Karl Popper, La logique de la découverte scientifique (1935), trad. fr., Paris, Payot, 1973, chap. 3, § 12, p. 57-60.
« Donner une explication causale d’un événement signifie déduire un énoncé le
décrivant en utilisant comme prémisse de la déduction une ou plusieurs lois universelles et certains énoncés singuliers […]. Nous avons donc deux espèces différentes d’énoncés, toutes deux nécessaires à une explication causale complète : 1° des énoncés universels, c’est-à-dire des hypothèses ayant le caractère de lois naturelles et 2° des énoncés singuliers se rapportant à l’événement particulier en question et que j’appellerai (dorénavant) « conditions initiales ». C’est de la conjonction des énoncés universels et des conditions initiales que nous déduisons l’énoncé singulier […]. Nous appelons cet énoncé une prévision spécifique ou singulière. Les conditions initiales décrivent ce qu’on appelle habituellement la « cause » de l’événement en question […]. La prédiction décrit, quant à elle, ce qu’on appelle habituellement l’« effet ». J’éviterai ces deux termes. La physique restreint en général l’utilisation de l’expression « explication causale » au cas particulier où les lois universelles ont la forme de lois « d’action par contact » ou, plus précisément, de l’action à distance tendant vers zéro qu’expriment les équations différentielles. Je ne présupposerai pas ici cette restriction. De plus, je ne ferai aucune espèce d’affirmation générale concernant l’applicabilité universelle de cette méthode déductive d’explication théorique. Je ne ferai donc appel à aucun « principe de causalité » (ou « principe du rapport universel de cause à effet ») […]. Je proposerai, cependant, une règle méthodologique correspondant si étroitement au « principe de causalité » que l’on pourrait considérer ce dernier comme sa version métaphysique. C’est tout simplement la règle selon laquelle nous ne devons pas nous arrêter de chercher des lois universelles et un système théorique cohérent ni jamais renoncer à nos essais en vue d’expliquer par un lien causal toute espèce d’événement que nous pouvons décrire. Cette règle guide dans son travail le praticien de la recherche scientifique. Je rejette ici la conception selon laquelle les derniers développements de la physique exigent qu’on y renonce ; selon cette conception la physique aurait aujourd’hui établi que du moins dans un domaine il est hors de propos de chercher plus longtemps des lois. »