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2010 – 1898
ULB DHC 175e
2010 – 1898
Édité par
Didier Devriese
Carole Masson
Anne Thomas-Lemoine
Remerciements
Les éditeurs adressent leurs vifs remerciements à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage et en particulier Valérie Bombaerts (Département
des Relations extérieures), Alain Dauchot (Département des Relations extérieures), Véronique Delannay (Archives et Bibliothèques de l’ULB), Françoise Delloye
(Archives et Bibliothèques de l’ULB), Pascale Delbarre (Archives et Bibliothèques de l’ULB), François Frédéric (Archives et Bibliothèques de l’ULB), Cécile Gass
(Archives et Bibliothèques de l’ULB), Christel Lejeune (Département des Relations extérieures) et Isabelle Pollet (Département des Relations extérieures).
Les notices biographiques des DHC ont fait l’objet d’un travail intermédiaire durant un séminaire d’Histoire contemporaine de BA2 à l’ULB dirigé par Kenneth Bertrams.
Nous tenons à remercier les étudiants Karim Attanjaoui, Maxime Badard, Johan Baise, Julie Bottu, John Claeys, Olivier Conti, Victoria Debry, Christophe De Coen, Fabien
De Moor, Romain Degen, Laure Delacroix, Hélène Delacroix, Stéphanie Demeuldre-Coché, Fabian De Moor, Anne-Catherine Dumont, Martin Eggermont, Ziad El Baroudi,
Sarah Erman, Jean-Louis François, Bruno Gérard, Joëlle Grevig, Philippe Halasz-Baradlay, Guillaume Henn, Thomas Hinnion, Elora Hotermans, Vicky Ioannidis, Audry
Lambert, Anne Lannoye, Félicie Lécrivain, Laura Lhoest, Alexandre Macha, Sven Mausen, Gilles Mertens, Rainier Minez, Adrien Moons, Pablo Nyns, Samuel Pauwels,
Noémie Picavet, Sandrine Pierrard, Axel Pletinckx, Sophie Richelle, Jonas Roland, Amélie Roucloux, Isabelle Schwartz, Julien Sohier, Nicolas Solonakis, Sandra Stevens,
Max Stockmans, Mathieu Triffaux, Charlotte Vahsen, Marjorie Vandervaeren, Amandine Verheylewegen, Quentin Wicquart, David Zanetti pour leur contribution.
Nous tenons également à remercier Michaël Amara, Catherine Gauthier, Pierre Goldschmidt, Pierre-David Kusman, Ivan Roisin et Laurence Schram
pour l’aide qu’ils nous ont apportée dans la rédaction des notices, ainsi que Roger Boin et Francisca Medel pour la recherche iconographique.
Cet ouvrage n’aurait pas vu le jour sans le professionnalisme et le dévouement d’Aurélie Deblon et de Serge Vandenput.
Le présent ouvrage est édité par les Archives et Bibliothèques de l’ULB à l’occasion de la célébration du 175e anniversaire de l’Université libre de Bruxelles.
Droits réservés : Malgré toutes les démarches entreprises, les éditeurs de cet ouvrage n’ont pas pu retrouver l’origine de certaines
photographies. S’ils se reconnaissent, les ayant-droit de ces photographies peuvent prendre contact avec les éditeurs.
Dépôt légal : D/2010/2032/1
©2010 - Archives et Bibliothèques de l’Université libre de Bruxelles.
Sommaire
Au moment où l’Université libre de Bruxelles fête l’accomplissement de sa 175e année, il paraît naturel de se pencher sur l’histoire de notre communauté. Si notre his-
toire, notre ancrage philosophique – données essentielles de notre identité – donnent à notre Université une dimension particulière, cette identité ne se limite pas non plus
à ceux-ci : l’Université libre de Bruxelles est avant tout une université tournée vers l’avenir, moderne au sens où elle entend vivre avec son temps.
Relire l’histoire de l’ULB au travers de l’histoire de ses docteurs honoris causa, c’est y lire les rapports qu’elle entretient avec la société qui l’entoure, une histoire des
valeurs qu’elle défend et de la vision du monde qu’elle promeut… même si parfois, libre examen oblige, cela met en lumière et a posteriori quelques errements dus à l’air
du temps.
Libre examen, tolérance, droits humains, science et société sont autant de constantes dont nos docteurs honoris causa sont les étendards : elles nous portent vers le
futur.
Après avoir obtenu un diplôme de docteur en chimie à Actuellement, Marc Van Montagu est président de la
l’Université de Gand en 1965, Marc Van Montagu devient European Federation of Biotechnology, une ONG qui
professeur ordinaire ainsi que directeur du Laboratoire promeut les biotechnologies et il est, par ailleurs,
de génétique de l’Université de Gand. directeur scientifique du Département de génétique de
l’Institut de biotechnologies et professeur extraordinaire
Ses principaux domaines de recherche sont la biologie à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). À ce titre, il intervient
cellulaire, la chimie, la virologie, la biotechnologie, dans le débat public pour souligner les apports du génie
l’ingénierie et la microbiologie. Il s’est rendu célèbre, génétique : la pollution serait endiguée et les plantes
dans les années 1970, par la découverte en collaboration génétiquement modifiées apporteraient une solution
avec Jozef Schell, scientifique anversois, de l’ingénierie à la famine et à la surpopulation dans le monde.
basée sur Agrobacterium tumefaciens, utilisée
dans le monde entier pour la production de plantes
génétiquement modifiées aux usages variés.
En 1975, son laboratoire devient le Centre En 1980, avec la venue de la biologie moléculaire,
d’immunologie et de biologie parasitaire de l’Institut André Capron développe avec son équipe des travaux
Pasteur de Lille et obtient le statut d’unité de l’Institut sur la génétique moléculaire des schistosomes qui
national de la santé et de la recherche médicale conduisent, en 1987, à la préparation des différentes
(INSERM) puis d’unité mixte INSERM-CNRS. Il en est protéines vaccinantes, demeurées au stade
le directeur jusqu’en 2001. Le Centre d’immunologie expérimental clinique depuis 1998. Il pourrait s’agir
et de biologie parasitaire consacre l’essentiel de d’un vaccin potentiel contre la bilharziose, seconde
son activité scientifique à l’étude des mécanismes endémie parasitaire mondiale après le paludisme.
Edgar Morin, né Edgar Nahoum, est issu d’une famille De retour à Paris, il s’essaie au journalisme
juive séfarade athée de Salonique installée dans le et rédige des articles commandés par le Parti
Sentier à Paris. Ses parents ne lui transmettent pas la communiste. Mais progressivement, il remet en
culture juive ni la pratique religieuse ; il explique que question ses convictions et, en 1951, il est rejeté
ce « vide culturel originaire » a créé chez lui un appel du parti pour pratique antistalinienne. Un an plus
d’air pour la curiosité. Le décès de sa mère, quand il a tôt, il rentre au CNRS en tant que chercheur et,
neuf ans, le plonge dans une boulimie de lecture. À la en 1957, il est cofondateur de la revue Argument,
fin de son adolescence, sa passion littéraire l’amène à la tête de laquelle il demeure jusqu’en 1962.
à s’interroger sur le social, et de là sur le politique. Il
rentre à l’Université de Toulouse en septembre 1939 En 1961, il est nommé maître de recherche et directeur
et s’inscrit simultanément en histoire, à la Faculté de recherche au CNRS neuf ans plus tard. Son projet
de droit et en sciences politiques. Cependant, il se fondamental au CNRS est de « comprendre l’homme
pose essentiellement comme un autodidacte et se dans l’unité complexe de son être biologique et de
considère toujours comme un étudiant choisissant son être social en transgressant résolument les
ses éducateurs et butinant à la fois dans la culture frontières entre disciplines afin d’élargir la vision,
universitaire et parmi les auteurs exclus ou ignorés. intégrer les perspectives, frayer la voie vers une
anthropologie fondamentale ». Parallèlement,
Il a 19 ans lorsque la seconde guerre mondiale il crée une nouvelle revue Communication qui
éclate. Il intègre alors un petit noyau de solidarité : paraît toujours aujourd’hui. En 1973 il codirige le
le Centre d’accueil des étudiants réfugiés, il en Centre d’études transdisciplinaires, sociologie,
devient le secrétaire. Il entre officiellement au Parti anthropologie, sémiologie qui est rattaché au CNRS
communiste en 1942 en intégrant les Jeunesses et qui prend son nom en 2008, le Centre Edgar Morin.
communistes de Lyon. Il devient membre du En 1974, il entame le premier volume de son œuvre
mouvement de résistance des prisonniers et majeure La Méthode, il y en aura six au total.
déportés et crée un réseau de renseignements,
distribue des journaux clandestins et des faux Edgar Morin est l’auteur de plus d’une trentaine
papiers. Il adopte le patronyme de résistant Morin, en d’ouvrages ainsi que de plusieurs films. Il a reçu
référence à Malraux, et le gardera après la guerre. de multiples titres honorifiques : commandeur de
l’Ordre des arts et des lettres, officier de la Légion
En 1944, il se rend à Paris pour la libération et, à d’honneur. Il a également gagné le prix européen
la fin de la guerre, son travail au sein du parti ne de l’essai Charles Veillon 1987 et le prix Viareggio
l’intéressant plus, il part en Allemagne avec son international 1989. Edgar Morin est docteur
épouse. Il est rattaché à l’État-major de la première honoris causa de plus de quatorze universités dont
armée française en Allemagne. Sur place, un de celles de Genève, Bruxelles (1993) et Palerme.
ses amis lui commande un livre : L’an zéro de Actuellement il est directeur de recherche émérite
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bombardement du Vietnam, un geste qu’il sera amené
à regretter devant l’imbroglio qui devait suivre. Il joue
aussi un rôle crucial comme président des auditions
du Sénat sur la politique américaine et la conduite du
conflit. Après cinq mandats de sénateur de l’Arkansas,
William Fulbright perd les élections primaires de 1974
au profit de Dale Bumpers. Il devient alors conseiller
pour le cabinet d’avocats Hogan & Hartson et se
consacre activement au programme d’échanges qu’il
a mis en place. Il reçoit entre autres le titre de docteur
honoris causa de l’Université libre de Bruxelles en
1958 et, en 1993, la Presidential Medal of Freedom
des mains du président Bill Clinton qui n’a jamais
caché son admiration pour celui qui a été, comme
lui, gouverneur de l’Arkansas. Il quitte le cabinet
d’avocats Hogan & Hartson en octobre 1994. Un
an auparavant avait été créé le prix Fulbright pour
la compréhension internationale (Nelson Mandela
en est le premier lauréat). William Fulbright s’éteint
à son domicile de Washington le 9 février 1995.
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Trygve Lie
Docteur honoris causa 1951 de ministre des Affaires étrangères en octobre 1945.
C’est en cette qualité qu’il préside la délégation
Oslo, Norvège, 1896 – Geilo, Norvège, 1968 norvégienne à la première session de l’Assemblée
générale des Nations unies qui se tient à Londres, en
Trygve Lie est le fils de Martin Lie et de Hulda 1946. Le 1er février 1946, il est élu premier secrétaire
Arnesen. Il grandit dans une famille modeste, son général de l’ONU, pour une période de 5 ans. Le
père est charpentier et décède très jeune. Lie adhère 1er novembre 1950, l’assemblée générale décide
à l’Organisation de la jeunesse du Parti travailliste de prolonger son mandat de 3 ans. Mais, le 10
en 1911. À l’âge de seize ans, il est élu, au lycée, novembre 1952, il remet sa démission de secrétaire
président de la section d’Aker (un faubourg d’Oslo) général sous la pression soviétique à cause de ses
du Parti et ce, de 1914 à 1919. Il fait des études de positions pendant la guerre de Corée. Le suicide de
droit à l’Université d’Oslo avec l’aide d’une bourse son conseiller juridique, à la suite d’investigations
et d’un travail de coursier pour financer ses études auprès du personnel de siège de l’ONU à New York,
qu’il termine en 1919. Cette année-là, il est secrétaire influence également sa décision. Le 10 avril 1953,
adjoint du Parti travailliste norvégien jusqu’en Dag Hammarskjöld, un diplomate suédois, prend
1922. De 1922 à 1935, il est conseiller juridique de sa succession. Rentré en Norvège, Trygve Lie y
la fédération des syndicats. Il est nommé secrétaire assume successivement les fonctions de ministre
exécutif du parti en 1926. Il résout de nombreux de l’Industrie (1963) puis du Commerce (1964-1965).
conflits sociaux, entre patronat et ouvriers. Il Il décède à l’âge de 72 ans, le 30 décembre 1968.
permet à Léon Trotski de se réfugier en Norvège
après que celui-ci ait été expulsé d’URSS et de
France. De 1935 à 1939, il est ministre de la Justice
dans le gouvernement de Johan Nygaardsvold,
du Parti travailliste. De 1939 à 1940, il obtient le
portefeuille de l’Industrie, de la Marine marchande
et des Pêcheries. Lors de l’invasion allemande de la
Norvège, le gouvernement norvégien se réfugie à
Londres et Trygve Lie est nommé ministre des Affaires
étrangères en exil, par intérim en 1940 puis en titre
un an plus tard. Il se distingue comme diplomate
pendant la guerre grâce à ses bons rapports avec
les Anglais, les Américains et les Soviétiques. En
tant que ministre des Affaires étrangères, il préside
la délégation norvégienne à la Conférence des
Nations unies de San Francisco (avril – juin 1945), où
est signée la Charte des Nations unies. Il y préside
la commission chargée de rédiger le chapitre de
la Charte traitant du Conseil de sécurité. Après la
libération de son pays, il est confirmé à son poste
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William Lyon Mackenzie King
Docteur honoris causa 1947 de 22 ans, record jusqu’ici inégalé au Canada. Ses
différents mandats se confondent avec l’histoire de
Berlin, Canada, 1874 – Kingsmere, Canada, 1950 son pays. Aux prises avec les répercussions de la
crise économique de 1929, il élabore un programme
Issu d’une famille libérale et aisée, William Lyon de lutte contre le chômage fortement inspiré du
Mackenzie King est certainement l’un des hommes New Deal de Roosevelt. En politique intérieure, il
politiques canadiens les plus importants du XXe siècle. penche pour une autonomie accrue du Canada, mais
Son grand-père maternel, William Lyon Mackenzie, sans aller cependant jusqu’à soutenir explicitement
fut le premier maire de Toronto et le fer de lance de la l’indépendance du pays au sein du Commonwealth,
Rébellion des patriotes qui souleva le Haut-Canada ce que d’aucuns lui reprochent amèrement. Sa ligne
contre les colons britanniques en 1837-1838. Comme de conduite hésitante en la matière est illustrée par
son père, le jeune King s’oriente vers les études de droit l’entrée en guerre du Canada en 1939 : d’un côté, il
et décroche en 1896 un diplôme de Osgoode Hall, une procède hâtivement à une mobilisation des troupes,
école de droit liée à l’Université de Toronto. Il poursuit de l’autre, il s’en remet à la souveraineté du Parlement
sa formation à l’Université de Harvard où il obtient un pour voter la déclaration de guerre officielle, qui
Master of Arts en économie politique en 1898. Il rédige intervient une semaine après celle de la Grande-
l’année suivante une thèse de doctorat sur les relations Bretagne. Partisan d’une politique de neutralité et
de travail dans l’industrie textile aux États-Unis, au d’apaisement avec l’Allemagne, il tente à plusieurs
Canada et en Angleterre, qui ne sera soutenue qu’en reprises d’éviter la conscription généralisée, laquelle
1909 à l’Université de Harvard. Entre-temps, il devient cristallisait les oppositions entre francophones
journaliste mais préfère rapidement embrasser une et anglophones et avait déjà précipité sa défaite
carrière politique au sein du Parti libéral. Élu député en électorale en 1917. Il finit toutefois par l’adopter en
1908, il obtient dans la foulée le portefeuille du Travail avril 1942 en limitant sa portée à l’échelle nationale.
au sein d’un gouvernement dirigé par son mentor, le Fin 1944, il fait voter un décret de conscription
francophone Sir Wilfried Laurier. Défait aux élections généralisée qui écorne sa popularité mais a peu
générales de 1911, King abandonne provisoirement la d’effets concrets du fait de la fin de la guerre.
politique et devient expert en relations industrielles
auprès de la Fondation Rockefeller, prodiguant des Instigateur d’un programme de reconstruction du
conseils de conciliation pour la gestion des grèves. pays marqué par les principes interventionnistes de
C’est à cette époque qu’il rédige un ouvrage tiré de son l’État-providence, King se détache progressivement
expérience de consultant et perçu plus tard comme un de la vie politique après la guerre non sans s’être
livre-programme : Industry and Humanity: A Study in assuré de la stabilité économique et de l’unité
the Principles Underlying Industrial Reconstruction. politique du pays. Il décède d’une pneumonie
dans sa résidence d’été de Kingsmere en 1950.
King entame son retour en politique en 1919 en prenant
la succession de Wilfried Laurier à la tête du Parti
libéral. C’est le début d’une carrière au sommet qui ne
s’achèvera que par sa retraite en 1948. Il est nommé
premier ministre à six reprises pour une durée totale
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Franklin D. Roosevelt
Docteur honoris causa 1945 fin de la guerre, il se rend en Europe pour assurer
la démobilisation de la Marine et il participe aux
New York, États-Unis, 1882 – conférences de paix avec le président Wilson. En
Warm Springs, États-Unis, 1945 1920, le Parti démocrate propose sa nomination
à la vice-présidence et il tente dès lors de faire
Issu d’un milieu aisé, Franklin Delano Roosevelt est rentrer les États-Unis dans la Société des nations.
le fils unique de James Roosevelt, fervent démocrate, Cette proposition est rejetée par le Sénat et, après
vice-président des chemins de fer de l’Hudson et de la nomination du président républicain Harding,
Sarah Delano, riche new-yorkaise. Ceux-ci éduquent Roosevelt s’éloigne de la vie publique. Terrassé par
leur fils unique dans la tradition aristocratique une grave crise de poliomyélite, il entame un long
anglaise, en lui adjoignant un précepteur et en processus en vue de recouvrer l’usage de ses jambes.
l’emmenant avec eux dans leurs voyages à travers Malgré son handicap, et sur les conseils de sa femme,
l’Europe. Le jeune Franklin évolue dans un univers il décide en 1924 de faire son retour sur la scène
dominé par des adultes jusqu’à ses 14 ans, quand il politique en soutenant la candidature d’ Al Smith au
entre dans la très stricte école privée de Groton, dans poste de gouverneur de l’État de New York. En 1928
le Massachusetts. Il fait son entrée à l’Université de le poste est à nouveau vaquant et les démocrates
Harvard en 1900, et devient rapidement l’éditeur du poussent Roosevelt à se présenter. Il l’emporte à
journal universitaire. À cette période, il rencontre une courte majorité et figure désormais en bonne
Eleanor Roosevelt, une cousine éloignée avec qui il place sur la liste des nominés démocrates pour la
se fiance en 1904 et qu’il l’épouse l’année suivante, présidence. Quand, en 1929, la Grande Dépression
raison pour laquelle il ne finit pas le cursus qu’il a s’abat sur les États-Unis, Roosevelt sait se montrer
entamé à la Columbia Law School. Une fois passé plus habile que le président Herbert Hoover en
son examen au barreau, il est reçu avocat en 1907 mobilisant les ressources de son État pour assurer
et entre dans un cabinet new-yorkais. Il fait ses une sécurité minimum aux nécessiteux. Candidat du
débuts en politique en 1910, quand les démocrates Parti démocrate, il est élu avec une majorité écrasante
du Dutchess County le poussent à présenter sa lors des élections du mois de novembre et entame son
candidature au Sénat. Il remporte les élections et le premier mandat le 4 mars 1933. Épaulé par ce qu’il
siège de l’État de New York, où il s’impose comme le appelle son Brain Trust, sa première action consiste
leader de l’opposition démocrate. Lors des élections à décréter un congé national pour toutes les banques
de 1912, il tombe malade, ce qui l’exclut de la et à les placer sous contrôle fédéral. Dans les mois
campagne. L’année suivante, le nouveau président et les années qui suivent, il met en place un train
Woodrow Wilson, que Roosevelt avait énergiquement de réformes (le New Deal) qui visent à redynamiser
soutenu, lui offre le poste d’assistant secrétaire l’économie américaine. Elles sont une réussite sur le
à la Marine. Cette nouvelle affectation l’amène à plan social, ce qui lui vaut d’être réélu le 3 novembre
s’installer à Washington, où il acquiert la réputation 1936. En 1939, alors que l’Europe est au bord du
d’un démocrate progressiste prometteur. Bien qu’il chaos, Roosevelt est partagé entre l’isolationnisme et
soit battu par le Tammany Hall lors des élections l’implication directe dans la guerre. Après l’invasion
sénatoriales de 1914, il se consacre à sa fonction de la France, il choisit le compromis en fournissant
qui consiste à préparer la Marine à la guerre. Àla une aide logistique à la Grande-Bretagne. Cette
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politique de « neutralité active » se développe lors
de son troisième mandat entamé en 1941 avec l’envoi
de destroyers en Atlantique et l’afflux de matériels
militaires aux pays alliés. Il impose un embargo
sur le Japon, espérant que la diminution de leurs
réserves de carburant arrêterait l’avancée des armées
nippones en Chine. Cette décision conduit à l’attaque
surprise de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, au
cours de laquelle la flotte américaine du Pacifique
est pratiquement réduite à néant. Roosevelt, comme
l’opinion américaine, est furieux et choqué. Rompant
totalement avec la tradition isolationniste, il ordonne
dès le lendemain au Congrès de décréter l’état de
guerre. Après une année 1943 difficile, les succès
remportés par les Alliés en Italie provoquent la chute
du régime de Mussolini, laissant la possibilité de
planifier la libération de l’Europe. L’opération Overlord
a lieu le 6 juin 1944, réalisant le vœu de Staline
de voir s’ouvrir un second front à l’Ouest. Après la
conférence de Yalta en février 1945, Roosevelt, qui
avait remporté un quatrième et exceptionnel mandat
présidentiel au début de l’année, retourne faire une
cure à Warm Springs en Georgie au mois de mars. Il
est terrassé, victime d’une hémorragie cérébrale.
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Winston Churchill
Docteur honoris causa 1945 La guerre terminée, son itinéraire politique
devient plus sinueux. Ses changements
Blenheim, Angleterre, 1874 – d’allégeance (il repasse en 1924 des libéraux aux
Londres, Angleterre, 1965 conservateurs) et sa versatilité ne contribuent
pas à convaincre les électeurs. En 1938, sa
Winston Churchill est le fils d’un descendant du duc popularité et sa crédibilité sont au plus bas.
de Marlborough et de la fille du propriétaire du New La situation s’inversera deux ans plus tard.
York Times. Américain par sa mère, il cultive ce goût
des liens transatlantiques tout en appartenant à En mai 1940, au terme de la Drôle de Guerre, le
l’aristocratie britannique la plus titrée. C’est un élève roi fait appel à Winston Churchill pour former un
très moyen, admis de justesse à l’école de Sandhurst, gouvernement d’union nationale. Du printemps à
le Saint-Cyr britannique, en 1893. Il rêve d’aventures, l’automne 1940, Churchill galvanise les troupes,
part sur le théâtre des opérations extérieures (Cuba, définit les objectifs de la nation dans des discours
Inde, Soudan), et en tire des livres de reportages. magnifiques et intrépides (« (…) we shall never
Après une défaite électorale dans le district d’Oldham, surrender »). Il organise partout la lutte contre
il repart en Afrique du Sud, comme correspondant l’Allemagne hitlérienne : en Grande-Bretagne, contre
de guerre. Fait prisonnier par les Boers, il s’échappe l’offensive aérienne de la Luftwaffe (la « bataille
et parvient à câbler à son journal le récit de ses d’Angleterre ») et les menaces d’invasion ; en
exploits. Toute l’Angleterre apprend d’un coup Afrique, contre les Italiens ; du côté de l’Amérique, en
à connaître l’aventureux descendant du grand resserrant les liens économiques et diplomatiques
Marlborough. Auréolé de cette soudaine notoriété, avec Franklin D. Roosevelt (avec la charte de
il n’hésite pas à l’exploiter et se lance à nouveau en l’Atlantique le 14 août 1941). En 1941, l’Angleterre sort
politique. Il est élu député conservateur en 1900. de son isolement grâce à l’entrée en guerre de l’URSS
Toutefois, il ne reste pas longtemps conservateur en juin et des États-Unis en décembre. Mais elle doit
et se rapproche des libéraux à partir de 1904. Élu affronter un nouvel et redoutable adversaire, le Japon,
député libéral de Manchester en 1906, il obtient un qui s’empare de toutes les positions britanniques en
sous-secrétariat d’État. En 1908, le premier ministre Extrême-Orient. Une étroite collaboration se met en
Lloyd George lui confie le portefeuille du Commerce place entre les trois nations en guerre, entre Churchill,
et de l’Industrie. Churchill, qui a rallié le camp du Roosevelt et Staline. L’ouverture d’un deuxième front
radicalisme et de la démocratie sociale, s’emploie à l’ouest a lieu le 6 juin 1944 sur les côtes normandes :
à limiter la journée de travail dans les mines, à les armées britanniques participent à la reconquête
lutter contre le sweating system et le chômage. de l’Europe. Le 11 novembre 1944, Churchill, aux côtés
Ministre de l’Intérieur en 1910-1911, il se pose en de Charles de Gaulle, est acclamé à Paris. Le « V » de la
protecteur intrépide de l’ordre public. Désigné victoire, symbole de la silhouette churchillienne tout
premier lord de l’Amirauté en 1911, il prépare la flotte autant que son éternel cigare, est devenu une réalité.
britannique à la guerre en prenant des mesures
radicales. Il est en partie responsable du terrible À partir de la conférence de Yalta (février 1945),
échec de la campagne des Dardanelles en 1915. l’alliance avec la Russie stalinienne craque. Churchill
stigmatise « le rideau de fer » qui est en train de
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diviser l’Europe. Il fait tirer les troupes britanniques
sur les communistes de la résistance grecque.
Sur le plan national, Churchill, au firmament de
sa popularité, s’attend à remporter facilement
les élections législatives de juillet 1945. Mais les
conservateurs subissent une défaite cuisante :
215 sièges seulement contre 399 aux travaillistes.
Ulcéré d’être ainsi « congédié par le corps électoral
britannique », le vieux lion quitte la scène politique
en plein milieu de la conférence de Potsdam et laisse
la place à son adversaire et éternel rival Clement
Attlee. Devenu leader de l’opposition, Winston
Churchill ronge son frein. Entre plusieurs hobbies,
il se consacre à la rédaction de ses Mémoires
(qui lui vaudront le prix Nobel de littérature en
1953). Aux élections de 1951, le camp travailliste
subit un désaveu et Churchill redevient premier
ministre. Son gouvernement pratique une politique
d’assouplissement prudente du dirigisme travailliste
et prône, à l’extérieur, une alliance étroite avec
les États-Unis et une politique d’apaisement
international. Son âge avancé ne lui permet
cependant pas de réaliser tous ses espoirs. Après
une célébration émouvante de son 80 e anniversaire
qui lui vaut une multitude d’hommages (novembre
1954), Churchill se résigne à abandonner le pouvoir
en confiant sa succession à Anthony Eden (avril 1955).
Churchill aura eu la plus longue carrière politique de
l’histoire du Royaume-Uni, mais, paradoxalement,
sans les cinq années de guerre, elle aurait été
marginale, sinon anecdotique. En 1953, fait chevalier
de la Jarretière, il devient « Sir » Winston Churchill.
Il passe les dix dernières années de son existence
dans la retraite de sa maison de campagne du Kent, à
Chartwell, ou dans le midi de la France. Ses obsèques,
en présence de la reine, seront triomphales.
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Tchang Kaï-chek
Docteur honoris causa 1945 au sein du gouvernement. Élu au comité central lors
du second Congrès national du Guomindang, il se
Xikou, Chine, 1887 – Taipei, Taiwan, 1975 retrouve à la tête du parti tout en bénéficiant de l’aide
logistique de Moscou. Cependant Tchang Kaï-chek
Fils d’un marchand de sel, Jiang Jieshi, dit Tchang se retourne contre les communistes en décrétant la
Kaï-chek, voit le jour dans la province de Fenghua, loi martiale à Zongshan le 20 mars 1926. Il fait aussi
où il est élevé par sa mère, veuve. En 1905, il part arrêter un grand nombre de conseillers soviétiques,
à Ningbo où il étudie la philosophie et s’intéresse ainsi que des cadres du Parti communiste chinois.
aux anciens textes guerriers. Il décide alors de Aidé financièrement par les sociétés capitalistes de
suivre une formation militaire au Japon après un Shanghai, il se lance également dans l’Expédition
bref passage au collège de Lungshin. Il est accepté du Nord, croisade politique visant à mater les
en 1908 à l’Académie Shimbu Gakkô de Tokyo et seigneurs de guerre et les communistes et qui
entame sa carrière politique l’année suivante en s’achève avec la prise de Pékin en juin 1928. Un autre
adhérant à l’Alliance révolutionnaire de Sun Yat-sen front s’ouvre avec la lutte contre les envahisseurs
qu’il découvre grâce à un ami. Il participe ainsi à la japonais ; la stratégie des nationalistes consiste à
révolution de 1911 en combattant à Shanghai et aide opérer des replis stratégiques, tandis que la guérilla
à asseoir Sun Yat-Sen à la tête du gouvernement communiste harcelait les troupes japonaises. Quand
provisoire de Nankin. Il rejoint ensuite le Parti en décembre 1941, les États-Unis entrent en guerre,
nationaliste chinois Guomindang et retourne Roosevelt et Churchill le nomment commandant
à Shanghai pour mener une campagne contre suprême des forces chinoises et il reçoit dès lors le
Yuan. Il fréquente les sociétés secrètes de la ville soutien logistique du gouvernement américain. Dans
composées de l’élite capitaliste et est placé sous les années qui suivent, la popularité de Kaï-chek
les ordres de Chen Jionming, principal allié militaire auprès des leaders occidentaux est grandissante. En
du gouvernement que Sun Yat-sen avait récemment décembre 1943, il se rend au Caire pour rencontrer
installé à Canton. Le Guomindang est cependant Roosevelt et Churchill. Ces derniers s’accordent
expulsé de la ville en 1922, forçant Sun Yat-sen à se sur l’abolition des juridictions consulaires, des
tourner vers le Kominterm pour réorganiser le parti. concessions et des droits de navigations fluviales
C’est ainsi que le 16 août 1923, Tchang Kaï-chek et définissent en même temps les conditions de
quitte la Chine pour diriger une délégation envoyée victoire sur l’empire japonais. L’Université libre de
à Moscou avec pour mission d’étudier l’organisation Bruxelles décerne le titre de docteur honoris causa
de l’Armée rouge. À son retour, le 16 janvier 1924, le au généralissime Kaï-chek le 30 décembre 1944.
Guomindang est complètement réorganisé. Il devient Ne pouvant se rendre à Bruxelles, son diplôme
peu de temps après membre du conseil militaire du et ses insignes lui seront remis en personne par
Guomindang et est nommé à la tête de l’académie l’ambassadeur de la République de Chine au
militaire de Whampoa. Il se lance alors dans une mois de janvier 1946. La reddition des Japonais
série de campagnes militaires visant à mater les ne marque cependant pas l’arrêt des dissensions
révoltes des riches commerçants cantonnais et entre nationalistes et communistes. Avec l’appui
gagne en renommée. La mort de Sun Yat-sen au de l’Union soviétique, les communistes lancent une
mois de mars 1925, entraîne une série de troubles série d’offensives à partir du nord de la Chine. Ils
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 108
s’emparent de Pékin le 22 janvier 1949 et chassent
les nationalistes de Nankin dans le courant du mois
d’avril. Suite à la proclamation de la République
populaire de Chine, le 1er octobre 1949, Tchang
Kaï-chek est contraint de fuir à Taiwan avec son
gouvernement et une partie de son armée. Il
installe son gouvernement à parti unique à Taipei et
entame son mandat de président de la République
de Chine le 1er mars 1950. La République populaire
de Chine revendique cependant la souveraineté
sur l’île, forçant Tchang Kaï-chek à chercher un
appui auprès des Américains. Ces derniers, bien
qu’hésitants dans un premier temps, changent de
stratégie quand éclate la guerre de Corée. Dès lors,
Taiwan, qui occupe une position stratégique dans
la conduite du conflit, bénéficie d’une aide militaire
massive de la part de Washington qui reconnaît le
régime de Tchang Kaï-chek comme étant le régime
officiel de la Chine jusqu’en 1972. Tchang Kaï-
chek est président jusqu’en 1975, date à laquelle
il est terrassé par un arrêt cardiaque à Taipei.
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 109
Charles de Gaulle
Docteur honoris causa 1945 une division qui réussit momentanément à arrêter
l’avancée allemande près de Laon. Le 5 juin, le
Lille, France, 1890 – président du Conseil, Paul Reynaud, lui confie le poste
Colombey-les-Deux-Églises, France, 1970 de sous-secrétaire d’État à la Défense nationale.
Mais quand il apprend la démission de Reynaud
Charles de Gaulle naît le 22 novembre 1890 à Lille. et son remplacement par le maréchal Pétain, il
Issu d’une famille monarchiste, catholique et libérale, s’envole pour l’Angleterre et prononce, le lendemain
il est le troisième enfant d’Henri de Gaulle, professeur de l’annonce de l’armistice par Pétain, un vibrant
de littérature, d’histoire et de mathématiques et de appel à la résistance – le célèbre appel du 18 juin.
Jeanne Maillot, fille d’un industriel textile lillois. Ayant Une semaine plus tard, de Gaulle forme et préside le
débuté ses études à Lille, il achève son cursus à Paris Comité national français et est reconnu publiquement
avant de poser sa candidature à l’École militaire de chef des Français par le gouvernement britannique.
Saint-Cyr en 1909. Il y suit une formation d’officier Il se rend en Afrique au mois de septembre et rallie à
de 1910 à 1912, est nommé lieutenant en 1913, la France plusieurs territoires d’outre-mer. Il installe
incorporé au 33e régiment d’infanterie à Arras, sous à Brazzaville le Conseil de défense de l’Empire et
les ordres du colonel Pétain. Au cours de la première crée l’Ordre de la libération le 16 novembre 1940.
guerre mondiale, de Gaulle est blessé à trois reprises Dès lors, les Forces françaises libres se battent aux
avant d’être capturé par les Allemands en février côtés des Britanniques et mettent fin à l’avancée des
1916. Interné à Freyberg, il tente de s’évader à cinq Allemands vers le canal de Suez. La détérioration
reprises avant d’être transféré au fort d’Inglestadt des relations entre de Gaulle et Winston Churchill
où il reste jusqu’à l’armistice. Dès sa libération, de a lieu en 1942. Le premier ministre, influencé par le
Gaulle reprend la carrière militaire. Il est envoyé président américain Roosevelt, lui interdit désormais
en Pologne pour combattre l’Armée rouge puis est de quitter l’Angleterre. Exclu de l’organisation du
rappelé à Paris, pour un poste de professeur adjoint débarquement anglo-américain en Afrique du Nord,
d’histoire militaire à Saint-Cyr. Il entre en 1922 à il apprend que les Alliés ont entamé des négociations
l’École supérieure de guerre pour deux ans avant avec l’amiral Darlan, membre du gouvernement
d’être affecté à l’État-major des armées du Rhin. Il de Vichy. Après l’assassinat de Darlan, le Comité
est appelé au cabinet du maréchal Pétain en 1923. français de libération nationale est créé le 3 juin
Après un bref passage à la tête du 19e bataillon de 1943 à Alger sous la coprésidence de Giraud et
chasseurs, il est envoyé à Beyrouth où il est affecté de Gaulle. Suite au débarquement de Normandie,
à l’État-major des armées du Levant de 1929 à Paris est libéré le 25 août 1944 et le général peut
1931. Au terme de son séjour, il est rappelé à Paris descendre triomphalement les Champs Élysées. Il
pour être affecté au secrétariat général du conseil transfère son gouvernement provisoire à Paris. De
supérieur de la défense nationale. Quand, en 1939, Gaulle, qui n’est pas invité aux conférences de Yalta
la France se prépare à la mobilisation générale, et de Postdam, assiste au partage du monde entre
on lui confie le commandement des chars de la Ve Churchill, Staline et Roosevelt. L’Université libre de
armée jusqu’à sa nomination au grade de général Bruxelles le considère toutefois comme un de ses
de brigade à titre temporaire le 15 mai 1940. Il reçoit libérateurs, raison pour laquelle elle lui décerne
alors le commandement de la 4e division cuirassée, ainsi qu’aux autres le titre de docteur honoris
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 110
causa le 30 décembre 1944. Le général reçoit le solution aux troubles, il quitte le territoire français le
diplôme et les insignes que lui remet le recteur lors 29 mai. Il réapparaît dans un message radiodiffusé le
d’une cérémonie solennelle le 11 octobre 1945. lendemain, pour annoncer qu’il dissout l’Assemblée
nationale. Après une victoire écrasante aux élections
Le 13 novembre 1945, le général est élu président législatives de 1969, il propose deux référendums, l’un
du gouvernement de la République par l’Assemblée. traitant de la transformation du Sénat en assemblée
Mais il est en désaccord avec le projet de constitution consultative et l’autre de la régionalisation.
de la IVe République et démissionne dès janvier. Essuyant un refus, il démissionne le 27 avril,
Pensant que sa popularité pousserait les Français laissant l’intérim à Alain Poher jusqu’à l’élection de
à le rappeler très vite, il se retire dans sa résidence Georges Pompidou. Il passe les derniers mois de
de Colombey-les-Deux-Églises. Sa retraite prend en sa vie à écrire ses mémoires et s’éteint subitement
réalité fin le 30 mai 1958, quand la détérioration de suite à une rupture d’anévrisme. Ses obsèques se
la situation en Algérie, pousse le président Coty à sont déroulées dans une stricte intimité voulue.
faire appel à lui pour former le gouvernement. Après
s’être fait accorder les pleins pouvoirs, il préside
le Conseil des ministres et est élu président de la
République le 21 décembre 1958. Il s’installe à l’Élysée
le 8 janvier et entame les premiers dossiers de son
mandat. Sur le plan extérieur, il comprend très vite
que la pacification de l’Algérie n’est envisageable que
si elle reçoit son indépendance. Cette politique, qui
mène à la signature des accords d’Évian, n’a pas que
des partisans et donne lieu à une série d’attentats
aussi bien en Algérie qu’en métropole. Sur le plan
intérieur, il dissout l’Assemblée nationale en octobre
1962 et procède à un référendum pour que l’élection
présidentielle soit au suffrage universel. Cette
pratique du référendum est rapidement considérée
comme anticonstitutionnelle. Aux élections de
1965, le général de Gaulle est élu au second tour
avec seulement 54,5% des voix contre 45,5% pour
François Mitterrand, qui a forcé le général à un second
tour de scrutin. Ayant entamé son second mandat,
le président de Gaulle se lance dans une série de
voyages diplomatiques en Allemagne, en Pologne et
à Montréal où il prononce un discours en faveur du
Québec libre. Il est en voyage quand les événements
de mai 1968 le poussent à rentrer. Incapable dans
un premier temps de comprendre et de trouver une
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 111
Joseph Staline
Docteur honoris causa 1945 et prend la direction du journal Pravda. Il devient
rapidement l’un des proches collaborateurs de
Gori, Géorgie, 1879 – Moscou, Russie, 1953 Lénine, si bien que ce dernier le nomme commissaire
du peuple aux Nationalités au mois d’octobre, poste
Joseph Staline, de son vrai nom lossif Djougachvili qu’il conservera jusqu’en 1922. Il est également fait
est le quatrième enfant de Vissarion Djougachvili, un membre du bureau politique du Parti bolchevique,
modeste cordonnier ossète au tempérament violent, puis commissaire du peuple à l’inspection ouvrière et
et d’Ekaterina Gueladzé. Son enfance est marquée paysanne en février 1919. Il y développe son réseau
par la faim et la violence. Poussé par sa mère qui d’informateurs et devient le personnage le mieux
désire le voir épouser une carrière religieuse, le jeune renseigné du Parti. En avril 1922, Lénine propose sa
Joseph entre au collège théologique de Gori en 1888 nomination au poste de secrétaire général du comité
et poursuit ses études au séminaire orthodoxe de central. Craignant que Staline ne canalise entre ses
Tiflis (aujourd’hui Tbilissi) où son adhésion au groupe mains des pouvoirs trop importants, Lénine l’avait
clandestin social-démocrate Messame Dassy lui vaut relégué à un poste purement administratif. Suivant
d’être expulsé en 1899 pour activité révolutionnaire. dans un premier temps la politique de son dirigeant,
En décembre 1899, il entre à l’observatoire Staline, qui a su tirer avantage de la bureaucratisation
géophysique de Tiflis sous le pseudonyme de Koba. du Parti, bâtit très vite un pouvoir personnel et
Alors que le début du XXe siècle en Russie est marqué profite de ses attributions pour se débarrasser de
par une importante crise économique qui entraîne ses opposants. La situation entre les deux hommes
des mouvements de grèves à travers tous le pays, il dégénère tant et si bien qu’en janvier 1923, Lénine
quitte l’observatoire géophysique et se lance dans l’exclut de sa succession dans son testament, lui
l’organisation d’une série de manifestations comme préférant les méthodes de Trotski. À la mort de
celle du 22 avril 1901, qui réunit 3 000 ouvriers à Lénine, Staline tisse une série d’alliances en vue de
Batoumi. Son implication dans les événements lui s’octroyer la place. Ainsi, lors du XIVe congrès du
vaut d’être arrêté par la police tsariste et interné Parti, en décembre 1925, il écrase l’opposition de
mais il réapparaît dès 1902 et reprend ses activités gauche qui rassemblait Trotski, Zinoviev et Kamenev
clandestines. Il est arrêté une seconde fois au mois et les fait exclure du parti au mois de novembre
de novembre et est envoyé en exil en Sibérie, d’où 1927. Il fera de même avec l’opposition de droite
il parvient à s’enfuir avant de revenir à Tiflis en en décembre 1929, achevant ainsi d’installer des
1904. Dans les années qui suivent, il sera encore hommes de confiance aux postes clés de l’État. Dès
incarcéré et déporté à deux reprises. Coopté au lors, l’Union soviétique glisse vers un État totalitaire.
comité central du Parti bolchevique en février 1912, il Les purges (notamment la Grande Purge de 1937),
prend le pseudonyme de Staline, l’homme d’acier. Il les jugements expéditifs d’« opposants », les mises
s’investit alors dans la presse bolchevique de Saint- à mort ou les envois dans les camps de travail du
Pétersbourg et écrit son premier ouvrage théorique. goulag constituent la charpente de son règne de
Il est cependant arrêté une fois encore en mars 1913 terreur. En décembre 1938, il nomme à la tête de la
et envoyé en Sibérie où il demeure quatre ans. Libéré police secrète, le NKVD, Lavrenti Beria, qui l’aide à
par la révolution de février 1917, il regagne alors achever les purges. En politique intérieure, Staline
Saint-Pétersbourg, entre-temps devenue Petrograd, lance une campagne d’industrialisation massive qui
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 112
s’appuie sur des plans quinquennaux. À l’extérieur, il dès 1947, il s’oppose à la Yougoslavie du maréchal
se rapproche de l’Allemagne nazie, pensant qu’une Tito, qu’il juge trop indépendante et tente en 1950
alliance lui permettrait de ne pas avoir à s’engager d’humilier Mao Zedong lors de sa visite au Kremlin.
dans une guerre européenne. Le pacte de non Alors qu’il préparait de nouvelles purges et une féroce
agression germano-soviétique est signé en août 1939. campagne antisémite, Staline s’éteint dans sa datcha
Quand en juin 1941, la Wehrmacht envahit l’Union à Moscou le 5 mars 1953, victime d’une attaque. Sa
soviétique, Staline est pris de court. Profitant de dépouille est alors exposée dans le mausolée de
la désorganisation ambiante, l’avancée fulgurante Lénine jusqu’à ce qu’elle soit déplacée et enterrée
des Allemands entraîne la capture de milliers de sous les murs du Kremlin après la déstalinisation.
soldats de l’Armée rouge. Staline, commandant
en chef du quartier général depuis le mois d’août,
entreprend alors des revirements dans sa politique :
les slogans marxistes sont remplacés par un fervent
patriotisme. Il lance également une campagne contre
ce qu’il appelle les « traîtres ». Les minorités tatares
et tchétchènes sont déportées par le NKVD et des
groupes de partisans sont créés afin de combattre
les Allemands et les anticommunistes. Sa victoire sur
l’armée allemande à Stalingrad, véritable tournant
de la guerre, le confirme comme un allié de poids
pour Roosevelt et Churchill, qu’il rencontre pour la
première fois à Téhéran en novembre 1943. Suivront
les conférences de Yalta (janvier 1945) et de Postdam
(mai 1945) au cours desquelles seront posées les
bases du découpage du monde d’après-guerre. Bien
que l’Université libre de Bruxelles, lui ait conféré le
titre de docteur honoris causa en décembre 1944, il
faudra attendre le 220e anniversaire de la fondation
de l’Académie des sciences de Moscou pour que
le président de la Faculté des sciences lui remette
en personne le diplôme et ses insignes. À la fin du
conflit, Staline, au sommet de sa puissance, place
sous contrôle soviétique la plupart des États d’Europe
orientale et centrale, les soumettant au modèle
soviétique. L’émergence du « rideau de fer » préfigure
la guerre froide et la course à l’armement qui n’aura
de cesse de miner l’économie du pays. Persistant dans
une volonté de contrôle et d’obéissance totale, Staline
se retourne contre ses alliés communistes. Ainsi,
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 113
Joseph E. Davies
Docteur honoris causa 1939 Davies remplace William C. Bullitt au poste
d’ambassadeur auprès de l’Union soviétique fin 1936,
Watertown, États-Unis, 1876 – poste qu’il avait refusé lorsque le président Wilson
Washington, États-Unis, 1958 le lui avait proposé au temps de la Russie tsariste. La
manière dont il assure sa fonction d’ambassadeur est
Son père, Edward Davies, émigré du pays de Galles, souvent critiquée par ceux qui ne partagent pas sa
est un prospère fabricant de chariots et sa mère, Rahel vision du système soviétique. Pendant qu’il négocie le
Paynter, une poétesse connue sous le pseudonyme de renouvellement d’un accord commercial, Davies rédige
Rahel o Fôn. Après des études secondaires au collège un rapport détaillé sur l’économie soviétique. Il estime
de Watertown, Davies entre à l’Université du Wisconsin que le système soviétique est une force industrielle
pour y étudier le droit. Il est diplômé avec mention en pleine de vitalité alors que bon nombre de ses
1901 et est admis au barreau du Wisconsin la même contemporains le trouvent inefficace et répressif. Bien
année. De retour à Watertown, Davies est nommé qu’un microphone ait été retrouvé dans son bureau
procureur d’État du comté de Jefferson. En 1906, à l’ambassade, il continue de présenter les Russes
Davies part pour Madison où il devient un brillant comme des amis potentiels et cela même pendant les
avocat et un membre actif du Parti démocrate. En 1912, grandes purges staliniennes qu’il interprète selon le
à la veille des élections présidentielles, il est promu point de vue soviétique, ne voyant que ce que Joseph
chef du quartier général du Parti démocrate à Chicago. Staline veut bien lui montrer. Il soutient donc la mise
De là, il dirige la campagne de Woodrow Wilson dans en place d’une alliance de sécurité collective entre
l’État du Wisconsin. Au niveau économique, même s’il Washington, Paris, Londres et Moscou pour contrer
est opposé à l’idée de monopole, Davies n’en est pas l’axe Berlin-Rome-Tokyo. Avant de quitter Moscou
moins partisan du capitalisme modéré et réprouve les pour prendre les fonctions d’ambassadeur en Belgique
interventions du gouvernement lorsqu’elles ne sont et au Luxembourg, sa dévotion à la cause d’une amitié
pas nécessaires. En 1913, il est nommé commissioner américano-soviétique lui vaut une audience privée
of corporations avant de devenir président de la sans précédent avec Joseph Staline. Davies est nommé
Commission fédérale du commerce de 1915 à 1916. ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire en
Ensuite il travaille au War Industries Board dont il Belgique le 2 juin 1938. Il reçoit le titre de docteur
démissionne à la fin de la première guerre mondiale. honoris causa de l’Université libre de Bruxelles le 9
Il brigue alors le poste de sénateur du Wisconsin mais décembre de l’année suivante. Officiellement, Davies
perd l’élection. Après avoir accompagné le président est honoré pour son mécénat et son amour de l’art.
Wilson à la conférence de paix de Paris en 1919 Officieusement, il s’agit surtout de poser un geste de
comme conseiller économique, Davies démissionne rapprochement entre la Belgique et les États-Unis à la
de ses fonctions au service du gouvernement l’année veille de la seconde guerre mondiale. Après la défaite
suivante pour établir un cabinet privé d’avocat à de la Belgique au printemps 1940, Davies regagne
Washington. Pendant les années vingt et le début des les États-Unis et continue de servir Roosevelt. Quand
années trente, il est conseiller aux affaires étrangères, l’Allemagne envahit l’Union soviétique en juin 1941, il
notamment pour le Mexique, le Pérou et le Chili. est un des rares conseillers du président à exprimer
sa confiance en l’Armée rouge. Davies publie, fin de
la même année, ses mémoires d’ambassadeur en
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 114
URSS sous le titre de Mission to Moscow. Ce compte-
rendu bienveillant de l’Union soviétique est un réel
best-seller adapté au cinéma dès 1943. Il rend son
auteur sympathique aux yeux des Moscovites mais
le discrédite auprès de ses concitoyens. En mai 1945,
il est nommé émissaire spécial du président Truman
auprès de Winston Churchill et, deux mois plus tard,
il fait partie des conseillers personnels du président
à la conférence de Potsdam. L’année suivante, le
président Truman lui attribue la Medal of Honor, la
plus haute distinction civile américaine. Davies passe
les dernières années de sa vie à travailler comme
avocat privé. Ses cendres sont placées à côté de celles
de Woodrow Wilson dans la cathédrale nationale.
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 115
Dave Hennen Morris
Docteur honoris causa 1934 de New York et assure la vice-présidence de
l’École postgraduate de médecine de l’Université
Nouvelle-Orléans, États-Unis, 1872 – de Columbia ainsi que la présidence de la Josiah
New York, États-Unis, 1944 Macy Jr. Foundation. À la fin de sa vie, il gère le
bureau américain pour l’aide médicale à la Chine.
David Hennen Morris naît à la Nouvelle-Orléans,
d’un père originaire du comté de New York. Personnage aux multiples facettes, il mène un
Poursuivant sa scolarité en France et en Allemagne, combat pour l’éducation en tant qu’administrateur
il passe les examens d’admission à l’Université de de la National Foundation for Education in America
Harvard avec succès dès 1890, mais n’y entre pas Citizenship et président de l’Edwin Gould Foundation.
avant 1892. Durant ces deux années, il s’inscrit à Son épouse, linguiste, élabore l’International
l’Université de médecine homéopathique de New Auxiliary Language Association, association
York et devient assistant-chirurgien. En 1896, il qui aspire à la compréhension entre les peuples
est diplômé magna cum laude de l’Université de par la création d’une langue internationale.
Harvard, où il fait la rencontre de celle qui deviendra
sa femme, Alice Vanderbilt Shepard. Il obtient deux Philanthrope, soucieux des inégalités sociales
diplômes supplémentaires ; le premier en 1901, et de la condition féminine, Dave Hennen Morris
à l’École de droit de l’Université de New York, le préside le conseil d’administration de la Young
second, en droit constitutionnel à l’Université de Women’s Christian Association Retirement Fund et
Columbia, huit ans plus tard. Il entreprend alors de la Legal Aid Society, toutes deux militant pour
une brillante carrière d’avocat de 1901 à 1933, ce plus d’égalité dans leurs domaines respectifs.
qui ne l’empêche pas de siéger à la vice-présidence
de la St. Louis Southwestern Railway Company En 1933, Franklin D. Roosevelt le désigne pour
(plus connue sous le nom de Cotton Belt), mais occuper le poste d’ambassadeur en Belgique
aussi, sur le plan des loisirs et de la sociabilité, de et de ministre plénipotentiaire des États-Unis
s’investir dans des domaines aussi variés que le d’Amérique au grand-duché de Luxembourg.
dressage de chevaux avec son frère Alfred Hennen
Morris et de prendre part à la fondation du club Le gouvernement belge l’accueille avec
automobile des États-Unis d’Amérique. Ami de enthousiasme, un enthousiasme partagé par la
longue date de Franklin D. Roosevelt, il organise la reine Élisabeth qui découvre en ce diplomate un
pré-convention qui permet la nomination de celui-ci violoniste talentueux. En 1934, au cours d’une
à la convention démocrate de Chicago de 1932 et cérémonie célébrant le centenaire de l’Université
devient consultant au département du Trésor ainsi libre de Bruxelles, l’ambassadeur se voit accorder le
que président de la Diplomacy Affairs Foundation. titre de docteur honoris causa. Trois ans plus tard,
c’est au tour de la Faculté de médecine de l’Université
Il s’implique activement dans le secteur médical de Gand de lui conférer ce titre ; il obtient aussi de
en tant que président de l’Université de médecine diverses universités américaines le grade honorifique
de New York et de l’Hôpital pour femmes, dirige de docteur en droit. Dave Hennen Morris quitte son
le comité exécutif du Dispensaire orthopédique poste d’ambassadeur au cours de l’année 1937, mais
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maintient des liens avec la Belgique. Au moment de
sa mort, il dirige la Belgian-American Educational
Foundation et la Belgium War Relief Society et se
trouve à la tête de la Belgium American Associates.
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Léopold III de Belgique
Docteur honoris causa 1934 En 1936, l’Allemagne se réarme, et Léopold, fortement
convaincu et en accord avec son gouvernement,
Bruxelles, Belgique, 1901 – annonce que la Belgique suivra une politique de
Woluwe-Saint-Lambert, Belgique, 1983 neutralité. Mais le 10 mai 1940, l’Allemagne envahit le
royaume. Le 28 mai, le roi des Belges, chef suprême
Léopold est le premier fils d’Albert Ier et de la reine de l’armée, capitule et regagne le château de Laeken,
Élisabeth de Belgique. Son frère Charles naît en tandis que des membres de son gouvernement,
1903 et sa sœur Marie-José en 1906. Son enfance est présidés par le catholique Hubert Pierlot (1939-
calme et sa scolarité est assurée par des précepteurs 1945), partent pour Londres d’où ils dirigeront la
choisis par Albert Ier. En 1909, le roi Léopold II résistance belge. La Belgique est désormais sans
meurt et laisse le royaume à son neveu Albert Ier. gouvernement. Le roi décide de rester dans son
royaume, il se constitue prisonnier de guerre et se
Lorsque la première guerre mondiale éclate, Léopold tient à l’écart de la vie publique. Le règne de Léopold
est très attiré par l’armée. À force d’arguments, il est marqué par la forte mésentente entre lui et son
est autorisé à intégrer celle-ci et devient, à 13 ans, gouvernement. Accusé de trahison par le Conseil
le plus jeune fantassin belge. Mais, six mois plus français, il est radié de l’Ordre de la légion d’honneur.
tard, ses parents décident de l’envoyer au collège Sa rencontre avec Adolf Hitler, le 19 novembre 1940,
d’Eton en Angleterre pour poursuivre son instruction. entre dans l’histoire comme un geste de trahison, un
Lorsqu’il achève sa scolarité, la guerre n’est pas symbole de collaboration. Beaucoup de Belges ont
finie et il rejoint l’armée, puis, en 1920, continue présent à l’esprit l’image et l’action d’Albert Ier, le « roi
son éducation à l’école militaire de Bruxelles. Par chevalier », et ils espèrent voir Léopold III prendre
après, il suit des cours à l’Université de Gand et à la tête de la Belgique face à l’Allemagne. Mais Hitler
celle de Liège. Parallèlement à cette activité militaire, prend les devants. Au début de l’occupation, Léopold
Léopold effectue des voyages au long cours, aux III est encore populaire et profite du soutien de
États-Unis d’Amérique en 1919 et au Congo en 1928. l’Église. Néanmoins, le roi reste sans réaction face aux
En 1926, il épouse Astrid de Suède, fille du prince actes de l’armée allemande. Il ne collabore pas non
Charles de Suède. Ils ont trois enfants : Joséphine- plus avec le gouvernement Pierlot en exil, de sorte
Charlotte (1927), Baudouin (1930) et Albert (1934). que sa « non-action » est de plus en plus mal perçue.
Le 23 février 1934, le roi Albert Ier meurt En septembre 1941, il épouse Mary Lilian Baels,
accidentellement. Léopold monte sur le trône et qu’il titre princesse de Réthy. Ils ont trois enfants :
devient le quatrième roi de Belgique. Son épouse, Alexandre (1942), Marie-Christine (1951) et Marie-
la reine Astrid, meurt le 29 août 1935 dans un Esméralda (1956). Ce mariage lui porte préjudice.
accident de voiture lors d’un voyage en Suisse. La En effet, au déclenchement des hostilités, il avait
sympathie populaire, choquée par la mort de cette solennellement lié sa vie à son armée en jurant
reine jeune, belle et active, se reporte sur ce jeune que « mon sort sera le vôtre ». En se constituant
roi père de trois enfants et veuf inconsolable. prisonnier, il soutenait ses soldats. Or, ce mariage,
alors que ses soldats sont défaits et prisonniers,
est très mal vécu par les Belges. Comment le
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 118
roi peut-il dire partager le sort de ses soldats Léopold III se consacre désormais aux voyages. Il
alors qu’il convole en justes et libres noces ? visite à nouveau le Congo et les États-Unis en 1957,
puis la Colombie, l’Inde, l’Extrême-Orient, le Chili,
En juin 1944, le roi est emmené en Allemagne par l’Indonésie, etc. Ses voyages sont souvent à but
les hommes du Reich. Au même moment, éclate scientifique. Passionné par la recherche, Léopold
une polémique à propos du testament politique III accepte en 1957 la présidence de la commission
du roi. Léopold III donne à son gouvernement des nationale qui étudie des problèmes que posent
indications pour diriger le pays en son absence. Mais les progrès des sciences et leurs répercussions
il demande aussi des excuses publiques aux ministres économiques et sociales à la Belgique et aux
ayant contesté ses choix en 1940 (« Le prestige de la territoires d’outre-mer. Il n’hésite pas non plus à
Couronne et l’honneur du pays s’opposent à ce que pourvoir au financement de certains projets qui lui
les auteurs de ces discours exercent quelque autorité tiennent particulièrement à cœur, comme ce fut le
que ce soit en Belgique libérée aussi longtemps qu’ils cas pour le Centre de biologie marine de l’île de Laing
n’auront pas répudié leur erreur et fait réparation (Papouasie Nouvelle-Guinée). Le 8 juin 1972, le Fonds
solennelle et entière »). Par ailleurs, dans ce testament Léopold III pour l’exploration et la conservation de la
politique, on ne trouve aucune trace d’un hommage nature est créé ; il a pour ambition de se consacrer à
aux soldats du pays, ce qui choque l’opinion publique. la nature, tant par sa conservation que par son étude.
Cette affaire, conjointement à sa mésentente avec
le gouvernement, nuit encore plus à son image. Depuis le début des années 1960, l’ancien roi vit
à Argenteuil. Il se refuse à toute réconciliation
Le roi étant prisonnier et « dans l’impossibilité de avec son frère Charles, refusant tout d’abord
régner », son frère, le prince Charles, dirige le pays de le voir alors que celui-ci est hospitalisé et
en devenant prince régent le 21 septembre 1944. Le malade, puis de se rendre à ses obsèques royales
roi Léopold et sa famille sont libérés en mai 1945 et en 1983. Léopold III meurt la même année, le
partent s’installer en Suisse. Un an après sa libération, 25 septembre, à Woluwe-Saint-Lambert.
le roi demande un référendum, mais ce n’est pas
permis par la Constitution belge. En 1948, il demande
une consultation populaire. La tension est palpable,
une entrevue a enfin lieu le 25 avril 1949 entre les
deux frères, le régent et le roi. Le 12 mars 1950, les
Belges sont appelés à aller voter. Les résultats de la
consultation populaire sont ambivalents : 57,68%
des Belges se prononcent pour le retour du roi mais
si la Flandre a voté « oui » à 72%, la Wallonie est
contre à 58% et Bruxelles à 52%. Face à ces résultats
partagés, aux émeutes qui secouent violemment
le pays, et la pression des politiques, Léopold III
accepte d’abdiquer en faveur de son fils, Baudouin.
Le 17 juillet 1951, la Belgique a un nouveau roi.
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 119
Élisabeth de Belgique
Docteur honoris causa 1930 Les années d’après-guerre sont des années de
voyages, qu’elle accomplit seule ou avec son époux
Possenhofen, Allemagne, 1876 – en mission officielle. À l’automne 1919, Élisabeth
Bruxelles, Belgique, 1965 et Albert font un voyage triomphal aux États-
Unis. Le 16 février 1922, Élisabeth, passionnée
Née à Possenhofen en Allemagne le 25 juillet 1876, d’égyptologie, est aux côtés du roi Fouad pour
Élisabeth von Wittelsbach est la fille du duc Charles- assister à l’ouverture de la tombe de Toutankhamon
Théodore en Bavière, ophtalmologue de renom, et (suivie de la création de la Fondation égyptologique
de l’infante Marie-José de Portugal. Sa marraine Reine Élisabeth). Trois ans plus tard, elle voyage
est sa tante, l’impératrice Élisabeth d’Autriche, dite en Inde. En 1928, elle visite le Congo pour la
Sissi. Elle effectue ses études au pensionnat Saint- première fois et crée le Fonds Reine Élisabeth pour
Joseph à Zandberg, parle l’allemand, le français l’assistance médicale aux indigènes du Congo belge.
et l’anglais, et apprend le piano et le violon.
Le 4 novembre 1926, le prince Léopold
Elle rencontre le prince Albert de Belgique en épouse la princesse Astrid de Suède, et
1897 et l’épouse trois ans plus tard à Munich. Le trois ans plus tard, Marie-José épouse le
couple a trois enfants : Léopold (futur Léopold prince Umberto d’Italie, le 8 janvier.
III), Charles (futur prince régent) et Marie-José.
Élisabeth est une passionnée de la connaissance
Fin 1909, le roi Léopold II meurt et son neveu en général, et plus précisément des sciences et
Albert lui succède, son épouse à ses côtés. La des arts. Elle fréquente une pléiade de savants
troisième reine des Belges se donne un rôle public, et d’artistes de renom : Albert Schweitzer, Albert
quand celles qui l’ont précédée se cantonnaient Einstein, Romain Rolland, ou encore Émile
à un rôle privé. Élisabeth s’occupe d’œuvres de Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Colette, Eugène
bienfaisance et de lutte contre les maladies, tout Ysaÿe, Yehudi Menuhin, André Gide, Jean Cocteau
en s’intéressant à la vie musicale, artistique et et Pablo Casals. Elle convainc les responsables
intellectuelle du pays (le peintre Eugène Laermans, politiques de construire le Palais des beaux-arts
le poète Émile Verhaeren, le célèbre violoniste de Bruxelles, construction confiée à l’architecte
Eugène Ysaÿe sont des familiers de la cour). Victor Horta (1928). L’année suivante est créée
la Fondation musicale Reine Élisabeth. Lors du
En 1914, le roi Albert Ier et la reine Élisabeth, d’origine centenaire de la Belgique, l’Université libre de
allemande, refusent de quitter la Belgique, pays Bruxelles la nomme docteur honoris causa en raison
neutre envahi illégalement par les Allemands. Ils de ses efforts pour la promotion des savoirs.
restent quatre ans avec l’armée belge derrière les
tranchées de l’Yser, lui à la tête de ses troupes (le roi Le 17 février 1934, Albert Ier fait une mauvaise chute
chevalier), elle en créant et en visitant régulièrement et en meurt à Marche-les-Dames. Leur fils Léopold lui
l’hôpital de l’Océan à La Panne (la reine infirmière). succède et Astrid devient la nouvelle reine. Élisabeth
Quand la guerre s’achève, le couple royal est au faîte se retire mais un an plus tard, le 29 août, la reine
de sa popularité, en Belgique comme à l’étranger. Astrid décède dans un accident de voiture et Élisabeth
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doit reprendre ses fonctions officielles tout en veillant
à l’éducation de ses trois petits-enfants orphelins.
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Albert Ier de Belgique
Docteur honoris causa 1930 démission du ministère et l’appel du roi à Charles
de Broqueville pour diriger le gouvernement.
Bruxelles, Belgique, 1875 –
Marche-les-Dames, Belgique, 1934 En 1913, Albert instaure le service militaire généralisé
obligatoire. Il voyage entre la France et l’Allemagne
Albert est le fils du comte Philippe de Flandre pour réaffirmer la neutralité belge. À partir du
et de Marie, princesse de Hohenzollern, il est le déclenchement de la guerre en 1914 et pendant
petit-fils de Léopold Ier et le neveu de Léopold II. quatre longues années, le roi est à la tête de son
armée. Le gouvernement va suivre le souverain
Son éducation est conduite par des précepteurs. et résister à l’Allemagne qui a violé la neutralité
C’est un enfant timide qui montre une nette belge. Cette résistance surprend l’Europe entière.
préférence pour la mécanique et les sciences En effet, les princes belges étaient vus comme
exactes face à l’apprentissage de l’éloquence. Il des princes allemands de cœur. En même temps,
entre à l’École royale militaire à l’âge de seize ans. cette résistance donne naissance au mythe du roi
chevalier. Le fait que le roi soit resté avec son armée
Lorsque le prince Baudouin meurt le 23 janvier dans les tranchées sur l’Yser est aussi un symbole
1892, Albert est appelé à diriger le royaume. Il prête fort du roi, proche du peuple et courageux. Ce
serment en 1892, il est alors sous-lieutenant. En symbole restera ancré dans la mémoire collective.
1895 et 1898, il visite les États-Unis d’Amérique.
Onze jours après l’armistice, le suffrage universel
Le 2 octobre 1900 à Munich, Albert Ier épouse est instauré, à la grande joie des socialistes. C’est
Élisabeth de Bavière. Ils ont trois enfants, à ce moment là qu’a lieu l’entrevue de Loppem.
Léopold en 1901, Charles deux ans plus tard, Cette entrevue a lieu entre le roi, Gérard Cooreman,
puis Marie-José en 1906. La popularité du roi Paul-Émile Janson et Édouard Anseele. Elle a
repose en partie sur l’image de vie simple et de pour but de constituer un gouvernement qui doit
bonheur familial que donne le couple princier. reconstruire le pays, réformer la constitution et
établir un enseignement supérieur en néerlandais.
En 1909, Albert effectue un voyage au Congo, Ce qui fut appelé par la presse conservatrice « le
son dernier voyage en tant que prince car le 17 coup de Loppem », c’est le vote d’une loi qui organise
décembre son oncle Léopold II meurt sans héritier l’élection immédiate d’une constituante au suffrage
direct. Albert est intronisé cinq jours plus tard. universel. Les élections se déroulent en 1919, mais
Il est le premier roi à prêter serment en français les votants ne respectent pas strictement la loi.
et en néerlandais. Le roi remet les discours En effet, il aurait fallu que les élections se fassent
du trône à l’honneur le 8 novembre 1910. au suffrage plural, mais cela aurait pris trop de
temps. Ainsi, ce qui fut critiqué est le caractère
L’année suivante est moins calme, on retiendra inconstitutionnel de l’octroi du suffrage universel
surtout l’affaire Schollaert, affaire d’un projet de ainsi que la création de l’université flamande de Gand.
loi sur l’enseignement, qui divise le gouvernement. Les patriotiques voient là un signe de séparatisme.
L’intervention du roi aura pour conséquences la
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 122
En 1919, lors du traité de Versailles, Albert négocie fort appréciée. L’opinion publique soutient
et obtient le retour des cantons de l’Est. Il s’oppose à le roi, son prestige ne diminue pas, ce qui lui
la politique d’humiliation de l’Allemagne, mais sans permet d’intervenir souvent, notamment en
succès. Il pense aux relations économiques futures 1933, pour régler le sort des collaborateurs
qu’il faudra reprendre un jour. Il n’est pas partisan de avec l’Allemagne lors de la Grande Guerre.
réparations lourdes. La vie d’Albert, après la première
guerre mondiale, est marquée par ses interventions Le roi Albert meurt le 17 février 1934 à Marche-
sur la scène politique, il s’investit souvent pour les-Dames des suites d’une mauvaise chute.
défendre son peuple. Son prestige d’après-guerre lui Son fils aîné, Léopold, lui succède.
permet de ne pas être accusé d’ambition personnelle.
Un an après le traité de Versailles, la Belgique conclut
un accord militaire avec la France. L’Angleterre
est approchée, mais aucun accord n’est signé.
On remarque qu’après la guerre, le roi s’implique
beaucoup en politique. Il reste neutre mais donne son
avis et lors des différentes crises gouvernementales,
il intervient rapidement pour qu’un gouvernement
se reforme. En 1920, il visite le Brésil et cinq années
plus tard, le couple fête ses noces d’argent en Inde.
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Fouad d’Égypte
Docteur honoris causa 1925 En 1922, l’indépendance de l’Égypte conforte le
système monarchique. Le Journal officiel du 15 mars
Gizeh, Égypte, 1868 – Le Caire, Égypte, 1936 publie le premier discours de Fouad en tant que
chef d’État : « Nous proclamons hautement que dès
Fouad, né sous le nom d’Ahmed Fouad le 26 aujourd’hui l’Égypte constitue un état souverain
mars 1868, quitte son pays à l’âge de 11 ans ; et indépendant. Nous prenons désormais les titres
son père, le khédive Ismaïl, est détrôné par le de « Majesté » et de « Roi d’Égypte ». » La révolution
sultan ottoman Abdülhamid. Après la présence des années 1920 a apporté des changements en
ottomane, la domination anglaise s’étend de Égypte, à commencer par une ouverture dans
1882 à 1922 et se traduit par la présence massive l’accès à la vie publique pour les femmes.
de troupes armées britanniques. En 1914,
l’Angleterre impose à l’Égypte un protectorat, en Le 2 mai 1925, lors d’une visite en Belgique, le roi
mettant sur le trône Hussein. Cinq ans plus tard, Fouad devient docteur honoris causa de l’Université
l’Angleterre se voit confirmer par la conférence libre de Bruxelles. Il revient en Belgique en 1927,
de la paix son protectorat sur l’Égypte. Après année où il visite la Fondation égyptologique
plusieurs émeutes et révolutions, l’indépendance reine Élisabeth en compagnie de sa fondatrice.
de l’Égypte est proclamée le 28 février 1922, la
« mission » britannique est désormais terminée. Le roi Fouad est connu pour son rôle de mécène. Il
a, en effet, grandement contribué à la diffusion de
Fouad passe la plus grande part de son enfance la connaissance dans son pays. En 1930, commence
à l’étranger. Il fait sa scolarité à Genève puis à la parution d’une Histoire de la nation égyptienne.
Turin. À 17 ans, il entre à l’académie militaire. Il Deux ans plus tard, il crée un Institut royal de la
rentre en Égypte en 1892, où il reçoit la fonction musique arabe. Il vient aussi en aide aux jeunes
de premier aide de camp, qu’il occupe trois ans. filles sans ressources. Pour elles, il crée à Alexandrie
En 1895, il décide de travailler exclusivement au l’œuvre des Industries féminines. Il encourage
développement intellectuel, scientifique et social aussi les sports et aide à l’ouverture d’esprit par le
de l’Égypte, il s’y consacre pendant une vingtaine développement d’institutions diverses et variées.
d’années. En septembre 1908, l’Université du Caire
est reconnue d’utilité publique et est inaugurée Le roi s’éteint le 28 avril 1936 au Caire,
trois mois plus tard, elle deviendra une université son fils Farouk lui succède.
d’État en 1925. En 1911, Fouad entreprend une série
de voyages afin d’observer le fonctionnement des
universités en Europe. Le 9 octobre 1917, le prince
Fouad accède au trône du sultanat. Il succède à
son frère Hussein Kamal et devient Fouad Pacha.
Deux ans plus tard, le 26 mai 1919, il se marie
avec Nazli Sabri, fille d’Abdu’r-Rahim Pacha
Sabri (alors ministre de l’Agriculture). L’année
suivante, son épouse donne naissance à Farouk.
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Charles Evans Hughes
Docteur honoris causa 1924 de docteur honoris causa de l’Université libre de
Bruxelles et de l’Université catholique de Louvain.
Glens Falls, États-Unis, 1862 –
Osterville, États-Unis, 1948 Un an plus tard, il quitte son poste de secrétaire
d’État mais revient à la vie politique en 1930, lorsqu’il
Charles Evans Hughes est né le 11 avril 1862 à est nommé Chief Justice (juge en chef) des États-
Glens Falls dans l’État de New York. Il est le fils d’un Unis d’Amérique par le président Herbert Hoover,
prêcheur gallois David Charles Evans Hughes et de une fonction prestigieuse réservée au doyen des
Mary Catherine Connelly Hughes. Avant d’entrer juges de la Cour suprême. C’est devant Charles
à l’Université de Madison en 1876, il reçoit une Evans Hughes que Franklin D. Roosevelt prêta
éducation chrétienne à domicile. De l’Université de serment lorsqu’il accéda à la présidence. Pourtant,
Madison, il va à l’Université de Brown dont il sort les relations avec Roosevelt furent extrêmement
diplômé à 19 ans. Quelques années plus tard, il tendues, particulièrement lorsque le président
entre à l’Université de Columbia. Il en sort en 1884, décida de faire de la limitation des compétences
muni de son diplôme de droit, avec les honneurs. du pouvoir judiciaire une pièce maîtresse (et peu
Il pratique le droit durant une vingtaine d’années, connue) de son programme de réorganisation des
tout en enseignant régulièrement à l’Université structures institutionnelles des États-Unis. Dans
de Cornell. Il épouse en 1888 Antoinette Carter, ce cadre, Roosevelt se heurta à une résistance
fille de l’avocat de renom pour lequel il travaille. sans bornes de Hughes, en tant que représentant
principal du système judiciaire fédéral. Onzième
Sa vie publique commence en 1905 alors qu’il est Chief Justice de l’histoire de son pays, Charles Evans
choisi par une commission parlementaire pour Hughes occupera ce poste jusqu’à sa démission
contrôler des sociétés de gaz et d’électricité de New pour raisons de santé en 1941. Il meurt d’une crise
York. Il est remarqué à l’époque pour sa détermination cardiaque sept ans plus tard, à l’âge de 86 ans.
en tant qu’avocat et devient gouverneur de l’État
de New York l’année suivante, poste qu’il occupe
jusqu’en 1910, après sa réélection en 1908. En octobre
1910, il est nommé juge à la Cour suprême par le
président des États-Unis, William Howard Taft.
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 125
Jean Jadot
Docteur honoris causa 1921 pour le plus grand profit de sa société et des intérêts
belges en Chine. La ligne inaugurée en 1905, Jean
On-lez-Jemelle, Belgique, 1862 – Jadot peut bientôt quitter la Chine en triomphateur. À
Bruxelles, Belgique, 1932 son retour, il est convié chez le roi qui l’associe à ses
projets de mise en valeur du Congo. Il participe ainsi
Jean Jadot naît dans une famille d’ingénieurs de la de manière déterminante à l’élaboration des « Sociétés
province du Luxembourg. À 20 ans à peine, il obtient de 1906 » – l’Union minière du Haut-Katanga, la
avec grande distinction le grade d’ingénieur des Arts et Compagnie du chemin de fer du Bas-Congo au Katanga,
manufactures, du Génie civil et des Mines à l’Université la Société internationale forestière et minière du Congo
de Louvain. Il débute sa carrière à la Société des – en obtenant notamment une grande partie de leur
chemins de fer vicinaux de la province de Liège. Trois financement par la Société générale. Entré au conseil
ans plus tard, il est ingénieur en chef des Chemins de de direction de cette dernière, il oriente de manière
fer vicinaux de la province du Luxembourg. Orphelin décisive son activité vers les affaires coloniales.
de père en 1887, Jean Jadot doit assurer l’avenir de Nommé vice-gouverneur en 1912, il succède l’année
ses frères et sœurs. Aussi accepte-t-il en 1894 le suivante au gouverneur Baeyens. Sa fonction centrale
poste de directeur des Tramways du Caire qu’on lui l’amène à détenir des mandats d’administration de
propose. Il arrive en Égypte et fait face avec efficacité multiples sociétés. Resté en Belgique pendant la
aux difficultés du chantier : il termine en 13 mois ces guerre, il représente les banquiers face à l’occupant
« impossibles » travaux de l’empire industriel du tandis que les banques bruxelloises s’organisent en un
baron Empain. Il se voit alors confier la construction consortium que préside la Société générale. Par son
du chemin de fer de Basse-Égypte, où il brille à rôle décisif au sein du Comité national de secours et
nouveau par ses compétences. C’est là que la Société d’alimentation dirigé par Émile Francqui, il devient le
d’étude de chemins de fer en Chine, patronnée par la directeur de conscience des milieux d’affaires, où on
Société générale de Belgique, le recrute pour diriger le consulte pour toute décision importante. Peu après
la construction de la ligne Pékin-Hankow. Après un la guerre, il se consacre personnellement à la collecte
court passage en Belgique, au cours duquel il épouse de fonds pour rééquiper les laboratoires des écoles
sa cousine Maria, Jean Jadot appareille pour la Chine. d’ingénieurs des universités de Bruxelles et de Louvain,
Il y fait la connaissance d’Émile Francqui, avec qui il se ce qui lui vaut le titre de docteur honoris causa de
lie rapidement d’amitié. Pendant huit ans, Jean Jadot ces deux universités. Son action se poursuivra en
se consacre à l’établissement de plus de 1 200 km de 1928 avec la constitution du Fonds national de la
voie ferrée, dont un pont de 4 km sur le fleuve Jaune, recherche scientifique. En 1931, le principal centre
le plus long du monde à cette époque. Il surmonte industriel du Katanga reçoit le nom de Jadotville. Jean
efficacement les nombreux défis qui jalonnent son Jadot s’éteint à Bruxelles l’année de ses 70 ans.
parcours : révolte des Boxers, relations avec les
travailleurs chinois, négociations avec les autorités
locales, lutte d’influence avec les administrateurs
français de la Société d’étude. Fort apprécié du
directeur de la Compagnie impériale des chemins de fer
chinois, il s’introduit dans les milieux officiels chinois
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 126
Raymond Poincaré
Docteur honoris causa 1919 la « loi de trois ans » peu de temps avant la guerre et
impose l’Union sacrée au peuple français le 3 août
Bar-le-Duc, France, 1860 – Paris, France, 1934 1914. Toutefois, les prérogatives dont jouissent les
militaires restreignent considérablement l’autonomie
Raymond Poincaré est le fils unique d’un couple du président. Ce dernier intervient désormais pour
bourgeois de Bar-le-Duc. Menant une existence assez empêcher les gouvernements de songer à des paix
insouciante dans la France du Second Empire, le séparées et pour maintenir l’unité du pays, raison
conflit franco-prussien et la défaite de 1870 l’obligent pour laquelle il interdira aux socialistes de participer
à trouver refuge en Belgique avec sa mère. Au terme au congrès pacifiste de Stockholm en 1917. N’arrivant
de son cursus secondaire, il commence des études de plus à maintenir l’unité, il appelle son grand ennemi
droit à la Sorbonne et à Nancy. Il reçoit son diplôme politique, Georges Clémenceau, au gouvernement le
de droit et entre au barreau de Paris en 1882. Il exerce 13 novembre de la même année. L’arrivée du « Tigre »
jusqu’en 1886, date à laquelle un ami de la famille signifie la fin de l’Union sacrée et la prise de mesures
alors ministre de l’Agriculture le fait entrer en politique. sévères pour mettre fin aux grèves et aux mutineries.
Il est élu député de la Meuse l’année suivante en se À la fin du conflit, les deux hommes s’opposent sur
présentant sous l’étiquette progressiste. Il entre à les conditions de paix, Poincaré voulant faire occuper
la commission du budget de la Chambre en 1890, la rive gauche du Rhin, Clémenceau souhaitant un
devient rapporteur général du budget en 1892, puis compromis pour ne pas perdre l’appui des Alliés. En
ministre de l’Instruction publique et des Beaux- 1920, considérant son septennat comme un échec, il
arts l’année suivante. En 1894, durant neuf mois, il ne se représente pas. Il est par contre élu sénateur
occupe le poste de ministre des Finances avant de de la Meuse cette même année. Du 15 janvier 1922
redevenir ministre de l’Instruction publique, et d’être au 8 juin 1924, il est à nouveau président du Conseil
ensuite élu vice-président de la Chambre des députés. et ministre des Affaires étrangères. Décidé à faire
Il décide toutefois d’abandonner toute fonction appliquer entièrement le traité de Versailles, il procède
gouvernementale pendant dix ans suite à l’affaire à l’occupation militaire de la Ruhr avec l’appui de
Dreyfus, sur laquelle il ne prend pas position. Au terme l’armée belge, ce qui pousse les Anglais à spéculer en
de cette retraite, il accepte de reprendre le portefeuille bourse contre le franc. Poincaré, en augmentant les
des Finances en 1906, pour finalement encore se impôts de 20 %, redresse la situation financière mais
retirer suite à un désaccord. Après la dissolution du cette décision impopulaire amène au pouvoir le Cartel
cabinet Caillaux en 1912, le président Fallières fait des gauches en 1924. Toutefois, deux ans plus tard, la
appel à Poincaré pour reformer le gouvernement. fuite des capitaux et la spéculation financière mettent
Nommé président du Conseil, il se réserve les Affaires à nouveau le franc en péril. Poincaré, en sa qualité
étrangères et resserre les liens diplomatiques de de président du Conseil et de ministre des Finances
la France avec la Russie et la Grande-Bretagne. redresse la situation en proposant une alternative
Enhardi par les succès de sa politique, il présente sa au franc germinal. En 1929, malade, il se retire du
candidature à la présidence de la République l’année pouvoir. Il reprend toutefois son siège de sénateur en
suivante et remporte les élections grâce à l’électorat 1930, mais refuse, trop affaibli, de former un nouveau
de droite. Il prend alors des mesures pour préparer la gouvernement au mois de novembre. Il décède chez lui,
France à une guerre qu’il juge inévitable. Il fait voter à Paris, après une nouvelle attaque à l’âge de 74 ans.
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Thomas Woodrow Wilson
Docteur honoris causa 1919 Il est élu président des États-Unis en 1912 contre
Théodore Roosevelt, soutenu par les républicains
Staunton, États-Unis, 1856 – libéraux, et William Howard Taft, président sortant, à
Washington, États-Unis, 1924 l’issue d’une élection triangulaire disputée. Il est réélu
à la présidence des États-Unis en 1916 en défendant
Thomas Woodrow Wilson, homme politique américain un programme de paix, cette fois contre Charles
devient à l’âge de 56 ans, en 1912, le vingt-huitième Evans Hughes, qui se verra lui aussi octroyer un DHC
président des États-Unis. Il est le fils d’un pasteur par l’Université libre de Bruxelles. Au cours de ses
presbytérien et d’une émigrée presbytérienne deux mandats, Wilson entreprend de nombreuses
originaire du nord de l’Angleterre. La religion tient réformes ; il renforce le pouvoir du gouvernement
une place importante dans sa vie, tant d’un point fédéral et fait voter trois amendements majeurs à la
de vue privé que du point de vue politique. Constitution (élection au suffrage universel direct des
sénateurs, prohibition et droit de votes des femmes).
Il étudie à l’Université de Virginie bien que diverses
maladies l’empêchent de commencer l’école avant Dans la mémoire collective, ses deux mandats
l’âge de 13 ans. À l’université même, il fait une sont marqués par la première guerre mondiale.
dépression. En 1882, il fonde un cabinet d’avocats à Dans un premier temps, Wilson demeure fidèle à la
Atlanta mais il ne plaidera jamais, faute de clients ; tradition américaine de non-intervention au-delà
il abandonne cette voie dès le printemps 1883. de la zone géographique naturelle des États-Unis.
Il signe d’ailleurs la proclamation de neutralité le
Il étudie ensuite l’économie et l’histoire à l’Université 4 août 1914. Le 18 août, il invite ses concitoyens à
Johns Hopkins. En 1885, alors qu’il a 28 ans, il rester neutres « en actes comme en pensées ». Mais
épouse Ellen Louise Axson, qui décède le 6 août lorsque les Allemands inaugurent la guerre sous-
1914. Il enseigne à Bryn Mawr, en Pennsylvanie, marine, s’attaquant aux bateaux battant pavillon
et devient ensuite professeur à la Wesleyan des pays neutres, il décide de la participation des
University du Connecticut de 1888 à 1890. Sa États-Unis à la guerre. Le 6 avril 1917, sa résolution
carrière académique se poursuit à l’Université de est adoptée par le Congrès. Bien qu’ayant rompu les
Princeton de 1890 à 1902, après quoi il en devient relations diplomatiques avec Berlin, il ne désespère
le président pendant huit années. Au cours de pas d’arracher une solution pacifique au conflit.
cette présidence, il entreprend des réformes qui Le 22 janvier 1917, il propose aux belligérants de
finissent par susciter de farouches résistances. conclure une « paix sans victoire ». Le 8 janvier 1918,
Wilson élabore ses « 14 points pour la paix » sur la
Il fait son entrée dans la vie politique en 1910. Il opte base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
pour le Parti démocrate dont il était proche depuis en se réclamant des aspirations nationales et de
de nombreuses années. Il brigue et obtient le poste la reconnaissance des minorités. Les principes
de gouverneur du New Jersey. Il mène des réformes wilsoniens d’inspiration idéaliste constituent un
dans le cadre de son mandat de gouverneur qui lui tournant de la politique étrangère des États-Unis,
assurent une grande popularité et lui permettent de même qu’au niveau des relations internationales
d’être élu comme candidat démocrate à la présidence. en général. Le dernier des « 14 points pour la paix »
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 128
appelle à la création d’une Société des nations,
lointain ancêtre de l’ONU, qui défend le principe
de la sécurité collective. Le Congrès ne suivra
pas les vues de Wilson et la Société des nations
se bâtira sans le concours des États-Unis.
ULB DHC 175e Les docteurs honoris causa 2010 – 1898 129
Émile Francqui
Docteur honoris causa 1919 questions politiques nationales et internationales. À
cette occasion, il croise à nouveau Herbert Hoover qui,
Bruxelles, Belgique, 1863 – depuis Londres, a créé l’équivalent américain du CNSA,
Overijse, Belgique, 1935 à savoir le Committee for Relief in Belgium (CRB). Au
prix de quelques affrontements à fleurets mouchetés,
On peut dire d’Émile Francqui qu’il a eu plusieurs Francqui et Hoover parviennent à sauvegarder
vies. Issu de la petite bourgeoisie bruxelloise, il l’autonomie et la mission humanitaire de leurs
s’engage à 15 ans dans l’armée et poursuit sa carrière organismes respectifs. Après la guerre, ils s’accordent
militaire dans l’État indépendant du Congo, alors pour en affecter le solde budgétaire au développement
propriété personnelle du roi Léopold II. Sa capacité des universités, à la création d’instituts de recherche
d’organisation est remarquée au cours des diverses scientifique (fondation universitaire) ou encore à un
expéditions qu’il commande. En 1896, il abandonne programme d’échanges universitaires belgo-américain
l’armée et embrasse une carrière consulaire qui – la CRB Educational Foundation (devenue, en 1938,
le mène en Chine (Hankou et Shanghai). Il y fait la la Belgian American Educational Foundation). Bien
rencontre de Herbert Hoover, alors jeune ingénieur des qu’il n’ait jamais voulu s’affilier à un parti politique ni
mines, ainsi que du poète et dramaturge Paul Claudel, se voir conférer officiellement un mandat ministériel
consul de France à Tianjin. Avec plusieurs succès qui l’aurait trop exposé, Francqui prend une part
diplomatiques à son actif, Francqui est pressenti pour active dans la négociation des réparations imposées à
devenir agent général de la Compagnie internationale l’Allemagne. Plus tard, il s’illustre par son implication
d’Orient, filiale de la Banque d’outre-mer belge dont il dans la chute du gouvernement de centre-gauche
finit par assumer la direction en 1910. Son ascension Poullet-Vandervelde en 1926 et propose un plan
dans les milieux d’affaires et financiers est fulgurante. alternatif de stabilisation du franc belge au sein
Elle est facilitée par son entrée, en 1912, au conseil d’un gouvernement qu’il a lui-même suscité. Hostile
de direction de la Société générale de Belgique, qui à une dévaluation du franc belge, il préconise en
détient des participations croisées dans de nombreux 1934 l’adoption d’une politique déflationniste pour
secteurs industriels. Il en est successivement vice- juguler la crise financière. Il meurt quelques mois
gouverneur (1923) puis gouverneur (1932), succédant après avoir mis un terme à son mandat de gouverneur
à l’ingénieur Jean Jadot, également docteur honoris de la Société générale. Ses admirateurs comme
causa de l’ULB. On ne compte plus, après la guerre, ses détracteurs sont unanimes pour le considérer
le nombre de mandats d’administrateur de sociétés comme l’un des hommes politiques belges les plus
dont il dispose. D’un autre côté, c’est par le biais de influents de la première moitié du XXe siècle.
son action au sein du Comité national de secours et
d’alimentation (CNSA), initié par les industriels Ernest
Solvay, Emmanuel Janssen et Dannie Heineman durant
la première guerre mondiale, que Francqui déploie
l’étendue de ses talents d’organisation et de gestion.
En tant que président de son comité exécutif, il impose
son leadership et transforme bientôt le CNSA en un
« second gouvernement » chargé de résoudre les
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Herbert Hoover
Docteur honoris causa 1919 Homme politique accompli, il devient secrétaire
d’État au Commerce entre 1921 et 1928, puis
West Branch, États-Unis, 1874 – se présente comme candidat républicain à la
New York, États-Unis, 1964 présidence et est élu 31e président des États-
Unis entre 1928 et 1932. C’est sous son mandat
Cadet d’une famille de trois enfants, Herbert qu’éclate la crise économique de 1929.
Clark Hoover est issu d’une famille modeste de
confession quaker. Il est orphelin de père à 6 Herbert Hoover est un personnage controversé, car
ans et de mère à 10 ans. Il parvient à terminer considéré à la fois comme un sauveur de l’Europe,
l’école et entame des études dans plusieurs surtout pour la Belgique, mais aussi comme
disciplines scientifiques : en géologie, en génie responsable des conséquences de la dépression
minier, en paléontologie et en minéralogie à économique de 1929, n’ayant pas réussi à mettre en
l’Université de Stanford entre 1891 et 1898. place les réformes qui auraient pu juguler la crise.
Ses réformes se caractérisent par l’augmentation
Ses premières expériences professionnelles sont la des travaux publics, l’augmentation des droits de
direction de mines d’or (notamment en Australie). Il douanes et aussi par une politique de subventions
se retrouve à la tête de la gestion du ravitaillement aux banques et aux agriculteurs. Fidèle aux thèses
en Chine, durant la révolte des Boxers en 1900. du Parti républicain, il est sympathisant de la
théorie du « laisser faire », ce qui ne peut résoudre
La première guerre mondiale permet à Herbert Hoover le taux de chômage, d’autant plus que sa politique
d’acquérir une expérience politique, notamment par réformatrice nécessite une augmentation des
ses relations avec le gouvernement belge, dans son impôts. C’est sur ce thème, et avec son concept
association avec le Comité national de secours et du New Deal, que Franklin Delano Roosevelt bat
d’alimentation dirigé par l’homme politique belge Herbert Hoover aux élections de 1932. Après sa
Émile Francqui (dans le cadre de la Commission for carrière politique, Herbert Hoover est encore sollicité
Relief in Belgium, ayant pour objectif de s’occuper comme conseiller auprès des présidents Truman et
du ravitaillement de la Belgique occupée). Il est l’un Eisenhower. Il décéde le 20 octobre 1964 à New York.
des artisans à l’élaboration du traité de Versailles
et participe au refinancement de la Belgique
notamment avec l’industriel Ernest Solvay.
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Charles Buls
Docteur honoris causa 1898 ville de Bruxelles, et devient cette année-là président
du conseil d’administration de l’ULB. Pendant tout
Bruxelles, Belgique, 1837 – son mandat, il se bat pour que le suffrage (censitaire
Bruxelles, Belgique, 1914 à cette époque) devienne universel et pour que
l’enseignement devienne gratuit, obligatoire et laïque.
Issu d’une famille d’origine provinciale aisée – son
père était orfèvre – Charles Buls est flamand par Mais la tâche n’est pas aisée et il doit faire
ses ascendants paternels et maternels. De santé face en 1884 au retour des catholiques au
fragile, il fait ses études à l’athénée de Bruxelles en gouvernement, proposant un projet de loi favorisant
section professionnelle, dont il sort en 1855. Son le développement de l’enseignement catholique.
père, qui le prépare à sa succession, l’envoie chez le En 1879, les libéraux avaient gagné les élections,
peintre Léonard ainsi qu’à Paris de novembre 1858 créé un ministère de l’Instruction publique et
à novembre 1859, et en Italie l’année suivante. Ces promulgué une loi obligeant chaque commune à
voyages lui permettent de s’instruire et de prendre avoir au moins une école primaire laïque et neutre,
goût aux arts. De retour en Belgique, il comprend revenant sur la loi de 1842 confiant l’enseignement
que le métier d’orfèvre n’est pas fait pour lui et il primaire aux religieux. C’est donc cette année-là,
commence à fréquenter des cercles intellectuels en 1884, que Charles Buls et d’autres bourgmestres
libéraux. En 1862, il devient franc-maçon et entre lancent le Compromis des communes réunissant
comme compagnon à la Loge des vrais amis de l’union près de 820 représentants de communes dont
et du progrès réunis. Il crée avec notamment Léon 200 bourgmestres et qui eut pour effet d’inciter le
Vanderkindere (son ami d’enfance qui deviendra gouvernement catholique à modérer ses réformes.
plus tard un grand historien de l’ULB), le Cercle
littéraire. En 1863, alors qu’il assiste avec Auguste En 1886, il coopère à la création d’une Bourse
Couvreur (franc-maçon lui aussi) au Congrès des du travail (un lieu où employeurs et demandeurs
sciences sociales d’Amsterdam, il est frappé par d’emploi peuvent se rencontrer), suite logique de
la neutralité politique des écoles. Il fonde alors en l’intérêt pour le sort des ouvriers (sur la question
1864 la Ligue de l’enseignement dont les objectifs du salaire minimum par exemple) qu’il a porté tout
sont d’améliorer l’éducation et l’instruction. Il en au long de sa vie. En 1895, lors de l’inauguration
est le secrétaire une bonne partie de sa vie. Il crée des instituts du parc Léopold financés par Ernest
aussi le Denier des écoles et un musée populaire, Solvay et d’autres mécènes, il confie la gestion des
mais surtout, en 1875, l’École modèle qui est, à établissements scientifiques à l’Université libre
l’époque, un exemple en matière d’enseignement. de Bruxelles. Il reçoit le titre de docteur honoris
Il en devient secrétaire jusqu’en 1878. causa de l’ULB en 1898 et reste membre permanent
de son conseil d’administration jusqu’à sa mort.
En 1877, il est nommé conseiller communal Il est également membre de la Chambre des
de Bruxelles et, en 1879, il devient échevin de représentants de 1882 à 1884 et de 1886 à 1894.
l’instruction publique et entre dans le conseil
d’administration de l’ULB. Enfin, en 1881, il succède Alors qu’il a réussi à restaurer les maisons de la
à Félix Vanderstraeten en tant que bourgmestre de la Grand-Place et l’église de Notre-Dame du Sablon,
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ainsi qu’à transformer le quartier de la Vierge
noire, un conflit éclate entre lui et Léopold II sur la
modification du Mont des Arts, ce qui le pousse
à démissionner de ses fonctions de bourgmestre
en 1899. À plus de 60 ans, il adopte une nouvelle
vie, il voyage (en Afrique australe, au Siam, aux
États-Unis, etc.), il en rapporte des croquis et écrit
sur ses préoccupations comme l’urbanisme. En
1909, il est docteur honoris causa de l’Université de
Genève. En 1914, alors qu’il est à Florence, il tombe
subitement malade et rentre immédiatement à
Bruxelles, où il décède le 13 juillet, à presque 77 ans.
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Ernest Solvay
Docteur honoris causa 1898 pour ce faire de l’aide (juridique et financière)
d’alliés de la famille, dont la famille Pirmez.
Rebecq-Rognon, Belgique, 1838 –
Ixelles, Belgique, 1922 Malgré de nombreux aléas, et grâce au soutien
de la famille Solvay, l’implantation industrielle
Ernest Solvay incarne la réussite industrielle belge se poursuit, concrétisée par la mise au point de
de la seconde moitié du XIXe siècle. Devenu une la colonne Solvay en 1869. Le succès du procédé
figure véritablement mythique, il associe son nom se confirme, symbolisé par les prix obtenus aux
à la fois au monde des affaires (les entreprises expositions universelles de Paris (1867) et de Vienne
Solvay), à la sphère des sciences (les instituts de (1873). Mais surtout, la soude Solvay gagne la partie
recherche et d’enseignement qui portent son nom) qui l’oppose sur le terrain commercial à la soude
et enfin à l’identité nationale belge, à la fois par Leblanc. Au cours de la même période la société
ses liens avec une autre figure mythique belge, le Solvay s’est développée sur le plan international:
roi Albert Ier, et par ses actions philanthropiques. implantations en France (Dombasle), accords avec
Ludwig Mond et implantations en Allemagne (Wyhl,
Ernest Solvay est le deuxième enfant d’Alexandre Bernbourg…), en Angleterre (Norwich), aux États-
Solvay, négociant, maître de carrière et conseiller Unis (Syracuse, Detroit), en Autriche (Ebensee), en
communal de Rebecq, et d’Adèle Hulin. Il a un frère, Russie (Berezniki…), puis encore en Europe (Espagne,
Alfred, étroitement associé à la réussite industrielle Pologne, Italie…). D’autre part, la société Solvay
familiale, et trois sœurs qui concourront à la diversifie ses activités (les fours à coke), ses produits
réussite sociale de la famille par leurs mariages. et ses techniques de fabrication: une étape décisive
en sera la production de soude caustique et de chlore
Atteint de pleurésie à l’âge de 16 ans, Ernest par électrolyse du sel (brevet de la cellule à cathode
Solvay doit interrompre le cours de ses études. Il de mercure, dite cellule Solvay, en 1898). La réussite
se passionne pour les sciences en autodidacte, industrielle se double d’une gestion avisée au plan
effectue un stage auprès d’une maison de financier: en témoigne la constitution, en 1914, de la
commerce anversoise et s’initie à la comptabilité. Mutuelle mobilière et immobilière, banque d’industrie
Il devient sous-directeur à la Compagnie du gaz destinée à gérer une partie des avoirs du groupe
de Saint-Josse-ten-Noode (1859) et y (re)découvre et à diversifier les investissements. Cette dernière
le procédé de fabrication de la soude. Ce procédé prend ainsi part à la diversification du groupe et
de Solvay présente de nombreux avantages investit notamment dans les domaines de l’acier
industriels et notamment celui d’être plus rentable et du verre, des avoirs miniers et dans le secteur
que le procédé Leblanc répandu sur le marché. bancaire proprement dit. Le succès des industries
Solvay entreprend alors l’exploitation industrielle Solvay a ainsi placé Ernest Solvay au rang des plus
de son procédé et en dépose le brevet en 1861. importantes fortunes belges et européennes.
Après une tentative infructueuse à Schaerbeek,
il s’établit avec son frère et un camarade, Louis La fortune d’Ernest Solvay va lui permettre de réaliser
Philippe Acheroy, en 1864 à Couillet; il bénéficie ses rêves scientifiques et philanthropiques. Intéressé
au mouvement des sciences depuis son adolescence,
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Ernest Solvay développe un corps de théories
politiques, scientifiques, économiques et sociales
original. Sur le plan philosophique, il glorifie la science
déterministe et les vertus de l’enseignement pour tous,
s’oppose au « dogmatisme religieux ». Il appelle, sur
le plan économique et social, à une suppression des
inégalités héréditaires et à une plus grande rentabilité
sociale et économique, pour lesquelles il propose des
projets originaux. Devenu sénateur libéral en 1892,
il entretient de multiples relations aussi bien avec
les milieux socialistes qu’avec la maison royale. La
diversité de son mécénat surprend : au parc Léopold,
il crée successivement les Instituts scientifiques de
physiologie (1893), l’Institut de sociologie (1902), qui
prend le relais de l’Institut des sciences sociales (1894),
l’École de commerce (1904), les Conseils et Instituts
de physique et de chimie (1911 -1913) ; il subsidie
aussi l’Université libre de Bruxelles, l’Université du
travail à Charleroi, les universités de Nancy, Paris,
Genève… et encore la Maison du peuple de Bruxelles,
la Centrale d’éducation ouvrière du POB ou encore
le Touring Club de Belgique! Il joue aussi un rôle
prépondérant dans la mise sur pied du Comité de
secours et d’alimentation au cours de la première
guerre mondiale et aura soutenu les visées coloniales
de Léopold II, participant en 1908 à l’élaboration du
traité de cession de l’État indépendant du Congo à la
Belgique. Ernest Solvay aura aussi financé le quotidien
L’Indépendance belge. Ernest Solvay est nommé
ministre d’État le 21 novembre 1918 et titulaire de
nombreuses distinctions honorifiques académiques.
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Pour une histoire des DHC
Du balayeur de rue au président des États-Unis… l’origine même des universités. On outrepassait alors régulièrement l’une ou l’autre
Pieter Dhondt des caractéristiques nécessaires à l’attribution d’un doctorat. Ce diplôme fut ainsi
Caractère ambigu et genèse controversée du doctorat parfois conféré à la demande du candidat ou contre paiement des coûts normaux de
honoris causa promotion. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les docteurs s’étant vus décerner un tel di-
plôme sur base de leurs mérites jouirent en outre des mêmes droits et privilèges que
En juillet 2009, l’Université de Cambridge décernait un diplôme honoris causa les docteurs ordinaires, ce qui n’est plus le cas de nos jours. Enfin, les initiatives de
à un certain Allan Brigham. Pour arrondir ses fins de mois, ce balayeur de rue orga- ces promotions émanaient souvent des mandataires politiques ou religieux, plutôt
nisait régulièrement des visites historiques lui valant aujourd’hui cette distinction. que de l’université même.
Quelques mois plus tard, l’Université McGill de Montréal octroyait à l’ancien prési-
dent des États-Unis, Bill Clinton, un doctorat honoris causa pour l’excellence de sa Il y a une logique certaine à cette situation : le pape et l’empereur du Saint
présidence. On peut donc dire que les personnalités honorées par un tel diplôme Empire romain ont été progressivement réputés à l’origine de tous les doctorats, Bill Clinton, 1993
sont de natures extrêmement différentes, tout comme les circonstances et les motifs comme on le verra dans la première partie de cette contribution. Essentiellement
de telles promotions. Il est arrivé que l’on privilégie des considérations politiques par glissement de la signification du doctorat vers un titre honorifique, le pape et
et idéologiques comme pour le diplôme honoris causa décerné en 1479 par l’Uni- l’empereur s’arrogèrent, comme fondateurs des universités, le droit de conférer des
versité d’Oxford à Lionel Woodville, doyen de la cathédrale d’Exeter et beau-frère grades académiques non seulement de manière indirecte (par les universités ou
d’Édouard IV. Ou que l’on fasse valoir des considérations plus scientifiques, comme autres institutions érudites), mais aussi de manière directe, et même celui d’hono-
pour le titre décerné par l’Université de Bonn en 1868 à Louis Pasteur, chimiste et rer des personnalités (méritantes) en leur conférant un doctorat honorifique. Et l’on
biologiste. On a également pu avancer des motifs sociaux et culturels. Témoin, le s’écarta donc très souvent des conditions normales de promotion, tout comme pour
titre de Honorary Doctorate of Philosophy décerné à Sheryl Crow au début du XXIe les promotions in absentia.
siècle par la Southeast Missouri State University à Cape Girardeau, dans le Missouri.
Le contexte politique et les circonstances concrètes furent donc – et sont toujours La deuxième partie explique pourquoi certains doctorats honorifiques peuvent
– déterminantes. C’est ainsi qu’en 1806, l’Université d’Iéna décerna des doctorats être considérés comme une promotion Nous verrons dans un troisième temps que
honoris causa à quelques officiers français en hommage à la victoire militaire de Na- l’octroi de doctorats sur base de mérites, sans pour autant satisfaire à toutes les
poléon ainsi qu’en remerciement pour la protection spéciale dont profita l’université conditions statutaires, répondait parfois à une nécessité pratique, notamment pour
pendant les jours chaotiques qui suivirent la bataille. Cependant, moins de deux ans les professeurs ne détenant encore aucun doctorat au moment de leur nomination. Louis Pasteur, par Nadar, 1878
plus tard, cette même université organisa des conférences sur l’histoire allemande, Nous aborderons ensuite un autre besoin que l’on a pu satisfaire grâce à ces pro-
ayant pour but la préparation idéologique des guerres de libération visant à se dé- motions honorifiques, celui des cérémonies académiques. Avec la « scientifisation »
barrasser du joug français. du diplôme de docteur dès le début du XIXe siècle, la cérémonie promotionnelle or-
dinaire de certains pays eut tendance à perdre de son lustre, un manque que l’on a
De nos jours, un doctorat honoris causa se définit comme un grade académi- souvent pallié par la remise solennelle et parfois pompeuse de doctorats honorifi-
que conféré gratuitement, à titre honorifique, par une institution de nature univer- ques à l’occasion, par exemple, du jubilé de l’université en question. La jeunesse
sitaire agissant de sa propre initiative à une personne renommée pour ses travaux des universités belges, et donc l’absence de tels jubilés au XIXe siècle, peut ainsi
ou ses mérites sur le plan scientifique, culturel, politique, économique, religieux expliquer la tradition plutôt récente des promotions honorifiques en Belgique, sur
ou militaire, sans l’exigence d’aucune prestation scientifique de sa part, mais si- laquelle on reviendra dans la cinquième et dernière section de cette contribution.
multanément, sans aucun droit lié au titre. Le doctorat honoris causa qui satisfait à
toutes ces conditions n’existe que depuis le début du XIXe siècle, mais son origine
remonte à des temps bien plus anciens. La tendance à s’écarter des règles et condi-
tions préalables pour décerner un doctorat et conférer de la sorte un titre en vertu
de certains mérites (de quelque nature qu’ils soient) remonte très probablement à Sheryl Crow, 2008
Mais les limitations ainsi visées furent moins grandes qu’elles ne parurent à Quelques exemples montrent clairement en quoi
première vue. Les candidats à qui le titre de notaire ou le grade de docteur (bul- ces doctorats sont très proches de notre perception
latus, pour les distinguer des docteurs ordinaires) fut conféré par l’empereur, les actuelle du doctorat honoris causa. Ainsi, bien que
comtes palatins agissant en qualité de représentants de ce dernier, le pape ou ses l’étudiant en droit Johann Georg Kauffer ait pu sou-
délégués devaient tous, en principe, passer un examen et supporter eux-mêmes les mettre une attestation de l’Université de Prague, l’em-
pouvait rattacher à ces promotions d’autres avantages qu’uniquement pécuniaires. mit à baisser parmi les théologiens diplômés, de sorte qu’il fallut encore accorder du doctorat honoris
Quand la notoriété du candidat était supérieure à l’effet social que lui apportait le des doctorats honorifiques à de nouveaux professeurs en théologie à nommer. causa est essentiellement
titre, la promotion pouvait flatter la faculté qui se voyait ainsi auréolée d’une telle différente de celle du
notoriété, capable d’accroître à son tour la sienne. Dans de tels cas, il paraissait Au bout de quelque temps, le cercle des candidats à de tels doctorats honorifi- doctorat sur candidature.
évident d’accorder un tel doctorat gracieusement, et bien sûr sans examen préala- ques se mit à s’élargir. Quand, en 1682, l’Université d’Utrecht conféra un doctorat Par cette pratique, les
ble, à l’initiative éventuelle de la faculté ou de l’université. On doit y voir d’ailleurs honoris causa à un pasteur de Rotterdam et à un pasteur de La Haye qui n’avaient facultés ne veulent pas
une seconde origine du doctorat honoris causa moderne. Il se vérifie toujours qu’en pourtant pas été nommés professeurs, les professeurs des autres facultés n’y seulement faire un geste
décernant un tel doctorat, l’université s’honore autant elle-même, si pas plus, que consentirent qu’à la condition expresse qu’ils pourraient procéder pareillement si honorifique, elles veulent
le héros du jour. Le recteur de l’Université de Tübingen, Gustav Rümelin, l’exprima l’occasion se présentait, en proposant ce titre de doctorat honorifique à d’autres se mettre à l’honneur et se
clairement dans son discours aux docteurs honoris causa à l’occasion du quatrième personnes ayant prouvé certains mérites dans l’une ou l’autre discipline de leur fa- distinguer elles-mêmes
centenaire de l’Université de Tübingen en 1877. culté. Lorsqu’en 1730, sur proposition de la faculté de théologie, un doctorat honoris en intégrant des hommes
causa fut aussi décerné à quelqu’un qui avait été nommé pasteur à Brême, le sénat dans leurs rangs, avec
« Das Verhältnis des Ehrendoctors ist wesentlich Verschiedenes von dem des académique se mit à craindre que, si l’on poursuivait en ce sens, ces distinctions lesquels elles se voient
Doctors auf Bewerbung. Die Fakultäten wollen damit nicht bloss eine Ehre erweisen, augmenteraient certainement en nombre mais pas en considération. Aussi décida- établir un lien spirituel
sondern sie wollen auch sich selbst ehren und schmücken, indem sie Männer in ihre t-il de réserver le doctorat honoris causa aux candidats déjà nommés professeurs. et communautaire à
Reihen aufnehmen, denen sie sich mit Befriedigung und Stolz durch ein geistiges Toutefois, cette inflation ne fut finalement pas aussi importante que ce que l’on re- leur grande fierté et
Band der Genossenschaft verbunden sehen. » (1) doutait (surtout en comparaison des chiffres actuels). Entre 1640 et 1780, les facul- satisfaction. »
tés autres que celle de théologie ne décernèrent au total que quelque dix doctorats
La nécessité pratique des promotions honorifiques pour les honoris causa.
professeurs sans doctorat
Une promotion honorifique quelque peu comparable à ces promotions de pro-
Une troisième origine du doctorat honoris causa est à situer dans les promotions fesseurs sans doctorat eut lieu à l’Université d’Utrecht en 1841. Deux étudiants re-
avec dispense d’examen et paiement de droits qui ont été accordées à des profes- fusèrent cette année-là de suivre des cours pour lesquels ils ne manifestaient aucun
seurs sans doctorat pour leur permettre de faire passer eux-mêmes des examens de intérêt, s’excluant de la sorte des possibilités de postuler à un tel doctorat. En lieu et
niveau doctoral et de conférer des doctorats. Alors que jusqu’au XIIe siècle, le terme place, ils défendirent un specimen academicum sub praeside, à savoir la défense pu-
de docteur était uniquement réservé aux professeurs d’université, le titre est pro- blique d’un mémoire ou d’une thèse sans qu’on puisse conférer pour cela le grade de
gressivement devenu un titre honorifique. Inversement, par le découplage de l’exa- docteur . Mais ils le firent avec tant de verve et de persuasion que plusieurs profes-
men de licence et du doctorat, des licenciés ne possédant pas de doctorat pouvaient seurs suggérèrent de leur conférer quand même le titre de docteur honoris causa, ce
enseigner à l’université. Comme il fallait être docteur pour en nommer d’autres, il qui fut fait malgré les protestations de Johan Rudolf Thorbecke, un des professeurs
leur fut donc décerné le titre de docteur honoris causa. dont les cours étaient visés. Tout comme pour les professeurs sans doctorat, on
utilisa dans ce cas le doctorat honorifique pour contourner quelque peu une régle-
Dès le milieu du XVIIe siècle, les Pays-Bas eurent massivement recours à de tel- mentation très stricte. Toutefois, pour éviter de susciter un tel émoi à l’avenir, il fut
les promotions honorifiques, surtout dans les facultés de théologie. Suite à diffé- décidé de ne plus décerner de doctorats honorifiques à des étudiants.
rents conflits doctrinaux sur la prédestination à l’Université de Leyde et en réaction
au manque de pasteurs réformés dû à la sévérité de la sélection des facultés, les
autorités ecclésiastiques s’arrogèrent de plus en plus l’initiative des examens. En
Johan Rudolf Thorbecke,
conséquence, la plupart des candidats à la prêtrise écourtèrent le plus possible par Johan Heinrich Neuman,
leurs études universitaires pour passer ensuite l’examen. De ce fait, le nombre de 1852
Au cours du XIXe siècle, dans le cadre de festivités fastueuses, certains pays no-
tamment en Europe du Nord ont combiné la promotion solennelle de docteurs hono-
ris causa à la forme très cérémonieuse et traditionnelle des promotions de doctorats
ordinaires (en groupe). L’un des moments forts à cet égard fut incontestablement
le quatrième centenaire de l’Université d’Uppsala en 1877, regroupant un nombre
impressionnant de représentants étrangers. Chacune de ces deux solennités avait
sa propre fonction : alors que les promotions honorifiques avaient essentiellement
un caractère international, exprimant le rayonnement panscandinave de l’université Université de Princeton, 2006
(servant donc très clairement à s’afficher soi-même), la promotion des doctorats or-
dinaires était surtout conçue comme une fête nationale, devant des représentants
du pays entier (en ce compris le roi et le prince héritier), et comme une ode à la
science nationale et aux héros de la patrie.
« Peut-on être nommé docteur honoris causa à la suite d’un pur hasard vaginal ? », blable ». Dans un pamphlet qu’il édita en 2002, Blaise
s’est demandé la rédaction du magazine étudiant Veto. Cronin, professeur d’informatique à l’Indiana Univer-
sity de Bloomington, suggérait lui aussi de faire une
En 1985, l’Université d’Oxford a également suscité une commotion nationale en différence entre une liste prioritaire de chercheurs,
proposant de décerner de tels honneurs à Margaret Thatcher. Tout comme à Lou- hommes d’État et autres icônes des arts méritant bien
vain, les partisans ont tenté de motiver leur décision en évoquant la (jeune) tradition un doctorat honoris causa et une liste secondaire de
de décerner un doctorat honoris causa à des premiers ministres diplômés d’Oxford. personnalités plus modestes pour qui une médaille
À ce titre, c’est donc plus la fonction que la personne à qui l’on rend hommage. Les devrait s’avérer suffisante. Dans la foulée, il ne mé-
adversaires ont plutôt critiqué la politique de Thatcher qui a, à leurs yeux, causé des nagea pas ses critiques pour les doctorats honoris
dommages systématiques et profonds à l’ensemble du réseau de l’enseignement causa décernés à des figures telles que Sheryl Crow,
des chemins de fer coloniaux en 1948, semble ne pouvoir s’expliquer que par la pas- doctorat honoris causa.
sion qui animait le recteur Van Waeyenbergh pour le Congo. Ou s’agissait-il plutôt
d’un diplôme octroyé à ces puissants hommes d’affaires gravitant dans le giron de
la Société générale de Belgique dans l’attente d’un éventuel « retour d’ascenseur » ?
Le refus de l’Université d’Oxford de conférer, au début des années 1950, un doctorat
honoris causa à l’écrivain et critique russe Boris Pasternak s’explique moins par un
manque d’appréciation de son travail (courageusement, le recteur a signalé ne pas
savoir du tout qui était Pasternak), que par un rejet systématique de tous les candi-
dats provenant de l’autre côté du rideau de fer en pleine guerre froide.
de Bruxelles Kenneth Bertrams, Didier Devriese et Kim Oosterlinck réat fait désormais partie à part entière de la commu- du 19 novembre 1992
À l’Université libre de Bruxelles, le cérémonial de la remise des diplômes est dé- C’est pourquoi la cérémonie requiert en principe
crit, dans un document interne que l’on peut dater de l’immédiat après-guerre, avec la la présence du récipiendaire : c’est par la remise so-
plus grande des précisions ; ce document établit un rituel fixe : « Le cérémonial . Selon lennelle en séance que le docteur honoris causa « fait
la définition du Larousse, l’épitoge est une bande d’étoffe distincte que les profes- désormais partie à part entière de la communauté uni-
seurs, les magistrats, les avocats en robe, portent sur l’épaule. Celle de l’ULB est en versitaire bruxelloise ». Rituel d’appartenance, donc Cérémonie de remise du titre de
docteur honoris causa à Louise
soie bleue, rehaussée de fourrure blanche d’un Saint-Michel brodé en or, et d’un cor- (dont on se demandera ici si cette appartenance sup- Arbour, Nora Irma Morales de
don vert et rouge qui précise les liens privilégiés et confiants qui lient l’ULB et la Ville pose que le récipiendaire adhère aux valeurs de l’Uni- Cortiñas, Simone Susskind et
de Bruxelles. C’est le recteur de l’Université, secondé en séance par le pro-recteur, versité ?) mais aussi affirmation publique des titres et Wassyla Tamzali (de g. à d.), 2000
l’ancien recteur et les recteurs honoraires, qui décerne et ajuste les épitoges. mérites du DHC : ceux-ci se doivent d’être mis en valeur
et justifient le choix de la personnalité honorée.
Qui dit épitoge dit toge. Celle de l’Université libre de Bruxelles est sobre : noire re-
haussée de fourrure pour le président de l’Université et les recteurs, d’une bande de Bien qu’en principe le titre de DHC soit donc
couleur distincte pour les représentants facultaires ; la toge s’accompagne d’un bonnet consubstantiel de la remise de diplôme, des circons-
et tous deux sont inspirés du portrait d’Érasme par Holbein le Jeune. Hommage est donc tances tragiques ou particulières font que le titre peut
rendu au passage au grand humaniste hollandais d’expression latine, dont l’esprit en- être décerné en l’absence du récipiendaire. Ceci prend
cyclopédique et la liberté de pensée s’accordent avec les principes fondamentaux de alors une valeur tout aussi symbolique : F. D. Roosevelt
l’Université du libre examen. disparaît peu avant la cérémonie prévue à son égard
mais il est néanmoins honoré au même titre que les
La séance qui a été soigneusement répétée et minutée dure plus ou moins 2 heu- autres grands vainqueurs de la seconde guerre mon-
res, car, outre l’épitoge, chaque docteur reçoit un diplôme rédigé et lu en latin et une diale ; Salvador Allende est honoré à titre posthume
médaille frappée à l’effigie de Saint-Michel. L’éloge qui retrace la carrière et les mérites et le choix du héros chilien se veut un message clair.
de chaque lauréat est prononcé, lui, en français. Soulignons au passage combien l’éloge Enfin, dans plusieurs cas, des contraintes physiques
en latin réservé certes à de trop rares initiés, est tout à l’honneur des philologues de empêchent la venue de la personne honorée : on songe
Churchill, Roosevelt et Staline
l’ULB qui prouvent à cette occasion la pérennité et l’universalisme d’une langue capable notamment aux personnalités retenues pour leurs ac- (de g. à d.) à la conférence de
d’appréhender toutes les subtilités du monde contemporain. tions de résistance et encore assignées à résidence ou Yalta, 1945
Sakharov. D’autres DHC ne pourront être présents à titre exceptionnel, dans des rement mentionnées in extenso. Au sein d’une même janvier 1995
circonstances sur lesquelles nous reviendrons, tels Tchang Kaï-chek ou Staline qui cérémonie, l’Université est tout à la fois décrite comme
ne peuvent assister à la cérémonie : le diplôme leur sera donc décerné par le biais une université « francophone, européenne, éprise de (3) M
. B., « Le Roi honoré par
d’une adresse ou d’un émissaire officiel de l’Université. liberté et adversaire de toutes les formes de totalitaris- l’ULB, 35 ans après son
Une occasion cérémonielle est aussi un lieu d’expression pour d’éventuels contes- Dans un autre texte, c’est l’engagement philosophique décembre 1994
tataires : la cérémonie des DHC connaît donc parfois quelques perturbations, au cha- de l’Université qui se traduit par « la promotion de la
pitre desquelles on retiendra ici la manifestation bon enfant qui perturbe la remise de libre pensée, de la tolérance et la haine du racisme »(8), (4) Hervé Hasquin,
diplôme à Albert II (13 décembre 1994), où « pour l’anecdote : un groupe d’étudiants laquelle est mise en exergue. Allocution prononcée à
s’était coiffé d’une couronne de galette des rois pour l’occasion. L’un d’entre eux a très l’occasion de la remise
légèrement perturbé la cérémonie »(2) ou encore « La séance fut émaillée par un bref À la lecture des biographies des différents réci- des insignes de docteur
incident : un étudiant coiffé comme une trentaine d’autres d’une couronne en carton a piendaires, et à de très rares exceptions près, il appa- honoris causa du 19
lancé : “ Vive le roi des c…” avant de se faire expulser manu militari »(3). raît que les valeurs principales défendues par l’Univer- novembre 1987, ULB,
Par définition même, l’octroi du titre de docteur honoris causa vise à honorer lérance et de la liberté constituent autant de théma- nommera Andreï
le récipiendaire. Dans le cas de l’Université libre de Bruxelles, l’hommage rendu au tiques récurrentes. Ceci n’est pas incompatible avec Sakharov docteur honoris
récipiendaire se veut en principe la mise en évidence des hauts faits du personnage des axes plus particuliers : lors des cérémonies, les causa. Pourra-t-il quitter
honoré et de l’adéquation entre ces titres de gloire et les valeurs de l’institution. valeurs mises en avant par l’institution semblent mar- l’URSS à cette occasion ? »,
quées par des préoccupations propres à ceux qui ont La Dernière Heure,
L’Université distingue deux types de docteur honoris causa : ceux de l’Université proposé les personnalités honorées. Apparaît donc 16 septembre 1983
et ceux des facultés ; le premier DHC de l’Université est celui décerné à Ernest Sol- un élément contextuel : l’octroi du diplôme semble se
vay en 1898 tandis que ceux des facultés apparaissent en 1884, le premier diplôme faire par « vagues », lesquelles mettent en évidence (6) H
ervé Hasquin, Discours
recensé des facultés étant attribué au comte Eugène Goblet d’Alviella par la Faculté l’implication de l’Université dans un problème de so- du 19 novembre 1987
de philosophie et lettres en 1894. ciété bien spécifique ; à titre d’exemple, l’année 1979
sera marquée par une vague de reconnaissance pour (7) Georges Verhaegen,
Si les DHC facultaires reflètent les mérites scientifiques, ceux de l’Université les « artistes créateurs » tandis que 1995 célèbre les Discours du 19 novembre
rendent hommage à l’action publique des récipiendaires. Le choix de proposer un cinéastes. 1987
titre de docteur honoris causa de l’Université n’est donc pas anodin. Bien que les
archives de l’Université soient pour l’essentiel muettes quant au processus menant Déterminé par le contexte, ce qui régit l’attribution (8) H
ervé Hasquin, Discours
à la proposition d’octroyer le titre de DHC, les discours prononcés à l’occasion de la des diplômes de DHC change donc selon les périodes. du 5 novembre 1990
remise proprement dite nous offrent une grille de lecture intéressante. Ainsi, comme À cet égard, on peut y lire non seulement une « certaine
le mentionne Hervé Hasquin, « ce choix est en harmonie avec les grands axes et les histoire de l’Université » mais aussi et surtout une his- 1. Le roi Albert II à l’occasion
de la remise de son doctorat
valeurs qui guident et ont guidé l’évolution de notre Université »(4). La presse, dans toire des rapports qu’elle entretient avec le monde qui honoris causa, 1994
les rares occasions où elle mentionne l’attribution d’un titre de DHC à l’ULB, repro- l’entoure. 2. Ernest Solvay
duit cette vision. Les choix de l’Université sont en effet censés illustrer « sa propre 3. Bronisław Geremek, discours
lors de la cérémonie des DHC,
image de marque de défenseur des libertés »(5). 1991
L’ULB et ses « bienfaiteurs » Que des personnalités politiques ou, plus précisé-
ment, des représentants de la sphère publique, aient
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’ULB n’a conféré que treize diplômes de fait l’objet d’une distinction de la part d’une université
docteur honoris causa à titre institutionnel. Ce nombre, relativement restreint et n’étonnera personne. L’Université libre de Bruxelles,
aléatoire au vu des pratiques d’autres établissements universitaires, n’est cepen- établissement de droit privé essentiellement financé
dant ni le fruit du hasard ni la résultante d’une absence de politique. Il consacre par des fonds privés jusqu’à l’avènement de l’État-
des personnalités qui, par leur action ou à travers leur fonction, ont été des relais providence, n’en a pas moins bénéficié d’interventions
efficaces de l’ULB au sein de ce qu’on appellera plus tard la « société civile ». La justi- publiques, ponctuelles puis récurrentes, pour assurer
fication essentielle de leur distinction réside dans la contribution des récipiendaires son maintien et promouvoir son expansion. La Ville
– ou des institutions qu’ils représentent ex officio – au développement de l’ULB. de Bruxelles et ses « satellites » (Conseil des hospi-
ces, collèges municipaux), les communes de l’agglo-
Un nouveau régime de distinction, qui ne vise plus à proprement parler les par- mération bruxelloise, les provinces du Brabant et du
rains et marraines de l’ULB, prévaut à partir de 1945. Il marque le rôle des femmes Hainaut étaient régulièrement sollicités pour subvenir
et des hommes que l’ULB souhaite honorer pour les valeurs qu’ils incarnent et aux- à certains besoins matériels et fournir des services ap-
quelles l’ULB entend être institutionnellement associée. Il semble donc qu’il y ait, propriés. À titre d’exemple, l’Université prélève sur le
de part et d’autre de la seconde guerre mondiale, deux registres distincts justifiant budget récurrent que lui alloue la Ville de Bruxelles jus-
l’octroi d’un DHC : l’action d’individualités et/ou d’entités œuvrant à la pérennité de qu’à la seconde guerre mondiale les appointements du
Charles Buls
l’ULB, d’une part, la contribution d’individualités au bien-être de la collectivité géné- personnel en activité dans certains instituts de recher-
rale, de l’autre. On voit dans quelle mesure les logiques d’échelle qui sous-tendent che, ainsi que les dépenses de consommation d’éner-
ces deux régimes ont évolué : la logique spécifique avant 1945, la logique générale gie (eau, gaz, électricité). Qui plus est, le concours des
par la suite. entités publiques dépasse de loin le cadre strictement
budgétaire. Il faudra attendre la loi du 12 août 1911 pour
Certes, dans les deux registres, le rayonnement de l’ULB peut faire figure de dé- que l’ULB soit dotée de la personnalité juridique lui
nominateur commun. Mais là encore, les contrastes semblent émerger : tandis qu’il permettant, notamment, d’effectuer des transactions
s’agit d’une cause nécessaire (quoique non suffisante) dans la première période, le immobilières. Jusque-là, c’est la Ville de Bruxelles qui
rayonnement de l’ULB semble davantage constituer une conséquence ou un élément agit en tant que prête-nom dans la gestion adminis-
collatéral dans la seconde. Dans la phase plus contemporaine, l’ULB se projette (ou trative des dossiers juridiques liés à l’acquisition et la
projette ses valeurs, ses conceptions, etc.) dans l’environnement social à travers les vente de terrains ou de bâtiments. De ce fait, il était
DHC qu’elle octroie. C’est un message que l’institution envoie par procuration. On fondamental pour l’ULB d’entretenir d’excellents relais
peut également parler de mise en scène pour les treize DHC distingués avant la se- avec l’équipe municipale bruxelloise, premier échelon
conde guerre mondiale. Le décor et le rituel cérémoniel sont assez semblables mais d’un système politico-administratif complexe. Le maïo-
l’enjeu paraît bien plus local : l’ULB assure l’opération théâtrale tout en incarnant le rat de Charles Buls, qui coïncide avec une période cru-
théâtre des opérations. ciale du développement de l’ULB (1881-1899), explique
partiellement l’attribution d’un DHC au bourgmestre
Si l’on braque les projecteurs sur le groupe des treize DHC mis à l’honneur avant de Bruxelles. Son intervention personnelle dans les
1940, trois catégories principales sautent aux yeux : les représentants de l’État, les conventions liant les instituts scientifiques du parc
acteurs du secteur privé, les Américains. Léopold à l’ULB par la Ville de Bruxelles (voir plus bas),
l’ULB, fournissent des éléments complémentaires. (ONU) arrêtée en 1946. Toujours à propos de l’ONU, no- La liberté de chercher :
tons, au passage, l’attribution d’un DHC à deux de ses histoire du Fonds national
Par-delà le niveau local, l’ULB aura également distingué les chefs d’État belges secrétaires généraux, à savoir le norvégien Trygve Lie belge de la recherche
et étrangers. Les dates, ici aussi, ont leur importance : pour lier l’Université aux com- en 1951 (dont le mandat s’est exercé de 1946 à 1952) et scientifique, Liège : Ed.
mémorations du centenaire de la Belgique, les autorités de l’ULB attribuent un DHC le birman U Thant en 1967 (1961-1971). de l’Université de Liège,
à la reine Élisabeth. Ce n’est pas seulement une manière élégante de saluer le roi Al- 2007, p.12
bert Ier, qui avait suscité un courant d’opinions favorables en faisant la promotion de Les acteurs du « secteur privé »
la recherche scientifique lors de son célèbre discours de Seraing (1er octobre 1927) : (10) Andrée Despy-Meyer et
« Le public ne comprend pas assez, chez nous, que la science pure est la condition La contribution des industriels, financiers et autres Didier Devriese (éds.),
indispensable de la science appliquée et que le sort des nations qui négligeront la philanthropes issus du secteur privé à l’existence, la Ernest Solvay et son
science et les savants est marqué par la décadence. »(9) Il s’agit aussi de distinguer survie et, enfin, à la croissance de l’ULB est un phé- temps, Bruxelles, Ed.
celle qui n’avait jamais caché sa passion pour la musique, les arts, les lettres et les nomène à la fois connu et largement sous-estimé. La Archives de l’Université
sciences. Son intérêt marqué pour l’archéologie et les études égyptiennes l’a ame- figure d’Ernest Solvay, l’incontournable « bienfaiteur » libre de Bruxelles, 1997
née à inspirer la création de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth en 1923 et à de l’ULB, vient immédiatement à l’esprit dans cette
aiguiller le mécénat du roi Fouad d’Égypte, auquel l’ULB attribue un DHC en 1925. En catégorie de personnalités.(10) Le DHC qui lui est at- (11) Liliane Viré, « La “Cité
associant Léopold III au centenaire de l’ULB en 1934, l’objectif est double : il consis- tribué en 1898, en même temps que Charles Buls, fait scientifique” du parc
te, d’une part, à souligner l’importance et la continuité du rôle de la famille royale clairement référence aux instituts scientifiques du Léopold », Cahiers
dans le développement des universités et de la recherche scientifique en Belgique, parc Léopold déjà évoqués et dont le mécanisme a été bruxellois, n° 19, 1974,
et, d’autre part, à conforter l’adhésion de l’ULB au modèle national d’une monarchie décrit par l’historienne L. Viré.(11) On y apprend qu’Er- pp. 86-180
parlementaire, tout juste ébranlé par le décès accidentel d’Albert Ier. nest Solvay a essentiellement financé l’Institut de phy-
siologie, tandis que son frère cadet, Alfred, a pourvu
La fidélité de l’institution aux prescrits de l’idéal national, réitérée à travers les aux fonds nécessaires à la construction de l’Institut
DHC octroyés aux souverains en exercice (Baudouin en 1959, Albert II en 1994), a d’hygiène, de bactériologie et de thérapeutique. L’an- 1. La reine Élisabeth
été validée pour la première fois en 1919 par la distinction accordée à deux chefs née suivante, c’est au tour de Raoul Warocqué, riche 2. Le roi Fouad d’Égypte en visite
d’État – de République – étrangers : le président français Raymond Poincaré et son héritier des sociétés de charbonnages, d’intervenir en Belgique, 1939
3. Le roi Léopold III
homologue américain Woodrow Wilson. Tous deux incarnent, au sortir de la guerre, massivement dans la création de l’Institut d’anatomie
la pérennité de l’esprit national démocratique, teinté d’une ardente fibre patriotique et d’histologie. Parmi les mécènes, il faut également
chez l’un – ce qui n’est pas sans résonnance dans un pays marqué par quatre années rendre justice à l’apport de trois financiers – Georges
d’occupation – et d’un souci du dialogue international et du respect des minorités Brugmann, Fernand Jamar et Léon Lambert – dans la
chez l’autre. Poincaré et Wilson ont aussi ceci en commun qu’ils sont alors au faîte réalisation de l’Institut d’hygiène, de bactériologie et
de leur popularité sur le plan international tout en étant fortement contestés dans de thérapeutique. La part de l’investissement du sec-
leur pays respectif. La reconnaissance par l’ULB du rôle des vainqueurs de la premiè- teur public, c’est-à-dire exclusivement celle de la Ville
re guerre mondiale (quoiqu’on puisse s’interroger sur l’absence d’un représentant de Bruxelles, on l’a vu, n’est pas négligeable non plus.
britannique, comme Lloyd George) fait irrémédiablement penser au « tir groupé » de Quoi qu’il en soit du financement, la « première vague »
1945 rassemblant les chefs d’État des principaux pays alliés – Roosevelt, Churchill, des instituts scientifiques rêvés par Paul Héger, profes-
De Gaulle, Staline et Tchang Kaï-chek. Si cette liste paraît insolite aujourd’hui, elle seur de physiologie et futur président de l’ULB, pouvait
n’en est pas moins un reflet, somme toute logique, de la réalité de l’immédiat après- ainsi s’achever en 1894. Elle sera suivie par la création,
guerre. À ce titre, elle préfigure la composition initiale des membres permanents du entre 1900 et 1913, d’un second groupe d’instituts de
vay : l’Institut de sociologie, l’École de Commerce, les Instituts internationaux de La dotation universitaire est un geste digne de la noble Francqui ou l’intelligence
physique et de chimie. Et ceci sans compter les largesses qui émaneront de la famille Amérique. Nous remercions aussi tous ceux qui ont créatrice, Paris-
Solvay ou de l’entreprise familiale tout au long du XXe siècle et jusqu’à ce jour. collaboré à cette grande œuvre. » Bruxelles, Duculot, 1985,
pp. 292-312 ; Kenneth
Avec l’industriel Dannie Heineman, Ernest Solvay va également susciter la Émile Francqui, cependant, n’était pas en reste. Le Bertrams, Universités
création du Comité national de secours et d’alimentation (CNSA) qui va centraliser même jour, sans qu’on sache si la même proposition fut et entreprises. Milieux
l’approvisionnement de vivres et de produits de première nécessité en Belgique oc- faite à Hoover, Héger fit savoir à Francqui que le conseil académiques et
cupée durant la première guerre mondiale. Le comité exécutif du CNSA sera pré- d’administration de l’ULB lui décernait le titre de « doc- industriels en Belgique,
sidé d’une main de maître par Émile Francqui, l’inclassable directeur de la Société teur honoris causa de l’Université libre de Bruxelles » 1880-1970, Bruxelles, Le
générale. Le CNSA sera épaulé dans son action par une structure similaire pensée et espérait qu’il voulût bien « accepter ce témoignage Cri, 2006, pp. 183-187
et organisée par l’ingénieur américain Herbert Hoover – le Committee for Relief in d’admiration et de sympathie ». La réponse de Francqui
Belgium (CRB). La gestion du tandem Hoover-Francqui fera des merveilles pour la est intéressante pour notre propos : (13) Archives générales du
population belge mais aussi, une fois la guerre terminée, pour les universités.(12) Le royaume, Fonds Comité
boni cumulé du CNSA-CRB (150 millions de francs belges en 1919, soit près de 152 « (…) le titre de docteur honoris causa me remplit national de secours et
millions d’euros actuels) sera affecté, pour un tiers, à la Fondation universitaire dont de confusion, car je sais trop que je ne mérite pas cet d’alimentation,
l’objectif est d’ouvrir les « institutions d’enseignement supérieur aux fils et aux filles honneur. Je ne le dois manifestement qu’à votre amitié, dossier 209
de ceux qui n’ont pas les moyens de faire les dépenses de cet ordre » (se référant à qui aura inspiré la décision de vos collègues. (…) Dites-
la cible, Francqui préférait parler de « jeunes gens peu fortunés et bien doués »). Le leur bien que nul plus que moi n’est dévoué à la cause
solde du montant fut, quant à lui, directement versé aux universités selon une clé de de l’enseignement supérieur »(13).
répartition favorisant les universités complètes, qu’elles soient privées (Bruxelles et
Louvain) ou publiques (Gand et Liège). Nul doute que ces paroles, Jean Jadot, l’ami et su-
périeur hiérarchique de Francqui à la Société générale, 1. Herbert C. Hoover, 1925
Même s’il prenait soin de préciser aux recteurs d’université que, comme pour aurait également pu les prononcer lorsqu’il se vit attri- 2. Émile Francqui
chaque fondation,« en principe, les revenus et non le capital de la dotation » devai- buer un DHC de l’ULB et de l’Université catholique de 3. Jean Jadot et la princesse
Astrid visitent les chantiers
ent faire l’objet des dépenses, Francqui qualifiera lui-même de « princière » cette do- Louvain en 1921. Ingénieur diplômé de l’UCL, Jadot a navals de Hoboken, 1929
nation historique. Elle stupéfia tous les contemporains, à commencer par les mem- profité du courant favorable suscité par les « intentions 4. Conseil général de la Société
bres du gouvernement qui n’y voyaient plus très clair dans la comptabilité créative généreuses » du don CNSA-CRB pour mettre sur pied un générale, auquel assistent les
DHC Émile Francqui (1er rg,
qui la justifiait. Pour Francqui, l’origine du projet était pourtant très simple. Il s’en « Comité Bruxelles-Louvain » destiné à lever les fonds 3e depuis la g.) et Jean Jadot
ouvrait de la sorte au premier ministre Léon Delacroix : nécessaires au rééquipement des écoles d’ingénieurs (4e), 1931
des deux universités libres. Le projet était ambitieux ; il
« Fréquemment, depuis le début de la guerre, nous avions étudié et discuté ces fallait convaincre à l’unisson les patronats catholique
propositions avec nos amis américains et des professeurs de nos quatre grandes et libéral, encore sous le coup de la guerre. Mais en
universités ; nous sommes heureux de voir le projet auquel nous nous étions arrêtés se plaçant précisément sur le terrain du décalage tech-
dans la voie des réalisations ». nologique et du nécessaire catching-up de l’industrie
nationale, Jadot sut affûter des arguments économico-
Le 11 septembre 1919, le président Paul Héger adressait à Herbert Hoover un patriotiques qui allaient faire mouche. Figure morale
« câblogramme » dans les termes suivants : « L’Université de Bruxelles vous exprime incontestée des milieux d’affaires belges, il signa lui-
sa profonde reconnaissance. Pendant la guerre vous avez assuré le pain à notre peu- même la lettre d’accompagnement de la souscription :
techniques supérieurs doit précéder celle de nos méthodes industrielles. Or, notre pour l’ULB en coordonnant la participation financière de présent et futur d’une
industrie ne peut attendre longtemps des hommes nouveaux sous peine de repren- la CRB Educational Foundation dans le transfert de l’ULB fructueuse collaboration,
dre la vieille ornière que ses grands concurrents étrangers ont quitté [sic] depuis vers le plateau du Solbosch. Les dépenses consacrées à Bruxelles, Université
longtemps. Elle doit cesser au plus tôt de recourir à ces spécialistes du dehors. Pour la construction des bâtiments néo-renaissance érigés libre de Bruxelles, 1996
réussir (…), il faut avant tout et sans délai pourvoir nos écoles techniques de vastes avenue des Nations (future avenue Roosevelt) et censés
laboratoires parfaitement outillés, d’ateliers suffisants et de riches collections, sou- regrouper la Faculté de droit, la Faculté de philosophie
tiens d’un enseignement à la fois scientifique et intuitif ». et lettres, l’administration et la bibliothèque seront cou-
vertes par la fondation à raison de 20 millions de francs
L’axe Solvay-Francqui-Jadot et l’intégralité du réseau d’industriels et de finan- belges. L’inauguration de l’ensemble aura finalement
ciers structuré autour du CNSA occupent une place de choix dans l’histoire de l’ULB. lieu en juin 1930, en même temps que la nouvelle École
Le président Héger n’avait pas tort de dire que le don CNSA-CRB, au vu des effets de médecine, annexée à l’Hôpital Saint-Pierre, entière-
d’entraînement qu’il a pu susciter, allait avoir des « répercussions incalculables » ment reconstruit lui aussi. Il faut savoir que ce nouveau
sur le paysage académique de la Belgique. Pour l’ULB, poursuivait-il, « c’est une ère complexe médical est notamment le fait d’un réseau
nouvelle qui commence ». De fait, elle allait être marquée par l’installation de l’Uni- américain parallèle – la prestigieuse Fondation Rocke-
versité sur le site du Solbosch en prenant pour appui les principes en vigueur du feller – qui avait vu l’intermédiation efficace de Jules
campus américain. Bordet, Antoine Depage et Paul Héger.
Les « amis américains » Compte tenu de ces éléments, il n’est pas étonnant
que l’ULB ait voulu, à l’instar d’autres universités bel-
Intentionnellement ou non, Herbert Hoover avait dégagé pour les universités ges, mettre à l’honneur ses bienfaiteurs américains
belges, et l’ULB en particulier, une véritable « fenêtre d’opportunité »(14). Tandis qu’il par l’octroi d’un DHC distinguant successivement le
s’orientait décisivement vers une carrière politique nationale qui allait le porter vers secrétaire d’État Charles Evans Hughes (1924) et les La promotion des DHC
les sommets – il sera nommé secrétaire d’État au Commerce durant les présidences ambassadeurs des États-Unis en Belgique, Dave Hen- 2005 : Fadela Amara et
de Warren G. Harding et de Calvin Coolidge avant d’être le 31e président des États- nen Morris (1934) et Joseph Edward Davies (1939). Radhia Nasraoui (à g.), Pierre
Goldschmidt et Baltasar Garzón
Unis durant une des périodes les plus sombres du siècle (1929-1933) –, l’action de Real (à d.), 2005
ses hommes de terrain au sein du CRB se poursuivait en Belgique. Une des forces
de l’organisation de Hoover en Europe durant la guerre avait été de s’appuyer sur
un maillage serré d’hommes d’action, ingénieurs pour la plupart. Parmi eux, il im-
porte de mentionner les noms de Perrin Galpin, Edgar Rickard, Millard K. Shaler et
W. Hallam Tuck. Ceux-ci étaient demeurés en Belgique pour leurs affaires – Shaler
était notamment lié à la Forminière (Société internationale forestière et minière du
Congo) et Tuck à Solvay & Cie – mais aussi pour gérer la CRB Educational Founda-
tion. Portée sur les fonts baptismaux en avril 1920 avec une autre portion du solde
positif de la CRB, la CRB Educational Foundation (qui deviendra, en 1938, la Belgian
American Educational Foundation – BAEF) avait pour mission d’établir un program-
me d’échanges de niveau universitaire entre les États-Unis et la Belgique. Parmi les
1 500 fellows bénéficiaires du programme depuis son existence, on retrouve le nom 1. Charles E. Hughes, 1908
d’un certain Pierre Goldschmidt (DHC en 2005). 2. Joseph E. Davies
noris causa montre sans équivoque la volonté de l’institution d’honorer des défen- si les autorités de l’ULB ne manquent pas de mentionner les autres qualités mar- Discours de
seurs d’une forme d’idéal démocratique. Plus précisément, l’Université aura très tôt quantes des récipiendaires. Ainsi, parlant au nom de l’ULB, le président du conseil novembre 1947
à cœur d’honorer ceux qui se sont battus contre les totalitarismes de tous bords. d’administration exprime « toute son admiration pour la part qu’il [de Gaulle] a prise
La remise du titre doit évidemment être comprise dans son contexte. En décembre dans la libération des territoires occupés et dans le succès final des armées al- (17) (18) Didier Devriese ULB
1944, l’Université s’associe aux « grands triomphateurs de la guerre mondiale, le liées »(19) . La libération de l’Université elle-même sera saluée lors de la cérémonie Info, novembre 2005
président Franklin Roosevelt, le premier ministre Winston Churchill, le maréchal en hommage à Winston Churchill, le président du conseil d’administration préci-
Staline, le général de Gaulle, le général Tchang Kaï-chek, [en leur décernant] le titre sant à l’assemblée que « l’Université n’oubliera jamais que, sur les instructions de (19) Charles Frerichs,
de DHC de l’Université »(15) . À cette liste s’ajoutera en novembre 1947, William Lyon monsieur Winston Churchill, les divisions britanniques et alliées, avec la brigade Discours du
Mackenzie King, le premier ministre canadien de l’époque, personnification de « la Piron, ont avancé d’un bond d’Amiens à Bruxelles et ont ainsi délivré la capitale et 11 octobre 1945
noble nation canadienne qui a pris, sous sa direction, une si grande part à la vic- l’Université »(20) .
toire des Nations unies et à la libération de la Belgique »(16) . (20) Charles Frerichs,
Le choix opéré en décembre 1944, alors que la victoire n’était pas encore défini- donné par les opposants de la première heure au régime nazi. Les qualités propres 15 novembre 1945
tivement scellée, a légitimement pu mener à des débats. Ex post, il semble en effet des deux chefs d’État sont mises en avant : de Gaulle fait revivre à la fois l’âme al-
évident que tant Staline que Tchang Kaï-chek ne sont pas des exemples parfaits tière de Foch et l’âme passionnée de Clémenceau mais incarne aussi l’âme immor- (21) Jacques Cox, Discours
de défense des idéaux démocratiques. Dès 1944, des voix s’élevèrent quant à la telle de la France(21) tandis que Churchill est présenté comme l’homme qui a montré du 11 octobre 1945
pertinence de décerner les insignes de DHC à tous les vainqueurs de la guerre(17) . au monde entier durant l’été 1940 que la liberté, l’honneur et le devoir étaient plus
Mais un certain pragmatisme va prévaloir : la guerre étant encore en cours, il serait précieux que la vie même(22) . Pour le recteur Cox, le courage britannique, person- (22) Jacques Cox, Discours
malvenu de décrier l’une ou l’autre composante des armées alliées, et ce d’autant nifié par Winston Churchill, ne sera pas étranger à la décision de l’Université de du 15 novembre 1945
plus qu’au cours de l’occupation, des mouvements de résistance politiquement op- fermer ses portes sous l’occupation.(23) Résistance et défense d’idéaux tels que
posés avaient combattu un ennemi commun. la démocratie ou la liberté(24) sont ici fortement mises en évidence : elles demeu- (23) « May I say that if they
reront désormais au cœur des préoccupations de l’Université et l’amèneront par decided in those grim
La situation politique de l’immédiat après-guerre se reflète dans les cérémonies après à décerner le titre de docteur honoris causa à de nombreuses personnalités days of December, 1941
d’attribution des insignes. Alors que le regroupement de ces personnalités semble emblématiques dans ces domaines. to risk not only their own
initialement avoir été effectué pour signifier une victoire commune sur le nazisme, la lives, which were of little
remise des insignes montrera comment, en un an à peine, un revirement drastique Résistance, défense de la démocratie et droits de l’homme import, but also the lives
s’est opéré. Pour des raisons purement politiques, la présence de Staline comme celle of those most dear to
de Tchang Kaï-chek en Belgique deviennent impensables. Le décès de F. D. Roosevelt Dans de nombreux cas, l’ULB entend, par l’octroi du titre de docteur honoris them, it was because you
en avril 1945 annule de facto la présence d’un des protagonistes des cérémonies à ve- causa, honorer des personnalités ayant œuvré pour la défense de la démocratie. Ces and your nation, arrayed
nir. In fine donc en 1945, sur les cinq récipiendaires d’origine, seuls deux d’entre eux, personnalités seront tantôt des opposants à des dictatures de gauche ou de droi- in battle beside you, had
Charles de Gaulle et Winston Churchill, sont encore à même de participer à une céré- tedroite, tantôt des hommes politiques ayant eu à cœur de renforcer le processus set them the first and
monie en leur hommage. Le refus de Charles de Gaulle d’entrer dans « une “série” de démocratique au sein de leur pays. most inspiring
nominations »(18) amènera l’Université à organiser deux hommages distincts pour ces example ? », J. Cox
Discours du 15 novembre
1945.
« infernale » souvent associée, comme le rappelle l’auteur du discours prononcé tance chilienne, la mobilisation en faveur des réfugiés l’Université qui se veut
en l’honneur de Simon Wiesenthal (1994) : « Dès sa fondation, l’Université libre de politiques se déploie bien au-delà des sphères impli- à l’époque à la pointe
Bruxelles se posa donc en ardent défenseur de la liberté d’enseignement – bientôt quées dans l’entourage d’Allende. Le choix du nom de la défense des
appelée libre examen – et de la pensée libre, de sorte que son existence fut toujours d’Allende pour baptiser la « salle culturelle » au cœur idéaux démocratiques
intimement associée à ceux qui défendent ces mêmes principes. Ensuite ses prises de l’Université le reflète assez… On sait moins que le reste marquée par le
de positions devant la montée des régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres. conseil d’administration décide de « réserver » des contexte de l’immédiat
Avec un enracinement aussi profond de défense de la liberté et de la tolérance, il mandats à des chercheurs ou professeurs : trois d’en- après-guerre et se
était fatal que l’Université réagisse à l’égard de ces événements. (…) Mais aussi et tre eux seront destinés à des « universitaires chiliens prend à féliciter Charles
surtout sa détermination durant la période d’occupation allemande, où en raison de ayant été emprisonnés »(30). Quant à Sakharov, il est de Gaulle comme « le
ses prises de position courageuses, l’ULB allait être exposée à de constantes repré- l’incarnation d’un triple engagement en faveur de la mainteneur de la France
sailles de la part du pouvoir allemand. »(25) science au service de l’humanité, des droits de l’hom- et de son Empire ».
L’octroi, à titre posthume du titre de DHC à Salvador Allende (1975), président de prix Nobel de la paix en 1975. du 11 octobre 1945
social et culturel de son pays, dans le respect des libertés individuelles et désirant complexe : résistant, coauteur du Manifeste pour une du 28 février 1994
honorer – sans porter de jugement sur ses opinions politiques – l’homme qui a as- Europe libre et unie aujourd’hui connu sous le nom de
sumé jusqu’aux plus lourdes conséquences un idéal de démocratie politique »(26). Manifeste de Ventotene, homme politique européen (26) André Jaumotte,
C’est évidemment aussi le cas pour Nelson Mandela (1984) : en effet, « tel est d’Union européenne adopté le 14 février 1984, il est cé- 31 janvier 1975
l’homme [Nelson Mandela] que le régime raciste d’Afrique du Sud s’est arrogé le lébré comme « le défenseur de la liberté, l’adversaire
droit de condamner à la prison à vie et que l’Université de Bruxelles s’enorgueillit de tous les dogmatismes, l’homme chaleureux, le (27) (28) Hervé Hasquin,
aujourd’hui d’honorer, car la lutte de Nelson Mandela et celle de son peuple pour combattant courageux, que l’Université veut honorer Discours de 1984
l’égalité raciale, pour la justice et la liberté en Afrique du Sud, est aussi celle de en vous conférant aujourd’hui sa plus haute distinc-
notre Université et celle de l’humanité »(27). La même année, on honore Andreï tion »(31). Quant à Simone Veil (1984), « s’il fallait vous (29) Prise de position du
Sakharov qui, « comme Gandhi et Martin Luther King, (…) mène un combat à la fois caractériser en quelques mots, nous dirions : le cou- gouvernement belge,
politique, humaniste et social. Mais là s’arrêtent les ressemblances car si les deux rage dans l’épreuve, une totale indépendance d’esprit, Conseil des ministres du
premiers ont devant eux et parfois avec eux une presse libre, des institutions indé- le sentiment que la vérité n’est jamais toute entière 14 septembre 1973
pendantes, une opinion publique qui s’exprime, Andreï Sakharov est condamné à du même côté ». Personnalité symbolisant le drame
un combat solitaire avec pour protection fragile sa renommée mondiale de savant de la Shoah, elle est aussi et surtout perçue comme (30) Rapport annuel, 1973-74
et d’humaniste et comme réconfort l’amour anonyme des humbles, et peut-être, si une femme de conviction qui fera adopter « contre son et 1975-76, pp. 58 et sv.
la nouvelle lui parvient un jour, le diplôme de docteur honoris causa de l’Université camp » – elle est alors ministre de la Santé nommé par
du libre examen. »(28) Valéry Giscard d’Estaing – la « loi Veil », promulguée (31) Hervé Hasquin,
Allende, Mandela, Sakharov sont des figures aisément identifiables, des éten- sous certaines conditions. Première femme à présider
dards symboliques. La chute d’Allende suscite une vague d’émotion et de soutien au le Parlement européen élu au suffrage universel, Si- 1. Mur de Berlin, 1991 : « Merci
Andreï Sakharov »
sein des mouvements progressistes et démocrates en Europe notamment, et débou- mone Veil est porteuse de valeurs à la fois éthiques 2. Salvador Allende (à g.) et Pablo
che sur des prises de position gouvernementale ;(29) outre les réseaux constitués et sociales. Neruda, ca. 1970
de personnalités symboliques : membre actif de la résistance à Mussolini, président de même pour Shimon Peres, le (futur) prix Nobel de la paix 1994, dont l’Université du 19 novembre 1987
de la République italienne, Sandro Pertini (1987) est salué comme celui « dont le souligne, à l’occasion de son cent-cinquantième anniversaire en 1984, « [le] courage
nom est attaché au combat antifasciste et symbolise l’attachement aux valeurs dans la recherche de la paix et [les] efforts constants pour que se développe une (33) (34) Georges Verhaegen,
démocratiques »(32). Il en va de même pour Doina Cornea, résistante pacifique à la tolérance mutuelle entre les États »(40). Discours de 1989
lent imposer à leur pays tout entier,(33) ou encore pour Fang Li-Zhi, défenseur de un peu tardivement parmi les vainqueurs de la guerre, est aussi célébré comme Discours du 5 novembre 1990
la liberté d’expression tant en termes de politique que pour les problèmes de so- « la grande figure de celui que l’Université libre de Bruxelles a voulu honorer, en lui
ciété.(34) C’est d’ailleurs ce qui justifie, dans un mouvement de continuité le choix conférant la plus haute distinction académique qu’elle peut accorder et que mérite, à (36) Hervé Hasquin, Discours
du « président Alexander Dubc̆ek, l’un des plus illustres précurseurs du printemps tous égards, l’infatigable défenseur de la liberté, du progrès social et de la paix »(41). du 5 novembre 1990
des peuples de 1989, le père du “printemps de Prague”, qui en 1968 déjà prêchait Quant à Allende, il catalyse les valeurs de l’Université car il est « l’homme qui, tout
la liberté d’expression et la démocratie »(35) … et, comme le dit explicitement le dis- au long de sa vie, a été guidé par un idéal qui est aussi celui de notre institution et (37) Albert Mingelgrün,
cours de réception, il s’agit d’un choix qui « prolonge le geste qu’elle avait posé l’an qui peut s’énoncer en quelques mots : liberté, justice, démocratie et progrès »(42). Discours, « Hommage au
dernier envers Doina Cornea et Fang Li-Zhi et réaffirme l’attachement particulier cinéma européen »
qu’elle porte à ceux qui expriment et symbolisent dans leurs actes et leur pensée Du libre examen et de la liberté de la recherche
la valeur de la liberté »(36). Il faut rajouter ici les figures d’Arthur Haulot, honoré en (38) Charles Frerichs,
1996 en compagnie de Marek Edelman, ou encore celle de Robert Maistriau, l’auteur Mais il s’agit aussi de mettre en évidence le libre examen. « Salvadore Allende Discours du
de l’arrêt du XXe convoi de déportation la nuit du 19 au 20 avril 1943. C’est aussi ce l’avait affirmé clairement lors de ses entretiens avec Régis Debray : “J’appartiens 10 novembre 1947
que symbolisent les « dissidents de l’Est » que sont Borislaw Geremek, Árpád Göncz personnellement à une tradition maçonnique. Mon grand-père, le docteur Allende
et Václav Havel : la dislocation des régimes communistes d’Europe centrale met à Padin, a été grand maître de l’Ordre maçonnique au siècle dernier, à une époque où (39) Hervé Hasquin,
l’honneur en 1991 les hommes résistants politiques et démocrates est-européens être franc-maçon signifiait lutter. Les Loges maçonniques (…) ont été les piliers de Discours de 1984
polonais, tchèques et hongrois. On peut y associer encore l’hommage rendu à An- l’indépendance et de la lutte contre l’Espagne”. Ajoutons que ce grand-père était
drzej Wajda (1995), celui d’un « cinéma poétique engagé contre la dictature » tout sénateur du Parti radical et qu’il avait fondé en 1871 la première école laïque du Chili. (40) Hervé Hasquin, Discours
comme l’est celui de Théodore Angelopoulos (1995) « depuis Jours de 36 dont nous Son père avocat était libre penseur. Allende est ainsi l’héritier de toute une tradition du 19 novembre 1987
avons salué le courage autant que le pouvoir enchanteur de leurs images »(37). libérale progressiste qui, au Chili, s’est souvent incarnée dans la franc-maçonne-
rie et le radicalisme. »(43) Quant à Willy Brandt, on dira de lui que « l’homme rejette (41) Charles Frerichs,
De l’idéal de tolérance, de la défense de la paix et de la démocratie, du progrès le dogmatisme, ne prétend jamais avoir l’apanage de la seule vérité intangible. Le Discours du
social et de la société libre-examinisme qui l’anime le range parmi les meilleurs d’entre nous. »(44) Cette 10 novembre 1947
qualité de la pensée, prise au sens strict, est mise en évidence par Françoise Thys-
Il peut sembler vain de distinguer lutte contre les fascismes et défense de la Clément en 1992, lorsque l’Université honore Hubert Reeves dont il est souligné que (42) (43) André Jaumotte,
démocratie mais l’accent des discours prend parfois une connotation plus marquée « tant dans la parole que dans les écrits, votre message est empreint de l’esprit et discours du 31 janvier 1975
en faveur de la tolérance et de la paix : ainsi d’Allende « [qui] a cherché à faire de la des exigences du libre examen qui allie l’honnêteté intellectuelle, la générosité, le
tolérance et de la modération les principes directeurs de son activité, s’exprime- partage des connaissances, des enthousiasmes et des doutes, et la fraternité »(45). (44) Hervé Hasquin,
t-il autrement que l’ont fait, depuis 1834, à cette tribune, Théodore Verhaegen, le Cette qualité surpasserait-elle même l’action publique : à propos de Federico Mayor, Discours de 1984
fondateur de l’Université et ses successeurs ? »(38) Ou encore de Willy Brandt (1984) « en vous remettant ce jour les insignes de docteur honoris causa qui font de vous un
dont « l’attachement opiniâtre au socialisme humaniste s’inscrit dans la continuité des membres de notre communauté, l’Université se réjouit d’accueillir et d’honorer (45) Françoise Thys-Clément,
des principes fondamentaux de la social-démocratie allemande qui, depuis plus plus encore que le directeur général de l’UNESCO, un intellectuel du questionnement Discours du
d’un siècle, entend promouvoir la liberté, l’équité ; vous y avez ajouté la dimension et de l’action solidaire, un “cœur conscient”, œuvrant pour le rapprochement », un 19 novembre 1992
Au début des années 1980, l’Université marque son ancrage dans le terrain de que la distinction honorifique ne lui revient pas à titre
la construction européenne car « particulièrement attentive au devenir de l’Europe personnel mais bien au pays(60) ou au combat(61) qu’il (56) Hervé Hasquin, Discours
en raison même de sa situation au cœur de la capitale de l’Europe des douze, l’Uni- représente. du 19 novembre 1987
versité libre de Bruxelles ne peut être indifférente à la dimension nouvelle que revêt
le concept européen à la suite des bouleversements géopolitiques extraordinaires Les archives de l’ULB ne permettent malheureuse- (57) Hervé Hasquin,
dont nous avons été les témoins cette année. C’est pourquoi l’Université participe ment pas de reconstituer une liste des récipiendaires Discours de 1984
entre autres activement aux programmes d’échange mis sur pied par la Communau- pressentis qui auraient refusé le titre (si tant est qu’il
té européenne en direction des pays de l’Europe centrale et de l’Est. »(55) y en ait eu). En revanche les discours de certains réci- (58) (59) Hervé Hasquin,
piendaires ont été conservés. À leur lecture, il est pos- Discours du 19 novembre
Plusieurs personnalités ayant contribué à la construction européenne sont sible de dégager l’image perçue(62) par les personnes 1987
alors honorées. Les discours prononcés par les autorités académiques servent par honorées par l’institution. De manière assez logique
ailleurs à rappeler l’existence de l’Institut d’études européennes, présenté comme certains points pour lesquels l’Université a jugé impor- (60) Le Canada pour
partie prenante au développement européen (56) tandis que la position de l’ULB en tant de décerner un titre de docteur honoris causa sont Mackenzie King, le
tant qu’université la plus « internationaliste » de Belgique est soulignée. Apparaît perçus comme représentatifs de l’Université par les Portugal pour Mário
bien sûr la personnalité d’Altiero Spinelli : « Comme la construction européenne ne récipiendaires. Parmi les thématiques fréquemment Soares, le Sénégal pour
peut et ne doit se faire ni par l’insurrection ni par la conquête militaire, mais par un mentionnées plusieurs ne sont pas spécifiques à l’ULB Abdou Diouf
contrat social entre les États qui décident librement de mettre ensemble une partie (excellence de l’enseignement ou de la recherche par
de leur souveraineté, il y a lieu de créer au niveau de l’Europe une volonté générale exemple), tandis que d’autres semblent plus propres à (61) Alexander Dubček
communautaire. Cette volonté, le Parlement européen doit en être le creuset et l’ex- l’ULB même (libre examen, résistance sous l’occupa- évoquant les autres
pression. Promoteur de l’idée fédéraliste, vous pourfendez l’illusion confédérale, tion). Nous nous attarderons sur ces dernières. réformateurs du
que vous qualifiez de “système anarchique, donc inefficace”. »(57) Il faut y ajouter Printemps de Prague
« Mário Soares, homme de liberté et de l’intégration dans la Communauté européen- Libre examen
ne d’un pays soucieux de s’ancrer solidement dans l’Europe démocratique »(58) ou (62) Cette image est
encore, bien évidemment, Willy Brandt et Simone Veil. Pour l’Université, le libre examen constitue une naturellement biaisée
Au-delà de la construction européenne, l’ULB aura aussi a cœur de montrer son pour certains récipiendaires, cette spécificité propre à reflet des positions de
ancrage linguistique en honorant des personnalités dont l’action a permis de pro- l’ULB mérite d’être soulignée. Elle prend dans certains personnalités ayant
mouvoir et de défendre la langue française, comme c’est le cas pour « Abdou Diouf discours une place centrale et le concept de libre exa- accepté de recevoir
dont le pays a toujours joué, en Afrique, un rôle moteur dans la promotion de la men même est mis en avant comme l’une des valeurs le titre de DHC de
Si les discours prononcés par les autorités académiques permettent d’entrevoir Pour Charles de Gaulle, la défense du libre examen
les motivations déclarées de l’ULB, les discours prononcés par les récipiendaires paraît devenir une prérogative de l’ULB : « elle [l’Uni-
offrent un éclairage tout aussi intéressant quoique parfois fort différent. Accepter versité libre de Bruxelles] a su mener son combat, je
un honneur d’une institution quelle qu’elle soit suppose à tout le moins une adhé- veux dire le combat sur le domaine dont elle avait la Abdou Diouf
car on gagne toujours, en définitive, quand on ne se met pas dans le parti de la ser- l’esprit qui examine, en toute indépendance, en toute sérénité, en toute “conscien- Discours du
vitude »(63). Churchill pour sa part mentionne le libre examen essentiellement pour ce”. » (69) 11 octobre 1945
lorsqu’il évoque les hommes et les femmes qui ont œuvré pour que la liberté de principles for which the
jugement dans l’enseignement puisse s’imposer.(65) À l’inverse, Shimon Peres dé- Les valeurs mises en avant par l’Université dans ses choix concernant les per- University stands was
bute son allocution en annonçant qu’il est « fier d’entrer dans la maison du libre exa- sonnalités honorées lui sont souvent renvoyées lors des discours de réception. “the free examination
men »(66). Edgar Morin rappelle « [qu’]en 1834 une poussée libérale et démocratique Mário Soares louera ainsi « l’université qui à l’instar de Jean Jaurès, Léon Blum ou of thoughts and ideas” ».
amène à la création de l’ULB à Bruxelles. La laïcisation est à la base de la réforme ; Émile Vandervelde a toujours été ouverte aux idéaux civiques et à la promotion Winston Churchill,
elle établit l’autonomie de l’université vis-à-vis de la religion et du pouvoir ; elle ins- humaine et sociale » (70) . De même Shimon Peres placera-t-il l’ULB à la pointe du Discours du 15 novembre
taure la liberté intérieure (le principe du libre examen), elle installe de façon centrale combat pour la démocratie en la louant de s’être dressée avec courage et lucidité 1945
La position de l’Université sous l’occupation semble avoir particulièrement mar- (66) Shimon Peres, Discours
qué les esprits. La cohérence entre le discours libre-exaministe et la décision de du 19 novembre 1987
pour des actions visant à promouvoir la liberté ne manqueront pas de rappeler le du 20 janvier 1993
passé de l’ULB.
(68) Charles de Gaulle,
Que ce soit Charles de Gaulle : « sa résistance jointe à toutes ses actions in- Discours du
citèrent notre résistance ; sa résistance fut en effet un des piliers autour de quoi 11 octobre 1945
purent s’accrocher les esprits et les cœurs, contre un adversaire qui avait su utili-
ser tout ce que les moyens mécaniques du moment pouvaient donner d’avantages (69) Federico Mayor,
initiaux à la surprise et à la terreur, mais contre lequel l’opposition des hommes Discours du
libres a réalisé ceci : que d’oppresseur il ne put jamais devenir conquérant. » (68) 12 mars 1992
Ou Winston Churchill : « Let us be thankful that there were institutions like Brus-
sels, like Leiden, like Prague, where the tradition of liberty was so firmly rooted (70) Mário Soares, Discours
that no thought of compromise could be entertained. The waves of totalitarianism du 19 novembre 1987
beat against them in vain and the example they set was soon followed by the rest
of their fellow-countrymen. » Pour les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, (71) Shimon Peres, Discours
conflit. Quant à Federico Mayor, il rappelle : « Quelle fierté pour le directeur géné-
ral d’une organisation assimilée dès l’origine au foyer de l’esprit, d’être honoré
1. Edgar Morin
par une institution dont la liberté est la raison d’être ! (…) Il est sain de revenir à 2. Federico Mayor et Catherine
celle qui fonde votre Université, est inscrite dans vos statuts et inspire chacune Deneuve, 1994
ou encore la démocratie.(78) L’allocution d’Edgar Morin quelques mois plus tard po- gentlemen, the champions
Dans certains cas, la réception du titre de docteur honoris causa servira de pla- sera la question de la place de l’université dans la société, « L’université doit-elle of freedom can never afford
teforme pour faire passer un message. Ces messages auront parfois un lien direct s’adapter à la société ? ». Simon Wiesenthal prendra lui la parole pour insister sur to sleep. (…) Institutions
avec les motivations ayant amené l’octroi du titre (on songe par exemple au discours l’importance de la lutte contre l’oubli, la justice et l’expiation du plus grand crime like Brussels University
de Winston Churchill incitant à rester en garde contre toutes les formes de totalita- de l’histoire humaine. Il rappellera que « la liberté n’est pas un don du ciel, il faut se which have so manfully
risme(72)) mais pourront parfois sembler tout à fait étrangers à la cérémonie même. battre pour elle chaque jour de notre vie »(79). withstood the assaults
Pour certains DHC, le discours s’adresse directement au public naturel d’une univer- of Nazidom have special
sité à savoir les jeunes étudiants. Ainsi Mackenzie King termine-t-il sa présentation En guise de conclusion provisoire… importance, therefore in
en recommandant aux étudiants d’embrasser une carrière diplomatique. Sandro a Europe emerging from
Pertini profitera pour sa part de la tribune offerte par la cérémonie pour lancer un Cette première approche de l’histoire des DHC de l’Université mériterait un véri- a long, terrible affliction
plaidoyer en faveur de la réalisation d’une constitution politique pour l’Europe par table approfondissement. Nous en tracerons ici quelques pistes. Il serait notamment and illness. Always be on
les jeunes.(73) intéressant d’étudier dans quelle mesure les récipiendaires s’approprient le titre de guard against tyranny
DHC de l’ULB. Dans la plupart des cas, aucune mention explicite n’y est faite dans in whatever shape it
L’intervention du roi Baudouin présentera pour sa part une réelle dimension po- les discours, à quelques exceptions près. C’est le cas de Winston Churchill qui pré- may assume. » Winston
litique.(74) Après un bref rappel des liens tissés entre la dynastie et la science, son cise sa nouvelle appartenance et les implications de celle-ci lors de son discours, (80) Churchill, Discours du 15
exposé se voit entièrement consacré à la question congolaise. La date de remise ou bien de Sandro Pertini qui affirme sa fierté d’appartenir désormais à la commu- novembre 1945
des insignes n’est évidemment pas étrangère à la tonalité du discours qui se veut nauté d’études et de vie académique de l’ULB,(81) ou encore de Federico Mayor qui
un appel pour « résoudre avec unanimité le problème du Congo » et un rappel pour mentionne sa joie et sa fierté d’appartenir suite à la cérémonie à une communauté (73) Sandro Pertini, Discours du
que le Congo reste « le champ d’élection pour une action vitale des forces jeunes, universitaire prestigieuse.(82) Si pour certains, la « communauté de valeurs » justi- 19 novembre 1987
compréhensives et généreuses de la Belgique », les valeurs de l’ULB se présentant fie sincèrement une adhésion à cette communauté particulière qu’est l’ULB, pour
comme les grandes absentes de ce texte. d’autres la question se pose. Qu’en est-il alors de cet hommage : ne s’agit-il que de (74) Roi Baudouin, Discours du
d’origine et la Belgique ou à confirmer des liens d’amitiés de longue date.(75) Abdou ceux-ci ne sont pas formalisés et relèvent de la coutume et non pas de la « loi » (ou King, le Portugal pour
Diouf souligne en revanche l’importance des rapports entretenus par l’Europe et du règlement en l’occurrence). Ceci nous amène à poser la question de l’existence Mário Soares
l’Afrique.(76) À ses yeux, la cérémonie est un symbole éloquent du dialogue Nord- d’une « ligne de faîte » déterminant l’octroi du diplôme. Si errements il y eut – il ne
Sud, un dialogue qu’il convient d’approfondir et de pérenniser pour le bien commun ; s’agit pas ici de justifier ou de condamner –, on peut aisément les comprendre au (76) Abdou Diouf, Discours du
quant à Shimon Peres, il « rêve d’un Bénélux proche-oriental, d’un marché commun vu du contexte, comme ce sera le cas de l’un ou l’autre vainqueur de la seconde 19 novembre 1987
moyen-oriental. Et même si cela ne doit jamais se réaliser que progressivement, ne guerre mondiale. Encore faut-il préciser que, dans le cas de Staline par exemple, la
cessons jamais de considérer combien est préférable cette association à la longue condamnation du dirigeant soviétique relève d’une lecture a posteriori qui était loin (77) Shimon Peres, Discours du
épreuve qui l’a précédée. Au Moyen-Orient aussi, il est permis de rêver. Car même de faire l’unanimité en 1945. Dès lors, on peut s’interroger sur l’étonnante constance 19 novembre 1987
au Moyen-Orient, le pire n’est pas toujours inéluctable. »(77) des « valeurs » que partagent les récipiendaires, a fortiori lorsque l’on sait, comme
nous le soulignions en introduction, que ces valeurs ne sont pas mises en évidence (78) Federico Mayor, Discours
En 1992, l’opportunité d’utiliser la cérémonie de remise des DHC pour faire pas- comme présidant aux choix des personnalités distinguées. Les motivations particu- du 12 mars 1992
ser un message de fond est intégrée à un tel point qu’à l’issue de celle-ci, un dis- lières dans le choix des DHC relèvent donc de l’air du temps et d’un contexte qu’il ne
cours du récipiendaire est programmé. Federico Mayor prendra ainsi la parole sur convient pas de juger et qui demeure, par définition, imprévisible. (79) Simon Wiesenthal,
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