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Régine PICAMOLES,
Psychologue clinicienne Psychothérapeute
Centre de Consultation de la Madeleine et pratique libérale (EVREUX)
Thérapie brève orientée vers les solutions
Thérapie du couple et de la famille
HTSMA (Hypnose Thérapeutique Stratégique Mouvements Alternatifs)
Hypnose éricksonienne
Relaxation psychothérapique RSD
http://psycho27.picamoles.free.fr

« Utilisation des ressentis corporels et sensoriels du thérapeute et du patient


en HTSMA et en hypnose »

Communication rédigée pour la journée d'étude "HYPNOSE, EMDR et HTSMA: des cliniques et
des stratégies pertinentes au service des thérapeutes et des patients", organisée par le CH de
Navarre le Vendredi 26 Octobre 2012 à EVREUX.

A cette communication sont ajoutées d'autres vignettes cliniques rédigées antérieurement, non
sélectionnées vu la durée de la communication, ainsi que des notes de lecture sélectionnées pour
mon intervention.
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PLAN

Communication

Introduction

Exposé
1. Ma première expérience comme thérapeute du "partage sensoriel" avec un patient en
HTSMA
2. Mme A.: traitement des séquelles psychotraumatiques suite à une crise conjugale et
disparition de symptômes physiques associés
3. Mlle G., le fruit défendu et "« ton » manège à moi c'est toi"

Et si j'ai le temps...
4. Du travail sur l'angoisse de sauter un obstacle à cheval à l'apprentissage de
l'équitation par la thérapeute...
5. M. C., ou une mise en forme bien surprenante pendant une séance...

Conclusion

Références bibliographiques

Cas cliniques supplémentaires


(écrits pour cette communication et non retenus en raison du manque de temps)

1. Mme B. ou le "langage" du corps partagé


2. Annabelle, 17 ans, du traitement de l'angoisse liée à l'approche du bac à une
sécurisation plus profonde
3. M. D. puis Mlle E., des effets en cascade?
4. Mlle F., déblocage urinaire

Compléments théoriques (notes de lecture)


Extraits de:
1. Daniel STERN « Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de
sable »
2. Roland JOUVENT "Le cerveau magicien. De la réalité au plaisir psychique"
3. Jean-Claude AMESIEN "Les battements du temps (38) - «Plus vaste que le ciel… »",
France Inter, citant Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia (dans leur livre
"Les Neurones miroirs")
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Communication
Introduction

Hypnose et HTSMA ont développé chez moi la capacité "d'être avec", bien au delà de ce
que je vivais jusque là dans les thérapies verbales (d'orientation psychodynamique ou
systémique) ou de relaxation. Mon travail y a gagné en qualité d'accompagnement, en
créativité, en efficacité aussi.

Je vais illustrer comment l'hypnose et l'HTSMA, par la place qu'elles accordent à la


sensorimotricité et au corps, favorisent dans l'espace expérientiel partagé de la thérapie,
dans l'ici et maintenant, la mise en forme et la résolution des problèmes du patient.

La communication simultanée sur plusieurs canaux inhérente aux processus hypnotiques fait
intervenir la sensorimotricité et le corps, et l'on entre bien plus vite à mon avis en résonance
avec les problèmes et les ressources des patients. C'est pourquoi j'ai intitulé mon
intervention "Utilisation des ressentis corporels et sensoriels du thérapeute et du patient", en
faisant référence à l'approche utilisationnelle de l'hypnose éricksonienne (au sens où elle
utilise tout ce qui arrive dans la relation).
C'est cette expérience d'un imaginaire co-construit avec le patient dans ses dimensions
mentale, sensorimotrice, et corporelle, que j'ai envie de partager et d'interroger avec vous:
décrire et tenter de comprendre les phénomènes sous-jacents, également questionner
certains ressorts des phénomènes de changement en psychothérapie.

Je vais alterner des exemples cliniques et des réflexions théoriques ainsi que des
questionnements sur les processus thérapeutiques et les phénomènes psycho-
physiologiques en jeu.
Débutons par une vignette clinique pour illustrer comment les interactions inconscientes (au
sens de la non-conscience) peuvent se déroulent de manière privilégiée à de multiples
niveaux.

I Exposé

1. Ma première expérience comme thérapeute du "partage sensoriel" avec un


patient en HTSMA

Chez cet homme déprimé suite à deux ruptures amoureuses consécutives et à un décès, nous
travaillons lors du deuxième rendez-vous sur un processus de sécurisation à l'aide d'une
scène du passé vécue comme une expérience sécure. La scène se situe chez ses grands-
parents alors qu'il était enfant, il en campe le tableau avec émotion sans trop donner de
détails. Pendant que j'effectue une séquence de mouvements oculaires et alors qu'il revit
probablement de bons souvenirs d'enfance en montrant tous les signes d'une détente
profonde, l'image d'un mug m’apparaît puis je sens l'odeur du chocolat. Et M. d'enchaîner :
"ah le chocolat de ma grand-mère, il était terrible !". Étonnement chez moi puis chez lui
lorsque je lui raconte ce que j'ai vécu (et ça m'a paru important de le lui dire)... Dans mon
souvenir, ce fut un moment de plaisir partagé comme on rencontre en HTSMA.
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C'est la première fois qu'un tel partage sensoriel en séance s'est effectué entre un patient et
moi, qui plus est à la fois sur deux canaux sensoriels (la vue et l'odeur). Je ne savais
d'ailleurs pas à l’époque que cela était fréquent en hypnose. Quant à savoir ce qui m'a fait
halluciner l'odeur du chocolat et l'associer à la vision imaginaire d'un mug, le mystère reste
entier.

Sur le plan du processus thérapeutique, que s'est-il passé et en quoi ce moment a-t-il été
thérapeutique?
Déjà, le partage d'une expérience polysensorielle a contribué à renforcer l’alliance
thérapeutique.
La transe hypnotique a aussi permis une expérience où se sont rencontrés et synchronisés
deux sensorialités et deux imaginaires, dans un contexte sécure actualisé, pour le patient
comme pour la thérapeute. En effet, en y réfléchissant après-coup, le chocolat chaud est
associé chez moi à un événement ancien particulier, la fin d'une période de deuils et
séparation difficiles, voisine de son vécu, et la rencontre avec mon futur mari! Lui ai-je
communiqué du coup que la sortie d'une problématique de deuil était possible? A-t-il pu
s'appuyer sur mon expérience? Ce qui est sûr, c'est que nous étions (et bien involontairement
de mon côté), dans un accordage fort dans l'expérience de sortie du monde de la dépression.
En HTSMA, nous remarquons que ces moments vécus dans la transe partagée initient des
processus de changement: ils permettent au patient d'activer ses ressources pour sortir de sa
situation figée.

Cet ancrage polysensoriel partagé grâce au chocolat, saturé des deux côtés en climat sécure,
a servi au patient de point d'appui à une dynamique de reconstruction. Il a pu reprendre
appui sur des figures sécurisantes. Sans aller plus dans le récit du cas, j'ai constaté qu'il allait
bien mieux la fois suivante. Il s'était ancré dans une dynamique de vie. Cinq séances lui ont
suffi pour lever la dépression.
Dans cette thérapie le travail de parole autour des séparations et du deuil a tenu peu de
place, le processus thérapeutique a été orienté "solutions" à partir de cette mise en
mouvement. Les deuils se sont dissous dans le chocolat, pourrais-je dire avec une note
d'humour, chez le patient comme jadis chez la thérapeute! Et merci à ce patient de m'avoir
fait réactualiser une expérience sécure, sans que d'ailleurs j'en ai conscience... Et quand j'y
pense ou que je raconte cette expérience, c'est toujours avec un grand plaisir,; je réinstalle
alors probablement dans l'instant de cette autohypnose un ancrage sécure.

Pourquoi dire que dès cet instant s'est installé un tournant significatif dans la dynamique de
la thérapie? Sa situation aurait-elle évolué aussi bien si je n’avais pas ressenti l’odeur du
chocolat dans un mug? Autrement dit : où s’arrête l’illusion ? J'ai l'intuition que nous avons
vécu comme un embrayage de processus les uns dans les autres: sa dépression puis son
chocolat (ou plutôt le signifiant chocolat) en tant qu'il actualise une expérience entière
relationnelle sécure, ma dépression et mon chocolat, ma sortie de deuil puis la sienne.

Un peu de théorie maintenant.


Daniel STERN, psychiatre et psychanalyste, chercheur reconnu pour ses travaux sur les
interactions mère/enfant, écrit en 2003 dans « Le moment présent en psychothérapie. Un
monde dans un grain de sable »: "Le cheminement à deux peut conduire à des changements
spectaculaires, […] en permettant au patient de vivre une nouvelle expérience qui ne répare
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pas le passé en remplissant un manque, mais plutôt comme la création d'une nouvelle
expérience qui peut être poursuivie et enrichie à l'avenir. Ce point de vue ne se fonde pas sur
un modèle déficitaire, mais sur un modèle créateur de contextes dans lesquels on permet à
des propriétés émergentes nouvelles d'exister et où on les encourage à survenir." La thérapie
est un voyage créé à deux qui prend forme dans ce qu'il appelle une matrice intersubjective.
C'est le travail thérapeutique dans le "ici et maintenant" qui est le plus apte à provoquer le
changement. Ce changement découle de "moments présents", rencontres entre thérapeute et
patient fondés sur l'expérience vécue partagée physiquement, émotionnellement et
implicitement, et pas seulement expliquée. "Cette expérience vécue ensemble est partagée
mentalement au sens où chacun participe intuitivement à l'expérience de l'autre" (comme
dans la relation intersubjective bébé/adulte, notre vie mentale étant co-créée dans une
intersubjectivité présente dès la naissance). "Pour qu'il y ait écho entre deux personnes, elles
doivent être synchrones sans en être conscientes."
La description de STERN me semble bien rendre compte de ce que j'ai vécu avec mon
patient.

Quelle place occupe l'hypnose dans ce travail? Thierry MELCHIOR écrit: "Dans la
communication hypnotique [...] c'est la frontière entre soi et l'autre qui s'estompe, c'est
quelque chose comme un retour à une symbiose primaire qui s'opère." Et plus loin : "...
[l'hypnose] participe également de la danse. L'hypnose, pour être utile, implique que
l'hypnotiste se laisse entrer lui-même, au moins jusqu'à un certain point, dans la transe. [...]
Il s'agit d'entrer dans une bulle, mais dans une bulle à deux".

En HTSMA, l'interactivité et les stimulations alternatives facilitent l'accordage


thérapeute/patient dans l'instant et permettent de créer cette bulle à deux hypnotique si le
thérapeute "entre dans le bac à sable" comme le dit Éric BARDOT. D'expérience, plus
généralement, il en est de même pour les thérapies utilisant l'hypnose.

Je vais vous exposer maintenant une deuxième situation, ce qui permettra d'aller un peu plus
loin dans la réflexion.

2. Mme A.: traitement des séquelles psychotraumatiques suite à une crise


conjugale et disparition de symptômes physiques associés

Je reçois Mme A., la quarantaine, venue pour des difficultés de couple. Au bout de 5 mois,
elle informe son mari de sa décision de le quitter et elle l'acte. Quelques temps après, elle
aborde avec lui certains aspects matériels de la séparation et il s'énerve. Elle clôt là la
discussion et s'en va. Il la suit, elle prend peur et dans sa précipitation à partir elle heurte sa
voiture avec la sienne. Notre rendez-vous a lieu six semaines après cet événement.

Elle me raconte : "il a pété un câble, il a donné des coups de pied et de poing sur ma voiture,
dans le pare-brise. J'étais pétrifiée, il a arraché mes essuie-glaces puis mes deux rétroviseurs.
Je vais m'en prendre une, ai-je pensé, puis ça a été le trou noir".
Elle a le dos coincé depuis 3 jours. De plus, elle a toujours peur de son mari et cela
l'empêche de le rencontrer. Je lui propose une séquence utilisant les mouvements oculaires
pour traiter ce que je repère alors comme aspects psychotraumatiques. La première partie de
la séance se termine alors qu'elle me dit en riant "je vois le mouvement de votre main et je
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me vois en train de lui faire 'bye bye' (elle agite la main), je ne me sens plus coincée, la voie
est libre, je peux partir". Je synchronise volontairement, riant moi aussi, en lui répondant
qu'elle a repris mon mouvement d'essuie-glaces, elle rit à nouveau en me rappelant qu'il les
lui avait arrachés!

Je l'invite alors à faire le point sur le ressenti de son corps de la tête aux pieds (le "scanner"
du corps de l'EMDR): plus de tensions sauf au niveau des cervicales. Poursuite du travail à
l'aide des mouvements oculaires en se centrant sur cette zone de tension habituelle chez elle,
cela se voit d'ailleurs à sa posture, les épaules rentrées dans le cou. Elle se détend puis elle
ajoute qu'elle a des tremblements essentiels (c'est à dire non liés à une pathologie) dans les
mains et dans le cou depuis cette histoire. Diagnostic posé par le neurologue qui lui a
prescrit des bétabloquants (traitement des tremblements essentiels).

Cela m'évoque le livre de Peter LEVINE « Réveiller le tigre » sur le traitement du psycho-
traumatisme. Il y relate que l'impala poursuivi par un tigre tremble une fois hors de danger,
ce qui lui permet de "décharger" l'impact corporel lié à la peur ressentie; ainsi il peut
retourner vivre apaisé dans la savane. Je lui raconte cette histoire, recadrant ainsi ses
tremblements non plus comme un symptôme mais comme une tentative de solution: une
tentative de décharge, non aboutie, de sa peur. "Je n'y avais pas pensé", me dit-elle. Je
reprends les mouvements oculaires, 2-3 séquences. Je sens alors des paresthésies dans mes
jambes puis mes pieds, comme si ça tremblait de l'intérieur (de peur?). Habituée à ce genre
d'expérience, je me dis que non seulement je me suis connectée à son vécu de tremblements
mais aussi qu'il a dû se passer en elle quelque chose de différent vu la localisation de mes
paresthésies. Je lui demande ce qu'elle sent dans ses jambes. Elle me répond que c'est
comme si les tensions du haut de son corps étaient parties par ses jambes, en l'illustrant d'un
geste. Autre séquence de mouvements oculaires, les sensations déplaisantes disparaissent
dans mes jambes, elle se sent très bien de son côté...
Le processus thérapeutique a été terminé en 20 mn. Il n'a plus jamais été question de
problèmes somatiques dans la suite de la thérapie et Mme a pu progressivement s'affirmer
vis à vis de son mari.

A posteriori, je me demande si la question des tremblements dans les mains n'avait pas déjà
été réglée dans la première partie de séance, lorsque ses mains sont entrées en action en
faisant "bye bye" à son mari. Et si, dans la suite, la peur localisée dans le cou ne s'est pas
déchargée dans les jambes, plus logiquement connectées à l'action de fuite. Belle
métaphorisation corporelle d'un processus dans une sorte de danse à deux...

Nous avons en effet partagé toutes deux dans cette dernière partie de séance des sensations
corporelles voisines en même temps: décharge ressentie dans mon corps, ou utilisation de
mon corps pour décharger sa tension? Ce sont là, à nouveau, des phénomènes fréquents de
synchronisation en hypnose, d'origine encore indéterminée...

Là encore, dans le climat sécure où nous étions toutes deux en transe hypnotique, une
enveloppe polysensorielle nous englobant semble s'être créée. Synchronisation involontaire
de ma part, n'ayant en effet jamais eu de tremblements de nature traumatique.
Mes jambes semblent avoir capté ses sensations - ou est-ce nos cerveaux qui ont connecté
ensemble sur la même expérience ? J'ai perçu cela en lien avec un probable mouvement de
déplacement de ses tensions dans le bas du corps, avant qu'elle ne me le dise. Le fait d'être
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formée de longue date à la relaxation et de pratiquer depuis plusieurs années le Qi Gong


(dans lequel on pratique régulièrement ce type de décharge des tensions à l'aide de l'image
du déplacement énergétique) est-il intervenu dans notre dialogue corporel ou ai-je seulement
été une caisse de résonance, résonnant en harmoniques avec son corps?

Qu'est-ce qui pourrait expliquer ces ressentis simultanés? Quels mécanismes de


transmission inconscients de corps à corps peuvent expliquer ces phénomènes ?
Les neurophysiologues avanceront sans doute comme hypothèse l'activation mimétique
chez nous deux de ce qu'on appelle les neurones miroir. Situés à côté des neurones moteurs,
ils déchargent chez un observateur qui regarde un autre agir. Nous vivons alors l'autre
comme si nous effectuions le même acte ou ressentions la même émotion grâce à ces
mécanismes comme si. Habiter un mouvement en imagination, comme c'est le cas en
hypnose, se traduit par des enregistrements identiques au niveau du cerveau. Le
fonctionnement mimétique permettrait ainsi d'entrer en empathie ou en sympathie avec
autrui et d'établir un contact intersubjectif.

Enfin quelle place occupe l'échange verbal dans ce type de séquence thérapeutique? J'ai
seulement attiré son attention sur ce qui était en train de se passer dans son corps, ce qui a
sans doute renforcé le processus.

On peut ainsi penser que mettre des mots sur un processus psychophysiologique en cours
(travail de base en hypnose) peut être un formidable outil thérapeutique dans les symptômes
psychosomatiques et dans les vécus de carence de verbalisation pendant l'enfance, en
initiant ou en réactivant de manière positive dans une synchronisation patient/thérapeute les
interactions précoces défaillantes du passé.

3. Mlle G., le fruit défendu et "« ton » manège à moi c'est toi"
(non exposé par manque de temps)

Septième séance avec Mlle G., âgée d'environ 35 ans. C'est sa deuxième séance avec
utilisation des mouvements oculaires. Venue initialement pour une boulimie, apparaît très
vite en HTSMA la question du lien avec son ami, sur arrière-fond d'interactions précoces
particulières avec sa mère. Lors de cette première séance, nous étions alternativement dans
des sensations de chaleur et de froid. Peu de temps après la fin de cette séance, m'était
revenu le souvenir visuel d'un manège qui tournait sur une plage d'Inde, et la chanson de
Piaf "tu me fais tourner la tête, mon manège à moi c'est toi" s'était alors installée dans ma
tête. En écrivant ce texte j'ai mélangé à plusieurs reprises mon/ton manège et toi/moi.
Lapsus significatif.?
Aujourd'hui le travail s'effectue sur le deuil de la relation avec cet ami. Il lui déclare qu'il est
follement amoureux d'elle mais qu'il ne peut quitter sa compagne qui risquerait de se
suicider. Elle présente cette relation amoureuse comme un fruit défendu, juste après que je
me sois dit que le risque était à nouveau de tourner en rond (elle et lui, elle et moi). Je
ressens l'utilité de scénariser ce fruit défendu non pas sur un mode sexuel mais lié à
l'attachement précoce, sur un mode kinesthésique. Je prends une peluche à côté, je la bouge
comme une marionnette devant ses yeux, je m'adresse à ma patiente comme à une enfant et
je lui dis "tu l'as vue, tu l'as vue, et bien tu l'auras plus", et je jette la peluche. Et je
recommence le même manège (!) avec 2 autres peluches. Cela l'amène effectivement sur le
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terrain maternel, mais dans la lignée transgénérationnelle. Sidérée, elle me raconte que sa
mère a été présentée une seule fois par sa propre mère à son père (un homme marié) - objet
du fruit défendu donc -, et que cette femme a dit au père, je cite "ta fille, tu l'as vue, tu ne la
verras plus". Plus tard cet homme se serait suicidé à cause de son chagrin de ne pas voir sa
fille...

Je cite cet exemple pour montrer comment les formes d'un problème sont susceptibles de se
transmettre, ou plutôt de s'actualiser (de prendre forme) dans une co-création imaginaire
partagée, en utilisant des canaux inconscients de traitement de l'information: sensoriel -
souffler le chaud et le froid -, kinesthésique - tourner, jeter -, auditif - la chanson). Le
registre cognitif conscient, au moins celui de mon élaboration consciente des jeux
relationnels et identificatoires, a aussi participé à ce cheminement.
Et l'échange verbal dans tout cela? Daniel STERN écrit: "[…] l'expérience contenue dans
les moments présents se produit parallèlement à l'échange de langage pendant une séance.
Les deux se renforcent et s'influencent l'un l'autre tour à tour. [...] Bien entendu, il faut une
quête de sens pour construire une compréhension psychodynamique et créer un récit de vie."
C'est peut-être ce qui s'est produit ici.

Par contre, je ne peux expliquer comment cette mise en scène de cette problématique s'est
construite, comment s'est actualisé dans notre relation cette forme relationnelle faisant
intervenir sa grand-mère maternelle, son grand-père maternel et sa mère, à partir de sa
relation avec son ami. Je précise que je ne connaissais rien de l'histoire familiale de ma
patiente. Et cette expérience n'est pas rare dans le travail en hypnose.

Et si j'ai le temps...

Voilà l'histoire d'un travail en hypnose fait avec une amie psychologue, utile à la fois pour
nous deux.

4. Du travail sur l'angoisse de sauter un obstacle à cheval à l'apprentissage de


l'équitation par la thérapeute...

Cette amie psychologue m'avait entendu raconter un mois avant qu'une séance d'hypnose
sans parler de l'objet de sa peur avait aidé mon mari à prendre confiance en lui en ski de
descente. Elle n'a jamais fait d'hypnose et elle me demande de l'aider à dépasser certaines de
ses appréhensions à monter à cheval.

Me voilà donc un certain dimanche de Pâques devant les tisons à l'inviter à vivre un saut
d'obstacle en hypnose. Nous travaillons en "hypnose centrée sur le présent et l'acceptation",
telle qu'Alain VALLEE (formateur en hypnose) la pratique. Cela consiste à respirer dans la
zone du corps où se localise l'émotion ressentie en se voyant sur un écran - ici donc en
situation de saut d'obstacle - tout en accueillant, en acceptant ce qui arrive. Cette manière
d'être amène rapidement à modifier les sensations corporelles et les émotions.

Je m'implique peu au départ, je ne sens pas grand chose mais, une fois la peur désamorcée
chez elle, je sens que j'ai mal au dos. Nous voilà reparties pour une nouvelle séquence
puisqu'elle a mal aux cervicales et, comme moi, au dos. L'accordage est au rendez-vous:
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sans doute mon corps exprime-t-il mon malaise à monter à cheval, alors
qu'intellectuellement je n'en a pas conscience. Je suis probablement suffisamment dissociée
pour avoir oublié pendant ce travail que je n'ai jamais été à l'aise sur un cheval ! Cette
analyse s'effectue dans l'après-coup de l'écriture.
Tout en devenant plus attentive à mon ressenti corporel, je lui suggère de caler son souffle et
son rythme sur ceux du cheval. J'ai les yeux fermés, nous respirons de concert, et ne voilà-t-
il pas que mon corps se met à ressentir les mouvements du cheval et à prendre une posture
que je sens être "juste". Vérifications après-coup auprès de notre cavalière: mon
positionnement dynamique, bassin, ventre, dos, tête et pieds dans les étriers est bon... Il ne
me reste plus qu'à vérifier dans la réalité, lorsque l'occasion se présentera, que mon corps a
acquis la bonne position...
Quant à elle, elle sent mieux les mouvements et les fait désormais en respirant. Son
moniteur lui répétait d'ailleurs souvent de respirer, elle ne comprenait pas pourquoi...

Petit mail à 15 j de l'intéressée: "mon cours d'équitation s'est bien passé. Je suis plus
tranquille et il me semble que mon assiette est meilleure [...]... En dehors de ces cours, [...],
je travaille ma respiration, et c'est plutôt efficace sur l'angoisse. J'ai aussi fait les petits
exercices [de détente] que tu m'as indiqués au niveau des épaules et de la nuque."
Et à 6 mois les résultats tiennent! Mon amie a oublié les exercices de détente conseillés,
mais elle se rappelle mes suggestions hypnotiques de faire corps avec le cheval - consigne
que, du reste, ses moniteurs lui donnaient!

Cette expérience m'a confirmé que l'hypnose facilite les apprentissages, y compris chez le
thérapeute !

5. M. C., ou une mise en forme bien surprenante pendant une séance ...

Et que penser de ce qui a pu se dérouler dans l'espace intersubjectif de cette séance ?


Deux phrases de mon patient notées dans mon dossier prendront un relief particulier après
coup: "je manque de force, je n'arrive pas à couper le lien" et "j'aurais pu progresser si
j'avais eu le temps".

M. C., la cinquantaine, un métier de santé, me consulte il y 3 ans "pour une psychanalyse".


Nous entamons une thérapie verbale, ce qui me paraît à l'époque la meilleure indication, au
rythme d'environ une fois par mois, il ne peut pas plus. De "personnalité un peu
obsessionnelle" (comme il me le dit), il ressasse souvent, il parle de ses difficultés à se
séparer et à choisir entre deux relations homosexuelles menées de front, de sa mélancolie
"dépressivo quelque chose" qui lui colle à la peau depuis tout petit. Je m'englue quelque peu
dans son discours, je mets péniblement 8 mois à réaliser avec lui une séance d'HTSMA
(alors que j'y pense depuis un certain temps, mais ça bloque en moi); cela le fait un peu
bouger. Trois rendez-vous à nouveau de commentaires sur sa vie, je m'englue de nouveau.

J'arrive la fois suivante fermement décidée à travailler autrement. Il hésite toujours entre ses
deux amis, il se sent comme un "Saint Bernard". Je lui propose un travail "à la ROSSI".
Cette mise en forme invite à placer de chaque côté du corps deux tendances contraires (par
exemple dans les deux mains) : elle vise à les mettre en travail en les laissant évoluer grâce
à l'hypnose (ou, ici, les stimulations alternatives). Il entend deux voix lui tenant des propos
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contraires: la voix de l'espérance lui dit, je cite, "le retrouver comme quand on était
heureux", l'autre "ne t'attends pas au miracle". Comme le canal auditif est privilégié, je me
place derrière lui pour réaliser des stimulations auditives (claquements de doigts près des
oreilles) en lui proposant d'entendre une voix dans chaque oreille. Il voit du bleu et son ami
d'un côté, une femme de l'autre, un piano, il tape très fort sur le piano. Je sens alors une
angoisse qui me prend tout le ventre, sensation que je n'ai jamais eue, alors qu'il est très
calme. Je m'installe avec curiosité dans l'accueil de cet imprévu surprenant en train de se
dérouler, persuadée que cela a un rapport avec lui. Comme cette situation ne change pas en
moi pendant les séquences suivantes, je lui parle de mon ressenti. L'angoisse se calme alors
en moi pendant qu'elle l'envahit à son tour. Je sens de la culpabilité chez lui et chez sa mère,
du fait qu'il tape sur le piano - je suis incapable de vous expliquer pourquoi je ressens cela.
Nouvelle séquence de stimulations auditives. Je sens une chaleur émaner de sa tête et
rayonner dans mon ventre, puis sa tête bouillante rentrer dans mon ventre. Je lui parle à
nouveau de mon ressenti. Il voit alors du noir, il est dans un souterrain en train de gratter de
la terre, il voit de la lumière, puis il ne voit plus rien. Il se sent devenir fœtus puis il entend
des voix au bout du tunnel.

Comme cela évoque décidément pour moi un accouchement anxiogène, je lui demande
comment s'est passé le sien: "très bien". J'insiste vu l'angoisse actuelle qui "voyage" entre
nous deux. Il me parle alors d' un accouchement prématuré suite à une chute de sa mère,
renversée par un animal. Auparavant il m'avait seulement dit qu'il était prématuré, que sa
grand-mère l'avait fait baptiser au plus vite par peur qu'il ne meure, et qu'il était resté chétif
par la suite. Il m'avait raconté cela sans émotion particulière, dissocié dirai-je en langage
hypnotique.

On peut imaginer que s'est théâtralisé dans cette séance quelque chose en rapport avec le
débordement émotionnel de sa mère voire même des angoisses de mort, projetées sur ce
bébé dont une partie du développement psychoaffectif et peut-être même de la croissance a
été bloquée par la suite - ce que je ressentais depuis le début de la thérapie. L'angoisse
traumatique maternelle avait été méconnue par lui... Autre élément important: M. m'avait dit
incidemment qu'il ne pouvait pas coucher avec une femme car c'était pour lui comme un
acte incestueux... Nostalgie d'un ventre chaud et douillet, processus de séparation inachevé
des deux côtés ?

Toujours est-il qu'il poursuit depuis son chemin un an et demi après, à son rythme. Il a pu
s'engager dans une vie de couple avec un de ses amis tout en préservant son espace.
L’essentiel n’est-il pas qu'il aille mieux, grâce à ce que j’appellerai faute de mieux des
phénomènes intuitifs thérapeutiques. Je ne sais pas expliquer ce qui s’est passé, dans l’état
actuel des connaissances en ce domaine.

Je cite toujours STERN dans ses descriptions phénoménologiques: "Quand deux personnes
co-créent une expérience subjective dans un moment présent partagé, chacun a sa propre
expérience, plus l'expérience que fait l'autre de soi. Ces deux expériences ne sont pas
nécessairement les mêmes. Mais elles se sont suffisamment semblables pour que,
lorsqu'[elles] sont mutuellement validées, surgisse une «conscience» de partager le même
paysage mental. Il s'est produit [...] une interpénétration d'esprit [...]. Une boucle de
réentrée est créée entre les deux esprits. [...] Cette chorégraphie délicate se passe surtout en
dehors de la conscience. Dans un voyage de sentiments partagés, [...] ce partage
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intersubjectif d'une expérience mutuelle est saisi sans qu'il soit nécessaire de le verbaliser."
Dans ce moment présent partagé, nous nous sommes accordés dans une transe profonde, de
manière totalement involontaire, dans une synchronisation opérant dans la sensorimotricité
pure accompagnée d'angoisse dissociée. Que s'est-il activé par mimétisme?
A mon niveau personnel, si tant est qu'on puisse raisonner ainsi, je ne sais pas comment mon
corps a capté pendant cette séance quelque chose d'un événement que je n'aurais jamais pu
imaginer... Je ne sais pas non plus si j'ai seulement scénarisé dans mon corps un vécu actuel
de mon patient ou un vécu passé, ni même si j'ai actualisé quelque chose de personnel. Je ne
sais pas non plus (et lui non plus j'imagine) ce qui dans cette mise en forme s'est actualisé
d'une expérience corporelle précoce réelle ou imaginaire. Ces phénomènes inconscients
venant à la conscience globale, corporelle, affective et cognitive, sont bien mystérieux!

Si notre travail est d'amener la personne à mieux habiter ce qu'elle est en train de vivre, nous
devons nous aussi habiter notre posture de thérapeute et d'être humain. Cela me rappelle
Jean-Paul MUGNIER, un de mes formateurs en thérapie familiale systémique, qui
soulignait le nécessaire engagement du thérapeute auprès des patients et des familles...
Éric BARDOT de son côté nous conseille de renforcer notre accordage avec le patient en
nous connectant à son vécu actuel par une expérience personnelle proche de la sienne. Il dit
aussi que la bonne technique ou la bonne forme est celle qui vient quand on est dans
l'interaction. C'est sans doute pour cela que les interventions des thérapeutes paraissent
souvent si déroutantes aux observateurs... Cela m'autorise sans doute à agir plus librement
qu'avant, lorsque je me situais dans des formes plus classiques de thérapie, dès lors que je
me sens en congruence avec le patient...
12

Conclusion

C'est dire que l'hypnose et l'HTSMA - comme d'ailleurs toutes les psychothérapies - ne sont
pas simplement des méthodes s'appuyant sur des protocoles standardisés. Elles incluent
aussi une clinique du lien. Ce type d'intervention nécessite une bonne connaissance clinique,
une certaine connaissance de soi, et une capacité à s'impliquer de tout son être.

Dans ce type d'approche, on s'engage pleinement dans une relation dans laquelle les
phénomènes d'empathie et de sympathie entrent en jeu. On ne peut pas tricher, bricoler une
petite recette pour tous et rester dans la neutralité, fut-elle bienveillante. Notre histoire de
vie, chaque patient, chaque rencontre, le travail de supervision et de réflexion, enrichissent
notre expérience et nous permettent de créer un capital intuitif auquel notre inconscient va
pouvoir connecter. Si notre réceptivité au vécu du patient et notre intuition sont accrues au
point que le patient se sente souvent deviné dans ses sensations et ses pensées, l'inverse est
aussi vrai: le patient perçoit aussi des choses de nous dans l'espace intersubjectif de la
thérapie.
« C'est parce que j'accepte comme thérapeute d'être touché par le message de l'autre que je
le touche, et que nous pouvons être ensemble dans un "corps commun" dans lequel la mise
en forme des problèmes pourra se faire et le changement s'opérer » dit Éric BARDOT.

En vous faisant partager ces pratiques qui m'ont amenée à enrichir mon expérience
personnelle et ma pratique professionnelle, j'espère avoir contribué à ouvrir quelques
perspectives...

Références bibliographiques

JOUVENT Roland « Le cerveau magicien. De la réalité au plaisir psychique », 2009, O. Jacob

LEVINE Peter A. « Réveiller le tigre. Guérir le traumatisme », 2008 2ème ed.., Socrate
Promarex, Belgique
MELCHIOR Thierry « Créer le réel. Hypnose et thérapie. », 1998, Seuil, Couleur Psy
RIZZOLATTI Giacomo, SINIGAGLIA Corrado « Les Neurones miroirs », 2008, O. Jacob
STERN Daniel « Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de sable »,
2003, O. Jacob

et aussi...

Jean-Claude AMESIEN "Les battements du temps (38) - « Plus vaste que le ciel… »", France
Inter, émission du samedi 23 juin 2012 (sur les neurones miroir, entre autres)
13

Cas cliniques supplémentaires (écrits pour cette communication et non retenus en raison du
manque de temps)

1. Mme B. ou le "langage" du corps partagé

Femme d'une cinquantaine d'années venue me voir avec comme premier objectif de régler son
malaise professionnel, et comme autres objectifs de se débarrasser de multiples phobies (l'eau, lu
vide, l'inconnu... ) et angoisses liées aux maladies et à la mort: vaste programme !

Lors du deuxième rendez-vous elle évoque, à propos d'une soirée avec des amis, sa difficulté à
trouver sa place, à se sentir valorisée. Je ressens qu'elle se sent transparente, je le lui verbalise, cela
correspond tout à fait à son ressenti me dit-elle. Nous entamons sur cette base une séance d'HTSMA
avec des mouvements oculaires. Elle choisit de mettre sur la cible un homme qui se vantait et une
femme qui n'arrêtait pas de parler d'elle-même. Alors qu'elle se sent transparente, elle se met à
rougir. Elle cale sa respiration sur les mouvements de ma main et elle me dit : « je leur dis bye
bye », elle ajoute qu'elle ne les entend plus parler. Elle reste tout à fait calme alors que je lui
présente à nouveau ses amis sur l'écran. Elle me dit qu'elle ressent de l'indifférence à leur égard,
ajoutant qu'il y a un conflit entre ses valeurs et les leurs et qu'elle n'a plus envie d'être comme eux.
Je l'invite à fermer les yeux pour poursuivre le travail par rapport à son éreutophobie. Je débute une
séquence d'hypnose avec l'objectif de l'aider à mieux se positionner face aux autres. Je lui propose
de se centrer sur son enveloppe corporelle, de la percevoir sous la forme qu'elle souhaite, de
manière à se sentir bien protégée, en différenciant l'intérieur de son corps de l'extérieur. Elle est très
absorbée. A la fin, alors que je la questionne sur l'impact de mes suggestions, elle me dit qu'elle
avait très chaud dans l'épaisseur de son corps, qu'elle a senti le vent frais de ma main qui se
déplaçait pendant que je parlais, et qu'elle s'est sentie comme un gros ours couleur chocolat. Je lui
demande si elle est capable de se sentir dans la peau de cet ours la prochaine fois face à son public
de jeunes cadres dynamiques, la séance se termine par son acquiescement sur des rires communs.

Troisième rendez-vous, son travail s'est bien passé, elle s'est sentie sereine et à l'aise, elle a pensé à
l'ours chocolat ! Elle précise qu'elle a honte de se dévoiler, que la séance de la dernière fois n'a pas
été facile sur le moment mais a été très aidante. Elle ajoute qu'elle a eu au téléphone un de ses amis
vantards, et qu'elle ne s'est même pas sentie en colère. Il y a donc eu une avancée significative après
cette deuxième rencontre: se vivre dans la peau d'un ours au pelage chocolat, après avoir rougi tout
en se vivant comme transparente face à ses interlocuteurs... lui permet de changer son rapport aux
autres et règle par la même occasion son problème d'eurotophobie !

La sensorialité kinesthésique est déjà très présente dans notre relation. Nous allons voir comment la
communication va continuer à fonctionner entre nous par le biais du canal kinesthésique dans la
suite de la thérapie.

Quatrième séance. Elle commence par dire que ses relations avec les autres changent, qu'elle se met
moins la pression. Par contre, elle se débat à nouveau dans des angoisses de mort, à chaque examen
médical, elle a l'impression d'avoir une épée de Damoclès au-dessus d'elle, comme si elle était en
sursis.
Ses angoisses sont anciennes. Je lui demande si elle les relie à des événements particuliers. Elle me
parle alors des angoisses majeures de sa mère centrées sur le risque familial de cancer du côlon -
croyances fausses d'après le gastro-entérologue consulté. Les propos de ce médecin ne l'ont pas
rassurée. Elle me décrit, comme c'est habituel dans l'hypocondrie, de nombreuses tentatives de
réassurance inefficaces, avec une multiplication d'examens dont les résultats négatifs ne la rassurent
pas.
14

Nous allons voir comment l'angoisse de la solitude chez elle petite fille a une place importante dans
l'installation de la peur de la maladie plus tard, et comment cela s'est réglé de manière particulière
dans les deux cas dans notre relation.

Ces angoisses sont apparues lorsqu'elle était enfant. Elles sont connectées au souvenir d'une
coloscopie vers 9-10 ans, durant laquelle elle s'était retrouvée seule sur la table d'examen : c'est
cette scène que nous choisissons comme cible pour le travail en HTSMA. Je me lève pour
m'installer près d'elle et je m'entends lui dire - sans en saisir le lien - "que j'ai mal aux fesses", tout
en ajoutant que "je ne comprends pas pourquoi car je n'ai pourtant pas fait de vélo les jours passés!"
J'avais alors les sensations caractéristiques de la reprise du vélo après une période d'arrêt...

Nous nous regardons intensément et nous réalisons probablement toutes deux que j'ai "connecté"
corporellement à son expérience - celle d'un corps allongé sur une table d'examen métallique, je
dirai dans le langage de la dissociation par le biais de "nos fesses". Il faut dire qu'à ma dernière
opération j'avais trouvé la table très dure - cette réflexion me vient dans l'après-coup... Nous rions,
et elle me dit que nous sommes accordées corporellement. J'entame les mouvements oculaires. Elle
sent le contact froid, elle se sent seule, abandonnée, elle pleure. Je l'invite à mettre sa main dans la
mienne et à venir installer la petite fille, là, dans ma main. Elle a alors très vite envie de se lever et
de partir, "qu'est-ce que je fous là?". Je reprends ses propos et je lui propose d'agir ce désir, elle
dessine alors d'une main dans l'espace une petite fille qui se lève et s'en va en sautillant.
Soulagement, "ça fait du bien" dit-elle. Elle garde cependant l'appui de ma main. Je lui propose
d’enchaîner en hypnose sur son prochain examen médical, de le visualiser tout en laissant une de
ses mains venir se poser sur son corps pour ancrer sa sensation de bien-être actuel dans son corps.
Elle pose alors ses mains sur ses cuisses écartées, adoptant la même posture que moi (alors qu'elle a
les yeux fermés). Nous sommes donc toujours dans un accordage corporel. Elle me dit qu'elle sent
le travail se faire en elle.

Cinquième séance (d'après mes notes). "C'est fou ce que ça a dénoué. Pour mon échographie, j'ai
repris mon geste réflexe, spontanément. J'ai même pu bouquiner dans la salle d'attente. J'ai géré
l'examen différemment, j'ai beaucoup discuté avec le médecin. Juste un petit fond d'angoisse
gérable. L'angoisse hypocondriaque je la regarde de loin, et si elle vient ça passe, je la regarde venir
je lui fais un clin d'œil, salut, j'ai dissocié. J'ai arrêté de voir mon corps comme une bombe à
retardement. C'est puissant cette méthode, mes angoisses sont tombées, même dans mon rapport au
temps elles ont lâché. Et quand je fais quelque chose j'essaie d'être dedans, je me suis repositionnée,
ici, maintenant". Je remarque au passage qu'elle emploie les mêmes formulations que moi. Occasion
supplémentaire d'illustrer combien l'apprentissage par mimétisme est favorisé en hypnose et
HTSMA. L'accordage se fait aussi sur le plan cognitif !

Fin de cette première séquence d'entretiens, elle dit avoir atteint ses objectifs et se sentir capable de
continuer seule.

La bascule dans le déroulement du processus s'est opérée dans cette séance quand s'est installée
l'expérience d'"être ensemble" dans l'expression sensorimotrice d'une expérience absurde (ressenti
de la dureté d'un contact - la table d'examen pour elle, dans un examen sans sens pour cette petite
fille, la selle de vélo pour moi, sensation tout aussi sans sens pour moi dans l'instant, crainte du
cancer pour sa mère, du vélo non pratiqué pour moi). J'imagine que si je lui ai livré spontanément
ce vécu intime et saugrenu pour moi dans l'instant, c'est que j'ai dû percevoir inconsciemment qu'il
y avait un lien... Nous avons bien sûr aussi connecté sur l'angoisse liée à la solitude.

Aller jusqu'au bout du processus, partir et quitter le monde des angoisses maternelles, lui a permis
de rompre avec la répétition traumatique de ces examens médicaux, tentatives de solutions
dysfonctionnelles à l'angoisse maternelle introjectée.
15

Six mois après, Mme revient suite à une reprise d'angoisses hypocondriaques toujours centrées sur
des sensations douloureuses dans le colon et à des angoisses liées à son travail. C'est sur ce dernier
aspect que j'oriente la séance. Laquelle, après coup, fait apparaître en moi un sentiment de
culpabilité lié à l'impression d'avoir voulu éviter à tout prix de parler de son hypocondrie. Sa peur
de la maladie entre en effet en résonance avec un problème personnel, un sentiment de honte
pendant l'enfance lié à une maladie colique de mon père. Je dois ajouter que sur le coup, je ne
comprends rien, ni en séance ni après, aux raisons de la réactivation de ses angoisses de son côté.

La fois suivante, juste après lui avoir évoqué un blocage chez moi, elle développe un pan de
l'histoire familiale qu'elle voulait aborder ce jour, qu'on lui avait longtemps caché : un tabou familial
lié à l'homosexualité de son père... Le colon était effectivement un lieu lourdement chargé
d'angoisses chez sa mère, et d'incompréhension chez cette petite fille...Il me semble que là aussi
nous avons été dans une singulière résonance, en séance puis ensuite, comme celles que l'on peut
partager dans les thérapies psychodynamiques.
Un recul d'un an à partir de la fin de la première séquence de thérapie permet de valider l'efficacité
du changement réalisé.

La relecture du livre de STERN déjà évoqué amène une lecture théorico-clinique de ces 2 séances,
je vous cite ses propos:
"Quand deux personnes co-créent une expérience subjective dans un moment présent partagé,
chacun a sa propre expérience, plus l'expérience que fait l'autre de soi. Ces deux expériences ne sont
pas nécessairement les mêmes. Mais elles se sont suffisamment semblables pour que, lorsque les
deux expériences sont mutuellement validées, surgisse une « conscience » de partager le même
paysage mental. Il s'est produit [...] une interpénétration d'esprit – un nouvel état d'intersubjectivité
a été créé entre thérapeute et patient. Une boucle de réentrée est créée entre les deux esprits. [...]
Cette chorégraphie délicate se passe surtout en dehors de la conscience. Dans un voyage de
sentiments partagés, l'expérience est partagée et vécue par les deux pendant qu'elle se déroule. C'est
direct, non transmis et non reformulé en mots.
Ce partage intersubjectif d'une expérience mutuelle est saisi sans qu'il soit nécessaire de le
verbaliser et s'intègre au savoir implicite de leurs rapports. Il crée un nouveau champ intersubjectif
qui modifie leurs rapports et leur permet de prendre ensemble des directions différentes."

Entre ma patiente et moi, l'accordage s'est effectué inconsciemment à deux reprises de manière bien
surprenante à partir de nos histoires de vie respectives, dans l'expérience du temps présent, ou dans
l'interséance.

2. Annabelle, 17 ans, du traitement de l'angoisse liée à l'approche du bac à une


sécurisation plus profonde

Cette adolescente très bonne élève est venue me voir il y a quelques mois car elle n'allait pas bien
(crises d'angoisse et tendance à l'anorexie) depuis une période difficile à la maison pendant laquelle
sa mère s'est alcoolisée suite apparemment à des difficultés de couple. Première séance
d'hypnorelaxation avec la fille en présence de la mère. Annabelle se sent plus détendue, et sa mère
semble également avoir bien profité de la séance. C'est l'effet mimétique bien connu qui nous
permet de travailler un problème familial en travaillant avec un de ses membres en présence des
autres membres de la famille (que nous pouvons d'ailleurs mettre en scène de manière stratégique
pour aider quelqu'un à évoluer en s'appuyant sur les autres)...

Nous enchaînons sur une prise en charge individuelle de l'adolescente, comme c'était son souhait et
celui de sa mère.
16

Ce jour elle me demande de travailler son stress du bac. Pour calmer ce stress elle écoute de la
musique ou elle prend son pouls. Temps d'hypnorelaxation, elle se calme grâce à la respiration et
me dit que sa petite enfance était plus simple que sa vie actuelle. Je choisis de la faire régresser afin
qu'elle se sécurise, je lui propose alors d'aller plus loin et de retourner dans le ventre de sa mère, de
bien s'y caler pour se sentir confortable. J'ajoute quelques inductions hypnotiques sur les apports
nécessaires apportés par le cordon et la nourriture, la sachant dans une dynamique d'anorexie. Elle
ne s'étonne pas plus que ça de cette suggestion de régression foetale.

Je passe les détails mais toujours est-il que je vois mon Annabelle qui baisse spontanément et
lentement sa tête, puis qui se met en boule et s'enroule comme un escargot (exercice classique de
relaxation).Il se trouve que 3 jours auparavant j'avais fait la même chose dans une séance d'HTSMA
personnelle. Je note la coïncidence mais je n'en dis rien. Annabelle, adolescente très dans une
dynamique d'hypercontrôle, a-t-elle capté quelque chose en moi d'un travail effectué, spontanément
aussi, sur le lâcher prise? Elle émerge de cette transe hypnotique profonde. S'en suit un temps
d'échange, je lui parle de mon expérience personnelle récente, puis de la manière dont le fœtus
reçoit sa nourriture, du cordon ombilical etc. Elle me dit qu'elle pensait que le cordon servait
uniquement à retenir le bébé...

Elle est alors prise d'un mal de tête aussi intense que subit. Or lors de ma séance d'HTSMA
personnelle récente, j'avais visualisé mes angoisses sous la forme d'une boule dans ma main avant
de la lâcher. Je lui propose de donner une forme à son mal de tête, c'est une boule (évidemment
aurais-je pu dire). Je lui propose de venir mettre cette boule dans sa main, paume en appui dans la
mienne. L'accordage va se faire au niveau circulatoire. Elle ne sent pas sa main alors que je sens par
le contact intensément une de ses veines battre contre mon majeur, je le lui dis. Je fais silence et me
mets en position d'accueil de la suite du processus. C'est alors que j'entends mes acouphènes
pulsatiles (que j'ai de temps en temps), se synchroniser avec son rythme circulatoire. Je rappelle
qu'elle parvenait à se calmer en prenant son pouls... Je vois ensuite sa main qui penche sur le côté,
qui a un petit sursaut, comme si elle avait laissé tomber une boule. Elle ouvre les yeux, étonnée,
reprenant contact avec la réalité. Je lui demande ce qui s'est passé: la boule est tombée, et le mal de
tête a disparu ! Et elle est redevenue calme.
Je lui demande ce qu'elle va faire de différent. " Je vais raconter ça à ma mère et je vais le refaire
avec elle!".

Ici nous avons une aire de jeu permettant de faire se rencontrer à la fois les imaginaires et les corps,
Le réaccordage mère/enfant peut se jouer par l'intermédiaire de notre synchronisation. J'ai eu
l'impression de danser avec Annabelle: j'avançais d'un pas, elle d'un autre, etc. Travail à partir du
stress du bac grâce auquel nous sommes revenues au problème de départ, l'insécurité dans le lien
mère-fille. Belle symbolisation du travail sur l'attachement et la séparation, qui illustre bien une des
"devises" d’Éric BARDOT: "s'unir pour mieux se séparer, se séparer pour mieux s'unir".

3. M. D. puis Mlle E., des effets en cascade?

Depuis quelque temps j'éprouve de manière répétée de l'angoisse sous la forme d'une boule dans le
ventre, de la taille d'une grosse boule de pétanque, c'est ma réaction corporelle du moment lorsque
j'aborde des problèmes personnels. Le sort que mon inconscient lui réserve est varié: je l'expulse en
me sentant naître (je suis alors la boule), l'angoisse disparaît en s'évaporant comme un nuage
fantomatique de mon ventre, ou quand on me place une belle boule en pierre dans les mains,
(externalisation?).
Je reçois une semaine après ce dernier épisode un couple (M. est suivi dans le cadre d'une
obligation de soins pour violences conjugales), puis une jeune femme aux antécédents de
maltraitance. Dans les 2 cas l'externalisation va s'effectuer sous des formes tout aussi ludiques.
17

Je propose à M. de travailler pour la première fois, en présence de sa femme, en hypnose, sans


d'ailleurs le lui mentionner, son énervement à son travail face à un responsable "qui le cherche". Le
chef devant lui sur l'écran, je l'invite à respirer en dirigeant sa colère vers "le lieu de sa haine", son
cœur. Il se sent s'endormir très rapidement, mais un mal de tête s'installe. Je lui demande la forme
qu'il prend, c'est une grosse pierre. Je l'invite à venir mettre cette pierre dans nos mains, en venant
observer ce qui va se passer, sa main devient très lourde puis légère. Il reste une petite pierre dans sa
main. C'est alors que je reviens sur le préalable que je lui avais proposé, afin de lui montrer les
effets d'un travail classique sur l'analgésie de la main, en soulignant l'aspect magique de nos
pouvoirs. M. est antillais, il associe tout de suite "d'ailleurs j'ai déjà vu un marabout pour un point
de côté quand je courais, il m'a fait mettre une pierre dans la main de l'autre côté et serrer le poing,
c'est parti". Je l'invite alors à aller au travail avec une pierre dans la poche, et à la serrer pour y faire
passer sa colère. Il me dit qu'il va essayer car il y croit !

Je pense que nous avons été dans un accordage à la fois sensoriel (la boule) et cognitif sur ses
croyances. L'hypnose étant très utilisationnelle, j'ai rebondi sur l'efficacité du travail du marabout et
du nôtre (qui a probablement fait écho en lui avec cette pratique de soin traditionnelle), pour lui
faire la même prescription de transfert d'une sensation corporelle dans un objet "magique"..

Le jour même, Mlle E., 26 ans, quinzième séance en 6 mois de suivi. Le sujet du jour est une
agression verbale d'un collègue et sa difficulté à lui répondre. Qu'est-ce qui représente le plus cette
agression? Le doigt pointé sur elle et le "tu, tu", par lequel il projette sa responsabilité des
problèmes sur elle. Je vois un pistolet pointé sur sa poitrine qui la tue. Je lui demande où elle
ressent quelque chose dans le corps lorsqu'elle entend ce "tu tu tu" et voit ce doigt : évidemment
dans la poitrine... Je lui demande si cela la tue, non, "alors, ça vous blesse?" "Oui". "Vous pouvez la
voir cette blessure?" Elle la décrit et me la montre. Je lui propose de l'externaliser sur l'écran.
"Lorsque vous la voyez, là maintenant, qu'est-ce que vous ressentez dans votre corps?" Stupéfaction
chez elle : plus rien, pas d'émotion ni de pensée. Tout s'est volatilisé instantanément ! Et elle voit
son responsable tout petit à côté de cette blessure qui me fait furieusement penser à des grandes
lèvres et un vagin, ou à l'homme avalé par une baleine.. Elle le voit disparaître dedans. Je lui parle
d'abord de la baleine, "oui c'est dans Pinocchio", puis je lui dis que je me demande s'il n'a pas un
problème avec les femmes, "oh ça oui!", et nous rions sur cette aspiration redoutée par le ventre
maternel...

Bel exemple d'accordage sensoriel et imaginaire dans lequel nous avons toutes deux pris plaisir à
jouer...

4. Mlle F., déblocage urinaire

Elle vient pour une anxiété croissante depuis sa grossesse, sur fond de multiples traumatismes.
Thérapies sans effet à l'adolescence, "j'ai du raconter au moins cent fois mon passé!, J'en ai eu
marre, j'ai tout arrêté". C'est un psychiatre du Centre d’Accueil et de Crise qui lui a conseillé
l'hypnose, une amie à elle en a fait, cela a marché.
Elle me raconte, entre autres, qu'elle ne peut pas uriner quand elle est angoissée, son mari doit
l'accompagner aux WC et lui tenir la main.
Pour terminer cette première séance je lui propose de tenter d'apaiser cette angoisse. Elle se
positionne sur les WC, je la fais se voir sur l'écran assise sur la cuvette et la fais respirer dans le bas
ventre en acceptant cette tension. Elle s'apaise très vite, lorsque je lui représente l'écran elle se voit
uriner. Je fais alors une courte induction hypnotique en lui disant qu'elle peut profiter de ce moment
de bien-être assise sur la cuvette, ajoutant que souvent les garçons le font pour éviter les corvées.
Lorsqu'elle ouvre les yeux, elle commente "je me suis vue à mon mariage, j'étais bien, j'étais
18

soulagée, j'ai pleuré. J'adorais lire aux WC avant, je ne le fais plus maintenant, je me l'interdis car il
y a tant à faire!".

Bel accordage de nos imaginaires... Allez savoir pourquoi je l'ai invitée à profiter du bien-être des
toilettes comme pour éviter les tâches ménagères, alors qu'elle se l'interdit maintenant du fait du
travail !
19

Compléments théoriques (notes de lecture)

1. Daniel STERN « Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de


sable », 2003, ed O. Jacob
Résumé de notes de lectures personnelles effectuées par Régine PICAMOLES en vue de cette
intervention

Daniel Stern a développé en 2003 dans cet ouvrage une double hypothèse sur les processus de
changement :
 le changement découle de "moments présents", moments de rencontre thérapeute/patient
fondés sur l'expérience vécue émotionnelle partagée physiquement, émotionnellement et
implicitement, et pas seulement expliquée. La thérapie est un voyage créé à deux, elle prend
forme dans une matrice intersubjective.
 le travail thérapeutique dans le "ici et maintenant" est le plus apte à provoquer le
changement. L'accent doit être mis sur l'expérience implicite plutôt que son contenu
explicite, en d'autres termes à ce qui est vécu dans l'instant dans la relation
patient/thérapeute plutôt qu'à la compréhension de son sens. Il est pour lui plus stratège de
lui faire vivre pleinement la relation immédiate. L'expérience s'enrichit ainsi bien plus que
dans une compréhension cognitive.

Daniel STERN s'appuie sur son expérience de chercheur, entre autres les interactions mère/enfant,
pour faire le constat suivant:
 l'esprit est "incarné" (nouveau paradigme dans les sciences cognitives). Il rappelle que Freud
concevait la pensée comme une forme dérivée (secondaire) de l'action inhibée et que l'action
dominait pour lui.
 l'intrapsychique est subordonné à l'intersubjectif. L'idée d'une psychologie à une personne
est impensable.

Expérience intersubjective

En effet, notre vie mentale est co-créée dans une intersubjectivité présente dès la naissance grâce à
une capacité innée de pénétrer dans l'expérience de l'autre et d'y participer. Il signale que les bébés
ne communiquent dans le registre explicite verbal qu'après 18 mois environ, quand ils commencent
à parler. Par conséquent, toutes les interactions riches, analogiquement nuancées, affectives et
sociales qui ont lieu avant se produisent dans le domaine non verbal implicite. Il va même jusqu'à
dire que la nature a eu la sagesse de n'initier les bébés au langage symbolique qu'après un an et demi
afin qu'ils aient le temps d'apprendre comment le moule humain fonctionne vraiment sans la
distraction et la complication des mots, mais avec l'aide de la musique du langage. C'est pourquoi il
donne la prééminence aux événements implicites qui occupent le moment présent dans le processus
thérapeutique.

Le dialogue continu de co-création avec d'autres esprits est ce qu'il appelle la matrice
intersubjective Elle s'approfondit et s'enrichit à chaque phase de notre développement.

La matrice intersubjective dans le moment « maintenant »

L'idée centrale à propos des moments de changement est qu'une expérience "vraie" entre 2
personnes ou plus émerge d'une manière assez inattendue dans une période de temps très court
comme "maintenant". Cette expérience vécue ensemble est partagée mentalement au sens où chacun
participe intuitivement à l'expérience de l'autre. Les frontières entre soi et les autres restent claires
mais deviennent plus perméables. Pour qu'il y ait écho entre deux êtres, les deux personnes
20

impliquées doivent être synchrones sans en être conscientes. Quand deux personnes nouent un
contact intersubjectif, cela implique une interpénétration mutuelle d'esprits qui nous permet de dire :
"je sais que tu sais que je sais" ou : "je sens que tu sens ce que je sens". Il y a lecture d'une partie du
contenu de l'esprit de l'autre. Ces lectures peuvent être réciproques. Deux personnes voient et
ressentent en gros le même paysage mental pendant au moins un moment. Nous sommes capables
de "lire" les intentions des autres et de ressentir dans notre corps ce qu'ils ressentent. Non pas d'une
manière mystique, mais en observant leurs visages, leurs mouvements, leurs postures, en entendant
le ton de leur voix, et en remarquant le contexte immédiat de leur comportement. Nous sommes
assez doués pour cette "lecture mentale", même si nos intuitions ont besoin d'être vérifiées et
précisées.

Quand deux personnes co-créent une expérience subjective dans un moment présent partagé,
chacun a sa propre expérience, plus l'expérience que fait l'autre de soi. Ces deux expériences ne sont
pas nécessairement les mêmes. Mais elles se sont suffisamment semblables pour que, lorsque les
deux expériences sont mutuellement validées, surgissent une "conscience" de partager le même
paysage mental. Voilà la "conscience intersubjective". L'expérience vécue par un individu active
presque la même expérience chez l'autre par le biais du partage intersubjectif. Le premier envoie
alors un reflet dans le regard et le comportement du second. Quand ils se rencontrent dans ce
moment présent partagé, une boucle de réentrée est créée entre les deux esprits. L'échange de
regards est particulièrement bien adapté pour permettre à la boucle de réentrée intersubjective de
résonner et de rester activée pendant les quelques secondes nécessaires au moment présent pour
faire son travail. Cela donne lieu à une expérience "plus élevée" chez les deux.
Dans les moment important d'une thérapie, il se peut que chacun se sente l'expérience de l'autre,
comme les deux ont senti la participation mutuelle dans l'expérience de l'autre. Il s'est produit, dans
ce sens, une interpénétration d'esprit – un nouvel état d'intersubjectivité a été créé entre thérapeute
et patient.
Ce partage intersubjectif d'une expérience mutuelle est saisi sans qu'il soit nécessaire de le
verbaliser et s'intègre au savoir implicite de leurs rapports. Il crée un nouveau champ intersubjectif
qui modifie leurs rapports et leur permet de prendre ensemble des directions différentes. On pense
que la conscience naît, en termes neuronaux, par le biais du processus de réentrée. L'instant vécu
prend une forme spéciale de conscience et devient codé dans la mémoire.

Le contexte thérapeutique du « maintenant »

La régulation du champ intersubjectif en thérapie, moment présent par moment présent, se produit
principalement non verbalement, non consciemment et implicitement. Une grande partie du
transfert tombe dans la catégorie de la connaissance implicite d'un genre ou l'autre. Seule une partie
peut et sera verbalisée, en cas de besoin.

Il est essentiel que la rencontre intersubjective se produise dans l'ici et maintenant, c'est-à-dire dans
un moment présent, de sorte que les deux "prises" de l'expérience (celle du moi et celle réfléchie par
l'autre) se produisent simultanément et deviennent ensemble une partie d'une même structure. Cette
structure inclut, et c'est important, le déroulement temporel de l'histoire vécue dont les deux
partenaires font l'expérience. Ils ont fait et vécu quelque chose ensemble. Ce partage est le contenu
du moment présent qui est conscient intersubjectivement. Il peut alors entrer dans la mémoire à long
terme, s'intégrer à des réseaux associatifs et devenir suffisamment verbalisé pour des besoins
thérapeutiques.

Physiologie intime de l'intersubjectivité

Sur le processus thérapeutique, Daniel STERN déclare que le cheminement à deux est un processus
spontané, imprévisible localement (si le thérapeute pense savoir, il est en train de traiter une théorie
21

et non pas une personne). L'imprécision résulte de l'interaction de deux esprits travaillant dans le
style "touché – raté – réparation – élaboration" pour co-créer et partager des mondes semblables.
Ces faux pas sont extrêmement précieux parce que la manière de négocier les réparations et de
corriger les ratés est l'une des plus importantes façons d'être ensemble. Cette imprécision crée
quelque chose qu'il faut vivre et résoudre plutôt que comprendre. Elle est potentiellement créatrice
que lorsqu'elle se produit dans un cadre de travail clair. Sinon ce n'est que du désordre. Par
conséquent, le thérapeute doit travailler avec une technique et des directives théoriques avec
lesquelles il se sent à l'aise et qu'il maîtrise bien. Il doit pouvoir trouver dans l'urgence des réponse
authentiques, spontanées, dépassant la réponse technique, neutre, sans que l'angoisse ne le conduise
à se cacher derrière des techniques standards.
Dans ces "moments urgents", il se produit une crise qui se résout dans le moment d'une rencontre
réussie, ce qui entraîne un passage irréversible à un nouvel état. La thérapie reprend son
cheminement, mais dans un champ intersubjectif nouvellement élargi qui ouvre différentes
possibilités. Souligner verbalement un événement aussi nodal éloigne nécessairement le processus
de l'ici et maintenant en cours, on abandonne la relation immédiate pour aller ailleurs. Il vaut mieux
laisser le flux accomplir son travail et trouver sa propre destinée immédiate.

Dans un voyage de sentiments partagés, l'expérience est partagée et vécue par les deux pendant
qu'elle se déroule. C'est direct, non transmis et non reformulé en mots. Thérapeute et patient
apprennent implicitement des moyens de réguler leur champ intersubjectifs. Cette chorégraphie
délicate se passe surtout en dehors de la conscience.
Le cheminement à deux peut conduire à des changements spectaculaires dans le rapport implicite et
favoriser un changement thérapeutique, en permettant au patient de vivre une nouvelle expérience
qui ne répare pas le passé en remplissant un manque, mais plutôt comme la création d'une nouvelle
expérience qui peut être poursuivie et enrichie à l'avenir. Ce point de vue ne se fonde pas sur un
modèle déficitaire, mais sur un modèle créateur de contextes dans lesquels on permet à des
propriétés émergentes nouvelles d'exister et où on les encourage à survenir.

Le moment présent et le passé sont à la fois parent et enfant l'un de l'autre. L'expérience du moment
présent peut réécrire le passé et devenir une cible pour l'exploration thérapeutique.
On ne peut pas changer sans modifier le passé fonctionnel, à savoir le passé activé qui influe
maintenant le comportement présent. Le moment présent est un "contexte de remémoration présent"
qui choisit les fragments du passé activé, à amener dans le présent, et décide de la manière dont ils
seront assemblés pour traiter au mieux la situation présente et l'influencer. Dans cette nouvelle
expérience qui surgit dans le processus de cheminement à deux, il va agir comme un nouveau
"contexte de remémoration présent"et créer un nouveau passé fonctionnel susceptible de jouer sur le
présent. De plus, le moment présent change le passé fonctionnel en le réécrivant et en effaçant ses
vieilles traces au cours d'une nouvelle expérience. Une nouvelle expérience peut réécrire le circuit
neuronal et l'expression phénoménale d'une autre expérience déjà écrite et remémorée.

Le langage

S'il est utile d'attirer l'attention sur l'expérience directe et implicite, il est important de se rappeler
que l'expérience contenue dans les moments présents se produit parallèlement à l'échange de
langage pendant une séance. Les deux se renforcent et s'influencent l'un l'autre tour à tour.
En mettant l'accent sur l'expérience implicite plutôt que son contenu explicite, les objectifs
thérapeutiques s'intéressent davantage à l'enrichissement et à l'approfondissement de l'expérience
plutôt qu'à la compréhension de son sens. L'observateur/auditeur se doit d'être simultanément
attentif à deux choses, au contenu verbal et explicite et à l'expérience implicite. Mais il est difficile
de suivre les deux voies avec une attention égale si l'on est pas persuadé qu'elles ont toutes deux
autant de valeur dans le traitement. Et de nombreuses approches n'en sont pas convaincues.
Néanmoins, quand on accorde autant d'importance à ces deux voies, il devient aussi raisonnable et
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fructueux d'intervenir à propos d'un petit comportement implicite qui compose un moment présent
que pour une verbalisation. Le spectre des possibilités thérapeutiques s'en trouve grandement
étendu. Quand nous nous concentrons sur le niveau local et constitué de moments présents, une
sensibilité clinique différente se fait jour. On devient plus conscient des petits événements,
notamment les événements non verbaux et implicites.
Il est parfois plus sage sur le plan stratégique de remettre à plus tard une interprétation/explicitation
de transfert et d'attendre de voir vers quoi tend le champ intersubjectif. Dès l'instant où vous
proposez une interprétation de transfert, ou une interprétation, quelle qu'elle soit, vous faites sortir
le patient du présent avant même que celui-là ait fini d'évoluer. Il s'agit de maintenir la théorie à
distance pendant une séance de sorte que la relation immédiate ait des chances d'être vécue plus
pleinement.

Bien entendu, il faut une quête de sens pour construire une compréhension psychodynamique et
créer un récit de vie. Pour cela, le compte rendu explicite verbal de l'expérience du patient est
primordial. Mais il faut également qu'il y ait un processus permettant d'apprécier plus profondément
l'expérience du patient, de sentir son expérience et de la partager avec lui, de sorte que se crée un
enrichissement de son identité, de l'impression que cela donne d'être et d'être avec lui. Et pour cet
enrichissement de l'expérience d'un autre, le cheminement à deux en séance, les moments présents
intersubjectivement partagés et la connaissance implicite sont primordiaux.

**

Sur un plan neurologique, l'analyse du fonctionnement des neurones miroirs fournit des des
hypothèses sur les mécanismes neurobiologiques éventuels pour la compréhension des phénomènes
suivants : la lecture des états d'esprit d'autrui, notamment les intentions ; le fait de faire écho à
l'émotion d'autrui ; vivre ce que quelqu'un d'autre vit, saisir une action observée afin de pouvoir
l'imiter ; en bref entrer en empathie ou en sympathie avec autrui et établir un contact intersubjectif.
Ces neurones miroirs, situés à côté des neurones moteurs, déchargent chez un observateur qui ne
fait rien d'autre que de regarder un autre agir. Nous vivons l'autre comme si nous effectuions le
même acte ou ressentions la même émotion grâce à ces mécanismes comme si.
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2 Roland JOUVENT "Le cerveau magicien. De la réalité au plaisir psychique",


2009, O. Jacob
Notes de lectures effectuées par Régine PICAMOLES en vue de cette intervention

Il y écrit en 2009 à propos du remodelage du souvenir en psychanalyse: "nos deux cerveaux


magiciens s’employent à défaire quelques mailles du passé pour le retricoter, lui donner une autre
forme. [...] Ce que Wildlöcher appelle le travail de 'copensée', je crois que c’est une synchronisation
de deux mémoires, celle de l’analysant et celle de l’analyste."
"Le cavalier donne le sens, le cheval donne les sens".
Victorio Gallese, cité: "l’émotion de l’autre est constituée, expérimentée et par conséquent
directement comprise au moyen d’une simulation intégrée qui engendre le partage d’un état du
corps. C’est l’activation d’un mécanisme neuronal partagé par l’observateur et par l’observé qui
permet une compréhension expérientielle directe". Le système miroir pourrait représenter "les bases
neurales" de l’empathie, au travers d’états diversifiés d’intersubjectivité.
Le psychanalyste doit se poser une question comme "qui dit quoi à qui en moi ?"
C’est l’empathie humaine telle que Greenson l’a définie : "Je change mon mode d’écoute. D’une
écoute extérieure je passe à une écoute intérieure. Je dois laisser une partie de moi-même devenir
ma patiente, vivre ses expériences comme si j’étais elle, pour écouter alors ce qui se passe chez moi.
On partage la qualité, non la quantité des sentiments. Le but de l’empathie en psychanalyse est
d’acquérir une compréhension, et non de trouver une plaisir substitutif. Il s’agit essentiellement
d’un phénomène préconscient qui peut avoir lieu silencieusement et automatiquement, en alternance
avec d’autres formes de communication. Son mécanisme essentiel est une identification partielle et
temporaire avec le patient".
Cette empathie de haut niveau définit la vraie métacommunication interhumaine. Elle permet alors
le repérage chez le psychanalyste de l’obturation inconsciente du patient. Elle est facilitée par la
situation psychanalytique, qui augmente le partage à deux, de l’intérieur.
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3. Jean-Claude AMESIEN "Les battements du temps (38) - « Plus vaste que le ciel… »",
France Inter, émission du samedi 23 juin 2012
Transcription effectuée par Régine PICAMOLES en vue de cette intervention

Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia (cf. livre Les Neurones miroirs, éd. Odile Jacob, paru en
2008) ont identifié en 1998 chez les primates non humains puis chez les humains d’un des supports
biologiques de l’empathie dans des réseaux de cellules nerveuses, les réseaux miroirs. Ils s’activent
en nous à la fois lorsque nous effectuons un geste, avant de commencer à effectuer ce geste, et
lorsque nous voyons une autre personne faire le même geste. Ils nous permettent de mimer en nous,
de ressentir, de vivre en nous ce dont nous ne percevons de l’autre que le reflet. Ces réseaux
permettent aussi de mimer en nous les expressions de leur visage, les modulations de leur voix, qui
traduisent les émotions et les intentions, l’étonnement, la peur, etc. Les réseaux miroir sont un des
supports de ce que Liptz avait appelé "la connaissance du moi étrange".
Cet accès spontané, immédiat, inconscient mais toujours indirect, toujours incertain à ce que vivent
et ressentent les autres, cette fenêtre continuellement ouverte en nous sur les reflets que nous
percevons des mondes intérieurs des autres.
Giacomo Rizzolatti écrit aussi : "Ces neurones miroir révèlent à quel point est profondément ancré
en nous le lien qui nous attache aux autres, à quel point serait étrange l’idée d’un Je qui existerait en
l’absence d’un Nous".

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