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Le retour des idées françaises dans l’Union

Dans sa chronique hebdomadaire, Arnaud Leparmentier, éditorialiste au « Monde », estime que la


France, loin d’être devenue une province d’une Europe allemande, est à nouveau un moteur des
politiques européennes.

LE MONDE | 22.03.2017 à 12h09 • Mis à jour le 22.03.2017 à 12h15 | Par Arnaud Leparmentier (/journaliste/arnaud-leparmentier/)

CHRONIQUE. On aurait aimé être surpris. Sur TF1, lundi 20 septembre, Marine Le Pen a recyclé
son vieux discours rôdé en octobre 2015 au Parlement de Strasbourg devant Angela Merkel et
François Hollande. « Merci Madame Merkel de nous faire le plaisir de venir avec votre vice-
chancelier, administrateur de la province France. Monsieur le vice-chancelier, j’aurais aimé pouvoir
vous appeler Monsieur le président de la République par respect pour votre fonction, mais, pas plus
que votre prédécesseur, vous n’exercez cette présidence », avait déclaré Mme Le Pen.

Rebelote lundi soir : « Je veux être présidente de la République française, mais vraiment. Je
n’aspire pas à administrer ce qui serait devenu une région, une vague région de l’Union
européenne, je ne souhaite pas être la vice-chancelière de madame Merkel », a expliqué la
candidate FN en propos liminaires.

Ah, le mythe des présidents de la Ve République. Les chefs de l’Etat français étaient réputés les
plus puissants d’Europe, libérés, à la différence des premiers ministres, de toute contrainte
parlementaire. Ils exercèrent leurs prérogatives pleinement, avec hauteur, avec brutalité parfois.
Ainsi du général de Gaulle, qui mit son veto à la candidature européenne du Royaume-Uni. En
direct de l’Elysée, lors de la conférence de presse du 14 janvier 1963, sans passer par la case
Bruxelles.

Présidents faibles
Au fil du temps, la force du verbe s’est émoussée : Jacques Chirac s’est fait plaisir, début 2003, en
accusant les pays de l’Est d’avoir perdu « une bonne occasion de se taire », en soutenant la guerre
de George Bush en Irak. Il n’a rien fait bouger et a donné l’image d’une France arrogante. Nicolas
Sarkozy crut bon, en juillet 2007, de traiter le ministre des finances allemand, Peer Steinbrück, qui
rappelait la France à ses obligations budgétaires, de « gros con ». Sa grossièreté était l’aveu d’une
France incapable de tenir son rang économique. Quant à François Hollande, on ne se rappelle nul
coup d’éclat.

Faut-il en déduire que la France est devenue une province d’une Europe allemande ? Marine Le
Pen s’attache aux oripeaux du pouvoir. Certes, la France est déclassée économiquement et ses
présidents faibles. Et pourtant, en dépit des critiques contre « Merkozy » et le manque d’audace de
François Hollande, ce sont les idées françaises qui s’imposent de nouveau en Europe.

Un petit retour historique s’impose. Jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’Europe, c’est la France.
L’Union progresse au rythme fixé par Paris. La France dit non – Communauté européenne de
défense, chaise vide, élargissement à l’Espagne –, et plus rien n’avance.

Puis vient la chute du communisme, qui provoque la réunification allemande, l’élargissement de l’UE
et la mondialisation. Un drame français, qui se fait chiper l’Europe par les Allemands et les Anglais :
à Maastricht, l’organisation institutionnelle et la gestion de la monnaie unique sont calquées sur le
modèle fédéral allemand et la doxa de la Bundesbank, tandis que les idées économiques et sociales
sont anglo-saxonnes, inspirées par le libéralisme anglais et le blairisme. Débutent les années du
déclin français, le chiraquisme : la France se fait déposséder de sa créature européenne.

Dix ans de crise
Soudain survient la terrible crise financière de 2008, qui foudroie le modèle européen. La finance
anglo-saxonne a fait exploser le système, discrédit accentué aujourd’hui par le Brexit. Quant à la
faillite de la Grèce, elle révèle surtout celle de l’ordre allemand : le traité de Maastricht s’est révélé
impuissant.

En dix ans de crise, l’Europe est devenue méconnaissable : la « dégermanisation » et


« désanglosaxonisation » sont à l’œuvre. Nous avons vu émerger une BCE politisée, qui fait
marcher la planche à billets, une zone euro solidaire financièrement, le maintien de la Grèce dans
l’union monétaire, l’avènement du chrétien-social Juncker à la tête de la Commission, la fin de
l’austérité budgétaire, une politique de la concurrence agressive qui force Apple à payer des impôts
en Irlande, la relance de l’Europe de la défense sur fond de désengagement américain… Autant de
ruptures prises sous l’impulsion de François Hollande, parfois engagées sous Nicolas Sarkozy.

Les idées françaises, bonnes ou illusoires, sont de retour. On se croirait revenu au XIXe siècle, où la
France, distancée par l’Empire britannique et la puissance allemande, conservait son prestige
intellectuel et culturel et diffusait ses idées. Et attendant le redressement économique, préalable à
une puissance réaffirmée.

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