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Rendre la ville plus compacte : réflexion autour d'un

scénario alternatif à l'augmentation des densités


Bonin O. 1 Tomasoni L.2
1
Université Paris-Est, IFSTTAR, LVMT, Marne-la-Vallée, France
2
Université Paris-Est, Ecole des Ponts Paritech, LVMT, Marne-la-Vallée, France
Email pour correspondance: lorenza.tomasoni@enpc.fr

Appel à communications n°1


Métropoles et aménagements métropolitains : quelles dynamiques
d’innovations ?

Introduction
Dans l’optique du développement durable, il existe un certain consensus sur la nécessité de
réussir à limiter les phénomènes d’étalement urbain, et par conséquent d’encourager le
développement de villes compactes. En effet, l’étalement urbain, défini comme l’extension du
périmètre des villes par grignotage des espaces ruraux, pose à la fois le problème de
l’augmentation des distances domicile-travail (tempérée par une certaine déconcentration de
l’emploi), et de la disparition progressive des espaces naturels et ruraux.
Cependant, l’étalement urbain ou la compacification (entendue au sens large comme
phénomène d’inversion de ce dernier) sont des termes qui renvoient à des notions difficiles à
définir, puisque liées fondamentalement à une notion encore plus floue, bien que largement
utilisée: celle de forme urbaine. L’incitation à la compacité, prônée par les politiques et
reprise fréquemment comme doctrine d’aménagement, est souvent entendue comme
l’augmentation toujours plus importante des densités dans les villes centres, donc le
grignotage des espaces vides et la construction en hauteur.
Nous présentons dans cet article une réflexion sur ces notions de forme urbaine, compacité,
et densité, qui nous conduit à penser qu’il existe des modèles alternatifs plus durables (c’est-
à-dire plus intéressants sur le plan économique, environnemental et social), tout en restant
dans le paradigme de la compacité et de la lutte contre l’étalement urbain. Ces modèles, qui
présentent des parentés proches avec la doctrine du Transit Oriented Development, ainsi
que celle de la ville fractale (Frankhauser, 1994), sont en cours de formalisation et de mise
en œuvre dans le cadre du projet VILMODes, et feront l’objet de simulations et d’analyse.

Le concept de ville compacte à travers l’évolution de ses périmètres


Le terme de « forme urbaine » a été initialement introduit pour décrire l’évolution des
structures physiques de la ville, principalement son cadre bâti (Muratori 1959, Aymonino et
al. 1970). La notion de compacité ou d’étalement renvoie alors au mode de construction de
l’espace urbanisé ; la forme est entendue comme objet matériel. Dans son histoire de
l’urbanisme, Lavedan (1926, 1941, 1952) appréhende la forme urbaine sous l’angle des
tracés urbains, donc des réseaux. Il s’agit d’une autre notion de forme urbaine, mais toujours
centrée sur l’occupation du sol.
Par ailleurs, le terme de « forme urbaine » peut être vu comme le décalque du terme de
« forme sociale » : l’espace urbain est alors décrit par son occupation et la distribution des
populations et des fonctions, dans les travaux de Durkheim (1960), ceux de l’école de
Chicago (Grafmeyer et Joseph, 1984). Cette forme urbaine ne renvoie plus à des structures

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uniquement matérielles. Elle décrit aussi bien les formes physiques que les formes spatiales.
Hillier (1984), dans son approche de la space syntax, va plus loin dans la dissociation entre
formes physiques et formes spatiales en dissociant l’espace de la forme bâtie, et en faisant
de l’espace le cœur de sa recherche.
Au delà de ces divergences sur les phénomènes décrits par le terme de « forme urbaine », il
en existe une plus fondamentale : le terme de « forme urbaine » peut avoir un caractère
purement descriptif, écartant les jugements de valeurs, ou encore renvoyer à des modèles
de ville-type, comme celui de la ville préindustrielle. Le débat sur la compacification des villes
rejoint cet aspect de la définition des formes urbaines : la ville compacte est autant une ville-
type qu’une ville dont la structure physique, son occupation et son fonctionnement
présenteraient des caractéristiques bien définies.
La multiplicité des concepts de formes urbaines se traduit en anglais par une multitude de
dénominations : urban form, urban design, urban shape, etc. Anderson et al. (1996)
proposent une définition à la fois large et pragmatique : « La forme urbaine peut être définie
comme la structure spatiale des activités humaines à un temps donné ». Cette définition de
forme urbaine regroupe sous un même terme la forme urbaine comme forme sociale et la
forme urbaine comme forme des structures physiques de la ville. Elle a également l’avantage
d’éviter la lecture littérale de « forme urbaine » comme « forme de la ville », qui nécessiterait
de définir au préalable le concept de ville, et renvoie immédiatement à la question des limites
de la ville, épineuse dans le contexte de l’étalement urbain et de l’apparition d’espaces
multipolarisés. Le fonctionnement d’une ville, encore distinct de la forme et du contenu, mais
capté pour partie dans la définition de « forme sociale », fait pour nous partie intégrante de la
forme urbaine, adoptant la position de Le Néchet (2010) : « Le fonctionnement est,
erronément, peu souvent qualifié de « forme urbaine » dans la mesure où il s’écarte
beaucoup d’une référence traditionnelle à des formes variées d’usage du sol ».
Nous adoptons dans cet article ce positionnement : nous postulons que la forme urbaine
résulte de l’interaction entre morphologie (cadre bâti et réseaux) et d’occupation du sol, en
termes de choix de localisation et mobilité. La forme urbaine est ainsi en même temps cause
et effet du fonctionnement d’une ville : la séparation entre forme et contenus, ou encore
entre formes spatiales et formes sociales, ne conduit pas une logique causale d’explication
de l’un par l’autre.
La ville compacte renvoie donc à une ville dont la forme (dans le sens que nous venons de
définir) serait compacte. Il convient donc de préciser très rapidement cette notion de
compacité. En architecture, la compacité renvoie directement à la notion de vide : on peut
mesurer la compacité d’un bâtiment par le rapport entre l’aire de son enveloppe et son
volume. En mathématiques, la définition de compacité est une notion de topologie
relativement abstraite ; dans le cas des espaces vectoriels normés de dimension finie
(l’espace au sens usuel du terme), les compacts sont les parties fermées bornées. Ainsi, une
ville compacte est intuitivement une ville dans laquelle les vides sont remplis le plus possible,
une ville fermée (avec une frontière), pas nécessairement d’un seul morceau.
L’incitation à la compacification ou à la recompacification urbaine, quand elle est comprise
de manière restrictive, c’est-à-dire en imposant une contrainte de connexité (ville d’un seul
tenant, de forme plus ou moins circulaire autour de son noyau historique), prend des allures
de retour sur le passé. En effet, cette forme de compacification, pensée comme le
phénomène inverse de l’étalement urbain, sacralise une limite à la ville, mettant en avant le
modèle de la ville fortifiée ceinte d’un rempart présente en France jusqu’au XIXème siècle. Le
seul degré de liberté pour accueillir les habitants est alors l’augmentation des densités de
bâti, par remplissage des vides et par le développement vertical de la ville. Notons que
Londres, et sa ceinture verte, ainsi que Paris et son périphérique, sont des cas de ville où la
limite de la ville est encore matérialisée aujourd’hui.
Si ce modèle semble intéressant à première vue pour réduire les distances parcourues en
automobile, la ville compacte pensée comme une ville close toujours plus dense pose la

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question des espaces naturels, indispensables à la biodiversité aussi bien qu’au bien-être de
ses habitants, et plus spécifiquement la question des trames vertes et bleues, c’est-à-dire de
la continuité de ces espaces non anthropisés. Enfin, on peut s’interroger sur la soutenabilité
sociale du modèle de la ville dense fermée. La compétition pour l’espace dans des espaces
déjà denses produit une hausse rapide des prix des logements, produisant ainsi de
l’exclusion sociale.
Il nous semble donc important de revenir aux notions de forme urbaine et de compacité pour
proposer un autre modèle de compacification qui soit a priori durable sur l’ensemble de ses
volets : économique, social et environnemental. Comme nous l’avons noté, une ville
compacte n’est pas nécessairement connexe. Une ville durable compacte doit donc
permettre l’émergence de plusieurs pôles de densité variables, en fonction de leur intérêt
économique (économies d’agglomération résultant de la concentration d’activités
économiques). Ces pôles doivent être accessibles entre eux, de manière à limiter la
circulation automobile résultant de l’accroissement de la taille de la ville, et enfin l’ensemble
de la ville, tout en possédant une frontière, de manière à décourager l’étalement urbain, doit
avoir la possibilité de se développer et d’étendre ses limites sans « sauts quantiques » tels
que l’extension d’une ville au delà de ses fortifications. Il nous paraît que ces préceptes, ou
intuitions, sont ceux qui sont sous-jacents à la doctrine du Transit Oriented Development
(TOD). En effet, en concevant une ville dont le modèle d’extension n’est plus celui de la
tâche d’huile (ou des doigts de gants le long des axes routiers), mais celui d’un ensemble de
centres fonctionnels, possèdent une hiérarchie de tailles et de fonction, autour d’un ou
plusieurs axes de transport en commun structurants, on peut obtenir une ville susceptible de
croître, compacte (mais non nécessairement connexe si les centres sont éloignés), capable
d’accueillir des espaces non anthropisés ainsi que des ruptures pour respecter les trames
vertes et bleues (Figure 1).

Figure 1 : Limites spatiales et densités de trois modèles de développement urbain

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TOD : faire de la compacification autrement ?
La deuxième partie de cet article vise à développer la réflexion esquissée plus haut sur
l’intérêt du TOD pour rechercher une durabilité fonctionnelle du milieu urbain tel qu’il s’est
développé dans les trente dernières années, c’est-à-dire sous forme de « territoires de
l’automobile » (G. Dupuy, 1995). Plus précisément, nous soulignons que l’intérêt principal de
la logique d’aménagement du Transit Oriented Development est qu’elle permet une
compacification fonctionnelle de la ville (et non pas seulement du cadre bâti), entrainant une
redistribution spatiale qui permet la compacité sans l’inflation excessive des densités de la
ville compacte dense classique. Une ville « TOD » peut-elle être définie comme une « ville
compacte orientée vers les transports collectifs dans un ensemble polycentrique » (Leysens,
2010)?
Les premières réflexions menées dans le cadre du projet VILMODES sur la (re)définition de
forme urbaine (brièvement synthétisées dans les paragraphes précédents) ont porté à la
conclusion qu’une approche spatiale de localisation des fonctions ne suffit pas à définir la
forme urbaine ; elle doit être accompagnée du mode de fonctionnement induit par cette
distribution. L’échelle fonctionnelle (Le Néchet F., 2010) est cruciale. La thèse de Thomas
Leysens (Leysens, 2011) conforte ultérieurement ce point de vue. Leysens soutient que le
passage d’un urbanisme de zone à un urbanisme de réseaux est désormais nécessaire,
voire déjà engagé au niveau opérationnel. Passer d’un urbanisme de zones (plan locaux
d’urbanisme, projets d’écoquartiers, etc.) à un urbanisme de réseaux représente pour nous
le grand avantage de prendre en compte la dimension fonctionnelle de manière conjointe à
la dimension spatiale de l’aménagement.
Cette réflexion est menée au sein du group de recherche du projet VILMODes. Ce dernier
représente l’occasion de développer et tester nos hypothèses principalement pour deux
raisons :
- la construction de ces scénarios de développement urbain, sur des terrains réels, et
leur simulation grâce à des modèles de simulation avancés, permettront d’évaluer les
effets des scénarios sur les trois dimensions du développement durable ;
- le couplage entre principe d’aménagement TOD et le concept de ville fractale
(Frankhauser, 1994) permet de questionner de manière nouvelle la question des
périmètres urbains, et des répartitions de densité de bâti et de fonctions urbaines.
Le but de cette deuxième partie n’est pas (encore) une présentation des résultats des
simulations (attendus dans une phase plus avancée du projet – phase d’évaluation de
scénarios), mais de présenter le cadre de réflexion conduisant à proposer des scénarios de
villes compactes freinant l’étalement urbain alternatifs à la ville circulaire dense, alimenté par
une approche TOD et une réflexion sur les concepts de la ville fractale.
Pour éclairer la discussion, nous tentons tout d’abord de donner une grille d’analyse des trois
modèles développement urbain que nous avons précédemment introduit. Le modèle TOD
correspond à un développement linéaire de la ville, par densification autour des axes de
transport collectifs, et plus précisément autour des gares ou stations de transport en
commun. Le modèle de la ville compacte dense consiste à sacraliser les limites de la ville, et
encourager une densification verticale, ou par grignotage des espaces vides. Enfin, la ville
fractale définit une règle fractale de rapport des densités urbanisées (le caractère fractale de
cette règle lui assurant un aspect multiscalaire).

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Le tableau 1 permet de mettre en parallèle les principes qui correspondent au concept de
TOD, Ville compacte et Ville fractale.
Transit Oriented Ville compacte dense Ville fractale
Development

Urbanisation Densification - Densification – Zones à urbaniser


Urbanisation autour des Urbanisation dans les définies selon une règle
axes de transport zones urbaines à partir fractale
(collectifs) du centre ville

Stratégie contre Valorisation des Renforcement de la Approche multi-


l’étalement urbain quartiers « gare » centralité échelle (spatio-
temporelle)

Fonctions urbaines Mixité fonctionnelle Mixité fonctionnelle Mixité fonctionnelle

Consommation d’espace Reconnecter des Préservation de Préservation des


territoires dispersés l’espace (rural – hors espaces verts et libres
de la ville) (dimension fractale)

Transport en Commun TC hautement TC hautement Accessibilité au réseau


performants à toutes performant en/vers de transport (routier et
échelles zone centrale et collectif)
valorisation des pôles
d’échange/parking relai

Fonctionnement de la Adapté à un modèle de Adapté à un modèle de Adapté à un modèle de


ville ville mono et ville monocentrique ville mono et
polycentrique (selon polycentrique (selon
l’échelle) l’échelle)

Accessibilité Valorisation de Valorisation de Valorisation de


l’accessibilité aux l’accessibilité au l’accessibilité (multi-
réseaux de transport centre – Modèle centre- échelle et multi-
périphérie fonctions)

Modes doux Valorisation des modes Valorisation des modes Valorisation des modes
doux pour l’accès aux TC doux en centre ville doux pour l’accès aux TC
(dans le centre comme (dans le centre comme
dans le périurbain) - dans le périurbain) -
Rabattement Rabattement

Retombées socio- Réduction des Gentrification sous Réduction des


économiques attendues inégalités territoriales l’action de inégalités territoriales
(favoriser l’accessibilité l’augmentation des (favoriser l’accessibilité
dans le rural comme prix du logement et dans le rural comme
dans l’urbain) augmentation des dans l’urbain)
inégalités territoriales

Retombées Réduction nombre de Préservation de terrains Réduction nombre de


environnementales et sur déplacements en agricoles et du foncier déplacements en
la mobilité voiture voiture
+ 2 théories :
Augmentation de la Augmentation de la
part modale TC (à 1. Réduction nombre de part modale TC (à
l’échelle régionale) déplacements en voiture l’échelle régionale)
(en centre ville) et
Préservation de terrains réduction de la pollution Préservation de terrains
agricoles et du foncier agricoles et du foncier
Vs.
2. Augmentation de la
congestion due à un
surnombre de résidents
au centre ville et
augmentation de la
pollution

Tableau 1 : grille de lecture de trois modèles de développement urbain : TOD, ville compacte
dense et ville fractale

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Il en ressort des convergences assez nettes entre TOD et Ville fractale. Mais ce qui apparait
encore plus intéressant est la logique de compensation/intégration qui peut se créer entre les
points « divergents » des deux modèles. En effet, il serait plus correct de parler de
complémentarités, plutôt que de divergences, car aucun des points qui ne sont pas
convergents ne sont réellement contradictoires. Cette logique de compensation est assez
forte concernant notamment l’urbanisation, la consommation d’espace, les TC et encore
l’accessibilité.
La densité reste un des indicateurs majeurs de la ville compacte. La densité est aussi un des
indicateurs clés de la forme urbaine. La densité est, enfin, à la base d’un aménagement de
type TOD qui soutient la « densification » autour des axes de transport collectifs. Mais dans
l’élaboration de nos scénarios ce que nous promouvons ce n’est pas de (re)faire la ville
dense, juste en déplaçant le centre de gravité du centre ville (ou CBD selon les cas) aux
axes de transport. Les enquêtes nationales montrent clairement que les citoyens et les
ménages échappent depuis plusieurs années à la densité en se réfugiant plutôt dans les
zones périurbaines peu dense. L’opportunité de faire du TOD, tout en évitant de reproduire
les problématiques des zones centrales denses, vient de l’intégration entre celui-ci et le
modèle de ville fractale notamment à travers l’application de l’approche multi-échelle
L’approche multi-échelle, à la base des modèles spatiaux utilisés dans le projet VILMODes
(Fractalopolis/Morpholim et MUP-CITY), met l’accessibilité au centre des logiques de
localisation des ménages, comme des commerces et services (les activités économiques
restent pour l’instant en dehors de ces raisonnements, mais un des objectifs du projet
VILMODes est aussi celui d’intégrer le développement économique dans les modèles utilisés
pour la simulation – Couplage Mobisim / FRETURB).
La définition de ville cohérente (Korsu et al., 2012), ainsi que la méthode développée par
Leysens dans le cadre de sa thèse ou encore les résultats des projets « Bahn.Ville » sur un
urbanisme orienté vers le rail, renforcent ultérieurement le rôle clés de l’accessibilité dans la
réalisation de la ville durable.
On a vu que la question de l’accessibilité est tout aussi cruciale que celle de la densité
urbaine pour la conception de scénarios de développement urbain qui permettraient de lutter
contre l’étalement urbain. La question qui se pose maintenant pour rendre opérationnelle la
conception de tels scénarios est la mesure de l’accessibilité. Les recherches précédemment
mentionnées abordent le problème de manière différente. Korsu et al. proposent, dans leur
modèle de ville cohérente de mesurer l’accessibilité en terme de temps d’accès à l’emploi,
identifiant un seuil temporel optimal/soutenable de 30 minutes. Leysens appréhende
l’accessibilité en étudiant le différentiel entre accessibilité théorique (distances à vol
d’oiseau) et réelle (prise en compte de voiries dans le calcul des isochrones) ; plus on
s’éloigne du centre plus le différentiel devient important. MUP-CITY considère l’accessibilité
en termes d’offre de commerces et services ou bien d’arrêts/gares TC à l’intérieur d’une
zone bâtie dont la dimension varie suivant le niveau d’itération et l’échelle considérée, plutôt
qu’en terme d’accessibilité à l’emploi.
Le projet VILMODes a conduit à étendre les règles d’accessibilité de MUP-CITY, de manière
à permettre l’étude des dynamiques de localisation des ménages non pas seulement en
prolongation de tendance, mais également face à des chocs (sur le coût du transport par
exemple).
L’approche de la construction des scénarios s’est fait selon une logique pyramidale. A partir
d’un scénario BAU (Business As Usual), soumis, dans un deuxième temps, à une
augmentation lourde du cout de l’énergie, on développe deux scénarios principaux
s’opposant au « laisser-faire » : un scénario compact et un scénario TOD / fractal. Nous
présentons ici les premiers éléments de la construction du scénario TOD / fractal sur l’un des
terrains du projet, la ville de Besançon en Région Franche-Comté.

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Besançon est une ville de 117.000 habitants, géographiquement et historiquement
cloisonnée et avec un fonctionnement au niveau d’agglomération (175.000 habitants)
principalement monocentrique. Comme les données de l’AudaB (Agence d’Urbanisme de
Besançon) et de l’INSEE le montrent, la ville concentre la plus grande partie des résidences
(73% de la CAGB – Communauté d’Agglomérations du Grand Besançon) et de l’emploi
(25% de l’emploi régional), mais des symptômes d’étalement urbain sont tout de même
présents et vont en s’accroissant : le solde migratoire est positif dans la CAGB, à l’exception
de Besançon. L’utilisation de la voiture pour les connexions entre le périurbain et le centre
ville est dominante (76% des déplacements dans l’agglomération sont faits en voiture contre
56% à Besançon). A l’échelle de la commune le projet de tramway, dont la mise en service
est prévue pour 2014, fait espérer dans une réduction drastique de la place de la voiture en
ville. Au niveau régional, l’arrivée de la gare TGV renforce la dimension métropolitaine et le
rôle de capitale régionale de Besançon. La présence de grands espaces vert et naturels est
une caractéristique de l’agglomération bisontine et de la région Franche-Comté en générale ;
la préservation de ces espaces est une des prioritaires de politiques urbaines n’importe
l’échelle d’action considérée.
Cette introduction au terrain d’étude aide à comprendre pourquoi un scénario TOD / fractal
semble à la fois intéressant du point de vue de la durabilité, et réaliste, étant donnée le
terrain et son histoire. Un tel scénario viserait à :
• renforcer la connectivité ville centre / territoires ruraux, à travers la mise en place d’un
réseau TC plus efficace, sans pour autant sacraliser le centre historique ou exiger
une densification excessive de ce territoire très contraint (notamment pour des
raisons de caractère patrimoniale de son architecture) ;
• préserver des espaces verts et libres, tout en renforcent le rôle des centres ruraux,
c’est-à-dire construire la ville avec les espaces verts, et non en dépit de ;
• favoriser l’accessibilité aux TC et aux aménités.
Du point de vue opérationnel, le scénario propose de renforcer la connectivité à travers la
mise en place d’un réseau ferroviaire interurbain plus efficace et dense, sur la base du
réseau SNCF existant. Des considérations et propositions similaires seront faites dans le
cadre de VILMODes sur d’autres terrains d’étude tels que Lyon et Strasbourg.
Afin d’atteindre ces objectifs, et en cohérence avec les principes du TOD, les scénarios sont
formulés prenant en compte trois dimensions différentes. Une dimension spatiale, c’est-à-
dire une concentration de l’urbanisation à prévoir sur les prochains 20 ans prioritairement
autour des axes de transport. Une dimension infrastructurelle, ou de performance du
système de transport, c’est-à-dire par exemple l’insertion / densification / prolongement de
lignes ou l’amélioration du service (augmentation des fréquences). Une dimension
comportementale (plutôt en termes d’évolution attendue), c’est-à-dire une importance
attribuée à la proximité aux TC parmi les critères jouant sur le choix de localisation et de
mobilité résidentielle des ménages, qui passe par l’augmentation des aménités accessibles
en TC. Notons que, comme dans la plupart des territoires déjà gagnés par la
périurbanisation, l’objectif principal est d’offrir aux ménages périurbains une alternative à la
deuxième voiture, plutôt que d’imaginer d’entrée de jeu l’abandon total de l’automobile.
A quoi s’attendre ? Nous pensons, par l’analyse des résultats des simulations, réussir à
montrer qu’un scénario TOD / fractal est une dynamique de compacification urbaine qui agit
sur le fonctionnement urbain (report modal en faveur des TC affectant notamment les
ménages localisés en zone rurale, favorisation de l’accessibilité aux aménités), et que cette
compacification peut se faire sur une ville dont la limite s’éloigne du cercle, voire n’est pas
connexe dans le cas d’un polycentrisme marqué. Ainsi, nous obtenons une ville compacte
dans l’ensemble de ses dimensions, susceptible de croître, limitée sans être fermée, dans
laquelle des territoires dispersés spatialement pourront être rapprochés fonctionnellement
par les gains d’accessibilité. Une telle ville, tout au moins sur le plan théorique, présente les

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avantages de réduire la demande de transport en automobile, donc la consommation
d’énergie fossile et les émissions de GES et de particules, de diminuer la compétition pour
l’espace dans les centres historiques, et donc les mécanismes d’exclusion socio-spatiale, et
enfin d’autoriser toutes les organisations possibles de mono et polycentrismes. Enfin, ce
modèle de ville permet naturellement de respecter des espaces non urbanisés, des trames
vertes et bleues, et de répondre aux aspirations de ses habitants pour des zones de plus
faible densité, en reconnectant des zones périurbaines sans pour autant les densifier à
l’excès. Les prochaines phases et les résultats permettront la vérification quantitative des
modèles et hypothèses qu’on vient de présenter.
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