle (mettons une compréhension correcte de la Tradition par exemple).
Toute tentative d'en référer à un Guénon est nulle et non avenue si on n'est pas un
guénonien académique, ayant tout lu et appris par cœur, et accepté l'interprétation
dominante. C'est en quelque sorte le versant intellectuel de la culture militante.
La culture de l'intellect est plus pernicieuse que le folklore militant, parce
qu'elle nous fait perdre un temps phénoménal pour la confronter, à lire les
innombrables textes et essayer de leur répondre. C'est de toute manière inutile
parce que l'idéologie chez les intellectuels est d'abord un fait culturel. Et ce même
s'ils ne le savent pas. Même s'il croit en Marx, un marxiste est d'abord de la culture
de Marx avant d'être convaincu par la puissance de son raisonnement. Même la
Tradition est culturelle pour un intellectuel évolien. Il connaît ses textes et sait s'en
prévaloir, mais il ne la ressent pas. C'est bien parce qu'il n'est pas capable de la
recréer en lui avec ses propres mots qu'il « respecte » autant le livre et l'auteur. Il
est plus important pour un intellectuel d'avoir lu et de savoir parler des auteurs que
de s'interroger sur ce qu'il pense vraiment. Et il confond tout nouvel élément de sa
culture avec un nouveau pas vers la connaissance.
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DE LA GNOSE
C’est aussi pour cela qu’on appelle la gnose la connaissance, puisque le bien
est un synonyme pour connaissance.
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DU MATERIALISME
Du matérialisme
La Tradition nous enseigne que la pensée crée le monde. Des influences
archétypales imprègnent la conscience des individus qui agissent sur le monde à
partir de ces idées. L’idéalisme en philosophie est le reflet déformé de cette
Tradition.
Malgré tout le respect que nous supposons avoir pour Kant ou Platon, je ne
connais presque personne qui affirme partager leur point de vue quant à l’existence
d’un monde des idées ou un monde nouménal. Pourtant chacun sera prêt à
admettre qu'il y a plus dans le viol que l'acte lui-même. Beaucoup pensent aussi
que le blasphème n'est pas la simple expression d'une opinion. Le rire fait perdre
beaucoup de prestige à celui dont on rit, et ce qu'on dévalorise en paroles finit par
perdre concrètement tout intérêt à nos yeux. Il y a donc quelque chose qui peut être
affaibli ou renforcé par un acte ou une parole dans notre psyché. Ce qui heurte la
psyché collective ou la renforce entre dans le cadre de la morale. Les principes
magiques ne disent pas autre chose.
Ceci peut être mis en parallèle avec les principes du langage. Le langage
décrit tant bien que mal une réalité bien plus complexe que lui-même, en nous
obligeant à créer des catégories artificielles.
La valeur en économie n'existe pas, mais elle existe. La justice est une
illusion, mais elle structure nos représentations. Un acte quelconque est indifférent
en lui-même, mais il a une portée morale que nous décidons.
Typiquement, on parle à cet égard de raisonnement « non-aristotélicien », à
savoir qu'une proposition peut être fausse en essence, mais générer des
comportements tels que si elle était vraie.
Les hommes ignorent le plus souvent ce pouvoir de la pensée. Beaucoup
confondent les faits réels et les concepts issus du mental, répandent des opinions à
dessein normatif, et font de la politique en pensant qu'ils font le bien. L'essentiel de
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DU MATERIALISME
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DU MATERIALISME
modèles, c’est de persister comme modèles même quand les faits les contredisent,
mais ce n’était pas celui que leur adressait Bourdieu.
Pour sa part, Bourdieu ne modélisait pas, il accumulait les descriptions
particulières, utilisant l'effet de masse pour donner du poids à sa démonstration. Si
La Misère du Monde fait autant de pages, c'est qu'il y en avait beaucoup, de la
misère.
Cette idée que la quantité de langage utilisé ajoute de la finesse au
raisonnement néglige le principe de dualité : plus il y a de langage, et plus on peut
obscurcir une idée claire et juste.
L'un ou l'autre type d’argumentation peuvent parfois se retrouver chez une
même personne (mon idée générale est valable mais la tienne est trop réductrice).
Certains arguments reviennent dans leurs discours avec la régularité d'un coucou et
le goût d'une tarte à la crème : « il n’y a pas de vérité objective ».
C’est cependant le seul réalisme classique, plus adapté au sens commun, qui
survivra en tant que courant philosophique. Le nominalisme était bien mal
embarqué, puisqu'en toute cohérence, une telle théorie suppose de ne jamais
utiliser de langage, avec ses épithètes et ses noms communs. Il survit cependant à
travers un certain paramoralisme, comme le fait d'admettre certaines
catégorisations (voire de leur attribuer une existence absolue) et d'en refuser
absolument une autre : « les races humaines n'existent pas, les classes sociales
existent », les deux affirmations étant énoncées comme scientifiques.
L’avènement de la méthode scientifique aurait d’ailleurs pu terminer la
querelle, notamment avec le développement des statistiques et de la notion
d'échantillon représentatif, en aidant les cerveaux à penser droit (avec ou sans jeu
de mot). Lobaczewski a justement affirmé que la science était un raffinement de la
philosophie, puisque de suppositions sur la nature du monde, elle rendait possible
de les prouver ou de les infirmer.
Mais la doctrine rationaliste de Descartes reste solidement ancrée dans le
réalisme classique. Contrairement à ce que l’on suppose souvent, la méthode du
doute de Descartes n’est pas empirique et donc non fondée sur l’expérience. Le
rationalisme se définit lui-même comme la philosophie qui prétend accéder aux
vérités supérieures par l’exercice du raisonnement pur, débarrassé des faits
sensibles. Kant a écrit « Critique de la raison pure » uniquement pour suggérer que
les faits méritent qu’on s’y intéresse un peu. La phénoménologie à son tour doutera
des concepts et suggérera d’étudier directement les phénomènes sensibles. Les
philosophes contemporains qui se réclament de la science présentent eux l’attitude
opposée, en prétendant souvent que seul ce qu’ils peuvent mesurer ou prouver est
réel.
Nous prenons pour des qualités propres à l'individu ce qui est le résultat
d'une interaction. Ainsi aucun individu ne possède de charisme, mais on peut
constater que les humains sont attirés par lui. De multiples exemples triviaux
pourraient venir étayer ce propos. On dit couramment que nous sommes tous le
« con » de quelqu'un d'autre.
Mais en ce cas qu'est-ce qui surgit en premier : la conscience ou son objet ?
Le dilemme de l'œuf et de la poule s'élargit à d'innombrables couples. Ne peut-on
penser qu'ils existent simultanément ? Et si aucun n'était le premier, alors ils n'ont
jamais surgi mais existent hors du temps. Le sujet et l'objet ne sont que les
manifestations de leur interaction, qui est leur nature commune. Il n'existe plus de
vecteur.
Il faut avoir la foi pour que se produisent les miracles, et il faut des miracles
pour produire la foi, mais la foi et les miracles existent. Et le Verbe était tourné
vers Dieu.
genre. La physique quantique enseigne toutefois qu’il n'existe pas de matière sans
une conscience pour l'observer, ni de conscience sans objet de cette conscience. La
conscience et le sujet existent à travers leur interrelation, et on peut dire qu'il s'agit
d'une seule et même chose : la conscience qui a conscience d'elle-même.
Elles tranchent ces questions comme si les réponses allaient d’elles-mêmes. Les
individus ancrés dans la réalité occultent même sans s’y intéresser la pensée
dogmatique.
Il est donc assez fascinant qu’un individu comme Kant consacre sa vie à
élaborer une pensée simplement pour faire intervenir les faits dans la pensée. Kant
a en fait cherché à concilier l’inconciliable, la métaphysique et la physique, le
rationalisme et l’empirisme, la religion et la science, la philosophie naturelle et la
morale. Les idéalistes allemands essaieront après lui de réussir la synthèse. Ils en
viendront même à admettre la subjectivité de la philosophie transcendantale.
Il est tout aussi fascinant de constater que ces questionnements ne sont pas
du tout les questions existentielles que se posent la plupart des individus, alors que
l’enseignement de la philosophie trouve sa justification en suggérant le contraire.
Mieux encore, ces questionnements sont rarement présentés pour ce qu’ils sont par
les enseignants. Ils paraphrasent les auteurs, gravent leurs phrases dans le marbre
sans les rendre explicites et surtout admettent très difficilement que les étudiants
les soumettent à la critique, d’autant plus difficilement qu’ils n’auront pas appelé
un autre auteur de la même eau pour faire contrepoids. On dira ainsi qu’il y a eu
« plusieurs Marx », qu’il s’agit d’un « auteur complexe », mais jamais qu’il aurait
changé d’avis ou qu’il se serait contredit. Nous sommes confrontés non pas à la
philosophie mais à une Histoire de la philosophie. Non pas à une libération de la
pensée mais à un lavage de cerveau.
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DU MATERIALISME
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DU MATERIALISME
réalité est dans ses représentations, selon la prescription même d'Hegel. Et c’est
ainsi que la culture se fait passer pour la connaissance.
Nous sommes même sommés de connaître ce discours et de produire un
discours sur le discours, pour que nos propres idées soient seulement considérées
comme pouvant être discutées.
Une fois qu'ils ont été formatés par l'école à glorifier la raison, les êtres
humains étaient prêts à croire tout ce qu'on leur dirait.
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DU LANGAGE
Du langage
Le langage est confondu avec la réalité-même qu’il est censé exprimer, les
mots avec les choses. Pour ne rien arranger, le langage nivelle la pensée. Toute
pensée doit être exprimée par des mots, issus du même dictionnaire, regroupés par
une même syntaxe. Aussi, si on prend déjà le langage pour la réalité, ce n’est pas le
discours qui approche le mieux la réalité qui sera pris en compte, mais celui qui
aurait la meilleure syntaxe et la musique la plus élégante.
D’ailleurs, beaucoup de gens n’apprécient pas un texte pour sa clarté, sa
logique interne, sa concision ou la compréhension qu’ils en ont. Un texte sera
d’autant plus critiqué qu’il est clair, structurant, riche en potentialités et que le
lecteur s’imagine le comprendre. Les textes les plus estimés sont ceux que le
lecteur ne comprend pas ou qu’il n’aura pas pris la peine de lire car longs et
fastidieux. Pratiquement, ce qui n’est pas lu ne recueille pas de critiques. C’est
d’autant plus visible en France où la philosophie est littéraire, et la complexité d’un
texte préférée à sa logique interne ou sa correspondance avec l’expérience.
Il arrive que le développement des idées permette de mieux comprendre le
cheminement intellectuel d'un auteur, et de faire adhérer plus facilement le lecteur
aux idées ainsi développées. C'est parfois vrai, pour un auteur en particulier. C'est
globalement faux, car tous les auteurs n'ont pas de bonnes idées et tous les lecteurs
n'ont pas de capacités de discernement. Le phénomène principal est ici l'inflation
du langage.
Un développement conduit à l'utilisation de mots en plus grand nombre, qu'il
faudra à nouveau définir, circonscrire, situer dans le contexte des mots qui les
entoure. Ainsi, l'étudiant n'en conçoit pas une meilleure compréhension, mais de
nouveaux problèmes philosophiques qui l'éloignent du sujet initial, le rendent
inextricable par le foisonnement des questionnements ainsi créés. De nombreuses
personnes peuvent passer leur vie entière à lire ou écrire d'innombrables textes
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DU LANGAGE
spéculatifs, en s'imaginant que leur accumulation les rapproche sans cesse plus
près de la vérité.
Ces problèmes n'existent souvent que par le langage qui les exprime et ne
méritent en général même pas l'examen dont ils font l'objet. Il est remarquable que
les débats dans les cafés philosophiques soient essentiellement des débats de
sémiologie. Le thème une fois choisi, il s'ensuit une ribambelle d'interventions sur
l'étymologie du mot et ses différentes acceptions, sans même que l'on se préoccupe
de savoir si ces débats peuvent être traduits dans une autre langue. Par exemple, on
discute de l'impertinence comme s'il s'agissait du contraire de la pertinence.
Pour confondre les mots et les choses, selon l’opposition proposée par
Michel Foucault, certaines langues sont plus retorses que d'autres. Le français,
beaucoup plus que l'anglais, utilise des mots identiques pour désigner des choses
différentes. Le japonais est une langue où les mots s'expliquent toujours dans leur
contexte.
Un étudiant en philosophie est évalué sur sa capacité à commenter un texte,
un aphorisme, ou un symbole. Or la valeur d'un aphorisme repose justement sur sa
capacité à dire plus de choses que le langage raisonné ne le peut. Un symbole est
lui capable d'exprimer ce dont le langage n'est pas capable.
Un symbole n'est pas fait pour être expliqué. Le Christ parlait en paraboles
parce qu'elles étaient le meilleur moyen de dispenser sa pensée. Discuter une
parabole ou un symbole ne peut que les obscurcir.
L'esprit de l'humanité est aujourd'hui absolument spéculatif. Il n'y a plus que
des spécialistes dans tous les domaines, des « savants ignorants ». Et la spéculation
est d'autant plus puissante que tout le monde a le droit et le devoir de discuter.
L'humanité court à sa perte à cause de la raison et de la démocratie.
La vérité est obscurcie autant de fois qu'un étudiant non qualifié interprète et
spécule. D'autant plus obscurcie que les nouveaux étudiants sont priés de
commenter les spéculations des anciens. Il faut connaître l'Histoire des idées
fausses. Il est même interdit de ne pas gâcher sa vie à les commenter. La société est
devenue incapable de synthèse, et il n'y a pas de synthèse académique possible.
Les mots sont sans cesse plus nombreux, et tournoient en cercle de plus en plus
loin autour de la Vérité. Le langage, la philosophie sont centrifuges.
Malheureusement, il faut écrire beaucoup pour attirer l'attention. Un énorme
chapitre est plus ruminé qu'une conclusion lapidaire. On observe une chose
similaire avec l'argent. Malgré tout le mal que l'on peut penser de l'argent, il est
conseillé de faire payer très cher son enseignement, sinon l'étudiant n'en concevra
pas la valeur. Le prophète prophétise dans le monde.
On pourrait penser que cette déconnexion du réel est propre à la pensée dite
« élevée ». Mais beaucoup de concepts familiers que chacun s’imagine comprendre
sont en réalité très flous.
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DU LANGAGE
Michel Foucault faisait remarquer que les vérités admises varient en temps
et en lieu. Et en effet, beaucoup de « choses » sont en réalité de pures créations
sociales ou disciplinaires.
Ce ne sont pas seulement des théories articulées sur le monde qui sont
inventées. L’invention existe déjà au stade du concept et même du mot pour
l’exprimer.
La philosophie scolaire pose des questions absurdes comme « L'Etat a-t-il le
monopole de la violence légitime ? ». A l'usage, on se rend compte que le
philosophe répond toujours en ayant dans l'idée de servir une cause. Alors pour
Hobbes, c'est oui, pour Bakounine c'est non. Le lycéen doit savoir user de
références, et répondre vaguement à la question, sans forcément en remettre en
cause le bien-fondé. Or voilà tout le problème: il n'existe aucun critère objectif
permettant de déterminer ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Un concept
comme celui de « légitimité » est manipulateur, puisqu'il est créé ex nihilo pour
faire apparaître bonne n'importe quelle cause, à l'exclusion de celles qui lui sont
opposées. C'est-à-dire que ce n'est pas un concept de philosophie, visant on ne sait
quelle vérité ultime, mais un pur concept moral visant des fins politiques. Et on
nous fait apprendre pour de la philosophie, une authentique recherche de vérité,
des réflexions qui tiennent de la pure manipulation mentale et de la communication
politicienne.
Une réponse binaire à une telle question ne peut absolument pas faire
avancer quelque réflexion que ce soit. Elle est purement tautologique. Si on
considère que l'Etat a le monopole de la violence légitime, alors on répondra que
l'Etat a le monopole de la violence légitime. On pense ce qu'on pense. Et c’est à la
tautologie qu’on reconnaît la morale.
Qu’est-ce que l’« amour » ? Certes il existe de vives émotions que beaucoup
ressentent à la présence ou à l'évocation de certains êtres. Mais les réactions
biochimiques impliquées sont-elles identiques chez tous ceux qui prétendent
« aimer » ou « haïr » ? Nous savions déjà qu' « aimer » était un terme polysémique,
mais même lorsqu'on s'est bien assuré de l'acception en cause (l'amour, en
l'espèce), on se trompe en supposant que tous mettent les mêmes émotions derrière
ce terme. N’est-il pas finalement un mot créé de toutes pièces pour camoufler
l’esclavage affectif sous toutes ses formes, dont la lutte permanente entre le viol et
la castration ?
L’amour divin est d’un ordre différent. Ce que les hommes et les femmes
appellent amour est de l'ordre de la sexualité exclusivement, et navigue entre
manque et satisfaction de la pulsion liée au manque. Ce qu'on appelle « amour
platonique » est une sexualité platonique, un joli mot pour déguiser une frustration
mal acceptée, une peur ou un dégoût de l'acte physique. L'amour divin est
totalement désintéressé et n'est pur que dépourvu d'éléments érotiques. Il doit être
également dépourvu de pensée de valorisation de soi-même, comme le fait de
s'afficher avec sa conquête, mais aussi d'afficher sa grandeur d'âme en s'occupant
des indigents. Il ne peut même pas se glorifier à ses propres yeux de s'en occuper
sans que cela se sache. Bref, le véritable amour est un état totalement inaccessible
à nos pauvres forces.
l'inconscient collectif, une étiquette qui présente bien ? Très peu de gens osent
s’autoproclamer fascistes, même s’il y a des courants qui pourraient s’en
rapprocher.
droite), et elle qui se situe le plus à gauche sur ce segment est l’incarnation de la
vertu, à même de donner des leçons d’humanité à tout ce qui se trouve un peu plus
à droite qu’elle. Evidemment, la réalité est un peu plus complexe que cette
représentation naïve : la droite se définit également en termes moraux, mais en
faisant moins systématiquement référence à cet axe. Il va de soi qu’elle assume
rarement l’héritage du national-socialisme.
Certains individus à gauche y ajoutent le mépris, car ils répètent à l'envi que
ceux qui votent à l'extrême-droite expriment dans les urnes leur frustration d'être
des « perdants ». Ils cherchent par là à exposer leur propre réussite, qui va de pair
avec leurs qualités morales suscitées. C'est un cocktail assez similaire au
puritanisme américain, dans lequel la fortune personnelle est le signe auquel on
reconnaît les meilleures qualités humaines.
Si les notions de droite et de gauche sont mal définies, le contenu qu’on leur
donne dépend souvent de la place que les individus occupent dans la société.
Beaucoup de gens « de gauche » sont à la base des gens qui sont contre les
inégalités sociales. On est en droit de penser que logiquement, les politiques en vue
à gauche sont des personnes à peu près dans le même état d’esprit. Mais on
constaterait aisément que tel n’est pas le cas.
Leur attachement ne va pas au peuple, mais à la défense du « modèle
républicain » ou aux « droits de l’homme », voire à l’ « internationalisme ». Les
inégalités sociales sont vraiment le cadet de leurs soucis, et on le découvre assez
vite quand on les fréquente.
Quand on est « de gauche », on a tendance à faire un paquet cadeau, on met
tout dedans et on trouve tout naturel que ça aille ensemble. Quoi de plus normal en
effet, que d’assortir son combat contre les inégalités sociales du républicanisme,
des droits de l’homme et de l’internationalisme ?
Mais le diable est dans les détails. Il y a des gens de gauche qui aident les
immigrés parce qu'ils aident des êtres humains en difficulté. Et il y a des gens de
gauche qui aident les immigrés parce qu'ils apprécient l’idée qu'il y ait des
immigrés en France. Il y a des gens de gauche qui n'ont rien contre les couples
franco-maghrébins, ou franco-africains. Et il y a des gens de gauche qui pensent
que le métissage est une valeur en soi. Remarquons qu'être contre l'exogamie dans
tous les cas, soit le point de vue culturel opposé, ne se justifie pas mieux. Chacun
campera sur ses positions persuadé d'avoir raison, et cela l’occupera jusqu'à la fin
de sa vie.
Génétiquement, c'est assez neutre. Les éleveurs de chiens de race savent bien
que les croisements peuvent créer une vigueur hybride comme des tares
d'hybridation, de même que l'endogamie qui suit renforce ces qualités comme ces
faiblesses. C'est un peu comme une combinaison d'artefacts dans un jeu de rôles :
le résultat est variable.
On voit bien cependant que le métissage sous sa forme idéologique est le
faux nez d’une volonté de renverser des valeurs pour le simple plaisir de les
renverser. Cela inclut l’homoparentalité, la lutte des classes ou le féminisme. Les
immigrés eux-mêmes, du moins les plus récents, sont cependant parfois réticents à
participer à un quelconque renversement de valeurs.
L’antiracisme de gauche est ambigu lui aussi. Il apprécie les signes
extérieurs de l’étranger comme sa couleur de peau et sa musique traditionnelle.
Mais il n’apprécie pas du tout que l’étranger ne partage pas ses représentations du
monde.
La notion de droits de l’homme cache le même présupposé impérialiste : la
supériorité des valeurs occidentales, et le droit des hommes à les adopter. Le
fondement idéologique des droits de l’homme et de l’impérialisme guerrier est
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DU LANGAGE
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DU LANGAGE
Nous voyons donc que, non seulement le langage véhicule des concepts
inventés que les hommes confondent avec des faits, mais qu’il peut parfaitement
servir à travestir des faits en leur donnant une apparence autre. Aucune femme ne
souhaite valoriser la sphère masculine, mais si c’est « pour les femmes », ça passe
mieux. Nous n’inventons rien, Bernays ou Goebbels connaissaient la chanson.
C’est ainsi que le fait comme le concept peuvent revêtir une dimension morale.
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DU LANGAGE
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compare des individus réels entre eux, alors qu'on compare des moyennes de
population. Cela s'appelle mélanger des choux et des tomates.
Insistons sur le fait que pour le généticien les différences phénotypiques
évidentes entre les finlandais et les pygmées ne comptent pas. Les généticiens
rejettent des éléments évidents comme de la biométrie archaïque (demandez à
George W. Bush si la biométrie est archaïque). Seul le gène et le peu qu'ils en
connaissent est objectif. On sait que le phénotype est essentiellement d'origine
génétique. Mais puisque « On ne sait donc pas associer (avec précision et de façon
stable) de génotype au phénotype attendu pour une race. », ce n'est pas que leur
science est incomplète, c'est que le phénotype ne compte pas. C'est-à-dire : la
réalité ne compte pas, ce sont leurs abstractions qui comptent. Il en découle une
réduction systématique du rôle de l'inné et des gènes dans tous les phénomènes
macrosociaux (pour ne pas donner prise à l'infâme sociobiologie).
On a beau connaître les résultats d'anomalies comme les trisomies sur
l'intelligence générale, l'idéologie est que l'intelligence n'a pas d'origine génétique.
En réalité, on ne fait tout simplement pas d'études sur le sujet, ou on formule des
conclusions qui euphémisent, minimisent ou contredisent les données étudiées.
Ce qui est très significatif, c'est que dès les années 70, alors que l’on
commençait tout juste à explorer l’ADN, des scientifiques prétendaient déjà
apporte des « conclusions » scientifiques qui appuyaient leurs propres convictions
morales.
La perception déformée d’un concept jusqu’ici très clair comme la race, la
tendance des hommes à substituer les faits réels par des faits « moraux » donne une
bonne idée de l’usage moral du langage dans la société.
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DU LANGAGE
clair : ils ont lu le mot « jugement » quelque part, lu que c'était mal, mais ils ne
savent absolument pas ce que c'est.
Les questionnements autour de la raison d'être des choses, de la cause
première et du but ultime sont une forme de jugement. Pourquoi sommes-nous sur
Terre ? Parce que. Pour quoi faisons-nous des enfants ? Ils vont mourir. Mais
rappelons-nous que nous allons mourir aussi et convenons que l'idée de faire
quelque chose dans un but quelconque est absurde. Il faut bien occuper nos vies, et
il n’y a pas de mauvaise manière de le faire.
Les personnes en souffrance psychologique, elles, se demandent pourquoi
elles ne vont pas bien. Abstraction faite de l'explication métabolique : parce que.
Comment faire pour aller mieux : en allant mieux. Comment y arriver ? On y
arrive si on y arrive, ou si on pense qu'on y arrive. Merveilleuse illustration de la
pensée créant la réalité. Ce n'est ni « facile » ni « difficile » (encore des mots de
jugement). Tout est facile pour celui qui réussit, difficile pour celui qui échoue.
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DE LA MORALE
De la morale
La morale a ceci de particulier que tout le monde pense savoir de quoi il
s’agit. Les gens pensent qu’il existe une vraie et bonne morale, la leur, et de
fausses morales, qu’ils appellent parfois paramoralisme. Pour être plus précis, il
existe peut-être une vraie et bonne morale, que certains hommes connaissent et
comprennent mieux que d’autres. Mais pour la plupart des gens, leur morale est
arbitrairement liée à leurs préférences et intérêts personnels, et dépend de la morale
du ou des groupes dans lequel ils évoluent.
Au niveau d’un groupe ou d’une société donnée, ce qu’on appelle morale
prend un tout autre sens. Une morale est un catalogue de règles de comportements,
de croyances et même de représentations qui donnent sa forme à la société et au
monde. Elle couvre à la fois le domaine de l’institution judiciaire et des
comportements qu’elle vise à normer sans passer par la loi.
Comme la justice, la morale est une notion culturelle. Ce sont les éléments
de la culture qui sont élevés au rang de valeurs. Issue de la culture, la morale est
naturellement arbitraire. L’objectif de la morale n’est donc pas d’imposer la
pratique du bien, mais un artifice pour régler la société des gens ordinaires, et
empêcher que des comportements anarchiques surviennent et détruisent le fragile
édifice social. On souhaite notamment prévenir les conflits qui pourraient survenir
entre deux individus ayant des morales personnelles incompatibles, et développer
le sentiment d’appartenance et le désir des éléments du groupe de collaborer. Tout
ce qui prétend organiser la société ou tend à l’organiser sans le dire relève donc par
bijection de la morale.
Souvent la morale du groupe est considérée comme objective par ses
membres. Pour un individu, c’est dommageable car sa compréhension est
obscurcie, mais c’est préférable pour le groupe, car la morale sera d’autant moins
remise en question qu’elle n’est pas perçue comme arbitraire. A l’inverse, les
préférences personnelles qui sont propres à l’individu ne sont pas forcément
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DE LA MORALE
considérées par lui comme des valeurs, mais plutôt de manière neutre. Il n’est
toutefois pas possible de faire un distinguo net, car assez souvent, les goûts
personnels peuvent accéder au rang de valeurs et ne peuvent plus être distingués de
la morale. Un fan de Johnny peut tout à fait penser que lui préférer Claude
François est offensant. C’est donc un point de vue moral.
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DE LA MORALE
Une morale peut donc être dégradée lorsqu'elle intègre des principes qui en
nient la finalité : séparation de la morale et de la politique, discussion. Elle est
également dégradée lorsqu'elle s'en remet à des principes conditionnés et non
immanents. Ainsi refuser l'avortement au nom du droit à la vie est mieux que d'y
consentir au nom du besoin de contribuer à l'économie capitaliste. D'un côté, il
existe toujours un principe contraignant qui impose la morale sans se laisser
observer - l'économie le plus souvent - et donc sans être discuté. De l'autre, il va de
soi qu'une Eglise qui jouerait entièrement son rôle organiserait la société de
manière à répondre aux problèmes individuels qui ne manqueraient pas de
survenir.
Une Eglise qui discute ses dogmes perd toute son utilité sociale. Les
traditionalistes ont le mérite de ne pas accepter la discussion. Toutefois, ayant
perdu la dimension métaphysique authentique au profit d'un ritualisme formel et
d'interprétations littérales, ils ne comprennent plus que le magistère moral a
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DE LA MORALE
seulement pour fonction d'organiser les foules, et que sous le dogme, la morale
reste artificielle.
Le libre examen porté par le protestantisme mène naturellement aux
principes de la démocratie. Celle-ci voit s’affronter des morales différentes. Or
quand plusieurs morales cohabitent, que la morale n’est plus totalement intégrée
par les individus qui composent la société, elle devient inopérante. En effet une
morale n’est en mesure d’organiser la société qu’à la condition d’être la morale
unique de cette société. Quand dans une société donnée plusieurs morales se
mettent à cohabiter, elles se combattent : c’est l’avènement de la politique.
La société ne peut dès lors plus être organisée, chacun fait comme il
l’entend. D’abord à cause de l’existence de groupes aux morales opposées, ensuite
par l’attrait nouveau que prend la transgression, enfin par l’inversion logique des
valeurs qu’elle porte.
La politique divise les gens au lieu de les rassembler. Tout ce qui est admis
par une partie de la société entraîne le rejet de son opposé. Les personnes qui
écoutent la même musique que moi, regardent les mêmes films sont des gens de
goût, les autres sont méprisables. Les personnes qui ont les mêmes opinions
politiques que moi sont des personnes respectables, les autres ne doivent pas avoir
le droit de s’exprimer, parce que leurs idées sont dangereuses.
Tout cela semble parfaitement légitime à quiconque, et il sera persuadé que
les conflits sont le fait de ceux d’en face. Au mieux il dira qu’il leur manque une
« prise de conscience » pour se ranger à ses idées. Au pire, il dira que leur
idéologie est « immorale » ou « nauséabonde ». Mais il devrait aller de soi que tous
ceux qui font la démarche de s’affilier à un courant de pensée sont convaincus de
la puissance de leur raisonnement et de leur propre moralité.
Aucune morale n'a jamais convaincu personne de changer d'avis. Les
chrétiens qui se sont opposés au communisme soviétique au nom de leur morale
n'ont pas fait douté une seconde les partisans. L'antiracisme n'a jamais fait changé
d'avis un raciste pour la simple raison que ce n'est pas l’immoralité qui engendre
des racistes, mais une expérience et une élaboration intellectuelle personnelles. La
morale ne peut que s'opposer à la morale d'en face et entraîner la guerre civile.
Au fait que la politique est un affrontement, on objectera que si ce monde est
mauvais, il serait légitime de vouloir le changer. Mais « tous ensemble » signifie
contre les autres. Dès que les hommes parlent de changer le monde, ils
s’aperçoivent qu’ils ne veulent pas le changer de la même façon.
Souvent d’ailleurs, les gens adoptent des opinions sans trop y réfléchir. Ils
adhèrent en bloc aux idées supposées cohérentes qui forment les idéologies, sans
distance. Mettre toutes les opinions sur le marché permet qu'elles se combattent les
unes les autres sans jamais mettre en danger le système de domination en place.
Pour mieux vider la morale de son objet, on opère un retournement logique :
la démocratie aux morales multiples et en conflit devient-elle-même une valeur
morale qu’il n’est pas permis de discuter.
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DE LA MORALE
Nous dirons que toutes les cultures se valent, tant qu’elles ne permettent pas
un accès facilité à la connaissance. On observera que l’idéologie se range
également dans la culture, à une place ni meilleure ni pire que tout autre élément à
caractère culturel.
Les pensées qui proposent une morale universelle, ou se prétendent
dépourvues de morale recèlent toujours une morale cachée. Chez Marx,
l’avènement d’une société dirigée par les ouvriers est un progrès par rapport aux
formes de domination bourgeoise ou féodale. Pour Evola, la même séquence est
décrite comme une dégénérescence. Pour l’un comme pour l’autre, il ne s’agit là
que d’exposer leur morale personnelle, même si Marx prétend faire œuvre
scientifique. Les évoliens qui tentent de hâter la fin du Kali Yuga font la même
chose que les communistes tentant d'accélérer la fin – qu’ils pensent inéluctable -
des temps capitalistes.
La morale marxiste se cache derrière le mouvement de l’Histoire, qu’elle ne
ferait qu’accompagner. Mais le mouvement n’a pas besoin d’être accompagné ; il
faut donc quelque motivation morale pour espérer le favoriser. Marx a des
préférences implicites : pour l’Etat, pour la classe ouvrière et pour le travail. Il
présente d’ailleurs le mouvement de l’Histoire comme étant le progrès, qui ne peut
être qu’un progrès moral.
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DE LA MORALE
D’un point de vue matériel nous vivons dans une société d’abondance, dans
laquelle le recours au travail de tous n’est pas une nécessité. Cependant les
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DE LA MORALE
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DE LA MORALE
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DE LA MORALE
Mais l' « anarchisme » nourri par les idéaux de gauche, c'est autre chose.
D'abord la détestation de l'Etat, éventuellement de l'entreprise et de la famille,
comme s'il s'agissait des seuls collectifs contraignants. Une fois qu'il s'est
hâtivement proclamé anarchiste, le bonhomme n'a d'autre préoccupation que de
créer des injonctions.
Il existe même un courant dit insurrectionaliste qui envisage de renverser
l'Etat par la force pour imposer une espèce d'ordre anarchiste. Je suis convaincu de
leur capacité à présenter une dialectique assez tordue pour ne pas y voir de
contradiction. Imposer la dictature la plus violente, celle des armes, et lui coller
l'étiquette anarchiste.
Les références intellectuelles des anarchistes français étant peu ou prou
celles des révolutionnaires, marxistes ou pas, ils ont tendance à être sensible aux
principes universels, à la démocratie ou aux droits de l'homme. Leur conception de
l’individu est plus ou moins explicitement rousseauiste. Tous les problèmes venant
de la société, le désir aliénant de cette société disparaît avec l'aliénation, et les
vices des individus aussi.
En réalité, tout le monde ne peut pas être livré à ses propres choix. Des
individus réclament des structures contraignantes. D'autres désirent une certaine
autonomie mais vont adopter des comportements qui lui sont incompatibles.
D'autres encore adoptent des comportements franchement antisociaux.
Les anarchistes supposent pourtant souvent aux individus du phalanstère des
vertus qu’ils n’attendent pas des mêmes évoluant dans la société extérieure. Leur
phalanstère ne serait pas une collectivité, mais une réunion d’individualités
exerçant leur liberté souveraine. Il ne s’y exercerait pas de domination, mais
chacun pourrait y exercer son « pouvoir ».
Ils se vantent de ne pas voter parce que « voter ne sert à rien ». Certes. Mais
ne pas voter non plus ne sert à rien, ce qui montre bien que le comportement
adopté a finalement peu d’importance. D’ailleurs, rien ne sert à rien en règle
générale.
D’un côté donc, leurs valeurs sont universalistes. D'un autre côté, ils refusent
les valeurs occidentales - à prétention universelle - parce que certains de ses
aspects ne leur plaisent pas. La revendication autonome est de ce fait relativement
opportuniste, puisqu'elle n'est affirmée que dans un contexte. Les choix
idéologiques ne sont pas réellement assumés, entre un soutien aux valeurs du
système et une opposition frontale à ce qu'il représente. Ils critiquent l’état mais
parfois lui demandent tout. Ils sont pour la démocratie, mais pas celle-là, pour des
valeurs universelles mais pas celles du capitalisme. Pour le Tibet aux tibétains,
mais pas la France aux français. Ils oscillent entre assumer leur subjectivité et
prétentions universelles. C’est la raison pour laquelle au constat des caractères
inconciliables de l’intérêt général et de l’intérêt particulier dans la société, ils
supposent que c’est la société qui dysfonctionne et non pas la conciliation qui est
une cause perdue. Et ils recherchent une autre organisation. D’une certaine
manière, les bases profondes de l’anarchisme français étant les mêmes que celles
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DE LA MORALE
Il ne faut pas se raconter d’histoires : l’intérêt d’un petit collectif est qu’il
peut coller au mieux à notre intérêt personnel. Dans le pire des cas, les valeurs du
collectif sont subies.
Dans le meilleur des cas, l’individu se soumet aux règles parce qu’il s’y
identifie. Car on adopte naturellement les valeurs qui correspondent à son mode de
vie, plutôt que de vivre en conformité à des valeurs qui auraient la première place.
Les homosexuels défendent logiquement le droit à l’adoption des couples gays, et
le vendeur d’herbe se prononce pour la dépénalisation de l’usage du cannabis.
C’est ainsi qu’il se crée des clubs d’affinités. Ces clubs peuvent dépenser
énormément d’énergie à démontrer le bien-fondé de leur point de vue et
l’immoralité de ceux d’en face.
Formellement, il n’y a guère de différence entre le club des fans de Claude
François et le club des anarchistes. En matière d’art, le culturel n’est pas toujours
transformé en morale, et les anarchistes se justifient beaucoup plus que les fans de
Claude François, avec tout un tas d’arguments à opposer au social-démocrate et au
communiste.
Mais tout dans la culture a un potentiel moral : les fans de Claude François
ont parfois des arguments qu’ils pensent logiques pour démontrer sa supériorité sur
Johnny Halliday.
Les êtres humains sont des êtres de désirs, et ces désirs sont incompatibles
entre eux. Chacun érige donc un système moral qui ne mette pas ses désirs en
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DE LA MORALE
Les hommes pensent qu’ils peuvent sortir de leur enfer, qu’ils peuvent
changer le monde. Pour Jean-Jacques Rousseau, c’est la société qui pervertit
l’homme. Aujourd’hui on organise des campagnes d’information à destination du
public masculin pour lutter contre le viol, un phénomène millénaire, comme si les
hommes concernés souffraient d’un déficit d’information.
Dans la recherche du système parfait, on réclame des lois. Or le principe des
lois n’est pas de mettre en place un système parfait, mais des contraintes. Le
système « parfait » que l’on pense créer par la loi est un système fait sur mesure
pour les intérêts de certains.
Là où la droite crée des lois pour punir les transgressions, une certaine
gauche veut créer des lois pour les empêcher, et fait semblant de ne pas voir qu’il
s’agit d’une contrainte. Là où la droite organise l’ordre social en suivant la morale
qu’elle s’est choisie, la gauche pense qu’elle peut changer le monde en légiférant.
La gauche n’est pas optimiste quant à la nature humaine ; elle ne veut pas la voir.
A dire vrai, la droite n’existe plus. Elle cherche aujourd’hui comme la
gauche à imposer les valeurs occidentales supposées progressistes au reste du
monde. L’humain occidental semble croire de manière insidieuse qu’en gagnant
suffisamment d’argent, il ne mourra pas. Ainsi sont les parents semblant ignorer
que leur enfant va souffrir, attraper le cancer, avoir faim et mourir. Nous avons là
une caractéristique de l’homme : il prend ses désirs pour des réalités.
Les français sont très attachés aux mantras républicains sur l’égalité des
citoyens. Or la France sous la gauche dans les années 80 était une société très
hiérarchisée, animée de très faibles mouvements dans l’échelle sociale. Jamais on
n’aura pourtant autant célébré l’égalité. On ne savait pas très bien à quoi elle faisait
référence. Si on regardait du côté de la situation sociale, c’était absolument faux.
Mais ce devait être vrai, donc c’était vrai. Inversement, un fait, s’il est immoral, est
faux.
Au-delà des rapports variables que chacun entretient aux différentes valeurs,
la morale peut aller jusqu’à déterminer ce qui est vrai. Certains scientifiques
cherchent ainsi à démontrer que les hommes sont « égaux » d’un point de vue
ontologique, soit un jugement moral avec des arguments scientifiques. On pourrait
leur tendre un miroir : pour le démontrer, ils doivent choisir des critères et établir
des comparaisons, et ces mêmes critères pourraient tout aussi bien démontrer le
contraire. Ce faisant ils considèrent donc qu’établir des comparaisons sur critères
est une méthode valide pour démontrer l’égalité ou l’inégalité des individus. Même
le choix des critères est établi selon une grille morale. La réalité n’étant pas
conforme à leurs souhaits, ils peuvent aussi mentir comme des arracheurs de dents
sur leurs résultats.
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DE LA MORALE
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DES GARANTIES
Des garanties
Il devrait aller de soi que, puisque les hommes ne distinguent pas un fait et
une opinion, un concept ou une hypothèse, que tout ce qui a trait à la notion de
« preuve » sera plus souvent qu'à son tour corrompu. On acceptera des opinions
comme preuves, et des preuves authentiques seront qualifiées d'invalides.
Il va également de soi que puisque la preuve renforce la croyance de
l'auditoire en la validité d'un discours, tous les menteurs s'empressent d'étayer leurs
mensonges par quantités de preuves.
Les seules preuves auxquelles nous devrions croire sans (trop de) réserves
sont celles pour lesquelles nous sommes nous-mêmes témoins. Au-delà, il existe ce
qu'on appelle la crédibilité des sources. Et cette crédibilité se fonde sur d'autres
preuves, souvent tout aussi douteuses, et la dictature de l'opinion commune. Il en
résulte que c'est le pouvoir du cœur qui séparera le plus souvent le vrai du faux,
avec l'aide de l'expérience.
Puisque les media de masse prescrivent ce qu'il convient de croire, il va de
soi que si quelque pouvoir est en mesure de décider ce dont les media vont parler,
et qu'il a un intérêt quelconque à fournir à l'opinion de fausses informations, il le
fera sans hésitation aucune.
avoir sous-déclaration (un médecin qui ne ferait pas le lien entre un médicament et
un symptôme, un patient qui n’informerait pas son médecin de la survenue du
symptôme), ou affabulation.
Selon la très sérieuse enquête bisannuelle de l’INSERM sur la sexualité des
français, les hommes auraient 11 partenaires quand les femmes en auraient 4. On
ne sait pas bien à quelle période de temps on se réfère, ou s’il existe un âge de
référence, ni quelle est la définition du mot « partenaire » retenue dans l’étude. On
ne sait pas non plus si l’étude se limite aux pratiques hétérosexuelles. On
rappellera toutefois qu’à chaque fois qu’un homme a une nouvelle partenaire, une
femme a un nouveau partenaire. L’étude n’est pas crédible du seul fait des résultats
qu’elle présente.
Si les effets indésirables résultent de l'effet conjugué de multiples facteurs, le
lien ne sera pas établi. Rappelons que la mort est un événement statistiquement
négligeable pour un intervalle de confiance de 5%. Mais tout le monde meurt.
On a cependant constaté que très souvent des études portant sur une même
hypothèse arrivaient à des conclusions contradictoires. Souvent, on retient une
hypothèse comme avérée quand les conclusions de l'étude valident cette hypothèse
dans 95% des cas, voire plus. C'est-à-dire qu'il y a 5% de chances que la valeur
réelle se situe en dehors des bornes de l'hypothèse. Mais si une étude de ce genre
voit ses conclusions contredites par trois autres du même genre, il est évident que
les conclusions de l'étude sont erronées, parce qu'il existe un biais dans
l'échantillon de sujets testés (trop différents de la population générale), que
l'hypothèse est mal formulée, que les résultats de l'étude sont truqués, ou que
l'analyse des résultats contredit les données.
Mais on ne rejette pas l'étude ; on mélange les sujets de différentes études, et
on poole les résultats. On parle à cet effet de méta-analyses. Les méta-analyses ont
été créées pour des études contenant par nécessité – comme dans le cas des
maladies rares - des échantillons de petite taille. L'augmentation du nombre de
sujets inclus dans l’étude est censée donner de la « puissance » au test. Mais les
méta-analyses sont désormais largement utilisées pour tous types d'études.
Une polémique est née du fait que les études concluant à l'absence de
résultats ne sont pas toujours publiées et faussent parfois la méta-analyse.
Mais ce n’est pas là l’essentiel : les études ainsi poolées proposent déjà des
tests statistiquement valides à 95 %, et n’ont donc aucun besoin de puissance. Et si
une étude est fausse, que ce soit par un biais d'échantillon ou les résultats, elle ne
peut que contaminer les autres.
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DES GARANTIES
acceptée des sources. Pour l'individu, il n'y a que son cœur, sa raison et son
expérience.
Si on ne peut faire confiance aux preuves, c’est à la foi qu’il faut faire
confiance. Cela suffit à réhabiliter la spiritualité, puisque la science ne se prévalait
de sa supériorité que parce qu’elle prétendait pouvoir fournir des preuves. Avec la
foi comme seul outil, la science rejoint la spiritualité dans une catégorie unique.
En matière spirituelle, l'absence de preuves indiscutables invite certains à
préférer l'agnosticisme. Ceux-là sont à un certain égard bloqués. Mais si nous
assumons le fait d'avoir des croyances, par quels moyens pouvons-nous distinguer
l'enseignement juste des falsifications ? On observera comme on l’a vu que les
domaines dans lesquels on pense avoir des arguments vraiment solides ne sont pas
si différents du domaine des croyances spirituelles. Ce qui pour nous est un fait
indiscutable sera contesté par un autre. Ce qui pour nous est une conclusion
logique sera invisible pour un autre.
Dans les années 1950, un certain Leon Festinger a proposé pour expliquer
cela la théorie de la dissonance cognitive, en observant les réactions d'un groupe de
croyants à l'échec d'une prophétie. Il écrit ceci : « Un homme avec une conviction
est un homme difficile à changer. Dites lui que vous n'êtes pas d'accord et il se
détourne de vous. Montrez lui des faits ou des chiffres, il questionne vos sources.
Appelez à la logique, et il échoue à voir votre conclusion. »
Par ailleurs, la science avance souvent grâce à de géniales intuitions
AVANT qu'une quelconque expérience valide la théorie. Einstein ne disposait pas
d'expériences pour prouver la théorie de la relativité générale. A l'inverse,
beaucoup de travaux scientifiques sont truffés de pseudo-faits et de raisonnements
spécieux.
C'est ainsi que l'intuition, les faits et le raisonnement concourent tous les
trois à une même vision de la réalité. L'esprit n'est rien sans le cœur pour
l'encourager, ni le cœur sans l'esprit pour le soutenir. L'opposition entre les
sensitifs et les « cartésiens » est superficielle. Le véritable clivage se situe entre
ceux qui ont les bonnes intuitions, voient de véritables faits et font des
raisonnements corrects, et ceux chez qui tout cela est frelaté.
Pour tous les humains, qu'ils soient scientifiques ou partisans du new age,
qu'ils soient sur la voie juste ou sur un chemin de tromperie, tout ce qu'ils pensent
est vrai. C'est même un truisme de dire qu’on ne peut pas ne pas être d’accord avec
ce qu’on pense. Et pourtant nous ne sommes pas d'accord entre nous. Et il est en
général impossible de convaincre quelqu'un qui est d'une opinion contraire,
quelque argument qu'on lui propose. Car ceux qui se trompent ont toujours à
disposition le raisonnement, les preuves et l'intuition qui valident leur erreur.
Mais de ce qui précède, on est obligé de conclure qu'aucun argument ne
permet de valider nos convictions pour nous-mêmes. Il n'y a donc que la foi qui
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DES GARANTIES
nous permette de choisir. La foi des uns les trompera. Et la foi des autres sera
infaillible.
Nous sommes conformes à notre nature. Nous pensons et faisons
conformément à cette nature. Et tout ce qui arrive dans ce monde arrive
naturellement. On ne doit pas penser que nos sens nous trompent comme le prétend
Descartes, car nous n'avons pas d'autre choix que d'avoir foi en nous.
La nature des uns est d'être trompés. La nature des autres est de trouver la
vérité.
Il s'ensuit qu'on n'apprend jamais rien de réellement nouveau. Ce que l'on est
en mesure de comprendre est conforme à notre nature. L'enseignement ne fait que
révéler ce que l'on sait au fond de soi, et à le fixer par le langage.
Il est donc illusoire de penser faire voir quelqu'un qui ne voit pas. Et que
celui qui a des oreilles entende.
Il est donc également illusoire de penser pouvoir changer le monde, qui est
et demeure conforme à sa nature. Le progressisme qui veut « réparer le monde » ne
sera lui-même qu'une manifestation du monde conforme à sa nature.
Deux prisonniers complices d'un délit sont dans des cellules séparées et ne
peuvent pas communiquer entre eux. Si un seul des deux avoue, il sera gracié et
l'autre fera 10 ans de prison. Si les deux avouent, ils seront condamnés à 5 ans
chacun. Si aucun des deux prisonniers n'avoue, chacun fera 6 mois de prison, par
défaut de témoignage à charge.
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DES GARANTIES
Il existe une autre croyance liée à l’argent : celle que l’argent favorise
l’abondance. On la retrouve dans la Chrématistique d’Aristote. Celui-ci écrivait
que l’argent avait la capacité d’étendre le domaine de l’économie indéfiniment, au
détriment de valeurs traditionnelles.
A un certain degré, cela est vrai.
Le troc pose les mêmes problèmes que l’argent, mais a des inconvénients qui
lui sont propres puisqu’il n’a pas le caractère fractionnable de la monnaie, et qu’il
n’existe aucune garantie que la contrepartie soit acceptée.
Ainsi, une personne, qui ferait pousser des carottes et souhaiterait les
échanger contre la viande du voisin, n’aura pas sa viande si le voisin ne veut pas de
carottes.
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DES GARANTIES
société est un excédent généralisé de tous les biens possibles, les manques
constatés au niveau individuel amènent les protagonistes de l’échange à utiliser
l’argent pour ne pas être lésés. La notion même de valeur, le PIB ou la notion de
développement suggère non pas la prospérité, mais le manque, puisque l’homme
projette d’en avoir plus.
C’est ainsi que l’argent crée une pénurie artificielle. On a là encore
l’illustration du principe d’inversion : si les hommes ont intégré l’idée de pénurie,
ils la créent eux-mêmes, en agissant pour ce qu’ils pensent être leurs intérêts, au
détriment de tous. On retrouve là le dilemme de Nash.
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DES GARANTIES
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DES GARANTIES
Les fonctions dévolues à la valeur et à l’argent sont donc que chacun reçoive
selon son mérite au travail, que l’échange soit juste, que le développement soit
stimulé par l’incitation au travail et la libération des possibilités de l’échange.
En termes de justice, l’effort a parfois la récompense à la clé. Mais dans
l’ensemble, les plus riches ne sont pas ceux qui travaillent ou ont travaillé le plus.
Bien au contraire, la valeur sert d’alibi aux riches pour nous faire croire qu’ils sont
méritants.
Le développement peut bien être observé, mais son appréciation reste
ambiguë.
L’utilisation de la monnaie libère les possibilités de l’échange dans un
premier temps, grâce à sa nature fractionnable, le fait qu’il s’agisse d’un équivalent
partout admis, qu’il soit réutilisable, et surtout la possibilité infinie d’en créer par
décret. Mais dans un second mouvement, une quantité de monnaie trop restreinte
est elle-même à l’origine de la paralysie des échanges, alors même que les parties
ont des biens qu’elles souhaitent échanger.
Les effets de l’argent semblent donc ceux espérés, mais également leur
opposé.
Lorsque nous constatons les effets néfastes du culte de l’argent et les dégâts
d’un développement non contrôlé, nous sommes tentés de prendre le chemin
opposé.
Les systèmes d’autoconsommation ou de sortie de l’économie conservent la
possibilité de parasitage, car certains peuvent choisir délibérément de ne pas
travailler. Ce parasitage peut être officialisé quand le rapport de force bascule en
leur faveur. C’est ainsi que des chefs de kolkhozes ont pu quasiment réduire leurs
membres en esclavage. De même dans les dons aux autres communautés de
producteurs, nous devrions nous assurer que ces communautés ne cherchent pas à
prendre sans rien donner. Les principes de la sortie de l’économie supposent en
effet que nos partenaires partagent nos idéaux.
Nous voilà bien attrapés : pour ne pas nous faire léser, nous aurions besoin
d’une garantie, et c’est précisément à cette garantie – la valeur – que nous avons
voulu échapper.
Les effets d’un système de production et de consommation débarrassé de la
garantie de la valeur nous laissent donc à la merci des profiteurs. Parfois
l’ensemble peut fonctionner, parfois nous serions dépassés.
Quels que soient nos choix, il semble que notre situation ne puisse
s’améliorer, puisque ce n’est pas le système choisi qui pose problème, mais notre
nature prédatrice et le besoin de s’en prémunir quand d’autres nous attaquent.
Pire : les protections ne fonctionnent pas, car les prédateurs les tournent à leur
avantage.
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DES GARANTIES
Nos choix sont donc largement arbitraires. C’est tout ce à quoi se résume la
morale. Certains pensent que vivre dans une société économique, consumériste et
technologique, vaut bien que l’on subisse l’aliénation au travail et à la valeur.
D’autres préfèrent l’autonomie autour de méthodes de survie rudimentaire.
régler toute société humaine. Malgré toutes leurs lois, toutes les civilisations ont
connu ou connaissent le crime, et la loi légalise en général la raison du plus fort.
D’ailleurs que peut faire au peuple que trois pouvoirs dans lesquels il n’a
aucune part soient indépendants ? On lui vendra donc le suffrage universel.
Edward Bernays appelait le marketing politique « la fabrique du consentement »
par laquelle le cochon de votant imagine qu’il a choisi lui-même son président ou
son député, omettant le fait que le tri avait été fait en amont et les faits orientés de
telle manière que le résultat est en général connu à l’avance. Il faut noter également
que l’illusion dans laquelle il est d’avoir pris part aux choix de la nation rend
l’individu infiniment plus résigné aux coups qu’il reçoit qu’il ne le serait dans une
tyrannie affichée.
Le vote est un droit de regard théorique sur les décisions prises au nom de la
communauté. Il s'agit de s'assurer que personne ne profite de sa charge pour son
profit personnel, et fait les meilleurs choix pour la communauté.
Or les individus sont toujours conformes à leur nature, et aucune manœuvre
ne peut les contraindre à être autre chose.
Si les individus étaient vertueux, ils ne lèseraient jamais leurs concitoyens.
Ils ne le sont pas, et les autres doivent s'attendre à être lésés quoi qu'il arrive.
De la même façon que la comptabilité légitime les injustices, l’élection
légitime les mauvais gouvernements. Il ne manque d’ailleurs pas de
commentateurs pour prétendre que la démocratie est défendable en essence,
indépendamment de ses effets.
On se doit d’ajouter que la démocratie ne peut fonctionner que dans les
mêmes conditions idéales que l’on suppose pour le marché : une concurrence pure
et parfaite entre les candidats, dépourvue d’asymétrie d’information entre le
candidat et l’électeur. On sait exactement pour qui on vote, qu’elles sont
exactement les idées défendues et quelles conséquences concrètes elles auront sur
nos vies.
Beaucoup de gens ne croient pas à la main invisible du marché. Ils semblent
savoir que des millions d'individus mal intentionnés ne peuvent fonder un
commerce sain. Mais ils croient volontiers à la main invisible de la démocratie.
Que des millions d'individus égoïstes peuvent prendre des décisions collectives
altruistes, que leurs représentants ne seront pas au service d'intérêts particuliers.
En dépit de prétentions universalistes, la démocratie stabilise au mieux les
rapports de dominant à dominé. C’est assez courant pour les valeurs universalistes.
Le principe de non-violence intégré par les dominés permet d’éviter les révoltes, et
convient au mieux aux entreprises colonialistes, de même que la promotion de
l’antiracisme parmi les peuples colonisés assure au mieux l’absence de réaction des
peuples à leur spoliation.
Gustave Le Bon faisait un sort à l’Histoire en observant que plus on trouvait
de témoins pour corroborer un fait, moins celui-ci avait de chances de s’être
déroulé comme on le disait. C’est cette rapide obscurité qui avait fait formuler par
l’historien Michelet le vœu d’une Histoire écrite en temps réel. L’Histoire échoue
également à garantir la véracité du récit. L’anthropologue roumain Mircea Eliade
- 85 -
DES GARANTIES
avait constaté une tendance à historiciser les mythes, quand dans le mouvement
inverse, on mythifiait l’Histoire. Nous pourrions même aller plus loin et considérer
que l’Histoire et le mythe sont une seule et même chose.
Hobbes écrivait dans Léviathan que les hommes délèguent l'autorité à une
instance répressive chargée d'empêcher les débordements parce qu'ils se méfient
les uns des autres. La morale y est donc décrite comme une garantie, comme peut
l’être la valeur économique.
Et comme toutes les garanties civilisationnelles, elle fonctionne plus ou
moins. L’existence même de la morale crée l’interdit, et rien n’est plus désirable
que la transgression des interdits. La morale créée pour organiser la société crée sa
désorganisation.
Il va de soi que les personnes souhaitant appuyer un mensonge chercheront à
l’accréditer, et c’est ainsi qu’ils investissent les institutions qui permettront de le
faire. Ceci est vrai des Sciences, de l’Histoire, ou de la Justice. De même, tout
pouvoir sérieux essaiera de faire croire à ses sujets qu’ils l’ont choisi, au mieux par
les voies démocratiques. C'est ainsi que l'Allemagne de l'Est était démocratique, et
que presque tous les potentats du monde organisent des élections aussi truquées
soient-elles. En général, le mensonge ne prend pas. Les meilleurs menteurs sont les
régimes qui sont capables de faire croire à leur population que la démocratie existe
réellement dans leur pays.
Le mariage est la garantie pour une femme que son mari la nourrira et la
protégera. Mais le mariage avec un homme sans revenus mettra la femme en
difficulté matérielle.
Parfois les diplômes garantissent vraiment la compétence du plombier, du
médecin ou de l’ingénieur. Parfois ils servent à empêcher des personnes capables
de se prévaloir d'une quelconque compétence dans la matière. Parfois ils font
croire que la personne diplômée dispose d'un savoir-faire qu'elle ne possède pas.
Toutes les organisations ayant des prétentions élitistes dans un sens ou dans
un autre attirent inévitablement des incapables, souhaitant être identifiés comme
des membres de l'élite.
Les organismes certificateurs seront fatalement amenés à certifier aux fins de
tromper le public. Un chocolat « pur beurre de cacao » signifie qu'il doit en avoir
au moins un certain pourcentage dans les matières grasses utilisées. « Sans
OGM », avec peu d'OGM. Et le label « agriculture biologique » dépend des
définitions adoptées par le label, qui ne sont pas des plus draconiennes. La
commission d'autorisation de mise sur le marché des médicaments nous a assuré
en 2010 que le vaccin contre la grippe H1N1 a suivi les procédures normales de
l'autorisation de mise sur le marché, alors que dès le départ il était dit que les
études ne seraient pas faites. C'est-à-dire que l'on fait croire que ce ne sont pas les
études scientifiques qui importent mais le tampon de la commission.
Toute idée contient son contraire. La paix ne s'obtient que par la guerre, et la
guerre a pour finalité la paix. La preuve sert à tromper. La démocratie consacre
l'impuissance des individus écrasés par la masse. L'Etat nous opprime au lieu de
- 86 -
DES GARANTIES
nous protéger. Le droit n'amène pas la justice mais légitime les différences de
traitement. La morale sans l'oppression favorise sa propre transgression et la
philosophie obscurcit la vérité.
Il ne faut pas s'attacher à la conviction contraire du simple fait que de
l'élaboration commune parfois sortent de bonnes décisions, que le lecteur ressente
chez lui l'existence d'un censeur moral. Il y a plusieurs sortes d'hommes, dont les
structures mentales sont différentes et dont les actions sous un même nom ne sont
pas de même nature.
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DES GARANTIES
- 88 -
DE LA DEMOCRATIE
De la démocratie
L’instauration de la démocratie résulte d’une insatisfaction envers des
systèmes monarchiques qui n’avaient pendant longtemps jamais été contestés. Les
monarques décevaient leurs sujets. Une idée de fond était que les problèmes
résident dans l’organisation sociale et non dans la nature humaine, et qu’il suffit
donc de trouver une meilleure organisation sociale pour améliorer le monde. C’est
ce qui fonde toute la pensée de gauche depuis Jean-Jacques Rousseau. Une autre
conviction associée à la démocratie est qu’il est possible de concilier l’intérêt
général et l’intérêt particulier.
Le fait que de nombreuses modalités de « démocratie » aient existé à
différentes époques et en différents lieux démontre à lui seul que trouver un
système qui satisfasse à ces conditions est une mission particulièrement difficile !
- 89 -
DE LA DEMOCRATIE
Constatant la tendance des élus à ne pas respecter leurs mandats, à servir des
lobbies plutôt que leurs électeurs, et la tendance des experts à déposséder les élus
de leur pouvoir, beaucoup de gens en concluent à une défaillance de la démocratie.
Certains poussent à l’adoption de procédures de démocratie directe, comme le
referendum. D’autres souhaitent ajouter des étages dans l’édifice démocratique, ou
en mettant en place un contrôle des élus par les électeurs en dehors des
consultations électorales.
Plus radicaux, certains n’acceptent de décisions prises que dans le cadre
d’assemblées générales. Comme la procédure de décision devient très lourde, le
- 90 -
DE LA DEMOCRATIE
principe ne peut être retenu que pour des structures relativement petites et à impact
local.
Souvent, ces assemblées ne sont pas réellement autonomes, puisque l’ordre
du jour est imposé par la municipalité. On parle à cet effet de démocratie
participative. La démocratie participative est une forme intermédiaire entre la
démocratie représentative et la démocratie directe, où la décision est « prise » par
tous mais impulsée par un collectif d’élus. Il s’agit de rapprocher la décision
politique de l’individu alors que les tendances démographiques et institutionnelles
(Union européenne, FMI, OMC) tendent à les en éloigner.
Les questions laissées aux assemblées de quartier ne sont pas seulement
choisies par la municipalité et les réponses orientées par elles, mais l’ « assemblée
générale » se résume à un collectif d’élus de quartier qui reproduisent à un étage
infra les mécanismes de délégation. Par ailleurs, le plus souvent, il ne s’agit que de
consultation sans vote, la décision finale revenant à la ville. Quand il y a vote, les
propositions ont déjà été amplement filtrées.
Enfin, ces assemblées même décisionnaires ne disposeraient pas des moyens
financiers pour mettre en œuvre leurs décisions. La ville de Porto Alegre au Brésil
fut peut-être le seul exemple de « budgets participatifs ». Le budget est directement
confié à des conseils de quartier qui le gèrent. Toutefois, les conseils de quartier
élisent également des bureaux et on revient au principe électif. Une telle situation
n’a pas que des avantages, puisque les conseils se voient octroyer un budget alors
qu’ils laissent la ville opérer les prélèvements financiers. Comme par ailleurs,
l’affectation de ce budget est peu ou pas évaluée, c’est la porte ouverte à un
clientélisme généralisé, qui permet à la municipalité de se créer des obligés en
grand nombre.
On voit donc que la démocratie participative est limitée à des questions de
portée limitée, et que la délégation de pouvoir y reste très forte.
- 91 -
DE LA DEMOCRATIE
y ajouter qu’il arrive également qu'on élise par accident un représentant du peuple
dévoué et compétent.
Ces communautés se voient souvent obligées de respecter des interfaces
avec le monde capitaliste régulé par l’Etat, mais essaient d’en retirer le maximum
d’activités qu’elles exercent par et pour elles-mêmes.
*
- 92 -
DE LA DEMOCRATIE
C’est ainsi que de moyen censé assurer le triomphe des intérêts individuels
et collectifs tout en même temps, la démocratie n’a plus à prouver qu’elle y
parvient. Elle devient une fin en elle-même. On retrouve cela à travers les pratiques
- 93 -
DE LA DEMOCRATIE
- 94 -
DE LA DEMOCRATIE
Etat de droit : cette expression signifie normalement que le droit est écrit.
Pas que l'Etat donne des droits à ses citoyens. Le droit était aussi écrit sous Louis
XIV.
- 95 -
DE LA DEMOCRATIE
Garantissant la liberté et l'égalité des citoyens : dans les faits, c'est surtout
le principe électif qui est retenu. Les questions qu'il faut se poser est « où sont les
textes (on est dans un Etat de droit rappelez-vous) qui garantissent la liberté et
l'égalité ? », « quelle définition est donnée dans ces textes à la liberté et l'égalité ? »
et « ces textes sont-ils respectés ? »
Pour la liberté, le principe habituellement retenu en droit est que tout ce qui
n'est pas formellement interdit est toléré. La garantie repose donc sur une absence
de texte. Le jour où un texte de loi vient réglementer une activité, la garantie sur la
liberté disparaît. On a donc ici une figure de style appelée oxymoron en poésie : un
Etat de droit (où le droit est écrit) censé garantir la liberté (qui repose sur une
absence de droit).
La Déclaration des Droits de l'Homme qui stipule que « les hommes naissent
libres et égaux en droit » est certes inscrite dans le Préambule de la Constitution,
mais le Préambule... ne fait pas lui-même partie de la Constitution.
L'égalité repose, elle, sur des droits constitutionnels. Le premier de ces
droits est le droit de propriété. L'égalité est donc le droit commun à tout individu
de posséder quelque chose, pas l'égalité de ces possessions. Les droits qui suivent
ne sont pas vraiment respectés : droit d'asile, liberté syndicale, droit de grève, droit
à l'emploi, non-discrimination par le travail, droit au logement.
Passons sur la blague sur le libre débat et finissons par la définition
raccourcie à laquelle l'absence d'article donne rang d'aphorisme : « La démocratie
est civilisation. » Pisani ne veut évidemment pas dire que Sumer ou l'Egypte de
l'Ancien Empire étaient des démocraties, il veut dire que ce ne sont pas des
civilisations. La civilisation a commencé pour lui au 18ème siècle en Europe
occidentale, chez les Blancs.
Pisani écrit aussi « La démocratie doit tendre vers son plein
accomplissement : elle est débat et non mise à mort, elle est alternance et ignore
toute lutte finale [...] » ou encore « Plus que la source de la paix et du progrès, elle
en est l'objectif et le couronnement. »
L'intention était de dénoncer les croisades de George W. Bush en Irak et en
Afghanistan, en niant le fait que « la démocratie est, en soi, un remède au sous-
développement, à la guerre civile, à la dictature. » Pisani était-il naïf au point de
penser que Bush aurait eu pour objectifs la fin du sous-développement et de la
dictature ?
Il va encore plus loin : « On a lancé un processus mécaniste. » et « La
naissance et l'épanouissement de la démocratie obéissent à des lois biologiques. »
Il fallait oser : l'avènement de la démocratie est un résultat de l'évolution ! Il y a les
non-occidentaux pas évolués qui ne sont pas démocrates, et les occidentaux
évolués qui le sont.
- 96 -
DE LA DEMOCRATIE
Nous observons donc que quoi qu’il choisisse de faire, l’homme est
confronté à l’inversion des principes dans lesquels il a entrepris son action. Il en est
de même avec la démocratie.
Puisque la démocratie est en soi une vertu, truquer les élections n’est pas un
problème du moment que les apparences démocratiques sont sauves. Ainsi certains
commentateurs ont salué le fait qu’Al Gore renonce à ses accusations de fraude
contre George W. Bush lors de l’élection présidentielle américaine en 2000, pour
« sauver la démocratie ». Le Conseil d’Etat a aussi reconnu que des morts avaient
voté lors d’élections législatives, mais confirmé l’élection du tricheur, estimant que
cela n’était pas de nature à modifier les résultats du scrutin.
Il va de soi que le principe démocratique devait servir à légitimer la tricherie,
et même les dictatures.
Quand les forces sont plus équilibrées, que peut faire un individu impliqué
dans une procédure électorale lorsqu’il sait pertinemment que s’il ne triche pas, le
camp d’en face le fera et emportera la mise ? L’élection est une incitation au vice,
et l’on peut être certain que par ce biais, ce sont essentiellement des individus
vicieux qui parviendront au pouvoir. Au moins dans un système par cooptation ou
de pouvoir héréditaire, il peut arriver par accident qu’un chef ait une véritable
stature (nous ne parlons pas ici de médiocres autocrates à l’esprit conquérant. Peu
d’exemples valables pourraient venir à l’esprit du lecteur). Et si, fort rarement, un
chef d’une telle stature commençait de s’imposer en démocratie, il serait
invariablement poussé vers la sortie par la masse des médiocres.
De fait, il n’est plus rare de voir des associations ou des sections syndicales
parallèles se créer en marge des organisations officielles, et de les voir s’exprimer
en leur nom quand il y a des désaccords ou même pour de simples questions de
personnes. Il est frappant de voir qu’il est très rare qu’on ait conscience
d’enfreindre une règle.
Il faut dire que la démocratie a quelques vertus pratiques. Elle sert à
légitimer ses propres victoires et à jeter le doute sur celles du camp d’en face.
De tels individus sont typiquement des exemples de dissociation. Ils peuvent croire
sincèrement aux vertus de la démocratie électorale, et considérer que tout ce qui
compte c’est gagner. Ils se révèlent tout aussi dissociés lorsque truquant leurs
scrutins internes, ils semblent convaincus que les élections qui se tiennent au
niveau institutionnel sont régulières.
Par ailleurs, on dit parfois qu’on n'élit pas quelqu'un sur un bilan, mais sur
des promesses. Mais on n’en tire pas la conséquence : les politiques n'ont aucun
intérêt à résoudre des problèmes qui leur rapportent des voix.
La droite au pouvoir serait mal inspirée de régler les difficultés
administratives des créateurs d'entreprise, ni de réduire l'insécurité. Et ceux qui
font profession de diminuer la dette de l'Etat font toujours en sorte de la faire
exploser. Les deux grands emprunts d'Etat de la Vème République sont les emprunts
Giscard et Balladur. C'est sous Lionel Jospin qu'on a terminé de rembourser
l'emprunt Giscard et que la France s'est relativement désendettée.
Quant aux socialistes, ils auraient perdu leur thème de bataille s’ils s’étaient
avisés de régler les problèmes d'inégalités ou la misère sociale.
d'intéressant aux principes « démocratiques » d'un système qui les rejette par
principe comme gouvernants ?
Ils finissent par servir d’alibi au capitalisme quand celui-ci prétend aller de
pair avec la liberté d’expression, puisqu'il autorise même sa propre contestation.
Il s’ajoute à cela un discours prétendant faire du capitalisme la fin de
l'histoire. Il serait inutile de le combattre, parce qu'il n'existerait rien par quoi le
remplacer. La paresse intellectuelle et l'ignorance font même que certains font
croire que capitalisme est synonyme d'économie : pour eux, acheter et vendre
signifie adhérer à des principes capitalistes. L’opposition partage toutes les
croyances économiques absurdes des capitalistes.
D’ailleurs, les forces au pouvoir que sont la très haute bourgeoisie ou les
grands banquiers par l'intermédiaire des pouvoirs politiques qui leur sont inféodés,
contrairement à leurs opposants, continuent de considérer la démocratie comme un
moyen de se maintenir au pouvoir, et non comme une fin. S’il advient que le débat
d'idées ou les résultats des votes menacent le pouvoir en place, celui-ci n’en tient
tout simplement pas compte. C’est ainsi que le Traité constitutionnel européen a pu
être adopté sans vote ni modification de fond, après avoir été clairement rejeté par
referendum dans plusieurs pays.
Par un amusant retournement de sens, ces forces en arrivent à présenter leur
propre gouvernement comme démocratique en essence, même s’il est minoritaire,
et le pouvoir des autres comme anti-démocratique, même s’il est majoritaire. Un
reversement du gouvernement élu devient alors un acte essentiellement
démocratique !
Le positionnement ultra-démocratique des mouvements de gauche sud-
américains parvenus au pouvoir a donc quelque chose de masochiste. Ils auront
toujours les corps constitués, les media, le patronat, et parfois l'armée contre eux.
La croyance naïve des individus dans les vertus de la démocratie électorale
est une expression de la croyance au progrès. En dépit de tout ce qu’elle pourrait
observer, la gauche pense toujours de manière plus ou moins consciente qu'il existe
un sens positif à l'Histoire et que leurs efforts finissent par déboucher sur un
progrès de l'humanité. La victoire viendra un jour, et elle sera définitive.
Mais l'Histoire nous permet-elle d'observer que des progrès le soient pour
toujours, ou que globalement le monde s'améliore avec le temps ?
Cela éclaire aussi la tendance des groupes de gauche à construire des formes
d'organisation idéales sans se donner les moyens de consolider leur pouvoir une
fois celui-ci acquis. Ils supposent toujours vaguement qu'une fois qu'ils seraient au
pouvoir, la droite se dissoudrait dans leur bonheur collectif. Quelle que soit la
forme d'organisation, les forces entropiques saisissent toutes les opportunités de
reprendre le contrôle.
- 99 -
DE LA DEMOCRATIE
La France a prouvé mieux que les autres pays qu'un scandale pouvait être
étouffé même quand tout le monde est au courant. L'abus de bien social ou même
la délinquance sexuelle avérée n'a pas toujours de conséquences sur l'image
publique d'un personnage.
Il est même possible d'orchestrer soi-même sa propre contestation et d'en
retirer des lauriers de démocrate. Une grande légitimité du principe électoral dans
l'opinion permet de se livrer à tous les délits et toutes les manipulations sans jamais
être inquiété.
On pourra ajouter que la légitimité majoritaire est un argument pour museler
un opposant dans pratiquement toutes les organisations.
Autant dire que même sans violence, la force des indiens était écrasante. La fin de
l'apartheid en Afrique du sud repose sur un rapport de force certes inférieur, mais
aussi sur un boycott international très efficace. Et il faut aussi se rappeler de la
période pendant laquelle un rapport de 1 à 10.000 a permis malgré tout aux
britanniques de coloniser l'Inde.
Si l’on veut juger d’un arbre à ses fruits, la manière dont un gouvernement
accède au pouvoir ou s’y maintient n’a aucune importance, seuls ses actes
comptent. Les résultats de la démocratie sont très discutables au regard des
conditions matérielles et morales des individus.
Vue comme moyen et non comme fin, la démocratie ne donne pas de
meilleurs résultats que les autres systèmes politiques. On dit notamment que les
peuples se préoccupent de démocratie quand leur estomac est plein, ce qui montre
bien que la démocratie n'améliore pas spontanément la situation matérielle des
individus.
Tout individu ayant des yeux pour voir peut observer que le caractère électif
de la désignation des représentants du peuple n’améliore pas le sort des sans-abris.
Le prince de Naples au 16ème siècle avait construit un immense asile pour ceux de
sa ville. Le maire socialiste de Paris a démoli leurs tentes qui risquaient d’abîmer la
vue des usagers de Paris-Plage.
Les sondages montrent que beaucoup de gens ont peur de se retrouver à la
rue. Ils savent bien au fond d’eux que leurs organismes publics et leurs partis
politiques ne leur viendront pas en aide le cas échéant, mais continuent de vanter la
citoyenneté et la démocratie.
- 104 -
DE LA DEMOCRATIE
Aldous Huxley disait que toutes les dictatures étaient tombées parce qu’elles
n’avaient pas distribué assez de pain et assez de jeux. Aucune n’avait à ses yeux su
amener les individus à aimer leur propre servitude, comme dans son roman « Le
meilleur des mondes ». Ce que la dictature n’a pas su faire, la démocratie y est
parvenue.
- 105 -
CONCLUSION
Conclusion
La plupart des êtres humains sont dissociés au point de produire un discours
sans rapport avec la réalité qu’ils vivent. Ce discours est le produit de l’influence
culturelle, qu’ils reproduisent par imitation.
Cette culture est produite à travers le langage, et ce langage n’est bien sûr
pas neutre. Non seulement il formate la pensée des individus vivant dans une
société donnée, mais il peut créer la réalité qu’il est censé décrire. Ainsi il n’existe
pas de démocratie sans le mot démocratie et la définition qu’on lui donne. Il existe
plusieurs types de concepts produits par le langage, ayant un lien plus ou moins
fort avec la réalité qu’ils décrivent.
Les concepts qui désignent des objets du quotidien selon leur finalité ont un
rapport étroit avec cette réalité.
Les concepts qui permettent la classification systématique du vivant sont
relativement arbitraires. Il n’existe pas de genre ou d’embranchement dans la
nature, mais y faire référence permet de structurer notre propre perception de cette
nature. Pour ces concepts scientifiques, le langage dispose de normes telles que les
scientifiques entre eux se comprennent, et rapportent le signifiant à un même
signifié. Le grand public comprendra le plus souvent le concept de la manière dont
les scientifiques l’entendent.
Dans le domaine des sciences humaines, les concepts ne sont pas aussi
universels. Un même mot peut prendre des sens très différents selon le domaine
dans lequel il est utilisé, le courant ou l’auteur qui l’utilise. Par ailleurs, le concept
en sciences humaines n’a pas seulement une finalité descriptive. Il s’inscrit le plus
souvent dans un discours plus large, plus ou moins cohérent en lui-même, mais qui
trouve son fondement en lui-même. Ainsi ce concept n’est valide que dans le cadre
de la réflexion qui le produit. Il n’est pas validé par le monde réel, mais prétend
pourtant décrire le réel. Au contraire, un concept de cet ordre renverse le principe
de la description. Ce n’est plus le monde réel qui génère un langage permettant de
- 106 -
CONCLUSION
le décrire. C’est l’affirmation que ce qui est dit est réel qui crée la perception que
nous avons du monde. L’idéologie se prétend ontologie.
Pour résumer, la valeur est une création du mental analytique, avec une
dimension d’égrégore. Ontologiquement elle n’existe pas. C’est la fonction du
concept : créer des catégories de discours sans cesse plus éloignées de la réalité
qu’ils sont censés décrire, dotées d’une vie propre. Le raisonnement logique ne
s’applique qu’à ces catégories et ne peut parvenir qu’à des conclusions qui les
concernent et non la réalité elle-même. Ceci en supposant généreusement que le
raisonnement lui-même est formellement correct.
A travers le concept, ce qui n’existe pas commence à exister. A son niveau,
l’homme reproduit la création biblique. Il nomme les choses et elles surgissent
dans son univers. L’homme a inventé des civilisations entières qui reposent sur des
concepts, des pétitions de principe. Ces concepts sont vrais si la croyance les
supporte. C’est ainsi que nous mettons en place des institutions, et que nous avons
créé une économie mondialisée basée sur une croyance commune en l’existence de
la valeur. De même, il n’existe de démocratie que dans la mesure où l’homme croit
vivre dans une démocratie. Ainsi en est-il de la justice, des droits et des devoirs ou
de la légitimité qui ne se fondent qu’en eux-mêmes dans une fascinante tautologie.
C’est là une malédiction pour l’espèce humaine, contrainte pour
communiquer à utiliser un langage qui la sépare de la réalité. Non seulement parce
qu’il prétend la définir lui-même, mais aussi parce qu’il est construit de manière à
ne pouvoir saisir qu’une seule cause à la fois et contribue ainsi à restreindre les
perceptions. On peut ainsi voir en l’apparition du langage articulé un
affaiblissement de sa conscience du monde, une chute. Et en l’homme une espèce
finalement inférieure à toute forme de conscience qui ne se serait pas égarée dans
ses propres représentations.
mystiques ont sur les scientifiques est qu’ils sont « rationnels ». Mais ils ne le sont
pas. Ce n’est pas « rationnel » de nier des phénomènes parce qu’ils ne sont pas
reproductibles ou prouvables par les statistiques. Ce n’est pas « rationnel » de
croire en la réalité des concepts qu’ils utilisent pour expliquer le monde, sans
parler des faux raisonnements. In fine, ce qu’ils voient n’existe pas, et ce qu’ils
conçoivent existe. Ils ne croient donc que ce qu’ils veulent bien croire.
La plupart des gens croient de même ce qu’ils veulent bien croire, et il est
impossible de convaincre qui que ce soit. Il y a donc ceux dont la nature est de
penser juste, et ceux dont la nature est de se tromper. Ce ne sont plus la magie et la
science qui se font face, mais deux natures également répandues dans les deux
camps.
nous percevons tout de la réalité. Mais nous ne connaissons que ce à quoi notre
conscience accède, parce que nous ne sommes pas l'univers, mais seulement une de
ses innombrables manifestations. Parce que notre cerveau filtre l'information dans
laquelle il évolue. Parce qu'il transforme également cette information en
sensations. Ces transformations sont le propre de la perception humaine, différente
de la perception animale ou de toute autre forme de perception. Nous supposons
également que l’ensemble de l’espèce humaine perçoit l’information de manière
uniforme, ce que l’étude de nos congénères ne nous permet pas de confirmer.
Nous savons pourtant aujourd’hui que le cerveau ne fait qu’interpréter la
réalité, ce qui devrait nous conduire à actualiser notre métaphysique. La couleur
rouge n'existe pas, c'est la longueur de l'onde qui correspond pour nous au rouge
qui est interprétée par le cortex comme du rouge. Comme le souligne le physicien
Régis Dutheil dans son ouvrage « L’homme superlumineux », Jung avait souligné
l’existence de synchronicités concernant deux événements liés par le sens et non la
causalité. Les lois de la synchronicité seraient pour le célèbre psychiatre aussi
fondamentales que celles de la physique connue. Jung se basait sur les principes
Yi-King, dans lequel, comme chez Platon, tout est l'image d'un événement
suprasensible. Régis Dutheil en déduit deux propositions. La première est que la
conscience intervient dans ces synchronicités de la même manière qu'elle
détermine quel état d'une particule sera observé. On a ici les fondements d'une
physique quantique à l'échelle macro. La seconde que la conscience agissant sans
contrainte de causalité n'est pas liée à notre espace-temps.
Dans l’univers de la conscience, les événements seraient organisés par
affinités. Le cortex aurait un rôle de filtre : seules les informations concernant le
présent passent et tout ce qui est présent n’est pas perçu. Ces informations seraient
réorganisées selon des séquences temporelles et causales. Cette description d’un
univers propre à la conscience dont le monde matériel ne serait que la projection
holographique est celle du panthéisme païen, ou de l’idéalisme platonicien.
Le cortex a également un rôle de transformation de ces informations, ainsi
de la longueur d’onde en couleur rouge. Dans les synchronicités, toutes les
informations passent à l'état brut. Ceci expliquerait que la voie intuitive permette
une meilleure approche de la réalité que la méthode expérimentale.
détermine, et ce qui nous détermine est aussi l’objet sur lequel nous allons pouvoir
agir. Ceci apparaît aussi lorsque l’on examine la véritable nature du temps.
Dans la culture ésotérique, la conscience est lumière. Une conscience à la
vitesse de la lumière vit un temps propre, mais n’est plus soumis aux contraintes du
temps absolu. Tous les phénomènes sont perçus comme instantanés. Les relations,
comme dans la physique quantique, n’y sont plus causales. Comme dans les
enseignements de Bouddha, passé, présent et futur sont des illusions. Les relations
ne sont pas causales, comme dans la physique quantique.
Un photon ne se percevrait pas lui-même comme doté d'une double nature,
celle d'une onde et celle d'une particule. Il est à la vitesse de la lumière une onde-
particule de nature singulière. A notre niveau, la fonction d'onde permet à un
photon d'adopter simultanément tous les niveaux d'énergie possibles, l'observation
fixant la valeur observée. Mais à la vitesse de la lumière, il n'y a plus d'observateur.
Le photon s'observe lui-même à tous les niveaux d'énergie possibles
simultanément. Dans cet univers, toutes les potentialités sont réalisées et
coexistent.
Ce n’est pas là la position de Régis Dutheil qui ne parle pas d’univers
lumineux, mais d’univers « supralumineux » et fait intervenir des particules
théoriques que sont les tachyons, qui se déplaceraient plus vite que la lumière. La
présentation qu’il fait de la non-contradiction entre libre-arbitre et déterminisme
nous semble utiliser une béquille mathématique non nécessaire. Il affirme que le
déterminisme existerait dans notre espace-temps, et le libre-arbitre dans l'univers
supralumineux de la conscience. Pour nous, il est trivial qu'un univers non soumis
aux contraintes de la matière est moins limité en termes de choix qu'un univers
comme le nôtre. Cela n'en fait pas pour autant un univers totalement indéterminé.
La non-contradiction entre libre-arbitre et déterminisme est simplement de nature,
et nous le constatons en levant nos barrières psychologiques. Quand il n'y a pas de
temps, toutes nos décisions ont été prises, sont prises et seront prises
simultanément, tout est déterminé et nous avons cependant la liberté de choisir.
Pour plus de précision, il va de soi – nous venons de le dire – que dans notre
univers le libre-arbitre est limité, et que les probabilités pour un événement de se
produire sont différentes selon les événements considérés. Toutefois, ils existent
tous simultanément comme les énergies possibles d'un électron à travers sa
fonction d'onde, et se produisent donc certainement dans d'autres réalités.
Toutefois, comme toutes les énergies ne sont pas possibles pour un électron qui
doit respecter les sauts quantiques autorisés, certaines séquences causales sont
impossibles.
Pour le magicien, ceci possède des conséquences pratiques. Soit il demande
à des entités des plans subtils non soumis à l’espace-temps de modifier une
séquence causale de notre univers. Soit il agit dans ce monde pour influencer les
plans supérieurs. Une telle action a des aspects karmiques, car elle a des
conséquences sur toutes les réalités causales alternatives en lien avec ces plans
supérieurs.
- 112 -
CONCLUSION
Par ailleurs, les gens pensent ce qu'ils pensent, qu'ils pensent bien ou mal, et
pour le mental, tout est toujours vrai de ce qu'il affirme. Il est impossible de se
mettre d'accord sur la réalité si chacun pense ainsi et n'est pas capable de voir cette
réalité.
De nombreux enseignements le disent. Et il n'y a rien d'extraordinaire à
l'énoncer. Beaucoup de textes et d'ouvrages le font simplement pour introduire le
reste : le mental et le jugement sont une caractéristique de l'esprit moderne. On
peut s'interroger sur le degré auquel les auteurs de ces lignes ont intégré eux-
mêmes ce qu'ils disent. Et douter que de nombreux lecteurs en fassent autre chose
qu'un postulat de base pour le style spiritualisé qu'ils essaient d'affecter. Sous la
forme de généralités, l'affirmation rencontre un large consensus. Mais quand on
commence à donner des exemples, la plupart ne comprennent plus rien du tout. Ils
pensent savoir ce qu’est l’état de non-jugement, mais prennent comme tout le
monde les observations assertives sur leur comportement pour un jugement négatif
à leur endroit, et leurs propres opinions sur ce qui est bien ou mal comme étant
celles du Christ.
C'est une véritable révélation que de prendre conscience de ce fait, et surtout
d'en réaliser l'importance. La plupart des penseurs savent que le concept comme le
discours sont au départ des constructions, mais construire un discours est leur
métier, et ils préfèrent l'oublier aussitôt qu'ils l'ont affirmé. C'est alors que le
désarroi surgit : et après ? Que peut-on bien faire maintenant qu'on a compris ? Il
- 113 -
CONCLUSION
faut alors appliquer la règle à soi-même : je suis ce que je suis et je suis de ceux qui
ont compris. D'autres sont aussi ce qu'ils sont et ne comprennent pas. Il n'y a rien
qu'on puisse y faire, sinon de l'accepter.
A cet égard, il est important de dire qu’un choix est libre de jugements. Au
moment de mourir, les membres du clan de Don Juan, réussissent à échapper à la
mer de conscience et à conserver leurs individualités. Mais conserver une identité
propre dans l’ « au-delà » est une option qui devrait se discuter, parce qu’elle est
clairement le signe d’une orientation spirituelle égoïste. Pour certains individus,
cette possibilité existe. Il leur faut alors faire le choix de la poursuivre. Ce que les
livres de Castaneda soulignent assez peu, c’est que ce choix est totalement
indifférent. Par notre propension au jugement, nous estimons généralement que les
choix des autres sont mauvais.
A l’inverse, le but ultime que fixe la méditation dzogchen est la réalisation
du « corps d’arc-en-ciel » et l’union avec la vacuité, provoquant la fin du cycle des
réincarnations et l’entrée dans le nirvana. Or si la vacuité et la clarté sont
inséparables comme l’enseignement le dit, c’est que la nature de la conscience est
de s’incarner. Vouloir mettre fin au cycle de réincarnation pour soi est d’une part
une aspiration égoïste, d’autre part elle témoigne encore de l'illusion du moi,
puisque ce que contient de conscience ce moi retournera dans le cycle. Le
dzogchen comme la sorcellerie mexicaine n'ont aucune valeur ajoutée, aucune
- 114 -
CONCLUSION
utilité, de même qu'aucune de nos actions ne sert à rien. Ils sont juste des
possibilités données à quelques-uns, qui font le choix ou non de les réaliser.
Si dzogchen et sorcellerie mexicaine ne nous proposent qu'une seule option,
Franz Bardon dans son ouvrage « Le chemin de la véritable initiation magique » a
le mérite de nous présenter les deux. Le mage selon lui a le choix entre prolonger
son individualité ou la « mort mystique » en laissant son âme se dissoudre.
D’autres appellent cela la voie de gauche (conserver l’ego) ou la voie blanche
(l’union avec Dieu).
Dans les comportements du quotidien, les prescriptions sont aussi assez
différentes selon qu’on étudie une doctrine ou une autre. Don Juan propose
d'affronter des petits tyrans, afin de développer l'impeccabilité du guerrier. A
contrario, pour le praticien dzogchen accompli, la morale n’ayant plus d’influence,
la sobriété n’est pas exigée. On encourage chez l’adepte avancé un comportement
amoral, un abandon à toutes ses passions, ses émotions négatives et même sa
subjectivité, tout possédant « un goût unique ». De même, l’Eglise de Satan
encourage l’abandon de toute forme de morale, sans autre guide que
l’individualisme le plus absolu.
Faire selon son bon plaisir a le mérite d’ancrer la certitude de notre liberté
naissante. Mais cela cache une chose. La poursuite d’objectifs personnels peut tout
autant relever d’un choix dépourvu de contraintes que d’un attachement
émotionnel à l’ego. Or ni le dzogchen ni l’Eglise de Satan ne précisent qu’il s’agit
d’un choix. Il existe un impératif, paradoxalement moral puisque impératif, à agir
de manière individualiste.
Si l’homme est soumis dans ses perceptions par la culture et par sa nature, il
est aussi soumis à ses émotions. Ainsi, bien que l’on ait pu intégrer la déformation
du réel par le mental, que l’on distingue le fait de l’opinion, que l’on sait identifier
ses propres fausses croyances, que l’on a renoncé à l'idée d'un but à l'existence
autre que d'en faire l'expérience en faisant des choix libérés de tout jugement, des
émotions s'imposent à nous sans qu'on ait eu le désir de les manifester. Ces
émotions, colle des croyances, s'attachent à certaines de ces croyances, les plus
intimes, celles qu'on sait fausses et qui s'accrochent dans un coin de la tête, et
celles que l'on pense vraies, qui sont les pires. Réciproquement, ce sont ces
croyances cristallisées qui ont généré les émotions. Emotion et croyance se
renforcent ainsi l’une l’autre, formant un complexe rigide. On pourrait envisager
alors dissoudre le complexe en agissant sur l’une ou sur l’autre.
La personnalité de l'homme est extrêmement sensible à la suggestion, dont la
propagande et la publicité ne sont que les avatars les plus grossiers. Les
expériences de vie entraînent également des idées ancrées que l'évidence du
contraire ne parvient pas à effacer.
Qu’il s'agisse des croyances jugées pathologiques ou des croyances
ordinaires de la personnalité, celles-ci orientent nos comportements et génèrent une
- 115 -
CONCLUSION
contrainte sur ce que nous pensons ou faisons. Même si nous savons que nos
croyances et nos comportements nous limitent, que nous les savons inappropriés,
nous ne pouvons nous empêcher de les manifester.
Même si le travail intellectuel a permis d’affaiblir une croyance, les
émotions maintiennent un attachement à cette croyance, et empêchent que celle-ci
disparaisse complètement.
Il ne suffit donc pas d’identifier un conditionnement pour s’en départir. Si ce
conditionnement est assorti d’une forte émotion, on sait que notre croyance est
fausse, mais on croit malgré tout et l’on n’est pas libre de conditionnements.
On peut connaître une grande souffrance morale à cause de n'importe quelle
croyance ou émotion, et même des répercussions sur le corps physique, de la même
façon que le sujet addict au jeu. On a récemment transformé la notion de
toxicomanie avec la nouvelle notion d'addiction, qui recouvre non seulement des
substances toxicomanogènes, mais aussi les comportements de type compulsif. Il
n'y a donc plus beaucoup de chemin à faire pour étendre cette notion qui s'applique
au domaine pathologique, aux comportements dits normaux, car au fond, les états
dits « pathologiques » de la personnalité ne sont pas si différents des états jugés
normaux. Qu'il s'agisse d'obsessionnels compulsifs, de toxicomanes, ou des fausses
croyances et des émotions déclenchées des sujets ordinaires, la personnalité ne
peut pas être contrôlée. Elle est « plus forte que nous ». On peut parler à cet égard
de véritable toxicomanie des croyances.
Et si nous sommes toxicomanes, alors nous pouvons guérir avec le
traitement spirituel approprié.
Didier LACAPELLE
Novembre 2010
- 116 -
Annexe : La phénoménologie d’Henry
Article publié en ligne le jeudi 31 juillet 2008
La philosophie a un bien grand défaut : elle crée des concepts pour décrire
le monde, qu'elle finit immanquablement par prendre pour le monde lui-même.
Même la phénoménologie pourtant créée pour s'affranchir des catégories de
pensée trop rigides n'y échappe pas.
Je vous propose une note de lecture de l'ouvrage « Du communisme au
capitalisme » du philosophe Michel Henry. Ceci est mon point de vue sur
l'ouvrage, qui n'épuise pas bien entendu l'auteur lui-même, et n'empêche pas
d'autres éclairages d'avoir leur part de vérité.
- 117 -
Chez Henry, la phénoménologie n’est pas seulement une façon d’étudier
les phénomènes et les individus réels, à côté de systèmes philosophiques qui
recourent à des catégories idéales. Il s’agit de la seule philosophie possible, les
concepts étant par nature incapables de cerner la réalité créée par les individus
réels. Plus encore, il s’agit de la seule philosophie morale, puisque lorsque l’on
recourt aux catégories dans la pensée, celles-ci finissent toujours par se
substituer aux réalités qu’elles veulent décrire. Dans un dernier mouvement, la
tendance naturelle des abstractions est d’éliminer la vie. Par le « meurtre »
qu’elles commettent contre les individus (le communisme). Par l’éviction des
individus de la réalité même (l’économie). Par le renoncement des individus à
alimenter le système qui les nie (le second mouvement du communisme).
La philosophie de Henry est donc fondamentalement libérale, dans son
sens libertaire.
La pensée niant l’individu qui a déterminé l’inéluctable échec du
socialisme est le marxisme ainsi qu’il l’écrit : « Quelle pensée, niant
l’autonomie de la réalité économique et prétendant la reconstruire à la lumière
des schémas intellectuels forgés par elle, est responsable de la faillite
économique du socialisme ? La réponse s’impose sans équivoque, c’est le
marxisme [...] » (page 21).
En essence, le communisme est un fascisme et tout concept qui tend à
déterminer l’individu plutôt qu’à être déterminé par les individus en est un autre.
Michel Henry énonce que c’est l’absence d’intérêt personnel à travailler pour
être dépouillé des fruits de son labeur par l’Etat qui a amené les individus à
renoncer au travail. Comme sans travail, la société ne produit plus rien, elle
meurt.
C’est pour les mêmes raisons que la démocratie ou le capitalisme
finiraient de la même façon. La démocratie concerne une collectivité dont
l’existence écrase celle des individus qui la compose. Le capitalisme finit par
ignorer l’individu vivant et agissant pour s’attacher à des idéalités comme la
valeur ou le travail.
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Mais Marx est plus général et nie de même l’existence en eux-mêmes de
concepts tels que la politique, l’Histoire, les classes sociales, l’économie, la
sociologie, le surmoi en psychanalyse. Si ces choses existent, c’est par
intégration de lois propres aux individus.
Libéral, Marx l’est encore lorsqu’il s’oppose à l’égalitarisme, fustigeant
« un droit inégal pour un travail inégal ». En économie, la loi de l’individu est le
travail vivant. Il est impossible d’en quantifier la valeur, par nature subjective,
ce pour quoi la justice sociale est une impossibilité. L’égalité des possessions
fait que ceux qui travaillent sont dépouillés par les autres.
3) l’économie
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s’intéresser à l’argent lui-même, la valeur d’échange, selon un processus argent-
marchandise-argent.
Dans ce second processus, c’est le phénomène du travail vivant qui serait
nié.
Critique générale
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systémique qui ne correspond pas à la réalité, tandis que de l’autre il la
considère issue directement de cette réalité.
Michel Henry a raison de dire que prendre la description pour la réalité
conduit aux pires catastrophes. Lorsque l’on confond les variables étudiées et
l’essence des individus qu’elles décrivent, lorsque ces variables sont définies
comme essence du bien ou du mal, cela peut conduire au génocide, comme dans
l'exemple qu'il donne de l'Union soviétique du temps du socialisme.
Mais les scientifiques honnêtes, les philosophes consciencieux, et toutes
les personnes non fondamentalement psychopathes savent très bien que le
langage est imparfait et n’est pas lui-même la réalité qu’il décrit.
Faut-il renoncer à toute tentative d’explication du monde, à toute pensée
politique, parce que « toute pensée est un meurtre » (page 102) ? Il semble
parfaitement possible de formuler une pensée tout en en admettant les limites, et
sans commettre de meurtre.
Il est paradoxal que Henry, si attaché à la liberté de l’individu, ne lui
reconnaît aucun tort dans cet état de fait. Comment peut-il citer Marx : « Nous
apprenons que la société est déprimée et que pour cette raison les individus qui
forment cette société souffrent de toutes sortes de maux » affirmant la
responsabilité de l’individu face à la société, et dire du génocide : c’est la faute à
la pensée ?
On trouve d’ailleurs des raccourcis similaires chez d’autres auteurs qui
cherchent les causes de l’aliénation à l’extérieur de l’humain lui-même. C’est de
la faute de l’industrie (Ellul). C’est de la faute du travail (Gorz).
Michel Henry crée même un système de pensée pour critiquer les
systèmes de pensée. Tous les fascismes qui nient l’individu doivent s’effondrer.
Or les abstractions décrites sont différentes, et les mécanismes d’effondrement
qu’il décrit le sont également. Dans le capitalisme, c’est la valeur d’usage qui
s’effondre. Dans le communisme, c’est le renoncement des individus à vivre qui
porte le coup de grâce au système.
Dans la réalité, les sociétés et leurs abstractions n’évincent pas
mécaniquement les individus qu’ils décrivent et organisent. Il arrive souvent
qu’elles mentent à leur sujet (il n’y a pas de chômage, il n’y a pas de problème
pour payer de quoi se nourrir), mais elles ne les tuent pas. Les abstractions et les
individus cohabitent bon an mal an, et peuvent même parfois s’ignorer
totalement.
Dans la réalité, ce n’est pas parce qu’un fascisme s’effondre que tous les
fascismes s’effondreront de la même manière, parce qu’ils auront nié les
individus.
Dans la réalité, les individus agissants qui sont le réel n’ont pas le pouvoir
de tuer une pensée. D’abord parce qu’un système et la pensée de ce système sont
deux choses différentes, la fin d’un système n’entraîne pas la disparition de la
pensée de ce système, comme en témoignerait la survivance des idées
communistes.
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Ensuite parce que les individus et leur vie ne sont pas la source grâce à
laquelle une pensée se maintient en vie. Le monde peut exploser sans entraîner
la théorie capitaliste avec lui.
Enfin parce que si la pensée débouche parfois sur le meurtre (elle n’est
pas par essence un meurtre, loin s’en faut), cela montre bien qu’une abstraction
a une influence sur la réalité.
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Critique de l'économie chez Michel Henry
- 123 -
« Aucune abstraction, aucune idéalité n’a jamais été en mesure de produire une
activité réelle ni, par conséquent, ce qui ne fait que la figurer. » (page 144,
comprendre : l’argent. Mais le travail vivant non plus ne produit pas d’argent.
Pourtant Michel Henry en semble persuadé.)
« Produire plus d’argent, c’est produire davantage de plus-value » (page 148) en
allongeant le travail, en développant « la productivité du travail réel ».
Il semble donc que Michel Henry pense réellement qu’il se crée des billets
de banque par magie dans le même temps que des sucettes, des ballons de
football, des voitures sortent des usines.
Conclusion
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vivant qui « crée de la valeur d'usage à la vie » se défend bien, même si je ne
l'adopte pas. Dire que ce travail vivant est le « fondement méta-économique de
l'économie », qu'il y a une « substitution du travail abstrait au travail vivant » ne
me dérange pas plus que cela tant qu'on en reste au niveau symbolique.
Or il y a des choses qu'écrivent Michel Henry et Karl Marx qui montrent
bien qu'ils dépassent largement ce niveau symbolique. Et il est presque trivial de
rappeler que Marx a bel et bien une théorie économique, qu'il développe en long
et en large dans Le Capital.
Henry et Marx croient réellement qu'il existe une entité appelée "travail
vivant" qui fabrique de la valeur d'usage et un processus alchimique qui
transforme le travail vivant en travail abstrait et la valeur d'usage en valeur
d'échange.
Grâce aux travaux notamment d'Anselm Jappe et de Clément Homs,
Michel Henry et Karl Marx sont devenus des auteurs de référence pour l'école
de la "sortie de l'économie".
Il faut cependant noter que l'ouvrage commenté est avant tout un
plaidoyer pour l'individu contre les systèmes. Si Michel Henry dit bien que la
valeur est subjective, il conserve la croyance dans la théorie économique de
Marx et la valeur travail.
Il existe aussi une difficulté à articuler une école de pensée à son
subjectivisme assez absolu (« toute pensée est un meurtre », p 102), une défense
de la sortie de l’échange économique et la légitimité que donne Henry au salaire
au mérite (« Il est absolument injuste de donner à un incapable qui ne fait rien le
même salaire qu'à celui qui exerce [...] une activité productive et bénéfique. »,
page 205).
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Je vais même être sacrilège : Marx est plus un boulet qu’autre chose pour
qui veut donner de la publicité à ses idées politiques. Il peut servir à attirer
quelques sympathisants communistes ouverts d’esprit. Mais il cantonne la
décroissance ou la sortie de l’économie ou quoi que ce soit d’autre à être
assimilé à la gauche.
Une exégèse honnête exige de lui reconnaître un rôle de précurseur et peut
donner une assise intellectuelle à une démarche réellement anticapitaliste. Mais
celle-ci n'a pas intérêt à s'y retrouver enfermée.
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