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Réanimation 2002 ; 11 : 317-25

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés


S1624069302002517/SSU

MISE AU POINT

Drépanocytose vue à l’âge adulte et réanimation

A. Habibi1, C. Brun-Buisson2, D. Bachir1, A. Schaeffer1,3, F. Galactéros1, B. Godeau1,3*


1
Centre de la drépanocytose, hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre-de-Tassigny, 94000 Créteil,
France; 2 service de réanimation médicale, hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre-de-Tassigny,
94000 Créteil, France; 3 service de médecine interne, hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre-de-
Tassigny, 94000 Créteil, France

(Reçu et accepté le 3 avril 2002)

Résumé
La drépanocytose est une maladie génétique autosomique récessive caractérisée par la présence d’une hémoglobine
anormale, l’hémoglobine S, entraînant une rhéologie anormale des hématies à l’origine de manifestations vaso-
occlusives. Les patients drépanocytaires sont exposés à des crises vaso-occlusives aiguës et à des complications
viscérales chroniques d’origine ischémique pouvant toucher pratiquement tous les organes. Il existe également un
risque d’infection en partie lié à une asplénie fonctionnelle qui s’installe dés la petite enfance. Le pronostic de la
drépanocytose est spontanément sévère et la gravité des différentes complications auxquelles ces patients sont
exposés peut nécessiter une admission en unité de soins intensifs. Le principal motif d’hospitalisation chez l’adulte est
représenté par les complications aiguës vaso-occlusives qui se manifestent surtout par une atteinte ostéo-articulaire ou
pulmonaire et qui peuvent évoluer vers un tableau de défaillance multiviscérale. Les complications vaso-occlusives
peuvent plus rarement entraîner un priapisme ou des accidents neurologiques centraux, ischémiques ou hémorragi-
ques. La base du traitement dans ces situations repose sur la transfusion qui doit répondre à des règles strictes.
© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

accident vasculaire cérébral / anémie hémolytique / crise vaso-occlusive / drépanocytose / priapisme /


réanimation / Streptococcus pneumoniae / syndrome thoracique aigu / transfusion

Summary – Sickle cell disease in adult patients and intensive care.


Sickle cell disease is an inherited disease characterized by the presence of an abnormal haemoglobin. It is the more
prevalent genetic disease at birth in Ile-de France area. Sickle cell disease can be complicated by acute vaso-occlusive
crisis, chronic visceral involvement related to ischemic process, and infectious complications. In adults, acute
vaso-occlusive event is the major clinical problem prompting admission to intensive care unit. It mainly manifests by
osteoarticular pain and acute chest syndrome and may be complicated by multiorgan failure. Acute vaso-occlusive
crisis can be also manifested by priapism, ischemic or haemorragic stroke, or abdominal pain. The main treatment of
severe acute vaso-occlusive crisis is based on blood transfusion. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier
SAS

stroke / hemolytic anaemia / vaso-occlusive crisis / sickle cell disease / priapism / intensive care / Streptococcus
pneumoniae / acute chest syndrome / transfusion

*Correspondance et tirés à part.


Adresse e-mail : bertrand.godeau@hmn.ap-hop-paris.fr (B. Godeau).
318 A. Habibi et al.

La drépanocytose est une maladie génétique autosomi- Tableau I. Causes de décès chez l’adulte sur une série de 61 décès
que récessive caractérisée par la présence d’une hémo- suivis dans des centres européens (d’après Couttant-Perronne et al.
[6]).
globine anormale, l’hémoglobine S, qui a pour propriété
de polymériser in vivo, en particulier dans certaines Causes de décès Nombre de
patients (%)
conditions telle que l’hypoxie, l’acidose, ou la déshydra-
tation [1, 2]. Les hématies acquièrent alors des proprié- – Crise vaso-occlusive 27 (45 %)
• Défaillance multiviscérale 13 (21 %)
tés rhéologiques anormales à l’origine de manifestations • Syndrome thoracique aigu 9 (15 %)
vaso-occlusives [3, 4]. On regroupe sous le terme « syn- • Accident vasculaire cérébral 5 (8 %)
drome drépanocytaire majeur » (SDM) la forme homo- – Infection 10 (16 %)
zygote S/S et les formes hétérozygotes composites S/C • Méningite à Streptococcus pneumoniae: 4*
et S bêta + ou bêta 0 thalassémie. La forme homozygote • Infection à pyogènes 4
SS a une évolution plus sévère mais la plupart des • Accès palustre pernicieux à Plasmodium falciparum 1
• Varicelle maligne 1
complications, y compris les plus graves, peuvent être – Défaillance viscérale chronique 10 (16 %)
observées au cours des formes hétérozygotes composites • Cirrhose (hémochromatose, infection par le VHC) 6
et justifier une admission en réanimation. • Insuffisance rénale chronique 3
Les patients drépanocytaires sont exposés à des crises • Hypertension artérielle pulmonaire 1
vaso-occlusives et à des complications viscérales chroni- Suicide ou refus de soins 4 (7 %)
Complications iatrogènes 2 (3 %)
ques d’origine ischémique pouvant atteindre pratique- Cause inconnue 8 (13 %)
ment tous les organes (œil, appareil ostéo-articulaire,
poumon, cœur, système nerveux…). Il existe égale- Trois des quatre malades décédés d’une méningite à pneumoco-
ques étaient infectés par le virus de l’immunodéficience humaine.
ment un risque d’infection, en partie expliqué par une
VHC : Virus de l’hépatite C.
asplénie fonctionnelle qui s’installe dès la petite enfance.
Malgré un pronostic spontanément sévère et une
mortalité infantile qui reste malheureusement encore
trop élevée dans les pays en voie de développement, charge des hémoglobinopathies (tableau I) [6]. La majo-
l’amélioration de la prise en charge pédiatrique permet rité des décès est survenue au cours d’une complication
à la majorité des patients drépanocytaires d’atteindre vaso-occlusive sévère, compliquée d’une défaillance
l’âge adulte aux États-Unis et dans les pays occidentaux multiviscérale aiguë ou d’un syndrome thoracique aigu.
[5]. La drépanocytose représente actuellement le pre- Un tiers des décès par complication vaso-occlusive est
mier risque génétique en Île-de-France, et on estime à survenu brutalement chez des patients dont le SDM
plus de 3000 le nombre de patients adultes suivis en avait eu jusqu’ici une évolution non compliquée sans
métropole. Compte tenu de la fréquence et de la gravité atteinte viscérale chronique. Les réanimateurs doivent
des manifestations cliniques, tout médecin réanimateur donc être sensibilisés au fait qu’une complication vaso-
peut donc avoir à participer à la prise en charge des occlusive grave peut survenir de façon aiguë chez des
adultes drépanocytaires, en particulier lors de la surve- patients atteints d’une forme de la maladie apparem-
nue d’une complication vaso-occlusive aiguë. Le but de ment peu sévère, même si les patients les plus à risque de
cet article est d’insister sur les modalités de prise en
développer une complication aiguë grave sont ceux
charge des principales complications survenant chez les
ayant un SDM ayant une évolution sévère et compli-
adultes drépanocytaires auxquels les médecins réanima-
quée par plusieurs atteintes viscérales. Notre étude a
teurs peuvent être confrontés.
également permis de souligner que la grossesse, en
particulier pendant la période de postpartum immé-
MOTIFS D’ADMISSION EN RÉANIMATION diat, et la période péri-anesthésique en cas d’acte chi-
ET CIRCONSTANCES DE DÉCÈS CHEZ L’ADULTE rurgical, sont des périodes à haut risque d’accident
DRÉPANOCYTAIRE vaso-occlusif grave. Des crises vaso-occlusives graves
peuvent survenir en particulier au décours d’une chi-
Dans une étude multicentrique américaine, Platt et al. rurgie abdominale compliquée par une hypoventilation
[5] ont montré que la majorité des patients adultes alvéolaire. Les accidents sont plus rares après une chi-
décédaient dans un contexte de crise vaso-occlusive rurgie orthopédique si des précautions transfusionnel-
alors que les décès par infection étaient rares, contraire- les ont été prises. Cette étude a enfin mis en lumière
ment à ce qui est observé chez l’enfant. Nous avons l’importance des problèmes psychiatriques qui sont très
observé des résultats similaires dans une étude multi- probablement sous-estimés au cours des SDM et donc
centrique européenne analysant 61 décès survenus au insuffisamment pris en charge. Quatre patients sont en
sein d’une population de patients drépanocytaires adul- effet décédés d’un suicide ou dans les suites d’un refus
tes suivis dans des centres spécialisés dans la prise en délibéré des soins.
Drépanocytose et réanimation 319

L’analyse des causes d’admission en réanimation défaillance cardio-respiratoire, une atteinte hépatique
confirme la gravité potentielle des crises vaso-occlusives, grave avec insuffisance hépato-cellulaire et une atteinte
qui apparaissent dans notre expérience comme le pre- rénale éventuellement compliquée d’anurie. Au plan
mier motif d’admission et comme la principale cause de biologique, il existe alors une chute importante du taux
décès en unité de soins intensifs [7]. d’hémoglobine et du chiffre de plaquettes associée par-
L’infection apparaît au contraire moins fréquente, fois à une rhabdomyolyse et à l’apparition de signes de
mais doit rester une préoccupation des réanimateurs consommation [10].
amenés à prendre en charge des patients adultes chez Le traitement des crises vaso-occlusives comprend le
qui les infections à Staphylocoque dorés, souvent noso- repos au chaud, une hyperhydratation et une alcalini-
comiales, et les infections liées à des entérobactéries sation qui peuvent être effectuées par voie orale dans les
apparaissent les plus fréquentes. Il faut également rap- formes mineures (apport d’eau de Vichy). Une sur-
peler que l’asplénie fonctionnelle liée à des infarctus veillance attentive est nécessaire afin de vérifier que cet
spléniques répétés survenant habituellement pendant la apport hydro-sodé important ne démasque pas une
petite enfance expose définitivement à un risque accru cardiopathie drépanocytaire sous-jacente qui pourrait
de sepsis grave à germes encapsulés, en particulier à se compliquer d’un œdème cardiogénique. Un traite-
Streptococcus pneumoniae et à Haemophilus influenzae. ment antalgique utilisant les antalgiques morphiniques
En dehors des patients drépanocytaires infectés par le est pratiquement toujours nécessaire dés lors que la
VIH chez qui le risque d’infection à pneumocoque est sévérité de la crise nécessite une hospitalisation. La
majeur [8], ce risque est nettement moins élevé que morphine sera administrée de préférence en perfusion
chez l’enfant, et en tous les cas moins fréquent que les continue associée à des bolus discontinus toutes les 4 h
infections liées aux Staphylocoques dorés et aux enté- si l’intensité des douleurs le nécessite. L’utilisation de
robactéries. fortes doses est parfois nécessaire en cas de crise sévère ;
il existe alors un risque de sédation et d’hypoventilation
LES COMPLICATIONS VASO-OCCLUSIVES AIGUËS alvéolaire justifiant une surveillance attentive et un
personnel infirmier averti. Le traitement comprend
Il s’agit de situations urgentes où le pronostic vital et également l’apport systématique de folates. Les anti-
fonctionnel peut être mis en jeu. Dans la plupart des inflammatoires non stéroïdiens sont utilisés par de nom-
situations compliquées, un échange transfusionnel (ou breuses équipes, mais leur efficacité n’a pas été
une transfusion simple en cas d’anémie profonde) doit démontrée par des études contrôlées. Les corticoïdes
être réalisé en urgence. Les modalités transfusionnelles ont également été proposés avec pour objectif de rac-
doivent répondre à des règles très strictes et seront courcir la durée de la crise. Il a cependant été démontré
détaillées ultérieurement. qu’ils pouvaient favoriser la survenue d’un syndrome
thoracique. Ils sont d’autre part associés, dans notre
La crise vaso-occlusive osseuse avec défaillance expérience, à une majoration du risque infectieux déjà
multiviscérale élevé sur ce terrain. L’oxygénothérapie n’est pas néces-
saire lors des crises vaso-occlusives simples sans syn-
On retrouve parfois un facteur déclenchant telle que de drome thoracique, sauf s’il existe une pathologie
la fièvre, une variation thermique, une acidose ou une pulmonaire sous-jacente ou une hypoxémie de base.
déshydratation. Elle se manifeste chez l’adulte par une La transfusion est la mesure thérapeutique essentielle
douleur osseuse intense pouvant toucher un ou plu- des crises vaso-occlusives graves. Elle est indiquée en cas
sieurs os longs et/ou les os plats avec par ordre de de crise vaso-occlusive sévère qui se prolonge, ou en cas
fréquence décroissante le rachis lombo-sacré, les régions de complications associées avec mise en jeu du pronos-
métaphysaires des os longs et les côtes. Le sternum, le tic vital ou fonctionnel (infection, syndrome thoraci-
bassin, les mandibules sont plus rarement touchés. Il que grave, accident vasculaire cérébral, priapisme
existe souvent une fièvre d’accompagnement qui peut réfractaire, anémie profonde et mal tolérée, etc.)
être élevée et qui ne traduit pas forcément la présence (tableau II). Il peut s’agir, soit d’une transfusion simple
d’une infection. Au plan biologique, on note une en cas d’anémie profonde, soit d’un échange transfu-
hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, même sionnel partiel (de 30 à 50 mL/kg selon la gravité de la
en dehors de toute complication infectieuse (démargi- situation) lorsque le taux d’hémoglobine est voisin de
nation, hyperleucocytose d’entraînement), et une aug- celui observé à l’état basal [11, 12]. L’objectif de
mentation des LDH dont l’importance paraît corrélée à l’échange transfusionnel est d’abaisser le pourcentage
la sévérité de la crise [9]. Les crises vaso-occlusives d’hémoglobine S en dessous de 30 à 50 %. Il consiste à
osseuses sévères peuvent parfois évoluer vers un tableau effectuer une saignée associée à une transfusion de
de défaillance multiviscérale grave associant une concentrés érythrocytaires, volume pour volume en
320 A. Habibi et al.

Tableau II. Indication des transfusions* au cours des syndromes drépanocytaires majeurs de l’adulte.
– Anémie profonde cliniquement mal tolérée (le chiffre de l’hémoglobine doit toujours être interprété en fonction du chiffre observé à l’état
basal)
– Crise vaso-occlusive qui se prolonge (> 8 jours) malgré un traitement symptomatique bien conduit ou effets secondaires limitants de la
morphine lors d’une crise hyperalgique
– D’emblée au cours d’un syndrome thoracique grave (hypoxémie profonde, images thoraciques bilatérales et extensives)
– Syndrome thoracique de gravité intermédiaire mais ne répondant pas au traitement symptomatique après 48 à 72 h d’évolution (extension
des images radiographiques, persistance de la fièvre et des douleurs thoraciques, majoration de le dyspnée et de l’hypoxie)
– Priapisme aigu avec plus de 3 h d’évolution et absence d’efficacité des injections intracaverneuses d’étiléfrine
– Accident vasculaire cérébral ischémique (l’intérêt des transfusions au cours des accidents hémorragiques est en revanche discuté)
– Infection sévère intercurrente
– Toute complication grave intercurrente pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel
– À discuter au cas par cas avant une intervention chirurgicale
– Survenue de manifestations vaso-occlusives pendant la grossesse (avis spécialisé)**
* Il peut s’agir soit d’une transfusion simple en cas d’anémie profonde, soit d’un échange transfusionnel partiel (de 30 à 50 mL/kg selon la
gravité de la situation) lorsque le taux d’hémoglobine est voisin de celui observé à l’état basal. L’objectif de l’échange transfusionnel est
d’abaisser le pourcentage d’hémoglobine S en dessous de 30 à 50 %. Il consiste à effectuer une saignée associée à une transfusion de concentrés
érythrocytaires, pour éviter une augmentation de la viscosité sanguine qui pourrait être induite par une transfusion simple ; ** Notre attitude
est de pratiquer des échanges transfusionnels à partir de 22 semaines d’aménorrhée toutes les 3 semaines jusqu’à l’accouchement.

fonction du chiffre d’hémoglobine initial (l’objectif est vre, parfois élevée, peut être présente même en l’absence
d’obtenir un taux d’hémoglobine voisin de 10 g/dL) d’infection documentée. Une crise vaso-occlusive
pour éviter une augmentation de la viscosité sanguine. osseuse est souvent associée et peut précéder l’appari-
Pour avoir une bonne efficacité, il faut réaliser la saignée tion des signes pulmonaires. La radiographie thoraci-
avant la transfusion. Lorsque le volume de saignée que montre un foyer uni- ou bilatéral, accompagné
dépasse les 7 mL/kg, il est préférable de fractionner la dans la moitié des cas d’un épanchement pleural. Au
saignée en deux fois, toujours avant la transfusion, et à plan biologique, il existe le plus souvent une hyperleu-
2 h d’intervalle. Ceci permet une bonne tolérance et le cocytose accompagnée d’une élévation des LDH séri-
risque de surcharge cardiaque avec les volumes apportés ques. La gazométrie artérielle révèle une hypoxémie
par la compensation et les transfusions diminue. associée dans près de la moitié des cas à une hypercapnie
L’échange transfusionnel peut également être réalisé à témoignant d’une hypoventilation alvéolaire. Les pré-
l’aide d’une machine d’érythraphérèse qui permet un lèvements bactériologiques sont habituellement stériles
calcul plus précis des volumes soustraits et transfusés. chez l’adulte.
La transfusion doit répondre à des règles très strictes Le pronostic peut être grave avec une mortalité voi-
afin de limiter les risques d’allo-immunisation dont les sine de 5 %. Trois décès sont survenus dans notre série
conséquences peuvent être dramatiques chez des dans le cadre d’une grossesse soulignant le risque d’acci-
patients atteints d’une maladie pouvant nécessiter des dent vaso-occlusif grave durant cette période. Ces com-
transfusions itératives ultérieures. Le support transfu- plications sont survenues en postpartum immédiat,
sionnel devra toujours être effectué avec des concentrés chez des patientes qui avaient un syndrome drépanocy-
érythrocytaires phénotypés dans les systèmes Rhésus et taire peu symptomatique et non compliqué.
Kell. Le respect de ces règles transfusionnelles est très La physiopathologie du syndrome thoracique n’est
important dans les pays européens où il existe une pas univoque et plusieurs mécanismes peuvent s’asso-
grande variété ethnique afin de limiter le risque d’allo- cier au cours d’un même épisode. Une thrombose in
immunisation. situ par falciformation au niveau de la microcirculation
pulmonaire en constitue parfois le mécanisme princi-
Le syndrome thoracique aigu (ou acute chest pal. Une origine infectieuse est rare chez l’adulte comme
syndrome) l’ont démontré les études bactériologiques effectuées
dans ce contexte par fibroscopie bronchique avec moins
Il est défini par la survenue de symptômes fonctionnels de 20 % de prélèvements positifs [14]. Les deux méca-
respiratoires (douleurs thoraciques, dyspnée, toux) asso- nismes les plus souvent en cause sont des atélectasies
ciées à un infiltrat radiologique accompagné le plus secondaires et des embolies graisseuses. Les atélectasies
souvent de fièvre. Il s’agit d’un des principaux motifs peuvent être réactionnelles à un infarctus costal car la
d’admission chez l’adulte et d’une des principales cau- douleur entraînée par l’infarctus (qui représente prati-
ses de décès. L’analyse d’une série de 107 cas observés quement l’équivalent d’une fracture en terme d’inten-
chez des adultes suivis dans notre institution nous a sité de la douleur) peut provoquer une hypoventilation,
permis d’en préciser les caractéristiques [13]. Une fiè- elle-même source d’atélectasie et d’hypoxie responsable
Drépanocytose et réanimation 321

d’une aggravation des phénomènes de falciformation thoracique chez des patients traités par méthylpredni-
pouvant être à l’origine d’un syndrome thoracique grave solone pour une crise vaso-occlusive simple [19]. Le
[15]. Il est donc indispensable d’utiliser précocement risque infectieux des corticoïdes apparaît d’autre part
les morphiniques en cas d’infarctus costal, même chez clairement majoré chez les patients drépanocytaires [6].
un malade hypoxémique, car un retard à la prise en Ce traitement ne nous paraît donc pas un bon choix
charge de la douleur majore le risque de syndrome dans cette indication. Enfin, le syndrome thoracique
thoracique grave. La « spirométrie incitative » permet- n’est pas une indication à un traitement anticoagulant,
tant de réaliser des inspirations forcées régulières a en tous les cas à dose hypocoagulante, dans la mesure où
montré son efficacité à prévenir les complications pul- il n’existe pas de thrombose fibrinocruorique mais uni-
monaires dans un essai randomisé [16]. Les techniques quement une thrombose de la microcirculation pulmo-
de ventilation non invasive pourraient peut-être trou- naire, situation au cours de laquelle ni les héparines, ni
ver une place dans la prise en charge des syndromes l’aspirine n’ont fait la preuve de leur efficacité.
thoraciques les plus sévères liés à ce mécanisme et sont Les épisodes de syndrome thoracique lorsqu’ils se
en cours d’évaluation. L’embolie graisseuse secondaire répètent peuvent entraîner une hypertension artérielle
à des infarctus médullaires est dans notre expérience pulmonaire pré-capillaire sévère fixée, à l’origine d’une
une des principales causes de syndrome thoracique. insuffisance respiratoire et d’une insuffisance cardiaque
Ceci a pu être démontré grâce à la réalisation de lavages droite.
bronchoalvéolaires (LBA) avec une technique de colo-
ration des graisses (coloration Oil Red O) [13, 17]. La Le priapisme
réalisation d’un LBA est cependant inutile dans les
formes non compliquées car l’évolution n’apparaît pas Il s’agit d’une complication fréquente qui peut aboutir
influencée par le mécanisme du syndrome thoracique et à une impuissance définitive [20]. Il peut être intermit-
la mise en évidence d’une embolie graisseuse au LBA ne tent spontanément résolutif, invalidant par sa répéti-
débouche pas sur des mesures thérapeutiques particu- tion, ou aigu et sévère évoluant sans rémission sur
lières [13]. plusieurs heures et pouvant alors aboutir en l’absence de
Le traitement du syndrome thoracique repose sur les traitement urgent à une fibrose définitive de la verge
modalités thérapeutiques de toute crise vaso-occlusive avec impuissance. Les épisodes de priapisme grave aigu
(calmer la douleur, apporter des folates, réhydrater et sont très souvent précédés par des priapismes intermit-
lutter contre l’acidose) et sur l’apport d’oxygène. Bien tents qui doivent toujours être recherchés à l’interroga-
que le syndrome thoracique de l’adulte soit rarement toire car une prise en charge spécialisée et
d’origine infectieuse, une antibiothérapie active contre l’administration orale ou par auto-injections d’un alpha-
les pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicil- stimulant, l’étiléfrine, peuvent éviter l’évolution vers un
line (amoxicilline à la dose de 50 mg/kg/j) est justifiée, priapisme aigu. Le priapisme aigu est une urgence
dès lors que le malade est fébrile. Des études pédiatri- nécessitant impérativement une hospitalisation, un drai-
ques ont suggéré que les syndromes thoraciques de nage des corps caverneux sans lavage suivi d’une injec-
l’enfant seraient fréquemment en rapport avec une tion intracaverneuse de 10mg d’étiléfrine. Un échange
infection à germes atypiques justifiant la prescription de transfusionnel se justifie en cas d’échec ou en cas de
macrolides. Cette donnée n’est pas confirmée chez retard de prise en charge (priapisme ayant une évolu-
l’adulte. Un transfert en unité de soins intensifs est tion supérieure à 6 h). En cas d’échec du traitement
totalement justifié dans les formes sévères et une venti- conservateur, une intervention chirurgicale est propo-
lation mécanique peut être indiquée. La base du traite- sée (anastomose caverno-spongieuse distale ou proxi-
ment des formes graves reste la transfusion qui peut- male, voire caverno-saphène) mais le risque de séquelles
être une transfusion simple ou un échange est alors malheureusement élevé.
transfusionnel en fonction du taux d’hémoglobine (voir
supra). Elle est indiquée au cours des syndromes thora- Accident vasculaire cérébral
ciques les plus graves avec mise en jeu immédiate du
pronostic vital. Dans les formes moins sévères, une Les complications neurologiques représentent 10 % des
transfusion est justifiée lorsque l’évolution clinique causes de décès chez l’adulte. Les accidents ischémiques
et/ou radiologique n’est pas favorable après quelques sont les plus fréquents et sont surtout rencontrés chez
jours d’un traitement symptomatique bien conduit. l’enfant alors que les accidents hémorragiques s’obser-
Des études pédiatriques ont suggéré que l’administra- vent plutôt chez l’adulte. Leur pronostic est plus sévère,
tion de corticoïdes permettrait de raccourcir la durée avec une mortalité pouvant atteindre 50 %.
d’évolution [18], mais il a été démontré que les corti- Les complications neurologiques au cours des SDM
coïdes pourraient favoriser la survenue d’un syndrome résultent de la combinaison de l’hémolyse chronique et
322 A. Habibi et al.

de la vaso-occlusion [21]. L’hémolyse chronique est à males peuvent être favorisées par l’existence d’une
l’origine d’une anémie responsable d’une hypoxie tissu- vasculopathie cérébrale drépanocytaire. L’artériographie
laire et la vaso-occlusion atteint les gros vaisseaux mais cérébrale, si elle est nécessaire, est dangereuse sur ce
aussi la microcirculation avec des aspects de sténose terrain et devra être précédée d’un échange transfusion-
pouvant toucher n’importe quel territoire vasculaire. nel afin de faire baisser le taux d’hémoglobine S en
Ceci peut aboutir à la survenue d’accidents vasculaires dessous de 30 %. Le doppler transcrânien peut mettre
surtout ischémiques mais des lésions anévrysmales peu- en évidence une vasculopathie cérébrale drépanocytaire
vent également se développer, en particulier au niveau caractérisée par la présence de sténoses artérielles et par
du polygone de Willis, et être à l’origine d’accidents une augmentation de la vélocimétrie artérielle. Cet
hémorragiques, classiquement sous-arachnoïdiens, mais examen est cependant surtout utile à l’état basal pour
parfois parenchymateux ou intraventriculaires. Des poser l’indication d’un traitement préventif par la réa-
complications hémorragiques peuvent également être lisation de transfusions régulières en cas de vasculopa-
secondaires à des lésions de moya moya qui correspon- thie cérébrale drépanocytaire sévère.
dent à des dilatations des artérioles perforantes ayant un Le traitement des accidents ischémiques repose en
aspect chevelu ou en « bouffée de fumée » à l’angiogra- priorité sur la transfusion qui doit être effectuée selon
phie et qui se développent lorsqu’il existe une occlusion les règles très rigoureuses déjà précisées. La thrombolyse
des gros vaisseaux. est déconseillée en raison de la fréquence des lésions
Les accidents neurologiques ischémiques peuvent se anévrysmales ou de lésions de moya moya dont la pré-
manifester par un syndrome déficitaire comme une sence majorerait le risque d’accident hémorragique.
hémiparésie ou par une épilepsie focale. Ils surviennent L’emploi des anticoagulants est également déconseillé.
souvent sans prodrome ou sont plus rarement associés à Le traitement consiste en un échange transfusionnel
une crise vaso-occlusive osseuse ou thoracique. important en urgence, afin de ramener le taux d’Hb S
Les accidents neurologiques hémorragiques se mani- en dessous de 30 %. Dans ce contexte, il est impératif
festent surtout par des céphalées et des troubles de la que les volumes de déplétion et l’hyperviscosité secon-
conscience, voire un coma, éventuellement associés à daire aux transfusions soient maîtrisés. En cas d’impos-
des signes neurologiques ne correspondant pas à un sibilité d’un échange important d’emblée, plusieurs
territoire vasculaire. Ils peuvent être compliqués par la échanges partiels peuvent être pratiqués.
survenue d’un état de mal convulsif. Au décours d’un accident ischémique, une prise en
Les complications neurologiques surviennent habi- charge par un centre habitué à prendre en charge les
tuellement chez un patient connu pour être atteint d’un patients atteints d’hémoglobinopathie est souhaitable,
SDM. Il faut cependant toujours évoquer le diagnostic car il est démontré que la mise en route d’un protocole
de SDM et réaliser une électrophorèse de l’hémoglo- transfusionnel prévient le risque de récidive qui est
bine devant une complication neurologique survenant spontanément élevé.
chez un patient appartenant à une population à risque Le traitement des accidents hémorragiques est moins
en raison des conséquences thérapeutiques qui en résul- bien codifié. En dehors des mesures de réanimation
tent. Devant l’apparition d’un signe neurologique chez symptomatique, un échange transfusionnel est souvent
un patient drépanocytaire, il faut par ailleurs éliminer la nécessaire, en particulier si un acte neurochirurgical ou
possibilité d’une complication infectieuse en raison des une artériographie sont envisagés. L’intérêt de la mise
risques infectieux rencontrés sur ce terrain (voir infra). en route d’un protocole transfusionnel au décours d’un
Il faut également souligner que les patients atteints de accident hémorragique n’est pas démontré.
SDM ne sont pas protégés du paludisme, contraire-
ment aux formes hétérozygotes chez qui les accès palus- Syndrome douloureux abdominal
tres sont rares. Le diagnostic d’accès pernicieux devra
donc toujours être évoqué devant toute manifestation Une crise vaso-occlusive peut être à l’origine d’un syn-
neurologique fébrile survenant au décours d’un séjour drome douloureux abdominal pseudo-chirurgical par
en zone d’endémie. ischémie mésentérique, mais cette complication grave
Devant la survenue de signes neurologiques, la tomo- est rare chez l’adulte. Toute douleur abdominale chez
densitométrie cérébrale permet de différencier un acci- l’adulte doit en effet être considérée comme « chirurgi-
dent ischémique d’un accident hémorragique mais cale » jusqu’à preuve du contraire. Les patients drépa-
l’imagerie par résonance magnétique (IRM), et en par- nocytaires sont en effet exposés au risque de lithiase
ticulier l’angio-IRM, permet de mieux préciser le dia- vésiculaire pigmentaire secondaire à l’hémolyse chroni-
gnostic et d’évaluer le siège et l’intensité des lésions. En que pouvant se compliquer d’accident infectieux, par-
cas d’hémorragie, il faut rechercher une lésion vascu- ticulièrement à salmonelles, ou de migration lithiasique.
laire accessible à un traitement car des lésions anévrys- Un iléus fonctionnel est souvent observé en cas de crise
Drépanocytose et réanimation 323

vaso-occlusive osseuse vertébrale, surtout si de fortes même chez des patientes ayant un syndrome drépano-
doses de morphine sont nécessaires pour calmer la cytaire dont l’expression clinique était jusque-là appa-
douleur. Des crises vaso-occlusives hépatiques de pro- remment peu sévère. Toute crise vaso-occlusive
nostic sévère peuvent également survenir mais leur fré- survenant chez une femme enceinte doit donc être
quence est rare. Elles peuvent être responsables d’un considérée comme potentiellement grave et doit faire
tableau d’insuffisance hépato-cellulaire pouvant justi- discuter la réalisation d’un échange transfusionnel, pour
fier à l’extrême une greffe de foie en urgence. Il faut éviter la survenue d’une défaillance multiviscérale fatale
également souligner la fréquence et la gravité des pyé- ou un syndrome thoracique grave se compliquant d’un
lonephrites qui peuvent être à l’origine de douleurs syndrome de détresse respiratoire, en particulier pen-
abdominales fébriles, et l’existence plus rare d’épisodes dant la période du post-partum immédiat [6, 13]. La
douloureux abdominaux en rapport avec un foie car- survenue d’une crise vaso-occlusive expose également
diaque en cas de cardiopathie drépanocytaire évoluée. au risque de perte fœtale ce qui implique une sur-
Un syndrome douloureux abdominal associé à une veillance materno-fœtale rapprochée.
hématurie peut également être en rapport avec une
nécrose papillaire qui est une complication néphrologi-
que classique des SDM. AGGRAVATION DE L’ANÉMIE
En pratique, il n’est pas toujours facile de différencier
une urgence chirurgicale et une crise vaso-occlusive à En l’absence de complication, le taux d’hémoglobine
expression digestive. Un échange transfusionnel permet est normalement peu modifié lors des crises vaso-
parfois de lever l’hésitation diagnostique car l’améliora- occlusives simples par rapport aux valeurs observées à
tion rapide de la symptomatologie après l’échange plaide l’état basal qui dépendent du type de SDM. L’anémie
en faveur de la seconde hypothèse. est en effet surtout marquée dans les formes homozygo-
tes S/S (le chiffre d’hémoglobine est généralement voi-
Atteinte musculaire aiguë ischémique sin de 7 g à 9 g/dL) alors qu’elle est souvent modérée au
ou « myonécrose » cours des formes hétérozygotes composites SC et S
béta-thalassémie.
Il s’agit d’une complication rare mais de diagnostic Une majoration importante de l’anémie au cours
difficile car elle peut évoquer un problème infectieux et d’une crise vaso-occlusive doit faire suspecter la surve-
en particulier une pyomyosite. Le pronostic peut être nue d’une complication hémorragique ou de complica-
sévère lorsqu’elle se complique de rhabdomyolyse. Elle tions plus spécifiques de la drépanocytose auxquelles le
entraîne une douleur musculaire intense survenant au réanimateur peut être confronté. Parmi celles-ci, la
décours d’une crise vaso-occlusive osseuse [22]. Le mus- nécrose médullaire se caractérise par l’apparition d’une
cle est tendu et inflammatoire avec souvent une arthrite pancytopénie souvent profonde associée à des douleurs
réactionnelle des articulations adjacentes. La tempéra- osseuses intenses [23]. Une élévation majeure des LDH
ture est élevée et associée à une hyperleucocytose, mais et une absence d’augmentation du taux des réticulocy-
les prélèvements bactériologiques sont négatifs. Un syn- tes sont dans ce contexte des signes évocateurs. Le
drome des loges peut compliquer l’évolution et s’accom- diagnostic est confirmé par le myélogramme. Le traite-
pagner d’une rhabdomyolyse et d’une myoglobinurie ment repose sur un support transfusionnel associé à une
nécessitant une décompression chirurgicale. Le traite- recharge en folates. Le pronostic à long terme est favo-
ment n’est pas codifié mais un échange transfusionnel rable avec la reconstitution rapide d’une hématopoïese
doit être proposé dans les formes graves. normale.
Une pancytopénie peut également être due à une
Une situation à risque : la grossesse carence aiguë en folates qui peut se révéler brutalement
à l’occasion d’une crise vaso-occlusive si le malade ne
La grossesse est une période à haut risque de survenue reçoit pas une supplémentation en folates [2]. Ce risque
de manifestations vaso-occlusives graves pouvant met- sera prévenu par l’apport systématique de folates au
tre en jeu le pronostic vital de la mère et du fœtus. Le cours de toute crise drépanocytaire.
risque de complications obstétricales (toxémie gravidi- L’érythroblastopénie se traduit par une majoration
que, hématome rétroplacentaire…) est également importante de l’anémie associée à un effondrement du
majoré sur ce terrain. Il est donc indispensable que la taux des réticulocytes. Elle est généralement liée à une
grossesse soit suivie par une équipe médicale et par une infection par le parvovirus B19 dont le diagnostic pourra
maternité de niveau 3 ayant l’habitude de prendre en être confirmé par la sérologie ou par une mise en
charge cette pathologie. Les accidents graves chez la évidence du DNA viral par biologie moléculaire sur un
mère surviennent surtout en période de postpartum, prélèvement de moelle [24].
324 A. Habibi et al.

Une anémie associée à une augmentation brutale du Dans notre expérience, les germes les plus fréquem-
volume de la rate traduit une séquestration aiguë splé- ment rencontrés chez l’adulte sont cependant le Sta-
nique. Il s’agit d’un accident grave rencontré rarement phylocoque doré et les entérobactéries en particulier les
chez l’adulte ayant gardé une rate fonctionnelle. Le salmonelles associées aux complications de la lithiase
traitement repose sur le support transfusionnel ; une biliaire et parfois responsables de surinfections d’infarc-
splénectomie est indiquée dans les formes les plus gra- tus osseux. Les infections nosocomiales représentent
ves. près de 50 % des septicémies observées dans notre
La majoration brutale de l’anémie devra également institution. Il s’agit en majorité de septicémies à staphy-
faire évoquer le diagnostic d’accident transfusionnel par locoque doré à point de départ veineux sur cathéter ; il
allo-immunisation si le patient a été transfusé dans les existe alors un risque élevé de métastases septiques
jours précédents et s’il existe des signes d’hémolyse ostéo-articulaires qui peuvent survenir avec retard. Une
intravasculaire. L’accident transfusionnel est souvent surveillance prolongée est donc justifiée en cas de bac-
tardif et peut survenir 8 à 10 j après la transfusion. La tériémie chez un patient drépanocytaire afin de ne pas
majoration de l’anémie est souvent accompagnée d’une méconnaître une localisation septique passée initiale-
ment inaperçue, et en particulier une ostéomyélite.
crise osseuse douloureuse. Le diagnostic repose sur
l’étude de l’hémoglobine caractérisée par la disparition Le risque d’accès palustre à Plamodium falciparum a
rapide de l’Hb A transfusée. Il est rare que l’on puisse déjà été souligné. Il faut également insister sur le risque
mettre en évidence l’anticorps responsable à la phase d’infection par le virus de la dengue après un séjour aux
Antilles ou en Afrique avec une évolution parfois très
aiguë ; il faudra alors renouveler la recherche d’allo-
sévère sur ce terrain.
anticorps plus à distance. Ces patients sont à haut
risque transfusionnel, et tant que l’anémie, même très
profonde, est bien tolérée, il est souhaitable de ne pas les CONCLUSION
transfuser. Les corticoïdes sont à notre avis à éviter car
ils majorent le risque de survenue de crise vaso-occlusive. La drépanocytose est un problème de santé publique
majeur dans les pays en voie de développement, mais
également en France où les populations originaires des
INFECTION Antilles et de l’Afrique subsaharienne sont largement
représentées. Les patients drépanocytaires sont exposés
Les infections à germes encapsulés, en particulier par le à de nombreuses complications, en particulier vaso-
pneumocoque, représentaient la principale cause de occlusives et infectieuses, pouvant mettre en jeu le
décès chez l’enfant, en raison d’une asplénie consé- pronostic vital ou fonctionnel. Dans ces situations
quence des infarctus spléniques répétés. Elles sont main- d’urgence, il est clair qu’une admission en unité de
tenant plus rares depuis que des mesures préventives soins intensifs permet d’améliorer le pronostic et d’assu-
sont systématiquement adoptées dès la période postna- rer au mieux les mesures de réanimation nécessaires en
tale (vaccination antipneumococcique, prescription au attendant l’efficacité de l’échange transfusionnel qui
long cours de pénicilline V). Les complications infec- reste la pierre angulaire du traitement des complica-
tieuses liées au pneumocoque sont plus rares chez tions aiguës graves des SDM.
l’adulte en dehors du cas particulier des patients drépa-
nocytaires infectés par le VIH, chez qui ce risque reste
RÉFÉRENCES
très élevé. En pratique, même si la survenue d’une
infection à pneumocoque est rare chez l’adulte, il s’agit 1 Anonyme. Pathophysiology and management of sickle cell pain
néanmoins d’un évènement toujours potentiellement crisis. Lancet 1995 ; 346 : 1408-11.
sévère sur ce terrain qui justifie la vaccination systéma- 2 Serjeant GR. Sickle cell disease. Lancet 1997 ; 350 : 725-30.
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tique contre le pneumocoque avec rappel vaccinal tous Engl J Med 1997 ; 337 : 762-9.
les cinq ans. Tout épisode fébrile inexpliqué chez un 4 Galactéros F. Drépanocytose : physiopathologie et diagnostic.
patient drépanocytaire doit donc être considéré comme Rev Prat 1995 ; 45 : 351-60.
5 Platt O, Branbilla DJ, Rosse WF, Milner PF, Castro O, Stein-
d’origine pneumococcique jusqu’à preuve du contraire, berg MH, et al. Mortality in sickle cell disease. Life expectancy
et conduire à la mise en route d’une antibiothérapie and risk factors for early death. N Engl J Med 1994 ; 330 :
probabiliste dirigée contre les germes encapsulés. Il faut 1639-44.
6 Couttant-Perronne V, Roberts-Harewood M, Bachir D, Rou-
tenir compte du fait que ces patients sont à risque dot-Thoraval F, Delord JM, Thuret I, et al. Patterns of morta-
d’infection à pneumocoque de sensibilité intermédiaire lity in sickle cell disease in adults in Europe. Hematol J 2002 ; 3 :
à la pénicilline (hospitalisations fréquentes, prise fré- 56-60.
7 Godeau B, Brun-Buisson C, Roudot-Thoraval F, Ruivard M,
quente d’antibiotiques et en particulier de béta- Durègne L, Lefort Y, et al. Évolution et facteurs pronostiques
lactamines…). des adultes atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur lors
Drépanocytose et réanimation 325

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