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ÉVASION
FISCALE
INTERNATIONALE
Guillaume
ALLEGRE
Magistère
Droit,
Fiscalité,
Comptabilité
Prête-‐noms,
fiducies,
trusts,
sociétés
écran,
fondations.
Les
montages
existants
pour
mettre
en
œuvre
une
évasion
fiscale
internationale
ne
manquent
pas.
S’il
convient
d’admettre
qu’ils
ont
tous
pour
objectif
la
soustraction
de
sommes
à
l’Administration
fiscale
française,
ces
procédés
sont
trop
souvent
confondus
et
mélangés.
C’est
la
raison
pour
laquelle
il
conviendra
de
correctement
les
définir
avant
d’en
présenter
la
substance.
Face
à
la
loi
du
silence
qui
règne
dans
les
paradis
fiscaux,
et
à
la
difficulté
de
retracer
des
flux
d’argent
dans
un
monde
globalisé
où
la
monnaie
circule
librement,
rapidement
et
sans
limitation
géographique,
notre
fisc
semble
bien
démuni.
Dans
la
chasse
aux
montages
offshore,
il
est
bien
évident
que
les
fonctionnaires
français
ne
luttent
pas
à
armes
égales
avec
les
multinationales.
Les
chiffres
sont
tout
de
même
assez
choquants.
L'évasion
fiscale
est
estimée
à
50
milliards
€
par
an
en
France
;
les
rectifications
entreprises
par
l'Administration
plafonnent
à
15
milliards
€.
2
Encore,
les
opérations
financières
internationales
sans
cause
juridique
voire
économique
apparente
et
se
limitant
le
plus
souvent
à
des
transits
de
fonds
en
provenance/à
destination
de
l'étranger,
notamment
avec
des
États
qui
n'ont
pas
conclu
de
convention
permettant
l'accès
aux
informations
bancaires.
Toute
la
difficulté
pour
l’Administration
sera
ici
d'identifier
les
bénéficiaires
effectifs
et
les
liens
entre
l'origine
et
la
destination
des
fonds,
les
entreprises
ayant
souvent
recours
à
des
structures
sociétaires
complexes
et
à
des
montages
juridiques.
Aussi,
la
méthode
classique
du
transfert
de
fonds
vers
un
pays
étranger
suivi
de
leur
rapatriement
sous
la
forme
de
prêts.
L’intérêt
paraît
ici
évident
à
savoir,
la
déductibilité
en
France,
des
intérêts
versés
en
rémunération
à
la
société
étrangère.
Montage
moins
connu
mais
qui
n’en
est
pas
pour
autant
moins
efficace,
l'organisation
de
l'insolvabilité
d’une
personne
par
la
vente
rapide
et
à
court
terme
d'actifs
à
une
ou
des
personnes
physiques
ou
morales
liées
ou
à
des
conditions
qui
traduisent
un
déséquilibre
manifeste
et
injustifié
des
termes
de
la
vente.
3
Il
convient
toutefois
de
ne
pas
confondre
le
trust
avec
la
fiducie,
ce
que
l’on
entend
bien
trop
souvent
en
ce
moment
d’agitation
médiatique.
Le trust lui peut très bien être établi par déclaration unilatérale.
Par
ailleurs,
les
droits
conférés
par
les
institutions
sont
radicalement
identiques
et
il
ne
faut
pas
les
assimiler
l’un
à
l’autre.
Le
beneficiary
bénéficie
d’un
véritable
droit
réel.
Le
bénéficiaire
quant
à
lui
ne
bénéficie
pas
d’un
tel
droit,
il
bénéficie
seulement
d’un
droit
de
créance
sur
les
biens
de
la
fiducie.
Le
beneficiary
lui
peut
demander
à
avoir
l’usage
des
biens
pendant
la
durée
même
de
l’exécution
du
trust.
Par
analogie,
il
est
bien
évident
que
les
obligations
du
trustee
sont
bien
plus
étendues
que
celles
du
fiduciaire.
Concernant
les
biens,
droits
ou
avoirs
remis
au
trustee
ou
au
fiduciaire.
Il
est
indéniable
que
les
avoirs
placés
en
trust
font
partie
d’un
patrimoine
distinct
et
sont
dissociés
des
biens
propres
du
trustee.
Il
existe
en
France
un
large
débat
sur
l’existence
d’un
patrimoine
d’affectation
ou
non
en
matière
de
fiducie,
mais
si
l’on
refuse
cette
existence,
il
convient
alors
de
remarquer
qu’en
vertu
de
la
loi,
les
biens
remis
en
fiducie
dont
devient
plein
propriétaire
le
fiduciaire
sont
un
droit
de
gage
général
pour
les
créanciers
du
fiduciaire
et
de
la
fiducie.
4
Autre
différence
tenant
cette
fois-‐ci
à
la
différence
du
droit
anglo-‐saxon
par
rapport
en
droit
français
en
matière
successorale.
En
effet,
en
droit
français,
il
existe
la
notion
sacrée
de
«
réserve
héréditaire
».
Il
est
évident
que
les
biens
placés
en
fiducie
ne
porteront
en
aucun
cas
atteinte
à
cette
réserve.
A
l’inverse,
les
trusts
constitués
en
Angleterre
se
moquent
de
cette
règle
peu
connue
dans
le
système
de
Common
Law.
A
contrario,
il
est
bien
évident
que
ces
deux
institutions
partagent
plus
de
points
communs
que
ce
qu’elles
n’ont
de
différences.
Ainsi,
elles
se
basent
toutes
deux
sur
la
notion
de
confiance.
Le
trustee
et
le
fiduciant
ne
doivent
que
se
préoccuper
de
gérer
correctement
les
biens
ou
droits
objets
de
l’opération.
En
aucun
cas
ils
ne
peuvent
indument
tirer
profit
de
cette
opération.
5
La
création
d'un
trust
peut
viser,
comme
c'est
souvent
le
cas
dans
les
pays
anglo-‐saxons,
à
répondre
à
des
problématiques
de
gestion
du
patrimoine
aussi
diverses
que
l'épargne
des
frais
de
scolarité
universitaire
des
enfants
jusqu'à
la
transmission
des
biens
en
cas
de
succession.
Autrement
dit,
il
n’est
pas,
du
moins
à
l’origine,
une
institution
purement
instituée
dans
un
but
fiscal.
Dans
le
domaine
de
l'entreprise,
le
trust
peut
aussi
être
utilisé
pour
des
raisons
de
séquestration
des
fonds.
Ainsi,
le
PDG
de
Total
avait
récemment
déclaré
que
chez
Total,
les
trusts
existent
uniquement
pour
des
raisons
juridiques
et
non
pas
fiscales,
lors
par
exemple
de
la
remise
en
état
de
sites
pétroliers.
Les
trusts
ainsi
constitués
sont
en
fait
des
comptes
séquestres
sur
lesquels
l'argent
nécessaire
est
déposé
et
ne
peut
être
utilisé
qu'en
un
temps
et
un
lieu
donnés,
soit
à
la
fin
des
travaux
d’entreprise.
Néanmoins,
il
n'y
est
pas
totalement
étranger.
Comme
nous
l’avons
vu,
un
régime
de
transfert
de
biens
similaire
(mais
distinct
!),
a
été
introduit
en
droit
français
en
2007.
Compte
tenu
des
règles
de
territorialité
applicables
en
matière
d'ISF,
et
sous
réserve
des
conventions
fiscales,
sont
donc
taxés
au
titre
de
l'ISF
:
6
-‐ les
biens
placés
dans
un
trust
dont
le
constituant
est
résident
fiscal
français
mais
ce,
quel
que
soit
le
lieu
de
situation
de
ces
biens
!
Toutes
les
transmissions
à
titre
gratuit,
réalisées
par
le
biais
d'un
trust,
étant
désormais
soumises
aux
droits
de
mutation,
la
violation
des
nouvelles
règles
est
donc
constitutive
de
fraude
fiscale.
7
trust
ainsi
que
l'illustre
le
schéma
ci-‐dessous
(source
LexisNexis).
Le
montage
est
réalisé
en
deux
temps.
Dans
un
second
temps,
les
titres
acquis
sont
cédés
en
étant
exonérés
de
toute
impositions
sur
la
plus-‐value
car
la
cession
est
accomplie
par
la
société
prédatrice
et
non
pas
par
le
bénéficiaire
effectif
de
l’opération
dans
son
ensemble…
En
conséquence,
les
revenus
du
groupe
français
sont
acheminés
vers
la
société
luxembourgeoise
par
la
voie
de
différents
dispositifs
fiscaux
tels
que
le
régime
mère
filles,
intégration
fiscale
etc.
Il
faut
ici
noter
que
le
régime
mère-‐filles
permet
avec
un
taux
de
participation
ridicule
soit
5%,
de
distribuer
des
dividendes
en
exonération
d’impôt
(mais
réintégration
d’une
quote-‐part
pour
frais
et
charges)
à
la
société
mère.
Quel
intérêt
de
verser
des
dividendes
à
la
Newco
luxembourgeoise
?
Comme
cette
dernière
a
financé
l’acquisition
de
la
target
par
endettement,
elle
a
certainement
contracté
un
emprunt
bancaire
auprès
d’un
établissement
financier
luxembourgeois
(dette
senior,
dette
mezzanine,
junks
bonks
et
8
autres
high
yields
à
rendement
élevé
qui
favorisent
d’autant
plus
le
leviver
fiscal
de
déductibilité
des
intérêts
versés
en
rémunération
des
fonds
prêtés).
La
remontée
des
dividendes
de
la
target
vers
la
mère
a
pour
objectif
de
rembourse
l’emprunt
ainsi
contracté.
Comme
cette
remontée
se
fait
(quasiment)
en
franchise
d’impôt,
non
seulement
la
Newco
a
acquis
une
target
pour
un
prix
dont
elle
ne
dispose
que
30%
en
cash
(levier
financier),
mais
en
plus
elle
va
pouvoir
déduire
les
intérêts
monstrueux
engendrés
par
l’opération
(levier
fiscal).
9
Dans
l’exemple,
le
trust
est
utilisé
pour
la
prise
de
participation
dans
le
groupe
français,
mais
il
faut
savoir
qu’en
majorité
les
trusts
sont
constitués
sur
le
marché
de
l’art.
Ainsi,
les
milliers
d'œuvres
des
Wildenstein
sont
intégrés
dans
des
trusts
situés
aux
îles
Caïman,
aux
Bahamas,
à
Guernesey.
D'une
manière
plus
générale,
il
est
apparu,
lors
du
cycle
d'auditions,
que
le
marché
de
l'art
constitue
un
terrain
propice
à
la
réalisation
d'opérations
d'évasion
fiscale
dans
la
mesure
où
l'œuvre
d'art
constitue
un
bien
meuble,
difficilement
traçable
et
estimable
contrairement
bien
sûr
à
un
immeuble…
La
fiducie-‐sûreté
peut
constituer
un
outil
intéressant
dans
le
cadre
de
la
transmission
d'une
entreprise.
En
effet,
l'acquéreur
(le
constituant)
transfère
temporairement
la
propriété
d'un
bien
lui
appartenant
dans
le
patrimoine
d'affectation
d'une
banque
(à
la
fois
fiduciaire
et
bénéficiaire
de
la
fiducie)
à
titre
de
garantie
du
remboursement
du
crédit
qu'elle
a
consenti
pour
l'achat
de
l'entreprise
(ici
encore,
on
peut
repartir
sur
un
schéma
d’acquisition
par
LBO).
Il
existe
plusieurs
formes
de
fiducies
qui
permettent
d’échapper
en
tout
ou
en
partie
à
l’impôt
en
France,
ou
d’ailleurs
à
l’étranger…
Le
Canada
fait
figure
de
favori
en
la
matière.
De
nombreux
scandales
fiscaux
y
ont
eu
lieu
en
matière
de
fiducie.
Dans
les
années
2000
au
Canade,
plusieurs
sociétés
par
action
se
sont
converties
en
fiducies,
une
transformation
qui
leur
a
permis
d’économiser
collectivement
des
milliards
en
impôts.
Il
s’agissait
alors
10
de
se
constituer
sous
forme
de
fiducie
de
revenu.
Comme
son
nom
l'indique,
une
fiducie
de
revenu
est
d'abord
une
fiducie,
dans
laquelle
des
éléments
d'actif
génèrent
des
revenus
qui
sont
versés
presque
entièrement
aux
détenteurs
de
parts
de
la
fiducie.
Pour
qu'une
fiducie
de
revenu
soit
créée,
il
faut
d'abord
des
éléments
d'actif
qui
proviennent
d'une
entité
déjà
existante,
une
société
personne
morale.
À
la
suite
d'un
transfert
ou
d'une
vente,
les
actifs
passent
de
l'entreprise
à
la
fiducie.
Le
transfert
des
actifs
peut
être
effectué
par
le
biais
d'une
réorganisation
de
la
forme
légale,
l'entreprise
se
modifiant
en
fiducie.
La
fiducie
de
revenu
ne
payait
quant
à
elle
pas
d'impôt
si
la
totalité
de
ses
revenus,
y
compris
les
gains
en
capital
imposables,
était
distribuée
aux
titulaires
de
part
chaque
année.
Les
détenteurs
de
parts
étaient
ensuite
imposés
sur
les
revenus
qui
leur
étaient
distribués.
Ces
distributions
étaient
constituées
de
divers
types
de
revenus,
tels
que
les
revenus
d'intérêts,
les
dividendes
etc.
Il
est
évident
que
face
aux
difficulté
que
connaît
la
fiducie
en
France,
une
telle
forme
ne
sera
probablement
jamais
insérée
en
droit
interne…
11
mécanismes
fiscaux
de
droit
interne
visant
à
éviter
la
fraude
et
l’évasion
fiscale
internationale
ont
été
étendus
à
la
fiducie.
L’article
209-‐B
du
CGI
conduit
à
imposer
en
France
les
bénéfices
réalisés
par
les
filiales
ou
succursales
étrangères
de
sociétés
françaises
lorsqu'elles
sont
établies
dans
des
pays
à
fiscalité
privilégiée.
Lorsqu'ils
sont
réalisés
par
une
entité
légale,
ces
bénéfices
sont
réputés
constituer
des
RCM
de
la
société
française
et
sont
donc
imposables
entre
ses
mains
au
même
titre
que
ses
autres
produits.
L’Administration
n’en
est
pas
au
bout
de
sa
peine
avec
cette
institution.
12