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Autour de « Must we mean what we say ? » de S. Cavell

Introduction :

« Devons-nous vouloir dire ce que nous disons ? ». Question


déroutante au premier abord. Il ne s’agit plus ici de questionner le
« sens », dans son rapport canonique à la référence mais envisager
une autre dimension de ce que l’on dit, à savoir « son vouloir ».
Mais Que peut-on entendre par « le vouloir » d’un dire ? Est-ce
seulement sa capacité à suggérer (indiquer) quelque chose qui
n’est pas énoncé explicitement dans ce que j’ai dit ? Dépend-il
simplement l’intention (le « vœu » du locuteur)? Sur quels chemins
nous mène cette recherche sur ce que nous voulons dire, et quelle
nuance apporte la question de savoir si nous devons ou non
« vouloir dire ce que nous disons » ?

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C’est là un vaste champ problématique, d’autant plus vaste qu’il ne


faut pas minorer la portée « provocatrice » de cet acte de naissance
philosophique de Stanley Cavell. Cette conférence[1], prononcée en
présence d’Austin lors de la réunion de l’Association Américaine de
Philosophie de décembre 1957 « est explicitement une défense du
travail de [son] maître, Austin, contre une attaque qui rejetait ce
travail comme non-scientifique, refusait de l’inclure dans les rangs
de la philosophie »[2]. C’est pourquoi il nous faut avant toute chose
présenter le « contexte » d’énonciation de ce texte si fondamental
chez Cavell puisqu’il est « un article qu’[il] utilise toujours, c’est-
à-dire celui dans lequel [il a] trouvé [sa] voix philosophique (ou sa
trace) » (Idid.), pour introduire et comprendre tous les enjeux du
problème posé par le vouloir dire ce que nous disons.

L’appel cavellien de la prise en compte de la philosophie du langage


ordinaire, lancé cette année-là et réaffirmé lors de la parution de
Must We Mean What We Say en 1969, s’est fait à une époque où la
philosophie analytique régnait sans partage sur le monde
universitaire anglo-saxon. Héritière[3] de l’empirisme logique
viennois, qui a placé la logique et le vérificationnisme sur un trône,
la « critique institutionnelle » tend à disqualifier les procédures de la
philosophie ordinaire en les plaçant tout simplement hors du champ
philosophique, en déclarant ces dernières irrecevables du fait de
leur refus de se fonder sur des données empiriques, c’est-à-dire
comme ne remplissant pas les conditions de vérifiabilité empirique.

Positionnement du problème :

Le contentieux porte sur ce que doivent être les données du


langage (pour l’analyse philosophique), ou plutôt, dans quelle
mesure le langage peut être lui-même pris comme donné, sur ce

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qui fonde ce recours au langage. La tradition analytique ne prend en


considération que des propositions dont l’analyse logique nous dit
si elles sont pourvues de sens ou non, c’est-à-dire si elles décrivent
correctement ou non la réalité. La fonction primordiale des énoncés
serait de décrire la réalité, et en ce sens, le premier Wittgenstein est
exemplaire de ce type de démarche. Dans le Tractatus logico-
philosophicus[4], il nous montre que la mise en forme logique nous
dit si une proposition est pourvue de sens, si elle est vraie ou
fausse, c’est-à-dire si elle « dépeint » ou non la réalité. La totalité
des faits sont le monde[5], que nous nous figurons[6] suivant un
schème logique[7]. Cette image logique – la pensée – est celle qui
est pourvue de sens[8], et la proposition est ce qui exprime cette
pensée : « Le signe par lequel nous exprimons la pensée, je le
nomme signe propositionnel. Et la proposition est le signe
propositionnel dans sa relation projective au monde » (3.12). La
proposition est donc une image ou un modèle de la réalité telle que
nous nous la figurons (cf. 4.01) et elle nous « montre » le sens, elle
« montre ce qu’il en est des états de chose quand elle est vraie. Et
elle dit qu’il en est ainsi » (4.022).

Tout le problème de ce modèle descriptiviste ou propositionnel[9]


est le glissement opéré vers sa catégorisation (prétendument
univoque) en termes de vérité, car on peut seulement demander à
une proposition si elle est vraie ou fausse. Si la réalité est comparée
à la proposition (4.05) et qu’elle ne peut être vraie ou fausse que
dans la mesure où elle est une image de la réalité (4.06), alors
« comprendre une proposition, c’est savoir ce qui a lieu quand elle
est vraie » (4.024). L’activité philosophique se résume alors à « la
clarification logique des pensées », et « doit rendre claires, et
nettement délimitées, les propositions qui autrement sont, pour ainsi
dire, troubles et confuses » (4.112).

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À la suite de Wittgenstein, la démarche analytique se définit donc


comme devant éliminer ces énoncés dépourvus de sens, par
clarification logique du langage, ce qui signifie – et c’est là l’héritage
de l’empirisme logique – en analyser le contenu empirique. De ce
fait, on conçoit mieux pour quelle raison les énoncés concernant
l’éthique et l’esthétique ont soulevé de nombreux problèmes. Ce
n’est pas qu’on puisse les analyser comme dépourvus de sens, ils
ne sont simplement pas des propositions du tout[10]. Ces énoncés
sont exclus non seulement des limites du sens, mais du domaine du
langage pourvu de sens. Une solution a été de faire une distinction
à l’intérieur du langage, entre une capacité cognitive et non
cognitive (ou émotive[11]). On aurait deux types de sens, et seules
sont vraies ou fausses les phrases qui décrivent un état de choses
ou renvoient à un contenu empirique, c’est-à-dire qui ont un
contenu cognitif.

Même si cette distinction est contestable, elle ouvre une porte à


l’intelligibilité et à la compréhension des faits relevant du domaine
éthique et esthétique. Ogden et Richards clarifient le concept de
signification en y introduisant la possibilité d’une double dimension
pour tout énoncé, celle cognitive (symbolique) et celle non-cognitive
(émotive). D’une certaine manière, le langage n’est plus envisagé
dans sa seule dimension cognitive, dans ce qu’il dit, mais dans ce
qu’il veut dire : la fonction symbolique descriptive relève du
statement, alors que la fonction émotive est « l’usage des mots pour
exprimer ou susciter des sentiments ou des attitudes »[12]. Le
meaning, ne se réduit plus au dire propositionnel (son aspect
scientifique), mais « com-prend » tout ce qui est impliqué dans le
langage. Pour F. Récanati[13], Ogden et Richards ont, par leur
réhabilitation du non-cognitif (non-sens) permis d’assurer une
« transition » entre le positivisme logique et la philosophie du

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langage ordinaire ; or c’est justement cette distinction entre cognitif


et émotif[14], et le « représentationnalisme » (la proposition est
image de l’état de choses) de la « philosophie analytique
classique » que Cavell, suivant l’enseignement d’Austin et le
second Wittgenstein[15], récuse. L’effort d’Ogden et Richards vise
en fait à montrer de quelle façon l’on peut tenter d’étendre la «
méthode scientifique » à des questions qui y sont, au premier
abord, soustraites. C’est pourquoi on peut les associer plus
fortement à la démarche de clarification propositionnelle du
Tractatus.

La critique de la philosophie ordinaire :

Austin définit cette démarche analytique comme étant sous le joug


de « l’illusion descriptive ». Tout l’effort du philosophe d’Oxford est
de montrer qu’il existe d’autres usages du sens que la description,
ou plutôt que le meaning d’un énoncé, c’est son usage.
L’appréhension propositionnelle n’est pas le seul mode
d’appréhension du sens (meaning); et plus qu’en termes de
« correspondance au réel », les philosophes du langage ordinaire
montrent ce que l’on a à gagner en envisageant les énoncés en
termes d’adéquation. Comme le souligne Austin, « ce dont on a
besoin, c’est d’une doctrine nouvelle, à la fois complète et générale,
de ce que l’on fait en disant quelque chose, dans tous les sens de
cette phrase ambiguë, et de ce que j’appelle l’acte de discours, non
pas sous tel ou tel aspect seulement, mais pris dans sa
totalité »[16]. Austin évacue d’emblée la notion de proposition, qui
se concentrait sur le rapport de l’énoncé (ou de la phrase) à un état
de choses, en n’envisageant que des sentences (des phrases) et
statements (des affirmations, des énoncés déclaratifs), et dénonce
l’idée que les phrases sont des statements qui décrivent des états
de choses. Précisément « l’illusion descriptive » consiste à

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supposer que la fonction première du langage est de décrire des


états de choses. « Même si une partie du langage est maintenant
purement descriptive, le langage ne l’était pas à l’origine, et en
grande partie ne l’est toujours pas. L’énonciation de phrases
rituelles évidentes, dans les circonstances appropriées, ce n’est pas
décrire l’action que nous faisons, mais la faire (« I do »)[17] ».

Dans ces circonstances, on peut prendre toute la mesure de la


formule traduisant How to Do with Words : « Quand dire, c’est
faire ». Mettre en cause la fonction descriptive du langage, c’est
mettre en cause le rapport entre meaning et état de choses. Par le
fait de dire quelque chose, en disant quelque chose (by saying, in
saying), nous effectuons quelque chose, nous la faisons. Peut-être
paradoxalement, Austin impute la fascination qui a cours pour les
statements, non pas aux « positivistes », mais à Kant[18] et à son
dualisme entre le factuel et le normatif (constatif-performatif si on
veut[19]). Austin ne souscrit pas à ce dualisme kantien repris par les
tenants de la philosophie analytique, comme on peut le voir dans la
dernière conférence de Quand dire, c’est faire :

Il y a sans doute plusieurs moralités à tirer de tout cela et je voudrais


plus particulièrement en signaler quelques-unes :

A) L’acte de discours intégral dans la situation intégrale de discours


est en fin de compte le seul phénomène que nous cherchons de fait
à élucider.

B) Affirmer, décrire, etc. ne sont que deux termes parmi beaucoup


d’autres, qui désignent les actes illocutionnaires ; ils ne jouissent
d’aucune position privilégiée.

C) Ils n’occupent en particulier aucune position privilégiée quant à

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la relation aux faits – et qui seule permettrait de dire qu’il s’agit du


vrai et du faux. Vérité ou fausseté, en effet, sont des mots qui
désignent non pas des relations, des qualités (que sais-je encore)
mais une dimension d’appréciation. [je souligne]

D) Du même coup, il nous faut éliminer, au même titre que d’autres


dichotomies, la distinction habituellement établie entre le “normatif
et l’appréciatif ” et le factuel. [je souligne]

E) Nous pouvons aisément prévoir que la théorie de la


“signification” dans la mesure où elle recouvre le “sens” et la
“référence”, devra être épurée et reformulée, à partir de la
distinction entre actes locutoires et illocutoires (si cette distinction
est fondée : elle n’a été qu’esquissée jusqu’ici) [20].

On peut d’emblée souligner que s’attaquer au « fétiche vrai-faux »


ne revient pas chez Austin à détruire la vérité, mais bien au
contraire à l’étendre plus largement. En envisageant « l’acte de
discours intégral dans la situation intégrale de discours », il nous
montre qu’il existe une dimension d’acte dans l’ensemble du
langage. Il fait du langage un acte. Et cette généralisation aboutit
progressivement à un effacement de la dichotomie initiale entre
performatif et constatif : un même énoncé peut être performatif et
constatif. À la première distinction (performatif-constatif) semble se
substituer celle entre acte locutionnaire et illocutionnaire : « tout acte
de discours authentique comprend les deux à la fois » (Ibid. p. 148).
Ce qui est en jeu par cette distinction au cœur de l’appréhension
des actes de langage, c’est la définition même du normatif. En
passant de la proposition à l’idée d’usage on change de dimension.

L’usage du langage étant fondé, comme toute activité humaine

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(institutionnalisée), sur des règles, son essence est normative. « Ce


qui est normatif, c’est précisément l’usage ordinaire lui-même »
note Cavell (MWM, p.21). Et ce n’est pas confondre fait et norme
lorsqu’on dit qu’un énoncé descriptif tel « la fenêtre est ouverte »
peut être soit constatif (je décris une situation), soit normatif (on
souhaite ou m’ordonne de la fermer). C’est pourquoi les énoncés
descriptifs ne sont pas strictement opposés aux énoncés normatifs.
On comprend alors l’agacement de Cavell à propos de cette
confusion :

Quand je dis ici que parler d’une opposition générale entre énoncés
descriptifs et normatifs constitue une confusion, je ne pense pas
avant tout au simple fait que les règles ont des énoncés (descriptifs)
qui leur correspondent, mais plutôt à ce que signifie ce fait, à savoir,
que ce que décrivent ces énoncés, c’est des actions (et non pas,
par exemple, des mouvements de corps, qu’ils soient animés ou
inanimés). Le fait le plus caractéristique quant aux actions, c’est
qu’elles peuvent – de diverses manières particulières – mal tourner,
qu’elles peuvent être accomplies de façon incorrecte. Cela n’est pas
là, en aucun sens restreint du terme, une affirmation morale,
quoiqu’elle indique la morale de l’activité intelligente. Et elle est
aussi vraie de la description que du calcul, de la promesse, du
complot, de l’avertissement, de l’affirmation ou de la définition…
Voilà des actions que nous accomplissons, et que cette exécution
soit réussie dépend de ce que nous adoptions et suivions les
manières dont l’action en question est faite, dépend donc de ce qui
est normatif pour cette action. Les phrases descriptives ne sont
donc pas opposées aux phrases normatives, mais en réalité les
présupposent : nous ne pourrions faire la chose que nous appelons
décrire si le langage ne fournissait pas (si l’on ne nous avait pas
appris) des manières qui sont normatives pour l’action de décrire

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(pp.21-22).

Ce qu’il faut retenir ici, c’est la richesse que recèle l’action, richesse
niée – entre autres – par la conception réductionniste du Cercle de
Vienne pour qui toute action est mouvement physique. Comme le
souligne Austin,

On a encore trop peu enquêté sur ces expressions pour elles-


mêmes, tout comme en logique on néglige encore avec trop de
légèreté la notion générale de dire quelque chose. Il y a en effet à
l’arrière-plan l’idée vague et rassurante que, en dernière analyse,
accomplir une action doit revenir à faire des mouvements avec des
parties de son corps ; idée à peu près aussi vraie que celle qui
consiste à penser que, en dernière analyse, dire quelque chose
revient à faire des mouvements avec la langue[21].

Ce domaine de l’action devient alors un centre de recherches qui


permet de nous apprendre quelque chose à la fois sur le langage et
sur nous-mêmes (en plus de faire redécouvrir aux philosophes « le
plaisir de la découverte »). Le langage est comme un prisme
révélateur : les différences dans le langage révèlent des différences
du monde. « Quand nous examinons ce que nous dirons quand,
quels mots employer dans quelles situations, nous ne regardons
pas seulement les mots, mais également les réalités dont nous
parlons avec les mots » (Ibid, p. 144). Il s’agit donc de montrer, pour
Austin comme pour Cavell, qu’à partir du langage ordinaire – qui est
source infinie de distinctions[22] que le langage philosophique (ou
l’usage philosophique du langage) a effacées –, on peut
comprendre quelque chose de la nature et des classifications des
actions.

Les dernières conférences de Quand dire, c’est faire, nous montrent

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que les énoncés peuvent être appréhendés suivant les trois


dimensions d’actes qu’il a distingués : les actes locutoires,
illocutoires et perlocutoires (dans leur contexte d’énonciation
propre). Cette tripartition, aussi problématique soit-elle, fait la force
de la philosophie austinienne. Si « tout acte de discours authentique
comprend les deux à la fois », ce n’est pas la distinction entre ce qui
est dit et le fait que c’est dit que l’on met en évidence, mais on prête
véritablement attention à ce qui est dit comme un tout (« l’acte de
discours total »). Le langage devient performance, sans qu’on
puisse pour autant tracer une limite entre acte et contenu au sein de
chaque énoncé. Et ne pas négliger la dernière dimension de l’acte
de parole présentée par Austin, c’est se prémunir de « retomber »
dans cette distinction contenu-acte qu’illustre d’une certaine
manière la partition sémantique-pragmatique[23]. Cette dernière
nous conduit à penser l’acte comme « force additionnelle[24] », or
pour Austin, s’il s’agit de « performe an action », alors la
performance ou le faire est indissociable de l’action elle-même,
c’est-à-dire qu’il est fonction (au sens de fonction grammaticale), et
non pas simple conséquence.

Cette idée de conséquence renvoie également à la conception


traditionnelle d’action. Pour celle-ci la réponse à la
question : « Qu’est-ce qu’une action humaine ? » est « Une action
volontaire ». On entend souvent par là trois choses : (1) Une action
est généralement un mouvement du corps ; (2) qui est précédé
d’une volition (événement mental rendant compte d’une décision) ;
(3) elle-même causée par cet événement mental. John Stuart Mill
résume cela en ces termes : « Qu’est-ce qu’une action ? Ce n’est
pas une seule chose ; c’est un composé de deux choses
successives, l’état d’esprit appelé volition, et l’effet qui le suit. La
volition ou l’intention de produire l’effet est une chose ; l’effet produit

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en conséquence de l’intention en est une autre ; les deux ensemble


constituent l’action »[25]. Cette conception est évidemment
problématique, et G. Ryle s’est employé à dénoncer cela dans La
Notion d’esprit[26], même si sa solution entre partiellement en
conflit avec la conception austinienne. Cavell souligne que

De fait, il avait perçu le problème : l’usage philosophique de


“volontaire” étend l’idée de volition jusqu’à la déformer et à la rendre
méconnaissable. Et son diagnostic du problème était bon : à cause
d’une conception déformée de l’esprit, les philosophes s’imaginent
que le terme de “volontaire” doit s’appliquer à toutes les actions qui
ne sont pas involontaires (ou non-intentionnelles), alors qu’il ne
s’applique que là où il y a une raison particulière de soulever la
question (MWM, p. 7).

« L’usage philosophique » est précisément le cœur du problème


pour Cavell, et un des motifs de sa réflexion sur la critique. Il s’agira
donc, après cette synthèse introductive au problème du « vouloir
dire », de suivre au plus près le détail du texte de Cavell afin de
montrer la non-pertinence de certains arguments avancés par B.
Mates[27], qui « se soucie moins de critiquer spécifiquement
certains des résultats des philosophes d’Oxford que de mettre en
cause les procédures qui ont amené ces philosophes à les
revendiquer » (MWM, p.2).

Delphine Dubs

[1] Cavell, « Must We Mean What We Say? »[MWM], 1969,


Cambridge, Cambridge University Press, 2002, (trad. C. Fournier &
S. Laugier, Dire et vouloir dire, Paris, Cerf, 2009), pp. 1-43. (Toutes
les références dans le texte renvoient à la pagination de la version

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originale de l’article)

[2] Cavell, Un Ton pour la philosophie, op. cit., p.35.

[3] Il faut noter que prendre « l’institution analytique » comme un


milieu homogène n’est pas rendre justice à la philosophie
américaine dans son ensemble ; tout comme les différences de
pratiques des philosophes d’Oxford peinent à être cantonnée sous
le terme « d’école ». Pour des raisons de commodité, nous
n’envisageons ici que certains points de la tendance analytique
dominante.

[4] Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1922, trad. G-G.


Granger, Paris, Gallimard, 1993.

[5] Ibid, cf. 1.11. Le monde est déterminé par les faits, et par ceci
qu’ils sont tous les faits ; ou 1.13. Les faits dans l’espace logique
sont le monde.

[6] Cf. 2.12. L’image est un modèle de la réalité ; 2.151. La forme de


représentation est la possibilité que les choses soient entre elles
dans le même rapport que les éléments de l’image ; 2.1511.
L’image est ainsi rattachée à la réalité ; elle va jusqu’à atteindre la
réalité ; 2.1512. Elle est comme une règle graduée appliquée à la
réalité.

[7] Cf. 2.18. Ce que toute image, quelle qu’en soit la forme, doit
avoir en commun avec la réalité pour pouvoir proprement la
représenter – correctement ou non – c’est la forme logique, c’est-
à-dire la forme de la réalité ; 3. L’image logique des faits est la
pensée.

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[8] Cf. 3.3. Seule la proposition a un sens ; 4. La pensée est la


proposition pourvue de sens.

[9] Cf. 4.023. La réalité doit être fixée par oui ou par non grâce à la
proposition. Il faut pour cela qu’elle soit complètement décrite par la
proposition. La proposition est une description d’un état de choses.

[10] Cf. 6.42. « Il n’y a pas de proposition éthique ». Et cela conduit


Wittgenstein au silence final du Tractatus…

[11] Cette distinction est proposée par c. k. ogden & i. a richards,


The Meaning of Meaning : a Study of the Influence of Language
upon Thought and of the Science of Symbolism, Londres, Harcourt
Brace Jovanovich, 1923. Cavell ne cite pas directement ce texte,
mais des philosophes, comme Stevenson, chez qui elle a été
fortement reprise.

[12] c. k. ogden & i. a richards, The Meaning of Meaning, op. cit.

[13]« La théorie émotive permet de sauver la thèse néopositiviste


selon laquelle tout jugement synthétique est empiriquement
vérifiable du contre-exemple apparent que constituent les énoncés
éthiques». «Du positivisme logique à la philosophie du langage
ordinaire : naissance de la pragmatique », postface de Quand dire,
c’est faire, 1962, trad. G. Lane, Paris, Le Seuil, 1970, p.192-193.

[14] Du fait de sa compatibilité avec la vérifiabilité empirique des


énoncés synthétiques.

[15] Cavell souligne ainsi le passage entre les deux « moments » de


Wittgenstein : « Si je comprends bien, Wittgenstein demandait,

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dans le Tractatus : “Pourquoi la forme logique d’une proposition est


sa forme réelle ?” Mais dans sa seconde philosophie, sa réponse
est en fait : “ce n’est pas le cas”. Et il pose ensuite la question :
“Pourquoi pensons-nous (ai-je pensé) que cela était le cas ?”
et : “que nous dit la forme réelle (grammaticale) d’une
proposition?” », « The Availability of Wittgenstein’s Later
Philosophy », MWM, Op. Cit, p. 56.

[16] Austin, « Performatif-Constatif », Colloque de Royaumont, in La


Philosophie analytique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1962, p. 280.

[17] Austin, Écrits philosophiques, 1961, trad. L. Aubert & A-L.


Hacker, Le Seuil, 1994, p. 103.

[18] Référence que Cavell reprend en envisageant un « déclaratif


catégoriel ».

[19] Les deux « dichotomies » se recouvrent à peu près au début du


texte, mais il semble qu’Austin affine cela au fur et à mesure du
texte.

[20] Austin, Quand dire, c’est faire, op. cit., pp.151-152.

[21] Austin, Écrits philosophiques, op. cit., p. 139.

[22] Cavell pour illustrer la présence de cette richesse use d’une


« métaphore culinaire » (ou presque) qui est très révélatrice : «Si
vous faisiez la cuisine à la manière dont vous parlez, vous
n’utiliseriez plus des instruments particuliers pour des fonctions
différentes, et vous utiliseriez le même couteau pour peler, vider,
racler, couper en tranches, découper, hacher, et scier. La distinction
est bien là, dans le langage (comme les instruments sont là pour

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qu’on s’en serve), et vous ne faites qu’appauvrir ce que vous dites


en le négligeant. Et il y a dans le monde quelque chose qui vous
échappe». p. 35.

[23] On rabattrait alors le locutoire sur « le contenu de l’énoncé » et


l’illocutoire sur « ce que fait cet énoncé ».

30 C’est sans doute là un héritage de « l’émotivisme ».

[25] John Stuart Mill, Système de logique, I, 3, §5, trad. fr. L. Peisse,
Mardaga, 1988, p. 58.

[26] Gilbert Ryle, La Notion d’esprit. Pour une critique des concepts
mentaux, 1949, trad. S. Stern-Gillet, Paris, Payot, 2005,
pp.141-166. Ryle soumet trois arguments pour montrer les
difficultés de cette conception : (1) Pour des actions normales ou
ordinaires, on ne peut attribuer des volitions, parce que personne ne
peut soutenir qu’on décrit notre conduite ordinaire de cette
manière. (2) Rien ne garantit l’effectuation de la volition : le lien
entre volition et mouvement physique est contingent. (3) Sachant
qu’il existe des « actions mentales », comme calculer, on peut se
demander si la volition est elle aussi volontaire ou non. De ce fait,
l’analyse nous conduit à une régression infinie, qui rend intelligible
la notion d’action. C’est pourquoi pour Ryle, le problème de
« volontaire » ne doit pas s’articuler autour du partage entre
physique et mental (ou externe/interne) mais réside dans la
question de savoir si une action doit être précédée d’un « acte de
volonté » pour exister. C’est là une question que traitait déjà
Wittgenstein. Doit-on présupposer un acte de volonté derrière
chaque action ? Si mon bras se lève, c’est que je veux qu’il se lève.
Mon corps obéit à une volition. Mais n’arrive t-il pas que mon bras

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puisse bouger sans que je le veuille, quand je suis pris de


convulsion par exemple ? Ou parfois, j’ai beau vouloir bouger mon
bras, celui-ci « n’obéit » pas, il reste comme paralysé. Comment
l’expliquer ? La conception dualiste (partition mental-corporel) n’est
pas, comme on le voit satisfaisante. C’est pourquoi, on ne doit pas
envisager l’action en termes de volonté (comme acte séparé) mais
en termes de « volontaire » et d’ « involontaire ». Et l’analyse doit se
caler sur l’action elle-même c’est-à-dire le « jeux de langage » dans
lequel elle s’inscrit. Prenons un exemple : si un élève lève le bras au
moment de l’appel, il se soumet à une convention, à une pratique
dont il connaît la signification (l’usage). Mais lorsqu’il lève le bras
pour répondre à une question, ou en poser une, il le fait
volontairement, et il sait ce à quoi il s’expose en le faisant : donner
une réponse ou soumettre une question.

[27] Benson Mates, «On the Verification of Statements About


Ordinary Language», 1958, in V. C. Chappell, dir., Ordinary
Language, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, Inc., 1964, pp.64-74.

Autour de « Must we mean what we say ? » de S. Cavell

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