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Savoirs autochtones : quelle nature, quels

apports ?
Leçon inaugurale prononcée le jeudi 22 mars 2012

Manuela Carneiro da Cunha

Éditeur : Collège de France, Fayard


Lieu d'édition : Paris
Année d'édition : 2012
Date de mise en ligne : 14 février 2013
Collection : Leçons inaugurales
ISBN électronique : 9782722601826

http://books.openedition.org

Édition imprimée
Date de publication : 7 novembre 2012
ISBN : 9782213671376
Nombre de pages : 60
 

Référence électronique
CARNEIRO DA CUNHA, Manuela. Savoirs autochtones : quelle nature, quels apports ? Leçon
inaugurale prononcée le jeudi 22 mars 2012. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Collège de
France, 2012 (généré le 23 mai 2016). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/cdf/1282>. ISBN : 9782722601826.

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© Collège de France, 2012


Conditions d’utilisation :
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Alors que Claude Lévi-Strauss, dès 1962, célébrait les savoirs autochtones, il aura fallu
attendre trente ans pour que, en 1992, la Convention sur la diversité biologique de Rio
reconnaisse officiellement, pour la première fois, l’importance des savoirs autochtones face
aux grands défis écologiques. Quelle est la nature, quels sont les multiples régimes des
savoirs traditionnels  ? Quels mondes peuvent-ils ouvrir, de par leur existence même, aux
savoirs académiques ? Telles sont les questions qu’il faut à présent se poser. 

MANUELA CARNEIRO DA CUNHA


Manuela Carneiro da Cunha a été élevée au Brésil. Après des études
de mathématiques, elle découvre sa vocation pour l’anthropologie au
séminaire de Claude Lévi-Strauss. Elle a enseigné à l’université de
Campinas, à l’université de São Paulo et à l’université de Chicago.
Membre de l’Académie brésilienne des sciences et de la Third World
Academy of Science, elle a reçu le prix de la francophonie de
l’Académie française et la Légion d’honneur. Elle a été titulaire de la
chaire Savoirs contre pauvreté du Collège de France pour l'année
2011-2012.
NOTE DE L’ÉDITEUR
La chaire internationale Savoirs contre pauvreté reçoit le soutien de
l’Agence française de développement (AFD).
SOMMAIRE
Présentation de Manuela Carneiro da Cunha
Pierre Corvol

Savoirs autochtones : quelle nature, quels apports ?


Leçon inaugurale prononcée le jeudi 22 mars 2012
Manuela Carneiro da Cunha
Présentation de Manuela Carneiro da
Cunha
Pierre Corvol

1 Chère Collègue,
Chère Manuela Carneiro da Cunha,
2 Il y a tout juste vingt ans, la Convention de Rio sur la diversité
biologique reconnaissait l’importance des savoirs autochtones dans
l’économie mondiale. Reconnaissance tardive, car ces sociétés
traditionnelles, même si elles ne constituent qu’un faible effectif –
  les indiens représentent un millième de la population au Brésil  –,
ont acquis des connaissances et des techniques uniques pour
repérer, gérer et conserver des ressources naturelles.
3 Pour ces populations éloignées des lieux du pouvoir, il est ardu de se
faire entendre  ; de même, il peut être aussi difficile pour les
instances nationales et internationales d’entrer en relation avec
elles. À ceci s’ajoutent les points de vue qui diffèrent, quand il ne
s’agit pas de conflits d’intérêts, entre peuples autochtones, équipes
scientifiques, ONG et États.
4 À titre d’exemple, les «  ressources génétiques  », c’est-à-dire le
matériel d’origine animale ou végétale contenant des gènes,
possèdent une valeur potentielle, mais leur utilisation soulève des
questions complexes de propriété intellectuelle et d’exploitation. Il
est indispensable de trouver des solutions pour pallier les inégalités
flagrantes qui résultent de l’asymétrie de savoir et d’expertise
juridique entre populations autochtones et entreprises, ou
chercheurs du secteur public ou privé.
5 C’est à ces questions difficiles que vous avez consacré l’essentiel de
vos recherches et de votre enseignement. Venue en France pour
compléter votre formation mathématique à l’université, vous avez
changé de cap en suivant le séminaire d’anthropologie de Claude
Lévi-Strauss au Collège de France. Rentrée au Brésil, vous avez été
nommée professeur d’anthropologie à l’université de Campinas, puis
à l’université de São Paulo, et finalement à l’université de Chicago
jusqu’en 2009.
6 Vos premiers travaux ont porté sur l’ethnologie amazonienne et la
définition de l’identité indienne au Brésil. Vous avez étudié le statut
légal des indiens et son incidence sur leurs droits personnels et
collectifs dans la société brésilienne contemporaine. Vous avez joué
un rôle important dans le comité sur les droits des indiens à
l’Assemblée constituante de 1988, dans plusieurs commissions de
l’UNESCO pour la conservation de la forêt tropicale, ou encore à la
Convention pour la diversité biologique.
7 Vos recherches ont porté sur le rôle des sociétés traditionnelles dans
la conservation et la gestion des ressources naturelles, et sur les
usages de l’environnement par les sociétés indiennes et non
indiennes. Votre Encyclopédie de la forêt, que vous avez publiée en
2002, a été décrite par Claude Lévi-Strauss comme l’« ouvrage le plus
enrichissant par son contenu qu’il [lui] ait été donné de lire depuis
longtemps ».
8 Vous poursuivez votre action dans deux directions  : la lutte contre
les discriminations ethniques et raciales, et la réflexion sur les
savoirs traditionnels. La chaire annuelle que vous avez appelée
«  Savoirs autochtones  » est la quatrième du cycle «  Savoirs contre
pauvreté – AFD » soutenue par l’Agence française de développement.
Elle s’inscrit dans les enjeux du développement en Amérique latine
que soutient l’AFD, et enrichit la réflexion qu’elle a publiée
récemment dans la collection « À Savoir ».
9 De retour en France cette année, vous êtes prête à nous faire
bénéficier de votre expérience dans la défense des peuples indigènes
et l’importance des savoirs qu’ils détiennent  ; non seulement en
enseignant ici-même, mais aussi en interagissant par
vidéoconférence avec 7  campus numériques de l’Agence
universitaire de francophonie, et en pilotant un stage de 15  jours à
Paris que propose l’Agence française de développement à 7  jeunes
enseignants-chercheurs originaires du Brésil, de Centrafrique, du
Cameroun, de Madagascar et du Vietnam.
10 Soyez en remerciée.

AUTEUR
PIERRE CORVOL

Administrateur du Collège de France


Savoirs autochtones : quelle nature,
quels apports ?
Leçon inaugurale prononcée le jeudi 22 mars 2012

Manuela Carneiro da Cunha

NOTE DE L’ÉDITEUR
La chaire internationale Savoirs contre pauvreté reçoit le soutien de
l’Agence française de développement (AFD).
1 Monsieur l’Administrateur,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
2 Vous avez bien voulu m’accueillir parmi vous pour cette année : c’est
un grand et un bien redoutable honneur. Le Collège est ce lieu
vénérable où quelques savants, exceptionnels à tous égards, ont
infléchi la pensée de leur époque. D’être admise pour un temps dans
leur voisinage, je le dois à Philippe Descola et à Philippe Kourilsky :
je les remercie tous deux très vivement.
3 Chers amis,
Mesdames et Messieurs,
4 On célèbre cette année deux anniversaires  : c’est d’abord le
cinquantième anniversaire de La Pensée sauvage, un livre qui a établi
la dignité des savoirs autochtones et par là l’unité de l’esprit ; c’est
ensuite le vingtième anniversaire du premier instrument
international qui a valorisé ces savoirs, la Convention sur la diversité
biologique du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro.
5 Ces deux événements vont encadrer ce que j’envisage de vous dire
aujourd’hui. Je voudrais vous faire saisir à la fois ce qui les relie et ce
qui les distingue. Entendez « La Pensée sauvage » à la fois comme le
titre du livre et comme un programme.

***

6 Tout d’abord, quelques remarques sur le vocabulaire et ses sous-


entendus : le savoir « tout court » ou, comme disent les linguistes, le
savoir « non marqué », c’est la science. Pour parler de savoirs autres
que la science, il faut lui ajouter des adjectifs. Quels sont-ils ? Dans le
langage courant, on remplace volontiers « savoirs autochtones » par
«  savoirs locaux  » ou «  savoirs traditionnels  » et on les utilise
quasiment comme des équivalents. Je me plierai moi aussi à cet
usage, mais non sans analyser quelque peu les malentendus qu’il
entraîne.
7 L’adjectif traditionnel évoque une forme de transmission de
génération en génération qui peut porter à concevoir ces savoirs
comme des trésors au sens propre, c’est-à-dire des ensembles clos
dont on peut certes jouir, mais qu’on ne peut augmenter. Ce qui est
traditionnel, cependant, et les organisations de peuples autochtones
n’ont pas manqué de le rappeler, est le régime et le mode
d’acquisition de ces connaissances, et non simplement la substance
des informations reçues des aînés. Si les savoirs traditionnels se
résumaient à des informations, comme on a pu parfois le croire, il
suffirait de les recueillir dans des bases de données pour assurer leur
survie, quitte à se désintéresser du sort de ceux qui les détiennent.
Mais si, plus correctement, ces savoirs traditionnels sont non pas
seulement des produits achevés, mais des formes de production
innovante de données, d’informations et de connaissances, alors la
sauvegarde du système devient aussi essentielle que la sauvegarde
des informations.
8 Venons-en aux adjectifs local et autochtone. Lorsque Lévi-Strauss
intitule son livre La Pensée sauvage, c’est pour marquer qu’il ne s’agit
pas de la pensée des Sauvages, mais bien de formes de pensée qui
existent autant ailleurs que chez nous et qui côtoient la science.
Cette précaution disparaît lorsque nous parlons de savoirs
autochtones et locaux, car on y sent bien l’élision d’un terme que
l’on peut ajouter ou omettre à volonté, celui des populations : ce qui
fait que l’on peut comprendre (à tort, on le verra) les savoirs locaux
aussi bien comme ayant une portée circonscrite, en contraste avec la
portée universelle de la science, comme ayant été construits dans un
espace géographique et social limité ou comme dérivant d’une
intimité particulière avec ce qu’on appelle «  un milieu  » ou «  un
environnement », conçus comme donnés au départ. Il en résulte une
division qui oppose l’anecdotique au systématique et le descriptif à
l’analytique ; bref, le particulier à l’universel.
Le contraire de la pensée sauvage, comme le montre par un clin d’œil et un calembour
la couverture originale de La Pensée sauvage, c’est la pensée domestiquée.
9 Disons d’emblée, et je reprendrai ce thème dans un moment, que je
ne m’oppose pas à la distinction entre ce que nous nommons
«  science  » et ces savoirs autres. Si j’entends bien qu’affirmer leur
équivalence est un geste politique, je crois cependant qu’il ne fait
qu’obscurcir leurs différences. Or c’est précisément dans celles-ci
que réside, il me semble, la valeur des savoirs autochtones.

***

10 Depuis les années 1980, les savoirs autochtones ont acquis un statut


juridique et un espace politique croissants. Le tournant majeur, du
point de vue d’une reconnaissance juridique, date de 1992 et du
Sommet de la Terre, tenu à Rio, qui, comme je l’ai rappelé, célèbrera
ses vingt ans en juin.
11 Une déclaration et trois conventions internationales adoptées sous
l’égide de l’ONU ont inauguré une nouvelle ère.
12 La Déclaration de Rio traite, dans un seul et même texte, de plusieurs
conditions pour assurer le développement durable. Parmi ces
conditions sont citées l’élimination de la pauvreté  ; le rôle central
des populations autochtones, de leurs savoirs et de leurs pratiques
dans la gestion de l’environnement  ; et le renforcement des
connaissances scientifiques, des échanges et du transfert des
techniques en matière de développement durable. Voici réunis pour
la première fois dans un texte international les thèmes qui nous
occuperont pendant le cours qui succèdera à cette leçon.
13 Notons que la Déclaration de Rio est une déclaration de principes,
sans effets contraignants. Les conventions, en revanche, une fois
signées et ratifiées par les différents pays, y ont le statut de loi.
14 C’est le cas de la Convention sur la diversité biologique (CDB),
rédigée et ouverte à l’adhésion des pays à la même occasion, et qui
affiche, dans son préambule, les principes de la Déclaration de Rio.
Mais c’est surtout un article devenu célèbre au cours des années,
l’article 8j, qui a permis de faire avancer la visibilité des savoirs
autochtones.
Article 8. Conservation in situ
Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible, et selon qu’il
conviendra :
[…] j) Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve
et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés
autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant
un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique
et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la
participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et
encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces
i
connaissances, innovations et pratiques .
15 La Convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (CCNUCC) a été adoptée au même Sommet de la Terre de
Rio. Quatre ans plus tôt, en 1988, l’Organisation des Nations unies
(ONU) avait déjà créé le Groupe intergouvernemental d’experts sur
l’évolution du climat (GIEC, en anglais IPCC), un groupement de
scientifiques qui définit sa mission dans les termes suivants :
Le GIEC a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et
objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique
qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques
des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus
précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager
d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation. Il n’a pas pour mandat
d’entreprendre des travaux de recherche ni de suivre l’évolution des variables
climatologiques ou d’autres paramètres pertinents. Ses évaluations sont
principalement fondées sur les publications scientifiques et techniques dont la
1
valeur scientifique est largement reconnue .
16 Alors que la Convention-cadre sur les changements climatiques ne
faisait aucune référence aux savoirs traditionnels, le GIEC en vient à
solliciter explicitement leur contribution pour son cinquième
rapport, prévu pour 2014, et cherche à établir une communication
jusqu’à présent quasiment inexistante entre savoirs traditionnels et
circuits académiques.
17 La justification en est la suivante  : presque partout, les peuples
autochtones ont survécu alors qu’ils occupaient des régions
inhospitalières qui, jusqu’à une période récente, n’étaient pas
convoitées pour d’autres usages. C’est pourquoi ils sont nombreux à
habiter des îles, des zones montagneuses ou inondables, c’est-à-dire
des territoires particulièrement vulnérables. De plus, ces
populations sont en général directement dépendantes de leurs
ressources naturelles et les phénomènes climatiques sont donc suivis
avec attention. Leurs impacts sont connus et des formes de
mitigation et d’adaptation ont été mises à l’épreuve depuis plusieurs
générations. On en déduit que les populations autochtones, ainsi que
d’autres populations qui habitent des territoires marginaux, ont
accumulé des compétences considérables en matière de changement
climatique. Aucun dispositif ne permet de relayer ces compétences
auprès des scientifiques ; ceux-ci, pour leur part, n’ont toujours pas
pris la mesure de ce qui est localement applicable.
18 En deux réunions tenues en 2011 et 2012 2 , le GIEC, en accord avec
(entre autres) l’Université des Nations unies et l’Unesco, a en
conséquence appelé les contributions de spécialistes et de
représentants de ces populations. Sur cette lancée, il a innové en
voulant réunir et consulter cette abondante littérature dite « grise »,
dont la publication ne dépend pas de l’approbation d’un comité
scientifique et qui ne circule pas dans les sciences « dures ». Ce sont
par exemple toutes sortes de rapports ou de publications locales,
dont un nombre croissant provient des peuples autochtones eux-
mêmes, ainsi qu’une part non négligeable de la littérature historique
et ethnographique.

***

19 Je donnerai un autre exemple de la reconnaissance croissante des


pratiques traditionnelles. Celui-ci porte sur la diversité des plantes
cultivées 3 . On estime qu’il existe quelque 7000  espèces de plantes
cultivées, chacune d’entre elles comportant de multiples variétés.
Cependant, 95  % des besoins énergétiques de l’humanité reposent
sur une trentaine d’espèces seulement et quatre d’entre elles
représentent 60 % de ces besoins. Ce sont le riz, le blé, le maïs et la
pomme de terre.
20 La révolution verte qui, dans l’après-guerre, a sélectionné et
disséminé dans le monde les variétés agricoles les plus productives, a
eu à la fois de grands mérites et des effets néfastes. Ainsi, en Inde,
elle a évité une famine. Mais elle a induit, d’autre part, une
consommation sans précédent d’engrais et de pesticides. Tandis que
les populations traditionnelles avaient développé des connaissances
minutieuses des détails de chaque parcelle de leur territoire et
qu’elles avaient exploité cette diversité avec des variétés et des
activités adaptées à chacune, la généralisation de variétés très
productives n’a pas suffisamment tenu compte des particularités des
sols et des climats. Les engrais et les pesticides permettent de
« corriger », c’est-à-dire de normaliser ces particularités, de rendre
homogène ce qui est foncièrement hétérogène. La production a donc
augmenté considérablement, mais aux dépens de la diversité et de
l’autonomie des cultivateurs. Elle a entraîné en particulier une perte
de cultivars locaux et donc une érosion génétique dans l’agriculture.
21 La révolution verte est un bon exemple de la démesure des projets
modernistes. On en est à présent, au bout de plusieurs décennies, à
faire le point sur les pertes qu’elle a entraînées.
22 Cette érosion de la diversité génétique des plantes cultivées entraîne
un très grand risque pour la sécurité alimentaire. Les plantes, en
effet, sont vulnérables aux attaques d’insectes, de virus, de
champignons et de maladies en général. Comme chaque variété a
développé des défenses ciblées sur certains de ces agresseurs,
cultiver une seule variété revient à augmenter les risques auxquels
les cultivateurs s’exposent et à courtiser le désastre.
23 Le plus tristement célèbre de ces désastres est la Grande Famine
d’Irlande, qui a tué un million de personnes et fait émigrer un autre
million aux États-Unis. Et cela parce que, entre 1845 et 1849, le
mildiou a attaqué les pommes de terre, entraînant la perte des
récoltes.
24 La pomme de terre est originaire des Andes. Elle a été domestiquée
dans le sud du Pérou il y a au moins 6000 ans. Les agriculteurs y ont
produit, par sélection, plus de mille variétés disséminées ensuite
dans le continent. Dans l’archipel de Chiloé, au Chili, quelques 400
autres variétés furent sélectionnées par les populations autochtones.
Les quelques variétés introduites en Europe proviennent de Chiloé.
En Irlande, jusqu’à la catastrophe de 1845, une seule variété
chilienne, choisie pour sa grande productivité, était cultivée. Quand
cette variété fut attaquée par le mildiou de la pomme de terre
(Phytophthora infestans), auquel elle était sensible, toute la récolte fut
perdue.
25 La diversité génétique des plantes cultivées, et surtout des
principales plantes utilisées dans l’alimentation, est donc une affaire
essentielle de sécurité. Et c’est là une des raisons pour lesquelles on a
établi des banques de germoplasme qui conservent dans des
conditions optimales le plus grand nombre possible de variétés.
26 Cependant, cela ne suffit pas : les êtres vivants co-évoluent avec leur
habitat et s’adaptent aussi bien à des changements climatiques
qu’aux nouvelles attaques d’autres organismes tels que des parasites
ou des maladies. Conserver le germoplasme dans des banques, c’est
perdre une co-évolution qui ne se produit que sur le terrain, in situ.
Pour ce qui est des plantes cultivées, ce sont surtout les agriculteurs
(et à vrai dire, le plus souvent les agricultrices) qui conservent et
sélectionnent les variétés. C’est ce que l’on appelle « la conservation
on farm  », dont l’importance stratégique n’est plus à démontrer 4 .
Elle s’est affirmée notamment en 1996 lors de la Conférence de
Leipzig de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (Food and agriculture organization ou FAO en anglais)
et s’est vue consacrée dans le Traité international sur les ressources
phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui date de
2001.
27 Les aspects juridiques que je viens d’évoquer ne peuvent être
dissociés de leur dimension politique. Dans le cadre de la Convention
sur la diversité biologique, la question des savoirs traditionnels a eu
un écho aux proportions, au départ, inattendues. Les mouvements
sociaux des peuples autochtones sont à l’origine de ces changements,
qui se sont rangés sous l’égide de l’ONU –  cette dernière,
remarquons-le, constitue depuis les années  1970 un espace où les
thèmes émergents acquièrent une visibilité et un poids politique
inédits. C’est le cas, entre autres, des droits reproductifs, du
développement durable, de l’orientation sexuelle et, en particulier,
pour ce qui nous intéresse ici, des droits des peuples autochtones.
28 La Déclaration des Nations unies sur les droits de peuples
autochtones a été adoptée en septembre 2007. Cette déclaration qui,
en tant que déclaration, n’a pas d’effet contraignant, a cependant un
effet moral que les organisations des peuples autochtones se sont
chargées de diffuser et même d’inclure dans l’interprétation de lois
en vigueur. C’est notamment grâce au Protocole de Nagoya d’octobre
2010 que ces mouvements ont pu faire progresser leurs
revendications. En effet, dans ce protocole, les savoirs traditionnels
associés aux ressources génétiques ont acquis un statut et un
traitement légal équivalent à ceux des ressources génétiques elles-
mêmes.

***

29 Rappelons que la Convention sur la diversité biologique se propose


un véritable tour de force. Elle établit la souveraineté des États sur
leurs ressources génétiques  ; elle leur demande de mettre en place
des lois d’accès  ; elle propose en échange de ces ressources un
partage des avantages, principalement sous la forme de transferts de
technologie. Et tout cet édifice repose sur l’idée néolibérale que,
pour conserver la diversité biologique, il faut en organiser le
marché. Il me semble que les résultats matériels, à ce jour décevants,
des instruments internationaux mis en place, tiennent en grande
partie à leur radicale nouveauté. Celle-ci exige un effort considérable
pour construire un ensemble cohérent de droits et de mécanismes.
C’est déjà fort difficile pour ce qui est des ressources génétiques. Cela
l’est bien d’avantage quand il s’agit des savoirs traditionnels. En
effet, on achoppe tout de suite sur les questions de droits
intellectuels, sinon tout bonnement de propriété intellectuelle.
Comment faire pour que des règles équitables ne nuisent pas à ce
que l’on s’efforce de défendre et de protéger ?
30 Il faut comprendre que les droits associés aux savoirs autochtones
sont en passe de se jouer et de se définir dans des arènes politiques
diverses qui ne leur sont pas toutes également favorables. Une
première grande différence sépare les Nations unies de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Celle-ci, au contraire
de celle-là, a de puissants moyens de faire respecter ses décisions. De
plus, elle abrite les États-Unis qui, on le sait, quoique l’ayant signée,
n’ont jamais ratifié la Convention sur la diversité biologique. Pour
l’instant, la question de la prééminence de la Convention sur la
diversité biologique sur les règles de l’OMC qui, elle, repose sur les
Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
touchant au commerce (ADPIC), n’est pas tranchée.
31 Les intérêts des États, par ailleurs, ne coïncident pas nécessairement
–  c’est le moins que l’on puisse dire  – avec ceux des populations
autochtones. Le groupe des États alignés mégadivers, c’est-à-dire
ceux dont le territoire est riche en diversité biologique, défend dans
les arènes internationales que toute demande de brevet ou autre
protection intellectuelle, dans quelque pays que ce soit, soit tenue
d’expliciter la traçabilité des matières premières et des savoirs
associés qui ont conduit à l’invention, ainsi que la légalité de toutes
les transactions intervenues. C’est là une position qui aligne les États
mégadivers avec les populations autochtones et locales. De même,
les États mégadivers se plaignent tout autant que les peuples
autochtones de l’indéfinition et de l’insuffisance de la répartition des
avantages prévus dans la Convention sur la diversité biologique.
Mais, par ailleurs, ces mêmes États peuvent trouver gênantes non
seulement la présence dans le cadre de l’ONU de délégations
d’autochtones venues de leurs pays, mais aussi les obligations de
consultation à propos de politiques intérieures que de nouveaux
instruments internationaux leur imposent.
32 La Convention sur la diversité biologique a soulevé de grands espoirs
à la fois scientifiques et économiques, en premier lieu celui de la
découverte de principes actifs prometteurs en pharmacologie. On a
cité ainsi à l’appui les exemples classiques de la quinine, de la
morphine ou de l’éphédrine, ceux plus récents de l’artémisine pour
le traitement du paludisme ou des flavones pour le traitement de
l’anxiété 5 . C’est pourtant pour de telles applications
pharmaceutiques que les résultats sont les plus aléatoires et les
procédures les plus longues et les plus coûteuses. C’est là aussi que la
répartition des mérites d’une éventuelle invention est la plus
âprement discutée. Il n’en reste pas moins que l’on peut espérer à
bon droit découvrir des molécules importantes, dont les plus
recherchées sont celles qui possèdent une structure et des
mécanismes d’action qui diffèrent de tout ce qui est connu, laissant
espérer la mise au point de médicaments de référence inédits qui
bouleverseraient les approches thérapeutiques 6 .
33 En ce qui concerne les avantages qui découlent de l’utilisation des
ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés, toute une
gamme de substances et de produits dont les propriétés sont
connues des peuples autochtones se révèle bien plus prometteuse à
court terme. Ce sont d’abord des fibres, des colorants, des
conservateurs, des huiles, des parfums, etc. Ce sont ensuite toutes
sortes de poisons animaux ou végétaux dont les populations
autochtones connaissent les effets. Enfin, le plus prometteur des
bénéfices financiers est probablement le marché mondial des
médicaments naturels, beaucoup moins réglementé que le marché
pharmaceutique et qui, en 2008, dépassait le 20 milliards de dollars 7
.
34 Où en sommes-nous  ? La conscience des apports potentiels des
savoirs autochtones s’est, on l’a vu, considérablement élargie. Mais
pour l’instant les résultats concrets sont encore bien minces.
35 Sur les 193 pays qui ont signé et ratifié la Convention sur la diversité
biologique, on compte sur les doigts de la main ceux qui l’ont
réglementée. Par ailleurs, on ne dénombrait que 700 contrats d’accès
aux ressources phytogénétiques en 2010, dont une vingtaine
seulement étaient destinés à des fins commerciales ; le Costa Rica, à
lui seul, en ayant passé quinze. Les compagnies transnationales n’en
auraient conclu qu’avec quatre pays seulement 8 . Au Brésil, un
scandale a fait échouer en 2000 un contrat d’exclusivité portant sur
l’accès aux ressources génétiques qu’une grande entreprise
pharmaceutique essayait de s’assurer.
36 À quoi tient ce constat décevant  ? On peut avancer des raisons de
plusieurs sortes, dont certaines sont structurelles.
37 On a pris l’habitude de distinguer les pays utilisateurs des pays
fournisseurs de ressources génétiques quoique, dans bien des cas,
certains pays dont la France, qui a gardé des territoires ou des
départements d’outre-mer à grande diversité biologique, soient à la
fois fournisseurs et utilisateurs. Quoi qu’il en soit, on peut
généraliser en affirmant que les pays utilisateurs se plaignent d’une
incertitude juridique et de procédures lentes et compliquées pour
l’accès aux ressources génétiques. Pour leur part, les pays
fournisseurs déplorent l’absence de mécanismes adéquats pour
assurer la traçabilité (disclosure of origin), la légalité et le partage
juste et équitable des avantages. En 2010, le Protocole de Nagoya a
précisément incorporé des mécanismes multilatéraux destinés à
rassurer les uns et les autres.

***

38 Ces grandes espérances déçues ont eu des effets complexes. Elles ont
placé sur la défensive les populations autochtones, qui se méfient à
présent de tout chercheur. Les savoirs qu’elles tenaient pour les plus
importants ne sont pas ceux qui semblent être les plus demandés. Du
coup, toutes sortes de savoirs exotériques sont à présent conçus
comme des savoirs réservés, ésotériques. Les scientifiques, eux, sont
outrés que l’on ne veuille pas distinguer la recherche désintéressée
qu’ils pratiquent de l’exploitation de brevets. Or, étant donné les
politiques d’appropriation des universités, du moins aux États-Unis,
la différence entre la recherche commerciale et la recherche
purement scientifique est souvent devenue difficile à cerner.
39 La politique des institutions scientifiques n’a pas fondamentalement
changé. Concernant par exemple l’importance de la conservation on
farm pourtant, on l’a vu, reconnue par l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les institutions
consacrées à l’agriculture dans la plupart des pays s’en soucient fort
peu.
40 C’est dans cette perspective que les recherches sur la nature, les
programmes et les régimes des savoirs traditionnels deviennent
cruciales. J’insiste sur le pluriel car on n’est pas en présence d’un
seul mode d’accès à la connaissance et d’un seul régime, mais bien
d’une pléthore qu’il faut encore apprendre à connaître. Il convient
d’autre part de discerner les effets qu’ont sur les populations
traditionnelles les nouvelles politiques suscitées par la prise en
compte de leurs apports. Ignorer ces dimensions, c’est mettre en
péril la continuité même des systèmes de savoirs autochtones.
***

41 Si donc le bilan est pour l’instant décevant sous bien des aspects
pratiques, il a cependant déjà produit au moins deux résultats
importants.
42 Le premier, c’est que toute cette affaire a mis en évidence un thème
cher à Claude Lévi-Strauss, celui du rôle que les savoirs et les
pratiques autochtones devraient jouer dans la collaboration entre les
savoirs humains. Il est frappant que ce soient les mouvements
sociaux des peuples autochtones qui aient repris cette dimension
centrale et relativement oubliée de La Pensée sauvage. Chez les
anthropologues, les études dites «  d’ethnoscience  », au fond de
nature cognitive, se sont surtout penchées sur les classifications.
Mais les revendications développées par les mouvements
autochtones au sein de l’ONU ont une portée très différente : il s’agit
là de poser les bases d’un nouveau type de collaboration entre leurs
savoirs et la science. Pour Lévi-Strauss, toujours fasciné par les
techniques et qui, très tôt, a publié un article sur les poisons de
pêche des Amazoniens, c’était là une intention omniprésente. La
Pensée sauvage est, à bien des égards, un manifeste pour une
appréciation des savoirs autochtones à leur juste valeur.
43 En outre, et c’est le second point, une autre perception est apparue
sur la scène publique ainsi que parmi des anthropologues. Celle-ci,
sans être directement issue de Lévi-Strauss, s’est prévalu de ses
travaux sur la mythologie  : elle nous fait comprendre que le savoir
des peuples sans écriture peut être rangé à côté de grandes
traditions philosophiques et donc considéré comme partenaire d’un
réseau de savoirs sur le monde, en un sens cette fois non pas tant
pragmatique (à quoi ça sert ?) mais plutôt ontologique (qu’est-ce qui
existe ?) et éthique (quelle est sa valeur ?).
***

44 Pendant une bonne partie du XXe  siècle, on a voulu démarquer la


science des savoirs traditionnels à l’aide de la notion de rationalité.
La rationalité, il faut le rappeler, était l’apanage que Hilbert, Carnap
et le Cercle de Vienne entendaient attribuer à la science et à elle
seule. C’était aussi ce dont ils se proposaient de donner la preuve.
Bien que, dès 1931, Gödel ait démontré la vanité de ce projet 9 , ce
n’est que bien plus tard, vers les années 1960, que la philosophie de
la science en a pris définitivement acte. On peut se demander si ces
nouvelles ont atteint le grand public.
45 La rationalité, pendant au moins toute l’époque du haut
modernisme, s’est donc constituée en pierre de touche, en litmus test
(comme disent les Anglo-Saxons) des savoirs autres. En conséquence,
il s’est longtemps agi, pour l’anthropologie, de faire l’ethnographie
de la rationalité des systèmes de savoirs traditionnels. Il est piquant
que, décrivant dans cette intention le système divinatoire et de
sorcellerie zande, l’anthropologue britannique Evans-Pritchard ait
devancé en 1937 10 des résultats qui ont fait la célébrité de Thomas
Kuhn et de sa Structure des révolutions scientifiques, parue en 1962 11 .
46 Le projet positiviste de la science s’étant effrité, les rapports entre
savoirs traditionnels et science ne peuvent plus se poser dans les
mêmes termes. Néanmoins je ne préconise pas, par ce rappel,
d’assimiler tout bonnement la science et les savoirs traditionnels. Il
faut, bien au contraire, comprendre et faire ressortir leurs
différences institutionnelles et historiques.
47 Pour ce qui est de la science qui est la nôtre, et dont on pourrait dire
que l’histoire remonte à quelque trois ou quatre siècles, elle a
pourtant gardé d’un passé bien plus ancien une distinction
fondamentale. Jean-Pierre Vernant a en effet montré la prééminence
en Grèce, à l’âge classique, qu’acquiert la science, l’épistémè, c’est à
dire le savoir théorique démontrable par la logique, sur la technè, un
savoir pratique réduit « aux tâtonnements de l’observation 12   », au
tour de main, au savoir-faire, à l’expédient. La science, c’est le
raisonnement, la discussion, la démonstration, et son paradigme, les
mathématiques ; la technè, elle, relève de la mètis, l’intelligence rusée.
Cette césure entre science et savoir-faire, qui rompt avec les usages
antérieurs, est le fait des philosophes et particulièrement de Platon.
48 À l’époque moderne, la technique devient la part expérimentale,
asservie à la science. Certes, la physique expérimentale jouit d’un
statut moindre que la physique théorique, mais elle participe à la
science. En Grèce, au contraire, la technè, qui est tout autre chose
qu’une application de la science 13 , est dévaluée à l’âge classique  :
«  Le terme technè qui, à l’origine, s’applique aussi bien à la
connaissance scientifique qu’à l’expérience de l’artisan, pourra,
après Platon, s’opposer à la science véritable, épistémè 14 .  »
Inventeurs de la «  Science  », les Grecs classiques semblent être à
l’origine de notre dévaluation des savoirs autrement acquis, et en
particulier de ceux qui semblent dériver de l’empirie.
49 On croirait entendre l’expression des préjugés de certains de nos
contemporains au sujet des savoirs traditionnels, lorsqu’on lit cette
description du statut de la technè en Grèce classique :
La technè artisanale n’est pas un véritable savoir. L’artisan n’a pas l’intelligence
de sa méthode, il ne comprend pas ce qu’il fait. […] Sa technè repose sur la fidélité
à une tradition, qui n’est pas d’ordre scientifique, mais en dehors de laquelle
toute innovation le livrerait désarmé au hasard. L’expérience ne peut rien lui
apprendre, car, dans la situation où il se trouve placé –  entre la connaissance
rationnelle d’une part et la tuchè [le hasard, la chance] de l’autre – il n’y a pour
lui ni théorie ni faits susceptibles de vérifier cette théorie  : il n’y a pas
d’expérience au sens propre. […] En se laïcisant, les techniques […] se sont
constituées en un système de recettes traditionnelles et d’habileté pratiques,
dont l’efficacité n’a plus rien que de naturel, mais qui ne se prêtent ni à la
15
réflexion critique ni à l’innovation .
***

50 La catégorie du «  savoir  » ou quelque chose d’approchant, semble


être présente dans toute société. Partout aussi, elle n’est pas
uniformément répartie et paraît sujette à des échelles de valeur, à
des spécialisations et au sein de celles-ci, à des appréciations de
degrés. On distingue des savoirs de première importance, les
«  grands objets de savoir  », en général réservés, sinon ésotériques,
mais on reconnaît aussi les compétences d’une bonne agricultrice et
les talents d’un expert en fabrication de pirogues ou de pièges à
poissons. Néanmoins, au-delà de ces ressemblances très générales,
les régimes de savoir sont d’une étonnante diversité.
51 Vous voyez bien que je ne me place pas ici dans le champ des débats,
par ailleurs passionnants, qui concernent la cognition chez l’humain,
mais bien dans une perspective de l’ordre du social et de l’historique.
52 Il suffira, pour se convaincre de la diversité des régimes, de
comparer par exemple deux peuples indiens de l’Amazonie dont les
territoires sont pourtant presque attenants ; des voisins, en quelque
sorte, si on fait abstraction de l’échelle de ces territoires. D’un côté,
une vingtaine d’ethnies, originellement de langue soit tukano soit
arawak, occupent le haut cours du rio Negro et de plusieurs de ses
affluents –  tels que le rio Uaupés, le Tiquié et l’Içana en Amazonie
brésilienne  –, et débordent sur la Colombie et le Vénézuela  ; de
l’autre les Yanomami et leurs quatre sous-groupes linguistiques,
dont la population se distribue entre le Brésil et le Vénézuela.
53 Chez les habitants du Haut Rio Negro, les grands savoirs, les savoirs
par excellence, semblent être des histoires ou des mythes, ainsi que
les formules qui y trouvent place et sont utilisées dans une foule de
circonstances, que ce soient des événements du cycle de vie –  une
naissance par exemple  – ou quotidiennement, une sorte de
neutralisation des nourritures 16 . En portugais, les Indiens,
coutumiers des missionnaires, ont traduit fort à propos ces formules
par « bénédictions ». Ici, je ne résiste pas à faire une digression pour
vous raconter l’épisode cocasse de l’évêque salésien, un Taïwanais
qui n’a pas fait long feu dans son diocèse du Haut Rio Negro. Une
dame tukano me confia que certains paroissiens, soucieux du bien-
être de l’évêque, avaient persuadé sa cuisinière locale de prononcer
ces bénédictions tukano, à son insu, sur les aliments qu’elle lui
servait. Tout alla bien au début, m’expliqua cette dame, et l’évêque
se porta à merveille jusqu’au moment où, ayant embauché une
nouvelle cuisinière, celle-ci se refusa à bénir clandestinement les
plats qu’elle lui servait.
54 Pour en revenir aux Indiens du Rio Negro, ces histoires traitent de
bien des sujets qui vont de la cosmologie à une histoire relativement
récente. On y raconte par exemple que l’origine de l’humanité
actuelle et celle des différents peuples de la région et, à l’intérieur de
ceux-ci, de la hiérarchie des clans, est exprimée par leur
emplacement relatif sur les rivières. Le gradient d’importance des
clans croît d’amont en aval, le clan à l’embouchure étant supérieur à
tous les autres. Ces histoires qui, toutes différences gardées,
rappellent le Temps du rêve australien, par la superposition qu’elles
opèrent entre le déroulement du récit et le territoire, sont, on s’en
doute, de toute importance, ne serait-ce que pour leurs implications
statutaires et politiques. Elles sont l’apanage de chaque clan et
jalousement transmises à chacun par un père ou un grand-père. La
parution d’un premier livre de récits de deux narrateurs desana en
1995 a déclenché une fièvre éditoriale dans les différentes sociétés
de la région. On compte à ce jour une dizaine de livres dont les
auteurs sont souvent, de façon caractéristique, un détenteur
d’histoires âgé et son fils, lettré, qui les transcrit et aide à les
traduire. Non seulement chacune des ethnies tient à publier ses
histoires, mais des clans différents à l’intérieur d’une même ethnie
rivalisent de publications. Que ces versions diffèrent et qu’elles
puissent à la rigueur un jour justifier des prétentions exclusives de
l’ordre du symbolique ou de l’ordre du territoire ne paraît troubler
ni les auteurs ni la Fédération des organisations indigènes du Rio
Negro 17 , qui les publie toutes avec équanimité. Ce n’est que lorsque
l’Institut brésilien du patrimoine 18 a tenté, il y a quelques années,
de classer comme site des Tariana les rapides de Iauareté que les
Tukano ont protesté. Ils ont demandé que toutes les histoires qui se
superposent et dont ils identifient les traces sur ces rapides, soient
également prises en compte. Les Tariana ont immédiatement
accepté et les rapides de Iauareté sont ainsi devenus officiellement
une Jérusalem où chacun trouve du sien.
55 Un livre tout à fait exceptionnel est paru en 2010, issu d’une amitié
et d’une conversation sur trois décennies entre Davi Kopenawa, un
Yanomami, et l’anthropologue français Bruce Albert. Davi est à la
fois un chaman et un important personnage politique, célèbre à
l’échelle internationale. Leur livre La Chute du ciel 19 nous ouvre tout
un monde.
56 Chez les Yanomami, le grand savoir est le savoir chamanique. Mais
on ne l’hérite pas tout prêt  ; tout au plus un père ou un beau-père
présentent-ils le novice à leurs propres esprits et essaient de les lui
conférer quand ils meurent. Mais le savoir lui-même ne s’acquiert
pas ainsi, il exige des études individuelles et approfondies. Sous la
houlette d’un chaman experimenté qui lui dicte les proscriptions
alimentaires et sexuelles qu’il doit observer, lui souffle dans le nez
de la poudre hallucinogène yãkoana et le rassure sur ses rêves et ses
visions, il revient à chaque apprenti chaman de construire et
d’entretenir soigneusement ses rapports avec les esprits xapiri, de les
nourrir de yãkoana, d’apprendre leurs chants, de les faire descendre,
éclatants de beauté et d’ornements, pour danser sur des miroirs.
C’est également au chaman de construire la maison suspendue dans
la poitrine du ciel où ses esprits, les plus nombreux possibles,
fixeront résidence. Ils lui apprendront, dit Davi Kopenawa, à
« penser droit ». Grâce à eux, il saura distinguer la véritable image
(une notion qui par bien des aspects s’apparente à l’idée d’essence)
derrière les apparences trompeuses  ; les chants des esprits feront
croître sa pensée. Des effets pragmatiques s’ensuivront  : il pourra
soigner les membres malades de sa famille  ; il pourra appeler le
gibier  ; il saura parler avec vigueur et agilité. Mais au delà de ces
compétences immédiates, quoiqu’en rapport direct avec elles, il
pourra aussi courir le monde invisible ou lointain, en dresser la
cartographie, connaître du pays et parcourir le cosmos. Le chaman
Yanomami est donc dans une large mesure un explorateur. Non
seulement il pense droit, mais il pense loin, il pense dans toutes les
directions. Tandis que les autres Yanomami ne connaissent que leurs
petites vies quotidiennes, qu’ils ne rêvent que de choses proches et
connues, le chaman ouvre des horizons beaucoup plus vastes.
L’instrument de ces explorations, c’est d’abord son propre corps
soumis aux effets de la poudre yãkoana et les visions qu’elle produit,
mais ce sont aussi, de façon très importante, ses rêves. Aux visions
diurnes succèdent les rêves qui, écrit Bruce Albert, sont colonisés
par l’initiation et le travail chamanique. Rêves et visions permettent
enfin « d’accéder aux temps mythiques qui continuent à se dérouler
immuablement, dans un éternel présent des origines, à titre de
dimension parallèle du temps historique 20  ». Davi Kopenawa parle à
plusieurs reprises de ce qu’il traduit en portugais comme ses
«  études  », et on comprend que le chaman est avant tout un
chercheur, un chercheur aux ambitions démesurées peut-être, mais
un chercheur quand même. Ce qui frappe dans le système
Yanomami, comme dans plusieurs autres systèmes chamaniques
étudiés 21 , c’est que si la méthode et les grandes lignes d’une
ontologie sont transmises, en revanche le contenu de ce savoir,
pourtant si durement acquis, ne se transmet pas. Chaque chaman
doit recommencer sa quête. Chaque chaman construit son univers.
La recherche semble ainsi être elle-même sa propre fin  : elle est
d’ailleurs porteuse d’une valeur suprême, cosmique. Sans le chaman
et ses études, les esprits mourraient et le ciel écraserait la Terre.
57 La comparaison sommaire à laquelle je viens de me livrer entre des
sociétés amazoniennes voisines n’était destinée qu’à mettre en relief
quelques différences dans ce que j’ai appelé leurs « grands objets de
savoir  », dans la valeur qui leur est attribuée et dans les formes
d’acquisition et de transmission impliquées. C’est là une facette
parmi bien d’autres de ce que l’on peut appeler des régimes de
savoir. Le statut et la nature des savoirs, ce qu’ils sont, leurs genres
et leurs espèces, leur hiérarchie  ; leurs formes d’attribution et de
validation  ; les droits et les devoirs qui les ordonnent  ; leurs
conditions d’accès, de transmission, de circulation et de mémoire  ;
tout cela et bien davantage caractérise un régime de savoir
particulier et assure son fonctionnement. C’est ce régime, s’il est
robuste, qui préside aux emprunts qui ne cessent d’advenir  ; qui
permet, sans bouleversement majeur, l’incorporation de techniques,
d’instruments, de médicaments et de toutes sortes de nouveautés
venues d’ailleurs. Mais c’est aussi dans son cadre et grâce à lui que
des découvertes et des innovations se produisent.
58 Autant dire qu’il est important d’assurer leur sauvegarde, de les
laisser poursuivre leur propre devenir, tout en ne les isolant pas.
Comment faire  ? Là est toute la question. Il faut commencer par
essayer de les connaître et bien des anthropologues s’en soucient. Il
va de soi que l’accès au territoire est essentiel. Mais il y a sans doute
davantage et je me départirai pendant quelques instants de ma
prudence pour dire quelques mots sur la formation des savoirs
autres.
59 Philippe Descola a repris et donné une nouvelle portée à une piste
suggérée par Lévi-Strauss et qui remonte à Kant. On se souvient
qu’entre les concepts et la perception (ou sensibilité), Kant a été en
quelque sorte obligé d’introduire des médiateurs, qu’il a appelés les
schèmes transcendantaux 22 . Descola en fait ce qu’il nomme, dans
une perspective matérialiste, les «  schèmes de la pratique  » et les
définit comme « des structures cognitives génératrices d’inférences,
dotées d’un haut degré d’abstraction, […] et qui assurent la
compatibilité entre des familles de schèmes spécialisés, tout en
permettant d’en engendrer de nouveaux par induction 23   ». Ces
schèmes se construisent tacitement dans les collectivités dès
l’enfance, facilités par une langue commune, mais à partir
d’expériences semblables. Leur origine est la pratique même, mais
telle qu’elle est culturellement vécue. Une fois construits, ces
schèmes informeront les domaines les plus divers.
60 Je crois que l’on peut avec profit appliquer ces idées aux savoirs. Eux
aussi sont informés par ces schèmes tacites qui dépendent non plus
seulement de l’accès aux ressources du territoire mais de la manière
dont s’organisent les rapports à ces ressources. La mètis refoulée
reprend ici ses droits. C’est dire que l’on ne peut pas, à la manière
des Grecs de l’époque classique, séparer la mètis de l’épistémè, que les
savoir-faire sont source de schèmes qui refont surface dans les
théories.
61 On se souvient que la pensée grecque a donné d’elle-même une
image qui exclut la mètis. Pourtant la mètis est non seulement
omniprésente, mais même hautement valorisée dans le système
religieux grec, comme l’ont montré Marcel Detienne et Jean-Pierre
Vernant. Zeus, Athéna, Héphaïstos, Protée, Prométhée, Ulysse, tous
ces personnages sont pleins de mètis. «  [T]ype d’intelligence et de
pensée engagée dans la pratique  », écrivent-ils, forme de
connaissance, «  elle implique un ensemble complexe, mais très
cohérent, d’attitudes mentales, de comportements intellectuels qui
combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la
feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de
l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement
acquise  ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes,
déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise,
ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux 24 . »
62 On voit que si les schèmes de la pratique sont bien les médiateurs
entre le sensible et le concept, et si l’engagement dans la pratique est
bien leur source, il faudra, pour comprendre la diversité des savoirs
traditionnels, prêter une attention beaucoup plus soutenue à leur
mètis.

***

63 Les ontologies des savoirs autochtones sont pour la plupart


incompatibles les unes avec les autres et certainement avec les
nôtres. Au fond, est-ce bien important  ? Après tout, nous nous
accommodons sans trop nous soucier de résultats également admis
qui demandent cependant à croire à des prémisses fort différentes.
Aujourd’hui en physique, on admet simultanément deux ontologies
toutes deux efficaces du point de vue de leurs résultats, et
cependant, du moins pour l’instant, incompatibles entre elles. L’une
s’applique à un ordre galactique, c’est la relativité générale, l’autre à
un ordre microscopique, c’est la mécanique quantique. Les savoirs
traditionnels, eux aussi, à partir de théories autres que celles de la
science, peuvent aboutir à des résultats vrais.
64 Je plaiderai donc pour la diversité des ontologies et des savoirs. Le
grand Marcel Mauss disait un jour à Meyer Fortes à propos de leurs
différences théoriques que peu importait le filet lancé à la mer, on
pêcherait toujours quelque chose 25 . Que les savoirs autochtones
produisent des résultats, c’est un fait. Qu’ils les produisent à
l’intérieur de systèmes différents de la science, c’en est un autre.
Mais des accords pragmatiques permettent d’accepter des résultats
et des méthodes tout en refusant d’en partager les prémisses 26 . On
sauve ainsi les faits. C’est après tout ce que préconisaient deux
grands philosophes des sciences, Duhem et Quine à sa suite.
65 Il faudrait donc continuer, comme par le passé, à recueillir ces
méthodes et ces résultats sans vouloir nous mêler de réformer ces
systèmes ; d’essayer d’en comprendre les tenants et les aboutissants
et ce, en mettant en place des réseaux qui en fassent des partenaires
et des interlocuteurs de plein droit.
66 Mais il y a plus. C’est en nous frottant à ces formes de pensée autres
que nous pouvons prendre conscience des nos hypothèses tacites, de
ce qui, pour nous, va sans dire, et qui, par cela même, limite ce qui
peut être dit. C’est Georges Canguilhem qui disait  : «  l’épistémè est
l’humus sur lequel ne peuvent pousser que certaines formes de
discours 27   ». Prendre conscience de formes de pensée autres
permet, tout d’un coup, d’inventer, de penser autrement, hors de la
boîte – de multiplier les épistémè. Ainsi, les ethnopharmacologues ne
sont pas simplement à la recherche de nouvelles molécules, mais de
façon beaucoup plus ambitieuse, de modèles inédits d’action
thérapeutique. Je ne parle donc pas nécessairement d’emprunts,
mais du simple effet surprenant, libérateur, de se rendre compte que
l’on n’est pas obligé de penser dans les termes déjà donnés : c’est par
la levée d’un seul des postulats d’Euclide que Lobatchevski et Bolayi
ont pu penser autrement la géométrie. Riemann a mené beaucoup
plus avant l’imagination et a pensé une multiplicité illimitée
d’espaces possibles. Que la notation binaire de Leibniz, aujourd’hui si
importante, ait été véritablement inspirée par la Chine ou bien
qu’elle s’y soit reconnue, importe moins que le fait exemplaire d’un
savant qui a su s’enquérir de la différence de pensée et la prendre au
sérieux. De même, nous savons à présent, et on le doit à d’éminents
anthropologues spécialistes de l’Amazonie, que la notion de nature,
centrale pour nous, n’est pas universelle. Tout d’un coup, d’autres
mondes sont possibles.

NOTES
1. www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml
2. Une première réunion s’est tenue à Mexico du 19 au 21 juillet 2011 ; elle était centrée sur
les thèmes de la vulnérabilité au changement climatique et à son adaptation face aux
savoirs et aux techniques des populations traditionnelles. La seconde réunion s’est tenue du
26 au 28 mars 2012 à Cairns, en Australie  ; elle était surtout consacrée aux techniques
traditionnelles de mitigation des effets du changement climatique.
3. Ce thème a fait l’objet d’une attention particulière lors du séminaire «  Hommage à La
Pensée sauvage. Nature et apports des savoirs autochtones » organisé au Collège de France
les 14 et 15 mai 2012.
4. Miguel A.  Altieri et Laura C. Merrick, «  In-situ conservation of crop genetic resources
through maintenance of traditional farming systems », Economic Botany, 1987, vol. 41, no 1,
p. 86-96.
Miguel A.  Altieri, «  The ecological role of biodiversity in agroecosystems  », Agriculture,
Ecosystems and Environment, 1999, no 74, p. 19-31
5. Alan L.  Harvey, «  Natural products and drug discovery  », Drug Discovery Today , 2008,
vol. 13, n os  19-20, p. 894-901.
6.David J. Newman, Gordon M. Cragg et Kenneth M. Snader, « Natural products as sources of
new drugs over the period 1981-2002  », Journal of Natural Products, 2003, vol.  66, no  7,
p. 1022-1037, DOI : 10.1021/np030096l.
Jesse W-H. Li et John C. Vederas, « Drug discovery and natural products : end of an era or an
endless frontier ?, Science, 2009, vol. 325, p. 161-165, DOI : 10.1126/science.1168243.
7. Natália Dias da Costa Alves et al. , «  Avaliação da adequação técnica de indústrias de
medicamentos fitoterápicos e oficinais do Estado do Rio de Janeiro », Ciência & Saúde Coletiva
, 2008, vol. 13 (suppl.), p. 745-753, DOI  : 10.1590/S1413-81232008000700025
8. David Vivas-Eugui, Bridging the Gap on Intellectual Property and Genetic Resources in WIPO ’ s
Intergovernmental Committee (IGC) , ICTSD Programme on Innovation, Technology and
Intellectual Property, n o   34, Genève, International Centre for Trade and Sustainable
Development, 2012, p. 10 : http://ictsd.org/i/publications/124403
9. Cf. Kurt Gödel et son article «  Über formal unentscheidbare Sätze der Principia
Mathematica und verwandter Systeme » [Sur les propositions formellement indécidables des
Principia Mathematica et des systèmes apparentés], Monatshefte für Mathematik und Physik,
1931, no 38, p. 173-198.
10. Edward E.  Evans-Pritchard, Witchcraft, Oracles and Magic among the Azande, Oxford
University Press, 1937 ; trad. française : Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, Gallimard,
1972.
11. Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1962], Paris, Flammarion, coll.
« Champs », 1999.
12. Jean-Pierre Vernant, « Remarques sur les formes et les limites de la pensée technique
chez les Grecs », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1957, vol. 10, no 3, p. 205-
225, DOI : 10.3406/rhs.1957.3609.
13. «  […] ce que le grec appelle ἐμπειρἰα [empeiria], expérience, qui n’est pas
expérimentation ni pensée expérimentale, mais savoir pratique obtenu par tâtonnements. »
(J.-P. Vernant, ibid., p. 212-213).
14. Platon, Philèbe, 55 e ; Théétète, 176 с, cité par J.-P. Vernant, ibid. p. 220, note 2.
15. J.-P. Vernant, ibid., p. 220-221.
16. Stephen Hugh-Jones, « Patrimonialisation. Entre image et écrit », conférence prononcée
en anglais lors du séminaire ERSIPAL le 20 mars 2009 (www.iheal.univ-paris3.fr).
17. Federação das Organizações Indígenas do Rio Negro (FOIRN).
18. Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (IPHAN).
19. Davi Kopenawa et Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, Plon, coll.
« Terre humaine », 2010.
20.Ibid., p. 685.
21. Voir par exemple  : Jean-Pierre Chaumeil, Voir, savoir, pouvoir. Le chamanisme chez les
Yagua de l’Amazonie péruvienne, Georg Éditeur, Genève, 2000.
22. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. d’Alain Renaut, Flammarion, coll. « GF »,
2006, A138/B177, p. 225.
23. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. «  Bibliothèque des
sciences humaines », 2005, p. 153.
24. Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence : la mètis des Grecs, Paris,
Flammarion, 1974, p. 9-10.
25. Meyer Fortes, Religion, Morality and the Person. Essays on Tallensi Religion, introduction de
Jack Goody, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 247.
26. Mauro W. B. de Almeida, « Guerras culturais e relativismo cultural », Revista Brasileira de
Ciências Sociais, 1999, vol. 14, no 41, p. 5-14, DOI : 10.1590/S0102-69091999000300001.
Id., « Relativismo antropológico e objetividade etnográfica », Campos – Revista de Antropologia
Social, 2003, vol. 3, p. 9-30.
27. Georges Canguilhem, «  Mort de l’homme ou épuisement du cogito  ?  », tiré à part de
Critique, juillet 1967, no 242, p. 599-618.

NOTES DE FIN
i. Source   : Convention sur la diversité biologique, Nations unies, 1992  :
http://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf

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