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Recueil Dalloz

Recueil Dalloz 1999 p.150

Responsabilité de l'associé en nom : cession de dettes déguisée en cession de parts sociales

Christine Youego

A l'analyse de l'art. 20 de la loi du 24 juill. 1966, l'opposabilité de la cession des parts sociales d'une société en nom collectif pose
essentiellement des problèmes de formalisme car, d'après ce texte, la cession est opposable aux tiers si elle est notifiée à la société et
publiée au registre du commerce et des sociétés. Pourtant, l'arrêt que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 16 déc.
1997 montre que l'accomplissement de ce formalisme laisse subsister certaines questions de fond, notamment lorsque la prétendue cession
des parts sociales constitue en réalité un acte juridique distinct dont la validité est discutable. Comme, en l'espèce, le juge est appelé à
exercer son pouvoir classique en requalifiant l'acte pour s'assurer de la validité de l'opération.

Dans cette affaire, un fonds de commerce a été donné en location-gérance le 6 févr. 1988 à une société en nom collectif constituée par trois
associés, D..., H..., N..., avec pour gérant l'associé H... Le 31 mars 1989, ce dernier a cédé ses parts sociales à ses coassociés à un franc
symbolique, l'acte de cession prévoyant que « les cessionnaires sont subrogés dans les droits et obligations du cédant relativement aux
parts cédées ». Mais, après cette opération, il a continué à effectuer des commandes pour la société et à utiliser son matériel à des fins
personnelles. Le 30 sept. 1989, la SNC a mis fin à la location-gérance, quitté les lieux et s'est engagée par courrier du 17 octobre à « prendre
toutes les mesures pour régler l'arriéré dû ». N'ayant rien reçu, le créancier a assigné les trois associés en paiement de sa créance.

Invoquant leur engagement dans l'acte de cession, le cédant sollicite la garantie des cessionnaires pour le passif antérieur à la cession tout
en prétendant être totalement étranger au passif social postérieur. Ces prétentions ayant été rejetées par les juges du fond, le cédant se
pourvoit en cassation pour violation des art. 20 de la loi de 1966 et 1134 c. civ. Il estime, d'une part, que l'associé en nom ne peut être
responsable du passif social postérieur à la cession qu'en l'absence de signification et de publicité prévues par l'art. 20 ; et, d'autre part, que
le cessionnaire peut valablement s'engager à supporter le passif social antérieur et auquel le cédant est tenu ; les juges du fond auraient
ainsi violé l'art. 1134 c. civ. en refusant de donner effet à cette stipulation de l'acte de cession.

La Chambre commerciale rejette le pourvoi en rappelant les arguments des juges du fond relativement aux deux caractères du passif social :
ainsi, les juges du fond, après avoir relevé que « H...avait, après la cession de ses parts, continué à effectuer des commandes pour le
compte de la société et à utiliser son matériel à des fins personnelles, et que la cession des parts, pour un prix symbolique, n'avait, en
réalité, porté que sur des dettes, retiennent qu'il ne saurait se soustraire au paiement des dettes sociales ; ayant justifié par le
comportement de H... qu'il continuait à exercer les droits attachés à la propriété des parts sociales en s'immisçant dans le fonctionnement de
la société ». Les juges du fond énoncent ensuite que le cédant n'a pas tenu compte de l'acte de cession et ne pouvait se prévaloir de ses
stipulations.

A la suite de la cour d'appel, la Chambre commerciale condamne le cédant à supporter l'intégralité de la dette sociale. La décision peut
paraître sévère car, en règle générale, le cédant est responsable du passif social antérieur à la cession et non des dettes postérieures.

I - Le cédant, responsable du passif social antérieur à la cession des parts sociales

Avant la réalisation de la cession, c'est-à-dire avant l'accomplissement du formalisme prévu par l'art. 20 de la loi de 1966, le cédant est
encore associé. A ce titre il répond « indéfiniment et solidairement des dettes sociales » (art. 10, al. 1er, de la loi de 1966). La responsabilité
du cédant est donc liée à deux exigences cumulatives, la qualité d'associé et le caractère social de la dette (Cass. com., 4 janv. 1994, Bull.
Joly 1994, § 83, p. 314). Ces conditions sont réunies dans l'arrêt de 1997 car, alors que la cession est intervenue le 31 mars 1989, l'expertise
montre qu'une partie des sommes réclamées par le propriétaire du fonds représente des arriérés de redevance de la location-gérance
antérieurs à cette date. Aucune des parties ne le conteste ; bien au contraire le cédant semble demander aux juges de le condamner
solidairement avec les deux autres coassociés à payer cette dette. Il s'agirait donc d'appliquer purement et simplement l'art. 10 de la loi de
1966. Mais cette affirmation doit être nuancée parce que la demande du cédant est plus complexe. En acceptant la condamnation solidaire, il
sollicite un recours contre les cessionnaires par application de la clause de l'acte de cession par laquelle ces derniers se sont engagés à
prendre à leur charge l'intégralité du passif antérieur. La fraction de la dette antérieure, incombant donc en principe au cédant, fait partie
des « obligations » expressément visées par la stipulation contractuelle invoquée. Dès lors se pose la question de la validité d'une clause
qui, comme en l'espèce, dégage un associé en nom de la responsabilité solidaire et indéfinie prévue par l'art. 10 de la loi de 1966.

Pour le cédant, la validité de cette clause ne fait aucun doute. Aussi soutient-il dans son pourvoi que « le cessionnaire des parts d'une
SNC peut s'engager à supporter le passif antérieur à la cession et auquel est tenu le cédant ». S'il en est ainsi, il croit soutenir avec raison
qu'en refusant d'appliquer cette clause le juge viole le contrat de cession et par conséquent l'art. 1134 c. civ. Mais il convient de noter que
la validité de la clause est liée à sa qualification juridique.

La clause litigieuse déclare subroger les cessionnaires au cédant, pourtant il ne s'agit pas d'une subrogation au sens des art. 1249 s. c. civ. :
la subrogation permet au tiers solvens de se substituer au créancier qu'il paie pour faire valoir ensuite les droits de ce dernier contre le
débiteur. La subrogation est donc nécessairement liée au paiement du créancier ; tel n'est pas le cas en l'espèce puisque l'opération
envisagée par la clause ne permet pas la substitution des cessionnaires au créancier à la suite du désintéressement de ce dernier.

Par sa forme et ses effets, la stipulation contractuelle invoquée par le cédant ressemble à la clause de non-garantie du passif dont la
jurisprudence admet la validité dans les cessions des droits sociaux relatifs à la SARL, aux sociétés par actions et aux sociétés en nom
collectif. Dans un arrêt du 20 juill. 1976 rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (D. 1977, IR p. 448), la cession des parts sociales d'une
SARL était assortie d'une clause de non-garantie par laquelle « les cessionnaires faisaient leur affaire personnelle de toutes charges et
obligations qui pourraient se révéler et grever les parts acquises, de manière que les cédants ne soient jamais recherchés, à quelque titre
que ce soit, à raison de leur qualité d'ex-associés ». La cour d'appel a fait valoir le principe de la relativité des conventions pour admettre
l'application de la clause dans les rapports entre cédants et cessionnaires. Dans l'arrêt de la Chambre commerciale le 18 févr. 1980 (Bull. civ.
IV, n° 86), la cession d'actions de la société anonyme comportait une stipulation qui déchargeait le cédant de toute responsabilité et mettait
à la charge exclusive du coassocié-cessionnaire les conséquences des fautes que le cédant avait pu commettre dans l'exercice de son
mandat social. Poursuivi en paiement du prix de cession, le cessionnaire invoqua la nullité de la vente au motif qu'elle comportait des
dispositions contraires aux règles d'ordre public sur la responsabilité des administrateurs et présidents des sociétés anonymes. L'exception
fut rejetée par les juges du fond et la Chambre commerciale en ces termes : « les accords litigieux étaient relatifs au règlement parfaitement
licite de questions privées entre les signataires, comportant notamment des engagements souscrits dans des conditions déterminées par
A... (le cessionnaire) à l'égard de M... (le cédant) en conséquence de la vente des actions et du désengagement de celui-ci... ». Cette
décision a donc admis la validité de la clause de non-garantie et ses effets entre les signataires. L'arrêt de la Cour d'appel d'Agen du 21 déc.
1988 (Bull. Joly 1989, § 187, p. 188, note B. Saintourens) concerne, quant à lui, la cession des parts d'une SNC avec la clause suivante : « il
est expressément convenu entre les parties, sans que la présente clause puisse préjudicier aux droits des tiers, que les cédants ne donnent
aucune garantie quant au passif qui pourrait se révéler postérieurement à ce jour et relatif au fonctionnement de la société de quelque
nature fiscale ou autre que ce soit, les cessionnaires acceptant d'en faire leur affaire personnelle, la présente cession étant faite à forfait ».
Sur la base de cette clause, la Cour d'appel d'Agen a condamné les cessionnaires à supporter les conséquences des redressements fiscaux
mis à la charge des anciens associés.

Dans l'ensemble, ces décisions suscitent quelques observations. Elles admettent la validité de la clause de non-garantie rédigée dans des
termes proches de ceux de l'arrêt du 16 déc. 1997. Elles appliquent cette clause exclusivement dans les rapports entre cédants et
cessionnaires, et peu importe que les parties aient expressément prévu une telle portée ou non. En d'autres termes, s'agissant de la cession
des parts d'une SNC, le créancier conserve le droit de poursuivre le cédant et/ou ses coassociés, cessionnaires ou non, pour le passif
social antérieur à la cession. La clause de non-garantie protège le cédant dans ses relations avec le cessionnaire qui doit supporter en
dernier lieu tout seul le poids du passif : l'associé-cessionnaire poursuivi par le créancier social ne peut exercer aucun recours contre le
cédant ; par contre, le cédant qui aura payé le créancier social pourra exiger la garantie du cessionnaire en vertu de la clause de non-
garantie stipulée dans l'acte de cession. Les deux procédures de mise en oeuvre de la clause de non-garantie montrent, d'une part, que
dans l'arrêt commenté le cédant avait tout intérêt à faire appliquer la stipulation litigieuse et, d'autre part, qu'il pouvait avoir des raisons
d'invoquer la violation de l'art. 1134 c. civ.

Mais il faut rappeler que l'art. 1134 fait de la convention la loi des parties à condition qu'elle ait été légalement formée. Peut-on affirmer que
la clause visée dans l'arrêt de 1997 se conforme à cette exigence ? Les juges du fond répondent par la négative à l'examen de l'opération de
cession. Leur décision, approuvée par la Chambre commerciale, s'appuie sur deux séries d'éléments : le prix symbolique et surtout le
comportement du cédant.

S'agissant du premier élément, il convient de préciser qu'en principe la cession au franc symbolique est valable si elle a une cause légitime
et en l'absence d'un vice de consentement (C. Freyria, Le prix de vente symbolique, D. 1997, Chron. p. 51 ; B. Garrigues, La contre-
prestation du franc symbolique, RTD civ. 1991, p. 459 ). La décision commentée ne met pas en cause la cession en raison du caractère
symbolique du prix. Elle met l'accent sur ce prix et le comportement du cédant qui « a continué à exercer les droits attachés à la propriété
des parts sociales » ; pourtant l'acte de cession stipulait la transmission des « droits et obligations du cédant relativement aux parts
sociales ». Puisqu'il a continué à exercer les droits, le cédant n'a cédé que les obligations. Les juges concluent à la cession des dettes que
le cédant a réalisée d'autant plus facilement qu'il n'a accepté que le franc symbolique.

Or la cession de dette à titre particulier est interdite (H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Obligations - Théorie générale, 8e éd., 1991,
par F. Chabas, éd. Montchrestien, n° 1277 s. ; P. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, 6e éd., 1995, Cujas, n° 1237 s.). La raison
généralement avancée tient au caractère personnel de la dette. La dette sociale mise à la charge des associés en nom par l'art. 10 de la loi de
1966 présente ce caractère car, comme le reconnaissent la doctrine (M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, 10e éd., 1997, Litec, n°
1462, p. 465 ; J. Delga, Le droit des sociétés, Dalloz, 1998, p. 72) et la jurisprudence, ils « sont personnellement et solidairement tenus,
concurremment avec la société, du passif social ou des engagements de ladite société » (CA Paris, 2 juill. 1993, Bull. Joly 1993, § 303, p.
1046, note J.-J. Daigre). Pour décider de créer des relations juridiques avec la société en nom collectif, le créancier prend en considération la
qualité des débiteurs ; tout se passe comme si l'associé en nom était partie au contrat passé par le tiers créancier et la société. Il ne peut se
libérer qu'en désintéressant le créancier ou en obtenant de lui une remise de dette (P. Le Cannu, note sous Cass. com., 4 janv. 1994, Bull.
Joly 1994, § 83, p. 315). L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 juill. 1993 précité énonce à cet égard qu'« un associé ne peut, par une
cession de ses droits, autorisée par les statuts, même régulièrement publiée, se décharger, sans l'accord des créanciers sociaux, de
l'obligation solidaire lui incombant à raison des dettes antérieures à sa cession ».

Cette solution renforce le crédit au profit de la société ; elle protège le créancier contre le débiteur qui pourrait céder sa dette à son insu, et
à un cessionnaire insolvable (H. et L. Mazeaud, op. cit.). Dans l'arrêt de 1997, la cession de l'obligation solidaire est d'autant plus
dangereuse pour le créancier que les cessionnaires sont eux-mêmes des associés en nom ; l'opération alourdit leur charge vis-à-vis du
créancier social et compromet sérieusement les chances de règlement de tout le passif social antérieur. Les juges, en l'espèce, ont voulu
éviter un tel risque en exigeant du cédant qu'il supporte ce passif en même temps que les dettes postérieures.

II - Le cédant, responsable du passif social postérieur à la cession des parts sociales


En l'espèce, une partie du passif social est née après la cession des parts sociales. En principe, cette cession a pour effet de transférer la
propriété des parts au cessionnaire en mettant fin à la qualité d'associé pour le cédant. La cession détermine ainsi l'importance de la dette à
sa charge ; elle le protège contre les créanciers sociaux postérieurs ; poursuivi par ces derniers, le cédant peut efficacement leur opposer la
cession intervenue dans le respect du formalisme de l'art. 20 de la loi de 1966 (Cass. com., 9 juin 1998, Dalloz Affaires 1998, p. 1407, obs. M.
B. ; 27 janv. 1998 et 16 déc. 1997, 1re espèce, Dalloz Affaires 1998, p. 385, obs. M. B.). Dans l'arrêt, le cédant soutient qu'il a bien procédé à
ce formalisme légal et ne semble pas comprendre la décision des juges du fond de mettre le passif postérieur à la cession à sa charge.

Mais, en écartant les prétentions du demandeur, les juges montrent que le respect du formalisme de l'art. 20 précité ne constitue pas la
seule condition de libération du cédant. Car encore faut-il que la cession soit effective, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, compte tenu du
comportement du cédant après la cession. Il s'est immiscé dans le fonctionnement de la société et n'a pas tenu compte de l'acte de cession
qui, en principe, a mis fin à sa double qualité d'associé et de gérant de la société. Ayant constaté cette situation de fait, les juges du fond
ont décidé de faire supporter le passif social par le cédant en même temps que les autres coassociés car, dans les faits, cette dette est née
alors qu'il fait toujours partie de la société dont il a illégalement assumé les actes de direction.

Ainsi, la présente décision a la particularité d'appliquer à la cession des parts sociales d'une société en nom collectif deux principes
juridiques : d'une part, dans leurs aspects contraignants, les règles de droit saisissent les situations de fait ; d'autre part, toute cession de
dette à titre particulier est interdite, et les juges doivent veiller à ce que cette interdiction ne soit pas contournée par d'autres actes
juridiques.

Mots clés :
SOCIETE * Société en nom collectif * Part sociale * Cession * Cédant * Dette sociale

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