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Benoît Galand,
Université catholique de Louvain
Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur
Université de Liège
2019
Sommaire
RÉSUMÉ.................................................................................................................... 1
INTRODUCTION ........................................................................................................ 1
RÉFÉRENCES ........................................................................................................... 23
Cahiers des Sciences de l’Éducation – Université de Liège (aSPe) – 38/2019 1
Résumé
Ce texte présente différents types de recherches menées sur les effets du
redoublement. Il synthétise d'abord les apports des enquêtes internationales
concernant les effets du redoublement. Il passe ensuite en revue les résultats
des études récentes, principalement européennes, concernant les effets du
redoublement sur (a) le fonctionnement psychosocial des élèves, (b) le
décrochage scolaire et (c) les apprentissages cognitifs. La plupart de ces
études sont de bonne qualité méthodologique et observent soit une absence
de bénéfice du redoublement, soit des effets négatifs. L'année redoublée
semble bien une année inutile. En conclusion, les implications pratiques des
résultats passés en revue sont discutées, notamment la nécessité de
promouvoir d'autres façons d'aider les élèves en difficulté.
Introduction
Le redoublement est un phénomène de masse dans le système éducatif belge
francophone. D’après les derniers indicateurs de l’enseignement (Ministère de
la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2018), plus de 60 % des élèves en 5e
secondaire ont doublé au moins une fois (dont plus de la moitié au moins deux
fois). Avoir une idée claire des risques et bénéfices associés à cette pratique
pédagogique est donc un enjeu éducatif et politique majeur. Dans un récent
cahier de recherche du GIRSEF, Hugues Draelants (2018) réinterroge l'efficacité
de la promotion automatique comparée au redoublement. Il nous a semblé
intéressant de compléter le point de vue développé par cet auteur par
d'autres volets des recherches sur le redoublement. Le présent cahier passe
en revue les apports des enquêtes internationales concernant les effets du
redoublement. Il présente ensuite brièvement le défi que constitue
l’évaluation des effets du redoublement au niveau individuel, avant de
1 Pour rendre justice à l’important travail d’actualisation des résultats sur le redoublement
mené par Marcel Crahay (à paraitre), il convient de préciser que les résultats présentés ici
concernant l’apport des études internationales et la mesure des effets du redoublement sur
les apprentissages scolaires constituent des synthèses de chapitres rédigés par Lafontaine,
Baye et Monseur (à paraitre) et Baye, Dachet et Crahay (à paraitre) dans le cadre de la
réédition de Crahay, M. et Marcoux, G. (Éds.). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?
2 IEA est l’acronyme désignant l’International Association for the Evaluation of Educational
Achievement (Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire) (voir
http://www.iea.nl). Dès la fin des années 1960, bien avant l’OCDÉ, l’IEA a conduit des
enquêtes comparatives auxquelles la France et la Belgique francophone ont régulièrement
pris part. Parmi les enquêtes les plus connues, on peut citer PIRLS (Progress in International
Reading Literacy Study) et TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study)
(https://timssandpirls.bc.edu/).
naturel et portent sur des contextes diversifiés. Dans ces enquêtes, il sera en
revanche difficile d’isoler l’effet du redoublement d’autres modalités de
gestion des parcours d’élèves auxquelles il est fréquemment associé telles que
l’orientation vers des filières distinctes avant l’âge de 16 ans (Lafontaine,
2017 ; Mons, 2007). C’est pourquoi l’approche quasi-expérimentale (qui sera
développée plus loin) et l’approche comparative (développée ici) sont
complémentaires pour appréhender le phénomène dans toute sa complexité.
C’est sans conteste dans le domaine des inégalités sociales que les résultats
sont les plus nets et les plus concordants. Dans les systèmes qui pratiquent
davantage le redoublement, tant au primaire que dans le secondaire, les
inégalités liées à l’origine socioculturelle de l’élève sont plus marquées. En
d’autres termes, le déterminisme social y est plus pesant. Il y est plus difficile
de sortir de sa condition en empruntant l’ascenseur social. En outre, des
analyses plus fouillées menées sur les données PISA mettent le doigt sur un
mécanisme qui explique comment le redoublement amplifie les inégalités
sociales : des élèves qui ont la même performance dans PISA n’ont pas les
mêmes risques d’avoir connu le redoublement selon leur origine sociale ; ces
risques sont accrus pour un élève défavorisé. Il y a donc bien injustice, le
redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine
sociale.
des écoles. Ce résultat n’a rien de surprenant : c’est précisément une logique
fondée sur des conceptions éducatives consistant à penser que l’enseignement
sera plus efficace si les élèves sont plus semblables, ou si les classes sont plus
homogènes, qui justifie le recours au redoublement et aux autres mécanismes
de tri et de sélection des élèves comme les filières précoces dans le
secondaire.
Qu’en est-il sur le plan de l’efficacité ? Sur ce plan, les résultats sont un peu
moins concordants. Alors que dans PISA, les performances ont tendance à être
légèrement moins élevées quand les taux de retard sont plus importants dans
tous les domaines et tous les cycles, les résultats dans PIRLS varient selon les
cycles : dans deux des cycles, la tendance est la même que dans PISA, et
même plus marquée dans PIRLS 2016 que dans PISA ; dans les deux autres
cycles, c’est l’inverse. La tendance majoritaire (quatre cycles PISA et deux
cycles PIRLS sur quatre) est un lien négatif assez faible entre les taux de retard
et les performances moyennes des systèmes éducatifs. Le recours plus
fréquent au redoublement est somme toute assez peu lié aux performances
des systèmes éducatifs, bien moins qu’on pourrait le croire. Dans PISA, les
systèmes où le redoublement est rare ont des performances un peu meilleures ;
dans PIRLS, cela dépend des cycles. Ce qui est par contre certain, c’est que des
taux de retard élevés ne « dopent » pas les performances des élèves.
Le redoublement peut être considéré comme une mesure d’aide aux élèves en
difficulté. En comparaison à d’autres dispositifs de soutien, il s’agit d’une
mesure assez drastique dans sa durée (un an), dans ses coûts financiers pour
les systèmes éducatifs3, ainsi que dans son impact sur le parcours d’un élève,
puisqu’il sera irrémédiablement séparé de ses condisciples du moment.
Proposer une mesure telle que le redoublement parait donc avoir une telle
portée qu’il est d’autant plus important de s’assurer qu’elle produit des
bénéfices pour les élèves, et qu’elle ne produit pas d’effets indésirables à
moyen ou long terme, tant au niveau cognitif que sur le plan affectif et
motivationnel, ou pour la suite de la scolarité, tel qu’un abandon précoce par
exemple. Notons d’ailleurs que la décision de redoublement est tellement
« définitive » qu’il parait éthiquement inconcevable de réaliser des études
expérimentales où l’on assignerait aléatoirement certains des élèves faibles à
un groupe « redoublement » et d’autres à un groupe « promotion ». Ces
raisons éthiques expliquent que l’on se prive de la manière la plus
convaincante d'un point de vue scientifique d'évaluer les effets du
redoublement.4 Les trois seules études de ce type disponibles datent d'avant
1945 et ont été réalisées aux États-Unis. Elles aboutissent à une absence de
différence significative entre élèves promus et élèves doublants sur les tests
de connaissances utilisés (Jackson, 1975).
5 Cette difficulté est quasi insoluble dans des études qui ne sont pas longitudinales et qui
comparent simplement des élèves doublants et non-doublants à un moment donné de leur
scolarité (Demanet & Van Houtte, 2013 ; García-Pérez, Hidalgo-Hidalgo & Robles-Zurita, 2014 ;
Martin, 2011). C'est pourquoi nous ne ferons pas état ici des résultats de telles études.
Goos, Van Damme, Onghena, Petry et de Bilde (2013) ont analysé l'évolution
d'un vaste échantillon d'élèves flamands suivis de leur 1re primaire à leur
entrée en secondaire. Ils ne constatent aucun effet positif du redoublement en
1re primaire du point de vue psychosocial. Au contraire, les élèves bénéficient
d'un meilleur fonctionnement psychosocial durant plusieurs années de
scolarité primaire s'ils sont promus plutôt que s’ils redoublent. Ces effets
négatifs sont similaires à ceux observés au Québec par Pagani et al. (2001)
pour le redoublement durant la scolarité primaire sur l'anxiété, l'inattention et
les comportements perturbateurs. En Suisse, Bonvin, Bless et Schuepbach
(2008) ne trouvent en revanche aucun effet significatif du redoublement en 2e
primaire sur le plan social et émotionnel deux ans plus tard (mesure auto-
rapportée et évaluation par enseignant). En Belgique francophone, une étude
observe que le redoublement en 1re secondaire a un effet négatif à court
terme sur l'estime de soi, la motivation scolaire et les relations entre les élèves
et leurs parents (Mathys, Véronneau & Lecocq, 2017). De plus, on observe
chez les élèves promus une diminution des comportements déviants, agressifs
et de repli social, diminution qui ne s’observe pas chez les élèves doublants.
Ces résultats sont cohérents avec ceux d'une étude américaine indiquant que
les élèves ayant doublé en primaire étaient plus agressifs en secondaire que
les élèves promus (Jimerson & Ferguson, 2007).
Noortgate, Speybroeck, Boonen & Bilde, 2012). De plus, les résultats de cette
étude soulignent que le lien entre redoublement en secondaire et risque de
décrochage est plus prononcé chez les élèves d'origine socioéconomique
défavorisée que chez les élèves d'origine favorisée. Ces résultats ne signifient
pas que le redoublement cause le décrochage, ils indiquent qu’à niveaux
égaux de difficultés scolaires, socio-économiques, familiales et psycho-
sociales, les élèves pour lesquels une décision de redoublement a été prise
présentent plus tard dans leur parcours scolaire un risque accru d’abandonner
l’école. Il est évidemment possible que certaines études aient négligé de
prendre en compte tel ou tel facteur de risque du décrochage, mais la
convergence des résultats à travers différentes études utilisant des mesures
variées est forte. De plus, les résultats rapportés plus haut concernant le
fonctionnement psychosocial permettent de formuler des hypothèses
explicatives cohérentes.
redoublement sur les résultats des élèves à des tests standardisés et non plus
sur les décisions des conseils de classe, les taux de redoublement et de
décrochage ont baissé dans l’État étudié (Allensworth, 2005).
Les deux méta-analyses les plus anciennes (Holmes & Mattews, 1984 ;
Holmes, 1990) avaient trouvé, à partir des résultats de 63 études
sélectionnées dans un corpus plus large de centaines d’études, un effet négatif
moyen à fort du redoublement sur les résultats en termes d’acquisition de
6 Pour information, en 2015, le taux de retard à 15 ans était, aux États-Unis, de 11 % (données
PISA).
7 À l’exception des années différenciées, où le retard qu’accumulent les élèves par rapport à
leur groupe d’âge ne correspond pas à un redoublement ni à une répétition à l’identique,
puisque les élèves ont un programme spécifique renforcé en français et en mathématiques.
À une exception près, tous ces résultats concluent soit à une absence de
bénéfice du redoublement sur les acquis scolaires des élèves à moyen terme,
soit à des effets négatifs.
Conclusions
Au terme de ce parcours, revenons un instant sur le cahier de Draelants
(2018). Le texte de cet auteur a le mérite de montrer que le débat au sein de
la communauté scientifique concernant les effets du redoublement reste plus
dynamique que ce que certains écrits peuvent laisser penser. Et ce genre de
débat d'idées est bien une des caractéristiques de la démarche scientifique. Le
cahier en question confirme aussi que la littérature francophone en éducation
n’offre hélas pas toujours un reflet fidèle de l'état des connaissances et du
débat scientifique au niveau international. Nous rejoignons enfin cet auteur
sur le fait que la promotion automatique n'a pas à elle-seule d'effet bénéfique
pour les élèves (aucun auteur cité dans le présent article ne défend d'ailleurs
cette idée). Par contre, en élargissant l'analyse à d'autres variables que les
notes scolaires, à des études plus récentes et réalisées dans d'autres pays
européens et aux comparaisons internationales, nous aboutissons à une autre
conclusion concernant les effets du redoublement.
En outre, des travaux menés dans plusieurs pays indiquent que la décision de
redoublement est affectée par des biais sociaux : à résultats scolaires égaux,
les élèves issus de familles plus pauvres ou de certaines origines ont moins de
chance d'être promus (Bonvin et al., 2008 ; Burkam et al., 2007 ; Duru-Bellat,
2002 ; Monseur et Lafontaine, 2012). Finalement, et de manière cohérente
avec ce qui précède, les études internationales montrent que les systèmes
scolaires qui recourent davantage au redoublement sont socialement moins
équitables (Lafontaine, Baye et Monseur, à paraitre) et ont un taux de
décrochage scolaire plus élevé (De Witte et al., 2013).
Pris isolément, chacune des études et chacun des résultats cités doit être pris
avec prudence. Comme nous l'avons déjà dit, la méthode la plus convaincante
pour tester une relation de causalité d'un point de vue scientifique (étude
expérimentale) n'est pas envisageable dans le cas du redoublement. Les
résultats passés en revue dans ce texte représentent néanmoins les meilleures
évidences disponibles au regard des méthodes actuellement disponibles. Et il
faut souligner la convergence des résultats entre différents indicateurs
(fonctionnement psychosocial, résultats scolaires, décrochage) et entre
8 Et non l’effet des mesures qui l’accompagnent parfois, et qui pourrait tout aussi bien
accompagner la promotion.
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