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"Au carrefour du développement personnel et de la spiritualité: l'intériorité"

Samedi 22 avril 2017, Centre Saint Thomas 67000 Strasbourg

L’intériorité, selon une religieuse catholique


Au cœur du monde, au cœur de Dieu
Par Denise BAUMANN
Nous sommes invités aujourd'hui, avec ce thème, à "connaître l'inconnaissable"!
Ce mot est de Cyrille de Jérusalem au 4eme siècle!
"L'intelligence comprend rapidement, la langue comme la parole ont par contre
besoin de phrases et de mots...et là, c'est en effet grande science que de reconnaître sa
limite, son ignorance". L'invitation à donner un témoignage sur l'intériorité, c'est alors
pour moi risquer une parole sur ce Dieu vivant en moi...qui est en même temps tout
proche "hôte intérieur" et en même temps tellement indicible. Je trouve que c'est un bel
exercice d'humilité et d'entraide fraternelle aujourd'hui que de risquer ensemble une pa-
role, des paroles, des échanges...
Mon propos sera forcément marqué par ce que je suis, femme, religieuse
catholique, chrétienne pour partager quelques flashs d’une expérience de vie…
Au départ, dans ma jeunesse, une famille nombreuse où on vivait fraternité et par-
tage. Une éducation chrétienne se référant plutôt à des rites et des obligations. Puis la
rencontre d’un jésuite, ayant une parole « prophétique » et la découverte d’un Dieu Vi-
vant. Bouleversement de mes schémas d’adolescente. Présence d’un Dieu qui aime
l’Homme d’un amour d’estime, respectueux de sa liberté. « Je vois, disait-il un beau
christianisme centré sur l’essentiel… les spirituels vrais, ceux qui vivent la foi, avec les
pauvres par l’esprit, les pacifiques, les assoiffés de justice, les miséricordieux… Un
christianisme de communion réelle, vraiment spirituelle dans le Christ Jésus… Et toi,
deviens ce que tu es… sois toi-même,… Puis ce que tu as reçu donne le en partage… » (P.
Monier, exercices spirituels, Cerf)
Ouverture au monde, ouverture à Dieu et peu à peu s’éclaire en moi la vocation de
Sœur de la Charité cet appel intérieur, personnel et mystérieux où je choisis librement une
vie consacrée à Dieu et aux autres. Cette vocation correspond à mes aspirations d’action
et de contemplation, « au cœur du monde, au cœur de Dieu ».
Et comment approcher cette vie intérieure ? Le mystère de la rencontre de l’autre,
comme de Dieu, demeure dans le secret de chacun de nous. Ce qui m’a sûrement accom-
pagné ce sont, dans les Evangiles, les rencontres de Jésus avec les hommes et les femmes
de son temps : par exemple la Samaritaine qui a soif d’une vie plus vraie, sa rencontre de
nuit avec un certain Nicodème… Il y a chaque fois comme une « brûlure »
intérieure… « Tout s’illumine et prend figure autour de nous… et devient visite de
Dieu » (Le milieu divin, Teilhard de Chardin).
L’évangéliste Luc raconte ce retournement arrivé à deux hommes un soir, sur la
route d’Emmaüs. Ces deux disciples sont encore sous le choc de la mort en croix infligée
à leur maître. Ils sont déçus, découragés, dans le trouble… Et tout en cheminant le maître
dévoile devant eux le paysage des Ecritures et comment cette traversée de la mort peut
ouvrir un chemin de vie… Peu à peu, l’esprit des disciples s’ouvre au sens de cette mort !
Ce n’est pas une compréhension intellectuelle. C’est, dit Eloi Leclerc, « une expérience
de vie qui prend tout l’être en touchant « au cœur ». Notre cœur disent-ils, n’était-il pas
tout brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait en chemin…. Emotion profonde et neuve,
au contact d’une présence qui se donne à connaître de l’intérieur, comme une plénitude
de vie proprement créatrice… » C’est parfois cette rencontre indicible, avec ce « Dieu qui
nous est plus intérieur que nous-mêmes » dit St Augustin. C’est une expérience dans le
silence, une contemplation, une conversation… c’est parfois un cri de détresse, ou un
chant d’émerveillement ou une écoute silencieuse… Les chrétiens appellent cela aussi
« demeurer dans la prière ».

Le théologien orthodoxe Olivier Clément dit aussi « Dieu est là, et nous sommes dans le
rayonnement de son amour… Nous ne sommes pas seuls, perdus, absents devant le néant
ou l’horreur. Il y a ce tout Autre, auquel nous accédons avec Jésus, par les profondeurs
de notre être ».
Il y a cet aspect-là de la vie intérieure… et pour les chrétiens, il y en a un autre.
Dans la même dynamique, l’amour de Dieu appelle l’amour des frères et le service des
souffrants. L’amour des frères n’est-il pas aussi transformation progressive pour entrer
dans une qualité de relation et de service. Il appelle disponibilité et envoi en mission.
Pour nous, Sœurs de la Charité, c’est mettre l’Evangile en actes : « J’étais malade et vous
m’avez visité… »
« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait »
Aujourd’hui, dit le pape François « allez aux périphéries… » où il y a tous ces laissés
pour compte. Ces enfants et jeunes, malades et personnes âgées, personnes en précarité :
ce sont ces milles visages marqués par la vie… ces cris du cœur, ces êtres blessés qui
parfois deviennent blessants...Pour cette "restauration de l'homme", St Vincent de Paul,
notre père nous "prête " ses mains, son cœur, son regard.
"Il a des yeux comme des yeux Ce visage-là, c'est le sien,
Qui regardent et aiment comprendre Ou c'est le mien, ou c'est le vôtre,
Une bouche, comme une bouche Mais sous les traits de l'éphémère
Qui parle d'amour et d'offrande... Il a le beau visage de l'Autre..." dit le
poète

Charisme de compassion c'est-à-dire du "souffrir-avec"? Visage de l'homme certes


et avec les yeux du cœur, visage du Christ souffrant...
« Tu ne dois pas considérer le paysan ou la pauvre femme de l’extérieur, d’autant que
bien souvent ils n’ont pas bonne figure…Mais tourne la médaille et tu verras, dans la
lumière de la foi, le Fils de Dieu qui a voulu être ce pauvre… » dit St Vincent. Pour nous,
chrétiens, la vie intérieure est alors, avec Jésus, cette fraternelle rencontre de l’autre et cet
humble compagnonnage.
Pour vivre cette mission de compassion, pour grandir dans cette unité intérieure à
laquelle Vincent de Paul nous entraîne, y a-t-il un secret? Les maîtres spirituels, dont
Ignace de Loyola, nous proposent un "entraînement" comme pour les sportifs...un chemin
de discernement.
D’abord, observons les mouvements intérieurs qui nous habitent... Je peux être
habitée par un grand courage le matin - et le soir me sentir envahie par le
découragement...Je passe de la paix intérieure au trouble... Le mot "heureux" revient
souvent dans la Bible... C'est le goût de la vie, de la joie, du bonheur. Et il y a son
contraire: le doute, le mensonge, la peur, la tristesse, c'est-à-dire ce qui nous freine ou
détruit la vie...Il y a en nous ces deux forces...et parfois il y a le combat...Choisir une di-
rection ou une autre, c'est l'acte profondément humain...et c'est l'exercice de notre liberté.
"Cette liberté se gagne par un long chemin d'écoute: il y a en nous, en toi, en moi, en
chaque être humain, une conscience. Elle est le sanctuaire sacré où Dieu parle à chaque
personne, qu'elle soit chrétienne ou non. C'est pour cela que tout homme porte le désir
d'être juste, vrai, aimant. Même les plus grands gangsters peuvent faire un acte de
bonté...Sois ce que tu es profondément, en faisant confiance à cette petite voix intérieure"
dit Jean Vanier, le fondateur de l'Arche.
Après ce discernement personnel, nous avons à retrouver la communauté, un
frère, une sœur, un accompagnateur...La relecture personnelle du vécu, comme parfois la
relecture en groupe, dévoilent peu à peu le chemin pris, et ouvrent à un nouveau choix
pour la suite. Cette quête d'un chemin de vie "juste et bon" est un exercice utile et éclai-
rant pour chaque personne, chaque communauté, mais aussi pour la vie des institutions…
Les chrétiens ne sont-ils pas invités à être « levain dans la pâte »
Après ces mots balbutiés qu’est-ce que la vie intérieure ? Elle reste certes indi-
cible… et reste aussi une étonnante aventure ! Peut-être est-elle cette étonnante alliance
entre l’expérience profonde et amoureuse du Dieu vivant, en même temps que l’engage-
ment résolu dans le monde de notre temps ?

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