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GRAND SEMINAIRE DE THEOLOGIE CARDINAL EMILE BIAYENDA

B. P : 210 – BRAZZAVILLE

LA FRATERNITE A L’HEURE ACTUELLE : ENJEUX, DEFIS ET


PERSPECTIVES DANS L’EGLISE AU CONGO-BRAZZAVILLE.
UNE LECTURE DE LA LETTRE ENCYCLIQUE FRATELLI TUTTI
DU SAINT-PERE FRANCOIS

Par

Jucerly BAKALA

MEMOIRE DE BACCALAUREAT DE THEOLOGIE

Présenté au Jury des Baccalauréats du Grand séminaire de théologie

Cardinal Emile BIAYENDA

Directeur : Raphaël BAZEBIZONZA, S.J.

Juin 2022

1
EPIGRAPHE

« Grâce à notre génie scientifique et technologique, nous avons fait de


ce monde un quartier. Et maintenant, par notre engagement moral et éthique,
nous devons en faire une fraternité. Nous devons tous apprendre à vivre
ensemble en tant que frères, sinon nous périrons ensemble en tant
qu’idiots »1.

« Bâtir la société, c’est prendre le parti de la justice, de la fraternité,


de l’amour »2.

« Nous n’avons pas besoin de fraternités communautaires, mais d’une


fraternité universelle »3.

1
Martin Luther King, Homme politique, Pasteur, Religieux (1929-1968).
2 ème
Jean Paul II, 453 Pape de l’Église catholique romaine entre deux siècles, deux millénaires (1979-2005).
3
Abdennour Bidar, Le Figaro Magazine, 23 janvier 2015.

2
DEDICACE

Nous dédions ce travail à la mémoire de notre sœur disparue trop tôt.


Nous espérons que, du monde qui est sienne maintenant, elle apprécie cet
humble geste comme preuve de reconnaissance de la part d’un frère qui a
toujours prié pour le salut de son âme. Après la joie et l’amour qui ont
illuminé sa vie, accorde-lui Seigneur, de contempler Ton visage !

3
REMERCIEMENTS

Au terme de nos années de formation en vue du sacerdoce ministériel,


nous présentons ce travail comme la synthèse des aspirations que nous
portons et des convictions qui nous animent pour notre champ d’apostolat.

Naturellement nous rendons tout d’abord grâce à Dieu pour tous les
bienfaits reçus de lui notamment pour l’affermissement de notre vocation et
sa protection sans faille tout au long de cette formation. Ensuite en honneur de
ceux qui nous ont donné la vie, nous voulons nommer nos parents et alliés.
Enfin en honneur de ceux qui ont entretenu la vie en nous, il s’agit de nos
bienfaiteurs, formateurs et tuteurs.

C’est en communion de pensées avec eux que nous adressons nos


remerciements à tous ceux qui favorisent notre cheminement dans la vie.

A son Excellence, Monseigneur Bienvenu MANAMIKA, qui, par souci


de la prédication missionnaire et par l’action de l’Esprit-Saint, relève le faible
de la cendre et lui dit : « Toi aussi viens à ma vigne »4 ; de bon cœur nous lui
disons nos filiales gratitudes pour la confiance de nous accepter comme apte
au sacerdoce ministériel.

Au Père Raphaël BAZEBIZONZA, qui, malgré ses multiples


responsabilités, a bien voulu diriger ce travail. Sa disponibilité et ses conseils
avisés nous ont permis d’avancer rapidement dans la rédaction de cette étude ;
volontiers nous lui attribuons les quelques mérites de ce travail tout en
assumant les insuffisances. Infinie gratitude.

4
Matthieu 20, 4.

4
SOMMAIRE

0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. PROBLEMATIQUE
0.2. CHOIX ET INTERET DU SUJET
0.3. METHODE ET SUBDIVISION DU TRAVAIL

CHAPITRE I : PRESENTATION DE L’ENCYCLIQUE


I.1-CONTEXTE DE REDACTION ET DESTINATAIRES DE FRATELLI TUTTI
I.2- PLAN OU STRUCTURE DE FRATELLI TUTTI
I.3- RESUME DE L’ENCYCIQUE FRATELLI TUTTI

CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA FRATERNITE : DANS LES


SAINTES ECRITURES, DANS LA TRADITION ET LE MAGISTERE DE
L’EGLISE
II.1- MODELE DE LA FRATERNITE DANS LES TRADITIONS VETERO-
NEOTESTAMENTAIRES

II.2- NOTION DE LA FRATERNITE DANS LA PATRISTIQUE : TEMOIGNAGE


DE CLEMENT DE ROME ET CYPRIEN DE CARTHAGE
II.3- PERCEPTION DE LA FRATERNITE DANS LES DOCUMENTS DU
MAGISTERE DE L’EGLISE

CHAPITRE III : VIVRE UNE FRATERNITE AUTHENTIQUE : ENJEUX,


DEFIS ET PERSPECTIVES DANS L’EGLISE AU CONGO BRAZZAVILLE
III.1- LA FRATERNITE DANS LE CONTEXTE CONGOLAIS

III.2- ENJEUX, DEFIS ET PERSPECTIVES DE LA FRATERNITE AU CONGO


BRAZZAVILLE

III.3- LE VIVRE ENSEMBLE COMME SOUBASSEMENT DE L’AMOUR ET DE


LA FRATERNITE

CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES

5
0. INTRODUCTION GENERALE

0.1. Problématique

« Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu
demeure en lui »5. L’amour fraternel est une disposition vers laquelle tous les
chrétiens doivent tendre. Tout homme, quel qu’il soit a besoin d’amour.
L’amour pour l’autre est une extériorisation de l’amour pour Dieu. C’est dire
que, celui qui aime Dieu devrait absolument aimer son projet de salut.

Dans une société en pleine mutation, une société dans laquelle les
antivaleurs comme le tribalisme, la xénophobie, la ségrégation raciale, la
discrimination, la calomnie, la haine, l’individualisme, l’égoïsme,
l’indifférence et autres deviennent des valeurs et des maîtres-mots, une
société où les hommes s’entredéchirent et s’entretuent par manque de
tolérance, au nom de la liberté et de l’appartenance religieuse, les fondements
d’une fraternité crédible et équitable restent encore à repenser. C’est dans
cette démarche qu’entend s’inscrire le Pape François dans sa Lettre
Encyclique Fratelli tutti. En effet, dans Fratelli tutti6, le Saint-Père entend
poser de nouvelles bases de l’amour en invitant à une amitié sociale qui
franchi les barrières de l’espace et de la géographie7. Il veut nous amener à
sortir de nos considérations ethniques pour nous ouvrir à une fraternité
universelle.

Dans cette Encyclique, François n’entend pas faire le récital de la


doctrine sur l’amour fraternel, mais il jette son dévolu sur l’amour dans son
caractère universel, tout en promouvant son rêve d’une fraternité et d’un
amour extralinguistique. Aussi, écrit-il :

5
1 Jean 4, 16b.
6
« Fratelli tutti » est une reprise d’une expression onéreuse à saint François d’Assise ( qui l’inspira déjà en
2015 dans son encyclique Laudato Si’), par laquelle il invitait tous ses frères et sœurs à l’amour en leur
proposant un mode de vie proportionné à l’Évangile.
7
François, Lettre Encyclique Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020, n°1.

6
Les pages qui suivent n’entendent pas résumer la doctrine sur l’amour
fraternel, mais se focaliser sur sa dimension universelle, sur son
ouverture à toutes les personnes. Je livre cette encyclique sociale
comme une modeste contribution à la réflexion pour que, face aux
manières diverses et actuelles d’éliminer ou d’ignorer les autres, nous
soyons capables de réagir par un nouveau rêve de fraternité et d’amitié
sociale qui ne se cantonne pas aux mots8.

De fait, à l’arrière fond de son rêve d’une fraternité universelle, trame


l’idée de dénoncer tous les maux qui freinent celle-ci et de proposer un
exemple à suivre dans la figure du bon Samaritain telle que relatée dans la
parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-27).
En effet, l’amour fraternel reste de toute évidence une question à
examiner et à explorer dans une société mondialisée et en perte de la culture
de la rencontre et du dialogue. Promouvoir ce monde ouvert tant souhaité par
le Souverain pontife, et une nouvelle politique dans les relations humaines en
inventant d’un monde où les hommes aspirent tous ensemble comme des
personnes partageant la même chair, reste un grand combat dans une telle
société en manque de dialogue et d’amour fraternel.
Dans ces conditions, que pourrions-nous dire sur l’amour fraternel dans
un monde autarcique ? Comment pourrions-nous vivre une fraternité crédible
dans ce monde où la mondialisation de l’indifférence bat son plein ? Quels
sont les défis de l’amour fraternel à l’heure actuelle ?
0.2. Choix et intérêt du sujet
Le choix que nous avons porté à ce sujet n’est pas le fruit du hasard,
tout part d’un constat macabre que nous faisons du monde de notre temps et
de nombreuses déviations et antivaleurs transformées en valeurs au sein de
l’Église. En effet, dans un monde en perte de valeurs et de repères, marqué
par l’intolérance et gangréné par les inégalités, le terrorisme, les conflits inter-
religieux et la Covid-19 pour ne citer que cela, réfléchir sur la fraternité
s’avère impérieux, urgent et très important. C’est en tenant compte de la

8
Ibidem, n°6.

7
réalité sociale actuelle minée par tous ces maux et fléaux évoqués en amont
que nous avons choisi ce thème.

L’intérêt de ce sujet est de nous amener à rejeter non seulement tout ce


qui empêche la fraternité universelle d’émerger sinon d’éclore, mais aussi et
surtout à promouvoir un amour sans frontière, se situant au-delà de la
géographie et de l’espace, ayant pour soubassement le dialogue, la tolérance
et le vivre ensemble. Ceci est donc la motivation qui justifie l’intérêt de ce
sujet qui nous paraît d’ailleurs très actuel.

0.3. Méthode et subdivision du travail

Tout travail heuristique obéit toujours à une méthode d’investigation.


En ce qui nous concerne, notre recherche obéira à la méthode analytique. Il
s’agira ici d’analyser la fraternité dans une vision théologique.

Pour développer notre propos, nous avons structuré cette recherche en


trois chapitres essentiels. Le premier chapitre sera la présentation de
l’encyclique. Nous y aborderons le contexte de rédaction, le plan et résumé de
cette encyclique Fratelli tutti. Le deuxième chapitre portera sur les
fondements de la fraternité dans les Saintes Écritures, dans la Tradition et le
Magistère de l’Église, à partir desquels nous tenterons de donner dans un
premier moment, un contenu définitionnel au concept ‘’fraternité’’ et dans un
second, en dégager les fondamentaux de la fraternité en partant de trois
sources de la révélation précitées. Le troisième chapitre, quant à lui, fera de
façon succincte référence à la situation de vivre une fraternité authentique :
enjeux, défis et perspectives dans l’Église au Congo-Brazzaville. Nous y
analyserons la fraternité universelle dans le contexte de la maladie à
Coronavirus, et faire des propositions concrètes pour le vécu d’une fraternité
universelle authentique, avec un regard porté sur notre Église locale ; le point
d’acmé de ce chapitre sera une analyse sur le ‘’vivre ensemble’’ entendu
comme tremplin de la fraternité, suivant la vision du Saint-Père.

8
CHAPITRE I : PRESENTATION DE L’ENCYCLIQUE

Publié le 03 octobre 2020 à assise, Fratelli tutti est la troisième Lettre


Encyclique du Pape François9 après Lumen Fidei en 2013 et Laudato Si’ en
2015. Elle se présente comme étant la synthèse de la pensée du Pape François
en sept ans de pontificat. Cette encyclique à six sources d’inspirations : saint
François qui invitait ses frères à la fraternité ; le document issu de la rencontre
du successeur de Pierre avec le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb à Abou Dhabi
le 04 Février 2019 ; le Dr Martin Luther King Jr (archevêque anglican) ;
Desmond Tutu ; le Mahatma Gandhi de l’Inde ; et le Bienheureux Charles de
Foucauld (Cf. n°286).

Toutefois, dans quel contexte intervient-elle ? Quels en sont les


destinataires ? Comment se structure-t-elle ? De quoi parle-t-elle ? Qu’en
reste-t-il de la fraternité ?

I.1- Contexte de rédaction et destinataires de Fratelli tutti

C’est en partant de nombreux maux qui freinent la fraternité dans notre


époque actuelle, des rêves brisés et projets abandonnés, de la culture du
déchet, du non-respect des droits de l’Homme et surtout de la pandémie à
coronavirus Covid-19 qui selon le Saint-Père viennent mettre à nu nos
incapacités d’agir ensemble10, que cette encyclique a été écrite.

De fait, cette encyclique du Pape s’adresse aux responsables de


l’Église, aux chrétiens ainsi qu’à tous ceux qui veulent faire de cette réflexion
une ouverture au dialogue.

9
De son vrai nom Jorge Mario BERGOGLIO, François est né le 17 Décembre 1936 à Buenos Aires en
Argentine. Il est ordonné prêtre le 13 Décembre 1969 par Mgr Ramon Castellano et à fait sa profession
solennelle dans la compagnie de Jésus le 22 Avril 1973. Il a été archevêque de Buenos Aires du 28 Février
ème
1998 au 13 Mars 2013 ; il est le 266 Pape de l’Église Catholique de Rite latin.
10
François, Lettre Encyclique Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020, n°7.

9
I.2- Plan ou structure de Fratelli tutti
Contenant 287 numéros répartis en 8 chapitres, elle comprend une
introduction comme entrée en matière et se termine par deux prières
œcuméniques.

Le premier chapitre, intitulé ‘’Les ombres d’un monde fermé’’,


comportant 55 numéros, est essentiellement une analyse de toutes les
tendances qui entravent la fraternité universelle. De cette analyse, le Pape
François note d’abord des rêves qui se brisent en morceaux. Les hommes
d’aujourd’hui semblent écrire leur histoire dans le passé, l’ouverture au
monde ne se rapporte plus qu’au monde de l’économie, des affaires. Le
monde perd le sens de l’histoire : c’est la fin de la conscience historique. La
politique du diviser pour mieux régner bat son plein. Il n’y a plus de projet
visant le développement de toute l’humanité, les hommes s’éloignent de plus
en plus et l’idée d’un monde ouvert s’effrite ; l’intérêt personnel prime sur
l’intérêt commun : « Les âmes qui s’élèvent en faveur de la défense de
l’environnement sont réduites au silence ou ridiculisées »11. Les âmes de
liberté comme démocratie ont perdu leur sens ; ces termes deviennent les
justificatifs de la mauvaise gouvernance.

Aussi, en illustrant l’outrage des pauvres et des personnes qui ne


servent à rien, François note la perte du sens de la dignité de la personne
humaine acquise il y a 70 ans, l’exclusion de la femme, la perte de l’éthique et
des valeurs spirituelles. Dans ce chapitre, il nous rappelle aussi que la
pandémie de la Covid-19 nous a permis de comprendre l’importance de
l’autre, mais craint que les hommes l’oublie vite. Le Pape termine ce chapitre
par une invite à l’espérance, puisque selon lui, malgré toutes ces tendances
Dieu continue de répandre des semences de bien dans l’humanité (Cf. n°55).

11
Ibidem, n°17.

10
Le deuxième chapitre, intitulé ‘’ Un étranger sur le chemin’’, du
numéro 56 au numéro 86, est une analyse de la parabole du bon Samaritain
racontée par Jésus-Christ, il y a plus de 2000 ans en insistant sur l’amour du
prochain. Cette parabole, reprit par le Pape, a pour personnage en dehors du
Samaritain qui est la figure de proue, les brigands, ceux qui passent outre sans
compatir (insensibles aux difficultés ou souffrances des autres). Dans ce
chapitre, François veut nous amener à comprendre que l’amour brise les
considérations et les clivages ethniques ; c’est ce qu’il affirme en ces
termes : « C’est l’amour qui brise les chaînes qui nous isolent et qui nous
séparent en jetant des ponts »12. C’est dire donc que le Samaritain a
transcendé toutes les considérations de son époque qui les mettaient en
contradiction avec les juifs pour faire primer l’amour. Ce chapitre insiste de
fond en comble sur ce rêve d’une fraternité qui brise les barrières de l’espace
et veut amener les hommes à plus d’humanité. Le successeur de Pierre nous
invite à nous rapprocher. Face à tout ce tableau macabre, une question
demeure : A qui t’identifies-tu ? Qui est ton prochain ? La réponse est donnée
par l’auteur lui-même, être comme le bon Samaritain dans notre société
actuelle où l’indifférence a atteint son paroxysme 13.

Le troisième chapitre, ‘’Penser et gérer un monde ouvert’’ regroupe les


numéros 87 à 127. Il est une interpellation, un appel à l’ouverture comme
socle de cette fraternité universelle tant espérée. Dans ce chapitre, le Pape
commence par un rappel très judicieux : « Un être humain est fait de telle
façon qu’il ne se réalise, ne se développe ni ne peut atteindre sa
plénitude « que par le don désintéressé de lui-même » »14. Pour lui, la
rencontre constitue le fondement de la vie. L’homme est un être qui porte en
lui les germes qui le pousse à aller vers l’autre. L’amour a une valeur unique,

12
Ibidem, n° 62.
13
Pape François, Lettre Encyclique Fratelli tutti, classeur.
14
François, Op.cit., n°87.

11
c’est en cultivant l’esprit de la rencontre qu’on peut arriver à l’amitié sociale
et à la fraternité universelle. Pour étayer sa pensée, le Pape s’appuie sur une
parole de Jésus dans laquelle il nous rappelle que nous sommes tous frères
(Mt 28, 3). Il veut que nos sociétés intègrent tout le monde sans exception
aucune. Il veut aussi faire de nos sociétés des lieux qui promeuvent des
valeurs qui mènent au développement humain intégral.

Dans le quatrième chapitre, titré ‘’ Un cœur ouvert au monde’’, du


numéro 128 au numéro 153, le Pontife romain recommande le bon accueil
aux migrants comme démarche d’instauration de la fraternité universelle.
C’est ce que l’on peut lire en ces termes : « Il est important d’appliquer aux
migrants arrivés depuis quelque temps et intégrés à la société le concept de
‘’citoyenneté’’ qui « se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre
de laquelle tous jouissent de la justice »15. Après avoir dénoncé dans le
premier chapitre ce qui freine la fraternité universelle, le Pape donne ici les
éléments qui peuvent nous aider à asseoir cette fraternité universelle. Il nous
recommande de développer l’esprit du salut collectif, de rechercher un nouvel
ordre politique qui se soucie du développement intégral de tous. Il rappelle
aussi l’urgence et l’importance de la gratuité en demandant de tout faire sans
attendre quelque chose en retour. Bref, François préconise une ouverture au
monde, mais une ouverture qui se veut être saine.

Le cinquième chapitre, ‘’ la meilleure politique’’, va du numéro 154 au


numéro 197. Dans ce chapitre, face aux échecs répétés des systèmes
politiques comme le populisme et le libéralisme, le Souverain pontife nous
invite à une nouvelle voie. Il rêve d’une nouvelle politique qui tienne compte
des problèmes de notre temps : « Une saine politique, capable de reformer les
institutions, de les coordonner et de les doter de meilleurs pratiques qui

15
François, Lettre Encyclique Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020,
n°128.

12
permettent de vaincre les pressions et les inerties vicieuses »16. Il imagine un
monde où la politique fera corps avec la charité et sera au service du bien
commun. Pour lui, la bonne politique est celle qui favorise la créativité
entrepreneuriale. Il appelle donc à progresser vers un ordre social et politique
dont l’âme sera la charité sociale.

Le sixième chapitre, ‘’ dialogue et amitié sociale’’ qui regroupe les


numéros 198 à 224. Ici ; François insiste sur la nécessité de dialoguer. Pour
lui : « Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître,
essayer de se comprendre, chercher des points de contacts, tout cela se
résume dans le verbe ‘’dialoguer’’ »17. Le dialogue doit respecter le point de
vue de l’autre, car, l’autre a beaucoup à nous enseigner.

Le septième chapitre, ‘’ des parcours pour se retrouver’’, va du numéro


225 au numéro 270. Dans ce chapitre, le Pape insiste et donne des pistes sur
les chemins qui mènent à la paix ; parmi tant d’autres on note la
réconciliation, les projets communs qui se fondent sur les intérêts de tous, le
respect, la reconnaissance et la reconstruction de la dignité humaine, la
valorisation des personnes pauvres, la revalorisation du sens du pardon. Il faut
donc arriver à un pardon profond et à la vraie réconciliation en bannissant
l’esprit de violence et des armes nucléaires.

Le huitième chapitre, ‘’les religions au service de la fraternité dans le


monde’’, regroupe les numéros 271 à 280. Ce chapitre est une piste
d’atterrissage de toutes les théories que le Pape François a développé dans les
chapitres précédents. Partant de sa rencontre avec le Grand Imam Ahmed, le
pontife Romain, insiste sur la place des religions dans l’élaboration de cette
fraternité tant espérée. Les religions doivent être des lieux où on apprend le

16
Ibidem, n°177.
17
François, Lettre Encyclique Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020,
n°198.

13
dialogue, elles doivent semées la réconciliation. Ce chapitre met aussi un
accent sur l’œcuménisme.

Comme conclusion, le Pape lance quelques appels dans cette


encyclique pour arriver à cette fraternité universelle :

 La réforme de l’ONU
 L’abolition de la peine de mort
 L’ouverture de l’Europe aux migrants
 Condamnation de l’esclavagisme dans toutes ses formes
 L’Admonestation
 Le rappel de la vocation de toutes les religions
 L’unité des chrétiens18.

I.3- Résumé de l’Encyclique Fratelli tutti

Les ombres d’un monde fermé se répandent sur le monde, laissant sur
le bord de la route des personnes blessées, qui se trouvent exclues, rejetées.
Ces ombres plongent l’humanité dans la confusion, dans la solitude et dans le
vide. Nous rencontrons un étranger sur le chemin ; il est blessé. Devant cette
réalité, deux attitudes sont possibles : passer outre sans compatir ou faire halte
auprès de lui ; que nous choisissions de l’inclure ou, au contraire, de l’exclure,
c’est là ce qui déterminera la nature de notre personne ou de notre projet
politique, social et religieux.

Dieu est amour universel, et tant que nous faisons partie de cet amour et
le partageons, nous sommes appelés à la fraternité universelle, qui est
ouverture. Il n’y a pas « les autres » ou « eux », il y a seulement « nous ».
Nous désirons, avec Dieu et en Dieu, un monde ouvert (sans murs, sans
frontières, sans exclus et sans étrangers), et pour cela nous avons et nous
voulons un cœur ouvert. Nous vivons une amitié sociale, nous recherchons un

18
A., MEKARY, Fratelli tutti : les sept grands appels du Pape François, 5 octobre 2020, https://fr.aleteia.org,
Consulté Jeudi 18 novembre 2021.

14
bien moral, une éthique sociale, parce que nous nous savons membres d’une
fraternité universelle. Nous sommes appelés à la rencontre, à la solidarité et à
la gratuité.

Pour atteindre un monde ouvert avec un cœur ouvert, la meilleure


politique doit être mise en œuvre. Une politique visant le bien commun et
universel, une politique pour le peuple et avec le peuple. Autrement dit, une
politique populaire, menée avec une charité sociale qui recherche la dignité
humaine, et exécutée, avec un amour politique, par des hommes et des
femmes qui intègrent l’économie dans un projet social, culturel et populaire.

Savoir dialoguer est le chemin pour ouvrir le monde et construire


l’amitié sociale ; et c’est le fondement pour une meilleure politique. Le
dialogue respecte, accepte et recherche la vérité. Le dialogue donne naissance
à la culture de la rencontre ; autrement dit, la rencontre devient un style de
vie, une passion et un désir. Celui qui dialogue est bienveillant, reconnaît et
respecte l’autre.

Mais cela ne suffit pas : il nous faut affronter la réalité des blessures de
la rencontre qui a échouée, et, à la place, établir et parcourir les chemins
d’une rencontre renouvelée. Il faut cicatriser les blessures et rétablir la paix.
Pour cela, il nous faut être audacieux et partir de la vérité, partir de la
reconnaissance de la vérité historique. Cette dernière est la compagne
inséparable de la justice et de la miséricorde et est indispensable pour
cheminer vers le pardon et la paix. Pardonner ne signifie pas oublier ; le
conflit sur le chemin de la paix est inévitable, mais la violence n’est pas
acceptable. C’est pourquoi recourir à la guerre est inacceptable et la peine de
mort est une pratique à éradiquer.

Les différentes religions du monde reconnaissent l’être humain comme


créature de Dieu ; en tant que créatures, nous sommes tous dans une relation
de fraternité. Les religions sont appelées à se mettre au service de la fraternité

15
dans le monde. En nous ouvrant au Père de tous, nous reconnaissons notre
condition universelle de frères. Pour les chrétiens, la source de la dignité
humaine et de la fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ, à partir
duquel naissent nos actions et nos engagements. Ce chemin de fraternité nous
donne aussi une Mère nommée Marie.

Devant les personnes blessées par les ombres d’un monde fermé, qui
gisent au bord du chemin, le Pape François nous appelle à faire nôtre et à
mettre en œuvre le désir de fraternité du monde, qui commence par la
reconnaissance du fait que nous sommes Fratelli tutti, tous frères et sœurs.

16
CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA FRATERNITE : DANS
LES SAINTES ECRITURES, DANS LA TRADITION ET LE
MAGISTERE DE L’EGLISE.

La fraternité est au cœur de l’activité de l’Église, dans la mesure où


toutes ses réflexions se trouvent préoccupées par elle. A l’arrière fond de
toute la révélation se trouve l’idée de la fraternité et de la communion. Dieu
s’est révélé Un et Trine, une communion inséparable. Dieu se révèle toujours
à un peuple, un peuple qui vit en communauté. Que ce soit dans l’Ancien ou
dans le Nouveau Testament, la fraternité est au cœur de la Bible.
A coté des auteurs sacrés, les Pères de l’Église et les documents du
Magistère ont aussi abordés la question. Cela étant, que nous disent les
traditions vétéro-néotestamentaires au sujet de la fraternité ? Comment la
conçoivent-elles ? Qu’en est-il de la vision des Pères de l’Église ? En quel
sens l’assertion selon laquelle l’Église est fraternité se vérifie-t-elle au regard
des documents conciliaires ? Que peut nous dire le Magistère de l’Église sur
la fraternité ? Ces questions induisent une réflexion fondamentale sur la place
de la fraternité et les rapports qu’elle peut entretenir avec l’ecclésiologie.
En ce qui nous concerne, il s’agit de parler de la fraternité dans les
données scripturaires, dans la tradition patristique et le Magistère de l’Église ;
c’est-à-dire, il s’agit de recenser dans les documents du Magistère les
différents articles qui traitent de la fraternité, de les analyser et d’en dégager
l’image de l’Église qui en transparaît. Il serait judicieux de commencer par
l’étude de quelques documents fondamentaux. Dans l’ordre d’importance,
nous choisissons la Constitution dogmatique sur l’Église et quelques décrets
relatifs au ministère pastoral et à la vie consacrée. Nous aborderons après les
Décrets Orientalium Ecclesiarum et Unitatis Redintegratio dans le cadre des
défis de l’œcuménisme. Mais, avant de nous attarder à notre problématique,
nous tenterons de donner le contenu définitionnel du concept ‘’fraternité’’.

17
 De la définition de la fraternité

Il sied de préciser qu’on ne saurait parler de fraternité sans pourtant


recourir au mot frère. Au sens propre, il indique « [des] hommes qui sont
issus du même sein maternel »19. Mais, ce mot s’utilise aussi pour désigner les
membres d’une même famille, d’une même nation et d’une même tribu.
Par ailleurs, l’usage de ce mot a évolué en partant de la communauté
hellénistique, en passant par l’Ancien Testament jusqu’au Nouveau
Testament. Hors du christianisme et avant le christianisme notamment dans le
monde grec, le mot fraternité a deux sens : « la fraternité est d’abord (…) un
phénomène de consanguinité. (…) au sens large [elle désigne] des sujets
d’une même nation ; dans l’autre cas, [elle est] ce que l’on appellera avec
Goethe : ‘’affinité élective’’ »20. C’est dire que chez les Grecs le mot
fraternité était utilisé pour créer une scission avec les barbares, les étrangers.
Dans l’Ancien Testament, il acquiert un sens nouveau et devient
divinisé car le frère n’est plus seulement celui avec lequel on partage le même
sang, mais celui qui appartient au seul peuple de Dieu, le peuple élu ; la
fraternité est liée à la paternité de Dieu21. Le Nouveau Testament reprend dans
ses débuts la conception juive du frère, mais c’est avec Jésus-Christ que ce
mot acquiert une tournure nouvelle « en l’appliquant à la nouvelle fraternité
chrétienne au lieu de l’ancienne fraternité politico-religieuse des juifs »22.

Dans l’Église, le mot fraternité « άδελφοτής » est employé pour


désigner la communauté chrétienne, l’Église. Cela remonte des temps
primitifs de l’Église avec l’apôtre Pierre. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Marie-
Louise Lamau en ces termes : « Cet être-ensemble des chrétiens, Pierre par

19
Vocabulaire de Théologie Biblique, sous la direction de X. Léon-Dufour, J.Duplacy, A. Georges, et allii, Cerf,
Paris, 1964, p. 403.
20
J., RATZINGER, Frères dans le Christ, Cerf, Paris, 2005, p. 10.
21
Ibidem, p. 11-18.
22
Ibidem, p. 33.

18
deux fois, et il est le seul à le faire parmi les auteurs du Nouveau Testament,
le nomme adelphotês, fraternité (2, 17 ; 5-9) »23.

Pour le patrologue Michel Dujarier, l’emploi du mot fraternité a


d’abord eu un fondement christologique pour ensuite se répandre à tous les
chrétiens (comme qui dirait pour désigner les relations frères et sœurs entre
les chrétiens dans le Nouveau Testament). Pour lui, si aux trois premiers
siècles, les chrétiens utilisent ce mot pour désigner « l’ensemble des frères et
sœurs qui vivent de la vie de Dieu en Christ, grâce à l’Esprit qu’ils ont reçu
par le baptême », aux quatrième et cinquième siècles, ce mot est employé
pour faire une véritable théologie du Christ-Frère et pour désigner l’Église-
Fraternité24.

Fratelli tutti, se présente comme une véritable encyclique sociale et


revisite des questions qui nous sont familières. En élargissant cette encyclique
à toutes les personnes qui s’ouvrent au dialogue, le Pape François, lance son
cri d’alarme et son rêve d’un monde unifié. Mais, le concept ‘’Fraternité’’
n’est pas l’apanage du Saint-Père. En parcourant ses bribes historiques, l’on
se rend bien compte que ce concept a évolué avec le temps. Toutefois, qu’en
reste-t-il de la fraternité ?

II.1- Modèle de la fraternité dans les traditions Vétéro-Néo


Testamentaires

Étant image et ressemblance de Dieu, l’homme est appelé à aimer Dieu


et l’autre, (son prochain). D’où, « Dieu, qui veille paternellement sur tous, a

23 er
M.L., LAMAU, Des chrétiens dans le monde : communautés pétriniennes au 1 siècle, Cerf, Paris, 1988,
« Lectio Divina », 134, p. 285-286.
24
H., AGBENUTI, « Michel DUJARIER, Église-Fraternité. L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers
siècles », Revue des sciences religieuses (En ligne), 92/1/ 2018, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le
18 novembre 2021. http://journals.openedition.org/rsr/4501; DOI : hhttps://doi.org/10.4000/rsr.4501.

19
voulu que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent
mutuellement comme des frères »25.

a- Dans l’Ancien Testament (Gn 1-2 ; 3,9-12 ; 4, 1-12 ; 33, 4 ; 45, 1-8 ; Lv
19, 17 ; 1R 12, 24 ; Is 2, 1-4.)

Toute la révélation cosmique est un acte de dialogue entre Dieu et


l’homme, entre ses deux créatures préférées (l’homme et la femme) et entre
l’homme et la nature (Gn 1-2) et donc par ricochet, une histoire de relation.
Puisque, Dieu en se révélant, il se communique au genre humain par sa
parole. C’est dans ce sens que le Vocabulaire de Théologie Biblique affirme
que par la création Dieu a mis en l’homme le désir de la fraternité : « Aux
origines, en créant le genre humain « d’un seul principe » (…), Dieu a déposé
au cœur des hommes le rêve d’une fraternité en Adam »26. C’est dire que dans
l’Ancien Testament, la communion fraternelle a son origine dans le Père de
toute l’humanité dans la mesure où c’est Dieu lui-même qui va à la rencontre
des hommes.
Toutefois, la fraternité se définit dans l’Ancien Testament aussi dans
l’histoire du salut, une histoire d’un peuple choisi, le peuple hébreu. Elle
s’explique à travers les différentes alliances scellées par ce peuple ; car le
peuple élu dans son histoire du salut va faire l’expérience de la fraternité entre
frères par la foi. Cette fraternité est basée sur l’amour et le pardon. C’est ce
que l’on peut lire en ces termes : « Tu ne haïras pas ton frère (…) tu aimeras
ton prochain » (Lv 19, 17s).
Aussi, la fraternité telle que vécue dans l’Ancien Testament, n’est pas
sans conflits. Dès les premières pages de l’Ancien Testament interviennent les
premières crises de l’humanité avec pour protagonistes Adam et Caïn. La
première crise de l’humanité est une crise de responsabilité individuelle (Gn3,
9-12). L’attitude d’Adam qui en réponse aux questions posées par Dieu
25
Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes,
Paulines, Kinshasa, 2013, n°24 §1.
26
Vocabulaire de Théologie Biblique, Cerf, Paris, 2000, p. 403.

20
accuse l’autre, exprime non seulement cette crise de responsabilité
individuelle, mais aussi cette tendance humaine à vouloir tout expliquer et
justifier, car « s’accuser cache au fond un profond malaise et un manque
criard d’alternatives et d’alibis »27.
Dans ces conditions, on comprend alors que dès les premières pages de
l’Ancien Testament, la fraternité se trouve exposée à certaines crises, comme
pour dire que là où il y a des hommes, les problèmes ne manquent pas. La
deuxième crise de l’humanité dans le cadre des relations fraternelles dans
l’Ancien Testament, est l’épisode de Caïn et d’Abel le juste (Gn 4, 1-12). La
haine et la jalousie qui animent Caïn, sa réponse à Dieu illustre à suffisance
l’ampleur de cette crise. Le refus de Caïn d’être le responsable de son frère,
inaugure « l’irresponsabilité de l’homme en face des autres créatures »28. De
fait, la fraternité dans l’Ancien Testament, est un conglomérat de fratricides,
de jalousies, de coups bas, de rivalités et autres. C’est dans cette perspective
que Philippe Abadie affirme : « Entre frère, jalousie, rivalité, coups bas et
même fratricide émaillent les récits bibliques. Caïn tue son frère Abel, Jacob
vole la bénédiction d’Esaü, le jeune Joseph est jalousé par ses frères, Moïse,
Aaron et Myriam entreront non sans mal dans la Terre promise, les enfants
du roi David se déchireront »29.
En outre, malgré toutes ces discordes auxquelles les fraternités sont
confrontées dans l’Ancien Testament, ces récits se terminent souvent par une
réconciliation, comme pour montrer que la fraternité est importante. On peut
citer par exemple, la réconciliation entre Jacob et Esaü (Gn 33, 4) et même le
pardon de Joseph à ses frères (Gn 45, 1-8). Même dans l’histoire d’Israël, les
conflits n’ont pas manqué, par exemple avec la dissolution du lien des douze
tribus (1R 12, 24). Malgré toutes ces crises, les prophètes se tournaient

27
G.K., DESSINGA, Penser L’Humain Aujourd’hui, L’Harmattan, Paris, 2018, p. 19.
28
C’est une expression utilisée par le Père Giscard-Kevin DESSINGA dans Penser L’Humain Aujourd’hui en
commentant l’épisode de Caïn et d’Abel. Pour lui, cette réaction de Caïn peut être taxée de parricide, dans
la mesure où, il a non seulement nié la mission que Dieu a confiée à son père et à sa descendance, d’être le
berger de toute créature, mais aussi sa mission en tant que descendant d’Adam.
29
P., ABADIE, Ce que dit la Bible sur le frère, Nouvelle cité, Paris, 2016, Quatrième de couverture.

21
toujours vers Dieu, celui qui réunira Juda et Israël en un seul peuple lors du
salut eschatologique (Is 2, 1-4). Ils ont su s’arrêter un moment pour surmonter
ces différends. Tout cela, c’est pour montrer que la fin ultime de la fraternité
c’est la communion et le vivre harmonieux. Bref, la fraternité se présente dans
l’Ancien Testament sous la forme d’un binôme, d’une dialectique entre la
jalousie, la haine et l’amour.

b- Dans le Nouveau Testament (Mt 18, 21-22 ; Ac 14, 1 ; 6, 1-6 ; Rm 8,


29 ; 1Cor 12, 12 ; 13, 15)
Avec le Nouveau Testament, notamment en la personne de Jésus-
Christ, plénitude de toute la révélation, s’accomplit le rêve d’une fraternité
universelle commencée dans l’Ancien Testament30. En Jésus-Christ, la
fraternité acquiert un sens nouveau puisqu’il est ainé d’une multitude de
frères comme l’affirme Saint Paul apôtre (Rm 8, 29). Si dans l’Ancien
Testament la fraternité avait parmi tant d’autres conditions sine qua non la
commune élection et le fait d’être descendant d’Abraham, avec le Christ la
donne change, la fraternité s’origine dans la foi et l’adhésion à la volonté du
Père.

Le Nouveau Testament déroule le tapis d’une fraternité universelle,


juifs et païens se trouvent réconciliés en la personne de Jésus-Christ (Ac
14,1). Une image utilisée par Paul dans sa première épitre aux corinthiens,
l’image du corps qui a plusieurs membres mais demeure un, illustre bien la
fraternité universelle dans le Nouveau Testament : « En effet, prenons une
comparaison ; le corps est un, et pourtant il a plusieurs membres ; mais tous
les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul
corps (…) » (1Co 12,12).
Par ailleurs, l’idéal fraternel voulu par le Christ se poursuit même après
sa mort avec la première communauté chrétienne. C’est une communauté unie

30
Vocabulaire de Théologie Biblique, Cerf, Paris, 2000, p. 405.

22
dans laquelle on met tout en commun ; leur vécu l’atteste. A en croire Etienne
Charpentier, cette communauté était fondée sur trois aspects fondamentaux :

Les disciples sont assidus à l’enseignement des apôtres. Dans cette


catéchèse aux nombreux nouveaux baptisés (…) ; on se rappelle les
paroles et les actes de Jésus pour y trouver une règle de vie. (…) les
disciples sont assidus à la communauté fraternelle, communion des
cœurs qui s’exprime par le partage des biens ; il n’y a pas d’indigents
parmi eux, car nul ne dit sien ce qui lui appartient, mais le met à la
disposition de tous. Les disciples sont assidus à la fraction du pain, c’est-
à-dire l’eucharistie, et aux prières. Ils prient au Temple, dans les maisons
ou ailleurs31.

Toutefois, la première communauté chrétienne n’était pas exemptée des


conflits, étant donné que les problèmes ne manquent pas là où les hommes
vivent. Mais les apôtres ont vite su y remédier. La première crise de la
communauté intervient dans Actes 6,1-6 : la croissance de la communauté
entraine des injustices, les veuves des grecs sont oubliées dans le partage des
biens par les hébreux. Pour pallier à ce différend, les apôtres vont décider de
séparer le service de la table et de la parole, en instituant sept diacres qui sont
tous d’ailleurs grecs. Bref, la vie d’ensemble, l’amour fraternel occupe une
place importante dans le Nouveau Testament, dans la mesure où sans l’amour,
parler toutes les belles langues n’est que du tintamarre comme nous le révèle
l’hymne à l’amour (1 Co 13, 15). Cette fraternité se fonde sur le pardon (Mt
18, 21-22).

II.2- Notion de la fraternité dans la patristique : Témoignage de Clément


de Rome et Cyprien de Carthage
La littérature patristique n’est pas en marge de la fraternité, dans la
mesure où « Chez les Pères, jusqu’au IIIe siècle, l’usage du terme « frère »
reste fréquent »32. Pour les Pères de l’Église, c’est par le baptême que l’on
accède à la fraternité comme communauté chrétienne. Ce terme est employé
pour désigner la communauté des chrétiens. Plusieurs Pères réfléchissent sur
31
E., CHARPENTIER, Pour lire le Nouveau Testament, Verbum Bible, Kinshasa, 2013, p. 32.
32
J., RATZINGER, Op.cit., p. 51.

23
la fraternité dans les sept premiers siècles, mais deux témoignages nous
intéressent : celui de Clément de Rome et de Cyprien de Carthage.

II.2.1-Témoignage de Clément de Rome


Dans une lettre qu’il écrivit à l’Église de Corinthe vers 96, Clément de
Rome emploi le terme grec « άδελφοτής » ‘’Fraternité’’ pour désigner cette
communauté. Dans cette lettre, il insiste sur l’unité qui doit exister entre les
frères de la communauté. Pour lui, les chrétiens sont des frères appelés par
Dieu, qui doivent vivre leur fraternité dans la personne de Jésus-Christ. Plus
d’une fois dans sa lettre, pour parler de la communauté, il utilise le terme
fraternité : « Vous étiez en combat jour et nuit en faveur de toute la fraternité,
afin que dans l’affection et l’accord des consciences soit sauvé le nombre de
ses élus »33. Cette citation le confirme bien.

II.2.2- Saint Cyprien et les enjeux de la fraternité


Dans la littérature patristique, le témoignage de saint Cyprien apporte
une lumière particulière à la question de la fraternité prise dans son acception
collective au sens pétrinien de « la communauté des frères ». L’évêque de
Carthage n’aborde pas la question de la fraternité comme un en soi. C’est à
partir de la réflexion sur l’unité de l’Église qu’il aborde celle de la fraternité.
Il rédige son traité dans une perspective qui nous permet de mettre en relation
les deux concepts de fraternité et d’unité à partir des mots clés tirés de la
théologie ecclésiale de l’évêque de Carthage.
Certes, l’évêque de Carthage portait constamment le souci de l’unité de
l’Église ; cette dernière était même devenue le trait caractéristique de son
apostolat. Il en avait d’ailleurs fait l’objet du grand traité De unitate ecclesiae.
Ce traité est sans aucun doute le plus important de ses écrits. La
préoccupation manifeste qui se dégage de cet ouvrage est de toute évidence
l’expression de « la catholicité de l’Église, c’est-à-dire l’unité universelle de

33
Clément de Rome, Épître aux Corinthiens 2, 4. Introduction, texte, traduction, notes et index par Annie
Jaubert (sources chrétiennes 167), Cerf, Paris, 1971.

24
tous les disciples du Christ »34. Son influence était telle que même les
donatistes se réclameront de lui plus tard et invoqueront son autorité.
Cyprien exerçait son ministère dans un contexte troublé par la
persécution de Dèce (250-251). L’empereur romain voulait réformer la vie
morale de l’empire. C’est ainsi qu’il avait intimé l’ordre à tous sujets d’offrir
des sacrifices aux dieux de l’empire. Ces différents rites imposés par l’édit de
Dèce devaient concourir à l’établissement de la paix sociale ; ils affirmaient
l’harmonie et la concorde non seulement au sein de la Cité mais aussi à toute
l’étendue de l’empire ; ils garantissaient par ailleurs le respect des traditions
ancestrales35. Mais, les chrétiens affichaient ostensiblement leurs convictions
religieuses par le refus d’obtempérer à l’ordre impérial. Cette attitude n’était
pas de nature à améliorer les relations entre les institutions de l’empire et le
christianisme. La non-observance de l’édit impérial déclencha les
persécutions dont souffrirent les chrétiens.
La méditation de Cyprien sur l’état de l’Église reflétait son incarnation
dans l’histoire des hommes. Comment se présente la situation de l’Église dans
les aléas de l’histoire ? Cyprien indique trois pistes : la nature de l’Église,
l’attitude du disciple et les structures d’ordres. Nous n’insisterons pas
d’avantage sur ces dernières qui mettent en exergue la communion et la
concorde des évêques dont l’unité est fondamentalement inscrite dans la
passion du Christ. Elles feront d’ailleurs l’objet d’une abondante littérature
dans la suite de notre travail. A cet égard la primauté de Pierre ne retiendra
pas notre attention.

34
Cyprien, Unité de l’Église, Textes introduits, traduits et annotés par Mgr Victor Saxer, Collection « les
Pères dans la Foi », Desclée De Brouwer, Paris, 1979, p. 11.
35
« Les chrétiens étaient toujours, peu ou prou, jugés responsables des malheurs qui frappaient l’ordre
impérial et ils sapaient à la base le pacte étroit avec les divinités protectrices de Rome : ils niaient la
centralité, pour la res publica, de la pax deorum et, de ce chef, il s’agissait moins de disputer contre eux que
de les faire rentrer dans le rang, ou de les éliminer…. Cyprien de Carthage, L’unité de l’Église, (introduction
de P. Siniscalco et P. Mattei ; traduction de M. Poirier), Sources chrétiennes n°500, Cerf, Paris, 2006, p. 16-
17.

25
a- Nature de l’Église
Pour introduire au mystère de l’Église, Cyprien recourt largement au
discours métaphorique. Pour aborder le thème de l’unité et de l’indivision de
l’Église, il fait référence successivement à la tunique sans couture du Seigneur
Jésus-Christ, au berger et à son troupeau, à la maison et à ses habitants, à une
colombe :

Mais le peuple du Christ ne peut être divisé ; c’est pourquoi la


tunique du Christ, tissée d’une seule pièce et sans couture, ne
peut être divisée par ceux qui la possèdent : indivise, d’un seul
morceau, d’un seul tissu, elle figure la concorde et la cohésion de
notre peuple, à nous qui avons revêtu le Christ. Par le mystère de
ce vêtement et par son symbole, le Christ a rendu manifeste
l’unité de l’Église36.

Dans le développement que Cyprien fait de cette première image, la


tunique sans couture exprime le « lien de la concorde dans une indissoluble
cohésion »37. L’auteur y recourt à deux reprises, mais dans des applications
plutôt contractées. Par le premier emploi, la tunique est comparée au vêtement
du Christ qui figure « l’unité qui vient d’en haut, c’est-à-dire du ciel et du
Père »38. Dans un contre exemple, il évoque la déchirure du manteau du
prophète pour signifier la gravité de la division du royaume de Salomon et
celle des douze tributs d’Israël. L’intégrité de la tunique signifie alors la
cohésion existante entre les chrétiens dont l’unité est la manifestation
probante.

Cyprien se sert de plusieurs citations bibliques pour asseoir son


argumentation et pour poser les fondements de l’unité. S’inspirant de
l’épisode du bon pasteur (Jn 10, 16), il définit l’unité comme relation de

36
Cyprien, Unité de l’Église, Textes introduits, traduits et annotés par Mgr Victor Saxer, Collection « les
Pères dans la Foi », Desclée De Brouwer, Paris, 1979, p. 32.
37
Ibidem, p. 31.
38
Idem.

26
complicité et d’intimité qui relie le troupeau et son pasteur. Par ailleurs, il
évoque le repas pascal pour établir une relation d’ordre situationnel. Les
instructions sont formelles à ce sujet : « On mangera (la pâque) dans une
seule maison et vous ne ferez sortir de cette maison aucun morceau de
viande » (Ex 12, 46). Il y voit donc la figure de l’Église où sont rassemblés les
croyants qui persévèrent dans la foi.
Cette cohésion et cette concorde sont le fruit de l’Esprit-Saint
représenté dans la Bible par la colombe dont Cyprien décline délicatement
toutes les qualités :

C’est pourquoi aussi l’Esprit-Saint est venu sous la forme d’une


colombe. C’est un animal simple et gai, sans fiel ni amertume,
incapable de cruelles morsures, dont les griffes n’infligent aucune
violente déchirure ; il aime l’hospitalité des hommes, connaît
l’intimité d’une seule maison ; lorsque le couple a des petits, il les
élève à deux, vole aile contre aile, passe sa vie dans une
communauté bien unie, fait connaître en se becquetant sa
concorde et sa paix et accomplir en tout la loi d’un accord
parfait39.

A chaque fois il insiste sur l’unicité de Jésus et les conséquences


qu’elle impose aux croyants, non seulement dans leurs rapports mutuels mais
aussi dans leurs relations à l’Église. La référence principale demeure le Christ
qui se donne en entier. Il n’admet pas le morcellement en lui. Les images
renvoient aux dispositions fondamentales qui déterminent le croyant dans ses
rapports avec le Christ. On pourrait dans une certaine mesure parler d’un état
d’esprit.
D’un coté, la préfiguration de la concorde et de la cohésion du peuple
et de l’autre l’évocation de la simplicité : « Voici comment dans l’Église il
faut ignorer toute malice, comment il faut y entretenir la charité : en imitant
les colombes dans l’amour entre frères, en égalant les agneaux et les brebis
pour la docilité et la douceur »40. En ces termes, la nature de l’Église

39
Ibidem, p. 33-34.
40
Ibidem, p. 200-201.

27
s’identifie aux dispositions internes qui caractérisent chacun de ses membres.
Cet état d’esprit constitue le socle sur lequel toute la vie est construite. Le
rapprochement entre l’Église et la Fraternité peut être légitime. L’une et
l’autre affirment la qualité du croyant à vivre en harmonie avec les autres
dans la charité du Christ qui promeut l’amour fraternel, cultive la concorde
humaine et encourage l’entraide mutuelle.

b- Attitude du disciple

Cyprien est conscient des nombreux défis qui se présentent au croyant


sous la forme des persécutions, des attaques à visage découvert, qui visent à
renverser et à abattre les serviteurs de Dieu. Il déplore surtout « l’ennemi qui
se glisse à couvert, qui, sous les dehors d’une paix trompeuse, rampe par de
secrètes approches »41. Cette approche insidieuse bénéficie des faveurs d’une
paix trompeuse. L’évêque invite justement les croyants à ne pas baisser la
garde dans les pareilles circonstances.
Les conseils prodigués tiennent compte de cette réalité et l’attitude du
disciple est à la mesure de la vigilance qu’il doit déployer : « Que notre
lumière brille et resplendisse en des œuvres de bien, pour que (le Seigneur
Jésus) nous fasse parvenir de la nuit présente du siècle à la clarté de la gloire
éternelle. Soyons en alarme et sur nos gardes pour attendre l’arrivée
soudaine du Seigneur afin que, lorsqu’il frappera à la porte, notre fidélité soit
en état de veille, prête à recevoir du Seigneur le prix de sa vigilance »42. Il
n’est point besoin de le rappeler, l’attente est insistante et active. Elle vit de
petites initiatives qui engagent le croyant dans sa foi au quotidien. Rien n’est
laissé à l’oisiveté. L’auteur prépare à la parousie du Seigneur dont les
multiples signes avant-coureurs sont perçus dans le vieillissement du monde,
l’immortalité, les guerres, les calamités et même les divisions au sein de
l’Église.

41
Cyprien, Unité de l’Église 1, « Les Pères de l’Église », DDB, Paris, 1979, p. 25.
42
Ibidem, p. 248-249.

28
Même les persécutions ne changeront rien au cours des événements.
Elles serviront plutôt de preuves déterminantes dans l’appréciation et la
reconnaissance des disciples ; elles sont comme le feu qui purifie et vérifie la
qualité de leur foi (1 P 1, 7). Elles mettent à nu les désirs des cœurs, disent la
sincérité de l’engagement des fidèles et attestent de leur profond attachement
à Jésus et à l’Église. C’est ainsi que Cyprien considère l’hérésie et les fausses
doctrines comme un critère de discernement : « Le Seigneur permet et
supporte ces choses, sans intervenir dans le libre choix de chacun, pour que,
dans l’examen que le tri opéré par la vérité fait subir à nos cœurs et nos
intelligences, la foi intacte de ceux qui ont surmonté l’épreuve brille d’un
éclat bien visible »43. Les persécutions et les hérésies révèlent en ce sens les
différentes qualités du disciple.
Le vrai disciple est reconnu par la qualité de sa foi et la solidité de sa
fidélité. Cyprien ne propose rien d’autre que la reprise de l’enseignement de
Jésus qui exige la pratique du commandement de la charité :

Donc nous devons nous attacher à ses paroles, nous devons


apprendre de lui et faire tout ce qu’il a enseigné et fait. D’ailleurs,
comment prétendre qu’on croit au Christ si on ne fait pas ce que
le Christ a prescrit de faire ? Ou bien où prendre-t-on le moyen de
parvenir au prix de la foi, si on refuse de se garder fidèle au
commandement ? Il est fatal alors qu’on flotte et qu’on aille en
tout sens, et que sous l’emprise de l’esprit d’erreur, comme la
poussière que le vent soulève, on soit emporté dans le vent ; et on
ne gagnera rien pour son salut à s’être mis en route, si on ne
demeure pas sur le vrai chemin du salut44.

Le ton est ici proche d’un saint Jean qui épilogue sur le témoignage et
les vertus de la vérité. La foi et la fidélité sont donc des valeurs sûres à
cultiver par le disciple. Elles expriment en clair son ferme attachement au
Christ dont il suit les traces. L’imitation du Christ devient son exercice au

43
Ibidem, p. 202-203.
44
Ibidem, p. 170-173.

29
quotidien. Les exigences de la foi et de la fidélité sont énormes pour le
croyant qui ne se pose pas seulement en consommateur des biens divins. Il
s’engage dans une grande aventure qui le met en route, le mène à la
découverte de soi et à la connaissance de Dieu. Cette connaissance apporte la
lumière nécessaire dans le choix indispensable à opérer de vivre de et dans la
vérité de Dieu.
A l’égard de Dieu, la fidélité de l’homme s’exprime par son
émerveillement dans la contemplation des mystères divins, son audace à sortir
des erreurs d’autrefois qui sont comme une mort en puissance, le courage
d’une conversion dans laquelle il purifie son regard et se convertit à la vie
même de Dieu. En ce sens, la fidélité est plus qu’un acte de respect ou de
loyauté. Elle est fondamentalement l’expression d’un profond attachement
dans lequel l’homme, se nourrissant de l’idéal divin, grandit à la stature
d’enfant de Dieu et s’épanouit dans la liberté. La fidélité se donne aussi
comme une grande assurance, une forte certitude et une pleine confiance dans
l’immense amour et l’infinie miséricorde de Dieu qui ne déçoivent jamais. Par
ailleurs elle implique la constance dans les contrariétés qui tendent au
découragement et à l’abandon. C’est le courage de croire, même quand rien
ne nous y invite et que les circonstances ne s’y prêtent guère. Pour Cyprien et
les communautés chrétiennes de son époque, la fidélité avait un nom ; c’était
le courage de braver les persécutions, les cruautés, les hostilités humaines,
voire la mort à travers le martyre.
Était-ce un acte d’héroïsme ? En fait, la fidélité relève davantage du
témoignage de foi. C’est la confession publique des convictions qui les
habitaient et dont ils voulaient rendre compte devant tout le monde. N’était-ce
pas déjà le sens de l’invitation que saint Pierre adressait aux croyants d’être
« toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de
l’espérance qui est en vous » (1 P 3, 15) ? Les chrétiens sont exhortés au
témoignage actif de leur appartenance au Christ.

30
L’apologie de Cyprien dans A Démétrien XIII, répond adroitement à
cette sollicitation. En effet, il y fustige longuement l’incohérence de « cette
rage de torture insatiable » et « cet inassouvissable désir de cruauté » contre le
chrétien qui proclamait ouvertement, en public et en plein forum, son
adhésion de foi. Au terme, la foi et la fidélité mettent en exergue l’innocence
des croyants. Cette attitude les dispose à se remettre entièrement dans les
mains de Dieu de qui ils reçoivent l’être et la vie. C’est un appel constant à la
gratitude loin de toute arrogance et de toute rébellion. L’homme se situe en
vérité devant le Seigneur tout reconnaissant sa petitesse.
Toutefois, la lecture de saint Cyprien met au jour les défis d’une
fraternité en proie à des divisions et des déchirements. Avec ces derniers,
l’unité est hypothéquée et l’excommunication devient une approche de
sagesse indispensable dans les relations à entretenir.

II. 3- Perception de la fraternité dans les documents du Magistère de


l’Église.

Quelles perspectives peut-on dégager des documents conciliaires par


rapport à la problématique de la fraternité ? Pour répondre à cette question,
nous choisissons d’explorer quelques documents fondamentaux où est
évoquée soit de manière implicite ou explicite la figure de la fraternité. Cette
démarche nous emmène à considérer tour à tour la Constitution dogmatique
Lumen Gentium et les Décrets Christus Dominus (CD), Presbyterorum
Ordinis (PO) et Optatam Totius (OT).

II.3.1-La fraternité dans la constitution dogmatique sur l’Église

a- Église, corps du Christ


S’inspirant de la Bible, le document reprend plusieurs images
traditionnelles pour parler de l’Église : bercail (Jn 10, 1-10), troupeau (cf. Is
40, 11 ; Ez 34, 11s), champ (1Co 3, 9), vigne (Mt 21, 33-43 ; cf. Is 5, 1 s ),
édifice de Dieu (1Co 3, 9), maison de Dieu (1Tm 3, 15), demeure de Dieu

31
dans l’Esprit ( Ep 2, 19-22), tabernacle de Dieu avec les hommes (Ap 21,3), la
nouvelle Jérusalem ou la Jérusalem d’en haut ( Ap 21, 1-2.10), l’épouse
immaculée de l’Agneau sans tâche (Ap 19,7 ; 21, 2.9 ;22, 17)45.

Lumen Gentium consacre ensuite au numéro 7, tout un développement


à l’image de l’Église comme Corps mystique du Christ. Le document
conciliaire établit par ailleurs la nature et la constitution de ce corps. Enraciné
en Christ, le Corps est constitué des personnes qui sont unies à lui et partagent
sa vie dans la souffrance et dans la gloire. Par le baptême, les croyants
communient aussi bien à sa vie qu’à sa résurrection. Ils réalisent cette
communion de destin avec le Christ et entre eux par la fraction du pain
eucharistique dans lequel ils prennent réellement part au corps du Seigneur.
Le pain eucharistique devient ainsi le signe de l’unité des croyants qui
sont mus par l’Esprit de Dieu. N’est-ce pas que « c’est le même Esprit qui
unifie lui-même le corps par sa propre puissance et au moyen de
l’articulation interne des membres entre eux, et qui produit et stimule la
charité chez les fidèles ? »46. Le développement sur le Corps mystique du
Christ s’inscrit dans la ligne de la théologie paulinienne à laquelle le
document se réfère abondamment. Ce dernier cite en plusieurs endroits la
première lettre aux Corinthiens. Ces textes dégagent l’implication pratique de
cette unité en ce qui concerne les croyants. Quelle que soit la diversité des
membres et de leurs fonctions, ils constituent l’unique corps du Christ, animé
par l’Esprit-Saint. A cet effet, ils ont des responsabilités, chacun à l’égard de
l’autre : « Vous êtes, vous, le corps du Christ, et membres chacun pour sa
part » (1Co 12,27).

b- Du Corps du Christ à l’union fraternelle


L’insistance de Lumen Gentium sur la communion et le Corps mystique
accorde peu de place à la fraternité. Toutefois, Lumen Gentium affirme :

45
Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, Paulines, Kinshasa, 2013, n°6.
46
Ibidem, n°7.

32
« Dans la nature humaine qu’il s’est uni, le Fils de Dieu, en remportant la
victoire sur la mort par sa mort et sa résurrection, a racheté l’homme et l’a
transformé pour en faire une nouvelle créature (cf. Ga 6, 15 ; 2 Co 5, 17).Car
en communiquant son Esprit, il a mystiquement établi ses frères, appelés
d’entre toutes les nations, comme son propre corps »47. Le texte conciliaire
accorde une place de choix au Christ auquel est identifié le Corps mystique.
Ce dernier constitué d’hommes et des femmes de toute condition. Faits à
l’image du Christ, ils deviennent une créature nouvelle en lui. Ils sont par
ailleurs établis frères et sœurs entre eux. En ce sens, le Corps mystique
favorise l’union des hommes autour du Christ et crée une dynamique
relationnelle dans laquelle les hommes apprennent à vivre ensemble en
fraternité.

c- Fraternité en Christ
« En communiquant son Esprit à ses frères, qu’il rassemblait de toutes
les nations, il les a constitués, mystiquement, comme son corps »48, cette
citation de Lumen Gentium se réfère implicitement à la filiation adoptive des
hommes en Jésus Christ. Elle évoque par ailleurs la fraternité universelle des
hommes en Jésus. En ce qui concerne la filiation divine, on pourra lire en
filigrane dans cette citation les textes fondamentaux de Paul :

Mais quand vint la plénitude de temps, Dieu envoya son Fils, né d’une
femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de
nous conférer l’adoption filiale (Ga 4, 4-5). En effet, tous ceux qu’anime
l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un
esprit d’esclave pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit
de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! L’Esprit en
personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants
de Dieu. Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du
Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui
(Rm 8,14-17).

47
Idem.
48
Idem.

33
Cette nouvelle fraternité en Christ ne se réalise que par la grâce de
l’Esprit-Saint. Dans le cadre de l’ecclésiologie de communion, Vatican II
affirme « une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et
celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour »49. Le Concile
caractérise cette communion de mystère dont « le modèle suprême et le
principe est dans la trinité des personnes, l’unité d’un seul Dieu Père, et Fils
en l’Esprit Saint »50. Dans l’amour de Dieu qui les unit les uns aux autres, les
croyants développent désormais une conscience commune qui fait d’eux des
fils et des filles de Dieu et par conséquent les frères et des sœurs entre eux. Ils
portent dorénavant ce souci dans l’exercice de l’apostolat qui est dévolu à
chacun en fonction de son statut51. L’illustration que Paul nous en donne est
éloquente. C’est à ce titre que l’Apôtre des nations, qui s’est fait prisonnier
pour l’annonce de l’Évangile, peut recommander à Philémon de reprendre
chez lui Onésime :

Celui qui va parler, c’est Paul, le vieux Paul et, qui plus est, maintenant
le prisonnier du Christ Jésus. La requête est pour mon enfant, que j’ai
engendré dans les chaînes, cet Onésime, qui jadis ne te fut guère utile,
mais qui désormais te sera bien utile, comme il l’est devenu pour moi. Je
te le renvoie, et lui, c’est comme mon propre cœur. Je désirais le retenir
prés de moi, pour qu’il me servît en ton nom dans ces chaînes que me
vaut l’Évangile ; cependant, je n’ai rien voulu faire sans ton assentiment,
pour que ce bienfait ne parût pas t’être imposé, mais qu’il vînt de ton
bon gré. Peut-être aussi Onésime ne t’a-t-il été retiré pour un temps
qu’afin de t’être rendu pour l’éternité, non plus comme un esclave, mais
bien mieux qu’un esclave, comme un frère très cher : il l’est grandement
pour moi, combien plus va-t-il l’être pour toi, et selon le monde et selon
le Seigneur ! Si donc tu as égard aux liens qui nous unissent, reçois-le
comme si c’était moi. Et s’il t’a fait du tort ou te doit quelque chose,
mets cela sur mon compte. Moi, Paul, je m’y engage de ma propre
écriture : c’est moi qui réglerai… Pour ne rien dire de la dette qui
t’oblige toujours à mon endroit, et qui est toi-même ! Allons, frère,

49
Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes,
Paulines, Kinshasa, 2013, n°24.
50
Concile Vatican II, Décret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio, Paulines, Kinshasa, 2013, n°2 ; cf.
Lumen Gentium, n°4.
51
Concile Vatican II, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam Actuositatem, Paulines, Kinshasa, 2013, n°3.

34
j’attends de toi ce service dans le Seigneur ; soulage mon cœur dans le
Christ (Ph 9b-20).

Les instructions de Paul se passent de tout commentaire. Paul


s’identifie à Onésime qu’il renvoie à Philémon. L’apôtre espère intimement
que Philémon ne s’enferme pas dans les relations de maître à esclave qu’il
entretenait avec Onésime et qu’il établit désormais avec lui une relation de
fraternité fondée sur les liens de baptême et l’attachement au Christ. Cette
illustration donne une indication pratique à l’usage du mot frère dans la
communauté primitive. Ce sont les mêmes dispositions qui se dégagent de la
communauté de Jérusalem où les sentiments fraternels s’expriment
concrètement dans le souci du bien-être de l’autre.

Quant à la dimension de la fraternité universelle, la question est


élaborée dans l’article 13 de Lumen Gentium qui traite de « l’universalité » ou
« catholicité » de l’unique Peuple de Dieu. Le sujet a été repris en plusieurs
endroits dans les documents conciliaires. Nous en répertorions brièvement
quelques références : GS 38 §1 ; 78 §2 ; 84 §3 ; 91§1 ; AG 8. Cette
conscience de la fraternité universelle traverse les cultures, les langues et les
peuples comme le montre Ad Gentes au n°8, qui relève les implications de
l’activité missionnaire dans la vie et l’histoire humaines, et souligne aussi
l’ascendance de l’Église dans la révélation aux hommes de leurs conditions et
des liens qui les unissent au Christ. Dans ce contexte, l’Évangile est aperçu
comme l’élément fédérateur autour duquel des peuples et des races, au-delà
de leur particularisme, se reconnaissent comme frères et sœurs.

Aussi, le Décret affirme-t-il avec force « en toute vérité, dans l’histoire


humaine, même au point de vue temporel, l’Évangile a été un ferment de
liberté et de progrès, et il se présente toujours comme un ferment de
fraternité, d’unité et de paix »52. Lumen Gentium 13 affirme la nécessité de la

52
Concile Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de l’Église Ad Gentes, Paulines, Kinshasa, 2013, n°8.

35
formation du nouveau Peuple de Dieu dans l’accomplissement du dessein de
Dieu. En effet, au commencement Dieu créa la nature humaine et voulut
ensuite rassembler en un seul corps ses enfants dispersés (Jn 11, 52). Aussi,
en son Fils et dans l’Esprit-Saint, les hommes se sentent frères les uns des
autres ; « celui qui réside à Rome sait que ceux des Indes sont pour lui un
membre »53. Cette fraternité transcende la dimension verticale et ne se limite
pas seulement aux vivants. En effet elle intègre ceux qui sont morts dans le
Christ. Cette conviction rend compte de la communion entre l’Église du ciel
et celle de la terre :

L’union de ceux qui sont en route avec les frères qui se sont endormis
dans la paix du Christ, loin donc d’être rompue, se trouve au contraire
renforcée par la communication des biens spirituels, selon la croyance
immuable reçue dans l’Église. Du fait de leur union très intime avec le
Christ, les bienheureux affermissent davantage dans la sainteté de
l’Église tout entière ; ils ennoblissent le culte qu’elle rend à Dieu sur
cette terre et contribue de plusieurs manières à l’œuvre grandissante de
son édification54.

Dans cette conviction s’inscrit la place faite aux saints et l’importance


qui leur est accordée dans la vie de l’Église55. Dans le contexte de la
communion des saints, la fraternité en Christ est englobante. Elle s’étend aux
vivants et à ceux qui sont morts dans le Christ. Elle met ainsi en exergue la
dimension transversale des relations qui subsistent à la mort.

II.3.2- Sollicitude fraternelle

Les Décrets sur la charge pastorale des évêques et le ministère, et la vie


des prêtres mettent en perspective de manière pratique ce que l’on entend par
fraternité. Au-delà des sentiments et sous différentes formes, la fraternité
apparaît comme une des caractéristiques fondamentales de l’Église.

53
Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, Paulines, Kinshasa, 2013, n°13.
54
Ibidem, n°49.
55
Ibidem, n°50.

36
La sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt
sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église ; en s’attachant à lui, le
peuple saint tout entier uni à ses pasteurs reste assidûment fidèle à
l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction
du pain et aux prières, si bien que, pour le maintien, la pratique et la
profession de la foi transmise, s’établit, entre pasteurs et fidèles, un
remarquable accord56.

Dans les rapports que le document conciliaire établit entre la Tradition


sacrée et la Sainte Écriture, Dei Verbum évoque les traits caractéristiques de
la première communauté chrétienne tels qu’ils apparaissent dans le livre des
Actes : enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du
pain et les prières (Ac 2, 42). La communion fraternelle dépasse dans ce
contexte, une simple valeur humaine qui institue des rapports interpersonnels
et commande des sentiments de convivialité favorisant la concorde mutuelle.
Elle prend alors valeur de témoignage évangélique. Optatam Totius affirme la
nécessité de ce témoignage lorsqu’il voit dans la collaboration fraternelle le
moyen d’éveiller des vocations : « Tous les prêtres feront preuve du plus
grand zèle apostolique pour cultiver les vocations, et ils attireront vers le
sacerdoce les âmes des jeunes par leur vie personnelle humble, laborieuse,
vécue d’un cœur joyeux, par des rapports mutuels empreints de charité
sacerdotale ainsi que par une coopération fraternelle »57.

Le Décret insiste par ailleurs sur le presbyterium en tant que


témoignage d’unité. C’est pourquoi il tient à ce que les séminaristes s’y
préparent déjà dès les années de formation58. La concorde fraternelle répond
ainsi au dessein de Dieu pour l’humanité59.C’est pourquoi elle est encouragée
dans le témoignage de foi des époux chrétiens qui sont appelés à former une
communauté fraternelle60 et dans les liens du presbyterium qui unissent les

56
Concile Vatican II, Constitution dogmatique, Dei Verbum, Paulines, Kinshasa, 2013, n°10.
57
Concile Vatican II, Décret sur la formation des prêtres Optatam Totius Ecclesiae Renovationem, Paulines,
Kinshasa, 2013, n°2.
58
Ibidem, n°9.
59
Concile Vatican II, Décret sur l’activité missionnaire de L’Église Ad Gentes, Paulines, Kinshasa, 2013, n°7-8.
60
Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, Paulines, Kinshasa, 2013, n°41.

37
prêtres entre eux et font d’eux des frères dans le sacerdoce 61. Par cette
sollicitude fraternelle, non seulement ces derniers subviennent-ils aux besoins
les uns des autres, mais doivent-ils entretenir un égard particulier les uns pour
les autres.

D’ailleurs, les évêques sont aussi appelés à développer les mêmes


dispositions envers ceux de leurs frères qui sont persécutés : « Par-dessus tout
qu’ils (évêques) entourent d’un cœur fraternel ces prélats qui, pour le nom du
Christ, sont victimes de calomnies et de tourments, détenus en égard d’un
authentique et actif dévouement en vue d’adoucir et d’alléger leurs
souffrances par la prière et le soutien de leurs confrères »62. Ils sont ainsi
tenus au devoir de charité fraternelle dans l’exercice de leurs charges
pastorales. A ce titre, « notre rôle de pasteurs d’Églises, nous oblige ainsi à
planter dans le cœur de l’homme dès sa tendre enfance la graine de l’amour,
de la charité et de la responsabilité fraternelle »63. De manière générale, la
communion fraternelle concourt à l’œuvre du salut. La Constitution sur la
liturgie en rappelle quelques aspects fondamentaux dans l’article 6 sur
‘’L’Église, dans l’exercice de la liturgie, continue l’œuvre du salut’’. Partant
de la mission du Fils, la Constitution situe l’Église dans le prolongement de
son action salvifique au moyen des sacrements dans l’action liturgique :

C’est ainsi que par le baptême les hommes sont greffés sur le
mystère pascal du Christ : morts avec lui, ensevelis avec lui,
ressuscités avec lui ; ils reçoivent l’esprit d’adoption des fils ‘dans
lequel nous crions : Abba, Père’ (Rm 8, 15), et ils deviennent ainsi
ces vrais adorateurs que cherche le Père. Semblablement, chaque
fois qu’ils mangent la Cène du Seigneur, ils annoncent sa mort
jusqu’à ce qu’il vienne64.

61
Concile Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum Ordinis, Paulines, Kinshasa,
2013, n°14 ; 22.
62
Concile Vatican II, Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église Christus Dominus, Paulines,
Kinshasa, 2013, n°7.
63
Antonio MABIALA, Qu’as-tu fait de ton frère ? Éthique de la responsabilité fraternelle selon les Écritures,
éditions Paari, Brazzaville, Paris, 2014, p. 110.
64
Concile Vatican II, Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, Paulines, Kinshasa, 2013, n°6.

38
La Constitution voit alors dans l’enseignement des apôtres, la
communion fraternelle, la fraction du pain et les prières, le signe de la
réalisation de l’Église qui est constituée au nom du Christ par la puissance de
l’Esprit-Saint.
C’est pourquoi, le jour même de la Pentecôte, où l’Église apparut
au monde, ‘’ceux qui accueillirent la Parole’’ de Pierre ‘’furent
baptisés’’. Et ils étaient ‘’assidus à l’enseignement des apôtres, à la
communion fraternelle dans la fraction du pain et aux prières (…)
louant Dieu et ayant la faveur de tout le peuple’’ (Ac 2, 41-47).
Jamais, dans la suite, l’Église n’omit de se réunir pour célébrer le
mystère pascal ; en lisant ‘dans toutes les Écritures ce qui le
concernait’ (Lc 24, 27), en célébrant l’Eucharistie dans laquelle
sont rendus présents la victoire et le triomphe de sa mort65.

Par la sollicitude fraternelle, la fraternité revêt un visage humain dans


les préoccupations qu’elle porte à l’endroit de tout homme. Cette sollicitude
est inspirée par le Christ qui, dans sa grande bonté et dans son amour, révèle
le Père au monde.

II.3.3-Église, Fraternité des fils de Dieu en Christ

Au-delà des sentiments de concorde, de convivialité, des dispositions


de collaboration et d’entente entre les hommes et les engagements pour la
cause humaine en vue de la construction de l’ordre social à l’échelle nationale
et internationale que Gaudium et Spes qualifie de fraternité universelle,
Lumen Gentium identifie, par contre explicitement, la Fraternité à l’Église en
tant que famille de Dieu. Au terme d’une soigneuse élaboration sur les
rapports de l’Église avec le monde de ce temps et indépendamment de toute
conviction religieuse.

Gaudium et Spes affirme la nécessité, par les hommes, de

Percevoir avec une plus grande clarté la plénitude de leur


vocation, (de) rendre le monde plus conforme à l’éminente dignité
de l’homme, (de) rechercher une fraternité universelle, appuyée
sur des fondements plus profonds, et, sous l’impulsion de l’amour,

65
Idem.

39
à répondre généreusement et d’un commun effort aux appels les
plus pressants de notre époque66.

La fraternité se présente comme un projet qui s’impose à l’Église, une


tâche à réaliser, une mission à accomplir. Elle offre une dynamique qui
embrasse les hommes dans un élan qui déborde les limites imposées par la
culture, la langue et d’autres barrières érigées par l’homme et propose par
ailleurs un cadre idéal à la réalisation du soi communautaire dans la prise en
compte des intérêts de l’autre. Elle promeut ainsi l’attention portée à l’autre
dans le respect inhérent à chaque personne. En ce sens, la fraternité consacre
les valeurs d’humanisme.

Dans les rapports de l’Église au monde, Gaudium et Spes n°40 §2 en


parle plus volontiers en termes de « famille des enfants de Dieu », « société »
ou « assemblée visible et communauté spirituelle ». L’Église jouit d’une
mission particulière. Elle accompagne la société humaine dans sa
transformation et dans l’affirmation de sa dignité. L’Église apparaît ‘’comme
le ferment et, pour ainsi dire, l’âme de la société humaine appelée à être
renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu’’. Ce but répond à
la mission d’ordre religieux qui est assignée à l’Église : « L’union de la
famille humaine trouve une grande vigueur et son achèvement dans l’unité de
la famille des fils de Dieu, fondée dans le Christ »67. C’est à ce niveau que le
document établit une nette identification entre l’Église et « la famille des fils
de Dieu ». Cette dernière peut être assimilée à juste titre à la fraternité. En
effet, les fils de Dieu dont l’unité est garantie par le Christ forment du point
de vue sociologique une grande chaîne humaine. Cette réalité, informée par
l’Esprit-Saint, devient la fraternité spirituelle des hommes les uns avec les
autres.

66
Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes,
Paulines, Kinshasa, 2013, n°91 § 1.
67
Ibidem, n°42 § 1.

40
Par la grâce de l’Esprit, l’Église assume au monde la fonction
fondamentale de sacrement. En tant que manifestation du salut, elle se situe
dans un double rapport au Signifié, c’est-à-dire à la présence active de
l’Esprit-Saint, et au signifiant. Une corrélation est ainsi établie entre l’action
de Dieu et la réalité que vit l’homme. Cette dernière est toujours perçue
comme une interprétation de l’expérience immédiate que fait l’homme68.
Angel Anton pourra alors énoncer les implications théologiques qui
dégagent de ce principe tout en formulant une définition ecclésiologique :

L’Église, comme tout sacrement, signifie et réalise la communion de


tous les hommes avec Dieu et entre eux. Mais elle réalise en autant
qu’elle la signifie. Être signe et être instrument sont deux dimensions
complémentaires et inséparables de sa structure sacramentelle. Elle
n’est pas encore le Royaume achevé et définitif, mais elle forme dès
cette terre le germe et le principe de ce Royaume. L’Église vit au service
de la communion des hommes avec Dieu et du genre humain : ce
mystère trouve sa réalisation au-delà de ses limites visibles. L’Église est
le peuple universel de Dieu, mais elle n’entre en conflit avec aucun
peuple, et elle peut s’incarner dans tous les peuples et servir à y
implanter le royaume de Dieu. Ce peuple de Dieu vit le mystère de la
communion dans l’Église du Tiers Monde, comme étant la grande
famille de Dieu. L’Église n’est pas simplement le lieu où les hommes se
sentent comme dans la famille de Dieu, mais où ils deviennent
réellement et ontologiquement cette famille69.

Lumen Gentium n°28 aborde la problématique de la famille de Dieu


dans le contexte du ministère presbytéral dans la succession de la charge
apostolique confiée par le Christ à l’Église en la personne des évêques. Le
document conciliaire définit le sacerdoce du prêtre en rapport avec celui de
l’évêque : « Les prêtres, bien qu’ils ne possèdent pas la plénitude du
sacerdoce et dépendent des évêques dans l’exercice de leur pouvoir, leur sont

68
R., COFFY, « Église-Sacrement » dans Robert Coffy /Roger Varro, Église : signe de salut au milieu des
hommes, (Rapports présentés à l’Assemblée plénière de l’Épiscopat français, Lourdes 1971), Le Centurion,
Paris, 1972, P. 31-62.
69
A., ANTON, « L’ecclésiologie postconciliaire : les attentes, les résultats et les perspectives pour l’avenir »
dans Vatican II : Bilan et perspectives, Vingt-cinq ans après (1962-1987), sous la direction de René
Latourelle, Coll. Recherches Nouvelle Série 15, Montréal/ Éditions Bellarmin/Cerf, Paris, 1988, p.423-424.

41
toutefois unis dans la dignité sacerdotale »70. Dans la personne du Christ, les
prêtres assument la triple fonction d’enseignement, de gouvernement et de
sanctification. Ils sont « consacrés pour prêcher l’Évangile et être les
pasteurs des fidèles et célébrer le culte divin en vrais prêtres du Nouveau
Testament »71. Ils exercent un ministère de médiation au profit des fidèles qui
sont confiés à leur charge pastorale. C’est ainsi qu’ils constituent et animent
l’Église de Dieu. « Remplissant selon leur degré l’office du Christ, Pasteur et
Chef, ils rassemblent la famille de Dieu en une fraternité tendant vers un seul
but ; et, le Christ, dans l’Esprit, ils la conduisent au Père »72. Dès lors, la
constitution de la fraternité rentre dans les missions imparties au prêtre. Il est
de son devoir d’user des moyens de grâce mis à sa disposition, à savoir
l’Évangile et les sacrements, en vue de rendre visible l’Église et de contribuer
à son édification.

Désormais dans le Christ, les croyants sont invités à vivre de la


fraternité les uns envers les autres. Aussi par la nécessité de leur mission, les
prêtres doivent être des authentiques témoins de cette fraternité dans les
relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. C’est ce qui est exprimée
par la notion du presbyterium : « En vertu de l’ordination sacrée qui leur est
commune ainsi que par leur mission, tous les prêtres sont liés entre eux par
une grande fraternité, qui doit se manifester spontanément dans l’entraide
spirituelle et matérielle, pastorale et personnelle, au cours des réunions et
dans la communion de vie, de travail et de charité »73.
La même idée est aussi bien reprise dans Presbyterorum Ordinis au
numéro 8 que dans les recommandations de Jean-Paul II dans Pastores Dabo
Vobis, au numéro 17. Tout en insistant sur la collaboration que doivent
entretenir les prêtres diocésains et les religieux dans le témoignage de la

70
Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, Paulines, Kinshasa, 2013, n°28.
71
Idem.
72
Idem.
73
Idem.

42
Vérité, Presbyterorum Ordinis définit la nature des relations qui unissent les
prêtres. Il s’agit de la fraternité sacramentelle. Pastores Dabo Vobis apporte
d’autres précisions à cette définition. Le lien sacramentel enracine chacun des
prêtres dans le Christ et les unit entre eux. C’est pourquoi « Le ministère
ordonné est radicalement de ‘nature communautaire’ et ne peut être rempli
que comme ‘œuvre collective’»74.
Aussi, le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, n°25 voit en
cette fraternité de prêtres une famille dont l’origine ne dépend pas du vouloir
de l’homme, mais de Dieu. En effet, le prêtre « est inséré dans l’Ordo
Presbyterorum, constituant une unité qui peut se définir comme une véritable
famille où les liens ne viennent pas de la chair et du sang, mais de la grâce de
l’Ordre »75. Ces liens sont sacramentellement rendus par le rite de
l’imposition des mains de l’évêque et des prêtres qui l’entourent. Par ce geste,
sont affirmées l’appartenance de celui qui reçoit l’ordination à l’Ordo
Presbyterorum dans lequel il est accueilli et la participation de tous au même
degré de ministère.
Lumen Gentium dégage ensuite les implications éthiques de cette
fraternité qui imposent un devoir de solidarité et de sollicitude les uns à
l’égard des autres. La fraternité embrasse, dans l’usage que lui consacre le
document conciliaire, des nuances de sens. D’un emploi anthropologique et
sociologique, elle s’élève jusqu’à exprimer l’essence de l’Église dans sa
dimension relationnelle et ontologique. C’est en ce sens qu’elle vient à
s’identifier à l’Église en tant que famille des enfants de Dieu en Christ. Dès
lors, la fraternité cesse d’être uniquement une réalité sociologique. Elle traduit
désormais un fait théologique. En Jésus-Christ et par l’Esprit-Saint, les
relations humaines révèlent aussi bien les fondements des rapports

74
Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Pastores Dabo Vobis, Centurion, Paris, 1992, n°17.
75
Congrégation pour le clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, Le Centurion, Paris, 1994,
n°25.

43
qu’entretiennent les hommes entre eux que les liens intangibles et infrangibles
qui les unissent les uns aux autres.

Au terme de ce chapitre, nous pouvons certifier que la notion de


fraternité remonte depuis la tradition biblique. L’Ancien et le Nouveau
Testaments sont marqués par des récits de fraternité. Si dans la tradition
vétérotestamentaire, le modèle de la fraternité est à voir dans l’histoire du
peuple hébreu et dans la descendance d’Adam, dans la tradition
néotestamentaire par contre, la fraternité prend son point d’acmé en la
personne de Jésus-Christ, plénitude de toute révélation. Le Christ a vécu la
fraternité avec ses douze disciples pour nous montrer l’exemple.

Par ailleurs, la tradition patristique parle de la fraternité à partir de la


réflexion sur l’unité de l’Église ; deux témoignages nous ont servi dans cette
tradition. Ainsi, les liens qui unissent désormais les hommes et des femmes,
les uns aux autres sont justement ces liens de fraternité qu’il faut mettre en
œuvre dans les relations de chaque jour. Il s’agit désormais de la fraternité en
acte. En ce sens, cette partie se veut une vérification du fait fraternel dans le
vécu de l’Église. Nous avons procédé à la vérification de cette fraternité dans
la vie de l’Église à partir de quelques documents du Magistère. C’est à cette
analyse que nous nous sommes adonnés tout au long de ce deuxième chapitre.
Toutefois, une question demeure : la fraternité, quels enjeux, défis et
perspectives à l’heure actuelle ?

44
CHAPITRE III : VIVRE UNE FRATERNITE AUTHENTIQUE :
ENJEUX, DEFIS ET PERSPECTIVES DANS L’EGLISE AU CONGO
BRAZZAVILLE

Depuis l’Antiquité, la pensée philosophique présente l’homme comme


un être naturellement ouvert aux autres, il vit dans une société étant uni aux
autres. Une telle conception anthropologique nous a été le plus rapportée par
Aristote quand il dit : « la cité est au nombre des réalités qui existent
naturellement, et que l’homme est par nature un animal
politique »76. L’homme est dorénavant un être social et sociable, un être de
relations, un ‘’vivre avec’’ et ‘’être avec’’. Cette réalité a été constatée par
plusieurs penseurs marquant l’histoire de la philosophie : il s’agit entre autres
des personnalistes, de certains existentialistes et même de certains
phénoménologues. L’homme a toujours ce penchant vers l’autre, et cela est
intrinsèquement lié à sa nature.

Cependant, malgré cette disposition naturelle, force est de constater que


de nos jours les relations humaines ne sont plus de bon augure dans notre
société congolaise où le tribalisme et le régionalisme battent leur plein, où la
fraternité sacerdotale pose problème et même où le dialogue interreligieux se
vit à tâtons. La vie d’une fraternité authentique est fragilisée et comporte
beaucoup de défis à relever. Dans ces conditions, comment se présente la
fraternité dans le contexte congolais ? Quels sont les enjeux, défis et
perspectives de la fraternité au Congo-Brazzaville ? En quoi le ‘’vivre-
ensemble’’ se dit comme soubassement de l’amour et de la fraternité ?

76
Aristote, La politique, Vrin, Paris, 2005, p. 28.

45
III.1- La Fraternité dans le contexte congolais

Dans cette section, nous exposons les éléments de contexte socio-


politique et économique en faisant un rappel historique sur le cas du Congo-
Brazzaville au cours des dernières décennies, c’est-à-dire des années au cours
desquelles, le pays a fait des choix économiques, politiques et idéologiques
qui ont affecté positivement ou négativement son évolution et pour lesquels
nous faisons aujourd’hui le constat d’analyse. Nous y aborderons le contexte
général, c’est-à-dire le socio-politique et socio-économique dans lequel
s’insère la question de fraternité retenue pour notre analyse.

De fait, dans un pays comme le Congo où tout semble se résumer à la


question géographique, la fraternité universelle pose problème. La question de
l’unité nationale avec en arrière fond l’idée de la lutte contre le tribalisme
occupe un centre d’intérêt particulier au Congo. Le manque d’unité est
d’ailleurs l’une des causes qui freinent l’évolution du pays. C’est ce
qu’affirme Joseph Mampouya : « Parmi les multiples obstacles qui se
dressent sur (…) la voie de la révolution congolaise (…), il convient de
souligner la question particulièrement brûlante de l’unité nationale, qui en
Afrique, implique la lutte contre le phénomène social préoccupant : le
tribalisme »77.

Au Congo, la fraternité n’est pas de mise, le tribalisme et le


régionalisme gangrènent le tissu social congolais. Tout est lié à l’ethnie au
Congo. Même pour avoir un travail, le nom qui figure parmi les critères de
reconnaissance de l’appartenance ethnique, joue un grand rôle. L’image
courante de la fraternité dans la société congolaise, est celle qui se cantonne à
l’espace géographique ; sont frères, ceux qui sont de la même ethnie. D’où il
n’est pas rare de constater que les ‘’ Laris sont entre eux’’, les ‘’Punus entre

77
J., MAMPOUYA, Le Tribalisme au Congo, La pensée universelle, Paris, 1983, p. 11.

46
eux’’, les ‘’Vilis entre eux’’, les ‘’ Mbochis entre eux’’ et que savons-nous
encore ?

D’ailleurs, il n’y a qu’à fréquenter les quartiers de la capitale politique


Brazzaville, pour constater d’ores et déjà la difficulté de la fraternité
universelle au Congo : les brassages culturels sont rares. Il est difficile de
trouver un effectif assez important de congolais ressortissants ou originaires
du nord du pays vivant dans un quartier sud de Brazzaville et vice versa. La
politique, avec les différentes guerres tribales et ethniques qui ont marqué
l’histoire du pays, a une grande part de responsabilité dans cette crise de
relation fraternelle au Congo.

Ces crises relationnelles ne datent pas d’aujourd’hui, peu avant sa mort,


le Cardinal Emile Biayenda invitait le peuple congolais à la non-violence et à
la fraternité par ces mots : « A tous nos frères croyants, du nord, du centre et
du sud, en mémoire du président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup
de calme, de fraternité et de confiance en Dieu (…) »78. Aussi, nous
constatons cette crise au niveau politique : celui qui est du sud, s’entoure des
politiciens qui partagent la même origine que lui, de même pour celui qui est
du nord. Donc, la fraternité humaine au Congo est en crise de valeurs. Elle est
abimée, infectée par les lobbies et liée à l’appartenance ethnique.

On est tellement nourri par un sentiment d’intérêt à tel point que les
relations humaines ne sont plus crédibles. La fraternité universelle qui devrait
être une richesse, un bénéfice pour notre nation, devient une menace à
l’équilibre des populations et à la sécurité économique du pays. On cherche à
sécuriser son espace et l’autre n’est plus un frère. La société s’est ouverte à
une indifférence inquiétante. Les idées du genre « le prochain c’est celui avec
qui on partage la même couleur de peau »79, nourrissent le racisme qui
demeure d’ailleurs « un virus apparemment indestructible devant lequel

78
A., TSIAKAKA, Emile Biayenda, grandeur d’un humble, éditions du signe, Strasbourg, 1999, p. 136.
79
A., MABIALA, Op.cit., p. 83.

47
même le temps et l’évangile demeurent impuissants »80. Une autre phobie
comme le tribalisme qui fait surtout rage au Congo, sépare des frères.
Certaines violences fratricides se sont déclenchées dans le pays à cause de ce
phénomène nourrissant une haine acharnée contre son semblable. Au lieu de
construire des ponts d’amour, on construit plutôt des murs de haine. Ces
phénomènes font ressurgir l’animalité de l’homme qui prend l’autre pour un
adversaire.

Outre cela, nous remarquons qu’au cours de la première décennie


postcoloniale, le Congo a connu une situation économique relativement
prospère qui le plaçait en tête des pays de l’union douanière des États
d’Afrique centrale (UDEAC). Mais, le développement du Gabon et du
Cameroun (pays frontaliers) et surtout la nationalisation des entreprises
privées, la crise du bois, les détournements de fonds publics, la fuite des
capitaux, la mauvaise gestion des entreprises, vont progressivement faire
perdre au Congo-Brazzaville sa première place.

De fait, depuis son accession à l’indépendance le 15 Août 1960, le


Congo-Brazzaville, comme bon nombre des pays africains, traverse un temps
de crises interminables. Le 20 septembre 1960, soit environ un mois
seulement après l’indépendance, déjà au lendemain de son admission comme
membre des Nations-Unies, des guerres se sont succédées, des révoltes étaient
monnaie courante, les sécessions et autres troubles du genre étaient au rendez-
vous. Cette situation si précaire continua jusqu’au moment de la
démocratisation du pays. Le chaos dans lequel avait sombré le pays emmena
la population à des soulèvements et des contestations par-ci par-là. C’est le
cas des pillages et de nombreux coups d’État que connut le pays. En fait, peu
avant les pillages, suite à la réorientation de politique d’aide au
développement, des pays occidentaux, désormais soucieux de promouvoir la
bonne gouvernance et le respect des droits humains, le multipartisme avec la
80
Ibidem, p. 82.

48
naissance de la démocratie qu’il suggère, devrait créer un nouveau mode de
vie basé sur le respect et l’engouement de tous pour la construction des
nations africaines désormais déclarées officiellement libres. Les nombreux
partis politiques qu’a suscité ce mouvement démocratique sont apparus
comme les garants d’un nouveau contrat social, les bases d’un nouvel
équilibre social et national où tous avaient droit à la parole et à la vie.

L’Église congolaise y a même joué un rôle prophétique déterminant en


dirigeant en février 1991, une Conférence nationale souveraine auquel le
peuple devait prendre part pour exprimer son opinion sur le progrès du pays.
Le but de la Conférence nationale souveraine (CNS) était que les citoyens du
Congo-Brazzaville se mettent ensemble afin de discuter ou analyser la
situation du pays et qu’ensemble ils trouvent des solutions aux maux qui
rongeaient le pays. Malheureusement, les conclusions de cette Conférence
n’apportèrent rien aux conditions de vie de la population. C’est pourquoi les
soulèvements continuèrent. En effet, après vingt cinq ans de démocratie, le
bilan à dresser est quasi nul. Les gouvernants, bien qu’ayant la volonté de
changer les choses, n’ont pas encore mené à bon port le pays vers cette
finalité. Et pour cause ?

Le long moment de crise qu’a traversé le peuple congolais est resté


marquer dans la tête de cette population. Ainsi, on remarquera par exemple le
manque de solidarité, l’individualisme, la corruption. On peut facilement
trouver des cas d’escroquerie voire entre les membres d’une même famille, le
vol, la violence sexuelle, les braquages et tueries, les détournements des fonds
ou des deniers publics au profit d’un clan de privilégiés, la mégestion,
l’impolitesse, la division, le mensonge, des enrichissements illicites, ainsi que
d’autres vices qui prouvent que les congolais s’en passent de ladite notion de
la fraternité, conséquences de cette période là, qui continuent à battre son
record aujourd’hui. C’est dans ce sens que résonnent en écho ces paroles du
Père Alban-Martial Zogo : « Ces maux ne sont pas à considérer comme des

49
épiphénomènes auxquels on pourrait mettre fin du jour au lendemain, il s’agit
des phénomènes ancrés dans le social et qui font partie du quotidien d’une
population en voie de démembrement »81.

En sus, ceux qui dirigent les affaires publiques s’occupent moins de la


population. Cette situation a provoqué même de la grogne sociale. Celle-ci est
caractérisée par des revendications sociales de plus en plus nombreuses : des
arrêts de travail débouchant sur des grèves qui paralysent plusieurs secteurs
de la vie nationale, en particulier l’enseignement et la santé. Même si jusqu’à
présent, la grogne ne concerne que le secteur public, il n’est pas exclu que la
situation affecte le secteur privé, déjà touché par des perturbations émaillées
du non respect des dispositions légales en matière de législation sociale.
La question que tout le monde se pose de nos jours est : comment les
familles congolaises se débrouillent-elles pour se nourrir ?
L’informel est devenu depuis 25 ans l’unique moyen de survie des
congolais. Chaque famille, en majorité les femmes, les mères de familles, se
« débrouillent ». La vente de pains, des légumes, des fruits, bref le petit
commerce fait vivre des millions de familles au Congo-Brazzaville. La
déliquescence des services publics est visible. Année en année, la dette de
l’économie s’accumule, ce qui engage la majorité des Congolais à chercher
d’autres revenus, à recourir à la désalarisation (l’informel remplaçant le
salaire, les pensions de retraite et les bourses). Le mutisme du gouvernement
traduit sans doute la difficulté qu’il rencontre à élaborer une politique
salariale réaliste susceptible de permettre au travailleur de satisfaire ses
besoins élémentaires.

Le constat politique au Congo nous paraît amer. Les pouvoirs sont


détenus par les mêmes : demeurer ad vitam aeternam au pouvoir. Ce qui
signifie : éternité au pouvoir. Les constitutions sont tripatouillées pour

81
A. M. J., EBE ZOGO, Le péché de Caïn et Abel ou Le complexe de l’anti-frère, L’Harmattan, Paris, 2021,
p.137.

50
contrôler le pouvoir et s’accaparer des richesses communes au détriment des
autres. Dit autrement, les richesses sont aux mains d’un groupe tandis que la
grande majorité croupit dans la famine et la misère. Les préjugés péjoratifs
que les uns ont des autres gagnent de l’ampleur ; l’amitié véritable est
sacrifiée sur l’autel de l’argent. L’on est même prêt à trahir et tuer son frère à
cause de l’argent ou des intérêts mesquins et égoïstes. Les opposants
politiques sont soit interdits d’activités, soit jetés en prison. Les médias
publics sont contrôlés par les gouvernants. Et la parole est elle aussi contrôlée
et confisquée pour que la Françafrique demeure puissante.

Au Congo, la démocratie, pouvoir du peuple exercé par le peuple, est


en fait le pouvoir d’un clan contre le peuple. En effet, la jeunesse est
gangrenée par la corruption et instrumentalisée par la politique, le manque de
liberté, les relations sociales tendues, les assassinats et bombardements, de
dizaine de coup d’État plus ou moins réussis, sans compter de multiples
rumeurs de complots, le banditisme, l’escroquerie, la dictature, la gabegie, le
clientélisme, le népotisme, le culte de la personnalité, le bradage des
ressources naturelles en complicité avec la France, l’autoritarisme de la classe
dirigeante congolaise, qui ont cristallisé le désir de changement au sein de la
population. C’est dans cette situation précaire mieux de tragédie permanente
que les congolais vivent.

Toutefois, ces problèmes de relation fraternelle au Congo, touchent


également notre Église. La fraternité universelle dans notre Église locale
demeure encore un rêve. Comment passer d’un statut d’asservissement à celui
d’un membre à part entière ? Comment faire dissiper les rancœurs, les
aigreurs et les sentiments d’injustice ressentis par les uns à l’encontre des
autres ?

La fraternité ne dépend ni du statut de la personne, ni de ses richesses.


C’est la qualité des bonnes dispositions qui animent la personne dans les

51
relations qu’elle compte développer avec les autres. Elle serait davantage de
l’ordre du vivre avec et de l’être avec. La dimension qui est ainsi
volontairement privilégiée est celle du relationnel. « Je suis frère de l’autre »
est donc une assertion englobante qui me met en relation avec autrui, peut
importe ce qu’il est, ou d’où il est. Dans cette perspective, nous rejoignons
inéluctablement la dimension universelle de la fraternité et la question
essentielle des droits fondamentaux de l’homme : « Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de
conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de
fraternité »82. De là, nous nous rendons compte que la fraternité n’est pas une
histoire de préséance. Peu importe qu’on soit ministre ordonné ou laïc
consacré ou simplement chrétien vivant de sa foi au quotidien, l’essentiel
c’est de répondre à sa vocation baptismale et de vivre en enfant de Dieu.

De la sorte, l’Église à notre avis, ce n’est pas le ‘’je’’ de


l’individualisme mais plutôt, le ‘’nous’’ communautaire. Comme le Christ qui
envoyait ses disciples deux par deux (Mc 6, 7-13), les prêtres sont dans la
plupart des cas envoyés en équipe de vie presbytérale et donc par ricochet, ils
sont tenus à vivre la fraternité. La mission se fait toujours en équipe, la
mission et la fraternité sont partenaires.

La présence de l’autre dans l’exercice du ministère est une empreinte de


la défense contre le mal, car un prêtre exposé seul risque de dérouter. L’autre
est comme un garde-fou qui aide à réglementer notre agir. D’où la nécessité
d’une philosophie de la communauté comme le dit Marie-Dominique
Philippe. Cela nous permettrait de réussir dans nos ambitions et favoriserait le
soutien, le respect et l’amour mutuel. Cette vie se caractérise par la
coopération. Selon Marie-Dominique Philippe, « l’expérience de la
coopération ne se ramène pas non plus à l’expérience que chacun a de son

82 er
Article 1 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies, le 10 décembre 1948.

52
propre travail ; car si l’on n’est pas attentif au travail de l’autre, il n’y a pas
de coopération efficace. La coopération implique en effet un minimum
d’efficacité : il s’agit de réaliser ensemble une œuvre »83.

Dans la dimension communautaire telle que recommandée par Marie-


Dominique, nous y voyons une complémentarité humaine. Les êtres humains
n’ont pas les mêmes capacités sur tous les domaines de la vie. On pourrait
voir en trois personnes par exemple des talents différents mais
complémentaires. La première personne pourrait être intellectuellement
meilleure, la seconde physiquement forte et la troisième matériellement riche.
Ce serait donc dans l’ouverture de l’une à l’autre, du respect des qualités de
chacune et de la coopération mutuelle que ces trois personnes parviendraient à
se libérer chacune de ses limites et de vices communautaires.

La sagesse africaine nous fait comprendre que les cinq doigts d’une
main n’ont pas la même taille, mais ils sont unis et coopèrent. Cela nous
amène à donner une valeur primordiale à la communauté fraternelle. La
valeur du ‘’nous’’ communautaire témoignerait donc de la fraternité humaine
ouverte. Si nous sommes ontologiquement des êtres d’amour, c’est à travers
le ‘’nous’’ que cela se concrétise, un ‘’nous’’ qui nous amènerait à
transcender les barrières, le désespoir, l’angoisse et favoriserait l’amour
universel de notre existence. Il serait donc judicieux d’enterrer l’égocentrisme
et l’égo-existentialisme en vue d’une libération tant individuelle que
communautaire. Cela nous permettrait d’atteindre l’idéal d’une fraternité
universelle telle que conseillée par le Pape François, lorsqu’il interpelle
l’humanité à revenir à l’essentiel d’une fraternité ouverte qui permet de
reconnaître, de valoriser et d’aimer chaque personne indépendamment de ce
qu’elle est pour nous dans ce contexte de crise de la fraternité et de l’amitié
sociale : « Heureux celui qui aime l’autre ‘’autant lorsqu’il serait loin de lui

83
M.D., PHILIPPE, Lettre à un ami, éditions Universitaires, Paris, 1990, p. 47-48.

53
comme quand il serait avec lui ‘’»84. C’est dire que nous sommes tous invités,
à exprimer l’essentiel d’une fraternité ouverte qui permet d’aimer et de
valoriser chaque personne peu importe son statut social.

Mais, comment arriver à une telle fraternité dans un contexte de


pandémie où les fossés sociaux s’élargissent davantage ? La présente section
essayera de répondre à cette préoccupation.

III.2- Enjeux, défis et perspectives de la fraternité au Congo-Brazzaville

Face à ce tableau peint plus haut, la fraternité universelle de nos jours,


quelles implications pastorales ?

Dans cette section, nous montrons d’abord que la fraternité c’est


tourner notre regard vers le frère pour éviter l’égoïsme et la haine à son
endroit. Ensuite, nous relevons que la solidarité avec le frère en difficulté
surtout dans le contexte actuel de la maladie à Coronavirus est aussi une
exigence d’une fraternité universelle authentique dans le monde, notamment
au Congo- Brazzaville. Et enfin, nous ferons des propositions concrètes pour
le vécue d’une fraternité universelle authentique.

Dans une société où en manque toujours de tout, il n’y a que peu de


place pour la solidarité. Là où jadis, la solidarité et les liens familiaux
assuraient le soin des plus faibles, aujourd’hui le premier souci de chacun est
de survivre. Les gens improductifs pèsent donc très lourd sur la communauté.
La réalité de ce repli sur soi égoïste affecte l’homme dans ses rapports avec
les hommes et le dénature profondément. Les conséquences d’un tel système
sont déplorables et désastreuses pour les faibles qui en sont les laissés pour
compte. En effet ceux qui en pâtissent le plus sont les pauvres, handicapés
mentaux, épileptiques, aveugles, malades du sida, personnes âgées, enfants….

84
François, Lettre Encyclique, Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020, n°1.

54
Dans ce contexte, la fraternité apparaît comme un antidote contre le
mal, l’égoïsme, l’individualisme, la discrimination, l’exploitation,
l’exclusion ; en un mot un remède contre tout ce qui rabaisse l’homme et
dévalue sa dignité. Elle favorise et renforce les liens fraternels et la solidarité.
Dans la fraternité, l’homme se met en orbite. Il se situe par rapport à Dieu son
libérateur. Il intègre avec ses frères et sœurs, notamment les plus démunis, le
Corps du Christ, un et pluriel dans la diversité de ses membres. Ainsi, la
fraternité est un chemin de croissance et de vie dans l’écoute et dans l’accueil
de l’autre et dans le respect de ses différences.

Dans le contexte actuel de la maladie à Coronavirus, la fraternité est


mise à mal à travers le monde entier. Se faisant, cela à créer un contexte très
tendu de méfiance dans un monde où l’individualisme tendait inévitablement,
inexorablement à prendre le dessus sur les rapports interhumains. C’est donc,
dans un tel contexte de rejet de l’autre où la fraternité est mise à mal
qu’apparaît la pandémie qui nous plonge davantage dans le gouffre de
l’amitié sociale. Ainsi, cette pandémie a suscité chez les uns et les autres la
méfiance et la distanciation sociale dans un monde en perte de vitesse.

En fait, avec la pandémie de Covid-19, les méfiances et les


distanciations sociales n’ont cessé de croître à tous les niveaux mettant en mal
ou mieux freinant l’élan fraternel qui était déjà fragilisé par nos sociétés
capitalistes où la recherche du gain avait pris le dessus sur « l’être frère »85.
Cela a pour conséquence l’affaiblissement des relations interpersonnelles et
sociales. S’il est vrai que la situation sociale et fraternelle n’étaient pas au
beau fixe, force est de constater un accroissement de cette fragilisation avec la
pandémie mondiale que le monde traverse. C’est donc une crise mondiale qui
nous révèle les tares de notre organisation sociétale. Cette société où la
culture de l’individualisme a pris le dessus sur les valeurs chrétiennes de la
fraternité universelle. Aussi, en fragilisant l’ordre naturel établi, cette crise ne
85
Ibidem, n°33.

55
cesse au quotidien de creuser davantage les fossés de la distanciation sociale
ainsi que l’affaiblissement des relations interpersonnelles déjà mal en point à
cause de nos égoïsmes.

Enfin, cette fragilisation matérialisée par le port des masques, les gestes
barrières et la distanciation sociale imposé pour les raisons de mesure
sanitaire ne fait qu’éloigner la chaleur humaine des uns à l’égard des autres.
Vivre la fraternité est une tâche complexe et difficile mais pas impossible à
réaliser si nous prenons pour modèle le Christ en personne, promoteur de
toute fraternité véritable. Ainsi, l’universalité fraternelle dont cette question
rappelle nous demande de vivre et de traduire en acte exige de nous un
dépassement de nos égaux, nos frontières et barrières humaines, pour nous
élever à la grandeur de la fraternité qui devient réalisation de la manifestation
de la charité du Christ.

La pandémie à Coronavirus doit nous amener pour une fraternité


universelle sans frontière. Elle impose à tout chrétien l’ouverture envers
l’autrui afin qu’il ne se sente ni seul ni abandonné. Cette ouverture doit tisser
davantage des liens de fraternité et de vivre ensemble, « car la vie subsiste où
il y a un lien, la communion, la fraternité »86. Par ailleurs, au moment où les
relations interpersonnelles sont brisées et que la proximité sociale tend à
perdre son sens à cause de la crise sanitaire, le chrétien est appelé à briser les
murs de l’enfermement en soi-même et affranchir l’autre au sens large. Car
« je ne peux pas réduire ma vie à la relation avec un petit groupe, pas même à
ma propre famille »87. Cela implique que tous doivent se sentir accueillis par
l’autre malgré la distanciation sociale que la pandémie nous impose. Et le
chrétien doit apporter le soutien matériel et moral à ceux qui sont touchés par
la maladie dans notre milieu. La pratique du bon samaritain s’impose donc
aux chrétiens dans la mesure où les moyens économiques ne sont plus

86
Ibidem, n°87.
87
Ibidem, n°89.

56
accessibles à tout le monde, certains ont même perdu leur emploi et d’autres
manquent de nourriture.

L’ouverture fraternelle s’impose aux chrétiens pour favoriser


l’hospitalité aux pauvres à l’instar de Jésus-Christ qui n’a cessé d’aller vers
les pauvres et les marginalisés, car la pandémie à Coronavirus est une forme
de pauvreté qui défigure la dignité de l’homme. Alors, l’hospitalité que le
chrétien doit pratiquer découle de l’enseignement de Jésus lui-même qui
demande de prendre soin de notre prochain en difficulté : « J’avais faim et
vous m’avez nourri ; j’avais soif et vous m’avez donné à manger (…) ; j’étais
malade et vous m’avez visité » (Mt 25, 34-36). La pratique de l’amour est un
acte concret qui doit permettre le rapprochement entre les personnes en ce
temps de crise sanitaire et « personne ne mûrit ni n’atteint sa plénitude en
s’isolant »88. C’est dans ce sens que la pandémie demande l’ouverture envers
l’autre pour appartenance mutuelle, où tous se sentent frères et sœurs, car
Jésus nous dit : « Vous êtes tous frères » (Mt 23, 8).

Dans ce temps de crise sanitaire que le monde traverse, une occasion de


faire ressortir et susciter des témoignages de vie chrétienne, d’où des gens
doivent témoigner de la chaleur fraternelle vécue, à travers le partage, la
solidarité et le vivre ensemble malgré la distanciation sociale que cette
pandémie impose à tous. En effet, c’est dans cette même perspective que la
fraternité universelle nécessite aux chrétiens de vivre l’amour du Christ qui
nous invite au partage et à la solidarité entre frères et sœurs, car dit Jésus : « Il
n’est pas besoin qu’elles y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt
14, 16). C’est ainsi que le témoignage fraternel qu’on doit vivre plus en ce
temps difficile est le partage mutuel pour faire parvenir la présence de Jésus
solidaire aux autres, dans la mesure où des personnes doivent se mettre au
secours des autres qui sont en détresse et affaiblis par la crise sanitaire. Ce
témoignage doit se faire au niveau social, national et international. Et, ce
88
Ibidem, n°95.

57
témoignage ne peut se réaliser que par l’ouverture aux autres et par les actes
de charité pour une fraternité universelle.

L’ouverture de l’amour que tout chrétien doit cultiver en ce moment de


la pandémie, doit s’ouvrir également à la solidarité sociale, pour réinventer
davantage les liens de fraternité qui nous semblent brisés de nos jours. En
effet, la crise sanitaire doit être une opportunité pour renforcer et faire revivre
l’unité dans nos sociétés actuelles et non un moment d’accroître l’égoïsme et
l’individualisme. On doit aussi vaincre la peur de vivre ensemble pour
parvenir à la véritable amitié sociale et à la fraternité universelle. Car
« l’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères.
L’individualisme radical est un virus le plus difficile à vaincre. Il nous
trompe »89. Alors, nous proposons la proximité sociale, l’ouverture envers
l’autrui, comme conséquence positive à cette crise que nous vivons et qui
entraîne chaque jour son lot de mort, il faut relever la soif chez les hommes
des relations normales et fraternelles.

Pourquoi un tel revirement de situation ? Nous pensons que cela est dû


à la prise de conscience de notre fragilité humaine et les limites de l’esprit
humain à tout comprendre. Alors dans ces conditions, la seule alternative
possible est celle de vivre une fraternité qui prend en compte l’autre peu
importe son origine, sa culture, sa religion, sa race. Puisque, nous sommes
imago Dei, alors la fraternité dans nos relations sociales est une impérative
pour nous. C’est donc un devoir de charité qui s’impose à nous en revenant à
l’ordre établie par Dieu et l’organisation de la société qu’il a permis d’établir.

En outre, les défis de la fraternité véritable dont parle Fratelli tutti,


sonnent comme un cri d’alarme pour appeler les consciences des hommes à
imiter le Christ en prônant la vraie fraternité. C’est donc une invitation à
élever notre sens de la fraternité à la grandeur de la fraternité du Christ qui a

89
Ibidem, n°105.

58
une dimension universelle. C’est cela le sens de la vie dans le Christ qui ne
fait pas de différence, de frontière et de barrière entre les hommes. Le Christ
nous invite ainsi, à vivre la fraternité universelle en dehors de laquelle aucune
fraternité n’est possible. La tâche de la fraternité dont nous sommes appelés à
réaliser selon le Pape François est celle qui interpelle chacun devant le danger
de l’individualisme, de l’indifférence à construire la fraternité universelle qui
surpasse la promotion humaine par les actes de charité, de briser les frontières
intérieures qui nous empêchent de progresser vers l’autre pour vivre la
fraternité universelle où tous doivent se sentir frères et sœurs.

III.3- Le ‘’vivre-ensemble’’ comme soubassement de l’amour et de la


fraternité

Le monde dans lequel l’homme vit est régi par des principes qui règlent
la vie en société et favorisent le bien-être et le vivre ensemble : la fraternité.
Cependant, force est de constater que de nos jours notre monde est entrain de
perdre ou mieux a perdu cette valeur essentielle du vivre ensemble inhérent à
l’existence humaine. Plus particulièrement la situation de la pandémie de
coronavirus Covid-19 a contribué à détériorer un peu plus le tissu social. En
effet, fondé sur la tolérance, le dialogue et le respect du bien commun, le
vivre ensemble devrait être une obligation pour tous. C’est dans ce sens que
les Pères évêques affirment en ces termes : « Le vivre ensemble (concept à la
mode aujourd’hui) n’est possible que là où il y a la volonté de dialoguer et
d’ouverture à l’autre. Nos différences ne doivent pas nous empêcher de
dialoguer avec les autres »90. Ces paroles arrivent à point nommé, pour faire
renaître en nous cette volonté de fraternité universelle sincère et véritable.

Comme le dit un proverbe africain « un seul doigt ne peut pas faire le


nœud de la corde », aussi seul on ne peut pas résoudre tous les problèmes.

90
Message des évêques du Congo Brazzaville, La paix est un don de Dieu. Croyants (chrétiens et
musulmans), consolidons ce don au Congo-Brazzaville et dans nos communautés à travers le dialogue. « Je
vous laisse la paix. Je vous donne ma paix » (Jn 14, 27), n°32, 16 octobre 2016.

59
L’autre est donc pour nous un garde-fou que la société nous accorde afin de
cadrer notre agir. D’où la nécessité de dialoguer et d’entrer en communication
avec l’autre dans une dynamique de tolérance. Cette communication passe par
le dialogue. C’est ainsi que le Pape François affirme :

Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître,


essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout
cela se résume dans le verbe ‘’dialoguer’’, pour nous rencontrer et
nous entraider, nous avons besoin de dialoguer. Il suffit d’imaginer
ce que serait le monde sans ce dialogue patient de tant de
personnes généreuses qui ont maintenu unies familles et
communautés91.

C’est dire que, le dialogue est nécessaire dans nos relations humaines.

Là où sont les hommes, les problèmes ne manquent jamais, et cela est


inhérent à la nature humaine. Une communauté sans problèmes n’existe pas,
autrement aucune société n’est constituée d’hommes parfaits. Ce qui est dur
dans la vie religieuse ou communautaire, ce n’est pas la vie religieuse en soi,
mais nos relations humaines conflictuelles, nos comportements boudeurs
parfois. Ce qui est aussi vrai, c’est le fait que la vie religieuse n’est vécue que
par des êtres humains. Et des êtres humains sans différence de caractère sont
rares : « Je n’insinue pas là la résignation, mais je suggère la capacité de se
supporter les uns les autres, la capacité de concession, la recherche de
l’union des cœurs »92. C’est dire que, toutes les fois où nos relations
connaissent des périodes de turpitudes, il faut privilégier le dialogue et le
pardon. Il ne faut pas surtout camoufler les tensions. C’est ainsi que Jean
Vanier stipule : « Il n’y a rien de plus préjudiciable à la vie communautaire
que de masquer les tensions, de faire comme si elles n’existaient pas, de les

91
François, Op.cit., n° 198.
92
B., MUBESALA, Plus tard tu comprendras. Pour une maturité humaine et spirituelle, Paulines, Kinshasa,
2008, p. 89.

60
cacher derrière des marques de politesse et fuir la réalité et le dialogue »93. Il
faut donc dialoguer, dénoncer ce qui ne marche pas et continuer à vivre
ensemble. Conscient que les conflits viennent de nos désirs, de notre être
intérieur comme nous le rappelle Saint Jacques (Jc 4,1-4), le dialogue doit
d’abord commencer avec soi-même, avec notre intériorité en réalisant une
conversion de cœur. Son but est de rechercher le changement intérieur de
l’homme que l’on appelle souvent la métanoïa. Il faut alors arriver à une
connaissance de soi. Étant dans une société pluraliste, le vivre ensemble qui
est l’expression de l’amour et de la fraternité doit se fonder sur un dialogue
sincère et crédible. Ce dialogue se fonde sur quatre critères comme nous le
révèle Paul VI : la clarté (le dialogue suppose et exige une compréhension, il
faut utiliser un langage simple) ; la douceur (elle suppose de se mettre à
l’école de Jésus-Christ humble et doux de cœur. Le dialogue se fait dans la
paix) ; la confiance (elle entraîne à une ouverture en excluant toute forme
d’égoïsme dans le dialogue) et la prudence pédagogique (il faut tenir compte
des conditions psychologiques de l’interlocuteur afin de réussir le dialogue)94.

Notre Église se meurt faute de fraternité. Que de prêtres, de religieux et


religieuses ne peuvent plus se serrer la main, s’adresser la parole et même
passer quelques secondes ensemble sans se regarder. Les presbytères
deviennent des enfers à cause de la présence du frère que nous ne supportons
pas. Nous préférons satisfaire nos appétits égoïstes au détriment du bien
universel. L’attention mutuelle pour le frère n’est plus une valeur comme
telle, mais elle devient plutôt une antivaleur qui crée une sorte de cécité
spirituelle et qui développe une certaine dépendance vis-à-vis de ses passions.
C’est dans ce sens que le Père Louis Pelletier écrivait : « Beaucoup se croient
libres dans leur illusoire prétention à l’autonomie alors qu’ils sont esclaves
de ce qui les domine, c’est-à-dire de leurs passions »95. C’est dans cette

93
J., VANIER, La communauté, lieu du pardon et de la fête, Fleurus/Mame, Paris, 2012, p.5-6.
94
Paul VI, Ecclesiam Suam, (06 Août 1964), La Documentation catholique, Paris, 1964, n°83 - 84.
95
L., PELLETIER, Grandir avec le Christ : La maturité spirituelle, éditions Artège, Paris, 2017, p. 49.

61
situation que sont la plupart de nos frères, attachés aux passions qui leur
donnent l’impression qu’ils les contrôlent et peuvent y échapper au temps
voulu.

De ce fait, se retirer de la communauté n’est pas une solution, car la vie


d’ensemble s’impose à nous. La solution privilégiée reste et demeure le
dialogue inclusif, mais un dialogue qui se fait dans un climat de bienveillance
et surtout de tolérance, dans la mesure où chacun à son point de vue. C’est
dans cette perspective que les Pères évêques écrivent : « Le dialogue social
authentique suppose la capacité de respecter le point de vue de l’autre en
acceptant la possibilité qu’il contienne quelque ou intérêt légitime »96. Sans
un climat de bienveillance où chacun est accueilli et reconnu tel qu’il est et
pour ce qu’il est et non pour sa popularité, ses capacités, sa façon de
s’habiller…, on ne peut pas vraiment parler de vivre ensemble, que ce soit
dans l’Église ou dans la société en général. Le vivre ensemble suppose
également le respect de la dignité humaine. Tout homme quel qu’il soit à une
dignité, et celle-ci mérite d’être préservée et respectée. Là où la dignité de
tout un chacun est respectée, les relations humaines peuvent perdurer, dans la
mesure où, « (…) la reconnaissance de la dignité humaine peut rendre
possible la croissance commune et personnelle de tous »97.

Nos familles sont devenues des lieux de querelles. Aujourd’hui encore


que de familles divisées ! Que de couples séparés ! Que d’enfants qui se sont
écartés entre eux et avec leurs parents ! La famille étant une Église
domestique et communion des personnes, le vivre ensemble devrait
commencer en son sein pour pouvoir s’élargir. Les problèmes seront toujours
à l’ordre du jour partout où sont et seront les hommes. Il faudrait favoriser et
privilégier le dialogue comme moyen pour régler les différends qui surgissent
dans les familles. La famille n’est pas exemptée de crises relationnelles. Une

96
Message des évêques du Congo Brazzaville, Op.cit., n°203.
97
Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Cerf, Paris, 2005, n°145.

62
invite pressante est alors adressée à nos familles de dialoguer et de vivre dans
l’amour. Les parents doivent dans un climat de bienveillance, appliquer les
règles et limites au sein de leurs foyers : comme par exemple ne pas tolérer
les insultes, les manques de respect, les injustices. Tout cela peut avoir une
influence positive, mais pour un réel « être bien ensemble », il faudrait que cet
esprit règne dans toute la famille, et que ce soit une démarche intériorisée,
intégrée. Sans cela, les enfants en resteront au stade des règles imposées et
n’arriveront pas à un changement durable et profond de fraternité familiale.
Pour installer un climat bienveillant dans leur famille, les parents doivent être
eux-mêmes suffisamment serein. Or, éduquer est de plus en plus difficile et
les pressions que subissent les parents sont multiples.

Aujourd’hui plus que jamais, dans ce monde de toutes les folies où tout
fonctionne comme un T.G.V. (train à grande vitesse), les croyants et les
païens se valent et se confondent dans leur manière d’agir. Vivant dans une
société, les croyants sont aussi confrontés aux problèmes liés à la fraternité.
Ils ne doivent pas cacher les différends, mais doivent être capables de les
surmonter en dialoguant. Ils doivent vivre ensemble malgré leur diversité
d’opinions puisque nous vivons dans un monde pluriel et pluraliste. Vivre
ensemble, c’est faire ensemble. Faire ensemble, parce que c’est avant tout par
expérience qu’on découvre que vivre ensemble n’est pas seulement une
obligation, mais aussi une source de joie et de créativité.

Enseigner quelque chose qui est de l’ordre des valeurs (la participation, la
solidarité, le respect de la diversité, le sens du collectif…) sans avoir
l’occasion de le vivre, c’est très artificiel et peu efficace. Faire ensemble
aussi, parce que vivre ensemble aujourd’hui, c’est changer ensemble,
construire ensemble une société où il fasse bon vivre. Nous devons donc tous
agir ensemble dans un commun accord, car « les croyants ont besoin de
trouver des espaces où discuter et agir ensemble pour le bien commun et la
promotion des plus pauvres. Il ne s’agit pas de vivre plus light ou de cacher

63
les convictions qui nous animent »98. L’Église à sa partition à jouer pour
l’émancipation des relations fraternelles. Celle-ci dans sa pastorale doit
œuvrer pour une fraternité universelle et sans frontière, car « la relation de
l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont
tellement liées que l’Écriture dit : ‘’ Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu’’ (1
Jn, 4, 8) »99.

En analysant la situation de crise socio-économique et fraternelle de notre


pays, nous remarquons avec Sébastien Muyengo que « dans la situation de
crise, l’erreur est toujours de chercher à s’en sortir seul en laissant les autres
sur les carreaux »100. Et nous proposons à l’Église locale, quant à la question
de la prise en charge, d’aider les pauvres à se prendre en charge. Nous
affirmons avec Muyengo que « Pour être plus efficace, réaliste et par surcroît
évangélique, il faut que l’Église se construise d’en bas, en aidant les pauvres
à se prendre en charge pour qu’ils soient en mesure de prendre en charge
leur Église »101. Ce conseil vaut pour l’Église et pour l’État.

De ce fait, la première solution que nous pouvons offrir aux Congolais


d’aujourd’hui en quête des bases solides pour la relance du pays est de se
laisser former à l’école de l’esprit fraternel, mieux du vivre ensemble. Que
tous ceux qui ont la possibilité d’instruire les autres insistent sur cette notion.
Sinon, il n’y aura jamais de développement lorsqu’un peuple n’a pas d’esprit
fraternel.

Le tissu social de notre nation est fragilisé. Le vivre ensemble est


hypothéqué à cause de nos intérêts personnels, égoïstes et mesquins, la
fraternité résumée à l’appartenance ethnique. Dans ces conditions, le dialogue

98
François, Exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia, (02/02/2020), Artège, Paris, 2020 ?
n°106.
99
Concile Vatican II, Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, Nostra
aetate, n°5.
100
S., MUYENGO, Dix paroles pour mieux être. Perspectives pour une nouvelle évangélisation, Paulines,
Kinshasa, 2009, p. 86.
101
S., MUYENGO, Seigneur apprends-nous à prier. Réflexions, Méditations et Prières avec le Notre Père,
Médiaspaul, Kinshasa, 2007, p. 33.

64
inclusif entre tous les citoyens congolais reste d’actualité et c’est très
important pour notre société. L’Église a un grand rôle à jouer dans ce
dialogue. Celui-ci doit passer par le dialogue interreligieux, dans la mesure
où « à travers le dialogue interreligieux, l’Église cherche la cohabitation
pacifique entre les croyants et entre les citoyens, fils d’une même nation et
d’un même Dieu »102. Le dialogue doit être le maître-mot pour sortir de la
crise fraternelle dans notre pays. Ainsi, ce dialogue, nous ouvrira aussi à
l’amour de la patrie, ce type d’amour qui anime tout membre d’un pays
quelconque à aimer son pays, en recherchant son développement et son
progrès afin qu’il devienne une référence dans le monde103.

Cet amour se manifeste dans plusieurs manières : pour la classe dirigeante


par exemple, ceux qui la composent auront l’amour de la patrie lorsqu’ils
feront tout ce qui est en leur pouvoir pour rechercher la prospérité de tous.
Pour les médecins, ils manifesteront cet amour lorsqu’ils soigneront leurs
malades dans la conscience droite, oubliant d’abord ce que peut rapporter leur
métier. Pour les avocats et magistrats, c’est lorsqu’ils appliqueront la loi sans
parti pris, sans favoriser celui qui a plus d’argent bien qu’il soit dans la faute.
Nous ne pouvons pas citer ici toutes les catégories sociales, sinon chaque
personne à son niveau, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit sans emploi,…
tout le monde lorsqu’il met l’intérêt de son pays au premier plan, il a l’amour
de sa patrie.

Cet amour de la patrie se manifeste également par un sens aigu du


sentiment d’appartenance. Sébastien Muyengo nous le rappelle en ces
termes : « Le sentiment d’appartenance va de paire avec le sens du bien
commun qu’il convient de comprendre, non pas comme la somme de biens
particuliers, mais comme la fin, le but de la vie en société »104. Et ce
sentiment doit être inculqué dès le bas âge. Mais, il se fait qu’ici au Congo-
102
Message des évêques du Congo Brazzaville, Op.cit., n°9.
103
J., ELLUL, Liberté, dans Conscience et liberté, n°19, Amsterdam, 1980, p. 48.
104
S., MUYENGO, L’humanité de l’homme, Publication Jean XXIII, Le Sénevé, Kinshasa, 1997, p. 55.

65
Brazzaville l’amour de la patrie manque à beaucoup de nos dirigeants, qui
viennent soit de l’extérieur du pays et qui, par conséquent, n’ont qu’une seule
idée en tête : amasser de l’argent, par n’importe quel moyen et rentrer vivre
où ils ont laissé leur famille. Soit encore s’ils viennent de l’intérieur du pays,
ils ont dans leur esprit les habitudes de la deuxième république, c’est-à-dire
l’habitude qui leur font dire qu’il n’y a pas de lendemain lorsqu’on occupe
une fonction dans le gouvernement. Et si, ceux qui ont les commandes du
pays agissent de la sorte, que peut faire le reste de la population ? D’où les
dérapages au niveau des gestions des biens publiques que nous rencontrons
par-ci par-là, amenant ainsi toute la population à commettre le péché
structurel ou de la structure du péché pour utiliser l’expression chère au Pape
Jean Paul II.

Nous estimons qu’il faut une nouvelle génération, avec une nouvelle
mentalité qui aura pour base un dialogue sincère si l’on veut sortir
effectivement de cette crise générale. Il faut en d’autres termes, une nouvelle
classe de l’élite, consciente des enjeux géopolitiques et intégrants les atouts de
la République du Congo-Brazzaville, c’est-à-dire les énormes potentialités
économiques, nouvelles forces géopolitiques. Le Congo a les moyens d’être
une grande nation au cœur de l’Afrique si sa propre population lui accorde
cette chance.

Tout compte fait, le développement au Congo ne peut être concret que si


l’on considère d’abord l’homme congolais en tant que frère, c’est-à-dire un
être humain, digne de respect et d’amour. L’économie ne peut pas apporter un
développement si l’acteur même de ce développement n’est pas prit en
considération. Jules Kipupu dit à ces propos : « l’on a compris que le
développement n’était pas uniquement économique, qu’il ne pouvait pas se
faire sans prendre en charge l’homme et tout homme dans son insertion

66
sociale déterminée »105. En effet, c’est par l’amour que nous pourrions
construire ce nouveau monde tant espéré dans lequel la fraternité sera de mise
pour atteindre les chemins de développement pour tous106. Que les
gouvernants valorisent leurs compatriotes.

105
J., KIPUPU, Culture et développement durable, dans Culture africaine, démocratie et développement
durable. Actes des VIII ème Journées Philosophiques de la Faculté Saint Pierre Canisius du16 au 19 mars
2005, Éditions Loyola, Kinshasa, 2005, p. 61.
106
François, Lettre Encyclique, Fratelli tutti. Sur la fraternité et l’amitié sociale, Paulines, Kinshasa, 2020,
n°183.

67
CONCLUSION GENERALE

L’analyse que nous venons de faire, nous a permis d’analyser avec un


regard théologique et pastoral le concept de ‘’fraternité’’. De cette analyse,
nous avons compris que l’Encyclique Fratelli tutti du Pape François est a
priori une résultante des différents maux qui freinent la fraternité universelle à
notre époque actuelle. Elle s’adresse d’abord aux pasteurs de l’Église, ensuite
aux fidèles, et enfin à tous les hommes et femmes de bonne volonté qui
veulent faire de la fraternité leur priorité.

De ce fait, le premier chapitre portait sur la présentation de l’Encyclique.


Après avoir présenté brièvement le contenu de l’Encyclique, nous nous
sommes rendu compte que les problèmes de la fraternité et de l’amitié sociale
relevés par le Pape François sont d’une importance capitale dans la vie du
monde en général et de l’Église en particulier. Les défis de la fraternité
véritable dont le Souverain pontife fait allusion ont tendance à prévaloir sur ce
qui doit être vécu normalement, sur ce qui est déjà bien en soi. De ce point de
vue, il rappelle quelques questions qui semblent fondamentales pour la
doctrine sociale de l’Église en insistant sur la fraternité et l’amitié sociale
comme pilier d’un développement durable entre les hommes.

Le deuxième chapitre portait sur les observations et les constats


bibliques, patristiques et magistérielles de notre travail. Ainsi, avons-nous
compris de manière générale que, la Bible se réfère à la fraternité en termes
de valeurs éthiques en ce qu’elle désigne le comportement des croyants et leur
manière d’être. La fraternité s’étend davantage comme la communion
fraternelle. Elle désigne la mise en commun des biens et exprime l’union des
cœurs qui résulte du partage de l’Évangile et de tous les biens reçus de Dieu
par Jésus-Christ dans la communauté apostolique. Elle renvoie alors à une
entraide sociale, à une idéologie commune et à un sentiment de solidarité. Au
nombre des multiples témoignages patristiques, nous privilégions celui de

68
saint Cyprien, évêque de Carthage. Même si la thématique de l’unité était au
cœur de sa réflexion théologique, on ne saurait oublier qu’il avait identifié
Église et Fraternité. Ce théologien de l’unité de l’Église fonde le concept de
fraternité dans l’essence même de l’unique et égale dignité des baptisés
comme enfants de Dieu et disciples du Christ. A partir de cet excursus
biblique et patristique, nous avons exploré les fondements magistériels de la
fraternité. Cette dernière est comprise comme étant synonyme d’Église en ce
qu’elle rassemble, à une dimension réduite, une portion du peuple de Dieu.
Répondant à l’appel fondamental du Christ, les membres vivent leur foi en
témoignage à la Parole de Dieu. Ils constituent une communauté des frères et
sœurs. De toute évidence, il s’agit désormais de la fraternité en acte. Nous
avons procédé à la vérification de cette fraternité dans la vie de l’Église à
partir de quelques documents officiels du magistère, à savoir la Constitution
dogmatique sur l’Église et quelques Décrets relatifs au ministère pastoral et à
la vie consacrée.

Le troisième chapitre quant à lui, est une analyse des aspects pratiques de
la fraternité. Il fait le point sur la méthode pastorale essentielle : voir, juger et
agir. Il s’agit d’épingler la fraternité telle qu’elle est vécue dans le milieu
congolais, une société pluraliste dans laquelle la fraternité universelle semble
être freinée par le tribalisme, le régionalisme. Nous avons ensuite, jeté notre
dévolu sur les incidences qui puissent exister entre la fraternité et la mission.
Enfin, nous avons examiné les implications pastorales de la fraternité de nos
jours marquée par la maladie à Coronavirus.

En soi, la pandémie à Coronavirus semble briser les liens fraternels et le


vivre ensemble dans nos sociétés actuelles. C’est ainsi que l’Encyclique
Fratelli tutti du Pape François vient comme un moyen de sauvegarde des
relations humaines brisées à l’instar de saint François qui a su vivre l’amour
fraternel. En effet, de nos jours l’on remarque l’affaiblissement des relations
interpersonnelles et sociales. Alors, avec la Covid-19, il y a plus eu la

69
croissance des méfiances, de distanciations sociales dans la mesure où chacun
par le renfermement et l’individualisme est tenté de rester chez soi. La
pandémie à Coronavirus constitue une menace, elle guette la fraternité
universelle. C’est un danger à la société contemporaine dont il faut réinventer
les nouvelles méthodes pour redonner le goût de la vie à chaque homme et de
faire sentir l’amour fraternel où tous se sentent aimés comme des frères. La
pandémie à la Covid-19 ne doit pas nous enfermer à l’égoïsme mais à
l’ouverture pour une fraternité universelle malgré la distanciation que la
maladie nous impose. Ainsi donc, cette charge s’impose à tout chrétien d’aller
vers ceux qui souffrent et les plus faibles comme le Christ l’a fait.

C’est pourquoi, après avoir vu, jugé et proposé quelques voies de sortie de
la crise fraternelle qui gangrène le tissu social congolais à tous les niveaux,
nous nous sommes inspirés d’un message de notre magistère local dans
lequel, les Pères évêques insistent sur le dialogue inclusif comme un moyen
facilitant l’éclosion du vivre ensemble. Sur ce, à la suite du Pape François et
même en regardant les occurrences de la fraternité telle que vécue dans la
Bible, nous nous sommes rendu compte que le vivre ensemble est toujours
exposé aux conflits, d’où il faudrait privilégier le dialogue et l’ouverture au
monde. C’est ainsi que l’Encyclique Fratelli tutti du Pape François publié le
03 octobre 2020 se colore à une invitation à tous, pour assumer un mode de
vie qui corresponde à la saveur de l’Évangile.

Somme toute, à l’heure où la fabrication et l’octroi des vaccins covid se


font sur la base de la renommée étatique, la fraternité n’est plus pleinement
vécue, car les intérêts sont mis au-devant de tout. Dans ce contexte, la
fraternité universelle n’est pas encore toute faite, mais reste un combat de tous
et de chacun. Toutefois, comment penser ou vivre cette fraternité universelle
dans un contexte si particulier de notre existence marquée par la Covid-19 ?
Telle est la question qui reste et demeure suspendue à nos lèvres.

70
BIBLIOGRAPHIE

1. Sources scripturaires
 La Bible de Jérusalem. Traduite en français sous la direction de l’École
Biblique de Jérusalem, Cerf, Paris 2001.
 La Traduction Œcuménique de la Bible, nouvelle édition, Cerf, Paris,
2004.
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 Les documents du Concile Vatican II, Édition intégrale avec Table
analytique, Préface de Mgr Nicolas Djomo, Paulines, Kinshasa, 2013.
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 Congrégation pour le clergé, Directoire pour le ministère et la vie des
prêtres, Le Centurion, Paris, 1994.
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Jérusalem… » (Mt 20, 18). Le Carême un temps pour renouveler notre
foi, notre espérance et notre charité.
 Message des évêques du Congo Brazzaville, La paix est un don unique
de Dieu, 16 octobre 2016.

71
3. Textes Patristiques
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traduction, notes et index par Annie Jaubert (sources chrétiennes 167),
Cerf, Paris, 1971.
 CYPRIEN, Unité de l’Église 1, « Les Pères de l’Église », DDB, Paris,
1979.
 CYPRIEN DE CARTHAGE, L’unité de l’Église, (traduction de Michel
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4. Instruments de travail
 Vocabulaire de Théologie Biblique, sous la direction de Léon-Dufour,
x., Duplacy, J., George, A., et alii, Cerf, Paris, 1964.
 ABADIE Philipe, Ce que dit la Bible sur le frère, Nouvelle cité, Paris,
2016.
 CHARPENTIER Etienne, Pour lire le Nouveau Testament, Verbum
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 LAMEAU Marie-Louise, Des chrétiens dans le monde : Communautés
pétriniennes au Ier siècle, Éd. Du Cerf, Paris, 1988, « Lectio Divina »
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 RATZINGER Joseph, Frères dans le Christ : l’esprit de la fraternité
chrétienne, Cerf, Paris, 1962.
5. Ouvrages d’auteurs
 ANTON Angel, « L’ecclésiologie postconciliaire : Les attentes, les
résultats et les perspectives pour l’avenir » dans Vatican II : Bilan et
perspectives. Vingt-cinq ans après (1962-1987), I, sous la direction de
René Latourelle, Éditions Bellarmin/Cerf, Montréal/Paris, 1988,
« Recherches Nouvelle série » 15.
 ARISTOTE, La politique, Vrin, Paris, 2005.
 COFFY Robert, « Église-Sacrement » dans Robert Coffy/ Roger Varro,
Église : Signe de salut au milieu des hommes, (Rapports présentés à

72
l’Assemblée plénière de l’Épiscopat français, Lourdes 1971), Le
centurion, Paris, 1972.
 DUJARIER Michel, L’Église-Fraternité 1, Éditions du Cerf, Paris,
1991.
 DESSINGA Giscard-Kevin, Penser L’Humain Aujourd’hui,
L’Harmattan, Paris, 2018.
 ELLUL Jacques, Liberté, dans Conscience et liberté, n°19, Amsterdam,
1980.
 KIPUPU Jules, Culture et développement durable, dans Culture
africaine, démocratie et développement durable. Actes des VIIIème
Journées Philosophiques de la Faculté Saint Pierre Canisius du 16 au 19
mars 2005, Éd. Loyola, Kinshasa, 2005.
 LEGASSE Simon, « Et qui est mon prochain ? », Éditions du Cerf,
Paris, 1989, « Lectio divina » 134.
 LEONARD- ROQUES Véronique, Caïn et Abel : Rivalité et
responsabilité, Éditions du Rocher, Monaco, 2007.
 MAMPOUYA Joseph, Tribalisme au Congo, La pensée universelle,
Paris, 1983.
 MABIALA Antonio, Qu’as-tu fait de ton frère ? Éthique de la
responsabilité fraternelle selon les Écritures, Éditions Paari,
Brazzaville, Paris, 2014.
 MUYENGO Sébastien, Dix paroles pour mieux être. Perspectives pour
une nouvelle évangélisation, Paulines, Kinshasa, 2009.
 MUYENGO Sébastien, Seigneur apprends-nous à prier. Réflexions,
Méditations et prières avec le Notre Père, Médiaspaul, Kinshasa, 2007.
 MUYENGO Sébastien, L’humanité de l’homme, Publication Jean
XXIII, Le Sénevé, Kinshasa, 1997.
 MUBESALA Baudouin, Plus tard tu comprendras. Pour une maturité
humaine et spirituelle, Éditions Paulines, Kinshasa, 2008.

73
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Paris, 1990.
 PELLETIER Louis, Grandir avec le Christ, La maturité spirituelle,
Éditions Artège, Paris, 2017.
 TSIAKAKA Adolphe, Emile Biayenda, grandeur d’un humble,
Éditions du signe, Strasbourg, 1999.
 VANIER Jean, La Communauté, lieu du pardon et de la fête,
Fleurus/Mame, Paris, 2012.
 ZOGO EBE J., Martial-Alban, Le Péché de Caïn et Abel ou Le
complexe de l’anti-frère, L’Harmattan, Paris, 2021.
6. Webographie
 AGBENUTI Hugues « Michel DUJARIER, Eglise-Fraternité.
L’ecclésiologie du Christ-Frère aux huit premiers siècles », Revue des
sciences religieuses (En ligne), 92/1/ 2018, mis en ligne le 01 janvier
2019, https://journals.openedition.org/rsr/4501, consulté Jeudi 18
novembre 2021.
 MEKARY Antoine, Fratteli Tutti : les sept grands appels du Pape
François, 05 octobre 2020, https://fr.aleteia.org, consulté Jeudi 18
novembre 2021.

74
TABLE DES MATIERES

EPIGRAPHE…...............................................................................................2

DEDICACE……………………………………………………… …………3

REMERCIEMENTS……………………………...………………………...4

SOMMAIRE…………………………………………………………………5

0.INTRODUCTION GENERALE.................................................................6

0.1. Problématique……………………………………………………………6
0.2. Choix et intérêt du sujet…………………………………………………7
0.3. Méthode et subdivision du travail…..........................................................8

CHAPITRE I : PRESENTATION DE L’ENCYCLIQUE………………9


I.1- Contexte de rédaction et destinataires de Fratelli tutti…………………...9
I.2- Plan ou structure de Fratelli tutti………………………………………10
I.3- Résumé de l’Encyclique Fratelli tutti………………………… ………..14

CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA FRATERNITE : DANS


LES SAINTES ECRITURES, DANS LA TRADITION ET LE
MAGISTERE DE L’EGLISE……………………………………………..17

-De la définition de la fraternité……………………………………………18


II.1- Modèle de la fraternité dans les traditions Vétéro-Néotestamentaires...19
a- Dans l’Ancien Testament…………………………………………………20

b-Dans le Nouveau Testament……………………………………………22


II.2- Notion de la fraternité dans la patristique : Témoignage de Clément de
Rome et Cyprien de Carthage………………………………………………23
II.2.1- Témoignage de Clément de Rome…………………………………24
II.2.2- Saint Cyprien et les enjeux de la fraternité…………………………24
a- Nature de l’Église…………………………………………………………26

75
b- Attitude du disciple………………………………………………………28
II.3- Perception de la fraternité dans les documents du Magistère de
l’Eglise.............................................................................................................31
II.3.1- La fraternité dans la Constitution dogmatique sur l’Église…………31
a- Église, corps du Christ……………………………………………………31
b- Du corps du Christ à l’union fraternelle…………………………………32
c- Fraternité en Christ………………………………………………………33
II.3.2- Sollicitude fraternelle………………………………………………36
II.3.3- Église, fraternité des fils de Dieu en Christ…………………………..39

CHAPITRE III : VIVRE UNE FRATERNITE AUTHENTIQUE :


ENJEUX, DEFIS ET PERSPECTIVES DANS L’EGLISE AU CONGO
BRAZZAVILLE……………………………………………………………45
III.1- La fraternité dans le contexte congolais………………………………46
III.2- Enjeux, défis et perspectives de la fraternité au Congo Brazzaville…54
III.3-Le ‘’vivre-ensemble’’ comme soubassement de l’amour et de la
fraternité……………………………………………………………………..59
CONCLUSION GENERALE……………………………………..............68
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………71
TABLE DES MATIERES……………………........................................... 75

76
77

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