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AUBENQUE, « ROME ET EMPIRE ROMAIN - Rome et la pensée grecque », Encyclopædia Universalis

[en ligne], consulté le 18 mars 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/rome-et-empire-romain-


rome-et-la-pensee-grecque/

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les-difficultes-de-la-traduction/

ROME ET EMPIRE ROMAIN Rome et la pensée grecque


À l'école des Romains
Buste de Cicéron, Ier siècle avant J.-C.
2. Cicéron ou les difficultés de la traduction

Cicéron (106-43 av. J.-C.) est le premier a avoir pris conscience des problèmes posés par la transplantation
de la philosophie grecque dans la culture romaine. Il découvre que la philosophie, si universelle qu'elle soit
dans sa visée, est en quelque façon solidaire de la langue qui l'exprime. La preuve en est que le latin, langue
de paysans et de soldats tournés vers l'action, est mal outillé pour traduire les abstractions auxquelles la
langue grecque est spontanément portée (qu'on songe, par exemple, à la possibilité qu'a le grec, et non le
latin, de substantiver un adjectif au neutre, comme lorsqu'on dit : l'un ou l'infini). Cicéron entreprend
pourtant, à coup de périphrases et de néologismes, cette tâche gigantesque de transposition. La question si
controversée de l'originalité de Cicéron philosophe perd dès lors une grande partie de son sens ; il peut bien
avoir toujours sous les yeux un original grec (la philologie allemande a particulièrement mis en évidence
les emprunts à Panétius et Posidonius), il n'en reste pas moins qu'il décide – et cela pour des siècles – du
sens qu'il convient de donner chaque fois à tel ou tel concept grec. Disons qu'il est assez souvent bien
inspiré : ainsi, il traduit ousia par essentia (ce qui est mieux que la métaphore substantia, qui s'imposera à
partir de Quintilien), mais comment traduire l'« étant » des Grecs, si ce n'est par quod est, qui évoque un
étant concret, et non ce qui constitue l'étant comme tel ? Dans le domaine moral, il traduira fort justement
phronésis par prudentia, pour la distinguer de la sophia (= sapientia, sagesse), mais comment éviter que la
traduction d'arétê par virtus (qui a donné notre « vertu ») ne contamine l'idée grecque d'excellence par
celles, toutes romaines, de virilité et de courage ? Comment éviter que natura n'évoque d'autres
harmoniques que le grec physis, ou ratio que logos ? On pourrait multiplier les exemples. Ils illustreraient à
la fois le génie propre de Cicéron et la difficulté fondamentale qui fut la sienne : traduire dans une langue
de bâtisseurs et d'administrateurs la spéc[...]

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