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avenir proche ou plus lointain. Mais que les conflictualités contemporaines peuvent
aussi être utilement analysées selon des grilles de lectures différentes ; tout en
conservant le prisme selon lequel la guerre se définit en tant que phénomène pou-
vant entraîner une remise en cause de la nation ou de l’État, de sa liberté d’action
et de l’efficacité de l’économie de ses moyens.
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OPINIONS
maritime est certes ancrée dans le temps long. L’Angleterre dispose déjà d’une
marine de guerre permanente sous le règne d’Édouard III (1312-1377), marine de
guerre dont la fonction première telle que théorisée plus tard par l’amiral américain
Mahan (1840-1914) est de protéger la libre circulation du commerce maritime.
Ainsi depuis l’invention en 1956 par l’américain Malcom McLean du
conteneur, l’utilisation massive de cette modalité de transport a radicalement
modifié les possibilités et l’importance du trafic maritime et donc permis l’explo-
sion du commerce mondial. La règle habituelle des 80/20 semble même ici dépas-
sée par le phénomène ; ainsi, 90 % des échanges mondiaux en tonnage sont désor-
mais effectués par voie de mer (6). De même, « retirez d’une grande surface ce qui
a transité par mer, il ne restera qu’environ 10 % des marchandises sur les éta-
gères ! » (7). Un porte-conteneurs de 16 000 EVP (équivalent vingt pieds, unité de
mesure spécifique aux conteneurs, représentant approximativement 38,5 m3)
représente la contenance de 10 700 camions poids lourds ou de 200 trains de mar-
chandises. Un porte-conteneurs de taille plus médiane « charge l’équivalent de
6 000 camions semi-remorques ou de 1 000 Airbus A380 Cargo. Le coût de trans-
port d’un conteneur de 20 tonnes entre la Chine et l’Europe équivaut à celui d’un
seul passager par avion ».
Par ailleurs sont installés « au fond des mers le maillage par où transitent
99 % des communications mondiales. Sans ces tuyaux sous-marins à grand débit,
il n’y aurait tout simplement pas d’Internet ». Et donc de médiatisation immédia-
te et permanente, caractéristique forte également de notre époque.
La financiarisation, quant à elle, a reposé sur trois principes préalables.
La généralisation de la bancarisation pour les particuliers. En France par
exemple, cette politique promue par les pouvoirs publics dans la deuxième partie
des années 1960 (obligation de versement sur des comptes bancaires du salaire à
partir d’un certain montant, autorisation de détenir un compte bancaire en nom
propre pour une femme…) a conduit en quinze ans à une bancarisation quasi
généralisée. Notons que ce phénomène a probablement constitué la première uti-
lisation à échelle « industrielle » des systèmes informatiques à destination des par-
ticuliers.
La dérégulation politique menée par les États occidentaux – la France étant
pionnière en la matière – du fonctionnement des marchés financiers dans les
années 1980, qui a ensuite permis à ces mêmes États d’emprunter massivement à
partir des années 1990.
Le développement de l’utilisation des produits dérivés par les banques dans
les années 1990, d’abord sous le nom de « basket trading », a conduit à l’utilisation
encore plus massive de telles stratégies, désormais connues sous l’appellation de
« Trading haute fréquence ». Pour ne retenir qu’un seul chiffre, et en se focalisant
sur le seul marché des devises, les volumes échangés quotidiennement sur les places
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financières sont désormais de 5 300 milliards de dollars. En termes de tendance,
ces mêmes volumes s’élevaient à 1 500 milliards par jour au milieu des années
1990, avec une baisse temporaire – suivant les rapports de la Banque des règle-
ments internationaux (BRI) – à 900 milliards constatée après l’introduction de
l’euro financier le 1er janvier 1999 (par disparition des transactions sur les mon-
naies nationales des pays fondateurs). À titre de comparaison, l’Insee estime à
10 554 milliards d’euros (soit 14 340 milliards de dollars au cours actuel) le patri-
moine total de la population française en 2012.
La numérisation, enfin, peut se définir comme la compression du temps
et de la distance rendue possible par les Technologies de l’information et de la
communication (TIC). Via le cyberespace, elles constituent le premier milieu,
désormais indépassable, entièrement construit par les humains, qui jusqu’à présent
avaient expérimenté l’adaptation – et la transformation – aux milieux naturels pré-
existants. Elle se traduit là aussi par la médiatisation ou par l’infobésité, maladie à
laquelle seraient soumises les organisations ou organismes qui, ayant perdu de vue
repères et intentions, se trouveraient incapables de digérer les volumes d’informa-
tions proposés. Cette numérisation s’incarne également dans les objets embléma-
tiques du quotidien pour tout un chacun (smartphones, tablettes…), ou pour cer-
tains seulement, à ce stade (drones, imprimante 3D…).
À noter que l’équivalent des smartphones et tablettes actuels constituait
encore dans la première moitié des années 1990 l’apanage exclusif de cercles très
restreints (services de renseignement, unités militaires spécifiques, salles de mar-
chés…). Ce phénomène illustre la vitesse des transformations en cours ; tout
comme l’état moribond de la société Blackberry (8), pourtant acteur principal de
l’introduction massive de la messagerie électronique professionnelle nomade dans
le monde des entreprises, dix ans plus tôt seulement.
Cette grille à trois mots croisés a-t-elle entraîné l’apparition ou le renforce-
ment d’acteurs-clés face aux États, parallèlement aux organisations politiques non
gouvernementales précédemment citées ?
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OPINIONS
dépasse la valeur totale du commerce international. La Conférence des Nations
Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) évalue à 40 % la valeur glo-
bale des échanges intra-groupe par rapport au commerce international » (9).
L’importance de ces transferts intra-groupe constitue un point majeur pour
un des attributs de souveraineté des États constitués, la collecte de l’impôt. Car un
même groupe peut certes choisir d’optimiser les résultats de ses filiales dans les pays
présentant les taux d’imposition les plus attractifs pour lui. Mais la fixation de prix
de transfert des biens et services entre ces mêmes filiales, difficilement contrôlables
quant à leur pertinence réelle, constitue un puissant levier à la disposition d’une
société multinationale pour privilégier encore plus les territoires étatiques à la fis-
calité la plus avantageuse.
« 1000 $ le seau et 52 $ le lance-missiles… ». Les prix de ce seau et du
lance-missiles ont été dévoilés lors d’une enquête de l’administration des douanes
américaines. Ils sont une parfaite illustration de la manière dont des multinatio-
nales évitent de payer des impôts sur la base de leur activité réelle dans les pays où
elles opèrent. Les seaux en question étaient achetés à un prix dérisoire à une filiale
tchèque par une filiale dans les îles Caïman qui les cédaient à la filiale américaine
à ces tarifs prohibitifs. La seule entité à engranger de gros bénéfices dans l’affaire
est comme par hasard la filiale des Caïman très peu imposée. Dans le cas des lance-
missiles, le chemin se faisait en sens inverse des États-Unis en passant par un para-
dis pour aboutir en Israël. Cette technique est d’autant plus commune que selon
l’OCDE 60 % des échanges mondiaux s’effectuent au sein d’un groupe plutôt
qu’entre deux sociétés indépendantes. La technique des prix de transferts se déve-
loppe sur des produits ou des services beaucoup plus délicats à évaluer comme des
brevets ou de des droits d’utilisation de propriété intellectuelle (10).
Autre illustration de ce phénomène de double-défiscalisation : en mai der-
nier, Apple annonçait un emprunt obligataire record de 17 milliards d’USD,
deuxième emprunt obligataire le plus important de l’histoire financière en termes
de montant émanant d’une société commerciale privée. Pourtant, le groupe Apple
affichait 145 milliards de dollars de liquidités sur ses comptes à fin mars 2013. Une
grosse partie des fonds se situant sur des comptes à l’étranger, il aurait été jugé en
effet préférable d’emprunter plutôt que de les rapatrier. « La dette est très bon
marché en ce moment aux États-Unis et l’argent d’Apple à l’étranger rapporte pro-
bablement plus en intérêt que ce que l’emprunt va lui coûter. En plus, ramener
l’argent aux États-Unis occasionnerait des taxes élevées, rendant l’opération encore
moins attractive financièrement », reprenait ainsi l’AFP.
Pour des États déjà lourdement endettés, le non-accès à ces « gisements
fiscaux vitaux » constitue un manque à gagner majeur en termes de collecte de
l’impôt, et donc de ressources disponibles pour leurs budgets et leurs populations.
En France par exemple, les multinationales constituant le CAC 40 sont en moyenne
imposées à hauteur de 8 % de leurs bénéfices, alors que le taux normal d’impôt des
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sociétés (IS) est de 33 %, et que les petites et moyennes entreprises (PME) en rever-
sent 22 % en moyenne (11).
Dès lors, les sociétés multinationales constituent-elles des organisations ou
des organismes hors-sol, qui pourraient continuer à fonctionner et se développer
sans le substrat des territoires et des États ? Inversement, les États et leurs popula-
tions sont-ils condamnés définitivement à l’affaiblissement face à ces sociétés ?
* INDICE SWIFT
Les trois devises principales utilisées pour le commerce international, à la même date, sont l’Euro (36,56 %), l’USD
(36,44 %) et le GBP (8,28 %), le JPY arrivant en 4e position.
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OPINIONS
de dollars en octobre 2012. Principale explication : la fermeture par précaution
pendant quelques jours seulement, mi-septembre, de leurs usines en Chine par les
sociétés japonaises, suite à des manifestations illustrant la tension entre les deux
pays au sujet de territoires maritimes.
D’après le groupe Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie géné-
rale maritime (CMA CGM), sur 150 millions de containers transitant au total
chaque année dans le monde, 23 millions passent par le seul port de Shanghai.
La principale mission militaire de l’Union européenne, depuis plusieurs
années et dans un cadre fixé par l’ONU, est la mission Atalante pour la lutte contre
la piraterie maritime au large de la Corne d’Afrique.
Nous retrouvons ici la prégnance et l’importance du triptyque numérisa-
tion, financiarisation et mondialisation dans les relations internationales actuelles,
au travers de l’interdépendance économique globale. Interdépendance harmonieuse,
ou perte de souveraineté liée à des dépendances excessives, des termes de l’échange
trop déséquilibrés ; voire même sentiment de colonisation.
Selon la réponse, nous risquons, comme au temps de la guerre froide, de
perdre de vue une dimension essentielle, peut-être systémique, des buts de guerre :
la recherche d’indépendance économique.
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
(1) Michel Goya : « La France et la guerre depuis 1962 – Les conflits interétatiques », La Voix de l’Épée, 12 novembre
2013.
(2) Adam Tooze : « Le salaire de la destruction – Formation et ruine de l’économie nazie », Les Belles Lettres, octobre
2012.
(3) Benoist Bihan : « Le vide stratégique français à la lumière du Livre blanc 2013 », La Plume et le Sabre, 6 décembre
2013.
(4) Jean-François Phélizon : Un Nouvel art de la guerre ; Éditions Nuvis, janvier 2014.
(5) Jeanny Lorgeoux et André Trillard : « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans », rap-
port du Sénat, juillet 2012.
(6) Tristan Lecoq : « Enseigner la mer. Des espaces maritimes aux territoires de la mondialisation », revue L’Archicube,
décembre 2013.
(7) Emmanuel Desclèves : « Demain, la mer », revue L’Archicube, décembre 2013.
(8) AFP : « Télécoms : BlackBerry perd 4,4 milliards, s’associe à Foxconn », 20 décembre 2013.
(9) El Hadji Dialigué : thèse de doctorat en droit soutenue le 7 juillet 2001, Université Paris Est.
(10) Anne-Sophie Bellaiche : « Des lance-missiles à 52 $, le miracle fiscal des prix de transferts », L’Usine Nouvelle,
18 avril 2012.
(11) Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, octobre 2010.
(12) Catherine Morin-Desaillyon : « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? », Commission des
affaires européennes du Sénat, 20 mars 2013.