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PREMIERE i nN. Dominique Laporte HISTOIRE DE LA MERDE EPF-CEDEC (Lausanne) NNN ae in Bourgois Editeur we} Dominique Lepore, 27 ans. Né a Tours, Etudes & la faculté des leteres de Tours, Mémoire de maitrise, en 1972, sur « Toniformisaeion linguis- tique ct Vidéal jacobin de langue francaise », publié en collaboration avec Renée Balibar sous le titre de Je Francais national (Hachette-Liteé- racate, Paris, 1974; coll. Analyse, dirigée par Louis Alchusser) Vie a Paris depuis 1974. Depuis 1975, chargé de cours au départe- ment de Psychanalyse de [Université de Paris VI-Vincennes; publie régu- ligrement dans Ornicar ?, Bulletin du Champ freudien. Enseigne également & TUniversicé de Paris VIE et au Centre régional de Formation et de Recherche pour les Cassiézes sociales de Poiciers. Poursuit actuellemene ses recherches sor I’ ¢ histoire de la merde », notam- ment en animant cette année i la faculté de Vincennes un Séminaire intieulé « Histoire de 'Opprobre > et en préparant une traduction de Scatalogic Rites of all Nations, ow vyrage de Tethnologue américain Joho G. Bourke, dont l'édition allemande fue préfacte par Frend en 1913 et qui ne connait pas & ce jour de version francaise. Avant le présent livre, avait publié sur ce sujet dans les Analyica, ‘Mélanges 4, un premier travail paru sous le titre de « Ia Merde des Asiles >. ‘A publié également dans la revue Premiére Livraison. Par sa présence dans cette revue comme dans la col lection qui en porte le nom chez Christian Bourgois, il entend dire of st, pardeli les obédiences théoriques, sa tentation et 02 vont ses sympa- thies : dominées par la question « reste-til A écrite ? », dictées par la nécessité déerite. HISTOIRE DE LA MERDE (PROLOGUE) COLLECTION PREMIERE LIVRAISON dirigke par Mathie Bénézet ‘et Philippe Lacoue-Labarthe ILy @ trois ans naissait la revue Premidre Livraison, Cétait 4 peine une revue: quelques pages, pratiquement clandestines, fabriquées sans trop de moyens. Mathieu Bénézet et Ph. Lacoue- Labarthe ouvraient Ja chose sur une simple question: Reste- raitdl a borive ? Et mfinvoquaient pour toute raison que celle-ci: « Si la littérature rest pas que sa légende, cest parce quielle obéit, sans jamais s'y soumettre, & cet étrange «il faut» — & Ja limite insignifiant — qui la dicte. » Avec Ia collection ¢ Premiére Livraison », nous n'entendons pas rompre avec cete exigence; nous publierons des livres, sans sacrifier 8 un genre, quel qu'il soit, De Ja liteérature, oui. Car il est évident que nous n'en avons pas fini avec cette question. Nol manifeste, li, mais juste un soupgon:: il est vraisemblable que sous sommes fous de la littérature. ‘Volumes paras : Mistre de la Ustérature, pat M. Blanchot, M. Deutsch, E. Hoc- quart, R. Laporte, J-L Nancy, J.L Schefer, M. Bénézet et Ph, Tacoue-Labarthe, Histoire de la merde (prologue), par Dominique Laporte. La Traduction commence, par Jacqueline Risset. A paraitre L’Antigonone de Sopbocle, pat Hilderlin (eraduction et pré- sentation par Ph, Lecoue-Labarthe). J | dh. | i 1] Att Lor de la langue, le lustre des scybales Ta langue parle ainsi: « Pourquoi suis-je si belle? Parce que moa maitre me lave. > (1) (On ne se lave pas sans maitre : dans le feu ou dans Ia langue, pac le baptéme ou par la mort, nul ne se peut purifier s'il n'est dabord sous ta dépendance d'une loi. Cest ainsi, parce que est écrit: A Vété 1539, le 15 aotit, jour de Marie Ia toute pure, Timmaculée rendue grosse par le Verbe, parate Fordonnance de Villers-Cotterets, annonciation & la France du Verbe royal qui consacre usage du francais pour Tadministration de la justice, Ia délivrance de Vétat civil, Técriture des actes nota- rigs: « Et afin qui n'y ait cause de douter sur Tin. telligence desdits attests, nous voulons et ordon- rons quils soient faits’ et escrits si clairement, quiil ny ait ne puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude, ne lieu & demander interprétation. (1) P. Hlvard, Capitale de Ja Donlenr. u Et pout ce que de telles choses sont souvent aduenues sur Vintelligence des mots lacins conte- nus esdits arrests, nous voulons dores et suant ‘que tous arrests, ensemble toures autres procédures, soient de nos cours sonueraines et autres subal- ternes et inférieures, soient de registres, en- questes, contrats, commissions, sentences, testar ments, et autres quelconques actes : exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langaige maternel frangois et non autrement. > A Tantomne de la méme année parait un Edit qui n'a pas jusquiici conservé les mémes titres de gloire. Il faut donc Texhumes, ct pour n'en retenir que Tessentiel, sabandonner cependant, ne serait-ce qu'un moment, & T'insolite beauré de sa langue, Edit de novembre 1539 Frangois, par la grice de Dieu roy de France, scavoit faisons & tous presens et & venir que comme nous nous soyons apergus_suffsamment qu’en notre bonne ville et cité de Paris et faux- bourgs diicelle qui sont moule empirés, et telle ment decheus en ruine et dommage, qu’en plus sieurs lieux on ne peut bonnement aller & cheval, ni A charroy, sans trés-grand peril et inconvéaient, et avec ce icelle ville et fauxbourgs a esté tenue longtemps, et encore est si orde et si pleine de boués, fiens, gravois et autres ordures, que chacun a haissé et’ mis communément devant son huis contte taison, et coatre les ordonnances de nos prédecesseurs, que cest grand horreur et tes grand déphisir & toutes personnes de bien et honneur; et font ces choses & erés-grand esclan- dee, vieupere et destures humaines demourans et frequentans en nostre dite ville et fauxbourgs, qui par infection et punaisie des dices boués, fens et autres ordares, sont encourues au temps passé sons cause; et nous considérans qu‘en coutes choses 12 dessus dites, si comme exposé nous a esté par plu- sicurs gers de notre conseil et autres personnes notables, est tres-grand besoin et nécessicé de mettre briefvement provision et seméde conve- nable pour le bom gouvernement de nostre dite ville et fanxbourgs dicelle, & laquelle avons affec- tioa singclidre, comme celle qui est Ia principale et Ia plus notable de nostre royaume; nous avons staré et ordonné, et par ces présentes starwons et cordonnons par lie perpéuel, stable, irsévocable, Tes choses qui s'en suivent: Ast, 4. — Deffendons de wuider ou jetter & rues et pleces de Ia dite ville et fauxbourgs d'icelle, ordures, charrées, infections, ni eaux quelles quelles soient, et de retenit longuement és dites maisons, urines, eaux croupies ou corrompues; ainsi enjcignons de les porter et de les vuider promptement au ruisseau, et aprés, jetter un seau dean nette pour leur donner cous. Art, 15, — Deffendons 4 toutes personnes quel- ‘congues de vuider et mettre en la sue aucun feure, fiens, chacrées, bouds, ai autres immondices, ne ceux brasler &s rues, ni faire twer pourceaux ow autres bestes; mas enjoignons iceux fiens et im- mondices serrer et mettre dedans leurs maisons en panniers et mannequins, pour aprés les faire por- ter hots ce la dite ville et fauxbourgs dicelle Art. 21. — Enjoignons & tous propriéesires des smaisons, hostels et demeures, oi il n'y a ancanes fosses a setraits, qu'incontinent, sans delay, et & toutes diligences ils en facent faire, Art, 23, — Et A cette fin voulons et ordonnons que les quarteniess, dixiniets et cinquanteniers soient temus, chacun en son égard, dapporter et metite par escript par devers nostee prevost de Paris ou son lieutenant criminel, dedans quinze jours aprés la dite publicacion, toutes les maisons de chacur. quartier od il n'y'a aucune fosse de etraits; et que dedans huit jours aprés, soit B enjoint aux seigneuss et propriétaires des dites eerie i ie faire scavoir quils aycnt dedans trois mois aprés In dite injonction, dont sera fait registre, & faire les dites fosses et retrats, sur peine de confiscation des dites maisons; et si elles sont aux églises et ‘mains-mortes, sur peine de privation des pen- sions et Iouages des dites maisons, pour Je temps de dix ans, Ar, 24. — Bt voulons quiincontinent Je dit temps & eux prefix passé, oi les dits seigneurs et propriétaires n'auront satisfaie aux dites injonc- tions les dites maisons, toutes excuses cessantes, soient mises en notre main comme & nous acquises et confisquées, et sans autre déclaration, fors celle des mains-fortes qui serone saisies aux fins que dessus. ‘Art. 28, — Et inhibons et deffendons aussy & tous bouchers, charcutiers, rétisseurs, boulangers, regrateurs, revendeurs de volailles, poulailliers taverniers, Iaboureurs, gens de mestiets, et routes autres personnes de quelque estat ou conditi quils soient, de tenit, faire tenis, ne nourrir en quelque liew que ce ‘soit és dite ville et faux. bourgs dicelle aucuns pourceaux, truyes, cochons, ‘isons, pigeons, connils, soit pour vendre, pour leur vivre, entretenement de leurs maisons, ne Pour quelque cause, occasion ou couleur que ce soit. ‘Art. 29. — Bt enjoignons & tous les dessus dies qui tiennene et nourrissent és lieux devant dits iceux pourceaux, truyes, cochons, oisons, connils et pigeons, que toutes excusations cessantes, ils ménent, portent et facent mener et porter les dits ourceaux, truyes, cochons, oisons, pigeons et onnils, nourrir hors la dite ville et fauxbourgs dicelie, sur peine de confiscation des choses des- sus dives, et de punition corporelle; et si enji gnons A cous de les relever, et annoncer a justice 4 ce que dessus le plus diligemment que faire se pourra, dont ils auront I tierce partie du profit Je faisant; et od ils ne Je feront, setont ‘punis damende arbitraire, Art. 31. — Nous voulons que ces présentes ordonnances soient publiges tous les mois de Yan par tous les carrefours de cette ville de Paris et fauxbourgs d'icelle, & son de trompe et cry public, et néanmoins qu’elles soient attachées & un tableau escrites en parchemin, en grosses lettres, en tous es seize quartiers de la dite ville de Patis, et és dies fauxbourgs et lieux les plus eminens et apparens diceux, afin qu‘elles soient cognues et entendues par chacun, et quill ne soit loisible ster les dits tableaux, sur peine de punition cor. porelle, dont Jes dits commissaizes auroat la ‘charge chacun en son quartier. Liédie est donné & Paris, le vinge-cinquitme an de grice du regne de Frangois I", et « ainsi signé par le Roy, Bayard, et scellé du grand sceau en cite verte et lacs de soye. » Ex quo apparet larinam a lavando dictam esse Quelle saison y a-til pour mettre céte & cbte ces deux textes de loi, hors la curieuse coincidence oi ils se rencontrent dans Je temps? Aucune peut-étre, si ce n'est celle que nous donne Varron dans le de Analogia, au livre Il, ott le mot latrine est die dériver du mot laver (Ex quo apparet latrinam a lavando dictam esse..). Quiimporte au fond que léymologie soit vraie ou pas. Il suffit quelle soit crédible et quielle aide A tisser ici une figure de Ja similitude qu'on ne fera jamais, aprés tout, ‘que rendre & Yorganisetion du savoir de Ia Renaissance. Si la langue est belle, c'est qu'un maitre la lave. Un maitre gui lave les lieux de merde, déblaye les immondices, assainie ville et langue pour leur conférer ordre et beauté Que dit le conseiller du Prince ? « Qu’ont fait le peuple et les princes romains, demande+-il, quand ils tenaient In monaz- chie du monde et qu't's taschoyent a la perpetuer et la rendre 15 cremelle ? Ils sont trouve autre moyen plus certain ne plus seur que de magnifier, entichir et sublimer leur langue latine, gui, du commencement de leur empire, estoit bien maigre et bien rude, et aprés, de la communiquer aux pais et provinces ét peuples par eux conquis, ensemble leurs lois Romaines couchées en icelle, » En sorte que [i o le mariage de la loi ct de la langue est consommé sfadaprent les peuples ¢ aux habillemens et maniere de viure de France > jusqu’a ce que ‘* par continuation sera quasi tout une mesme fagon. » (2) Le latin, cest le remugle : liew du savoir scholastique crou- pissant, il a ce got de lititre des colléges d'alors. Lien de Tambiguité et de Yincertitude Oa ne sentend pas ¢ sur intelligence des mots latins > dit Edit de Villers-Coccerets, Cese une langue trouble, comme lest aussi la ville, Encore ne sagitel pas que d’éliminer. Pour clarifier, il faue épurer, laver Je diamant, et comme le dita deux siécles et demi plus tard un autre’ législateur de la langue, « chercher des perles jusques dans le fumier d'Ennius », laver et policer Ja langue pour que celui qui la parle niait plus 4 « craindre de souiller sa bouche > (3), Lécrivaia, le grammairien, pas moins que le prince, déchar- gent la langue, comme Ja ville tenue longtemps « si pleine de boués, fiens, gravois et autres ordures »; descendent’ dans Ja sentine pour la curer. Descharger le livre _ Dans son avertisement au lecteur des Odes, Ronsard pré. vient quiil supprime I, que le grammaitien Meigret a'avait totalement raclé, comme il devoit » et que sil a laissé les (2) De Seysel, rologue ola radection de Justin, ce yar P. Brunoe Loge de Lanai Up 98 Vt uF Bro ¢,Un projet dewichir, magoiécr, ec subimer In langee finse se 1509 >, Rev. dH. Liey Trp 27, ala 2) Grésoire, Rapport sur le nécstirh of ler mosens danbevie le batoit ot duniverier Vurage’de la langue france, Convrcin fationale, ance da 16 praitsl an It (ast 176%" 16 autres diphtongues comme yeux, « en leur vieille corruption, avecques insupportables entascements de lettres, signe de notre ignorance et de peu de jugement », cest quil peut se satis- faire davoir « deschorgé son livre d'une partie de tel fai > (4). La langue lavée est, au sens strict, plus que d'une politique, effet d'une économie: cest dune’ suzcharge quon vient la délivrer, dua amas corrupteur qui n'est pas pour autant le simple envers du beau. Ce dont le maitre la décharge, c'est de Tormemental, de cout ce qui, relevane de Ia primauté paral- Ble da tracé et du regard, de la calligraphie qui illumine Yeeil, de ce qui en la langue excéde Varticulation, Yencombre dans son mouvement, lembacrasse, Lengraisse sans Tentichir. Ecrivant le francais, dic !'Are poétique de Sebilee, « eu n'y dois mettze lettre aucune qui ne se prononce >, aucune de ces leres qui « ne servent que demplir papier». Ul faut relire la Deffence et Ulusiration de la langue fran- gaise, patue tout juste dix ans aprés Tordonnance de Villers- Gotcerets et T'édie qui vient répler Je rapport de chaque sujet de Ja capitale & Tordure, Et suivre la Defence au fil de ses métaphores pour comprendre que dans Tun et Yautre cas, — police de Ia langue, politique de Ia merde, et inverse- ment — il s'agit de sarracher un peu i ce « reste de terre > que nous avons & porter douloureusement, cet « Etdenrest > qu'évoque Goethe & la fin da second Faust (5). Au sens propre, Je potte se fait Tagriculteur de Ja langue, le calti- @) Ces moi qui soutigne, (©) ¢ Une ble in Eedentet » «I nou rete une déponlle zu tragen peialich, rerrestre und war er von Asbest, Pénible & poreer ce ise niche seinlich + Er, flcelle dashes, Elle west pas pure» (Traduction de Suzanne Paquelin dans I'édition du théiere de Goethe éablie par A. Gide, Pats, Gallimard, 1942, bibl. de le Pldiade) Ges vers sont ciés par Fread dans sa préface & Der Unratt in Sitte, Brauch, Glanben und Gewobnheitirecht der Voller, traduction lle: mande du livre de John G. Bourke, Scaalosie Rites of all Nations (in Ges W., 10, 453 et collected papers, vol. V). 7 vateut qui, Félagant, Ia transmue « d'un liew seuvaige en tun domestique », la débarrasse du déchet pour In rendre imputrescible, lui donner son pesant dor. Le propre, le biew dire On sait deja, depuis Barthes, qu’ « écrite, la merde ne sent pas > (6). Encore faut-il que, pour ne recevoir aucune cefflave de cette merde dont Je narrateur inonde ses parte- aires, Ja langue elle-méme se soit constituée classiquement de Vélimination d'un certain faix dordure, I est stir que le beau langage a rapport avec Ia metde, que le style méme se fait plus préciewx 2 mesure que quelque chose da déchet exquisément le motive. La pteuve s'en donnant en dernier recours dans la pédantesie évidente des milliers de poémes anonymes qui peuvent se lire, encore aujourd'hui, dans les latrines ou bien dans Ja foison de périphrases et cet espéce de tortillement obscine de le syntaxe quioffre une littérature ‘marginale mais abondante sur Fexcrémentiel considéré comme wun des beamarts, Certes, il appartient au signe comme tel d'exercer une fonction’de déni A Vendroit du réel qu'il signifie et on peut convenir sans peine avec Adéodat que « si nous disons ordure, ce nom est beaucoup plus noble que Ia chose signifiée, Car nous aimons mieux Femendre que la seatic » (7). Pour autant Je beau langage ne se réduit pas & la juxtaposition (©) Sate, Fourier, Loyola, p. 140, Ba, du Seuily Pats, 1971, (0) Ssint Augustin, De magistro, 1, « De Locutonis Significatione »; cité par Lacaa, Séminaire L On pousca lice la réponse @’ Augustin + «La conasisance de Torduve, en elle, doit xe enue pour meieure que Te nom lui-méme, lequel doit ére préféré & lordure elleméme. Cat i n'y a pis dautre raison de préférer Ia connaissance au siene, sinoa ‘que celuici est pour celle, e non eéllela pour celuici > et se emender pourquoi ce qui passat pour évident cher saint Avgotio, idée d'une higrarchie, maniiesee et graduée de Locduce 4 la conaais- since, vient se renverser chez Freed dans ane quasi équivalence de la connaissance de Tordare et de ordure elleméme, au point que ce nest 18 4 savante des signes qui tiendmit a égale et permanente dis- tance la chose, IL aura fallu un certain puritanisme a la langue pour que Todear vienne & se dissoudre, mieux que dans Je mot, dens Ia. syntaxe. Ainsi, i naura pas suffi que le Xvi sidcle renonce & son « parefumier » (8) top allusif de la chose signifige pour que In langue se trouve épurée. Pour que « nostte langsige auparavant scabreux et mal poly > soit © rendu elegant » comme dic du Bellay, i aura fallu en outre que la langue se débatrasse de ce qui faisait sa boue et sa fiente en propte et, jusque dans Téchec nécessaire de certaines innovations des écrivains et des grmmairiens, fasse da déchet le ressort dune nouvelle expérience du beau. Et dabord, pour que du Bellay saucorise & intiruler le chapitre II de sa Deffence « Que la langue francoyse ne doit estre nommée barbare » il aura falla quelle travaille & éliminer ou & réduire ce qui, cn elle était Barbare, écanger; que, de Félimination du déchet, lle se constitue comme gappartenant, en sorte que Vaugelas, tun sidcle plus tard, puisse ajouter « 4 Ja pureté et & la netierd du stile » « la propriété des mots et des phrases » (9) comme réglant la pratique du >ien-diee Propre, la langue répond aux trois exigences de la civi- fistion telles que les définit Freud: «< propreté, ordre et quan prix d'une sransgression, dit Freud, que la psychanalyse aura pu Slocaner de cette part donprcbee que Thomme coniase 4 porter, de es « aspects prosrits (veriten Seiten} dela ve humaine'» dont le poids dioverdi seat tl qve © quiconqus dose detalles choses se ‘oie comsaéré comme 8 prine moins « incomvenant » que cen id Fait element des chose lconvensnts». (et cts col tapers vol. V). IT ot ee soins ene dpe Je Pet foen Du sidcle sexposer 8 appocter des téponses 3 la ificle question, du events des epee: conticices dans eure et sans cese avalee A ifiner leurs analyses pon combler Ie contadicion enue la mate tlie lo pain et dain Souris A Ta digestion et le carseére incor- fupeible dt carps da Chria A ce tte, In refexion sut Texetemenil Hee fat fot la ei cence Aancait casement In qetion ea disingvant le visible cxruptble de invisible Tcorrepubles ia a (8) Voie Géracd Wajeman, Odor di Femina, Ormicar?, 0° 7. (©) Vaugeias, Remorgue: ser la langue frangeive, &d, 1647, p. 593. 19 beauté > (10) ob nfentre pas comme cause prévalente le seul registre de Tutile. Laver, ordonner, embellir: que cette triade discursive opére de fagon aussi manifeste simultanément dans Ja police municipale et dans celle de la langue éclaire ce soupgon que ce n'est pas Ia saleté qui doit faize probléme au regard de Thistoice mais bien Ia compulsion aa propre en tant quelle ne trouve pas ses justifications uilicaizes hors dune ‘construction rétrospective, Limportant mest pas que Lédie de 1539 ait éé suivi deffets, que Paris, ville de merde, soit sorti de sa fange. Deux sidcles et demi plus tard, Louis-Sébastien Mercier dressera un tableau tout aussi apocalyprique de Ia capitale, of lordure slaura pas cessé doccaper la méme place. Et Zola aura beau venir aprés que forent constimés comme savoirs s'intégrant & Ia science positive les lois de Vhygitne, le Paris dont il donnera Timage ne sera pas moins cloacal que n'écaie fangeux et enténébré le Moyen Age tel qua la méme époque les hhistoriens en dégueulasseront rétrospectivemeat Je tableau. Er dabord, n'y a pas disproportion manifeste entre Texigence faite de construire dans chaque maison des « fosses a retraits > et la menace brandie de confisquer au profit du roi lesdites maisons qu’ compter d'un délai de tois mois les propriétaires n'auraient pas dament pourvues de Tappen- dice susdit? Garde t™ merde et ne Ia fait enlever qua Ia fault, mets tes porcs A Tabri du regard, hors de Venceinte de la ville, dit en substance le monarque, ou je m'empare de ta petsonne et de tes biens, ou jengouffre ta maison dans ma grande besace royale et te mets, toi, en corps, dans ma prison. Porphyres Non seulement il y a peu de chances pour que Wédie ait && positivement et rigoureusement appliqué mais les années ‘qui suivirent furent marquécs d'abord par Ja désobéissance duu prince & l'égard de sa propre injonction, comme en témoigne (10) Freud, Malaise dans ta Civilisation, Ch. I et IV. 20 architecture de nombreux chéteaux et palais au xvi" et xvii" sigcles, dont ceux de Fontainebleau, Saint-Cloud et Versailles (11). Loin dailleurs que Yestime portée au Prince ppuisse se voir diminuée de surprendre celui-ci en une posture ppartagée quotidiennement par le commun des mostels, il y a toutes raisons pour penser qu'une analyse du pouvoir devrait prendre an sériewx ceci que Fexhibition du souverain recevant depuis st chaise percée ses sujets et visiteurs participe au premict chef de la splendeur du tne comme théitre de Tamour resplendissant qui éclabousse les sujets 4 genoux ou courbés vers Je sol quétant une merde (12); ce cérémonial pouvant dailleurs sertendre comme trace indélébile pour asseoir le pouvoir dUn seul de Yantique cérémonie d'intro- nisation des papes ob le pontife élu devaie sasseoir sur un sidge en porphyre peroé, Cloaca maxima Ce qui impore est donc moins & chercher dans les consé- quences que put avoir ou non dans une pratique réelle de Thygiéne édit de 1539 mais bien dans le fait qu’ cette date cela ait en lien comme discours dont nocre tentative (1) Parmi tes nombeeax cémoignazes sur Vincommodité sésultant de cette carence, on retiendea Textravegante missive de la princesse Platine en date du 9 ocobre 1694: ‘Lettre de la duchesse Orléans a U'électrice de Hanovre. << Fontainebleau, 9 octobre 1694. << Vous des bien heursuse daller chier quand vous voulez, chiez done tout votre chien de sou! !... Nous n’en sommes pas de méme ici, fol je suis obligée de garler mon éron pour Te soir il n'y a pas de frotoir aux maisons du cité de la forét. Jai Je malheur den habiter lune, ec par conséquent le chagrin aller chier dehors, ce qui me fiche, pacce que jaime & chiet 2 mon aise quand mon cul ne porte sit tien. Tem tot le monde nous voit chier, ll y passe des hommes, des femmes, des files, des garcons, des abbés et des Suites... Vous voyer per Ib que nol plaisir sins peine, et que si on ne chiait point, je serais & Fontainebleau comme le poison dans Teas. (Correspondance de ‘Madame la duchesse d'Oiléans, Princesse palatine. Paris, Charpentier, 1855, vol. I, p. 385.) (12) Ct, Pierre Legendre, Jouir du pouvoir, Traité de la bureau crstie patriote, &d. de Minuit; col. Critique, Paris, 1976. an de repérage ne nous interdit pas de penser quill ait pu se tenit aussi, sinon en d'autres lieux, du moins sur dautres fronts, Aucun progrés, donc 2 constater Témergence de ce discours, qui eut des précédemts dans I'histoire, et dont tes Jendemains immédiats n'anticipent pas spontanément celui qui se tiendra plus tard au temps de Phygigne triomphante. Il faut alors aller & cette conclusion quiau regard de sa constituante anale, la civilisation rvaligne pas son rythme sur Te cours linéaire d'un progrés. Si Freud a pu mettre en & dence, dans Malaico dans la Civilisation, « la similitude existant entre Je processus civilisateur et’ Tévolution de la ibido chez Vindividu >, il faut soustraire cette thése & un léal de développement et penser que l'intését primivif attaché pat Ja civilisation aux fonctions dexcrétion ne se convertit pas dans Je droit fil d’une croissante en un gott de Vordre, de la propreté et de la beauté que Tidéal hygiéniste du sigcle dernier aurait dé faire pencher irréversiblement du cété de Fobséquio- sisé, de la méticulosicé tarillonne, de la parcimonie inquidee et vigilante d'un caractére anal dont Ia présente civilisation fne nous fournit pas Yexemple. Les générations d'instituteuts Iniques dévorement exercées & scruter Torifice de Touie des monflets de la République ne seront pas venus & bout de ce que la civilisation mec au moins autant Gobstination 3 produire de nouveaux déchets qu’ parfaite leur élimination, Vffort avait beau sentendse comme issue d'une forme de gouvernement qui devait parer au peu Aégane « démocrasserie » dont Yaccablaic Flaubert, son échec & contrbler les ordures était lisible méme dans le fantasme inteépide qui était le sien d'éliminer si parfaitement le déchet quill n'en restit rien, Linclination du prince et de ses potees & purifier le commerce des mots, i rendre flnide et & régénérer une ci culation entravée dans les villes par une accumulation de déchets qu’on pourrait dire & bien des égards pré-capitalise, gagne alors en sa logique & étre interprétée moins comme un pas en avant dans la marche de histoire que comme un retour, Le mouvement qui anime cette inclination ne différe as en effet trés sensiblement de celui qui motive le retour aux traditions antiques, dans les lettres notamment. 2 L’ ¢ humanisme > est bien ce qui se marque d'un certain penchant pour Je déchet, nommément humain, dont on verra que le sigcle ne manque pas de faire usage : il remémore antiques coummes que Ja civilisation avait, semble-cil, oubliges, et nvhésite pas A verser ses souvenirs dans la culture des champs ou dans administration des remédes, tel ce carbon bumanum cui fonde la médecine & accueillir en son sein les docteurs dits « stercoraires > (13). En convo- quant les auteurs latins & Ja renaissance de Tesprit, en sali- ‘gnant sur les Romains pour enrichir la langue, le Xvi" sitcle nia pas manqué dimporter Vorgueil de Rome, le cleaca maxima, sinon V'égout lni-méme, de toute fagon inégalable (14), du moins son concept. Cloaca maxima : cela s'a pas mangué de valois, jusques et y compris dans le plus insipide des manuels d'histoire ou dens Tenseignement le plus élémentaire du latin des lycées comme le signifiant mime de la civilisation, Yexemple qu'on donne avant tous, avant le ciment et en méme temps que Taqueduc, du « haut degré de civilisation > auquel étaient parvenus les Romains. Or, la civilisation, & en croire Freud du moins, suit un double mouvement: mue par une impul- sion & « assujettir In terre », elle fabrique des objets et des valeurs socielement utiles en méme temps qu’elle ne cesse de motivée par un autre but: Je gain-de-plaisir, irréduc- tible & jamais & la dimension de Tutile. Pris dans le faisceau de ces ¢ deux buts convergents »: le déchet, résultat oblige des productions socialement utiles et ressort de Ia triade ordre- propreté-beauté. Ce qui chute de Ia production doit trouver Ase sublimer pour un gain-de-plaisir, un enrichissement : ‘Rous ne nous tenons pas si loin des métaphores des maitres qui lavent la langue, conseiller ou poéte du prince, De Seyssel ou Du Bellay. 13) CFF. Ligee « Foner daitances, latrines, arinairs ot vidanger », 1 Wal in iin Dicionne bites of trie de ome ee construction, de la Dolice mamicinale ot de la contiguité, Pari. 1875. Une ‘somme d'érudition, Complément indispensable de’ la Biblioteca seatologica de Janet, Peyen et Veinant, Pars, 1849. (14) Pour un éloge du Closca maxima, voir H. du Rosle, Les ‘aie, les éxouss ot les fouses @airances dant leurs rapports avec les Widimies, Kariens, 1867. 23 Chutes Que produisons-nous ? Des organes, sépond Freud, des « organes auxillaires >, qui, comme tels, secrécent du déchet, Ee si les mutations éthiques, ou esthétiques du moins, de Thistoire pouvaient siinterpréeer comme des précipicé du déchet ? Le xv" sidcle fen finit pas d’ « inventer > des organes, principalement de la vue, ou de gérer les bénéfices dune voile et d'une coque qui démuleiplient les forces des crganes moteurs et repoussent les limites de leur champ d'ac- tion, autorisant au surplus Colomb A sécrier qu’ « au moyen de Tor on peut méme ouvrir aux Ames les portes du Para- dis » (15) ou encore de stocker pour une mémoire désormais a Tabri des défaillances du scribe la somme des traces mné- siques déposées sur Ja page manuscrite: Timprimerie fait déchet pour In langue. Cest Je superfiu qui permet au scribe de supporter sa tiche de copiste en la sublimant de enluminure et de la calligraphic. La main suspend sa courbe, le tracé s‘intecrompt, des lettres tombent; « tu éviteras, dit Ronsard, toute ortho- graphie superflue et ne mettras aucunes lettres en tels mots si tu ne le proféres; au moins ru en verseras le plus sobre- ment que tu pourras en attendant meilleure reformation. > De cette « corruption > qui ne fait que « demplic papier », il faut « descharger > le livre. Quadvientil de cette décharge ? Dans ces lettres qui tom- bent, ces boues qu’on élimine, de quoi se prive-r-on et en vue de quoi? De la merde nait un trésor : le trésor de la langue, du roi, de Etat Si le propre de ce qui est expulsé, cest de faire retour, i faut suivre le trajet de ce qui, éliming, suscite le retour 8 la méme place de quelque chose qui en nait tout en sen sépa- ant: ce qui est éliminé de la production, déchet, ne manque as, aprés s'étre converti, de rentrer dans la circulation ol il apparait, au terme de la’ transmutation, incorruptible. (15) Lettre de la Jamaique, 1503, cité par Marx, Le Capital, Liv. ‘1 sect, chap, I, 2 aia pens ‘ 24 Leffet de chute qui se précipite de Vimprimerie hate la mise en marché du livre dans Je circuit des marchandises. Epurer la langue, Y'6ter & la corruption, nfira donc pas sans Yenrichir, la constituer comme impurrescible sur le marché des langues: Ie but de édit de Villers-Cotterets avest pas d'éten- dee & tous Tusage de la langue frangaise mais de la constituer comme équivalent général, « Enrichir, magnifier, sublimer >: ce parcours est celui d'une alchimie de la langue. A son terme : Yor (16). La langue est une pute Da Bellay, botaniste, au chapitre IIT de sa Deffence of Mastration Pourquoy Ja langue Francoyse n'est si riche que Ja Grecque et Latine), nfignore pas quiil prée un sexe 3 la langue, ni ne masque la métaphore anale qui soutient Lidée quil se fait de ce quau terme de Ia décantation la langue pourra devenir : « Ainsi puys.je dite de notre langue, qui ‘commence encores A fleurir, sans fructifer : ou plus tost comme une plante et vergette, n'a point ‘encore fleury, tant se fault qu'elle ait apporté tout le fruice qu'elle pourroit bien produyre. Cela. cer- ‘tainement non pour le défault de la Nature delle aussi apte 4 engendrer, que les autres : mais pout la coulpe de ceux, qui ont eue en garde, et ne Tone cultivée & suffsance : ains comme une plante sauvaige en celuy mesmes Desert ou elle avoit commencé & naitre, sans jamais Yarrouser, la tailler, ni defendre des Ronces, et Epines, qui Ini faisoient ombre, Font Inissée envieilli, ec quasi moutir. Qte si’les anciens Romains eussent été (16) Sut ta dimension propeement alchi Marx, le Livre I du Capial. Quant & Jence de Ia langue et de Ja monnaie, ce n’ese pas par hasard quelle subsite, extuollemont, chet les pontifes du nationalisme: Iavdessus voir par exemple, tovt récem- ment, Tédifane article de Michel Debré, Tz langue. francaise et lo science universelle, in Le Recherche, 2° 72, novembre 1976. 25 aussi négligens & la culture de leur langue, quand ppremigrement elle commenca pululer, pour cer- tain en si peu de tens elle ne feust devenue si grande, Mais eux en guise de boas agricultcuss, Yont ptemigrement transmuée d'un lieu sauvaige ‘en un domestique : puis affin que plus tost, et mieux elle peust fructifier, coupant & Jentour les inutiles rameaux, Yont pour echange diceux res- taurée de Ramen france, et domestiques magis- tralement tirez de la langue Grecque, les quelz soudainement se sont si bien entez et faiz sem- blables & leur tronc, que désormais n'apparoissent plus adoptifs mais naturels. De la sont nées en la langue Latine ces fleurs, et ces fruits colorez de cette grande eloquence. (17) » Certainement, la langue a’advient 4 elle-méme que castrée, pourquoi elle est marguée du fémninin, Virginale elle se situe dans Vespace du divin, dans « Yordre divin de Ja jouis- sance pure (18) », Ih od se trouve le pouvoir, pouvoir de TUn, du maitre absolu, de celui par exemple & qui Du Bellay tend grice Gavoir « rendu elegant (..] nostre langsige aupa- avant scabreux et mal poly », du monarque qui, édictant, lave, lustre, purifie. La jouissance de la Jangue, le style méme, devront participer de ‘cette jouissance de Dieu. La langue selon Du Bellay est vierge et mére: on ne Varrosera pas sans la taller et, Tengrossant, on se gacdera de a laisser « eavieillir », Fructifiant, fs langue ne mettra bas qu’elle- méme, Je bénéfice tiré de cette fructification ne se distin. guant pas de ce qui vient, cette langue, Yenrichir, la sublimer, Promue par Je canal du droit équivalent général de routes Jes autres langues du royaume dans le procés de circulation des marchandises, la langue d’or se constitue comme trésor déxre la langue di roy. Si Véimination du déchet est condition de Ia beauré, le beau ne se borne pas & revenir & la place de (17) Du Bellay, La Deffence ot illstration de la langwe trangase, facsimilé de Td. originale de 1349, Droz, Gentve, 1949. (18) Voir ici Pierre Legendee, op. cit, notamment ses pages 131-146. 26 bs Texcrément. Ainsi que la perle suppose Ia boue qui la cultive, fa langue pure du roi, langue du pouvoir virginal, n'est perle quia la condition des « bas langages >, liew de Ia fiente, du commerce et de Ja corruption, dont elle est Téquivalent, mais général, Cesteicdire au milien desquelles elle Init sans, dans cette équivalence, que soit corrompue sa clarté splendide. Pure, Ja langue sien va rejoindre les joyaux de la couroane : lien du’ droit, da texte sacré, Tew de Ia traduction, de léchange, en elle sépurent de leuts scories, se débarrassent de leur reste de terre les voix que ‘ont entendre les bouseux en leur patois aussi bien que les vils fruits qui sésultent du commerce inffime. Gueux et commergants me souilleront pas I'insigne vir ginicé du pouvoir: ta langue du roi ne Jes lave pas de leurs péchés, mais elle fait mieux que les y abandonner puisqu’elle have le fruit de ces péchés, le convoque, décrassé de son odeur, au liew du divin pouvoir. Ni la langue ni Tor ne forniquent avec Jes guewx. Du moins comme or, comme langue, ne ces- Strentvils de dénier avoir quelque commerce avec Tici-bas Car « le trésor a's pas seulement une forme brute: il a aussi_une forme esthétique. Crest Taccumnlation douvrages dorfévrerie qui se développe avec laccroissement de la richesse sociale », Equivalent général, la langue se ciselle, sejoint la ‘tansparence du « cristal monnaie > dans la grande « corme sociale » de Ia circulation (Mare) ob elle vient se sublimer 3 Tinstar de la jeune fille qui vend son corps pour consticuer Ja dot qui la livrera, vierge, & son époux. Si le commercant ne samende qu’a acheter ce sang de la cadette qui Ie délivee-a du commerce — mais mal et non sans que les géaérations & venir portent en leurs veines trace de cette souillure, si Je hontewx trafic se transmme anu Liew du pouvoir en or Iustral en simposant le silence sur ses origines, Ie langue est ce tesséte d'or oi séchange le silence des sujets dans la transmutation qu'il opére de Tabjecte insanité pécore ea Ja rutilante inanité sonore du bibelot sonnant et trébu- chane (19), (19) Sur tes sources de ce détournement, voir, pour I" « insenite péeore >, Solless, H. 27 Du siécle dor au soleil dor de la monarchie francaise & Tage classique, elle s‘avance; drapée dans son lamé, la langue est une pute: « Gold? yellow, glittering, precious Gold? fel ‘Thus much of this, will make black, white; foul, fair; ‘Wrong, right; base, noble; old, young; coward, valiant} £.} What this, you Gods? [J this is i, That makes, the wappen'd widow wed again; {.] Come damned earth, ‘Thou common whore of mankind...» (20) (20) Shakespeare, Timon of Atbons, cité pat Macx, Capital, Liv, I (¢ Or préciewx, or jaune et Inisant! en, voici aster pour rendre le noie Blane, Je laid’ beau, Tinjuste juste, le vieux jeune, le Mche vail- lant (..] Quiestce que cela, 6 dieux immortels [..] Cest lui qui fait tune nouvelle mariée de Ja’ vouve vielle ce usée [1 Allon, argile damnée, catia du genre humain... ») 28 « Nettoyer devant sa maison, amasser contre la muraille » Lieu des échanges au temps des commencements de la circu- lation généralisée, Ia ville sous le sceau du divin pouvoir n'est pas moins & épurer. Ventre ou grenier, s'y consomment et sy fentassent Jes marchandises qui L se transforment en cette monnaie dont Yaspect ne trahit jamais les origines. Epurer la ville, Cest Tenrichir, et ceci dans un parcours qui fait place au procs de ta production. Car pour que le fric se substitue an déhet, 'liminatioa de celui-ci ne suffit pas, mais suppose pour faire retour dan; sa forme sublimée dialler dabord ali- menter les liewx de merde ot Yon produit. Ia ville stembellit certes détre balayée, d'étre, comme la angue de Vaugelas, « nctte », toutefois ce n'est pas principale ‘ment le refoulement qui la fait telle, mais bien plutét ce qui opéte d'un retour, précipité, sublimé, ot elle vient & tre « enti- itale, elle brille au bout du compte de mille iré si superbement le monde si Taccomulation primitive ’avait trouvé en France cette forme géniale d'accointance avec un univers juridico-politique armé de premitre main pour la castration et la lessive. Nettoyer devant sa maison Diabord il faut face le tri des ordures. « Deffendons, dit article 4 de Iédit de 1539, de vuider ou jetter és rues et places 29 de In dite ville et fauxbourgs dlicelle, ordures, charrées, infec- tions, ni eaux quelles quelles soient, et de retenir longuement & dites maisons, urines, eaux croupies et corrompues; ains enjoignons de les porter et de les vuider promptement au rmuisseau, et aptts, jetter tin sean d'eau nerte pour leur donner cours. »': liquides méme épais, dont il faut activer le cours, presser, en somme la circulation. Cest la part vaine du déchet, bien qu le dite vite il ne faudrait pas tout de méme aller jusqu’s risquer doublier qu’en fait de vanité du déchet il sera fait un sort meilleur & Turine qu’aux eaux croupies, Le concept de matidre n'a pas sa frontidre entre le solide et le liquide : i pénétre aussi le liquide pour en retenir certains, ea diminer Gautres. Si on se debrouillait du déchet avec un seau d'eau, on comprend bien que cela ne ferait pas tant dihistoires. Mais ce n'est pas aussi simple, loin sen faut: + Art 15. — Deffendons & toutes personnes quelconques de vaider et mettre en Ja rue aucun feure, fiens, charrées, boué fii autres immondices, ne iceux brusler és rues, ni faire tuer pourceaux ou autres bestes; mais enjoignons iceux fiens ou immondices setter et mettre dedans leurs maisons en panniers ‘et mannequins, pour aprés les faire porter hors de la dite ville cet fauxbourgs dicelle >, complété par Tarticle 29 qui intime & ‘ous les dessus dies de faire mener € pourceaux, truyes, cochons, isons, pigeons et connils > hors la ville et ses faubourgs. Tl fen va autrement on le voit du sang et de la merde que des €pluchures et des eaux de vaisselle. Mais s'agicil de simple- ment les soustraire an regard? d'éviter que dames et gentils- hommes risquent de se souiller au contact ou a la vue de la merde du manant? Sil sfagissait de laver & grande eau Ja ville pour la faice reluire, point ne serait besoin de cette hié- rarchie instaurée dans le déchet. Que chacun serre sa_merde et Ja mette dans sa maison emporte, on le congoit, de tout autres conséquences, IL y va dabord, au sens propre, diune évidente domestication du déchet qui situe Vobjet, pour le sujet, & sa ¢ juste » place : chez Ini, en sa domus. Que le déchet sinstalle ainsi au foyer soit, nous y reviendrons, dans la sphére du privé, n’aura sans doute pas été pour rien’ dans Iémergence de sentiments de la famille et de Tintimité dont on seit quis sont d'acquisition sécente, Lévénement trouverait au surplus sa place dans une 30 histoize des sens qui établirait la vraisemblable historicité de Yodorat. Si Yodeur de Yexcrémentiel se supporte, en famille, 1 ot | fe lien social est Je plus resserré, il y fallut certainement Ia condition d'une privatisation du déchet dont tous les ages) woffrent pas Texemple. Pas plus qu'on ne s‘épouille toujours devant sa porte, entre voisins ct toutes classes confondues, de toujours espace de la défécation n'est le lieu privilégié du monologue intérieut : & supposer ouverte a écrit leur civi- lisation, un Léopold Bloom n’aurait pas été seulement conce- vable dans Jes tribus australiennes o8, & en croire le récit de certains voyageurs, il était coutumier de converser en exercant ses besoins (1). Il est assez évident que les formes de Ja socialité ne man- quent pas d’étre subverties par Ja politique du déchet. A tou- cher, si pen que ce soit, le rapport du sujet & sa merde, ce n'est pas ‘seulement son rapport A son corps tout entier qui se trouve modifié mais son rapport méme au monde et la repré= sentation quill se fera de st propre insertion dans le social Lédit de 1539 qui fait obligation & chaque individu, ow & chaque famille, de canserver en quelque sorte pour Ini son décher avant que de le porter hots de la ville trouve en effet 2 se compléter dans un réglement de 1563 dont la lecture peut Glairer d'un jour cout A fait particulier la genése des discours de Tintimité et de l'individualité : « Chacan chief d'hostel., propriétaire ou loca- taire., de quelque condition ou état qu'il soit, sans foul excepter, par toutes les rues, ruelles et autres endroits de cette ville et fauxbourgs, fera chaque jour, & six heures du matin et trois heures de rele- ‘vée, nestoner devant sa maison et amasser contre Ta murdille (2), les boues, fens, etc; ou bien les mettre dans un panier ou autre chose, attendant (1) D'apits Blie Recles, Les Primitifs, Paris, 1885, cité par Joha G. Bourke, Seatalogic Rites of all Nations, Washington, 1891. 2) Cest moi qui soaligne. 31 que le combereau passe. sur peine de 10 sols parisis damende.. Sera établi, en chacun quastiet deux personnes qui ont combereaux, lesquelles seront tenues, menet chacun jour & ladite heure, de longueur et compétente et bien fermés.., aux, quels y aura une clochette pour avertir... et les charger de toutes boues... avec défense de jeter sucune charrée ow autres immondices de leurs ites ‘maisons... Ainsi les retirer dans des panics. Si les dics boueurs faillent a aller chaque jour, soit et matin, ils seront exécurés par 100 sols d/amende parisis.. méme par emprisonnement.. > (3) Que chacun soit tenu de « mettoyer devant sa maison » pourrait en effet ne pas tre considéré comine négligeable \, Pour Ja place que cela occupe dans Je procés en cours dune individualisation des pratiques sociales, d'une réiuction et d'un ressectement des liens de contiguité & espace familial « Chacun doie nettoyer devant sa porte », cela fait immé. | distement proverbe ou, si Ton préfére, mot dordre indicateur et incitateur d'une doxe: ¢ chacun voit midi A sa porte », «on lave son linge sale en famille », etc. Ce petit tas de merde que j'amasse, la, devant ma porte ‘il est & moi et nul s'en Pourra médire si ce tas est bien formé. Ce petic tas, il sera ‘ma chose, mais il sera aussi mon insigne, signe tangible de ce qui me distingue ou me rapproche du voisin, et parillement signe visible de ce qui le distingue de moi: ordoané hatif ou dégueulasse son tas & Ini me sera jamais le mien et 4 ce signe seul je reconnaitrai déja s'il est, lui, des miens ou pas, comme moi, ordonné, propre, négligent, dégueufasse ou franchement pour Certes, au XVI" sidcle, nous n'en sommes pas & ce que cha- scan fasse pousser ses géraniums ou ses poircaux 4 Ia devanture de son pavillon; mais si quelque chose de Ia promiscuité refine cans un discours, juridique Pabord, déja une idéologie du Propre ne va pas se sépater de celle ‘de la propriésé, Tu toc. | G) Cité daprds F. Liges, op. cit 32 cupes de tes affaires, je mfoccupe des miennes dit, en substance, Tindividu 3 son voisin; ce qui se passe chez moi, en famille ‘mon linge sale et le reste, ca ne te regarde pas, car ce petit tas, Ii, devant ma porte, game segarde, Cest moi que co regarde: Ia politique du déchet vient imprimer dans Je rapport du sujet & son corps quelque chose qui wanticipe peutétre pas médiocrement sur Vidéologie car- tésienne du moi. Répétision, rembmorstion.. Au moment ott se domestique ainsi litéralement le déchet, seuls doivent subsister au foyer les animaux domestiques, 3 exclusion de ceux qui, doment saignés, prendront la Voie de TTingestion. C'est que, serrés dans Ia maison, les scybales devront, comme les pourceatx et les cochons, étre portés hors de la ville; Yanimal pour y étre noutri, Nexcrément pour y nourrir Ia terre, Si la langue est un bibelot d'or au milien des bas langages, la ville ne seta pas moins joyau vivant des basses ceuvres, Ja premitre phase de -ransmutation du déchet passant d'abord par Ia terre quiil engraisse, qu’il nourrit, avant que Jes fruits de cet engrais ne viennent au terme du parcours offrir leurs béndfices & la ville, Yentichir, mais métamorphosés sous une forme qui s’aura plus Yodeur ni de Ja merde ni de la terre. Ee il ne se trouvera que des podtes pour révéler le fond de la métamorphose et restiuer 4 Yor cette « damned earth >, sa paille et son fumier, pour empécher en somme que tout tourne ond dans le cycle de le circulation. Le Xvi siécle se marque en effet dun retour a d'antiques coutumes recouvertes pat plusieurs sidcles doubli: Lemploi des matidees fécales i Ia furmure des terres, autrefois en usage chez les Romains, ne laisse pas de participer de la grande remémoration de In Renaissance. Remémoration en effet que ceite utilisation du déchet puis que contre toute attente, a chaque fois dans histoire que Samorcera une tendance & Tinvestissement du déchet, humain 33

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