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Dermatologie

B 131

Escarres
Étiologie, physiopathologie, prévention
DR Patricia SENET, DR Sylvie MEAUME
Service de gérontologie V, pavillon de l’Orbe, hôpital Charles-Foix, 94205 Ivry-sur-Seine.

Points Forts à comprendre De nombreux facteurs favorisant la survenue des


escarres ont été identifiés.
• L’immobilité, c’est-à-dire la diminution des mouve-
• L’escarre est une affection fréquente, ments spontanés ou la limitation des possibilités de
due à l’hyperpression prolongée de la peau changements de position, peut être la conséquence d’un
entre l’os et le support. déficit neurologique, de troubles de la conscience, d’une
• La peau se nécrose sur une profondeur variable fracture, etc.
en raison de l’occlusion des capillaires. • Les troubles de la sensibilité empêchent au patient de
• La prévention des escarres repose ressentir le besoin de changer de position. Cela peut être
essentiellement sur le positionnement régulier consécutif à une atteinte médullaire, une neuropathie, un
des patients pour changer les points d’appui. accident vasculaire cérébral, etc.
Cette mesure permet d’agir sur les 2 facteurs • La malnutrition est reconnue comme la diminution
essentiels étiologiques des escarres que sont des apports nutritionnels et l’impossibilité de manger seul.
la pression et la durée de l’hyperpression. L’hypoalbuminémie est un reflet global, n’étant pas
• La prévention s’appuie sur des protocoles retrouvée dans toutes les études comme facteur de risque.
établis en fonction du risque d’escarres • L’incontinence fécale est en cause plus que l’incontinence
pour une prise en charge à la fois urinaire. Cependant, sa valeur est relative car l’inconti-
par les médecins et les soignants. nence est souvent liée à la diminution de la motilité.
• Les maladies aiguës et les affections systémiques
sont responsables d’une hypoperfusion et (ou) d’une
Une escarre se définit comme une nécrose ischémique hypoxie des tissus périphériques, de bas débits circulatoires
des tissus compris entre le plan du support sur lequel lors d’une insuffisance cardiaque décompensée, d’une
repose le sujet et le plan osseux. infection, etc.
L’identification des patients à risque d’escarres se fait en
Étiologie pratique grâce à des scores sur des échelles validées,
quantifiant différents facteurs de risque. L’échelle la plus
Le facteur étiologique des escarres est avant tout l’hyper- utilisée à l’hôpital ou en institution est celle de Norton,
pression de la peau entre 2 plans durs (l’os et le support), bien qu’elle présente quelques insuffisances comme de ne
responsable de l’occlusion des capillaires aboutissant à pas apprécier l’état nutritionnel du patient (tableau I).
une ischémie puis à une nécrose tissulaire. La durée de L’échelle de Norton est uniquement gériatrique, l’échelle
l’hyperpression est un facteur déterminant, indépendant. de Waterloo est plus générale. En France, ces échelles
La prévalence des escarres chez les patients hospitalisés sont encore peu utilisées. Elles complètent le jugement
en gériatrie est élevée (voir : Pour approfondir). clinique qui a aussi une certaine valeur.

TABLEAU I
Échelle traduite de Norton

A – Condition B – Condition C – Activité D – Mobilité E – Continence


physique mentale

❑ Bonne 4 ❑ Alerte 4 ❑ Ambulant 4 ❑ Complète 4 ❑ Totale 4


❑ Moyenne 3 ❑ Apathique 3 ❑ Marche avec aide 3 ❑ Légèrement diminuée 3 ❑ Incontinence occasionnelle 3
❑ Pauvre 2 ❑ Confus 2 ❑ Mis au fauteuil 2 ❑ Très limitée 2 ❑ Incontinence urinaire 2
❑ Mauvaise 1 ❑ Stuporeux 1 ❑ Couché 1 ❑ Immobile 1 ❑ Incontinence totale 1
Total A Total B Total C Total D Total E
Un total A + B + C + D + E < 14 indique un patient à risque. Plus le score obtenu est faible, plus le risque est grand.

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I II

III IV
1 Différents stades d’escarres. I : érythème sur peau intacte ; II : épidermolyse, phlyctène ; III: destruction du tissu cutané ;
IV: nécrose.

Physiopathologie dépassent les pressions capillaires entraînant une chute


du débit sanguin local et des échanges gazeux. Plus la
Une classification anatomo-clinique en 4 stades de l’es- pression est élevée et plus l’escarre se constitue rapide-
carre est reconnue sur le plan international (tableau II). ment. La pression intervient par son intensité mais aussi
L’évaluation reste néanmoins difficile tant que la plaie par sa durée et sa répétition dans la constitution des
n’a pas été totalement débarrassée de toute la nécrose et dommages tissulaires. La pression peut se mesurer au lit
du tissu fibrineux (fig. 1). du patient par des capteurs de pression interposés entre
Les aspects histopathologiques des différents stades de le patient et le support. Ces mesures permettent d’approcher
l’escarre montrent que les dommages occasionnés par la indirectement l’évaluation de la qualité des différents
pression atteignent en premier lieu les structures pro- supports utilisés dans la prévention du risque d’escarres.
fondes (graisse sous-cutanée, vaisseaux dermiques) plus
sensibles que le derme et l’épiderme à la pression et que Forces de cisaillement
l’aspect initial érythémateux semble être le « sommet de
l’iceberg ». Ce sont les forces s’exerçant parallèlement ou oblique-
Les 3 facteurs locaux impliqués dans la formation des ment par rapport au support. Elles sont dues au glisse-
escarres sont les forces de pression, les forces de ment du tissu adipeux sur le fascia par relative fixité de
cisaillement et la friction. La macération est un facteur la peau sur le support, entraînant un étirement et une
local accessoire, plus source de dermabrasion que angulation des vaisseaux aponévrotiques et une réduc-
d’escarre. tion du débit sanguin. Les forces de cisaillement s’exer-
cent surtout en position assise instable, au niveau de la
Pression région sacrée et lors des brusques changements de posi-
tion par le patient lui-même ou par le personnel soi-
Il s’agit de forces perpendiculaires s’exerçant sur une gnant. La mobilisation douce du patient par plusieurs
surface limitée de tissu vivant. La pression est généralement personnes en même temps et la stabilisation des posi-
concentrée sur les proéminences osseuses. Les tissus mous tions par des coussins (au lit), des ceintures et des repose-
situés entre le relief osseux et le support sous-jacent sont pieds (au fauteuil) permettent de lutter contre ces forces
comprimés. Des pressions au-dessus de 32 mmHg de cisaillement.

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TABLEAU II les actions préventives. Les zones à risque chez le sujet


en décubitus sont les talons, le sacrum, les omoplates et
Classification des escarres l’occiput. Chez le sujet au fauteuil, ce sont essentiellement
(adaptée de la classification établie les ischions. L’éducation du patient ou de la famille
par le National Pressure Ulcer Advisory Panel, 1989) quand cela est possible est un facteur essentiel pour la
prévention des escarres chez les patients ambulatoires.
Aspect Extension
clinique en profondeur
Changements de position
Stade I
1. Installation du patient au lit
Érythème sur peau intacte,
ne blanchissant pas Pour éviter les forces de frottement et de cisaillement,
les patients sont soulevés du lit lors des changements de
Stade II position, grâce à des appareils de levage, des potences, etc.
Perte de substance Épiderme et (ou) derme
superficielle : phlyctène
2. Rythme de changement de position
Il existe une relation inverse entre le nombre de mouve-
Stade III ments spontanés et l’incidence des escarres. Bien qu’il
Ulcération profonde Tissu sous-cutané n’y ait pas d’étude établissant le rythme nécessaire de
ne dépassant pas le fascia changements de position en fonction du risque, la plupart
des muscles des auteurs préconisent un changement de position
toutes les 2 à 4 h, d’autant plus fréquent que le risque est
Stade IV élevé. Il faut également tenir compte du support utilisé :
Ulcération profonde Os, tendons, articulations, les supports à air dynamique, assurant des basses pres-
détruisant la totalité muscles sions sous les proéminences osseuses, permettent des
du tissu cutané, exposant changements moins fréquents de position que, par
les structures sous-jacentes exemple, les supports en mousse.
3. Différentes positions
Le décubitus latéral strict à 90˚ expose le trochanter au
risque d’escarre avec un risque élevé (quand l’escarre
est constituée) d’arthrite septique. Le décubitus dorsal
Friction en position semi-assise génère des forces de cisaillement
et expose le sacrum et les talons. Cependant, cette position
Il s’agit de forces s’exerçant entre 2 surfaces se mobilisant est souvent la seule envisageable chez des sujets en
l’une sur l’autre, responsables de décollements cutanés. insuffisance cardiaque ou recevant une nutrition entérale.
Ces forces sont fréquemment responsables de l’ouverture Plusieurs études montrent l’efficacité du faux décubitus
initiale de la peau. Pour prévenir les conséquences des latéral antérieur ou postérieur droit et gauche où l’axe du
forces de friction, le patient doit être soulevé du plan du bassin passant par les 2 ailes iliaques fait un angle de 30˚
lit ou du fauteuil lorsqu’on le repositionne. avec le plan du support. Le décubitus ventral est pos-
sible chez les jeunes paraplégiques mais n’est pas envi-
Macération sageable chez le sujet âgé. Dans tous les cas, la position
est stabilisée par des coussins pour éviter les forces de
La macération due à la transpiration ou à une inconti- cisaillement et de frictions. Au fauteuil roulant, la stabilité
nence urinaire et (ou) fécale augmente le risque d’escarre et la réduction des forces de cisaillement et de friction
en altérant la barrière cutanée et en favorisant la pullulation sont assurées par un bon réglage de la hauteur des cale-
microbienne. Sa prévention repose sur les changes régu- pieds et une éventuelle inclinaison du dossier.
liers des patients et sur une hygiène rigoureuse. Enfin, la kinésithérapie de mobilisation, d’abord passive
puis active, évite les rétractions tendineuses, sources de
Prévention positions « vicieuses » aggravant les points d’hyperpression.

La prévention du risque d’escarres s’articule autour de Choix du support


grands principes. Toutes les actions préventives sont
conjointes et doivent être établies dans un plan de soin, Les supports modernes (lits, matelas, surmatelas, coussins)
pour une prise en charge médicale et paramédicale. permettent de mieux répartir les pressions et de les dimi-
L’existence de protocoles de prévention des escarres au nuer en regard des proéminences osseuses. Les supports
sein d’un service ou d’un établissement a été montrée sont comparés entre eux par la mesure des pressions
comme diminuant l’incidence des escarres. Le risque d’interface grâce à des capteurs de pression placés entre
d’escarres doit être régulièrement réévalué pour adapter le patient et le support ou par la mesure de la pression

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transcutanée en oxygène à l’interface évaluant l’état


vasculaire local. Peu d’études randomisées, contrôlées
comparant 2 supports entre eux sont disponibles.
1. Supports statiques
Il s’agit de matelas ou surmatelas, recouverts d’une
housse, très répandus. Ils sont le plus souvent découpés
en mousse de type gaufrier (Aplot, Cliniplot, Epsus…)
ou à plots de mousse (Préventix, Kubivent, fig. 2), à air
(fig. 3), gonflés en fonction du poids du patient (Kinéris,
Repose, Roho…), à eau, en fibres siliconées (Spenco)
ou en mousse « à mémoire » (Tempur, Alova) gardant la
mémoire des formes qui leur sont appliquées pendant
quelques secondes. La réduction des pressions est faible
et continue grâce aux matériaux cités dits « confor- 2 Matelas en mousse à plots.
mables ». Ces supports sont indiqués pour la prévention
des risques faibles à élevés.
2. Supports dynamiques discontinus
Il s’agit de supports (matelas ou surmatelas) motorisés,
réduisant les pressions par gonflage-dégonflage alternés
de différentes zones ou boudins du support. Ils disposent
ou non de capteurs de pression pour s’adapter aux pres-
sions enregistrées à l’interface entre le support et le
patient. Les surmatelas sont indiqués dans la prévention
des risques faibles (surmatelas à air alterné simples),
élevés et le traitement des escarres débutantes (pour les
surmatelas avec capteurs de pression). Les matelas sont
indiqués dans le traitement des escarres constituées.
3. Lits « fluidisés »
Ils ont longtemps été considérés comme une référence 3 Surmatelas à alvéoles d’air statique.
en matière de prévention et de traitement d’escarres
constituées. Cependant, ce type de lit n’est pas adapté à
la personne âgée car l’installation et le positionnement
du patient y sont difficiles, exposant les sujets âgés au La protection de la peau par des films de polyuréthanne
risque de rétractions tendineuses, de déshydratation et (type Upsite, Tégaderm) ou des hydrocolloïdes est sou-
d’infections pulmonaires. Ils sont surtout utilisés pour vent réalisée. Les massages n’ont pas fait la preuve de
des périodes transitoires en postopératoire des plasties leur efficacité dans la stratégie de prévention et sont
de reconstruction des sujets jeunes. contre-indiqués au stade I de l’escarre. Des études histo-
logiques et de microcirculation ont même remis en
4. Supports pour les fauteuils cause leur innocuité. Le moment de la toilette permet
On dispose, comme pour les supports de lits, de coussins l’inspection des points de pression.
de gel de qualités variables, de coussins de mousse
découpés en gaufrier ou à plots, de coussins à eau ou à Traitement des affections associées
air statique en alvéoles prégonflées (Sofcare). Il existe
depuis peu des coussins à air alterné et basse pression. La correction ou la prévention d’une dénutrition est
recommandée dans la plupart des conférences de
Hygiène cutanée consensus. Cette démarche est logique mais son intérêt
dans la prévention des escarres n’est pas clairement
Pour éviter la macération, le patient est maintenu établi. La supplémentation systématique en vitamine C ou
« au propre et au sec », grâce à des changes réguliers et à en zinc n’a pas d’intérêt en dehors d’un état de carence.
l’utilisation de matériel absorbant. Chez les patients La correction des affections associées, notamment celles
incontinents, une sonde urinaire à demeure n’est pas responsables d’hypoxie (anémie, insuffisance respiratoire),
indiquée pour autant en raison des risques infectieux. de bas débit (sepsis, insuffisance cardiaque) ou de
Les soins sont réalisés avec des produits non agressifs troubles de la conscience est indispensable même si leur
pour la peau : eau, savon doux. Les détergents et les impact sur l’incidence des escarres est difficile à estimer.
antiseptiques, responsables au long cours de dermatoses Les escarres au talon surviennent préférentiellement sur
allergiques ou caustiques sont proscrits. un terrain artéritique. ■

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POUR EN SAVOIR PLUS


Meaume S, Senet P. Prévention des escarres chez la personne
âgée. Presse Med 1999 ; 28 : 1846-53.

POUR APPROFONDIR

La prévalence des escarres chez les patients hospitalisés en gériatrie


est de 10 à 20 %. Cette prévalence est plus importante dans les services
d’orthopédie, de soins intensifs, ou de moyen séjour. Elle diminue
dans les services de long séjour.

L’incidence chez les personnes âgées est de 0,6 à 13 % (versus 1 à 5 %


tous âges) soit 5,7 à 14,3 pour 1 000 patients par jour.

Les escarres se constituent principalement à l’hôpital dans la semaine


qui suit l’admission. La cicatrisation est généralement obtenue dans
un délai de 3 à 5 mois.

Les escarres sont un facteur de prolongation de la durée d’hospitali-


sation.

La surmortalité importante qui leur est associée est principalement


due aux maladies associées.

Points Forts à retenir

• Les facteurs de risque de survenue


d’escarres sont l’immobilité, les troubles
de la sensibilité et, à un moindre degré,
la malnutrition et l’incontinence fécale.
• Les pathologies aiguës et les affections
systémiques responsables de bas débits
circulatoires sont des situations à haut
risque d’escarres.
• La pression, la durée de celle-ci, les forces
de cisaillement et de friction sont les éléments
principaux intervenant dans la physiopathologie
des escarres.
• La prévention repose sur les changements
de position des patients toutes
les 2 à 3 heures, sur le choix d’un support
répartissant et diminuant les pressions en
regard des proéminences osseuses,
sur l’hygiène cutanée et le traitement
des pathologies associées.
• Les escarres sont un enjeu majeur
de santé publique, tant pour la souffrance
que pour l’altération de la qualité de vie
et le coût qu’elles engendrent. Les protocoles
de prévention sont assez clairement établis
par des conférences de consensus européennes
et américaines et ont montré leur efficacité.

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