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LA THÉRAPIE BRÈVE DE PALO ALTO : L'APPROCHE

INTERACTIONNELLE DES SITUATIONS DÉPRESSIVES


Olivier Delroeux

Médecine & Hygiène | « Thérapie Familiale »

2008/4 Vol. 29 | pages 513 à 534


ISSN 0250-4952
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Thérapie familiale, Genève, 2008, Vol. 29, No 4, pp. 513-534

LA THÉRAPIE BRÈVE DE PALO ALTO :


L’APPROCHE INTERACTIONNELLE
DES SITUATIONS DÉPRESSIVES
Olivier DELROEUX1

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Résumé : La thérapie brève de Palo Alto : l’approche interactionnelle des situations dépressives. – Cet
article se propose de répondre à la question suivante : comment le modèle de thérapie brève, dû aux insti-
gateurs du Mental Research Institute (MRI – Palo Alto) et à leurs disciples européens, voit et traite une des
plaintes les plus communes en psychiatrie, celle du patient déprimé. Les prémisses théoriques (la non-
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séparation de l’observateur et de l’observé, du sujet et de son environnement) induisent une conception


interactionnelle de la nature du problème et du changement. Au niveau clinique, les deux aspects, construc-
tiviste et systémique, s’enchevêtrent pour donner contexte au processus des tentatives de solution (nature
du problème) et à l’approche paradoxale (nature du changement).

Summary : Palo Alto brief therapy : the interactive approach to depressive situations. – This article sets
out to answer the following question : how does the brief therapy model (developed by researchers at the
Mental Research Institute in Palo Alto USA and their European disciples) see and treat one of the most
common complaints in psychiatry, that of the depressed patient ? The theoretical premises (the non-separa-
tion of the observer and the observed, the subject and its environment) induce an inter-active concept of
the nature of the problem and change. At the clinical level the two aspects, constructivist and systemic,
become entangled to provide the context for the process of attempted solutions (nature of the problem) and
for the paradoxical approach (nature of the change)

Resumen : La terapia breve de Palo Alto : el enfoque interactionnelle de las situaciones depresivas. – Este
artículo se propone responder a la siguiente cuestión : cómo el modelo de terapia breve, debido a los insti-
gadores del Mental Research Institute (MRI- Palo Alto) y a sus discípulos europeos, ve y trata una de las
denuncias mas comunes en psiquiatría, la del paciente depreso. Las premisas teóricas (la no separación del
observador y el observado, del tema y su medio ambiente) inducen una concepción interactionnelle de la
naturaleza del problema y el cambio. A nivel clínico, los dos aspectos, constructiviste y sistémico, se enma-
rañan para dar contexto al proceso de las tentativas de solución (naturaleza del problema) y al enfoque
paradójico (naturaleza del cambio).

Mots-clés : Approche systémique – Constructivisme – Situations dépressives – Thérapie brève.

Keywords : Systemic approach – Constructivism – Depressive situations – Brief therapy.

Palabras claves : Enfoque sistémico – Constructivisme – Situaciones depresivas – Terapia breve.

1
Assistant en Psychiatrie, Université Catholique de Louvain, Hôpital Ste Thérèse, 6060 Montignies-
Sur-Sambre, Belgique.

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Introduction

En 1999, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonce que la prévalence


et l’incidence de la dépression progressent de façon préoccupante (un peu plus 100 mil-
lions de déprimés dans le monde) et prédit qu’elle deviendra le deuxième grand pro-
blème de santé publique d’ici les vingt prochaines années (soit 350 millions de per-
sonnes déprimées, dont environ 1,5 million en Belgique en 2020).
Face à cette « épidémie », la réponse prédominante de la psychiatrie actuelle est
la mise en avant d’un modèle biomédical, succombant à l’idée que la dépression est
« une maladie au même titre que le diabète » (Mondimore, 1993). Il existe une large
littérature suggérant qu’il y a une forte composante biologique au sein de certaines
dépressions. Mais surtout, découverts fortuitement dès 1952, les médicaments à pro-
priété antidépressive ont montré depuis la preuve de leur efficacité, soulageant des

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millions d’individus déprimés.
Néanmoins, l’approche biomédicale de la dépression est loin d’apporter une per-
spective parfaite et complète de la dépression. En porte-à-faux de l’efficacité très
médiatisée des médications, les avancées pour une théorie cohérente de la biologie
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de la dépression sont actuellement peu convaincantes. En ce qui concerne l’usage des


antidépresseurs, on note certaines restrictions : les changements d’humeur ne survien-
nent qu’après deux à trois semaines, un tiers des patients ne répond pas au traitement
et lorsqu’on l’arrête, il ne protège pas contre la rechute. De plus, le patient attribue sa
guérison à une solution extérieure et n’a donc acquis, ni conscience des problèmes
interactionnels, ni confiance en ses propres capacités de se guérir. Du côté de beau-
coup de personnes déprimées, l’approche n’est pas considérée comme efficace ou
acceptable et plus d’un tiers ne sera dès lors pas compliant (Coyne, 1987).
D’un autre côté, on ne peut plus ignorer le contexte interpersonnel de la dépres-
sion. On sait que les antidépresseurs ont par eux-mêmes peu d’effet sur les problèmes
interpersonnels: les patients semblent rester hostiles, inhibés, voire dépendants de leurs
relations (Coyne, 1987). Des recherches ont confirmé que la transmission sociale de la
dépression est supérieure à la transmission génétique de la dépression (Joiner, Coyne,
Blalock, 1999). De plus, un traitement psychothérapique amène des avantages vis-à-vis
d’un traitement médical : les individus dépressifs se sentent mieux pendant le traite-
ment, des taux de succès identiques voire plus élevés, un pronostic meilleur au long
cours (Antonuccio, Danton et Denelsky, 1995).
Dans ce contexte-là, et alors que d’autres pratiques psychothérapeutiques sont vali-
dées pour traiter la dépression (les thérapies cognitives et interpersonnelles, par exem-
ple), il est temps que les tenants de la thérapie dite « brève » de Palo Alto (modèle du
MRI) présentent leur perspective interactionnelle en tant qu’alternative ouverte.
Cet article va se décliner en trois temps : un temps où sont explicitées les prémis-
ses théoriques et pratiques de l’intervenant en thérapie brève, un deuxième temps où
se dessine l’interaction problématique qui se joue entre le patient et son environne-
ment (ou lui-même), enfin un troisième temps où se configure l’interaction théra-
peutique.
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Les prémisses de la thérapie brève

Cette première partie va expliciter les métapropositions ou prémisses de l’inter-


venant en thérapie brève, c’est-à-dire les mythes ou les « histoires qu’il se raconte »
qui le guident dans les choix à faire dans la description du problème et de sa résolu-
tion (Weakland, 2000).

Les prémisses théoriques


La prémisse constructiviste
Selon cette prémisse, il s’agit de savoir comment se positionner vis-à-vis de la
connaissance du réel. La prémisse ontologique, prédominante dans l’histoire occiden-
tale des idées, postule le mythe de l’objectivité : il existe une réalité, indépendante de

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l’observateur.
A contrario, la prémisse constructiviste postule l’hypothèse « interactionniste » : la
réalité est le résultat de l’interaction entre l’observateur et l’objet observé. Comme dit
Piaget (1937) : « l’intelligence (et donc l’acte de connaître)… organise le monde en
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s’organisant elle-même. » Ainsi, la connaissance est conçue comme une « réalité »


dont la description ne peut être séparée de celui qui décrit.
A la suite des épistémologues constructivistes (Von Foerster, Von Glaserfeld,
Varela,…), Watzlawick (1991) affirme que nous sommes prisonniers d’une erreur
consistant à supposer que « la construction d’une réalité qui convient passablement
peut donner la certitude que le monde est “vraiment” ainsi». Par la prémisse construc-
tiviste, la thérapie brève de Palo Alto se targue de remplacer la réalité objective par
les multiples illusions ou croyances que chaque individu se construit pour répondre
aux contraintes de son contexte de vie. En effet, la littérature scientifique pointe de
manière croissante les effets bénéfiques voire curatifs de nos perceptions illogiques et
nos croyances non vérifiées en ce qui concerne l’adaptation aux événements de vie
comme la maladie ou les traumatismes (Tennen, et al., 1991).

La prémisse systémique ou cybernétique


De nombreuses prémisses tentent de donner un sens face à une réalité particulière,
celle des comportements bizarres, illogiques ou dérangeants. La prémisse monadique,
majoritaire en Occident, a depuis longtemps postulé le mythe de l’individu isolé : les
déterminismes du comportement humain sont rassemblés à l’intérieur de l’individu,
séparé de son environnement. Corollaires à cette prémisse, la méthodologie analy-
tique préconise de décomposer l’objet d’étude en plusieurs parties et le déterminisme
positiviste, d’expliquer les phénomènes par un enchaînement linéaire de cause à effet.
Depuis les années 1950, la prémisse systémique ou cybernétique est apparue : les
déterminismes du comportement humain se situent dans les interactions entre l’indi-
vidu et son milieu. Cette perspective est facilitée par la modélisation systémique, qui
prétend étudier les systèmes vivants considérés comme des totalités émergentes et
mettre en évidence ses propriétés spécifiques (totalité, rétroaction, équifinalité). De
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plus, l’explication cybernétique met en exergue le concept d’« information », illustrant


la rétroaction de l’effet sur sa propre cause sous forme d’une causalité circulaire.
Le passage de la psyché au système va induire de nouvelles recherches et per-
spectives. Ainsi les études sur la communication et ses effets pragmatiques vont
aboutir à des hypothèses quant à leur participation à des problèmes cliniques (la
théorie de la « double contrainte » (1956) par Bateson et son équipe, un essai de for-
malisation dans l’ouvrage Une logique de la communication (1967) par Watzlawick
et ses collègues) et à leur utilisation dans la relation thérapeutique. L’intervenant ne
se demande plus : « Pourquoi le patient désigné se comporte-t-il de façon bizarre et
irrationnelle ? », mais plutôt : « Dans quel milieu ce comportement a-t-il un sens et se
peut-il qu’il soit le seul comportement possible ? », « Quel type de solution le sys-
tème a-t-il engendré jusqu’ici ? » et « Comment les personnes, choisies dans le sys-
tème, peuvent-elles le mieux être induites à perpétrer un changement ? ».

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Les prémisses pratiques
Afin de développer les perspectives thérapeutiques, le psychiatre Don Jackson
fonde le Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto (Californie) en 1959 et un
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groupe de thérapeutes (Watzlawick, Weakland et Fisch) crée le Centre de thérapie


brève en 1967. Dès 1974, ils mettent au point un modèle thérapeutique synthétisant
les contributions systémiques et stratégiques.
Ce modèle est une approche pragmatique basée sur le « comment » (les observa-
tions ici-et-maintenant) à l’origine d’une vision interactionnelle (ce qui se produit
dans les systèmes d’interaction humaine), focalisée sur le processus du problème
reporté (la façon dont les systèmes d’interaction continuent de fonctionner ainsi) et
sur les potentialités de changement (la façon dont ils peuvent être plus efficacement
transformés) (Weakland, et al., 1974).

La vision interactionnelle
La conception initiale du comportement problématique est résolument interaction-
nelle. La thérapie brève de Palo Alto intègre deux aspects des interactions humaines,
systémique et constructiviste : le patient fait partie d’un système qui conditionne son
comportement (aspect systémique) et dispose aussi de ses propres croyances (aspect
constructiviste) qui influencent réciproquement le système.
On peut considérer qu’un comportement (pensées, actions, sentiments, voire res-
sentis physiques), étiqueté normal ou problématique « est avant tout continuellement
façonné et maintenu (ou modifié) par des renforcements qui se développent au sein
du système d’interaction sociale dans lequel est pris l’individu particulier agissant »
(Fisch, Weakland, Segal, 1986). En effet, au sein de n’importe quel rapport durable,
des modèles d’interaction se développent, plus ou moins rapidement, et puis persis-
tent en grande partie en raison des renforcements réciproques.

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L’origine et la persistance d’un problème


En cohérence avec une vision interactionnelle, l’équipe du MRI suggère que deux
conditions sont nécessaires pour qu’une difficulté devienne un problème (le compor-
tement non désiré).
Premièrement, la condition « étiologique » est le fait qu’une difficulté devient un
problème lorsqu’elle a été mal gérée. Pour le dire autrement, « le problème, c’est la
solution » : les efforts délibérés du patient ou/et des autres personnes impliquées
dans la situation conduisent involontairement à maintenir ou à exacerber le compor-
tement problématique lui-même (Waztlawick, et al., 1975 ; Fisch, et al., 1986).
Deuxièmement, la condition « cybernétique » s’établit lorsque, les efforts s’avérant
infructueux, l’individu concerné continue à les appliquer coûte que coûte (il fait « plus
de la même chose »). Il devient comme l’homme proverbial attrapé dans le sable mou-

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vant : plus il lutte, plus il s’enfonce et plus il s’enfonce, plus il lutte. Ces solutions
n’en sont pas au vu de l’exacerbation du problème : on parle dès lors de « tentatives
de solution » (Watzlawick, et al., 1975).
Pourquoi les gens persistent-ils dans une solution qui s’avère catastrophique pour
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eux ? Les instigateurs de la thérapie brève pensent que « le problème n’est pas tant
que les gens sont illogiques, mais qu’ils continuent en toute logique dans une direc-
tion qui découle de prémisses inexactes ou inapplicables, et cela même lorsque leurs
prémisses ne marchent pas dans la pratique » (Fisch, et al., 1986). De plus, les études
en psychologie sociale confirment le « conservatisme cognitif » : nous tendons à main-
tenir nos schémas explicatifs personnels, à valider les éléments qui les corroborent
et à ne pas tenir compte de ceux qui les infirment, même en cas de contradiction évi-
dente (Janoff-Bulman, 1992).

L’action thérapeutique
L’action thérapeutique se définit par l’abandon des solutions tentées par le patient
ou les membres de son système interactionnel, ce qui exige soit de modifier l’interpré-
tation du comportement problématique (le recadrage), soit de promouvoir un com-
portement de nature radicalement différente (la prescription de comportements), ou
les deux. Ainsi le problème peut disparaître ou redevenir une simple difficulté.
Agent actif du changement, le thérapeute rassemble l’information pertinente sur
le contexte (problème et solutions tentées), utilise les ressources du système (identi-
fication du membre du système le plus motivé à changer) et réfléchit à ce que pour-
raient être les changements les plus stratégiques avant de prendre les mesures.
Tentant de promouvoir une logique et des comportements contraires au bon sens,
le thérapeute utilise l’approche paradoxale, qui colore toutes ses interventions. Elle
nécessite obligatoirement une bonne relation thérapeutique, un style de communica-
tion et une posture particulière (Bouaziz, 1999).

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La logique interactionnelle des situations dépressives

Cette deuxième partie va mettre en avant l’interaction problématique qui a lieu


entre le patient et son environnement (au niveau systémique) ou la réalité (au niveau
constructiviste).

Le problème de la dépression
La définition de la « dépression »
Au sens lexical, le mot dépression indique un enfoncement dans le relief ou une
baisse de la pression atmosphérique à l’origine d’un temps pluvieux ou froid (Le
Robert micro, édition 1998). Etymologiquement, il signifie « exercer une pression du
haut vers le bas ». Référé au système humain, le terme évoque la rupture d’un équi-

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libre et d’une conséquente chute de l’état d’esprit, un « affaissement » (Muriana, et al.,
2006).
Le phénomène de la dépression est fondamentalement hétérogène et il existe des
divergences fondamentales dans la façon dont les intervenants en santé mentale ten-
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tent de le définir. Leurs critères sont par nature arbitraires et restreints par leurs cadres
théoriques. Face à cette ambiguïté inhérente, Coyne nous invite à « être sceptique
vis-à-vis de n’importe quel état des lieux définitif au sujet de la nature de la dépres-
sion » (Coyne, 1985).

Les définitions normatives en santé mentale


Les divers intervenants de la santé mentale sont, comme dans une parabole indienne,
des aveugles autour d’un éléphant : chacun d’entre eux touche des parties différentes
de l’animal et déclare que la partie qu’il touche représente la « vérité » de la constitu-
tion de l’éléphant. L’aveugle, qui touche la trompe, dit que c’est quelque chose de long
et d’élastique ; l’homme, qui touche le flanc déclare qu’un éléphant est une masse de
chair, etc. Ainsi ils se disputent.
• Une première source de confusion est due au fait que le terme « dépression » réfère
de façon variable à un état d’humeur, une série de symptômes, et un syndrome
clinique (Coyne, 1985). Deux perspectives se dessinent dès lors : les avocats de
la causalité psychosociale défendent l’hypothèse de la continuité entre l’humeur
triste de l’homme ordinaire et les plaintes du patient dépressif, tandis les avocats
d’une causalité biologique plaident pour l’hypothèse de la discontinuité, recher-
chant les marqueurs de la dépression clinique (Coyne, 1985).
• Une deuxième source de confusion est la distinction entre présence et absence
d’une dépression significative. Le postulat actuel, « la nosologie précède l’étiolo-
gie », communique l’idée que la capacité à identifier les causes de la dépression
dépend de l’existence d’un diagnostic et d’un système classificatoire adéquats
(Coyne, 1985). C’est à cela que s’attelle, depuis plus de 50 ans, le système de
diagnostic dominant, le DSM, utilisant des critères arbitraires et réduisant la
dépression à un trouble de l’humeur.
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En parallèle à la distinction normal/pathologique, le psychiatre Don D. Jackson


écrivait en 1967 : « La personne normale ? Cet animal n’existe pas », il affirmait ainsi
qu’il n’existe aucun critère de la « normalité » ou de la « bonne santé » psychologiques
et que « le mythe de la normalité exerce une influence insidieuse » sur l’attitude du
psychiatre et sur la vie de tout un chacun. En effet, nous inventons des « schémas
explicatifs », ici les étiquettes diagnostiques, afin d’apporter de la logique et du sens
aux situations incompréhensibles et complexes de la psychiatrie. Dans un cadre tra-
ditionnel, l’intervenant n’est pas conscient du caractère construit de ses explications
et les considère comme existant indépendamment de lui. Ainsi, les outils descriptifs
et étiologiques du psychiatre finissent par créer une réalité qui se confirme par elle-
même (Nardone, Portelli, 2005).

La co-construction non normative du problème

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En porte-à-faux de la conception psychiatrique traditionnelle avec ses critères, le
plus souvent de l’adaptation à la réalité « objective », la thérapie brève de Palo Alto
utilise un critère non normatif : la situation vécue comme douloureuse par le « plai-
gnant ». Le terme « dépression » étant utilisé couramment et, de ce fait, dépassant lar-
gement son acceptation nosographique, le plaignant peut s’exprimer en terme nor-
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matif : « Je suis déprimé ».


Si on prend comme point de départ l’expérience dépressive vécue par les patients,
les données confirment le caractère hétérogène et multidimensionnel du phénomène
(Yapko, 1988 ; Coyne, 1985). Les aspects émotionnels de la dépression, souvent
réduits à l’humeur triste dans la nosographie actuelle (DSM IV-R), révèlent d’autres
manifestations telles que l’anxiété, la colère et l’hostilité (Coyne, 1985). De plus, on
note une évolution jusqu’à la dépression sévère, où les sentiments de tristesse peu-
vent être déniés ou voir leur expression inhibée (le ressenti est là mais les larmes ne
viennent plus). Les aspects cognitifs de la dépression ont été le point de mire des théo-
ries cognitives (la théorie de l’impuissance acquise de Seligman, les distorsions cogni-
tives de Beck). Les aspects physiologiques de la dépression (troubles du sommeil, de
l’appétit, de la sexualité et douleurs) ont souvent été utilisés comme la ligne de démar-
cation entre la tristesse normale et la dépression clinique, soulignant la composante
biologique de cette dernière. Les aspects comportementaux et interpersonnels sont
subtilement corrélés (Coyne, 1985). Yapko évoque aussi les dimensions symboliques,
contextuelles et historiques, tentant de dessiner les contours idiosyncrasiques de ses
patients dépressifs (1988).

La formation et la persistance des situations dépressives


Le cycle interactionnel problème – solutions tentées
La genèse des situations dépressives
La thérapie brève de Palo Alto prend comme point de départ un problème, qui
consiste en « un comportement non désiré » (Fisch, et al., 1986). Définir un compor-
tement comme indésirable ou déviant inclut la perception d’un écart et la mise en
place de comportements régulateurs (Haley, 1963).
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A l’origine, la difficulté initiale s’énonce sous forme d’humeur passagère ou de


comportements voisins. Normalement, ces comportements varient. Nous faisons tous
l’expérience de perturbations temporaires qui viennent affecter notre sommeil, notre
comportement sexuel, nos humeurs, etc.
Or, le futur patient va définir ses fluctuations naturelles comme un problème et
va réagir afin de les corriger ou prévenir leur éventuelle répétition. Cette réaction est
le plus souvent déterminée par les normes du « plaignant », elles-mêmes influencées
par ses normes familiales et culturelles. Au niveau familial, certains parents sont « si
pénétrés de l’idée qu’un enfant bien élevé est un enfant heureux, qu’ils verront une
accusation silencieuse dans l’accès de tristesse ou d’énervement le plus normal, le
plus passager, que peut éprouver leur enfant » (Watzlawick, et al., 1975). Les parents
vont ordonner à l’enfant d’avoir un sentiment plus conforme : « Va dans ta chambre
et n’en ressors que quand tu auras le sourire. » (Watzlawick, et al., 1975). L’enfant

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est alors culpabilisé parce qu’il ne peut pas ressentir ce qu’il « devrait » et est aussi
pénétré de rage impuissante devant ce qu’il subit. Plus tard, l’individu, adulte, aura
intériorisé la situation et en viendra à s’appliquer la solution (Watzlawick, et al., 1975).
Au niveau culturel, Alain Ehrenberg décrit la transformation des normes sociales où la
disparition progressive des règles morales et des contraintes externes laisse place à une
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société valorisant la responsabilité et l’initiative individuelles. Une exigence plus sub-


tile apparaît : celle de se réaliser et d’être artisan de son propre bonheur. En réponse
au degré élevé de performance demandé, apparaît une « pathologie de l’action » : le
« déprimé » se dit sans énergie, non performant et inhibé dans son travail et ses rap-
ports à autrui, plus qu’accablé (Ehrenberg, 2000).
En marge des modèles traditionnels à la recherche de l’origine et des causes du
problème, les fondateurs de la thérapie brève ont été amenés à se poser la question
de la persistance du problème – ou plutôt ce qui fait qu’un problème se maintient (le
mécanisme des tentatives de solution). Ici, le patient va tenter de retrouver un fonc-
tionnement normal et pleinement satisfaisant à force d’efforts et de volonté et va
essayer de se contraindre à faire quelque chose qui ne peut survenir que spontané-
ment (« Il faut que tu sois de meilleure humeur, optimiste, volontaire », « Il faut que tu
ne penses pas à être déprimé ») (Fisch, et al., 1986). Les efforts produits, suivant la
logique ordinaire du bon sens, sont à l’origine d’un paradoxe pragmatique (Watzlawick,
Helmick Beavin, Jackson, 1972). En effet, chaque intervention a la forme « d’une
injonction exigeant un comportement déterminé qui, de par sa nature même, ne sau-
rait être que spontané (ibid., 1972) ». Le message du type « Sois spontané ! » devient
dans ce cas : « Sois heureux ! Tu ne dois pas être déprimé ! ».
Ce qui se produit habituellement, c’est qu’une fois une difficulté considérée comme
un problème, si celui-ci n’est pas résolu, les personnes qui en souffrent se mettent à
l’exacerber en tentant d’« essayer trop fort ». En effet ils persistent dans leurs tenta-
tives de solution (« faire plus de la même chose ») et créent un cercle vicieux par des
rétroactions positives inadaptées (cycle problème-solutions tentées).
Ce qui, au départ, apparaît comme une humeur passagère va devenir, au fil de
l’exacerbation par les solutions tentées, quelque chose de qualitativement différent :
la dépression.
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Les tentatives de solutions du patient


Elster (1986) définit certains états mentaux – auxquels on peut inclure les états
émotionnels – comme des « états qui sont essentiellement secondaires », qu’il est
impossible de produire par une simple décision de la volonté.
Le patient tente d’oublier sa tristesse sur commande («Ne pas penser que je suis
déprimé», méthodes de diversion) ou de se forcer à être heureux (se stimuler, «je
devrais être heureux.», «je devrais m’amuser…»). Secondairement, les répercussions
de l’état dépressif – à commencer par l’arrêt de travail – peuvent, à leur tour, intensifier
son sentiment de dépression, exacerbant le cercle vicieux (Fisch, Schlanger, 2005).

Les tentatives de solution de l’entourage


En 1963, Haley affirme que « les symptômes d’un patient sont maintenus par la

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façon dont il se comporte lui-même et par l’influence d’autres personnes intime-
ment proches de lui. »
Dès 1976, Coyne tente de démontrer la nature interactionnelle de la dépression.
Il suggère le processus interpersonnel de la dépression, en décrivant l’évolution de
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l’implication de l’entourage relationnel envers la personne dépressive (Coyne,


1976b). Cet entourage tente de rassurer et soutenir en réponse à la détresse perçue,
mais qui entraîne de l’aversion au fil du temps, voire induit des humeurs négatives.
Finalement, pris par la culpabilité, l’entourage tente de continuer à répondre à la
détresse, en communiquant impatience, hostilité et rejet. Coyne a aussi démontré la
capacité des personnes dépressives à induire des humeurs négatives chez des per-
sonnes étrangères, suite à une conversation téléphonique (Coyne, 1976a).
Watzlawick, et al. (1975) décrit aussi le processus: «Rien ne paraît plus raisonnable,
tant aux parents qu’aux amis, que de “remonter” une personne déprimée. Or, il est fort
vraisemblable que la personne déprimée ne s’en sentira pas mieux, mais, au contraire,
s’enfoncera un peu plus dans sa tristesse. Voyant cela, les autres redoublent d’efforts
pour lui faire voir le bon côté des choses. Guidés par la “raison” et le “bon sens”, ils ne
peuvent pas se rendre compte (et le patient ne peut pas dire) que leur aide, au fond,
consiste à exiger que le patient ait certains sentiments (de joie, d’optimisme,…) et pas
d’autres (de tristesse, de pessimisme, etc.)» (Watzlawick, et al., 1975).
L’entourage tente de contrecarrer la tendance du patient à se plaindre et à jouer
la victime par des réactions de conseil et de réassurance. Ils peuvent ainsi solliciter
le patient, l’encourager, le stimuler, tenir un discours optimiste pour contrer son pes-
simisme, le prendre en charge et faire à sa place. Se développe ainsi un processus
d’escalade relationnel symétrique, où plus le patient montre qu’il est incapable, plus
l’entourage l’encourage à faire quelque chose. L’absence d’efficacité des efforts
engendrés crée inexorablement un sentiment d’incapacité du côté de l’entourage.
De plus, les mesures bienveillantes cèdent la place à des attitudes plus autoritaires,
la position de l’entourage peut devenir plus directement malveillante (« Quel fai-
néant ! »). Les sentiments de frustration et de rancœur aboutissent à la colère et aux
conflits. Finalement, se sentant aussi incapable, l’entourage peut déléguer le problème
vers les intervenants extérieurs, en demandant une hospitalisation par exemple.
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Dans le contexte de la relation de couple, Kahn, et al. (1985) suggèrent que l’impuis-
sance dépressive résulte d’une réalité interactionnelle, alimentée par les propres efforts
des protagonistes pour gérer la situation. En effet, la menace continue d’échanges
douloureux encourage l’isolement et l’inhibition des sentiments négatifs, mais ceux-
ci, réciproquement, permettent aux problèmes et aux ressentiments de s’accumuler.
Au point que, quand des échanges ont quand même lieu, ils sont plus intenses et
douloureux, avec encore moins d’opportunité de résolution.

Le cycle interactionnel désillusion-renoncement


Muriana, et al. (2006) ont développé une version plus constructiviste de l’appari-
tion et du maintien des situations dépressives.

La perte de l’illusion originelle

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Pour devenir déprimé, il faut d’abord se faire des illusions ou se créer des croyan-
ces – claires ou inconscientes – sur comment les choses, les autres et soi-même
devraient être (Muriana, et al., 2006). En effet, dans une perspective constructiviste,
nous construisons et vivons avec des illusions ou des schémas explicatifs personnels,
qui se sont autoconfirmés au fil du temps et que nous percevons comme la réalité
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(Weakland, 1990 ; Janoff-Bulman, 1992 ; Muriana, et al., 2006). Mais, dès que nous
sentons que la réalité que nous avons construite ne convient plus, nous n’avons plus de
réponse à nos problèmes et « nous sombrons dans le désespoir, l’angoisse, la psychose
ou nous pensons au suicide » (Watzlawick, 1991).
Ensuite, face à des facteurs de « désillusion » – liés à des périodes de transition,
événements difficiles voire traumatiques, ou encore face à un besoin d’explication
ou de doute –, la croyance originelle, fonctionnelle pour un temps, est remise en
question. Le patient tente vainement de reconstruire en assimilant les données actuel-
les à la croyance de base mais, au vu de l’échec répété, renonce : « Je ne suis pas à
même d’assumer ou je suis incapable » (Muriana, et al., 2006). En effet, le patient
pense ne plus avoir les moyens ou définit la situation comme immuable.
On peut distinguer deux types d’illusion, dessinant les deux faces d’un syndrome
d’utopie où «les prémisses sur lesquelles le syndrome se fonde sont considérées comme
plus réelles que la réalité » (Watzlawick, et al., 1975).
Le premier type correspond à une utopie positive, sous-entendant « un monde
sans problème », car définissant les difficultés normales de la vie susceptibles de
modification (Watzlawick, et al., 1975). Dans une forme introjective, le patient se
voit comme quelqu’un de foncièrement capable, tel Samson et sa force légendaire
(Muriana, 2005). La forme projective est orientée vers les autres : « Entre moi et les
autres, il n’y a jamais eu de problème ».
Le second type correspond à une utopie négative, impliquant « un monde sans
solution », définissant les plaisirs normaux de la vie comme des anomalies (Watzla-
wick, et al., 1975). Dans une forme introjective, le patient se sait depuis toujours
dépossédé naturellement de toute capacité, incapable de lutter contre le fatalisme d’un
héritage génétique ou familial (Muriana, et al., 2006). Dans une forme « projective »,
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on observe « une attitude de rigueur morale reposant sur la conviction d’avoir trouvé
la vérité » (Watzlawick, et al., 1975), qui entraîne une forte intransigeance envers le
monde qui l’entoure (« Je suis juste et le monde n’est pas ce qu’il devrait être »
(Muriana, et al., 2006).

La tentative de solution : le « renoncement »


A la suite de la remise en question de la croyance du patient, celui-ci renonce,
suivant en cela le syllogisme paralysant : « Je suis incapable ou je ne suis pas à même
d’assumer – ainsi je renonce – donc – je suis une victime ». Le renoncement est une
tentative de solution commune, alimentant elle-même le cercle vicieux (la confirma-
tion de la croyance brisée).
On passe progressivement d’un évitement du conflit à un renoncement partiel,
puis au renoncement global jusqu’à la résignation (Muriana, et al., 2006). Le renon-

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cement généralisé – autant comportemental, cognitif et relationnel – caractérise les
états dépressifs les plus graves. Le renoncement partiel voit, par exemple, un patient
renoncer au niveau comportemental, mais continuer à lutter avec la pensée (rumina-
tions mentales). C’est le renoncement qui induit le patient dans le rôle de la victime.
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En fonction de la croyance de départ, nous avons plusieurs cercles vicieux qui se


développent (Muriana, et al., 2006). Le « renoncement » (« Je ne suis plus capable de
faire » ou équivalent à « ne plus faire ») comme tentative de solution induit une pro-
phétie autoréalisatrice car confirmant la perte de l’illusion initiale. Sa position de
renoncement et son rôle de victime (« Je n’ai pas les moyens de réagir » où la situation
est par nature immodifiable) vont eux-mêmes le rendre incapable d’agir et vice versa.

La thérapie brève des situations dépressives

Cette troisième partie va décrire l’interaction thérapeutique et les caractéristiques


de la démarche non ordinaire de résolution des problèmes dépressifs.

Le cadre thérapeutique
L’interaction thérapeutique – La démarche paradoxale
Loin de n’être qu’un énième truc à ajouter dans la boîte à outil du thérapeute, les
interventions paradoxales sont inclues dans une démarche cohérente, combinant une
compréhension systémique des problèmes cliniques et une orientation thérapeutique
stratégique. Cette dernière, fondée sur l’arrêt des tentatives de solutions, va guider
l’élaboration des tactiques spécifiques au problème et au patient.
Une relation thérapeutique de confiance est capitale au sein d’une démarche para-
doxale : le fait qu’un thérapeute dont le but est d’aider son patient, va lui suggérer
d’aller mal est puissamment paradoxal (Bouaziz, 1999). Et l’intervenant ne doit pas
oublier qu’encourager un symptôme ou restreindre le changement peut être désas-
treux s’il existe une once de sarcasme ou de cynisme de la part du thérapeute (Tennen,
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et al., 1990). Pour établir un bon contact avec le patient et/ou son entourage, le théra-
peute s’adapte dans un premier temps à eux, et non l’inverse : il tente de comprendre
leurs visions du monde et de parler leur langage.
De plus, il adopte une position basse avec le patient ou le plaignant, instaurant de
préférence une relation de coopération plutôt qu’une relation d’autorité à un « expert ».
Ainsi, il va user d’un langage prudent et réservé, évitant de parler à sa place ou d’inter-
férer les motivations et le jugement de son interlocuteur. De même, le thérapeute suit
le rythme du patient : il sait choisir le moment et attendre de connaître la réponse de
celui-ci avant de proposer un avis ou une tâche. C’est d’autant plus important que la
personne dépressive n’est pas prête à être active durant le premier temps de la théra-
pie. Il s’agit de ne pas vouloir pour le patient sans que lui n’ait validé quoi que ce soit.
Le thérapeute peut suggérer un climat, paradoxal en soi. Dans une atmosphère
de « jeu mortellement sérieux » (Haley, 1963) créée et maintenue par le thérapeute,

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il tente fournir la distance et le sens de l’humour que les personnes déprimées et leurs
conjoints ont probablement perdus dès le moment où ils entrent en thérapie. Cela ne
doit pas être au prix de dénier la légitimité de leur détresse (Coyne, 1984).
Le thérapeute va connoter le problème de façon positive et explicitement donner
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au patient le droit de sentir mal, en évoquant les bonnes raisons de ne pas aller bien.
Ceci se situe en porte-à-faux du discours de l’entourage qui tente de contrecarrer les
plaintes dépressives, en les minimisant.
Le thérapeute doit aussi « tenir bon le cap du contre-sens » (Bouaziz, 2004). Ainsi,
à parler avec une personne dépressive, le thérapeute risque de tomber dans le travers
bienveillant de contrer ses plaintes par une position irréaliste de réassurance et d’opti-
misme (Coyne, 1984).

Enfin, le thérapeute utilise des manœuvres générales, comme «avancer lentement»


(il va recommander dès lors de s’abstenir de toute action majeure pour la prochaine
fois), « les dangers du changement » (faire comprendre au patient qu’il existe des
dangers inhérents à la résolution du problème) ou « le pessimisme thérapeutique »
(Coyne, 1984 ; Fisch, et al., 1986).
Questionner le contexte et le système
Quel est le système relationnel pertinent du patient ?
Il s’agit ici de repérer les acteurs du système et la dynamique relationnelle (Witte-
zeale, 2003) : le thérapeute tente de connaître les protagonistes en rapport avec la
situation-problème et d’investiguer les interactions entre eux, ainsi que leur régula-
tion dans le temps (cf. caractéristiques symétriques ou complémentaires du couple,
rôles et hiérarchies dans la famille).

Qui est le « plaignant » dans le système ?


La conception interactionnelle de la thérapie brève du MRI induit que, si l’inter-
action entre les membres d’un système donné est déterminante pour la formation
d’un comportement, il est possible de modifier le comportement d’un membre quel-
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conque de ce système, en influençant le comportement d’un autre membre (Weak-


land, 2000).
La première étape de l’intervention est d’identifier le membre du système perti-
nent que « l’on doit voir et influencer dans le but d’interdire la tentative de solution de
la façon la plus efficace et la plus efficiente » (ibid., 2000). Celui-ci est dénommé le
« plaignant » ou le « client ». Il est défini par une personne qui se plaint d’une situation
(1), a fait des efforts dans le but de résoudre le problème qui se sont avérés infructueux
(2), et est demandeur d’une aide professionnelle (3). En conséquence, il est primordial
de questionner la démarche même de consulter avant d’élucider la plainte.
• Dans un premier cas de figure, le patient est le « plaignant ». Certains patients
« dépressifs » n’impliquent pas les autres dans leurs plaintes et tentent eux-mêmes
de lutter afin de surmonter leur désespoir.

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• Dans un deuxième cas de figure, l’entourage est le « plaignant ». La famille ou le
conjoint tentent vainement de contrebalancer par une attitude rassurante et com-
patissante le patient désigné qui a tendance à se plaindre et se prendre pour une
victime. Ce dernier se présente comme une personne bloquée. Dans le cadre tra-
ditionnel en psychiatrie, l’entourage est souvent considéré comme une victime
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impuissante et passive de la « maladie » du patient (Fisch, Schlanger, 2005). Au


sein de notre cadre, le conjoint ou le membre de l’entourage qui se plaint du
comportement du patient est invité à se rendre au premier entretien. S’il s’avère
être le réel « client », il est mis à contribution comme « cothérapeute ».
Dans le cas particulier du couple, Coyne (1984, 1989) planifie de voir les conjoints
séparément afin de limiter les contraintes (le patient déprimé est moins inhibé en
l’absence de son conjoint, ce dernier est moins sur la défensive, acceptant plus
de responsabilité, les individus s’avèrent moins dysfonctionnels que s’ils sont
vus ensemble), optimisant les tâches prescrites à chacun des protagonistes. De
plus, le thérapeute ne doit en aucun cas prendre parti pour un des membres du
couple ou les stigmatiser dans des rôles de pure victime ou de bourreau, bien
que, dans les moments de frustration, il est facile de croire qu’on travaille avec
une exception à cette règle (Coyne, 1984).
• Dans un troisième cas de figure, un tiers (le thérapeute, le psychiatre, la police,
le médecin traitant,…) peut être le témoin de comportements à risque liés à la
dépression (menaces suicidaires, répercussions économiques, atteintes de l’état de
santé, …), situation où une action immédiate peut s’imposer. Ainsi, le contexte
intimidant de l’intervention peut devenir situation de contrôle social, empêchant
la pertinence de notre approche et nécessitant le recours à d’autres formes d’inter-
vention, y compris coercitives (notamment l’hospitalisation sous contrainte). Néan-
moins, même dans cette situation, la question « Qui est le plaignant ? » reste per-
tinente – afin d’éclaircir les enjeux de l’intervention et d’éviter toute ambiguïté
vis-à-vis du système concerné et toute action « comme si » quelqu’un était, ou
même devrait être, insatisfait de la situation (Wittezeale, Seron, 1980).

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La résolution du problème
Le thérapeute recherche tout d’abord la personne qui souffre le plus de la situation,
qui désire que les choses s’améliorent et qui, pour cela, est décidée à agir. Il aide cette
personne à mettre à jour les circonstances et les interactions présentes qui conduisent
à la souffrance. Il l’invite à se donner, pour la thérapie, un objectif minimal et réaliste.
Il identifie ce qui a déjà été tenté sans succès pour résoudre le problème. Il fait expé-
rimenter à la personne d’autres façons de juger les choses et d’autres façons d’agir.
La thérapie se termine lorsque la personne juge que sa souffrance a significativement
disparu.

Questionner
Quel est le problème ?
Le point de départ de l’intervention en thérapie brève est le motif de plainte d’une

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personne, qui souffre d’un comportement vu comme problématique. Ainsi, il est
important d’élaborer avec le « plaignant » une définition concrète de ce qui lui pose
problème à lui spécifiquement, tout en ne portant « aucun jugement sur la légitimité
du préjudice subi : chacun a ses propres critères lorsqu’il s’agit de déterminer si un
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comportement est tolérable ou non » (Fisch, Schlanger, 1999).


La définition du problème doit être concrète. Le thérapeute tente de connaître le
« qui, quoi, où, et quand » de ce qui se passe, ici et maintenant, et de traduire les émo-
tions en faits observables, en séquences interactionnelles. Il est plus difficile de modi-
fier des abstractions que sont les sensations que leurs effets tangibles et concrets (Fisch,
et al., 2005).
Si le patient définit son problème à partir d’une étiquette : « Je suis déprimé »,
nous acceptons cette idée puis nous la subvertissons par un questionnement : « Com-
ment vous arrangez-vous avec la dépression ? », « Qui ou quoi vous déprime ? »,
« Comment saurais-je que vous êtes déprimé si je vous suivais toute la journée ? »,
« Comment êtes-vous quand vous n’êtes pas déprimé ? » (Coyne, 2007). Dans le but
d’influer sur les perceptions du plaignant, le thérapeute tente de créer le doute, de
« normaliser » et « dépathologiser » autant que possible durant son recueil d’infor-
mation.

Quelles sont les tentatives de solution ?


Il s’agit ici de répertorier tous les efforts volontaires faits présentement par l’en-
tourage ou le patient dans le but de traiter le problème, et d’en dégager le thème com-
mun. En effet, ces actions (« se secouer », « essayer de ne pas y penser », les tentatives
de diversion comme faire du sport, sortir, voir des gens, les tentatives de réconfort,…)
peuvent se résumer à une injonction (par exemple : « Tu ne dois pas être déprimé ! »).

Quel est l’objectif minimal ?


Dans le cas général de la thérapie brève et le cas particulier des plaintes dépressi-
ves, l’objectif est minimal (« le plus petit changement ») afin de le rendre plus acces-
sible et d’éviter les buts utopiques. L’objectif est défini par le plaignant « en fonc-
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tion de ce qu’il considère comme un état satisfaisant, et non au nom d’une définition
médicale de la bonne santé mentale, ni d’une quelconque norme sociale » (Bouaziz,
1999). Dans les situations dépressives, négocier un but minimal et concret est une
intervention majeure, d’autant plus que les patients présentent le risque de tomber
dans le piège de l’utopie.

Travailler avec le patient


Se positionner
Le thérapeute est tout d’abord attentif à ne pas répéter les efforts futiles des per-
sonnes dépressives et de ceux qui les entourent (les tentatives de solution).
• Premièrement, il s’agit de comprendre la vision du monde du patient et parler son
langage. Afin de rejoindre le patient, le thérapeute évite de rassurer et de promou-
voir l’optimisme mais va plutôt pratiquer plutôt le langage du pessimisme via des

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messages directs, des analogies, des métaphores. Par exemple, le thérapeute italien
Nardone donne ainsi une description déprimante de l’existence humaine à sa
patiente : « Vous avez tout à fait raison, la vie n’est rien d’autre qu’une “ vallée de
larmes ”. Tout compte fait nous naissons pour souffrir, je vous comprends très
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bien parce que moi-même d’ailleurs je vois à maintes reprises les choses en noir
et je me rends compte que rien n’a jamais d’utilité. Nous sommes tous comme ce
personnage de la mythologie grecque. Il avait volé la flamme de l’intelligence à
Zeus et il l’avait donnée aux êtres humains qui ne la méritaient pas. Et pour cela
il avait été condamné à remonter un énorme rocher sur une colline, et dès qu’il
arrivait au sommet, il était contraint de voir la pierre dévaler le versant opposé,
donc forcé de recommencer de nouveau à zéro. Je crois que nous sommes tous
dans cette situation. Il peut y avoir des motifs de se réjouir de temps à autre, mais
nous finissons par payer ces moments de joie au prix fort » (Nardone, 1999).
• Deuxièmement, au cours du recueil d’information, le thérapeute a une attitude
alliant reconnaissance de la souffrance et reconnaissance de son bien-fondé. Par
exemple, face au patient déprimé, le thérapeute peut affirmer : « Quand on pense
à tout ce qui vous est arrivé, on est étonné que vous n’alliez pas plus mal – que
vous ne soyez pas encore beaucoup plus déprimé que vous l’êtes – et l’on a presque
envie de vous dire que vous vous rendez un mauvais service » (Fisch, Weakland,
Segal, 1986). En outre, il est important de reconnaître explicitement que le patient
a de bonnes raisons d’être déprimé, et qu’il ne devrait pas agir comme s’il ne l’était
pas (Coyne, 1989).
• Troisièmement, le thérapeute adopte une position basse. Il prend garde de ne pas
argumenter l’attitude ou la logique de son patient. Evitant de parler pour l’autre,
il accorde aux patients d’accéder à leurs propres solutions. Il évite de prendre
parti, surtout dans le cadre d’un travail de couple (Coyne, 1984, 1989).

Le recadrage
Le recadrage est la manœuvre du thérapeute afin de « modifier le cadre concep-
tuel et/ou émotionnel d’une situation, ou le point de vue en fonction duquel elle est
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vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, ou même mieux,
aux “ faits ” de cette situation concrète dont le sens, par conséquent, change complète-
ment » (Watzlawick, et al., 1975).
Dans la lignée des recherches de Nardone, Muriana et ses collègues proposent
des recadrages vis-à-vis des croyances originelles, semant le doute quant à la vali-
dité de ces dernières. A une personne décrite comme prise dans une utopie positive,
le thérapeute peut suggérer « Vous avez toujours cherché à contenter les autres, avec
les meilleures intentions et pour votre tranquillité de vie, dans une sorte de “ prostitu-
tion relationnelle ”, qui vous a rendu aveugle même aux plus évidentes divergences ».
Ou à une personne piégée dans une utopie négative projective : « Vous avez toujours
aveuglément cru que, en étant une personne irréprochable, les autres étaient de
même, vous exposant à une condition de grande fragilité et en donnant, en somme,
pouvoir aux autres ».

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Au travers d’un recadrage, le thérapeute tente de saisir la vision du client, reconnaît
activement la légitimité de son point de vue, puis lui donne à voir un nouveau cadre qui
permet l’initiation d’un nouveau comportement (Coyne, 1989; Weakland, 2000).
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Les prescriptions comportementales


Premièrement, lorsque la tentative de solution est du type « faire plus » (tentatives
de contrôle aboutissant à une communication paradoxale : « Sois spontané ! »), on uti-
lise la logique paradoxale.
• Durant un premier temps, des tâches de réflexion peuvent être données comme
le paradoxe théorique « Comment aggraver délibérément le problème ? » qui a
pour but de révéler les solutions tentées par le patient : « Quand tu veux pendant
la journée, pendant cinq minutes, tu te demandes : Comment pourrais-je aggraver
mon état ? Que devrais-je faire ou ne pas faire ? Que devrais-je penser ou ne pas
penser pour l’aggraver ? » (Nardone, Portelli, 2005).
Dans un second temps, après un recadrage (par exemple : « il est nécessaire de
déclencher volontairement un phénomène spontané pour arriver à en compren-
dre le mécanisme » (Bouaziz, 1999), une prescription de symptômes peut être pro-
posée. Par exemple, on peut suggérer « la demi-heure de la passion » durant une-
séance planifiée avec un début et une fin (Nardone, 2005) : « Durant cette
demi-heure, isolez-vous, relaxez-vous,… et restez là pendant une demi-heure et,
volontairement, délibérément, amenez à l’esprit vos pires pensées, vos pires
craintes, toutes les choses qui vous font souffrir, toutes les choses qui pourraient
vous faire souffrir dans le futur, toutes les choses qui vous font peur, toutes les
choses qui pourraient vous mener à la crise; et laissez-vous aller à ces pensées, et
à toutes les choses que vous pouvez ressentir ». Les effets obtenus peuvent être
l’apparition d’une humeur dépressive durant un temps imparti et un soulagement
durant le reste de la journée, ou un effet paradoxal (on n’arrive pas à déprimer
alors qu’on a choisi de le faire).
• Secondairement, lorsque la tentative de solution est du type « ne plus faire » ou
«ne rien faire», on utilise une approche plus indirecte, incluant la logique de l’auto-
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suggestion. Utilisant le mécanisme des prédictions autoréalisantes, le but de ses


tactiques est de suggérer un scénario positif, ayant le pouvoir de devenir réel :
« On postule, inévitablement mais faussement un point de départ qui, en réalité,
n’existe pas ». Et, si nous croyons à la prédiction initiale, elle devient progressi-
vement et concrètement réelle (Watzlawick, 1988).

La technique du « comme si » (Watzlawick, 1990) consiste à se demander chaque


jour « Que ferais-je maintenant, comment pourrais-je me comporter si le problème
avait disparu?» (Nardone, 1999). Et une fois qu’on a répondu à cette question, on doit
choisir la plus minime des choses qui nous vient à l’esprit et la mettre à exécution
(Nardone, 1999).
Une technique similaire est de négocier un objectif minimal puis d’inciter le
patient à faire un tout premier pas. Le thérapeute fait en sorte qu’il soit aussi facile

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que possible à réaliser en limitant tout effort supplémentaire après son exécution
(« Asseyez-vous et rédigez une lettre, mais ne l’envoyez pas »). Le thérapeute va uti-
liser des techniques paradoxales de restriction, conseillant régulièrement au patient
de s’en tenir à une étape précise ou le prévenir des dangers d’aller trop vite (Coyne,
1989 ; Fisch, et al., 2005)
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Travailler avec l’entourage ou le conjoint


L’objectif général est d’amener l’entourage du patient à interrompre ses tentatives
de solution, c’est-à-dire sa tendance à surinvestir pour contrer la détresse du patient,
qui coexiste avec des sentiments de frustrations et de colère, liés à l’insuccès des
actions et l’apathie croissante du patient.

La position du thérapeute
• Dans un premier temps, il est important de comprendre et d’accepter les frustra-
tions, les efforts consentis et la colère dont les conjoints et membres de l’entourage
ont fait l’expérience (Coyne, 1984, 1989). Le thérapeute peut ainsi valider le fait
que cela est difficile de rester soutenant en de telles circonstances (Coyne, 1989).
De même, face à l’expression d’impuissance et de pessimisme de l’entourage, le
thérapeute peut tenter d’adopter une position identique, voire plus pessimiste
encore (Fisch, Schlanger, 1999).
• Dans un deuxième temps, il s’agit de transformer les parents ou le conjoint en
« cothérapeutes (« Vous n’avez pas besoin de faire partie du problème pour faire
partie de la solution », Coyne, 1984). Lors du questionnement sur le problème et
les tentatives de solution, le thérapeute doit avoir une communication congruente
avec l’entourage et éviter de les contredire (« Ne faites pas cela ! ») ou d’argumen-
ter (risque d’escalade symétrique).

Le recadrage
Le thérapeute tente de redéfinir de manière positive la position « dépressive ». Par
exemple, si la personne dépressive se montre réticente et semble cacher quelque chose,
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on peut recadrer prudemment la dépression comme un moyen de protéger l’épouse et


le couple (Coyne, 1984).
Afin d’encourager l’entourage à renoncer à poursuivre ses efforts habituels, il ne
suffit pas de lui indiquer quelle attitude il devrait adopter. Le recadrage sera aussi un
préliminaire pour vendre une prescription de comportements par rapport au cadre de
référence de l’entourage.
Ainsi, le thérapeute peut redéfinir l’« entêtement » de la personne dépressive,
suite à l’absence de réponse aux sollicitations de son entourage, comme « le dernier
refuge de sa fierté » (Coyne, 1984). Et fort de ce recadrage (« Les individus comme
lui se découragent facilement et se sentent inutiles quand on essaie de les aider »,
Watzlawick, Coyne, 1991), il peut prescrire au conjoint de « l’encourager en le décou-
rageant » (Watzlawick, Coyne, 1991).

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Les prescriptions comportementales
Face aux solutions tentées de nature paradoxale (contraindre quelqu’un à faire
quelque chose qui ne peut survenir que spontanément), le thérapeute va préconiser
des actions alternatives, souvent sous forme de prescriptions paradoxales ou du moins
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contraires au bon sens de l’entourage.


• Dans un premier temps, on peut prescrire au conjoint ou aux membres de l’en-
tourage une stratégie de désengagement progressif de leur relation de soutien
avec le parent dépressif. A titre expérimental, le conjoint est encouragé à limiter
ses efforts bienveillants aux petits gestes non reconnaissables de façon immé-
diate, tels que faire une petite corvée le matin ou laisser un petit présent sachant
que la personne dépressive ne le verra que tard dans la journée (Coyne, 1989).
D’une manière générale, l’entourage reste humain et soutenant quand ses
responsabilités sont limitées et quand il n’anticipe pas des résultats immédiats
pour ce qu’il fait (Coyne, 1989).
• Parfois mis en évidence lors du questionnement sur les périodes d’exception (par
exemple, lors d’un incident où l’épouse avait perdu conscience, le mari dépressif
avait pris des initiatives raisonnables – Watzlawick, Coyne, 1991), utiliser de
façon volontaire le « sabotage bienveillant » (Watzlawick, et al., 1974) semble
éviter l’attitude « secourable » habituelle de l’entourage : « Mme B. accepta de
préparer un bon petit-déjeuner le lendemain matin, puis de s’endormir sur le
canapé du salon sans appeler M. B. Quand il viendrait finalement se restaurer,
elle devait se confondre en excuses » (Watzlawick, 1991).
• « Feindre » (Watzlawick, 1974) est aussi une tactique importante afin de briser les
séquences réciproques des remarques du conjoint et du comportement apathique
du patient dépressif.
Sous sa forme plus simple, la personne dépressive doit afficher sa détresse ou
fournir des réponses ineptes suite aux questions ennuyeuses de son conjoint.
Sous sa forme plus élaborée, la personne dépressive doit entreprendre un nom-
bre spécifique de petites initiatives de telle façon à ce que ce soit difficile pour le
conjoint de découvrir ce qu’elles sont et quand elles sont effectuées. Chaque
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semaine, le conjoint débute l’entretien en tentant de deviner quelles ont été ces
initiatives, mais ni la personne déprimée, ni le thérapeute ne lui diront s’il voit
juste (Coyne, 1984).
• Finalement, on peut inciter la famille ou le conjoint à écouter le discours plaintif
de la personne dépressive en un temps imparti (le rituel familial) et garder le reste
du temps à observer sans intervenir (la « conjuration du silence »). Invitant tout
l’entourage en présence du patient, le thérapeute italien Nardone propose alors
une tâche qu’il surnomme « la chaire vespérale » : « D’ici à la prochaine séance,
tous les soirs avant le dîner ou après le dîner, vous devrez faire une chose très
importante, vous devrez vous retrouver tous ensemble assis au salon, et lui/elle
restera debout. Vous prendrez un réveil, et le remonterez pour le faire sonner une
demi-heure plus tard. Vous devrez tous garder un silence religieux, à l’écoute ;
vous (le patient), dans cette demi-heure, vous vous plaindrez autant que vous vou-

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lez, et de tout ce que vous voulez, et eux resteront à vous écouter, et vous cher-
cherez à leur faire comprendre combien vous êtes mal et ils devront écouter dans
un silence religieux. Quand sonne le réveil, stop, on renvoie au lendemain soir.
Vous éviterez de parler du problème durant le reste de la journée : vous aurez le
rituel du soir le jour d’après pour en parler. » (Nardone et Portelli, 2005).
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La consolidation du changement
La plupart du temps, les prescriptions ont provoqué une « expérience émotion-
nelle correctrice » (Alexander et French, 1946), à l’origine d’une brèche dans la repré-
sentation du client. Ceci devient le tremplin pour lui faire expérimenter de nouveaux
apprentissages concrets (résolution de problèmes, manières ultérieures de gérer les
crises, augmentation de la confiance) et d’entériner une « image du monde » moins
douloureuse.
Après les premières interventions, le client se retrouve tel un alpiniste, à mi-che-
min entre la base et le sommet de la montagne, avec la crainte de chuter ou de ne pas
pouvoir avancer. La phase suivante est donc de le suivre (repérer les micro-change-
ments), de sécuriser chacun de ses pas (redéfinir et amplifier les changements) et de
l’autoriser s’il le faut à reculer (freiner de manière paradoxale) pour le laisser attein-
dre finalement son but.

La redéfinition du changement
Après la prescription d’une tâche, le thérapeute évalue ses effets à la séance sui-
vante. A l’annonce d’une amélioration, le thérapeute s’attelle à accroître sa réalité. Et
le changement doit toujours être attribué au client, même et surtout si lui ne le fait pas.
Dans les premiers temps, le patient peut douter de la véracité du changement. En
réaction, le thérapeute fait « feu de tout bois », définissant ainsi chaque détail comme
confirmant la réalité d’un changement (redéfinition positive – Nardone et Portelli,
2005). En effet, le thérapeute se doit de repérer les petits changements perceptibles
dans la vie quotidienne afin d’activer l’effet « boule de neige » du changement.
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De même, en cas de réponse non probante à la prescription, voire en cas d’exacer-


bation du problème, le thérapeute peut le définir comme un événement attendu voire
positif (Fisch, Weakland, Segal, 1986).
Pour évaluer la position du client et rendre plus réelle le progrès réalisé, on peut
utiliser une échelle qui permet de le quantifier : « Sur une échelle de 0 à 10 – zéro
étant la situation quand nous nous sommes rencontrés, et dix, la situation quand
vous pourrez dire : “ Merci. Je n’ai plus besoin de vous. Mes problèmes sont réso-
lus. ” A combien vous évaluerez-vous aujourd’hui ? ».

La logique paradoxale
Dans la droite ligne de la logique paradoxale, les tactiques de restriction du chan-
gement ont aussi leur utilité, surtout lorsque le client se montre rapidement satisfait
d’un changement soudain. Le thérapeute l’incite à être sceptique quant au « bien-être »

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actuel (pessimisme thérapeutique) et le client est invité à « avancer lentement » (« Go
slow », Fisch, et al., 1986). De même, le thérapeute peut insister sur les dangers réels
qu’il y a pour le patient à aller mieux (les « dangers de l’amélioration », Fisch, et al.,
1986).
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En complément, on peut prescrire paradoxalement une rechute : « Et comme les


progrès ne suivent jamais une courbe ascendante régulière, mieux vaut s’attendre à
faire deux pas en avant et un pas en arrière. Je crois que je me sentirais plus ras-
suré si vous vous prépariez à faire une rechute à un moment donné ; cela fait un cer-
tain temps que vous vous trouvez sur une pente ascendante maintenant » (Fisch, et
al., 2005).
On peut toujours actualiser des exercices dans lesquels les clients se replongent
volontairement dans des périodes d’angoisse et de désespoir (voir les prescriptions
de symptôme telles que « la demi-heure de la passion », Nardone, 2005), qui devien-
nent des outils puissants face à la rechute.

Les répercussions systémiques de l’amélioration


Elles sont la preuve que la démarche précédente est légitime et respectueuse du
client. La situation dépressive est propice à voir sa résolution mettre en lumière des
problèmes antérieurs et le thérapeute peut se trouver face à un véritable jeu de pou-
pées russes, où un problème résolu en fait resurgir un deuxième voire un troisième.
Nous précisons qu’il ne s’agit pas ici d’expliquer ce phénomène par des schémas
explicatifs issus des thérapies familiales, comme la « fonction du symptôme ».
• Le premier exemple est la résolution nécessaire de problèmes relationnels de cou-
ple, souvent inhérents ou émergents à la crise dépressive. Coyne (1984, 1989)
propose un travail ultérieur avec le couple afin de faire face aux difficultés de com-
munication (trop inhibée ou trop agressive, par exemple).
• Le second exemple est la résolution opportune de situations d’anxiété ou de timi-
dité chronique, environnement originel et chronique à la crise dépressive. En effet,
les stratégies personnelles d’évitement telles que le déni des problèmes et l’isole-
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ment vis-à-vis des autres entraînent souvent son auteur vers l’impuissance et le
désespoir (Joiner, et al., 1999). Le thérapeute peut ainsi suggérer des recadrages
ou des tâches après avoir identifié les tentatives de solutions spécifiques (éviter,
cacher au lieu d’exprimer, s’isoler).

Conclusions

Il existe malheureusement peu d’études mettant en exergue les propositions thé-


rapeutiques des thérapies brèves face à la dépression. Les praticiens de ce courant
devraient davantage mettre en avant leur approche afin de promouvoir une alterna-
tive aux interventions réductionnistes. En effet, chaque fois que c’est possible, il est
important de proposer une intervention respectueuse et efficiente via des actions mini-
males et non intrusives, qui présentent de plus l’avantage d’avoir pour effet secondaire

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une résolution des problèmes relationnels.

Olivier Delroeux
Rue Victor Horta, 20 boîte 001
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1348 Louvain-la-Neuve
Belgique
olidelroeux@hotmail.com

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