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Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans la modernité, Eva


Illouz, Paris, Seuil, traduction de Frédéric Joly, 2012 [édition en langue
allemande : 2011], 400 p.

Article · January 2016


DOI: 10.3917/rf.013.0125

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Gérard Neyrand
Paul Sabatier University - Toulouse III
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▶ POURQUOI L’AMOUR FAIT MAL. L’EXPÉRIENCE
AMOUREUSE DANS LA MODERNITÉ, EVA ILLOUZ, PARIS,

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SEUIL, TRADUCTION DE FRÉDÉRIC JOLY, 2012 [ÉDITION EN
LANGUE ALLEMANDE : 2011], 400 P.
Gérard Neyrand
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Union nationale des associations familiales (UNAF) | « Recherches familiales »

2016/1 n° 13 | pages 125 à 129


ISSN 1763-718X
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2016-1-page-125.htm
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Pour citer cet article :


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Gérard Neyrand, « ▶ Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans
la modernité, Eva Illouz, Paris, Seuil, traduction de Frédéric Joly, 2012
[édition en langue allemande : 2011], 400 p. », Recherches familiales 2016/1
(n° 13), p. 125-129.
DOI 10.3917/rf.013.0125
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Notes de lecture/Vient de paraître
Š Pourquoi l’amour fait mal.
L’expérience amoureuse dans la modernité,
Eva Illouz, Paris, Seuil, traduction de Frédéric Joly, 2012

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[édition en langue allemande : 2011], 400 p.

La découverte d’Eva Illouz, croisée au détour d’une émission télévisée, a constitué pour moi
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un choc, produisant le désir non seulement de lire son ouvrage mais aussi d’en rendre compte.
D’emblée, l’auteure énonce : « Parce que nous vivons à une époque où l’idée de responsabilité
individuelle règne en maître, la vocation de la sociologie reste essentielle. » (p. 14). Elle désigne
ainsi la connivence involontaire qui a pu s’établir entre le discours savant de la psychologie,
démontant les mécanismes de construction et d’évolution des liens psychiques et des attache-
ments amoureux, et l’idéologie du néolibéralisme, mettant en avant la responsabilité des indivi-
dus dans la définition de leur situation. Pour elle, il n’est pas question d’expliquer l’élaboration
des sentiments et des liens interindividuels par la seule logique de positionnement personnel de
soi par rapport aux autres, comme tendent à nous le présenter les médias et bon nombre d’auteurs
se nourrissant aux sources de la psychologie.
De même, les souffrances de l’amour ne sont pas seulement des souffrances liées à une patholo-
gie du lien ou un trouble des interactions. « Des enfances dysfonctionnelles ou des psychés insuf-
125
fisamment conscientes d’elles-mêmes ne sont pas l’explication de ces maux, dont l’origine doit
plutôt être trouvée dans l’ensemble des tensions et des contradictions sociales et culturelles qui
structurent désormais les moi et les identités modernes. » (ibid.) La thèse est forte, et l’auteure
prendra pour la soutenir le temps de visiter l’histoire de la modernité amoureuse jusque dans ses
prolongements les plus récents.
À l’époque de la chevalerie, le chevalier avait pour idéal de défendre les faibles – dont les
femmes – et l’amour apparaissait pour elles comme le garant de leur statut en leur permet-
tant de glorifier leur destin : aimer et prendre soin des autres, qu’ils soient époux, amants ou
enfants. En se généralisant par la suite, l’idéal amoureux va marquer le destin de la féminité, et
on arrive alors progressivement au règne de l’amour romantique hétérosexuel, qui marque de
son empreinte celles qu’elle qualifie comme les « deux plus importantes révolutions culturelles
du XXe siècle » : l’individualisation des manières de vivre et sa prise dans l’idéal amoureux, et
l’économicisation des rapports sociaux, c’est-à-dire l’emprise des modèles économiques dans la
formation du moi et des émotions, que notre société néolibérale portera à son paroxysme.
Devenu autonome, le sexe voit sa gestion incorporée au projet de vie individuelle et les formes
prises par la société marchande structurent les échanges jusque dans la vie intime. On est passé
ainsi d’un régime performatif des émotions, où toutes les démarches et les interactions sont ritua-
lisées, à un nouveau régime d’authenticité émotionnelle, où l’expression valorisée des émotions
passe avant la définition du cadre où elles peuvent s’exprimer. Le vécu transcende l’institué en
quelque sorte. Les émotions deviennent la motivation de l’engagement, et leur expression par-
tagée procède d’une « révélation de soi », que sollicite la nouvelle organisation de l’imaginaire

Notes de lecture/Vient de paraître


des relations privées, et plus spécifiquement encore des plus intimes. « Le renforcement des liens
affectifs des deux personnes devient le socle de la vie intime. » (p. 71)
Reprenant l’image de la « grande transformation » évoquée par Karl Polanyi en 1944 comme
processus par lequel le marché capitaliste a « désenchâssé » l’acte économique des cadres
moraux et normatifs de la société et a ainsi organisé l’économie en marchés autorégulés, avant
de placer la société sous sa domination (le néolibéralisme), l’auteure l’applique à la nouvelle

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place de l’amour. Pour elle, la « grande transformation » de l’amour se caractérise par trois
grands facteurs (p. 74) : une transformation des modes d’évaluation de l’autre qui sont dégagés
des normes du groupe et inféodés aux médias de masse ; la tendance à envisager le partenaire en
termes psychologiques et sexuels (le sexuel prenant progressivement le dessus) ; et la prépondé-
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rance prise par le sexuel sur le marché du mariage (et encore plus de l’échange amoureux). Ce
qui reprend d’une autre façon les analyses de Foucault montrant l’autonomisation d’un dispositif
de sexualité à partir du dispositif d’alliance qui définissait auparavant l’échange matrimonial.
Sous la triple influence de la montée du consumérisme, de la légitimation de la sexualité par la
psychologie, et du féminisme, l’identité de genre des hommes – et plus encore des femmes –
s’est transformée pour devenir une identité sexuelle, régie par un ensemble de codes corporels
et linguistiques et cherchant à susciter le désir sexuel de l’autre. À l’intersection entre Freud, la
société de consommation et la maîtrise libératrice de la procréation, le désir est placé au coeur
de la subjectivité, et « la sexualité devient une sorte de métaphore généralisée du désir » (p. 76).
Ainsi, la culture de la consommation parvint à se débarrasser des normes sexuelles tradition-
nelles (qu’institutionnalisait le mariage), en s’appuyant sur une libération de la sexualité liée à la
maîtrise nouvelle de la procréation et sur l’autorité d’experts issus des rangs de la psychanalyse
126
ou de la psychologie. Du coup, « une satisfaction sexuelle orgasmique et un plaisir mutuel deve-
naient des actes moraux de revendication d’autonomie et d’égalité. Le plaisir sexuel devint le
moyen d’affirmer l’accès des femmes à une pleine égalité avec les hommes » (p. 80). Évolution
qui correspond à l’effacement du lien autrefois majeur entre sexualité et reproduction, à la perte
de la fonction qu’avait le mariage de garantir la filiation paternelle et de définir l’espace du sexe
légitime. Ce qui a pour effet de diversifier les choix amoureux en même temps que se diversifient
les critères de classement : milieu social, apparence physique, rapport à la culture médiatique,
niveau d’étude, sex-appeal...
La sexualité peut désormais être un but en soi, détaché de toute visée conjugale, voire amou-
reuse. L’échantillon de partenaires potentiels s’élargit considérablement, à l’image de ce que
propose le site de rencontres généraliste qui, exemplairement, fait appel à des procédures de
sélection et de choix empruntant à une gestion managériale des flux. « L’habitus amoureux a
ainsi pour caractéristique d’agir à la fois économiquement et émotionnellement. » (p. 92) De la
sorte, nous dit Eva Illouz, dans une de ses thèses les plus discutées : « Le triomphe de l’amour et
de la liberté sexuelle signa l’entrée de l’économie dans la machine du désir. » (p. 101)
Une tension s’instaure alors entre l’exclusivité et le désir de s’engager. Si l’engagement suppose
l’exclusivité, et qu’on ne peut envisager des formes d’engagement moins conventionnelles ou
multiples, l’engagement devient difficile. Les contrats conjugaux se font alors à court terme, et
l’engagement durable – et a fortiori le mariage – est repoussé. On passe alors dans une polyga-
mie – ou polyandrie – échelonnée dans le temps, faisant se succéder les expériences, et garan-
tissant paradoxalement l’autonomie sous l’égide de la revendication fusionnelle à l’exclusivité...

Recherches familiales, n° 13, 2016


Gérard NEYRAND

En d’autres termes, l’engagement dépend des modalités d’institutionnalisation de la liberté ;


c’est une « structure d’opportunité » qui va à son tour affecter le processus d’attachement. L’af-
fectif intime est formaté par les règles sociales, et l’évolution de celles-ci préside à l’instauration
de paradoxes relationnels caractéristiques de l’individualisation contemporaine, comme celui
que dans « Le dialogue familial, un idéal précaire », j’épingle comme « paradoxe de l’indivi-
dualisme relationnel ».

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De fait, si la stratégie d’union exclusiviste demeure inégalement répartie selon le genre, et se
trouve plus pressante chez le genre féminin, c’est, nous rappelle l’auteure, lié à la forte propor-
tion de femmes qui continuent à inscrire « la recherche d’un partenaire dans la construction et
la perception de leur rôle procréatif » (p. 129). Sans pour autant que l’on puisse se limiter à une
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vision individuellement déterministe, mais plutôt en positionnant cette logique dans une pers-
pective culturelle globale. Toujours est-il que compte tenu des conséquences de la généralisation
du contrôle de la procréation et du décalage produit sur les âges d’engendrement, l’urgence
procréative après 30 ans se fait durement sentir pour les femmes... Découle de cet ensemble de
faits que la question du choix devient centrale.
Dans une société où l’idéal conjugal demeure toujours aussi prégnant, voire s’affirme d’autant
plus qu’il reste un des derniers lieux de certitude, le choix du partenaire devient aussi crucial
que délicat. Il met, en effet, en confrontation la nouvelle démarche de rationalisation intros-
pective du choix, soupesant l’adéquation de l’autre aux « besoins, émotions et préférences
en matière de modes de vie », avec l’ancienne centralité de l’affectivité dans la démarche
amoureuse. Or, malgré la force de cette nouvelle démarche « managériale » en amour, les
recherches montrent, dit-elle, que « la dimension affective de l’engagement est en définitive
127
la plus forte, parce que l’engagement ne peut être un choix rationnel » (p. 163). Ce qui est
lourd de conséquences : d’abord, le renforcement de la valeur d’exclusivité amoureuse et
conjointement l’accentuation de la difficulté à s’engager ; ensuite, la montée de l’ambivalence
et de l’incertitude, induites par le fonctionnement même des institutions ; enfin, l’exacerbation
des contradictions de la conjugalité moderne, avec les multiples effets que l’on connaît, en
termes de séparations, déchirements, isolement ou recherche frénétique de partenaires, place
des enfants, recompositions, couples non-cohabitants et solutions alternatives... tout ce que
Robert Castel a judicieusement désigné comme « montée des incertitudes » .
L’individu contemporain se trouve ainsi soumis à un conflit de normativité qui le dépasse,
enjoint le fait qu’il se trouve à la réalisation de soi dans le rapport à l’autre (conjoint, mais aussi
enfants, positionnés en partenaires) dans un « régime d’authenticité » où « l’ambivalence n’est
pas intrinsèque à la psyché, mais est une propriété des institutions qui organisent nos vies (...)
[et] sont souvent responsables du fait que nous voulons des biens contradictoires ; l’amour et
l’autonomie [le couple duo dirait Irène Théry], l’attention et l’indépendance » (p. 164).
De ce fait, l’individu ne peut véritablement s’engager puisque, personnalité évolutive se
nourrissant des autres, il ne peut prévoir ce qu’il sera demain, « demander que l’on s’engage
sur les émotions que l’on éprouvera à l’avenir devient illégitime, car perçu comme une
menace pour la liberté » (p. 223) ; s’il le fait quand même, il aura toutes les chances d’être
désillusionné, car « nous sommes mal armés pour nous engager dans ce que Gilbert appelle
la “prévision affective’’ en raison d’erreurs systématiques de pensée comme la tendance à
surestimer l’intensité ou la force des sentiments éprouvés » (p. 156). Si le vécu « subjugue »

Notes de lecture/Vient de paraître


la raison, c’est peut-être que nous avons besoin, psychologiquement et socialement, de croire
en la toute-puissance de l’éprouvé, ce que ne désavoueraient pas Vincent de Gaulejac et les
approches de sociologie clinique...
L’incertitude contemporaine est donc la conséquence de la diffusion des nouvelles normes de la
deuxième phase de la modernité, au tournant des années 1970 : liberté, autonomie, raison, égalité,
affectivité, sociabilité... tout cela présidant à l’impératif de réalisation de soi et à la place centrale

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prise par l’identité comme lieu de négociation et de régulation des injonctions et des opportunités
qu’offre une société néolibérale. L’individu s’en trouve sur-responsabilisé, pris dans une logique
où « les interactions sociales sont un vecteur principal d’accroissement de la valeur du moi »
(combien de SMS par jour chez les ados ?) et où « le désencastrement de l’amour par rapport
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aux cadres sociaux [...] a fait qu’il est devenu le théâtre de négociation de la valeur personnelle »
(p. 191). D’où l’importance de « la peur du rejet » et la fascination pour ceux qui semblent défier de
tels impératifs, d’autant plus contraignants qu’ils sont incorporés. L’auteure y voit l’occasion d’une
mise en tension entre les approches psychologiques et sociologiques de l’individu, les explications
psychologiques encourageant l’auto-incrimination en incitant à chercher dans son histoire person-
nelle les raisons de son mal-être, alors que « pour les sociologues, la dépendance est le résultat
inévitable de notre situation d’acteur (et n’est donc pas une condition pathologique) » (p. 241).
Comme l’ont montré Max Weber, puis Marcel Gauchet, une société désenchantée s’appuie sur
la science comme principe de légitimité et pose des règles de conduite abstraites, érigées en
nouvelles normes sous l’égide d’un discours qui allie les savoirs et le droit, comme l’a analysé
Jacques Commaille au sujet de la régulation juridique de la famille. « Un certain nombre de
forces culturelles très puissantes – la science, le contractualisme politique et les technologies
128
du choix – ont ainsi façonné le sentiment et l’expérience de l’amour, ont contribué à leur ratio-
nalisation et, de cette façon, à un changement profond dans la manière dont ils sont vécus par
le sujet. » (p. 261)
D’où le développement du sentiment d’incertitude et la montée de l’attitude qui y répond : l’iro-
nie. La fusion amoureuse n’est plus de mise, elle est trop dangereuse, le dialogue et la négo-
ciation deviennent le support d’une régulation identitaire qui préserve l’autonomie des deux
partenaires et amène au règne du couple duo. Cela à l’intersection des normes, savantes, véhi-
culées par la psychologie introspective, confrontées à celles, néolibérales, de la médiatisation du
monde, et à celles, citoyennes, de la démocratisation du privé. Sous la triple influence du ratio-
nalisme scientifique, de l’égalitarisme politique et de l’individualisme marchand, l’idéologie de
l’amour se trouve déconstruite et reconfigurée. La relation sexuelle devient « un objet autoré-
flexif d’examen et de contrôle », d’autant plus facilement qu’advient le règne des technologies
numériques, et qu’avec l’entrée dans le XXIe siècle s’élabore la rencontre par Internet assisté, et
qu’à partir de 2002, on assiste au boom des sites de rencontre. Si le niveau d’attentes à l’égard du
partenaire a augmenté en même temps qu’il s’est psychologisé, l’utilisation du site va permettre
la rationalisation de la recherche en problématisant et intellectualisant la rencontre possible avant
même toute participation du sensible. L’esprit de calcul s’impose et « de nombreuses personnes
interrogées déclarent que l’offre est si vaste qu’elles n’entrent en contact qu’avec des personnes
correspondant très précisément à leurs diverses aspirations » (p. 291). Le partenaire est insi-
dieusement devenu objet de consommation et c’est vers l’enfant que l’idéal d’inconditionnalité
(et indissolubilité) du lien a été transféré.

Recherches familiales, n° 13, 2016


Gérard NEYRAND

Ce qui renvoie, nous dit l’auteure, à la place prise par les médias dans le développement de l’ima-
gination, depuis le cinéma jusqu’aux TIC. Si bien que « le sentiment irrésistible de singularité
absolue qui était jadis la condition du sentiment amoureux a changé, laissant l’individu noyé
dans la masse des partenaires potentiels et interchangeables » (p. 367).
On le voit, le constat est lui-même assez désenchanté, mettant en avant, par le biais de l’analyse
de la souffrance amoureuse, à quel point le positionnement amoureux est soumis aujourd’hui à

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des paradoxes : régulation plus aisée des ruptures et des séparations à une époque où l’autonomie
des personnes oeuvre à leur détachement, mais difficulté à atteindre, avant même de la vivre,
l’expérience de la passion, et difficulté à résister aux doutes et incertitudes liés au sentiment
amoureux. En définitive, conclut l’auteure, ce livre constitue « une approbation – sans illusion –
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de la modernité amoureuse. Il reconnaît la nécessité des valeurs de liberté, de raison, d’égalité


et d’autonomie, tout en faisant l’inventaire des immenses difficultés créées par cette matrice
culturelle de la modernité » (p. 381).
Le propos est fort mais peut susciter quelques commentaires tendant à le relativiser, sans pour
autant contester sa force. L’une des difficultés d’Eva Illouz est d’arriver à tenir compte de la
complexité de la dynamique évolutive de la modernité, et de rendre compte des effets de
la confrontation des modèles qui se succèdent sur les positionnements individuels. Si le modèle
nouveau s’oppose à l’ancien et participe à sa déconstruction, qu’en est-il des stratégies de
recomposition suivies par les individus pour réorganiser leur champ de références, en empruntant
des éléments à des modèles apparemment antinomiques ? Pour exemple, toutes les rencontres
amoureuses ne se font pas par internet, et l’individu contemporain peut gérer simultanément des
façons d’être et de faire qui participent de référentiels plus ou moins anciens et fortement diver-
gents... Le survol historique de très grandes périodes, et de façon privilégiée par l’étude de textes 129
littéraires à dominante anglo-saxonne, tend d’une part à proposer une lecture simplifiée du réel,
d’autre part à négliger les effets des confrontations de modèles engendrant une telle complexité,
enfin à proposer une analyse qui s’applique mieux à un contexte anglo-saxon (où le poids de la
religion et la différenciation des sexes sont plus forts) que français. Du coup, les conflits de
référence vécus par les individus, leurs inhibitions et détournements que cela provoque, ne sont
pas vraiment abordés. Ce qui limite sans doute la portée du texte mais ne saurait masquer toute
son importance.

Gérard NEYRAND

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