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La

fraternité universelle
pour un dialogue

de vie et des œuvres


entre les chrétiens et les musulmans

Fondement et finalités.

1
Plus jamais la Guerre !
Paul VI
Jean Paul II
François

2
Pourquoi ce thème

Dans les relations avec les autres tous cherchent à s'imposer, par la sagesse, par la connaissance,
par le pouvoir économique, par la politique, par l’autorité, par l'histoire, ou encore par la vérité,..
enfin il n'y a jamais une rencontre, jamais une relation authentique, qu'elle soit vraie et apaisée ! La
religion dans cette affaire est concernée pleinement, du moment elle au nom de Dieu s'impose aux
autres ! Quel paradoxe ! Si Dieu voulait s'imposer il n'a qu'à lever le petit doigt! Souvent les
hommes religieux, au lieu de transmettre ce qu'ils ont compris de Dieu et de la vie, s'imposent aux
autres, par une parole, une autorité, la violence, des menaces, … mais rarement par l'exemple et le
partage, le respect et le service ! Toutes les religions sont dans une “spirale de malaise” à connaître
davantage l'autre, qui « murmure » lui aussi quelque chose sur Dieu. Cela me fait plus mal du
moment qu'il s'agit de mon Église, pour laquelle j'ai donné ma vie, et sans remords je continuerai à
la donner.
Cependant, le Christ ne s'est jamais défendu, il n'a jamais attaqué, il a fait silence et a prié pendant
qu'ils l'insultaient, le condamnaient, et le mettaient à mort ! Les théologiens dans mon église sont
tous préoccupés de défendre l’autorité, la crédibilité, la vérité …de quelque chose qui murmurent
par grâce de Dieu. Le Fils de Dieu enseignait dans les lieux publics, mais il marchait aussi avec les
gens, il dormait, il mangeait, il priait avec eux. Parfois, j'ai l'impression que nous avons déchiré le
Christ, on a fait de lui une partie qui reste à enseigner, l'autre partie, qui prêche, l'autre qui part,
l'autre qui doit se débrouiller ; j'ai l'impression que nous avons réorganisé le Christ, en le
déshumanisant !
Le dialogue interreligieux devient toujours plus le lieu de démontrer qui est le plus fort, celui qui a
les arguments les plus valables, qui détient la vérité, voire Dieu ; alors que Dieu s'est fait homme
parmi les hommes ! Le dialogue interreligieux risque parfois à ne pas être une rencontre, mais une
compétition ! « Dieu est plus grand que Dieu1 ! » et il dépasse cette attitude humaine qui réduit
l'homme à ses convictions en le rendant esclave de lui-même, Dieu continue à se mêler des affaires
de l’humanité et il choisit ce qu'il veut pour indiquer le chemin pour une vie apaisée et dans la vérité
(c'est-à-dire la sienne).
Fatigué de la guerre, d'avoir raison, et d’être toujours dans la dispute, j'ai commencé à regarder les
musulmans avec un regard de frère ! Une beauté est apparue, la beauté de leur façon de vivre la
relation avec Dieu. Ce regard a été plus facile lorsque j'ai partagé la vie, la quotidienneté et le
travail, parfois le service gratuit. Durant ces temps de vie, j'ai partagé dans une extrême liberté et
simplicité ce qu'il y a dans notre cœur, nos connaissances et convictions ; c'est ainsi que des liens se
sont construits, avec des imams et des musulmans, de toutes conditions sociales, c'est ainsi qu’on

1 Gèrard Siegwalt, Dieu est plus grand que Dieu, ed. cerf, paris, 2014

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s'est respectés et on s'est rencontrés avec Dieu pour parler de nous !
L'objectif de ce travail est d’utiliser mon expérience2 et mes connaissances pour réorganiser et rè-
motiver le travail pastoral dans le dialogue avec l'islam, pour être un frère qui soit engagé dans la
vie et dans les relations avec les musulmans, sans pourtant renoncer à témoigner de ma foi !
Ce travail ne présentera rien de nouveau, il cherchera à parler de la fraternité universelle, thème
presque à la mode dans les documents de l’Église catholique et dans les discours de tous,
politiciens, hommes et savants religieux, sociologues, laicistes. Tous en parlent, mais la vivre
devient un engagement qui prend du temps, de la distance, des précautions. Cependant nombre
d'associations3 chrétienne ou non, cherchent à mettre en pratique l’Évangile, le Coran, le bon sens,
et elles organisent des rencontres proposant des expériences où on apprend à être frères sans perdre
sa propre singularité. Dans ce travail, nous4 chercherons à fonder religieusement, comme un projet
de Dieu, la fraternité universelle ; nous présenterons aussi le dialogue de vie et des œuvres comme
moyen privilégié pour se rencontrer et vivre la fraternité.
Ce travail est destiné à tous les croyants qui, pour une raison ou pour une autre, s'engagent dans le
dialogue interreligieux ; il est destiné à tous ceux qui, déjà engagés, en sortent blessés ou
découragés, et qui, cependant, croient qu'il ne faut pas renoncer à continuer à se rencontrer et à bâtir
un vivre ensemble, voire une fraternité universelle.
Ce travail est destiné enfin, à tous ceux qui ne croient pas au dialogue interreligieux, puisque la
vérité habite en eux ! Afin qu’ils puissent être un peu aimables de et partager leur vérité avec les
autres, car tous, nous avons besoin d’être éclairés et d'apprendre à comprendre Dieu, à l'aimer et à
s'approcher de Lui.
Pour la transcription des noms en arabe, nous utilisons une écriture simple sans caractères spéciaux.

2 Environ 10 ans en Extrême-nord du Cameroun et Tchad dans le dialogue interreligieux


3 Coexister, ensemble avec Marie, groupe d'amitié islamo-chretienne, Mideo, Focolari, Fraternité d'Abraham ...
4 À partir de maintenant je utiliserai la forme pluriel « nous » pour accompagner mes réflexions.

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0.Introduction

Des que l’humanité existe, le déplacement des peuples a toujours été un élément qui l'a
accompagné5 ; parfois pour chercher des terres meilleures, parfois la paix, d'autres fois avec l'espoir
de découvrir un endroit où l'on pourrait exercer son propre pouvoir, d'autres fois avec le désir de
trouver des réponses aux questions fondamentales de la vie, ou bien un déplacement en recherche
de quelqu'un, ou mieux de l'Autre, de celui qui, éternellement présent, se cache, ou pour mieux dire,
qu'on ne voit pas tellement Il est trop présent. L'histoire des peuples, des religions, montre que, tous
se sont mis en recherche d'un espace à découvrir, d'une aventure à vivre. L’humanité entière bouge,
se déplace, souvent se heurte, … mais à la fin se rencontre ! Chacun amène avec lui un “sac” dans
lequel il garde les « éléments » plus chers à sa vie. Souvent, il s'agit des mêmes choses : une langue,
une culture, une foi, des connaissances, des souvenirs et des désirs. On a en commun un rêve, celui
de pouvoir améliorer sa propre vie, celui de trouver une paix profonde, comme s'il s'agissait d'une
situation perdue depuis longtemps et qui a déchiré notre âme !
Cette humanité, qui est déchirée et qui cherche à se recomposer, a gravé dans la conscience que
rester ensemble dans un même lieu est possible 6, néanmoins que chacun ait son petit sac avec lui et
qu'il veuille le partager et le mettre en commun avec les autres, car il s'agit pour lui des « trésors ! »
les plus chers. Et parce que, pour quelques raisons, ce sont des « choses » qui ne proviennent pas de
lui, mais il s'agit de dons qui, comme des puzzles, ont leur place dans un projet plus grand, qui n'est
pas encore clair, et qui est en train de se réaliser - malgré nous - puisque une force au-delà de nous
nous conduit vers un accomplissement et le paradis perdu. « “Le désir de Dieu est inscrit dans le
cœur de l'homme, car l'homme est crée par Dieu et pour Dieu” (CEC7 27) . Le croyant reconnaît que
l'image du Créateur est imprimée en tout homme. C'est ce qui explique pourquoi ce dernier peut
ressentir un appel intime à sortir de lui-même pour aller à la rencontre de Celui qui est en mesure de
remplir l'ampleur et la profondeur de son désir.8 ».
Ce désir qu'il y a dans l’humanité, et qui la pousse à se rencontrer fait partie de ce qu'on appelle
communément la “nature humaine”, en marquant l'aspect d'attraction à se connaître et à former des
groupe ou associations ; mais ce désir fait partie aussi de la sphère “spirituelle” en tant qu'on
cherche à donner un “visage”, un sens, un projet avec des aspirations d'un bien plus grand.
Ce désir se fait espérance, il devient foi et il peut se concrétiser dans un chemin de réussite. Nous
pensons que ce désir caché et inquiet prend forme en ce qu'on appelle la « fraternité universelle », et
qui peut être réalisée à travers une vie de foi, qui s'exprime dans une foi vécue et partagée dans la
quotidienneté d'un engagement dans la société avec des œuvres communes et dans la simplicité à se
donner à l'autre sans crainte, et en recevant de l'autre, sans préjugés.

5 cf. Yuval Noah Harari, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, ed. Albin Michel. Surtout la première partie, la
révolution cognitive, p.13-97
6 cf. François, Misericordia et misera, lettre apostolique, n° 8 « nous sommes pécheurs et nous nous sentons
embrassés par le Père qui vient à notre rencontre pour nous redonner la grâce d’être de nouveau ses enfants. »
7 Catéchisme de l’Église Catholique
8 Vincent Guibert, Le dialogue interreligieux chez Joseph Ratzinger, ed. Parole et Silence, Paris, 2015. p.12

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L’Église catholique depuis le Vatican II a toujours marché dans cette direction et « elle affirme que
tous les hommes, spécialement les hommes de foi vivante, doivent se respecter, dépasser toute
discrimination, vivre ensemble et servir la fraternité universelle » (Jean-Paul II aux jeunes
musulmans de Casablanca 19859)
Ce travail cherchera à présenter ce projet en le proposant comme chemin pour un dialogue entre les
chrétiens et les musulmans. Il tentera de proposer un fondement théologique de la « fraternité
universelle », en puisant d'un côté, dans la Bible et le Magistère de l’Église; et de l'autre,
timidement, dans le Coran, la Sunna et la charia. Ce travail s'efforcera de chercher les fondements
dans les traditions religieuses et d’éclairer (pour ce qui est possible) “pourquoi et comment” la
fraternité universelle est toujours plus considérée et vécue comme un désir, par tous les hommes
sans distinction de religion, de race, de culture ou de rangs sociaux.
En effet, ce petit travail voudrait chercher et proposer un projet commun qui puisse aider et motiver
les hommes (chrétiens et musulmans) à vivre ensemble, sans s'affronter continuellement sur
l'importance des « éléments » qui sont dans le sac de chacun, mais en partageant « l’esthétique » de
ces choses qui leur sont si chères « Si l'importance de la foi vécue disparaît au profit de la foi
confessée et de la foi célébrée, il risque d'y avoir dans le regard porté sur la foi des autres une
double réduction. Premièrement, le dialogue interreligieux risque de se réduire à une confrontation
de dogmes. … Deuxièmement, une majoration de la foi confessée et de la foi célébrée aux dépens
de la foi vécue conduit à mettre davantage l'accent sur les différences que sur les points de
convergence. De ce fait, l’unité du genre humain voulue par Dieu et la responsabilité commune de
l’humanité pour gérer le monde dans lequel nous vivons risquent de passer au second plan, voire
d’être oubliées à cause des divergences dogmatiques entre les religions10 ».
Il est certain qu'une étude et un dialogue qui prennent en considération les dogmes des différentes
positions soient nécessaires pour ne pas tomber dans le syncrétisme ou le relativisme. Cependant,
nous considérons que ces considérations doivent être faites durant le dialogue de vie et des œuvres,
dans la forme la plus simple et la moins solennelle possible, sans pourtant renoncer à l’identité ou à
la vérité qui font partie des éléments à partager, et qui se trouvent dans le sac de chacun. En effet,
« chacun a sa vérité et entend bien ne pas céder aux mirages de l'ouverture qui remettraient en cause
son pouvoir11 ». Il faut donc avancer avec délicatesse, en cherchant la beauté qu'il y a dans la foi de
l'autre, il faudrait surtout éviter de comparer les façons de croire ou de chercher à tout prix des
convergences ou des différences, accueillir en nous l'autre sans préjugé ; et à notre tour, nous donner
sans prévaloir sur l'autre, mais en lui communiquant dans la simplicité et la totale confiance “Ce
Qui” nous habite, « la vérité n'est pas plus vraie parce qu'elle est proclamée… elle devient réelle
lorsqu'elle est accueillie et vécue, “incarnée”. Il convient donc de rendre possible cette
“incarnation”12 ».
C'est pour cela que cette étude cherchera à définir et à défendre des finalités qui sont indispensables
afin que un échange fraternel authentique et sincère puisse exister.

9 cf. http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr.html
10 Henri de La Hougue, L'estime de la foi des autres , ed. Desclèe de Brouwer, 2011. p.211-212
11 Pierre Claverie, Humanité plurielle, ed. Cerf, Paris, 2008. p.32
12 Pierre Claverie, Humanité plurielle, p.45

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1. Proposition d'un fondement de la fraternité
universelle.

Présentation du chemin : la fraternité universelle


Lorsqu'on parle de dialogue interreligieux, certains cœurs se réchauffent, des autres sourient,
d'autres encore sont dans la souffrance, il y a aussi qui sont désorientés !
Le dialogue est l'acte, ou mieux le « moment », dans lequel on décide de se rencontrer pour se
présenter, pour s'expliquer, pour prendre contact avec l'autre et s'assurer que l'avenir ensemble sera
tranquille et sans menaces.
Malheureusement, l'homme a oublié comment on s'accueille l'un l'autre, sans se blesser, sans se
provoquer, et en manifestant pleinement la joie d’être ensemble. La culture africaine a maintenu la
bienséance par rapport à l’hospitalité qui était répandu autrefois dans toutes les civilisations.
« Restaurer l’hôte accueilli pour lui permettre de reprendre des forces,[…] cette restauration
commence dès l’arrivée du visiteur à qui on offre de l'eau à boire, une fois qu'on l'a fait asseoir. À
tout instant on veut assurer l'étranger qu'il ne court aucun danger. […] l'eau remplit ainsi sa
première fonction : désaltérer et assurer la survie. L'eau par sa fraîcheur revêt aussi le symbole de la
paix. L'accueil attend une réciprocité que l'étranger exprime par l'acceptation de l'eau 13 » c'est avec
ce geste très simple, ''donner de l'eau'', qu’on accueille, qu’on établit les bases pour un dialogue,
pour un échange en toute confiance en l'autre. Les interlocuteurs du dialogue interreligieux doivent
apprendre à ''offrir de l'eau'' à l'autre, c'est-à-dire du temps, de l'espace, et partager quelques chose
de précieux. Le dialogue peut naître seulement dans un contexte d'accueil réciproque, en assurant
les conditions de survie pour l'autre 14, en lui donnant un temps et un espace où l'autre puisse être en
sécurité et non pas recourir à la violence pour garantir sa vie. Le dialogue devient une attitude de
vie où « chaque jour, et même à chaque instant on est amené à accorder un espace et un temps à
l'autre… Et quand on ne fait pas un espace à l'autre, qu'on ne lui accorde pas du temps, il s'agit alors
d’inhospitalité, voire d'inimitié.15 »
Dans le dialogue, l'homme découvre l’altérité, la diversité, la pluralité qui n'est jamais synonyme de
menace et d'annihilation. « Le dialogue interreligieux ne privilégie, n'exclut aucune des dimensions
de l'homme, ni son humanité concrète, ni sa réflexion intellectuelle, ni sa dimension spirituelle 16 ».
Avec le dialogue, dans un contexte d'accueil et d'amour, l’humanité réalise un trait de civilisation,
elle accomplie un pas important vers une cohabitation pacifique et fraternelle. Le Pape François
nous le rappelle « Un dialogue est beaucoup plus que la communication d’une vérité. Il se réalise
par le goût de parler et par le bien concret qui se communique entre ceux qui s’aiment au moyen des
paroles. C’est un bien qui ne consiste pas en des choses, mais dans les personnes elles-mêmes qui se
donnent mutuellement dans le dialogue17. »

13 Sié Mathias Kam, Tradition africaine de l’hospitalité et dialogue interreligieux, ed.Khartala, 2011, p.38
14 Cf. Sié Mathias Kam, Tradition africaine de l’hospitalité et dialogue interreligieux, ed. Khartala.
15 Sié Mathias Kam, op. cit., p. 26
16 Christian Salenson, Christian de Chergé. Une Théologie de l’espérance, ed. Bayard, 2016. p. 96
17 François, Evangelii gaudium, n.142, exhortation apostolique, 24 novembre 2013.

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Les circonstances présentes, à savoir la guerre, la recherche du travail, les occasions d'études, la
nécessité d'un endroit pacifique et plus confortable où vivre, ou encore voir grandir ses enfants,
obligent l'homme à cohabiter dans un même lieu, en un même temps. Mais souvent cela se fait sans
s’être accueillis l'un et l'autre, sans s’être présentés, sans se connaître. Les rites de l'accueil sont
dépassés par la loi sociale, qui garantie la vie, c'est à dire un espace pour chacun! Une espace
souvent à côté d'un autre qui pourtant reste un étranger avec une « peur » et une incertitude pour sa
vie. Quand l'autre n'est pas connu, il devient une menace et un danger. Plusieurs hommes se
retrouvent à partager dans un même temps, dans un espace contigu, sans avoir partagé avant « les
éléments » qu'on a dans son propre sac. Ainsi au lieu d’être occasion de richesse réciproque, ces
« éléments mystérieux » sont des menaces constantes pour l’identité de l'autre.
Le dialogue est alors compris comme un occasion pour se clarifier, pour mettre les choses à leur
place, pour établir qui a le plus autorité d'après l'ordre d’arrivé pour rappeller les régles de l'endroit,
… c'est ainsi qu'on perd tout sens de l'échange, de l'envie de se connaître, de donner une place à
l'autre, de respecter sa diversité, sa richesse, sa beauté !
C'est pourquoi les réactions des individus varient du réchauffement du cœur à la désorientation des
motivations.
Parmi les « choses » qu'on a dans mon sac il y a aussi une façon particulière de vivre le rapport avec
la divinité. La diversité de « credo » génère de la méfiance, car souvent la religion touche la
manière de vivre et les relations sociales entre les individus. Cela est très curieux, toutes choses
différentes habituellement créent de la curiosité, mais lorsque il s'agit de façons diverses de croire
ou d’être, cela devient subitement suspect.
Tristement, l’expérience nous rapporte que les religions ne sont pas capables de se rencontrer sans
se blesser et s'affronter violemment18. Il ne devrait pas en être ainsi, vu que la religion donne une
guide à la vie et à la connaissance de Dieu19. Les relations avec les autres devraient aider à concilier,
à unir, à rassembler. En effet, l'homme, naturellement, « cherche dans l’expérience religieuse le
moyen d’aller au-delà de sa propre finitude, pour recevoir le sens plénier de son expérience 20 ».
Cependant plusieurs tentatives ont été faites pour organiser l'accueil qui a manqué 21 . Parfois
l'échange s'est transformé dans un dialogue, autres fois dans une tolérance, et dans plusieurs autres
occasions en un échec.
Dans le contexte de rencontres islamo-chrétiens, le dialogue n'est pas sans difficultés. Toutefois on
voudrait proposer un chemin qui puisse être considéré comme un moment de l'accueil réciproque où

18 Pour les chrétiens «Car c'est le Seigneur votre Dieu qui marche avec vous, afin de combattre pour vous vos
ennemis, pour venir à votre secours » (Dt 20,4.) Pour les musulmans « j'ai reçu l'ordre de combattre les gens tant
qu'ils ne diraient pas qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu » Al Boukhari 96:28. tome 4 p. 577. Nous proposons
aussi le film « Et maintenant on va où ? » de Nadine Labaki.
19 Pour les chrétiens « Je suis le chemin, la vie, la vérité, » Jn 14,6 ou «Celui qui accueille un de ces petits c'est moi
qu'il accueille... » Mc 9,37. Pour les musulmans « ….C’est Toi que nous adorons, et c’est Toi dont nous implorons
secours. Guide-nous dans le droit chemin, .. » Sourate Al-Fathia
20 Vincent Guibert, Le dialogue interreligieux chez Joseph Raatzinger, Parole et Silence, Paris, 2015. p.12
21 Nous nous référons à plusieurs missionnaires, théologiens et hommes de bonne volonté, dans les deux côtés, qui ont
donné leur vie dans ce service à l’humanité ; nous rappelons quelqu'un : Louis Massignon, Louis Gardet, G.
Anawati, R. Arnaldez, R. Caspar, C. de Foucauld, P. Claverie, G. Parietti, S. D'Ambra, M. Taha, A. Abderraziq, F.
Esach, M. Chebel, et beaucoup d'autres.

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l'un se donne à l'autre gratuitement, et où progressivement, on met en commun le « savoir » de son
bagage religieux. Ceci à travers ce qu'on appelle communément « dialogue de vie et des œuvres »,
fondé sur la conception d'une « humanité fraternelle », afin de cohabiter, de se respecter et de
s'estimer réciproquement en ayant la possibilité d'offrir à l'autre la beauté de la foi qui soutient la vie
sans pourtant vouloir le convertir, mais en respectant l'altérité, la diversité, la décision et choix de
vie qu'il a fait22.
Nous croyons que, au commencement de ce travail, il faut chercher à expliquer d'abord qu'est-ce
qu'un frère et ce que nous entendons par fraternité.
Frère23 est un mot qu'on retrouve dans les langues anciennes. Sa racine de signification est dans le
radical BHaR qui donne l’Idée de “porter”. Le mot indique “celui qui porte ou qui soutient la sœur''.
Nous avons recherché la signification étymologique de sœur sur le web 24 et on a trouvé que sœur
signifie'' contre l'habitude''. Cela signifie que frère est celui qui s’aventure dans quelques chose de
nouveau, qui ne reste pas figé dans ce qu'il connaît, l'habitude, mais qui accepte la nouveauté et
l’altérité25.
Le frère est un mot qui peut « designer un ami proche ou une personne de confiance ; mais le plus
souvent, il désigne celui qui a le ou les mêmes parents, biologiques ou adoptifs. La relation
fraternelle est le lien qui existe entre des humains du fait de leur filiation commune 26», mais la
relation fraternelle n'est pas seulement celle lié à une filiation. Elle a une respiration plus large qui
se crée à travers le temps, ou par des expériences vécues ensembles, ou encore par des valeurs, des
situations, des conditions qui regroupent des individus qui peuvent se reconnaître en ces aspects.
Elle dépasse les limites manifestes du sexe, de l'âge et des idéologies ou des convictions. Lorsque
on se reconnaît existants dans le même chemin et dans le même moment, lorsque le lien s’élargit

22 Rappelons ici la déclaration du Concile, Dignitatis humanes, n°10 « la réponse de foi donnée par l'homme à Dieu
doit être libre ; en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui ».
23 www.littre.org/definition/frère consulté le 15/03/2017
Pour plus de détails :
Berry, mon frée, mon frère ; provenç. fraire, fratre ; anc. catal. frare ; espagn. mod. fraile ; ital. frate ; du lat. frater ;
allem. Bruder ; angl. brother ; bas-bret. breûr ; sanscr. bhrâtar, frère, proprement celui qui porte, qui soutient la
sœur, du radical bhar, porter.
‫ ָאח‬/ se prononce (ʾach), un mot primitif pour dire frère. Utilisé dans un sens large, il désigne une relation (parenté,
même race ou même groupe social, compatriote) et de façon métaphorique, une affinité ou une ressemblance
(comme). Il existe un autre mot dont le sens est proche de ’ach, il s’agit de rea‘ qu’on trouve en Lv 19,16.18.
Source : Kohlenberger / Mounce Concise Dictionnary of Aramaic and Hebrew
ἀδελφός; adelfos, (le mot vient du a copulative (a) et de (delfus : ventre), pour dire du même ventre ou entrailles)
usage depuis Homer. Source: Mounce Concise Greek-English Dictionnary
24 dicocitations.lemonde.fr/definition_littre/27096/Soeur.php consultè le 15/03/2017
Pour plus de détails :
Etymologie : Bourg. soeu ; provenç. sor, seror ; espagn. sor ; portug. sor, sorore ; ital. sorore ; du lat. sororem ;
comparez l'allem. Schwester ; angl. sister ; goth. swista ; sanscrit, svasri. Dans l'ancien français, suer (prononcez
soeur) est le nominatif, du lat. sóror, avec l'accent sur so ; seror est le régime, de sorórem avec l'accent sur ró ;
contre l'habitude, c'est le nominatif, et non le régime, qui est resté dans la langue moderne.
‫ ָאחֹות‬se prononce (’achôt) sœur (même père ; mère différentes) ; même parents. Terme aussi utilisé pour exprimer
la réciprocité : l’un à l’autre ou chacune à sa sœur. Source : Kohlenberger / Mounce Concise Dictionnary of
Aramaic and Hebrew

25 Cette interprétation est notre et nous la proposons en se fondent sur la signification étymologique.
26 Anne-Laure Zwilling, Frères et sœurs dans la bible, Les relations fraternelles dans l'Ancien et le Nouveau
Testament, ed. Cerf, Paris, 2010, p.9

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hors la famille, il prend l’horizon de la tribu 27 ou d'un peuple. En revanche il peut être un élément en
commun comme un idéologie, un aspect physique ou encore une appartenance à un groupe, qui peut
faire déclencher des relations, voir des sentiments fraternels. C'est le cas lorsque on s'identifie dans
une mouvement religieux, politique ou culturel. D’ailleurs « dans le monde latin comme dans le
monde grec, on constate la coutume de nommer frère un ami ; ce qui montre que la fraternité y
passait pour le type même de la véritable amitié28 »
La fraternité est donc le réseau des relations entre frères. Une relation qui souvent par « la rivalité
qu'elle fait vivre, la relation fraternelle ouvre donc une “possibilité de structuration” : elle favorise
la constitution de la personnalité, elle a un rôle organisateur, structurant29 ».
La fraternité porte aussi la caractéristique ambivalente de la meilleure et de la pire relation entre
frères. Le frère peut être à la fois le plus fort allié, celui dans lequel on peut confier sa propre vie, et
on ne sera jamais trahi ou déçus. En revanche, il peut se transformer dans le pire de cauchemar,
avec lequel on est entraîné dans une lutte sans fin, dans une compétition sans vainqueur ! La
fraternité peut aussi être comprise comment une ouverture sans limite, qui embrasse tous les
hommes, afin de former une grande famille universelle qui est l’humanité, où on n'aura pas de
difficulté dans le vivre ensemble, en gardant cependant les différences qui nous distinguent. En
revanche, la fraternité peut être signe d'un petit groupe de personnes, un mouvement, une secte qui
marque une appartenance particulière en excluant les autres, et pire encore en les insultant et/ou en
leur déclarant la guerre ! Pour cela, nous retenons que la fraternité est un chemin en progression qui
doit prendre du temps pour se fonder, mais qui doit avoir aussi à la fois le courage de se lancer et
d'aller vers l'autre. Ce chemin, qui amène toujours plus loin, est présenté par Ratzinger lorsque il
explique l’évolution du concept de fraternité30 ; le futur Pape décrit comment dans l'ancien et le
nouveau testament, la fraternité est en référence à ceux qui partagent la même foi. Dans les lettres
de saint Paul il y a une petite évolution du concept de la fraternité qui est comprise dans un horizon
plus large, en effet la même foi dans le Christ ressuscité regroupait sans distinction hommes de race,
langue et de rang sociale différents ; ceci est présenté comme un grand pas d'ouverture ver la
fraternité. Parmi les juifs ce n’était pas le cas, être juif était aussi question d'habiter une terre précise
et d’être des hommes libres. Ce sont des pères de l’Église qui ont élargi la fraternité à l’humanité en
dépassant la limite du religieux « chez Ignace d'Antioche qui exhorte les chrétiens à se montrer par
leur [epeikeia] les frères de leurs persécuteurs et, par là, à s'empresser d'imiter le Seigneur. 31 ». Les
premièrs pères de l’Église ne considéraient pas la fraternité universelle comme une donné naturel et
rationnel, mais comme un devoir spirituel. Le concept de fraternité universelle comme une
fraternité humaine naturelle prendra forme au fur et à mesure que la réflexion théologique,
l’expérience pastorale et l'action missionnaire, se développeront jusqu'à s'établir définitivement
avec les documents du concile Vatican II. Nous voyons donc que la réalisation de la fraternité
universelle est un chemin qui demande patience, courage, engagement et confiance réciproque.

27 Il est intéressant à tel propos étudier le travail de : Jacqueline Chabbi, Les trois piliers de l'islam, ed. Seuil, Paris,
2016 ; et aussi du même auteur, Le seigneur des tribus, L'islam de Mahomet, ed. Cnrs, Paris, 2010.
28 Joseph Ratzinger, Fraternité, en dictionnaire de Spiritualité, tome 5, ed. Beauchhesne, 1964, col.1141
29 Anne-Laure Zwilling, op. cit., p.14
30 Joseph Ratzinger, Fraternité, en dictionnaire de Spiritualité, tome 5, ed. Beauchhesne, 1964, col.1143-1167
31 Joseph Ratzinger, Fraternité, en dictionnaire de Spiritualité, tome 5, ed. Beauchhesne, 1964, col.1150

10
Avec « humanité fraternelle » nous entendons des relations entre les hommes qui soient celles qui
caractérisent la vie des frères, qui ont une même descendance et qui cohabitent sous le même toit et
dans le même endroit. Nous reviendrons sur cette expression plus loin, en clarifiant ces
caractéristiques et ces conditions. Pour le moment nous cherchons à démontrer comment ceci est le
projet de Dieu pour l’humanité, afin de vivre dans la paix et en goûtant la « beauté » de chacun.
Déjà le document « Dialogue et annonce32 » proposait des formes différentes de dialogues en
identifiant quatre forme possibles : 1. le dialogue de vie 2. le dialogue des œuvres 3. le dialogue des
échanges théologiques 4. le dialogue de l’expérience religieuse.
Le dialogue de vie et des œuvres consiste dans un partage de la vie en s’engageant ensemble avec
l'autre et/ou pour l'autre (qui peut être de foi différente) afin que « les objectifs de caractère
humanitaire, social, économique et politique qui favorisent la libération et le développement de
l'homme33 » puissent être réalisés pour une communauté plurielle en vue de rétablir l'humanité
fraternelle . Nous constatons qu'une société plurielle, c'est à dire une communauté de vie où des
hommes avec des connaissances et/ou des attitudes et/ou des capacités diverses coexistent, est
construite sur des valeurs communes aux religions, à savoir la patience, la gentillesse, la solidarité,
l'aide aux démunis, la sincérité, le respect, … Cela parce que ces valeurs sont des valeurs
recherchées par toute l’humanité, et la poussent à redécouvrir une relation fondamentale qui est
celle de la fraternité, qui permet la vie et la vie en plénitude. « La société toujours plus globalisée
nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères. La raison, à elle seule, est capable de comprendre
l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à
créer la fraternité34. ». La religion n'a pas la tache de transmettre ces valeurs, mais plutôt le devoir
de les protéger et de garantir que la rencontre entre les hommes devient possible, une rencontre qui
doit se faire fraternellement.
Nous individuons, donc, dans le dialogue de vie et des œuvres, la garantie de ce rendez-vous et la
réalisation d'une fraternité. Cela sera possible, doucement et à fur à mesure qu'on respecte l’altérité,
autrement dit la diversité de l'autre, en accueillant la vérité que « mon frère » désire partager avec
moi et la beauté dans laquelle il a fondé son « espoir ». En effet « Dans une société en voie de
mondialisation, le bien commun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assumer les
dimensions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la communauté des peuples et des
Nations, au point de donner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque
sorte, la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu.35 »

32 Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Le dialogue interreligieux dans l'enseignement officiel de l’Église
catholique, Solesmes, 2005 p.1480
33 Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, op. Cit., p. 1421
34 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n°19, Lettre Encyclique
35 Benoît XVI, C.V. n°7

11
a) À partir de la Bible

Premier Testament
L’humanité fraternelle trouve à notre avis ces/ses fondations dans la Parole de Dieu. Elle exprime le
projet du Créateur dès son commencement. Pour cela nous proposons de revisiter le récit de la
création (Gn 1 et 2,4) et des autres récits de la genèse tels que: le pêché originel (Gn 3); la relation
entre Caïn et Abel (Gn 4); la tour de Babel (Gn 11).

Le projet de Dieu
Le récit de la création de l'univers offre au lecteur la première image de Dieu. À travers son œuvre,
nous pouvons comprendre son projet pour l’humanité. Dès le debut, le récit pose l'accent sur la
différence ciel/terre ; chaos/vide ; ténèbres/lumière ; … (Gn 1,1 et ss). Aucune différence est
éliminée, même pas les ténèbres, ou l'eau qui occupe toute la terre et qui est le symbole du mal 36.
Dieu garde les différences et il trouve une place pour chaque élément, afin que tout puisse continuer
à exister et à avoir une fonction importante dans le monde. Même le temps est caractérisé par une
diversité « il y eut un soir et il y eut un matin » (Gn 1,5.8.13...). Cette diversité continue dans la
végétation, dans les êtres vivants dans la mer, dans le ciel et sur la terre. Tout trouve une place pour
coexister.
Un passage important est l’évolution de cette diversité dans une altérité. Lorsque Dieu créa
l’humanité. Une altérité qui trouve la possibilité d'exister lorsque Dieu met une limite à sa puissance
créatrice. Une limite qui montre la vraie force de Dieu, celle de pouvoir se limiter, afin qu'un autre
puisse commencer à exister. Andrè Wenin en commentant ce passage, affirme « en mettant un terme
à son intervention créatrice, Dieu ouvre pour l’humanité, pour l'homme et la femme un espace de
liberté où agir en responsabilité, où être créateurs à leur tour en exerçant une réelle maîtrise37 ».
La différence, voire l’altérité, c'est-à-dire, respecter les espaces de l'autre afin que la vie de tous soit
garantie, est un thème continu dans toute la Sainte Écriture. Dans les récits qui suivent la création,
nous est présenté l’humanité, qui est déjà altérité dans l'homme et la femme, qui se promène dans la
création qui vient d’être créé, et que grâce au respect de l’altérité cette création est un paradis, où

36 http://www.bibliquest.net « Signes et symboles dans la bible », mer = Dans l’Ancien Testament comme dans le
Nouveau, les flots impétueux de la mer, agités par la tempête, sont parfois une image des nations impies. La figure
est clairement expliquée en Apocalypse 17, 15: « Les eaux que tu as vues, où la prostituée est assise, sont des
peuples et des foules et des nations et des langues ». Il est dit quelque chose de semblable en Ésaïe 17, 12, 13:
« Malheur à la multitude de peuples nombreux ! – ils bruient comme le bruit des mers, – et au tumulte des
peuplades ! ils s’émeuvent en tumulte comme le tumulte de grosses eaux » (cf. Ps. 65, 7; És. 57, 20; Ézéch. 26, 3).
L’apparition d’une bête montant de la mer en Apocalypse 13, 1 montre que l’Empire romain naîtra d’un état de
confusion ou d’anarchie (cf. Dan. 7, 3). En Matthieu 13, 1, le fait que le Seigneur Jésus s’assit près de la mer
signifie qu’il se détourne de son peuple terrestre et prêche dès lors un message qui est destiné à tous les hommes.
Dans l’éternité, il n’y aura plus de mer sur la nouvelle terre (Apoc. 21, 1), car tous les états désordonnés, toute
confusion et tout tumulte seront passés à jamais.
Ténèbres Les ténèbres, et par là aussi la nuit, sont une figure, dans les Saintes Écritures, de l’éloignement de Dieu
et de l’ignorance à son sujet.
cf. Maurice Cocagnac, Les symboles bibliques, ed. Cerf, paris, 2009, p.24, 56-59, 369

37 André Wenin, L'homme biblique, ed. Cerf, Paris, 2009. p.21

12
l’humanité n'a pas honte (Gn 2,25) car elle n'est en aucune manière menacée par l'autre. Pour
souligner le respect des espaces de vie, Dieu donne un limite, les fruits d'un arbre qui sont interdits.
Dieu a tout donné à l’humanité, tout ce qu'il avait créé, et il avait appris à l'homme que pour rester
libre et cocréateurs de Dieu, il fallait savoir respecter l'espace qui est donné à l'autre, une espace de
vie, une espace pour exister « mange librement…. » (Gn 2,16-17)

Un projet échoué
Le respect de ce limite, de ces fruits interdits, était le rappel que l’humanité avait pour continuer à
exister dans le paradis. Le théologien de la Genèse utilise des mots significatifs pour indiquer
l'action de la possession « d'où la mainmise, la volonté d'accaparer pour soi, symbolisées par le
prendre et le manger (3,6). Et cette faute est fatale car elle tue la relation, alors que celle-ci est
vitale38 ». L’humanité en brisant cette limite, à cause du désir de posséder l'espace de l'autre, se
retrouvera, elle-même, sans un véritable lieu sûr, l'action qu'elle accomplie se retourne contre elle39.
Dès que cet espace est violé par l’humanité, cette dernière n'est plus en sécurité, car tous les espaces
seront dorénavant sous la menace d’être occupés, et aucun être humains ne sera plus assuré de son
lieu de survie. « Leurs yeux à tous les deux s'ouvrirent, et ils prirent conscience qu'ils étaient nus.»
(Gn 3,7). Les yeux s'ouvrirent sur l'espace de l'autre, en l'occupant et en désirant «prendre» et
« manger », l’humanité commencera à protéger ses propriétés. «Ils attachèrent des feuilles de
figuier ensemble et s'en firent des ceintures» (Gn 3,7), c'est pour cela qu'ensuite Dieu appelle
l'homme. Cet appel est significatif, d'une part il s'adresse à la conscience de l’humanité, afin qu’elle
fasse le point de la situation et elle revient à remettre les choses à leur place; d'autre part Dieu
insiste dans l'appel, car il n'y a plus de place où retrouver l'homme ; en voulant tout prendre il s'est
perdu et pour le trouver il faut l'appeler.

Pour rétablir le projet


En continuant la lecture de la Genèse nous remarquons que malgrè cette grave faute, Dieu
n'intervient pas, car Il laisse l’humanité faire ses choix, Il avait donné la création à l'homme et il
l'avait appelé à être cocréateur (Gn 1,28-29). Dieu est fidèle et il n’intervient pas ! En revanche, il
ne laissera pas l'homme dans sa boue, Il lui donne une possibilité de revenir au Paradis, à se
promener à nouveaux sans la terreur d’être menacé. Et c'est avec l'histoire de Caïn et Abel, que Dieu
indique le chemin pour rétablir l'ordre : créer une humanité fraternelle ! Le projet est facile : se
donner des limites en respectant l’altérité, l'espace de l'autre afin que l'autre puisse exister 40. Un
projet tellement simple, qui à plusieurs reprises est rejeté ou qui n'arrive pas à trouver son
accomplissement. C'est ainsi avec Esaü et Jacob, Joseph et ses frères, Moise et les Égyptiens, Josué
et les cananéens, Saul et David… et ensuite avec les dynasties chinoises, islamiques, les états en
Europe, la colonisation, la commercialisation, et ainsi de suite !

38 André Wenin, op.cit., p.23


39 Intéressante comme dans l'art le serpent est représenté autour d'un arbre, comme pour indiquer que le mal que tu
fera (celui de ne pas respecter l'Autre) se retournera vers toi. (proposition d'images dans l'art
http://jalladeauj.fr/obscenite/page1/page2/page2.html ; https://fr.pinterest.com/pin/384705993147528994/ )
40 C'est ceci une grande intuition de Pierre Claverie, qui cherche de l'expliquer tant dans le livre « L’humanité
plurielle » et tant dans « Le petit traité du dialogue ». Pour les références des livres voir bibliographie.

13
Caïn et Abel sont deux frères, qui portent sur eux tout le poids des évènements qui les ont précédés.
La première conséquence qu'ils doivent subir est dans leur profession : Caïn, l'agriculteur, Abel,
l’éleveur. Ce sont eux deux qui commencent à réaliser le commandement de Dieu : maîtriser les
animaux (Gn 1,28) et cultiver la terre (Gn 2,17-19). Les professions différentes indiquent une
première possibilité dans l’humanité pour être complémentaires, pour s'enrichir réciproquement.
Ces deux travaux différents pourront être l'occasion d'une rencontre, d'un dialogue, d'un échange
fructueux entre eux. Mais il ne sera pas ainsi, la différence sera comprise comme cause de
problèmes, de rivalités et enfin de menace pour l'autre.
Une deuxième conséquence est lié à leur condition d’être : Caïn est l’aîné, il est présenté aussi
comme le premier fruit d'un acte de co-crèation d'Adam et Eve. Pour cela peut-être est-il considéré
par sa mère comme un « semi-dieu »41. En effet, elle dit « j'ai donné vie à un homme avec l'aide de
Dieu » (Gn 4,1). L 'accent est sur la vie et sur l'aide divine qui sont un lien indissoluble entre Dieu
et l’humanité, Dieu garde la relation avec l'homme, et il partage son pouvoir de donner la vie.
Jamais le Dieu tout-puissant n'interrompt le dialogue avec l'homme, car le dialogue est la condition
afin que l'espoir de rétablir « le paradis terrestre » soient garantis.
Après ces détails sur lesquels nous reviendrons ensuite, ce qui est intéressant c'est ce qui suit à
propos d'Abel : « elle continua a enfanter son frère Abel » (Gn 4,2). Il y a dans cette incise de Gn 4,
des indications intéressantes pour le travail pastoral dans le dialogue. Voyons-les !
Eve, qui semble d’ailleurs la vraie protagoniste des premiers chapitres de Genèse 42, « continua à
enfanter », malgré la décision et l'action qui ont déterminé une façon d’être précise pour l’humanité
en la marquant d'un échec primordial. Eve ne renonce pas à continuer à avancer, à essayer des
nouvelles occasions pour partager l'existence et l'espace de vie. Elle enfante « son frère », l’accent
est mis sur Caïn, car c'est à lui de « jouer à son tour » pour rétablir la fraternité dans le monde, pour
laisser à son frère une espace pour exister, car Caïn, en étant l’aîné a tout pris43.
L'expression « elle continua à enfanter son frère » souligne que Abel est la continuation de Caïn, qui
est celui qui a un certain poids « l’être acquis qui existe et qui mérité d'exister44 » tandis que Abel
« est un appendice de l’aîné, il est dans son sillage. Il ne le menace pas, son nom veut dire buée,
mais il est là enfanté dans la foulée 45 ». C'est Caïn qui doit reconnaître Abel comme son frère, en lui
laissant un espace de vie, afin qu'il puisse s'exprimer, se raconter, afin d’acquérir un certain poids et
une stabilité. En effet Abel est éleveur, il n'a pas une terre à lui, un espace à lui, il doit se déplacer
en continuelement, il est comme un vagabond ! Il a seulement la possibilité de créer une relation
avec des animaux et avec Dieu. Caïn est appelé à lui laisser de la place, une place qui doit être
offerte gratuitement, car gratuitement elle a été donnée et ainsi doit être proposée.
Malheureusement, Caïn n'arrive pas à reconnaître Abel comme son frère « nulle part dans la Torah
on ne trouvera que Caïn est le frère d'Abel, mais toujours qu'Abel est le frère de Caïn 46 » Caïn
41 Andrè Wenin, op.cit., p.54
42 C'est toujours Eve qui commence le dialogue, qui est présenté comme celle qu'accompli les actions Gn 3,6 ; 4,1-2.
43 Voir à propos de l’hérédité en Gn 25,5.
44 Armand Abécassis, L'univers Hébraïque. Du monde païen à l'humanisme biblique, ed. Albin Michel, Paris, 2003,
p.179
45 Daniel Sibony, Lecture bibliques. Premières approches, ed. Odile Jacob, octobre 2006, Paris. p.50
46 Armand Abécassis, op. cit. p.179

14
manque à sa mission, comme ses parents il échoue sa vie. Pourtant, Dieu cherche de stabiliser la
situation d'Abel qui reste « un rien » pour son frère, le Créateur ne fait aucun tort à Caïn, Il ne lui
enlève rien, Il ne lui fait pas de reproche. En revanche, Caïn n'est pas capable de se donner des
limites, ni de respecter les limites « spirituelles » comme celle de l’agrément ou du rejet divin. « Le
Seigneur eut un regard favorable sur Abel et sur son offrande, mais pas sur Caïn et sur son
offrande » (Gn 4,4-5). Dieu préfère l'offrande d'Abel à celle de Caïn. Sur le pourquoi de ce choix
divine, il peut en avoir beaucoup d’interprétations. Nous aimons penser qu'il ne s'agit pas d'une
préférence dûe à l’offrande ou en rapport aux personnes, mais à la façon d’offrir. Abel offre des
prémices de ses bêtes, bien en chaire et en santé, nous fait comprendre le texte, donc« d'une certaine
manière aussi lui [Abel] est présent dans ce don. C'est à ce seul niveau que divergent les deux
offrandes, moins dans le contenu que dans la manière d'offrir 47 ». Cette interprétation nous ouvre
encore plus la voie au dialogue de vie et des œuvres, en tant que Dieu n'a pas une préférence entre
personnes (chrétiens ou musulmans ou bouddhistes…), mais Il est attentif à la manière dans
laquelle ces personnes en question vivent. Cependant, Caïn a de la jalousie, qui enlève en lui la paix
du cœur ! Par conséquence, « Caïn fut très irrité et il arbora un air sombre » (Gn 4,5). Cela arrive
quand on n'arrive pas à reconnaître que « l'autre ne doit plus m’apparaître comme ma limite ou ma
négation, mais comme condition de ma réalisation48 ».
Mais Caïn retient d'avoir raison et d’être dans la vérité, « la jalousie qui s'empare du regard de Caïn
le dévore jusqu'à lui faire perdre toute figure humaine : au lieu de se redresser, il s'effondre
complètement49 ». Il n'est plus à la hauteur d’évaluer la beauté de l’altérité et la nécessité d'une
limite. Il considère donc l'autre une menace à son existence. En effet, la relation entre frères est
souvent un « lieu des attachements les plus forts, de la jalousie et de la rivalité la plus intense, n'est
jamais insignifiante50 ».
Dieu intervient une dernière fois avec une indication importante « Si tu fais le bien, ne seras-tu pas
agrée? Et si tu ne fais pas bien, le péché est couche à la porte. Et son désir sera tourné vers toi, et toi
tu domineras sur lui. » (Gn 4,7). « Si tu fais le bien ». Travailler pour le bien, pour les autres avec
les autres … ceci est le bon chemin ! Dialogue de vie et des œuvres ! Se mettre au même niveau que
l'autre consiste à lui donner une espace, à le considérer afin qu'il existe. Mais « Caïn parla à son
frère Abel, et lorsqu'ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua. 51 » ; Caïn parla sans
prononcer aucune parole « de sorte que ce silence traduit l’impossibilité pour Caïn de dominer sa
jalousie52 ». Ce manque de dialogue termine dans une incompréhension et une haine meurtrière.

47 Philippe Abadie, ce que dit la bible sur… Le frere, ed. Nouvelle Citè, 2016, p.14
48 Pierre Claverie, Humanité plurielle, en citant R. Garaundy. p.58
49 Philippe Abadie, op. cit., p.15
50 Anne-Laure Zwilling, Frère et sœurs dans la bible, Les relations fraternelles dans l'Ancien et le Nouveau
Testament, ed. Cerf, Paris, 2010, p.7
51 Traduction Tob. En note page est rapporté « Litt. Caïn dit à son frère Abel. Dans l’hébreu, aucun discours direct
n'est rapporté après cette formule d'introduction. Les versions ont comblé la lacune en ajoutant : Allons aux
champs. »
52 Philippe Abadie, op. cit., p.18

15
Pour ne pas tomber à nouveaux
Ce que nous avons présenté jusqu'à ici c'est, d'après nous, le projet que Dieu rêve pour l’humanité,
et la mauvaise réponse que l'homme donne aux continuelles occasions de recouvrer la vie perdue,
une vie éternelle, paradisiaque, en compagnie de Dieu, libre et propriétaires de tout.
Comme un refrain, ce projet revient dans la Bible avec sa précieuse proposition, mais la réponse est
souvent entachée du « malentendu originel ». Nous voyons cela dans: l'histoire de Noé ; dans la
relation entre Sara et Agar et par conséquence dans la relation entre Abraham et Isaac-Ismael ;
Jacob et Esau ; Joseph et ses frères ; Moise avec les égyptiens et les juifs ; Moise et Aaron ; Saul et
David ; le royaume de Israël et celui de Juda ; et en allergisant à toutes les réalités de pouvoir
politique, économique, social, religieux, dans le monde entier.
Nous proposons encore un texte, celui de la tour de Babel, où le « malentendu originel » est vécu
par l’humanité : la symbologie décrite est très précieuse pour notre réflexion par rapport au projet
divin de la fraternité universelle et du dialogue de vie et des œuvres.
Le récit de la tour de Babel (Gn 11) se place après une liste nombreuse des fils de Noè. Cette liste
est appelée aussi la table de Nations, un récit qui porte la bénédiction de Dieu 53 :«C'est l'héritage de
Yahvé que des fils, récompense, que le fruit des entrailles; comme flèches en la main du héros, ainsi
les fils de la jeunesse.» (Ps 127,3-4) et qui observe le commandement « Dieu les bénit et leur dit :
reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la! » (Gn 1,28 et aussi Gn
9,1.7). La liste des nations présente une grande variété des noms et des personnages, plusieurs
d'entre eux seront fondateurs de ville – lieu de vie commune - d'autres seront chefs de clan, ou de
tribus, et chacun avec sa langue «[...] groupés par clan et par langue dans leurs territoires et leurs
nations54 » (Gn 10,5.20.31). En citant M. Balmary, Andrè Wenin rapporte « on ne saurait mieux
évoquer la diversité des êtres, chacun ayant un nom qui lui est propre, la diversité des peuples ayant
essaimé sur la terre à partir des trois fils [de Noè..]. Il y a de plus en plus d'humains sur la terre,
mais chacun unique, jamais deux fois le mème55 ». Finalement, une humanité plurielle qui s'accepte
pour telle !. Au terme de la lecture de ce chapitre on a le cœur apaisé, comme si le regard
miséricordieux de Dieu est en train de guider l'avenir de l’humanité.
Étonnante donc, l'histoire de la tour de Babel qui se place en suite, et qui n'a pas le même refrain de
diversité, d'un horizon large, d'une humanité plurielle. Dés la première ligne on lit « toute la terre
avait une seul langue et les mêmes mots » (Gn 11,1) il s'agit d'une grande contrariété avec ce qu'on
vient d'affirmer, et en plus les peuples ne sont pas dans le monde, avec leurs espace de vie, mais
regroupé dans un seul Lieu, avec un projet commun. Pour comprendre ce passage, il faut le lire
comme un flash-back56, que l'auteur biblique utilise pour expliquer une fois de plus comment le
projet d'une humanité plurielle a été déformé et enfin rétabli avec l'aide de Dieu.
Le récit de la tour de Babel nous donne des éléments importants pour soutenir notre proposition.
Tout d'abord, il faut revenir aux fils de Noè, lesquels en tant que frères avaient la possibilité de
53 Voir aussi Psaume 128,3-5 ; Pr 13,22 ; Pr 17,6 .
54 Cette phrase est répété comme un refrain, au commencement, au milieu et à la fin d'une petite section (Gn 10).
Superflu insister sur le fait de l'importance que l'auteur de Genèse veut donner à ce détail.
55 Andrè Wenin, op. cit. p.58
56 Andrè Wenin, D'Adam à Abraham ou les errances de l'humain, Cerf, Paris, 2007, p.217

16
« jouer à leur tour » pour soigner les faillites de leurs prédécesseurs. Les thèmes se répètent : la
bénédiction de Dieu afin de se multiplier et de vivre sur la terre ; le devoir de se limiter dans
l'espace de l'autre, indiqué par la tente de Noè où il se mit à nu 57 ; la nudité comme symbole de
l’altérité à respecter ; Cham qui ne la respecte pas, et les autres frères qui, eux, en revanche se
donnent une limite ; une limite (un interdit) qui poussera Noè à maudire Cham et bénir les autres
fils. Le récit de la tour de Babel met en garde des conséquences du pêché de Cham, qui est une
erreur à éviter, et qui peut empêcher les autres de vivre pleinement, un péché qui peut se
transmettre. En effet, Cham eut aussi des enfants : Cush, Mitrasraim, Puth et Cannan. Parmi les fils
de Cush on mentionne Nimrod qui «régna d'abord sur Babel » (Gn 11,10). Le projet de bâtir une
ville et une tour n'est pas mauvais en lui-même. On voulait bâtir une communauté qui soit unie et
qui puisse vivre dans un même lieu en se comprenant et en restant en harmonie. La tour aurait eu la
fonction de repère pour ceux qui sont perdus dans le désert et qui doivent rentrer chez eux. Mais le
projet commence mal, l’enthousiasme qui soutient un rêve d’unité se transforme dans un projet
d’uniformité, «“et il arriva, alors que toute la terre était un langage unique et des mots uniques” (v.1).
Ce que le narrateur souligne par ces mots, ce n'est pas seulement que toute la terre - à savoir tous les
humains qui la peuplent - parle la même langue. Ces gens tiennent aussi le même discours, répètent
des paroles identiques. […] au verset 3 […] le narrateur montre comment tous ces gens se disent
l'un à l'autre la même chose en ânonnant les mèmes mots. C'est en tout cas ce que suggère le
caractère répétitif des propos qu'ils échangent, littéralement : “Briquetons briques et cuisons en
cuisson”58 ». La tour qui devait être un point de repère pour sauvegarder l’unité, devient moyen
pour ne pas respecter les limites en transgressant l'espace de l'Autre, « une tour où le sommet
pénètre les cieux ». Leur projet se dégrade en voulant « fabriquer des briques » et en renonçant à la
pierre (Gn 11,3 ) : le brique est plus fragile que la pierre, en plus le brique par sa forme précise et
régulière rappelle la situation de l'esclavage où l’altérité est effacée en réduisant les hommes à une
appellation commun d'« esclave ». Dans tous ces détails – vus rapidement – un bon projet d’unité,
voire d’humanité universelle, se transforme en une menace pour l'homme, cela parce que ce projet
si ambitieux est celui d’éviter la diversité, de ne pas reconnaître l’altérité, d'emprunter un raccourci
pour réaliser l’unité, celle de l’uniformité : une seule parole, une seule communauté, un seul métier,
une seule tour (point de repère). … On pourrait ajouter un seul rite, un seul credo, une seule
compréhension de Dieu59 ! Dieu veut garder les différences et surtout l’altérité, « car ce Dieu est un
Dieu d'alliance, et une alliance ne peut vraiment se vivre que si les partenaires restent eux mèmes,
différents et à distance60 ». C'est pourquoi Dieu accentue la diversité, en enrichissant leur façon de
parler, de communiquer, de mettre en relation des éléments nouveaux qui ré-ouvrent l'horizon dans
une prospective plus large et plus riche, à tel point que les hommes sont désorientés par cette
grandeur et ils ne se comprennent plus par rapport à leur petit projet avec une vision unique.

57 L'alcool joue un rôle important, car il enlève la faculté à la raison, en menaçant les bonnes relations entre les frères.
Élément qui est bien claire dans la charia musulmane.
58 Andrè Wenin, D'Adam à Abraham ou les errances de l'humain, p.219
59 Avec l'expression « une seule compréhension de Dieu » nous ne voulons pas mettre en doute l’unicité de Dieu, mais
que Dieu n'est pas compris uniformément, et qu'il ne veut pas qu'il soit compris unilatéralement ! sur ce point nous
revendrons plus avant.
60 Andrè Wenin, L'homme biblique, p.59

17
« En réalité, Adonai offre une nouvelle chance aux gens de Babylonie, puisqu’il consacre des
différences indispensables à leur vie et à son épanouissement. Loin de les priver de l’unité qu'ils
désirent, il ne fait que les empêcher de prendre un raccourci qui les conduirait à nier la valeur qu'ils
veulent atteindre, ou à la pervertir en uniformité réductrice et étouffante61 ».
Une dernière remarque nous encourage d'avantage pour entreprendre le chemin de la fraternité
universelle. Il s'agit du nom de la ville « Babel », qui en hébreu donne « Bavel », ce nom se prête à
deux interprétations. D'une part il renvoie à la pluralité de façons d'exprimer et de se comprendre,
qui peut porter à la confusion et à la dispersion. D'autre part, nous avons l’interprétation tirée par la
langue des Babyloniens, qui indique la « porte de Dieu » et alors, dans ce cas « la diversification de
l’humanité est une chance, dans le sens où elle constitue une “porte” pour aller vers Dieu, pour aller
vers "l'UN" 62». Les deux interprétations résument bien ce que se passe dans le dialogue
interreligieux, ou, au moins, ce qui devrait s'y passer63 !64

61 Andrè Wennin, D'Adam à Abraham ou les errances de l'humain, p.226


62 Andrè Wenin, D'Adam à Abraham ou les errances de l'humain, p.227
63 Dans le dialogue interreligieux la différence de langage est parfois mal compris et génère confusion et dispute ;
mais parfois ce même différence et pluralité de langage et de conceptions, enrichi l'autre et crée de l'estime et du
respect.
64 Terminons ici la partie dédiée au Premier Testament, mais nous indiquons aussi de voir les Prophètes So 3,9 et Ml
1,11 et 2,10.

18
Seconde Testament65

Dans les Évangiles et dans les lettres apostoliques, nous trouvons un certain nombre d'appuis pour
fonder notre proposition d'une fraternité universelle et de la réaliser à travers un dialogue de vie et
des œuvres. Nous en proposons quelques exemples.
Le projet de Dieu comme « fraternité universelle » est bien repris par Jésus qui dans sa façon de
parler et d'agir insiste dans sa prédication et pour le chemin de « restauration » du rêve de Dieu ; qui
nous le rappelons coïncide avec la situation paradisiaque pour l'homme.
Jésus et ses théologiens (les évangélistes, Paul et les auteurs des lettres) ne cessent de dénoncer les
attitudes et les situations qui éloignent d'une acceptation de l’altérité et de la vie en plénitude.
C’est pourquoi Jésus se fâche avec force avec ceux qui cherchent à glisser dans les espaces des
autres, en les occupant et en détournant l’âme de la bonne direction. C'est le cas lorsque il reprend
les pharisiens en les appelant « race de vipères » (Mt 12,34 ; 23,33 ), en indiquant par les vipères
ceux qui se donnent à la tromperie, à la promesse de connaissances interdites et l'auto-élévation 66.
Ou bien, lors des tentations dans le désert (Lc 4,1-13), où une fois de plus le projet de Dieu est mis
en danger en proposant à trois reprises de considérer les autres et l'Autre comme quelqu'un à
dominer ou à obliger à faire quelque chose pour soi : Jésus montre que le chemin pour se poser des
limites est bien indiqué dans la Parole de Dieu, et il s'agit d'un chemin qui garde la vie et la liberté
de chacun en le rétablissant ami et fils de Dieu.
À plusieurs reprises, Jésus indique la voie pour rétablir la fraternité, en donnant des indications :
« Si ton frère a péché, reprends-le; et, s'il se repent, pardonne-lui. Et s'il a péché contre toi sept fois
dans un jour et que sept fois il revient à toi, en disant: Je me repens : tu lui pardonneras. » (Lc 17,3-
4) en effet « il faut d'abord pratiquer la correction fraternelle, oser dire à l'autre le mal qu'il nous a
fait, et non ruminer en silence ou étouffer la chose. Car c'est ainsi que l'autre peut se reconnaître
coupable et se repentir ; tel est le but à rechercher» 67 ou encore « tu aimera ton prochain comme toi
même » (Mc 12,31) jusqu'au commandement « Aimez les-uns les autres comme je vous aimez » (Jn
13,34) sans faire de distinctions entre les religions et les races.
Pour construire la fraternité il n'est pas suffisant de s’abstenir du mal ou de suivre des indications. Il
est impératif d'ouvrir des espaces de vie, s'engager pour affirmer l'autre comme mon frère ! Jésus
raconte, alors, la parabole du “bon frère” (Lc 10, 25-37) qui malgrè la fatigue du voyage,
l'ignorance de l’identité de l'autre, les dépenses considérables à soutenir, les opinions des autres,
s’intéresse de la situation et de la vie du nécessiteux; le “bon frère” est poussé par la pitié pour venir

65 Nous utilisons le terme « seconde testament » et non « nouveau » pour ne pas donner l'impression que « l'ancien »
soit compris comme abrogé et parce que le terme « seconde » indique plus clairement qui se trouve à la suite d'un
premier et que au même temps indique l’achèvement « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir » dit
Jésus (Mt 5,17)
66 « Dans l’Apocalypse, le serpent se transforme en dragon. Il essaye, sans succès, de s’attaquer à la femme qui
enfante le Messie ainsi qu’à sa descendance [...] le dernier livre de la Bible donne un nom à cette force bestiale : “le
grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier” (Ap 12, 9) »
http://www.bible-service.net
67 Hugues Cousin, L’Évangile de Luc, ed. Centurion, Paris, 1993, p.224

19
à la rencontre du malchanceux, contrairement aux autres qui à cause des leurs lois religieuses ou de
leurs préjugés « ont poursuivi leur chemin ».
Permettre à l'autre d'entrer en relation et partager son espace de vie, c'est ce que Jésus a entrepris
avec la femme au puits en Samarie (Jn 4,5-43). En lui demandant de l'aide « s'il te plaît donne-moi à
boire », Jésus offre à l'autre un occasion pour créer des liens de connaissance réciproque, une
démarche très simple, mais souvent empêchée à cause de l'orgueil, qui préférait « prendre et
manger », tandis que ici Jésus est respectueux et disposé à partager son espace de vie « s'il te plaît,
donne-moi à boire » un tel geste casse les murs de l'individualisme et du sectaire « Comment ? Tu
es Juif et tu me demandes à boire, à moi qui suis Samaritaine ? ». C'est le commencement d'un
dialogue et du partage de leurs vies, chacun se donne à l'autre pour ce qu'il est et il partage ses
propre connaissances, voire ses convictions. La fraternité créée entre Jésus et la femme est
finalement solide, les espaces de vies sont partagés et cela permet à des autres personnes à s'engager
dans ce chemin de fraternité, et ce qui arrive aux paysans lorsque après le témoignage de la femme
ils rencontreront eux-mêmes Jésus.
Dans le même sens, Jésus raconte la parabole de la “dette à la fraternité” (Mt 18,23-35) où un roi
tout-puissant était créancier d'un serviteur qui lui devait une somme « impossible » à rendre ; au
moment où le roi avait déjà décidé de vendre le serviteur, les siens et ses biens. « Tombant à ses
pieds, il se prosternait devant lui en disant : Patience avec moi, et je te rendrai tout ! » le geste
toucha le cœur du roi qui eut un changement imprévisible, non seulement il accepte la proposition
de l'endetté, mais il va encore plus loin en le libérant de sa dette. Avec ce geste, l'homme regagne
son espace de vie et celui de ses proches. En revanche, cet homme n'a pas appris à être touché au
cœur par ses frères. C'est ainsi que, au lieu de voir la situation « de son frère », il est fixé sur « la
dette » en ignorant qu’il y a la possibilité de le libérer comme un homme qui doit devenir « frère ».
Au contraire, le serviteur jette « l'autre » en prison, en renonçant à construire une fraternité. Si la
parabole avait commencé avec la perspective du don en construisant des relations fraternelles qui
libèrent l'homme, elle termine avec plusieurs personnes en prisons (les deux serviteurs et la famille
du premier v.25)68.
Saint Paul, le théologien des païens, comprend le message et la place du Christ comme celui qui
peut être pris en référence « de l' homme parmi les hommes, même si Fils de Dieu », pour soigner le
mal de l’humanité et former la fraternité universelle qui est d'abord diversité, altérité et donc
complémentarité. Il donne aussi des attitudes pour vivre cette fraternité (cf. Rm 12,4-16) sur
lesquelles nous reviendrons dans la deuxième partie de notre proposition. L'image d'un seul corps
qui est composé de différentes parties et qui se référent toutes au Christ, est reprise dans la première
lettre aux Corinthiens (1 Cor 12,12-31) où Paul insiste sur l’unité du corps et sur la différence de ses
parties, toutes importantes et irremplaçables. « Si le pied disait : Puisque je ne suis pas la main, je
ne fais pas partie du corps. N'en ferait-il pas partie pour autant ? ... » (v.15). C'est dans cette
direction que la communauté chrétienne est vue par Paul, et en élargissant la vision à une
communauté plus vaste, celle de l’humanité, le raisonnement est valable à tous les faits. Paul invite
à être attentif à ceux qui sont les derniers : « les parties du corps qui nous paressent insignifiantes

68 Pour cette interprétation nous nous sommes appuyés sur le travail de Bernard Van Meenen, Des écritures à
l'Evangile, ed. Lumen Vitae, Bruxelles, 1999. pag.36-41

20
sont particulièrement nécessaires. »(v.22). Justement, puisque l’humanité est une, lorsque il y a une
partie qui souffre, toute l’humanité souffre. « Un membre souffre-t-il ? Tous les autres souffrent
avec lui » (v.26). C'est pourquoi chaque homme est appelé à bâtir cette humanité fraternelle en
respectant l'espace de vie de l'autre, en jouissant de la beauté et de l'existence de l'autre, et en
s'engageant pour le bien de l'autre. Devenir frère en respectant les limites et l’œuvre de l'autre et en
mettant à profit les dons (capacités) où il réussit le mieux (1 Cor 12,7-12), sans tomber dans la
spirale du mal « ne répondez jamais au mal par le mal, « Cherchez au contraire à faire ce qui est
bien devant tous les hommes. Autant que possible, et dans la mesure où cela dépend de vous, vivez
en paix avec tous les hommes » (Rm 12,17-18). L’altérité et la diversité de comprendre le Seigneur
ne doivent pas empêcher de vivre ensemble et de s'accueillir l'un l'autre comme des frères « À celui
qui est faible dans la foi, soyez accueillants sans vouloir discuter des opinions. Tel croit pouvoir
manger de tout, tandis que le faible ne mange que des légumes : que celui qui mange ne méprise pas
l'abstinent et que l'abstinent ne juge pas celui qui mange : Dieu l'a bien accueilli. […] En effet nul
d'entre nous ne vit pour soi-même, comme nul ne meurt pour soi-même ; si nous vivons, nous
vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur » (Rm 14,1-8).
Dans cette indication, Paul parle bien du dialogue interreligieux, en rappelant que les façons
différentes d’exprimer la foi ne doivent pas faire oublier que chacun, le fait pour le Seigneur,
convaincu de Lui faire plaisir 69, car tous (toute l’humanité) Lui appartiennent, donc pas de dispute
mais au contraire chercher à goûter la beauté de la diversité. Être frères ne signifie pas être tous
égaux ou connaître Dieu tous de la même manière. Il nous suffirait de rappeler la parabole des
frères qui avaient une vision différente de la vie et de leur Père et parce qu'ils n'acceptaient pas la
vision de l'autre, ils n'ont pas réussi ni à se conseiller, ni à se chercher, ni à s'aider, ni a s'accueillir
et ni à se parler. Ils découvrent enfin qu'ils ne connaissaient presque rien de leur Père (Lc 15,11-32).
En effet le message de cette parabole est très incisif : si nous ne reconnaissons pas l'autre comme
notre frère, nous ne connaissons pas non plus Dieu comme notre Père. La fraternité universelle se
joue dans une dynamique ouverture vers l'autre et de reconnaissance pour ce qu'il est , « [le fils
aîné] il ne vit pas dans la liberté d'un amour reçu et partagé. Quand cet amour de son père (Dieu) se
manifeste, avec ses traits caractéristiques, la gratuité et le pardon, il le condamne. […] L’aîné n'est
pas vraiment fils ni frère : il n'est pas fils de son père ni frère de son frère. D'où sa démarche pour
devenir vrai fils exigera beaucoup plus de sa part : il devra reconnaître son frère comme frère pour
pouvoir reconnaître son père comme père. […] Être fils, c'est avoir un comportement qui répond au
comportement du père70 ». ll est choquant de lire comment le fils cadet demande sa part d’héritage
alors que son père est encore vivant. Ce jeune homme inexpert en pensant seulement à lui-même tue
son Père. Ce dernier, comme un mort (en silence sans réagir) établit la part de son fils et le laisse
partir, afin qu’il puisse vivre cette liberté et le détachement réclamés avec empressement. Le cadet,
dans les difficultés de la vie pense à la maison de son père, il n'a pas des pensées pour son père et
encore moins pour son frère aîné. Il ne cherche pas une rencontre pour le vivre ensemble, mais un
lieu pour survivre ! La réaction du Père bouleverse le lecteur ; la rencontre de commercialisation
programmée par le fils cadet, se transforme en une rencontre de fête où le vivre ensemble est mis
ou centre de l’attention. « 22 Mais le père dit à ses serviteurs: Vite, apportez la plus belle robe et l'en
69 cf. Col 3,23 et Rm 14,8
70 Marcel Dumais, L'actualisation du Nouveau Testament, ed. Cerf, Paris, 1981, p.83-84

21
revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. 23 Amenez le veau gras, tuez-le,
mangeons et festoyons, 24 car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il
est retrouvé! Et ils se mirent à festoyer. » (Lc 15,22-24). D'autre part, « n'est-il pas frappant que
l’aîné s'adresse au père dans les mêmes termes que le cadet au début de la parabole : il réclame ce
qui lui est du, réduisant le rôle du père à un distributeur de mérites. Or, ce faisant, il ne perçoit rien
de la miséricorde, ni même qu'il n'y a rien à réclamer pour recevoir. Mais surtout il se refuse à voir
dans le cadet pécheur son frère, en l'affublant toujours du terme 'ton fils'. Il souligne ainsi une
distance qui rejette loin de lui ce frère jugé impur parce que pécheur. […] là où l’aîné dit : ton fils
que voici, le père dit simplement : ton frère, invitant l’aîné à changer son regard sur l'autre.71 »
Paul insiste dans toutes ses lettres sur l'exigence de rétablir une fraternité qui aille au-delà de soi-
même, sans pourtant envahir l'espace de l'autre. Avoir beaucoup de capacités ou de connaissances
sur l'autre, ou avoir une grande foi en Dieu ou l'espoir d’être dans la vérité, tout cela ne sert à rien –
rappelle Paul - si l'on n'a pas l'amour pour l'autre, afin de transformer l'autre en un frère. L'amour est
la synthèse des qualités humaines qui permettent des relations équilibrées, car dans l'amour il y a la
juste mesure du rapport avec l'autre à travers la patience, la bonté, l'humilité, la disponibilité, le
service, la justice, l'honnêteté, le pardon, la persévérance (1 Cor 13,1-13). Ce sont là des attitudes
indispensables pour être unis dans la différence et se respecter réciproquement « soyez toujours
humbles, aimables et patients, supportez-vous les uns les autres avec amour. Efforcez-vous de
conserver l’unité que donne l'Esprit, dans la paix qui vous lie les uns aux autres. Il y a un seul corps
et un seul esprit ; de même, Dieu vous a appelés à une seule espérance lorsqu'il vous a fait venir à
lui. » (Eph 4,2-4). Ces attitudes doivent rétablir l'harmonie qui a été perdue dans le jardin
paradisiaque à cause de l'envie d'occuper l'espace de l'autre, en violant les limites qui permettent la
coexistence et la cohabitation. « C'est pourquoi, débarrassés du mensonge, que chacun de vous dise
la vérité à son prochain. Ne sommes-nous pas membres les uns des autres ? Mettez-vous en colère,
mais ne commettez pas de péché ; que votre colère s'apaise avant le coucher du soleil. Ne donnez
aucune prise au diable. Que le voleur cesse de dérober ; qu'il se donne plutôt de la peine et travaille
honnêtement de ses mains pour qu'il ait de quoi secourir ceux qui sont dans le besoin. Ne laissez
aucune parole blessante franchir vos lèvres, mais seulement des paroles empreintes de bonté.
Qu'elles répondent à un besoin et aident les autres à grandir dans la foi. Ainsi elles feront du bien à
ceux qui vous entendent » (Ep 4,25-32).
S'engager en faveur de l'autre, chercher à tisser des liens de fraternité avec tous, c'est prendre à cœur
la situation de vie de son frère. Ceci est la façon de vivre la foi qui permet des échanges sincères et
qui transforme un « n'importe qui » en mon frère. « Supposez qu'un frère ou une sœur manquent de
vêtements et n'aient pas tous les jours assez à manger. Et voilà que l'un de vous leur dit : “au revoir,
mes amis, portez-vous bien, restez au chaud et bon appétit” sans leur donner de quoi pourvoir aux
besoins de leur corps, à quoi cela sert-il ? Il en est ainsi de la foi : si elle reste seule, sans se traduire
en actes, elle est morte. » (Jc 2,15-17) N'est-ce pas ici une invitation au dialogue de vie et des
œuvres dans sa plénitude ?
L'amour, l’hospitalité et l'engagement au service sont des éléments fondateurs pour créer la
fraternité universelle. L'auteur de la première lettre de Pierre nous le rappelle : « avant tout, aimez-
71 Philippe Abadie, op.cit., p.112

22
vous ardemment les uns les autres, car l'amour pardonne un grand nombre de péchés. Exercez
l’hospitalité les uns envers les autres, sans vous plaindre. Chacun de vous a reçu de Dieu un don
particulier : qu'il le mette au service des autres comme un bon gérant de la grâce infiniment variée
de Dieu » (1 P 4,8-10) C'est d’ailleurs les reproches que le Seigneur fais à l’Église d’Éphèse : « J'ai
cependant un reproche à te faire : tu as abandonné l’amour que tu avait au début » (Ap 2,4) et à
l’Église de Thyatire « au vainqueur, à celui qui continue à agir (s'engager) jusqu'à la fin selon mon
enseignement, je donnerai autorité sur les nations » (Ap 2,26) et enfin à l’Église de Laodicèe en lui
donnant un autre chance, « Voici : je me tiens devant la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma
voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je dînerai avec lui et lui avec moi » (Ap 3,20)
Une humanité nombreuse qui devient une fraternité, ceci est l'image que Jean donne dans
l'Apocalypse « après cela, je vis une foule immense que nul ne pouvait dénombrer. C’étaient des
gens de toute nations, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue. » (Ap 7,9a-b) Ceci, à notre
avis, est le projet de Dieu et notre souhait.
Nous ne pouvons pas conclure cette partie biblique en ignorant le chapitre 25 de l’Évangile de
Mathieu, qui explique une fois de plus la fraternité universelle comme fondement du dialogue de
vie et des œuvres. Le trois sections de ce chapitre – à savoir les dix jeunes filles, les talents à faire
fructifier et les œuvres de miséricorde - sont le résumé évangélique de cette première partie de notre
travail. Être toujours prêts dans le service pour accompagner l'autre et collaborer avec lui afin de
faire « sa part », ou l'engagement dans la société en utilisant les capacités qu'on possède pour le bien
commun et pour établir des liens fraternels, dans la confiance donnée et reçue, ou encore prendre à
cœur la situation de l'autre qui est malheureux, car affamé, désaltéré, perdu et sans logis, déshabillé,
malade ou prisonnier, là est le chemin que Dieu a donné à l’humanité pour créer une fraternité
universelle, avec pour but de rétablir le paradis.

23
Reprise
Comment comprendre la fraternité universelle
Nous avons cherché à présenter des textes bibliques pour essayer de fonder notre proposition d'une
« fraternité universelle » qui soit la base du dialogue entre les chrétiens et les musulmans.
Maintenant, nous proposons la manière dans laquelle on pourrait la comprendre, toujours en
puisant dans la Bible et dans la tradition biblique.
Nous considérons une théophanie où Dieu se présente et s'identifie « Je suis le Dieu d'Abraham, le
Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob » (Ex 3,6), avec cette déclaration Dieu s'identifie à l’humanité. Il
donne à l'homme sa carte d’identité pour être repéré dans la multitude de dieux et de façons de
croire en Lui.
Cette théophanie contient au moins deux grandes caractéristiques de Dieu. La première est
l’Alliance, c'est un Dieu d’alliance ! Lorsque Dieu se présente à Moise, il y a le besoin de se
distinguer de toute confusion divine, qui était entrée dans le monde païen et surtout égyptien, où le
Pharaon était lui aussi un demi-dieu. C'est pourquoi il appelle des témoins, avec lesquels il avait
conclu des alliances et par lesquels des peuples s’étaient distingués à leur tour parmi les autres.
Cette phrase auto-déclarative contient l'essentielle : (elle renvoie au nom propre de Dieu « j’étais, je
suis et je serai72 » (Ex 3,14) ) elle renvoit aux patriarches et en façon particulière à la promesse qui
leur était faite :
• par rapport à Abraham « Lorsque Abram fut âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, l’Éternel
apparut à Abram, et lui dit: Je suis le Dieu tout-puissant. Marche devant ma face, et sois
intègre. J'établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai à l'infini. Abram tomba
sur sa face; et Dieu lui parla, en disant: Voici mon alliance, que je fais avec toi. Tu
deviendras père d'une multitude de nations. On ne t'appellera plus Abram; mais ton nom sera
Abraham, car je te rends père d'une multitude de nations. Je te rendrai fécond à l'infini, je
ferai de toi des nations; et des rois sortiront de toi. J'établirai mon alliance entre moi et toi, et
tes descendants après toi, selon leurs générations: ce sera une alliance perpétuelle, en vertu
de laquelle je serai ton Dieu et celui de ta postérité après toi. Je te donnerai, et à tes
descendants après toi, le pays que tu habites comme étranger, tout le pays de Canaan, en
possession perpétuelle, et je serai leur Dieu. Dieu dit à Abraham: Toi, tu garderas mon
alliance, toi et tes descendants après toi, selon leurs générations. » (Gn 17,1-9)
• par rapport à Isaac « L'Éternel lui apparut dans la nuit, et dit: Je suis le Dieu d'Abraham, ton
père; ne crains point, car je suis avec toi; je te bénirai, et je multiplierai ta postérité, à cause
d'Abraham, mon serviteur. » (Gn 26,24)
• par rapport à Jacob «Et voici, l'Éternel se tenait au-dessus d'elle; et il dit: Je suis l'Éternel, le
Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la
donnerai à toi et à ta postérité. Ta postérité sera comme la poussière de la terre; tu t'étendras
à l'occident et à l'orient, au septentrion et au midi; et toutes les familles de la terre seront
72 Midrash (Berakot 9b) traduit de l'italien: Ora di' ad Israele che io ero, io sono, io sarò.. dans le site
http://www.nostreradici.it/Esodo3-14_Il-Nome.htm consulté le 03/03/2017

24
bénies en toi et en ta postérité. Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te
ramènerai dans ce pays; car je ne t'abandonnerai point, que je n'aie exécuté ce que je te dis. »
Gn 28,13-15)
Le premier trait du visage de Dieu est donc l'alliance, une promesse que Dieu fait de sa propre
initiative, une relation que Dieu entame avec l'homme, c'est un Dieu qui a à cœur la vie de l'homme,
un Dieu qui promet la vie, l'avenir, une descendance/fraternité nombreuse car reconnaître l’altérité
reste la condition pour continuer à vivre en plénitude.
La deuxième caractéristique nous est expliquée par Jésus « Que les morts ressuscitent, c'est ce que
Moïse a fait connaître quand, à propos du buisson, il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu
d'Isaac, et le Dieu de Jacob. Or, Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants; car pour lui tous
sont vivants. » (Lc 20,37-38) Jésus ici nous éclaire sur le fait que la caractéristique de l'homme qui
a comme repère “le Dieu” est celui qui croit dans la résurrection des morts. Ceci est un point auquel
Jésus tient particulièrement « Ne vous étonnez pas de cela ; car l’heure vient où tous ceux qui sont
dans les sépulcres entendront sa voix, et en sortiront. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront
pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement. » (Jn 5:28-29).
Donc, l'homme qui veut s'engager dans le projet de Dieu est celui qui croit dans un Dieu d'alliance
et qui espère dans la résurrection ! Mais « Il ne faudrait pas lier la résurrection uniquement à l'au-
delà de la mort ou à la fin des temps. Croire à la résurrection influence nécessairement notre
perspective de la vie et notre manière actuelle de vivre. Le fait de savoir, que ce qui se passe dans
notre vie présente, affectera ce qui va se passer à la résurrection des morts, nous motive à nous
conduire à la manière de ceux qui ressusciteront pour la vie. À cet égard, la résurrection devient une
réalité présente, tout à la fois spirituelle et éthique73. »
La théophanie nous donne des pistes pour évaluer si l'homme peut se reconnaître comme des frères,
des alliés avec Dieu, engagés dans l’humanité pour rétablir une amitié avec Dieu dans la fraternité.
Cette théophanie est souvent comprise en un sens vertical en remarquant l’expression « Je suis le
Dieu des vos pères... » (Ex 3,6) de façon qu'on comprenne que Dieu est le Dieu de son père Jacob,
qui était le Dieu du grand-père Isaac et celui de l’arrière grand-père Abraham, on a ainsi une
transmission de la foi par générations, de père en fils, une foi qui est transmise par la procréation et
en la rappelant aux fils « tu l'inculqueras à tes enfants et tu en parleras chez toi dans ta maison » (Dt
6,7). Encore aujourd’hui le juif doit naître d'une femme juive pour garantir la chaîne de
transmission ! Nous avons ainsi une transmission de la foi et de l’appartenance à Dieu qui suit une
ligne verticale. Tous ceux qui ne sont pas insérés dans cette chaîne de transmission sont exclus !
C'est assez difficile de bâtir une fraternité universelle si ces conditions existent et si on adopte cette
interprétation !
Mais, l'habitué lecteur de la Bible devant cette façon d’interpréter la théophanie se trouve mal à
l'aise, car au commencement du livre de l'Exode, on retrouve que « Joseph mourut ainsi tous ses
frères et sa descendance... » (Ex 1,6) donc on retrouve un certain trou générationnel. En fait, Moise
n'est pas fils de Jacob et non plus de Joseph ! L'invitation est donc de considérer la théophanie en

73 http://www.entretienschretiens.com

25
un sens horizontal, plus large comme le cœur et le projet de Dieu est large !
Tout d'abord l'expression “de vos pères” pourrait bien être traduit par “des tes ancêtres...” cela nous
donnera une respiration plus grande ! “les pères” ainsi on pourrait les interpréter dans le sens de
ceux qui ont formé à la foi, qui l'ont transmise et qui ne sont pas nécessairement le père biologique
ou quelqu’un de l'arbre généalogique, « les mentions des Pères d’Israël dans l'Exode se répartissent,
selon les spécialistes, entre les diverses sources littéraires à la base du Pentateuque. Chacune d'entre
elles exprime à sa manière la relation qui existe entre le dieu des patriarches et celui de l’époque
mosaïque, insistant tantôt sur la continuité des traditions religieuses… tantôt sur leur diversité74 »!
Ensuite, la formule de théophanie révèle que chaque patriarche a eu une relation particulière avec le
même Dieu « pourquoi Dieu a-t-il dit : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de
Jacob, pourquoi répète-t-il trois fois le mot Dieu et ne dit-il pas: Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob ? C'est que chaque patriarche a eu une relation unique et personnelle avec Dieu et que ,
de ce fait, le Dieu d'Abraham était différent du Dieu d'Isaac qui lui-même était différent de celui de
Jacob75. » D’ailleurs l’étude de la Bible nous a révélé que Dieu a été compris de différents les
façons, desquelles, on a dérivé différents noms pour se référer à Lui, à savoir76 : El Elyon (Gn14,18-
22) ; El Roï (Gn 16) ; El Olam (Gn21) ; El Shadday (Gn 28,3;35,11 ; 48,3. Ez 10,5 et dans le livre
de Job) ; Yahvè (Ex 3) ; nous pourrons affirmer avec la Bible que Dieu n'a jamais voulu se présenter
dans un visage statique, dans un seul lieu, avec une seule caractéristique ou attitude (attribut), avec
un seul Nom, le Dieu d'un seul homme ou d'un seul peuple. Ainsi, chaque homme peut faire
l'expérience, voire rencontrer Dieu et avoir avec Lui une relation particulière, une relation qui peut
être témoigné et partagé avec les autres « frères » ; c'est justement dans ce partage de
« différences », d'une expérience de Dieu particulière qu'on retrouvera l’unité et qu'on est en train
de parler et de se référer au même Dieu, qui est unique ; c'est de cette façon qu'on peut, on pourrait
et on pourra se référer au Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, Dieu de Joseph, Dieu de
Moise, Dieu de Josué, Dieu d’Ismaël, Dieu d’Élie, Dieu de Zacharie, Dieu de David, Dieu de
Salomon, Dieu de Jésus77, Dieu de Pierre, Dieu de James, Dieu de Paul, Dieu de Léon, Dieu de
Mouhammad, Dieu de Luc, Dieu de François, Dieu de Albdelmajid, Dieu de Thérèse, Dieu de
Cloé, Dieu de Helodie, Dieu de Klaire, Dieu de Chao Tze-Kan, …
Afin que ce Dieu personnel ne soit pas compris comme un Dieu exclusif, qui porte à s’égarer, il faut
que comme le Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob se réfère au Dieu de la tribu
d'Abraham, au Dieu de la tribu d'Isaac et au Dieu de la tribu de Jacob, ainsi chaque croyant se réfère
à une communauté de croyants où le Credo est attesté par une expérience commune, par une
tradition, par des preuves historiques et archéologiques afin que chacun puisse donner des “raisons
raisonnables” de sa propre foi. La fraternité est possible seulement si on fait partie d'une
communauté qui donne la transmission d'une expérience et d'une beauté ; « nous vous annonçons ce
74 Robert Martin-Achard, Actualitè d'Abraham, ed. Delachaux et Niestlé, 1969, p.95
75 Antoine Nouis, L'aujourd'hui de l'Evangile : lecture actualisée de l'evangile de Marc, ed. Olivetan, 2003, p360
76 Cf. Thomas Romer, L'invention de Dieu, ed. Seuil, Paris, 2014 ; et Gerhard von Rad, Genesi, ed. Paideia, Brescia,
1993; et Jean-Louis Ska, I volti insoliti di Dio, ed. dehoniane, Bologna, 2006 ; Jean-Luis Ska, Introduzione alla
lettura del pentateuco, ed. Dehoniane, Roma, 1998.
77 Ce n'est pas mon intention mettre Jésus-Christ dans le même rang que tous les hommes si ce n'est pour insister que
Jésus avait aussi une relation personnelle à Lui avec Dieu et qu'Il nous a cherché de la partager. Jésus comme nous
le verrons plus loin, il nous montre le chemin de la fraternité universelle : celle de redevenir fils de Dieu.

26
qui était dés le commencement : nous l'avons entendu, nous l'avons vu de nos propres yeux, nous
l'avons contemplée nos mains l'ont touché… oui ce que nous avons vu et entendu, nous vous
l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous » (1Gv 1,1.3)
Nous constatons que la fraternité se présente de manière ambiguë, elle est en effet « souvent posée
comme un modèle de bonne relation humaine : même si cela devient moins fréquent de nos jours, le
mot ''frère'' est encore utilisé, indépendamment de tout lien de parenté, dans un contexte religieux.
[…]. Et pourtant, le premier récit de relation entre frères dans la Bible, celui de Gn 4, rapporte un
meurtre78 ». Nul pourrait nier l'aspect contradictoire qu’il y a dans une relation entre frères, un
sentiment d'amour et de haine, de service et de compétition, un proverbe en dialecte italien définit
bien cette relation « amur de' fradei, amur de' cortei 79», le frère peut être le meilleur défenseur, le
meilleur ami, mais pour diverses raisons il peut se transformer dans le pire des ennemis « la rivalité
et la solidarité sont les deux grandes forces antagonistes de toute fratrie, qui se trouvent tendues
entre ces deux désirs extrêmes : tuer et séduire80 »
Cependant, nous sommes convaincus qu'il était, qu'il est et qu'il sera l'unique chemin à parcourir
dans la perspective du vivre-ensemble, dans une société pluraliste et toujours plus riche
d’individualités différentes. La fraternité doit être le fruit du vouloir vivre-ensemble par les frères
eux-mêmes.

78 Anne-Laure Zwilling, op. cit., p.7-8


79 « L'amour entre frères est l'amour des couteaux (de la dispute) »
80 Anne-Laure, op. cit., p.12

27
b) À partir du magistère

L’Église, en s'appuyant sur la Bible et sur la réflexion théologique qui prend en considération « le
désir de Dieu et le sens d'une population variée dans le monde», élabore surtout à partir de Vatican
II, une théologie de la “fraternité universelle”. Les documents conciliaires en prenant conscience au
fur et à mesure du contexte d'une communauté plurielle dans l'ensemble des cultures, religions,
interprétation et traditions, dans lequel on est appelés à rendre raison de sa propre identité : essaient
de definir un projet de rencontre; les interventions du magistère qui suivent le Concile sont toujours
plus à l'aise dans cette argumentation, notamment les documents promulgués par Jean Paul II,
Benoît XVI et le pape François. Nous en examinons quelques-uns.
Prenant en constat que les relations des êtres humains sont “de jour en jour plus unis” et que la
différence, voire l’altérité, commence à entrer dans la vie des chrétiens, avec d'autres façons de
croire et penser à Dieu ou de vivre la foi, l’Église prend en considération sa fonction de
communauté fondée par Jésus-Christ et soutenue par les témoignages des Apôtres, et découvre son
identité et son rôle dans l’humanité : « Dans sa tache de promouvoir l’unité et la charité entre les
hommes, et aussi entre les peuples, elle examine ici d'abord ce que les hommes ont en commun et
qui les pousse à vivre ensemble leur destinée » (N.AE. 1) Ici, on parle bien “d’unité et charité entre
les hommes” en examinant ce qu'ils “ont en commun pour vivre ensemble”, le Concile ne fait pas
référence à des valeurs religieuses, mais à des valeurs humaines. L'expression que les pères
conciliaires utilisent en disant « qui les pousse à vivre ensemble leur destinée » est d'une beauté qui
révèle d'un projet divin qui est inscrit dans l'existence de chaque homme et qui fait comprendre
comment l’humanité est conduite par une force « divine et mystérieuse » ; en plus, en parlant
d’unité et charité entre les hommes, on peut bien comprendre que la théologie d'une fraternité
universelle trouve ici, quelque appui pour se fonder. Ce dessein divin qui pousse les hommes à se
rencontrer est soutenu par la réflexion théologique basé sur les récits bibliques « Tous les peuples
forment, en effet une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter tout
le genre humain sur toute la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu... »
(N.AE.1) ce paragraphe de Notre Aetate est très proche à celui de Gaudium et Spes «Dieu, qui
veille paternellement sur tous, a voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se
traitent mutuellement comme des frères. Tous, en effet, ont été créés à l'image de Dieu, "qui a fait
habiter sur toute la face de la terre tout le genre humain issu d'un principe unique" (Ac 17,26), et
tous sont appelés à une seule et même fin, qui est Dieu lui-même. » (G.S. 24), nous pouvons
comprendre mieux que la théologie d'une fraternité universelle a un rôle décisif dans le dialogue
interreligieux afin de réaliser “la volonté de Dieu” qui coïncide avec le désir profond de l'humain.
L’Église en prenant conscience de ce projet qui vient de Dieu, en prend la responsabilité « Elle
(L’Église) exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la
collaboration avec les adeptes d'autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie
chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et
socio-culturelles qui se trouvent en eux » (N.AE. 2). Le Concile donc encourage le dialogue
interreligieux en définissant son rôle qui « est donc de faire progresser les valeurs spirituelles,

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morales, culturelles bonnes, ainsi que de permettre une bonne cohabitation dans la société. Il fait
appel à deux vertus essentielles et complémentaires : la prudence et la charité. La première
permettra à la seconde d’être éclairée et guidée par le bon sens, et non par un zèle mal placé, surtout
dans un domaine aussi délicat ; la seconde favorisera l'audace81. » Ce que le paragraphe de Notre
Aetate vient d'affirmer est très beau, en tant qu'il donne aux chrétiens la “mission” de s'approcher de
l'autre comme un vrai frère en reconnaissant, préservant et faisant progresser les valeurs
spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux, l'indication du Vatican II est celle de
respecter les limites de l'espace de vie de l'autre et de créer en même temps des échanges et des
liens qui puissent permettre de vivre ensemble.
En parcourant l'histoire de l’humanité et celle de la Bible on trouve des échecs dans les relations
entre frères82, le magistère prend acte que l’Église-même est tombée dans cette spirale de
malentendu, mais qu'elle se renouvelle par de nouvelles propositions et par une nouvelle lecture
théologique de son rôle dans le monde et du dessin divin. Elle encourage à rétablir des nouvelles
relations fraternelles « Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont
manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Saint Concile les exhorte tous à oublier le passé
et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et à promouvoir
ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »
(N.AE. 3) Ce paragraphe reconnaît qu'au cours de l'histoire, on peut avoir des interprétations
théologiques et des motivations qui portent aux « dissensions et inimitiés »; l'accent est mis sur les
inimitiés, puisque sur les dissensions le Concilie s'est prononcé juste avant ce texte, en faisant, en
gros, une liste des points dans lesquels il y a dissensions, mais il cherche à trouver et souligner
toujours l'aspect positif, sans pour autant effacer la différence. Ce que fait problème est l’inimitié,
qui éloigne les uns des autres, du projet divin et de la fraternité élargie. Le Concilie rappelle les
attitudes pour vivre la fraternité : « s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à
protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la
paix et la liberté » il s'agit de valeurs morales et civiles communes, fondées sur la loi naturelle83

81 Régis Moreau, Les documents du dialogue, ed. Artege, 2012, p.127.


82 Nous l'avons vu dans la partie biblique, proposée plus en haut
83 cf. Règis Moreau, op.cit.

29
Les caractéristiques de la fraternité universelle

« L'interlocuteur doit être cohérent avec ses traditions et ses convictions religieuses et ouvert à
celles de l'autre pour les comprendre, sans dissimulation ni fermeture, mais dans la vérité,
l'humilité, la loyauté, en sachant bien que le dialogue peut être une source d'enrichissement pour
chacun. Il ne doit y avoir ni capitulation, ni irénisme, mais témoignage réciproque en vue d'un
progrès des uns et des autres sur le chemin de la recherche et de l'expérience religieuses et aussi en
vue de surmonter les préjugés, l'intolérance et les malentendus. Le dialogue tend à la purification et
à la conversion intérieure qui, si elles se font dans la docilité à l'Esprit, seront spirituellement
fructueuses.84 »
Ratzinger85 en développant le concept de fraternité dans/pour la communauté chrétienne présente
quatre aspects, que nous retenons importants à présenter, pour ne pas tomber dans une conception
naïve de la fraternité et pour donner un fondement solide à notre travail. Le premier aspect de la
fraternité chrétienne se base sur une nouvelle naissance (baptême) qui introduit le croyant dans une
nouvelle famille (l’Église), c'est grâce à cette nouvelle vie dans la foi que le croyant peut appeler
son compagnon dans la religion avec l’appellation de frère. Le deuxième aspect est la Parole, le
croyant en tant que frère écoute et médite la même Parole, une Parole qui unit et dans laquelle le
chrétien découvre la paternité de Dieu et grâce à cela, la signification aussi de vrais frères. Le
troisième aspect repose sur « l’unité de l’espérance qui les unit. Ils sont destinés à édifier ensemble
la ''communio sanctorum'' ; le sort de chacun est même tellement entrelacé avec celui des autres
qu'il ne pourra s'accomplir que lorsque le tout aura atteint sa fin » c'est dans cette “unité de
l’espérance” que le concept de frère prend son ampleur “universelle” en tant que l’Église a un rôle
important dans l'histoire et le salut de l’humanité. Le quatrième aspect de la fraternité est lié à
l’Eucharistie, sacrement par lequel le croyant ne communie pas seulement au Christ, mais par le
Christ à ses frères chrétiens.
La fraternité est possible à réaliser et à vivre si l'on a une véritable relation avec le Père, mais
lorsque le Père n'est pas “visible” pour être dans cette relation, il faut – en raison du lien
indissoluble entre le Dieu - Père et l’humanité, enfants, s'engager dans les relations avec les autres,
afin qu'ils deviennent mes frères86, « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si
nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l'image de
Dieu. La relation de l'homme à Dieu le Père et la relation de l'homme à ses frères humains sont
tellement liées que l’Écriture dit « Qui n'aime pas ne connaît pas Dieu » (1 Jn4,8)»87. Le Concile
avait défini par «ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur
destinée » et qui est à la base de la fraternité. L'amour «peut être reconnu comme une expression
authentique d’humanité et comme un élément d'importance fondamentale dans les relations
humaines, même de nature publique88 » qui conduira la justice et le bien commun « parce qu'aimer

84 Jean-Paul II, Redemptori Missio, n°56, www.vatican.va


85 Joseph Ratzinger, Fraternité. op.cit., col. 1158-1160
86 Nous rappelons ainsi l'affirmation de Jésus-Christ « Qui m'a vu a vu le Père » Jn 14,9 ; « qui me voit, voit celui qui
m'a envoyé » Jn 12,45
87 Le Concile Vatican II, Nostra Aetate, n.5, ed. Artege, 2012
88 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.5

30
c'est donner, offrir du mien à l'autre ; mais elle n'existe jamais sans la justice qui amène à donner à
l'autre ce qui est sien89 ».
Cet amour trouve sa source en Dieu directement, puisque tout homme vient de Lui « Il a plu à Dieu
d'appeler les hommes à participer à sa vie, non pas seulement de façon individuelle sans aucun lien
les uns avec les autres, mais de les constituer en un peuple dans lequel ses enfants, qui étaient
dispersés, seraient rassemblés dans l'unité [cf. Jn 11,52] 90 ». Ce texte fait référence à une unité (à
bien distinguer de l’uniformité), qui a été perdue et qu'on peut la rétablir à travers des liens les uns
avec les autres, comme des frères qui gardent leurs différences en respectant les limites des espaces
de vie de l'autre. Que, dans le dialogue avec les autres, charité et unité soient considérés comme des
éléments fondateurs, cela nous renforce dans notre proposition, vu que ce sont les caractéristiques
premières auxquelles des frères se référent, en rendant à la fraternité un appel missionnaire
incontournable « L'élan missionnaire appartient donc à la nature intime de la vie chrétienne et il
inspire aussi l'œcuménisme: «Que tous soient un ... afin que le monde croie que tu m'as envoyé» (Jn
17, 21). 91»
Le thème de l’unité comme principe - par rapport à une fraternité universelle qui doit être reformée
- prend de l'importance dans la réflexion théologique du magistère « A faire partie du peuple de
Dieu, tous les hommes sont appelés. C'est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à
se dilater aux dimensions de l'univers entier et à toute la suite des siècles pour que s'accomplisse ce
que s'est proposé la volonté de Dieu créant à l'origine la nature humaine dans l'unité, et décidant de
rassembler enfin dans l'unité ses fils dispersés (cf. Jn 11,52).92 »
Si l'amour est indiqué comme une caractéristique qui fonde la fraternité dans l’unité, le Pape Benoît
XVI rappelle que l'amour « par son lien étroit avec la Vérité93 [...] place l'homme devant
l’étonnante expérience du don 94» et que « la Vérité est, en effet, logos qui crée un dia-logos et donc
une communication et une communion.95 ». Donc, le dialogue devient expérience de l'amour sur le
chemin difficile de la Vérité qui a dans son cœur celui de former une fraternité élargie et véritable.
L'amour véritable se fonde surtout sur la gratuité 96, en effet, la gratuité est un amour qui s'« engage
pour et avec l'autre » c'est ce qu’on appelle charité. Grace à la charité, l’altérité est respectée et les
conditions pour exister, dans l’unité, sont garanties. Le dialogue interreligieux réalisé par un
dialogue de vie et des œuvres trouve ici des éléments importants pour réaliser la fraternité « Quand
elle est inspirée et animée par la charité, l’action de l’homme contribue à l’édification de cette cité
de Dieu universelle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine97.»
Dieu, pour rétablir la situation de l’humanité, comme il l'a toujours rêvé demande aux hommes de
« devenir eux-mêmes les instruments de la grâce, pour répandre la charité de Dieu et pour tisser des

89 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.6


90 Le Concile Vatican II, Ad Gentes, n.2, ed. Artege, 2012
91 Jean-Paul II, Redemptoris Missio, n.1
92 Le Concile Vatican II, Lumen Gentium, n.13, ed. Artege, 2012
93 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.3
94 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.34
95 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.4
96 Entendue aussi comme « solidarité » cf. Caritas in Veritate n.34-35
97 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.7

31
liens de charité98» en effet comme nous l'avons vu dans la partie biblique, Dieu ne cesse jamais
d'avoir confiance dans sa créature et de lui donner occasion pour revenir au Paradis en respectant
les limites de l’autre, c'est-à-dire en créant des liens fraternels. Cela ne signifie pas que l'homme est
seul dans cette démarche mais au contraire l'homme « a besoin de Dieu: sans Lui, le développement
est nié ou confié aux seules mains de l’homme, qui s’expose à la présomption de se sauver par lui-
même et finit par promouvoir un développement déshumanisé. D’autre part, seule la rencontre de
Dieu permet de ne pas “voir dans l’autre que l’autre” 99, mais de reconnaître en lui l’image de Dieu,
parvenant ainsi à découvrir vraiment l’autre et à développer un amour qui “devienne soin de l’autre
pour l’autre”100 »
La réflexion proposée par les autorités de l’Église par rapport à la fraternité universelle, prend
toujours plus de la hauteur en voyant dans la réalisation de ce « rêve divin » un accomplissement de
la création « Nous tous, chrétiens et musulmans, nous vivons sous le soleil du même Dieu
miséricordieux. Nous croyons les uns et les autres en un seul Dieu, Créateur de l'homme. Nous
acclamons la souveraineté de Dieu et nous défendons la dignité de l'homme comme serviteur de
Dieu. Nous adorons Dieu et nous professons notre totale soumission à Lui. Donc nous pouvons
nous appeler au vrai sens des mots : frères et sœurs dans la foi en le seul Dieu. Et nous sommes
reconnaissants pour cette foi, car sans Dieu, la vie de l'homme serait comme les cieux sans soleil.
[…] Grace à la foi que nous avons en Dieu, la chrétienté et l'islam ont beaucoup de choses en
commun : le privilège de la prière, le devoir d'une justice accompagnée de compassion et
d’aumônes et avant tout un respect sacré pour la dignité de l'homme qui se trouve à la base des
droits fondamentaux de tout être humain, y compris le droit à la vie de l'enfant qui n'est pas encore
né101 ». Le souverain pontifie revient sur le thème à plusieurs reprises en manière particulière à
l'occasion du voyage en Maroc en 1985, lorsque le roi Mohammed V l'a invité à parler aux jeunes
musulmans « Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les
valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. Les uns et les autres nous
croyons en un Dieu, le Dieu Unique, qui est toute justice et toute miséricorde ; nous croyons à
l'importance de la prière, du jeune et de l’aumône, de la pénitence et du pardon nous croyons que
Dieu nous sera un juge miséricordieux à la fin des temps et nous espérons qu’après la résurrection,
il sera satisfait de nous, et nous savons que nous serons satisfaits de lui102. »
Le projet de bâtir une fraternité universelle est inscrit dans l’âme de l'homme, comme nous l'avons
déjà affirmé dans l'introduction et à plusieures reprises jusqu'à ici, «L’être humain est fait pour le
don; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. L’homme moderne est
parfois convaincu, à tort, d’être le seul auteur de lui-même, de sa vie et de la société. C’est là une
présomption, qui dérive de la fermeture égoïste sur lui-même, qui provient – pour parler en termes

98 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.5


99 cf. Benoît XVI, Deus Caritas Est, n.18
100 cf. Benoît XVI, Deus Caritas Est, n.12
101 Jean-Paul II, Discorso di Giovanni Paolo II alle autorità musulmane, Kaduna 14/02/1982.
Nous l'avons traduit de l'Italien par http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/it/speeches/1982/february/documents/
hf_jp-ii_spe_19820214_musulmani-nigeria.html
102 http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/speeches/1985/august/documents/hf_jp-ii_spe_19850819_giovani-
stadio-casablanca.html

32
de foi – du péché des origines103. » le don offert dans l'amour ensemble à la gratuité créent des liens
très solides sans envahir et occuper l'espace de l'autre. Ces liens avant de se transformer dans une
fraternité, sont d'abord initiateurs d'une amitié qui bâtit des ponts de communications et d’échanges.
Ces derniers sont très importants pour mettre en commun « le sac » qui contient nos trésors ; déjà
Aristote disait « Car sans amis personne ne choisirait de vivre 104» puisque « Une des pauvretés les
plus profondes que l’homme puisse expérimenter est la solitude105. ».
Les ponts sont des occasions de rencontres nécessaires et indispensables pour aboutir à une
“fraternité partagée”. Le thème de construire des ponts entre les hommes est très cher au Pape
François, qui, à plus reprise, à insisté pour être des bâtisseurs infatigables de ce moyen de
communication. « Un des titres de l’Évêque de Rome est Pontife, c’est-à-dire celui qui construit des
ponts, avec Dieu et entre les hommes. Je désire vraiment que le dialogue entre nous aide à
construire des ponts entre tous les hommes, si bien que chacun puisse trouver dans l’autre, non un
ennemi, non un concurrent, mais un frère à accueillir et à embrasser 106 ». Le Souverain Pontifie
retient que s'ouvrir à l'autre, sans pourtant l'envahir, devient toujours plus nécessaire «Le défi de la
réalité requiert la capacité de dialoguer, de construire des ponts au lieu de murs 107 » cela doit être
fait avec un esprit bien disposé à l'accueil et capable de respecter les limites de l’altérité, sans peur
et sans être dans la défensive « Les chrétiens qui ont peur de lancer des ponts et préfèrent construire
des murs, sont des chrétiens qui ne sont pas sûrs de leur foi, qui ne sont pas sûrs de Jésus
Christ 108 ». Nous proposons l'image de la ville de Venise (Italie), ville construite vers la fin du VI eme
siècle, et qui est composé par plus de 110 îles qui sont mises en communication grâce à plus de 450
ponts109. Le pont est une construction très intéressante110 : d'abord il s'agit d'une construction, cela
implique qu'il faut la faire, qu'il faut s'engager ; ensuite pour réaliser un pont il faut au moins la
permission de « l'autre côte » pour s'y appuyer ; mais surtout il faut que les bases soient solides et
bien enracinées dans le terrain. La fonction du pont est celle de pouvoir échanger, de se mettre en
contact et cela sans s'envahir et en respectant les espaces de l'autre : le pont reste toujours au marge
des îles, ce sont les idées, les propositions, la charité, qui ont le droit de progresser plus à l’intérieur
accompagnées et dirigées par le propriétaire de l'endroit. Les ponts respectent les différentes
altérités et ils les mettent en communication les uns avec les autres en formant une fraternité, une
unique communauté.
Pierre Claverie dans ses lettres et messages insiste que la vocation du chrétien est de vivre sur les
« lignes de fracture » et de chercher d’être pont ; le chrétien par nature est missionnaire111 et il ne
doit pas rester indifférent à l'autre, il doit s'engager à la rencontre pour établir les ponts d'une
communication. Le dialogue interreligieux a toujours plus cette fonction de pont qui puisse garantir
« les échanges entre les peuples de la planète ..., afin que l’intégration puisse se réaliser sous le
103 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.34
104 Aristote, Éthique à Nicomaque, livre VIII n.1
105 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.53
106 François, audience au corps diplomatique, le 22 mars 2013. cf http://w2.vatican.va
107 François, le 27 novembre 2015, dans un message vidéo destiné aux participants du 5e festival de la doctrine sociale
de l’Église.
108 François, méditation matinale, le 08 mai 2013 cf http://w2.vatican.va
109 https://fr.wikipedia.org/wiki/Venise
110 loin de faire une « éloge du pont », nous donnons quelques éléments de réflexion
111 c.f. Jean-Paul II, Redemptorii Missio, lettre encyclique et François, audience générale, du 19 octobre 2016

33
signe de la solidarité plutôt que de la marginalisation. 112 ». Chaque homme qui se trouve a vivre
dans des conditions de vie où la confrontation avec différents cultures ou religions ou diverses
positions de pensée, il doit être disponible « aujourd'hui plus que jamais, à construire des ponts et à
abattre des murs113». Le pont a la fonction de servir, de se donner pour le bien des autres : ce service
dans l’Église est appelé diakonie, mais nous y reviendrons par la suite.
Nous avons gardé la plus haute autoritè par rapport à la foi en dernièr, parce que cette autorité
connue seulement pour ce qui est en train de s’écrire, il s’agit de ''Maman presbytèra 114'' son autorité
dépasse tout Pape et tout magistère de l’Église, en tant que les Papes, les évêques, les théologiens
ont la fonction de surveiller et guider ; la maman a la mission de transmettre, former, donner
l'exemple, et renforcer dans la foi ! Tous les théologiens acquièrent leur savoir par l’étude et la
réflexion, “maman presbytéra” est ''théodidacte 115'' c'est-à-dire qu'elle est instruite – comme la
majorité de l’humanité et la totalité des mamans et papas – par Dieu directement ! Maman
presbytera a affirmé à l'occasion de l'ouverture de « l’année de la miséricorde » voulu par le Pape
François en 2015, que si le monde est en guerre et que les hommes ont tant de haine dans leur cœur,
c'est parce que l’humanité a oublié les œuvres de la miséricorde, et notamment nous avons tous
perdu le sens de la « crainte de Dieu ». En continuant, (avec autorité théodidacte !) elle explique la
crainte de Dieu en disant que la crainte de Dieu est le respect qu'on doit à Dieu, et que si l'on
apprend à respecter Dieu qui est tellement « autre » on respectera l'autre aussi, qui est juste mon
« prochain ». Maman Presbytera, n'a fait aucune étude, juste un peu de catéchisme à la vieille
manière, mais nous trouvons qu'il y a dans ces affirmations des indications très intéressantes tant
pour le dialogue et tant pour une fraternité universelle. Le Pape, comme le ''sensus fidei'' de la
Maman presbytera, insiste sur les œuvres de la miséricorde, nous les rappelons en les distinguant
entre celles corporelles et celles spirituelle. Œuvres de miséricorde corporelle :
1. donner à manger aux affamés ;
2. donner à boire à ceux qui ont soif ;
3. vêtir ceux qui sont nus ;
4. accueillir les étrangers ;
5. assister les malades ;
6. visiter les prisonniers ;
7. ensevelir les morts.
Œuvres de miséricorde spirituelle :
1. conseiller ceux qui sont dans le doute ;
2. enseigner les ignorants ;
3. avertir les pécheurs ;

112 Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.53


113 François, discours en occasion de la remise du prix Charlemagne, le 06 mai 2016.
114 L'expression est prise de Virgil Gheorghiu dans son autobiographie, de la 25e heure à l'heure éternelle. Pourquoi
m'a-t-on appelé Virgil ?, ed. Librairie Plon, 1968, p.149
V. Gheorghiu - prêtre de rite orthodoxe - utilise cette expression “maman prsbytera” en tant que sa maman était la
femme d'un presbytère (son père Constantin). Nous la utilisons en tant que Maman d'un Presbytère que nous
sommes !.
115 cf. Virgil Gheorghiu, op.cit.

34
4. consoler les affligés ;
5. pardonner les offenses ;
6. supporter patiemment les personnes ennuyeuses ;
7. prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Ces attitudes nous les retrouverons aussi dans la loi islamique, et pourraient être prises comme
« vade-mecum » pour le dialogue de vie et des œuvres, elles sont toutes des actions envers l'homme,
avec l'homme pour établir une fraternité universelle. La maman presbytera ajoute aux œuvres de
miséricorde, la ''crainte de Dieu116'' en l’expliquant par le respect qu'on doit à l'autre. Respecter c'est
garder la juste distance117, ne pas envahir l'espace de vie de l'autre, ce qui ne signifie pas se
désintéresser de l'autre, mais d'entrer en relation sans l'envahir et en laissant à chacun de se donner
dans la modalité et dans les temps qui sont meilleurs pour lui. « L’identité profonde de Dieu c'est
une communauté d’êtres qui s'aiment, se donnent, s'accueillent ou se reçoivent mutuellement et
totalement. Et on ne peut être introduit dans ce Mystère d'amour que par une expérience profonde
d'amour ...118 ».

116 Nous le rappelons qu'il s'agit d'un don de l'Esprit Saint ! De un don – cadeau, et non pas d'une peur ou malheur.
Voir aussi, audience du pape François, du 11 juin 2014
117 En islam on parlera de la « communauté du juste milieu »
118 Jean Useni Bipendo, Lucien Bidaud (1930-1987) et Pierre Claverie (1938-1996) deux artisans du dialogue islamo-
chretien : l’expérience de l'Union Fraternelle des Croyants de Doei (Burkina-Faso) et l’expérience d'un pied-noir
devenu évêque à Oran (Algérie), mémoire de licence canonique, I.C.P. I.S.T.R., 2009, p.80

35
c) du côté musulman

Introduction
« Qu'un islamologue ait une réaction personnelle devant l'islam, c'est ce qu'on ne saurait lui
interdire. Qu'il étudie des textes, cela est indispensable et ne saurait être trop recommandé en dépit
de leur nombre et de leur volume imposant, ainsi que des difficultés de la langue arabe. Mais il doit
se garder d’interpréter ces textes à sa manière, fut-ce au nom de ce qu'il considérait comme une
méthode scientifique. Par exemple, il pourrait être tenté de traduire un verset coranique en
s'appuyant sur la linguistique la plus moderne, sur la philologie sémitique la plus éprouvée, et la
critique historique la plus exigeante ; mais si, par ces procès scientifiques, il donne à ce verset un
sens qu'aucun commentateur musulman n'a reconnu, il ne fait pas œuvre d'islamologue 119 ». Loin
de nous considérer un islamologue, nous chercherons à baser notre réflexion et notre proposition sur
une Fraternité Universelle, en s’appuyant sur l’exégèse des commentateurs musulmans les plus
connus et sur l’interprétation des savants musulmans contemporains de renommée internationale ;
bien conscients que toutes interprétations ne seront guère accueilli avec le même enthousiasme par
l'ensemble de la communauté musulmane : « Les divergences des savants sont une miséricorde de
la part d’Allah120 »
Même si, l’anthropologie121 islamique est comprise différemment de l'anthropologie chrétienne,
nous voulons démontrer que Dieu a indiqué au croyant musulman aussi, un projet d'une fraternité
universelle. Timidement, nous cherchons de faire submerger les données qui tendent à ce projet
divin.

Regard général
« Dieu dit :‘O hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de
vous des peuples et des tribus, pour que vous vous entre connaissiez” (49:13). Ce verset ne nie pas
la diversité des peuples et des ethnies. En revanche, il rappelle aux hommes leur origine commune,
et leur dévoile l'objectif et la finalité de cette diversité, à savoir, la connaissance mutuelle et
l'entraide, et non pas la vanité et les querelles.122 »
« Nous partageons avec vous la bonne moralité, la générosité, la bonté envers le prochain, la justice,
le pardon, la miséricorde envers les plus faibles, le témoignage et la volonté de partager notre
bonheur avec les autres… Nous partageons avec vous notre attachement à la famille et son rôle
primordial dans la sauvegarde d’une société saine, notre respect pour la vie, la place que nous
accordons à l’éthique dans tous les domaines: politique, économique et scientifique. Nous

119 Roger Arnaldez, L'homme selon le Coran, ed. Hachette, 2002, p.7-8
120 En citant imam Malik ibn Anas qui répond au calife Abbasside Al-Rachid. cf http://havredesavoir.fr
121 Cf. Roger Arnaldez. op. cit. ; et Jacques Jomier, Dieu et l'homme dans le Coran, ed. Cerf, Paris, 1996
122 Moncef Zenati, La fraternité Humaine en Islam, ed. Maison d'Ennour, Paris, 2008, p.25

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partageons avec vous le respect du sacré, l’amour de Dieu, sa transcendance et sa proximité. Nous
partageons avec vous bien d’autres valeurs. L’histoire témoigne que nous sommes capables
ensemble de construire la paix.[ …] Nous allons nous rendre compte très facilement que nous
sommes proches et qu’une fraternité profonde entre nous est possible et souhaitable. 123 » ces paroles
écrites par l'imam de Valence dans un article à l'occasion des initiatives chrétiennes pour une
réconciliation, après l'attentat du Pere J. Hamel124, expriment un chemin vers la fraternité universelle
comme la possibilité heureuse du vivre ensemble.
Nous sommes conscients que la théologie musulmane est différente de la thèologie chrétienne, et
que même les textes qui sont considérés « sacrés » divergent sur assez des points principaux.
Cependant, nous constatons que les musulmans et les chrétiens, et ainsi tous les hommes croyants
ou non-croyants, ont en commun des attitudes qui les rendent « hommes », à savoir : la piété, la
conscience, l'amour, la jalousie, la haine, …, jusqu'à toucher la solidarité, voire la fraternité ! C'est
justement dans un chemin d’échange de vie et de collaboration qu'on peut mieux apprécier ces
qualités données à l’humanité.
C'est dans cete démarche qu'on vit la vérité de l'homme et que la rencontre se rend possible sans se
transformer en une collision. C'est rappeler que, dans la vie du prophète et ainsi des premiers
compagnons, le naissant Islam était très respectueux et il prêchait la beauté du vivre ensemble entre
communautés différentes, « cette approche est surtout perceptible avec l'émigration des musulmans
en Abyssinie et à Yatrib. … Le dialogue entre Ja'far et le Negus est significatif dans la volonté de
chacun de rester ferme sur ses convictions sans heurter les croyances de l'autre 125. Par ailleurs, le
Coran instituera plus tard le respect des divinités du non musulman pour éviter une calomnie
réciproque des divinités de chaque camp [6:118]. … La convention de Médine 126 est un bon
document qui énonce les éléments d'un vivre ensemble entre communautés culturelles différentes,
… la leçon la plus importante que l'on pourrait retenir… est que la dignité humaine, la justice et la
liberté de culte sont des constantes pour toute l’humanité et que les religions peuvent bien se
solidariser pour leur sauvegarde.127 ». Dans la même direction s'adresse la charia dans sa notion des
principes humains « Le Coran dit : Et si vous jugez entre les gens, jugez avec justice. Ce à quoi
Dieu vous exhorte est excellent. Dieu est Celui qui entend et qui voit parfaitement.(4:58). Toutes les
valeurs morales, comme la justice, l’égalité, l’honnêteté, etc., doivent être considérées comme
sacrées et mises en pratique sans tenir compte des différences de religion. Leur autorité ne dépend
que de leur équité, qui ne reconnaît aucune barrière entre les hommes128. ».

123 Article écrit par l'imam de Valence et publié en http://havredesavoir.fr sous le titre « Chers frères chrétiens, nous
vous aimons »
124 Le Père Jacques Hamel, prêtre auxiliaire de l'église Saint-Etienne, a été tué le 26/07/2016, Lors d'une prise d'otages
par des combattants de l’État islamique. Il officiait quand les deux hommes ont pénétré dans le lieu et l'ont égorgé,
avant d'être abattus lors d'une opération de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de Rouen
125 cf. annexe n.1
126 cf. annexe n.2
127 Abdul Aziz Kebe, Regards coraniques sur la migration, le débat 9, ed. Albouraq, 2011, p.57
128 Said Ramadan, La Shari'a. Le droit islamique, son envergure et son équité, ed. Al Qalam, Paris, 2008. p.129

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La spiritualité129

Le credo musulman est dirigé par une législation divine (charia) tirée par le Coran et par la Sunna
qui règle la vie du croyant. Le musulman est soutenu dans sa foi aussi par l’adhésion, sans -
contrainte, des dogmes théologiques ('aqidah), et plus profondément d'une spiritualité que souvent
n'est pas trop prise en compte par des non-musulmans, en revanche cet aspect est très important
pour l’identité du croyant musulman en définissant en lui sa propre singularité.
En cherchant de visiter timidement les aspects de la foi musulmane afin de soutenir notre
proposition, nous commençons par l'aspect moins connu et évident pour le chrétien, à savoir la
spiritualité. La spiritualité musulmane est d'une richesse et d'une beauté vaste ; loin d’avoir la
prétention de faire ici un traité ou une exposition, nous prenons quelques aspects qui nous semble
intéressants, par exemple la fitra.
La fitra est l'attitude naturelle par laquelle l’humanité ira vers Dieu ; une force mystérieuse qui
attire vers l'Autre : l’humanité est “naturellement” dirigée vers cette destination, qui a oublié, mais
qui reste inscrite comme une nostalgie. C'est pour cela que « pour les penseurs de l'islam, appuyés
sur ces idées, tout enfant qui naît est musulman130 » en tant que soumis et propriété (serviteur/abd)
de Dieu. La fitra consiste en deux niveaux des valeurs131 : le plus haut qui est spirituel et qui se
réfère dans la prière pendant la nuit, le jeune volontaire, la méditation du Coran,.. ; et un niveau plus
bas, qui est strictement physique et qui comporte entre 8 et 10 prescriptions de propreté 132. La
propreté permettrait de se rapprocher à Allah ; et nous osons ajouter, « aux autres aussi ! » Car la
propreté fait bon accueil au frère et donne la bonne disposition pour un dialogue et un partage. On
considère d'après la pensée musulmane, que « les hommes ne vivent pas isolement ; ils forment des
communautés et c'est Dieu qui crée la nature communautaire des hommes, comme il crée leur
individualité. Toute communauté humaine doit donc obéir à la volonté divine qui l'a créée.133 ».
Il faut remarquer qu'on parle de communauté humaine et pas seulement de communauté
musulmane, cela nous donne la possibilité d'avoir un regard plus large sur une fraternité à bâtir, qui
va au-delà de la communauté musulmane ''oumma", qui rassemble tous les hommes croyants
musulmans de n'importe quelle langue, race, nationalité. Pour les musulmans, il s'agit de la
meilleure communauté comme le dit le Coran « Vous êtes la meilleure communauté qu'on ait fait
surgir pour les hommes vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. »
[3:110]. Cette communauté forme une société fondée sur une “alliance fraternelle” et elle se
comprend comme un seul corps ; d’ailleurs le prophète l'avait rappellé dans un hadith « Les

129 Nous renvoyons pour plus de détails à notre enquête sur la spiritualité musulmane à l'appendice de ce travail
130 Roger Arnaldez. op. cit. p.11
131 Ibn Nasir As-sa'di (1887-1956), La félicité des cœurs des pieux, traduit en français par Abdelmalik Abou Adam Al-
fransi.
132 D'après 'Aïcha, le prophète a dit : « Dix pratiques font partie de la saine nature [Al Fitra] : Se tailler la moustache.
Se laisser pousser la barbe. Se brosser les dents [As-Siwak]. Se laver les narines par aspiration d’eau et son rejet. Se
couper les ongles. Se laver les nodosités des doigts. S’épiler les poils des aisselles. Se raser le bas-ventre et se laver
les émonctoires (les issues de l’urine et des matières fécales ». Mos’ab ibn Chayba, l’un des narrateurs de ce hadith
dit : « J’ai oublié le dixième, à moins qu’il ne s’agisse du rinçage de la bouche [Al madmada] ». » [Hadith n°21 -
Authentique rapporté par Mouslim ]
133 Roger Arnaldez, op. cit. p.10

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croyants et les croyantes dans leur affection, leur compassion et leur sympathie, les uns envers les
autres, les croyants sont tels un même corps, lorsqu'un organe en souffre, l'ensemble de l'organisme
en pâtit par l'insomnie et la fièvre134 » 135 La sunna du Prophète est riche d'invitation à l’unité, en
respectant les différences et en invitant à regarder à la beauté de l’altérité « Nul d'entre vous ne peut
être croyant tant qu'il n'aime pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même136 ».
La responsabilité de bâtir des liens qui respectent l'autre et qui se base sur la fraternité est présentée
comme un devoir du croyant « Ne vous détestez pas, ne vous enviez pas les uns les autres et ne
fuyez pas les uns les autres et soyez des serviteurs de Dieu 137 » tant qu'on considère que la
responsabilité vers l'autre est marqué par la limite de soi-même et par le devoir d’être une guidance
« Vous êtes tous des patres et vous êtes tous responsables de votre bétail. Le prince est un pâtre ;
l'homme est le pâtre de sa famille, la femme est pâtre dans le foyer de son époux et pour ses enfants
de celui-ci. Ainsi, vous êtes tous des pâtres et vous êtes tous responsables de vos sujets138 ».
Dans l'esprit du musulman croyant, cela a une importance capitale, bien que « cette communauté
soit celle d'un temps qui est passé. (Mais) elle reste un modèle idéal, dont l’idéalité même permet
d'inspirer et d’animer les sociétés musulmanes postérieures jusqu’aux plus récentes. […] l’idée de
la umma exerce de nos jours encore une influence puissante sur des hommes aussi
géographiquement séparés que des Marocains et des Indonésiens 139», car il fait sentir au croyant
appartenant à une famille très élargie, où il peut être frère ou sœur, sans aucune réserve partout dans
le monde, et cela au nom de Dieu.
Un autre intéressant aspect qui constitue la spiritualité musulmane est le fait du « rappel » (dhikr)
c'est à dire de se souvenir incessamment de la présence d'Allah, et de sa volonté. Très connue est
l'expression « incha allah » (si Dieu veut) par laquelle on se remet à Dieu dans une attitude
d'abandon et de confiance ; à côté de cette expression il y a aussi la basmala « bismi allahi
arhamani arhahim » (en nom de Dieu le miséricordieux, le très miséricordieux) phrase prononcée
avant d’accomplir une action. Mais, la richesse des invocations et des prières (certaines obligatoires
pour le bon musulman) sont innombrables, elles sont recueillies dans une petite œuvre 140 à
utilisation du croyant que porte le titre de « citadelle du musulman », ou « forteresse du musulman »
qui aide le croyant à invoquer Allah dans tout ce qu'il fait, et cela d'après une hadith qui rapporte
que « Le Messager d'Allah relata qu'Allah ordonna à Yahyaa ibn Zakariyya cinq commandements
qu'il devait exécuter et transmettre aux enfants d’Israël ..(le cinquième commandement étant) : … et
je vous ordonne de vous souvenir d'Allah beaucoup car le rappel de Dieu est comme une citadelle
où un homme vient pour se protéger quand il est vivement pourchassé par l'ennemi. Ainsi est le
serviteur, il ne peut se protéger contre le démon qu'en se souvenant d'Allah le Très-Haut 141 ». Si
nous rapportons, ici, cet aspect de la spiritualité musulmane c'est parce qu'on relève une perception
de Dieu qui est présente dans la vie du croyant, et même si on ne parle pas de relation, cela n'exclut
134 Surprenante ressemblance avec les textes de Saint Paul sur l’unité du corps qui représente la communauté.
135 Sahih Al-Bukhari n.2018
136 Sahih Al-Bukhari ; Muslim ; Ibn Hanbal et Al-Nawawi dans les quarante hadith n.13 .
137 Sahih Al-Bukhari n.2034
138 Sahih Al-Bukhari n.146
139 Roger Arnaldez. op. cit. p.15
140 A-Qahtani, La citadelle du musulman, ed. maison d'Ennour, 2006.
141 Sahih Al-Jaami n.1724

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pas une présence et une « intervention divine » dans la vie de l'homme. Finalement, Allah est
intéressé par l'homme, et Il intervient plus souvent s'Il est invoqué ! Les invocations sont pour
demander la protection et pour réaffirmer la foi, afin d’être des hommes de bien « L'envoyé de Dieu
a dit : L'image de celui qui évoque son Seigneur et celui qui ne L'invoque pas est comme l'image du
vivant et du Mort . (Al-Boukhari)142 ». Inévitablement pour être un bon musulman, conformément
aux invocations qui accompagnent chaque geste, on cherche d’établir de bonnes relations avec
l'autre, croyant ou non-croyant. Ces relations amènent à diriger le musulman à bâtir une fraternité
élargie ! Les maîtres soufis, mais des théologiens musulmans aussi, en reflétant sur ces aspects ont
élaborés une spiritualité qui traite de la purification du cœur et de l'état de l’âme 143, afin de
développer les attitudes de la Patience, de la sincérité, de l'amour, du repentir, du pardon,..

Le Coran
Fadallah présente le Coran comme un livre de dialogue 144, pas seulement parce qu’il s'adresse au
prophète pour lui donner un message avec un ton direct, mais surtout parce que le dialogue est
entretenu avec différentes catégories de créatures :les croyants et les non-croyants, les Anges et les
prophètes, jusqu'à même à entamer un dialogue avec Satan. La terminologie arabe permet de
distinguer au moins trois formes de dialogue présentée dans le Coran, à savoir : le dialogue « al-
tahawur » ; la discussion « Al-Jadal » ; et la dispute « al-mira' »145.
C'est ce dernier terme qui a attiré l'attention de Mehdi Azaiez dans sa thèse de doctorat menée sous
la direction du professeur Claude Gillot 146. Dans son travail il expose une étude où il cherche à
démontrer que la forme littérale du Coran est surtout celle de la dispute, ou bien du contre-discours,
comme lui-même l'explique dans un interviewe 147 « Au cœur de l’analyse, il s’est en effet confirmé
l’importance d’une forme littéraire singulière : le “contre-discours” ou la mise en scène par le Coran
lui-même des propos de ses adversaires. Le tout premier exemple de cette singularité formelle se
localise dans la sourate al baqara ''[…] Parmi les gens, certains disent : « nous croyons en Allah et
au Jour Dernier » mais ils ne croient pas” Dans ce verset 8, on réalise aisément que l’énoncé
rapporte les dires d’un adversaire. On entend, si j’ose dire, parfaitement sa voix. A partir de cette
forme régulièrement présente et aisément identifiable dans l’ensemble du discours coranique, j’ai
proposé d’interroger ces énoncés à la fois historiquement, linguistiquement mais aussi dans leur
dimension rhétorique. C’est là que réside l’intérêt de cette monographie. En effet, pour l’historien,
le contre-discours recèle une parole implicite car nier la croyance de l’autre, c’est toujours réfuter à

142 A-Qahtani, La citadelle du musulman, ed. maison d'Ennour, 2006, p.5


143 Les œuvres sont nombreuses, nous proposons, Éducation spirituelle et purification des âmes, par un collectif des
savants tels que : Hassan al Basri, Al-Ghazali, ibn al-Qayyim. Ed. IQRA, Paris, 1998 ; Hani Ramadan, L'education
du coeur ou le senns de la vie, ed Alqalam, Paris ; Moncef Zenati, La purification de l’âme, ed. Havre du savoir,
2016 ; El Houssine Oummali, Introduction à la spiritualité, Ed. Alter, Paris, 2015
144 cf. Sayyid Sandreddine Fadlallah, Les fondements du dialogue dans l'islam, le débat n 3, ed. Albouraq, 2010. p.195
145 cf. Abbas Al-Jirari, Le dialogue dans le Saint-Coran, le debat n.10, ed Albouraq, 2012, p.34
146 Mehdi Azaiez, Le contre-discours coranique, Studies ein the History and Culture of the Middle East, vol.30, Berlin,
Boston, DeGruyter, 2015
147 http://www.lescahiersdelislam.fr/Rencontre-avec-Mehdi-Azaiez-pour-la-parution-de-son-ouvrage-le-contre-
discours-coranique_a1072.html consulté le 12/03/2017

40
partir de ses propres croyances.148».
Cette étude est intéressante, car enrichit nos connaissances sur la méthode du Coran pendant un
contexte de rencontre, « il s’agit bien d’une caractéristique littéraire fortement polémique car
comme le dit le linguiste Greive : “le défenseur qui use de la polémique vise son adversaire en
utilisant lui-même l’attaque verbale de celui-ci” 149. » et « dans le jeu rhétorique du contre-discours,
elle définit la naissance d'une identité propre par opposition à l’identité croyante de l'autre et dessine
ainsi les frontières religieuses d'une nouvelle orthodoxie 150 ». Comme nous le proposerons plus bas,
dans le dialogue interreligieux, il est important, voir indispensable, que les interlocuteurs gardent en
eux une identité précise, et qui avec intelligence et douceur ils rendent compte de leur foi.
Fadallah en proposant le Coran comme un livre de dialogue, ne fait pas référence au style littéral,
mais au style de communication et de rencontre. Lorsqu'il doit s'adresser à un destinataire il utilise
le discours direct, souvent en lui posant une question 151 pour l'inviter au raisonnement. Les savants
musulmans, en se basant sur l’étude des textes, ont privilégié le dialogue « al-tahawur » en rejetant
la discussion et la dispute, dans un contexte des échanges 152. Ils donnent aussi une méthodologie
fondée sur le Coran qui comporte trois phases : 1. établir le dialogue en acceptant l'autre tel qu'il est,
admettre qu'il y a une différence ; 2. une connaissance et une identité bien enraciné sur ce qu'on
veut communiquer ; 3. procéder toujours dans le respect de l'autre, sans l'agresser153.
« Le dialogue interreligieux : c'est à la naissance de l'Islam que des versets coraniques se sont
multipliés pour annoncer au prophète Mohamed l'importance du dialogue interreligieux. À
l'exemple du verset [O Gens du Livre ! Venez vous rallier à une parole qui nous soit commune, à
nous et à vous… La famille d'Imran 3:64] qui appelle les musulmans à dialoguer avec les chrétiens
et les juifs de la meilleure façon, le Coran mentionne soixante-quatorze fois le mot dialogue et ses
synonymes. […] Ce point confirme l’intérêt primordial que l'Islam attache à ce sujet154. »
Nous voyons bien ici, que en d'autres mots, nous est indiqué le fait d’être “pont” qui permet la
communication et la connaissance.
Le Coran en racontant la création de l'homme et de la femme, reprend l’idée biblique d'une
humanité d'où on distingue une altérite (homme / femme), « ô hommes ! Craignez votre Seigneur
qui vous a créés d'un seul être, et a créé de celui-ci son épouse, et qui de ces deux-là a fait répandre
(sur la terre) beaucoup d'hommes et de femmes » [4:1]. Al-Razi155 commente en disant « seule la
puissance divine peut tirer la pluralité de l’unité 156 », ainsi Al-Qasimi157 soutient la même opinion

148 cf. note 147


149 http://www.lescahiersdelislam.fr/Rencontre-avec-Mehdi-Azaiez-pour-la-parution-de-son-ouvrage-le-contre-
discours-coranique_a1072.html consulté le 12/03/2017
150 Pisani Emmanuel, “Mehdi Azaiez, Le contre-discours coranique”, MIDEO 32, 2017 (à paraître)
151 Comme d’ailleurs fait Jésus aussi.
152 cf. Abbas AL-Jirari. op. cit. p.35
153 cf. Abbas AL-Jirari. op. cit. p.35
154 Mohammed Nokkari, L'islam à la rencontre des religions révélées : de l'annonce au « dialogue de la vie », dir.
Thierry-Marie Courau et Anne-Sophie Vivier-Muresan, Dialogue et conversion, mission impossible ?, ed Desclée
de Braouwer, 2012, p.84
155 Fakhr al-Din Al-Razi (1149-1210).
156 cf. Abbas AL-Jirari. op. cit. p.18
157 Muhammad Jamal al-Din Al Qasimi (1866-1914)

41
que « seulement la puissance de Dieu peut tirer une pluralité d’êtres d'un être unique »158, donc les
différences de races, de langues et des attitudes sont créées par Dieu et témoignent de la beauté de la
création. Et grâce à un aspect de la fitra « les hommes sont créés de façon qu'ils aient à s'aimer
réciproquement, à s'entraider, afin que leurs différences mèmes exigent que les plus forts viennent
au secours des plus faibles, en particulier des femmes et des orphelins. En d'autres termes, le Coran
ne considère pas l'homme à titre individuel, mais en tant que membre d'une famille au sens large et,
en général, d'une communauté.159 ». « Le but de la vie humaine est que les gens se rapprochent les
uns des autres et apprennent à mieux se connaître, non qu'ils s'éloignent et deviennent hostiles les
uns aux autres : o êtres humains ! Nous vous avons créés d'un homme et d'une femme, et nous vous
avons répartis en nations et en tribus pour que vous vous connaissiez les uns les autres. Le plus
noble d'entre vous auprès de Dieu est le plus pieux des vôtres. Dieu sait et connaît parfaitement.
(49:13) »160 Le dr. Moncef Zenati commente « Ainsi, ce verset établit clairement le principe de la
fraternité humaine faisant fi de tous les facteurs qui différencient les hommes, qu'ils soient d'ordre
racial, national ou social puisque leur origine est commune. Les hommes sont tous des frères.
L’humanité est une seule famille 161» La révélation qu’on retrouve dans le Coran est adressée à toute
l'humanité, à travers l’expression « O hommes ! » ou bien « O gens ! », en rendant le message
coranique d'une portée universelle dont la fonction est celle d’interpeller et réunir toute l'humanité
dans une unique fraternité. « Le noble Coran énonce clairement l’universalité de son message à
travers les tous premiers versets révélés. Ainsi, Dieu dit dans le tout premier verset de Son Livre
(mushaf), juste après la “basmalah” : “Louange est à Dieu, Seigneur de l’univers” (1:2). Dans la
dernière sourate, Il dit : “Dis :Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes. Le Souverain
des hommes. Dieu des hommes (114:1-3)”. Entre les deux, on trouve des versets tel que : “Et nous
ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l’univers”(21 :107) ; “Dis:o hommes ! Je suis pour vous
tous le messager de Dieu” (7:158) ; “Et Nous ne t'avons envoyé qu'en tant qu'annonciateur et
avertisseur pour toute l’humanité” (34:28) ; “Ceci n'est qu'un rappel pour l'univers, pour celui
d'entre vous qui veut suivre le chemin droit” (81:27-28) ; “Béni soit Celui qui opéra la descente du
Livre de discernement sur Son serviteur, afin qu'il soit un avertisseur à l’univers” (25:1) ; “mais la
plupart des hommes ne croiront pas, quels que soient les efforts que tu déploieras. Pourtant tu ne
leur réclames pour cela aucun salaire, car ce n'est là qu'un rappel adressé à tout l’univers”
(12:103-104)162» on remarque que la destinée du message est pour toute l’humanité. Que la
fraternité entre les hommes a été pensée par Dieu dès le commencement. Nous avons des traces
dans le Coran même, lorsque les prophètes sont considérés tous comme des frères, par exemple
nous avons « Et aux gens de 'Ad fut envoyé leur frère Hud » (7:65) ; « Et aux gens de Thamud,m
fut envoyé leur frère Salih » (7:73) ; Et aux habitants de madyan fut envoyé leur frère Shu'ayb »
(7:85). Frère devient ainsi la manière normale d'appeler l'autre, une appellation qui désigne aussi la
façon d’être par rapport à l'autre.

158 cf. Abbas AL-Jirari. op. cit. p.19


159 cf. Abbas AL-Jirari. op. cit. p.18
160 Said Ramadan, La shari'a. Le droit islamique, son envergure et son équité, ed Al Qalam, Paris, 2008, p.134
161 Moncef Zenati, La fraternité humaine en Islam, ed. Maison d'Ennour, Paris, 2008. p.20
162 Moncef Zenati, op.cit., p.14-15

42
Le prophète

Le Prophète dès qu'il a annoncé la révélation a toujours cherché à vivre comme un frère envers les
autres, notamment vers les mecquois qui le menaçaient de lui faire du mal, il a incarné en lui le
message qu'il transmettait « De son coté, le Prophète a fait de la fraternité humaine un élément
essentiel et fondamental de son message. Il déclare que les hommes sont tous des frères dans la
mesure où Dieu est le Créateur de tous, et qu'Adam est leur père à tous : 'O “O hommes ! Votre
Seigneur est un, et votre père est un” (rapporté par Ahmad)163 » « Dans un autre hadith, le Prophète
dit: Aucun d'entre vous ne peut prétendre à la plénitude de la foi jusqu'à ce qu'il aime pour son
frère ce qu'il aime pour lui-même (al-Bukhari). Le terme “frère” dans ce hadith désigne la fraternité
humaine, puisque dans un hadith similaire, le Prophète dit : ...et aime pour les hommes (an-nas) ce
que tu aimes pour toi-même, tu seras véritablement musulman (Ahmad, at-Tirmidhi,...)164»

La tradition musulmane
L'islam considère que toute existence visible est créé par Dieu et que pour cela il faut la respecter et
porter secours au moment du besoin, « L’être humain en tant que tel est honoré en islam. Cela est
exprimé dans l'absolu, sans aucune exception sur la base de la couleur, du sexe ou de la religion.
Dieu dit en effet : « Nous avons certes honoré les enfants d'Adam. Nous les avons transportés sur la
terre et sur la mer, Nous leur avons dispensé d'excellentes nourritures et Nous leur avons nettement
préférés à un grand nombre de Nos créatures [17:70] » Ce verset qui rappelle la place d'honneur
réservée à l’être humain concerne, par sa formulation générale, aussi bien les musulmans que les
non-musulmans... 165». La tradition musulmane considère que le prophète avait un grand respect
pour tous les êtres humains, entant honoré par Dieu 166. L'islam considère l’équité entre les hommes
comme un fondement dans le vivre ensemble ; l'imam Muslim rapporte « d'après Ibn Abi Layla que
comme Qays ibn Sa'd et Sahl ibn Hunayf se trouvaient à al-Qadisiya un cortège funèbre passa
auprès d'eux et ils se levèrent. On leur dit alors : “il s'agit de quelqu'un de ce territoire.” Ils
répliquèrent que le Prophète s’était levé au passage d'un cortège funèbre et qu'on lui avait dit qu'il
s'agissait d'un juif. Il avait répondu : “Ne s'agit-il pas d'un être humain”167 » . en effet la différence
est voulue par Dieu et pour cela nous pouvons la considérer comme quelque chose de bon, une
richesse et une beauté qui caractérise l’humanité « Et si ton Seigneur avait voulu, Il aurait fait des
gens une seule communauté. Or, ils ne cessent d'être en désaccord » [11:118]. Être frère ne signifie
pas appartenir à une seule communauté religieuse qui souvent « bagarre fraternellement» entre elle;
la fraternité a une respiration plus large, plus universelle, elle respecte la façon particulière de
chacun à se rapporter à Dieu : si les attitudes humaines sont communes à toute l’humanité, la
modalité avec laquelle nous la réferons à Dieu est plurielle, cela justement est possible car Dieu est
Grand, le plus Grand, « le musulman accepte sans difficulté que certains aient des croyances

163 Moncef Zenati, op.cit., p.21


164 Moncef Zenati, op.cit., p. 22
165 Raghib El Serjany, L’éthique prophétique des relations intercommunautaires, ed. Bayane, Paris, 2012. p.23
166 cf. Raghib El Serjany. op. cit.
167 Sahih al-Bukhari n.1250 et Muslim n.961

43
religieuses différentes des siennes, et il sait qu'il est impossible que la différence disparaisse de cette
terre. C'est pourquoi il coexiste naturellement avec les autres, d'autant plus que les enseignements
de l'islam définissent clairement le cadre des relations et les moyens d'entente avec les différentes
communautés non musulmanes168 ». « Non seulement l’autorité des valeurs morales, au nom de
l'Islam, transcende toutes les différences de religion ; bien plus, l'un des principes moraux de l'Islam
est l'idée que les êtres humains, où qu'ils vivent, sont fondamentalement identiques. Le Coran dit O
hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous à créés à partir d'un seul être, et a crée de celui-ci son
épouse, puis a fait naître de leur union un grand nombre d'hommes et de femmes (4:1) 169»
d’ailleurs « Tous les facteurs de différence que sont l'appartenance géographique, l'ethnie, la
religion et la couleur ne pourraient en aucune façon dépouiller les humains de la fraternité humaine
qui les unit. Bien au contraire, cette diversité doit les pousser à s’entre-connaître. La connaissance
mutuelle est certainement le premier pas vers un respect mutuel et une coexistence positive et
pacifique 170»
Nous rapportons quelques hadith171 (à titre d'exemple) qui encouragent de bâtir une fraternité
universelle. Les hadiths sont considérés comme la deuxième source de législation en Islam (après le
Coran) et ils sont volontiers utilisés pour fonder une spiritualité et des habitudes dans la vie des
associations musulmanes.
« Celui qui encourage une bonne action, bénéficiera de la récompense accordée à tous ceux qui
l'auront mise en pratique, sans que leurs récompenses respectives ne soient diminuées » (rapportè
par Muslim selon Abou Hourayra)
« L'action qui a des retombées positives sur l'ensemble de la société est sans aucun doute préférable
à l'action d’intérêt individuel. A ce sujet, le Prophète disait :'' Voulez-vous que je vous informe aur
une action qui est préférable à la prière, le jeûne et l’aumône ? Réconcilier deux personnes qui se
sont disputées, A l'inverse, alimenter leur animosité est vraiment un comportement destructif »
(rapportè par ahmad, Abou Dawud, Thirmidhi et Ibn Hibben)
« Selon Abu Dharr, le Prophète a dit :“ne méprise aucune bonne œuvre à accomplir, pas même le
fait de rencontrer ton frère avec un visage souriant” » (rapporté par Muslim [2626])
« Selon Abu Hurayra, le Messager d'Allah a dit : ''O femmes musulmanes ! Qu'aucune femme ne
méprise le cadeau fait à sa voisine, même s'il ne s'agit que d'un pied de brebis !'' » (rapportè par Al-
Boukhari [6017] et Muslim [1030])
« Selon Abu Hurayra, le Prophète a dit :''Un homme marchait lorsqu'il aperçut une branche épineuse
sur le chemin. Il l'enleva, Allah le loua et lui pardonna ses péchés.'' » (rapportè par Al Boukhari
[652] et Muslim 1914])

168 Raghib El Serjany. op. cit. p.28


169 Said Ramadan, op. cit., p.134
170 Moncef Zenati, op. cit., p.26
171 Nous les avons tirées de l'ouvrage de Yusuf Al-Qaradawi, Le sens des priorités, ed. Bayane, 2009, p.123-124 et
Yahya Ibn Charaf An-Nawawi, Riyad As-salihim, Les jardins des vertueux, ed. Orientica, 2015, et Abu Zakariya
Yahia An-Nawawi, Les quarante hadiths, ed. Albouraq, 2005.

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« Selon Jabir, le Messager d'Allah a dit : “Toute bonne œuvre est une aumône !” » (Rapporté par al-
Bokhari [6021] et Muslim [1005])
« Abu Hamza Anas Ibn Malik servant de l’Envoyé d'Allah rapporte du Prophète la parole
suivante :''N'est totalement croyant que celui qui désire pour son frère ce qu'il voudrait pour lui-
même'' » (Rapporté par Al-Boukhari et Muslim)
« Abu Dharr Jundub ibn Junada et Abu 'Abd Ar-Rahman Mu'adh ibn Jabal rapportent avoir entendu
l'Envoyé d'Allah dire : “Fais suivre une mauvaise action par une bonne ; celle-ci effacera la
première. Et comporte-toi le mieux possible avec tes semblables.” » (Rapporté par Tirmidhi)
« Abu Hurayra rapporte que l’Envoyé d'Allah a dit : ''Ne vous enviez pas les uns les autres, ne vous
méprisez pas, ne vous haussez pas, ne complotez pas les uns contre les autres, ne renchérissez pas
les uns sur les autres ; et soyez vous, serviteurs d'Allah, des frères. Tout musulman est un frère pour
le musulman. Il ne doit pas lui mentir ni le dédaigner. Là est la vraie piété… (dit-il en pointant trois
fois du doigt sa poitrine). Il est malsain qu'un musulman méprise un autre musulman. La personne
du musulman est sacrée, qu'il s'agisse de sa vie, de ses biens ou de son honneur'' » (rapportè
par Muslim)

Les savants. Deux exemples parmi d'autres !


Parmi les savants théologiens, maîtres de l'esprit et sages hommes se place l'imam Abu Hamid Al-
Ghazali172. Al-Ghazali173 né à Tus (Iran) en 1058, bientôt orphelin à sept ans il apprendra l'arabe, le
persan et le Coran ; vers 15 ans il se donnera à l’étude du fiqh et vers 23 ans étudiera la théologie
dogmatique et la philosophie en commençant à s’intéresser au soufisme. À 28 ans, il se donnera
pendant une brève période aux questions politiques en occupant le rôle de juriste de cour. Pendant
sa période politique, il entrera en débat sur trois grands thèmes de l’époque : la philosophie et la
religion (qui caché le problème culturel entre l'islam et la culture grecque) ; le sunnisme et le
chiisme (pour soutenir les positions politiques du califat abbasside contre les batinites) ; et le débat
sur l'inspiration entre la raison, le fiqh et le mysticisme. Vers 38 ans, Al Ghazali entrera dans une
crise spirituelle très profonde, à tel point qu'il n'arrivera plus à parler, cela l’empêchera de continuer
à enseigner, activité qu'il avait faite depuis son engagement politique. Il trouvera l’équilibre de son
âme en se consacrant dans la vie du soufisme qui, dans cette époque se développe et se répand dans
tout l'islam. Il écrira durant cette période une des œuvres les plus importantes “la revivification de
la vie religieuse” un œuvre divisée en quatre grandes parties : la pratique du culte, la coutume
sociale, les vices et les vertus. Cet ouvrage qui est une bonne et claire synthèse de la foi musulmane
dans le Moyen Âge, est encore aujourd’hui étudié et suivi par les croyants musulmans ; c'est à cette
œuvre que nous aussi ferons référence pour soutenir notre proposition de la fraternité universelle en
démontrant comment la semence de la fraternité était bien présente dans la pensée de Al-Ghazali,
influençant, consciemment ou inconsciemment, une multitude de croyants musulmans qui désirent
vivre en profondeur leur foi. Pour terminer avec la biographie de ce savant, nous disons simplement
que vers la fin de sa vie, il fera construire un ermitage près de sa maison où il y restera jusqu'à sa
172 Abou Ḥamid Moḥammed ibn Moḥammed al-Ghazālī ( 1058-1111)
173 cf. http://www.lescahiersdelislam.fr consulté le 13/03/2017

45
mort. Ermitage qui est le lieu où on veut vivre en union avec Dieu, en méditant sa Parole et ses
bienfaits, l'ermitage est le berceau de la fraternité où on apprend à vivre des liens fraternels
appliquant les enseignements et la volonté divine.
Comme nous venons de voir très rapidement, la vie de ce savant est très riche de rencontres,
d'études et d'expériences qui lui donneront un savoir et une sagesse remarquables pour un homme
du 11eme siècle. Sa connaissance bien solide sur les différents aspects de l'Islam, lui donne une
certaine confiance sur ses discours et interventions. Pour avoir une perception de la personnalité et
de la pensée de ce personnage, nous avons lu quelques ouvrages 174 de sa production ; ce que nous
avons pu remarquer est une conviction, amour et compétence sur les thèmes de la religion et du
savoir vivre. Les nombreuses interventions dans lesquelles il se consacre dans son ouvrage pilier
« la revivification des sciences religieuses » portent sur comment vivre la foi et comme être un bon
musulman175. La grande œuvre de Al-Ghazali peut être divisé en quatre parties : dans la première
l'auteur traite du culte et des 5 piliers de l'islam. Dans cette première partie, il traite donc de
l’identité qui caractérise le croyant. Dans la deuxième partie le grand savant écrit sur les bonnes
habitudes et la coutume du musulman ; c'est ici que s’arrête notre intérêt par rapport à notre
proposition. (La troisième partie et la quatrième traitent respectivement des vices et des vertus.)
L'imam Al-Ghazali dans la deuxième partie dédiée aux relations sociales, parle de différents
aspects, tel que la bienséance concernant le repas et les invitations, du mariage, des moyens
d'existence et d'acquisition des biens, du voyage, et des régles de la compagnie, de la fraternité de la
cohabitation avec les hommes ; c'est ce dernier aspect que nous intéresse particulièrement.
Al-Ghazali, rappelons-le, il est en train de vivre une période difficile de sa vie, il a été déçu par la
théologie dogmatique, le fiqh, la politique, la philosophie, et il retrouve son souffle dans le soufisme
qui lui ouvre une connaissance plus large de la religion. Dans cet ouvrage qui marque encore
aujourd'hui, l’intérêt de nombre de savants, croyants et chercheurs, il réaffirme sa foi en décrivant
dans la première partie ce que caractérise dans le dogme et la jurisprudence l'islam. Ensuite, il
explique sa religion du point de vue pratique, dans la vie de tous le jour, et il est intéressante
remarquer le chemin qui fait parcourir ce maître de l'esprit à son lecteur. Après avoir gagné sa
confiance en lui montrant que pour être un bon musulman il faut exiger le respect, des cinq piliers et
possiblement à ajouter de surérogations, des jeunes, des prières, des aumônes, des purifications bien
faites ; il passe à la vie de témoignage qui se fait dans la communauté dans laquelle on vit.
Al-Ghazali aide le croyant à avancer par étapes dans la compréhension de la religion et la relation
avec Dieu, c'est pour cela qu'il commence à parler d'une fraternité religieuse, qui est importante
dans les relations entre les croyants 176, à tel point que, Dieu même donne au bon croyant un ami
vertueux qu'il aide dans le chemin car « la rencontre de deux frères [en religion] est à l'image des
deux mains qui se lavent l'une l'autre177 », le grand imam insiste sur le concept de la fraternité entre
croyants et il en donne des caractéristiques et des qualités « de manière générale : tout compagnon
exerçant sur le croyant une influence notable doit être doté de cinq caractéristiques. Il doit être :
intelligent, vertueux, de bonne moralité, étranger aux innovations condamnables et libre de la
174 cf. la bibliographie
175 cf. Ibn Qudama, Revivification de la spiritualité Musulmane, ed. Iqra, 2001
176 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux,traduit de l'arabe par Idris De Vos, ed. Albouraq, 2014, p.15
177 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p. 15

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convoitise de ce monde178 ». Un bon frère ne doit pas seulement avoir de bonnes qualités, mais aussi
il doit être capable d'accomplir des devoirs : le partage des biens ; le soutien dans la difficulté ; le
silence c'est-à-dire « s'abstenir de mentionner ses imperfections, qu'il soit absent ou présent ; plus
encore, à les ignorer et à ne pas répondre lorsque quelqu'un les mentionne 179 » ; le devoir de la
parole « La compagnie des frères est appréciable pour le bénéfice que l'on en tire à travers eux, non
pour la nuisance qu'elle permet d’éviter de leur part. […] le devoir verbal consiste aussi à instruire
et à conseiller. Car ton frère n'a pas moins besoin de science que d'argent 180 » ; le devoir d'accorder
le pardon pour les fautes légères et les faux pas ; le devoir d'invoquer pour les frères durant leur vie
et après leur mort « il s'agit d'invoquer Dieu pour que ton frère obtienne tout ce à quoi il aspire, pour
lui-même, pour sa famille ou pour toute personne proche de lui 181. » ; il y a aussi le devoir à la
loyauté et la sincérité, où on invite à vivre la fidélité avec le frère et avec ses proches ; et pour finir
le devoir à alléger les frères, renoncer à l'affectation et ne pas se montrer exigeant, c'est à dire que
« le croyant veille à ne pas être un poids pour son frère182 ».
Al-Ghazali démontre au croyant musulman que l'engagement dans la religion est une affaire
sérieuse, qui n'exige pas seulement l'observation du licite et illicite, mais il s'agit d'assumer un
« style de vie », l'imam dans cette procédure accompagne le musulman vers une compréhension
plus profonde de la foi, il insiste beaucoup sur l'aspect de la fraternité, qui révèle de la
compréhension et acquisition des attitudes recommandées et vécues par le prophète même.
Néanmoins qu'il ait été très sévère dans les indications il ajoute « mais tu ne saurais assumer ces
droits tant que tu ne desserviras pas ton âme pour servir tes frères, et non l'inverse, et ne te placeras,
vis-à-vis d'eux, dans la position du serviteur, enchaînant tout ton corps aux fers de tes devoirs
envers eux183 ». Il explique, à ce point, comment tout le corps et ses parties : l’œil, les oreilles, le
langage, les mains et les pieds doivent être engagés dans les devoirs fraternels. Al-Ghazali a préparé
le terrain pour aider le croyant à avancer encore dans le chemin de la foi, en effet l'imam explique
que l'homme a deux choix : la solitude ou la vie sociale. Avec cette affirmation le grand savant
introduit son lecteur à considérer l'obligation de vivre dans la société et d’apprendre le bon
comportement « Si quelqu’un n'a pas d'autre choix que de vivre avec ses semblables, il se doit donc
d'apprendre la bienséance, en usage dans la vie communautaire.
Tout individu doit être traité dans le respect d'un certain nombre de convenances dues à son statut et
ce dernier dépend du lien fondant sa relation à l'autre. Il peut s'agir d'un lien de parenté, lequel est le
lien le plus particulier ; il peut s'agir d'un lien fraternel religieux, lequel est le lien le plus général.
C'est dans le cadre de ce dernier que s'inscrivent l’amitié et la bonne compagnie. Il peut s'agir d'un
lien de voisinage, tout comme un lien de voyage, de travail ou d’étude184. » Le caillou est lancé ! À
l'imam reste maintenant de développer ces affirmations. Il le fera en expliquant le lien particulièr
qu'on a avec la famille qui oblige des devoirs plus affirmés ; il prendra le temps aussi pour décrire
les différents degrés des liens d’amitié et de fraternité religieuse, en donnant une liste des attitudes

178 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.50
179 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.69
180 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.79.84
181 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.97
182 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.104
183 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.110
184 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.117

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que le croyant doit avoir vers son frère musulman afin de souligner sa relation de frère, en effet le
musulman doit : saluer son frère lorsqu'il le rencontre ; pas causer du tort ; se montrer humble ; ne
pas écouter les commérages ; ne pas être contraint plus que trois jours ; agir bien ; demander la
permission avant d'entrer chez quelqu'un ; être vertueux ; respecter les vieux et les enfants ; être
jovial ; honorer les promesses ; faire justice aux musulmans ; la déférence ; rétablir la concorde ;
cacher les défauts d'autrui ; être attentif avant de juger ; intercéder à faveur de son frère ; serrer la
main ; préserver l'honneur de son frère ; être miséricordieux vers son frère ; être patient avec ceux
qui sont de mauvais témoignage ; fréquenter les pauvres ; conseiller et partager la joie ; visiter les
malades ; assister les funérailles et se recueillir sur les tombeaux185. Al-Ghazali fonde ainsi la
fraternité entre croyants, avec ses indications il a conduit l'esprit du musulman à considérer l'autre
croyant qui partage la même religion comme un frère, établissant un lien, celui de la fraternité, qui
est solide, stable et indissoluble. D’ailleurs le croyant n'aura aucune difficulté à être d'accord avec le
grand imam.
Le pas successif est celui de considérer les voisins, qui en donnant la parole au prophète, les divise
en trois groupes. « Il est trois sortes de voisins. Les premiers jouissent d'un droit unique ; le
deuxième, de deux droits et les troisièmes de trois droits. Ceux qui jouissent de trois droits sont les
voisins musulmans de ta famille. Car il leur échoit le droit de voisinage, le droit d'appartenance à
l'Islam. Et ceux qui jouissent d'un seul droit sont les voisins polythéistes 186 ». L'imam en donnant la
parole au prophète rend les dispositions qui suivent chargées d'une certaine autorité qu'aucun
musulman ne peut refuser ou objecter. Mais Al-Ghazali avant de se prononcer sur les voisins non-
musulmans, il argumente encore avec des autres hadiths, nous les rapportons ici de
suite « Entretiens de bons rapports de voisinage, tu seras un musulman digne de ce nom ; Gabriel
m'a fait tant de recommandations au sujet des voisins que j'avais l'impression qu'il les ferait
participer aux droits d'héritage ; que ceux qui croient en Dieu et au Jour du Jugement honorent leurs
voisins ; le serviteur ne peut être considéré comme un croyant tant que ses voisins ne se sentent pas
à l'abri de ses nuisances ; les deux premières personnes à exposer leurs différends au Jour du
Jugement seront deux voisins ; Si tu portes atteinte au chien de ton voisin, c'est une nuisance à
l'endroit de ce voisin 187». D'autres hadiths seront rapportées dans lesquelles le voisin doit être
considéré avec attention et respect, nous rapportons encore une dernière hadith qui nous semble
significative « Al-Zuhri rapporte qu'un homme était venu trouver l’Envoyé de Dieu – grâce et paix
lui soient consenties - pour se plaindre auprès de lui de son voisin. Le Prophète lui ordonna de se
rendre à l’entrée de la mosquée et de crier :''sachez que le voisinage s’étend à quarante maisons [à la
ronde]'' Al-Zuhri précise :“Quarante maisons dans ce sens ; quarante maisons dans ce sens ;
quarante maisons dans ce sens et quarante maisons en ce sens” et il indiqua les quatre
directions188 ». Ce dernier hadith enlève tous confins et limite au voisinage, il enlève le limite
spatiale, mais aussi de race, de religion, de culture, car le voisin peut être quiconque ! Apres avoir
préparé son lecteur à la valeur de la fraternité, Al-Ghazali sera plus clair en décrivant les devoirs
vers les voisins, et il récupère tous les devoirs vers le musulman que nous avons décrit plus haut et

185 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.120-161
186 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit., p.162
187 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit.,162
188 Al Ghazali, Le livre des bons rapports sociaux, op. cit.,p.163

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il en ajoute d'autres comme celui de surveiller la demeure du voisin en son absence ; parler à ses
enfants avec douceur ; ne pas encombrer le chemin menant chez lui et d'autres indications de
bienséance envers lui. Al-Ghazali, a ainsi éduqué ses lecteurs et ses élèves à s'ouvrir à la fraternité
universelle, à des liens de frères qui n'ont pas de limite religieuse.
La technique de Al-Ghazali pour parler de la fraternité universelle aux croyants musulmans est très
intéressante : elle est la même que Ratzinger189 en parlant de la fraternité en référence aux Évangiles
il faisait remarquer. L'homme a d'abord besoin de se considérer frère à l’intérieur de sa famille qui
l'a généré et dans laquelle il a grandi, ensuite il pourra comprendre la fraternité dans son ambiance
religieuse où on partage les mêmes convictions ; seulement lorsque cette fraternité est vécue dans sa
plénitude et en comprenant sa valeur et ses effets de bien, on pourra s'ouvrir et accepter une
fraternité universelle qui ne connaît plus de limite, car en aimant les frères on a appris à connaître et
à aimer Dieu qui est l’Éternel (le sans limite), et vice-versa en aimant Dieu à travers la pratique
religieuse (c'est pour cela que Al-Ghazali, à notre avis, a commencé son œuvre par la présentation
des piliers dans l'islam) le croyant comprend au fur et à mesure la nécessité d'aimer les autres aussi.
La fraternité est un chemin de vie.
Nous présentons, aussi, un autre grand penseur musulman, qui fait beaucoup discuter, car on le
considère comme la « voix de censeur, belliqueuse, théâtrale, qui sera la voix écoutée au-delà des
siècles par les incendiaires de l’intégrisme. À commencer par le fondateur du wahhabisme 190 » qui
est loin d'appuyer une fraternité universelle. Mais, l’étude de la bibliographie de cet imam du 13 eme
siècle, aide à le placer dans son contexte historique et dans les circonstances de l’élaboration de sa
pensée. Il s'agit de Ibn Taymmiya191 un érudit qui a aimé sa religion et qui avec courage a cherché
de rétablir un Islam fondé sur le ijtihad (l’interprétation des textes) et sur les valeurs qui soutiennent
la foi musulmane. La figure de Ibn Taymmiya est complexe, car nous pouvons rencontrer un
changement de ses idées et de son opinion et souvent, nous pouvons constater une certaine rigidité
et fondamentalisme dans sa réflexion, mais cela il faut toujours le mettre à rapport au contexte et à
la situation dans laquelle il se trouve à vivre. La pensée de Ibn Taymmiya ne donne pas trop
d’appui pour le dialogue interreligieux ou pour les rencontres avec des membres des autres
religions, cela parce que cet imam du 13 eme siècle, vit dans un contexte en majorité musulmane où
les relations avec les minorités juives et chrétiennes étaient réglées par la loi de dhimmitude, et il
n’était pas un problème à résoudre ou à se poser (nous sommes entre le 12 eme et 13eme siècle!), entre
autres Ibn Taymiyysa vit pendant un changement des équilibres politiques et sociaux très importants
qui se présentent à son époque délicate en mettant l’identité de l'Islam en péril. Après une bonne
période de relative paix où l'oumma musulmane a pu profiter de vivre d'après les lois islamiques (au
moins dans le Chams : Sirye/Palestine/Liban/Jordanie actuelle), elle se voit envahir par une
nouvelle puissance provenant de l’extrême Orient : les Mongoles. Ces nouveaux envahisseurs sont
au commencement des non-musulmans, mais ensuite ils se convertiront à la religion d'Allah.
Célèbre est dans cette période la situation de la ville de Mardin. Une « ville importante, au pied
d'une montagne […] une des plus belles villes de l'Islam, des plus magnifiques, des plus parfaites,
aux marchés les plus beaux […] La population de Mardin se compose d'Arabes, de Turcomans, de
189 Joseph Ratzinger, fraternitè, en dictionnaire de la spiritualitè, op. cit.
190 Abdelwahab Meddeb, La maladie de l'Islam, ed. du Seuil, 2002, p.66
191 Taqi ad-din Ahmad Ibn Taymiya (1263-1321)

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Kurdes et d'Araméens. Religieusement, elle est mixte, musulmane et chrétienne syriaque 192 ». Cette
ville qui se trouve envahie par les Mongoles, demande à Ibn Taymiyya de leur dire s'il fallait quitter
la ville pour se rendre dans la terre de l'Islam ou bien si on devait y rester. Ibn Taymiyya élabore
ainsi une fatwa dans laquelle à vrai dire, il ne donne pas un jugement finale, mais il conduit le
destinataire de l'avis juridique à réfléchir pour lui-même, en touchant ainsi deux grands thèmes
« l'hijira et les statuts de demeure de l'Islam et de la guerre 193 ». C'est avec cette fatwa que Ibn
Taymiyya ouvre aux musulmans la possibilité de combattre d'autres musulmans, si ces derniers ne
respectent pas les lois et l’éthique islamique. Cette fatwa très utilisée et citée par différents
réformateurs islamiques194 et par le courant wahhabites, est en réalité le résultat d'une grande ijtihad
que Ibn Taymiyya a produit, tout en restant fidèle et cohérent avec sa foi et ses principes religieux.
Ijtihad qu'il faut comprendre dans son contexte et qui n'a pas de valeur universelle, comme
d’ailleurs toutes les fatwas. En effet « pour Ibn Taymiyya, la science ne consistait pas à régurgiter
ce que l'on avait appris auprès des maîtres ou à travers leurs livres, elle exigeait plutôt de faire des
efforts de réflexion, de production originale et de répondre aussi aux questions nouvelles 195 » cette
ouverture d'esprit a permis à l'imam Ibn Taymmiya d’être toujours cohérent avec sa religion, même
s'il s'agissait de prendre des décisions fortes et dangereuses pour sa vie.
Il est intéressant pour notre proposition de revenir sur cette fatwa, qui insiste sur le respect des lois
et l’éthique islamique et qui « menace » tous musulmans et non-musulmans sur le non-respect de la
charia. Pour ne pas donner une interprétation ou une lecture lointaine des intentions de Ibn
Taymiyya nous proposons de tourner notre regard sur le ''cheikh de l'Islam 196'' afin de comprendre
en quelle manière, il entendait cette fatwa et en quoi il juge être la scharia et l’éthique dans l'Islam.
Nous le rappelons lorsque Bagdad était tombée sous le pouvoir des Mongols (1258) et que quelques
années plus tard, ils conquirent aussi Damas (1299), en ce moment Ibn Taymiyya constituait une
délégation pour aller voir le chef mongol Qazan, lequel s’était converti à l'islam, mais qui vivait la
foi de manière superficielle. C'est à l'occasion de cette rencontre que Ibn Taymiyya témoigne de la
beauté de l'islam, en s'adressant au chef mongol, il dit : « Tu prétends être musulman et, d'après nos
informations, tu es accompagné par un cadi, un imam et un muezzin. Ton père et ton grand-père
étaient infidèles et pourtant, ils n'ont pas fait ce que tu es en train de faire ; ils ont donné leur parole
et ils l'ont respectée. Et toi, tu donnes ta parole et tu la trahis ; tu annonces des mesures, mais tu les
démens par la suite. Tu n'es rien d'autre qu'un tyran ! »197 après cela Qazan lui offre à manger mais
Ibn Taymiyya refusa de toucher la nourriture en disant « Comment mangerais-je ton repas alors que
cette viande provient des bêtes que vous avez usurpées aux honnêtes gens et vous les avez fait cuire
sur les branches appartenant à d'autres personnes 198». A ce point Qazan en acceptant d'entendre les
motivations de la délégation, Ibn Taymiyya après lui avoir demandé de ne pas attaquer Damas, il
ajouta « Je ne partirai pas sans que tu libères tous les prisonniers, y compris les chrétiens et les juifs

192 Yahya Michot, Ibn Taymiyya, Mardin hégire,fuite du Péché et demeure de l'islam, ed. Albouraq, 2004, p.3 En
citant Ibn Battuta pour une partie de la référence
193 Yahya Michot, op. cit., p.33
194 cf. Yahya Michot, op.cit. p-105-129
195 Ibn Taymiyya, Les actes ne valent que par leurs intentions, ed Tawhid, 2011. p. 7
196 Appellation qui caractérise les travaux de Yahya Michot. Nous la utilisons pour en avoir une choix d’appellation
plus large lorsque nous devons se référer à Ibn Taymiyya.
197 Ibn Taymiyya, op.cit., p.12
198 Ibn Taymiyya, op.cit., p.12

50
parmi eux199 ». En considérant les circonstances de l’événement, il nous semble qu'un esprit avec
des fortes valeurs humaines transparaît de ses paroles, d'autant plus que, si on ajoute à cette
intervention, les témoignages qui nous sont parvenus, tel que « ibn Fadli-Allah al-Umri dit à propos
d'Ibn Taymiyya : chaque année, il recevait une quantité de biens incalculables. Il les distribuait
dans leur totalité aux nécessiteux, sans garder un seul dirham pour ses propres besoins. 200 » Nous
comprenons que cet Imam avait dans son cœur le message - quoique en semence - d'un islam qui
est engagé dans la construction d'une fraternité universelle.
Dans la célèbre « profession de foi d'Ibn Taymiyya, la wasitiyya », où Ibn Taymiyya sous la
demande du cadi chafiite de Wasit, le cheykh Radi al-Din, « qui revenait de La Mekke et passait par
Damas, se disait inquiet de l'état d'ignorance dans lequel les autorités mongoles laissaient les
populations musulmanes d'Irak201 ». Ibn Taymiyya, comme il est sensé, écrit les chapitres de la foi
du musulman qui se déclare appartenir aux ''gens de la Sunna et de la communauté [ou de la secte
élue ; ou de la tradition et du consensus]202 » ; parmi les éléments de la foi Ibn Taymiyya n’hésite
pas à introduire au long de la profession du credo musulman, des aspects qui rappellent une
fraternité construite sur le bon comportement, sur l'amour, sur l’équité et la justice.
Dans la partie où l'imam du 13 eme siècle fait référence à la description de Dieu dans le Coran, il
rapporte les versets « Faites le bien. Dieu aime ceux qui font le bien » (2:191) ; « Arbitrez avec
équité. Dieu aime ceux qui observent l'équité » (5:46) ; « J'ai mis pour toi de l'amour dans les
cœurs, [O Moise] et j'ai voulu que tu sois élevé sous mes yeux » (20:39-40) ; « Je suis avec vous.
J'entends et Je vois » (20:48) et il conclut cette partie en écrivant « Sur tout ce chapitre on trouvera
de nombreux versets dans le Livre de Dieu. A tous ceux qui méditent le Coran en y cherchant la
bonne direction, la voie de la vérité ne saurait manquer d’apparaître 203 ». Justement la bonne
direction celle de la voie de la vérité est bien décrite vers la fin de sa profession de foi « [Les gens
de la Sunna] Ils exhortent les hommes à pratiquer toutes les vertus et toutes les belles actions ; ils
croient en effet à cette parole du Prophète : “Les croyants dont la foi se rapproche le plus de la
perfection sont ceux dont la valeur morale est la plus grande”. Ils recommandent de faire du bien à
ceux qui vous écartent, de donner à ceux qui vous refusent et de pardonner à ceux qui vous
offensent. Ils ordonnent aux hommes d'avoir de la pitié envers leurs pères et leurs mères, de venir
en aide à leurs parents, d’être de bons voisins, de se montrer charitables envers les orphelins, les
pauvres ou les voyageurs et de traiter leurs esclaves avec douceur. Ils interdisent l'orgueil, la vanité
et la convoitise. Ils interdisent d'importuner autrui fut-ce pour faire reconnaître un droit. Ils
ordonnent, en un mot, de pratiquer les plus hautes vertus morales et interdisent toute action vile204 ».
Ceci est la foi d'Ibn Taymiyya, credo dans lequel une grande partie de musulmans se reconnaît !.
Bien sûr, dans sa profession de foi, il y a aussi d'autres éléments qui peuvent soutenir une fraternité
universelle, par exemple lorsqu’il parle de Dieu le scheik de l'islam dit « Dieu cependant ordonne à
ses serviteurs de Lui obéir et d’obéir à ses envoyés. Il leur interdit de Lui désobéir. Dieu, d'autre

199 Ibn Taymiyya, op.cit., p.13


200 Ibn Soulayman Al-Athari, Ibn Taymiya. Sa vie et son œuvre, ed sabil. 2010. p.19
201 Henri Laoust, La profession de foi d'bn Taymiyya, La Wasitiyya, ed. Geuthner, 2014, p.14
202 Expressions utilisés par Ibn Taymiyya dans la Wasitiya, cf. Henri Laoust, op.cit.
203 Henri Laoust, op. cit., p.55
204 Henri Laoust, op. cit., p.85-86

51
part, aime les gens pieux, ceux qui font le bien et les gens justes 205 ». Nous avons aussi une trace
importante du premier degré de fraternité, celui de respecter l'autre même s'il pense et s'il se
comporte diversement « La foi augmente avec l’obéissance ; elle diminue avec la désobéissance.
Mais les gens de la tradition n'excommunient pas ceux qui se tournent vers la Qibla dans leurs
prières pour leurs actes de désobéissance ou leurs fautes graves, comme le font les kharidjites. Bien
au contraire, la fraternité dans la foi subsiste avec les désobéissances 206 » ici on se réfère à la
fraternité religieuse, celle qui regroupe les croyants de la même religion. Ceci est le premier pas
dans le chemin de la fraternité, le regard fraternel commence avec les gens qui partagent les mêmes
idéaux et il prend de l'horizon au fur et à mesure qu'on avance dans le chemin de la vie. Remarquer
que Ibn Taymiyya insiste sur le fait de ne pas juger, et plus encore de considérer frères des gens qui
croient avec d'autres paramètres, c'est très important !
Le vivre ensemble pour Ibn Taymiyya était possible chaque fois que la foi musulmane n’était pas
mise en question ; certains pourront penser que cette affirmation est dure et contredise ce que nous
avons cherché à démontrer jusqu’à ici. En revanche, nous invitons à contextualiser Ibn Taymmiyya,
dans son époque et d'après son expérience, et de ne pas instrumentaliser une pensée qui cherchait
d’être cohérente avec les principes de la conscience et de la foi. La pensée philosophique de Ibn
Taymiyya207 démontre que Ibn Taymiyya refuse la conception de Platon qui considérait que « le
monde réel n'est que la représentation d'un modèle supérieur qui est le monde des idées. Il professait
que les idées et les concepts existent réellement et qu'ils sont supérieurs à la réalité sensible qui n'en
est qu'une pâle représentation 208 ». Tandis que le scheik de l'islam soutenait que « les idées n'ont
pas d'existence propre et elles ne sont que le reflet de la réalité, et à ce titre elles lui sont
inférieures209 ». À partir de cette position philosophique de Ibn Taymiyya, il en résulte que « les
mots et les discours n'ont alors aucun pouvoir sur la réalité. De ce fait, l'une des thèses essentielles
du Coran est la “mécréance”. L'ingratitude des hommes envers Allah, n'a aucun effet sur la réalité :
''Si vous mécroyez, vous et tous ceux qui sont sur la Terre, alors sachez qu'Allah est autosuffisant''
(coran 18,8). [...] Cela explique par exemple que la gouvernance politique de l'Islam autorise les
minorités religieuses non-musulmanes à vivre en terre d'Islam sans adhérer ni au culte, ni à la
croyance musulmane, car leur “mécréance” n'a aucun effet sur la réalité 210 ». Nous constatons ici,
que le vivre ensemble était possible pour Ibn Taymmiyya, même si le dialogue, comme nous
l'entendons aujourd'hui, est assez blessé ; cependant, comme nous le verrons dans la partie des
finalités, un premier objectif est celui de pouvoir se rencontrer et de rester nous mêmes, et cela est
décisivement plus simple si l'on vit ensemble et on partage la même eau211.

205 Henri Laoust, op. cit., p.72


206 Henri Laost, op. cit., p.74
207 Étude à partir du texte de Ibn Taymiyya, La lettre palmyrienne, traduction et annotations Abu Soleiman al-Kaabi, ed
nawa, 2014.
208 Ibn Taymiyya, La lettre palmyrienne, op.cit., p.7
209 Ibn Taymiyya, La lettre palmyrienne, op.cit., p.8
210 Ibn Taymiyya, La lettre palmyrienne, op.cit., p.9
211 En référence à l'eau de l'accueil réciproque dont nous avons parlé plus en haut

52
Conclusion
Nous avons cherché à démontrer comment dans la conception islamique il y a la conception du
dialogue comme chemin pour la coexistence et pour valoriser l’altérité en respectant les limites de
vie de chacun. Nous avons aussi cherché à faire submerger l'indication que le Coran, que la Sunna,
que la théologie, la jurisprudence et la spiritualité musulmane, donnent de travailler ensemble pour
former une « fraternité universelle ». Bien conscient, que la limite entre une fraternité proprement
musulmane et celle universelle, se présente faible et délicat, nous proposons ici une contribution du
directeur du “Centre de développement de la pensée islamique” au Liban : « A la lecture de la
célèbre parole de l'imam 'Ali concernant les droits de l'homme, dans sa promesse à Malik Al-
Ashtar. « que ton cœur puisse contenir la miséricorde envers les sujets, l'amour et la bienveillance
envers eux, ne sois pas un lion féroce les convoitant pour te nourrir. Ils sont de deux sortes, soit un
frère pour toi dans la religion, soit un égal à toi dans la création 212 », j'ai pensé, au premier abord,
que « le frère en religion » était le musulman, mais après réflexion et révision, j'ai réalisé que les
frères en religion peuvent inclure tous les fidèles des messages révélés par la religion divine unique.
Comme je l'ai déjà affirmé. La religion céleste est une mais les messages sont nombreux, et les
prophéties célestes se diversifient en fonction des exigences du temps et de l'évolution de l'histoire
et de l'humain. Mais la substance de ces messages multiples est une. Et « l'égal dans la création »
se rapporte à celui qui n'est pas le fidèle d'un message divin. Ainsi donc, le caractère humain est
amplement suffisant pour que l'humain puisse bénéficier de tous les droits civils tant qu'il respecte
les lois garantissant la sécurité, la paix et la stabilité de la société et les droits d'autrui. L'imam 'Ali
pose ainsi une assise historique pour ce qui va au delà du dialogue, soit le comportement avec
autrui, la coexistence humaine entre tous les humains, qui se rencontrent sur la base de la fraternité
religieuse ou l’égalité naturelle, en tant que créatures.213 »
Dans la même ligne se place aussi un autre grand penseur musulman Farid Esack, qui poussé par
son expérience de vie, se confronte tant avec l'islam qu'avec d'autres religions. Farid considère que
le texte coranique nous oblige à chercher la circonstance et le contexte du message qu'il veut nous
donner ; pour cela ce penseur musulman parle d'un engagement personnel et communautaire contre
les injustices de tous genres, en s'approchant de ce qui est appelé une théologie de la libération.
Seulement ainsi, pour Farid, sera possible la vérité de chaque Parole de Dieu, et la beauté du vivre
ensemble dans les plus belles conditions sans devoir revendiquer quelques chose à l'autre214.
Rachid Benzine avec Christian Delorme se rapprochent aussi de cette proposition du dialogue fondé
sur une fraternité : « le dialogue interreligieux, bien entendu, est autre chose qu'une simple
cohabitation pacifique. Vivre en dialogue, c'est, pour des croyants, devenir solidaires dans le monde
où ils coexistent. C'est être témoins ensemble – coté moins – de la foi qui anime chacun dans le
respect de la foi d'autrui. Et c'est se reconnaître progressivement comme des pèlerins qui
s'entraident dans la quête de la vérité que personne ne peut détenir en propre215. »

212 Nous rapportons la note du livre : Nahj Al-Balagha, de l'imam 'Ali b. Abi Talib, rédigé et rasseemblé par Sayyid
Radi, message à Malik al-Ashtar.
213 Najaf 'ali Mirza'i, Bases méthodologiques du dialogue religieux : affluents imamites pour consolider le dialogue
entre le christianisme et l'islam, le debat 4, ed. Albouraq, 2010. p.26-27
214 cf. Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l'islam, ed. Albin Michel, 2008.
215 Rachid Benzine et Christian Delorme, Nous avons tant de choses à nous dire…, ed. Albin Michel, 1997. p.221

53
2. La fraternité universelle en acte : le dialogue de vie
et des œuvres

Introduction
Dans ce chapitre, nous allons expliquer un peu mieux ce que nous entendons par le dialogue de vie
et des œuvres et pourquoi la fraternité universelle doit être posée comme fondation à cette activité ;
en outre, nous voudrions chercher de donner aussi quelques attitudes spirituelles et indications
pastorales afin que ce dialogue puisse se mettre en marche.
Le dialogue de vie et des œuvres est l’échange qui devient possible entre les personnes qui vivent
dans un même lieu et qui partagent ainsi les mêmes situations ou problèmes. À ce dialogue il y a,
aussi, ceux qui peuvent s'engager dans des initiatives communes afin d’améliorer leur
environnement ou circonstances de Vie, et pendant ce temps ils puissent se rencontrer, se connaître
et mettre en commun les trésors de leur sac, notamment ce qui est, par rapport à leur vécu religieux
et leur compréhension de Dieu. Cette façon d'échanger et de progresser dans le vivre ensemble a un
horizon de larges vues « Un vaste domaine est ouvert au dialogue qui peut revêtir des formes et des
expressions multiples: depuis les échanges entre experts de traditions religieuses ou entre
représentants officiels de celles-ci jusqu'à la collaboration pour le développement intégral et la
sauvegarde des valeurs religieuses; de la communication des expériences spirituelles respectives à
ce qu'il est convenu d'appeler “le dialogue de vie”, à travers lequel les croyants de diverses
confessions témoignent les uns pour les autres, dans l'existence quotidienne, de leurs valeurs
humaines et spirituelles et s'entraident à en vivre, pour édifier une société plus juste et plus
fraternelle.216 ». C'est grâce au travail fait ensemble, qu'on peut rendre possible une coexistence où
les éléments de la connaissance réciproque et spontanée, avec la sauvegarde de l’identité de chacun,
puissent être garantis. En profitant, en même temps, de s'enrichir de la beauté du trésor de l'autre,
qui est offert dans un esprit d'accueil et de découverte, il devient occasion pour d'élargir notre vision
et conception de Dieu et de l'homme et qui pourra certainement nous aider à ne pas outrepasser
vulgairement l'espace de vie de l'autre « Le dialogue de la vie, des actions concrètes et des projets
menés en commun, aident à découvrir la beauté intérieure des personnes et des traditions
religieuses, et donne le goût de les respecter 217 ». Cette manière de coexister a été déjà envisagée par
les traditions religieuses, celle chrétienne « Chrétiens, nous ne pouvons sans trahir notre foi, notre
identité, refuser de tendre la main vers les autres quels qu'ils soient, pour mieux les comprendre,
mieux les servir, mieux les aimer.218 » ; que celle musulmane « Car, selon la conception islamique,
les valeurs morales sont faites pour se réaliser dans l'action et pas seulement pour qu'on y adhère en
théorie. Elles ne prennent vie que lorsque les hommes vivent selon elles. Mouhamad, entrant un
jour dans la Mosquée de Médine, y trouva des Musulmans qui étudiaient ensemble. Il s'adressa à
eux en ces termes : « Acquérez autant de connaissance que vous le pourrez. Mais n'oubliez jamais

216 Jean-Paul II, Redemptorii Missio, n.57


217 Geneviève Comeau, À l'épreuve du dialogue interreligieux, en Christus n.250, avril 2016. p.74
218 Pierre Claverie, Lettre et messages d’Algérie, ed. Kathala, 1996, p.204

54
que ce n'est que par l'action que vient la récompense divine 219 »220 ». L’être ensemble dans l'action
aide l'homme à vivre un double aspect de lui-même, de ce qu'il l'habite dans la profondeur de son
âme et ses convictions: d'un côté aller à l'essentiel et de l'autre partager avec détails et simplicité des
aspects profonds et autrement incompréhensibles. Il exprime ainsi la complexité de son identité, à
laquelle il est attaché et pour laquelle – néanmoins tout ne soit guère claire – il est affectionné et
passionné. Le fait de travailler dans le même lieu, avec les mêmes objectifs et par un temps
prolongé apprivoise l'homme et il crée en lui un état de disponibilité à accueillir et à s'offrir à
l'autre, « On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard 221 ». Ainsi les altérités se
rencontrent dans une existence qui cherche l'unité, où cette unité est garantie par l’Altérité absolue
« là où deux ou trois sont unis dans mon nom, moi je serai avec eux » (Mt 18,20). Une unité des
mondes différents qu'avant étaient dispersés, voire perdus, maintenant ils peuvent être unis dans la
même existence, comme des frères ; cela arrive lorsqu'on partage les mêmes occupations, lieux,
temps, objectifs … en bref, on partage la vie « le dialogue sera donc d'abord existentiel. Il faut
entendre par là, la vie commune avec les voisins et les gens du pays, à travers les activités
communes comme le travail,… (Ce qui lui permet d'écrire) “Le dialogue est essentiellement
caractérisé par le fait que nous n'en prenons jamais l'initiative, je le qualifierais volontiers
d'existentiel. Il est souvent le fruit d'un long vivre ensemble et de soucis partagés, parfois très
concrets, c'est à dire qu'il est rarement d'ordre strictement théologique. Nous fuyons plutôt les
joutes de ce genre. Je les crois bornées ...”Le dialogue existentiel est à la fois concret et
spirituel. 222».

219 Ash-Shatibi, Al-Muwafaqat, I, pp.64-65


220 Said Ramadan, op. cit., p.130
221 Antoine de Saint-Exupèry, Le petit Prince, ed. Gallimard, 2007. p.88
222 Christian Salenson, Christian de Chergé une théologie de l’espérance, ed. Bayard, 2016. p.94

55
56
L'identité
La vie et les œuvres partagées demandent à chacun des interlocuteurs une solide identité et des
caractéristiques particulières, telles que l’amour et le service, qui enveloppent toute l'existence et
l’Être de la personne, c'est dans ce sens – nous croyons – que De Chergé parle de “dialogue
existentiel” ; le chrétien fonde ces trois caractéristiques dans sa foi, où il trouve la source, la force
et le sens de son engagement dans “l’aventure” de connaître et de se faire connaître par l'autre. En
effet, comme nous l'avons dit plus haut, afin que le pont de la communication puisse être lieu de
rencontre, il faut que l’identité chrétienne soit solide, voire claire, « ils ne doivent pas s’inspirer des
idéologies de l’amélioration du monde, mais se laisser guider par la foi qui, dans l’amour, devient
agissante (cf. Ga 5,6). Ils doivent donc être des personnes touchées avant tout par l’amour du Christ,
des personnes dont le Christ a conquis le cœur par son amour, en y réveillant l’amour pour le
prochain. Le critère qui inspire leur action devrait être l’affirmation présente dans la Deuxième
Lettre aux Corinthiens: «L’amour du Christ nous pousse» (5, 14). La conscience qu’en Lui Dieu lui-
même s’est donné pour nous jusqu’à la mort doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes,
mais pour Lui et avec Lui pour les autres. Celui qui aime le Christ aime l’Église, et il veut qu’elle
soit toujours plus expression et instrument de l’amour qui émane de Lui.223 ».
Au niveau pastoral, donc, cela nécessite une formation chrétienne sérieuse et constante, cela ne
signifie pas que cette formation soit profonde jusqu'aux détails de la foi, mais qu'elle puisse être
régénérée et soutenue tant par la communauté ecclésiale que par une in-formation personnelle, afin
de constituer une sensus fidei solide et claire. Lorsqu'on parle de communauté ecclésiale, nous
indiquons que le dialogue de vie et des œuvres est l'affaire de tous les chrétiens et qu'il est possible
si la communauté est vivante, c'est-à-dire qu'elle existe comme communauté de croyants qui prient
et qui réalisent le commandement de Jésus « L’amour du prochain, enraciné dans l’amour de Dieu,
est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté
ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux: de la communauté locale à l’Église particulière jusqu’à
l’Église universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que communauté, doit pratiquer
l’amour.224 ».
Avoir une identité claire, solide et définie signifie finalement savoir ce qu'on croit et connaître
pourquoi il vaut la peine de s'engager dans sa propre foi. Saint Pierre nous le dit dans sa lettre
«15Soyez toujours prêts à justifier l’espérance qui est en vous dès que quelqu’un vous demande vos
raisons. 16 Mais faites-le toujours avec calme et respect puisque vous avez bonne conscience. »
(1P3,15-16). Une identité claire, correspond à une foi solide, ceci est le plus beau cadeau que nous
pouvons offrir à notre interlocuteur, afin que réciproquement, nous pussions être enrichis des trésors
que chacun possède par la grâce de Dieu. L’identité se fonde sur la certitude d’être dans la vérité,
cela signifie de ne vouloir pas tromper l'autre, mais de désirer de marcher ensemble vers une plus
grande compréhension. Une identité qui n'est pas complexée est un pilier où s'appuyer pour bâtir un
chemin de vérité, pour partager des horizons différents, pour trouver la beauté de s'engager dans les
choses de Dieu. Pourtant, il faut clarifier un aspect subtil « À cet égard, et pour revenir au domaine
ecclésial, je voudrais apporter une dernière clarification concernant la perception de l’identité des

223 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.33


224 Benoit XVI, Deus Caritas est, n.20

57
chrétiens. S'il faut laisser à chacun le soin de se définir lui-même, il y a également, dans nos milieux
d’Églises, à éviter les situations où les identités se durcissent : les chrétiens ont à refuser de vouloir
se comprendre sans les autres, ou pire, contre eux. Si nous avons à approfondir notre identité
chrétienne, lui évitant de se montrer faible ou incertaine, et de faire naître des ambiguïtés au contact
d'autrui, cette identité se nie si elle en devient dure ou arrogante. Renonçons aux faux irénismes, qui
tentent de tout concilier, et finissent par tout niveler : toutes les croyances ne sont pas égales, toutes
les '“foi”' ne partagent pas le même Dieu ! Mais renonçons aussi aux fondamentalismes et aux
identités bâties sans les autres ou contre eux. Nous trouvant incertains devant autrui, plus ferme
dans ses positions, nous nous laissons facilement entraîner dans une réaction violente de déni, et le
durcissement arrogant de l’affirmation identitaire conduit nécessairement à l'opposition. […] Pour
un chrétien, dévoiler son identité, c'est nécessairement s'impliquer dans une rencontre dans la vérité
avec son partenaire225. »

225 Enzo Bianchi, op. cit., p.81

58
Amour
Dans le dialogue de vie (et des œuvres), l'homme se présente comme il est avec son humanité, cela
signifie avec ses dons et ses défauts ! C'est la beauté de la rencontre : un échange réciproque de ce
que nous sommes. Si dans la rencontre l'un se donne à l'autre comme il est, afin de transmettre aussi
ce qu'il croit ; il y a de toutes façons une manière pour ce faire ! C'est celui de l'amour. L'amour est
le moyen que l'homme possède pour se communiquer à l'autre dans la simplicité et la vérité. Ce que
nous entendons ici est l'amour fraternel, cependant lorsqu'on parle d'amour il est nécessaire de faire
la clarté pour ne pas être mal compris et afin de goûter les larges horizons que ce terme nous
présente.
Une première distinction226 peut être établie entre l'amour “donation” et l'amour “besoin”. Dans
l'amour donation nous individuons le sentiment qui pousse l'homme à se donner pour le bien de
l'autre, comme l'effort à travailler ou à renoncer à quelque chose pour garantir un bien-être à sa
famille ; ou encore à la capacité de se maîtriser et de se « laisser-faire » afin que l'autre puisse être
épanoui et bienheureux. L’amour besoin est celui lorsqu’on a besoin d’une parole douce, d'un câlin,
de chercher refuge et sûreté entre les bras de quelqu'un.
Ces deux amours ont tous la même importance et nécessité d'exister et d’être vécus. L'un renforce et
motive l'autre. Le besoin d’être aimé par quelqu'un nécessite de se rencontrer avec un amour qui est
disposé à se donner. Le contraire n'est pas exigé, même si souhaité, en tant que l'amour donné il est
offert dans la liberté et gratuité et donc il peut accepter le refus et l’être ignoré, et cela n’enlèvera
rien à la valeur du don et à son expression. C'est la dynamique du pardon reçu et donné : lorsque
nous désirons être pardonnés par quelqu’un (voire : par Dieu) et le pardon désiré et reçu génère en
nous le désir à avoir un regard de miséricorde sur notre frère, et même plus de cela : un sentiment
d'amour qui veut se donner à lui 227. Cette considération, nous porte à penser que l’être humain pour
exister a besoin de recevoir de l'amour, mais ce dernier il a une puissance qui dépasse l’âme
humaine et génère dans l'homme la nécessité de se donner à l'autre, et c'est dans ce geste ultime que
l’être humain retrouve un équilibre en lui-même qui lui donne de la paix et du bien-être.
C'est à partir de ces deux façons d'exprimer notre affectivité qu'on peut distinguer et individuer
d'autres aspects de l'amour. Déjà dans l'ancienne langue grecque on distingue quatre expressions de
l'amour : storge, fileo, eros, agapè.
Ratzinger228 en expliquant l'emploi du mot frère dans le nouveau testament, après avoir présenté les
textes où le mot frère est utilisé pour designer le compatriote et le coreligionnaire, et après avoir
exposé une autre utilisation particulière du terme qui est utilisé comme un synonyme de disciples, il
présente l'utilisation typiquement chrétienne où il y a un crescendo et ouverture de ce terme. Au
commencement, il est appliqué à ceux qui écoutent et se sont soumis à la volonté de Dieu (cf. Mc
3,31-35) pour s'appliquer à tous les hommes (Mt 25,31-45 ; Lc 10,30-37). Ce qui est intéressant
d’après nous, est l'application de frère dans le récit de Marc «34...Vous voyez là ma mère et mes

226 Pour cette interpretation nous nous referons au livre de : Clive Stalpes Lewis, I quattro amori, affetto, amicizia,
Eros, Carità, ed Jaca Book, 2001.
227 C'est l’expérience de nombre de mystiques : Sainte Therese d'Avila, Saint Jean de la croix, Sainte Faustine, Rhumi,
Raba, Ibn Arabi,...
228 Joseph Ratzinger, fraternité, en dictionnaire de spiritualité. op. cit. col. 1144-1146

59
frères; 35celui qui fait la volonté de Dieu, c’est lui qui m’est un frère, une sœur ou une mère.» (Mc
3,34-35), où l'ambiance familiale est prise pour établir les liens de relation avec Jésus. Cette
ambiance suppose le ''storge'', l'amour familial, l'affection qu'on a pour les parents ou les fils et pour
les frères et sœurs du noyau familial. C’est avec cet amour qui est le plus simple que les autres se
fondent et trouveront sens.
Il s'agit de la forme d’amour la plus simple, immédiate et répandue. Cette affection on la peut
retrouver aussi entre les animaux, une chatte pour ses chatons ou un cheval pour une oie ! Il est
caractérisé par le fait qui s'adresse à ce qui lui est familial. Une autre caractéristique est celle de son
commencement indéfini, tandis que « è possibile, a volte, indicare con precisione il giorno e l'ora in
cui ci siamo innamorati o in cui è nata una nuova amicizia, dubito che qualcuno sia in grado di
stabilire quando è cominciato un affetto 229 ». Il s'agit ici de l'amour plus humble, car nul fera de la
publicité pour ses affections comme il le fait pour son « amour du moment » ou pour une amitié
particulière ! Pour accéder à cet amour il faut un élément qui échappe à tous : le temps ! C'est à
travers le temps que l'affection naît, c'est le fait de vivre les mêmes situations qu'une affection se
consolide. Storge a aussi une autre caractéristique : il n'est pas jaloux, on pourrait même dire qui
trouve agréable que d'autres partagent cette affection pour le même sujet. C'est le cas des frères qui
aiment leurs parents, ou des amis entre eux. C'est un amour, qui rend l’accès à la personne, libre et
inconditionné. Cette amour (storge), comme nous l'avons dit, trouve son départ dans la famille
laquelle donne la possibilité à l'individu de dépasser l’égocentrisme et les limites sectaires d'un
intéressement à l'autre ou à quelque chose d'autre. Cette affection nous apprend à élargir notre
regard au-delà de notre famille, aux voisins (comme nous l'avons vu en Al-Ghazali), et aux
concitoyens. En effet, « qui n'aime pas ses voisins, ses concitoyens – qui voit et qui connaît – il n'a
pas trop de chance d'aimer l'Homme qu'il n'a jamais vu et connu 230 ». Néanmoins, cet amour n'est
pas du tout séparé des autres formes d'amour : il se mélange, il se confond en enlevant parfois toute
distinction, et de toute façon en les soutenant et en les renforçant. Ce premier aspect de l'amour
caractérise les liens dans la fraternité en élargissant peu à peu l’horizon de l'affection en permettant
des relations ouvertes, sans préjugés, sans prétentions, sans prédilections.
Un autre aspect de l'amour est l’amitié qu'en grec on désigne par le terme ''philia'' qui veut
indiquer : l'amour bienveillant et le plaisir de la compagnie. C'est un amour beaucoup chanté et
étudié dans l'antiquité, Ciceron en a fait un traité « laelius231 », Aristote affirmera que : sans amis,
personne ne choisirait de vivre232. Cependant l'affirmation d'Aristote dans l’Éthique à Nicomaque,
l’amitié est l'amour moins nécessaire à la vie. Il ne procrée pas (cela est le fruit de l’éros), il ne
soutient pas dans les situations compliquées de la vie (cela est le fruit du storge), il n'intervient pas
dans les difficultés (cela est l'action de la charité). L’amitié est l'amour moins naturel et le moins
instinctif, organique et biologique parmi les amours 233. L’amitié est un lien établit avec les autres.

229 Clive Staples Lewis, op. cit., p.38-39 « il est possible, parfois, établir avec précision le jour et le moment précis
dans lequel on est tombé amoureux ou bien dans lequel une amitié est née, je doute que quelqu'un puisse indiquer le
moment précis dans lequel une affection est née »
230 Clive Staples Lewis, op.cit., p.30 traduction libre.
231 Pour en avoir un aperçu cf. http://www.site-magister.com/prepas/page7d.htm#axzz4aSFqj8sN consulté le
05/03/2017
232 Pour en avoir une aperçu cf. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/nicom3.htm consulté le 05/03/2017
233 cf. Clive Staples Lewis, op. cit. p.60

60
Ceci est très intéressant pour notre proposition d'un travail dans le dialogue de vie et des œuvres.
L’amitié est une affection qu'il faut vouloir, il faut la créer, il faut avoir la patience de la bâtir.
L’amitié aide à avoir un regard plus grand sur les autres, un cœur adressé à l’humanité. Elle est de
toute façon pas “gratuite” et “inconditionnée”, pour en faire part, il faut la gagner. C'est quelque
chose qu’on construit, avec constance et conviction. Ce qu'on peut avoir en échange est une vision
différente de l'autre, un enrichissement des connaissances. Nous proposons la réflexion de Lewis 234
pour en expliquer les fruits de l'amitié. Si de trois amis (A,B,C) A meurt, B ne perd pas seulement
A, mais aussi la part de A en C, et C ne perd pas seulement A, mais la part de A en B. Car en chacun
des amis, il y a quelque chose que seulement un autre ami est capable de mettre en lumière. Par
exemple si Charles meurt, je ne verrai plus la réaction de Ronald à une typique expression de
Charles. Ce n'est pas que maintenant que Charles est parti, Roland est plus à moi ; en vérité
maintenant j'ai moins aussi de Roland.
Nous voyons en ce raisonnement une très grande richesse par rapport aux liens avec les autres
religions, et en façon particulière au profit du dialogue de vie et des œuvres qui ouvre à une
connaissance de l'autre et qui se soutient par une fraternité élargie.
L’amitié est la qualité d'amour qui, à différence des autres qui ont besoin de rester «face à face»
afin de s’échanger, elle reste «côte à côte». Cela permet d'ajouter de nouveaux éléments sans limite,
en augmentant le groupe et donc les visons différentes, qui se révéleront être plusieurs lumières de
compréhension et nous pourrons ajouter des progressions! vu que les yeux des amis sont dirigés
devant eux et pas enfermés sur eux!
C'est avec l’amitié que Jésus et Mohammed ont commencé leur groupe d'apôtres et de compagnons.
Ce n’était pas par amour ou par affection que les apôtres ou les compagnons fidèles de Mouhamad
ont suivi leur maître, c’était à cause d’un message partagé et accepté qu'un groupe d’amis s'est
formé235.
Nous arrivons ici à l’éros qui renvoie à l'amour naturel, à la concupiscence et ou plaisir corporel 236.
Cet amour est caractéristique des amoureux, qui attire les uns vers les autres, afin de se connaître et
de se séduire. Nous ne nous référons pas à l’expérience sexuelle qui peut être consumé sans être
amoureux. Nous nous référons à l'amour qui a une attraction pour l'autre, qui dans une progression
d’intensité conduit l’homme à se donner sans limite, afin de posséder et de partager. L’éros est
l'amour qui pousse un individu à entreprendre des chemins jusque-là, évités et ignorés. C’est
l’amour qui fait sortir à l'improviste, nous osons dire violemment, de soi-même pour aller vers
l'autre, car on désire rencontrer l’autre et rester avec lui, «le véritable éros consiste, comme le
rappelle Platon, à donner sa vie pour ceux qu'on aime (banquet 179 b sq)237 ».

234 cf. clive Stalpes Lewis, op. cit., p.62


235 À son retour vers les Quraysh, il dit: «Ô gens de Quraysh ! J'ai vu Kosroes dans son royaume, César dans son
royaume, Najashi dans son royaume. Mais je jure par Dieu! Je n'ai jamais vu aucun d'eux traité avec autant de
ferveur par ses courtisans que ne l'est Muhammad par ses compagnons! Bien plus, ils ne voudront jamais vous le
livrer.» (cf, http://mosquee-salam-grande-synthe.over-blog.com consulté le 05/03/2017)
« Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais moi, je vous ai choisis » (Jn 15,16) « Seigneur, à qui irions-nous? Tu as
les paroles de la vie éternelle. » (Jn 6,68)
236 cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mots_grecs_pour_dire_amour consulté le 05/03/2017
237 Yves-Jean Harder, Amour, dictionnaire critique de théologie, ed. Puf, 2016, p.46

61
De l’éros nous passons à l'agapé « même si, initialement, l’éros est surtout sensuel, ascendant –
fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se
posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il
se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera «être pour» l’autre.C’est ainsi que
le moment de l’agapè s’insère en lui238 »
Le terme grec agapè239 nous renvoie à l'amour désintéressé, universel, inconditionnel. L'agapé nous
renvoie à l'enseignement de Jésus, lequel «ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes.
S'étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort
sur une croix!» (Fil 2,6-8) c’est impératif d'avoir en nous une attitude d'amour qui sache être
humble et délicat avec l'autre, car l’accès à la beauté et la richesse esthétique de l'autre n'est pas un
droit, mais un don! « Dévouement au service des hommes, volonté d'abaissement de soi, de
descente et d’humilité, pour mieux servir les hommes 240 ». C'est ainsi que «ce terme exprime
l’expérience de l’amour, qui devient alors une véritable découverte de l’autre, dépassant donc le
caractère égoïste qui dominait clairement auparavant. L’amour devient maintenant soin de l’autre et
pour l’autre. Il ne se cherche plus lui-même – l’immersion dans l’ivresse du bonheur – il cherche au
contraire le bien de l’être aimé : il devient renoncement, il est prêt au sacrifice, il le recherche
même.241 ».
Dans un prospectif pastoral est demandé aux chrétiens d'avoir les mêmes sentiments du Christ
« Soyons comme Jésus, perpétuellement aimables, perpétuellement gracieux, perpétuellement
tendres, affectueux, fraternels, toujours le cœur débordant de bonté et d'amour, la bouche pleine de
tendres paroles et pour ainsi dire de baisers : Que notre bouche, nos yeux, notre cœur, soient aussi
tendrement et gracieusement fraternels et caressants pour tous les hommes et toujours. 242 » Cela
demande d'avoir intégré l’Évangile dans sa propre vie, ou au moins de désirer à le vivre avec les
autres, « Il consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que
je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre
intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher
le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et
mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus-Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de
l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste
d’attention, que je ne lui donne pas seulement à travers des organisations créées à cet effet,
l’acceptant peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les yeux du Christ et je peux
donner à l’autre, bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui donner
le regard d’amour dont il a besoin.243 » L'agapé devient ainsi une prédisposition intérieure pour
laquelle tout homme peut rencontrer l'autre dans sa singularité et richesse. Charles de Foucault en
commentant Mt 12,22 il dit « Faire tout le bien possible à tous les hommes et dans leurs âmes et
dans leurs corps, sans autres limites à nos œuvres de charité que celles que nous impose la sainte
238 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.7
239 Le terme grec “agape” donne en latin ''caritas'' et en français “charité”
240 Ali Merad, Charles de Foucault au regard de l'Islam, ed. Desclée de Brouwer, 2016, p.47
241 Benoît XVI, Deus Caritas est, encyclique 2005, n.6
242 Charles de Foucault, Aux plus petits, ed. nouvelle cité, Paris, 1973. p.127
243 Benoît XVI, Deus caritas est, n.18

62
obéissance244 ». Cette disposition intérieure, est acquise au fur et à mesure qu'on accepte, soutenu
par la foi, de s'engager pour et avec l'autre, et de vouloir construire ensemble des liens fraternels
« Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend
aussi sensible devant Dieu. Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour
moi et sur sa manière à Lui de m’aimer. »245
L'agapè, dans sa signification de se donner à l'autre en lui partageant les éléments de mon sac, elle
ne se limite pas dans la présentation du contenu précieux qui constitue l’être, l'histoire, l’identité les
convictions et l'espoir de l'individu, mais l'agape s'engage avec tout soi-même dans ce partage qui
veut rencontrer sincèrement l'autre « la caritas-agapè dépasse aussi les frontières de l’Église; la
parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation : elle impose l’universalité de l’amour
qui se tourne vers celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc 10, 31), quel qu’il
soit.246 ». Dans l'histoire des premières communauté chrétiennes, on a cherché de trouver un espace
et un temps pour vivre cette agapè, c'est ainsi qu'on a commencé à organiser des repas fraternels.
Tertullien explique ainsi l’agapè «Quoi donc d'étonnant qu'une si grande charité ait des repas
communs ? (Quid ergo mirum, si tanta caritas convivatur?) Car nos modestes repas, vous les
accusez non seulement d'une criminelle infamie, mais encore de prodigalité ! (...) Notre repas fait
voir sa raison d'être par son nom : on l'appelle d'un nom qui signifie « amour » chez les Grecs
(Coena nostra de nomine rationem sui ostendit. Id vocatur quod dilectio penes Graecos.). Quelles
que soient les dépenses qu'il coûte, c'est profit que de faire des dépenses par une raison de piété : en
effet, c'est un rafraîchissement (refrigerium) par lequel nous soulageons les pauvres, non que nous
les traitions comme vos parasites, qui aspirent à la gloire d'asservir leur liberté, à condition qu'ils
puissent se remplir le ventre au milieu des avanies, mais parce que, devant Dieu, les humbles
jouissent d'une considération plus grande. Si le motif de notre repas est honnête, jugez d'après ce
motif la discipline qui le régit. Comme il a son origine dans un devoir religieux, il n'admet ni
bassesse ni dérèglement. On ne se met à table qu'après avoir goûté de la prière à Dieu. On mange
autant que la faim l'exige ; on boit autant que la chasteté le permet. On se rassasie comme des
hommes qui se souviennent que, même la nuit, ils doivent adorer Dieu ; on converse en gens qui
savent que le Seigneur les entend. Après qu'on s'est lavé les mains et qu'on a allumé les lumières,
chacun est invité à se lever pour chanter, en l'honneur de Dieu, un cantique qu'on tire, suivant ses
moyens, soit des saintes Écritures, soit de son propre esprit. C'est une épreuve qui montre comment
il a bu. Le repas finit comme il a commencé, par la prière.247 » Originalement, l’Agapè était un
ensemble d’actions que la communauté faisait dans un contexte et au cours d'un repas. Les mots
écrits en caractères gros pressentent ce rendez-vous de la communauté, d'abord, la rencontre était
faite dans un contexte de prière, cela nous insert dans une dimension religieuse dans laquelle au
centre est placé l'attention aux pauvres ; lesquels n'ont pas seulement besoin de “manger ou de
boire », mais de nécessités autant importantes, comme “converser” et exprimer la joie et l'espoir
avec le “chant”. Les indications données par Tertullien, sont très édifiantes ; la prière indique que
les actions et l'engagement étaient encouragés par la foi des individus. Le fait de manger indique

244 Charles de Foucault, op.cit., p.65


245 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.18
246 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.25
247 https://fr.wikipedia.org/wiki/Agapes

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d'une part l'attention aux interventions concrètes et immédiates et de l'autre part à un engagement
financier de chacun afin de contribuer et de réaliser cette œuvre. La conversion pose l’accent sur le
temps qu'il faut offrir à l'autre, afin qu'il puisse être accueilli avec dignité, afin de pouvoir lui
présenter, délicatement, les trésors qui habite l’âme de celui qui se fait voisin, et recevoir de l'autre
part, éventuellement, la beauté de ses convictions et son histoire. Enfin, le chant est la façon
meilleure pour dépasser les incompréhensions, les difficultés, les divergences qui ont empêché un
accueil dans la gratuité ; le chant est aussi la manière pour remercier de la présence Autre et
miséricordieuse, de Celui qui soutient l’humanité dans sa faiblesse.
Certainement, ceci a été une tentative pour vivre la fraternité, qui n'a pas duré dans le temps au fur
et a mesure que l’Église grandissait; néanmoins, au niveau pastoral, nous voudrions faire appel à
toute actions sociales que la vie, de tous les jours, nous présente dans son urgence, nécessité ou
activités organisées afin d'améliorer la vie des autres, un autre qui peut bien être le voisin, ou le
compagnon de travail, d’étude, de voyage, lesquels ne doivent pas être considérés comme étrangers,
mais comme des frères à connaître, à aider, à aimer « Toute l’activité de l’Église est l’expression
d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme: elle cherche son évangélisation par la Parole et
par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations historiques; et elle
cherche sa promotion dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaine. L’amour est
donc le service que l’Église réalise pour aller constamment au-devant des souffrances et des
besoins, même matériels, des hommes.248 » Saint Paul nous rappelle les trois vertus théologales : la
foi, l’espérance et la charité. Et il nous indique que la charité est la plus grande (1 Co 13,13) « non
pas que la foi soit une certitude imparfaite, mais c’est par l'amour qu'on croit et qu’on espère (1 Co
13,7;Rm 5,5). L’amour est la source de toute valeur : la générosité, les dons de l’esprit eux-mêmes,
la liberté, le respect de la loi, tous n'ont de prix que parce qu’ils proviennent de l'amour et
produisent l'amour (1 Co 13, 1ss ; Ga 5, 14 ; Rm 13,8ss). Non seulement l’amour communique la
vie, mais il est la vie249 ».
Pour synthétiser, nous retenons que l'amour, dans/avec ses aspects multiples, est indispensable pour
établir des liens humains qui ont « l'odeur » de la vie vécue et qui ont la passion de la vie en action.
L'amour storge ouvre un chemin ; son visage de philia s'engage dans des relations et dans un
dialogue ; l'autre visage celui de l’éros, nous pousse à aller vers l'autre, pour en partager nos
connaissances et nos convictions et finalement le dernier visage celui de « La charité fraternelle est
l'accomplissement de toute exigence morale (Ga 5,14 ; 6,2 ; Rm 13,8s;Col 3,14) ; elle est en fin de
compte l'unique commandement (Jn 15,12 ; 2 Jn 5), l’œuvre unique et multiforme de toute la foi
vivante (Ga 5,6.22). […] L'amour du prochain est donc essentiellement religieux ; il n'est pas une
simple philanthropie. Religieux, il l'est encore par son modèle : l'amour même de Dieu (Mt 5,44s ;
Ep 5,18.25 ; 1Jn 4,11s) Il est enfin et surtout par sa source, car il est l’œuvre de Dieu en nous250 »
Pour conclure cette partie sur l'amour nous laissons la parole à Charles de Foucault qui nous donne
une explication du pourquoi il faut aimer, et comment la tradition de l’Église, à travers ses saints
mystiques, a toujours soutenu qu'il faut suivre Jésus par l'amour. « A côté du grand, de l'immense

248 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.19


249 Yves-Jean Harder, Amour, dictionnaire critique de théologie, ed. Puf, 2016, p.45
250 Claude Wiener, amour, en vocabulaire de théologie biblique, ed cerf, 1970, col. 54

64
amour que nous devons à tout humain à tant de titres et par-dessus tout comme membre de Jésus,
portion de Jésus,...nous devons à certains humains un amour spécial pour des motifs spéciaux ; par
exemple : lorsque il est évident, comme cela arrive parfois, qu'une âme est particulièrement sainte,
particulièrement amie de Dieu ; car alors à tous ses autres si grands motifs d'amour, s'ajoute celui de
la certitude où nous sommes que cette âme est spécialement aimée de Dieu, aime Dieu à un degré
hors ligne, et est considérée par Jésus comme “son frère”, sa sœur, sa “mère”. C'est ce que dit saint
Benoît dans sa règle, qu'il faut embrasser tous ses frères d'un même et d'un égal amour, mais que
cependant si quelqu'un excelle par les vertus et la sainteté, il mérite une prédilection. Saint Jean de
la Croix : Qu'il faut aimer les hommes comme Dieu les aime (afin d'avoir notre cœur conforme à
celui de Dieu), que Dieu aime chaque homme à raison du bien qui est en lui, et que nous, ignorant
la mesure du bien qui est en chaque homme, devons aimer tous les hommes d'un égal amour en vue
de Dieu : Il reste vrai pourtant que, bien que pour la très grande majorité, la presque totalité des
hommes, nous ignorions le bien qui est en eux, pour quelques-uns, pour des âmes d'une sainteté
éminente, ce bien supérieur à la moyenne qui est en eux, est évident, et que, fondés sur cette
évidence, nous pouvons, dès ce monde, conformer notre cœur à celui de Dieu au sujet de ces âmes
exceptionnelles, en leur accordant un amour supérieur à la moyenne…, puisque nous voyons avec
évidence qu'ils ont une vertu supérieure à la moyenne et que par conséquent Dieu a pour eux un
amour supérieur à la moyenne...251 »

251 Charles de Foucault « Aux plus petits de mes frères » ed. nouvelle cité, Paris, 1973.p66

65
Le service
« Servons les hommes, servons-les en nous abaissant devant eux, nous faisant leur serviteur, leur
valet, comme Jésus se fit le serviteur de ses apôtres en leur lavant les pieds252 »
C'est ainsi qu'ensemble, à l'amour, le chrétien doit incrémenter dans son attitude aussi le service.
Cette caractéristique est très intéressante, elle dérive d'un terme grec « diakonia » qui signifie
« servir / se mettre au service », c'est un vrai dialogue des œuvres qui doit être accompli à travers un
dialogue de vie. La diakonia dérive naturellement de l'agapè qui est vécue dans sa profondeur « Luc
nous raconte cela en relation avec une sorte de définition de l’Église, dont il énumère quelques
éléments constitutifs, parmi lesquels l’adhésion à «l’enseignement des Apôtres», à «la communion»
(koinonía), à «la fraction du pain» et à «la prière» (cf. Ac 2, 42) [...] L’élément de la «communion»
(koinonía), [...] consiste précisément dans le fait que les croyants ont tout en commun et qu’entre
eux la différence entre riches et pauvres n’existe plus (cf. aussi Ac 4, 32-37). [...] Une étape décisive
dans la difficile recherche de solutions pour réaliser ce principe ecclésial fondamental, nous devient
visible dans le choix de sept hommes, ce qui fut le commencement du ministère diaconal (cf. Ac 6,
5-6). [...]un groupe de sept personnes. […]. Avec la formation de ce groupe des Sept, la «diaconie»
– le service de l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et ordonnée – était
désormais instaurée dans la structure fondamentale de l’Église elle-même253 ».
Ce terme « dia-koinonia » qui introduisait dans l’Église un engagement vers les démunis, non pas
seulement pour les aider, mais surtout afin de les connaître pour ne pas les exclure de la
“communion fraternelle”, voire de la communauté, est composé de “dia” = à travers et “koinonia”
= communion/communauté, donc la diakonia est agir/exister “à travers la communion ou la
communauté !”. Le service dans l’Église est compris comme une œuvre qui, soutenu par l'amour,
(agapè) se réalise à travers une communauté ou une communion, où dans cette dernière existent des
liens de fraternité. Le service réalisé alors porte en soi, autre la volonté de tresser des relations
amicales et une connaissance qui respecte l'autre dans sa dignité, porte aussi le désir de créer une
communauté de frères « La participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances
d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à lui : pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois
lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en
tant que personne. Cette juste manière de servir rend humble celui qui agit. Il n’assume pas une
position de supériorité face à l’autre, même si la situation de ce dernier peut à ce moment-là être
misérable.254 » Le service, ou bien en paraphrasant le dialogue de vie et des œuvres, vers l'autre
devient ainsi occasion pour créer des liens véritables de fraternité élargie ; par rapport à la pastorale
des occasions pour se mettre au service ensemble, chrétiens et musulmans, aux démunis sont
nombreuses, en effet le pauvre, la veuve, l'orphelin, l’émigré sont des constantes dans toute
société, « L’amour-caritas sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. Il n’y a
aucun ordre juste de l’État qui puisse rendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut
s’affranchir de l’amour se prépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours
de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y

252 Charles de Foucault « Aux plus petits de mes frères » ed. nouvelle cité, Paris, 1973. p.135
253 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.20-21
254 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.34-35

66
aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans
le sens d’un amour concret pour le prochain 255 » même l'évangile nous le rappelle en deux reprises
«Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous » (Mt 26,11) et «Heureux, vous les
pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6,26) cette béatitude, entre outre, nous rappelle
qui sont les pauvres qui battissent le royaume de Dieu, en donnant l'occasion aux non-pauvres de se
mettre ensemble et de construire une fraternité, nous évoquons ici Caïn et Abel, où Caïn était appelé
à donner une place à Abel et de le respecter et reconnaître comme son frère, ainsi le Pauvre – image
de Abel – qui conte un rien et qui n'a pas un lieu où aller, doit être reconnu comme un frère et rétabli
dans sa dignité d' homme, ceci est le chemin de la fraternité universelle que nous avons déjà
expliqué plus haut. L'attention, l'aide et le service aux pauvres, est bien marqué aussi dans la loi
islamique ; nous voulons donc penser que, c'est le moyen lequel Dieu nous donne, c'est-à-dire : être
des vrais hommes en se mettant ensemble aux hommes pour les hommes, afin de bâtir la fraternité
universelle. En effet, nous remarquons que, lorsque l'homme se donne gratuitement à faveur de
l'homme, il découvre avec stupeur la beauté de la rencontre et les valeurs de la vie, voire le sens
plein de la vie, tout cela prend pied quand on apprend à aimer (agapè) dans la sincérité l'autre et
Dieu «aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,35) et « Si quelqu'un dit: "J'aime Dieu" et qu'il déteste
son frère, c'est un menteur: celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il
ne voit pas. Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de lui: que celui qui aime Dieu aime
aussi son frère. » (1 Jn 4,20-21)
Le chrétien est appelé au service, dans la manière même que son maître a servi les autres «
diaconie évoque assez directement le Fils, celui qui se désigne comme ''diakonos'' (''Or moi je suis
au milieu de vous comme celui qui sert '' Lc 22,27). C'est un mot qui, à lui seul, ressaisit l'essentiel
de la mission du Christ ''le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir
[diakonèsai] et donner sa vie en rançon pour la multitude'' (Mc 10,45) 256 ». Le chrétien est appelé à
aider son prochain, l’Évangile est très clair sur ce point. Souvent les non-croyants reprochent aux
chrétiens de ne pas être cohérents avec ce qu’ils prêchent. C’est pour cela que le chrétien, plutôt de
parler de cohérence entre le comportement et le message, doit poser son attention et son désir à
suivre Jésus, car c'est en suivant son propre maître qu’on pourra être cohérent avec les intentions. Il
y a trois passages à faire pour vivre la diaconie et la rencontre de Jésus257 :
1. Prendre soin des liens qu'on a établies (ceci est le style de la fraternité)
2. Se laisser toucher par les événements. (ceci est le dialogue de vie)
3. Vivre dans la simplicité, pour faciliter la rencontre (ceci est le dialogue des œuvres)
Le chrétien engagé dans le dialogue avec les croyants d'une autre religion, doit garder en lui le
service de soigner les liens d’amitiés (d'amour) qu'on a établies et essayer d'en créer de nouveaux. Il
est le véritable constructeur du pont entre îles différentes, celui qui parcourt ces ponts et en fait de la
manutention ! Il se laisse interroger par l’actualité et il en discute avec ses amis en proposant des
éventuelles solutions qui s’appuient sur sa foi et ses convictions, et il se met à l’écoute des solutions
avancées par les autres. Tout cela sans forcer les temps, les idées, les capacités intellectuelles ; mais
tout en restant lui-même en continuant à respecter et à aimer. Ceci est le service ! Un service qui a
255 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.28
256 Étienne Grieu, Un lien si fort, quand l'amour de Dieu se fait diaconie, ed. de l'atelier, 2012, p.15
257 cf. Étienne Grieu, op. cit.

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le goût de Jésus qui « Lui qui jouissait de la nature de Dieu, il ne s’est pas attaché à cette égalité
avec Dieu, mais il s’est dépouillé, jusqu’à prendre la condition de serviteur devenu semblable aux
humains. Et quand il s’est trouvé comme l’un d’eux, il s’est mis au plus bas, il s’est fait obéissant
jusqu’à la mort, et la mort en croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé et lui a donné le Nom qui passe
tout autre nom afin qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et en bas chez les
morts, et que toute langue proclame : “Jésus-Christ est Seigneur !”, pour la gloire de Dieu le Père ! »
(Ph 2, 6-11). La foi en Jésus est un pilier qui donne la qualité de la façon de vivre et de se proposer
du chrétien, qu’il sera crédible à la mesure de sa qualité de vie « Dans la fraternité, être toujours
humble, doux, serviable, comme l’étaient Jésus, Marie et Joseph dans la Sainte Maison de Nazareth.
Douceur, humilité, abjection, charité : servir les autres258 »
La diakonia est non seulement une caractéristique dans le dialogue de vie et des œuvres, mais elle
devient ainsi aussi le Style de ce dialogue « Donner à ceux qui ont faim, c'est un des devoirs que
nous impose la charité.. et en cela comme en tout il faut “aimer” les autres comme ''soi-même” (Mt
22,39), comme notre Seigneur nous en donne tant de fois le précepte, et tant de fois aussi, ici entre
autres, l'exemple.. Il faut, par conséquent, partager entre frères avec ceux qui ont faim, non pas
garder pour soi tout le poisson et les faire dîner avec du pain sec, mais faire comme Jésus, leur
donner et du pain et du poisson, partager avec eux tout ce qu'on a, comme avec des frères “vous”
êtes tous “frères” (Mt 23,8), comme on fait pour soi-même “aimez” les autres comme vous-mêmes”
(Mt 19,19) (ce qui est un précepte et non un conseil, Mt 25) 259». Le magistère de l’Église est aussi
dans cette lignée du service dans le dialogue de vie et des œuvres « Les chrétiens doivent donc
travailler, en collaboration avec tous les autres, à organiser de manière droite les affaires
économiques et sociales…. Ils doivent en outre prendre leur part dans les efforts de ces peuples qui,
en faisant la guerre à la faim, à l'ignorance et aux maladies, s'appliquent à améliorer les conditions
de la vie et à affermir la paix dans le monde. Dans cette activité, les fidèles doivent souhaiter
ardemment apporter, de façon prudente, leur contribution aux initiatives lancées par les institutions
privées et publiques… par les diverses communautés chrétiennes et par les religions non
chrétiennes » (A.G. 12).

258 Charles de Foucauld, Écrits Spirituels, ed. J de Gigord, 1957, p.210


259 Charles de Foucault, op. cit., p.70.

68
3. Finalités

Introduction
Nous sommes arrivés à la quatrième partie de notre proposition. Aprés avoir proposé la fraternité
universelle comme caractéristique dans le dialogue de vie et des œuvres, nous avons cherché à
démontrer que la fraternité universelle est fondée théologiquement et comment elle correspond au
« rêve » de Dieu. Nous sommes passés dans une troisième partie, où nous avons présenté le
dialogue de vie et des œuvres et quelque aspect qui doit le caractériser, en cherchant à donner des
pistes pastorales pour le dialogue. Dans cette dernière partie, nous voulons présenter quelques
finalités du dialogue de vie et des œuvres à travers la fraternité universelle.
Souvent, on se demande pourquoi s'engager dans le dialogue avec les autres religions. On a la
prétention de se suffire à soi-même, d’être porteur de la vérité et d'avoir toutes solutions et réponses
prêtes à l'utilisation.
La fraternité universelle et le dialogue de vie nous poussent à nous ouvrir à l'autre, à nous mettre à
son écoute et à son service ! On découvre que l'autre a un trésor à partager, qu'il a une vision du
monde, de la vie et de Dieu différente de la nôtre et qui n'est pas de tout fausse ou mauvaise. Nous
nous rappelons un ancien missionnaire fidei donum au Cameroun qui aime dire « bon plus bon égale
à très bon !260 ». Donc, si nous pouvons nous rencontrer et mettre en commun le meilleur de nous, le
meilleur de nos convictions, de notre foi, le résultat pourrait être seulement une amélioration de
notre vivre ensemble et de notre compréhension de Dieu.
Cette partie qui veut donc proposer des finalités, est divisée en trois sous parties. Cela parce que
nous retenons qu'il existe des finalités à différents niveaux.
Des finalités immédiates, lesquels ont l'objectif de donner un point de départ au dialogue et de
l'encourager et de le rendre possible.
Des finalités plus nobles, où il ne sera pas possible tout de suite d'en toucher les avantages, mais qui
se promettent au plus haut niveau. À ce niveau le dialogue devient plus engageant, plus difficile,
mais aussi plus fructueux. A ce niveau, on vit en plénitude l'esprit de la fraternité universelle.
Des finalités ultimes, eschatologiques et qui appartiennent à Dieu. Le dialogue tend à rétablir le
rêve du Créateur, les interlocuteurs engagés s'offrent pour réaliser ce projet, bien conscients que
plus que jamais la bonne réussite dépendra de leur conviction, de leur amour, de leur engagement
sérieux et de la volonté de Dieu.
Loin d'épuiser, avec nos propositions, la multitude des dons que Dieu veut offrir aux hommes de
bonne volonté, chacun pourra jouir des nombreuses autres finalités et résultats que l'aventure de la
rencontre peut réserver à qui, avec confiance, s’abandonne et se confie.

260 Il s'agit du Père Davide Giobardo, prêtre fidei donum de Trevise au sud Cameroun pendant une dizaine des années
(1970-1980 environ)

69
Finalités premières ou immédiates

Se rencontrer

La première finalité est très évidente, c'est de se rencontrer ! Évènement simple, mais pas du tout
naturel et facile à réaliser. Si beaucoup de livres ont été écrits sur le sujet, et si nous insistons aussi
avec notre proposition, c'est justement qu'il est un premier pas difficile à affranchir. La peur,
l'orgueil, l’inexpérience, l'ignorance, et nombreuses autres raisons nous rendent cette première étape
pas du tout évidente. Être étranger pour l'autre, rend toujours incertain sur comment nous seront
accueillis ; et d'autre part rencontrer un étranger nous fait prudents et douteux sur son identité et
requêtes. Pourtant « dialoguer avec l'autre est une obligation religieuse prescrite par l'islam, mais
également une exigence dictée par le contexte dans la mesure où toute la planète est devenue,
aujourd'hui, grâce au développement des moyens de communication et de transport, un espace
unique »261 et encore « ...le Coran reconnaît la diversité du genre humain tout en nous rappelant
l'objectif final de cette diversité, à savoir, la connaissance mutuelle et l'entraide. Mais la
reconnaissance de la diversité et du droit de l'autre à la différence, n'a pas de sens réel tant que cette
reconnaissance n'est accompagné d'un respect et d'une tolérance à même de garantir une coexistence
positive et pacifique en dépit des différences, dans un climat de considération mutuelle et de
reconnaissance du droit à l’identité »262.
« Ce pluralisme doit avoir pour objet la connaissance mutuelle entre les individus et les peuples
sans distinction, qu'ils appartiennent aux religions abrahamiques, aux traditions religieuses
asiatiques ou africaines, ou à toute autre croyance “Nous avons fait de vous des peuples et des tribus
afin que vous vous familiarisez les uns avec les autres. Le meilleur parmi vous est le plus pieux”
[49:13]263 »
Du côté chrétien, Enzo Bianchi264 écrit « Les chrétiens, en effet, ont de quoi être des “experts” en
matière d’extranéité et d'accueil des étrangers car, durant leur histoire, ils ont pris le nom d'étrangers
et se sont longtemps compris comme tels. Ils ont toujours eu au centre de leur éthique l'accueil de
l'étranger, du pèlerin, du voyageur, puisque leur Seigneur s'est identifié à eux :''J'étais étranger et
vous m'avez accueilli'' (Mt 25,35)265 », et le pape Paul VI, écrivait « Il est urgent que, à l’égard des
migrants, on sache dépasser une attitude étroitement nationaliste pour instaurer un statut qui
reconnaisse un droit à l’émigration, qui favorise leur intégration… C’est le devoir de tous – et
spécialement des chrétiens – de travailler avec énergie à instaurer la fraternité universelle266»
261 Moncef Zenati, La fraternité humaine en islam, ed. Maison d'Enneur, Paris, 2008. p27
262 Moncef Zenati, La fraternité humaine en islam, ed. Maison d'Enneur, Paris, 2008. p 41
263 Mohammed Nokkari, L'islam à la rencontre des religions révélées : de l'annonce au « dialogue de la vie », dir.
Thierry-Marie Courau et Anne-Sophie Vivier-Muresan, Dialogue et conversion, mission impossible ?, ed Desclée
de Braouwer, 2012, p.90
264 Enzo Bianchi né en 1943, est un moine laïc, fondateur et «prieur» de la communautè monastique de Bose, une
communauté interconfessionnelle d'hommes et de femmes réunis pour vivre l’Évangile dans le célibat et la vie
commune dans un village du nord de l'Italie.
265 Enzo Bianchi, J'étais étranger et vous m'avez accueilli, ed. Lessius, 2008, p.9
266 Paul VI, Octogesima adveniens, lettre apostolique, n.17, 1971 cf. http://w2.vatican.va, consulté le 07/03/2017

70
Mais qui rencontrer, comment et où commencer ? Ceci est la question qui tourne dans l'esprit du
croyant lorsqu'il est invité à aller vers l'autre. Nous cherchons à répondre en s'appuyant sur
l’Évangile. Nous rappelons l'interrogation d'un légiste qui demande à Jésus « Maître, que dois-je
faire pour hériter de la vie éternelle ? » (Lc 10,25) dans cette question il n'y a pas la mention de
vivre en frères vers les autres, le théologien-jurisprudiste il se situe déjà à un niveau haut et détaché
de sa réalité c'est-à-dire au niveau de “la vie éternelle”. Jésus le remmena à sa réalité, à ses
possibilités, à sa vie celle de tous les jours « 26 Il lui dit: "Dans la Loi, qu'y-a-t-il d'écrit? Comment
lis-tu?" 27 Celui-ci répondit: “Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme,
de toute ta force et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même” 28 “Tu as bien répondu, lui
dit Jésus; fais cela et tu vivras.” » (Lc 10, 26-28). Dans la réponse du docteur de la loi, se cache le
vrai problème : pour aimer il faut rencontrer ! Mais, Dieu on ne le voit pas ! L'amour est donc laissé
aux intentions de l'homme. Ce n'est pas ainsi dans la rencontre avec le frère. Jésus alors raconte la
parabole « "Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui,
après l'avoir dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à demi mort. 31 Un prêtre vint à
descendre par ce chemin-là; il le vit et passa outre. 32 Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le
vit et passa outre. 33 Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de
pitié. 34 Il s'approcha, banda ses plaies, y versant de l'huile et du vin, puis le chargea sur sa propre
monture, le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à
l'hôtelier, en disant: Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai,
moi, à mon retour » (Lc 10,30-35). Le frère on le rencontre sur le chemin de chaque jour, sur le lieu
où on vit, où on est ensemble, « il dialogo abbraccia tutte le forme dell'esistenza e si svolge in ogni
luogo in cui Musulmani e cristiani vivono, lavorano, amano, soffrono, e anche muoiono insieme.
Infatti la specificità del dialogo non è nel suo oggett, ma in questo modo di essere e di agire che è
l'accoglienza dell'altro, ascolto della sua parola e accettazione del suo diverso modo di essere267 ».
Or, avec les bonnes intentions on ne rencontre pas le frère ! Rien n'est dit des intentions du prêtre ou
du lévite, qui d’ailleurs représentent la religion et la foi juive. Nous aimons penser que leurs
intentions étaient parmi les meilleures et les plus belles et qu'ils ont réservé des prières pour ce
malchanceux. Mais leurs bonnes intentions n'ont pas permis la rencontre. Sans rencontre, il n'y aura
pas de connaissance, d'amitié, de fraternité et finalement de dialogue.
Rencontrer l'autre c'est s’intéresser à lui, prendre soin de la situation de l'autre, s'engager avec
l'autre. « l'autre, en effet, l'autre véritable n'est pas celui que nous choisissons d'inviter chez nous
[…] mais bien celui qui apparaît devant nous sans que nous l'ayons choisi : c'est celui qui vient à
nous, poussé simplement par les événements, par la trame que tisse notre vie, parce que
''l’hospitalité est carrefour des chemins268''. L'autre est celui qui se tient devant nous comme une
présence exigeant d’être écouté dans sa diversité irréductible ; peu importe qu'il appartienne à une
autre ethnie, à une autre foi, à une autre culture : c'est un être humain et ceci doit suffire pour que

267 Maurice Borrmans, Orientamenti per un dialogo tra cristiani e musulmani, ed. Urbaniana University Press, 2015,
p.49. « le dialogue embrasse toutes formes d'existence et il se déroule partout où les Musulmans et les Chrétiens
vivent, travaillent, aimaient, soufraient et ils meurent aussi. En effet, la spécificité du dialogue n'est pas dans son
objet, mais dans la manière d’être et d'agir qui est l'accueil de l'autre, écoute de sa parole et acceptation de sa façon
différente d’être. »
268 Edmond Jabès, Le livre de l’hospitalité, Paris, ed. Gallimard, 1991, p.11

71
nous l'accueillions269.»
Mais la rencontre se réalise aussi grâce aux moments de repos et de suspension de toutes activités
de travail, Dieu avait déjà prévu ce temps particulier pour reprendre le souffle de la vie et bâtir des
liens plus solides. La fraternité se renforce et se solidifie en se rencontrant dans la paix durant un
temps que Dieu a prévu pour cela, c'est pourquoi on le nomme temps sacré et de fête ! Un temps
réservé à se rencontrer, à se connaître, à prendre de justes relations bienfaisantes et équitables
« Pendant six jours tu feras tes travaux, et le septième jour tu chômeras, afin que se repose ton
bœuf, ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23,12)
Ce temps est donné pour se rencontrer, pour échanger et pour offrir la possibilité à l’étranger de
devenir un visage connu, et ensuite un ami et pour finir un frère avec lequel je partage ma vie, mes
convictions, mes trésors. Jésus le dit clairement « 35 Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger,
j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, 36 nu et vous
m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. 37 Alors les justes
lui répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te
désaltérer, 38 étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, 39 malade ou prisonnier et de venir te voir?
40 Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un

de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. 41 » (Mt 25, 35-40). La rencontre
pour se faire nécessite des actions pratiques : donner ou partager un repas, des rites et du temps de
l'accueil, s’intéresser à la situation de l'autre « oui, l’étranger est l'autre que nous sommes appelés à
écouter et à accueillir comme un ami et comme un frère que nous a donné notre Père commun,
Dieu.270 »
Nous pouvons synthétiser en disant qui est toujours possible de rencontrer l'autre. Surtout que, entre
croyants, cela doit être considéré pas seulement comme un devoir, mais comme un engagement
personnel et communautaire. La rencontre commence toujours par voir l'autre ! Voir qu'il existe,
qu'il est là. Si les yeux constatent la présence, la bouche et le cœur, établissent un contact à travers
une parole d'amour. La volonté a elle aussi son rôle, celui de promouvoir la fraternité universelle.
La certitude que Dieu existe et qu'il nous a tous créés doit nous encourager à aller l'un vers l'autre
pour en découvrir les trésors que le Créateur a confié à notre frère ; avec la bonne conviction que
Dieu est témoin de la rencontre ; et en utilisant une expression humaine : il se réjouit de voir que ses
créatures puissent se rencontrer et vivre ensemble.
La prudence du langage est conseillé, car en étant une convention humaine, elle peut avoir une
signification différente pour de mêmes termes, en faute les expériences, circonstances,
connaissances et compréhensions que tel terme sans doute est chargé. Mais, Jésus nous invite à tout
moment de « Avancez vers le large et jetez vos filets pour la pêche. » (Lc 5,4)

269 Enzo Bianchi, op. cit., p.85


270 Enzo Bianchi, op.cit., p.45

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Dignité humaine

Afin que la rencontre se passe d'après un esprit d'accueil et de bonheur, il est nécessaire de respecter
la dignité de l'autre et de permettre que l'autre soit lui-même et à son aise.
La vison musulmane de l'homme271 considère ce dernier comme une créature parmi les plus
parfaites « Et lorsque ton Seigneur dit aux Anges : “Je vais créer un homme d'argile crissante,
extraite d'une boue malléable, et dès que Je l'aurai harmonieusement formé et lui aurai insufflé Mon
souffle de vie, jetez-vous alors, prosternés devant lui » (15:29-30). L'homme possède le même
souffle que Dieu, cela afin de le rendre vicaire (halifa) sur la terre, néanmoins qu'il soit poussé à
faire le mal « Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges : “Je vais établir sur la terre un vicaire
“Khalifat”. Ils dirent : “Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand
nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? ” - Il dit : “En vérité, Je sais ce que vous ne savez
pas ! ”.» (2:30) . La part de nature qui pousse l'homme à accomplir le mal, peut être vaincue en
observant les obligations au devoir et/ou interdictions que la loi a établie. La fonction de la
jurisprudence est finalement celle de garantir la bonne existence et le respect de la dignité humaine,
« les hommes sont créés de façon qu’ils aient à s'aimer réciproquement, à s'entraider, afin que leurs
différences mêmes exigeant que les plus forts viennent au secours des plus faibles, en particulier des
femmes et des orphelins272. »
La tradition chrétienne, ne s’éloigne pas de cette vision, mais la réflexion est plus profonde « Mais
qu'est-ce que l'homme? Sur lui-même, il a proposé et propose encore des opinions multiples,
diverses et mêmes opposées, suivant lesquelles, souvent, ou bien il s'exalte lui-même comme une
norme absolue, ou bien il se rabaisse jusqu'au désespoir: d'où ses doutes et ses angoisses. Ces
difficultés, l’Église les ressent à fond, instruite par la Révélation divine, elle peut y apporter une
réponse, où se trouve dessinée la condition véritable de l'homme, où sont mises au clair ses
faiblesses, mais où peuvent en même temps être justement reconnues sa dignité et sa vocation. La
Bible, en effet, enseigne que l'homme a été créé "à l'image de Dieu", capable de connaître et d'aimer
son Créateur, qu'il a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres pour les dominer et pour
s'en servir, en glorifiant Dieu. "Qu'est-ce donc l'homme, pour que tu te souviennes de lui ? ou le fils
de l'homme pour que tu te soucies de lui ? A peine le fis-tu moindre qu'un dieu, le couronnant de
gloire et de splendeur: tu l'établis sur l’œuvre de tes mains, tout fut mis par toi sous ses pieds" (Ps
8,5-7). Mais Dieu n'a pas créé l'homme solitaire: dès l'origine, “il les créa homme et femme” (Gn
1,27). Cette société de l'homme et de la femme est l'expression première de la communion des
personnes. Car l'homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui,
il ne peut vivre ni épanouir ses qualités273. »
La réflexion continue car avec la venue de Jésus qui a prêché le visage de Dieu comme celui du
Père, l'homme devient fils dans le Fils « En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que
dans le mystère du Verbe incarné. […] “Image du Dieu invisible” (Col 1,15), il est l'homme parfait
271 Pour cette partie nous suivons à grande lignée la pensée de Maurice Borrmans présentée dans le livre déjà cité, et
Roger Arnaldez, L'homme selon le Coran, ed. Hachette, 2002.
272 Roger Arnaldez, op.cit., p.18
273 Vatican II, Gaudium et spes, constitution pastoral, n.12, 1965.

73
qui a restauré dans la descendance d'Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché.
Parce qu’en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été
élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en
quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d'homme, il a pensé avec
une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né
de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché.
[…] En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous marchions
sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle: si nous la suivons, la vie et la mort deviennent
saintes et acquièrent un sens nouveau. Devenu conforme à l’image du Fils, premier-né d'une
multitude de frères (27), le chrétien reçoit “les prémices de l’Esprit” (Rm 8,23), qui le rendent
capable d’accomplir la loi nouvelle de l'amour (28). [...]"Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus
d'entre les morts demeure en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi
la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous (Rm 8,11). Certes, pour un chrétien,
c'est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la
mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par
l'espérance, il va au-devant de la résurrection. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient
au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement,
agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme
est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon
que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. Telle est la qualité et la grandeur
du mystère de l’homme, ce mystère que la Révélation chrétienne fait briller aux yeux des croyants.
[...]Le Christ est ressuscité; par sa mort, il a vaincu la mort, et il nous a abondamment donné la vie
pour que, devenus fils dans le Fils, nous clamions dans l'Esprit: Abba, Père!274. »
Dans les rites de la rencontre, il y a des délicates attentions à observer 275 pour que l'autre ne reste
pas seulement un étranger (un autre), mais qu’il devienne mon ami et frère, dans et avec sa dignité
d’homme. Le premier pas est celui de créer un espace pour l'autre. Cette première attitude s'exprime
dans la disponibilité et l'envie de connaître et de rencontrer des autres. Nous pourrons dire que c'est
une attitude qui n'appartient pas à tout le monde. Cela dépend de l'histoire et de l’éducation de
chacun. Cependant, pour qui s’engage dans ce chemin du dialogue, il peut s’entraîner peu à peu et
au fur et à mesure que les occasions se présentent. L'attitude peut être acquise par tout homme car
« c’est en pratiquant l’hospitalité qu’on fait plus que jamais œuvre d'humanisation 276 ». Dans cette
attitude on donne à l’autre les premiers signaux de comment sa présence est acceptée, l'interlocuteur
comprendra ainsi tout de suite s’il reste un étranger ou s'il entre dans la sphère des amis ou mieux
encore des frères. La salutation, les mots d’échanges, les gestes annonceront toute la joie ou la
malchance de la rencontre.
Le deuxième pas est celui de donner du temps à l’autre. C’est le temps de l’écoute, où l’autre prend
la parole, c’est-à-dire, qu'il s'approprie le pouvoir qui est habituellement réservé aux autorités ou
aux responsables de la maison. Laisser l'autre exprimer ce qu’il y a dans son cœur. C’est le temps
où on goûte la beauté du partage et où la dignité de la personne est mêlée à la fierté. Il s'agit d'un
274 Vaatican II, Gaudium et spes, n.22.
275 Pour ces aspects nous nous inspirons du chapitre pratique l’hospitalité dans le livre de Enzo Bianchi, op.cit.
276 Enzo Bianchi, op. cit., p.87

74
moment important, car plus on donnera du temps et plus le partage sera profond et la rencontre
constructive.
Après l’écoute c'est le temps du dialogue, celui d'entreprendre un chemin ensemble par lequel « on
ne sort jamais comme on y était entré […] dans le dialogue émergent des visions inédites de l'autre ;
la fin des préjugés se fait proche : on découvre ce qu'on a en commun mais aussi ce qui manque à
chacun des deux interlocuteurs. Dans le dialogue, deux visages se trouvent face à face 277. » C'est
dans cette démarche que la rencontre devient dialogue de vie, une échange qui respecte la dignité de
l'autre.

277 Enzo Bianchi, op. cit., p.95

75
Finalités nobles: dans un esprit fraternel

Pas de prosélytisme

Entre frères, il y a une relation fondée sur la sincérité, le respect, la disponibilité en des petits
services, un amour que comme nous l'avons vu est simple, mais bien solide. Habituellement, on ne
partage pas tout, mais seulement les aspects qui nous tiennent plus à cœur, et cela avec modalité et
temps différents. Jamais, entre des frères, on cherche de changer l'autre ou de le convaincre qu'on
est meilleur que lui. Une critique, une observation, un partage, une information, une opinion est
toujours bien acceptée et souvent enrichit l'autre ; sans avoir l'intention ou l'espoir que mon frère
devienne comme moi, mais qu'il puisse simplement partager un autre point de vue et chercher pour
lui-même le chemin le plus favorable. Car lorsqu’on aime une personne, on veut le mieux pour elle.
C’est cette attitude que dans une deuxième étape des finalités dans le dialogue interreligieux, on
devrait arriver à posséder. Malheureusement, il existe dans le dialogue parmi de nombreux
interlocuteurs le soupçon que les rencontres entre les croyants de différents religions, soient en
vérité, des occasions dans lesquelles les interlocuteurs participent, parce qu’ils ont l'intention et le
projet du prosélytisme.
Soupçonner des intentions de l'autre est très dangereux, et cette attitude met un malaise entre tous
les protagonistes de la rencontre. Les acteurs du dialogue interreligieux ont l'obligation morale de se
rencontrer dans la vérité, la sincérité, l’amitié et le respect réciproque en ayant une haute estime de
la foi de l'autre. Tant plus que ceux qui sont engagés dans ces activités ce sont des personnes
croyantes et donc avec la conviction que leur rencontre se déroule sous le regard de Dieu, qui voit
dans le cœur et connait les intentions de chacun. Pourtant, il est nécessaire d'affirmer avec force
que « il vero dialogo suppone che gli interlocutori non intendono far cambiare religione all'altro, nè
portarlo a dubitare della sua fede religiosa. […] il vero dialogo è invito reciproco, rivolto agli
interlocutori, ad aiutarsi sempre più per convertirsi meglio personalmente a Dio e ubbidirGli in tutto
ciò che egli detta alla coscienza del Credente278. »
Garantie de cette attitude, l’autorité de l’Église affirme publiquement que « L’Église interdit
sévèrement de forcer qui que ce soit à embrasser la foi, ou de l'y amener ou attirer par des pratiques
indiscrètes, tout comme elle revendique avec force le droit pour qui que ce soit de n'être pas
détourné de la foi par des vexations injustes 279 » et encore en manière plus claire « la charité ne doit
pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme. L’amour est gratuit. Il
n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins. Cela ne signifie pas toutefois que l’action caritative
doive laisser de côté, pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout entier qui est en

278 Maurice Borrmans, Orientamenti per un dialogo tra cristiani e musulmani, ed. Urbaniana University Press, 2015,
p.69 « Le vrai dialogue se base sur le fait que les interlocuteurs n'entendent guère de vouloir faire changer de
religion l'autre, ni de le conduire à douter de sa foi religieuse. […]. Le vrai dialogue est invitation réciproque,
adressé aux interlocuteurs, à s'aider toujours plus à se convertir personnellement à Dieu et à lui obéir en tout ce qu'Il
dicte à la conscience du croyant »
279 Vatican II, Ad Gentes, n.13, décret sur l’activité de l’Église, 1965. cf. http://w2.vatican.va

76
jeu280. »
D’ailleurs si on cherche de rendre l'autre à « notre image » ne respectant pas son espace de vie, ses
convictions, sa beauté, son altérité, sa diversité et son originalité à se relationner et à parler avec
Dieu ; il a toutes les raisons de s'enfermer dans « son espace » pour se défendre. C'est ce qui est
arrivé à Mouhamad, lorsque les mecquois qui étaient polythéistes 281 cherchaient de le convertir à
leur vision et façon de croire, à tel point que dans le Coran on trouve écrit « A vous votre religion,
et à moi ma religion » (109:6)
L'Islam aussi garantit de sa part cette attitude dans les relations de dialogue interreligieux « Le
Coran admet sans équivoque la diversité religieuse et sa place dans l'ordre naturel de la création au
même titre que les diversités relatives à la couleur, à la race et à la langue. Elle n'est pas considérée
comme une sorte de faiblesse de la société musulmane, comme un défi à l'enseignement de l'Islam,
ni comme une source d'ennui qui troublerait la cohésion de la société. Tout au contraire, la diversité
religieuse est considérée comme une réalité voulue par Dieu et qui témoigne de la manifestation de
ses signes282. ». En effet, dans le Coran nous trouvons écrit : « Et si ton Seigneur avait voulu, Il
aurait fait des gens une seule communauté » (Houd 11:118) ; ce verset coranique souligne tout seul
la volonté divine d’avoir désiré la diversité et de vouloir la maintenir. La diversité religieuse (et pas
seulement religieuse, mais toute diversité) afin qu'elle soit gardée, il est indispensable le respect, et
une attitude d'estime vers eux, « À cette conception pluraliste se joint le respect du choix de chacun
d'adopter la religion ou la tradition religieuse à sa convenance. La conversion forcée à la religion ne
reçoit aucune valeur légale : '' Si Ton Seigneur l'avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient
été des croyants. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? '' [10:99] ; '' pas de
contrainte en matière de religion '' [2:256] ; ''À tous nous avons donné une règle de conduite et une
façon d'agir, si Dieu avait voulu, il aurait fait de vous une communauté unique '' [5:48] et ''c'est
pour cela qu'Il les a créés'' [11,118]283 »
Pour adopter cette attitude dans les activités du dialogue « Il faudrait toujours commencer tout
dialogue entre croyants de bonne foi : convenir ensemble que Dieu nous appelle à l’humilité. C'est
renoncer logiquement à se prétendre meilleur ou supérieur ; c'est aussi tendre vers une forme
d’authenticité personnelle sans laquelle nous ne saurions rêver de prétendre à la vérité 284». C'est
dans ce dynamisme qu’on doit accueillir la beauté de l'autre. Si nous croyons que Dieu est le
Créateur unique, de toutes choses et créatures, signifie que l'autre vient aussi de Dieu et que son
existence tel qu’il soit, elle est voulue par Dieu. C’est Dieu qui a participé à remplir le sac que
l'autre amène avec lui avec fierté et conviction, et tout le contenu de son sac est un don qui amène à
une beauté à laquelle on a accès seulement si l’autre désire nous la révéler. De même l'autre pourra
avoir accès au contenu de mon sac et goûter de sa complexité et beauté si c'est nous qui décidons de

280 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.32


281 D'après la tradition islamique
282 Mohammed Nokkari, L'islam à la rencontre des religions révélées : de l'annonce au « dialogue de la vie », dir.
Thierry-Marie Courau et Anne-Sophie Vivier-Muresan, Dialogue et conversion, mission impossible ?, ed Desclée
de Braouwer, 2012, p.89
283 Mohammed Nokkari, L'islam à la rencontre des religions révélées : de l'annonce au « dialogue de la vie », dir.
Thierry-Marie Courau et Anne-Sophie Vivier-Muresan, Dialogue et conversion, mission impossible ?, ed Desclée
de Braouwer, 2012, p.89-90
284 Citation tirée de Christian Salenson « Christian de Chergè une théologie de l’espérance » ed. Bayard, 2016. p.96-97

77
vider délicatement, le sac, non pas pour envahir l’espace de l'autre mais pour partager notre identité,
nos espoirs, notre confiance en Dieu.
Le respect de la religion de l'autre insert le concept de liberté religieuse, droit qui n'est pas évident
dans toutes les réalités religieuses et humaines. Ce concept est lié étroitement à la dignité de
l'homme, que nous avons présenté comme nécessaire parmi les finalités premières ; en effet, le
dialogue interreligieux est, à notre avis, un enchaînement de pas différents, qui au fur et à mesure
qu'ils sont reconnus et acquis, permettent l'avancement à une phase (étape) successive. Le Concile
Vatican II à tel propos « Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement
dans la dignité même de la personne humaine telle que l'ont fait connaître la Parole de Dieu et la
raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l'ordre juridique de la
société doit être reconnu de telle manière qu'il constitue un droit civil 285 », et le Pape Jean-Paul II
ajoute « La liberté religieuse, parfois encore limitée ou restreinte, est la condition et la garantie de
toutes les libertés qui fondent le bien commun des personnes et des peuples. Il faut souhaiter que la
véritable liberté religieuse soit accordée à tous en tout lieu, et l’Église s’y emploie dans les
différents pays, surtout dans les pays à majorité catholique où elle a une plus grande influence.
Cependant, il ne s'agit pas d'une question de religion de la majorité ou de la minorité, mais bien d'un
droit inaliénable de toute personne humaine286. »
L'engagement au respect, à l'estime de la foi de l'autre afin de ne pas entreprendre des
confrontations polémiques, offensives, dérisoires, ou des chemins dans lesquels on met en doute les
convictions de foi de l'autre est donc obligatoire et exigée. Pourtant, cette même attitude se
confronte avec un autre engagement du croyant, celui d’annoncer et rendre compte de sa propre foi.
Cette attitude ne doit pas être vue comme contradictoire ou qui menace le bon déroulement de la
rencontre, mais elle est dans le respect des regles affirmées précédemment, le but même et le
contenu de ces rencontres. C'est pour cela, que cette finalité est sous le titre « finalités nobles » !
Comme nous avons dit plus haut, la rencontre est toujours possible et elle est toujours
recommandable ; mais, nous pensons que cette finalité n'est pas à la hauteur de tout le monde, sauf
qu'elle se déroule dans un vrai esprit fraternel, entre des hommes qui sont en recherche de Dieu.
Lorsque deux personnes se respectent et s'aiment réciproquement, il est normal et souhaitable
qu’elles s’échangent ce qu'elles ont découvert de beau et de bon, dans leur existence pour s’enrichir
l'une l’autre, et pourquoi pas ! avec le désir que l'autre puisse goûter et profiter de la même joie et
paix que nous vivons ! Mais, ce dernier aspect, même s'il est licite de le désirer, il reste du domaine
divin, c’est-à-dire qu’il s’agit d'une affaire personnelle entre l'autre et Dieu.
L'islam a bien cette mission « Sous le terme Annonce, l'islam entend la diffusion de son
enseignement à toute l’humanité en application du verset coranique qui dit :“C’est Lui qui a
dépêché Son Envoyé avec la bonne direction et la Religion de Vérité pour la faire apparaître sur
toutes les religions” [9:33], et d’un autre verset qui dit :''Nous ne t'avons envoyé que comme une
miséricorde pour toute l’humanité'' [21:107]287 »

285 Vatican II, Dignitatis Humanae, n.2, déclaration sur la liberté religieuse, 1965. cf. http://w2.vatican.va
286 JeanPaul II, Redemptoris Missio, n°39
287 Mohammed Nokkari, L'islam à la rencontre des religions révélées : de l'annonce au « dialogue de la vie », dir.
Thierry-Marie Courau et Anne-Sophie Vivier-Muresan, Dialogue et conversion, mission impossible ?, ed Desclée
de Braouwer, 2012, p.83

78
Du côté chrétien, on souligne aussi ce devoir de l'annonce « Toutes les formes de l'activité
missionnaire sont marquées par la conscience que l'on favorise la liberté de l'homme en lui
annonçant Jésus-Christ. L’Église doit être fidèle au Christ, dont elle est le corps et dont elle poursuit
la mission.[...] L’Église doit donc tout faire pour déployer sa mission dans le monde et atteindre
tous les peuples; elle en a aussi le droit, qui lui a été donné par Dieu pour la mise en œuvre de son
plan. [...] D’autre part, l’Église s'adresse à l'homme dans l'entier respect de sa liberté: la mission ne
restreint pas la liberté, mais elle la favorise. L’Église propose, elle n'impose rien: elle respecte les
personnes et les cultures, et elle s'arrête devant l'autel de la conscience. A ceux qui s'opposent, sous
les prétextes les plus variés, à son activité missionnaire, l’Église répète: Ouvrez les portes au
Christ!288 »

288 JeanPaul II Redemptoris Missio n°39

79
Grandir dans la foi… renforcer sa propre identité

L'attitude à respecter l'autre et tout ce qu’il veut et désire partager nous porte à un autre aspect des
« finalités nobles » celle de grandir dans notre foi et renfoncer, ainsi, notre identité. On voit
clairement alors, que le dialogue n'a pas comme objectif de convertir l'autre, mais celui de nous
convertir, afin d’approfondir notre propre foi, et stabiliser toujours plus notre identité. C'est en effet
le chemin des frères ! S'aider réciproquement à devenir toujours plus soi-même, en se remarquant
par des identités différentes, qui puissent être un chemin qui amène vers la vérité (qui sera l’étape
successive).
La connaissance grandissante de la foi de l'autre, nous encourage à approfondir notre foi à nous.
Cela parce que dans une dynamique de partage nous sommes poussés à rendre raison de l'espoir qui
habite en nous (1P 3,15). Non pas pour se défendre, ou pire encore pour attaquer l'autre, mais pour
une raison plus noble : celle du partage amical de ce que nous avons de plus chers. La foi
approfondie, raisonnée, argumentée, espérée et surtout vécue, prend peu à peu des racines bien
ancrées dans notre âme en rendant notre identité toujours plus forte et claire. Finalement, les
protagonistes dans l'entreprise du dialogue interreligieux sont les « êtres » les plus chanceux car
dans une liberté d'esprit, ils goûtent les merveilles que Dieu a faites, et continue à réaliser chaque
moment dans et avec l'humain. Ils en sont témoins avant tout, et annonciateurs ensuite ! Il s'agit du
chemin de découverte de Jésus-même «En vérité, je vous le dis, chez personne je n'ai trouvé une
telle foi en Israël. » (Mt 8,10). En effet, « un dialogue qui, pour être réel, doit avoir pour point de
départ la conscience profonde de l’identité spécifique des différents interlocuteurs 289. » Avoir une
identité claire et solide dans la foi fait progresser la vérité et l’échange dans la vie, en bâtissant une
fraternelle universelle dans le respect, sans tomber dans le syncrétisme ou dans le relativisme
religieux, qui est le danger et la maladie du dialogue qu'on craint le plus 290. L’identité prend
conscience de soi-même, qui se renforce, qui devient un point de repère pour les autres. Surtout
pour notre interlocuteur dans le dialogue, car l’identité claire et solide aide une identité “autre” à se
définir et à se déclarer. Le croyant est encouragé à s'expliquer lorsqu'il se trouve face à un autre
croyant « qui nous parle de Dieu et à travers qui Dieu nous parle, en nous obligeant à sortir de notre
égoïsme, de notre philautia, pour devenir miséricordieux et compatissants, à l'image et à la
ressemblance de Dieu lui-même. Et n'oublions pas que l'accueil de l’étranger est une dimension
ordinaire et quotidienne pour le chrétien, parce que, comme le suggère la prière du Notre Père, la
fraternité doit être vécue chaque jour291 ». Identité et foi, deviennent un duetto qui se renforcent l'un
l'autre, directement proportionnel aux rencontres et à la qualité des rencontres. Mais plus encore, les
identités différentes dans le dialogue se renforceront les unes les autres d'après leur foi, directement
proportionnel à l'amour et à l'espoir dont on veut partager et témoigner.
Le musulman comme le chrétien sont donc appelés à donner le mieux d'eux-même, et d’être pour
l'autre, un point de repère pour se référer à la foi et à la religion de l'autre. Ils sont, ainsi, des

289 Benoit XVI, Caritas in Veritate, n.26, Lettre encyclique, ed. Salvator, 2009.
290 cf. Benoit XVI « Caritas in Veritate » n 55 ; voir aussi Benoit XVI, Message pour la journée mondiale de la Paix
2011, n10, publié le 08 décembre 2010.
291 Enzo Bianchi, op. cit., p.46

80
témoins de leur foi qui, sans trahir une spiritualité personnelle, doit rendre compte de la foi de la
communauté religieuse à laquelle ils appartiennent. « La première forme de témoignage est la vie
même du missionnaire, de la famille chrétienne et de la communauté ecclésiale, qui rend visible un
nouveau mode de comportement. Le missionnaire qui, malgré toutes ses limites et ses imperfections
humaines, vit avec simplicité à l'exemple du Christ est un signe de Dieu et des réalités
transcendantes. Mais tous dans l’Église, en s'efforçant d'imiter le divin Maître, peuvent et doivent
donner ce témoignage ; dans bien des cas, c'est la seule façon possible d'être missionnaire. [...] Le
témoignage évangélique auquel le monde est le plus sensible est celui de l'attention aux personnes
et de la charité envers les pauvres, les petits et ceux qui souffrent. La gratuité de cette attitude et de
ces actions, qui contrastent profondément avec l'égoïsme présent en l'homme, suscite des
interrogations précises qui orientent vers Dieu et vers l’Évangile. De même, l'engagement pour la
paix, la justice, les droits de l'homme, la promotion de la personne humaine est un témoignage
évangélique dans la mesure où il est une marque d'attention aux personnes et où il tend vers le
développement intégral de l'homme 292 »
La foi que nous avons et comme nous l'avons comprise et vécue, reste toujours un grand trésor à
garder et lorsqu’il y a la possibilité à la partager, mieux encore à la raconter « Dans un registre
personnel, le Pape revient aussi sur la figure de Jésus, «une Personne qui est venue à ma rencontre,
quand j’avais plus ou moins votre âge, et qui m’a ouvert des horizons et m’a changé la vie». Parler
de ce «compagnon de route», ne signifie pas propager «des illusions ou des théories philosophiques
ou idéologiques», ni faire du prosélytisme, précise le Pape dans ce texte destiné aux étudiants d’une
université laïque, mais simplement donner une chance aux jeunes de se construire en laissant leur
cœur ouvert aux surprises spirituelles. «N’ayez pas peur de vous ouvrir aux horizons de l’esprit, et
si vous recevez le don de la foi, parce que la foi est un don, n’ayez pas peur de vous ouvrir à la
rencontre avec le Christ, et d’approfondir le rapport avec Lui. La foi ne limite jamais le champ de
la raison, mais l’ouvre à une vision intégrale de l’homme et de la réalité», lance le Pape François,
sur un ton proche des paroles de ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XV293 »

292 Jean Paul II, Redemptoris Missio, n°42


293 http://fr.radiovaticana.va/news/2017/02/17/luniversit%C3%A9_est_un_lieu_d%C3%A9ducation_
%C3%A0_la_solidarit%C3%A9/1293171 consulté le 12/03/2017

81
Mettre au centre Dieu … pour un éthique plus fraternelle

Nous pensons que parmi les finalités importantes du dialogue islamo-chretien doit se retrouver le
chemin ensemble pour bâtir une éthique plus à mesure de l'homme. Les fruits de la rencontre entre
chrétiens et musulmans peuvent bien se concrétiser en créant une manière de vivre ensemble. L’être
ensemble dans la vie et dans l'action commune en considérant la fraternité comme base et objective
à garder, peuvent s’épanouir en proposant un code de vie que soit respecté et qui soit respectable
pour tous.
Sans ignorer des différences et des points qui ne font pas le même siège pour les chrétiens et pour
les musulmans, nous remarquons cependant que les règles principales dans l’éthique sociale sont les
mêmes, que la morale qui les soutient est souvent de la même nature. Qu'est-ce qui empêcherait les
chrétiens et les musulmans de vivre ensemble avec des lois éthiques qui ont le même contenu ?
Nous sommes conscients que, en certains cas, les motivations ou les finalités ne se retrouvent pas
dans la même assiette, comme dans le cas d’aider les pauvres ou les immigrés, pour les musulmans
la motivation est à rechercher dans un commandement coranique «36. Adorez Allah et ne Lui
donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les
pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les esclaves en votre
possession, car Allah n'aime pas, en vérité, le présomptueux, l'arrogant» [4:36]294 et la finalité est
pour s’acquérir des récompenses qui aideront le musulman à entrer au Paradis et à se rapprocher de
Dieu. Pour le chrétien la motivation est l'invitation de Jésus «En vérité, Je vous le dis, tout ce que
vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à Moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40),
le chrétien le fait pour amour, car il croit bien que ce qu'il fait pour l'autre, il le fait pour Jésus.
Mais, le contenu est le même, celui de s’intéresser et d'aider le pauvre et l’émigré. Les modalités
peuvent aussi être les mêmes : donner le nécessaire pour la vie et l’intégration. Et dans cette
démarche, chrétien et musulman gardent leur identité et leur singularité de croyant. En plus, ils
peuvent enrichir et améliorer leur vision, action et compréhension à travers des propositions
sociales en faveur de la communauté. Pour le même exemple, le musulman peut bien mettre en
champ ses règles juridiques sur acquisition de l'expiation pour vœu ou un serment (cf. la table servi
5:89] donner à manger ou habiller 10 pauvres, avec un repas ou un habit qui soit digne et suffisant
pour chaque personne. Et le chrétien pourrait intervenir avec son indication de « Fais pour lui le
nécessaire ; si tu dépenses davantage, je te le rembourserai au retour. » (Lc 10, 35). Les deux
apports pourraient être intégrés et devenir une éthique partagée.
Le Pape François, dès qu'il a commencé son pontificat, il a ciblé la façon d’être du chrétien au
milieu des autres, en soutenant que le chrétien doit bien revenir à sa foi pour être au service des
autres, et vice-versa en restant avec les autres, il renforce sa foi. Avoir l'odeur des brebis pour
comprendre et servir mieux les autres en les aidant tant dans la vie de chaque jour que dans la vie
spirituelle. Le deux aspects dans le domaine de l’éthique, ne se séparent pas. L'un soutient l'autre
« ce qui distingue Israël n'est donc pas la propriété d'une “terre promise, donnée et conquise”, mais

294 Un verset parmi des autres sur le même commandement. Voir aussi 2:83.177.184.215 ; 4:8.89.95 ; 8:41; 9:60 ;
17:26; 30:38 ;….

82
la modalité éthique de l'habiter. Le peuple de Dieu est appelé à être un « peuple saint » ('am
qadosh : Dt 7,6 ; 14,,2.21 ; 26,19 ; 28,9), un peuple capable de manifester sa « différence » par
rapport à tous les autres peuples, une différence qui consiste essentiellement dans la connaissance et
la mise en pratique de la volonté de Dieu 295 ». Les convictions de foi sont moteur et salaire pour
s'engager, durer et accomplir des actions en réalisant une manière de vivre qui caractérise le
croyant. Le Pape parle de “style de vie”296 !. Nous trouvons que cette expression est belle et elle
synthétise de façon adaptée ce que nous voulons proposer quand nous parlons de « mettre au centre
Dieu pour une éthique plus fraternelle ». Avoir un “style de vie” signifie incrémenter dans sa propre
manière de vivre des caractéristiques particulières, celle de sa propre foi, qui donnent la couleur aux
engagements dans le vivre ensemble et pour le vivre ensemble fraternel. « Evangelii gaudium
(2013) et Laudato si' (2015) se complètent mutuellement. Avec la notion de ''style'' employée par le
pape François, ils font appel à l’expérience concrète et unifient la sphère sociale au message
évangélique. Ils expriment ainsi une nouvelle manière de comprendre l'enseignement social de
l’Église en engageant des processus de transformation sociale et de conversion spirituelle 297».
Lorsqu'on parle de “style de vie” on engage dans cette expression la raison, la volonté et surtout les
convictions les plus profondes qui nous habitent. Cela fait que cette façon d'exister devient la
manière normale et naturelle de vivre, où l’éthique n'est pas seulement observée, mais adoptée
naturellement dans la conception de la vie et de « l'être avec l'autre », en faisant attention aussi à
tout ce qui nous entoure. « Le pape précise la spécificité chrétienne du style de vie alternatif qu'il
implique. On peut résumer son propos par l'appel à “prendre soin de la fragilité” (EG 209-216), car
il concerne la double fragilité sur laquelle François met le projecteur celle des pauvres et celle de la
terre.[…] il faut noter cependant que l'exhortation inverse l'orientation de l’évangélisation en
invitant les chrétiens, dès le chapitre précédent, à “accepter que les autres nous évangélisent” (EG
121) ; ce qui prend alors une figure éminemment concrète quand il s'agit d'entendre le cri des
pauvres.298 ». Dans la société humaine la capacité d'avoir un regard qui soit attentif aux besogneux,
à ceux qui ont perdu ou qui sont à la recherche des espoirs de vie, c'est une caractéristique du
croyant. La foi donne cette vitesse en plus afin d'établir une fraternité équitable, attentive aux
détails qui d'habitude, ce sont les plus petits, les pauvres, celui qui est en train de chercher ou
attendre une espace de vie pour ré-établir sa dignité et son droit à vivre. Le croyant doit ainsi
assumer ce“style de vie” afin d’être témoin de l'amour qui le soutient.
Dans le dialogue de vie et des œuvres avec les musulmans, cet aspect doit être vécu et partagé pour
réaliser une éthique de frères, « en collaboration avec les musulmans, Jean-Paul II rappelle que pour
nos deux religions “Dieu veut que nous témoignions de lui dans le respect des valeurs et des
traditions religieuses propres à chacun, travaillant ensemble pour la promotion humaine et le
développement à tous les niveaux” Le combat pour la justice doit être commun à l'ensemble des
religions. […] En soulignant les œuvres communes à construire ensemble, chacun au nom de sa foi,
les textes officiels de l’Église témoignent d'une haute estime des œuvres de la foi des autres et
reconnaissent, à travers cette estime, un lien explicite entre la foi chrétienne et la foi des autres dans
295 Enzo Bianchi, J’étais étranger et vous m'avez accueilli, ed. Lessius, Bruxelles, 2008, p.24
296 cf. Bertrand Hériard Dubreuil (dir), La pensée sociale du Pape François, ed. Jesuites, Paris, 2016.
297 Christoph Theobald, L'enseignement social de l’église selon pape François, Bertrannd Hériard Dubreuil (dir), La
pensée sociale du pape François, ed Lessius, 2016, p.11
298 Bertrannd Hériard Dubreuil (dir), op. cit., p.15

83
leur rapport à la vérité299 ». Il faut reconnaître que l'islam dans sa structure religieuse est soutenu par
de hauts principes éthiques, « C'est dire que les actes d'adoration, prescrits par l'islam et considérés
comme des piliers de la Foi, ne sont nullement des rites obscurs, du genre de ceux qui lient l'homme
à des mystères et lui imposent la charge d'accomplir des actes incompréhensibles et des
mouvements dépourvus de toute signification. Au contraire, les obligations que l'Islam prescrit à ses
adeptes sont des exercices répétés qui sont destinés à accoutumer l'individu à vivre selon une
morale authentique et à s'y attacher quelles que soient les circonstances qu'il traverse 300. » Le Coran
le rappelle en plusieurs reprises « Allah ne vous défend pas d'être bienfaisant et équitables envers
ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car
Allah aime les équitables. » [60:8] Le croyant musulman est invité à être bienfaisant et équitable,
c'est-à-dire de faire le bien et de traiter les autres d'après leurs nécessités « Il importe de remarquer
que le verset coranique ne s'est pas contenté d'évoquer l’équité, mais a fait de la “bienfaisance” (al-
birr) une qualité fondamentale requise dans les rapports entre musulmans et non musulmans. Le
mot arabe ''bir'' habituellement traduit par “bienfaisance” a, en réalité, une signification beaucoup
plus profonde. Il signifie le plus haut degré du bon comportement. En expliquant le mot ''birr''
mentionné dans le verset ci-dessus, l'éminent savant Shihab ad-Dine al-Qarafi, dit notamment : Il
s'agit de faire preuve de compassion à l'égard des plus faibles, d'assistance envers les pauvres,
nourrir les affamés parmi eux, vêtir les dénudés, leur parler avec douceur par gentillesse et
miséricorde à leur égard et non pas par peur ou par soumission, supporter la nuisance causée par
leur voisinage tout en étant en mesure de la faire cesser, par gentillesse de notre part à leur égard
et non pas par peur ou par convoitise, prier pour qu'ils soient guidés et qu'ils fassent partie des
bienheureux, les conseiller dans toutes leurs affaires, dans le domaine de la religion ou dans celui
du profane, les défendre en leur absence, préserver leurs biens, leurs familles et leur dignité, ainsi
que la totalité de leurs droits et intérêts, les aider à repousser toute injustice commise à leur
encontre et à obtenir tous leurs droits »301. Les Piliers sur lesquels s’appuie l'Islam en témoignent
une fois en plus du “style de vie” que le musulman est invité à vivre et à assumer. L’exécution des
engagements que le croyant doit accomplir afin d’être agréé par Dieu ne sont pas suffisants pour
être un bon musulman et pour en recevoir des récompenses. Par exemple, à propos de la prière
« Dans un hadith, où Dieu parle par la bouche du Prophète, Dieu dit :'' Je n'accepte la prière que de
celui qui fait preuve d’humilité devant Ma Toute-Puissance, qui n'est pas arrogant envers Mes
créatures, qui ne s'endort pas avec la détermination de Me désobéir, qui passe sa journée à me
mentionner et qui est compatissant envers le pauvre, le nécessiteux, la veuve et l'homme éprouvé''
(Al Bazzar)302 ».
Par rapport à la Zakât « L’aumône légale (zakât) n'est pas un impôt que l'on prend dans les poches.
Elle est d'abord un enracinement des liens de connaissance et de familiarité entre les différentes
classes sociales303 » le Coran à propos de la zakat dit « Prélève de leurs biens une Sadaqa par
laquelle tu les purifies et les bénis, et prie pour eux. Ta prière est une quiétude pour eux. Et Allah est
Audient et Omniscient. » (9 :103) Le concept de l’aumône est aussi plus large que celui de donner
299 Henri de La Hougue, L'estime de la foi des autres, ed Descelèe de Brouwer, 2011, p.320-321
300 Mohammad Al Ghazali, L’éthique du musulman, ed. Alqalam, Paris, 2016, p.9
301 Moncef Zenati, La fraternité humaine en islam, ed. Maison d'Enneur, Paris, 2008. p34
302 Mohammad al Ghazali, op. cit., p.10
303 Mohammad Al Ghazali, op. cit., p.10

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une part d'argent « Le fait de sourire à ton frère est une aumône. Le fait de recommander le bien et
d'interdire le mal est une aumône. Le fait de renseigner un homme qui s'est égaré est une aumône.
Le fait d'enlever de la voie publique les saletés, les épines et les os est pour toi une aumône. Le fait
de verser de l'eau de ton récipient dans celui de ton frère est pour toi une aumône. Le fait d'aider un
homme malvoyant est pour toi une aumône » (Al Boukhari)
La relation étroite entre le jeûne et l'acquisition d'une attitude plus maîtrisée est bien connue parmi
les musulmans « En prescrivant le jeûne, l'islam n'y a pas vu une simple privation passagère de
nourriture et de boisson. Il l'a considéré plutôt comme un pas vers la privation constante pour l’âme
de ses désirs interdits et de ses passions irréfléchies 304. » et encore « Celui qui ne s'abstient pas de
proférer des paroles mensongères, Dieu n'a nullement besoin qu'il se prive de nourriture et de
boisson » (Al Boukhari) ; pour finir avec le jeûne « Jeûner ce n'est pas tant se priver de nourriture et
de boisson, jeûner c'est s'abstenir de proférer des propos inutiles, de faux serments et des paroles
obscènes. Et si un homme t'insulte ou fait preuve d'ignorance à ton égard, dis-lui alors : ''j'observe le
jeûne'' » (Ibn Khouzayma)
A propos du pèlerinage le Coran donne des indications assez intéressantes « Le pèlerinage a lieu
dans des mois connus. Si l'on se décide de l'accomplir, alors point de rapport sexuel, point de
perversité, point de dispute pendant le pèlerinage. Et le bien que vous faites, Allah le sait. Et prenez
vos provisions; mais vraiment la meilleure provision est la piété. »(2:197) « En se rendant sur les
Lieux Saints, ce qui est une obligation pour celui qui peut le faire et l'une des prescriptions que
l'Islam impose à ses adeptes, l'homme croit qu'il effectue un simple voyage dépourvu de toute
signification initiatique305 ». Par ailleurs, plusieurs hadith reviennent sur l’éthique, nous en
proposons quelqu'une à titre de connaissance.
« À l'homme qui nuit à ses voisins et leur cause du tort, la religion réserve un jugement très dur, et
l'Envoyé de Dieu dit à son sujet :'' Par Dieu il ne croit pas ! Par Dieu il ne croit pas ! Par Dieu il ne
croit pas ! On lui dit : Qui donc, o Envoyé de Dieu ! Il dit : Celui dont le voisin n'est pas en sûreté
contre ses forfaits.'' (Al Boukhari)306 ».
« Le prophète a interrogé un jour ses Compagnons :'' savez-vous qui est le ruiné? Ils lui disent : le
ruiné d'entre nous est celui qui n'a ni sous, ni biens. Il leur dit : le ruiné dans ma communauté est
celui qui viendra au Jour de la Résurrection avec des prières, de l’aumône, du jeûne et qui viendra
aussi avec des insultes proférées contre un tel, des accusations mensongères contre un autre, des
spoliations de biens d'un troisième, un crime contre un quatrième et des forfaits contre un
cinquième. On donnera alors à l'un (une de ces victimes) de ses bonnes actions (pour le
dédommager) et l'on donnera à l'autre de ses bonnes actions. Quand ses bonnes actions seront
épuisées alors qu'il ne s'est pas acquitté de ses dettes, il prendra sur lui de leurs péchés et sera
envoyé en Enfer » (Muslim)
Dans le dialogue de vie et des œuvres, chrétiens et musulmans, peuvent vraiment être une lumière
qui éclaire l’humanité en proposant une éthique partagée du vivre ensemble comme des frères. C'est

304 Mohammad Al Ghazali, op. cit., p.11


305 Mohammad Al Ghazali, op. cit., p.11
306 Mohammad Al Ghazali, op. cit. p.13

85
un champ dans lequel le dialogue, l’échange, la connaissance réciproque peuvent être faits sans
aucun compromis ni dans la foi, ni dans l’identité ! L'enrichissement qui en sortirait serait tellement
chargé de valeurs et de respect pour l'homme que les croyants en pourraient être fiers de leur
témoignage et annonce (da'wa). « Or, l'action de l'Islam consiste à apporter une aide totale à
l'homme pour renforcer sa conception originelle, rendre éclatante sa luminosité et cheminer selon sa
bonne conduite, et pour se débarrasser ainsi des inspirations de mal qui l'assaillent et cherchent à le
faire perdre 307», et le Vatican II disait « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des
hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les
espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui
ne trouve écho dans leur cœur. » (GS 1).
Cela sans prendre la place de l’État qui reste le seul responsable et législateur dans un Pays ;
« L’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus
juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non
plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de
l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui
requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer. La société juste ne peut être
l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, l’engagement pour la
justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse
profondément l’Église.308 ». La collaboration avec l’État est impérative pour toutes religions afin de
réaliser ou de s'approcher le plus possible d'une éthique fraternelle, qui considère les dynamiques et
les problématiques de la vie en société et qui prend en considération le bien commun comme «le
bien du ''nous-tous'', constitué d'individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une
communauté sociale. Ce n'est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes
qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus
efficacement à leur bien. C’est une exigence de la justice et de la charité que de vouloir le bien
commun et de le rechercher. Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin et,
d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement, et
culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la pólis, de la cité. On aime d’autant plus
efficacement le prochain que l’on travaille davantage en faveur du bien commun qui répond
également à ses besoins réels309. »
L’État doit se laisser conseiller afin de gérer dans le respect de tous les différents individus, qui
désormais vivent dans une pluralisme d’identités « Nous savons que l’identité donne des racines,
inscrit dans une histoire, et en même temps permet d’accéder à un groupe. Il est très important que
notre société s'empare de ces questions, à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre
pays, mais aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui
apporter en faisant émerger les liens d’unité au cœur même de cette diversité. Il ne faudrait pas que
les recherches et les affirmations d’identités débouchent sur des enfermements identitaires310. »

307 Mohammad Al Ghazali, op. cit., p.28


308 Benoît XVI, Deus Caritas est, n.28
309 Benoît XVI, Caritas in Veritate, Lettre encyclique, n.7, ed. Salvator, p.21
310 Conseil permanent de la conférence des Évêques de France, Dans un monde qui change retrouver le sens du
politique, ed. Bayard, 2016, p.42

86
L'état doit se laisser guider par l’expérience pluriséculaire islamo-chretienne et par la préoccupation
des religions de s’occuper de l'humain afin que la fraternité soit établie sans révolution, meurtre et
injustices. Bien entendu, cela à condition que les hommes religieux aient « l'odeur de brebis » et que
leur cœur appartient au Seigneur « Nous ne sommes pas des spécialistes de la politique, mais nous
partageons la vie de nos concitoyens, Nous les écoutons et les voyons vivre. Et ce qui touche la vie
de l'homme est au cœur de la vie de l’Église311 ».
Le même est valable pour l'islam qui « est venu pour faire accomplir à l’humanité des pas de géant
vers une vie scintillant de vertus et de règles de bienséance.[…] C'est dire que la morale n'est pas un
luxe dont on peut se passer.312 » en conséquence « Le fidèle musulman est tenu de se comporter à
l’égard des habitants de la terre entière en incarnant des vertus irréprochables. Ainsi, l’honnêteté est
un devoir pour le musulman envers un autre musulman ou toute autre homme. Il en va de même de
la bonté, de la fidélité, de la grandeur d’âme, de l'entraide, de la générosité, etc.313 »

311 Conseil permanent de la conferance des Eveques de france, Dans un monde qui change retrouver le senss du
politique, ed. Bayard, 2016, p.11
312 Mohammad Al Ghazali. op. cit. p.17
313 Mohammad Al Ghazali, op.cit., p.38

87
Partage… en quête de la vérité

Une échange respectueux entre identités solides et vraies est le chemin qui conduit vers la
découverte du “visage de Dieu”. L’humanité n'arrivera qu'à s'approcher d'une compréhension de
Dieu, sans jamais pouvoir l'expliquer complètement, tellement il est Grand, et qui dépasse toute
définition justement parce qu'il est indéfinissable, au-delà de toutes les limites. Ce que nous
pouvons dire de Dieu est bien peu, mais assez pour en témoigner qu'Il existe et qu'on peut faire
l'expérience de Lui à travers la vie. Dieu est vérité, c'est-à-dire qu'il existe ! Le terme vérité renvoie
au fait qui une telle chose corresponde à la réalité 314. La religion nous explique quelque aspect de
Dieu, afin que l'homme puisse croire en Lui, car néanmoins Il existe, l'homme n'a pas accès à voir
Dieu, ni à Le toucher, ni à entendre sa voix. La foi qui est l’espérance et la conviction qui nous
avons, cherche à nous faire comprendre comment cette présence invisible peut être réelle et
comment elle peut intervenir ou avoir quelque influence sur nous-mêmes, sur nos choix, sur notre
vies, finalement la foi cherche à nous faire comprendre pourquoi nos vies sont liées à ce Dieu qu’on
ne voit pas, mais qu'il est vrai, c'est-à-dire qu'Il existe.
Le Dialogue interreligieux parmi ses finalités a celles de s'approcher de Dieu, de comprendre plus
profondément le sens de la vie, le sens même des religions et de l’humanité. La place de sa propre
religion dans le monde entier existe depuis longtemps, avant toutes religions ! Religions qui sont
nombreuses et aucune touche toute seule la moitié de l’humanité. Ce sont des questions auxquelles
on peut chercher une réponse seulement à travers l’échange de connaissances, des expériences
spirituelles et des réflexions. Dieu existe ! Ceci est une donnée acquise pour celui qui croit. Cela
signifie que chaque tradition religieuse a fait l'expérience de sa présence, et donc qu'elle garde une
part de vérité. Le Concile Vatican II le rappelle « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est
vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec respect sincère ces manières d'agir et de vivre,
ces règles et ces doctrines qui, […] cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine
tous les hommes315. ». C'est dans ce sens que l’échange de ce qu'il y a dans notre sac peut devenir
précieux afin de s'approcher davantage de Dieu, la rencontre avec l'autre devient une quête de
vérité. Une vérité, donc une présence, qui n'est pas à posséder, mais à aimer ! « La vérité doit être
cherchée, découverte et exprimée dans l' économie de l'amour, mais l'amour, à son tour, doit être
compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons ainsi non seulement rendu service
à l'Amour, illuminé par la vérité, mais nous aurons aussi contribué à rendre crédible la vérité en
montrant le pouvoir d'authentification et de persuasion dans le concret de la vie sociale 316 ». Si on
s'engage dans le dialogue interreligieux, c'est pour l'amour ! C'est par l'envie d’aimer davantage
Dieu qu’on cherche à Le comprendre mieux. L'amour à la Vérité, est l'amour à Dieu ! « Par son lien
étroit avec la vérité, l'amour peut être reconnu comme expression authentique d’humanité et comme
un élément d'importance fondamentale dans les relations humaines, même de nature publique 317. ».
En effet, s'approcher de Dieu c'est reconnaître mieux notre humanité, et apprendre à l’apprécier,

314 cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vérité consulté le 08/03/2017


315 Vatican II, Notre Aetate, n.2, ed. Artege. 2012, p.319
316 Benoit XVI, Caritas in Veritate, n.2, op.cit.
317 Benoit Xvi, Caritas in Veritatè, n.3, op.cit.

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voir à l'aimer. La Vérité approche non seulement de Dieu, mais de ce que Dieu aime, c'est-à-dire de
l’humanité ! Le chemin au contraire est possible aussi, en aimant l'homme (l'autre) nous nous
rapprochons de Dieu, et grandissons dans la compréhension de la vérité « Si quelqu'un dit: "J'aime
Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur: celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit,ne saurait
aimer le Dieu qu'il ne voit pas. » ( 1 Jn 4,20).
La fraternité universelle en tant que réseaux de liens de connaissance et storge/fileo (affection et
amitié), devient le chemin pour s'approcher de Dieu, voir de la Vérité. Comme nous l'avons déjà vu
plus haut, le chrétien ne s’arrête pas au lien storge/fileo, en raison du message évangélique il
incrémente ces aspects de l'amour avec l'éros et surtout l'agape (l'amour qui va vers, qui va à la
rencontre et qui se met au service) « Mais d'un point de vue chrétien, il n'y a pas de vérité dans la
confession de foi si celle-ci n'est pas liée à la pratique du bien. La vérité à laquelle se réfère la foi
chrétienne déborde l'énoncé de la foi et s'exprime dans une manière d’être, une manière de se situer
devant Dieu, mais aussi devant les hommes. Il n'y a pas de foi authentique sans charité (1Co 13). “À
quoi bon avoir la foi si l'on n'a pas les œuvres ?” demande Jacques dans son épître (Jc 2,14) 318 ».
c'est ainsi que la fraternité universelle devient style de vie, dans un échange, dans le quotidien et à
travers l'engagement pour et avec l'autre. C'est dans cette manière de vivre la rencontre que, pour le
chrétien, la quête de Vérité se réalise et trouve son accomplissement.
Le «rayon de la vérité qui illumine tous les hommes319 », et qui sont présents dans toutes traditions
religieuses sont des traces de la Présence de Dieu. Le dialogue interreligieux cherche à regrouper,
analyser, méditer ces traces divines afin d'avoir une compréhension plus large de Dieu/Vérité. Il est
possible que l'ensemble des rayons donnent une lumière d'une couleur indéfinie, car on sera conduit
à accepter des compromis. Le compromis ici n'est pas d'entendre comme le résultat des
compromissions, mais comme le chemin d’intégration d'informations (qui n'est pas syncrétisme ou
relativisme), mais enrichissement des connaissances par la contribution des éléments différents. Le
compromis « c'est, à partir de positions différentes, entrer dans un vrai dialogue où on ne cherche
pas à prendre le dessus mais à construire ensemble quelque chose d'autre, où personne ne se renie,
mais qui conduit forcément à quelque chose de différent des positions du départ. Ce ne doit pas être
une confrontation de vérités, mais une recherche ensemble, en vérité 320 ». Cela signifie que le
dialogue peut, au cours de cette démarche en quête de Vérité, aboutir à des connaissances qu'on ne
s'attendait pas. Les interlocuteurs doivent être prêts à accueillir le mystère de Dieu, dans la manière
dans laquelle Dieu veut s'offrir à notre compréhension, c'est-à-dire que la Vérité recherchée peut
nous amener à une Vérité inattendue ! À un visage de Dieu inattendu ! Lorsqu'on s'approche de
Dieu, la Vérité devient plus complexe et plus vraie, voire présente ! L’expérience de la Vérité peut
pousser à prendre des distances par rapport à des énoncés de foi qui sont présents dans la tradition
religieuse respective. Cela, ne signifie guère que ce que le dogme religieux affirme n'est pas correct,
et non plus que les nouvelles compréhensions soient lointaines de la réalité. En effet, il est
nécessaire d'être prudents et de comprendre toutes les affirmations dans leur contexte.

318 Henri de La Hougue, L'estime de la foi des autres, ed. Desclée de Brouwer. p.303
319 cf. note 240
320 Conseil permanent de la conferance des Eveques de france, Dans un monde qui change retrouver le senss du
politique, ed. Bayard, 2016, p.58

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La quête de Vérité, doit avancer dans le respect et doucement, sans provoquer de scandale aux petits
« Mais, si quelqu'un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on
suspendît à son cou une meule de moulin, et qu'on le jetât au fond de la mer. » (Mt 18,6). Cependant
la recherche de la « la vérité vous rendra libres » (Jn 8,32) et Jésus le rappelle sans aucune
équivoque « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6), c'est-à-dire qu'Il est Dieu ! Dans un
autre moment Jésus affirme « En vérité, en vérité, Je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie
éternelle » (Jn 6,47). Dans ce verset, la vérité (avec v minuscule) est à comprendre comme la
réalité, ce qui se passe sous les yeux, et qui ne peut pas être contredit ou nié, comme aussi dans « En
vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira:
vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie.» (Jn 16:20). Finalement, Jésus
est le Christ «dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu s'est réconcilié toutes choses. Elle [l’Église] exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et
charité, par le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d'autres religions, et tout en
témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les
valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux. »
Si nous avons insisté sur ce dernier point, c'est parce que le dialogue que le chrétien conduira dans
l'accueil de l'autre et de ce que l'autre partagera, comme ses convictions les plus profondes et
respectables, seront comprises à travers la lumière du Christ par laquelle on ne peut pas renoncer,
car Jésus a dit «Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » (Jn 11,25-26). Chaque chrétien est donc invité à
témoigner de sa foi, comme un don à offrir aux autres, mais en respectant les conditions qui nous
avons indiqué plus en haut.

90
Finalités ultimes

Nous sommes arrivés aux dernières finalités celles qui visent l'aspect eschatologique.
Le dialogue interreligieux, pour ce faire, doit avoir un regard qui repose sur le sens du projet de
Dieu, c'est pour cela que comme premier aspect nous présentons l’établissement du rêve de Dieu
qui, depuis l'histoire (mythique) d'Adam et Eve, a échoué et que au cours de l'histoire du salut a
cherché de se réaffirmer.
Le dialogue, pour ce faire, doit aussi s'abandonner à Dieu, car « Celui qui demeure en moi et en qui
je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,5). Pour cette
raison, nous terminerons avec un petit chapitre sur l’espérance et l'abandon en Dieu.

Rétablir l'harmonie
Nous avons commencé cette proposition en présentant, dans la partie biblique, le projet de Dieu.
Nous avons soutenu au cours de ce travail que le rêve de Dieu, dès le commencement était celui de
la fraternité universelle, où les liens de frères caractérisent les relations quotidiennes des hommes.
Malheureusement, ces relations ont été au début mises en difficulté et gâtées par le désir de
l'homme d'occuper la place de l'autre. Pour rétablir l’équilibre Dieu « a demandé » à l'Homme de
respecter le lieu de vie de l'autre, qui est son frère. Diverses tentatives et occasions ont échoué les
unes après les autres. Dieu pour sauver l'homme de ce cercle vicieux dans lequel il continuait à
tomber, a décidé de prendre la situation en main et d’envoyer Son Fils unique, lequel après avoir
expliqué et montré en différentes occasions le chemin de sortie, a donné l'exemple en donnant sa
vie.
Nous avons démontré que ce même projet est présent aussi dans l'islam ; il prend d'autres visages,
d'autres noms, d'autres formules, mais finalement le fruit de l'enseignement et des indications
juridiques et/ou éthiques conduisent au même but : former une fraternité universelle en respectant
les différences, pas seulement culturelles ou sociales, mais aussi celles religieuses.
Finalement, après avoir indiqué quelques caractéristiques fraternelles, nous avons abordé les
finalités, autrement dit, les avantages que le rêve de Dieu pourrait apporter à l’humanité.
Maintenant, nous nous proposons de « rêver avec Dieu » ! Réaliser une fraternité universelle,
semble-t-elle, pour le moment difficile et non-faisable, faute l'orgueil humain ! Même parmi les
religieux, adhérer à ce projet divin est difficile. Le dialogue interreligieux avance lentement et
souvent il est vu avec suspicion; plus spontanés, il faut le dire, sont les rencontres et les partages de
vie, en échangeant sur le quotidien.Il est plus simple de mettre les forces ensemble pour réaliser un
projet commun, comme le nettoyage de routes, labourer des champs, le secours aux émigrés…
La fraternité est en cours d’élaboration ! Rien n'empêche les croyants qui partageront cette
proposition de rêver avec Dieu ! Nous trouvons que cela est le premier pas pour rétablir l'harmonie
perdue. Et, nous croyons que ce rêve avec Dieu, a la chaleur du storge ! Rêver avec Dieu signifie,

91
partager le désir de réaliser le projet divin avec Lui ! C'est finalement de rester avec Dieu dans
notre quotidien, et de/pour rendre vivant et actualiser ce rêve ! C'est le passage au fileo, à
l'engagement, qui prend son temps et commence à s'ouvrir à la réalisation ! Rêver avec Dieu nous
pousse à apprendre à rêver ensemble avec d'autres frères, de se chercher, pour fortifier nos échanges
et nos connaissances (c'est l’éros, qui nous attire les uns vers les autres). Rêver avec Dieu et rêver
avec les autres, c'est former une communauté de personnes qui se respectent les uns et les autres, ils
s'écoutent, ils se parlent dans la meilleure de manière, ils partagent leurs sacs, il s'agit des frères ! Et
alors cette communauté est une fraternité ! Qui se met en jeu pour le bien de l'autre à travers la
charité et le service. Rêver avec Dieu est un chemin d’Amour !
Rêver avec Dieu le projet de Dieu, nous rend (symboliquement) à son image ! Car dans un rêve, il
n'a pas de limite spatio-temporel, il est imprenable, dans un rêve il y a de l'espace pour tous, et tous
peuvent être ce qu'ils désirent et ce qu'ils aiment être, « le fait que l'homme est à l'image de Dieu
comporte en outre une dimension eschatologique. Si la communauté biologique de la vie humaine
renvoie au destin mortel commun à tous, au retour à la poussière d'une mère commune, la Terre, le
souffle de Dieu donné à l'homme renferme par contre en soi la vocation à une communauté éternelle
avec Dieu, qui est en même temps une communauté fraternelle de tous les enfants de Dieu : Dieu
veut le salut de tous les hommes (1 Tim 2,4), tous sont invités au divin festin des noces et destinés à
être un jour, en tant que citoyens de la Jérusalem céleste, des membres de la communauté des
saints321. »
La perspective eschatologique nous renvoie aux derniers jours d'existence de l’humanité. Tant la foi
chrétienne que la foi musulmane croit dans le jour du Jugement final où les hommes seront évalués
d'après leur qualité de vie. Une qualité qui prend en considération l'accomplissement des bonnes
œuvres ; pour la foi musulmane nous pouvons rappeler « Rivalisez donc dans les bonnes œuvres.
Où que vous soyez, Allah vous ramènera tous vers Lui, car Allah est, certes Omnipotent. » [2:148].
Pour les chrétiens le discours de Jésus, déjà cité plus haut, du jugement final en Mt 25. Dans les
deux traditions religieuses la rencontre, les bonnes actions, l'amour, le service sont au centre de la
façon de vivre de chaque jour, ainsi l’hospitalité et les bonnes attitudes vers l'autre.
Comment nous l'avons vu au commencement de cette proposition, l’hospitalité joue en rôle
important dans le rétablissement de l'harmonie initiale, car c'est la manière explicite de donner une
place à l'autre, qui encore étranger et inconnu cherche à garantir sa vie en créant des liens d’amitié
et de fraternité « C'est pour cette raison précise que l'auteur de la lettre aux Hébreux fait cette
exhortation :'' n'oubliez pas l’hospitalité [philoxenia], car c'est grâce à elle que quelques-uns, à leur
insu, hébergeront des anges'' (He 13,2). Il rappelle ainsi aux chrétiens la page de la Genèse où
Abraham, accueillant trois hommes étrangers aux Chênes de Mambré, a reçu la visite de Dieu lui-
même (cf. Gn 18,1-16). Abraham, le père des croyants au Dieu unique, est celui qui, en accueillant
des inconnus étrangers, a offert l’hospitalité à Dieu sans le savoir 322 : il est “ami de Dieu” (Jc 2,23)
parce que capable d’amitié avec les hommes !323 ». C'est à travers cette hospitalité improvisée que
Abraham, commence les liens d'une fraternité qui ne se donne pas de limites. Abraham avait

321 Joseph Ratzinger, fraternité, op. cit., col.1156


322 Pour la tradition musulmane nous renvoyons au Coran 51:24ss
323 Enzo Bianchi, op. cit., p.52

92
commencé à rêver avec Dieu, en accueillant des voyageurs (émigrées ou réfugiés), et sans le savoir
rêver avec Dieu le projet de Dieu, a fait que Abraham à accueilli sous sa tente Dieu-même ! « toutes
les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les
avez faites. » Mt 25,40. Abraham nous invite avec son geste à mettre au centre des notre vie la
présence de notre frère. En effet, le croyant qui met Dieu véritablement au centre de sa propre vie, il
est poussé à vivre une éthique plus fraternelle avec tout homme « oui, si la tradition juive et
chrétienne qualifie Abraham d'ami de Dieu, tout comme la tradition musulmane qui le définit al-
khalil, ''l'ami'', c'est à partir de son geste d'accueil envers des hommes qui se sont révélés être Dieu.
[…] À Abraham, tout comme aux disciples d’Emmaüs (voir Lc 24,13-35), la pratique de
l’hospitalité a procuré une révélation, car qui accueille des hommes, des frères en humanité, même
s'ils lui sont inconnus ou étrangers, s'expose à la rencontre avec l'Autre.324 ».
Rétablir l'harmonie signifie avoir du courage, qui est une vertu qui permet d'entreprendre des choses
difficiles ; et nous le constatons laisser de la place de vie à l'autre c'est difficile, et encore plus
difficile c'est de lui donner de l'espace où il puisse vivre en partageant le contenu de son sac
existentiel. Dieu nous invite à avoir du courage, à rêver avec Lui, à partager un rêve avec Lui et
avec les autres. Dieu nous invite à oser lui demander ce que nous avons besoin, et à oser demander
à nos frères «7Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez à la porte et l’on
vous ouvrira ; 8car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui
frappe. 9Si votre fils vous demande du pain, lui donnerez-vous une pierre ? 10Et s’il demande du
poisson, lui donnerez-vous un serpent ? 11Mauvais comme vous êtes, vous savez donner de bonnes
choses à vos enfants: combien plus alors votre Père qui est dans les Cieux donnera-t-il de bonnes
choses à ceux qui le prient. 12Faites donc pour les autres tout ce que vous voulez qu’on fasse pour
vous, c’est bien ce que disent la Loi et les Prophètes. » (Mt 7,7-12). La fraternité est ce rêve partagé
avec Dieu et avec notre frère. Le lien de la fraternité commence dans le dialogue de vie et des
œuvres en faisant pour les autres tout ce que nous volons que l'autre fasse pour nous. Les croyants
de toutes religions sont appelés à agir et à collaborer ensemble pour reconstituer la “famille de
Dieu” «Pour les croyants, le monde n’est le fruit ni du hasard ni de la nécessité, mais celui d’un
projet de Dieu. De là naît pour les croyants le devoir d’unir leurs efforts à ceux de tous les hommes
et toutes les femmes de bonne volonté appartenant à d’autres religions ou non croyants, afin que
notre monde soit effectivement conforme au projet divin: celui de vivre comme une famille sous le
regard du Créateur325.» Les croyants sont bien conscients que la fraternité universelle restera un
''rêvé'' irréalisé, mais désiré. Cela n’empêche de s'engager en faveur de ce projet divin afin que,
malgré les difficultés, nous pouvons nous approcher de Dieu, main dans la main « la communauté
des croyants n'est cependant jamais réalisé en perfection dès ici-bas : des indignes peuvent s'y
trouver (1 Co 5,11), de faux frères s'y introduiront (Ga 2,45 ; 2 Co 11,26). mais elle sait qu'un jour,
le Diable, l'accusateur de tous les frères devant Dieu, sera jeté bas (Ap 12,10). en attendant cette
victoire finale qui lui permettra de se réaliser en plénitude, elle témoigne déjà que la fraternité
humaine est en marche vers l'Homme nouveau rêvé depuis les origines326 »

324 Enzo Bianchi, op. cit., p.52-53


325 Benoit XVI, Caritas in Veritate, n.57, op.cit.
326 Armand Negrier et Xavier Léon-Dufour, Frère, en vocabulaire de théologie biblique, ed cerf, 1970, col.495

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Espérance… laisser faire à Dieu

Face aux défis de la vie et de l’humanité, on a, en résumé, deux choix : on se laisse faire en
cherchant à résoudre les problèmes avec la raison, la solidarité, la collaboration, les capacités
humaines, ou bien, tout en gardant les relations avec ses frères, on se confie à quelqu'un qui peut
tout: à Dieu. «L’être moderne avait fini par intérioriser que croire est antinomique à la raison et que
le progrès scientifique finirait par chasser des cœurs et des esprits tout questionnement
métaphysique, comme si l'on n'était fait que de “raison rationnelle”. […] La quête de spiritualité
face au stress, aux difficultés de la vie, aux angoisses, aux questionnements, naturels,
métaphysiques est revenue à l'ordre du jour. La variété de l'offre théologique et spirituelle en dit
long sur la forte demande. Se développe même des écrits et réflexions sur la ''spiritualité laïque 327'',
une spiritualité hors cadre religieux, agnostique et même athée.328 ».
Pour les hommes qui choisissent la première voie, celle sans Dieu, nous trouvons que le travail et la
bonne réussite qui en résulteront seront assez dures, car malgré leurs bonnes intentions et un
engagement louable, ils arriveront à un moment dans lequel leur regard se enfermera sur eux-
mêmes, et toutes leurs potentialités seront utilisées à un avantage personnel ou pour un petit groupe.
D’ailleurs nous l'avons vu, grâce à ce travail, lorsque l'homme a cherché de s’éloigner de Dieu, en
occupant des espaces de vie qui lui ne appartenaient pas.
En effet, le croyant qui choisit la deuxième voie, connaît bien l'expression « La terre m'appartient et
vous n’êtes que des étrangers et des hôtes » (Lv 25,23). L'homme religieux vit une relation
personnelle et constante avec un Autre, une relation qui se nomme “spiritualité” et qui garde vivante
dans les croyants la conscience que « Nous ne sommes devant toi, o notre Dieu, que des étrangers et
des hôtes, comme tous nos pères » (1 Ch 29,15). Cependant, le croyant est conforté dans sa
spiritualité par une plus grande conviction: « mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui
est à moi est à toi » (Lc 15,31). C'est grâce à cette foi que le croyant peut vivre sa relation avec Dieu
(tu es toujours avec moi) et suivre l'exemple de son Dieu « tout ce qui est à moi est à toi, mais il
fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il
est retrouvé. (Lc 15,31-32). Dieu nous invite à regarder l'autre avec un regard de frère, c'est ainsi
que le croyant peut passer de la solidarité à la fraternité : la solidarité est un geste gratuit et voulu en
donnant à l'autre quelque chose que nous possédons ; la fraternité est un lien d'existence qui pousse
à donner à l'autre ce que nous sommes.
Pour ce faire, le croyant à besoin d'espérer, c'est-à-dire de s’appuyer sur quelqu'un d'autre auquel on
peut faire pleinement confiance. Dans la fraternité, le croyants s'abandonne en première instance à
Dieu, avant de se donner au frère. Cette confiance en Dieu est un don qui doit être demandé sans
cesse (cf. 1Th 5.17) dans le dialogue interreligieux, et dans les rencontres de vie dans le quotidien.
Confiance est surtout “laisser faire Dieu”, Jésus nous y invite : « Regardez les oiseaux du ciel: ils ne
sèment ni ne moissonnent, et ils n'amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit.
Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux? » (Mt 6,26). S’abandonner à Dieu ne signifie en aucun

327 André Compte-Sponville, L'esprit de l’athéisme, introduction à une spiritualité sans Dieu, ed. Albin Michel, 2006
328 El Hadji Babou Bitèye, Vivre le pluralisme, ed. Bayane, Paris, 2013, p.37.41

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cas qu'il ne faille guère s'engager dans la vie, bien au contraire : laisser faire Dieu signifie regarder
comment Dieu agit pour L’imiter ensuite. Dieu est maître de la vie, et Il nous apprend comment
vivre ! C'est à nous, en suite, de prendre initiative et de nous engager dans les relations, dans le
développement, dans l'amour, dans la fraternité. Laisser faire à Dieu, c'est laisser Dieu avoir sa
place dans notre vie, c'est laisser une place à l'autre, c'est accepter de comprendre plus tard, car on
fait le choix d'avoir confiance et de remettre notre vie, notre unique vie dans les mains d'un autre.
Comprendre plus tard, laisser le mystère de Dieu être présent en nous, comprendre plus tard est
l'attitude de celui qui s’abandonne, car il a confiance, « “Il comprendra plus tard” avait dit sa mère,
lorsqu'il était enfant et faisait sa première communion trop jeune, de l'avis de son père. “Tu
comprendras plus tard” avait dit Jésus à Pierre refusant de se laisser laver les pieds329 ».
Le croyant est celui qui agit en se remettant à Dieu, mais en prenant lui-même ses responsabilités; le
croyant est un homme qui a appris à espérer ! L’espérance, pour le croyant, est une vertu, car c'est la
force qui le pousse au-delà de l'impossible et de l’inimaginable. « Espérer, c'est quelque chose de
très concret : c'est croire que Dieu nous rend capables de poser des actes éternels. Que, quand nous
aimons, cet amour n'est pas simplement u beau sentiment dans une marée d’absurdité vouée à la
mort, mais une fenêtre que nous ouvrons sur l'éternité. Car ces actes éternels, ces actes que nous
pouvons faire et dont le fruit est éternel, ce sont bien sûr les actes d'amour, les seuls qui comptent.
Ce sont eux qui construisent, dans notre monde déjà, l'éternité, le Royaume de Dieu. Cela nous
oblige à renoncer à une vision à la fois très courante, et pour tout dire très infantilisante, de la vie
éternelle comme récompense. Elle ne nous est pas donnée pour nous féliciter d'avoir cru au bon
Dieu, d'avoir été dans le bon camp, ni d'avoir accompli des actions justes et méritoires ou du moins
d'avoir évité les péchés les plus graves. Il ne s'agit pas d'emmener au cirque un enfant pour le
récompenser d'avoir été bien sage. Il n'y a pas d'un côté la vie chrétienne en ce monde, éprouvante,
pleine de sacrifices et de souffrances à supporter en serrant les dents avec patience, et de l'autre la
vie éternelle, faite de délices et de douceur, pour nous remettre des fatigues de la première : c'est la
même vie, et si certains s'ennuient dès cette vie de la présence de Dieu, il y a fort à craindre qu'ils
ne se plaisent pas beaucoup plus après leur mort. Espérer, dans la pratique, ce n'est pas seulement
croire que nous sommes capables d'éternité : c'est vivre en préférant l’éternel au reste, en faisant
passer l'éternel d'abord, avant l'urgent, avant tout le reste qui nous paraît si important sur le moment.
Espérer, c'est accepter d'adopter le point de vue de l’éternité : non pas un point de vue froid et
lointain, mais au contraire, le point de vue de l'amour.330 »
L’espérance est un lien qui unit l'homme à Dieu, un lien qui permet de rêver le rêve de Dieu et
s'engager pour le réaliser. L’espérance, pour le croyant, est la certitude que Dieu est toujours à son
côté, et qu'il s’intéresse de lui en façon personnalisée, « Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne
parvient même pas à comprendre qui il est […] la parole du Seigneur Jésus-Christ vient à notre aide
en nous rendant conscients de ce fait que: «Sans moi, vous ne pouvez rien faire» Jn 15,5; elle nous
encourage: «Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» Mt 28,20331. »

329 Christian Saleson «Christian de Chergé une théologie de l’espérance » p.53


330 Adrien Candiard, Veilleur, où en est la nuit ?, ed. Cerf, 2016, p.72-74
331 Benoit XVI, Caritas in Veritate, n.78, op.cit.

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L’espérance aide le croyant à sortir de lui-même pour s'en remettre à un autre. C'est ainsi que
espérer ouvre le confin de l'espace et du temps, en donnant au croyant un cœur capable de s'ouvrir,
soutenu par la conviction que la fraternité universelle est un rêve possible « L’ouverture à Dieu
entraîne l’ouverture aux frères et à une vie comprise comme une mission solidaire et joyeuse.
Inversement, la fermeture idéologique à l’égard de Dieu est l’athéisme de l’indifférence, qui oublie
le Créateur et risque d’oublier aussi les valeurs humaines, se présentant aujourd’hui parmi les plus
grands obstacles au développement. L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain. Seul
un humanisme ouvert à l’Absolu peut nous guider dans la promotion et la réalisation de formes de
vie sociale et civile – dans le cadre des structures, des institutions, de la culture et de l’ethos – en
nous préservant du risque de devenir prisonniers des modes du moment332. »
Nous croyons que le dialogue interreligieux doit se nourrir d’espérance, de désir, des rêves, de
spiritualité, « l’espérance fonde l'engagement dans la rencontre. Le dialogue n'est pas le fruit du
raisonnement humain, le désir d'un mieux-vivre ensemble, un chemin vers la paix, un posture
politique. Certes, il est tout cela, mais rien de cela ne le fonde vraiment. … Pour Christian de
Chergé l’espérance d'une unité des chrétiens et des musulmans dans le cœur du Père est le véritable
et unique fondement du dialogue.333 » dit autrement, avec les termes utilisés dans ce travail,
l’espérance n'est pas étrangère à la fraternité universelle. C'est ainsi que, ensemble nous pourrons
dans un esprit et avec des liens fraternels approcher Dieu et boire de la même eau 334, « une fois, par
mode de plaisanterie, je lui posai la question:Et au fond de notre puits, qu'est-ce que nous allons
trouver ? De l'eau musulmane ou de l'eau chrétienne ?. Il m'a regardé mi-rieur, mi-chagriné : Tout
de même, il y a longtemps que nous marchons ensemble et tu me pose encore cette question ! Tu
sais, au fond de ce puits-là, ce qu'on trouve, c'est l'eau de Dieu 335»

332 Benoit XVI, Caritas in Veritate, n.78, op.cit.


333 Chrsitian Salenson « Christian de Chergé une théologie de l’espérance » p.71
334 Nous faisons référence à l'eau donné au étranger comme signe d'accueil, sur ce point nous en avons parlé au
commencement de ce travail.
335 Chrsitian Salenson «Christian de Chergé une théologie de l’espérance » p.87

96
4. Conclusion

Nous sommes arrivés au terme de ce travail à travers lequel nous avons voulu offrir une piste
pastorale dans l'engagement du dialogue entre chrétiens et musulmans. Nous avons proposé la
fraternité universelle comme chemin, source, méthode, objectif dans les rencontres entre chrétiens
et musulmans. Nous avons insisté sur le fait que le dialogue possible est celui de la rencontre dans
le quotidien et en s'engageant dans des œuvres communes (ou projets pour la communauté).
Le travail a cherché à proposer une lecture des textes sacrés, du magistère, des savants et
théologiens, du fides popolorum, pour fonder théologiquement, humainement et socialement la
fraternité universelle, et pour répondre à la question « d'où vient le devoir de dialoguer ».
Dans une deuxième temps, nous avons retenu utile présenter des attitudes piliers dans les rencontres
pour le dialogue interreligieux ; nous avons voulu répondre à la question « du comment conduire
nos rencontres, avec quelles attitudes ». Attitudes qui, nous le souhaitons, deviendront avec le temps
un style de vie.
La troisième partie a été consacrée « au pourquoi », souvent on a besoin d'avoir des buts dans ce
que nous faisons, pour nous stimuler, motiver, encourager à continuer notre travail. Nous avons
cherché à présenter quelques finalités, d'autres sont souhaitables ; mais nous avons insisté surtout
sur le fait de nous abandonner à Dieu et de nous laisser le temps de “comprendre après” les vraies
motivations.
Nous terminons ce travail en sachant que « la relation fraternelle est complexe. Elle se vit en tension
entre le vivre ensemble et la rivalité. Elle doit se faire entre la proximité et la distance, entre l’amour
et la jalousie, entre l'autonomie et l'interdépendance. […] Pourtant, il faut tenter de comprendre ce
lien : ultimement, aucun destin humain ne peut se concevoir sans l'autre, cet autre qui finalement
fait partie de nous-mêmes. Toutes les réflexions philosophiques sur la relation fraternelle montrent
qu'elle est un passage obligé de la question de l’altérité. La relation fraternelle reste l’horizon de
l’être humain : elle permet la confrontation à l'autre, condition de structuration de la personne 336. »
Nous sommes convaincus que nous ne pouvons pas renoncer à la fraternité universelle et que
l’humanité a été pensée par Dieu pour vivre et pour être une fraternité « Tout est lié, et, comme
êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs dans un merveilleux
pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures337 ».
Les difficultés que nous rencontrons pour réaliser la fraternité sont multiples, mais nous remarquons
que ce désir d’être frère, est bien présent dans tous les hommes, cependant que l'homme combat
avec le refus ou la difficulté d’accueillir l'autre comme un frère ; nous voudrons être accueillis, sans
la prétention de devoir accueillir l'autre, la dynamique qui convient en chacun de nous est très
complexe et nous oserons dire bizarre, « ainsi, la relation fraternelle est difficile à expliquer : en fin
de compte, elle se définit par son mouvement même : on pourrait dire que c'est un trajet constant de

336 Anne-Laure, op. cit., p.15


337 François, Laudato si', n.92, cf. http://w2.vatican.va

97
définition et de découverte de soi, dans et par la découverte de l'autre338 ».
Dans le dialogue de vie et des œuvres qui ont comme but la rencontre avec l'autre croyant, nous ne
devons pas oublier que avant d’être chrétiens et musulmans, nous sommes des hommes ; des êtres
humains qui sont fiers de leur identité et qui voudraient, pour maintes raisons partager la beauté de
leurs convictions, afin d’établir des relations amicales et si possible fraternelles « La complexité de
notre être, nos occupations quotidiennes nous amènent à oublier ce lien indéfectible qui nous
rattache à tous nos semblables même si cela ne nie pas notre part de singularité évidente. […]
chaque être humain porte en lui des signes de son appartenance [...] et […] surtout ce que nous en
retiendrons, c'est que les différences ne doivent pas faire oublier l’unité, et l’unité, non plus, ne doit
pas se transformer en uniformisation […] donc reconnaître l’unité humaine, ne s'oppose pas, au
contraire, à la reconnaissance de sa diversité fondamentale, qui fait et fera toujours de nous des
individus singuliers malgré les processus de rencontres, de métissage biologique, culturel. » 339.
La rencontre entre croyants est toujours possible, surtout lorsque les croyants ont la ferme
conviction que leur échange advient sous le regard de Dieu, et que Dieu le souhaite fortement ! En
tant que Créateur, Il aime voir et constater que ce qu'Il a fait avec amour, puisse trouver l'harmonie
qu'Il avait pensé et que tous puissent coexister dans le même espace et dans le même temps, sans se
prétendre les seuls légitimes.
La rencontre et le vivre ensemble sont possibles lorsque la communauté éduque l'homme à
coexister avec « ses frères différents », c'est un travail très long et qui demande l'engagement de
tous « Changer les individus avant de vouloir changer la société compte parmi les priorités capitales
dans le domaine de la réforme. ''Allah ne modifie point l'état d'un peuple, tant que les individus qui
le composent ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes'' (13 :11) Ceci est la base de toute réforme
sociale : commencer par l'individu, car il est la base de tout. Aucun espoir de bâtir un édifice stable
et solide si le matériau utilisé est de mauvaise qualité. L'Homme est la pierre fondatrice de la
société340 » bien sur, le cheikh Al-Qaradawi, lorsque il prononce ces mots le fait en référence à une
réforme de l'Islam dans notre temps. Cela peut être, à notre avis, aussi compris dans la direction de
redécouvrir grâce à une pratique sérieuse de la foi et aux échanges avec les croyants des autres
religions, afin de bâtir ensemble la fraternité universelle. Partir de l'Homme pour construire
l’humanité rêvée par Dieu, Al-Qaradawi conseille de commencer par l’éducation, en effet les
écoles, les groupes des jeunes, la famille sont le centre de diffusion d'une attitude qui avec le temps
peut devenir une vertu dans une société. C'est ce que le Pape François prêche et témoigne sans cesse
depuis le commencement de son pontificat . Nous le rappelons lors de sa visite à une Université
italienne «''l’instruction et la formation académique des nouvelles générations est une exigence
première pour la vie et le développement de la société”, François y précise que “l’université est un
lieu privilégié dans lequel se forment les consciences, dans une confrontation entre les exigences du
bien, du vrai et du beau, et la réalité avec des contradictions”. Face aux réalités douloureuses du
monde contemporain, comme les guerres entretenues par les trafics d’armes, le Pape estime qu’il
faut éviter toute attitude “de découragement ou de défiance”.341 »
338 Anne-Laure, op. cit., p.16
339 El Hadji Babou Bitéye, op. cit., p.57
340 Yusuf Al-Qaradawi, op. cit. p.225
341 Lors de la visite à l’université Tre de Rome le 17/02/2017 http://fr.radiovaticana.va/news/2017/02/17/luniversit

98
Si l'engagement à se rencontrer pour créer la fraternité entre les hommes est affaire de tous,
l'engagement à encourager le dialogue et à construire des ponts où se rencontrer est le travail des
responsables de communautés religieuses respectives « Le Pape a ensuite félicité ceux qui œuvrent
pour le dialogue interreligieux. “Le travail que vous faites est un travail de construction alors que
nous vivons un temps dans lequel nous nous sommes habitués aux destructions que font les
guerres”. Tout le travail du dialogue, dit François, c’est de nous “rapprocher” pour nous “aider à
construire”. Le Pape insiste, '“dans ce type de réunion, le mot le plus important est dialogue”', qui
permet de sortir de soi et d’écouter la parole de l’autre. Et deux paroles, deux pensées qui se
rencontrent, c’est cela, la première étape du chemin. […] Après les mots, l’étape suivante, c’est “la
rencontre des cœurs et le début d’un dialogue d’amitié et qui se termine avec une poignée de main.
Parole, cœur, mains. C’est très simple ! Un enfant saurait le faire, pourquoi ne le faisons pas nous ?”
interpelle le Saint-Père. Car c’est par ces petits gestes que l’amitié et la société se construisent.
“Nous avons tous un Père commun, nous sommes frères” rappelle enfin le Pape, remerciant les
participants d’être convaincus qu’il est bon de suivre ce chemin du dialogue342. »
Nous voulons terminer cette proposition avec deux témoins de la rencontre et du dialogue de vie et
des œuvres ; deux frères universels qui ont vécus et sont mort en témoignant de leurs efforts et
espérance pour bâtir une fraternité universelle. Il s'agit de deux moines de Tibhirine, l'un nous
l'avons déjà cité à plus reprise plus haut : le prieur de la communauté, Christian de Chergè. L'autre
est une figure plus discrète, plus cachée le frère Luc. Le frère Luc était médecin, il était chargé du
petit dispensaire, au monastère où il s’occupait des pauvres malades qui n'avaient pas la possibilité
de partir à l’hôpital « Il est évident que l’activité médicale était un lieu privilégie de rencontre entre
le monastère et la population environnante. Aussi peut-on même affirmer qu'il est l'un des premiers
lieux du dialogue interreligieux avec les habitants musulmans343. ». À plusieurs reprises, le frère
Luc s'est trouvé à soigner les « frères de la montagne, comme les moines aimaient appeler ces
maquisards islamistes344 ». Cet homme de la rencontre de vie et des œuvres avait bien compris qu'il
n'était possible de bâtir une fraternité seulement si on aimait sincèrement Dieu « Les hommes
croient qu'il faut d'abord aimer les hommes et ensuite Dieu. Moi aussi j'ai fait comme cela, mais
cela ne sert à rien. Quand au contraire, j'ai commencé d'aimer Dieu, dans cet amour de Dieu j'ai
trouvé mon prochain. Dans cet amour de Dieu, mes ennemis aussi sont devenus mes amis 345. ».
Pendant ses rencontres avec les pauvres gens, tous des musulmans qui vivent autour du monastère,
frère Luc a fait, jour après jour l'expérience de l'autre, il a appris à l'aimer et à prendre le temps de
goûter la beauté que l'autre avait à lui offrir, parfois des expériences de vie, ou des souffrances, ou
de la joie, ou des convictions, peu importe, le frère Luc a appris en outre à soigner les corps, à
prendre soin de l’âme de l'autre aussi. « Aimer, c'est faire exister l'autre, c'est peut-être l'écouter au
lieu de parler, recevoir de lui au lieu de vouloir donner. Peut-être attend-il que j'aie besoin de
lui346 ». Ce témoin de l'amour et de la rencontre a appris à remarquer la Présence et l'action de Dieu

consulté le 11/03/2017
342 À l’occasion du colloque du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux et de l’Institut Royal pour les Études
interreligieuses d’Amman, le 3/4 mai 2016 http://fr.radiovaticana.va/news/2016/05/04/pape consulté le 12/03/2017
343 François Buet, Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine, ed. Nouvelle Citè, 2014, p.12
344 François Buet, Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine, ed. Nouvelle Citè, 2014, p.12
345 François Buet, Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine, ed. Nouvelle Citè, 2014, p.38
346 François Buet, Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine, ed. Nouvelle Citè, 2014, p.47

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dans la vie des autres, ceci est le don le plus grand qu'un frère universel peut recevoir et apprendre.
«Jean de la Croix pouvait écrire ''Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour''. Nous voyons
frère Luc qui s'approprie et approfondit cette prière, en l'écrivant au dos d'une simple carte postale
que l'on retrouve sur son bureau le soir de son enlèvement. Aussi, on peut la considérer comme son
testament spirituel : ''Si je devais partir ce soir et qu'on m’interrogeât sur ce qui m’émeut le plus en
ce monde, je dirais peut-être que c’est le passage de Dieu dans le cœur des hommes… Et bien qu'il
soit vrai que nous serons jugés sur l’amour, il est également hors de doute que nous serons jugés par
l’amour, qui n’est autre que Dieu''347 »
En guise de dernièrs mots nous laissons la parole à Christian de Chergè qui en racontant sa
rencontre avec Mohammed, un homme simple et un musulman profondément croyant, dit « Notre
dialogue était celui d'une amitié paisible et confiante qui avait Dieu pour horizon, par-dessus la
mêlée348 »

347 François Buet, Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine, ed. Nouvelle Citè, 2014, p.31
348 Tirè d'une citation du livre Christian Salenson « Christian de Chergé une théologie de l’espérance » p.50

100
Annexes et Appendice

101
Introduction aux annexes et à l’appendice

Au commencement de ce travail nous avons avoué que nous envisageons de porter un aide dans le
dialogue entre les chrétiens et les musulmans, et que notre proposition voulait soutenir l'engagement
pastoral de tous ceux qui espèrent de donner vie à une fraternité universelle.
Pour cette raison nous avons préféré le dialogue de vie et des œuvres, d’ailleurs nous croyons que
c'est à travers ce dernier qu'on pourra aussi réaliser un dialogue plus délicat comme celui
théologique. En effet, lorsque un croyant devra « rendre compte de l'espoir qui habite en lui » il
devra s'expliquer, se raconter, partager sa foi et ceci est déjà de la théologie, en outre comme nous
l'avons vu le « sensus fidei » a un rôle très important dans le dialogue de chaque jour. Si on croit
que Dieu veut que l’humanité se rencontre et qui peu à peu elle réalise une fraternité universelle, il
faut aussi croire que Dieu rend, à différent niveau, tout homme théologien, car toute homme est
dans une certaine mesure « theodidacte » c'est-à-dire formé et guidé directement par Dieu (comme
nous l'avons dit pour la ''maman presbytera'' plus haut).

Les annexes
Ce que nous proposons avec les annexes et l'appendice sont des approfondissements, qui nous
considérons importants. Les annexes sont connus, ou moins, on a entendu parler d'eux ! Souvent il
est difficile de les retrouver et de les lire dans leur totalité, pour cette raison nous les proposons ici.
Il s'agit des traités de « fraternité » que le Prophète de l'islam a proposé aux chrétiens et aux juifs. Il
est important de les considérés dans leur contexte historique et social. Le dernier annexe présente
les dispositions que le Sainte Siège donne pour un dialogue interreligieux respectueux et
« fraternel ». Nous présentons brièvement les annexes, pour ce faire nous utilisons les donnés qui
nous fournit le web, notamment ''Wikipedia'' et ''covenantsoftheprophet 349''. Dans ce dernier nous
avons recopié les textes qu nous proposons dans les annexes ; d'autres pactes que le Prophète aurait
établis sont proposés dans ce site, mais après recherche nous n'avons pas trouvé des informations ou
des références à ces pactes dans une langue à nous connue et accessible pour l’étude, donc nous
avons choisi de ne les pas proposer dans ce travail350.
Des autres sites web seront utilisés pour la présentation des traités du Prophète de l'Islam, nous en
donneront l'adresse au fur et à mesure qu'on présentera les informations des respectifs pactes. Pour
honnête scientifique nous signalons que l’historicité de ces pactes sont sujets à un débat académique
qui concerne à la fois les musulmans et non-musulmans, ce que nous trouvons intéressant, c'est le
fait que les musulmans (vu que ces textes nous parviennent à travers leurs traditions) ont à cœur de
nous présenter un « Islam » disposé à un chemin pour bâtir une fraternité capable de s'ouvrir à un
horizon peu à peu plus large, un horizon avec le saveur de l'universel un goût que les chrétiens aussi
doit adopter, raison pour laquelle nous présentons le document du Conseil Pontifical pour le
dialogue interreligieux.

349 https://covenantsoftheprophet.wordpress.com/
350 De toute façons nous proposons pour qui en est interessè de le consulter directement dan le site en question et nous
proposons aussi le témoignage du docteur John Andrew Morrow dans le site http://www.iqna.ir/fr/news/3459987/le-
vrai-islam-est-la-solution-%C3%A0-tous-les-probl%C3%A8mes

102
Le Pacte de Najran351 est un épisode de la vie de Mahomet, telle que relatée dans la sîra d'Ibn
Hicham. Ce pacte aurait été conclu vers 631 entre Mahomet et des chrétiens de Najran pour régir les
rapports entre la communauté musulmane de Médine et la communauté chrétienne de Najran, au
Yémen. La présence ancienne de communautés chrétiennes au Yémen est attestée par des
découvertes archéologiques352 et des sources scripturaires (Livre Hymiarites). Les sources
chrétiennes ne rendent aucun compte du Pacte de Najran, dont on trouve la première trace dans la
sîra d'Ibn Hicham, datée du IXeme siècle (s'appuyant elle-même sur la sîra, ou Sîrat Rasûl Allah,
d'Ibn Ishaq , disparue et que nous ne connaissons qu'au travers du remaniement d'Ibn Hicham ).
La sîra d'Ibn Hicham rapporte qu'au cours de la dixième année suivant l'Hégira (631), l'expansion
du jeune état islamique ayant atteint le Yémen, une délégation de 70 chrétiens, dont 14 notables,
établis dans la communauté de Najran, à quelque 600 km de Médine, la cité où vivait Mahomet, se
serait rendue à Médine chez lui, soit un an avant sa mort pour négocier les conditions de leur
relations avec la communauté musulmane. Mahomet les aurait accueillis, et laissé prier dans la
mosquée de Médine dans la direction de l'Orient353. Les négociations entre ces chrétiens et
Mahomet aboutirent après trois jours : en échange de la protection du nouvel État musulman, les
chefs chrétiens acceptèrent de fournir tous les six mois 1000 habits onciaux, plus 30 cuirasses et 30
lances en cas d'expédition musulmane au Yémen.

Le Pacte du prophète Mahomet avec les moines du mont Sinaï 354 est attribué au Muhammad ibn
‘Abd Allah, le Messager d’Allah. Le document a été écrit de la main de l’Imam Ali au cours de la
quatrième année de l’Hégire qui nous placer approximativement autour du 625. En supposant que la
possibilité que cette rencontre était une attribution plus tard, il est concevable que le document a été
délivré, ou re-publié, au cours de l’Année de délégations, qui ont eu lieu à peu près au 630. Non
seulement les moines du monastère de Sainte-Catherine confirmé de façon constante son
authenticité depuis les premiers jours de l’Islam, les Arabes ont donc Jabaliyyah du Sinaï. Bien que
la tradition islamique a été transmise presque exclusivement par les musulmans, c'est l’un des rares
cas dans lesquels une Sunnah et un Hadith ont été transmis consécutivement par les musulmans et
les chrétiens. Selon les documents historiques, les libertés accordées par le Prophète pour les
moines du mont Sinaï, avec d’autres communautés, ont été honorés par Abou Bakr, Omar, Othman
et Ali, ainsi que les Omeyyades et les Abbassides. Le Pacte du prophète Mahomet avec les moines
du mont Sinaï est ensuite attesté par Muhammad ibn Saad al-Baghdadi (784-845), l’historien
musulman précoce et scribe de Al-Waqidi (748-822 CE), l’un des premiers historiens de l’Islam et
biographe du Prophète, dans un document appelé Traité de Saint Catherine qui est cité dans son
Tabaqator Livre des principales catégories.

351 cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_de_Najran


352 Note de Wikipédia. Christian Julien Robin, « Judaïsme et christianisme en Arabie du Sud d'après les sources
épigraphiques et archéologiques », dans Proceedings of the Seminar for Arabian Studies, 10, 1980, pp. 85-96.
353 Note de Wikipédia. Massignon Louis. La Mubâhala. Étude sur la proposition d'ordalie faite par le prophète
Muhammad aux chrétiens Balhàrith du Najràn en l'an 10/631 à Médine. In: École pratique des hautes études,
Section des sciences religieuses. Annuaire 1943-1944. 1942. p.11.
354 cf. https://johnandrewmorrow.com/2015/03/01/lhistoricite-de-lalliance-mount-sinai/

103
Le témoignage chrétien dans un monde multi-religieux355.
Dans un monde dans lequel des tensions interreligieuses sont en augmentations et où la politique et
l'économie profitent de ces tensions pour en affirmer le pouvoir d'un et le bon affaire de l'autre, le
chrétiens est appelé à y donner son témoignage.
Le Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux (CPDI) du Saint-Siège et le programme de
dialogue et coopération interreligieux du Conseil Œcuménique des Églises (COE-IRDC) se sont
engagés pour aider le croyant à être lui-même face aux défis d'aujourd'hui.
Après trois consultations en 2006, 2007 et 2011, le saint Siège publie un texte avec des conseils
pour le bon témoignage et le bon dialogue. Les indications offertes sont dans la lignée de bâtir une
fraternité universelle.

L'appendice
Rencontrer l'autre et l'accepter pour ce qu'il est, ce n'est pas facile. Devenir frère n'est pas un chemin
sans préjugés, sans hésitations et en descente. Au contraire, il faut le vouloir, le désirer, l’espérer.
Cela non parce qu'il est contre nature mais simplement souvent l'homme se suffit à lui-même, et
l'orgueil et la paresse jouent contre une rencontre vraie et sincère, en oubliant l'accueil et la joie de
découvrir le différente de nous.
Dans l'appendice nous proposons un notre travail. Il s'agit d'un enquête qui nous avons réalisé dans
le contexte des études d’anthropologie islamique. La recherche que nous proposons traite de
« quelques éléments sur la spiritualité musulmane ».
Nous ne la présentons pas pour donner, déjà, des connaissances sur l'autre, car comme nous l'avons
soutenu dans notre travail il faut laisser que l'autre s'explique, se donne, partage lui-même ce qu'il
est avec nous. Nous la présentons pour susciter la curiosité, et donner le désir de vouloir rencontrer
l'autre. La beauté que l'autre croyant vit et qui garde dans sa vie est quelque chose de tellement
précieux et grand qu'il faut gagner la confiance pour en goûter. C'est le chemin de la fraternité que
peut amènera ce partage. Les éléments spirituels qui nous donnons dans cette appendice sont d'une
extrême valeur, et c'est avec la délicatesse et le respect le plus profond et sincère qu'il faut les
accueillir. Unique but de cette appendice est celui de susciter un amour pour l'autre qui est mon
frère.

355 http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/interelg/documents/
rc_pc_interelg_doc_20111110_testimonianza-cristiana_fr.html

104
Annexe 1

Le pacte de Najran

105
Le pacte du Prophète avec les chrétiens de Najran

Traduit par Addai Scher

(Scher, Addai and Robert Griveau, Trans. & Ed. “Histoire nestorienne inédite: Chronique de Séert. Seconde partie.”

Patrologia Orientalis 13.4 (1919): 602/282-618/298.)

[Le pacte du Prophète avec les chrétiens de Najran]


Au nom de Dieu clément et miséricordieux.
Cet écrit a été donné par Mohammad ben ‘Abd Allah ben ‘Abd el-Mottalib, Envoyé de Dieu auprès
de tous les hommes, pour annoncer et avertir, et chargé du dépôt de Dieu parmi ses créatures, pour
que les hommes n’aient aucun prétexte devant Dieu, après ses envoyés et sa manifestation, devant
cet Être puissant et sage.
Au Seyyid Ibn Hareth ben Ka‘b, a ses coreligionnaires et a tous ceux qui professent la religion
chrétienne, soit en Orient, soit en Occident, dans les contrées prochaines ou dans les contrées
lointaines, arabes ou étrangères, connues ou inconnues.
Cet écrit qu’il leur a rédigé constitue un contrat impérieux, un diplôme authentique établi sur la
charité et la justice, un pacte inviolable.
Quiconque observera cet édit, montrera son attachement à l’Islam, méritera les meilleurs bienfaits
que l’Islam promet ; au contraire tout homme qui le détruira, qui violera le pacte qui y es contenu,
qui l’altérera, et qui désobéira à mes commandements, violera le pacte de Dieu, transgressera son
alliance, méprisera son traité et méritera sa malédiction, qu’il soit prince ou sujet.
Je m’engage à faire de la part de Dieu alliance et pacte avec eux et je les mets sous la sauvegarde de
ses prophètes, de ses élus, de ses saints, les musulmans et les Croyants, les premiers aussi bien que
les derniers. C’est cela mon alliance et mon pacte avec eux.
Je proclame de nouveau les obligations que Dieu imposa aux enfants d’Israël de lui obéir, de suivre
sa loi et de respecter son alliance divine, en déclarant protéger par mes cavaliers, mes fantassins,
mes armées, mes ressources et mes partisans musulmans, les chrétiens jusqu’aux plus éloignés, qui
habitent dans les pays frontières de mon empire, dans quelque région que ce soit, lointaine ou
voisine, en temps de paix ou en temps de guerre.
Je m’engage à les appuyer, à prendre sous ma protection leurs personnes, leurs églises, leurs
chapelles, leurs oratoires, les établissements de leurs moines et les demeures de leurs anachorètes
partout où ils seront, soit dans la montagne, ou dans la vallée, ou dans les grottes, ou dans le pays
habités, dans la plaine, ou dans le désert.
Et je protégerai leur religion et leur Eglise, partout où ils se trouvent, soit sur la terre, soit sur la
mer, soit en Orient, soit en Occident, avec toute la vigilance possible de ma part, de la part des gens
de mon entourage, et des musulmans.

106
Je les prends sous ma protection. Je fais pacte avec eux, m’engageant a les préserver de tout mal et
de tout dommage, a les exempter de toute réquisition et de toute obligation onéreuse, et à les
protéger par moi-même, par mes auxiliaires, mes suivants et ma nation contre tout ennemi, qui m’en
voudrait a moi, et à eux.
Ayant l’autorité sur eux, je dois les gouverner, les préservant de toua dommage et ne laissant pas
leur arriver quelque mal qu’il ne m’ait atteint aussi, avec mes compagnons, qui défendent avec moi
la cause de l’Islam.
Je défends aux conquérants de la foi de leur être à charge, lors de leurs invasions, ou de les
contraindre à payer des impôts, à moins qu’ils n’y consentent : que jamais les chrétiens ne subissent
tyrannie et l’oppression à ce sujet.
Il n’est pas permis de faire quitter a un évêque son siège épiscopal, ni à un moine sa vie monastique,
ni à un anachorète sa vocation érémitique ; ni de détruire quelque partie de leurs églises, ni de faire
entrer quelques parties de leurs bâtiments dans la construction des mosquées, ou dans celle des
maisons des musulmans. Quiconque fera cela, violera le pacte de Dieu, désobéira a son Apôtre et
s’éloignera de l’alliance divine.
Il n’est pas permis non plus d’imposer une capitation ni une taxe quelconque aux moines et aux
évêques, ni à ceux qui, par dévotion, se vêtent de laine ou habitent solitairement dans les montagnes
ou en d’autres endroits isolés de l’habitation des hommes.
Qu’on se borne à quatre dirhams qu’on demandera chaque année à chacun des autres chrétiens, qui
ne sera ni religieux, ni moine, ni ermite : ou bien qu’on exige de lui un vêtement en étoffe rayée ou
un voile de turban brodé du Yémen, et cela pour aider les musulmans et pour contribuer à
l’augmentation du trésor public : s’il ne lui est pas facile de donner un vêtement, on lui en
demandera le prix. Mais que ce prix ne soit détermine que de leur consentement.
Que la capitation des chrétiens qui ont des revenus, qui possèdent des terres, qui font un commerce
important sur mer et sur terre, qui exploitent les mines de pierres précieuses, d’or et d’argent, qui
ont beaucoup de fortune et de biens, ne dépasse pas, pour l’ensemble, douze dirhams par an, pourvu
qu’ils habitent ces pays et qu’ils y soient établis.
Qu’on n’exige rien de semblable des voyageurs, qui ne sont pas des habitants du pays, ni des
passants dont le domicile n’est pas connu.
Pas d’impôt foncier avec capitation, si ce n’est à ceux qui possèdent des terres, comme tous les
occupants d’héritages sur lesquels le sultan exerce un droit : ils paieront des impôts dans la mesure
ou les autres les payent, sans toutefois que les charges excédent injustement la mesure de leurs
moyens, et les forces que les propriétaires dépensent à cultiver ces terres, à les rendre fertiles, et à
en tirer les récoltes : qu’ils ne soient pas abusivement taxes, mais qu’ils payent dans la mesure
imposée aux autres tributaires leurs pareils.
Les hommes de notre alliance ne seront pas tenus de sortir avec les musulmans pour combattre leurs
ennemis, les attaquer et en venir aux mains. En effet, ceux de l’alliance n’entreprendront pas la
guerre. C’est précisément pour les en déchargé que ce pacte leur a été accordé, et aussi pour leur

107
assurer aide et protection de la part des musulmans. Et même qu’aucun chrétien ne soit contraint de
pourvoir à l’équipement d’un seul musulman, en argent, en armes ou en chevaux, en vue d’une
guerre ou les Croyants attaquent un ennemi, a mois qu’il n’y contribue de son gré. Celui qui aura
bien voulu faire ainsi, et contribuer spontanément, sera l’objet de la louange et de la gratitude, et il
lui en sera tenu compte.
Aucun chrétien ne sera fait musulman par force : Ne discutez que de la maniera la plus honnête
[29:46]. Il faut les couvrir de l’aile de la miséricorde, et repousser tout malheur qui pourrait les
atteindre partout où ils se trouvent, dans quelque pays qu’ils soient.
Si l’un des chrétien venait à commettre un crime ou un délit, il faudrait que les musulmans lui
fournissent l’aide, la défense, la protection ; ils devront excuser son délit et amener sa victime à se
réconcilier avec lui, en l’engageant à lui pardonner ou à recevoir une rançon.
Les musulmans ne doivent pas abandonner les chrétiens et les laisser sans secours et sans appui,
parce que j’ai fait ce pacte avec eux de la part de Dieu pour que ce qui arrive d’heureux aux
musulmans leur arrivât aussi, et qu’ils subissent aussi ce que subiraient les musulmans, et que les
musulmans subissent ce qu’ils subiraient eux-mêmes, et cela en vertu du pacte par lequel ils ont eu
des droits inviolables de jouir de notre protection, et d’être défendus contre tout mal portant atteinte
à leurs garanties, de sorte qu’ils soient associés aux musulmans dans la bonne et dans la mauvaise
fortune.
Il ne faut pas que les chrétiens aient à souffrir, par abus, au sujet des mariages, ce qu’ils ne
voudraient pas. Les musulmans ne devront pas prendre en mariage les filles chrétiennes contre la
volonté des parents de celles-ci, ni opprimer leurs familles, si elles venaient à leur refuser les
fiançailles et le mariage ; car de tels mariages ne devront pas se faire sans leur agrément et leur
désire, et sans qu’ils les aient approuvés et y aient consenti.
Si un musulman a pris pour femme une chrétienne, il est tenu de respecter sa croyance chrétienne. Il
la laissera libre d’écouter ses supérieurs comme elle l’entendra, et de suivre la route qui lui indique
sa religion. Quiconque malgré cet ordre, contraindra son épouse à agir contre sa religion en quelque
point que ce soit, enfreindra l’alliance de Dieu et entrera en rébellion contre le pacte de son Apôtre,
et Dieu le comptera parmi les imposteurs.
Si les chrétiens viennent à avoir besoin de secours et de l’appui des musulmans pour réparer leurs
églises et leurs couvents, ou bien pour arranger leurs affaires et les choses de leur religion, ceux-ci
devront les aider et les soutenir. Mais ils ne doivent pas faire cela dans le but d’en recevoir
rétribution, mais par aide charitable pour restaurer cette religion, par fidélité au pacte de l’envoyé de
Dieu, par pure donation, et comme acte méritoire devant Dieu et son apôtre.
Les musulmans ne pourront pas dans la guerre entre eux et leurs ennemis se servir de quelqu’un des
chrétiens pour l’envoyer comme messager, ou éclaireur, ou guide, ou espion, ou bien l’employer a
d’autre besognes de guerre. Quiconque fera cela a l’un d’eux, lésera les droits de Dieu, sera rebelle
a son Apôtre, et se mettra en dehors de son alliance. Et rien n’est permis à un musulman (vis-à-vis
les chrétiens) en dehors de l’obéissance a ces prescriptions que Mohammed ben ‘Abdi Allah, apôtre
de Dieu, a édictées en faveur de la religion des chrétiens.

108
Je leur fais aussi des conditions et j’exige d’eux la promesse de les accomplir et d’y satisfaire
comme le leur ordonne leur religion. Entre autres choses, qu’aucun d’eux ne soit éclaireur ou
espion, ni secrètement ni ouvertement, au profit d’un ennemi de guerre, contre un musulman. Que
personne d’entre eux ne loge les ennemis des musulmans dans sa maison, d’où ils pourraient
attendre l’occasion de s’élancer à l’attaque. Que ces ennemis ne fassent point halte dans leurs
régions, ni dans leurs villages ni dans leurs oratoires, ni dans quelque lieu appartenant à leurs
coreligionnaires. Qu’ils ne prêtent point appui aux ennemis de guerre contre les musulmans, en leur
fournissant des armes, ou des chevaux ou des hommes ou quoi que ce soit, ou en leur donnant de
bons traitements. Ils doivent héberger trois jours et trois nuits ceux des musulmans qui font halte
chez eux, avec leurs bêtes, et leur offrir partout où ils se trouvent et partout où ils vont la même
nourriture dont ils vivent eux-mêmes, sans toutefois être obliges de supporter d’autres charges
gênantes et onéreuses.
S’il arrive qu’un musulman ait besoin de se cacher dans leurs demeures, ou dans leurs oratoires, ils
doivent lui donner l’hospitalité, lui prête appui, et lui fournir de leur nourriture tout le temps qu’il
sera chez eux, s’efforçant de le tenir cache, de ne point permettre à l’ennemi de le découvrir, et
pourvoyant a tous ses besoins.
Quiconque transgressera une des ordonnances de cet édit, ou l’altérera, se mettra en dehors de
l’alliance de Dieu et de son Envoyé.
Que chacun observe les traités et les alliances qui ont été contractés avec les moines, et que j’ai
contractée moi-même, et tout engagement que chaque prophète a contracte avec sa nation, pour leur
assurer la sauvegarde et la fidèle protection, et pour leur servir de garantie.
Jusqu’à l’heure de la Résurrection cela ne doit être ni viole ni altère, s’il plait Dieu.
Cet écrit de Mohammad ben ‘Abd Allah qui porte le traité conclu entre lui et les chrétiens avec les
conditions imposés à ces derniers a été attesté par:
‘Atiq ben Abi Qohafa Talha ben ‘Obeid Allah ‘Abd Allah ben ‘Amr ben el-‘As

‘Omar ben el-Khattab Sa‘d ben Mo‘adh Abou Hodheifa

‘Othman ben ‘Affan Sa‘d ben ‘Obada Khawat ben Jobeir

‘Ali ben Abi Talib Thamama ben Qeis Hašim ben ‘Otba

Abou dh-Dharr Zeid ben Thabit et son fils ‘Abd Allah ‘Abd Allah ben Hafaf

Abou d-Darda Horqous ben Zoheir Ka ‘b ben Malik

Abou Horeira Zeid ben Arqam Hassan ben Thabit

‘Abd Allah ben Mas’soud Ousama ben Zeid Ja‘far ben Abi Talib

El-‘Abbas ben ‘Abd el-Mottalib ‘Omar ben Mazh‘oun à écrit aussi Mo’awia ben Abi Sofian

El-Fadl ben el-‘Abbas Mos‘ab ben ez-Zobeir

Ez-Zobeir ben el-‘Awwam Abou l-Ghalia

109
Annexe 2

Pacte du mont Sinaï

110
Le Pacte du prophète avec les moines de Mont Sinaï

Ceci est un message de Muhammed ibn Abdoullah, constituant une alliance avec ceux dont la
religion est le christianisme ; que nous soyons proches ou éloignés, nous sommes avec eux. Moi-
même, les auxiliaires [de Médine] et mes fidèles, nous nous portons à leur défense, car les chrétiens
sont mes citoyens. Et par Dieu, je résisterai contre quoi que ce soit qui les contrarie. Nulle
contrainte sur eux, à aucun moment. Leurs juges ne seront point démis de leurs fonctions ni leurs
moines expulsés de leurs monastères. Nul ne doit jamais détruire un édifice religieux leur
appartenant ni l’endommager ni en voler quoi que ce soit pour ensuite l’apporter chez les
musulmans. Quiconque en vole quoi que ce soit viole l’alliance de Dieu et désobéit à Son prophète.
En vérité, les chrétiens sont mes alliés et sont assurés de mon soutien contre tout ce qui les
indispose. Nul ne doit les forcer à voyager ou à se battre contre leur gré. Les musulmans doivent se
battre pour eux si besoin est. Si une femme chrétienne est mariée à un musulman, ce mariage ne
doit pas avoir lieu sans son approbation. Une fois mariée, nul ne doit l’empêcher d’aller prier à
l’église. Leurs églises sont sous la protection des musulmans. Nul ne doit les empêcher de les
réparer ou de les rénover, et le caractère sacré de leur alliance ne doit être violé en aucun cas. Nul
musulman ne doit violer cette alliance jusqu’au Jour du Jugement Dernier (fin du monde).

111
Annexe 3

Le témoignage chrétien dans un monde


multi-religieux :
recommandations de conduite

112
CONSEIL PONTIFICAL POUR LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX

LE TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN DANS UN MONDE MULTI-RELIGIEUX :


RECOMMANDATIONS DE CONDUITE

PRÉAMBULE
La mission appartient à la nature même de l’Église. Annoncer la Parole de Dieu et en témoigner
dans le monde sont essentiels pour chaque chrétien. En même temps, il est nécessaire de le faire en
accord avec les principes de l’Évangile, avec un plein respect et un amour pour tous les êtres
humains.
Conscients des tensions entre les personnes et les communautés de différentes convictions
religieuses ainsi que des diverses interprétations du témoignage chrétien, le Conseil Pontifical pour
le Dialogue interreligieux (CPDI), le Conseil Œcuménique des Églises (COE) et, à l’invitation du
COE, l’Alliance Evangélique mondiale (World Evangelical Alliance,WEA), se sont rencontrés
pendant 5 ans pour réfléchir et produire ce document afin qu’il serve comme un ensemble de
recommandations pour guider le témoignage chrétien dans le monde. Ce document n’entend pas
être une déclaration théologique sur la mission mais il s’attache à aborder les questions pratiques
liées au témoignage chrétien dans un monde multi-religieux.
Le but de ce document est d'encourager les Églises, les Conseils des Églises et les organismes
missionnaires à réfléchir à leurs pratiques actuelles et à utiliser les recommandations de ce
document afin de préparer, là où cela s’avère utile, leurs propres directives sur le témoignage et la
mission auprès des membres des différentes religions et auprès de ceux qui ne professent aucune
religion particulière. Nous espérons que les chrétiens de par le monde étudieront ce document à la
lumière de leurs propres pratiques de témoignage de leur foi au Christ, en paroles et en actes.

UNE BASE POUR LE TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN


1. Pour les chrétiens, c’est un privilège et une joie que de rendre compte de l'espérance qui est en
eux et de le faire avec courtoisie et respect (cf. 1 P. 3-15).
2. Jésus-Christ est le témoin suprême (cf. Jean 18, 37). Le témoignage chrétien est toujours un
partage de Son témoignage, qui prend la forme de l’annonce du Royaume, du service du prochain et
du don total de soi, même si cela doit conduire à la croix. Comme le Père a envoyé le Fils dans la
puissance de l’Esprit Saint ainsi, ceux qui croient, sont envoyés en mission afin de témoigner en
paroles et en actes de l'amour du Dieu-Trinité.
3. L'exemple et l'enseignement de Jésus-Christ et de la primitive Église doivent servir de guide à la
mission chrétienne. Pendant deux millénaires, les chrétiens ont cherché à suivre le chemin du Christ
en partageant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu (cf. Luc 4, 16-20).

113
4. Le témoignage chrétien dans un monde pluraliste inclut l’engagement dans le dialogue avec des
personnes de différentes religions et cultures (cf. Actes 17, 22-28).
5. Si dans certains contextes, vivre et annoncer l’Évangile est difficile, entravé voire même interdit,
les chrétiens demeurent chargés par le Christ de Lui rendre témoignage, fidèles et solidaires entre
eux (cf. Matt. 28,19-20 ; Mc 16, 14-18 ; Lc 24, 44-48 ; Jn 20, 21 ; Actes 1, 8).
6. Si des chrétiens s'engagent dans des manières de vivre la mission en ayant recours à des
méthodes inadéquates, en utilisant la supercherie et des moyens coercitifs, ils trahissent l'Évangile
et peuvent causer des souffrances aux autres. De tels manquements appellent au repentir et nous
rappellent le besoin que nous avons de la grâce permanente de Dieu (cf. Rm 3, 23).
7. Les chrétiens affirment que si leur responsabilité est d'être témoin du Christ, la conversion est en
dernier ressort l’œuvre de l’Esprit-Saint (cf. Jn 16, 7-9 ; Actes 10, 44-47). Ils reconnaissent que
l’Esprit souffle où il veut de telle sorte qu’aucun être humain ne le contrôle (cf. Jn 3, 8).

PRINCIPES
Les chrétiens sont appelés à adhérer aux principes suivants puisqu’ils cherchent à accomplir, de
façon appropriée, en particulier dans des contextes interreligieux, le mandat reçu du Christ lui-
même:
1. Agir dans l'amour de Dieu. Les chrétiens croient que Dieu est la source de tout amour et, en
conséquence, dans leur témoignage ils sont appelés à vivre des vies marqués par l’amour et à aimer
leur prochain comme eux- mêmes (cf. Matt. 22, 34-40 ; Jn 14,15).
2. Imiter Jésus-Christ. Dans tous les aspects de la vie, et particulièrement dans leur témoignage, les
chrétiens sont appelés à suivre l'exemple et les enseignements de Jésus-Christ, partageant son
amour, rendant gloire et honneur à Dieu le Père dans la puissance de l’Esprit Saint (cf. Jn 20, 21-
23).
3. Vertus chrétiennes. Les chrétiens sont appelés à se conduire avec intégrité, charité, compassion
et humilité, et à vaincre toute arrogance, condescendance et dénigrement (cf. Gal 5, 22).
4. Actes de service et de justice. Les chrétiens sont appelés à pratiquer la justice et aimer avec
tendresse (cf. Michée. 6, 8). Ils sont en outre appelés à servir les autres et à reconnaître ainsi le
Christ dans les plus petits de leurs frères et sœurs (cf. Matt. 25, 45). Les actes de service tels que
l'éducation, les soins de santé, le secours et les actes de justice et de plaidoyer sont partie intégrale
du témoignage de l'Évangile. L'exploitation des situations de pauvreté et de nécessité n'a aucune
place dans l’horizon chrétien. Les chrétiens devraient dénoncer et s'abstenir d’offrir toutes formes
d'artifices, y compris des incitations et des récompenses financières, dans leurs actes de service.
5. Discernement dans le ministère de guérison. En tant que partie intégrante de leur témoignage
rendu à l'Évangile, les chrétiens exercent des ministères de guérison. Ils son appelés à exercer un
discernement lorsqu'ils effectuent ces ministères, dans le respect absolu de la dignité humaine,
s'assurant que la vulnérabilité des personnes et leur besoin de guérison ne sont pas exploités.
6. Rejet de la violence. Les chrétiens sont appelés à rejeter toutes formes de violence, y compris

114
psychologique ou sociale, et tout abus de pouvoir dans leur témoignage. Ils rejettent également la
violence, la discrimination injuste ou la répression par n'importe quelle autorité religieuse ou
séculière, y compris la violation ou la destruction des lieux de culte, des symboles sacrés ou des
textes.
7. Liberté religieuse et croyance. La liberté religieuse comprenant le droit de professer
publiquement, de pratiquer, de propager sa religion et d’en changer découle de la dignité même de
la personne humaine qui est fondée dans la création de tous les êtres humains à l'image et
ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). Ainsi, tous les êtres humains sont égaux en droits et en
responsabilités. Là où une religion quelle qu’elle soit est manipulée à des fins politiques, ou dans le
cas de persécution religieuse, les chrétiens sont appelés à s'engager dans un témoignage prophétique
en dénonçant de telles actions.
8. Respect et solidarité mutuels. Les chrétiens sont appelés à s’engager à œuvrer auprès de tous les
hommes en faveur du respect mutuel, de la promotion de la justice, de la paix et du bien commun.
La coopération interreligieuse est une dimension essentielle d'un tel engagement.
9. Respect pour toute personne. Les chrétiens reconnaissent que l'Évangile à la fois interpelle et
enrichit les cultures. Même lorsque l'Évangile met en cause certains aspects des cultures, les
chrétiens sont appelés à respecter toutes les personnes. Les chrétiens sont appelés également à
discerner les éléments de leurs propres cultures mis en cause par l’Évangile.
10. Renoncer au faux témoignage. Les chrétiens doivent s’exprimer avec sincérité et respect ; ils
doivent écouter afin d'apprendre et comprendre les croyances et les pratiques des autres; ils sont
encouragés à reconnaître et à apprécier ce qui est vrai et bon en elles. Tout commentaire ou
approche critique devrait avoir lieu dans un esprit de respect mutuel, en veillant à ne pas rendre de
faux témoignage à propos des autres religions.
11. Garantir le discernement personnel. Les chrétiens doivent reconnaître que tout changement de
religion est un pas décisif qui doit être accompagné d’un temps suffisant pour y réfléchir et s’y
préparer de manière ajustée, dans un parcours qui garantisse la pleine liberté individuelle.
12. Construire des relations interreligieuses. Les chrétiens devraient continuer à construire des
relations de respect et de confiance avec les personnes de différentes religions de manière à faciliter
compréhension mutuelle plus profonde, réconciliation et coopération au bien commun.

115
RECOMMANDATIONS
La troisième consultation organisée par le Conseil Œcuménique des Eglises et le CPDI du Saint-
Siège, en collaboration avec l’Alliance Evangélique Mondiale et avec la participation des plus
importantes familles de la foi chrétienne (catholique, orthodoxe, protestante, évangélique et
pentecôtiste), a travaillé dans un esprit de coopération œcuménique pour préparer ce document à
l’attention des Églises, des organismes confessionnels nationaux et régionaux et des organisations
missionnaires, tout particulièrement ceux et celles qui œuvrent dans des contextes interreligieux, et
recommande que ces organismes/organisations :
1. Étudient les questions présentées dans ce document et, là où cela s’avère utile, formulent des
indications (guide lines) pour la conduite à suivre concernant le témoignage chrétien, applicables
dans leurs contextes particuliers. Dans la mesure du possible, ceci devrait se faire de manière
œcuménique et en consultation avec des représentants d'autres religions.
2. Construisent des rapports de respect et de confiance avec les personnes de toutes les religions, en
particulier aux niveaux institutionnels entre Eglises et autres communautés religieuses, s'engageant
dans un dialogue interreligieux continu comme faisant partie de leur engagement chrétien. Dans
certains contextes, là où des années de tension et de conflit ont engendré des méfiances profondes et
des ruptures de confiance à l’intérieur et entre les communautés, le dialogue interreligieux peut
offrir de nouvelles occasions pour résoudre des conflits, restaurer la justice, guérir les mémoires,
réconcilier et construire la paix.
3. Encouragent les chrétiens à renforcer leur propre identité et foi religieuses, tout en
approfondissant leur connaissance et leur compréhension des différentes religions, et de le faire en
prenant aussi en considération les perspectives de ceux qui adhérent à ces religions. Les chrétiens
devraient éviter de mal présenter les croyances et les pratiques des personnes des différentes
religions.
4. Coopèrent avec les autres communautés religieuses en s'engageant dans le plaidoyer
interreligieux en faveur de la justice et du bien commun et, dans la mesure du possible, en adoptant
ensemble une attitude de solidarité à l’égard des personnes qui sont dans des situations de conflit.
5. En appellent à leurs gouvernements pour s'assurer que la liberté religieuse est correctement et
largement respectée, reconnaissant que dans de nombreux pays les institutions religieuses et les
personnes sont empêchés d'exercer leur mission.
6. Prient pour leurs voisins et leur bien-être, reconnaissant que la prière est partie intégrante de ce
que nous sommes et de ce que nous faisons, comme elle l’est de la mission du Christ.

116
Appendice

Quelque aspect
de la
spiritualité musulmane

117
Introduction
Le sujet de la spiritualité est un aspect qui pendant mes études sur l'islam et sur les relations
interpersonnelles m'a toujours interpellé, car j'ai pu remarquer que la « personnalité » de chacun se
façonne d'après ce que l'on cultive dans l'esprit de manière privée et personnelle. Je crois qu'on
pourrait définir la spiritualité comme une relation, ou bien une conception de soi-même par rapport
à Dieu et aux autres , qui, souvent, dépasse le poids des connaissances juridiques, dogmatiques et
historiques de la religion et de la foi. Cette définition correspond à ce que j'ai compris et que j'ai pu
constater à travers le travail qui suit. Elle n'est pas trop lointaine de la définition de Balthasar qu'on
retrouve dans un livre spécialisè356 « C'est l'attitude foncière, pratique ou existentielle, qui est la
conséquence et l'expression de la conception qu'un homme se fait de son existence religieuse – ou
plus généralement de son engagement éthique : une détermination active et habituelle de sa vie à
partir de ses intuitions objectives et de ses décisions ultimes ».
Comme prêtre catholique engagé dans le dialogue islamo-chrétien, au fur et à mesure que j'avançais
dans la connaissance de l'Islam, je me suis posé la question de la manière dont la foi est conçue par
le croyant, qu'en changeant le point de regard, on change aussi la façon de se poser des questions :
non plus ce qu'est l'islam (qu'on peut étudier par ses dogmes et enseignements), mais qui est le
croyant, comment il comprend la foi et cherche à la vivre. C'est à partir d'ici que la « spiritualité »
de chacun m'a intéressée et interpellée. La foi devient ainsi ce qui façonne l'homme, et merveille
des merveilles : tout homme est différent, à tel point que même s'il partage la même foi, cela ne
signifie pas qu'il partage la même spiritualité. Pour un prêtre, qui cherche à comprendre comment
bâtir des ponts pour rejoindre l'autre, afin de construire la paix et une vie d'après le « rêve » de
Dieu, tout cela est magnifique !
La spiritualité est tellement variée qu'elle fait que chacun a une personnalité singulière, car la
relation avec Dieu est ainsi ; on peut de toutes façons avoir de points communs qui rassemblent les
hommes sous une même étoile, et cela, je pense, est le travail de l’anthropologie : observer, décrire,
rassembler, présenter et interpréter les données. Cette discipline n’enlève rien à l’originalité d’être
de chacun, en revanche elle a le prestige de souligner des éléments qui contribue à une façon de
vivre et de se comporter, qui révèle, timidement, les espoirs, les désirs, les perspectives, bref le
monde intérieur et personnel qui sans cesse modèle et structure la personne humaine. Ces éléments
deviennent très intéressants pour un service comme celui du dialogue interreligieux, qui, en
respectant l'intériorité personnelle de chacun, doit être capable de proposer des « lieux » communs
pour la rencontre et des « chemins » parcourables par tous.

356 Aimé Solignac, spiritualitè, en Dictionnaire de Spiritualité, tome 15, ed. Beauchesne, 1989, col. 1142 - 1160

118
L'importance de la spiritualité
La spiritualité est sûrement un monde très vaste, dans lequel on peut se perdre, tant il est riche de sa
capacité à assimiler et associer des éléments les plus différents, parfois sans les confondre, et
d'autres fois en les fusionnant ensemble harmonieusement. Toute cette richesse de points de repères
qui interrogent et habitent constamment l'esprit humain, modèlent peu à peu l’identité de chacun : la
volonté, les motivations, les attitudes, les intérêts, en qualifiant l'esprit et donc par conséquence la
façon de vivre, de penser, de croire, d'agir, de s’habiller, de se déplacer, d’exister !
Pendant ma recherche, j'ai pu noter comment des éléments dans la spiritualité d'un musulman
ressemblent à celle d'un chrétien ; d'autres prennent de la distance pour souligner un identité
différente et une volonté d’être différent face l'autre, des éléments qui relèvent le désir d'appartenir à
une même communauté, mais en même temps d'avoir une relation personnelle et irrépétible avec le
Divin !

Dans ce travail je présenterai ces éléments qui « dans le secret » soutiennent la vie et l’être de
certains croyants musulmans et qui influencent leur manière de vivre et de percevoir l'espace et le
temps, mais surtout soi-même et les relations avec l'autre.

119
Méthode utilisée

Le travail qui est présenté dans cette recherche est le fruit d'une enquête qui a été menée par
un questionnaire qui traite de la spiritualité musulmane. J'ai pu conduire cette enquête grâce
aux amitiés qui me lient avec des musulmans et qui ont permis une certaine confiance et
fiabilité.
J'ai suivi des cours de théologie musulmane sunnite 357 dans une école privée musulmane, qui
a pour objectif de former les futurs musulmans sunnites de France et d'Europe. Je suis
actuellement l'unique non-musulman présent dans cette école, au milieu de près de deux
mille musulmans, des jeunes pour la plupart qui désirent comprendre mieux leur religion.
Parmi ces jeunes une grande partie (je crois autour de 80 %) sont des femmes, de jeunes
filles de 18-30 ans, qui désirent vivre plus à fond leur foi, pour la transmettre ensuite à leurs
enfants ; certaines espèrent travailler comme aumônières dans les hôpitaux, les écoles ou les
prisons.
Pendant l’étude de la charia comparée358 et de la théologie musulmane, j'ai approfondi la
connaissance des informations sur l'islam, mais cela ne répondait pas aux questions que je
me posais sur la raison de croire d'un musulman et ce qui fait qu'il reste musulman !
C'est ainsi que j'ai commencé à poser des questions un peu plus « personnelles » à mes
compagnons sur leur manière de vivre leur foi. En trouvant des réponses intéressantes, je me
suis proposé de travailler à plus grand niveau et plus sérieusement sur ce thème. J'avais
souhaité interviewer mes amis d’étude, mais le manque de temps m'a obligé à préparer un
questionnaire à leur soumettre.
Le questionnaire, en revanche, m'a permis de rejoindre aussi quelques musulmans qui ne
fréquentent pas cette école et qui vivent dans un contexte différent, cela a enrichit les
données de ma petite enquête et étude. J'ai classé les questions sur des points clés par
rapport à la spiritualité : la prière et la façon de prier et la relation avec l'invisible.

Le questionnaire est formé par des questions ouvertes sur des points de la spiritualité, le
délai pour répondre a été de 10 jours. Sept sujets ont envoyé les réponses par émail, deux
ont remis le questionnaire et une a préféré être interviewée. Tous ont répondu d'un ton
amical.
J'ai donné une douzaine de questionnaires à travailler, dont 10 me sont parvenus, pour la
grande partie à travers l’émail, cela souligne la disponibilité à s'engager dans les questions

357 L'islam est divisé en différents branches, mais pour simplifier nous rappelons les trois plus importantes sans aller
dans les détails : sunnites (plus de 80 % des musulmans) chiites (moins du 20 % des musulmans) et kharidjites
(quelques 2/4 % des musulmans).
358 Avec l'expression « charia comparé », on indique l’étude de la charia – la loi islamique de origine divine – qui
prend en considération les avis des quatre écoles juridiques (Malikites, Schafeite, Hanafite, Hanbalites) et des autres
avis des savants musulmans.

120
et l'aspect assez amical et confidentiel que les personnes m'ont témoigné. Sur les 10
personnes qui ont répondus 8 sont de sexe féminin ; dans le groupe qui a participé à
l’enquête deux sujets suivent une école soufie359,
Pour rendre ce travail plus vivant, je recopierai souvent quelques exemples de réponse et je
distinguerai les auteurs différents par un '';'' (point et virgule)
Dans ce travail je commencerai à rapporter les résultats en suivant un ordre
« hiérarchique », où on considère d'abord l'homme (l'esprit humain) face à Dieu, en suite
aux anges et aux djinns et à l'importance des pratiques et les dévotions cultuelles : le dikrh
(le tasbih ; les invocations ou intercalaires). Je considérerai la relation du croyant avec le
prophète de l'Islam. Je continuerai avec les prières d’invocations et je terminerai avec la
perception du divin dans la quotidienneté. Dans la présentation de données, je donnerai au
commencement une « définition » de l'aspect présenté, de la manière dont la théologie
musulmane et la spiritualité officielle360 le présente ou l'entend.

359 Le soufisme est une branche de l'islam qui utilise des pratiques spirituelles assez élaborées et de manière fréquente
pour rejoindre l'union avec Dieu à travers le maître spirituel qu'on a choisi.
360 Je profite des enseignements en théologie musulmane que j'ai reçu. Cela sera d'autant plus intéressant que 5 sujets
qui ont participé au questionnaire on eu la même formation que moi, je rendrai compte de cela à fur et à mesure de
la présentation des donnés.

121
Donnée du travail

Éléments généraux

Je commence par les réponses des généralités, car cela offre des points de réflexion et
d’intérêt anthropologique par rapport à l’identité et à la relation entre foi et spiritualité.

À la question ouverte où indiquer le “Pays d’origine” on a eu des réponses intéressantes, en


effet sauf une personne qui n'a pas répondu aux questions généraux de présentation, et deux
interviews qui sont vraiment nés et ils ont vécus les premières années de leur vie dans le
Pays (non-français) indiqué, les autres ont tous répondus en indiquant le Pays d'origine des
parents ou des grands-parents, néanmoins qui sont tous né en France et ils ont grandi en
France. Une personne seulement a indiqué trois pays différents, peut-être elle a voulu
indiquer les pays d'origine de ses grands-parents et le sien. Vivre authentiquement la foi est,
donc ou peut-être, une question lié à la culture, à des traditions à un paysage particulier ; la
conscience de l’identité du croyant est-elle la même de l’identité citoyenne ou il y a une
double identité qui se crée dans l'homme ?. Il serait curieux comparer ces réponses avec un
questionnaire différent, par exemple une demande de travail ou une inscription à un cours
universitaire d’État. Malheureusement, je n'ai pas ces donnés pour vérifier si la réponse
donnée à mon questionnaire était influencée par le fait qu'il s'agissait d'une enquête sur la
spiritualité religieuse, et donc d'une identité bien précise et qui a comme référence des
“lieux” autres, peut-être considérés moins laïques, voir plus croyants. Je crois que à ce
niveau il y a des aspects sur l’identité à approfondir, comment le croyant qui professe la foi
des parents (en restant dans la tradition de sa famille) se considère par rapport au lieu où il
est né, il vit et il pense son avenir, lorsque la religion à laquelle il adhère est considéré
étrangère aux traditions nationales par la société et les médias. Cela, je crois pourrais être un
champs de recherche très intéressant, mais auquel je n'ai pas de donnés pour continuer cette
recherche, néanmoins que ces résultats pourraient enrichir ce travail.

122
Un autre question dans les généralités demandait “l’école juridique” que les interviewes
suivent normalement. Cette question considérait que les participants au questionnaire
connaissaient l'existence dans leur religion des quatre (au moins) écoles juridiques qui
règlent leur façon de prier et d'agir (manger, habiller, comportement, …). Avec grand surpris
une seule personne à répondu en indiquant l’école juridique qui suit, tous les autres on
manifesté leur “ignorance” sur ce point, deux personnes ont répondu qu'elles suivent un peu
les quatre jurisprudences. Mais, cette réponse indique simplement qu’ils viennent
d’apprendre (par les études en théologie qui sont en train de suivre) qu’il y a des différences
entre une école et l'autre, et qu’ils ont découvert que parfois font dans une manière et une
autre fois d'une autre.
En effet, pour suivre un peu les quatre écoles il faut connaître les avis différents par rapport
aux problématiques, et en étant des étudiants, ils sont simplement en train de apprendre
quelques possibilités de réponse 361. Cet élément est, de toute façon très intéressant, car il
révèle comment le croyant agit d'après l'habitude et la tradition de ceux qui l'ont instruit
dans la croyance, et comme je le démontrerais à fin de ce travail, la spiritualité dépasse la loi
et les prescriptions juridiques. Un lien délicat, mystérieux et surnaturel se forme au fur et à
mesure que le croyant se pose de question sur Dieu et sur sa vie. Une amitié toujours plus
forte se crée en relation avec le divin, une familiarité qui porte à “aimer” en dépassant
l'observance de la jurisprudence. On pourrait bien comprendre 'Ali at-Tirmidhi lorsque il
explique « les deux sortes d'awliya : le wali selon le sidq Allah (justice ou loi de Dieu) et le
wali selon minnah, l'action de grâce. E premier observe scrupuleusement et laborieusement
la Loi révélée, ce que lui permet d'échapper à la damnation et d'avoir une place au paradis.
Le second ne désire que Dieu. Il pratique, certes, les obligations de la Loi, mais il est libre
et, dès cette vie, transcende sa condition individuelle, […] c'est à son propos que Tirmidhi
commente le célèbre hadith selon lequel Dieu devient la vue, l’ouïe, la main, le cœur de
ceux qu'il aime et qui se sont rapprochés de Lui.362 »

361 Pour devenir des savants en droit islamique il faut plusieurs années des études, et maîtriser le fiqh et autres sciences
islamiques. Un spécialiste de fiqh comparée, d'habitude il est lui-même penchent pour une école bien précise.
362 Marijan Molé, Les mystiques musulmans, ed. Presses universitaires de France, 1965, p.16

123
La spiritualité est un aspect qui intéresse la relation humaine avec la divinité, le concept de
relation doit être considéré au sens large dans la mesure où il engage l’imaginaire, le désir,
l'espoir, l'affection, la rigueur, la crainte, l'incertitude, les convictions, et tout ce qu'on peut
dire ou penser du monde invisible, ceci bien entendu lorsqu'on croit dans un monde
invisible et dans des êtres invisibles !

Dieu
Dans l’étude de la foi musulmane, Allah est défini uniquement par ses noms et attributs 363 :
le plus grand (al-Akbar), l'Unique (al-Wahid), l'omniscient (al-'Alim), le glorieux (al-
Madjid), le miséricordieux (ar-Rahman) le Tout-Puissant (al-'Aziz), le Créateur (al-Bari'), …
et ainsi de suite ! Traditionnellement ce sont 99 noms qui définissent Dieu364, mais les
savants (les théologiens musulmans) disent qu'il y a en réalité plus de 120 noms 365.
Ensuite, Dieu est présenté comme le Tout-Autre auquel on ne peut pas rassembler ; toutes
créatures (homme et djinns) sont appelées de toutes façons à se rapprocher de Dieu et à
l'adorer, ceci est le but de l’humanité 366 comme le soutient le Coran aussi « Je n’ai créé les
djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent. » (Ad-Dariyat 51:56).

Dans mon enquête à la question « que pensez vous de Dieu ? »367, des réponses intéressantes
sont apparues : trois sujets ont répondu en définissant Dieu d’après une définition du manuel
en disant : Dieu est l'Unique, le Plus Grand, le Miséricordieux, le Tout-Puissant,
l'Omniscient, notre Créateur. Dans 4 cas Dieu est présenté avec des termes amicaux et
amoureux «Il est le meilleur des amis ; il est un être rempli d'amour et qui regarde ses
créatures avec beaucoup d'affection ; Il m'aime plus que toute autres créatures qui peut
exister ; Tout est grâce à Dieu ! » ; dans les deux autres réponses, on prend de la distance de
Dieu, en effet l'ami soufi considère Dieu comme « trop » pour parler ou seulement penser à
Lui « je parlerai difficilement de Dieu dans mon quotidien, je pense plus à une relation de
soi à soi, c'est là que Dieu se trouve vraiment. ».
Une autre jeune sujet est à la recherche d'un contact avec Lui , sa réponse m'a touché
particulièrement et je la rapporte par entier « Je n'ai ni la prétention ni la connaissance pour
dire qu'il s’intéresse à mon passé ou à mon futur d'autant plus que je ne suis pas la plus
pieuse du troupeau. Mais, par moment j'ai vraiment l'impression qu'il m’envoie des signes.
On peut appeler cela une « coïncidence », mais j'ai la ferme conviction que ce n'est pas un
hasard. ». Dans cette déclaration on peut bien comprendre qu'une «spiritualité

363 Malek Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, ed. Albin Michel, Paris, 1995. p. 30 « Allah »
364 Il s'agit du hadith rapporté par al Boukhari et Muslim « Abu Hurayra rapporte que le Prophète a dit : 'Allah a quatre
vingt dix neufs noms, cent moins un. Quiconque les apprend entrera au Paradis..' » et la liste est rapporté dans la
version du hadith rapporté par at-Tirmidhi.
365 Abdelmadjid Ihaddadene, Les six piliers de la foi, ed. Le relais, Paris, 2015. p. 40-45
366 Abdelmadjid Ihaddadene, Le manuel du musulman, I.E.S.H., Paris,2014. p. 79
367 (A fin de ce travail, en annexe, est rapporté le questionnaire vierge proposé pour l’enquête, avec les questions dans
leur totalité

124
personnalisée » est en train de se former !. En revenant sur l'ensemble des réponses, tous ont
affirmé qu’ils sont convaincus que Dieu s’intéresse à eux avec amour et une attention
« minutieuse » à conduire la vie de chacun vers lui, mais en même temps à supporter le mal
et les péchés ; parfois cet intérêt de Dieu sur « ce qu'on fait et on dit » est mélangé à une
crainte et à la perception que Dieu nous contrôle, ou bien en certain cas qu'Il soit avec
nous368 « Il est au courant de tout, il connaît tout ; je pense qu'il observe avec attention
chacun de mes faits et gestes, car Il souhaite me voir parmi ses rapprochés ; on craint notre
Créateur ! Allah intervient dans notre vie »

Les récompenses (hassanaths)


Lié à la conception de Dieu il y a aussi la question très importante dans la foi islamique des
récompenses (ou hassanaths). Difficilement on peut trouver dans un livre de foi musulmane
un chapitre ou un paragraphe qui puisse expliquer ce que sont les récompenses, et pourquoi
on a besoin de ces dernières pour gagner le paradis. Personnellement, j'ai appris l'existence
et l'importance des hassanaths en restant avec mes amis musulmans, lesquels donnent une
grande attention à cet aspect de la foi qui modèle en profondeur la spiritualité du croyant.
Dans la foi chrétienne, on peut les assimiler aux « petits fleurs » des actions, des
renoncements, des bonnes paroles qui aident à être meilleur. Mais, dans la foi musulmane,
cela a un poids beaucoup plus important, car ces gestes, souffrances, paroles, attitudes, n'ont
pas seulement la fonction de « transformer quelqu'un en un être meilleur », mais celle de
gagner le Paradis !
Au Jour Dernier il y aura des anges qui pèseront les actions de chaque homme; lorsque les
bonnes seront plus lourdes, alors le paradis sera gagné, inversement, on aura perdu la
possibilité d’être parmi les gens du bien369. Cela est rapporte par le Coran « 8.Et la pesée, ce
jour-là, sera équitable. Donc, celui dont les bonnes actions pèseront lourd...Voilà ceux qui
réussiront! 9.Et quand à celui dont les bonnes actions pèseront léger...Voilà ceux qui auront
causé la perte de leurs âmes parce qu'ils étaient injustes envers Nos enseignements.
10.
Certes, Nous vous avons donné du pouvoir sur terre et Nous vous y avons assigné
subsistance. (Mais) vous êtes très peu reconnaissants! » (Al-Araf n°7:8-10) et aussi « 47Au
Jour de la Résurrection, Nous placerons les balances exactes. Nulle âme ne sera lésée en
rien, fût-ce du poids d'un grain de moutarde que Nous ferons venir. Nous suffisons
largement pour dresser les comptes. » (Al-Anbya n°21:47) et encore « 102Ceux dont la
balance est lourde seront les bienheureux » (Al-Muminune n°23:102) « 101quant à celui
dont la balance sera lourde » (Al-Qariah n°101:6).

Les récompenses sont strictement liées aux intentions qu'on a, car l'intention se transformera

368 Il y a dans ce cas une résonance avec le Dieu-Emmanuel chrétien ; nous revenons plus bas sur ce point.
369 Abdelmadjid Ihaddadene, Les six piliers de la foi, ed. Le relais, Paris, 2015. p. 121 et aussi : Abu Hamid Al-
Ghazali, La vie après la mort en Islam, ed. Albouraq, 2009. p. 97-99. et encore : Soubhi El-Saleh, La vie future
selon le Coran, ed. J.Vrin, Paris, 1986.

125
en acte, et donc l'acte révèle l'intention et ce qu'il y a dans le cœur 370. Ces considérations
ouvrent la porte à la complexité de la spiritualité, puisque l'intention doit être guidée et
suggérée par un cœur pur et une âme saine ; tout cela exige un travail sur soi-même très
exigeant et constant, afin d’éviter les maladies du cœur et chercher améliorer les moyennes
qui rendent fortes et solides les bonnes qualités du cœur et donc de l’âme 371.

Les réponses obtenues par rapport à l'incidence des récompenses dans le quotidien ont été
assez uniformes. À part trois sujets (les deux soufis et une fille de dix-huit ans) qui vivent
sans soucis ou attention particulière à cet aspect, tous les autres ont donné une très grande
importance aux récompenses, en détaillant qu'on cherche à en gagner le plus possible dans
toutes occasions, car elles ne sont jamais assez, et que, pour ce faire, on essaie de suivre la
sunna du prophète.
En posant une question similaire dans un autre moment du questionnaire, je demandais
« quelles attitudes spirituelles on essaye d'avoir et pourquoi et avec qui ». La question peut
apparaître en premier temps différente, mais elle se rejoint très strictement à celle de gagner
des hassanaths, car les hassanaths sont acquis avec des attitudes, des comportements, des
pensés et des paroles que la personne accompli et que, en l'accomplissant, il modèle son
propre esprit. A cette question, tous ont répondu en suivant la logique des récompenses ; les
attitudes les plus communes sont : être serein, bien disponible et de bonne compagnie avec
les autres, on cherche à nous rappeler Dieu car il peut nous voir, et il faut gagner le paradis.
Pour deux jeunes sujets, une bonne attitude est nécessaire afin d’être en bonnes relations
avec les autres et rester en paix avec soi-même.
Dans la gestion de ces attitudes par rapport aux autres, les sujets ont dit qu'ils changent leur
manière d’être par rapport à ce qu'ils ont en face : en se forçant d’être (apparaître)
meilleures avec des étrangers et avec les non-musulmans, et restant « soi-même » dans la
famille où ils sont moins engagés à avoir une attitude “appropriée”« oui il faut s'adapter à
la personne que l'on à en face de nous si on veut lui faire le rappel ; oui je n’évoque pas
Dieu devant des personnes qui ne sont pas très religieuses ou pas croyante du tout. Je ne
souhaite pas les mettre mal à l'aise ; oui, j'ai tendance à moins faire d'effort avec ma famille
ou mes amies très proches. (ex : moins souriante et plus franche) ; oui, elle change le plus
souvent quand on est avec des amis non-musulmans, peu pieux.. » Seulement deux
personnes, ont répondu que leur attitude ne change pas « Non, elle ne change pas, mais
peut-être améliorez si je suis avec quelqu’un qui partage mon enthousiasme pour le bien !;
Non, j'essaye d’être constante le plus possible et surtout d’être juste avec tout le monde
dans la mesure du possible »

370 Ibn Taymiyya, les actes ne valent que par leurs intentions, ed.Tawhid, 2011. et Aboubaker Djaber Eldjaziri, La
voie du musulman, ed. Maison d'enhour, 1985. p. 89-91
371 Hassan al-Basri Al-Ghazali Ibn Al-Qayyim, Education spirituelle et purification des ames selon la tradition
musulmane, ed. Iqra, 1998.

126
Finalement, je pourrais conclure que l'aspect des hasanaths influence pleinement la vie du
croyant, que cela soit consciemment ou inconsciemment. La manière d'agir, de parler, de
réagir est bien conduite par une volonté et un effort sur soi-même qui modèle l'esprit et le
comportement.

Les anges
Dans le monde invisible, il n'y a pas que Dieu seul, mais des anges et d'autres créatures
demeurent, et souvent interagissent ici-bas dans la création visible. Pour la foi musulmane,
les anges sont des créatures créées à partir de la lumière, ils sont protéiformes et ils aiment
prendre la forme de l'homme, ils n'ont pas de sexe, ils ne mangent pas et ils ne boivent pas.
Ils ont de nombreuse taches, parmi les quelles : l'adoration d'Allah ; se charger de la
subsistance ; la protection du ciel ; la transmission de la révélation aux messagers ; la
protection des être humains; l'intercession en faveur des croyants ; rechercher ceux qui
invoquent Allah ; et plein d'autres taches au dernier jour ! De façon particulière d'après la foi
musulmane, il y a aux côtés de chaque homme deux anges, un à droite et un à gauche, avec
le devoir de marquer dans un livre les actions (paroles et tout acte) bonnes ou mauvaises.
Ces actions sont liées au fait d’acquérir ou perdre des récompenses 372, au jour dernier on en
fera le compte. Le croyant, de son côté doit aimer les anges et éviter ce qui les dérange (les
souillures, les mauvaises odeurs, les images, les chiens,..), il doit éviter les grands péchés et
accomplir les actions de lumière (ablutions, prières, amour fraternel, aumône, …) afin que
les anges puissent s'approcher de lui373.

Les sujets qui ont participé à mon enquête, prennent en considération les anges surtout parce
qu'ils notent les actions qu'on fait «On pense aux anges quotidiennement car tous nos actes
sont notés par eux ; ...ils écrivent nos actions ; les anges notent nos œuvres ; les anges
rapportent nos actions bonnes ou mauvaises auprès d'Allah... » leur présence est assurée et
souvent ils inspirent les bonnes actions. « Les anges sont là lors d'une assise de dhikr,…, ce
sont les oubliés de notre cheminement spirituel, et pourtant ils sont bien là.
Personnellement, je n'ai pas de relation avec eux, mais je sais qu'ils sont là. » ceci est la
réponse de l'ami soufi, qui souligne par trois fois la présence des anges dans la vie de
l'homme ; et dans la même lignée les autres interviewés ont affirmé « … même si je ne les
vois pas, je sais qu'ils sont là en permanence, parfois quand je me réveille la nuit je pense
que c'est eux qui me réveillent pour que je prie la nuit ; je cherche la compagnie des
anges.. : c'est assez plaisant de les savoir autour de nous. ; j'ai juste la pensée qu'ils sont
près de nous ; ils sont la durant mes prières. Les anges nous insufflent de faire de bonne
actions ».
372 Voire le paragraphe précédent
373 Adelmaji Ihaddadene, les six piliers de la foi, ed. Le Relais, Paris, 2015. p. 47-56

127
Les anges sont donc les êtres invisibles les plus pris en considération, leur présence garantie
un lien avec Dieu, mais surtout ils sont considérés comme un ami ou des amis avec lesquels
on peut se confier et trouver une protection ; ils ne sont pas puissants comme Allah, mais ils
peuvent inspirer de bonnes actions, et intervenir dans ce que nous faisons « je pense que
c'est eux qui me réveillent pour que je prie la nuit », cette remarque donnée par une jeune
femme, souligne bien à quel point l'ange interagit dans la vie du croyant.

Les djinns
Les djinns font partie de la population invisible, ce sont des créatures crées par le feu. Ils
peuvent prendre forme humaine et d'animal, et se déplacer rapidement, ils peuvent se
reproduire comme les hommes, et ils peuvent manger et boire, c'est pour cela qu'il est
recommandé de prononcer la basmala avant de manger ou de boire, pour ne pas partager le
repas avec le djinns mauvais. En effet, la population de djinns est composé par les bons
djinns et par les mauvais (les démons, parmi lesquels le plus puissant est Satan) ; comme
pour les humains les djinns ont été créés pour adorer Allah « Je n’ai créé les djinns et les
hommes que pour qu’ils M’adorent. » (ad-Dariyat 51:56). Dans plusieurs hadith et dans la
Sira374 du prophète, on raconte que plusieurs djinns ont été convertis par la prédication de
Mouhammad. Les djinns peuvent insuffler et pousser à accomplir des actions, les « djinns-
démons » peuvent convaincre à accomplir le péché et provoquer des cauchemars. C'est pour
ce motif que dans la spiritualité musulmane se sont multipliées les prières de protection
avant tous les actes. Par exemple375,
• en entrant aux toilettes « Au nom de Dieu, Seigneur je prends refuge auprès de Toi
contre les démons mâles et femelles » [Al-Boukhari et Muslim]376
• en entrant à la mosquée « je cherche protection auprès de Dieu le Très-Grand,
auprès de Sa noble Face et Son pouvoir éternel, contre Satan le maudit. [Abu
Dawud]
• en sortant de la mosquée « Au nom de Dieu, que la prière et le salut soient sur
l’Envoyé de Dieu. Seigneur ! Je demande de Ton immense générosité. Seigneur
préserve-moi de Satan le maudit [Ibn As-sunni, Ibn Maja, Abu Dawud, Muslim]
• lorsque le vent souffle « Seigneur ! Je te demande de m'accorder les bienfaits de ce
vent et je cherche protection auprès de Toi contre ce qu'il a de néfaste. » [abu
Dawud, Ibn Maja]
• pour les enfants « Je vous place sous la protection des paroles parfaites de Dieu
contre tout démon, toute bête venimeuse et contre le mauvais oeil » [al-Boukhari]
• au matin et au soir (parmi beaucoup autres) « Je cherche protection auprès de Dieu

374 La Sira est la biographie du prophète écrite autour du deuxième siècle de l’Hégire.
375 Les invocations suivantes sont prises de Cheikh Al-Qahtani, La citadelle du musulman, ed. Maison d'Ennour, 2006.
ce livret est très répandu parmi les musulmans sunnites.
376 Les noms entre parenthèses indiquent le recueil où ces hadiths sont rapportées.

128
contre Satan le maudit... » [Al-Hakim]
• avant les rapports sexuels « Au nom de Dieu. Seigneur éloigne de nous le diable, et
éloigne le diable de ce que Tu nous accorderas » [Al-Boukhari, Muslim]
• Lorsque l'on se réveille en sursaut ou que l'on se sent mal « Je me mets sous la
protection des paroles parfaites de Dieu contre Sa colère, son châtiment, le mal de
Ses créatures et contre les incitations des diables et contre leur présence auprès de
moi » [Abu Dawud]
• Ce que l'on doit faire après un mauvais rêve ou un cauchemar . Souffler trois fois sur
sa gauche. Demander la protection de Dieu contre le diable et contre ce que l'on a
vu dans son rêve. Ne raconter à personne ce que l'on a vu. Changer de côté avant de
se rendormir. [Muslim]
• dans le moment de colère « je me mets sous la protection de Dieu contre Satan le
lapidé [Al-Boukhari, Muslim]
• en entendant les aboiements des chiens la nuit « Lorsque vous entendez les
aboiements des chiens et le braillement des ânes la nuit, demandez protection auprès
de dieu contre eux, car ils voient ce que vous ne pouvez voir [les démons] » [Abu
Dawud, Ahmad]

Dans le questionnaire, les sujets ont considéré seulement les djinns mauvais (les démons),
qui souvent peuvent inciter à faire le mal « on doit faire attention à eux [aux djinns], à
chaque moment de la journée, car ils peuvent nous nuire ; les diables ont un grand rôle
néfaste dans la vie de tous les jours pour moi ce sont des ennemis que je dois combattre
chaque minute ; les djinns nous poussent à faire du mal, à faire des mauvaises actions ». De
ce fait on a peur d'eux « on les laisse tranquilles ; les djinns me font peur, car nous ne les
voyons pas ; je prie Dieu de m'écarter d'eux ». seulement une jeune fille a considéré les
djinns qui sont bons « j'ai envie de connaître les djinns croyants ».
Généralement, les djinns sont considérés à l’opposé des anges, c'est-à-dire qu'ils ont des
créatures mauvaises et qui font le mal, et surtout qui éloignent de Dieu. Cela est assez
compréhensible du moment qu'on considère que – néanmoins le Coran et la sira racontent
de l'existence de djinns bons et qui peuvent inspirer le bien – la nombreuse et répandue
tradition des invocations contre les djinns-démons modèle l'esprit humain, en inspirant une
certaine peur de l’inconnu qui peut nous tromper et faire du mal.
L'homme musulman se retrouve ainsi à vivre entre deux forces, le Bien et le Mal, mais d'une
certaine manière, le Mal est plus présent et plus puissant, et il faut toujours chercher
protection auprès d'Allah. C'est curieux de remarquer comment Allah reste un peu loin de
l'affaire ; il intervient seulement s'il est invoqué, ou mieux ce n'est pas Dieu qui intervient,
mais c'est grâce à l'invocation de son nom ou des ses attributs qu’on peut chercher une
certaine protection vis-à-vis du Satan.

129
Les personnes qui ont participé à l’enquête se confient beaucoup dans ces invocations avant
de commencer quelques choses « Les invocations font partie de ma vie quotidienne, du
réveil au coucher, il y en a certaines que je dis depuis mon enfance, elle m'accompagne
dans chaque geste de ma vie, il y a celles du matin, avant d'aller aux toilettes, avant de
manger, avant de sortir de la maison, etc. Jusqu'à celles du soir et il y a celle pour des
occasions précise comme le voyage, la mort d'un proche, les joies et les peines. Après il y a
les invocations que je dis pendant la prière, celles qui sont recommandées. Les invocations
les plus utilisées sont celles que l'on dit au quotidien : avant de manger et après, avant de
sortir, en rentrant, avant d'entrer au wc et en sortant, avant de dormir et en se réveillant.
Nous les récitons dans l'objectif d’être protégés. ».

Les intercalaires
Dans la manière de parler il existe des intercalaires qu'on insere dans la phrase ou dans les
exclamations, les plus utilisés et ce sont « Allahmndulillahi ! ; Allah Al-akbar ! ; Inscha
Allah ! ; Masha Allah ! » chacune de ces expressions sont utilisés dans des cas particuliers
«Allah Al-Akbar au début de la prière et quand on se rend compte de la grandeur d'Allah.
Inscha Allah ! Âpres chaque phrase au futur. Masha Allah ! Pour toute chose afin de se
rendre compte des bienfaits de Dieu. Allahmndulillahi ! Pour se satisfaire de ce que Dieu
nous a donné » ces exclamations sont vraiment très utilisées à tel point quelles deviennent
souvent elles-mêmes des exclamations qui répondent à une émotion ou à une réaction, notre
ami soufi nous l'explique ainsi « Je les prononce par habitude de langage, et lorsque mon
âme vibre dans une situation particulière ». Ces invocations sont utilisées comme des
formules magiques, comme des formules préventives, afin d'avoir un certain pouvoir, voire
une protection.
Dans la vie, ce combat entre le mal et le bien se fait ressentir dans l'habitude du langage.
Néanmoins on les dit presque automatiquement, le croyant les exprime, car il est convaincu
d’être écouté, apprécié, observé, pardonné et aimé par Dieu, cela permet d'attendre des
objectifs différents « l'objectif est de glorifier Dieu et avoir des hassanates ; l'objectif est de
se rappeler de Dieu le plus possible et repousser le diable ». C'est extraordinaire de
remarquer comment le croyant a la perception que un Autre soit en train de l'observer, et que
cet “Autre” soit rappelé et invoqué en tous temps, et que cela permet d'avoir de récompenses
(comme des bonus) pour entrer dans un autre vie à gagner, qui est le Paradis 377 !
Cette perception de ''l’Autre'' modifie notre façon de parler et de communiquer, à tel point
qu'elle influence notre psychologie et notre confiance dans l’avenir « Incha Allah ! Est

377 Le Paradis dans la conception islamique est un lieu physique, où on aura tous les plaisir désirables, des propriétés,
de la nourriture, des houris, de la fraîcheur, du confort ! La présence de Dieu n'est pas mentionnée dans le traité
théologique, sur ce point il y a divergence si dans le Paradis on vivra en communion avec Dieu ou non ! (cf.
Adelmaji Ihaddadene, les six piliers de la foi, ed. Le Relais, Paris, 2015. p. 123-125 et Malek Chebel, Dictionnaire
des symboles musulmans, ed. Albin Michel, 1995. p.325-326

130
l'invocation que j'utilise le plus, pour espérer que Dieu excusera mes volontés », et je
rapporte à nouveau ce que disait la jeune à propos de la présence de Dieu «Mais par
moment j'ai vraiment l'impression qu'il m’envoie des signes. On peut appeler cela une
“coïncidence” mais j'ai la ferme conviction que ce n'est pas un hasard ».

Le Dikhr
Cette pratique de se rappeler de Dieu, et de percevoir sa présence dans la vie, ne relève pas
directement du dogme qui recommande les prières rituelles et les exercices de pitié prévu
par la législation. Même s'il y a des indications dans le Coran « 205Et invoque ton Seigneur
en toi-même, en humilité et crainte, à mi-voix, le matin et le soir, et ne sois pas du nombre
des insouciants » [7:205] et semble-t-il que le Coran l’élève au degré plus haut que la salât
(la prière rituelle) « 45.Récite ce qui t'est révélé du Livre et accomplis la Salât. En vérité la
Salât préserve de la turpitude et du blâmable. Le rappel d'Allah est certes ce qu'il y a de
plus grand. Et Allah sait ce que vous faites. » [29:45], mais dans la pratique cultuelle le
dhikr est conseillé, tandis que la salât fait partie des 5 piliers de l'islam.
Le dhikr est une pratique qui s'est introduite grâce au soufisme, et aux maîtres mystiques
que déjà vers le deuxième siècle ont commencé à « travailler une spiritualité plus
profonde ».
À côté de la prière rituelle s'ajoute bientôt l'utilisation du tasbih 378, un chapelet
avec 99 grains et qui répond au hadith de al-Boukhari et Muslim déjà
mentionnés plus haut, en corrélation avec les noms de Dieu. Si, en principe il
devait servir pour réciter les 99 noms de Dieu, la dévotion populaire a simplifié
son usage en répétant 3 noms 33 fois. Les noms les plus utilisés sont :
SubhanAllah (gloire a Dieu), Alhamdoulilah (Louange à Dieu) et Allahou
Akbar (Dieu est grand). Certains savants musulmans déconseillent l'utilisation du tasbih et
ils préfèrent qu'on utilise la main pour tenir compte de la numération 379, en tout cas le tasbih
est accepté et licite. Cette pratique de prière a été introduite pour « purifier l’âme, de la
vider entièrement de la pensée de tout ce qui n'est pas Dieu 380 » et garder ainsi l'Esprit
occupé, afin de ne pas venir distraits par les biens et les beautés matérielles de ici-bas .
Souvent cette pratique conduit aussi à « faire expérience » de l'amour de Dieu: dans le coran
on retrouve des substantifs comme ''hubb'' ou ''mahaba 381'' ou le verbe ''ahabba'' et encore un
mot ''wadd''. Ces termes dans ses dérivations sont utilisés dans le Coran, cependant ils font
problème à la théologie musulmane sunnite, car on ne peut pas y avoir un amour mutuel
entre l'homme et Dieu, l'homme est fini et il ne peut pas avoir de relation avec l'infini,
378 Le tasbih est un chapelet très semblable au mala bouddhiste et indu, qui est composé en tout de 108 grains et qui
rappelle les preuves et les noms de Bouddha. C'est une corde de prière qui s'est rependu aussi dans le christianisme,
mais dans le christianisme, on l'utilise pour réciter des prières qui se substituent la récitation des 150 psaumes.
379 http://www.apprenti-musulman.fr/utilisation-du-chapelet/
380 Marijan Molé, Les mystiques musulmans, Paris, 1965. p. 18
381 Annemarie Schimmel, Le soufisme ou les dimensions mystiques de l'Islam, ed. Cerf, 2004. p.170-191

131
l'homme peut obtenir des choses par Dieu, ou être préservé du pêché, en revanche l'homme
ne peut pas avoir des relations avec Dieu au même niveau, « Les penseurs musulmans
pensent que l'amour est un sentiment trop humain pour qu'on puisse l'attribuer à Dieu, et
que la transcendance divine ne permet pas à l'amour des hommes d'atteindre Dieu 382»
Dieu est le Tout-Autre, Il est le Créateur et l'homme la créature, Il est le Maître et le croyant
est le serviteur soumis par l’obéissance. Pour cela les théologiens interdiront les pratiques
spirituelle qui donnent « l’expérience » d'une union avec Dieu, appelé aussi ''fusion''.

Parmi mes sujets personne utilise le tasbih, sauf trois croyantes, tous ont l'habitude de
pratiquer cette prière et de compter sur les doigts ; même si cela n'est pas devenu une
habitude ou un rendez-vous quotidien, sauf pour l'ami soufi qui précise «Étant affilié à une
confrérie soufie, deux fois par jour, je dois réciter un dhikr qui dure un peu plus que vingt
minutes », pour les autres la répétition des trois noms de Dieu est faite d'après les
circonstances «Je compte sur mes doigts, cela me permets de faire du dhikr durant mes
trajets ; le dhikr après chaque prière » cette pratique a elle aussi différents objectifs « La
prière est pour que Allah nous éclaire et pour nous ; avoir des hassanattes, effacer mes
péchés ; pour me rapprocher de Dieu et augmenter ma foi ; c'est une façon simple pour
avoir des hassanattes ou perdre des péchés » et pour le soufi «le tasbih dans mon cas a
pour rôle de maintenir le lien avec mon maître spirituel. C'est la condition pour que le
maître puisse travailler sur mon âme ».
Les objectifs ne sont pas trop différents de ceux qu'on a vu pour les invocations. Cela nous
conduit à nouveau à considérer avec importance le rôle des hassanathes et le désir de gagner
le paradis.

Le prophète
Le rôle du prophète dans l'islam est assez confus ! En général, le prophète est un homme qui
à livré le message (le Coran) dicté par l’archange Gabriel pendant 23 ans (environ). C'est un
messager, (un courrier) ; le Coran même l'indique comme un annonciateur, rien d'autre, un
avertisseur, un homme qui donne un message. Un homme comme les autres, pécheur
comme les autres «119.Certes, Nous t'avons envoyé avec la vérité, en annonciateur et
avertisseur; et on ne te demande pas compte des gens de l'Enfer. » [al Baqarah 2:119] et qui
peut se tromper dans son jugement «67.Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant
d'avoir prévalu [mis les mécréants hors de combat] sur la terre. Vous voulez les biens d'ici-
bas, tandis qu'Allah veut l'au-delà. Allah est Puissant et Sage. 68.N'eût-été une prescription
préalable d'Allah, un énorme châtiment vous aurait touché pour ce que vous avez pris. [de
la rançon] » [al-Anfal 8:67-68].

382 Roger Arnaldez, L'homme selon le Coran, ed. Hachette, 2002 p. 141

132
Cependant, la Sira le présente avec des dons particuliers et une certaine pureté 383 capable de
grandes choses. La Sunna384 enrichit l'image du prophète avec tous les plus petits détails :
son aspect physique, ses actions les plus cachées, son goût, ses plaisirs, sa façon de manger,
de dormir, de parler, de marcher, ses jugements dans les affaires, les dialogues avec ses
compagnons,… et beaucoup d'autres385. Dans le cours du temps, des œuvres poétiques sont
apparues, les bourda : poèmes qui chantent l'amour pour le prophète : « Mouhammad, c'est
la plus parfaite créature des Mudar, Mouhammad, c'est le meilleur de tous les Envoyés de
Dieu386 ». Des œuvres littéraires ont enrichi « le culte » au prophète, à tel point que de
simple messager, il devient dans une certaine mesure un être semi-divin ; sauveur du monde,
modèle de l’humanité, lumière pour ne se pas s'égarer, pré-existant dès la création du
monde : « Mouhammad, c'est celui dont la substance a été mélangée à la Lumière divine,
Mouhammad c'est celui qui ne cesse d’être lumière depuis la pré-éternité 387 ». Chemin de
vérité, époux parfait, guerrier invincible, chef juste, l'ami plus excellent qu'on puisse
espérer388, à tel point qu'on ne peut plus le figurer ou mettre en doute rien de ce qu'on dit de
lui.
Par le Coran, nous apprenons qu'il ne peut intercéder pour personne, même pas pour sa mère
et son père ou son oncle Abu Talib qui sont morts mécréants, et que lui aussi doit être jugé
par Dieu ; mais dans la théologie (influencée par les hadiths), nous apprenons que dans le
Jour Dernier Mouhammad pourra intercéder pour qu'il veut389.

Ce symbole de la foi, devient très important dans la spiritualité du croyant. En effet, les
sujets qui m'ont aidé dans ce travail, ont tous ignoré le Mouhammad du Coran, mais ont
décrit le Prophète de la tradition postérieure, avec beaucoup d’affection, d'amour et de
sincérité « pour moi le Prophète PSL est mon héros dans ma hiérarchie d'amour je l'aime
juste après Dieu et avant mes parents, il est mon sauveur, le sauveur de l’humanité...et
surtout Il intercédera pour les musulmans ; [pour le prophète j'ai] de l'amour ; le Prophète
(saw) est mon exemple et mon bien aimé, j'ai souvent la forte envie de vivre dans le passé
afin d’être à ses côtés. J'aurais tellement aimé qu'il dise ce qu'il pense de moi ; Je l'aime de
tout mon cœur, c'est le meilleur des hommes, l'élu de Dieu, j’espère pouvoir être avec lui au
Paradis ; J'aurais aimer le connaître, c'est pour moi le meilleur homme ; Il est l'homme
parfait. » ceci est des extraits de réponses donnée par sept interviews, néanmoins les filles
les plus jeunes (17-18 ans) ont pris une certaine distance d'une réponse passionnée, et elles
ont préféré répondre de manière plus rationnelle « Je sais qu'il a fait de grande chose pour
383 L’avènement et l'ouverture de la poitrine de Mouhammad et le lavage du cœur par Djibril. Cfr. Safiyyu Ar-Rahman
Al Mubarakfuri, Muhammad l'ultime joyau de la prophétie, ed. Maison d'Ennour, 2014. p. 87-88
384 Les paroles, les gestes, les attitudes du prophète qui ont été recueilles dans plusieurs recueils autour du deuxième
sicle de l’Hégire. Le premier recueil est le Musnad de Ahmed ibn Hanbal.
385 Al-Ghazali, Comportements et traits de caractères du Prophète, ed. Al Bouraq, 2013.
386 Al -Busayri, Al-Burda, ed. Albouraq, 2013. p. 150
387 Al -Busayri, Al-Burda, ed. Albouraq, 2013. p. 150
388 Al-Mas'udi, Les prairies d'or et les mines de pierres précieuses,
389 Abu Hamid Al-Ghazali, La vie après la mort en islam, ed. Albouraq, 2009. p. 79.

133
la communauté, que c'est un homme, un messager, et un prophète bon et presque parfait,
néanmoins je n'ai pas d'avis personnel, sûrement par manque de documentation. J'ai du mal
à m’identifier à lui ; On suit la sunna, on ne prie pas le prophète (sws) et on invoque son
nom à plusieurs reprises » Il est intéressant remarquer que la deuxième fille n'a pas répondu
à la première personne « je/moi », mais dans la formule impersonnelle « on », comme si elle
était en train de dire que les autres font cela, mais pas elle, ou bien qu'elle n'est pas trop
convaincue de cela.

La prière d'intercession.
Nous avons vu que la vie spirituelle du croyant musulman est influencée par une relation
avec l'Invisible, soutenue par les prières rituelles, les invocations, les intercalaires, le désir
de s’acquérir des hazannathes et la relation avec le prophète. Avant de conclure ce petit
travail, je rendrai compte aussi de la prière d'intercession. Ce type de prière dans la foi
musulmane n'est pas obligatoire. Dans le Coran on ne trouve presque pas de trace, on
pourrait même dire qu'elle est interdite390, car, comme nous l'avons dit plus haut, le prophète
dans le Coran n'avait pas droit de demander à Dieu de pardonner ou d'avoir miséricorde,
même pas de ses parents. En effet, dans le Coran on trouve à propos de l'intercession « 48.Et
redoutez le jour où nulle âme ne suffira en quoi que ce soit à une autre; où l'on n’acceptera
d'elle aucune intercession; et où on ne recevra d'elle aucune compensation. Et ils ne seront
point secourus. » [Al Baqarah 2:48] et encore « 48Ne leur profitera point donc, l'intercession
des intercesseurs. » [Al-Moudattir 74:48].
En revanche, la tradition postérieure, à partir du deuxième siècle de l’Hégire, change le
pensée sur ce point. Le prophète devient un grand intercesseur qui interviendra le Dernier
Jour pour sa communauté (comme le rapportent les hadith de Al-Boukhari et Muslim 391), la
pratique du soufisme qui se répandra assez rapidement après le deuxième siècle de l’Hégire
encouragera l'usage des prières d'intercession, de consultation, à l'occasion de l’éclipse, ou
de la sécheresse, ou de trop de pluie, ou avant le combat, et toute sorte de prière
surérogatoire392. Les savants conseils d’effectuer les prières surérogatoires dans la modalité
rituelle, c'est-à-dire avec les raka'a393, sont rarement permises des prières d'intercession avec
des expressions libres, assis, ou debout ou dans n'importe autre position. Cela est plutôt une
habitude du soufisme et du christianisme.
Il faut aussi dire que pour certains savants, on distingue la prière surérogatoire (la prière
faite pendant la nuit, ou rattaché à la prière rituelle), de la prière d'intercession (prière faite

390 Roger Arnaldez, L'homme selon le Coran, ed. Hachette, 2002. p. 160- 163
391 Cependant ces hadiths très célébrés dans le monde sunnite, contredisent la théologie coranique et la théologie
mutzaliite qui se fonde sur la raison (la théologie prédominante pendant les premiers siècles de l'Islam.)
392 Meir Bar-Asher, intersession, (dir.) Mohammad Ali Amir-Moezzi, Dictionnaire du Coran, ed. Robert Laffont, 2007.
p.420-422. Malek Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, ed. Albin Michel, 1995.
393 Les raka'a sont les inclinations pendant la prière rituelle musulmane. Normalement, pour les prières surérogatoires
ce sont conseillés deux raka'a ou bien des raka'a en nombre impaire

134
pour quelqu’un ou pour demander le secours d'Allah, voire pour demander l'intervention
bénéfique de Dieu dans ses propres intérêts).
La distinction n'est pas trop claire, regardons alors comment les participants au
questionnaire ont réagi. À la session qui concerne les questions sur la prière d'intercession,
deux personnes (les deux plus jeunes) n'ont pas répondu. Trois sujets ont répondu en
comprenant la prière d'intercession comme la prière surérogatoire de consultation, et donc il
s'agit de deux raka'a supplémentaire en récitant possiblement les sourates Al-Kafiroun [109]
et Al-Ikhlas [112], en ajoutant la requête personnelle; quatre interviewes ont compris la
prière d'intercession comme une prière libre à faire « vis-à-vis » de Dieu, ou à travers le
prophète « Il n'y a pas de manière de la faire, c'est juste des invocations avec nos propres
mots et on dit par notre Prophète (sws) », ou même à travers Marie la maman de Jésus « Je
parle par exemple à Marie, “aide-moi” à supporter ma détresse, comme vous avez supporté
la vôtre ». Dans tous les cas, on prie principalement pour soi-même, mais aussi pour sa
propre famille, pour les musulmans en général et pour l’humanité.
Tous les croyants prient avec des prières et des dialogues libres (qui viennent du cœur) « je
me concentre et je me recueille pour espérer que Dieu me gratifie de ses réponses et exauce
mes vœux ; Souvent je demande à Dieu de faciliter à telle personne, de la guider sur un
chemin, je dis ''mon Seigneur facilite à tel, donne-lui la réussite, fait d'elle une de tes
rapprochées'' ; je prie les prières qui me viennent à l'esprit spontanément sans trop
réfléchir ; Dieu aidez-moi à être le meilleur musulman que je puisse être, faites de même
pour ma mère, mon père, mes frères ; Seigneur ouvre-moi ma poitrine et facilite ma
mission ; Seigneur donne-moi encore plus de savoir ; ya Allah je cherche protection auprès
de toi contre la paresse, la vieillesse, le pêché et l'endettement.».

La grande majorité (sauf trois dans l'ensemble des interviews) prient pour les défunts,
surtout pour les défunts de leur famille afin que « on garde un lien avec eux ; [ma mère]
cela la soulage dans sa tombe et qu'elle sera élevée en degré grâce à ces invocations ».

Le lieu préféré pour prier est la chambre à coucher ou un lieu tranquille chez soi, c'est ainsi
que six sujets ont répondu « j'aime prier seul chez moi, je suis plus concentré et je suis seul
avec Dieu; je préfère prier chez moi, car c'est plus calme ; chez moi dans ma chambre ; oui
j'ai une pièce chez moi où je préfère prier, car elle fut pendant longtemps dédiée aux
activités spirituelles, j'aime penser que des anges s'y trouvent » ; cette dernière réponse est
très belle et significative ; en effet, il faut se rappeler que, au Dernier Jour, toutes les parties
du corps et tous les endroits rendront témoignage en faveur ou contre le croyant, et cette
réponse révèle bien comment le lieu où on accomplit la prière (surtout la prière rituelle)
devient un lieu saint, qui ne pourra pas avoir d'autres destinations ou propriétaire qu'un
musulman. La présence des anges garanti la protection et le lien avec Dieu.
Au-delà de la chambre ou de chez-soi, il y a trois autres réponses intéressantes « j'aime

135
prier dehors à l'air libre la nuit, je me sens en contact direct avec Dieu et sa création ». Il y
a ici une vision qui goûte la grandeur de Dieu créateur, qui considère sa générosité et la
toute puissance qui a été mise au service et pour le bien de l'homme qui profite de ce qui
l’entoure lorsque il rend grâce à la Divinité.
Deux autres musulmans qui ont eu l'occasion d'accomplir le pèlerinage ont répondu « le
meilleur endroit où j'ai pu prier est la Mecque, j'ai ressenti quelque chose de tellement fort ;
prier à La Mecque, il faut juste le vivre pour le comprendre ». Cette réponse m'a touché
particulièrement, car j'ai éprouvé le même sentiment pendant mes pèlerinages à Jérusalem et
en Terre Sainte ( surtout auprès du lac de Galilée et dans le désert du Negheb), ainsi que
dans les sanctuaires mariaux ; cela me fait penser que quelque chose se déclencha dans
l'esprit humain sous l'effet sans doute des facteurs psychologiques, sentimentaux, voire
émotionnels, et pourquoi pas à cause d'une présence divine.
La dernière réponse est celle d'une femme qui avait répondu qu'elle prie ses intercessions
partout, et elle a ajouté « n'importe où, c'est souvent à l’église ». Elle se réfère bien-sur aux
prières libres, et non à la prière rituelle ; de toutes manières cette réponse est intéressante,
car elle présente un esprit libre et une relation avec Dieu ouverte, et pour ce que je connais
cette dame, elle reflète son attitude libre, ouverte, et en même temps croyante, dans les
relations avec les personnes qui l'entoure comme dans sa façon de penser et d'agir.
D’ailleurs, j'ai eu en plusieurs occasions de voir des musulmans, et de familles de
musulmans dans une église assis dans le silence et avec leur regard fixe en direction de
l'autel pendant dizaine de minutes.

Le temps pour réaliser la prière d'intercession est partagé en trois moments différents : pour
trois personnes, le meilleur moment est la nuit ; pour deux autres, à l'occasion des prières
rituelles ; et enfin pour les trois autres, c'est tous moments de la journée « Quand on veut,
peu importe l'heure, l'endroit ou le moment. ».
Ces réponses sont bien liés à la conception de la foi et de la relation qu'on a (ou qu'on
voudrait avoir) avec Dieu :
• la nuit présente un moment d’intimité et de solitude, c'est le temps où on reste en vis-
à-vis avec Dieu , ou ça peut-être aussi le temps du combat spirituel où la fatigue, le
sommeil, la distraction sont plus forts ; c'est encore le temps des ténèbres, où on
cherche à être fort et vainqueur en s'appuyant sur Allah et sur sa propre volonté.
• Lors des prières rituelles, c'est le temps canonique, celui qui est recommandé par la
grande part des savants ; c'est le temps de la communauté et le temps de la loi.
• À tout moment, c'est le signe de la recherche d'un Dieu-ami, qui est disponible
toujours, qui est toujours là pour marcher et vivre ce que je vis. C'est un Dieu avec
l'homme (l'Emmanuel), un ami qui soit toujours prêt à m'aider, un Dieu avec lequel je
peux me raconter sans peur d’être jugé.

136
Pour finir… l'opinion des interviewers
Souvent on entame une relation et un style de vie sans se poser de questions sur les
retombées que l'on a dans notre vie, c'est-à-dire sans prendre conscience des effets qui
modifient notre manière de vivre. Je me suis permis de poser une question à ce sujet dans
l’enquête, elle était formulée en ces termes :« Comment pensez-vous que la prière, le dhikr
et toute pratiques spirituelles puissent changer votre vie ? » Les réponses obtenues ont été
significatives. Tous ont remarqué un changement dans leur manière de vivre et leur relations
aux autres ; sept parmi eux ont parlé d'une relation d'amour avec Dieu et d'une relation
personnelle qui devient toujours plus forte « Je ne suis plus la même personne depuis que je
prie, chacun des mes actes doit plaire à Dieu même si ce n'est pas toujours le cas, car je
suis imparfaite et faible cela à tout changé dans ma vie et parfois a une incidence sur toute
mes décisions ; Cela nous permet de prendre conscience que Dieu est présent et que nous
pouvons avoir confiance en Lui dans toute épreuve et le remercier et de se contenter de tout
ce que l'on a (peu ou beaucoup) ; Dieu participe à ma vie et Il m'indique le chemin de tous
les jours ; Les pratiques spirituelles nous apaisent et nous fait comprendre qu'Allah est là et
qu'Il nous aime. ». Deux jeunes femmes ont répondu en insistant sur le fait qu'on sera jugé
et donc il faut faire attention à la manière dont on vit (à la qualité de notre vie) « Le fait
qu'elle me rappelle la présence divine change ma vie, car quand l'on se rend compte que
Dieu nous voit et qu'Il nous jugera et surtout qu'Il nous aime, nos objectifs et nos
motivations changent ; En m'éloignant du péché. ». Dans ces réponses la jurisprudence est
bien présente, mais il faut remarquer qu'une femme n'a pas renoncé à souligner ce qu'elle
pense de Dieu, « et surtout qu'Il nous aime ». Enfin, une jeune fille a répondu que ces
pratiques aident le développement personnel et à se poser des questions sur soi-même «On
peut ainsi se poser des questions sur nous même (suis-je heureuse ? Si non, pourquoi ?) ».
Tout cela nous dit comment notre esprit est toujours en recherche d'un référence autre pour
se forger une identité, et comment cette identité influence notre être avec les autres, nos
actions, notre façon de parler et ainsi de suite. La spiritualité est finalement le lien
irremplaçable entre deux entités, et la source qui forme une identité qui sera pour toujours
unique et irrépétible.

137
Conclusion : la perception du divin dans la quotidienneté

Dans tous les aspects jusqu’à ici présentés le sentiment dépasse le dogme et les faits
racontés dans le texte sacré. Je trouve que ceci est une caractéristique commune à toutes
spiritualités dans les religions : l'homme a besoin “des histoires” pour croire, et des “images
surréelles” pour espérer, voire rêver. En tant que prêtre chrétien je suis étonné de remarquer
comme la spiritualité musulmane se rejoint à celle de ma religion. En effet, même si, en
certain cas, le dogme musulman devrait inspirer une spiritualité différente, les croyants (au
moins ceux qui ont participé à l’enquête) ont dans leur esprit une vision chrétienne et même
une terminologie chrétienne.
Par exemple, lorsque les sujets se référent à Dieu, ils les font avec une terminologie et une
conception typiquement chrétiennes, comme « Dieu d'amour ; Dieu-ami ; un Dieu qui
s’intéresse de l'homme et qui est avec l'homme ; un Dieu qui envoie des signes pour diriger
le chemin ». C'est la description du Dieu chrétien, d'un Dieu incarné, de un Dieu qui se
mélange dans l'histoire de l’humanité, jusqu'à devenir ami et compagnon de voyage, sans
perdre pour autant son autorité de « père ».

Dans l'islam, Dieu est plutôt celui qui ne parle pas directement avec l'homme (et il
n'intervient pas directement non-plus), mais seulement à travers des Anges - messagers
comme Djibril, Dieu reste le Tout-Autre, qu'on ne peut voir ou trop se rapprocher de lui
« 143.Et lorsque Moïse vint à Notre rendez-vous et que son Seigneur lui eut parlé, il dit : "Ô
mon Seigneur, montre-Toi à moi pour que je Te voie!” Il dit:“Tu ne Me verras pas; mais
regarde le Mont : s'il tient en sa place, alors tu Me verras.” Mais lorsque son Seigneur Se
manifesta au Mont, Il le pulvérisa, et Moïse s'effondra foudroyé. Lorsqu'il se fut remis, il
dit: “Gloire à toi ! A Toi je me repens; et je suis le premier des croyants”. » [Al-Araf 7:143]
et aussi « 103.Les regards ne peuvent l'atteindre, cependant qu'Il saisit tous les regards. Et Il
est le Doux, le Parfaitement Connaisseur. » [al-Anam 6:103].
Cependant pour une partie de savants, la vision de Dieu sera possible au Paradis « 22.Ce
jour-là, il y aura des visages resplendissants 23qui regarderont leur Seigneur » (Al-Qiyamah
75:22-23). Dans le dictionnaire des symboles musulmans sous la voix « Allah », il est écrit
« Allah reste le plus grand… celui qui ne peut être vu et perçu que par Lui-même : “Il n'y a
personne hormis Lui qui puisse Le voir, et personne à qui Il puisse se cacher ; c'est Lui qui
se manifeste à Lui-même” dit ibn 'Arabi 394».

Entre autre, le musulman est tel, car il est soumis à Dieu, dans cette relation on ne voit pas
comment il devient possible une relation équitable d'amitié et de confiance intime/personnel
avec son propre Maître, qui évalue les actions (hasannaths) pour décider d’admettre ou

394 Malek Chebel, Dictionnaire des symboles musulmans, ed. Albin Michel, 1995. p. 30.

138
l'exclure du paradis. La conception que le musulman a de Dieu dans son intimité est celle
« qu'il voudrait qu'il soit ! », un Dieu qui s’intéresse à Lui, avec affection, avec patience,
dans la tendresse et l’autorité d'un Père ! Une relation familiale, où on peut lui adresser
notre pensée, nos idées, nos préoccupations, de la même manière dont on s'adresse à un
ami ! Un Dieu qui nous prend par main, qui, dans le danger, nous prend dans ses bras.
C'est finalement ceci ce qu'on « voudrait croire et on voudrait de Lui », comme le désigne
les évangiles c'est-à-dire celui qui offre sa confiance à 99 brebis pour partir et se donner à la
brebis perdue que nous sommes (Lc 15, 4-7), ou qu'Il attend le retour de son fils égaré (Lc
15, 13-24), ou finalement, en l'identifiant en Jésus, et donc comme celui qui marche à la
rencontre des hommes, qui est ami, frère, fils, et père en même temps ; qu'il pardonne 70
fois 7 fois395 et qui par amour dépasse la loi que les hommes se sont imposé396.

La conception du Prophète suit aussi une vision assez étrange pour le dogme musulman :
entre le croyant et l'image du Prophète, il y a une relation “humain-divine” qui s'est crée.
Le prophète n'est plus vu comme un homme qui avait le devoir de transmettre, mais depuis
que sa sunna est devenue source de législation, il s'est approché du statut de la divinité 397.
J'oserai presque dire qu’il est devenu un autre ''Fils de Dieu'' : ce qu'il dit, ce qu'il fait, ce
qu'il décide, devient législation pour l’humanité au même titre que la Parole de Dieu
rapportée dans le Coran398. Le croyant musulman cherche en lui son modèle, son sauveur 399,
son amour, une lumière et une sorte d’allié400.
Pour ma « forma mentis » tout cela me fait penser à Jésus qui est « Vie, Chemin et Vérité »
(Jn 14,6) ; qu'il est « l'eau vive » (Jn 4,14) ; ou encore « la vie et la résurrection » (Jn
11,25) ; « le sauveur du monde » (Jd 1,25) ; et qui en étant Dieu, s'est incarné dans
l’humanité pour l'accompagner vers le salut (Jn 1,1-18). Toute la terminologie et les images
que le croyant musulman a de son prophète, ce sont des images déjà présentes et utilisées
par le peuple chrétien depuis toujours.

Il n'est pas ici question de réclamer une certain « droit » ou revendiquer quoi que ce soit,
mais de constater que la forme du langage religieux est la même, et qu'il s'adapte aux sujets

395 L’Évangile de Matthieu 18,22


396 L’Évangile de Marc 2,27
397 Peut-être que c'est pour cela qu'ily a l'interdiction de représenter le prophète? interdiction qui est devenue toujours
plus strict à partir du XIX siècle, en obéissant à la loi juive de l'interdit de représenter la divinité. https://fr.wikipedia.org
398 C'est le statut de la sunna : les paroles, les approbations, les gestes, du prophète qui sont prises pour fonder la charia
la législation islamique d'origine divine.
399 Expression qui m'a étonné, car je ne comprends pas de quoi le musulman doit être sauvé vu qu'il ne croit pas dans le
péché originel et que l’entré au paradis sera fait grâce aux hazanaths qu'il réussira à accumuler, et que le Prophète
ne pourra pas d’après le Coran intercéder, voire modifier, sa destiné (le cinquième pilier de l'islam sunnite c'est
croire dans la prédestination)
400 La terminologie utilisée par les personnes du questionnaire, reproduit l’expression qu'on peut retrouver dans les
œuvres littéraux à partir du IIeme jusqu'au Xeme siècle (les bourda ; les prairies d'or et les mines de gemmes et les
nombreuses œuvres soufis) et que pour une oreille étrangère à la foi musulmane, ces expressions résonnent comme
adressée à un autre Dieu, et d'un coup on est perdus à comprendre c'est lequel le Dieu pour les musulmans.

139
différents pour le même effet et même objectif. Loin de faire du syncrétisme ou du
relativisme religieux, l’identité de chacun est importante et précieuse, car c'est la beauté et la
richesse que la personne communique. Cependant, on remarque que le divin se présent à
l'homme et que ce dernier est porté à adopter un langage qui se ressemble pour
communiquer avec l'Autre.

Peut-être ma vision chrétienne joue-t-elle dans l’interprétation de cette enquête, mais on ne


peut pas ignorer qu'il y a un saut entre le dogme officiel annoncé par la théologie
musulmane et la spiritualité pratiquée dans le quotidien par les croyants. C'est dans ce
passage entre l'officiel et l’intime que se joue quelque chose d’extrêmement délicat et
merveilleux « dans une expérience religieuse authentique, le sentiment de la dépendance
absolue de la divinité coexiste avec celui de la responsabilité morale des actes, et ils
n'apparaissent pas comme contradictoires401 »; il ne s'agit plus de suivre une religion, mais
de vivre une relation qui dépasse toutes les règles, puisqu'une Présence s'impose ! À cette
Présence qui casse toutes logiques, il faut répondre avec le cœur : d'esprit à Esprit ; avec un
langage de confiance, d’amitié et à la même longueur d’onde ; et se rencontrer au mème
niveau est possible car l'Autre, par sa Tout-puissance, peut se mettre (s'abaisser) vis-à-vis de
moi. La jeune musulmane qui a enrichi mon enquête l'affirmait en disant « par moment j'ai
vraiment l'impression qu'il m'envoie des signes. On peut appeler cela une '“coïncidence”',
mais j'ai la ferme conviction que ce n'est pas un hasard ! ». Cette Présence qui délicatement,
doucement et discrètement se met à notre côté pour vivre avec nous, pour être notre ami,
notre soutien, notre maître et notre vie, et qu’on ne peut être supprimer, car il s'agit d'une
Présence qui nous attire vers elle.
C'est beau de penser que ce que Rabi'a 402 avait souhaité autrefois, est en train de se réaliser
dans une certaine manière « Un jour, un groupe de jeunes gens vit Rabi'a qui courait en
grande hâte, du feu dans une main et dans l'autre de l'eau. Ils lui demandèrent :“Où vas-tu
ainsi, Maîtresse ? Que cherches-tu ?”. ''Je vais au ciel, répondit-elle. Je vais porter le feu
au Paradis et verser l'eau dans l'enfer. Ainsi le Paradis disparaîtra, et l'Enfer disparaîtra, et
seul apparaîtra Celui qui est le but. Alors les hommes considérons Dieu sans espoir et sans
crainte, et ainsi ils L'adoreraient plus le Véridique ? Est-ce qu'ils ne Lui obéiraient
plus ?'' »

Ces attitudes que nous venons de décrire et de rapporter donnent un style de vie qui se
remarque dans la façon d’être du croyant, la manière dans laquelle il mange, et ce qu'il
mange, dans la manière de se déplacer ou d'entrer dans les lieux, dans la façon de parler, de
communiquer et d’être en relation avec les autres, de marcher, d’utiliser de ses propres sens,
et d'utiliser le temps.

401 Marijam Molé, Les mystiques musulmans, Presses Universitaires de France, 1965. p. 32
402 Rabi'a al-Adawiyya (713-801 J.C .) est une grande mystique musulmane.

140
Ces attitudes sont des trésors qui rendent unique la relation avec Dieu et avec les autres.
C'est à partir de la conviction que le divin est avec nous que la législation musulmane a
élaboré des réglés pour tous les actes qu'on accomplie dans le quotidien, comme : entrer aux
toilettes avec le pied gauche et sortir d'abord avec le pied droit, en indiquant l'attitude à tenir
pendant ce moment d’aisance ; ou encore l'utilisation du cure-dent (siwak) car « il purifie la
bouche, satisfait le Seigneur, et exaspère Satan »403 ; ou de faire ses ablutions mineures en
orientant le corps vers la Qibla ; et toutes les attentions à faire par rapport aux parties de
notre corps (mains, langue, pieds, yeux,..) pour ne pas tomber dans le péché.
Finalement, cette Présence est importante pour le croyant.Il ne faut pas la blesser avec nos
actions, ou nos paroles.Il faut soigner notre vie afin que le divin puisse être à l'aise avec
nous et nous digne de sa compagnie ; et si la législation insiste sur l’entré dans le Paradis
pour éviter le châtiment de l'enfer ; l'esprit est conduit vers une relation d'amour et de
confiance avec son Dieu.
En tant que prêtre chrétien, je ne peux pas terminer ce travail sans rendre compte de la foi
d'une croyante, qui a voulu partager ce qui vibrait dans son esprit par rapport à une question
présente dans le questionnaire. Cette réponse a rempli mon esprit d’admiration et de respect
au regard de la foi de cette femme et de tous mes amis musulmans. Je rapporte ici ses
paroles en guise de derniers mots de cette enquête :

« Je souhaite mourir musulmane en toute soumission à Dieu


et [qu'] Il nous guide comme Il peut nous égarer,
donc
je dois renouveler chaque jour ma foi et les intentions
afin que mes actes soient validés.
Incha Allah ! »

403 Pour tous ces exemples cf. Al-Ghazali, Initiation à la foi musulmane, ed. Albouraq, 2011.

141
Bibliographie

• Abdelmadjid Ihaddadene, Les six piliers de la foi, ed. Le relais, Paris, 2015.
• Abdelmadjid Ihaddadene, Le manuel du musulman, I.E.S.H., Paris,2014.
• Aboubaker Djaber Eldjaziri, La voie du musulman, ed. Maison d'enhour, 1985.
• Abu Hamid Al-Ghazali, La vie après la mort en Islam, ed. Albouraq, 2009.
• Abu Hamid Al-Ghazali, Initiation à la foi musulmane, ed. Albouraq, 2011.
• Abu Hamid Al-Ghazali, Vigilance du cœur et examen de conscience, ed. Albouraq,
2012
• Al -Busayri, Al-Burda, ed. Albouraq, 2013.
• Al-Mas'udi, Les prairies d'or et les mines de pierres précieuses,
• Annemarie Schimmel, Le soufisme ou les dimensions mystiques de l'Islam, ed. Cerf,
2004.
• Asmaa Godin et Roger Foehrlè, Coran thématique, ed. Al-qalam, 2004.
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➢ François Lettre Encyclique « Laudato Si' » 2015
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148
Table des matières
Pourquoi ce thème................................................................................................................................3
0.Introduction.......................................................................................................................................5
1. Proposition d'un fondement de la fraternité universelle...................................................................7
Présentation du chemin : la fraternité universelle...................................................................7
a) À partir de la Bible.....................................................................................................................12
Premier Testament................................................................................................................12
Le projet de Dieu....................................................................................................12
Un projet échoué.....................................................................................................13
Pour rétablir le projet..............................................................................................13

149
Pour ne pas tomber à nouveaux..............................................................................16
Seconde Testament.................................................................................................................19
Reprise...................................................................................................................................24
Comment comprendre la fraternité universelle.....................................................................24
b) À partir du magistère..................................................................................................................28
Les caractéristiques de la fraternité universelle..................................................................30
c) du côté musulman.......................................................................................................................36
Introduction...........................................................................................................................36
Regard général.......................................................................................................................36
La spiritualité.........................................................................................................................38
Le Coran................................................................................................................................40
Le prophète............................................................................................................................43
La tradition musulmane.........................................................................................................43
Les savants. Deux exemples parmi d'autres !........................................................................45
Conclusion.............................................................................................................................53
2. La fraternité universelle en acte : le dialogue de vie et des œuvres...............................................54
Introduction...........................................................................................................................54
L'identité................................................................................................................................57
Amour....................................................................................................................................59
Le service...............................................................................................................................66
3. Finalités..........................................................................................................................................69
Introduction...........................................................................................................................69
Finalités premières ou immédiates........................................................................................70
Se rencontrer...........................................................................................................70
Dignité humaine.....................................................................................................73
Finalités nobles: dans un esprit fraternel.............................................................................76
Pas de prosélytisme................................................................................................76
Grandir dans la foi… renforcer sa propre identité..................................................80
Mettre au centre Dieu … pour un éthique plus fraternelle.....................................82
Partage… en quête de la vérité...............................................................................88
Finalités ultimes....................................................................................................................91
Rétablir l'harmonie.................................................................................................91
Espérance… laisser faire à Dieu.............................................................................94
4. Conclusion......................................................................................................................................97

5. Annexes et Appendice..................................................................................................................101
Introduction aux annexes et à l’appendice............................................................................102
Les annexes..........................................................................................................102
L'appendice...........................................................................................................104
Annexe 1................................................................................................................................105
Le pacte du Prophète avec les chrétiens de Najran..............................................106
Annexe 2................................................................................................................................110
Le Pacte du prophète avec les moines de Mont Sinaï...........................................111
Annexe 3................................................................................................................................112
Le témoignage chrétien dans un monde multi-religieux .............................................113

Appendice..............................................................................................................................117
Quelque aspect de la spiritualité musulmane................................................................117
Introduction.........................................................................................118

150
L'importance de la spiritualité............................................................119
Méthode utilisée.................................................................................120
Donnée du travail...............................................................................122
Éléments généraux.............................................................................122
Dieu.....................................................................................124
Les récompenses (hassanaths).............................................125
Les anges.............................................................................127
Les djinns.............................................................................128
Les intercalaires...................................................................130
Le Dikhr...............................................................................131
Le prophète..........................................................................132
La prière d'intercession........................................................134
Pour finir… l'opinion des interviewers................................................137
Conclusion : la perception du divin dans la quotidienneté..................138
Bibliographie.......................................................................................142

Bibliographie....................................................................................................................................144

151
«L'heure vient -et c'est maintenant- où les véritables adorateurs adoreront le Père
en esprit et en vérité,
car tels sont les adorateurs que cherche le Père.
Dieu est esprit,
et ceux qui adorent,
c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer »
Jn 4,23-24

152

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