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dmt études et enquêtes TF 161

Le risque de troubles
musculosquelettiques
chez les chauffeurs
de bus:une réalité
Cet article est une revue de la littérature
sur le risque de troubles musculosquelettiques (TMS)
chez les chauffeurs de bus. Il fait suite à des
demandes de médecins du travail relatives à ce risque.
© ROLLE - RÉA

veillance épidémiologique conduite par l’Institut de M.APTEL,


A.AUBLET-CUVELIER,
En résumé veille sanitaire (InVS) a confirmé la réalité de ce risque D.WALDURA.
[3]. Parallèlement, les recherches sur la plausibilité bio-
Cette monographie étudie le risque de TMS chez les logique du lien entre la sollicitation et les affections ré- Laboratoire de bioméca-
chauffeurs de bus. Elle concerne principalement les chauf- nique et d’ergonomie,
sultantes aboutissent à l’élaboration de modèles de département Homme au
feurs de bus intra-urbains. Une vingtaine d’articles a été compréhension certes complexes mais qui entérinent travail, INRS
retenue à partir d’une recherche bibliographique par les données épidémiologiques [4 à 6].
mots clés sur des bases de données et d’une recherche
Une des caractéristiques des TMS liés au travail est
par auteurs cités. Une grille qualitative d’analyse a permis
d’étudier les articles retenus.
l’ubiquité. En effet, un grand nombre de secteurs est
Les TMS du rachis chez les chauffeurs de bus résultent concerné aussi bien dans l’industrie, le monde agricole
d’une combinaison de facteurs de risque biomécaniques que les services. Cette situation qui a longtemps dé-
chroniques (rotation du tronc, vibrations, etc.) et aigus routé les préventeurs est maintenant bien documentée.
(faux-mouvement, port de charge) auxquels s’ajoutent Pour autant, il demeure difficile de conduire des études
des facteurs psychosociaux et la conception de leurs épidémiologiques systématiques dans tous les secteurs
postes de conduite. Ce constat est patent pour la lombal- a priori concernés tant leur nombre est élevé et les
gie et plus contrasté pour les cervico-dorsalgies. De plus, moyens dont dispose la recherche limités. La conduite
la typologie des facteurs de risque est cohérente avec les d’études épidémiologiques spécifiques à un secteur
modèles de compréhension de TMS. voire à un type de travail est donc relativement rare.
L’importance du contexte, comme élément détermi-
Aussi les monographies permettant de présenter la réa-
nant le poids de chaque facteur de risque, justifie la mise
en place de réseaux de surveillance épidémiologiques
lité du risque dans un secteur particulier restent peu
dans ce secteur. nombreuses. Sans en dresser une liste exhaustive, les
secteurs les plus étudiés par les épidémiologistes ont
été, dans le secteur secondaire, le montage d’appareils
électroménagers, le BTP, le textile ou la chaussure et les
es TMS sont des maladies

L
équipementiers automobiles. Dans le secteur agricole,
multifactorielles à compo- la transformation de la viande reste une activité où l’in-
sante professionnelle consé- cidence des cas est forte et, de ce fait, les études nom-
cutives à des sollicitations breuses. Actuellement, le secteur tertiaire concentre un
biomécaniques répétées. Les grand nombre de recherches (travail sur écran, réseaux
facteurs psychosociaux et le stress concourent à leur d’aide à la personne, milieu hospitalier, etc.). Enfin,
survenue en modifiant, notamment, les aptitudes fonc- l’importance des connaissances disponibles entraîne
tionnelles humaines. Les TMS se traduisent essentiel- une évolution des recherches vers des questions plus
lement par des douleurs musculaires, tendineuses ou spécifiques portant sur les mécanismes (relation dose-
nerveuses. Ils constituent un risque professionnel ma- effet) ou sur l’évaluation des actions de prévention, dé- Documents
pour le Médecin
jeur dont la réalité est attestée par de nombreuses laissant les études sectorielles qui occupent désormais du Travail
N° 111
études épidémiologiques [1, 2]. En France, la sur- une place marginale. 3e trimestre 2007
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L’INRS est souvent sollicité pour fournir des in- MODALITÉS DE RECENSEMENT
formations sur la prévalence du risque de TMS dans DES DONNÉES BIBLIOGRAPHIQUES
l’un ou l’autre des secteurs d’activité suite, par
exemple, à l’observation par un médecin du travail au La recherche de la littérature disponible a été
cours de la visite médicale périodique des salariés, conduite au moyen de la base de données « Pub-
d’un nombre important de cas de TMS dans une en- Med » et de la base de données de INRS Biblio. En
treprise. Pour les motifs évoqués ci-dessus, il est complément, une recherche par auteur a été effec-
souvent difficile d’apporter une réponse scientifique- tuée lors de la lecture des articles recensés dans les
ment probante sur la réalité du risque dans le secteur deux bases de données.
correspondant à l’activité de l’entreprise faute de
données épidémiologiques. Les mots clés suivants ont été utilisés :
La présente monographie porte sur la prévalence
des TMS chez les chauffeurs de bus intra-urbains et - chauffeur de bus (bus driver, urban transit
inter-urbains. Elle fait suite à des demandes de mé- operator) ;
decins du travail sur la réalité du risque de TMS dans - troubles musculosquelettiques (musculoskeletal
cette profession et sur la nature de leurs facteurs de disorders) ;
risques professionnels. Sa rédaction a été possible - dorsalgie (back pain);
grâce à l’existence d’un nombre suffisant de publica- - cervicalgie (neck pain);
tions. - lombalgie (low back pain);
- conduite prolongée (long duration driving).

Les articles recensés ont d’abord été analysés afin de


Matériels et méthodes déterminer si les mots clés choisis étaient pertinents
pour représenter la population des chauffeurs de bus.
Concrètement, les études doivent :
- concerner en priorité des chauffeurs de bus sans
distinction de genre ou d’âge ;
LE MÉTIER DE CHAUFFEUR DE BUS
INTRA-URBAIN OU INTER-URBAIN
- porter sur la recherche de TMS du corps entier
(membres et rachis) ;
- être postérieures à 1990, date à partir de laquelle
L’étude porte sur la population des chauffeurs de la notion de TMS a été bien précisée ;
bus intra-urbains et inter-urbains. Initialement, elle ne - seules les études utilisant des questionnaires dé-
devait concerner que les chauffeurs de bus intra-ur- crits dans le protocole (ou faisant consensus dans le do-
bains mais le faible nombre de données épidémiolo- maine de la santé perçue appliquée aux TMS) ou des
giques disponibles (cf. ci-dessous) a conduit à élargir le méthodes portant sur la santé mesurée (registres d’hos-
champ de l’étude à ces deux populations de salariés. pitalisation, examen médical) ont été retenues ;
Un chauffeur de bus intra-urbain, appelé parfois ma- - la qualité des études épidémiologiques a été ap-
chiniste, conduit son véhicule dans une agglomération préciée (taille des échantillons, modalités de mise en
sur une ligne préétablie avec des arrêts réguliers et se- œuvre du protocole, nature des analyses statistiques,
lon une rotation et un horaire fixés à l’avance. L’activité significativité des relations mises en évidence).
des chauffeurs de bus (appelé souvent autocar ou car)
inter-urbain est différente. Cependant, face au faible nombre d’articles pu-
Outre la conception différente de leur véhicule, ces bliés sur le sujet (moins d’une vingtaine), il a été dé-
derniers ont des tâches plus variées, telles que des tra- cidé de retenir certains articles qui, bien que ne
jets plus longs, des circuits moins systématisés, des ac- respectant pas tous ces critères, fournissaient des élé-
tivités de manutention manuelle. Ils peuvent aussi être ments d’information jugés intéressants. Par exemple,
affectés au transport scolaire. Les conditions de travail en raison de l’absence d’étude épidémiologique por-
et l’organisation du travail des chauffeurs de bus intra- tant sur les chauffeurs de bus travaillant en France, il
urbains sont donc différentes de celles des chauffeurs a été décidé de garder les études cliniques nationales.
de bus inter-urbains, notamment dans les grandes De même, des données relatives aux chauffeurs de
villes. Cette représentation reste lacunaire pour justi- camion ou de taxi ont aussi été retenues à des fins de
fier de la diversité de ces deux métiers qui, par ailleurs, comparaison des conditions de travail. Ensuite, le
évoluent du fait de l’étalement des villes (rurbanisa- traitement des articles retenus a été conduit de ma-
Documents tion), de l’émergence de nouveaux moyens de trans- nière qualitative à partir d’une grille d’évaluation dé-
pour le Médecin
du Travail ports collectifs (tramway) et surtout des politiques de veloppée par les auteurs. Il ne s’agit donc pas d’une
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3e trimestre 2007 transports publics. méta-analyse au sens strict mais plutôt d’une évalua-
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tion qualitative formalisée des données épidémiolo- feur de bus à l’étranger n’est pas superposable à celui
giques retenues qui vise à répondre à 3 questions : des chauffeurs de bus français qui, lui-même, n’est pas
homogène entre les sociétés municipales de transport
- le métier de chauffeur de bus est-il susceptible urbain. L’étude de Magnusson et al. vient en attester
d’accroître le niveau de risque de TMS du corps [13].
entier ?
- quels sont les facteurs de risque professionnels
mis en évidence ?
PATHOLOGIES OBSERVÉES
- les données sont-elles suffisamment solides
pour conclure de manière indiscutable ?
La monographie porte sur le risque de TMS. Pour-
tant, certaines études mettent en évidence d’autres pa-
thologies qui sont donc rapportées.
Résultats
Risque de TMS

Parmi les quatorze articles retenus, dix établissent


ARTICLES RECUEILLIS
un rapport entre les lombalgies et l’activité de chauf-
feur de bus. L’étude prospective menée par Krause et
Quatorze articles ont été retenus issus de la base de al. [11] fait état de 501 pathologies lombaires inci-
données « PubMed » ou de la base de données de dentes survenues au cours des 7,5 années de suivi de
l’INRS. Ils concernent majoritairement la population 1 233 chauffeurs, soit une incidence annuelle de
des chauffeurs de bus intra-urbains. Douze des qua- 8,33/100 chauffeurs. Le délai moyen d’apparition des
torze articles sont publiés dans des revues scientifiques premiers symptômes au cours du suivi est évalué par
éditées en anglais et deux le sont dans des revues fran- les mêmes auteurs à 905 jours, soit environ 2 ans et
çaises. Six de ces quatorze articles sont publiés par le demi. L’étude de Bovenzi [16] porte sur 234 chauffeurs
même groupe d’auteurs [7 à 12]. Ces six articles se rap- de bus intra-urbains qui sont comparés à un groupe
portent au même échantillon composé de près de contrôle de 125 agents de maintenance de la même
1500 chauffeurs de bus intra-urbains de San Fran- compagnie. C’est une enquête par questionnaire utili-
cisco, incluant des opérateurs des deux sexes, sans dis- sant la version modifiée du questionnaire de type Nor- * Ce questionnaire
tinction d’âge, et suivi de 1993 à 2001. Cinq articles dique* sur les plaintes de TMS. Sont estimées la fera l’objet d’une
publication dans le
s’intéressent à une population de chauffeurs de bus de prévalence des lombalgies au cours de la vie entière, prochain numéro des
DMT.
Suède, des États-Unis, du Danemark, de l’Italie et de des 12 derniers mois et des 7 derniers jours, en préci-
l’Écosse, [13 à 17]. En particulier, une étude de co- sant secondairement la nature de la lombalgie (sciatal-
horte [13] compare des populations de chauffeurs de gie, lombalgie aiguë, lombalgie chronique, lombalgie
bus des États-Unis à des chauffeurs de bus de Suède, traitée et protrusion discale). Après ajustement sur
ce qui permet de montrer le rôle du contexte national l’âge, l’indice de masse corporelle, le niveau d’instruc-
dans l’incidence du risque de TMS. Une autre étude tion, l’activité sportive, le tabagisme, le statut marital, la
porte sur les lombalgies et l’exposition aux vibrations notion de traumatisme lombaire, la charge posturale et
des chauffeurs de bus intra-urbains en Italie [16]. Par les activités professionnelles antérieures à risque de
ailleurs, une étude de laboratoire portant sur l’évalua- lombalgies, tous les odds ratios (OR) relatifs aux lom-
tion de l’inconfort lié à la conduite prolongée a aussi été balgies chez les chauffeurs de bus par rapport au
retenue [18]. Enfin, les deux publications françaises groupe contrôle sont significativement supérieurs à un.
sont relatives aux chauffeurs de bus intra-urbains en ré- En effet, pour les chauffeurs de bus, la prévalence de
gion parisienne et à Besançon [19, 20]. lombalgies vie entière est de 83,8 % avec un OR ajusté
de 3,12 (IC 95 % : 1,82-5,34), la prévalence de lom-
balgies des 12 derniers mois est de 82,9 % et l’OR
ajusté de 2,99 (IC 95 % : 1,75-5,09). Enfin, la préva-
CARACTÉRISTIQUES DES POPULATIONS
ÉTUDIÉES
lence des lombalgies au cours des 7 derniers jours est
de 62,4 % et l’OR ajusté de 2,35 (IC 95 % : 1,47-3,76).
De plus, le risque de lombalgies augmente significati-
Bien que respectant les critères d’inclusion définis vement en présence d’antécédents de traumatisme
au chapitre précédent, il n’en demeure pas moins qu’il lombaire, susceptible de fragiliser le rachis selon les au- Documents
pour le Médecin
reste encore des différences entre les populations de teurs. Magnusson et al. [13] rapportent que près de du Travail
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chauffeurs étudiés. Autrement dit, le métier de chauf- 50 % des chauffeurs de bus de l’échantillon qu’il étudie 3e trimestre 2007
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en 1996, se plaignent de lombalgies. Dans l’étude de ricains est de 38 jours en moyenne alors qu’elle est de
Okunribido et al. [17], 59 % des chauffeurs de bus ont 12 jours parmi les Suédois. Cette différence s’explique
eu des lombalgies au cours des 12 mois précédant l’en- selon les auteurs par les différences de régimes de sé-
quête et parmi eux, la moitié ont eu des lombalgies au curité sociale des deux pays. Par ailleurs, les chauffeurs
cours des 7 derniers jours. de bus américains ont des périodes d’arrêt de travail si-
Des cervicalgies, des dorsalgies et d’autres TMS gnificativement plus longues que les chauffeurs rou-
sont également décrits dans sept des publications rete- tiers et les travailleurs sédentaires, du fait de lombalgies
nues. Ils concernent différents métiers de chauffeurs (p < 0.0002) de cervicalgies (p < 0,02) et de scapulal-
(bus, taxis, transport de marchandises). Magnusson et gies (p < 0.02), alors que ces différences entre groupes
al. [13] évaluent ces TMS au moyen du questionnaire professionnels ne sont pas observées en Suède. Dans
Nordique parmi des salariés des États-Unis et de l’étude de Bovenzi [16], les chauffeurs de bus intra-ur-
Suède répartis dans trois groupes : chauffeurs de bus, bains ont une prévalence d’arrêt maladie de plus de
chauffeurs routiers et travailleurs sédentaires. Ils 30 jours du fait de lombalgies significativement supé-
constatent une prévalence de cervicalgies de 53 % rieure à celle du groupe contrôle au cours des 12 der-
parmi les chauffeurs de bus américains, significative- niers mois précédant l’étude (respectivement 7,3 % et
ment plus élevée que parmi les chauffeurs routiers et 3,2 %). En revanche, la prévalence des arrêts maladie
les travailleurs sédentaires. Cette différence n’est pas de moins de 30 jours n’est pas significativement diffé-
observée entre ces groupes de professionnels en Suède. rente entre les chauffeurs de bus intra-urbains et le
De même, les chauffeurs de bus américains souffrent groupe contrôle. Enfin, Krause et al. [8] estiment que,
significativement plus de scapulalgies que les autres pour les chauffeurs de bus, la lombalgie constitue la
groupes professionnels alors qu’en Suède, ce sont les principale cause d’absentéisme et de maladie profes-
chauffeurs routiers qui souffrent le plus de scapulalgies sionnelle ouvrant droit à indemnisation, mais égale-
par rapport aux autres groupes. Toutefois, dans les ment le motif essentiel de changement d’emploi.
deux pays, les chauffeurs (chauffeurs routiers et chauf-
feurs de bus) ont significativement plus de scapulalgies
que les travailleurs sédentaires. Dans l’étude transver- Autres pathologies recensées
sale de Krause et al. [8], la prévalence des cervico-dor-
salgies évaluée par auto-questionnaire est de 10 à 14 % Les pathologies cardiaques ischémiques sont évo-
au moment de l’enquête. Elle s’élève à 20-28 % si les quées dans deux publications et attribuées aux facteurs
cervico-dorsalgies survenues au cours des 12 mois pré- de risque présentés par les chauffeurs (manque d’acti-
cédant l’enquête sont également comptabilisées. Cette vité physique, obésité, troubles métaboliques…) ; ces
prévalence paraît faible si elle est comparée à d’autres risques sont favorisés par les conditions de travail (re-
résultats d’étude par questionnaire mais la population pas pris irrégulièrement et mal équilibrés, travail sé-
interrogée exclut les chauffeurs en arrêt maladie ou en dentaire, stress) [15, 19]. Les pathologies respiratoires
reconversion professionnelle, ce qui, selon les auteurs, sont citées dans une étude danoise [15] et concernent
peut induire un biais de sélection sur l’état de santé de plutôt les chauffeurs de bus intra-urbain. Le facteur de
la population interrogée. Dans l’étude par question- risque incriminé par les auteurs est la pollution aé-
naire de Dartois et al. [20] réalisée en 2002 et portant rienne urbaine engendrée par l’émission de fumées et
sur 320 chauffeurs de bus intra-urbains, la fréquence poussières. Le risque infectieux et parasitaire lié aux
de pathologies cervicales est de 12 %, celle des patho- contacts avec les passagers est également cité [15].
logies lombaires de 27 % (en diminution par rapport à
une enquête équivalente menée en 1985 où elle s’éle-
vait à 38 %) et celle des pathologies des épaules de 5 %.
FACTEURS DE RISQUE DE TMS
Enfin, dans l’étude de Magnusson et al. [13], scapulal-
gies et cervicalgies sont corrélées aux lombalgies
(p < 0,0001). Les facteurs de risque seront classés selon deux ca-
En matière d’absentéisme, les chauffeurs de bus tégories : les facteurs de risque individuels et profes-
dans l’étude de Magnusson et al. [13] ont des périodes sionnels.
d’arrêt plus longues (18 jours) que les chauffeurs rou-
tiers (4 jours) et les travailleurs sédentaires (5 jours),
États-Unis et Suède confondus. Il existe toutefois des Facteurs de risque individuels
différences selon les pays considérés. En effet, bien
qu’il n’existe pas de différence significative de temps Âge
Documents d’arrêt de travail entre les Américains et les Suédois, Selon Krause et al. [9, 11], les chauffeurs de bus de
pour le Médecin
du Travail tous groupes professionnels confondus, la durée d’arrêt plus de 50 ans ont significativement moins de risque
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3e trimestre 2007 de travail pour lombalgies des chauffeurs de bus amé- d’être atteints de pathologies lombaires que les plus
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jeunes (< 40 ans). Le risque diminue de 25 % par les opérateurs de petite taille (< 1,60 m) et de grande
tranche de 10 ans d’âge. Cependant, les pathologies taille (> 1,90 m).
sont moins sévères chez les chauffeurs les plus jeunes Concernant l’indice de masse corporelle (IMC),
que chez les chauffeurs les plus âgés. En revanche, Krause et al. [8] rapportent un risque de cervico-dorsal-
Bovenzi [16] constate dans son étude une augmenta- gies deux fois moindre parmi les chauffeurs qui présen-
tion de la prévalence des lombalgies avec l’avancée en tent un faible IMC (< 10° percentile) par rapport à tous
âge parmi les chauffeurs de bus et parmi les témoins. les autres chauffeurs (OR=0,54, IC 95 % 0,30-0,98)
Concernant les cervico-dorsalgies, l’âge ne constitue tandis que les chauffeurs ayant un IMC élevé (> 90°
pas un facteur de risque selon Krause et al. [8]. percentile) ne diffèrent pas des autres chauffeurs.

Morphotype Genre
Magnusson et al. [13] et Bovenzi [16] se sont inté- Selon Krause et al. [8, 9], les femmes souffrent deux
ressés aux relations entre lombalgies et obésité. Ils ne fois plus de cervico-dorsalgies que leurs collègues mas-
trouvent pas d’association significative. Les relations culins (OR=2,14 ; IC 95 % : 1,33-1,44). Elles présen-
entre le morphotype et le risque de TMS ont aussi été tent également plus de risques que les hommes d’être
étudiées pour les cervico-dorsalgies. Ainsi, Krause et al. atteintes de pathologies lombaires. Les relations entre
[8] rapportent un risque de cervico-dorsalgies deux fois genre et TMS chez les chauffeurs de bus ne sont pas
moindre parmi les chauffeurs de faible poids (< 64 kg abordées dans les autres études recensées mais le genre
ou < 10° percentile) que chez tous les autres chauffeurs est souvent considéré dans les modèles statistiques
(OR=0,5 ; IC 95 % : 0,29-0,8). En revanche, les chauf- comme un facteur d’ajustement.
feurs de bus de poids élevé (> 103 kg ou > 90° percen-
tile) ont tendance à avoir un risque plus faible de Autres caractéristiques personnelles
cervico-dorsalgies. Concernant la taille des chauffeurs Dans l’étude de Magnusson et al. [13], aucune des
de bus, dans l’étude de Krause et al. [8], les chauffeurs caractéristiques personnelles prises en considération
de petite taille (< 1,58 m ou < 10° percentile) présen- (tabagisme, exercice physique et statut marital) n’est
tent un risque de cervico-dorsalgies deux fois plus élevé associée au risque de cervicalgies, scapulalgies et lom-
que les autres chauffeurs mais le faible nombre de balgies. Bovenzi [16] ne trouve pas non plus d’associa-
chauffeurs dans cette catégorie de taille ne permet pas tion significative entre les lombalgies et le niveau
d’établir un lien significatif (OR=1,82 ; IC 95 % : 0,72- d’éducation, les habitudes tabagiques ou l’activité spor-
4,64). tive. En revanche, les conditions climatiques difficiles
De même, les chauffeurs de grande taille (> 90° (définition non précisée) sont associées avec les lom-
percentile) ont un risque légèrement accru de cervico- balgies dans cette étude [16].
dorsalgies (OR = 1,26 ; IC 95 % : 0,86-1,85). Ces ré-
sultats ne sont pas significatifs malgré la proportion
non négligeable de chauffeurs dans cette catégorie Facteurs de risque professionnels
(10 % des chauffeurs). L’ensemble de ces résultats sug-
gère une relation en forme de U entre cervico-dorsal- Les facteurs de risque professionnels sont nom-
gies et taille, le risque étant accru pour les tailles breux et de nature différente.
extrêmes. Au contraire, la relation est en forme de U
inversé entre cervico-dorsalgies et poids, le risque Contraintes physiques
étant moindre pour les poids extrêmes. L’analyse de la
répartition des chauffeurs de petite taille en fonction Posture maintenue et port de charges
de l’ancienneté professionnelle suggère toutefois un Dans l’étude de Bovenzi [16], la charge posturale
phénomène de sélection sur la taille avec l’ancienneté perçue, évaluée au moyen d’une échelle allant de 0 (ab-
dans l’étude de Krause et al. [8], la proportion de sence de charge posturale) à 4 (charge posturale très
chauffeurs de petite taille étant de plus en plus faible dure), est rapportée comme étant l’un des détermi-
avec l’ancienneté. Une autre hypothèse pourrait repo- nants les plus importants de lombalgies. L’auteur
ser sur les pratiques de recrutement avec une ten- évoque la position assise prolongée, les flexions et rota-
dance à embaucher, dans l’entreprise américaine tions fréquentes du tronc au poste de conduite combi-
concernée par l’étude, plutôt des femmes et des sala- nées aux vibrations corps entier comme étant
riés d’origine asiatique au cours des années les plus ré- susceptibles d’être à l’origine de lombalgies chez ces
centes. Enfin, les associations constatées entre taille, chauffeurs de bus intra-urbains. Il suggère également
poids et TMS sont également à mettre en relation avec que le port de charge ou les changements rapides de
l’ergonomie des postes de travail. posture après un temps de conduite peuvent provo- Documents
pour le Médecin
Ainsi, Dartois et al. [20] font état de postures in- quer des lombalgies du fait notamment d’une fatigue du Travail
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adaptées liées à des difficultés de réglage du siège chez musculaire locale des muscles spinaux. Celle-ci a été 3e trimestre 2007
339
démontrée expérimentalement au cours d’une station lon les pays s’explique par les différentes modalités de
assise prolongée, associée à l’exposition à des vibrations conduite de bus : les chauffeurs de bus suédois tra-
dans un axe vertical [16]. L’étude descriptive de Okun- vaillent dans un secteur intra-urbain où ils empruntent
ribido et al. [17] indique que 13,1 % des chauffeurs de des routes pavées et sont plus souvent soumis aux décé-
bus portent des charges au cours de leur travail dont la lérations et accélérations que leurs collègues américains
majorité au cours de trajets inter-urbains, afin d’aider qui conduisent plutôt des bus sur de longs trajets en sec-
certains passagers à charger et décharger leurs bagages. teur extra-urbain. Dans l’étude de Okunribido et al.
Hannerz et al. [15] rappellent que le port de charge à [17], 69 % des chauffeurs de bus rapportent un incon-
l’issue d’une longue période en position assise aug- fort lié aux vibrations lors de la conduite. La qualité du
mente les risques de lésions discales et ligamentaires. revêtement routier est identifiée comme l’une des
Krause et al. [11], qui considèrent que les cervico-dor- sources de chocs et de vibrations dans cette étude.
salgies chez les chauffeurs de bus résultent d’une expo- Bovenzi [16] montre que les vibrations mesurées
sition combinée de facteurs biomécaniques répétés conformément à la norme ISO 2631, sur un échan-
dans le temps (rotation et flexion du tronc, position as- tillon de 11 chauffeurs de bus durant les conditions ha-
sise prolongée) ou physiques (vibrations corps entier) bituelles de travail, sont significativement associées aux
et de facteurs de risque aigus (faux mouvement, port lombalgies. En particulier, pour une exposition aux vi-
de charges lourdes, contusion), confortent l’analyse de brations à long terme (> 4,5 années m2s-2), l’excès de
Bovenzi et de Hannerz et al. [15, 16]. risque de hernie discale est plus de deux fois supérieur
Dans l’étude de Magnusson et al. [13], les chauffeurs au groupe contrôle, même après ajustement sur les
de bus extra-urbains lombalgiques portent des charges autres facteurs de risque (OR=2,61 ; IC 95 % : 1,01-
plus lourdes et plus fréquemment que les non lombal- 6,71) et conforte les résultats d’études antérieures.
giques. Par ailleurs, la comparaison des groupes profes- Dans son étude, Bovenzi [16] insiste sur l’amortisse-
sionnels met en évidence qu’aux États-Unis, les ment insuffisant des vibrations transmises par le siège
chauffeurs de bus portent plus fréquemment et de plus (même suspendu), ainsi que sur le rôle prédictif majeur
lourdes charges que les chauffeurs routiers tandis qu’en des vibrations dans la survenue de lombalgies, tout en
Suède, c’est l’inverse. Dans les deux pays, le port de précisant que la physiopathologie n’en est pas totale-
charges lourdes et le port de charges fréquent ne sont pas ment connue à ce jour.
associés aux lombalgies chez les moins de 35 ans Jensen et al. [14] évoquent également le rôle
et les plus de 45 ans, alors qu’ils le sont parmi les des vibrations, associées aux rotations du cou, chocs et
35-45 ans (p < 0,01). Il existe par ailleurs une corrélation accélérations-décélérations, dans la survenue de cervi-
positive entre les scapulalgies et le port de charges lourdes calgies parmi les professionnels du transport.
(p < 0,04) et le port de charges fréquent (p < 0,03). Enfin, la complexité des relations entre les vibra-
tions d’un siège de conduite et ses conséquences tant
Vibrations sur la performance que sur l’évaluation du confort/in-
Magnusson et al. [13] ont évalué en Suède et aux confort est aussi observée dans une étude de labora-
États-Unis l’exposition aux vibrations corps entier toire [18]. En effet, les auteurs observent qu’une
conformément à la norme ISO 2631 sur un échantillon longue durée d’exposition en position assise (150 min)
de chauffeurs routiers et de chauffeurs de bus tirés au sur un siège de véhicule entraîne la perception d’un in-
sort, au cours de conditions de travail représentatives de confort d’autant plus marqué que le siège vibre et qu’il
la réalité, c’est-à-dire conduite à vitesse normale sur les est mal adapté. Elle entraîne aussi une baisse de la per-
routes habituellement empruntées. Les résultats mon- formance qui est la plus forte en condition de vibration
trent qu’aux États-Unis, l’exposition quotidienne aux vi- associée à un siège inconfortable. Cependant, ces ef-
brations est significativement supérieure dans le groupe fets sur la performance ne s’accompagnent pas de signe
des chauffeurs routiers par rapport au groupe des chauf- de fatigue musculaire des muscles posturaux étudiés.
feurs de bus. En revanche, en Suède, ce sont les chauf- Selon les auteurs, il n’est pas exclu que la méthode
feurs de bus qui sont significativement plus exposés que choisie pour évaluer la fatigue (médiane de la fré-
les chauffeurs routiers. À long terme, tous pays confon- quence spectrale des EMG étudiés avec grande va-
dus, les chauffeurs routiers sont plus exposés aux vibra- riance des données interindividuelles de fréquence
tions que les chauffeurs de bus. Dans cette étude [13], médiane) soit une explication mais ils considèrent aussi
l’exposition quotidienne aux vibrations n’est pas associée qu’il est possible que les muscles des sujets ne présen-
aux lombalgies, cervicalgies et scapulalgies. Mais les taient aucun signe de fatigue musculaire.
lombalgiques ont une dose d’exposition aux vibrations à
long terme plus élevée que les non lombalgiques. De Type de véhicule
Documents plus, l’exposition à long terme aux vibrations est le fac- Le type de véhicule utilisé est cité parmi les facteurs
pour le Médecin
du Travail teur le plus prédictif de la longueur d’arrêt maladie pour de risque de TMS. Ainsi l’équipe de Krause [8, 9, 11]
N° 111
3e trimestre 2007 lombalgies. La différence d’exposition aux vibrations se- rapporte l’exemple des opérateurs des véhicules parti-
340
© GUITTOT - RÉA
culiers que sont les tramways à câble (photos ci-contre
et ci-dessous) à San Francisco. Ces opérateurs pré-
sentent 2 fois moins de risque de cervico-dorsalgies que
les autres chauffeurs étudiés (travail debout, absence
de vibrations moteur) mais un risque 3 fois supérieur
de lésion rachidienne aiguë (maniement difficile des le-
viers de commandes mécaniques, manœuvres de la
voiture elle-même sur les tables tournantes en bout
de ligne). Les mêmes auteurs mentionnent un
risque moindre de lombalgie dans la conduite du
tramway par rapport à celle du bus. En dehors de ces
deux exemples spécifiques qui mettent en jeu des vé-
hicules anciens et/ou symboliques, le matériel roulant
intra-urbain évoqué dans les différents articles de
l’équipe de Krause [7 à 12] est un matériel comparable
à celui utilisé en France.
© TEICHMANN - LIFE RÉA freins ou en relation avec la visibilité extérieure com-
portant l’ajustement des rétroviseurs. L’analyse multi-
variée de l’impact relatif des facteurs de risque
biomécaniques de cervico-dorsalgies montre que ce
sont les facteurs ergonomiques qui ont le plus d’impact
sur la prévalence des cervico-dorsalgies, suivis par le
port de charge. Dans ce modèle, la taille, le poids et le
genre des chauffeurs ainsi que le type de véhicule ont
moins d’impact que les facteurs ergonomiques bien
que significativement associés au risque de cervico-dor-
salgies. En ce qui concerne les lombalgies, les auteurs
constatent également une relation dose-réponse entre
le score ergonomique (élaboré à partir des réponses
aux questions concernant les problèmes ergonomiques
ressentis par les chauffeurs) et le risque de pathologies
lombaires. Dans le modèle choisi par les auteurs, l’aug-
mentation de 10 points du score ergonomique est as-
sociée à une augmentation de 21 % du risque de
pathologies lombaires, sachant qu’une augmentation
du score ergonomique correspond à une sévérité ac-
crue des problèmes ergonomiques ressentis. Enfin
l’étude de Krause et al. en 2005 [12] met en évidence
que si les problèmes ergonomiques étaient réduits au
plus bas niveau rapporté par un quart des chauffeurs,
la diminution prévisible des pathologies lombaires les
moins sévères serait de 28 % et celle des pathologies
lombaires les plus sévères de 19 %.
Problèmes ergonomiques rapportés
par les chauffeurs Durée de travail
Krause et al. [8] montrent que les chauffeurs qui dé- Krause et al. [8, 9, 11] mettent en évidence une
clarent avoir de gros problèmes d’ajustement du siège relation dose-réponse entre la durée hebdomadaire
et de tenue du volant ont significativement plus de de conduite et les cervico-dorsalgies (par tranche de
risque de cervico-dorsalgies que ceux qui déclarent ne 20 heures : OR=1,96 ; IC 95 % : 1,06-3,63). De plus,
pas avoir de problème (OR=3,86 ; IC 95 % : 2,37-6,28 ils constatent que la fréquence des cervico-dorsalgies
et OR=3,93 ; IC 95 % : 2,28-6,75, respectivement). augmente significativement avec le nombre d’années
Les résultats détaillés suggèrent une relation dose-ré- de conduite professionnelle après ajustement sur l’âge,
ponse. Les autres facteurs ergonomiques qui sont si- le genre, le type de véhicule et la durée hebdomadaire
gnificatifs, mais à un moindre degré, sont les de conduite (Pour 10 ans, OR=3,43 ; IC 95 % : 1,5- Documents
pour le Médecin
problèmes ressentis lors du maniement des com- 7,81). Cette association suit une relation dose-réponse du Travail
N° 111
mandes, de la direction, de la suspension du siège, des significative (p = 0,003). En revanche le nombre 3e trimestre 2007
341
d’heures supplémentaires réalisées au cours de l’année risque de cervico-dorsalgies chez les chauffeurs de bus.
précédant l’enquête est inversement lié au risque de L’organisation du travail est caractérisée dans l’étude
cervico-dorsalgies. Toutefois, cette association n’est pas par la répartition des heures de conduite et de repos en
significative. Ce constat, a priori paradoxal, pourrait considérant le nombre d’heures de conduite hebdoma-
s’expliquer selon les auteurs par un effet « travailleur daires (< 40 heures, 40 heures, > 40 heures), la durée
sain ». En effet, la réalisation d’heures supplémentaires des pauses (0, 15-60 minutes, > 60 minutes) et les
repose sur la base du volontariat et intéresserait plutôt plages horaires constitutives des postes (matin après-
des sujets indemnes de TMS. midi, horaires morcelés…). Les dimensions retenues
Krause et al. [8, 9, 11] établissent aussi une relation pour les facteurs psychosociaux concernent la latitude
dose-réponse exponentielle entre le temps hebdoma- décisionnelle, les exigences psychologiques et le sou-
daire de conduite et le risque de pathologies lombaires : tien social abordés au moyen du « Job Content Ques-
dans le modèle statistique retenu après ajustement sur tionnaire de Karasek ». À ces trois dimensions est
tous les facteurs de confusion potentiels (âge, genre, ajoutée la satisfaction au travail. Concernant l’organi-
taille, poids, type de véhicule, problèmes ergonomiques, sation du travail, aucune des variables prises en consi-
ancienneté de conduite professionnelle et facteurs psy- dération n’est associée significativement au risque de
chosociaux), le taux de pathologies lombaires augmente cervico-dorsalgies, mais celui-ci a tendance à augmen-
de 12 % par tranche de 10 heures de conduite hebdo- ter au-delà de 40 heures de conduite hebdomadaire
madaire. Par ailleurs, dans cette étude, la fraction de (OR ajusté 1,32 ; IC 95 % : 0,96-1,81) et en l’absence
risque attribuable (FRA) au fait de travailler plus de de pause (OR ajusté 1,29 ; IC 95 % : 0,75-2,21).
50 heures par semaine par rapport au travail à temps En ce qui concerne les facteurs psychosociaux, les
partiel (20-30 heures par semaine) est de 38 % pour les exigences psychologiques élevées, l’insatisfaction au
pathologies lombaires les moins sévères et de 82 % pour travail, le faible soutien de la hiérarchie sont significati-
les pathologies lombaires les plus sévères. En d’autres vement associés aux cervico-dorsalgies (OR=1,87 ; IC
termes, selon ce modèle, cela signifie que 38 % des pa- 95 % : 1,35-2,58 ; OR=1,62 ; IC 95 % : 1,11-2,67 ;
thologies lombaires les moins sévères et 82 % des pa- OR=1,67 ; IC 95 % : 1,22-3,63, respectivement). À
thologies lombaires les plus sévères pourraient être l’inverse, la faible latitude décisionnelle ou le manque
évitées parmi les chauffeurs qui travaillent plus de de soutien de la part des collègues ne sont pas signifi-
50 heures par semaine, s’ils travaillaient entre 20 et cativement associés aux cervico-dorsalgies [7, 9].
30 heures par semaine. De même, la FRA au fait de tra- Magnusson et al. [13] ont évalué les facteurs psy-
vailler plus de 30 heures par semaine est de 29 % pour chosociaux à partir de cinq questions issues des tra-
les pathologies lombaires les moins sévères et de 61 % vaux de Bigos et al. Ils concluent que dans les deux
pour les pathologies lombaires les plus sévères, en réfé- pays (Suède et États-Unis), les chauffeurs de bus ap-
rence au travail moins de 30 heures par semaine. précient moins leurs supérieurs hiérarchiques que les
En revanche, en ce qui concerne l’ancienneté en chauffeurs routiers et les travailleurs sédentaires. De
termes de conduite professionnelle, Krause et al. [7] plus, les chauffeurs de bus suédois sont moins satis-
montrent que l’ancienneté inférieure à 5 ans est associée faits de leurs collègues, de leur supérieur hiérarchique
à un risque accru de pathologies lombaires comparée à et de leurs tâches de travail que les autres groupes sué-
l’ancienneté de 6 à 15 ans, après ajustement sur tous les dois, alors que de telles différences n’apparaissent pas
facteurs de confusion potentiels. Toutefois, le fait de aux États-Unis. Enfin, dans cette étude, la variable «
conduire depuis moins de 5 ans est prédictif de patholo- stress » est la seule associée significativement à l’ab-
gies lombaires moins sévères. Les auteurs formulent plu- sentéisme pour maladie (p < 0.05). En revanche, l’as-
sieurs hypothèses pour interpréter ces résultats. D’une sociation des facteurs psychosociaux avec les TMS
part, ils suggèrent que les chauffeurs qui présentent des n’est pas étudiée.
problèmes de santé changent précocement d’activité Dans une étude publiée en 2005, Rugulies et al.
professionnelle, à l’origine d’un effet « travailleur sain ». [12] montrent que le faible soutien social de la part de
D’autre part, les chauffeurs les plus âgés auraient une la hiérarchie et la faible latitude décisionnelle sont pré-
plus grande « tolérance » vis-à-vis des pathologies lom- dictifs de la survenue de cervicalgies et à un moindre
baires les moins sévères et auraient donc tendance à les degré des lombalgies, après ajustement sur les facteurs
sous-déclarer. Cette dernière hypothèse est confortée de confusion potentiels, incluant les caractéristiques
par le fait que, dans l’étude, les pathologies lombaires les individuelles, le statut douloureux initial et l’exposition
moins sévères sont plus souvent rencontrées chez les aux facteurs physiques. Les scores de soutien social
chauffeurs ayant une faible ancienneté. (soutien du supérieur hiérarchique, soutien des col-
lègues et soutien total) suivent une relation dose-ré-
Documents Facteurs psychosociaux ponse significative avec les cervicalgies, avec une
pour le Médecin
du Travail Krause et al. [7] ont évalué l’influence des facteurs diminution du risque de cervicalgies respectivement
N° 111
3e trimestre 2007 psychosociaux et de l’organisation du travail sur le de 7 %, 6 % et 5 % pour chaque augmentation d’un
342
point du score de soutien social, l’augmentation du s’inscrit dans ce contexte tente d’apporter, à partir des
score correspondant à un soutien social plus fort. De données scientifiques disponibles, des éléments de ré-
même, les contraintes psychosociales associant faible ponse sur la réalité du risque de TMS et de ses déter-
latitude décisionnelle et fortes exigences psycholo- minants chez les chauffeurs de bus. Il s’avère que les
giques sont significativement associées au risque de données sont suffisantes et de qualité pour apporter
cervicalgies et suivent une relation dose-réponse, avec des informations probantes pour ce secteur profes-
une augmentation du risque de cervicalgies de 8 % sionnel.
pour une augmentation du score de contraintes psy-
chosociales de un point.
En complément de l’évaluation des facteurs psycho-
CONVERGENCE DES DONNÉES
sociaux, Krause et al. [7] ont également évalué la fré- BIBLIOGRAPHIQUES
quence des problèmes professionnels rencontrés par
les chauffeurs de bus, au moyen d’un questionnaire
comportant 19 questions. Toutes les réponses sont L’objet de cette monographie est de connaître la
classées en « jamais », « une fois par an ou moins », réalité du risque de TMS chez les chauffeurs de bus et
« toutes les semaines ou tous les mois », « tous les la nature de leur facteurs de risque professionnels.
jours ». Les auteurs ont calculé des OR permettant Cette question s’inscrit naturellement dans une pro-
de comparer les réponses aux questions entre les blématique épidémiologique. Sur la vingtaine d’ar-
chauffeurs atteints de cervico-dorsalgies et ceux qui ticles retenus, une dizaine sont des études
en sont indemnes, la classe de référence pour chaque épidémiologiques. Six articles sont issus du même
question étant la réponse « jamais ». Les résultats échantillon de 1 500 chauffeurs de bus [7 à 12] à par-
montrent une association significative entre les cer- tir duquel plusieurs études, dont certaines sont longi-
vico-dorsalgies et 14 des 19 problèmes professionnels tudinales prospectives, ont été menées. Les études
évoqués, le risque de cervico-dorsalgies augmentant prospectives possèdent une valeur supérieure aux
avec la fréquence des problèmes. Parmi eux figurent études transversales (qui fournissent un cliché de la si-
les problèmes liés à l’équipement du véhicule, au tuation à un instant donné). Elles permettent la me-
nombre excessif de passagers, au trafic routier diffi- sure directe de l’exposition et de son évolution avant
cile, aux agressions envers le chauffeur ou envers les l’apparition de la maladie et consolident ainsi, en res-
passagers. pectant la séquence temporelle des événements, la
B. Chaudron et al. [19] insistent dans leur publica- preuve du lien de causalité entre l’exposition et le
tion sur la charge mentale du conducteur et notam- risque. Il convient donc de considérer cette série
ment sur les comportements agressifs et imprévisibles d’études comme un travail de référence.
des usagers qu’ils considèrent comme la principale Les études épidémiologiques recensées ne prennent
source de stress, sans évaluer cependant le lien avec les en compte que les TMS suivants : lombalgies, dorsal-
souffrances rachidiennes. Contraintes relationnelles, gies, cervicalgies et scapulalgies. Aucune n’étudie les
stress et sentiment d’insécurité sont également évo- TMS des extrémités des membres (syndrome du canal
qués, au même titre que les facteurs environnemen- carpien, épicondylite par exemple). Aussi, il n’est pas
taux et organisationnels par Dartois et al. [20] qui possible de porter un avis sur le lien entre le travail et
concluent à une origine plurifactorielle des TMS dans les TMS des extrémités des membres. En revanche, les
la population suivie. articles recensés abordent l’ensemble des facteurs de
risque de TMS, aussi bien physiques, biomécaniques
que psychosociaux. Cette approche globale respecte
donc les modèles de compréhension des TMS qui font
Discussion consensus et renforce la pertinence de ces études épi-
démiologiques. Le fait de n’avoir retenu que des ar-
ticles postérieurs aux années 90 explique en partie ce
L’évaluation du risque de TMS est inévitablement constat.
tributaire du nombre de données épidémiologiques Les 6 études de l’équipe de Krause [7 à 12], celles
disponibles et de leur qualité. Appliquée à un secteur de Bovenzi [16] et de Dartois et al. [20] portent uni-
professionnel donné, cette évidence se heurte au quement sur les chauffeurs de bus intra-urbain. Les
nombre des études épidémiologiques disponibles qui autres études épidémiologiques [13 à 15, 17] concer-
ne peut être que réduit. Cette situation peut appa- nent différents métiers de chauffeurs (bus, car, ca-
raître comme un obstacle face à des enjeux sanitaires mion, taxi). En conséquence, les données recensées,
et sociaux qui portent en filigrane la question de la bien que ne portant pas exclusivement sur le métier de Documents
pour le Médecin
preuve de l’incidence d’un travail ou d’un métier sur chauffeur de bus intra-urbain, s’appliquent en priorité du Travail
N° 111
la santé des salariés. La présente monographie qui sur ce type de métier. 3e trimestre 2007
343
PATHOLOGIES RECENSÉES teurs de risque chez les chauffeurs de bus pour pouvoir
affirmer la responsabilité de leurs conditions de travail
dans la survenue de TMS selon des combinaisons
La lombalgie est le TMS le plus étudié chez les propres à ce métier et à son contexte. Enfin, le fait de
chauffeurs de bus. Les études épidémiologiques [8, 11, retrouver les mêmes facteurs de risque conforte la vali-
13, 16, 17] s’accordent sur le fait que c’est un métier à dité des données épidémiologiques sectorielles face au
risque de lombalgie. En effet, l’étude longitudinale corpus de connaissance sur les TMS.
prospective de Krause [11] montre une incidence de Concernant les facteurs de risque individuels, aucun
plus de 8 % sur une période de recueil de données de lien n’est trouvé par Bovenzi [16] et Magnusson [13]
plus de 7 ans. Elle est fondée sur des données médi- entre le poids et le risque de lombalgie. En revanche, il
cales de santé mesurée (examen clinique, étude des est mis en évidence des liens entre la taille, l’âge et le
dossiers médicaux et de demande de réparation). risque de TMS. Ces relations sont compliquées mais
L’étude épidémiologique longitudinale prospective est c’est avant tout l’inadéquation entre la taille et le poste
une méthode robuste qui valide le bien-fondé de la réa- qu’il convient de mettre en cause. Ainsi les tailles ex-
lité du risque de lombalgie chez les chauffeurs de bus trêmes (< 10° percentile et > 90° percentile) seraient
étudiés. Les travaux de Bovenzi [16] et Magnusson pénalisées en raison d’une inadaptation du poste de
[13], issus d’études épidémiologiques transversales conduite. L’étude de Krause [8] montre que les évolu-
portant sur des populations de salariés d’autres pays ou tions des caractéristiques staturo-pondérales des nou-
d’autres régions, renforcent ceux de Krause. Force est veaux embauchés (plus de femmes et/ou des personnes
de constater la synergie des données disponibles et, de petite taille) devraient conduire à revoir la concep-
partant, la pertinence des conclusions qu’il est possible tion ergonomique des postes de conduite.
d’avancer. Il est donc légitime de généraliser à l’en- L’âge est une variable dont le lien avec la lombalgie est
semble des chauffeurs de bus la réalité de ce risque complexe. L’effet « travailleur sain » selon lequel seuls les
professionnel. Bien que l’on ne dispose d’aucune étude seniors en bonne santé travaillent alors que les malades
épidémiologique en France, les données statistiques ont quitté leur emploi influence les données recueillies.
[20] montrent une prévalence élevée de lombalgie Ce processus qui conduit vers l’exclusion les anciens lom-
chez les chauffeurs de bus intra-urbains cohérentes balgiques est décrit [11] et doit être pris en compte dans
avec les données internationales. Enfin, les données de les études épidémiologiques sur les TMS. Mais la relation
Krause [11] montrent que le délai moyen d’apparition entre la lombalgie et l’âge est complexe car il s’agit da-
des premiers symptômes est de l’ordre de 2,5 années. vantage de vivre avec la douleur que d’impotence fonc-
Les atteintes cervicales et dorsales font l’objet d’un tionnelle physique (de fait, c’est la douleur qui exclut). En
nombre moins important de publications. De plus, les conséquence, ceux qui restent dans l’emploi sont ceux
résultats sont contrastés. Il apparaît difficile, au regard qui apprennent ou qui peuvent vivre avec leur douleur.
des données recensées, d’affirmer la solidité du lien Les études de l’équipe de Krause le montrent. Ainsi, les
entre les problèmes cervicaux et dorsaux dans le métier seniors (> 50 ans) qui restent en place sont souvent ceux
de chauffeur de bus. On doit toutefois retenir une forte qui apprennent à vivre avec des douleurs lombaires et qui
présomption de risque que d’autres études doivent ont la capacité de gérer les situations à risque du fait de
confirmer. Cette forte présomption est étayée en parti- leur expérience [11]. Enfin, il est aussi observé que cer-
culier par la force du lien observé par Krause [8] entre tains seniors ont parfois plus de latitude dans le choix des
les cervico-dorsalgies et les facteurs de risque de nature postes et des emplois du temps, ce qui leur permet d’oc-
ergonomique. Une vigilance des médecins du travail cuper des postes moins pénibles [9].
s’impose donc pour ces deux lésions musculosquelet- Les facteurs de risque professionnels sont conformes
tiques. à ce qui est attendu dans le domaine des TMS. Les vi-
brations, les efforts, les postures maintenues dans le
temps, la durée de conduite, le type de véhicule sont
ainsi cités comme facteurs de risque de lombalgies. Plu-
FACTEURS DE RISQUE DE TMS
CHEZ LES CHAUFFEURS DE BUS
sieurs études abordent la dimension psychosociale et
montrent que l’insatisfaction professionnelle, les exi-
gences psychologiques élevées, le faible soutien social
Les TMS sont consécutifs à des facteurs de risque sont des facteurs de risque de lombalgie. La durée heb-
biomécaniques (efforts, posture maintenue dans le domadaire de travail semble aussi jouer un rôle impor-
temps, postures inconfortables ou extrêmes, répétiti- tant dans la survenue de TMS chez les chauffeurs de
vité des gestes), physiques (vibration, froid) en lien bus. Ainsi, l’équipe de Krause [8, 9, 11] montre une re-
Documents avec l’organisation du travail. L’histoire personnelle et lation dose–effet entre la durée hebdomadaire de travail
pour le Médecin
du Travail le contexte psychosocial de la personne jouent aussi un et le risque de cervico-dorsalgies ou de lombalgies.
N° 111
3e trimestre 2007 rôle [2, 4, 5]. Il est nécessaire alors de retrouver ces fac- D’autres études seront toutefois nécessaires pour
344
© GLEIZES - RÉA
confirmer ces travaux. Ce résultat justifie néanmoins quel que soit le contexte d’utilisation. Or les contextes sont
d’être vigilant sur la durée de travail hebdomadaire des éminemment variables comme le montrent les données bi-
chauffeurs car, en l’état des connaissances, une gestion bliographiques relatives aux chauffeurs de bus. C’est pour-
adéquate de la durée hebdomadaire de conduite est quoi il faut considérer qu’un siège efficace contre les
une modalité efficace de réduction du risque de TMS vibrations est une condition nécessaire mais pas suffisante
du rachis. Enfin, les problèmes ergonomiques tels que pour prévenir les lombalgies des chauffeurs car ce métier
ceux évoqués par Krause et al. [8] ainsi que d’autres n’expose pas uniquement à des vibrations mais une com-
contraintes de métier (insécurité, tâches annexes) [7] position de facteurs de risque dont les vibrations. L’étude
ont vraisemblablement un impact sur le risque de de El Falou et al. [18] illustre combien il est nécessaire de
TMS, et doivent être pris en compte dans le cadre des transférer avec précaution des résultats de laboratoire à des
actions de prévention. situations réelles de travail par nature composite.
La multiplicité des facteurs de risque de TMS auxquels Krause et al. [11] apportent des explications qui, à l’in-
sont exposés les chauffeurs de bus et le nombre infini de verse, sont susceptibles d’enrichir le modèle de compré-
combinaisons en découlant qui, en plus, sont variables hension des TMS et qui confortent les observations
dans le temps et dans l’espace du fait d’un contexte de tra- rapportées précédemment. En effet, ils considèrent que
vail toujours singulier est commune à de nombreuses si- les TMS du rachis chez les chauffeurs de bus résultent
tuations de travail. Du fait du rôle essentiel du contexte, il d’une exposition combinée de facteurs de risque chro-
est nécessaire, dans le cadre d’un diagnostic de risque, de niques et de facteurs de risque aigus. Cette hypothèse re-
décrire avec rigueur les éléments qui le composent et qui lative à la combinaison de facteurs de risque de nature
vont déterminer l’occurrence du risque. L’étude compara- différente dans l’espace et le temps ouvre des perspectives
tive de Magnusson [13] le démontre. L'intitulé du métier, très intéressantes de recherche sur les mécanismes phy-
à savoir chauffeur de bus, ne suffit pas à représenter les siopathologiques à l’origine d’atteintes du rachis. Celles-ci
facteurs de risque de TMS. En effet, toutes les variables pourront expliquer à terme les données épidémiologiques
contextuelles (organisation du travail, qualité des relations obtenues alors que, parfois, un facteur de risque pris iso- ** « Évaluation
et amélioration
sociales, régime de protection sociale, nature de la route, lément (en particulier les vibrations) n’est pas à l’origine des performances
de l’activité, du matériel, de la formation, etc.) infèrent sur d’atteintes du rachis. d’isolation vibra-
toire des sièges à
ces facteurs, construisant ainsi le risque de TMS. Ce L’incidence des conditions de travail et des atteintes suspension » est
constat conduit naturellement à mettre en perspective à la santé sur le fonctionnement du service de transport une étude menée
par le département
certaines données expérimentales. Par exemple, il est dé- a fait l’objet d’une étude [10]. Selon les auteurs, les en- Igénierie des équi-
pements de travail
montré que les vibrations corps entier sont un facteur de jeux sanitaires chez les machinistes ont un impact sur de l’Institut, entre
risque patent de lombalgies et que ce risque est fréquent le système de transport en termes de performance, de 2003 et 2005.
dans le monde du transport routier. De nombreux travaux présence au travail et de dépenses médicales. Cela est
ont été menés sur ce sujet et des sièges antivibratoires sont amplifié du fait de contraintes économiques, de pres-
maintenant disponibles dont l’efficacité intrinsèque est at- sion du donneur d’ordres visant un service attendu qui
testée par les travaux de l’INRS**. Pour autant, cette effi- souvent dépasse les possibilités du service de transport
cacité suppose d’une part, le respect des conditions de dans un contexte urbain où les conditions de conduite Documents
pour le Médecin
mise en œuvre et celui des modalités de réglages prévus sont difficiles en raison de la congestion du réseau rou- du Travail
N° 111
par le concepteur et d’autre part, que le siège reste efficace tier. Ces auteurs considèrent aussi qu’un cercle vicieux 3e trimestre 2007
345
se crée qui associe aux mauvaises conditions de travail,
la dégradation de l’état de santé des machinistes, la ré- Conclusion
duction de l’efficacité du service de transport et l’aug-
mentation des dépenses. Ils considèrent [10] que
« l’état de santé du service de transport » et le bien être des Le travail de chauffeur de bus expose à des risques de
salariés ne sont pas identiques mais interagissent l’un TMS du rachis, particulièrement la lombalgie. Cette mo-
avec l’autre. Ils affirment « qu’un système de transport por- nographie montre combien les risques de TMS du rachis
tant en lui un déséquilibre entre les attentes et les ressources et sont présents dans ce milieu professionnel et confirme la
qu’une grande part de la population considère comme in- multiplicité des facteurs de risque de TMS en cause. Les
opérant et inefficace, induit des conditions de travail qui af- données épidémiologiques indiquent aussi combien il
fectent défavorablement la santé et le bien être des salariés ». est indispensable de rechercher dans chaque contexte
Cette mise en liaison des effets sur la santé des chauf- de travail les modalités propres de combinaison de ces
feurs et des macro-déterminants économiques et socié- facteurs. Le suivi médical professionnel des chauffeurs
taux justifie une prise en compte globale des causes et de bus en est un moyen, associé à une surveillance épi-
une vision ample des remèdes potentiels. En terme de démiologique et à une évaluation de l’ensemble des fac-
prévention, l’évaluation des conséquences des combi- teurs de risque auxquels sont exposés les salariés des
naisons de risque ainsi que l’amélioration et l’adaptation entreprises de transport. Les actions en milieu de travail
du poste de conduite aux différentes tâches des chauf- permettront de dresser une représentation pertinente
feurs de bus voire son appropriation (sens des fonctions des facteurs de risque. Par ailleurs, certains médecins
ou des dispositifs composant le poste, maîtrise de leurs du travail évoquent un risque de TMS des membres su-
réglages, information sur les risques encourus, etc.) sont périeurs [20]. Aucune donnée épidémiologique ne vient
des éléments essentiels de prévention comme l’atteste le confirmer. Cela pourrait aussi faire l’objet d’un pro-
une étude [8] et cela quel que soit le poids des autres gramme de surveillance épidémiologique.
facteurs de risque.

Points à retenir
Il y a un risque de TMS chez les chauffeurs de bus, principalement un risque pour
le rachis.

Pour prévenir ce risque, il est indispensable d'avoir une vision globale des facteurs
de risque car c'est leur intrication qui fait le risque.

Le contexte de travail des chauffeurs de bus est à considérer avec attention car il
détermine la réalité du risque.

Sauf à multiplier à l'infini les études épidémiologiques sectorielles, il sera difficile


de proposer des monographies argumentées pour tous les secteurs professionnels
à risque de TMS. Ce constat doit conduire à réfléchir à des hypothèses de valida-
tion plus souples mais probablement plus fragiles.

Documents
pour le Médecin
du Travail
N° 111
3e trimestre 2007
346
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Documents
pour le Médecin
du Travail
N° 111
3e trimestre 2007
347

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