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Chapitre 10

La prévention (1912-1972)
L’ H I S T O I R E D’UNE GUERRE

1910. En fait, l’idée émanait


du chef du Service de la
protection, W. C. J. Hall,
qui avait proposé le premier
l’utilisation de ce permis,
émis au Nouveau-
Brunswick depuis quelques
années.

Le succès fut semble-


t-il immédiat : 80 feux seule-
ment s’étaient propagés à la forêt en 1914 et 41 en 1915, compa-
rativement à 151 en 1913. À la suite de cette expérience, Hall
proposa au ministre des Terres et Forêts de rendre le permis obliga-
toire pour tous les colons québécois. Appelé à défendre son idée,
il présenta les bons résultats obtenus par l’Association, fit part de
la satisfaction des colons de pouvoir brûler en tout temps dans
l’année et ajouta que la Colombie-Britannique avait adopté, elle
aussi, ce système en 1915 avec grand succès155.

En 1916, l’Assemblée législative adoptait finalement des


modifications à la loi sur la protection établissant l’émission du
permis de brûler sur l’ensemble du territoire québécois156. Du
1er avril au 15 novembre de
chaque année, aucun abatis
ne pouvait être brûlé sans le
consentement écrit du ministre
des Terres et Forêts ou de l’un
de ses délégués. Ces derniers,
généralement un garde-
feu ou un sous-garde-feu,
devaient déterminer les pré-
cautions à prendre pour évi-
ter la propagation des flammes
à la forêt. Pour que l’aba-
tis soit brûlé conformément à
la loi, le bois devait être
regroupé en tas ou en rangées
à une distance d’au moins 15
mètres de la forêt, l’abatis ne
pouvait être allumé lors de
S forts vents, et le colon devait surveiller son feu jusqu’à son extinction
Garde-feu émettant un permis
de brûlage à un colon de Saint-
finale. Si jamais le feu se propageait à la forêt par négligence, le colon
Marcelin en 1943. demeurait seul responsable des dommages. À la fin de l’année, après
Source : une saison d’application de la loi, le gérant de la St. Maurice Ass.
Paul Carpentier, Archives natio-
nales du Québec à Québec.
constatait que le défrichement n’avait causé aucun feu.
Cote P21328.
La procédure habituelle exigeait qu’au mois d’avril ou de mai,
selon les conditions météorologiques, le garde-feu inspecte cha-
cun des abatis de son secteur. Il devait annoncer sa tournée une

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semaine à l’avance, normalement sur le parvis de l’église. Lors de


sa visite, il devait vérifier la conformité de l’abatis et, en cas d’in-
fraction, pouvait refuser d’émettre le permis. En 1926, rapportant
un cas d’infraction flagrant, le chef du Service de la protection
présenta le rapport de l’un de ses experts, dépêché en région pour
vérifier la validité du jugement de ses gardes :

J’ai fait l’inspection de cet abatis qui commençait au lot


no 1 du rang 8 du canton Massé et se prolongeait jusqu’au lot
no 24, la largeur variant de un à dix acres; le bois n’était pas
ébranché et il y avait une épaisseur de cinq à dix pieds de sapi-
nages rougis par le soleil et aucun espace libre à l’entour de l’a-
batis pour protéger la forêt; en plus, la Cie Price Bros. avait fait
chantier sur toute l’étendue du rang 8. Je me suis rendu compte
qu’un abatis de ce genre, tout près de belles limites à bois, n’avait
pas sa raison d’être, et que les GARDES-FEU AGISSAIENT
SAGEMENT en refusant les permis157.

Une fois l’autorisation obtenue, le permis était remis gratui-


tement le jour du brûlage par le garde-feu ou le sous-garde-feu le
plus proche. Celui-ci devait s’assurer que les conditions météoro-
logiques étaient adéquates pour éviter la propagation des flammes.
L’abatis ne devait jamais être allumé lorsque le taux d’humidité
était inférieur à 40 % ni lorsque le vent filait à plus de 13 km/h. Le
colon devait obligatoirement brûler son abatis après 16 heures,
alors que le vent ne risquait plus de se lever, et jamais le samedi,
pour éviter le travail un jour dominical. De plus,
l’émetteur du permis devait évaluer la pertinence de demeurer sur
les lieux lors de l’allumage, et pouvait fournir l’équipement néces-
saire pour la lutte contre le feu.

Au cours des années 1918 à 1972, le Service de la protection


étendit ses tentacules sur l’ensemble du territoire forestier québé-
cois. Le nombre de gardes et de sous-gardes-feu devint si consi-
dérable que les Gaspésiens avaient pris l’habitude de dire qu’« en
dessous de chaque souche se cachait un garde-feu ». Pour le
Service de la protection, le contrôle des brûlages devint une com-
posante fondamentale de la prévention des feux de forêt, et ce,
jusqu’à la fin des années 1950, alors que le mouvement de coloni-
sation s’essouffla.

Même s’il favorisait le colon, le permis fut une source cons-


tante de discorde entre le département des Terres et Forêts et les
défricheurs. On oublia rapidement qu’à une certaine époque, il
était catégoriquement interdit de brûler au printemps et à l’au-
tomne. Devant l’apathie du colon, les forestiers durent régulière-
ment monter aux barricades pour justifier cette loi certes contrai-
gnante, mais juste.

Dans un texte publié en 1926, La Forêt et la Ferme, Avila


Bédard, chef adjoint du Service forestier, offrait l’un des plus
vibrants plaidoyers en faveur du contrôle de ces feux. Se présen-
tant comme un partisan de la colonisation, il démontrait

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furieux et bondissant de la plus violente force élémentaire. On


dirait qu’un coup de pique a crevé les entrailles du monde et que
la flamme intestinale éclate de toutes parts.

Vers minuit, l’exaltation passée, les hommes s’approchent,


vont et viennent autour des feux. À grands coups de muscles, ils
rejettent dans les brasiers les débris de la combustion et les sou-
ches tentaculaires.

Ô splendides et pareils aux démons, héros du ministère


infernal, vous, Alexis le rouge, Lucon le noir, et les autres,
humains redoutables, aux fronts cornus, aux bras multiples et
longs, et arborés jusqu’à l’éther, prodigieux vanneurs d’étincelles
que le vent éparpille au fond de la nuit ! tandis que je vous
regarde, et vos gestes, et les monstres que vous avez vaincus, et
vos ombres géantes, et les boucliers d’or que vous agitez dans les
ténèbres, je crois revivre les temps héroïques de la démesure et
revoir en vous ceux que les anciens ont chantés : Héraclès,
Méléagre, les Dioscures et le divin Orphée, et tant d’autres,
égaux à des labeurs qui s’étendaient de l’Hadès aux étoiles.

Allez ! les miens qui délivrez la terre de mon pays; dansez,


cette nuit, autour des cratères où bout le feu vermeil. J’aime à
retrouver en vous les travaux fabuleux, les muscles vainqueurs,
les cris exaltés, la furie, l’extase.

Et que j’évoque ici les noms d’Euphronios d’Athènes, de


Douris et de Brygos qui peignaient, aux ventres des coupes, les
héros noirs et rouges, les demi-dieux beaux et jeunes, et
comment Persée tua la Gorgone, et comment Héraclès captura
la biche aux pieds d’airain et les bœufs du triple Géryon.

Cependant que l’argile tournait devant eux, leurs mains


glorieuses et jalouses du soleil traçaient autour des vases les
zones héroïques.

Artisans de la plus noble ivresse ! c’est de vous qu’une race


apprit à maintenir longtemps devant ses yeux les grands poèmes
dont vous encercliez le vin. Oh ! le regard fier et lumineux des
athlètes et des guerriers d’Athènes, lorsque des coupes mémo-
riales jaillissaient les Muses et le noble désir d’être vainqueur
dans les jeux et les combats !

Et je songe : dans une coupe qu’un artisan de chez nous


façonnerait de notre argile, où tournerait, comme cette nuit, la
procession des Titans, oh ! le grand vin de force et d’immortalité
que la jeunesse de mon pays pourrait boire160 !

Bédard s’était donné la mission de sensibiliser la population


aux problèmes occasionnés par le brûlage des abatis sans toutefois
en empêcher l’exécution. À ses détracteurs, toujours nombreux, il
expliquait : « s’il arrive qu’on refuse aux colons l’autorisation de
brûler, c’est que la sécurité publique l’exige161 ». À ceux qui y
voyaient une restriction du droit de propriété, il rétorquait :

Mais ce droit de propriété, oublie-t-on qu’il est en soi limité ?


S’imagine-t-on qu’il confère le droit de jouir et d’abuser, de la
manière la plus absolue, de la chose possédée ? N’implique-t-il
pas, au contraire, une importante réserve ? […] Brûler les
déchets forestiers dans un défrichement pour faire terre neuve,
c’est sans doute exercer le droit de propriété, mais c’est l’exercer
dans des conditions où il n’est pas bien sûr que la propriété d’au-
trui n’ait pas à souffrir 162.

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La réglementation et le contrôle gouvernemental lui parais-


saient essentiels au bon développement de l’économie et à la
conservation des massifs forestiers. Pragmatique et poétique, il
expliquait : « Ainsi le veut la loi, ainsi le veut, avant la loi ou par
elle, la sagesse même; ainsi le veut, pourrions-nous dire, un
patriotisme éclairé163. »
Malgré les efforts soutenus du Service de la protection, les
feux d’abatis furent, au cours des années 1924 à 1944, la cause
première des feux de forêt et représentèrent annuellement une
proportion variant de 27,8 % à 51,2 % de la superficie forestière
incendiée. De 1945 à 1953, ils glissèrent au second rang, pour
disparaître du palmarès après 1955. Quoiqu’il n’ait pu permettre
d’éliminer complètement les incendies forestiers, le permis réus-
sit donc à coup sûr à diminuer leur fréquence.

Utilisateurs de la forêt (récréation et industrie)

À l’instar des colons et des compagnies de chemin de fer, les


utilisateurs de la forêt accentuèrent, tout au long du xxe siècle, le
risque d’incendie. Prospecteurs miniers, arpenteurs, cueilleurs de
bleuets et villégiateurs laissaient bien peu de répit aux différents
organismes de protection. Quoique généralement vigilants,
pêcheurs et chasseurs laissaient, à l’occasion, le feu derrière eux, à
cause de cigarettes, de cigares, d’allumettes ou de feux de camp
mal éteints. Les ouvriers forestiers, autrefois confinés en saison de
feu à la cartographie, aux inventaires et à la drave, devinrent une
source constante d’inquiétude lorsque, au milieu des années 1950,
la coupe forestière s’effectua en été. Scie mécanique, débusqueuse
et machinerie forestière s’ajoutèrent aux préoccupations des gar-
diens de la forêt.

Pour remédier à la situation, Gustave Piché, chef du Service


de la protection entre 1918 et 1924, s’inspira de diverses expé-
riences réalisées en Europe et aux États-Unis. Dans les réserves
forestières américaines et européennes, des gardes forestiers pre-
naient en note le nombre d’individus circulant en forêt, ce qu’ils
venaient y faire et leur itinéraire afin de mesurer le risque d’in-
cendie. De plus, les gardes interpellaient régulièrement les voya-
geurs, les informant des mesures de protection à observer. Plus
sévère encore, l’état du Maine obligeait les visiteurs étrangers à
être accompagnés d’un guide local pour se rendre en forêt
publique. De ces expériences, Piché retenut deux éléments :
l’information et le contrôle. Dans son rapport pour l’année 1920-
1921, il préparait la population et les autorités à accueillir sa
nouvelle stratégie :

Nous voulons insister particulièrement sur l’imprudence


des gens qui circulent en forêt, lors des périodes de sécheresse, et
nous avertissons bien charitablement tous les campeurs, chas-
seurs et autres que, s’ils ne se montrent pas plus vigilants à
l’avenir, et s’ils ne sont pas plus prompts à seconder les efforts du

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gouvernement et des propriétaires forestiers, le jour n’est pas


loin où il faudra les obliger à se munir, au préalable, d’un permis
pour pénétrer en forêt164.

Deux ans plus tard, le 21 mars 1922, les parlementaires qué-


bécois modifièrent la loi sur la protection pour y intégrer le per-
mis de circulation165. À partir de ce moment, le permis, remis gra-
tuitement par le garde-feu ou une personne autorisée par le
ministre, devint obligatoire pour circuler dans les régions sauve-
gardées. Dans chaque cas, le permissionnaire était informé du
risque de feu et des mesures préventives à appliquer pour proté-
ger la forêt. Sur le permis, le signataire indiquait son nom, sa pro-
venance, l’endroit et la durée de son séjour. Ainsi l’individu
savait-il que des mesures légales pouvaient être prises contre lui Barrière en Gaspésie.
en cas d’infraction. Fait important, cette nouvelle pratique per- Source :
mettait aux organismes de protection et au gouvernement d’éva- Archive privée de Annette Bois.
luer le risque de feu en mettant en relation le nombre de personnes T
circulant dans une région donnée et les conditions
météorologiques166.

Dans une lettre circulaire adressée, le 10 juin 1922,


aux propriétaires de clubs privés de chasse et de
pêche, Piché expliquait en détail les conditions de la
nouvelle loi :

1. Ce permis est gratuit.


2. On devra rapporter au garde-feu tout feu que
l’on constatera, et travailler à l’éteindre, si possible.
3. Le permissionnaire est tenu d’observer tous
les règlements concernant la chasse, la pêche, les mines, etc.
4. Il est défendu sous peine d’amende :
a) de faire du feu en forêt, sauf pour se chauffer ou
cuire des aliments. Dans ce cas, on choisira, près d’un cours
d’eau ou d’un lac, un endroit convenable, où l’on enlèvera
sur un espace de quatre pieds de rayon, jusqu’au sol miné-
ral, toute la litière de feuilles et toutes substances combus-
tibles. On devra, avant de partir, éteindre le feu allumé;
b) de fumer en marchant, par temps de sécheresse;
c) de jeter sur le parterre de la forêt des allumettes,
des cendres de pipe, des cigares, des cigarettes, des bourres
d’armes à feu ou toute autre substance incandescente,
avant de s’être assuré que ces objets ne puissent allumer
aucun feu;
d) de déchirer, d’effacer ou de mutiler les affiches
des départements du gouvernement provincial167.

En 1944, l’Assemblée législative octroyait de nouveaux pou-


voirs au ministre des Terres et Forêts, l’autorisant en cas de séche-
resse extrême à interdire toute circulation en forêt. Avec ces res-
trictions toujours plus importantes de l’accès en forêt, les conces-
sionnaires finirent par croire que leur permis de coupe leur conférait

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un droit de propriété sur le territoire. Un système de barrières


s’érigea graduellement, d’abord dans les réserves forestières
provinciales, puis à l’entrée des concessions. Celles-ci devaient
servir à maintenir une présence pour informer la population et
émettre les permis. Pour les compagnies, elles devinrent rapide-
ment un moyen de contrôler la circulation. Pierre Labrecque,
conseiller juridique du gouvernement du Québec et auteur du
Domaine public foncier au Québec, précise qu’en 1948 la Cour

d’appel dut se pencher sur cette question du droit de propriété.


S
Permis de circuler.
Dans l’affaire Bouchard contre Gagnon et frère de Roberval ltée, les
juges stipulèrent que le permis de coupe n’accordait un droit de pro-
priété que sur le bois coupé et déplorèrent que, malgré ce fait, les
concessionnaires forestiers continuent « de prétendre à un véritable
droit de propriété en limitant l’accès à leurs territoires […]168 ».

Si l’on en croit les mémoires d’anciens employés d’organismes


de protection, le sentiment de propriété et le contrôle exercé par
les associations permirent pendant quelques décennies de limiter
la circulation en forêt. Michel Blanc, ex-gérant de la Société de
conservation de la Côte-Nord et inspecteur général, à la fin des
années 1960 pour la Laurentian Forest Protective Association
expliquait :

Dans certains coins de la Côte-Nord, ce n’était pas un


cadeau de circuler en forêt. Moi, je me suis rebellé contre un
gérant de compagnie [C. J. Borcoman de la Quebec North
Shore] qui a même demandé de me faire virer de l’entreprise où
je travaillais parce que je trouvais invraisemblable que la popu-
lation de la région de Sept-Îles ne puisse pas profiter de sa forêt
et des routes qui avaient été faites par la compagnie forestière.
Alors là, il fallait la permission de monsieur un tel pour circuler
en forêt. Il allait voir le gardien de barrière et il disait que ça ne
passait pas sans sa permission. Moi, je suis allé un matin et j’ai
dit à notre gardien de barrière : « Pas besoin de papier de personne,

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moi je te donne l’ordre de laisser rentrer tout le monde. » La


journée même, j’ai été convoqué dans le bureau de ce monsieur-
là et quand je suis sorti de là, j’avais eu chaud mais je n’ai pas
lâché mon bout, et puis mes patrons m’ont supporté […].
Finalement, on avait brisé l’espèce de tabou que c’était
impossible d’aller en forêt169.

En 1968, le gouvernement obligea officiellement les compa-


gnies forestières à laisser passer la population sur leurs routes
forestières pendant la saison estivale. Devant les dirigeants de
l’Association forestière de la Côte-Nord, réunis à Forestville, le
ministre des Terres et Forêts, Claude-Gilles Gosselin, déclarait
qu’il allait poursuivre l’expérience en 1969. Dans un article publié
pour L’Avant-Poste gaspésien, un journaliste rapportait les raisons
invoquées par le ministre : « M. Claude-G. Gosselin a rappelé
dans son exposé que le phénomène de la récréation en forêt tel
que nous le connaissons aujourd’hui est relativement nouveau au
Québec. L’amélioration du niveau de la population, l’augmenta-
tion du temps des loisirs ainsi que la généralisation des moyens de
transport individuels ont contribué pour beaucoup à faciliter les
séjours dans la nature170. » L’époque du permis pour circuler et
des barrières était définitivement révolue.

Malgré la frustration engendrée par les restrictions sur l’accès


en forêt, le système préventif mis de l’avant par Piché réussit pen-
dant un certain temps à contrôler la circulation et à diminuer le
risque de feu. Ce fut la dernière grande offensive de cette époque.
Trois causes majeures d’incendie avaient donc été circonscrites.
Cela n’aurait cependant pas été possible sans tout le travail fait au
cours des années, pour changer les mentalités et convaincre la
population que le feu était un ennemi à combattre.

Conférences cinématographiques

Au fil du temps, les différents intervenants du milieu de la


protection déployèrent de nombreuses stratégies pour sensibiliser
la population à l’importance de protéger les forêts contre le feu.
Les divers médias, journaux et revues d’abord, radio et télévision
par la suite, servirent régulièrement de relais aux promoteurs de
la protection. Les circulaires gouvernementales, cartes postales,
affiches et calendriers firent aussi partie de leurs nombreux
moyens de persuasion. Mais, de toutes ces approches, c’est sans
conteste la conférence cinématographique qui obtint la plus haute
cote de popularité.

Pour atteindre les populations dans leur milieu, l’Association


forestière canadienne organisa en 1918 une tournée nationale de
promotion de la conservation des forêts. Pour ses déplacements,
le Canadian Pacific Railway et le Railway War Board fournirent
gratuitement à l’Association un wagon converti en salle d’exposi-
tion mobile. Le véhicule, nommé Exhibition Car, avait à son bord

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d’argent possible. C’est une bonne manière de rassembler et


d’impressionner les foules173.

Pour compléter le travail de l’association et atteindre des


endroits moins accessibles, le département des Terres et Forêts du
Québec tint, quant à lui, plus de 200 réunions en Abitibi, à Trois-
Rivières, dans la vallée du Saint-Maurice, au Témiscouata, à
Québec, à Gaspé, à Rimouski et à Montmagny174. Sans projection
cinématographique, ces conférences suscitèrent toutefois beau-
coup moins d’intérêt.

Afin d’élargir ses hori-


zons, l’Association forestière
canadienne utilisa, pour la
première fois en 1924, un
véhicule motorisé pour
mener à bien l’œuvre de pro-
pagande dans les colonies
forestières isolées175. L’année
suivante, l’Exibition Car fut
définitivement abandonné.
Les projections furent faites
désormais dans les églises, les
théâtres, les écoles, les salles paroissiales et même à l’extérieur176. S
Caravane de l'Association
Les conférenciers voyageaient à bord de roulottes de démonstra- Forestière Canadienne, vers
tion dans lesquelles ils transportaient du matériel promotionnel 1927. Archives nationales du
et un appareil de visionnement. Disposant d’une génératrice, les Canada. Cote PA209158.
conférenciers pouvaient présenter leurs films partout, même dans
les villages dépourvus d’électricité.

Au Québec, deux conférenciers francophones se joignirent à


l’équipe de l’Association forestière canadienne et parcoururent à
temps plein la province177. Durant l’été 1924, ils effectuèrent 49
conférences cinématographiques dans les régions de l’Outaouais,
de la vallée du Saint-Maurice, de Chicoutimi, du Lac-Saint-Jean
et de la Gaspésie178. Ellwood Wilson, membre fondateur de la St.
Maurice Forest Protective Association (SMFPA), ayant participé à
l’organisation de la tournée mauricienne, attribuait à ces confé-
rences le faible nombre d’incendies allumés au cours de
l’année179. Enthousiasmé, il invita les membres de son organisation
à effectuer des tournées complémentaires en collaboration avec
l’Association forestière canadienne et le gouvernement du
Québec180. Après qu’il eut convaincu chacun de ses partenaires,
une campagne plus intensive de prévention fut organisée l’année
suivante, en mai et juin, dans les villes et les villages de la
Mauricie. Fier du succès obtenu, le gérant de la St. Maurice Ass.
écrivit : « Nous avons une grande confiance dans ce genre de pro-
pagande qui devrait être répétée chaque année181. » L’année
suivante, l’expérience se répéta et, en 1928, la coalition formée
autour de la St. Maurice Ass. avait atteint 12 625 spectateurs182.

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1927, elle innova en réalisant un premier film de fiction intitulé


Les deux fils de Monsieur Dubois. Tournée entièrement au Québec
dans la vallée de l’Outaouais (près de la rivière du Lièvre), cette
production avait exigé la participation de 500 personnes. La scène
principale, conçue pour marquer les esprits, présentait la destruc-
tion de la ferme d’un voisin des Dubois, conséquence de la négli-
gence dans le brûlage d’un abatis. Selon Gordon M. Dallyn, diri-
geant de l’Association forestière canadienne, ce film était « la pre-
mière production du genre dans Québec et même dans tout le
Canada187 ». En plus du personnel du Bureau de la cinématogra-
phie (ancêtre de l’Office national du film) et de l’Association
forestière canadienne, celui du Service de la protection donna un
coup de main à la production. Sur les lieux du tournage, on pou-
vait même remarquer la présence du chef, Henri Kieffer, venu
assister à la performance de son subalterne Oscar Elie, chef du
district no 3 (Hull), devenu acteur pour l’occasion.

Comme l’Association forestière canadienne, la St. Maurice


Ass. utilisa elle aussi des images tournées sur son territoire pour
agrémenter ses tournées. Dès 1930, l’organisme de protection
s’associa à l’abbé Albert Tessier pour favoriser son mouvement de
propagande. Dans ses mémoires publiés en 1975, Tessier expli-
quait la relation qu’il avait établie avec les dirigeants de
l’organisme :
Le gérant de la St. Maurice Forest Protective Association,
M. Judson, avait assisté à quelques-unes de mes conférences fil-
mées sur la Mauricie. Il m’avait entendu exalter les beautés de la
nature et prêcher l’amour et le respect des arbres. Je lui exposai
mes projets de filmer, l’une après l’autre, les diverses régions de
la vallée du Saint-Maurice. Il m’offrit sa collaboration. Sans
autre condition que de continuer ma propagande l’Association
mit à ma disposition des canots, des guides, des vivres, et tout
l’équipement requis pour la vie en forêt. Je n’aurais à fournir que
les appareils de prises de vue et les pellicules. Une aubaine.

Pendant près de 30 ans (1930-1960), je m’évadais chaque


été pour une dizaine de jours de vie libre en pleine forêt. Je reve-
nais de mes excursions de chasse aux images le cerveau et les
poumons gorgés d’oxygène. Un homme neuf enrichi de milliers
de belles images ! Le Bolex et le Leica ne chômaient jamais au
cours de ces randonnées188.

Les images tournées en Mauricie étaient diffusées partout


dans la province. Moins spectaculaire que les conférenciers de
l’Association forestière canadienne, Tessier voulait, par l’œil de sa
caméra, exposer la magnificence de la forêt québécoise, pour que
le spectateur se prenne d’amour pour elle. Deux approches diffé-
rentes qui, ensemble, favorisaient la protection.

Alimentées par ces productions québécoises et par un nom-


bre considérable de productions américaines et canadiennes,
les conférences cinématographiques de la St. Maurice Ass. avaient
été présentées à 17 965 personnes dans la Mauricie en 1940 (voir

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