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Rapport de lectures
Le 14 octobre 2010
L’analyse d’un sujet comme celui qu’est la décentralisation impose une réflexion conceptuelle.
Qu’est-ce que la décentralisation? Quelles sont ses origines? De quelle façon ce phénomène est-il
lié à d’autres phénomènes idéologiques, politiques ou purement rhétoriques? Et, bien sur,
À travers une définition préliminaire du concept et de ses affluents puis une revue de la
littérature à l’étude, nous tenterons d’envisager une redéfinition puis un questionnement ouvert
Définitions
décentralisation. Treisman (2007) propose une telle mise en contexte dans son essai, soulignant la
décentralisation comme une série de constats portant tant sur l’administration (comme dans un
système administratif décentralisé) que sur les décisions politiques, mais surtout comme une série
matriochka, où chaque unité est indépendante et plus petite que la précédente, mais aussi comme
une chaine de commandement, où les pouvoirs compétitionnent et où les politiques des uns
outrepassent les politiques des autres, où le recrutement et l’assignation des postes répond à un
jeu politique et où les revenus se partagent entre différentes échelles selon une répartition plus ou
organique, mouvant, non sans conséquences en matière de politiques publiques. Ces définitions
généralement utilisées (la décentralisation administrative, politique, « nominative » et fiscale,
autant de caractéristiques à analyser) rendant d’autant plus difficile la déclaration d’un État
comme étant plus ou moins décentralisé ou la simple comparaison entre différents systèmes
Fleurke et Willemse (2004) tentent d’offrir quatre méthodes d’analyse des questions soulevées
par la décentralisation (en consacrant un intérêt particulier à l’échelon local et à l’idée d’une
autonomie de cet échelon – plus ou moins avérée selon les cas). Les auteurs déclinent leur
elles même étudiées via quatre variables (direction de la décentralisation, objet d’analyse
États centralisés et États décentralisés et tente de faire une classification selon ce continuum. La
décentralisation y est traitée comme indicatrice positive d’une allocation de pouvoir au niveau
local dans un scénario à somme nulle. Comme son nom l’indique, l’approche formelle se
locaux/gouvernements centraux), administratifs (ce qui est attendu des gouvernement locaux en
terme de services concrets; un État où le local a un poids constitutionnel reconnu ne serait pas
Bretagne est utilisé par les auteurs pour critiquer cette approche [Fleurke & Willemse 2004, p.
527]), financiers (de quelle façon les revenus sont partagés entre les deux pôles). Les auteurs
critiquent cette approche en soulignant la fragilité des indicateurs comme seuls composantes
obligeant à une étude plus axée sur les opérations que sur les éléments statiques pour bien saisir
compréhension de la décentralisation mise de l’avant dans cet essai jusqu’à maintenant. Ainsi,
du pouvoir à différentes échelles de gouvernements, penchant parfois plus vers l’État central ou
vers les gouvernements locaux selon les circonstances et les besoins, bref comme une réaction
sociales, etc. se présentant (Fleurke & Willemse 2004, 530-531). Cette répartition des pouvoirs
viserait dans bien des cas l’efficience ou du moins une optimisation de la gestion des besoins des
question de l’autonomie locale. Ainsi, les tenants de cette approche considèrent cette autonomie
comme objet d’analyse (plutôt que la forme ou les facteurs de décentralisation). Tenante de cette
approche, Hudson (1993) considère deux facteurs à considérer : la capacité de l’échelon local à
formuler des politiques indépendantes, de même que l’étendue du pouvoir des ces gouvernements
locaux, sans égard à la relation qu’entretiennent ces échelons avec tant les gouvernements
centraux qu’avec les acteurs privés impliqués dans le processus politique. Cette approche
down » ou « bottom-up » des approches précédentes), impliquant des acteurs dont le rôle est
singulier et où la décentralisation, si elle est forte, pourrait bénéficier aux citoyens en fournissant
une certaine granularité à l’interprétation de leurs demandes (Fleurke & Williamse 2004, p.536).
Cette conception horizontale est cependant critiquée par les auteurs comme étant nécessairement
liée à une verticalité, inévitable, réduisant de fait la validité même d’une telle approche
fonctionnelle.
d’analyse, se distinguant ainsi d’approches plus traditionnelles se basant sur les institutions,
approches vieillottes en un monde où les compétences sont de plus en plus partagées et où les
politiques inusités et débalancement vers l’horizontalité (Fleurke & Williamse 2004, p. 537-538).
Les auteurs opposent à cette conception la supposée nouveauté de tels phénomènes, et leur
supposée valeur de « game changer », tout en reconnaissant l’importance des réseaux dans la
donne. De même, les auteurs soulignent l’incapacité des tenants de cette approche à démontrer
que la décentralisation ne s’effectue plus avec comme objectif d’accorder aux pouvoirs locaux
une plus grande autonomie, bref à suivre le chemin tracé par les « anciennes » conceptions de la
pointer vers une analyse nécessairement faussée par les lacunes intrinsèques à ces conceptions.
Bref, les auteurs, sans proposer réellement une alternative viable ou une quelconque correction à
apporter aux modèles ne font que souligner le vide méthodologique entourant ce type d’analyse.
Bref, même en intégrant la nature normative de ces approches à la compréhension des thèmes
La décentralisation comme concept politique normatif, tel que soulevé par Willemse et Fleurke
(2004), mérite plus d’exploration. C’est ce que Rodriguez-Pose et Sandall (2007) se proposent
de faire dans une analyse des motivations des courants de décentralisation. Une telle approche
plus historique pourrait ainsi permettre de jeter un regard nouveau sur les approches analytiques
vue précédemment.
l’État comme en construction d’un empire. Bref, cette conception de l’État en vigueur jusqu’à la
Deuxième Guerre mondiale s’est vue remplacée progressivement par une dynamique de
sur les institutions qu’elle modifie. Les auteurs distinguent trois types de discours : identitaire, de
l’épanouissement des minorités territoriales (Rodriguez-Pose & Sandall 2007, p.56). Ce discours
argue qu’une décentralisation basée sur les valeurs culturelles, ethniques, linguistiques et
religieuse des entités subnationales puisse profiter à la reconnaissance politique de ces minorités
dans la mesure où elles se reconnaissent dans l’ensemble national (et donc préfèrent une telle
inefficace tant à représenter les citoyens qu’à contrôler le marché (Rodriguez-Pose & Sandall
2007, p.57). La proximité aurait ainsi effet de rapprocher les politiques des citoyens, et de ce fait
de contribuer à la démocratie.
discours sur l’efficacité se veut promoteur de sous entités nationales assurant leur compétitivité
en assurant leur propre gestion politique, sans recours au niveau national. L’argumentaire de
cette conception reposant sur l’idée que des entités politiques réduites inciteraient davantage à la
prise en main du pouvoir, l’empowerement, tant des institutions que des individus (Rodriguez-
Pose & Sandall 2007, p.59). On pourrait également extrapoler en remarquant, à la manière de
Tiebout, que les individus puissent alors « magasiner » leur gouvernement selon l’offre et la
demande, et de ce fait forcer les gouvernements locaux à une meilleure gestion de leurs offre de
Outre les types de discours, il importe de saisir leur origine au sein même des sociétés.
Ainsi, les auteurs exposent la variation historique des arguments utilisés par les partisans de la
leur origine à la base, procédant en utilisant un discours issus de la protection des minorités et de
l’expression des nationalismes. Cette approche connaît cependant une transformation progressive
vers ce qu’on pourrait qualifier d’un discours économique à mesure que ces groupes s’affirment
traditionnellement dans le discours sur la bonne gouvernance. Si la notion d’État central comme
vecteur d’une certaine redistribution horizontale demeure, les politiques de la fin du 20 e siècle
voit la gestion des deniers publics par l’échelon local comme nécessairement plus efficace à leur
développement économique. Ainsi, le discours sur la bonne gouvernance cède sa place à celui sur
2007, p.62). Notons l’absence remarquable du discours sur l’identité dans l’approche « top-
down ».
Les auteurs remarquent qu’une transition s’opère des décentralisations identitaires aux
décentralisations de bonne gouvernance et d’efficacité, sans que cela ne signe la fin absolue du
discours identitaire. De même, si le discours prévalant sur le libre marché s’oppose à la notion de
l’État nation, la notion de communauté qui l’accompagne depuis le champ gauche s’attaque
Treisman (2007), dans un essai sur la décentralisation, propose de poser un regard empirique sur
les arguments généralement apportés par les tenants des stratégies de décentralisation. Ainsi, si
un nouveau discours sur la décentralisation plus éloigné d’une approche plus traditionnelle, basée
sur l’identité et d’autant plus imbriqué dans l’idée de l’efficacité et d’arguments économique,
Treisman (2007) soulève ses interrogations sur l’ensemble des raisons invoquées par les partisans
que la décentralisation soit nécessaire à la mise en place de politiques adaptées aux communautés
locales, adaptées aux réalités régionales. Treisman souligne que rien n’empêche un État central
d’adopter des politiques différentes selon les régions. De la même façon, la notion de supposée
proximité géographique d’un gouvernement local ne tient pas la route une fois envisagée l’idée
de constituer des adresses régionales au gouvernement central. Quant à la représentation des élus
locaux, Treisman lui oppose le fait que les députés régionaux auprès d’un gouvernement central
ont la même proximité et, au final, le même poids politique (Treisman 2007, p. 270-271).
D’autres arguments traditionnels sont également explorés par Treisman : l’accès à l’information
d’un gouvernement central plus difficile versus sa plus grande capacité à payer cette information,
les petites unités politiques comme laboratoire offerte aussi bien aux gouvernements centraux
qu’aux locaux, etc. Bref, difficile de réellement argumenter en faveur des gouvernements locaux
ou, à l’inverse, des gouvernements centraux. Derrière cet attrait pour la décentralisation : la peur
rurales) mais aussi – et là en lien avec Rodriguez-Pose et Sandall (2007) – cette conception des
petites communautés comme firmes en compétitions dans le libre marché (le discours sur
liste, celui du discours identitaire : les pro-décentralisation seraient convaincu par la diversité
engendrée par les systèmes non-unitaires (Treisman 2007, p. 286). Or, toutes ces raisons sont
rendues caduques par les conclusions de l’observation empirique rationnelle : il n’existe pas
nous laissant un peu sur notre faim. L’idée que la décentralisation ne soit pas une panacée mais
tout de même une alternative politique possiblement viable résonne comme une coquille creuse.
Redéfinition
On pourrait résumer en soulignant que trois niveaux ont été couverts par les auteurs dans le
empirique de l’objet.
concept. On pourra ainsi retenir, de Fleurke et Willemse (2004) la variable « autonomie locale »
comme associée mais non nécessairement corrélée à la décentralisation (ce que confirmera
l’étude empirique de Treisman [2007]), quoi que l’argumentaire utilisé historiquement relève bel
différents niveaux en raison d’une compétition pour les revenus et le pouvoir, on pourrait ajouter
conclusions tirées par Treisman (2007) la réelle influence de la décentralisation sur les politiques
publiques et leur nature; comment expliquer, dès lors, la popularité de ce courant à long terme et
quelconque intérêt pour les tenants de la préservation des minorités géographiques, les tenants
d’une représentation locale comme nécessairement plus démocratique ou les tenants d’une plus
grande efficacité via la nature économique libérale d’un telle décentralisation, pourquoi ce
courant trouve-t-il toujours appui auprès des décideurs et de l’élite mais également (et surtout) de
d’étude et cerner la décentralisation comme concept défini ayant une incidence tangible dans
l’organisation politique – sommes nous en face d’un phénomène statique? Quelles sont les
La difficulté méthodologique est remarquablement délicate dans cette analyse : ainsi, les
considérations normatives semblent imprégner l’étude même du concept. Le fait qu’au sein
décentralisation soit souhaitable pourrait placer les chercheurs dans une position d’inconfort
que les relations de décentralisation formelle, de la vieille école, sont toujours prévalant (Fleurke
Dans une optique de la politique de tous les jours, au sein des institutions en place, on
pourrait se demander de quelle façon les décentralisations opèrent et quelles sont leurs
conséquences observables; bref, il importe d’aller plus loin que la critique de Treisman en offrant
une étude de cas précis. Car après tout, si on parle de décentralisation vers l’unité locale, le
même raisonnement tient dans le cadre des fédérations et autres gouvernements décentralisés.
Considérant l’incidence quotidienne majeure que les courants décentralisateurs ont eu et ont
toujours sur les politiques publiques et la prise de décision, le questionnement à savoir si les
Andrés Rodriguez-Pose et Richard Sandall. 2008. «From identity to the economy: analysing the
evolution of decentralisation discourse». Environment and Planning C: Government and
Policy. 26: 54-72.