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réplique d’un
bateau de pêche
basque, construit
par les frères
Marin, de Ciboure.
Séverine Dabadie/Sunset
e n c o u ve r t u r e
◀ Un joueur de pelote basque.
Meyer/Tendance Floue
L
presque tout le monde portait un grand chapeau Les deux moitiés ont des liens de parenté
pointu de sorcière et se dirigeait vers un feu de – plus que des cousins, mais pas tout à fait des
e petit port de Lekeitio [au Pays basque joie qui avait atteint des proportions impres- frères. Toutefois, elles empruntent aussi à la cul-
espagnol] rougeoie dans le couchant, en sionnantes. Nous étions arrivés à Lekeitio en ture du pays dans lequel elles s’insèrent. Com-
ce début d’été. Des bateaux rouges et bleus pleine fête de la Saint-Jean, qui est également mencer la journée d’un côté de la frontière et
dansent sur l’eau, prêts pour des excur- l’occasion de rappeler que des bûchers de sor- la finir de l’autre, c’est un peu jouer à la roulette
sions de pêche ; les restaurants de poisson cières ont été dressés au XVIIe siècle dans tout avec les heures de repas : les Basques espagnols
ouvrent leurs portes le long des quais, le Pays basque, de part et d’autre de la frontière. prennent leurs repas à l’heure espagnole – déjeu-
attendant les premiers clients ; et, dans les mai- Nous avions prévu de passer quelques jours ner à 14-15 heures, dîner à 22 heures – tandis
sons de pêcheurs du XVIIe ou XVIIIe siècle don- à Saint-Sébastien avant de continuer vers le Pays que les Basques français se calent sur Paris
nant sur le port, on ouvre les fenêtres, pour res- basque français, qu’on appelle Iparralde en – déjeuner à 12 h 30 et dîner à 20 heures.
pirer la brise d’été en rentrant le linge sec. En langue basque (“pays basque nord”). Nous vou- Après Lekeitio, nous avons poursuivi le long
surplomb, au pied de la basilique du XVe siècle, lions comprendre ce qui fait que cette région est de la côte, en traversant Ondarroa et Deba. Dans
de patientes amonak [grands-mères, en basque] basque avant d’être espagnole ou française. ces deux villages de pêcheurs, nous avons admiré
vont et viennent en poussant des poussettes der- La première fois que j’ai visité le Pays basque, le front de mer et l’allure typique des habitants :
nier cri. C’est donc par une soirée de juin que en 2006, j’avais été frappée par la profondeur, la vieux messieurs coiffés d’un béret noir, jeunes
mon compagnon Ian et moi, accompagnés de subtilité et la persistance de la culture basque, si femmes aux longs cheveux bruns et aux yeux
notre fille de 5 mois, Orli, avons dîné dans le res- différente, semblait-il, des cultures espagnoles et noirs pétillants. Nous voulions être en France en
taurant Kaia, où l’on nous a servi du colin tout françaises. En tant que peuple, les Basques ont début de soirée. La route n’avait pas été longue
juste pêché, grillé avec un soupçon d’ail et de leurs racines entre le sud de la France et le nord – Saint-Jean-de-Luz est à une petite vingtaine de
citron, accompagné d’une bouteille de txakoli de l’Espagne. Ils partagent une grande histoire kilomètres de Saint-Sébastien – mais, au prime
frais, le vin blanc jeune de la région. Les passants maritime et une langue – l’euskara –, même s’il abord, nous avons eu l’impression d’être com-
Meyer/Tendance Floue
Julien Daniel/Myop
plètement sortis du Pays basque. Tout semblait ▲ De gauche ancêtres du propriétaire portraiturés derrière ment de style basque, avec leurs façades blanches
français, du délicieux pain de tradition de la à droite. le comptoir semblent tout droit venus de Lekei- et leurs colombages et volets en bois colorés. Le
Maison Laurent Frappier, l’artisan boulanger en La magnifique baie tio : béret pour le grand-père, chevelure brune centre-ville est dominé par un imposant fronton
face de notre hôtel, au Grand Hôtel Loreamar Tha- de Saint-Jean-de-Luz, pour la grand-mère. de pelote basque et un panneau avec des affiches
lasso Spa, un palace de la Belle Epoque dont le dite la “cité En arpentant les boutiques, on se sent clai- en euskara. Une manifestation était prévue la
rose et le blanc de la façade évoquent une pièce des corsaires”, rement en France, mais à la crémerie Lohitzun, semaine suivante pour protester contre l’incar-
au crépuscule.
montée, sans oublier la magnifique église Saint- vieille de 75 ans, les produits comme le fromage cération de membres de l’organisation sépara-
Jean-Baptiste, où Louis XIV épousa l’infante de brebis et la confiture de cerise sont typi- tiste basque ETA (Euskadi ta Askatasuna, “Patrie
Haute de 73 mètres,
d’Espagne, Marie-Thérèse d’Autriche. le phare érigé quement basques. Et, à la Maison Laurent Frap- basque et liberté”) qui avaient fui en France.
A Saint-Jean-de-Luz, on ne vous dit plus sur la pointe pier, j’ai remarqué qu’à côté des croissants et Dans ce paysage de ciels bleus et de plages
“agur” mais “au revoir” quand vous sortez d’un Saint-Martin, des baguettes, on vendait également plusieurs magnifiques, cette évocation du terrorisme parais-
restaurant ou d’un magasin. Ici, la basquité a l’air à Biarritz, sortes de gâteaux basques, fourrées à la crème sait totalement déplacée, mais elle venait rappe-
plus folklorique. On trouve partout des boutiques est visible jusqu’à ou aux cerises noires. ler les liens politiques qui unissent les deux côtés
d’espadrilles de toutes les couleurs. On vend par- une quarantaine du Pays basque depuis une trentaine d’années :
tout aussi du linge basque – des nappes, serviettes de kilomètres en mer. LA PRÉSENCE DES INDÉPENDANTISTES le Pays basque espagnol était frappé par la vio-
EST PEU PALPABLE DU CÔTÉ FRANÇAIS
de table, maniques, chemins de table, tabliers et lence séparatiste, et les suspects fuyaient en
corbeilles à pain fabriquées dans un tissu épais La pelote basque reste Le deuxième soir, nous sommes tombés sur la France pour éviter la prison. J’ai pourtant tou-
aux rayures colorées. On les qualifie de basques, très pratiquée dans Buvette de la Halle, un minuscule restaurant dont jours trouvé que, au Pays basque, le terrorisme
mais ils portent une étiquette “made in France”, toute la région ; ici, la terrasse, aux beaux jours, déborde sur le par- restait une menace invisible au visiteur. Et, de
le fronton de Ciboure.
et on a plus l’impression de faire son shopping king du marché aux poissons. Jean Laborde, son fait, en dépit des actions répétées des indépen-
sur un marché provençal que d’absorber la cul- propriétaire et unique serveur, va de table en dantistes radicaux, nous n’avons pratiquement
ture basque. Pourtant, quand on y prête atten- table en blaguant en français, en anglais et en pas ressenti leur présence ailleurs que dans les
tion, on voit lentement affleurer la basquité. espagnol avec les clients. L’établissement appar- journaux et les conversations que nous avons
Michel Hiribarren, le très sociable propriétaire tenait à son arrière-grand-mère et ouvre toujours eues avec des amis. Leur présence est encore
de l’ultramoderne et somptueux hôtel Zazpi, à 5 heures du matin pour accueillir les pêcheurs. moins palpable en France qu’en Espagne. A l’in-
parle couramment français et espagnol, mais son “Nous ne sommes français que par hasard”, dit térieur des terres, non loin de Bidart, nous visi-
petit-fils, ajoute-t-il fièrement, est scolarisé à moi- Laborde avec un sourire, en insistant sur le fait tons Sare et Ascain, deux petits villages fronta-
tié en basque. (Zazpi, nous explique-t-il, signifie que les Basques vivent dans la région depuis… liers qui accueillent chaque été des festivals de
“sept” en basque – comme les sept provinces qui bien avant tout le monde. danse et de musique basques. Ici, les pancartes
composent le Pays basque.) Pour trouver davantage de preuves de bas- et la messe sont en euskara, comme du côté espa-
A la Cantina d’Amona, minuscule restaurant quité, on nous avait conseillé d’aller dans des gnol. Sur les murs est inscrit à la bombe le mot
servant de généreuses salades au saumon fumé, localités plus petites que Saint-Jean-de-Luz. A independentzia, un appel à la création d’un Etat
au thon, au chèvre ou au jambon serrano, les Bidart, juste au nord, les maisons sont entière- basque indépendant. Sarah Wildman
C
Londres cée à son sommet. Juste derrière se trouve le
port des pêcheurs, petit port coloré d’où par-
e sont deux villes très proches géogra- taient jadis les baleiniers. Il est encore utilisé
phiquement et pourtant aux antipodes par les pêcheurs locaux, dont les filets sèchent
l’une de l’autre. Biarritz, sur la specta- près des quelques restaurants chics qui se sont
culaire côte Atlantique, dans le sud de installés dans ce site pittoresque. A côté se
l’Aquitaine, est un ancien village de trouve le Port-Vieux, petite baie de sable où l’on
pêcheurs de baleines reconverti en élé- traînait les baleines. Qu’il vente, pleuve, neige
gante station balnéaire et, plus récemment, en ou que des hordes d’estivants soient présentes,
capitale relax du surf. Bayonne, à huit kilomètres un groupe d’autochtones s’y retrouve chaque
seulement à l’intérieur des terres, est une jour de l’année pour se baigner.
curieuse petite cité avec sa cathédrale et ses
LA JOLIE VILLE DE BAYONNE EST AUSSI
Cedric Pasquini/RÉA
vieilles maisons à colombages un peu penchées,
CHARMANTE QU’EXCENTRIQUE
située à un emplacement exceptionnel au
confluent de deux cours d’eau : la Nive et Tout cela est à l’opposé – bien qu’à seulement
l’Adour. Il faut moins de quinze minutes pour quelques minutes de route – de la jolie ville
aller de l’une à l’autre, un trajet remarquable- de Bayonne. Ancienne cité portuaire, elle est la
ment court pour un changement aussi saisissant ▲ Le mayoral dans la langue – l’euskara –, dont l’usage est assez capitale du Pays basque français. Elle est aussi
d’atmosphère et de mentalité. de la ganaderia largement répandu, dans les jeux de pelote aux la plus vieille place taurine du pays, et ses arènes
Les habitants des deux villes se délectent de Palha, un élevage rythmes rapides et dans les maisons de style se remplissent infailliblement en août et en
leurs différences et de leur rivalité, ce qui ajoute traditionnel, appelle traditionnel qui parsèment les deux villes. C’est septembre. Mais Bayonne est beaucoup plus
à l’attrait de la visite. C’est le rugby, vous diront- ses taureaux cette architecture typique qui enchanta Victor encore. Elle est aussi charmante qu’excen-
pour les faire passer
ils, qui illustre le mieux leurs contrastes. Les Hugo lorsqu’il séjourna à Biarritz, alors char- trique : on peut, par exemple, loger dans une
dans un corral.
Bayonnais reconnaissent avec tristesse que leur mant petit village côtier, en 1843. L’écrivain eut péniche-hôtel d’un côté de l’Adour et aller
équipe bat de l’aile, mais ils ajoutent aussitôt avec le sentiment que l’endroit deviendrait très vite à déjeuner dans une péniche-restaurant de l’autre
un grand sourire qu’elle bénéficie d’un soutien la mode. Il avait vu juste. côté. C’est en fait trois villes en une, séparées
indéfectible. Les Biarrots, en revanche, admet- Comme chacun le sait, Napoléon III ren- par l’eau. Sur la rive droite de l’Adour se trouve
tent avec un certain sang-froid qu’ils soutiennent dit Biarritz célèbre en 1855 en y inaugurant une le quartier Saint-Esprit : il appartient histori-
leur équipe avec moins de ferveur, même si celle- résidence d’été pour son épouse, Eugénie. Le quement à la Gascogne et contraste culturel-
ci a beaucoup plus de succès. superbe palais en bord de mer en forme de E lement avec le reste de la ville. C’est là que les
Mais les habitants des deux villes ont cependant est toujours un site emblématique. Il a été trans- Juifs, fuyant l’Inquisition en Espagne et au Por-
une chose en commun : une énorme fierté d’être formé en hôtel en 1893, mais, avec son hall aux tugal, furent autorisés à s’installer au XVIIe siècle.
basques. Car nous sommes ici au cœur du Pays colonnes de marbre et ses lustres dans les ascen- Ils apportèrent dans leurs bagages des fèves de
basque français. Le riche patrimoine culturel seurs, l’Hôtel du Palais a gardé un air impérial. cacao et développèrent une industrie florissante,
local transparaît dans les menus des restaurants, La meilleure façon de l’admirer, ainsi que la la fabrication du chocolat, qui fait encore la
célébrité de Bayonne.
De l’autre côté de l’Adour, sur une pénin-
sule entourée par la Nive et l’Adour, se trouve le
SPORT Rugbyman britannique, mais biarrot de cœur Petit-Bayonne, le quartier basque. Il est devenu
depuis quelques années le quartier culturel de la
Iain Balshaw ne joue au Biarritz Olympique que depuis une culièrement plu au joueur, c’est l’affection que la ville porte ville et offre deux musées remarquables. Le
saison. Pourtant, la région et ses habitants l’ont déjà conquis. aux héros du rugby. Il est possible que Toulon et le Racing Musée basque, installé dans une belle maison
aient le plus gros budget des clubs français, et Toulouse la typique, retrace la vie et l’histoire locales, avec
A
concours de lever de poids et de tir à la corde. une crosse.] C’est dans ces villes et ces villages
Les rues de Sare sont bordées de maisons du de l’arrière-pays que l’architecture typique du
voir l’impression, même fugace, que l’on XVIIe siècle, aux volets en bois peints dans le rouge Pays basque est le mieux représentée.
a atterri au mauvais endroit est une chose et vert du drapeau basque. Le centre de ce beau Bernice Harrison
très troublante. J’avais été invitée au Pays
basque. Donc en Espagne, non ? Eh bien,
pas du tout. Comme tout élève de pri-
maire aurait certainement pu me le dire,
une partie du sud-ouest de la France est basque,
et Biarritz en est l’élégante capitale. L’héritage
culturel basque est visible dès l’aéroport de
Biarritz. Les panneaux de signalisation sur le
court trajet jusqu’au centre de Biarritz sont ▶ Le golf 18 trous
bilingues, en français et en langue basque (l’eus- du célèbre Hôtel
kara). La plupart des lecteurs qui ont de vagues du Palais, à Biarritz,
connaissances en français et tentent leur chance situé face à l’océan.
avec quelques mots d’italien ou d’espagnol seront
déconcertés même par l’euskara de base.
Lors d’un dîner au très sélect Hôtel du Palais,
j’ai avoué mon ignorance à une autochtone, qui
m’a gentiment rassurée. “Beaucoup de gens asso-
cient le Pays basque à l’Espagne. C’est parce que les
Basques espagnols font beaucoup plus de bruit que
nous.” Comme tous ses amis et les membres de
sa famille, elle est fière d’être basque et parle
basque, bien qu’elle ne l’utilise habituellement
pas dans la journée, mais elle est aussi très fière
d’être française. “Pour moi, il n’y a pas de contra-
diction entre les deux.”
Pour voir à quoi ressemble un village typique,
nous sommes allées à 20 kilomètres au sud de
Jean-Michel Voge/Figarophoto
Biarritz. Nous avons pris une route pittoresque
au milieu d’une campagne luxuriante parsemée
de grandes fermes à colombages avec des bal-
cons et des volets rouges. La route sinueuse nous
a menées à Sare, également appelée République
basque de Sare, un petit village perché en haut
L
Sydney local qui relève notamment les œufs brouillés.
Mais Saint-Pée-sur-Nivelle est encore plus
orsque les habitants de Dax, dans le sud- connu pour ses desserts. Le gâteau basque est
ouest de la France, partent à la cueillette peut-être la seule chose qui puisse faire défaillir
des champignons, ils emportent plusieurs les machos basques. Simple et savoureux, ce
pneus de rechange. Car Dax, voyez-vous, gâteau se compose d’une pâte levée toute simple
se trouve dans le département des Landes. mais fourrée soit de crème pâtissière, soit de
Or les meilleurs champignons poussent au cerises xapata et doucement cuite. Le meilleur
Pays basque voisin. Aussi n’est-il pas rare que est celui de la Maison Pereuil, une petite pâtisse-
des Basques furibonds crèvent les pneus des rie qui vend des gâteaux basques, à la crème
intrus dacquois, trahis par leurs plaques d’im- ou aux cerises, depuis cinq générations.
matriculation. Ils n’y vont pas de main morte, Pour les Basques, la frontière franco-
D
d’une “invasion”, voire d’une “colonisation”.Voilà espagnol et français] ou le non au TGV [lutte contre
pourquoi, contrairement à ETA en Espagne, les la construction de nouvelles lignes au Pays
ans son bureau, sur une énorme carte, ▲ Un graffiti appelle attentats commis par les nationalistes basques basque français] sont des revendications légi-
Arnauld d’Arcangues indique un à un à la libération du côté français visent non seulement ceux qui times. Le recours à la violence pour les faire triom-
les trous de golf qui ont été détruits. de Juana Chaos, s’opposent à l’indépendance basque, mais aussi pher, non. Il est indispensable de lier l’avenir
“Heureusement, les dégâts étaient moins à Hernani, au Pays l’industrie du tourisme. Plusieurs résidences d’Euskal Herria à celui de l’Union européenne.
graves que prévu. Nous avons facilement basque espagnol. secondaires et agences immobilières ont ainsi été La mondialisation retire peu à peu le pouvoir aux
réussi à les réparer et n’avons pas été Le militant de visées. Les touristes britanniques ont reçu le Etats pour le céder aux entreprises. Cette nou-
l’organisation
contraints de fermer une seule journée.” M. d’Ar- conseil de ne pas acheter de résidence secondaire velle situation peut être l’occasion pour Euskal
séparatiste ETA a été
cangues est gérant d’un terrain de golf à au Pays basque. Herria de devenir un pôle d’attraction de capi-
libéré en mars 2007.
Arcangues, un petit village situé à dix kilomètres C’est pourtant ce qu’envisage Mark Bridges, taux, ce qui lui permettrait de se développer éco-
de Biarritz. Il y a quinze ans, sa famille a amé- 46 ans, cadre commercial à Manchester : “C’est nomiquement et socialement sans être aussi
nagé en terrain de golf le domaine du château tellement beau ici. Et le climat est magnifique.” dépendant de l’Etat [espagnol ou français].
dont elle est propriétaire depuis neuf siècles. Il désapprouve les attentats d’Irrintzi, mais com- Ce sont les Basques eux-mêmes qui construisent
Au début de l’été 2009, des inconnus ont prend “un peu” leur mécontentement : “Le prix leur pays. Ce sont eux qui ont la clé de l’avenir
ravagé certaines parties du green. Dans trois des maisons flambe, ce qui engendre un sentiment basque, sans ingérences [franco-espagnoles].
autres lieux, des terrains de golf ont connu le d’impuissance et des frustrations.” “Tout dépend Pour cela, il faut donc utiliser une pédagogie
même sort. Quelque temps après, ces dégra- du point de vue qu’on adopte”, affirme Joanes Etxe- éthique allant dans le sens d’un meilleur vivre
dations ont été revendiquées par l’organisation barria, 28 ans, journaliste à Xiberoko Botza, sta- ensemble basque. Une obligation qui exige de
séparatiste basque Irrintzi [Le cri], un mouve- tion de radio en basque. “Je ne considère pas les l’empathie envers l’adversaire politique et de
ment proche d’ETA [organisation terroriste et membres d’Irrintzi comme des terroristes, mais comme l’honnêteté vis-à-vis de soi-même. La solution
séparatiste basque]. Pour justifier leur slogan “Le des combattants armés, indique-t-il. Personnelle- réside pour une large part dans l’esprit critique,
Pays basque n’est pas à vendre”, ils qualifient les ment, je n’aurais pas recours à la violence, mais je la formation et la compréhension.
terrains de golf d’“atteinte à l’identité basque”. ne la condamne pas, car, en fin de compte, nous nous Jon Inchaurraga et Xavier Zubiri,
Selon Arnaud d’Arcangues, il s’agirait d’un grou- battons pour la même cause : un Pays basque indé- Aberriberri Bloga, http://aberriberri.com
puscule auquel la majorité des Basques, lui com- pendant.” Marijn Kruk
F
Montréal On est porté à le croire quand on sait peut presque l’entendre grogner (le jambon,
que des gènes basques seraient présents chez pas l’éleveur).
ascinant fief à cheval sur la France 80 % des Européens – mais que jusqu’à 70 % des
et l’Espagne, indomptable terre peu- Basques ont un sang de type O négatif, contre DES QUÉBÉCOIS SONT SUR LES CHEMINS
DE SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE
plée de fêtards qui vivent dans des 4 % dans l’ensemble de la population… Influents
maisons de poupée, Euskal Herria, le mais singuliers, ces Basques. Si singuliers, en Dans les douces collines de la Basse-Navarre
Pays basque, se parcourt sans frasques fait, qu’ils ont souvent été ostracisés au cours et de la Soule, le cadre est si pastoral qu’il
ni coups d’ETA. Surtout en Iparralde, de l’Histoire. “Quand l’Inquisition est arrivée donne envie de se convertir en berger : pics
le côté nord et français, là où on sent vrai- ici, les Basques parlaient une langue qu’eux seuls arrondis qui taquinent les nuages, versants
ment son âme profonde. En voiture, à vélo, comprenaient ; ils buvaient du cidre, une boisson veloutés, cols éblouissants de suavité, hêtraies
à dos de pottock [poney des Pyrénées] ou immenses – celle d’Iraty est la plus vaste d’Eu-
assis à table, Euskal Herria assure un conten- rope – et, encore et toujours, ces hameaux et
tement de tous les instants : une nature pro- villages esseulés, comme Saint-Etienne-de-
digue et harmonieuse, un terroir si frais et Baïgorry, Larrau, Sainte-Engrâce… Au sein
goûteux qu’il fait vriller les papilles, un patri- même d’Iparralde, il existe cependant deux
moine bâti ravissant et généralement exempt Pays basque : celui des bergers et celui des
de laiderons architecturaux. Mieux : ce pays marins. Deux ventricules inséparables d’un
dans les pays transpire l’authenticité par tous même cœur basque, qui palpite autant pour
les pores de sa terre, surtout en Iparralde, le vert que pour la mer. D’abord considérés
qu’il ne faut surtout pas appeler Pays basque comme un peuple d’agriculteurs et de pas-
français sous peine de froncement de sour- teurs, les Basques se sont forgé avec le temps
cils généralisé, dans le meilleur des cas. une réputation de sacrés pêcheurs et chasseurs
Et puis, évidemment, il y a les Basques. de baleines, poussant leur quête jusque dans
“Ce sont des gens profonds, sincères, entiers, pas le Saint-Laurent dès le XVIe siècle, si ce n’est
toujours faciles d’accès de prime abord, mais avant.“L’un des capitaines de Colomb, Juan de la
loyaux”, affirme Natacha Wostrikoff, Basque Cosa, était basque, et c’est Juan Sebastiano Elcano
d’adoption depuis vingt ans. “Si tu les abordes qui a véritablement complété le premier tour du
avec un air hautain, c’est foutu ; s’ils voient que monde, puisque c’est lui qui a ramené l’équipage
tu t’intéresses à eux, ils deviennent très chaleu- de Magellan à Séville, après la mort de ce dernier
reux.” Cela dit, le Pays basque peut très bien aux Philippines”, rappelle Natacha Wostrikoff.
Eric Martin/Figarophoto
représenter l’enfer pour certains. L’enfer des A quelques kilomètres plus au sud de
peintres, qui s’arrachent les poils du pinceau Biarritz, c’est d’abord parce qu’on y a célébré
pour reproduire les nuances de vert de la le mariage entre Louis XIV et l’infante Marie-
Soule ; l’enfer de ceux qui doivent composer Thérèse que Donibane Lohitzun – alias Saint-
avec les 2 700 fêtes organisées entre le 15 juin Jean-de-Luz – est connu, mais aussi parce que
et le 15 septembre – dont celle de Bayonne, ▲ Les fêtes issue du fruit défendu, alors que les femmes jouis- Maurice Ravel est né droit en face, à Ciboure,
où 1,5 million de fêtards font la nouba pen- traditionnelles saient du droit de vote et étaient considérées comme de l’autre côté du croquignolet port de pêche.
dant cinq jours –; l’enfer des ethnologues et du village les égales des hommes… Tout pour susciter la sus- Mais ne cherchez pas de Québécois dans cet
ethnographes, qui cherchent en vain à résoudre de Saint-Etienne- picion !” explique Jean-Elie Tapia. ancien repaire de corsaires aux maisons à
l’énigme des origines basques, une question de Baïgorry, Aujourd’hui, être basque est avant tout une colombages sang-de-bœuf : ils sont presque
demeurée sans réponse depuis l’aube des jours en Basse-Navarre, source de fierté. “On assiste présentement à un tous en train de parcourir les chemins de
ont lieu au début
et la nuit des temps. renouveau de la culture basque”, observe Lau- Saint-Jacques-de-Compostelle. En cette année
du mois d’août.
rence Mathoux, guide à Bayonne, capitale cul- jacquaire [année où la Saint-Jacques tombe
DES GÈNES BASQUES SERAIENT turelle du Pays basque français. “On n’a plus un dimanche], ils risquent d’ailleurs d’être plus
PRÉSENTS CHEZ 80 % DES EUROPÉENS
honte de s’afficher comme tel depuis la baisse des nombreux que jamais à se bousculer à Saint-
Ceux-ci se perdent d’autant plus en conjec- tensions politiques, et les jeunes sont de plus en plus Jean-Pied-de-Port, en Basse-Navarre, étape
tures que le basque, l’euskara, est la plus vieille prompts à apprendre la langue basque.” Pour bien obligée et village éminemment pittoresque au
langue vivante d’Europe et qu’elle compte me faire saisir toute la substantifique moelle sein d’un étourdissant cirque de montagnes
certains mots qu’on retrouve en Géorgie, en de son pays, Laurence guide mes pas dans le tapissées du vignoble d’Irouléguy. Il est
Russie, en Hongrie et même chez les Inuits. Musée basque de Bayonne, réaménagé avec d’ailleurs assez surprenant qu’hormis ces
Même le cri que lançaient jadis les Basques brio le long du quai des Corsaires, près de ces pèlerins peu de voyageurs fleurdelisés [en réfé-
quand ils apercevaient une baleine au large brinquebalantes maisons à colombages qui rence au drapeau québécois] se rendent
n’est pas sans rappeler le youyou berbère. Bref, semblent vaciller sur leurs fondations. Toute annuellement au Pays basque, où ils pourraient
des Pyrénées au Kazakhstan en passant par l’histoire et les us et coutumes basques y sont fraterniser avec d’autres membres de la grande
l’Afrique, nombreux sont les endroits avancés abordés avec moult détails, de la pelote aux confrérie des peuples revendicateurs. Enfin…
comme possibles lieux d’origine de ce peuple. espadrilles, en passant par les stèles funéraires c’est ce que je croyais avant d’en glisser mot à
“Sornettes que tout cela !” s’insurge Jean- discoïdales, jusqu’aux innombrables confré- Jean-Elie Tapia, dont les sourcils se sont alors
Elie Tapia, un Basque pur béret de feutre qui ries (du piment, de l’escargot, du gâteau basque faits aussi perplexes qu’en accent circonflexe :
vit à Sare. “Et je suis las d’entendre tous ces gens ou de l’operne, un mollusque en voie de dis- “Vous les Québécois, vous vous battez pour la sur-
qui cherchent à savoir d’où nous venons. Nous parition…) et traditions qui perdurent partout vie du français ; nous les Basques, nous ne sommes
venons d’ici, tout simplement !” Ce colosse a au pays. Ainsi, aux Aldudes, une commune pas en rébellion : tout ce qu’on veut, c’est qu’on
retapé une splendide maison basque de 1660, verdoyante de Basse-Navarre, la chasse aux nous foute la paix !” Gary Lawrence