Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2008-4-page-513.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Résumé : La thérapie brève de Palo Alto : l’approche interactionnelle des situations dépressives. – Cet
article se propose de répondre à la question suivante : comment le modèle de thérapie brève, dû aux insti-
gateurs du Mental Research Institute (MRI – Palo Alto) et à leurs disciples européens, voit et traite une des
plaintes les plus communes en psychiatrie, celle du patient déprimé. Les prémisses théoriques (la non-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Summary : Palo Alto brief therapy : the interactive approach to depressive situations. – This article sets
out to answer the following question : how does the brief therapy model (developed by researchers at the
Mental Research Institute in Palo Alto USA and their European disciples) see and treat one of the most
common complaints in psychiatry, that of the depressed patient ? The theoretical premises (the non-separa-
tion of the observer and the observed, the subject and its environment) induce an inter-active concept of
the nature of the problem and change. At the clinical level the two aspects, constructivist and systemic,
become entangled to provide the context for the process of attempted solutions (nature of the problem) and
for the paradoxical approach (nature of the change)
Resumen : La terapia breve de Palo Alto : el enfoque interactionnelle de las situaciones depresivas. – Este
artículo se propone responder a la siguiente cuestión : cómo el modelo de terapia breve, debido a los insti-
gadores del Mental Research Institute (MRI- Palo Alto) y a sus discípulos europeos, ve y trata una de las
denuncias mas comunes en psiquiatría, la del paciente depreso. Las premisas teóricas (la no separación del
observador y el observado, del tema y su medio ambiente) inducen una concepción interactionnelle de la
naturaleza del problema y el cambio. A nivel clínico, los dos aspectos, constructiviste y sistémico, se enma-
rañan para dar contexto al proceso de las tentativas de solución (naturaleza del problema) y al enfoque
paradójico (naturaleza del cambio).
1
Assistant en Psychiatrie, Université Catholique de Louvain, Hôpital Ste Thérèse, 6060 Montignies-
Sur-Sambre, Belgique.
513
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 514
Introduction
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
millions d’individus déprimés.
Néanmoins, l’approche biomédicale de la dépression est loin d’apporter une per-
spective parfaite et complète de la dépression. En porte-à-faux de l’efficacité très
médiatisée des médications, les avancées pour une théorie cohérente de la biologie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
l’observateur.
A contrario, la prémisse constructiviste postule l’hypothèse « interactionniste » : la
réalité est le résultat de l’interaction entre l’observateur et l’objet observé. Comme dit
Piaget (1937) : « l’intelligence (et donc l’acte de connaître)… organise le monde en
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Les prémisses pratiques
Afin de développer les perspectives thérapeutiques, le psychiatre Don Jackson
fonde le Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto (Californie) en 1959 et un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
La vision interactionnelle
La conception initiale du comportement problématique est résolument interaction-
nelle. La thérapie brève de Palo Alto intègre deux aspects des interactions humaines,
systémique et constructiviste : le patient fait partie d’un système qui conditionne son
comportement (aspect systémique) et dispose aussi de ses propres croyances (aspect
constructiviste) qui influencent réciproquement le système.
On peut considérer qu’un comportement (pensées, actions, sentiments, voire res-
sentis physiques), étiqueté normal ou problématique « est avant tout continuellement
façonné et maintenu (ou modifié) par des renforcements qui se développent au sein
du système d’interaction sociale dans lequel est pris l’individu particulier agissant »
(Fisch, Weakland, Segal, 1986). En effet, au sein de n’importe quel rapport durable,
des modèles d’interaction se développent, plus ou moins rapidement, et puis persis-
tent en grande partie en raison des renforcements réciproques.
516
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 517
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
vant : plus il lutte, plus il s’enfonce et plus il s’enfonce, plus il lutte. Ces solutions
n’en sont pas au vu de l’exacerbation du problème : on parle dès lors de « tentatives
de solution » (Watzlawick, et al., 1975).
Pourquoi les gens persistent-ils dans une solution qui s’avère catastrophique pour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
eux ? Les instigateurs de la thérapie brève pensent que « le problème n’est pas tant
que les gens sont illogiques, mais qu’ils continuent en toute logique dans une direc-
tion qui découle de prémisses inexactes ou inapplicables, et cela même lorsque leurs
prémisses ne marchent pas dans la pratique » (Fisch, et al., 1986). De plus, les études
en psychologie sociale confirment le « conservatisme cognitif » : nous tendons à main-
tenir nos schémas explicatifs personnels, à valider les éléments qui les corroborent
et à ne pas tenir compte de ceux qui les infirment, même en cas de contradiction évi-
dente (Janoff-Bulman, 1992).
L’action thérapeutique
L’action thérapeutique se définit par l’abandon des solutions tentées par le patient
ou les membres de son système interactionnel, ce qui exige soit de modifier l’interpré-
tation du comportement problématique (le recadrage), soit de promouvoir un com-
portement de nature radicalement différente (la prescription de comportements), ou
les deux. Ainsi le problème peut disparaître ou redevenir une simple difficulté.
Agent actif du changement, le thérapeute rassemble l’information pertinente sur
le contexte (problème et solutions tentées), utilise les ressources du système (identi-
fication du membre du système le plus motivé à changer) et réfléchit à ce que pour-
raient être les changements les plus stratégiques avant de prendre les mesures.
Tentant de promouvoir une logique et des comportements contraires au bon sens,
le thérapeute utilise l’approche paradoxale, qui colore toutes ses interventions. Elle
nécessite obligatoirement une bonne relation thérapeutique, un style de communica-
tion et une posture particulière (Bouaziz, 1999).
517
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 518
Le problème de la dépression
La définition de la « dépression »
Au sens lexical, le mot dépression indique un enfoncement dans le relief ou une
baisse de la pression atmosphérique à l’origine d’un temps pluvieux ou froid (Le
Robert micro, édition 1998). Etymologiquement, il signifie « exercer une pression du
haut vers le bas ». Référé au système humain, le terme évoque la rupture d’un équi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
libre et d’une conséquente chute de l’état d’esprit, un « affaissement » (Muriana, et al.,
2006).
Le phénomène de la dépression est fondamentalement hétérogène et il existe des
divergences fondamentales dans la façon dont les intervenants en santé mentale ten-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
tent de le définir. Leurs critères sont par nature arbitraires et restreints par leurs cadres
théoriques. Face à cette ambiguïté inhérente, Coyne nous invite à « être sceptique
vis-à-vis de n’importe quel état des lieux définitif au sujet de la nature de la dépres-
sion » (Coyne, 1985).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
En porte-à-faux de la conception psychiatrique traditionnelle avec ses critères, le
plus souvent de l’adaptation à la réalité « objective », la thérapie brève de Palo Alto
utilise un critère non normatif : la situation vécue comme douloureuse par le « plai-
gnant ». Le terme « dépression » étant utilisé couramment et, de ce fait, dépassant lar-
gement son acceptation nosographique, le plaignant peut s’exprimer en terme nor-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
est alors culpabilisé parce qu’il ne peut pas ressentir ce qu’il « devrait » et est aussi
pénétré de rage impuissante devant ce qu’il subit. Plus tard, l’individu, adulte, aura
intériorisé la situation et en viendra à s’appliquer la solution (Watzlawick, et al., 1975).
Au niveau culturel, Alain Ehrenberg décrit la transformation des normes sociales où la
disparition progressive des règles morales et des contraintes externes laisse place à une
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
façon dont il se comporte lui-même et par l’influence d’autres personnes intime-
ment proches de lui. »
Dès 1976, Coyne tente de démontrer la nature interactionnelle de la dépression.
Il suggère le processus interpersonnel de la dépression, en décrivant l’évolution de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Dans le contexte de la relation de couple, Kahn, et al. (1985) suggèrent que l’impuis-
sance dépressive résulte d’une réalité interactionnelle, alimentée par les propres efforts
des protagonistes pour gérer la situation. En effet, la menace continue d’échanges
douloureux encourage l’isolement et l’inhibition des sentiments négatifs, mais ceux-
ci, réciproquement, permettent aux problèmes et aux ressentiments de s’accumuler.
Au point que, quand des échanges ont quand même lieu, ils sont plus intenses et
douloureux, avec encore moins d’opportunité de résolution.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Pour devenir déprimé, il faut d’abord se faire des illusions ou se créer des croyan-
ces – claires ou inconscientes – sur comment les choses, les autres et soi-même
devraient être (Muriana, et al., 2006). En effet, dans une perspective constructiviste,
nous construisons et vivons avec des illusions ou des schémas explicatifs personnels,
qui se sont autoconfirmés au fil du temps et que nous percevons comme la réalité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
(Weakland, 1990 ; Janoff-Bulman, 1992 ; Muriana, et al., 2006). Mais, dès que nous
sentons que la réalité que nous avons construite ne convient plus, nous n’avons plus de
réponse à nos problèmes et « nous sombrons dans le désespoir, l’angoisse, la psychose
ou nous pensons au suicide » (Watzlawick, 1991).
Ensuite, face à des facteurs de « désillusion » – liés à des périodes de transition,
événements difficiles voire traumatiques, ou encore face à un besoin d’explication
ou de doute –, la croyance originelle, fonctionnelle pour un temps, est remise en
question. Le patient tente vainement de reconstruire en assimilant les données actuel-
les à la croyance de base mais, au vu de l’échec répété, renonce : « Je ne suis pas à
même d’assumer ou je suis incapable » (Muriana, et al., 2006). En effet, le patient
pense ne plus avoir les moyens ou définit la situation comme immuable.
On peut distinguer deux types d’illusion, dessinant les deux faces d’un syndrome
d’utopie où «les prémisses sur lesquelles le syndrome se fonde sont considérées comme
plus réelles que la réalité » (Watzlawick, et al., 1975).
Le premier type correspond à une utopie positive, sous-entendant « un monde
sans problème », car définissant les difficultés normales de la vie susceptibles de
modification (Watzlawick, et al., 1975). Dans une forme introjective, le patient se
voit comme quelqu’un de foncièrement capable, tel Samson et sa force légendaire
(Muriana, 2005). La forme projective est orientée vers les autres : « Entre moi et les
autres, il n’y a jamais eu de problème ».
Le second type correspond à une utopie négative, impliquant « un monde sans
solution », définissant les plaisirs normaux de la vie comme des anomalies (Watzla-
wick, et al., 1975). Dans une forme introjective, le patient se sait depuis toujours
dépossédé naturellement de toute capacité, incapable de lutter contre le fatalisme d’un
héritage génétique ou familial (Muriana, et al., 2006). Dans une forme « projective »,
522
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 523
on observe « une attitude de rigueur morale reposant sur la conviction d’avoir trouvé
la vérité » (Watzlawick, et al., 1975), qui entraîne une forte intransigeance envers le
monde qui l’entoure (« Je suis juste et le monde n’est pas ce qu’il devrait être »
(Muriana, et al., 2006).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
cement généralisé – autant comportemental, cognitif et relationnel – caractérise les
états dépressifs les plus graves. Le renoncement partiel voit, par exemple, un patient
renoncer au niveau comportemental, mais continuer à lutter avec la pensée (rumina-
tions mentales). C’est le renoncement qui induit le patient dans le rôle de la victime.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Le cadre thérapeutique
L’interaction thérapeutique – La démarche paradoxale
Loin de n’être qu’un énième truc à ajouter dans la boîte à outil du thérapeute, les
interventions paradoxales sont inclues dans une démarche cohérente, combinant une
compréhension systémique des problèmes cliniques et une orientation thérapeutique
stratégique. Cette dernière, fondée sur l’arrêt des tentatives de solutions, va guider
l’élaboration des tactiques spécifiques au problème et au patient.
Une relation thérapeutique de confiance est capitale au sein d’une démarche para-
doxale : le fait qu’un thérapeute dont le but est d’aider son patient, va lui suggérer
d’aller mal est puissamment paradoxal (Bouaziz, 1999). Et l’intervenant ne doit pas
oublier qu’encourager un symptôme ou restreindre le changement peut être désas-
treux s’il existe une once de sarcasme ou de cynisme de la part du thérapeute (Tennen,
523
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 524
et al., 1990). Pour établir un bon contact avec le patient et/ou son entourage, le théra-
peute s’adapte dans un premier temps à eux, et non l’inverse : il tente de comprendre
leurs visions du monde et de parler leur langage.
De plus, il adopte une position basse avec le patient ou le plaignant, instaurant de
préférence une relation de coopération plutôt qu’une relation d’autorité à un « expert ».
Ainsi, il va user d’un langage prudent et réservé, évitant de parler à sa place ou d’inter-
férer les motivations et le jugement de son interlocuteur. De même, le thérapeute suit
le rythme du patient : il sait choisir le moment et attendre de connaître la réponse de
celui-ci avant de proposer un avis ou une tâche. C’est d’autant plus important que la
personne dépressive n’est pas prête à être active durant le premier temps de la théra-
pie. Il s’agit de ne pas vouloir pour le patient sans que lui n’ait validé quoi que ce soit.
Le thérapeute peut suggérer un climat, paradoxal en soi. Dans une atmosphère
de « jeu mortellement sérieux » (Haley, 1963) créée et maintenue par le thérapeute,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
il tente fournir la distance et le sens de l’humour que les personnes déprimées et leurs
conjoints ont probablement perdus dès le moment où ils entrent en thérapie. Cela ne
doit pas être au prix de dénier la légitimité de leur détresse (Coyne, 1984).
Le thérapeute va connoter le problème de façon positive et explicitement donner
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
au patient le droit de sentir mal, en évoquant les bonnes raisons de ne pas aller bien.
Ceci se situe en porte-à-faux du discours de l’entourage qui tente de contrecarrer les
plaintes dépressives, en les minimisant.
Le thérapeute doit aussi « tenir bon le cap du contre-sens » (Bouaziz, 2004). Ainsi,
à parler avec une personne dépressive, le thérapeute risque de tomber dans le travers
bienveillant de contrer ses plaintes par une position irréaliste de réassurance et d’opti-
misme (Coyne, 1984).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
• Dans un deuxième cas de figure, l’entourage est le « plaignant ». La famille ou le
conjoint tentent vainement de contrebalancer par une attitude rassurante et com-
patissante le patient désigné qui a tendance à se plaindre et se prendre pour une
victime. Ce dernier se présente comme une personne bloquée. Dans le cadre tra-
ditionnel en psychiatrie, l’entourage est souvent considéré comme une victime
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
525
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 526
La résolution du problème
Le thérapeute recherche tout d’abord la personne qui souffre le plus de la situation,
qui désire que les choses s’améliorent et qui, pour cela, est décidée à agir. Il aide cette
personne à mettre à jour les circonstances et les interactions présentes qui conduisent
à la souffrance. Il l’invite à se donner, pour la thérapie, un objectif minimal et réaliste.
Il identifie ce qui a déjà été tenté sans succès pour résoudre le problème. Il fait expé-
rimenter à la personne d’autres façons de juger les choses et d’autres façons d’agir.
La thérapie se termine lorsque la personne juge que sa souffrance a significativement
disparu.
Questionner
Quel est le problème ?
Le point de départ de l’intervention en thérapie brève est le motif de plainte d’une
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
personne, qui souffre d’un comportement vu comme problématique. Ainsi, il est
important d’élaborer avec le « plaignant » une définition concrète de ce qui lui pose
problème à lui spécifiquement, tout en ne portant « aucun jugement sur la légitimité
du préjudice subi : chacun a ses propres critères lorsqu’il s’agit de déterminer si un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
tion de ce qu’il considère comme un état satisfaisant, et non au nom d’une définition
médicale de la bonne santé mentale, ni d’une quelconque norme sociale » (Bouaziz,
1999). Dans les situations dépressives, négocier un but minimal et concret est une
intervention majeure, d’autant plus que les patients présentent le risque de tomber
dans le piège de l’utopie.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
messages directs, des analogies, des métaphores. Par exemple, le thérapeute italien
Nardone donne ainsi une description déprimante de l’existence humaine à sa
patiente : « Vous avez tout à fait raison, la vie n’est rien d’autre qu’une “ vallée de
larmes ”. Tout compte fait nous naissons pour souffrir, je vous comprends très
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
bien parce que moi-même d’ailleurs je vois à maintes reprises les choses en noir
et je me rends compte que rien n’a jamais d’utilité. Nous sommes tous comme ce
personnage de la mythologie grecque. Il avait volé la flamme de l’intelligence à
Zeus et il l’avait donnée aux êtres humains qui ne la méritaient pas. Et pour cela
il avait été condamné à remonter un énorme rocher sur une colline, et dès qu’il
arrivait au sommet, il était contraint de voir la pierre dévaler le versant opposé,
donc forcé de recommencer de nouveau à zéro. Je crois que nous sommes tous
dans cette situation. Il peut y avoir des motifs de se réjouir de temps à autre, mais
nous finissons par payer ces moments de joie au prix fort » (Nardone, 1999).
• Deuxièmement, au cours du recueil d’information, le thérapeute a une attitude
alliant reconnaissance de la souffrance et reconnaissance de son bien-fondé. Par
exemple, face au patient déprimé, le thérapeute peut affirmer : « Quand on pense
à tout ce qui vous est arrivé, on est étonné que vous n’alliez pas plus mal – que
vous ne soyez pas encore beaucoup plus déprimé que vous l’êtes – et l’on a presque
envie de vous dire que vous vous rendez un mauvais service » (Fisch, Weakland,
Segal, 1986). En outre, il est important de reconnaître explicitement que le patient
a de bonnes raisons d’être déprimé, et qu’il ne devrait pas agir comme s’il ne l’était
pas (Coyne, 1989).
• Troisièmement, le thérapeute adopte une position basse. Il prend garde de ne pas
argumenter l’attitude ou la logique de son patient. Evitant de parler pour l’autre,
il accorde aux patients d’accéder à leurs propres solutions. Il évite de prendre
parti, surtout dans le cadre d’un travail de couple (Coyne, 1984, 1989).
Le recadrage
Le recadrage est la manœuvre du thérapeute afin de « modifier le cadre concep-
tuel et/ou émotionnel d’une situation, ou le point de vue en fonction duquel elle est
527
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 528
vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, ou même mieux,
aux “ faits ” de cette situation concrète dont le sens, par conséquent, change complète-
ment » (Watzlawick, et al., 1975).
Dans la lignée des recherches de Nardone, Muriana et ses collègues proposent
des recadrages vis-à-vis des croyances originelles, semant le doute quant à la vali-
dité de ces dernières. A une personne décrite comme prise dans une utopie positive,
le thérapeute peut suggérer « Vous avez toujours cherché à contenter les autres, avec
les meilleures intentions et pour votre tranquillité de vie, dans une sorte de “ prostitu-
tion relationnelle ”, qui vous a rendu aveugle même aux plus évidentes divergences ».
Ou à une personne piégée dans une utopie négative projective : « Vous avez toujours
aveuglément cru que, en étant une personne irréprochable, les autres étaient de
même, vous exposant à une condition de grande fragilité et en donnant, en somme,
pouvoir aux autres ».
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Au travers d’un recadrage, le thérapeute tente de saisir la vision du client, reconnaît
activement la légitimité de son point de vue, puis lui donne à voir un nouveau cadre qui
permet l’initiation d’un nouveau comportement (Coyne, 1989; Weakland, 2000).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
que possible à réaliser en limitant tout effort supplémentaire après son exécution
(« Asseyez-vous et rédigez une lettre, mais ne l’envoyez pas »). Le thérapeute va uti-
liser des techniques paradoxales de restriction, conseillant régulièrement au patient
de s’en tenir à une étape précise ou le prévenir des dangers d’aller trop vite (Coyne,
1989 ; Fisch, et al., 2005)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
La position du thérapeute
• Dans un premier temps, il est important de comprendre et d’accepter les frustra-
tions, les efforts consentis et la colère dont les conjoints et membres de l’entourage
ont fait l’expérience (Coyne, 1984, 1989). Le thérapeute peut ainsi valider le fait
que cela est difficile de rester soutenant en de telles circonstances (Coyne, 1989).
De même, face à l’expression d’impuissance et de pessimisme de l’entourage, le
thérapeute peut tenter d’adopter une position identique, voire plus pessimiste
encore (Fisch, Schlanger, 1999).
• Dans un deuxième temps, il s’agit de transformer les parents ou le conjoint en
« cothérapeutes (« Vous n’avez pas besoin de faire partie du problème pour faire
partie de la solution », Coyne, 1984). Lors du questionnement sur le problème et
les tentatives de solution, le thérapeute doit avoir une communication congruente
avec l’entourage et éviter de les contredire (« Ne faites pas cela ! ») ou d’argumen-
ter (risque d’escalade symétrique).
Le recadrage
Le thérapeute tente de redéfinir de manière positive la position « dépressive ». Par
exemple, si la personne dépressive se montre réticente et semble cacher quelque chose,
529
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 530
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
Les prescriptions comportementales
Face aux solutions tentées de nature paradoxale (contraindre quelqu’un à faire
quelque chose qui ne peut survenir que spontanément), le thérapeute va préconiser
des actions alternatives, souvent sous forme de prescriptions paradoxales ou du moins
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
semaine, le conjoint débute l’entretien en tentant de deviner quelles ont été ces
initiatives, mais ni la personne déprimée, ni le thérapeute ne lui diront s’il voit
juste (Coyne, 1984).
• Finalement, on peut inciter la famille ou le conjoint à écouter le discours plaintif
de la personne dépressive en un temps imparti (le rituel familial) et garder le reste
du temps à observer sans intervenir (la « conjuration du silence »). Invitant tout
l’entourage en présence du patient, le thérapeute italien Nardone propose alors
une tâche qu’il surnomme « la chaire vespérale » : « D’ici à la prochaine séance,
tous les soirs avant le dîner ou après le dîner, vous devrez faire une chose très
importante, vous devrez vous retrouver tous ensemble assis au salon, et lui/elle
restera debout. Vous prendrez un réveil, et le remonterez pour le faire sonner une
demi-heure plus tard. Vous devrez tous garder un silence religieux, à l’écoute ;
vous (le patient), dans cette demi-heure, vous vous plaindrez autant que vous vou-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
lez, et de tout ce que vous voulez, et eux resteront à vous écouter, et vous cher-
cherez à leur faire comprendre combien vous êtes mal et ils devront écouter dans
un silence religieux. Quand sonne le réveil, stop, on renvoie au lendemain soir.
Vous éviterez de parler du problème durant le reste de la journée : vous aurez le
rituel du soir le jour d’après pour en parler. » (Nardone et Portelli, 2005).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
La consolidation du changement
La plupart du temps, les prescriptions ont provoqué une « expérience émotion-
nelle correctrice » (Alexander et French, 1946), à l’origine d’une brèche dans la repré-
sentation du client. Ceci devient le tremplin pour lui faire expérimenter de nouveaux
apprentissages concrets (résolution de problèmes, manières ultérieures de gérer les
crises, augmentation de la confiance) et d’entériner une « image du monde » moins
douloureuse.
Après les premières interventions, le client se retrouve tel un alpiniste, à mi-che-
min entre la base et le sommet de la montagne, avec la crainte de chuter ou de ne pas
pouvoir avancer. La phase suivante est donc de le suivre (repérer les micro-change-
ments), de sécuriser chacun de ses pas (redéfinir et amplifier les changements) et de
l’autoriser s’il le faut à reculer (freiner de manière paradoxale) pour le laisser attein-
dre finalement son but.
La redéfinition du changement
Après la prescription d’une tâche, le thérapeute évalue ses effets à la séance sui-
vante. A l’annonce d’une amélioration, le thérapeute s’attelle à accroître sa réalité. Et
le changement doit toujours être attribué au client, même et surtout si lui ne le fait pas.
Dans les premiers temps, le patient peut douter de la véracité du changement. En
réaction, le thérapeute fait « feu de tout bois », définissant ainsi chaque détail comme
confirmant la réalité d’un changement (redéfinition positive – Nardone et Portelli,
2005). En effet, le thérapeute se doit de repérer les petits changements perceptibles
dans la vie quotidienne afin d’activer l’effet « boule de neige » du changement.
531
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 532
La logique paradoxale
Dans la droite ligne de la logique paradoxale, les tactiques de restriction du chan-
gement ont aussi leur utilité, surtout lorsque le client se montre rapidement satisfait
d’un changement soudain. Le thérapeute l’incite à être sceptique quant au « bien-être »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
actuel (pessimisme thérapeutique) et le client est invité à « avancer lentement » (« Go
slow », Fisch, et al., 1986). De même, le thérapeute peut insister sur les dangers réels
qu’il y a pour le patient à aller mieux (les « dangers de l’amélioration », Fisch, et al.,
1986).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
ment vis-à-vis des autres entraînent souvent son auteur vers l’impuissance et le
désespoir (Joiner, et al., 1999). Le thérapeute peut ainsi suggérer des recadrages
ou des tâches après avoir identifié les tentatives de solutions spécifiques (éviter,
cacher au lieu d’exprimer, s’isoler).
Conclusions
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
une résolution des problèmes relationnels.
Olivier Delroeux
Rue Victor Horta, 20 boîte 001
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
1348 Louvain-la-Neuve
Belgique
olidelroeux@hotmail.com
BIBLIOGRAPHIE
1. Antonuccio D., Danton W., Denelsky G. (1995) : Psychotherapy versus medication for depression :
challenging the conventional wisdom with data, Professional psychology, Research and Practice, 26,
574-585.
2. Bouaziz I. (1999) : Le droit à la dépression : pour une approche paradoxale des états dépressifs,
Communication au congrès éricksonien de juin 1999.
3. Coyne J.C. (1976a) : Depression and response of others, Journal of Abnormal Psychology, 85, 186-
193.
4. Coyne J.C. (1976b) : Towards an interactional description on depression, Psychiatry, 39, 28-40.
5. Coyne J.C. (1984) : Strategic therapy with depressed married person : initial agenda, themes and inter-
ventions, Journal of Marital and Family Therapy, 10, 1, 53-62.
6. Coyne J.C. (1985) : Ambiguity and controversy : an introduction, in Coyne J.C (ed) : Essential Papers
on depression, Ed. New-York University Press.
7. Coyne J.C. (1989) : Employing therapeutic paradox in the treatment of depression, in Ascher L. M.
(ed.) : Therapeutic paradox, The Guilford Press, New York.
8. Ehrenberg A. (2000) : La fatigue d’être soi. Dépression et Société, Odile Jacob, Paris.
9. Elster J. (1986) : Le laboureur et ses enfants, Editions de Minuit, Paris.
10. Fisch R., Weakland J.H., Segal L. (1986) : Tactiques du changement. Thérapie et temps court, Seuil,
Paris.
11. Fisch R., Schlanger K. (2005) : Traiter les cas difficiles – Les réussites de la thérapie brève, Seuil,
Paris.
12. Haley J. (1993) : Stratégies de la psychothérapie, Erès, Toulouse.
533
07_delroeux.qxp 27.11.2008 12:31 Page 534
13. Janoff-Bulman R. (1992) : Shattered Assumptions, The Free Press, New York.
14. Joiner T., Coyne J., Blalock J. (1999) : On the interpersonal nature of depression : overview and syn-
thesis, in Joiner T., Coyne J., The interactional nature of depression, American Psychological Asso-
ciation.
15. Kahn J., Coyne J., Margolin G. (1985) : Depression end marital disagreement : the social construction
of Despair, Journal of Social and Personal Relationships, 2, 447-461.
16. Megglé D. (2002) : La dépression – Comment l’éviter et comment s’en sortir, Presses de la Renais-
sance, Paris.
17. Mondimore F. (1993) : Depression : the mood disease, The Johns Hopkins University Press, Baltimore.
18. Muriana E., Petteno L., Verbitz T. (2006) : I volti della depression, Ponte Alle Grazie, Milan.
19. Nardone G., Watzlawick P. (1993) : L’art du changement, L’esprit du Temps, Paris.
20. Nardone G. (1999) : Psychosolutions, L’esprit du Temps, Paris.
21. Nardone G., Portelli C. (2005) : When the diagnosis « invents » the illness, Kybernetes : the Internatio-
nal Journal of Systems and Cybernetics, 34, 3-4, 365-372, Emerald Group Publishing Limited, Brad-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
ford (UK).
22. Nardone G., Portelli C. (2005) : Knowing through changing –The Evolution of brief strategic therapy,
Crown House publishing Ltd, Camarthen (Wales).
23. Piaget J. (1937) : La construction du réel chez l’enfant, Nestlé Delachaux, Paris.
24. Tennen H., Eron J.B., Rohrbaugh M. (1991) : Paradox in context, in Wees Gerald R. Promoting change
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 176.145.76.51 - 04/05/2019 10h57. © Médecine & Hygiène
534