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Genèse de la recherche sur le culte de saint

Antoine le Grand en Orient1

Vers l'an 955, la princesse russe Olga entreprit un voyage à Constantinople, où elle
fut accueillie avec faste par l'empereur Constantin VII Porphyrogénète, qui la plaça
parmi les plus hautes dames de sa cour (957), et où elle reçut, semble-t-il, le Baptême
par le Patriarche Polyeucte, sous le nom d'Hélène2.

Les chroniques ne nous disent pas comment et pourquoi la grande princesse a


voulu recevoir le Baptême, mais nous trouvons l'explication trente ans plus tard. En
987, quand les émissaires russes envoyés par le prince Vladimir de Kiev dans la
capitale byzantine assistèrent à la Divine Liturgie et aux diverses cérémonies qui
avaient lieu à l'église cathédrale Sainte-Sophie, leur impression fut si forte qu'ils en
restèrent stupéfaits et rapportèrent ensuite à leur souverain, le grand prince Vladimir :
« Nous ne savions plus si nous étions au ciel ou sur la terre. Car il n'y a pas sur terre
un tel spectacle, ni une telle beauté, et nous sommes incapables de l'exprimer. Nous
savons seulement que c'est là que Dieu demeure avec les hommes, et que leur culte
dépasse celui de tous les pays. Cette beauté nous ne pouvons l'oublier, et nous savons
qu'il nous sera désormais impossible de vivre en Russie d'une manière différente ! »3

La splendeur du culte orthodoxe, dont se font écho les émissaires russes, s’est
développée en Orient surtout après la victoire des défenseurs du culte des icônes dans
la « querelle des images » (VIII-IXe s.)4, en même temps avec l’essor de
l’hymnographie qui en suivit.

A mille ans distance de la princesse russe Olga, un autre témoignage sur le culte
orthodoxe, nous est livré par l’actuel métropolite Kallistos Ware (né en 1936).

Le métropolite Kallistos parle avec tendresse dans ses mémoires de son premier
contact avec l'Orthodoxie, en 1955, qui ne s'est fait ni par des grandes personnes, ni
par des livres importants, ni par la connaissance des splendeurs de Byzance, mais par
l'expérience concrète de la prière liturgique, dans l'église orthodoxe russe de Londres.
La communauté n'en était pas très grande, dit-il ; l'office n'était pas splendide (en
anglais : « magnificent ») ; les vêtements liturgiques étaient assez pauvres ; mais ce
1 Communication lors du Colloque international sur saint Antoine le Grand en Orient, organisé par le Monastère
carmélite et la Fraternité Saint-Elie, qui s’est tenu le 20 juillet 2013 à Saint-Remy, France.
2 D'après le témoignage de la Première Chronique russe. Mais Constantin Porphyrogénète, qui décrit la réception de
la princesse russe dans son Livre des cérémonies (PG 112, 1108-1112), ne mentionne pas son baptême. C'est ce qui a
fait supposer à certains historiens qu'elle avait été plutôt baptisée à Kiev un peu avant son voyage. Cette question du
lieu de son Baptême reste controversée. (Macaire de Simonopetra, Le Synaxaire. Vies des Saints de l'Église
Orthodoxe, Thessalonique : ΤΟ ΠΕΡΙΒΟΛΙ ΤΗΣ ΠΑΝΑΓΙΑΣ, tome 5, 1993 – notice 11 juillet).
3 Macaire de Simonopetra, Synaxaire..., 15 juillet.
4 Syntagme entériné par l’historien de l’art byzantin Louis Bréhier - La Querelle des images (VIIIe-IXe siècles). Paris :
Librairie Bloud, 1904.
1
qui l'a frappé, c'était un chaleureux sens de la communion des saints. Il dit : « Nous,
cette petite communauté visible, étions pris dans une action au delà de nous-mêmes ;
ce service a été ce que j'ai pu appeler plus tard le ciel sur la terre. Germain de
Constantinople5 (+733), dans son commentaire à la divine liturgie dit que l'église (la
communauté concrète) est un ciel terrestre dans lequel le Dieu des cieux vit et agit ;
que ce service est un avec le service des saints, des anges, le même avec celui de la
Vierge Marie la Mère de Dieu, le même avec celui du Christ, le grand prêtre ; en un
mot : la communion des saints. »6

Pour venir plus près de notre sujet, en ce qui me concerne, la rencontre avec le
culte orthodoxe, conjointe avec l’intérêt pour la « voie monastique », m’a porté
d’abord vers une recherche sur l’hymnographie des offices des moines du ménée de
janvier7 en rapport avec la littérature philocalique et patericale. Cette recherche a pris
une forme concrète dans un devoir de maîtrise en Spiritualité orthodoxe à la Faculté
de Théologie Orthodoxe de Bucarest en 19968.

Quelques années plus tard, arrivant en France, j’ai commencé un autre projet
semblable, à l’Institut de Théologie Orthodoxe « Saint-Serge » de Paris (2002-2005),
d’abord avec le professeur André Lossky, puis avec les professeurs Nicolas
Cernokrak et Job Getcha. Le sujet s’est restreint des moines du mois de janvier à
saint Antoine le Grand seul, et s’est étendu de la rencontre entre l’hymnographie et
Philocalie, au culte du Saint Antoine dans l’Orient chrétien, un peu selon de plan des
recherches de sœur Éliane dans sa thèse de doctorat sur saint Elie9 ou encore dans son
livre sur le saint prophète Élisée dans la tradition byzantine 10, où l’histoire,
l’hagiographie, la liturgie, la littérature chrétienne antique et l’hymnographie,
l’iconographie, la spiritualité sont des « filtres » qui dressent un portrait assez
complet au saint en question.

Ce fut un travail enrichissant et plein de découverts, mais ne maitrisant pas le grec


il ne pouvait pas aboutir honorablement devant saint Antoine le Grand. De plus,
submergé par les taches pastorales en tant que prêtre dans une des plus grandes
communautés orthodoxes roumaine en France, le travail a sombré inachevé dans les
tiroirs de mon ordinateur.

Ainsi, en 2007, j’ai pris contact avec Sœur Éliane, carmélite, pour lui demander de

5 Saint Germain (+742) fut patriarche de Constantinople (715-730), théologien, liturgiste, défenseur du culte des
icônes. Il est commémoré par les synaxaires orthodoxes le 12 mai.
6 Métropolite Kallistos (Ware) de Diokleia, lors de la conférence « The Future of Orthodoxy in the United States »,
Troy Michigan, le 19 février 2008.
7 Le ménée du mois de janvier et le plus riche en offices des saints moines et moniales. Aussi, le père Macaire de
Simonopetra (Mont Athos), parle d’une « volonté de le ranger dans la série des grands docteurs et confesseurs
commémorés pendant le mois de janvier » (Synaxaire – notice 21 janvier, St Maxime le Confesseur).
8 Iulian Nistea, La spiritualité orthodoxe dans l’hymnographie d’offices des saints moines du ménée de janvier
(Spiritualitatea ortodoxa în slujbele cuviosilor din meneiul pe luna ianuarie, teza de licenta, Facultatea de Teologie
Ortodoxa, Bucuresti,1996) - http://www.nistea.com/slujbele_cuviosilor.htm
9 Éliane Poirot, Le glorieux prophète Élie dans la liturgie byzantine (=SO 82), Bellefontaine, 2004.
10 Éliane Poirot, Pour chanter le saint prophète Élisée dans la tradition byzantine (=SO 84), Bellefontaine, 2005.
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finir ensemble la recherche.

L’étude présente11 est le fruit de notre collaboration, mais aussi de la collaboration


de nombreux chercheurs, orthodoxes et catholiques, de plusieurs pays, dont seule
sœur Éliane seule pourrait dresser la longue liste.

Sœur Eliane résume très bien : « Il s’agit donc d'une collaboration œcuménique à
impact œcuménique, car saint Antoine est un copte dont la Vie a été écrite peu après
sa mort par un grec, à la demande de latins. » (et traduite en latin par le syrien Évagre
d’Antioche12). Et elle cite Vogüé, qui dit : « Quand on songe à l’immense
retentissement qu’allait avoir, dans les deux parties de la chrétienté, cette œuvre
primordiale et programmatique, il apparaît que le monachisme chrétien est bien, dans
le domaine des lettres comme dans celui de la vie, une réalité œcuménique, issue de
la coopération des deux grandes Églises d’Est et d’Ouest »13.

Iulian Nistea
Prêtre orthodoxe

11 Éliane Poirot, Saint Antoine le Grand en Orient Saint Antoine le Grand dans l’Orient chrétien. Dossier
hagiographique, patristique, liturgique, iconographique, ed. Peter Lang GmbH, Internationaler Verlag der
Wissenschaften; 1 edition (January 28, 2014). Serie: Patrologia - Beiträge zum Studium der Kirchenväter (Book 30).
2 vol. 857 p. ISBN-10: 3631648227 ; ISBN-13: 978-3631648223
12 Jérôme, De viris illustribus, § 125.
13 A. de VOGÜÉ, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’antiquité. T. 1, Paris 1991, p. 20.
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