Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
fr/planete/1995/07/29/mazowiecki-homme-de-principes_139024
«Les décisions de la conférence de Londres, qui ont pris acte de la chute de Srebrenica et qui
n'ont pas empêché celle de Zepa, sont pour moi inacceptables.» Trois ans après avoir été
nommé à la tête de la commission de l'ONU sur les droits de l'homme en ex-Yougoslavie,
Tadeusz Mazowiecki a donc jeté l'éponge. L'homme, qui fut le premier chef de gouvernement
non communiste à l'Est, est pourtant connu pour son obstination, un entêtement qui agace
même parfois ses collaborateurs. Mais ce catholique progressiste, admirateur d'Emmanuel
Mounier, est aussi un homme de principes. Lorsqu'il estime que les limites sont franchies,
Tadeusz Mazowiecki ne transige pas. Sa démission vient rappeler que, au milieu de la lâcheté
générale, tous n'ont pas renoncé à brandir les principes moraux.
«Je ne peux participer à un processus fictif de défense des droits de l'homme», écrit Tadeusz
Mazowiecki dans la lettre de démission qu'il a adressée jeudi au secrétaire général de l'ONU
Boutros Boutros-Ghali. Depuis plusieurs mois déjà, il ne cachait pas sa lassitude face à
l'inanité, de plus en plus évidente, de sa mission. Au total, Mazowiecki aura rédigé dix-huit
rapports sur les violations des droits de l'homme générées par le conflit en ex-Yougoslavie,
dénoncant les exactions de tout bord commises en Bosnie des forces serbes mais aussi croates
(lors de la guerre croato-musulmane de 1993 en Bosnie centrale) et dans une moindre mesure
bosniaques, mais faisant toujours ressortir l'écrasante suprématie serbe dans l'horreur.
Dès octobre 1992, force témoignages à l'appui, il dresse un catalogue des «méthodes» de la
«purification ethnique» et réclame une action internationale «ferme» pour stopper la barbarie.
Sans aucun doute, Mazowiecki a d'abord cru à sa mission. L'ancien Premier ministre polonais,
qui sait se montrer diplomate et user de patience, espère alors qu'il peut faire quelque chose.
Ami de Jean Paul II, qu'il connut alors qu'il créait la revue catholique Wiez (le Lien) à
Cracovie, il s'est aussi fait très vite une idée de cette guerre. Pour lui, il y a d'un côté des
populations civiles, en majorité bosniaques, qui souffrent, de l'autre côté les responsables du
«nettoyage ethnique», avant tout les Serbes. Mazowiecki se refusera toujours à parler des
«parties belligérantes», terme derrière lequel les Occidentaux se retranchent pour justifier leur
inaction.
Ce qui donne encore plus de poids à cette démission est le peu de goût du spectacle du
personnage, longtemps le moins connu des conseillers du syndicat Solidarnosc outre
Mazowiecki, Jacek Kuron, Bronislaw Geremek et Adam Michnik. Avec son débit lent, tant en
français qu'en polonais, le rythme monocorde et un peu ennuyeux de son discours, l'ex-
Premier ministre n'a jamais été un adepte des coups médiatiques. Certes, il a pris goût à la
politique et n'a jamais dédaigné le pouvoir. Mais même aux plus hautes fonctions, il est resté
un homme de réflexion dont la moindre décision est longuement remâchée. «Je me pose la
question» (de la poursuite de ma mission), confiait-il à un journaliste... début 1993.
«La purification ethnique apparaît non pas comme la conséquence de la guerre mais plutôt
comme son objectif. Ce but a, dans une large mesure, déjà été atteint», écrivait-il le 28
octobre 1992 dans son second rapport. Devenu la bête noire des Serbes, Mazowiecki en est
arrivé à la conclusion qu'il prêchait dans le désert. Preuve de ce découragement, cet homme,
pacifiste et humaniste, confiait récemment à un quotidien polonais qu'il ne voyait plus que la
force pour rétablir la paix en Bosnie. Mazowiecki parti, il ne reste plus que le tribunal
international de La Haye pour désigner haut et fort les coupables et les victimes de la tragédie
bosniaque.
Véronique Soulé
https://www.liberation.fr/planete/2013/10/28/tadeusz-mazowiecki-solidarnosc-funebre_943035
«Pragmatique». Dans leur tandem, Walesa était l’homme d’action, Mazowiecki l’homme de
la réflexion. «Tadeusz Mazowiecki nous a unis au moment difficile des grèves, en 1980, a
souligné hier le Prix Nobel de la paix devant la presse. Il fut un homme exceptionnellement
honnête, l’un des plus honnêtes que j’ai rencontrés sur mon chemin.» Emprisonné en 1981
quand le général Wojciech Jaruzelski imposa la loi martiale, Mazowiecki fut l’homme qui,
huit ans plus tard, négocia avec lui le départ en douceur de la direction communiste. Il fut
avec Walesa, à la droite duquel il était toujours assis, l’un des principaux artisans des accords
de la «Table ronde» d’avril 1989, qui débouchèrent le 4 juin sur les premières élections semi-
libres - car une place était réservée au Parti communiste et à ses alliés - de la Pologne d’après-
guerre.
«Ce n’était pas un révolutionnaire, souligne le sociologue Georges Mink dans un entretien à
Liberation.fr (1). Il croyait à une politique du changement pas à pas. C’est pour cette raison
d’ailleurs que Walesa l’a choisi pour diriger le gouvernement après les élections semi-libres
de 1989, il représentait une ligne pragmatique. C’était l’homme de la raison.» Cette
candidature avait été acceptée par Jaruzelski, alors toujours à la tête du pays, parce qu’il
voyait en Mazowiecki un homme qui avait de bons rapports avec l’Eglise catholique et une
expérience politique en tant que député du Parlement représentant une poignée de catholiques
entre 1961 et 1971.
Selon l’historien Antoni Dudek, «c’est à ce moment-là que Mazowiecki devint la personnalité
la plus importante au sein du camp de Solidarité». Populaire et investi de la confiance des
Polonais, Mazowiecki initie alors des réformes si douloureuses et coûteuses sur le plan social
que les électeurs lui lancent un carton rouge à la présidentielle de 1990, remportée par
Walesa, où il est éliminé dès le premier tour. Selon Dudek, une des raisons de cet échec
cuisant est sa décision de «tirer un grand trait sur le passé». Cette célèbre phrase qu’il a
prononcée lors de son discours inaugural au Parlement fut interprétée par beaucoup comme la
volonté de ne pas entamer de purges des collaborateurs communistes. Ce désir de
réconciliation n’a pas toujours été compris par une partie des Polonais, pour qui cela «revenait
à gommer le passé et à faire des bourreaux des citoyens comme les autres», relève Georges
Mink. Issus de la mouvance de Solidarnosc, les frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski
ont notamment attaqué Mazowiecki sur ce point. Une fois au pouvoir, au milieu des
années 2000, ils ont lancé un mouvement d’éradication du communisme. Mazowiecki a alors
refusé de se soumettre à la loi sur la décommunisation et de remplir une déclaration pour
certifier ne pas avoir collaboré avec les services secrets communistes.
De retour au pays, il quitte en 2002 l’Union pour la liberté, le parti qu’il avait fondé au début
des années 90, puis la politique en 2006. En 2010, il reprend du service en devenant le
conseiller du président libéral, membre de la Plateforme civique (PO), Bronislaw
Komorowski, avec qui il partage les valeurs humanistes. La nouvelle de sa mort a surpris le
Président lors d’un déplacement en Haute-Silésie. Il a rendu hommage à son rôle dans le
processus de réconciliation polono-allemande en 1989-1990 au moment difficile de la
réunification de l’Allemagne : «Il a bien contribué à la reconnaissance définitive de la
frontière polono-allemande sur l’Oder-Neisse, élément clé d’un nouvel ordre européen.»
Hier, les drapeaux étaient en berne dans toute la Pologne. Mais la date des obsèques, que le
Président souhaite nationales, n’avait pas été annoncée hier soir.
https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/07/26/tadeusz-mazowiecki-on-peut-parler-de-
barbarie-a-srebrenica_3862564_1819218.html
Partage
Il s'est rendu à Tuzla, où 29 000 réfugiés sont arrivés depuis la chute de la « zone de sécurité
». « J'en ai rencontré personnellement plusieurs dizaines, nous a-t-il déclaré, lundi soir 24
juillet, au téléphone depuis Bruxelles, des gens qui avaient mis entre six et douze jours pour
gagner Tuzla, par autocar ou par la forêt, dans des conditions épouvantables, en traversant les
lignes de front. J'ai particulièrement écouté ceux qui avaient été victimes d'exactions. Une
infirmière musulmane par exemple, qui a accompagné un convoi entre Potocari [base de
l'ONU dans l'enclave] et Tuzla. Les bus ont brusquement été arrêtés par les Serbes. Les 70
blessés du convoi ont été emmenés par les Serbes et on ignore ce qui leur est advenu. D'autres
réfugiés sont arrivés à Tuzla avec une jambe ou un bras sectionnés ».
Selon l'ancien premier ministre polonais, « on est sans la moindre nouvelle de 7 000 habitants
de l'enclave. Nous sommes sûrs qu'un certain nombre d'entre eux ont été exécutés,
sommairement, par les Serbes. Pour les autres, nous pouvons craindre le pire. Le problème est
que notre délégation n'a pas été autorisée à se rendre sur place pour enquêter. Le Comité
international de la Croix-Rouge non plus, et la tragédie n'est sans doute pas terminée. A
Tuzla, 6 000 réfugiés vivent actuellement dans des tentes dressées juste à côté de l'aéroport.
Ces gens vivent dans l'insécurité permanente. Imaginez ce qui peut arriver si les Serbes
décident de bombarder l'aéroport... Il est urgent d'aider rapidement et massivement ces
milliers de personnes qui sont en danger. Il faut leur trouver le plus vite possible un toit, un
logement ailleurs, loin des canons serbes. »
Interrogé sur la fiabilité des témoignages que lui et son équipe ont recueillis ces derniers jours
et sur la question de savoir si les atrocités commises par les Serbes à Srebrenica étaient à
l'échelle de celles enregistrées lors des premières opérations de « nettoyage ethnique » en
Bosnie, en 1992, M. Mazowiecki souligne qu'il n'est pas « un spécialiste de la comparaison
des horreurs ». Il est formel : « On peut parler ici en termes de barbarie. Les témoins que nous
avons entendus sont évidemment crédibles. Un réfugié nous a raconté qu'il avait vu un
milicien serbe se promener dans un village de l'enclave avec dans ses bras une tête et les
membres d'une femme. Il y a des quantités d'autres témoignages horribles, et tous vont être
transmis au Tribunal international de La Haye sur les crimes de guerre. »
La suite
https://www.lepoint.fr/monde/pologne-deces-de-tadeusz-mazowiecki-28-10-2013-1748629_24.php
Juriste de formation, né le 18 avril 1927 à Plock (centre), il a joué un rôle de premier plan
dans la résistance au communisme, mais aussi dans le dialogue avec le pouvoir, à travers les
clubs de l'intelligentsia catholique (KIK), ou le mensuel Wiez (Le lien), qu'il a fondé en 1958
et dirigé jusqu'en 1981. Élu député catholique en 1956 au sein du groupe Znak, Tadeusz
Mazowiecki fut l'un des rares parlementaires à s'élever en 1968 contre la répression des
manifestations étudiantes et les purges antisémites.
Quand, sept ans plus tard, le régime capitule et recherche une nouvelle répartition du pouvoir,
Tadeusz Mazowiecki est encore l'un des principaux négociateurs de la "table ronde" entre le
pouvoir communiste et l'opposition démocratique incarnée par Solidarité. C'est à lui que Lech
Walesa fait appel en été 1989 pour diriger le premier gouvernement non communiste. Mais
l'ancien régime s'écroule complètement et un président démocratiquement élu doit succéder
au général Jaruzelski : Mazowiecki et Walesa deviennent concurrents.
Un sourire triste, une élocution lente, mal à l'aise en public, Tadeusz Mazowiecki n'avait pas
le charisme d'un tribun populaire comme Lech Walesa. C'est donc ce dernier qui gagne
l'élection présidentielle en 1990. Mais l'indépendance d'esprit qu'il a manifestée tout au long
de sa vie de militant contre le totalitarisme, la simplicité et la sincérité qu'il a gardée au faîte
du pouvoir lui ont valu une estime internationale.
"Décommunisation"
Au milieu des années 1990, en pleine guerre des Balkans, Tadeusz Mazowiecki se voit
confier le poste de rapporteur de l'ONU pour les droits de l'homme dans l'ex-Yougoslavie.
Dans un aveu d'impuissance, il démissionne après le massacre de musulmans bosniaques par
les milices serbes à Srebrenica en juillet 1995. Sans jamais céder à la démagogie, il se
qualifiait lui-même de "têtu", au risque d'une absence de souplesse, et s'adressait à la raison
plus qu'au coeur des Polonais.
Scrupuleux, voire hésitant, hostile à toute chasse aux sorcières - dont lui-même a souffert sous
les communistes - et partisan d'un passage sans heurts au post-communisme, il s'est exposé
aux attaques de ceux qui réclamaient un règlement de comptes radical avec les collaborateurs
de l'ancien régime. En avril 2007, Tadeusz Mazowiecki a perdu un poste honorifique auprès
de la présidence polonaise pour désobéissance à une loi sur la "décommunisation" des
jumeaux Kaczynski, ses anciens collaborateurs au sein de Solidarité devenus les adversaires
les plus farouches de l'aile modérée du mouvement, dont il fut l'un des principaux symboles.
Le président centriste Bronislaw Komorowski, élu en 2010, a de nouveau fait appel à lui en le
nommant son conseiller, poste qu'il occupait jusqu'à son décès.