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Hank Vogel

Une histoire
dans la tête
automne on me l'a dit on me l'a fait croire
j'ai vu je l'ai ressenti le froid qui revient les
feuilles qui tombent la lumière à travers les
arbres et cette fatigue qui m'envahit finale-
ment je n'ai rien inventé j'ai accepté j'ai dit
oui à Dieu comme un enfant qui dit oui à sa
mère écrire c'est la voie du ciel c'est plon-
ger dans les ténèbres pour atteindre le mer-
veilleux c'est au-delà de nos misères qu'il y
a la réponse quelle réponse le cercle est
infernal j'insiste car je suis têtu la maison
de mes rêves brille dans mon sang elle est
chargée de poussière et de cendres les
cendres de mes nombreuses vies les mots
que je donne à croire je les ai arrachés à ma
mémoire ce sont les mots du moment
même faux aux yeux du lecteur ce sont des
mots justes car ce sont eux qui m'ont aidé à
poursuivre mon chemin à avancer dans le
désert oeuvres manoeuvres il y a des gens
qui prétendent tout savoir et il y a des gens
qui prétendent le contraire je préfère les
anges aux démons le trop vide au trop plein
l'ignorance au savoir l'aube au crépuscule
je cherche un titre ou plutôt je cherche une
histoire quelque chose de vécue vague loin-
taine parfumée d'une essence d'une autre
vie d'un autre temps ailleurs un ailleurs
chargé de jardins sauvages de maisons
abandonnées et de livres oubliés laissés
ouverts par une main ou des mains ramol-
lies par le chagrin tout le monde est parti à
commencer par les enfants ils ont grandi et
ils sont allés voir d'autres demeures plus
modernes aux lumières plus éclatantes
puis les vieux avec leurs terribles passés
ont pris la fuite faute de temps faute de
solidité l'éternité n'était pas pour eux n'est
jamais pour personne pourtant cela aurait
arrangé bien des choses bien des personnes
mon histoire en premier les hommes accro-
chés aux vieilles pierres ensuite les mots
soulignent-ils des moments intenses de ma
mémoire que ma mémoire a enregistrés
l'ignorance est ma seule fortune oublier
l'homme que j'ai été me permettra-t-il de
mieux être cela me permettra de mieux
vivre en tout cas sûrement que dois-je faire
alors on m'a blessé et j'ai réagi j'ai trouvé
des excuses même un chien mérite une
caresse car trop de larmes cela ruine l'espé-
rance transforme la faiblesse en indifféren-
ce la femme avec qui je passe mes soirées
me libère du monde du rêve où tous les
corps ne se touchent jamais où la jouissan-
ce n'est qu'un flirt à peine vraisemblable
elle me libère aussi de la solitude de mes si
pesantes solitudes car c'est un être de chair
et de feu qui m'aspire dans son sexe et qui
me propulse loin de mes incertitudes mais
les anges m'appellent ou d'autres entités
secrètes ou autre chose l'appel d'un lieu
probablement un espace créé par quatre
murs quatre surfaces verticales dont une
qui donne à voir à recevoir lumières et
beautés non je suis injuste ingrat je crache
sur les cadeaux du ciel je néglige le présent
ce qui est en train de germer par ignorance
toujours elle par peur le passé possède ses
cathédrales et ses ruines l'avenir lui ne pos-
sède rien ou si peu ou si mal des horizons
flous tout au plus des horizons qui ne se
dessinent jamais c'est ce qui explique mon
ingratitude les jours passent des années des
siècles peut-être je me lève sobrement
c'est-à-dire sans joie ni peine et après quel-
ques secondes à peine présent me revoilà
de nouveau et à nouveau en train de brasser
avenir et passé malgré moi la machine
cérébrale est ainsi faite m'a-t-on dit un jour
mais sûrement autrement en d'autres
termes autres mots plus savants je sais je
sais mais je ne veux pas je répète je préfè-
re le trop vide au trop plein les anges aux
démons et j'ajoute le trop simple au trop
savant car j'aime me parler comme on parle
à un enfant ou comme l'on devrait lui par-
ler en toute simplicité directement sans
censure exagérée ni domination dire pour
se mettre en valeur par exemple adieu donc
belles phrases bien construites adieu beaux
discours chargés de subtilités adieu impli-
cités et polyphonies recherchées il ne faut
pas m'en vouloir j'ai décidé d'écrire ainsi
d'être ainsi ou si vous préférez d'agir en
adepte du simple et du spontané que cela
plaise ou que cela déplaise ça m'est bien
égal je suis entièrement conscient des dan-
gers que je risque de courir cette phrase ne
me plaît pas aucune importance une voie
m'appelle elle me dit qu'il faut que j'avance
que je me laisse aller que je m'enfonce dans
le trou noir de [ ] je ne sais pas le ou la
nommer ni le ou la décrire en plus ou plu-
tôt je ne sais pas le ou la décrire parce que
je ne sais pas le ou la nommer celui qui sait
nommer les choses qui arrive à les nommer
rapidement a beaucoup de chance pour
communiquer avec ses semblables mais
malheureusement passe à côté de tout ce
qui est autour des choses de leur histoire de
leurs histoires de leur trajectoire dans le
temps et dans l'espace car rien n'est stable
rien n'est définitivement ici ce qui est ici est
déjà en partie ailleurs transformé reformé
ou déformé je veux parler des choses qui
nous passent par la tête avec force ou avec
violence qui bousculent nos pensées éta-
blies qui agitent notre raisonnement qui
peuvent nous faire changer d'avis ou nous
faire admettre que nous avons tort ou nous
faire voir une autre face de la réalité en
définitif celui qui sait nommer les choses
qui arrive à vite les nommer est un être fra-
gile qui par réflexe de survie mentale se
préserve du danger des idées des mots quel
bordel ces mots ces fantômes qui hantent
nos nuits et nos jours nos jours surtout où
[ ] où [ ] non je passe à autre chose à quoi
je ne sais pas exactement ça bouillonne en
moi quelque part au fond de mon âme
quelque part au fond de mon être je préfère
ça l'âme est prête à partir à rejoindre Dieu
ou l'univers des anges l'être lui il est ce qui
est il lutte pour le rester pour rester sur terre
parmi les hommes parmi les bêtes parmi
tout ce qui est sauvage tout ce qui risque de
s'éteindre de n'être plus [ ] tout ça me
ronge l'esprit j'aimerais penser à autre
chose mais je ne sais pas quoi pourtant je
sais que ça bouillonne je ne cesse de me le
répéter de tourner en rond comme un bour-
rique autour d'un puits il tourne tourne
tourne en rond le pauvre sans savoir pour-
quoi l'homme lui sait pourquoi pas le bour-
rique ni l'âne que je suis ou les ânes que
nous sommes lorsqu' un problème devient
le centre du monde lorsqu'il devient le
monde plus que lui il n'y a plus que lui qui
existe aux yeux des chercheurs le reste dis-
paraît ou presque c'est à la fois sain et mal-
sain sain pour résoudre le problème mal-
sain pour comprendre le reste et le reste est
aussi important que le problème peut-être
en comprenant le reste le problème se
résout de lui-même pourquoi ne pas
essayer je pense à hier soir aux lettres que
j'ai déchirées aux heures qu'il a fallu pour
les écrire pour convaincre le destinataire
cet autre avec qui l'on veut à tout prix par-
tager la même tranche de gâteau souvent
réduite en miettes par la pensée cet horrible
monstre qui anéantit tout sur son passage
arbres comme roseaux c'était des lettres
chargées de sourires et de soupirs de pro-
messes et de lamentations de chuchote-
ments puissants et de cris silencieux des
mots versés comme des larmes comme des
morceaux de pain lancés aux oiseaux des
semences jetées sur l'eau c'était des lettres
dont il ne restait plus que le papier et la
couleur de l'encre noire la plupart du temps
les mots formés par l'encre ne disaient plus
rien au destinataire ils étaient morts et
enterrés depuis bien longtemps mais com-
ment faire comprendre cela à celui ou à
celle qui pense tout le contraire pour qui le
mot le mot qu'il a choisi est l'unique repré-
sentant d'une vérité les lettres déchirées
sont restées deux jours dans un cornet à
commissions utilisé comme poubelle avant
qu'elles ne disparaissent totalement de ma
vue quoi de plus banal mais il faut que je
vous dise durant ces deux jours j'ai eu l'im-
pression de veiller un mort un quelque
chose de tout déchiqueté qui semblait pour-
tant encore vivant quelle étrange sensation
ces lettres ces cartes ces petits dessins ces
photographies mises en morceaux par une
main sans pardon la mienne ne cessèrent de
m'interroger sur bien des sujets je pense
qu'ils étaient nombreux ces foutus sujets
par exemple ai-je bien agi ai-je mal agi
décider puis jeter suffit pour oublier pour
effacer définitivement de la mémoire des
moments de rêve parce que les lettres ser-
vent à rêver la plupart du temps on écrit
sagement on utilise des mots sages des
mots tendres des mots qui ont pour but de
déclencher des sensations de bien-être et
celui qui reçoit ces mots se sent quelqu'un
il existe il sait qu'il existe quelqu'un pense
à lui-même si ce quelqu'un n'a pensé à lui
que le temps d'une lettre le temps d'une
fabrication faite de mots de phrases de
ponctuations et autres graphies véhiculant
des messages personnels en somme en
cherchant bien en raisonnant bien je pour-
rais conclure en disant car j'ai hâte d'en
finir avec cela que mes lettres étaient enco-
re vivantes en morceaux au fond de ma
poubelle et qu'elles étaient mortes et bien
mortes intactes sur l'étagère de ma biblio-
thèque tiens le mot étagère me vient à l'es-
prit étagère ou rayon je préfère étagère car
dans étagère il y a étage et étage me fait
penser à hauteur qui me fait penser à de
haut en bas et de bas en haut qui me fait
penser à quelque chose qui est situé dans
l'espace et que j'ai posé selon une échelle
des préférences et ainsi de suite mais [ ]
non oui et en plus j'ai écrit l'étagère et non
une étagère car cette étagère est l'étagère le
lieu l'endroit où différents objets ont trouvé
refuge déposés là parce qu'ils ne pouvaient
pas être déposés ailleurs soit parce qu'ils ne
servaient à rien ou parce qu'ils ont vite été
mis là abandonnés soit parce qu'ils doivent
vite être repris le chronomètre par exemple
cet instrument que j'utilise souvent lorsque
je fais une vidéo et le chercheur de champ
ou viseur-cadreur pour être plus familier
qui me sert à trouver l'angle d'une prise de
vue lorsque je tourne un film ils sont là
visibles prêts à me rendre service moralité
quelle moralité que vient-il faire ici ce
sacré mot quand la pensée travaille tous les
mécanismes mnésiques se mettent en bran-
le et les plus pervers n'hésitent pas à se
mettre en avant pour dominer la situation la
comparaison par exemple je commence à
en avoir assez avec les exemples bref eh
bien la comparaison me propose d'agir en
comparatif abusif et obtus c'est-à-dire de
trouver sans cesse et partout des ressem-
blances des similitudes ou des liens même
entre des êtres ou des mondes totalement
opposés autre jour autre démarche peut-
être c'est lundi et je n'aime pas les lundis
car pour moi ce sont les jours de l'obéis-
sance on obéit aux règles de la quotidien-
neté aux règles sociales on obéit comme un
chien la queue entre les jambes et cette sou-
mission fait mal au coeur à l'esprit aux
organes aussi bien au sexe qu'aux yeux car
on nous oblige à regarder l'indésirable et à
aimer le détestable stop il faut que j'aille au
travail vous voyez samedi jour de repos
jour de liberté je ne suis plus au service de
l'ingratitude humaine le temps de cette
liberté non plus au service de l'imbécillité
sociale de cette société où il faut sans cesse
courir pour que les bien installés se sentent
bien forts toujours plus forts pour qui se
prennent-ils ces êtres de nulle part ces
pachydermes qui de père en fils ronflent de
satisfaction ces serpents et qu'intrigues et
corruptions ont parachutés au saint des
saints de la bourgeoisie tribus sophisti-
quées et imperméables qui fonctionnent à
huis clos et qui s'approprient toute bonne
idée étrangère qui condamnent sans pardon
toute maladresse venant d'ailleurs mais qui
s'autorisent toute indiscipline aussi mons-
trueuse soit-elle je regrette d'avoir été sage-
ment éduqué et d'avoir déserté les écoles de
la violence après tout non je ne regrette rien
pourquoi perdrais-je mon temps à chercher
à redresser ce qui ne peut pas être redressé
les cimetières n'ont jamais reflété la
moindre joie de vivre et ne la refléteront
jamais comparaison faite toujours elle ces
tribus sophistiquées sont stériles à bien des
points de vue car elles tournent en rond
avec et dans leurs traditions ne créant ainsi
aucune nouveauté dans leurs danses orga-
nisées et chargées de règles elles ne soulè-
vent que poussières et misères rien n'est
mis en question absolument rien et toute
tentative de changement est rapidement
mise hors circuit quelle monotonie
dimanche jour du seigneur pourquoi cette
image pourquoi pas point zéro de la semai-
ne ou point mort où l'on ne souhaite aucu-
ne conclusion où l'autre est un peu mieux
considéré car il n'est plus cet adversaire ter-
rible que l'on croise à chaque coin de rue à
chaque seconde ce policier traqueur le trap-
peur qui rôde à travers les étendues désor-
données de notre savoir prêt à capturer et à
vouloir dresser nos bêtes sauvages
dimanche jour également de liberté mais
sans lendemain sans espoir au crépuscule la
quotidienneté nous attend déjà et les
oiseaux nous rappellent qui nous sommes
ce que nous sommes devenus à force de
répéter les mêmes joies de nous raconter
les mêmes histoires c'est-à-dire des êtres
sans surprise des êtres mécanisés mathéma-
tisés des formules complexes parfois réso-
lubles heureusement c'est ce qui explique
peut-être la naissance de la psychanalyse et
des trop nombreuses psychologies j'espère
me tromper j'espère me tromper totalement
car j'ai espoir en l'homme un texte en cache
un autre un mot en cache un autre prépare
le terrain au suivant comme si non j'ai l'im-
pression que le premier mot d'un texte ou
d'une phrase porte en lui toute la responsa-
bilité d'une vision avec un autre mot le
résultat serait tout autre c'est le premier pas
qui ouvre la marche c'est le premier regard
qui déclenche la relation et si je vous don-
nais à lire le texte qui précède ce texte cette
chose hybride qui cède sa place à mes ten-
tatives d'explication de justification ou de
mise au point la mort nous guette à chaque
coin de rue à chaque seconde car rien n'est
certain en ce bas monde même l'incertitude
est incertaine mère de toutes les instabilités
je décide de me lancer dans une nouvelle
aventure littéraire littéraire est un grand
mot le mot n'est peut-être pas juste cela n'a
aucune importance ce qui est important
c'est le fait que je me décide à plonger sans
v e rgogne dans l'océan des mots pour
essayer d'extraire de ma conscience de pri-
mate éduqué quelques vérités profondes de
faire venir ou revenir à la surface de ma
psyché quelques pensées d'outre-raison je
l'espère je ne me garantis pas la réussite il
faut être prétentieux pour garantir une
pareille réussite et je ne crois pas l'être bien
que nous souffrons tous d'une dose surhu-
maine de médiocre assurance je pars donc
dans cette aventure discursive l'esprit libre
libre comme l'air libre comme le vent ce
qui veut dire qu'à tout moment je risque de
changer de cap d'être maladroit vaporeux
ou de vite conclure faute de matériaux
fautes de preuve ce désir de tenter d'explo-
rer les paysages les plus obscurs de mon
âme a probablement été engendré par
quelques accusations qui m'ont été faites
lors d'une rencontre sentimentale bref les
lumières doivent s'allumer d'elles-mêmes
pour que les choses soient parfaitement
admises comme telles et si je commençais
par le commencement quel commencement
au début de toute existence il y a le vide
espace sans limites royaume sans frontières
où le roi et le royaume se confondent où le
rien et le tout n'ont pas encore eu l'occasion
de s'affronter où la naissance et la mort
n'ont pas encore suscité le moindre souffle
le vide j'y vais j'y suis croyez-vous que cela
soit possible croyez-vous sincèrement que
l'on puisse être dans ce qui n'a jamais été de
nager dans les airs ou de planer dans les
eaux il faut être fou pour pratiquer de
pareilles gymnastiques et pourtant c'est ce
que nous faisons tous lorsque nous imagi-
nons lorsque nous pensons être dans ce qui
n'a jamais été bien que [ ] non nous
sommes dans une réalité au-delà de la réa-
lité c'est-à-dire une réalité où nous ne ces-
sons de nous laisser bombarder par des
images floues décolorées ou de couleurs
incertaines des images empruntées au passé
ces images chargées de vieilles espérances
de ce fait de fausses espérances à force de
persister et finissent par nous entraîner
dans les cimetières de l'être et par nous
encourager à prier dieu saints et démons
afin que ce qui a été renaisse en ce qui sera
le passé devenu futur dans le meilleur des
mondes c'est-à-dire être dans ce qui n'a
jamais été malheureusement nous ne pou-
vons que constater que toute causalité quel-
le qu'elle soit suite à telle ou à telle autre
action ou événement ne peut être identique
qu'à elle-même et de ce fait n'être la dou-
blure d'aucune autre mais dans quelle galè-
re suis-je en train de m'embarquer je n'ai
nullement l'envie de me lancer dans le jeu
des argumentations je n'ai ni la force ni le
courage de fouiller dans ma mémoire le
moindre mot susceptible d'anéantir toute
éventuelle hésitation ou négation de la part
du lecteur car je suis un admirateur incon-
ditionnel de la théorie du désordre et je
tiens à me comporter en humble serviteur
vis-à-vis de cette philosophie née de mes
propres observations il quitta sa chambre
de travail sa chambre sa chambre un lieu
sombre presque sans lumière sans lumière
du ciel un lieu où il accumulait livres et
aventures où il enterrait misères et fai-
blesses il faisait beau ce jour-là le ciel était
d'un bleu immaculé bleu comme la couver-
ture de son cahier l'unique témoin de ses
joies et de ses révoltes l'unique véritable
ami l'homme en question était un homme
qui s'était mis mille fois en question et
mille fois aussi il s'était demandé s'il avait
bien fait de s'être mis en question dans la
rue il marchait il marchait en croisant êtres
et objets forcément mais il marchait surtout
en marchant ailleurs sur la lune pour cer-
tains tout simplement ailleurs pour les
autres les autres ils étaient parfois trop
nombreux ces autres aux idées trop pré-
cises aux déclarations trop rapides aux
accusations trop faciles les autres des
parents des amis des femmes des ivrognes
des désespérés des professeurs des pseudo-
savants des illuminés des faux saints des
hommes de coeur des hommes de guerre
finalement des hommes et des femmes
chargés de larmes et de rêves l'homme s'ar-
rêta et entra dans un café il commanda un
thé-citron ou lui apporta un thé-nature il
réclama et le citron arriva au galop il
remercia ce n'était pas la peine on servait
déjà quelqu'un d'autre puis il sortit de son
veston son cahier bleu ciel évidemment et
se mit à écrire il se mit à penser à ordonner
sa pensée pourquoi fait-on les choses quel
est l'ange ou le démon qui nous force à agir
ainsi finalement [ ] malheureusement sa
pensée était rebelle ce jour-là elle ne vou-
lait suivre aucune directive obéir à aucune
loi elle semblait usée par trop de discours
contradictoires car on lui en avait fait voir
de toutes les couleurs on lui avait fait croi-
re à de nombreux paradis il avait avalé des
couleuvres et le venin de toutes ces igno-
rances serpentait encore dans son sang
l'homme posa sa plume sur la table puis il
la rangea puis il rangea toute sa science
dans sa mémoire et il se mit à contempler le
monde les hommes les femmes tous ces
êtres qui n'avaient pas d'ailes mais qui
croyaient en posséder toutes ces bouches
tous ces nez qui respiraient en soufflant et
qui soufflaient en respirant tous ces yeux
qui se perdaient dans le désir tous ces
visages qui ne cessaient de se cacher der-
rière un masque blanc noir ou les deux à la
fois j'aurais dû continuer à me laisser sédui-
re par les pouvoirs cachés de la fiction puis
par le personnage principal de ce récit puis
par les autres personnages à venir puis par
l'histoire elle-même contrairement à toute
démarche romanesque où l'histoire en est le
moteur je serais donc parti à l'aventure dans
un désert vide de sens et d'action mais avec
l'espoir de rencontrer dieu mon casse-tête
préféré puis fais en sorte qu'un obstacle soit
subitement là et transforme ce désert en un
labyrinthe accessible aux plus humbles
curiosités mais voilà que quelques paroles
décourageantes de la part d'une amie me
firent changer d'avis ou plus exactement
me poussèrent à passer à autre chose et le
récit en question fut définitivement mis de
côté moralité là il y en a une un écrivain
doit apprendre à se taire il doit savoir qu'un
texte inachevé ou en voie de fabrication
possède une charpente textuelle instable
qui risque l'effondrement à tout moment à
chaque segment ajouté à chaque change-
ment de position discursif à chaque écritu-
re il doit donc se taire et si cela lui semble
nécessaire pour son réconfort personnel à
ne dévoiler ses inventions imaginatives
qu'à un lecteur averti silencieux capable de
lire au-delà des mots c'est-à-dire capable
d'entendre les voix profondes du texte car
tout conseil de correction ou de restructura-
tion est comme un pavé que l'on jette à la
figure ainsi le visage aura à retrouver sa
beauté première toute la force de ses
expressions j'exagère peut-être ou sûre-
ment pas pour moi les mots ont un pouvoir
et une force terribles ils bouleversent les
vies ils traversent les âges et les guerres
indemnes pour la plupart d'entre eux cer-
tains perdent leur droit à l'existence par
usure mais sont vite remplacés par un com-
pagnon de même race ils sont les amis sans
pardons ils écrasent tout sur leur passage
les langues perverses en savent quelque
chose mais préfèrent se taire lorsqu'il s'agit
de philosopher sur la violence car elles se
sentent coupables j'ai une envie folle de
reprendre l'affaire charly stone roman
abandonné faute d'inspiration je n'en sais
rien probablement le héros qui est un anti-
héros se trouve à un point faible de son his-
toire à un point mort où tous les horizons
sont possibles mais où aucun d'entre eux ne
réclame droit à l'existence mais qui est
donc charly stone et d'où vient-il charly
c'est à la fois les ténèbres et la lumière la
prison et la liberté l'esclave et l'homme
libre le passé et l'avenir la lourdeur et la
légèreté c'est la somme effroyable de mes
soumissions et la somme incalculable de
mes désirs d'action agir faire faire en sorte
faire engendrer donner découvrir accepter
aimer et tout ce qui en découle charly c'est
aussi la mise à jour de mes indisciplines
considérées comme telles par les esprits
religieux et frustrés charly regarde hésite
et s'engage avec prudence dans l'inconnu
un jour croyant bien faire il flirta avec l'in-
tolérable et il se trouva au fond d'un gouffre
c'est également cela charly l'exception qui
confirme la règle la maladresse qui arrive
par trop d'adresse l'explosion inattendue et
inévitable cet homme chargé de vieilles
cicatrices débarque sur une terre nouvelle
et quasi vierge en oubliant l'être qu'il a été
et l'univers sombre dans lequel il a vécu
oublié de tous aussi bien des ingrats que
des savants les soi-disant miroirs de la véri-
té charly veut enfin vivre avoir les mêmes
droits à l'existence que ses frères de même
sang de même culture il veut jouir des
mêmes plaisirs avoir accès aux mêmes jar-
dins aux mêmes maisons aux mêmes châ-
teaux il veut agir et contre-agir comme un
citoyen à part entière quand on commence
à écrire un roman le héros que l'on a dans la
tête est souvent un personnage douteux
maladroitement forgé qui vient d'un pays
incertain flou ce n'est que plus tard plu-
sieurs pages voire plusieurs chapitres après
que l'être en question apparaît dans l'esprit
de l'écrivain comme quelqu'un de vivant
qui possède véritablement une âme il a
enfin un vécu des rêves des faiblesses et
des qualités il souffre il vit il a peur il res-
pire c'est ainsi que ça fonctionne chez moi
car les personnages que je m'invente sont à
l'image de mes rencontres au début elles
sont totalement masquées ce n'est qu'au
bout de plusieurs jours plusieurs semaines
qu'elles n'ont plus de masques au com-
mencement il y a l'envie est-ce uniquement
une envie d'écrire comment le savoir je suis
parachuté dans un désert chargé d'horizons
le sable est si brûlant qu'il ne me reste qu'à
courir droit devant moi comme un fou
comme un désespéré voilà ce que je peux
dire pour l'instant en ce moment en cette
période trouble aux approches des fêtes de
noël et de fin d'année le brouillard est là un
brouillard de mots et d'images un brouillard
qui porte le nom de commencement et d'en-
vie comme si l'envie pouvait exister sans
un commencement et vice-versa étrange
pensée au commencement les paysages
sont trop instables flous vides de certitude
bien que la certitude n'est qu'une illusion
bref et le voyageur que je suis n'a qu'une
idée en tête atteindre le merveilleux j'espè-
re être clair pour moi d'abord pour ma
concierge ensuite une concierge que je ne
connais pas heureusement dans un certain
sens bref c'est le deuxième qui vient à mon
secours deux déjà deux quoi c'est mon
ignorance qui me questionne qui ne cesse
de penser aux autres à cet autre qui refuse
d'avancer dans le vide que vais-je encore
inventer pour sortir de ce brouillard où l'on
parle de clarté et d'horizon tout le contraire
de la réalité ou s'agit-il d'un univers imagi-
naire probablement j'ai envie de conclure et
je conclus je viens de poser les premiers
mots d'une nébuleuse textuelle par envie
non déjà dit par désir par nécessité dans
deux jours ce sera la veille de noël je serai
seul certainement seul avec mon art et mes
souvenirs seul avec mes gloires et mes
défaites comme au temps où [ ] de quelle
période de ma vie voudrais-je parler tout
me semble si lointain si vague mais de quoi
voudrais-je parler je suis un grand menteur
un être qui s'envole à la moindre grimace
au moindre baiser alors un peu de sincéri-
té pour une fois j'essayerai pour ma
concierge d'abord qu'elle aille se faire
foutre cette vieille conne aux idées conser-
vatrices cette intellectuelle qui ne lit que les
magazines de mode à la mode rupture autre
jour autres perceptions une image me vient
à l'esprit la photographie de la belle oda-
lisque merde je n'arrive pas à me concen-
trer une musique de débile pour débiles me
casse les oreilles je suis tout irrité la moder-
nité ne convient pas à tout le monde ques-
tion de sensibilité il faudrait se renseigner
auprès d'un spécialiste de l'âme pour obte-
nir un résultat satisfaisant vraiment la rose
ne pousse-t-elle pas aussi dans le purin et
tout ça à cause de cette musique de dingues
pas forcément non ça vient ça vient des
profondeurs de ma mémoire quelle est
belle cette salope avec ses fesses à l'air face
à moi face à celui qui l'a peinte face à celui
qui l'a dévorée des yeux le vieil obsédé
d'ingres ce maître incontesté qui m'a forcé
à aimer le violon surtout le sien avec ses
cordes qui n'en finissent jamais qui mon-
tent au ciel qui descendent aux enfers tient
un bruit mais que s'est-il donc passé la belle
a-t-elle pété bon dieu quelle odeur horrible
ça pue la mort mais qu'a-t-elle donc mangé
de si dégoûtant pour arriver à dégager une
telle puanteur du boudin du boudin faisan-
dé avec des olives et des oignons heureuse-
ment que rien n'est éternel la belle disparaît
sort du champ non elle disparaît tout sim-
plement car nous ne sommes pas au cinéma
ni ni ni [ ] la veille de noël et noël lui-
même ont passé mes craintes et mes éven-
tuels désespoirs également pareils à mes
amis pareils à mes illusions la belle oda-
lisque est restée dans l'ombre pendant ces
jours de fêtes dans l'ombre et à l'ombre de
mes rires et de mes critiques comme une
vieille souris grise qui a cessé de se faire
prendre pour une souris rose ou mauve en
cas de froid en cas de tempête polaire le
rose devient mauve en basses températures
paraît-il c'est ce que l'on dit et on dit telle-
ment de choses on dit aussi que la vie est un
long fleuve comme si les rivières ne valent
qu'un souffle a mes côtés une vieille dame
en fourrure de je ne sais qu'elle grosse bête
parle à son chien elle parle à son chien
comme moi je parle à mon cahier des mots
sans réponse ou des questions faites de
réponses en somme je pourrais dire que
mon toutou à moi se sont mes pages
blanches blanches et vierges prêtes à se
salir pour moi pour mes beaux yeux pour
ces yeux qui n'ont vu que de fausses et de
maladroites odalisques aux fesses trop
blanches parsemées de boutons que voulez-
vous on mange trop de saucisses dans ce
pays je saute je sursaute les ruptures ne
viennent pas uniquement pour nuire elles
viennent aussi pour que l'on passe à autre
chose après les larmes la découverte l'hori-
zon s'élargit se multiplie parfois permettant
ainsi aux roses d'embellir nos décors aux
roses qu'on achète bien entendu ou à celles
que l'on trouve sur un trottoir comme moi
hier soir en allant acheter des médicaments
sans doute des fleurs refusées ou perdues
refusées donc par une femme jalouse ou
perdues par un homme ivre de nombreuses
femmes m'ont déçu surtout celles qui se
sont rarement offertes pour une simple
plaque de chocolat mais celles qui m'ont
déçu le plus sont celles qui se sont permises
de critiquer les filles de bangkok jésus avait
donc raison mais moi je dirais plutôt ceci
au lieu de regarder la poussette qui rode
dans l'oeil de ta voisine regarde plutôt le
foutre qui circule à toutes pompes dans le
tien 30 décembre 1995 je suis à l'astragale
et je suis nulle part le passé me pèse lourd
et l'avenir ne fait pas le poids pareil à une
ombre à peine visible légère et fuyante j'ai
quitté toute une famille pour le vide le plus
total quelle défaite pour ma lucidité heu-
reusement que je suis encore lucide de ça 2
janvier 1996 je n'ai rien à dire rien qui
semble provenir d'un ailleurs incertain où
tout serait parfum de rêve où la belle oda-
lisque serait reine et moi prince charmant
où le vent me mettrait facilement en colère
pour plaire aux enfants avides de légendes
mais de quoi donc voulais-je parler un
roman ne se construit pas en un seul souffle
il y a d'autres souffles qui l'accompagnent
jusqu'à son accouchement définitif ce sont
les souffles des mille et une hésitations
craintes et désobéissances ce sont les
souffles du pararoman ce qui vient avant
pour disparaître juste après avec timidité
avec pureté dans un désordre plein de poé-
sie dans une logique qui déplairait aux lec-
teurs surtout à ceux qui ne voient dans une
séquence textuelle que des mots explicatifs
et pourtant ce serait ça le vrai roman dans
toute sa grandeur sa splendeur le pararo-
man la préhistoire du roman sa face cachée
ses sources ses points de fuite je viens
d'acheter cinq livres un pour chaque doigt
de ma main droite absurde vraiment ruptu-
re un ami s'assied à ma table le risque
d'écrire dans un café les gens viennent et se
mettent à vous raconter leur vie comme s'il
n'y a que ça de vrai d'essentiel ils ne pen-
sent pas ils ne voient pas que vous êtes en
train d'écrire quel égoïsme c'est un peu ça
les amis ils s'imposent avec leurs moi et
leurs je interminables qui vous occupent
des soirées entières je finis par rentrer chez
moi 6 janvier 1996 je n'ai toujours rien à
dire la vie me paraît vide vide probable-
ment par trop de désirs des rêves insensés
et des croyances vaines il ne me reste plus
qu'à poser mes armes et à me déclarer vain-
cu puis si dieu veut bien encore de moi
j'irai aux sources des mille et un nuages et
de mes cendres encore tièdes je nourrirai la
terre 8 janvier 1996 faut-il que je répète
j'aimerais tant qu'un ange vienne à mon
secours vienne me secouer et me force à
découvrir d'autres horizons 9 janvier berne
la bêtise est universelle j'ai honte d'avoir
plongé dans l'absurde par curiosité proba-
blement par désir de jouissance la salle
était obscure le film était osé les specta-
teurs me semblaient subitement pervers j'ai
fui dégoûté et déçu de moi-même 13 jan-
vier 1996 l'argent file file et j'engraisse j'en-
graisse heureusement les repas et l'alcool
me font oublier l'être oublié que je suis aux
fêtes de fin d'année j'ai pu vérifier une main
suffit largement pour compter ses amis
d'ailleurs au troisième doigt c'était déjà la
foule une foule aussi désintéressée que le
vent j'ai perdu ma paire de lunettes préférée
en tirant l'eau des toilettes elle est tombée
au fond de la cuvette et elle a suivi le mou-
vement mon âme la réclame encore mes
yeux eux par nécessité visuelle se sont vite
adaptés à une autre paire mon père m'a
apporté toutes mes anciennes pipes
anciennes parce qu'elles dormaient au fond
d'un tiroir chez mon ex ça fait plusieurs
années que j'ai cessé de fumer bonne déci-
sion pour ma santé mauvaise décision pour
mon écriture car après chaque accouche-
ment textuel j'avais en face de moi ou entre
mes mains un ami fumeux avec qui je pou-
vais encore dialoguer que vais-je faire
maintenant avec ces bouts de bois sculptés
parfois avec art je serais tenté de me
remettre à fumer ne serait-ce que pour
replonger dans le passé revivre des sensa-
tions de réconfort ou de béatitude la pipe
dans la bouche après un texte achevé tel un
bonbon après un gros effort que dois-je
faire seigneur ces instruments à bouche me
rappellent tant de choses non seulement des
actes d'écriture et de lecture mais aussi de
longues promenades à la campagne avec
celle qui fut courageusement mon épouse
20 janvier 1996 conférence d'andré green la
psychanalyse ne me convient pas il y a trop
de perspectives savantes pour de si bar-
bares mécanismes l'homme était-il ruine
avant d'être monument 21 janvier 1996 j'ai
rencontré ma femme mon ex dans un parc
et je me suis promené avec elle en la pre-
nant par le bras malheureusement ce n'était
qu'un rêve 22 janvier 1996 lundi jour de
travail 27 janvier 1996 samedi j'attends
mes enfants faut-il croire que tout est une
question de terrain on est propice ou on ne
l'est pas mais de quoi s'agit-il mais de
l'amour bons sang de quel amour de cet
amour qui nous pousse à rêver et qui nous
empêche de dormir la nuit les premières
nuits sont blanches les suivantes sont roses
grises ou noires je vois du moins j'essaye
de voir et dire que j'étais à l'abri de tout cela
je croyais l'être et je constate qu'il suffit
d'un rien pour que tout bascule l'homme est
un être fragile c'est surtout un éternel
enfant mais il y a du bon dans tout ça pro-
bablement certainement le flou lui va à
merveille oui le flou lui va à merveille je ne
cesse de penser à marie depuis notre pre-
mière conversation téléphonique sa voix
oui sa voix me plaît d'où viennent-ils ces
sons si parfumés de tendresse je ne sais
plus ou pas quoi écrire passer d'un texte à
un autre texte c'est comme passer d'un
monde à un autre monde on plonge dans un
univers sans repères on pose ses pieds nulle
part quels mots va-t-on puiser au fond de sa
mémoire question sans réponse car on a
beau prédire les choses viennent d'elles-
mêmes l'une après l'autre l'une tirée par
l'autre comme des maillons destinés à ne
former plus qu'une chaîne marie a passé de
ma tête à mon âme et j'aurais une histoire à
vous raconter une histoire bien étrange
mais qui me croirait il y a des choses
bizarres qui se passent dans ce monde des
choses qui dépassent toute logique des
choses qui semblent naître d'un empire
céleste chargé de bons conseillers des êtres
qui s'infiltrent dans nos veines pour nous
guider vers un ailleurs toujours autre mais
voilà que le passé me ronge tous mes désirs
de découverte que dois-je faire alors ma
mémoire pleure le temps de mes bien-heu-
reuses récoltes et se révolte contre le vent
dévastateur de mes premières saisons en
enfer villars-les-moines je suis dans le
monde des enseignants en plein séminaire
comme en plein ciel je ne touche pas terre
je plane les horizons sont multiples ou
inexistants je pense à marie à notre conver-
sation téléphonique où il était question de
vampirisme où il y a des êtres qui épuisent
et qui puisent chez les autres de l'énergie
les plus utiles énergies le sang de l'avenir
les verbes du savoir on vole on viole et on
joue du violon dieu que nous sommes
faibles dieu que nous sommes exposés à
des vents destructeurs et si et si quoi je n'ai
rien à proposer rien à donner rien à prendre
je ne suis qu'un pauvre spectateur sans un
sou je regarde sans conclure je regarde tout
simplement l'écriture m'a ouvert les yeux
grâce à mes brouillons qui cachaient forces
et faiblesses les ruines et les merveilles de
nos vieilles mémoires salle de lecture a
deux pas d'une bibliothèque j'attends j'at-
tends de pouvoir prendre mon petit déjeu-
ner ai-je faim ou suis-je gourmand je
replonge dans le monde des enseignants les
rêves sont infinis les réalisations sont peu
nombreuses et mal définies plenum ou face
à face sans faces la communication est à
sens unique travail de groupe ou en groupe
la communication est interactive on se gar-
garise on se dévoile ou plutôt on dévoile ce
que l'on veut bien dévoiler ses exploits ses
craintes aussi mais lorsqu'elles sont égale-
ment des exploits atelier ou officine on
passe d'une case à l'autre d'une contrainte à
l'autre d'un interrogatoire à l'autre on se
sent sans cesse coupable d'une lacune on se
trouve sans cesse face à un juge qui sourit
ou qui se prend trop au sérieux je pense à
marie j'ai hâte de me retrouver dans ses
bras ou de la sentir dans les miens sa
bouche ses baisers la jouissance a son
propre langage qui échappe à l'univers de
l'écrit qui échappe au registre des pho-
nèmes gare de fribourg j'attends le train
comme toujours j'attends vivement que le
train arrive toujours cette hâte je monte
dans le train on part je m'éloigne du monde
des enseignants je redeviens moi-même ce
n'est peut-être qu'une impression une légè-
re peur m'habite peur de perdre marie qu'el-
le décide subitement de ne plus me voir une
heure et vingt-deux minutes plus tard sur le
quai de la gare marie est là elle m'attend
elle m'attendais je descends du train je
m'approche d'elle nous nous embrassons
nous allons chez moi nous faisons l'amour
son corps est une merveille sans doute
grâce aux sentiments qui sont pour quelque
chose puis nous ouvrons une bouteille de
vin offerte par monique pour mon demi-
siècle d'existence et nous buvons monique
ne fut qu'une rencontre un rapprochement
provisoire de deux solitudes ce qui devait
être fut un point c'est tout coup de télépho-
ne mes enfants me souhaitent un bon anni-
versaire mon ex également nous nous
habillons pour aller au restaurant casque
sur la tête zig-zags en vespa sans doute à
cause ou grâce à la bouteille de vin mais
marie conduit avec prudence j'ai pleine-
ment confiance en elle deuxième bouteille
au restaurant avec une entrecôte et des
frites marie téléphone à ses parents ils ren-
trent du mexique ils nous invitent à boire
un digestif autres zig-zags son père nous
reçoit un chapeau mexicain sur la tête
marie éclate de rire comme souvent mais là
c'est vraiment l'éclatement l'alcool me fait
dire des choses que j'épouserais bien marie
par exemple son père me fait remarquer
notre différence d'âge c'est vrai un demi-
siècle et un quart de siècle avec quelques
années en plus c'est comme [ ] je n'en sais
rien ce n'est qu'une question d'apparence
l'âme n'a pas d'âge ni couleurs ni formes
selon moi bien entendu nous quittons ses
parents marie rentre chez elle je rentre chez
moi j'ai toujours cette histoire à vous racon-
ter qui rôde dans ma tête à la vitesse de la
lumière à la vitesse de la folie insensée
conception de la folie j'aimerais tellement
comprendre comprendre tout une fois pour
toutes ces choses qui viennent de très loin
dictées probablement par une voix d'outre-
raison j'aimerais comprendre puis oublier
me laisser aller me laisser emporter par un
vent chargé de sagesse par la béatitude et si
la vie n'était qu'un rêve qui se reproduit
sans cesse qui voyage dans le temps qui ne
se réalise dans la mort au saint des saints
de toute existence de la vie non je divague
non c'est probablement le contraire je suis
trop bien trop proche de dieu ou des anges
ou suis-je devenu ange un être de plumes et
d'images prêt à s'envoler je reviens sur terre
je suis dans une pizzeria j'attends marie tic
tac tic tac et cette histoire elle vient elle
vient elle viendra un peu de patience il faut
que je me prépare que je retrouve toute ma
lucidité car c'est une histoire bien étrange je
vous l'ai déjà dit marie arrive nous nous
embrassons sur la bouche les autres n'exis-
tent pas à ces moments de grâce à ces
moments bénis des anges et des dieux à ces
moments où les bouches s'expriment en
toute simplicité en toute vérité nous com-
mandons deux monaco nous avalons ce
breuvage mi-bière mi-limonade teinté de
sirop de grenadine et puis casque sur la tête
nous voilà en route pour une séance de
méditation un cercle d'êtres humains se
construit deux amis de marie font partie de
cette tribu spirituelle un étudiant en théolo-
gie et un homosexuel une âme qui se
cherche et un corps qui se recherche qui
étions-nous avant d'être nos vieilles
mémoires sont toujours là pour foutre la
pagaille aimer c'est transcender tout cela
non tout ça on allume une bougie on
enclenche un magnétophone directives ges-
tuelles et musique les cerveaux obéissent
forcément il n'y a rien d'autre à faire puis
position immobile et nous nous laissons
emporter par notre imaginaire probable-
ment je vois des choses des êtres un vieil
homme et un jeune homme le vieil homme
porte une longue barbe blanche le jeune
homme a de très longs cheveux noirs très
noirs et tous les deux ont la peau brûlée par
le soleil d'où viennent-ils qui sont-ils je
sens des douleurs un peu partout qui vont et
qui viennent et ces deux individus aucune
importance sans doute des images symbo-
liques le vieil homme c'est peut-être moi et
le jeune homme c'est peut-être marie
quand elle déclare être yang se sentir
homme avoir des réactions d'homme cela
ne me dérange nullement au contraire cela
m'arrange surtout quand nous faisons
l'amour marie agit et moi je subis je me
laisse faire cela me convient convient à ma
paresse de poète de rêveur d'homme de
nulle part qui est à l'écoute de l'au-delà oui
j'écoute parfois l'au-delà comme un enfant
qui écoute sa mère ou son père qui écoute
une histoire tout inventée au goût du jour
au goût de la nuit c'est-à-dire les yeux et la
bouche grands ouverts fin de la séance cha-
cun raconte ce qu'il a vu ce qu'il a ressenti
marie parle de cascades l'étudiant en théo-
logie également comment se fait-il la pen-
sée voyage-t-elle est-elle une musique
silencieuse une jeune femme parle d'anges
et de maîtres spirituels on parle même de
jésus dont on ressent la présence à côté de
soi c'est merveilleux réalité ou irréalité l'es-
sentiel c'est de rêver de nager dans des
sphères qui nous éloignent de la quotidien-
neté changement de lieu changement de
jour il n'est pas nécessaire de chercher à
tout dévoiler les choses essentielles se
dévoilent d'elles-mêmes par le parfum
qu'elles dégagent forcément elles ont le
goût de l'aventure de l'autre du vide de l'in-
fini changement de disque je suis ailleurs la
vie intérieure n'a pas de compteur ni d'hor-
loge on se trouve ici puis subitement
ailleurs puis subitement là qui était ici mais
qui ne l'est plus ou qui était peut-être les
images s'additionnent et se soustraient à la
fois elles inondent notre mémoire par
moment notre vie intérieure échappe à
l'ordre elle n'obéit qu'à elle-même elle fuit
toute autorité elle est au-delà de toute
logique et cette histoire vient-elle pourquoi
toute cette préhistoire avant cette fameuse
histoire faut-il trouver une explication à
cette gymnastique cérébrale qui questionne
l'auteur ou le lecteur ou les deux à la fois il
était donc une fois non c'est ridicule il n'y a
jamais eu de véritable commencement ni
de véritable fin tout était déjà écrit avant de
naître quelque part dans les nuages peut-
être ou dans le vent les histoires se répètent
se construisent un avenir connu d'avance
tout va et vient rien n'est nouveau peut-être
différent mais déjà connu finalement tout
n'est que souvenir alors je me souviens je
me souviens donc d'un jour sans date ni
heure un jour de beau temps le ciel était
d'un bleu immaculé c'était un jour de prin-
temps peut-être de pleine lune les oiseaux
chantaient je crois ils annonçaient les cou-
leurs d'un monde en voie de gestation char-
gé de nouvelles espérances et les corbeaux
s'étaient interdit tout croassement ce jour-là
comme si le son de leurs cris risquait de
tout remettre en question car il était dit que
les grands évènements se préparent en
silence à l'abri du bruit des protestations il
était dit et il est dit encore parmi les sages
et les saints de cette terre que dieu ne cesse
de chérir et que les démons ne cessent de
détruire faute de sentiments je me souviens
maintenant d'une ruelle qui portait le nom
d'une montagne qui blanchissait la premiè-
re en hiver le vent était absent ce jour-là ou
ce matin-là cela n'a aucune importance car
mes yeux ne se souciaient guère de la tra-
jectoire du soleil cet astre qui réchauffe et
qui brûle à la fois qui caresse et qui gifle à
la fois mes yeux ne cherchaient qu'à capter
le raisonnable sur une toile peinte par dieu
une toile toute recouverte de mystérieux
messages les mystères de la vie en effet je
regardais le ciel quand subitement une
image un enfant blond fit son entrée sur la
scène de mes interrogations qui est-il que
veut-il il ne me dit rien mais je compris que
c'était un être à venir un être qui attendait
là-haut qu'un fou de dieu ou un poète
veuille bien et fasse en sorte qu'il se retrou-
ve ici-bas suis-je ce fou ou ce poète capable
d'accueillir sur terre une telle âme car il
s'agissait d'une âme chargée d'un étrange
savoir d'un savoir propulseur c'est ce que je
compris en regardant le ciel puis je donnais
un nom à cette fabuleuse image l'enfant
doré est cet être mi-homme mi-dieu dont
nous souhaitons tous être le père le premier
des serviteurs probablement depuis le
début des temps et cette terrible image ne
me quitta plus elle fit de moi l'écrivain
rebelle que je suis c'est-à-dire un poseur de
mots qui désobéit souvent au règles éta-
blies et qui saute du coq à l'âne afin que [ ]
trou de mémoire ou mémoire trouée je suis
fatigué cette histoire est dure à supporter
est dure à avaler et encore plus dure à
raconter je l'avais mise de côté dans un
lointain tiroir de ma mémoire afin qu'elle
me laisse libre de mes actes afin que je
reste un homme comme tous les autres
c'est-à-dire un homme semblable à mes
maîtres d'école mes professeurs mes
patrons mes collègues de travail mes cama-
rades de collège mes compagnons de guer-
re et surtout à ma concierge qui lit et relit
avec délectation tout article concernant la
vie tumultueuse d'un prince ou d'une prin-
cesse ou mieux encore d'une star de cinéma
comme elles sont belles ces terribles
blondes aux seins généreux qui se laissent
dévorer sans vergogne par les objectifs
déformants de ces photographes avides
d'éternité marie aussi a de très beaux seins
qui durcissent au contact de ma bouche une
bouche avide elle aussi d'éternité comme
ces chasseurs d'images qui essayent d'arrê-
ter le temps le temps d'une illusion peut-
être le temps d'un rêve sûrement et cette
étrange histoire est-elle finie oui ou non
elle n'est pas finie cette étrange histoire elle
va elle vient elle profite d'un mot clé pour
s'ouvrir au monde car elle dépend d'une clé
comme toute porte que l'on referme derriè-
re soi à double tour quand on a peur des bri-
gands quand on craint les courants d'air
victime sans doute d'un mauvais vent aux
premières heures de l'existence pourquoi
faut-il que ce mot me vienne à l'esprit si
souvent existence existence existence je
suis pourtant en plein dedans bref passant
je bourre ma pipe l'allume après quelques
années d'abstinence quatre je crois je ne
m'en souviens plus de quelle année c'était
je ne me souviens que du jour et du mois
c'était un deux avril le lendemain d'un pre-
mier avril sans farce mémorable j'avais
décidé de cesser toute activité fumante ou
polluante afin d'être un autre homme un
homme aux poumons et aux poches
propres car j'empochais souvent ma pipe
pleine de cendre ou de tabac pas encore
allumé sans la vider d'abord croyant que les
anges allaient le faire à ma place je croyais
au père noël et aux bonnes fées à cette
époque-là mais de quelle époque s'agit-il
quelle importance je voulais être un autre
homme mais rien n'a changé c'était juste
une pause le temps d'un silence j'avais
cessé de fumer pour refumer à nouveau non
de nouveau car j'ai retrouvé le même tabac
le même goût et les mêmes gestes est-ce
bien est-ce mal mal ou bien comme ça
nous convient et de fil en aiguille si vous
permettez cette expression voilà qu'il m'ar-
rive autre chose peut-être de plus roma-
nesque après deux heures de voluptueuses
caresses et de multiples soupirs marie me
propose de fumer du h pourquoi pas après
tout je ne suis pas un fumeur en herbe
qu'est-ce que je risque la tête qui tourne j'ai
déjà connu ça en avalant une sauce de nico-
tine en suçant accidentellement ma pipe et
nous voilà partis pour un voyage en fumée
nous rions nous dansons puis comme les
enfants voulant toujours plus encore enco-
re encore plus nous nous rendons à l'usine
boîte de nuit née d'un effondrement écono-
mique sûrement ou pour mieux la décrire
boîte à fric transformée en boîte à flic car
en ce lieu comme tout autre lieu nocturne la
police est toujours présente cachée ou
déguisée dans ce triste pays de guillaume
tell il aurait beaucoup à faire actuellement
ce terrible et courageux libérateur si [ ]
non il ne reviendra pas la légende est trop
belle trop légendaire dirait ma concierge
passant passant et là dans l'usine désaffec-
tée marie achète du h et nous revoilà partis
pour un second voyage en fumée le lende-
main ou pour être précis le 20 mars 1996 je
me lève avec un mal de tête je téléphone à
marie qui a mal dormi et qui semble avoir
de la fièvre dans l'après-midi mon fils
reçoit son diplôme d'ingénieur mécanicien
et le soir c'est le repas en famille pour fêter
cet événement comme toujours nous
sommes peu nombreux cinq mon ex ma
fille mon père mon fils et moi-même
habillé à quatre épingles costume fait sur
mesure à bangkok ville aux dieux libertins
la neige tombe un premier avril je préfère
le second le vient-ensuite celui que l'on
n'adore plus faute de tout et de rien le spec-
tacle corrigé raffiné oui je préfère le second
au premier celui qui s'efface aux yeux du
public pour mieux le servir à celui qui s'im-
pose pour mieux se faire servir rien n'est
certain j'aime philosopher sur [ ] sur tout
et sur rien afin que les nuages m'annoncent
des pluies de lumière des pluies de tendres-
se des pluies qui illuminent ma vision du
monde j'attends marie une fois de plus
l'homme attend sa bien-aimée le coeur
chargé de larmes elle arrive le sourire jus-
qu'aux dents les yeux bridés par la joie la
sienne quand elle est sérieuse ses yeux sont
ronds ronds comme des billes comme des
lunes toutes pleines qui digèrent l'obscurité
qu'elles ont dévorée nous nous embrassons
effet répétitif mais fabuleux elle commande
une bière-grenadine elle achète un paquet
de cigarettes puis casque sur la tête autre
acte répétitif et nous nous rendons chez
l'étudiant en théologie la conversation part
dans tous les sens et nous dînons et nous
buvons l'alcool fait son effet ses effets en
effet marie se met à parler d'yvan de cet
homme qui la décida à choisir entre l'hom-
me et la femme du suicide de cet homme
puis presque aussitôt de son avortement
c'est terrible de vivre un double deuil c'est
révoltant ça laisse de profondes cicatrices
qui font encore mal et ça se voit dans les
gestes marie frappe du poing sur la table un
verre de vin se renverse sur mon pantalon
heureusement il est noir ou quasi noir quel-
le importance marie parle beaucoup évacue
ses douleurs c'est à ce moment-là que ses
yeux sont ronds dans la douleur dans le
sérieux puis l'Inde vient à son secours
l'Inde avec ses temples et ses bouddahs de
pierre et de chair marie évoque des scènes
de son voyage dans ce pays fabuleux avec
philippe en présence de philippe l'étudiant
en théologie ils furent amants je me sens
mis de côté mis à l'écart comme les paroles
peuvent faire mal même innocentes elles
embrouillent les sentiments on espère on
désespère on passe de l'est à l'ouest de l'au-
be au crépuscule et vice-versa et tout va si
vite on n'a pas le temps de réfléchir on est
en plein dans le cahot en pleine tempête en
plein brouillard mais que faut-il faire il n'y
a rien à faire ou se taire et s'observer créer
le vide en soi éventuellement se dire que
tout est ridicule et le cahot la tempête le
brouillard sont ce qu'ils sont c'est-à-dire
des images et rien d'autre je saute dans le
temps et dans l'espace je suis à la gare j'at-
tends marie j'attends l'heure du départ pour
loèche-les-bains nous avons réservé un
petit appartement dans ce lieu de neige et
d'eau bouillante non je n'ai pas oublié mon
costume de bain ni ma caméra d'ailleurs
pour filmer [ ] pour composer oui pour
composer une vidéo le voyage en train dure
trois heures environ de genève à leuk puis
une demi-heure en autocar de leuk à leu-
kerbad autre nom de loèche-les-bains là à
plus de mille quatre cents mètres d'altitude
ma cervelle se met à fonctionner d'une
façon bizarroïde ou plutôt des images de
mon passé éclatent dans ma cervelle mes
enfants mon ex femme et mon beau-frère
admirent les belles montagnes valaisannes
ils parlent entre eux ils se disent des choses
que je ne comprends pas ils rient aussi ils
sont heureux moi je ne le suis pas ou suis-
je sûrement ailleurs loin d'eux très loin
d'eux non il y a une erreur ce sont eux qui
sont ailleurs loin de moi très loin de moi
que s'est-il donc passé c'est toujours la
même histoire c'est à cause d'elle que je me
trouve dans le brouillard l'histoire elle qui
bien entendu l'histoire de l'enfant doré je
rencontre une femme j'en tombe amoureux
et je me dis que c'est elle la future mère de
cet être mi-homme mi-dieu le veux-tu elle
prend peur ce n'est donc pas elle je me
retrouve au point de départ qui m'a mis ces
idées dans la tête l'école l'école du
dimanche l'église ce pasteur qui s'empo-
chait l'argent des pauvres non c'était plutôt
sa femme qui s'empochait l'argent pour se
suralimenter et qui me racontait des his-
toires envoûtantes exactement envoûtantes
la preuve je ne suis pas foutu de parler
d'autre chose que de la pluie et du beau
temps par exemple du dernier mariage du
dernier prince à la mode avec la dernière
des roturières fille à papa fille à maman ou
fille de joie qui a su se faire une place au
soleil grâce à ses dons artistiques ou mul-
tiples ou extraordinaires ou ordinaires sui-
vant où l'on se place moi je me place nulle
part j'observe et j'écris deux jours plus tard
je replonge seul dans le quotidienneté
marie reste à loèche-les-bains pour étudier
faire du ski et se bronzer la pilule quelle
horrible expression enfin quatre jours plus
tard même trajet même train c'est-à-dire à
la même heure et bien entendu mêmes pay-
sages en face de moi deux adolescents un
garçon et une fille communiquent en s'écri-
vant ils échangent des billets doux les
parents les regardent faire et sourient que
c'est beau l'amour à cet âge-là à un moment
donné le garçon et la fille partent ensemble
s'éloignent de leurs parents le garçon de
son père et la fille de sa mère l'homme et la
femme sont-ils époux et épouse non ils ne
se connaissent pas ils sont ensemble par
hasard ils font partie du même voyage un
voyage organisé le hasard fait bien les
choses dit-on pourquoi dit-on cela proba-
blement pour [ ] je n'en sais rien parents et
enfants descendent à sierre je descends un
peu plus tard une dizaine de minutes plus
tard peut-être une heure après je suis à leu-
kerbad l'appartement 135 au quatrième
étage du magesta marie n'est pas là elle est
en train de skier je reprend l'ascenseur pour
descendre cette fois-ci bien entendu je
m'installe sur la terrasse du café qui se trou-
ve en bas de notre maison je serais tenté de
dire de l'immeuble même les villages de
montagne se modernisent je commande un
café et on m'apporte un café avec de la
chantilly et du chocolat et je mets à écrire
le soleil me caresse le visage où en suis-je
avec cette histoire à peine dévoilée ou si
mal dévoilée question de pudeur je cherche
mes mots les mots justes les mots suscep-
tibles de [ ] blanc j'ai un blanc ou un noir
le vide est là le vide ou quelque chose
d'autre proche du néant néant c'est peut-
être trop fort trop obscur trop insensé et ce
quelque chose d'autre n'a rien à voir avec le
néant mais enfin que voulez-vous il faut
que j'avance que je me trouve une explica-
tion l'homme est ainsi fait ainsi fabriqué il
est avide de savoir il veut tout savoir tout
comprendre se comprendre et je suis un
homme comme n'importe quel homme de
cette terre de cette planète qui tourne
autour de ce même soleil qui me caresse le
visage elle tourne elle tourne jusqu'à quand
tournera-t-elle jusqu'au dernier jour le jour
du jugement dernier ce jour-là ce sera un
grand jour de silence les horloges cesseront
de fonctionner joies et douleurs n'auront
aucune raison d'être et les premiers ne
seront plus les premiers car l'ordre se
confondra avec le désordre et la lumière
avec l'obscurité la femme avec l'homme et
la certitude avec l'incertitude et le plus avec
le moins mais pour l'instant tout cela n'est
qu'un rêve subitement marie est là le visa-
ge rayonnant de joie nous nous embrassons
nous nous serrons bien fort l'un contre
l'autre je reconnais son odeur ce parfum de
volupté et de tendresse puis elle s'assied à
côté de moi et elle me raconte ce qu'elle a
fait en mon absence puis elle me parle de
ses lectures elle me parle de la timidité des
uns et de l'arrogance des autres elle me
parle elle me parle comme quelqu'un à qui
on a interdit de parler durant des semaines
des mois des années peut-être nous quittons
la terrasse et nous rentrons chez nous ce
chez-nous provisoire puis nous plongeons
dans les eaux tièdes chaudes et brûlantes de
l'amour nos corps se mettent à vibrer et
cette histoire encore elle il faut qu'elle nais-
se il faut il faut est-ce une névrose une pen-
sée pathologique pathologique quel mot il
me fait penser à mon chien patho qui dis-
parût le jour de la mort de raffade le copain
de mon grand frère c'est terrible de mourir
à vingt ans c'est terrible pour la famille c'est
terrible pour ceux qui restent moi je serais
bien mort à vingt ans si je n'avais pas eu
cette histoire dans la tête malheureusement
ou heureusement je devais rencontrer ma
femme puis avoir des enfants avec elle puis
croiser des âmes perdues puis découvrir
marie dans un journal où une annonce
disait femme de vingt-huit ans cherche
homme entre trente-cinq et cinquante ans
affectueux sérieux et spirituel c'était moi et
nous devions nous rencontrer car une
semaine avant d'écrire à marie une voix me
disait tu rencontreras une jeune femme de
vingt-huit ans et grâce à elle tu écriras cette
histoire j'exagère peut-être car la voix était
imprécise ou chargée de parasites sonores
les voix du doute et du refus ces voix qui
mènent à la raison et qui font de l'homme
un être sans rêve mais comme je suis têtu le
parfait ennemi du conventionnel et du tra-
ditionnel en somme les choses se sont pas-
sées comme je les ai entendues bien que
j'attends la suite l'enfant doré n'est pas
encore né ça vous le saviez déjà [ ] alors
rien alors j'attends la suite c'est tout ce que
je peux faire pour l'instant ou fouiller dans
ma mémoire repêcher les images trou-
blantes qui feront partie ou qui font déjà
partie de cette histoire par exemple je ne
sais pas si le mot est juste avant de mourir
yvan dit à marie je t'enverrai un homme
plus fort que moi c'est-à-dire un homme de
la même tribu spirituelle que lui mais un
homme sain de corps et d'esprit car yvan
s o u ffrait mentalement le travail l'avait
assassiné avant qu'il se suicide il roulait en
voiture plus de mille kilomètres par jour
pour un laboratoire photographique pour
des patrons cupides et ingrats yvan récoltait
les films non-développés et rapportaient les
films développés avec leurs épreuves des
photos d'amateurs la plupart du temps
mariages naissances baptèmes anniver-
saires vacances enterrements nus tout ce
que l'homme de la rue souhaite conserver
classer dans un album autre exemple bref je
ne sais toujours pas si ce mot est juste en
inde marie dit un jour à philippe l'étudiant
en théologie l'homme de ma vie sera du
signe des poissons et beaucoup plus âgé
que moi donc moi je l'espère les rues sont
désertes c'est lundi leukerbad c'est déjà loin
derrière moi derrière nous il est temps que
j'aille ailleurs de l'avant en avant avant tout
avant tout le monde une terre vierge nous
attend là-bas dans notre nouvel apparte-
ment au 23 de la rue alberto-giacometti cet
artiste suisse qui allongeait le cou de ses
modèles faute d'élégance faute de fierté ou
faute de spiritualité l'homme se plie trop
face à l'homme face à celui qui se croit l'élu
de dieu de quel dieu s'agit-il d'un dieu né en
pleine guerre avide de larmes et de ven-
geance ce dieu n'est pas mon dieu le mien
n'est pas le mien il est à celui qui s'assied à
ma table à celle avec qui je partage mon
pain et mon lit et à ceux que je regarde dor-
mir comme des anges l'enfant doré en sait
quelque chose c'est probablement pour cela
qu'il hante mes nuits car il désire que je
devienne son père son protecteur adoré et
que marie devienne sa mère le temple de sa
douleur son refuge préféré oui il désire il
désire mais ce désir venu d'en haut
déclenche sur terre des tempêtes imprévi-
sibles car les forces du mal craignent le pire
elles craignent la perte de leur terrible pou-
voir un pouvoir pourtant si vite engendré
par la faiblesse et l'ignorance des enfants
mal traités ces êtres qui ont reçu plus de
coups que de caresses plus de critiques que
de compliments ces êtres qui ont trop tôt
perdu leurs ailes ces ailes d'aucune ampleur
d'aucune couleur qui nous permettent de
penser librement et de découvrir les jardins
secrets du père céleste notre père à tous oui
l'enfant doré en sait quelque chose car je
suis resté un enfant avec ses ailes avec mes
ailes toutes chargées de poussière et de
sueur j'ai traversé déserts océans et conti-
nents à travers les nuages à travers les âges
j'ai ainsi visité plus de cités qu'il en existe
et qu'il en a existé et croisé plus de fous et
de sages que les livres sacrés n'ont annon-
cés aussi j'ai rencontré mères soeurs filles
et épouses le temps d'un sourire d'un baiser
d'une étreinte ou d'une larme le temps qu'il
fallait ou le temps qu'il ne fallait plus et
voilà qu'après ces nombreuses années de
gloires et de défaites je me retrouve seul
isolé écarté oublié alors le dieu des pauvres
et des opprimés me livre son plus beau
cadeau marie mon double au féminin âme
pervertie par le désir de séduction et la
curiosité de l'étrange il n'y a rien à dire il
faut tout subir dans la souffrance ou le
silence ou fuir ah ces vieilles mémoires si
excitantes mais combien destructrices en
pleine nuit marie débarque chez moi toute
troublée comme envoûtée par sa séduction
le diable histoire de séduction dans un bar
sa séduction puis chute en vespa heureuse-
ment aucun dégât physique que dois-je
faire condamner ou pardonner j'hésite je
replonge dans le passé je me revois cruel
sans pitié moqueur avide égoïste sans le
moindre scrupule en somme je récolte ce
que j'ai semé c'est ainsi on n'échappe pas
aux lois des anges alors je pardonne car
dieu pardonne cette lumière des lumières
qui efface les empreintes d'aucune raison
d'aucune saison qui efface l'insensé qui
efface l'instantané dieu n'est-il pas éternel
n'est-il pas tout ce que nous ne sommes pas
ou tout ce que nous souhaitons être c'est-à-
dire [ ] mais qui donc nous a mis toutes
ces choses dans la tête l'herbe est verte en
ce moment très verte en ces moments où la
pluie nous prive de soleil et nous empêche
de voir la lune et les étoiles quand l'un est
absent l'autre est présent le vide réclame le
plein et le plein le vide peut-on prétendre le
contraire probablement mais pas certaine-
ment mais ou et les choses avancent et nous
propulsent dans d'autres sphères je présen-
te marie à mon père le vieil homme me
semble tout enchanté il lit et donne à lire à
marie des pensées à méditer des pensées de
bouddha d'omar khayam et d'autres pen-
seurs et de lui-même quelques heures plus
tard peut-être quatre marie se révolte contre
tout contre rien elle veut fuir elle veut tout
détruire elle se sent prisonnière d'un monde
hostile impression ou vérité pourquoi l'im-
pression serait-elle un mensonge moi je me
sens mal dans ma peau mal dans mon âme
je crains le pire c'est-à-dire la faillite la
défaite l'anéantissement de notre amour et
celle de cette histoire car sans marie cette
histoire n'aurait aucun sens n'aurait aucune
raison d'être d'être vivante dans mon esprit
et c'est [ ] l'orage passe tout devient clair
ou presque dans quelques jours je quitterai
mon studio et je vivrai ave marie je quitte-
rai la vieille ville et ses cris et ses hurle-
ments adieu alcooliques fous et désespérés
adieu touristes japonais et japonaises adieu
jardin d'eden mon café préféré adieu navy
club mon bar préféré adieu georges charles
pierre paul et gens adieu nuits blanches
nuits d’ivresse nuits de colère et nuits de
solitude adieu adieux chargés de larmes et
de faux sourires une nouvelle vie m'attend
vais-je reprendre l'affaire charly stone
abandonnée je n'en sais rien d'autres titres
sont dans ma tête conclusion c'est vrai j'ai
envie de conclure car j'ai l'impression
d'avoir tout dit sur cette histoire qui ne se
termine jamais mais ou et donc or ni car
l'enfant doré n'attend qu'une seule chose de
moi pour son arrivée sur terre que je réécri-
ve cette histoire c'est-à-dire dans un ordre
bien terrestre avec un début et une fin et
que j'utilise la ponctuation bien entendu
comme les anges sont exigeants lorsqu'ils
deviennent des hommes trop exigeants
lorsqu'ils perdent leurs ailes
© Editions Le Stylophile, 2008.

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