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LA NOUVEAUTÉ D'UN GENRE ANCIEN : LOUIS HENRY ET LA

FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE

Paul-André Rosental

Institut national d'études démographiques | « Population »


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2003/1 Vol. 58 | pages 103 à 136
ISSN 0032-4663
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-population-2003-1-page-103.htm
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La nouveauté d’un genre ancien :
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Louis Henry et la fondation
de la démographie historique

Paul-André ROSENTAL*

À la mémoire de Tamara Hareven.

Il y a un demi-siècle naissait en France la démographie his-


torique, qui allait en peu de temps apporter une moisson formi-
dable de connaissances sur les populations du XVIIe et du
XVIIIe siècles et renouveler des pans entiers de l’histoire sociale.
Parti du souci de comprendre les mécanismes de la reprise de la
fécondité après la guerre, Louis Henry sut, en effet, créer en
quelques années un instrument d’une grande valeur scientifique
dont les éléments constitutifs (problématique, sources, méthodes)
n’étaient pourtant pas entièrement nouveaux.
En s’appuyant sur de nombreuses publications mais
également sur le riche matériau des fonds Louis Henry et
Pierre Depoid, Paul-André ROSENTAL retrace ici le cheminement
intellectuel du démographe et montre comment, aux qualités
intrinsèques du modèle, s’ajoutèrent les conditions spécifiques de
l’époque pour aboutir au formidable succès qu’il obtint auprès
des historiens mais aussi des spécialistes de la population du
monde entier. Pour les premiers, cette nouvelle discipline se pré-
sentait comme un modèle d’histoire scientifique et quantitative,
dans le droit fil des conceptions de l’école des Annales. Pour les
seconds, elle apportait des concepts fondamentaux sur le plan
théorique, notamment en matière de fécondité, en même temps
qu’elle alimentait les débats en cours sur les politiques de popu-
lation à l’adresse des pays peu développés, où les comportements
féconds et leur évolution prenaient une place décisive.
En montrant les liens entre la logique interne du travail de
Louis Henry et les contextes scientifique, institutionnel et poli-
tique, P.-A. ROSENTAL éclaire d’un regard nouveau l’essor d’une
discipline, dont il restera peut-être à expliquer le déclin relatif
aujourd’hui.

* École des hautes études en sciences sociales et Institut national d’études démographiques,
Paris.

Population-F, 58(1), 2003, 103-136


104 P.-A. ROSENTAL

« Il peut sans doute vous paraître bizarre que pour répondre aux deux
questions qui sont l’essentiel de notre sujet : “où sommes-nous”, “où
allons-nous” ? nous répondions d’abord à une troisième : “où étions-
nous hier et avant-hier” ? Cette référence au passé est cependant indis-
pensable car elle seule renseigne sur le lendemain. »
Louis Henry, conférence, 20 mars 1950.
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Dans les décennies d’après-guerre, la démographie historique est
une discipline-phare des sciences sociales. Elle constitue l’une des spéci-
alités les plus « cumulatives » qu’ait connues la science historique. Ses
résultats parfois révolutionnaires, sa capacité à incarner une histoire
« scientifique » et son aptitude à atteindre les masses anonymes chères
aux pionniers de l’école des Annales en font un emblème de la Nouvelle
Histoire. Au début des années 1970, elle s’étend à l’histoire culturelle et à
l’anthropologie historique et se répand dans le monde entier (1).
L’histoire de la discipline est indissociable de celle de son fondateur,
Louis Henry. Dans un précédent article, nous avons étudié les conditions
de son succès auprès de la communauté des historiens (Rosental, 1996).
La question que nous posons aujourd’hui se situe en amont : elle est de
comprendre pourquoi Henry a inventé la démographie historique. Elle
s’entend de deux manières. Par quels biais un démographe en est-il venu à
s’intéresser à l’histoire des populations de l’Europe moderne, et à attirer
l’attention de ses pairs sur ses résultats ? Pourquoi a-t-il réussi, alors que
les innombrables projets précédents d’histoire des populations n’étaient
jamais parvenus à rallier simultanément l’intérêt des historiens et celui des
statisticiens des populations ?
En proposant tout à la fois des problématiques, une source (les
registres paroissiaux), des instruments de travail (les fiches de dépouil-
lement), une méthode, une période de prédilection (les XVIIe et
XVIII e siècles) et une échelle d’analyse (la paroisse), Louis Henry est
indéniablement un inventeur et un fondateur. Pourtant, aucun des éléments
qui composent son modèle n’est à proprement parler inédit. L’histoire des
populations est un genre très ancien. Riche et diverse (Dupâquier, 1984 ;
Mols, 1954), elle a connu un début d’institution dans l’entre-deux-guerres
avec la création en 1928, dans le cadre des congrès internationaux des
sciences historiques, d’une Commission de démographie historique
(Bulletin du Comité international des sciences historiques, 1929, n° 6 ;
Daszynska Golinska, 1930). Elle est pratiquée dans toute l’Europe, depuis
le XIX e siècle au moins, par des érudits locaux qui rédigent des monogra-
phies familiales ou villageoises aux nombreuses implications
démographiques (Goubert, 1956). Pas plus que l’unité d’observation admi-
nistrative (la paroisse) ou temporelle (la durée longue), pas plus que la

(1) Sur l’ensemble de ces points, voir Dupâquier (1984), Le Mée (1995), Rosental (1996),
Sharlin (1977), Saito (1996) et l’introduction de Viazzo (1984). L’engouement prendra fin dans la
décennie suivante. Victime de ses rendements décroissants et du discrédit plus général de l’his-
toire quantitative, la démographie historique est finalement jugée limitée et répétitive : on trou-
vera une première formulation de ces critiques dans Burguière (1974).
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 105

source (les registres paroissiaux), Louis Henry n’a « inventé » l’instru-


ment qui signera sa méthode : la fiche de famille. Ici ou là, des amateurs
entreprennent d’aller au-delà du simple comptage des actes pour centrali-
ser les informations recueillies sur les événements démographiques de la
vie des ménages, voire des lignées (Levron, 1959).
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Certes, la rigueur démographique est l’une des caractéristiques de la
méthode Henry et l’une des conditions de son succès, mais elle-même
n’est pas sans précédent. En 1942, le démographe suédois Hannes
Hyrenius, qui s’intéresse comme Henry à l’analyse microscopique de la
fécondité légitime, parcourt le chemin qu’empruntera le Français dix ans
plus tard vers les registres nominatifs du passé. Mais son travail ne connaît
pas véritablement de suite. Paru pendant la guerre, il porte sur des
paroisses baltes et est rédigé en suédois. Mais surtout, à son époque, ni les
institutions, ni ses problématiques démographiques ne lui confèrent de
réelle pertinence aux yeux des spécialistes (2).
Au milieu des années 1950 au contraire, ces derniers considèrent les
résultats obtenus par Louis Henry sur les populations de l’Europe moderne
comme fondamentaux pour leurs débats théoriques et leur expertise en
matière de politiques de population. Si la force intrinsèque du modèle de
Louis Henry (c’est-à-dire sa cohérence et sa capacité à produire des appli-
cations diversifiées) a été une condition nécessaire à son succès, elle n’a
pas suffi à elle seule. Comprendre la diffusion du modèle Henry nécessite
de reconstituer le cadre qui l’a rendu pertinent aux yeux des démographes
mais aussi à ceux des administrateurs du monde entier.
L’histoire de la démographie historique forme de ce point de vue un
cas d’école. Depuis deux décennies, les études consacrées à l’histoire des
idées démographiques, aux politiques de population et aux institutions
chargées de les mettre en œuvre se sont multipliées. Il importe désormais
d’analyser les relations qu’entretiennent ces trois domaines et la façon
dont ils se construisent simultanément (Szreter, 1993 ; Szreter, 1996). Le
cas Henry s’y prête particulièrement car il constitue a priori un terrain
défavorable à la démonstration : comment concevoir que l’histoire des
populations anciennes ait pu revêtir une telle pertinence à la fois pour la
démographie théorique et pour les applications pratiques de la discipline ?
Il permet aussi de comprendre pourquoi, au cours des années 1950, les
s c i e n c e s d e l a p o p u l a t i o n s e s o n t d e p l u s e n p l u s i d e n t i fi é e s à l a
démographie, alors qu’elles donnaient la part belle, dans l’entre-deux-
guerres, à l’économie, à la biologie et à la statistique.

(2) Un article publié ultérieurement (Hyrenius, 1958), en anglais et dans un contexte plus
favorable, fera rétrospectivement de l’auteur (lui-même un continuateur de la généalogie histo-
rique allemande) un « précurseur ». Voir son analyse dans Terrisse (1975). Henry entre alors en
contact avec le Suédois (Fonds Henry, art. 25, lettre à Hyrenius du 7 janvier 1959), qui sera
ensuite accueilli à l’Ined.
106 P.-A. ROSENTAL

I. Le baby-boom, une énigme coûteuse

1. Une problématique scientifique et politique


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Au moment où Louis Henry entre à l’Ined, en octobre 1946, un an
tout juste après la création de l’institut, sa carrière est éloignée de tout in-
térêt historique. Né en 1911, formé dans les écoles militaires, il a été reçu
à Polytechnique en 1931. Comme beaucoup des élèves des promotions des
années 1930 (Guigueno, 1994), il en sort officier d’active. Versé dans l’ar-
tillerie, prisonnier durant toute la guerre, puis étant brièvement retourné
dans l’armée, c’est en profane de la démographie – ne parlons pas de
l’histoire – qu’il est recruté à l’Ined, par l’entremise de ses camarades
polytechniciens, Jean Bourgeois (3) et, surtout, Paul Vincent. Bien qu’ils
soient ses pairs d’âge, ces derniers ont déjà une expérience de la recherche
démographique, acquise sous l’Occupation dans la petite section qui lui
est consacrée à la Fondation Carrel (4).
Lorsque Vincent puis Bourgeois entament leurs travaux, l’horizon de
travail est, comme dans l’entre-deux-guerres, fondé sur une baisse tendan-
cielle et redoutée de la natalité des nations occidentales. Si Henry s’initie
aux mêmes références théoriques que ses deux camarades (5) , sa réflexion
prend racine dans un tout autre contexte : celui de la remontée mystérieuse
de la natalité, mise en évidence, précisément, par Jean Bourgeois. Au
début, chacun pense qu’il s’agit d’un phénomène temporaire, analogue à
celui qui avait marqué les deux années consécutives à la première guerre
mondiale. Mais après les chiffres élevés des naissances qui, en 1946 et en
1947, ont reçu les honneurs de la presse écrite, la tendance se poursuit en
1948. Henry exprime l’étonnement qui en résulte dans une série de
conférences. Avec son ami Jean Bourgeois, mais contre l’avis d’Alfred
Sauvy (6), il commence à considérer que « la fécondité a subi une augmen-
tation très sensible par rapport à son niveau d’avant-guerre » et se met à en
rechercher l’explication.
Dans les années suivantes, cette euphorie cède souvent la place à
l’incertitude et au tâtonnement. L’année 1949 est de nouveau appréhendée
avec crainte. Les démographes redoutent que le scénario de 1919-1920 ne
soit finalement valable : le rattrapage aurait simplement duré plus

(3) Après son mariage, Jean Bourgeois ajoutera à son nom celui de son épouse et s’appel-
lera désormais Bourgeois-Pichat.
(4) Sur ce réseau polytechnicien, voir Girard (1986, p. 102). Sur la Fondation Carrel et son
équipe « Démographie », voir Drouard (1992) et Rosental (2003).
(5) Au premier rang de leurs ouvrages de référence figurent ceux de Lotka (1934 et 1939)
et, en tant que manuel, le Cours de démographie et de statistique sanitaire de Michel Huber, édité
en plusieurs volumes avant et pendant la guerre.
(6) Son ralliement tardif restera timide (Lévy, 1990, p. 96 sq. et 107 sq.). Pour Lévy
(p. 125), Alfred Sauvy ne reconnaît qu’en 1950 un changement dans les comportements de
fécondité et pense que la hausse de la population restera limitée. Pour une analyse de la discus-
sion sur la réalité statistique du phénomène et son interprétation, voir Néel (1994). Pour une chro-
nologie rétrospective de la reprise de la fécondité pendant la période, voir Desplanques (1988).
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 107

longtemps cette fois, car les séparations des couples auraient été plus
longues. À nouveau, les faits « démentent cette attente plus ou moins for-
mulée […]. Tous quelle que soit leur opinion désireraient connaître les
causes de cet afflux de nouveaux-nés et savoir s’il a des chances de [se]
poursuivre » (7) . L’Occident exsangue, rétif à la procréation, se tourne-t-il
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de nouveau vers la vie ? La question de savoir si la fécondité a réellement
progressé devient pour des années un sujet de polémique. On devine la dif-
ficulté à lui apporter une réponse tranchée, devant les conditions excep-
tionnelles qui ont marqué la guerre et ses suites.

Le fonds Louis Henry


Une partie des matériaux utilisés dans cet article sont issus du fonds d’archives
Louis Henry, conservé au Centre des archives contemporaines de Fontainebleau
(cote 20010307). Sur les 17 cartons qu’il contient, les cinq premiers sont consacrés à la
démographie historique, et couvrent en particulier l’enquête nationale de reconstitution
de la population de la France d’Ancien Régime entamée en 1958. Les cartons 6 à 13
portent sur les principaux domaines d’étude de Louis Henry, qu’il s’agisse des grandes
variables démographiques (fécondité, nuptialité, mortalité), de la démographie des colo-
nies ou des pays en développement, de la génétique, ou des questions sociales. Les
cartons 14 à 17, enfin, documentent la participation de Louis Henry aux commissions
administratives ou scientifiques, ainsi qu’aux sociétés savantes ou aux institutions
internationales. L’archivage de ce fonds, initié par Isabelle Séguy et poursuivi par
Pierre Carouge et Cyrille Chareau, a été l’une des premières étapes d’un plan
d’ensemble concernant toutes les archives de l’Ined. Il est conduit depuis 2001 par un
comité d’archivage associant à des membres de l’Ined des représentants des Archives
nationales et du Centre Quetelet.

Louis Henry est directement exposé à ce suspense démographique


inédit : à partir de juin 1948, il est affecté au calcul des « perspectives de
familles », un sujet qu’il n’abandonnera plus et qui va le conduire à l’his-
toire des populations. Au même moment, Alfred Sauvy lui confie, en alter-
nance avec son ami Bourgeois, la « Situation démographique », un bilan
trimestriel de la conjoncture démographique française qui est publié dans
la revue Population (8) . Il suit ainsi presque en direct l’évolution imprévi-
sible de la courbe des naissances, notamment grâce à l’indicateur com-
mode que constitue le nombre de cartes de grossesse délivrées à Paris.
Que la question préoccupe tant Louis Henry résulte du fonctionne-
ment de l’Ined, chargé de dispenser, notamment auprès du gouvernement,
une véritable intelligence démographique (Rosental, 2003). Sauvy et son
influent Comité technique (équivalent du Conseil scientifique contempo-
rain) privilégient explicitement la recherche « appliquée » par rapport à la

(7) « On attendait donc toujours une baisse du nombre de naissances et nul n’aurait été
étonné qu’elle se produise en 1949 », conférence du 20 mars 1950, Fonds Louis Henry, art. 11.
(8) La rédaction de ce bilan conjoncturel a contribué à la formation de Henry. À ce cher-
cheur encore novice, elle a imposé un format, une liste des caractéristiques jugées pertinentes à la
présentation d’une population. L’analogie entre le plan proposé par Fleury et Henry (1956) aux
historiens pour leurs monographies paroissiales pluriséculaires et celui des notes conjoncturelles
a été notée par Girard (1986, p. 108). On saisit l’ironie d’un modèle d’histoire longue, vanté par
les Annales, dont l’une des racines plonge dans des observations trimestrielles.
108 P.-A. ROSENTAL

recherche « fondamentale » (9) . Aussi, pour Henry, l’enjeu théorique est


simultanément un enjeu de politique publique. De la réalité du baby-boom
dépend la pertinence d’investissements massifs dans des infrastructures
collectives ou privées, écoles et logements notamment. Encore ce lien est-
il moins mécanique qu’on ne pourrait le croire. Conclure à une hausse
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durable de la natalité légitime les dépenses d’investissement, souhaitées
par Louis Henry. Mais en même temps, Henry fait sienne la peur d’une
« réaction malthusienne », qu’il s’agisse de la crainte des Anglo-saxons
face à la croissance de la population dans les régions en développement ou
de l’opposition des « milieux conservateurs » français aux dépenses
qu’occasionnerait un accroissement de la population. Ces craintes sont
exprimées à maintes reprises, au premier chef par le directeur de l’Ined,
Alfred Sauvy, mais aussi par ses chercheurs (10) : l’expertise est ici indisso-
ciable d’une prise de position nataliste, publiquement revendiquée au
nom de l’institut ( 1 1 ) . Henry adhère et contribue à ce combat « anti-
malthusien ». Par des conférences, des articles de presse, des droits de
réponse à des journalistes ou des notes adressées à des hauts fonction-
naires (Fonds Henry, art. 8), il s’efforce de minimiser le lien entre la pous-
sée démographique et les dépenses d’infrastructures.
Dans le cas des allocations familiales, la question prend un tour
paradoxal. Ce système, développé dans les années 1930 puis sous Vichy, et
dont la Libération a encore accentué l’ambition, est le porte-drapeau du
volontarisme démographique français. Mais les chercheurs de l’Ined
redoutent qu’il ne contienne en germe sa propre destruction : conçu pour
une natalité déprimée, il devient une source de dépenses incontrôlables si
la natalité remonte. Le dilemme est cruel, d’un système menacé par sa
propre efficacité. À l’incertitude sur le constat démographique s’ajoute
donc une incertitude sur ses implications financières et, surtout, sur ses
retombées politiques.

(9) Pour des raisons retracées dans (Rosental, 2003). Elles sont liées à l’histoire de l’insti-
tutionnalisation de la démographie en France depuis 1939, date de création du Haut Comité de la
population. De ces années troublées a émergé un petit noyau d’administrateurs (Pierre Laroque,
Jacques Doublet, Emmanuel Rain) ou de grands mandarins scientifiques (Robert Debré, Henri
Laugier) qui sont convaincus que la démographie en tant que science constitue une validation
rationnelle de la pertinence d’une politique nataliste. « Éclairer l’action », selon la célèbre for-
mule de Sauvy, leur paraît un prolongement naturel de la réflexion sur les populations.
(10) Voir par exemple Sauvy (1949b) et de nombreux articles et comptes rendus publiés
dans Population à la fin des années 1940.
(11) Un bon exemple de la position de l’institut est fourni par un article collectivement
signé « Ined », publié en 1956 dans Population sous l’intitulé « La limitation des naissances en
France ». Son objet est d’évaluer les effets sur la natalité d’une libéralisation progressive de la
loi de 1920 sur la publicité et la diffusion des moyens contraceptifs. Sa démarche respecte la pru-
dence scientifique et la réserve institutionnelle, et débouche sur une attitude favorable à un assou-
plissement de la loi. En même temps, il prend à maintes reprises comme acquis le fait qu’une
biasse des naissances ou du taux de renouvellement de la population serait une évolution néfaste.
Les auteurs de l’article sont Alfred Sauvy, Alain Girard, Paul Vincent, Louis Henry et Jean Sutter,
selon une note d’Alfred Sauvy du 19 mars 1956. Le directeur y suggère que les chercheurs de
l’institut en désaccord avec l’article disposent d’une page dans la revue pour s’exprimer sous leur
nom, en évitant « des vues religieuses ou de pure morale » (Fonds Henry, art. 8). Aucun n’en ex-
primera le souhait.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 109

2. De la prévision à l’histoire
La prévision, dans ce contexte, revêt un caractère stratégique. Tant
les « fluctuations erratiques des taux brut et net de reproduction depuis dix
ans » (Clark, 1949) que l’apparition de nouveaux outils d’analyse frag-
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mentent les perceptions de la conjoncture démographique et désorientent
les démographes. L’immédiat après-guerre marque un retournement com-
plet par rapport au premier âge des prévisions démographiques. Depuis les
années 1920, les spécialistes de la population mettent plutôt l’accent sur la
prévisibilité des phénomènes et prolongent dans le temps les tendances
démographiques du moment (Hajnal, 1947b). En France, le pionnier
qu’est Alfred Sauvy redoute même l’effet pervers lié à l’inertie des phéno-
mènes de population : pourquoi les gouvernants financeraient-ils des poli-
tiques de population qui ne pourraient avoir d’effet que sur le très long
terme (Sauvy, 1928, 1929 et 1932) ?
Les incertitudes qui accompagnent l’inattendu baby-boom mettent à
mal cette confiance. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, des études finan-
cées à prix d’or pendant la guerre ont pris pour point de départ indiscuté la
poursuite de la tendance dépressive des années 1930 (Notestein, 1944). À
peine leurs premiers résultats sont-ils diffusés que s’impose l’évidence de
la remontée de la natalité. Ce traumatisme (Henry, 1966) s’accompagne
d’un certain déniaisement : beaucoup de démographes reconnaissent que
les commanditaires sont plus à la recherche d’une légitimation scientifique
de leurs projets que de repères pour une politique éclairée (Cox, 1954). Le
démographe le plus acerbe dans l’autocritique est le Britannique
John Hajnal qui, après avoir attaqué la notion de prévision démographique
au Congrès de Rome de 1954, met en cause l’utilité même de la profes-
sion. Comment en justifier l’existence, si les techniques sophistiquées de
décomposition analytique des phénomènes démographiques ne font pas
mieux, en matière de prévision, que les outils rudimentaires de l’entre-
deux-guerres (Benjamin et al., 1955 ; Henry, 1966) ? Les prévisions des
démographes, considère Hajnal, sont dénuées de valeur scientifique. Tout
au plus sont-elles susceptibles, en appuyant les politiques de population,
d’avoir des effets auto-réalisateurs.
Au milieu des années 1950, Louis Henry entretient une correspon-
dance avec John Hajnal. Dans une lettre du 29 décembre 1955, il plaide
explicitement en faveur de la science démographique comme éclaireuse
indispensable de l’action. Lui aussi a pourtant tiré les leçons de la surprise
du baby-boom et de la volatilité qui a marqué les deux décennies précé-
dentes. Henry est simplement plus « constructif » que son interlocuteur en
tolérant, avec prudence, les anticipations de très court terme prolongeant
les tendances du moment (12) . Il les fonde non sur la théorie mais sur

(12) « Les perspectives gardent un certain caractère prévisionnel » seulement dans une
période « relativement courte » (lettre du 18 février 1955 de Louis Henry à F. Closon, directeur
général de l’Insee, Fonds Henry, art. 17).
110 P.-A. ROSENTAL

« l’empirisme », dans l’un des très rares écrits où affleure explicitement


son expérience d’officier d’artillerie.
Hajnal lui oppose une position totalement sceptique (13). Pourtant, au-
delà de leurs divergences, l’essentiel est que pour les deux hommes, le
c a r a c t è r e fa i l l i b l e d e l a p r é v i s i o n r é é va l u e l a c o m p r é h e n s i o n d e s
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phénomènes passés, la principale difficulté étant de convaincre de leur im-
p o r t a n c e d e s fi n a n c e u r s a bu s é s p a r u n e c o n c e p t i o n t r o m p e u s e d e
« l’efficacité » (14). Hajnal (1955) affirme publiquement que l’une des rares
bonnes manières de prétendre parler de l’avenir est d’étudier le passé. De
même, le leitmotiv des nombreuses conférences sur la situation
démographique de la France que donne Louis Henry à des non-
spécialistes (15) est la référence au passé. Cette réponse à des interlocuteurs
avides de prévision est la première racine de l’intérêt de Henry pour la
démographie ancienne.

3. L’introduction de la nuptialité
Dans l’entre-deux-guerres, la majorité des auteurs traitent la
fécondité de chaque pays comme un tout. Se débarrasser des biais liés aux
structures d’âge, articuler la fécondité dans une théorie cinématique glo-
bale de la population, comme l’a fait Alfred Lotka, ont absorbé les éner-
gies. Rares sont ceux qui se sont préoccupés de distinguer la fécondité
« légitime » de la fécondité « illégitime », les naissances hors mariage
étant de toute façon très minoritaires dans les pays occidentaux. Les
méthodes qu’ils ont proposées prennent une tout autre actualité à la fin de
la deuxième guerre mondiale (16).
Dans un article qui reçoit un grand écho, Hajnal (1947b) montre en
effet que dans plusieurs pays, la remontée de la natalité va de pair avec
une hausse du nombre des mariages. Ce mouvement accroît
mécaniquement la proportion des jeunes couples au sein de l’ensemble des

(13) Dans sa lettre à Hajnal, Henry qualifie les prévisions d’« essentiellement empiriques
comme l’est l’extrapolation du chasseur ou celle de l’artilleur antiaérien ». Il compte sur l’expé-
rience pour en améliorer la portée. La réponse de Hajnal est datée du 25 janvier 1956.
(14) Dans sa lettre du 29 décembre 1955 à Hajnal, Louis Henry affirme que l’expérience
des phénomènes démographiques « ne pouvant résulter que de l’étude du passé, je crois, comme
vous, qu’il faut consacrer plus de temps à cette étude qu’à des calculs perspectifs ou prévision-
nels compliqués. Je ne suis pourtant pas sûr que ces longues recherches, apparemment gratuites,
soient toujours bien vues ; le souci de la rentabilité reste très fort et je crains que le désir d’une
apparente efficacité immédiate ne fasse souvent préférer une débauche de calculs, présumés pré-
cis, à une lente élaboration de méthodes susceptibles d’améliorer, mais ultérieurement, l’effica-
cité réelle ».
(15) Ces conférences sont dignes d’intérêt parce qu’elles explicitent des hypothèses,
des concepts ou des méthodes qui, dans les textes scientifiques publiés par l’auteur, vont de soi.
Louis Henry, comme orateur, est également amené à énoncer sa conception du métier de
démographe voire ses souhaits pour l’avenir de la population, qu’il tait d’ordinaire dans ses
publications scientifiques.
(16) Voir notamment Wicksell (1937) et sa présentation par Ohlin (1981, 1re éd. 1955, p. 44
sq.). Corrado Gini publie également sur la fécondité légitime (voir par exemple Gini, 1934a et
1934b) ainsi que Pierre Depoid pour la France.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 111

populations mariées. Or, dans ces populations pratiquant la contraception,


les naissances surviennent plutôt durant les premières années de l’union.
Hajnal en conclut que les démographes risquent de confondre deux inter-
prétations différentes de la reprise de la fécondité. La première touche les
mœurs des ménages : le nombre total d’enfants désiré par les couples
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aurait augmenté. Étant donné l’inertie des préférences, cette remontée
pourrait se révéler durable. Une seconde explication minimise au contraire
la portée du phénomène. L’accès plus précoce des couples à la nuptialité
aurait simplement provoqué une anticipation des naissances, et une pro-
gression temporaire des indices du moment (17).
L a n u p t i a l i t é d ev i e n t a i n s i u n é l é m e n t e s s e n t i e l d e l a s c è n e
démographique de l’après-guerre. Cette innovation est considérée au pas-
sage comme une façon de prendre en compte la population masculine dont
l’occultation continue d’agiter les démographes (18) . De même, l’introduc-
tion d’une approche longitudinale donne un nouveau statut analytique à la
question de la contraception. Aux États-Unis, les années 1930 ont été l’oc-
casion de mesurer empiriquement, par une série d’enquêtes financées par
les tenants du birth control, les liens entre la fécondité sociale différen-
tielle et l’usage de la contraception (Kiser, 1971). Après la guerre,
l’idéologie normative du contrôle des naissances et l’observation des pra-
tiques se rejoignent : les démographes mettent l’accent sur l’importance
de la planification, par les couples, de la dimension de leur progéniture
(Hajnal, 1947b). Le glissement sémantique qui, au cours des années 1940,
fait passer du sévère birth control à l’expression plus euphémique de
family planning illustre, dans un cadre plus large que le seul milieu scien-
tifique, cette nouvelle manière de voir (Hartmann, 1997).
La distinction entre les populations supposées pratiquer une contra-
c e p t i o n d e m a s s e e t l e s a u t r e s e n s o r t r e n o u ve l é e . À l ’ é p o q u e , u n
découpage analytique strict oppose en effet ces deux types de populations,
celles où les ménages fixeraient à l’avance leur descendance et celles où la
fécondité ne serait pas consciemment contrôlée (19) . Nous allons retrouver
cette dichotomie tout au long de cet article. On considère au lendemain de
la guerre que les populations contraceptrices ont des objectifs bien établis,
dont l’échéancier seul est soumis à une incertitude (Hajnal, 1947b). En
fonction de la conjoncture économique notamment, les couples atteindront
plus ou moins rapidement leurs objectifs de fécondité (20). La fécondité des
(17) Un même raisonnement est mené pour les États-Unis par Shryock (1950), qui confesse
une erreur de prévision du Bureau of the Census, et par Carr-Saunders et al. (1951) ou Notestein
(1949) à propos du Royaume-Uni.
(18) Pour Henry, « une analyse serrée a montré qu’il n’y avait pas de raison théorique
solide pour considérer la population féminine plutôt qu’une population masculine » (Fonds Louis
Henry, art. 11, p. 10). Cette réflexion est fréquente depuis l’entre-deux-guerres (Lotka, 1939,
p. 89 ; Hajnal, 1947a).
(19) Dans un ménage qui pratique la contraception, « ce n’est ni l’âge ni la durée du
mariage qui intervient, mais seulement le nombre d’enfants déjà nés » (Henry, 1954b, p. 9).
(20) L’entre-deux-guerres a connu un intérêt marqué pour les relations entre nuptialité et
cycles économiques. Voir Thomas (1925) ainsi que Glass (1937) et l’analyse de Ohlin (1981,
1re éd. 1955).
112 P.-A. ROSENTAL

populations supposées ne pas pratiquer la contraception suit quant à elle


des lois qui lui sont propres. Dans une période où s’esquisse le souci de
réguler la croissance démographique des régions pauvres de la planète, la
théorie démographique vient légitimer une division entre l’étude de la
fécondité des pays industrialisés et celle des pays en développement (21).
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4. Micro-histoire des familles et macro-
évolutions démographiques
L’accent mis sur la fécondité légitime ainsi que l’opposition entre
populations pratiquant ou non la contraception structurent quelques
années plus tard le modèle de démographie historique proposé par Louis
Henry. Mais son objet même, l’analyse microscopique des comportements
de fécondité des ménages, trouve aussi sa racine dans les débats théo-
riques issus du baby-boom.
Dans son article de 1947, l’une des cibles de Hajnal est l’interpréta-
tion de la remontée spectaculaire de la fécondité allemande durant les pre-
mières années du nazisme. L’importance politique du sujet révèle les
limites des indicateurs « macroscopiques » utilisés par les démographes
de l’entre-deux-guerres. Hajnal, au nom d’une posture rationaliste, consi-
dère que les données démographiques agrégées et les taux de fécondité ou
de reproduction que l’on peut en tirer sont trop imprécis : leur utilisation
laisse une marge excessive à l’interprétation libre, et donc à l’idéologie.
Le démographe britannique leur préfère une approche « microscopique »
qui plonge directement dans les comportements des ménages. La fécondité
allemande a-t-elle changé en 1933 et, dans l’affirmative, ce résultat est-il
spécifique au nazisme ? Le savoir imposerait de déterminer si, à durée de
mariage équivalente, les couples allemands du milieu des années 1930 ont
procréé davantage que ceux des cohortes précédentes ou des autres pays.
L’absence de données suffisamment détaillées invite le sceptique Hajnal à
réserver la question.
Le raisonnement est exemplaire de la problématique et des méthodes
qui se diffusent après-guerre (Clark, 1949) : la remontée enregistrée par
les indicateurs de la natalité est-elle le fruit d’un biais statistique ou d’une
révolution des mœurs ? Le développement des sondages et l’introduction
de techniques d’échantillonnage dans les procédures d’enquête autorisent
ces investigations (Hyrenius, 1948 ; Shryock, 1950). Mais du fait de leur
coût, elles ne sont pas ouvertes à tous, et beaucoup de démographes de par
le monde restent dépendants des sources statistiques nationales.

(21) Ainsi, les sessions de la Conférence mondiale de la population de Rome en 1954 dis-
tinguent la fécondité dans les pays industrialisés et dans les pays en développement, mais
n’évoquent pas les pays en « transition démographique » (Benjamin et al., 1955, p. 15).
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 113

II. La statistique des familles et ses limites

Dans l’entre-deux-guerres, l’âge de la femme au moment de la nais-


sance de ses enfants est la variable cruciale pour le calcul des taux de
fécondité. Les nouvelles approches s’intéressent de plus en plus à la
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constitution de la descendance des couples (22), et notamment à la durée de
mariage du couple parental (Hajnal, 1947b). Hormis pour les privilégiés
qui disposent des moyens nécessaires à la réalisation d’enquêtes ad
hoc (23) , la seule issue est, comme avant-guerre, de recourir aux annuaires
statistiques publiés par les instituts nationaux voire internationaux. Pour
la France, Louis Henry est dépendant de la « statistique des familles ».
Ces données, tirées des recensements quinquennaux de la population,
portent sur la structure démographique des ménages. Selon les renseigne-
ments demandés lors du recensement, elles indiquent le nombre d’enfants
vivants voire le nombre total d’enfants nés, l’âge des enfants (en continu
ou par tranches d’âges) et l’âge des époux. Ces informations requièrent
souvent une exploitation statistique particulière par la SGF (24), notamment
lorsqu’il s’agit de mettre en rapport les caractéristiques de la descendance
(nombre d’enfants, éventuellement structure d’âge) avec l’âge ou la pro-
fession des époux. Le coût du recueil et du traitement de ces données est
élevé, et leur production nécessite l’accord du ministère des Finances. La
statistique des familles ne répond pourtant pas seulement à une curiosité
scientifique. Il semble qu’elle soit dressée pour la première fois en 1886,
en raison de la préoccupation sur le niveau de la natalité française
(Landry, 1945, p. 160). Dans les premières décennies du XX e siècle, le
lien avec l’eugénisme est un autre fondement de la statistique des
familles : mesurer la fécondité des différents groupes sociaux répond à
l’inquiétude de voir les classes « douées » se reproduire moins vite que les
classes « dysgéniques » (25).
Plus prosaïquement, ce sont en premier lieu les interrogations du
moment sur la politique sociale qui sont déterminantes. À partir des
années 1920, le développement des allocations familiales, organisées par
secteurs d’activité et statuts professionnels, redonne vigueur à la question
de la fécondité des groupes sociaux. Les Finances s’intéressent moins à la
fécondité qu’au nombre des enfants à charge. Cette préoccupation éloigne
le découpage des classes d’âges de toute considération démographique :

(22) Que l’on appelait dans l’entre-deux-guerres « la productivité des mariages ».


Cf. Huber (1939, p. 106-126) ou Landry (1945, p. 360 sq.).
(23) Tels les auteurs de « l’enquête d’Indianapolis » aux États-Unis (Kiser et Whelpton,
1949 ; Kiser et Whelpton, 1953), ou du Family Census de 1946 au Royaume-Uni (Glass et
Grebenik, 1954). Témoin de ce relatif dénuement, Louis Henry envisage vers 1953 de rechercher
les observations de Raymond Pearl sur la fécondité des couples récemment mariés avant d’y
renoncer car elles semblent biaisées (Fonds Henry, art. 17).
(24) Statistique générale de la France.
(25) Ce lien est développé par Lucien March (1859-1933), directeur de la SGF jusqu’en
1920 (Desrosières, 1985 ; Thévenot, 1990 ; Carol, 1995). Il est réactualisé sous l’Occupation au
sein de la Fondation Carrel, dont le Régent s’intéresse au sujet (Rosental, 2003).
114 P.-A. ROSENTAL

Louis Henry en sera encore victime après la guerre (26). Un autre problème
semble avoir été, au moins durant l’entre-deux-guerres, une sous-
déclaration endémique du nombre d’enfants (Henry, 1953d).
Après-guerre, ni la création de l’Ined, ni l’expansion de la SGF
devenue l’Insee ne permettent de surmonter tous les obstacles des
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décennies précédentes (27) . L’une des sources de ressentiment de l’Ined
envers l’Insee est sa difficulté à peser sur les informations demandées lors
du recensement ou à obtenir des enquêtes spécifiques (Rosental, 2003). Le
problème se pose également à l’étranger ainsi qu’à l’échelle des organisa-
tions internationales. Les contraintes de coût voire de clarté des publica-
tions créent une tension structurelle entre la logique des instituts
statistiques et les besoins des démographes, lesquels sont accrus par la
sophistication récente des outils de leur discipline.
On ne peut comprendre le cheminement intellectuel de Louis Henry
vers l’histoire des populations sans évoquer cette pénurie frustrante de
données (28). Il essaye d’abord de s’accommoder de la statistique française
des familles. Tout en jonglant audacieusement avec les données de
fécondité issues de la gestion des allocations familiales (Henry, 1953d), et
en essuyant, via Alfred Sauvy, les rebuffades de l’Insee, Henry entreprend
un tour du monde virtuel dans les annuaires statistiques. C’est dans les
annuaires tchécoslovaques qu’il trouve les seules données disponibles sur
les naissances légitimes par rang et les intervalles intergénésiques (Henry,
1951). De la statistique norvégienne, il utilise la répartition des naissances
vivantes légitimes par rang de naissance de l’enfant (29) . Alors qu’à l’aube
des années 1950 il n’a encore jamais voyagé hors d’Europe, il trouve des
matériaux d’étude dans les annuaires statistiques australiens et même
japonais (Henry, 1953b, 1954a et 1954b), en s’efforçant à maintes reprises
d’exercer une pression sur les producteurs de données (30).
Il est possible que ces investigations aient amené Louis Henry à inté-
rioriser une démarche qui renforcera son intérêt pour la démographie
historique : intégrer l’espace et le temps dans un continuum autorisant les
comparaisons de toute nature (voir infra). Il reste que ces solutions
comparatives sont pour l’heure des pis-aller. Elles ne permettent chaque
fois de travailler que sur un aspect particulier de la fécondité, mais pas sur

(26) Même s’il note une amélioration dans un article significativement consacré à la statis-
tique des familles (Henry, 1953d). Sur le contenu détaillé de la statistique des familles selon les
années, voir Depoid (1943, p. 159-162) ; Bunle (1937) ; Huber (1939, p. 106-126).
(27) « C’est surtout lorsqu’on envisage telle ou telle modification de la législation que se
font sentir, d’une manière aiguë, le besoin de renseignements convenables et les lacunes des sta-
tistiques existantes » (Henry, 1953d, p. 473). Henry (1951, p. 428) dresse la liste des données
manquant en France pour l’application de l’analyse démographique.
(28) Au même moment, Hyrenius (1948, p. 291) arrive à une conclusion identique après
avoir recensé les pays où les renseignements sur la fécondité des ménages sont disponibles.
(29) Lettre du 26 septembre 1953 de Louis Henry au Service central des statistiques norvé-
gien, où il demande certaines précisions sur les annuaires à paraître.
(30) Lettre du 31 août 1953 de Louis Henry au Directeur de la Division statistique de
l’Onu, P.J. Loftus, sur la disparition du tableau des naissances vivantes selon le rang après l’an-
nuaire démographique de 1949-1950.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 115

la notion dans son ensemble. Or, Henry a commencé à développer sa


propre approche en s’intéressant notamment à la « probabilité d’agrandis-
sement des ménages ».
La méthode, qui vise à « réduire autant qu’il est possible les pertur-
bations de l’après-guerre », saisit l’importance du rang de naissance dans
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la constitution de la fécondité. Elle fournit des mesures plus rapides des
changements de natalité. Au début des années 1950, Louis Henry est en
mesure d’identifier précisément des différences de comportement par rap-
port aux ménages des années 1930. Comme certains démographes étran-
gers, il en déduit que la relance de la fécondité française est durable (31). Si
les probabilités d’agrandissement contribuent ainsi au débat international
sur la réalité du baby-boom, elles répondent aussi à une finalité pratique :
mieux prévoir le coût des allocations qui seront versées aux ménages
– comme dans l’entre-deux-guerres, celles-ci ne sont pas proportionnelles
au nombre d’enfants. Il reste que la méthode vise surtout à contourner les
limites des sources statistiques de l’époque. Pour aller plus loin dans
l’analyse de la fécondité, Louis Henry va se plonger dans l’histoire des
populations de l’Europe moderne.

III. Un nécessaire étalonnage

Les probabilités d’agrandissement sont un indicateur commode mais


relatif : elles permettent de comparer une nation ou une époque à une
autre, mais pas d’établir un jugement absolu sur les comportements de
fécondité. Le besoin d’un étalonnage se fait sentir mais soulève deux pro-
blèmes. Le premier est d’ordre théorique : par rapport à quelle situation
« pure » doit-on raisonner ? Henry y répond à l’aide du concept de
« fécondité naturelle », censé désigner la capacité procréatrice des couples
qui ne pratiquent pas la contraception. La deuxième difficulté est d’ordre
empirique : comment mesurer la « fécondité naturelle » ? Les populations
des régions en développement, supposées ne pas pratiquer la contracep-
tion, sont généralement mal connues d’un point de vue statistique. L’idée
est tentante de se tourner vers les populations anciennes, celles qui
vivaient avant la « transition démographique ». Mais vers 1945, on consi-
dère que les comportements de cette ère « pré-statistique » ne seront ja-
mais mesurables. L’apport de Louis Henry est de sortir de cette impasse
théorique et archivistique et, du même coup, de promouvoir l’histoire
comme outil d’expertise démographique.

(31) Cependant, c’est seulement en 1954 que Louis Henry jugera indiscutable l’idée d’un
changement durable de la fécondité (lettre de Henry à Jean Bourgeois du 6 mars 1954). Le bilan
de la Conférence mondiale de 1954 montre qu’à cette date la question n’est pas tranchée. Voir le
Bulletin international des sciences sociales, 1954, n˚ 6, p. 769 ou les débats entre Eugene
Grebenik et Colin Clark dans Benjamin et al. (1955).
116 P.-A. ROSENTAL

1. L’impossible mesure de la fécondité naturelle


Pour Henry, les composantes « pures » de la fécondité sont au pre-
mier chef physiologiques, comme la propension des femmes à procréer
pendant un cycle menstruel. Mais d’autres composantes sont sociales ou
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culturelles, à commencer par les pratiques d’allaitement. Avec de très
fortes variations individuelles, elles conditionnent le rythme de retour des
mères à une nouvelle phase de fécondité. Cet ensemble porte le nom de
fécondité naturelle (32). L’étiquette est trompeuse, car il s’agit d’une notion
à la fois biologisante et culturaliste (33).
Pa r m i l e s fa c t e u r s q u e H e n r y n o m m e « p h y s i o l o g i q u e s » , l a
fécondité naturelle inclut la proportion des ménages stériles, variable
selon l’âge, l’ampleur des phases stériles chez les couples féconds et,
surtout, la « fécondabilité ». Entendue comme la probabilité de concevoir
au cours d’un cycle menstruel (Henry, 1951 et 1952), cette notion émane
de l’influent statisticien et économiste de l’Italie fasciste Corrado Gini,
avec lequel Henry correspond après-guerre (34). Il évoque également – non
sans critiques – le grand biologiste américain Raymond Pearl (Henry,
1953a) (35). À travers la référence à ces deux auteurs, complétée par l’étude
de traités de physiologie (36) , Henry prolonge dans l’après-guerre le cou-
rant démographique le plus proche des sciences naturelles. Son biologisme
sera du reste parfois dénoncé, comme l’avait été celui de Gini (Grauman,
1959). Sans être un eugéniste fervent, Henry n’hésite pas à puiser dans ce
courant scientifique vivace dans l’entre-deux-guerres les notions et outils
qui lui semblent utiles à ses recherches, en ignorant ou en occultant les
enjeux idéologiques qui leur sont liés. Son « pragmatisme » à l’égard de
Gini, dont les positions scientifiques sont remises en cause dans le monde
de l’après-guerre, est de ce point de vue révélateur d’une attitude plus
générale (37).
Simultanément, d’autres déterminants de la « fécondité naturelle »
sont socioculturels ou, si l’on préfère, anthropologiques, comme les pra-
(32) Louis Henry emploie le mot depuis au moins 1950. Il s’en sert dans une conférence
pour qualifier le XVIII e siècle français. Voir « Le problème démographique français », s.d.
[1950], p. 2-3, Fonds Henry.
(33) « L’adjectif “naturel” n’est pas idéal mais nous le préférons à “physiologique” puisque
les facteurs qui affectent la fécondité naturelle ne sont pas seulement physiologiques » (Henry,
1961, p. 81). Sur ce point voir aussi Leridon, 1988, et Caselli, Vallin, Wunsch, 2002, notamment
la partie II.
(34) (Henry, 1952, p. 367) ; (Henry, 1953a, p. 143). Trois lettres au moins entre les deux
hommes contiennent une discussion précise sur d’anciens articles de Gini et les procédures de
calcul de la fécondabilité (lettres de Louis Henry des 26 mars et 10 avril 1952, et réponse de Gini
le 31 mars).
(35) Alors que l’ancien statisticien fasciste s’intéressait aux facteurs biologiques de la
fécondité pour mesurer les capacités biologiques des peuples, Pearl, à la fin de sa carrière, les
prend plutôt en compte pour mesurer par comparaison l’efficacité des pratiques contraceptives,
une problématique fondamentale dans le contexte anglo-saxon des années 1930 à 1950. Cf. Pearl,
1939.
(36) (Henry, 1951, p. 431). Avant lui, Paul Vincent, son maître en démographie, s’était inté-
ressé de près au domaine, notamment pour l’étude des mères de familles nombreuses lauréates du
prix Cognacq-Jay.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 117

tiques d’allaitement ou les « coutumes et tabous » qui affectent le délai de


reprise des rapports sexuels après l’accouchement. Si l’on tenait à adresser
des critiques rétrospectives et quelque peu anachroniques à Henry, il
conviendrait de mettre en avant, au moins autant que son biologisme, sa
conception ultra culturaliste des comportements (38).
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La notion de fécondité naturelle renvoie d’abord à celle de popula-
tions « non malthusiennes », terme sous lequel on désigne encore, dans
l’immédiat après-guerre, les populations censées ne pas pratiquer la contra-
ception. Mais elle vaut aussi pour les populations « malthusiennes », dans
une vision assez rigide propre à l’époque : le couple décidant au départ du
nombre de ses enfants, il commencera par une phase de fécondité naturelle,
puis cessera de procréer une fois atteint le niveau de descendance souhaité.
Dans cette seconde phase, l’efficacité de sa contraception étant imparfaite,
le couple risque de concevoir des enfants non prévus. Au niveau agrégé,
leur répartition dans le temps présentera quelques similarités avec celle des
couples suivant le modèle de la « fécondité naturelle ». Enfin, la référence
à la fécondité naturelle permet d’estimer des phénomènes tels que la pro-
portion de conceptions prénuptiales.
En surmontant la grande coupure analytique de l’époque entre popu-
lations pratiquant ou non la contraception (39) , le concept de fécondité
naturelle se prête, pour Henry, à servir d’étalonnage universel. Dès ses
premiers travaux, relatifs aux populations coloniales, le démographe a
recouru empiriquement à l’idée de continuum spatio-temporel. En s’ap-
puyant chaque fois sur les séries statistiques les plus solides, il est allé
chercher dans le temps ou dans l’espace des populations présentant des
caractéristiques comparables à celle qu’il étudiait, mais mieux docu-
mentées. Ainsi, en identifiant dans l’Espagne de 1880 et l’Italie de 1900

(37) Dans une lettre du 29 octobre 1956 à Frank Lorimer, Louis Henry renvoie à la notion
de probabilité de conception, qui établit le lien entre le concept anglo-saxon de pregnancy rate et
le concept italien de fécondabilité, qu’il reprend à son compte. Pour Henry, leur divergence réside
moins dans leur théorisation que « dans le passage de ce concept aux mesures ; elles me
paraissent avoir été à l’origine des discussions entre Italiens, Gini en particulier, et Américains ;
elles sont restées stériles par manque d’études théoriques suffisamment approfondies ». Sur les
critiques à l’encontre de Gini dans l’entre-deux-guerres, voir Ipsen, 1996, et Rosental, 2003.
(38) L’anthropologie contemporaine a fustigé le fixisme sous-jacent à la notion de
« coutumes » qu’employaient Henry et nombre de ses contemporains (Lorimer, 1954). Ce cultu-
ralisme, de surcroît, homogénéise des aires fort étendues et hétérogènes. Lorsque Henry (1947)
cherche des points de comparaison à la fécondité de l’Afrique du Nord, il se tourne vers la
Palestine au prétexte qu’il s’agit d’un pays musulman. À la fin de 1953, Louis Henry est appelé à
donner à L. Guibourge de l’Union des associations familiales (Unaf) son point de vue sur
« l’influence des allocations familiales sur la population musulmane de l’Algérie ». Pour ce faire,
Henry se réfère à une étude locale menée en Iran en 1950. Il en déduit que les populations algé-
riennes « vivent en régime naturel » et qu’il est donc « absolument vain de croire que les alloca-
tions familiales augmentent la fécondité légitime des femmes musulmanes d’Algérie ». Plus
généralement, Louis Henry tend à attribuer la fécondité des pays en développement à des facteurs
culturels, par opposition à l’économisme réservé aux pays riches.
(39) Henry (1951) s’y réfère pour analyser la fécondité de la Tchécoslovaquie, le seul pays
où il puisse trouver une statistique des naissances légitimes par rang et intervalle intergénésique.
Le démographe compare ses différentes populations régionales entre elles puis avec la France. Il
recherche des constantes dans la distribution des intervalles entre naissances de ces différentes
populations, qui recourent très inégalement à la contraception.
118 P.-A. ROSENTAL

deux courbes de mortalité masculine qui « encadrent » celle de l’Algérie


de 1936 jusqu’aux âges adultes, il s’en sert pour « redresser » la mortalité
algérienne aux âges élevés (Henry, 1947). Utiliser l’histoire comme un
réservoir d’observations comparables aux populations coloniales et en
développement (40) : cette démarche, aux fondements non explicités,
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péchait par le nombre limité d’études statistiques considérées comme
fiables sur les populations anciennes (41).
Il convient de mesurer la force de cette impossibilité. À l’époque,
démographes et historiens distinguent entre populations « statistiques » et
« pré-statistiques » selon que l’on dispose ou non de recensements les
concernant (Rosental, 1996). Dans le cas de la fécondité, cette coupure est
surdéterminée par l’opposition entre populations contraceptrices et non
contraceptrices. Dès le XIX e siècle, les spécialistes des populations sont
conscients qu’il est difficile d’étudier la diffusion de la contraception de
masse, en partie antérieure à l’ère des recensements. Mais cet obstacle
prend un sens nouveau pour la génération de Henry. Les travaux anglo-
saxons, entamés dans les années 1930, ont montré l’effet de la contracep-
tion sur la fécondité sociale différentielle. L’énigme du baby-boom ren-
force encore l’importance donnée aux décisions intimes des ménages.
L’opposition entre les populations pratiquant ou non la contraception
constitue donc, pour les démographes de l’après-guerre, une profonde
césure anthropologique, une « rupture de civilisations » (Chevalier, 1946).
Pour les démographes natalistes, l’intérêt de la question est accentué
par la nostalgie de la grandeur perdue : l’influence de la France serait en
d é c l i n à c a u s e d e l a b a i s s e p r é c o c e d e s a f é c o n d i t é à l a fi n d u
XVIII e siècle, plusieurs décennies avant le reste de l’Europe. De manière
plus personnelle, la correspondance entre Louis Henry et Jean Bourgeois-
Pichat atteste que les deux hommes sont sensibles aux débats inquiets qui,
à l’époque, agitent l’Église et les milieux catholiques sur la contraception.
Or, face à la question cruciale de l’apparition de la contraception, les
démographes peinent à faire remonter la connaissance des populations
anciennes en amont de la période napoléonienne (Bourgeois-Pichat, 1951 ;
Vincent, 1947), l’historien Louis Chevalier faisant même le deuil d’un
savoir solide sur les périodes antérieures au XVIII e siècle (Chevalier,
1946). Le franchissement de cet obstacle est l’un des succès majeurs de
Louis Henry.
(40) Dans une note du 22 octobre 1953, Henry fournit à Alfred Sauvy une estimation de la
démographie des Bantous. Pour la mortalité, il hésite entre celle « du Japon en 1926-1930 ou
celle de l’Inde en 1921-1931 ». Le nombre annuel de naissances vivantes pour 1 000 femmes de
15 à 49 ans serait « du même ordre de grandeur que pour l’Europe balkanique » à la fin du
XIXe siècle.
(41) Cf. l’appréciation de Henry sur Henripin (1954), à propos de la démographie des
Canadiens français au XVIIIe siècle (voir infra) : « J’ai pris pleinement conscience du bond en
arrière qu’avait permis cette étude [au moment] où répondant à un correspondant étranger qui me
demandait des renseignements sur la fécondité en régime naturel ou presque naturel, j’ai cité dans
l’ordre chronologique inverse la Norvège de 1875 et les ménages canadiens français formés de
1700 à 1730. Jusqu’à cette étude il n’y avait donc rien ou à peu près avant 1875 » (Fonds Henry,
art. 11, conférence donnée devant des historiens).
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 119

2. Un passage du Nord-Ouest archivistique


La solution du problème s’esquisse au cours de l’année 1953.
Quelques mois auparavant, l’attention de Louis Henry s’est portée sur un
article retentissant de Goubert (1952), qui propose une exploitation statis-
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tique des registres paroissiaux du Beauvaisis au XVII e siècle (42) . Ces
enregistrements systématiques des mouvements de population (baptêmes,
mariages, sépultures) ont donné lieu à des exploitations anciennes mais
sporadiques par les historiens ou par les érudits locaux. Ils ont fait l’objet
d’un important travail critique de la part des archivistes, transmis dans
l’enseignement de l’École des Chartes (43).
C’est en critiquant l’article de Goubert que Louis Henry pénètre pour
la première fois sur les terres des historiens (Henry, 1953c). Il conçoit une
méthode d’investigation qu’il va rôder sur trois chantiers. Pour pallier
l’absence de statistiques anciennes, Henry compte initialement sur des
documents comme les livres de raison ou les généalogies. L’occasion de
l e s t e s t e r l u i e s t d o n n é e p a r M i c h e l F l e u r y, a r c h iv i s t e - a d j o i n t d u
département de la Seine, qui lui signale des données en cours de rassem-
blement sur le patriciat genevois de l’époque moderne (44) . Parallèlement,
Henry confie à un assistant, Louis d’Adhemar, une étude sur l’intérêt des
matériaux généalogiques pour la démographie historique. Leur avantage
est d’être en quelque sorte « prétraités » : ils donnent instantanément des
indications sur les parcours démographiques des ménages ou des lignées.
En contrepartie, Henry est conscient que ces indications ne sont pas tou-
jours contrôlables, et sont socialement biaisées (45).
L’arrivée à l’Ined d’un jeune stagiaire canadien, Jacques Henripin(46),
sera décisive. Celui-ci exploite les données généalogiques rassemblées au
siècle précédent par l’abbé Tanguay à propos des Canadiens français des
XVII e et XVIII e siècles (Henripin, 1954). Comme elles sont issues des
registres paroissiaux anciens du Québec, en aidant Henripin, Louis Henry
s’assure de la richesse de cette source et de la possibilité de l’exploiter.
Henripin est en mesure de mettre en rapport l’âge de la mère à son mariage

(42) Son auteur est proche de la VI e section de l’École pratique des hautes études, dont il
sera élu directeur d’études en 1955. Cf. Goubert (1996) ; Harding (1983) ; Rosental (1996).
(43) Voir Goubert, 1982, 1re éd. 1960, p. XLVI à LIII. La revue Bibliothèque de l’École des
Chartes a publié plusieurs articles sur le sujet depuis le XIX e siècle (cf. Levron, 1959). Le
Congrès des sociétés savantes avait en 1902 consacré l’une de ses questions aux registres
paroissiaux : les conclusions en étaient connues de Henry, grâce à une recension effectuée par son
assistant d’Adhemar. Le rôle des archivistes dans le développement de la démographie historique
est analysé par Le Mée (1995).
(44) Lettre du 26 octobre 1956 de Louis Henry au genevois Albert Choisy. Cette collabora-
tion débouchera sur un ouvrage (Henry, 1956).
(45) Ainsi, Louis Henry sait que pour Genève, « l’étude de mortalité sera imprécise, mais
bonne pour la fécondité » (lettre du 17 décembre 1955 à J.-M. Lechner). De même, le rapport
d’Adhemar (dont une copie est conservée dans le Fonds Henry) stipule que les généalogies utili-
sables « sont en général limitées aux familles nobles ou marquantes ».
(46) Pour Henry, la première d’« une série d’heureuses rencontres venues modifier mes
idées et attirer mon attention sur les registres paroissiaux » (Fonds Henry, Conférence s.d.,
art. 11).
120 P.-A. ROSENTAL

et à la naissance de ses enfants, d’étudier les intervalles intergénésiques


puis d’analyser leur sensibilité à la mortalité infantile, et même de donner
une évaluation de la « fécondabilité ». En s’appuyant sur ses données,
Henry parvient à réfuter l’hypothèse selon laquelle, en régime non contra-
ceptif, l’espacement entre les naissances était constant, la stérilité venant
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simplement arrêter brutalement la constitution de la descendance. Au
contraire, il observe que cette constance ne vaut que jusqu’à l’antépé-
nultième naissance. L’écart intergénésique s’élève alors légèrement, et ce-
lui qui sépare les deux dernières naissances est beaucoup plus élevé. Les
limitations des publications statistiques contemporaines sont oubliées.
P o u r l a p r e m i è r e f o i s , H e n r y a i d e n t i fi é u n e c a r a c t é r i s t i q u e d e l a
« fécondité naturelle » : il la retrouvera dans des contextes très différents,
ce qui renforce sa confiance dans la pertinence du concept (Henry, 1954a).
L’intérêt porté aux registres paroissiaux est renforcé par la rencontre
de Louis Henry avec Étienne Gautier. Cet « amateur passionné, fonction-
naire au ministère du Commerce de son état, avait passé de nombreuses
vacances à reconstituer patiemment les familles de son village natal » (47) ,
la commune de Crulai en Normandie. Gautier apporte à Henry le résultat
de ses dépouillements, appuyés sur les registres paroissiaux de l’époque
moderne. Leur accessibilité et leur universalité en font des supports pré-
cieux pour une investigation des conditions démographiques de la France
ancienne. Mais ils posent deux séries de problèmes.
Le premier est celui de l’analyse de la source, entamée par Henry dès
son article de 1953. Il est épaulé par de jeunes historiens recrutés tempo-
rairement pour lui à l’Ined, et par Michel Fleury (1923-2002). C’est avec
lui qu’il publiera, en 1956, le manuel qui va donner à la démographie his-
torique sa définition véritable, la monographie sur Crulai en étant la pre-
mière application en grandeur réelle (Fleury et Henry, 1956 ; Gautier et
Henry, 1958). Fleury joue aussi un rôle décisif en mettant en relation
Louis Henry et le réseau des archivistes intéressés par les registres parois-
siaux.
Un second obstacle, plus sérieux, est la lourdeur du dépouillement
des registres paroissiaux. Pour chaque entité géographique considérée
– en pratique, une simple paroisse, tant le recueil des données est
considérable – il convient de saisir sur des fiches tous les actes de baptême,
de mariage et de sépulture durant la période étudiée, avant d’ouvrir, pour
chaque couple marié, une « fiche de famille » (48) . L’application de la
méthode suppose une division du travail où le concepteur, Henry, aura pour
mission de vérifier et exploiter les données recueillies par d’innombrables
collecteurs. Leur formation pose un problème (49) ainsi que l’organisation
du travail, même s’il s’agit probablement de l’un des points forts de
Louis Henry (50). Surtout, la grande difficulté est le recrutement d’une main-

(47) Louis Henry, Conférence s.d., Fonds Henry, art. 11, p. 3.


(48) Henry (1953d, p. 474) justifie l’emploi du terme de « famille » en le préférant à celui
de « ménage » qui signifierait « vivant sous un même toit ».
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 121

d’œuvre suffisante. Trois sources principales sont mobilisées. Des érudits


locaux ayant réalisé de manière « sauvage » des travaux d’histoire des
populations proposent bénévolement leurs services (51) , ainsi que des pro-
fesseurs de collège ou des ecclésiastiques enseignant dans des écoles
privées. En même temps, l’une des forces de la méthode Henry est son
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accessibilité à des non-spécialistes : Louis Henry s’appuie sur des volon-
taires non historiens repérés par les archivistes départementaux (52) ;
Alfred Sauvy et Michel Fleury s’efforcent d’obtenir des directeurs d’écoles
normales qu’ils orientent les élèves-maîtres vers l’étude des registres
paroissiaux pour le mémoire qui clôt leur scolarité. Enfin, Louis Henry se
tourne résolument vers la communauté historienne. La sous-commission de
démographie historique, qui dépend de la section française du Comité
international des sciences historiques, lui sert de relais (53) . En 1954,
Louis Henry diffuse sa méthode auprès des historiens par une série de
conférences. Les universitaires sensibles à son appel aiguillent une partie
de leurs étudiants vers des sujets de démographie historique(54).
Les enseignants délèguent souvent complètement à Henry et à son
équipe le suivi du mémoire de ces étudiants ( 5 5 ) . Non seulement le
démographe, assisté de Valmary, détient le monopole du savoir-faire, mais
l’exploitation mécanographique des fiches dépouillées a lieu à l’Ined. Pour
ces pionniers universitaires de la collaboration avec Henry, on peut parler
de ralliement à un modèle d’histoire scientifique et quantitative, qui donne
une traduction effective aux mots d’ordre de Labrousse ou Braudel. Dans

(49) Mais les fiches de dépouillement et le manuel Fleury-Henry sont conçus pour des non-
spécialistes. Henry et Fleury avaient rédigé une première note destinée à la saisie des fiches au
printemps 1954, grâce aux observations recueillies par ce dernier lors du dépouillement des
registres de Dommartin (lettre de Louis Henry à Marcel Reinhard du 10 mai 1954, Fonds Henry,
art. 26).
(50) Par exemple, les délais de dépouillement sont souvent trop longs pour un mémoire uni-
versitaire d’un an ; il faut établir une gestion prévisionnelle des stocks de fiches, etc. Louis Henry
dispose jusqu’en octobre 1958 d’un assistant, l’historien Pierre Valmary. Michel Fleury avait pour
sa part acquis une expérience de l’organisation du travail collectif lors de son passage aux Archives
de la Seine dans l’immédiat après-guerre. Il avait encadré le classement par des « chômeurs
intellectuels » du gigantesque fonds des dossiers de faillite.
(51) L’abbé Hudry en est un exemple parmi d’autres. Enseignant dans une école privée, se-
crétaire perpétuel de l’académie de la Val d’Isère, il a été informé de la méthode Henry par un
compte rendu de la Revue d’histoire économique et sociale. Ayant tout juste publié une monogra-
phie démographique dans les Mémoires de la société d’histoire locale, il s’adresse le 9 mars 1956
à Alfred Sauvy, après avoir réalisé que sa « méthode n’est pas au point ».
(52) Ainsi, M. Hours des Archives du Rhône a mobilisé pour Louis Henry un ancien tour-
neur, un curé de campagne et un inspecteur de police (lettre du 11 janvier 1955). Il insiste sur la
nécessité d’une méthode claire pour éviter qu’ils ne se découragent.
(53) Siégeant depuis 1953 sous la direction de Louis Chevalier, cette commission regroupe
notamment Marcel Reinhard, André Armengaud et Jean Meuvret. Elle relaiera vers Louis Henry
les offres de service issues d’universitaires, d’étudiants ou de bénévoles.
(54) Outre Marcel Reinhard alors à Caen, c’est notamment le cas de Jacques Godechot et
Frédéric Mauro à Toulouse, d’Étienne Juillard à Nancy, de Portal et Trénard à Lille. Des candida-
tures spontanées parviennent également à Louis Henry, comme celle de Jean Ganiage qui lui écrit
le 12 décembre 1953 de Beauvais. Agrégé d’histoire, détaché au CNRS, il effectue une thèse sur
Tunis et deviendra un partenaire régulier de l’Ined.
(55) Voir la correspondance où Louis Henry et Pierre Valmary donnent à ces étudiants les
consignes pour la préparation de leur mémoire de diplôme d’études supérieures (DES) (Fonds
Henry, art. 26).
122 P.-A. ROSENTAL

les décennies qui suivront, la démographie historique permettra plus


prosaïquement de trouver des sujets inépuisables pour des mémoires de
diplôme d’études supérieures puis de maîtrise (DH, 1980). Dès la fin des
années 1950 en tout cas, des voix s’élèvent dans la communauté histo-
rienne pour dénoncer une méthode tellement lourde et répétitive qu’elle
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prive les étudiants d’une véritable formation à la discipline. Les intéressés
eux-mêmes ne sont pas les derniers à ressentir ces limitations (56).
Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ces réactions ont
poussé Louis Henry à faire entrer la démographie historique dans une
deuxième phase, plus ambitieuse. De 1953 à la fin des années 1950, il
s’agit surtout de tester une méthode et des outils conçus pour la saisie des
informations (57) , ainsi que de glaner des résultats issus de diverses zones
géographiques. Mais en 1958, Henry change d’échelle en exposant dans
Population un programme d’enquête nationale. Il ne s’agit plus d’obtenir
des résultats ayant une valeur démographique générale, mais de recons-
tituer la population française de l’Ancien Régime au moyen d’une enquête
raisonnée et systématique. L’enquête débouchera dix-sept ans plus tard sur
un numéro spécial de la revue Population qui, aujourd’hui encore, est
considéré comme la référence de base sur la démographie de la France à
l’époque moderne (Population, numéro spécial, 1975 ; Dupâquier, 1988,
p. 4 ; Brian, 1994, p. 9-24 ; Séguy, 2001). Pour Henry, l’histoire est deve-
nue un objectif intrinsèque, et la démographie historique, qui est en train
de vaincre les dernières résistances historiennes (58) , s’impose comme un
dominion de la démographie en terre historienne (59).

(56) Lettre du 22 novembre 1954 de Louis Henry à Marcel Reinhard, Fonds Henry, art. 26 ;
lettre de Marcel Reinhard à Louis Henry du 27 octobre 1958. Goubert (1973, p. 318) indique en
revanche que « même au niveau des simples maîtrises, on en est presque à réfréner les enthou-
siasmes démographiques et para-démographiques », mais ce témoignage date de la période
d’apogée de la démographie historique.
(57) Dans une note à Alfred Sauvy du 23 septembre 1953, Louis Henry suggère le lance-
ment d’une enquête pilote, notamment pour préciser le coût des dépouillements.
(58) La découverte dans le Fonds Henry d’une correspondance entre Pierre Goubert et
Louis Henry nous permet de corriger la chronologie que nous proposions dans un article précé-
dent (Rosental, 1996). Nous dations le ralliement de Pierre Goubert au modèle Henry de la fin des
années 1950. En fait, immédiatement après les attaques de Henry contre Goubert, ce dernier
entreprend de rencontrer le démographe et semble « prêt à collaborer avec l’Ined […]. Mais il est
manifeste qu’il connaît peu de démographie » (note de Henry à Alfred Sauvy, fin avril 1953).
Goubert consulte Henry sur des questions de méthode mais contre-attaque sur l’article de 1953 de
Henry (Goubert, 1954), après quoi l’échange reprend sur une base régulière. En revanche, la cor-
respondance conservée dans le Fonds Henry confirme les tensions entre le démographe et l’histo-
rien René Baehrel. Les attaques de ce dernier contre le milieu des historiens des populations
fédèrent les historiens autour de Louis Henry. Le front commun se manifeste lors du Congrès de
Liège de 1963, première grande rencontre scientifique de la démographie historique (voir les
Actes du colloque international de démographie historique de Liège, 1963, notamment p. 34, 45,
85, 89, 93).
(59) À partir des années 1980, l’association entre méthode Henry et démographie histo-
rique se relâche, et on en revient progressivement à une conception plus large mais moins
unifiée : l’histoire des populations prend sa revanche sur la démographie historique.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 123

IV. L’usage de la démographie historique

En choisissant les registres paroissiaux plutôt que des sources déjà


constituées mais moins systématiques comme les généalogies ou les
dénombrements anciens, Henry est soumis aux mêmes contraintes maté-
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rielles (lourdeur et coût de dépouillement) que ses collègues effectuant
des enquêtes contemporaines. La différence est qu’il ne peut pas se
réclamer de retombées pratiques aussi visibles et immédiates. La question
est donc de savoir pourquoi Alfred Sauvy, au-delà de son indéniable
intérêt personnel pour la discipline (60) , a fourni à Louis Henry les crédits
dont il avait besoin. De nos jours, l’appui d’un institut de recherche à une
enquête serait chose banale. Mais avant la Ve République, l’autonomie de
l’Ined, comme celle de tous les organismes de recherche, n’est protégée
par aucun canal ministériel solide (Duclert, 1998 ; Picard, 1990 ; Ramunni,
1992). Comme pour les autres instituts, les dépenses, voire l’existence de
l’Ined, sont soumises au sévère contrôle du ministère des Finances. Ce
contrôle s’étend aux postes de travail, les chercheurs étant des contrac-
tuels révocables. Face à ces contraintes, Sauvy et son Comité technique,
d o n t o n a v u q u ’ i l s é t a i e n t favo r a b l e s à u n e r e c h e r c h e a p p l i q u é e ,
s’efforcent de préserver l’institut en l’insérant dans un paysage étatique en
pleine expansion avec le développement des politiques publiques. Qu’un
p r o j e t h i s t o r i q u e a i t p u ê t r e s o u t e n u d a n s u n t e l c o n t ex t e m é r i t e
explication.

1. Fécondité naturelle et biologie de la procréation


Un début de réponse réside dans les usages de la démographie histo-
rique. Sa mise en place par Henry suit de peu l’élaboration de la notion de
fécondité naturelle. Ce synchronisme n’a bien sûr rien de fortuit. La
démographie des temps passés est considérée comme un observatoire dont
les résultats peuvent être utilisés immédiatement pour le décryptage des
situations contemporaines. L’enquête historique permet d’étalonner tous
les résultats obtenus en matière de physiologie de la fécondité, et peut
donc se placer simultanément au service de la démographie et de la
biologie.
L’étude de la variation de la stérilité selon l’âge en est un exemple.
Louis Henry en fournit une estimation en combinant des conclusions
fondées sur des populations « statistiques » pratiquant peu la contracep-
tion (l’Angleterre du XIX e siècle, le Japon rural de l’entre-deux-guerres)
et sur des populations « pré-statistiques » supposées non contraceptrices

(60) Alfred Sauvy ne manque pas une occasion de transmettre à Louis Henry les notules
relatives aux registres paroissiaux ou autres sources nominatives qui paraissent dans L’intermé-
diaire des chercheurs et des curieux, magazine de curiosités érudites dont il est un lecteur assidu.
Surtout, Sauvy fait bénéficier Louis Henry de son poids relationnel.
124 P.-A. ROSENTAL

(Genève et le Canada français de Henripin). La convergence des résultats


permet notamment d’évaluer à quel âge s’accélère la croissance de la
stérilité (61) . Henry formule aussi des propositions sur la nature et l’am-
pleur de la « stérilité des adolescentes » (62) . De même, il caractérise pré-
cocement la fécondité naturelle par un relèvement des deux derniers
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intervalles intergénésiques dans l’histoire procréatrice des couples. Les ré-
sultats s’accumulant, il est en mesure de calculer l’effet de la mortalité in-
fantile sur la variation de la durée de ces intervalles (Henry, 1958).
Avec le temps, les comparaisons entre populations ne pratiquant pas
la contraception, ou entre les femmes d’une population donnée, montrent
l’importance de la variabilité de la fécondité en régime « naturel ». Cette
double variabilité accentue l’importance de l’allaitement, à laquelle Henry
a toujours prêté un intérêt particulier (Henry, 1952, 1957 et 1958). Dans
tous les cas considérés, la démographie historique sert de science auxi-
liaire à la biologie. Les résultats de Henry sont pris en considération au
même titre que ceux qui concernent les Huttérites, une petite population
de l’Amérique du Nord qui ne pratique pas la contraception. Elle est de
taille modeste et sa sociologie est particulière, mais elle dispose d’un
enregistrement statistique « moderne » : la compatibilité entre les résultats
obtenus par Eaton et Mayer (1953) ou leurs successeurs et par Henry
accroît, de son aveu même, la crédibilité des résultats obtenus par ce
dernier (63).

2. Le temps et l’autre(64)
La démographie historique a également des usages plus indirects. La
fécondité naturelle est censée caractériser les populations non contracep-
trices des régions en développement (65) . Après s’être heurté lors de ses
débuts de démographe aux lacunes statistiques des colonies françaises,
Henry prête à leurs populations les comportements des Européens de
l’Europe moderne (66) . L’ambiguïté de la notion de fécondité naturelle est

(61) Lettre du 17 septembre 1954 de Louis Henry à Abraham Stone, à New York. Ces
mesures portent sur la stérilité féminine, ce qui crée un biais de plus en plus dénoncé aujourd’hui.
(62) Lettres de Henry à Lorimer, 28 septembre 1954 et 29 octobre 1956.
(63) Dans une lettre du 18 mars 1957 à Christopher Tietze, dont il vient de lire un article
sur les Huttérites, Louis Henry se réjouit que l’on dispose de données « précises sur une popula-
tion dont on sait qu’elle ne pratique pas la limitation des naissances », car elles diminueront les
réserves de ceux qui « ont sur la fécondité sans limitation des naissances des idées toutes faites »
et « s’imaginent que l’absence de limitation des naissances conduit à une naissance par an au
cours d’une bonne partie de la vie conjugale ; ils sont, il est vrai, plutôt historiens que
démographes ».
(64) Ce titre renvoie à Fabian (1983), qui explore l’usage des correspondances temps/
espace en anthropologie.
(65) (Henry, 1953-1955, p. 33). Cette relation entre le passé occidental et le présent non
occidental étant pensée symétriquement, la démographie du Tiers-Monde contribue en retour à la
démographie historique. Cf. la lettre de Louis Henry au démographe indien M. Sovani : « Nos
voies convergent et je me suis référé plusieurs fois à vos propres travaux dans une étude sur la
démographie d’un groupe de familles de la classe dirigeante de Genève et son évolution depuis le
milieu du XVIe siècle ».
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 125

accentuée par ces comparaisons spatio-temporelles : après quelques


années, Henry conclura à l’existence de variations continentales dans les
niveaux de fécondité, renforçant le substrat « socioculturel » de la
fécondité naturelle (67).
Pour l’heure, cette notion permet d’étalonner les résultats obtenus
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dans tel ou tel contexte, de situer les populations les unes par rapport aux
autres et, éventuellement, de détecter des résultats improbables qui
peuvent être le fruit d’un artefact archivistique (68) : la démographie his-
torique trouve ici un terrain d’application privilégié. Un autre de ses us-
ages est méthodologique. Louis Henry transpose l’expérience acquise dans
ses monographies pour aider des démographes, voire des administrateurs,
à concevoir leurs plans d’enquête dans l’Empire colonial français ou dans
des pays en développement (69) . Henry ambitionne même un moment de
faire financer par les organisations internationales le développement de la
démographie historique ( 7 0 ) . Ses conseils sont répercutés jusqu’à la
Division de la population de l’Onu (71). Ils portent notamment sur les tech-
(66) Lettre du 25 septembre 1953 de Louis Henry à C.J. Martin, Directeur du East African
Statistical Department de Nairobi.
(67) Sur la base des données alors disponibles, Louis Henry compare en 1954 la
Scandinavie des années 1870 à l’Asie. Constatant que la fécondité asiatique est inférieure à celle
de l’Europe du Nord, il suppose que « ces différences peuvent résulter de facteurs biologiques, de
facteurs sociaux ou de la combinaison des deux. On peut se demander si l’importance que la
culture européenne a donné à la famille conjugale n’a pas tendu à augmenter sa fécondité et à
compenser ainsi, dans une certaine mesure, le fait que cette culture tendait à retarder les
mariages » (lettre du 28 septembre 1954 à Frank Lorimer). Sept ans plus tard, Henry (1961)
confirme que les différences entre populations qui ne pratiquent pas la contraception sont impor-
tantes à l’intérieur de l’Europe, mais encore plus avec d’autres continents.
(68) Le 25 septembre 1953, Louis Henry écrit à C.J. Martin (voir note supra) à propos
d’une publication de l’Onu sur la population du Tanganika. La descendance finale lui paraît faible
(4,4 enfants par femme) si l’on se réfère à sa nuptialité précoce et élevée et à « des fécondités
légitimes de l’ordre de celles de l’Europe ancienne ». Henry entretiendra des échanges compa-
rables avec d’autres démographes ou administrateurs.
(69) Par une lettre du 25 mai 1955, Louis Henry indique à L. Bastiani, administrateur des
services de la statistique générale de l’Afrique équatoriale française à Brazzaville, comment esti-
mer des taux de survie et « en déduit, par comparaison avec des populations européennes
anciennes, un ordre de grandeur de la mortalité infantile ». De 1954 à 1956, Louis Henry corres-
pond avec P. Cantrelle, chef de la section d’anthropologie de l’Institut français d’Afrique noire,
dépendant du Gouvernement général de l’Afrique occidentale française. Par une lettre du
23 décembre 1954, Louis Henry aménage la fiche conçue par ce dernier pour étudier la fécondité
locale. Il y rajoute des « cases intermédiaires » détaillant notamment le nombre et la durée des
intervalles intergénésiques, et que l’on retrouvera dans sa « fiche de famille ». Il lui fournira
d’autres appréciations concernant aussi bien l’échantillonnage que le contrôle de la qualité des
réponses. D’autres exemples confirment la visibilité de Louis Henry comme spécialiste de la
démographie coloniale et les interactions avec son savoir-faire de démographe historien.
(70) Dans une note du 23 septembre 1953, Louis Henry indique à Alfred Sauvy que
M.L. Diaz-Gonzalez, du département des sciences sociales de l’Unesco, lui a « laissé entendre
que le sujet pourrait intéresser l’Unesco et que cet organisme pourrait l’inscrire à son programme
1955-1956 ». Dans une lettre du 26 juin 1956 à C. Braibant, directeur des Archives de France, à
qui il adresse le Manuel Fleury-Henry, Alfred Sauvy indique : « Je vous signale en passant qu’un
comité d’experts des Nations unies réuni à Paris et New York en février 1954 a recommandé tout
spécialement aux gouvernements d’étudier l’histoire des populations européennes au début du
développement économique ».
(71) Du premier trimestre 1956 au printemps 1957, Jean Bourgeois-Pichat, alors en poste à
l’Onu, recueille régulièrement l’avis de Louis Henry à propos d’une enquête réalisée en liaison
avec la Division de la population dans l’État de Mysore en Inde. Il est connu de tous que ce
savoir-faire est issu de son expérience de démographe historien (Fonds Louis Henry, art. 17).
126 P.-A. ROSENTAL

niques d’échantillonnage et sur le contrôle des résultats. De ce point de


vue, on ne saurait trop insister sur la contribution de la démographie his-
torique et de l’approche « paroissiale » au développement qu’est en train
de connaître la discipline. Pendant longtemps, démographie et sciences de
la population ont travaillé à l’échelle de populations entières, qu’elles
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soient documentées par des statistiques nationales, régionales ou munici-
pales. La notion d’enquêtes quantitatives impliquant notamment la
référence récente aux sondages (Blondiaux, 1998) et le travail sur de petits
échantillons font entrer dans un univers méthodologique nouveau. Henry
exprimera la particularité de cette sorte de statistique des petits nombres
par rapport aux techniques classiques de la démographie (72).

V. Les conditions de réception


de la démographie historique

Une clé du succès de la démographie historique, conçue initialement


comme un détour pour penser la démographie contemporaine, a été de
prouver son caractère opératoire. Il faut insister sur le caractère tempo-
raire de cette conjonction : une quinzaine d’années plus tard, au début des
années 1970, la présence de la démographie historique à l’Ined sera
vilipendée par le ministère de tutelle et même, non sans un certain pou-
jadisme culturel, par la presse (73).
Pour l’heure, un autre élément qui fonde la légitimité de la
démographie des populations anciennes est sa contribution reconnue à la
démographie fondamentale de son époque. La fiche de famille en fournit la
matérialisation. Ses rubriques – par exemple la colonne qu’elle réserve au
calcul des intervalles intergénésiques – articulent directement les registres
paroissiaux à des questions pointues de démographie théorique, elles-
mêmes liées aux politiques de population. La liste des destinataires de
l’ouvrage de Henry sur les anciennes familles genevoises (1956) montre
que l’enquête sur Genève à l’époque moderne est comprise par tous les
g r a n d s d é m o g r a p h e s d u t e m p s c o m m e u n e c o n t r i bu t i o n t h é o r i q u e

(72) Dans une lettre à F. Lorimer en date du 29 octobre 1956, Louis Henry écrit : « [Le tra-
vail sur les données anciennes] a fortement influencé ma pensée ; j’ai eu affaire à un matériel de
bonne qualité, limité à un échantillon restreint mais fournissant des données beaucoup plus
détaillées que ne le font les statistiques modernes. J’ai dû, par suite, me préoccuper à plusieurs
reprises de la signification des résultats et utiliser des tests statistiques, ce qui est plutôt excep-
tionnel en démographie courante où l’on travaille sur des groupes nombreux. J’ai eu, d’autre part,
la possibilité de pousser l’analyse plus loin qu’on ne peut le faire couramment. Je me suis aperçu
que même avec de petits nombres, on obtient fréquemment des différences significatives ; les
inconvénients des petits échantillons sont plus réduits que je ne le pensais alors que leurs avan-
tages dépassent ce que je pouvais espérer […]. En poussant l’analyse au-delà de ce qui est cou-
rant, je me suis heurté à des difficultés d’interprétation ; pour essayer de les surmonter j’ai dû
recourir aux mathématiques ; l’importance de l’analyse théorique m’apparaît encore plus grande
qu’auparavant ».
(73) Voir l’article intitulé « L’Ined doit-il être réformé ? », Le Monde, 23 janvier 1971.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 127

majeure : cette liste comprend notamment David Glass de la London


School of Economics, figure centrale de l’institutionnalisation de la
démographie au Royaume-Uni et, pour les États-Unis, Christopher Tietze,
de la section International and Functional Intelligence du Département
d’État à Washington, Frederick Osborn, Directeur du Population Council à
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New York, ou encore Frank Notestein de l’Office of Population Research à
Princeton (74). En même temps que la démographie historique s’insère dans
un milieu international qui lui reconnaît une place éminente, elle aide le
jeune Ined à conquérir sa légitimité scientifique et accroît du même coup
ses chances de survie. Bien que Sauvy et son Comité technique aient ini-
tialement privilégié la recherche au service de « l’action », ils intègrent
rapidement ce critère dans les argumentaires destinés à contrer les
menaces récurrentes du ministère des Finances (Rosental, 2003).
Cette reconnaissance n’a elle-même été possible que parce que le
milieu international des démographes était en pleine expansion au cours
des années 1950, véritable âge d’or de la discipline. Aux États-Unis,
l’entre-deux-guerres avait marqué la création d’un milieu de spécialistes
de la population, création encouragée par les militants du birth control et
financée par de grandes fondations américaines. Ce mouvement s’intensi-
fie avec l’arrivée de nouvelles fondations et le développement des chaires
et des centres universitaires, dont le plus influent est l’Office of Population
Research (OPR) de Princeton, mis en place juste avant la guerre.
La caractéristique majeure de la démographie américaine de l’après-
guerre est son interpénétration avec les grandes organisations internatio-
nales, un entrelacs à la fois humain, institutionnel, financier et politique
(Kiser, 1971 ; Szreter, 1993 ; Notestein, 1982). L’un des lieux-clés où
s’opère l’articulation entre les démographes américains et la fine fleur des
spécialistes étrangers – des Français Jean Bourgeois-Pichat ou Léon Tabah
au Britannique John Hajnal ou au Suédois Hyrenius – est la Division de la
Population de l’Onu. En charge des projets recommandés par la Commis-
sion de la Population du Conseil économique et social des Nations unies,
lui-même lié au Département des Affaires sociales, elle a pour fonction de
fournir « des faits et des interprétations » aux différents organes des
Nations unies, aux agences spécialisées ainsi qu’aux gouvernements
membres, pour leurs projets d’action économique et sociale (Notestein,
1971 ; Revue de l’Institut international de statistique, 1954, n° 1-3). En
pratique, pendant les années 1950, la Division de la Population devient
l’un des lieux majeurs d’évolution de la discipline démographique.
Il s’agit d’une transformation de fond. Depuis le XIX e siècle, l’inter-
nationalisme scientifique passait par les congrès internationaux (Brian,
1989 ; Rasmussen, 1995). La période qui s’ouvre avec la fin de la seconde
guerre mondiale en réduit l’importance, avec le développement des postes
et des institutions universitaires et de recherche. Au départ, ce sont les

(74) Liste du 26 octobre 1956, Fonds Henry, art. 17.


128 P.-A. ROSENTAL

organismes internationaux qui jouent un rôle privilégié dans cette nou-


velle donne internationale, en vertu de la croyance dans la capacité
réformatrice des sciences sociales, dont on escompte que leurs conclu-
sions, orchestrées par les agences internationales, vont se concrétiser par
des programmes de grande échelle (Kiser, 1953 ; Lorimer, 1948 ; Notestein,
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1971 ; Wittrock, Wagner et Wollmann, 1991).
À ce cadre institutionnel général s’ajoutent des considérations
conjoncturelles. La commission de la population de l’Onu revendique l’op-
position entre « science » et « politique » pour s’en tenir aux aspects stricte-
ment scientifiques de la discussion, quitte à perdre en influence (75) . Il ne
s’agit pas d’une préférence abstraite, mais du produit d’un rapport de forces
diplomatique. La majorité des démographes américains adhèrent à la
récente théorie de la « transition démographique » (76) qui, en faisant de la
fécondité et notamment du planning familial une condition du déve-
loppement économique, oriente les financeurs occidentaux vers l’action dé-
mographique plutôt que vers l’aide ou la réforme économique et sociale
(Szreter, 1993 ; Hodgson, 1983 ; Notestein, 1982 ; Demeny, 1988 ;
Greenhalgh, 1996 ; Kreager, à paraître). Cette transmutation du malthusia-
nisme ou de l’eugénisme de l’entre-deux-guerres est de plus en plus ap-
puyée par les fondations américaines (Hartmann, 1997 ; Greenhalgh, 1996 ;
Donaldson, 1990).
Mais le bloc soviétique fustige le caractère bourgeois de cette
politique et proclame, par contraste, sa confiance dans l’expansion de
la population et dans son propre avenir économique (Benjamin et al.,
1955 ; Hartmann, 1997) (77). Surtout, il fait ici front commun avec les pays
catholiques (Bulletin international des sciences sociales, 1954, n° 4). Pour
ne pas durcir cette alliance, le gouvernement fédéral américain sacrifie,
jusqu’à la fin des années 1950, ses convictions malthusiennes (Szreter,
1993). Cette configuration explique qu’au grand dam des démographes
« malthusiens » (Evang, 1954), la Commission de la Population s’ôte tout
pouvoir effectif et, comme souvent, surinvestisse d’autant dans le domaine
scientifique.

(75) (Notestein, 1982 ; Sauvy, 1947 ; Sauvy, 1949a ; Tabah et Sauvy, 1954). Les débats pré-
liminaires au Congrès mondial de la population de 1954 se réfèrent officiellement à ces catégories
(science et politique, rigueur intellectuelle ou influence effective de la commission) (Bulletin
international des sciences sociales, 1954, n° 4 ; Eugenics Quarterly, 1954, n° 2). Tabah et Sauvy
(1954) redoutent que « la peur de tomber dans des querelles politiques et de perdre leur objecti-
vité condui[se] les savants à se retrancher dans des questions abstraites, sacrifiant ainsi l’objectif
véritable, c’est-à-dire l’amélioration du sort des hommes ».
(76) Issue des travaux de Frank Notestein et Kingsley Davis, on sait que la théorie de la
transition érige au statut de loi des tendances empiriques globales. Beaucoup d’auteurs (dont en
France Adolphe Landry) ont dans l’entre-deux-guerres formulé un scénario approchant (voir
Szreter, 1993, note 16, p. 694, qui s’étonne par ailleurs que cette théorie ait survécu à ses nom-
breuses réfutations).
(77) Alfred Sauvy voit dans cette attitude un révélateur du dynamisme économique des
pays socialistes, et prédit leur victoire économique sur les États-Unis. Aron (1983, vol. II, p. 429)
jugera rétrospectivement « cruel de reproduire » les affirmations qui accompagnent cette pré-
vision (« le communisme est un immense essai de vérité à terme et de liberté à crédit »).
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 129

La réception du travail de Louis Henry n’est donc pas uniquement


une question d’évolution conceptuelle de la discipline. Elle est le fait d’un
réseau international en expansion, qui donne une importance centrale à la
fécondité (Greenhalgh, 1996 ; van de Kaa, 1996) et à la production de
résultats empiriques inédits (78) . Tant le baby-boom que l’expansion de la
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démographie des pays pauvres requièrent la compréhension des méca-
nismes de la fécondité. Leur conjonction même pose un problème
théorique majeur : alors que se diffuse le « modèle » de la transition
démographique, la remontée de la fécondité des pays riches lui apporte
une réfutation. L’idée se renforce que dans les pays industrialisés, le
niveau d’individuation est tel qu’il faut entrer dans les décisions intimes
pour analyser les fluctuations de la natalité (79). Le passage de la statistique
agrégée aux micro-comportements des ménages ouvre un continent caché
à l’investigation empirique. Les analyses de Louis Henry font partie d’un
mouvement plus général, dans lequel les comportements démographiques
élémentaires des ménages sont passés au peigne fin. L’histoire, pour un
temps, sert à la démographie d’observatoire privilégié.

Conclusion
Le succès de la démographie historique a été rendu possible par une
configuration institutionnelle, politique et scientifique propre aux années
1950. Pour une quinzaine d’années, les problématiques et méthodes pro-
posées par Louis Henry ont établi une liaison directe entre histoire, théorie
démographique et expertise pour les politiques de population. L’histoire
de la démographie historique est de ce point de vue représentative de l’his-
toire de la démographie en général. Dans l’Ined des années 1950, le critère
du succès scientifique est de développer des approches qui, tout en inno-
vant sur le plan théorique, se prêtent à des applications pratiques. La
condition de la réussite est que ces transferts entre théorie et expertise
soient rapides et directs : transferts de concepts, de résultats, de méthodes,
mais aussi de formes d’organisation du travail collectif, de supports pour
les enquêtes, de questionnements. Louis Henry a été, en France, l’un des
chercheurs qui ont le mieux répondu à cette double contrainte. De même,
de toutes les disciplines représentées à l’Ined, c’est la démographie qui y
est le mieux parvenue, ce qui explique qu’en France, population et
démographie aient été de plus en plus étroitement associées : rétrospec-
tivement, cette identification datant des années 1950 est devenue la source
de multiples anachronismes de la part des démographes qui se sont

(78) Cf. le témoignage de P.R. Cox dans l’article de Benjamin et al. (1955), ainsi que la
Revue de l’Institut international de statistique, 1954, n° 1-3. L’Onu joue également un grand rôle
par ses publications de données.
(79) Elle correspond aux propositions d’Alfred Sauvy dans Landry, 1945, p. 382 sq., et au
développement de la psychosociologie comme discipline auxiliaire de la démographie (Girard et
Henry, 1956). Greenhalgh (1996, p. 40) analyse ce passage entre des raisonnements culturalistes
et globalisants et des considérations sur l’utilité individuelle.
130 P.-A. ROSENTAL

essayés à l’histoire de leur discipline. La condition de ces succès n’a pas


seulement résidé dans le mérite personnel des chercheurs. Elle a résulté de
l’évolution, globale et internationale, de la discipline.
Dire que Henry n’a rien « inventé » serait succomber à la vision
romantique d’une création ex nihilo qui n’a pas sa place en histoire des
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sciences. Lorsque l’employé du ministère du Commerce Étienne Gautier
entreprend son dépouillement des registres paroissiaux de Crulai, il rejoint
une légion sans âge et sans frontières d’anonymes qui ont usé leur plume
sur les vieux registres. Mais au moment où il met à la disposition de
Louis Henry à l’Ined le fruit de son travail, celui-ci change instantanément
de nature. De modeste monographie paroissiale, il passe au rang d’aliment
pour une discussion internationale de pointe dans une discipline en pleine
expansion qui ambitionne de réguler les mouvements de population à
l’échelle planétaire, ou du moins d’en comprendre les mécanismes. L’uni-
fication du cadre de la discussion à travers le schéma de la démographie
analytique, la prééminence des questions de fécondité, la reconnaissance
mondiale que Louis Henry et l’Ined ont réussi à s’assurer en quelques
années, leur insertion dans un réseau institutionnel international et riche,
où l’argent des fondations américaines rejoint celui des gouvernements et
des organismes internationaux, projettent les fiches de Crulai au cœur de
la discipline.
Dans le même temps, les historiens se sont ouverts à la quantifica-
tion, ont reconnu l’importance des questions de population, et sont en
passe de choisir Louis Henry plutôt que ses concurrents ou détracteurs his-
toriens (Rosental, 1996). Louis Henry a ainsi réussi à réunir l’ensemble
des conditions dont jamais avant lui l’histoire des populations n’avait
bénéficié. Selon les cas, ses sources étaient trop lacunaires, ses popula-
tions trop réduites, ses problématiques trop nationales voire nationalistes,
ses méthodes trop frustes pour être crédibles auprès des statisticiens. Telle
est la grande originalité du modèle Henry et de sa « démographie
historique » : ils ont, pendant un temps, relié le monde de l’historiogra-
phie, celui de la démographie et celui des politiques de population. Et
contribué ainsi en France à faire de la démographie « la » science des
populations.

Remerciements. Jean-Noël Biraben, Pierre Goubert, Jacqueline Hecht, Pierre Jeannin,


Claude Lévy, Léon Tabah, Pierre Vilar, ainsi que Louis Chevalier et Michel Fleury
aujourd’hui disparus, ont eu la bienveillance de m’accorder des entretiens sur la
période étudiée dans cet article : je leur exprime toute ma gratitude pour l’aide qu’ils
m’ont apportée. Je remercie François Héran, directeur de l’Ined, qui m’a autorisé à
accéder aux fonds d’archives nécessaires à ce travail, ainsi que Pierre Carouge,
Dominique Chauvel-Markman, Cyrille Chareau, Cyril Le Bihan, Françoise Meunier,
Adrien Minard, Patrick Rozen et Marie Thébaud, qui m’ont aidé dans mes recherches
documentaires et archivistiques. J’exprime toute ma reconnaissance à Noël Bonneuil,
qui m’a guidé dans cette exploration des racines de la démographie contemporaine.
LOUIS HENRY ET LA FONDATION DE LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 131

J’ai eu l’occasion de présenter une version préliminaire de cette recherche dans les sé-
minaires de Lutz Raphael à l’université de Trêves, et d’Amy Dahan, Alain Desrosières
et Dominique Pestre au Centre Alexandre Koyré : je les remercie de leurs commentai-
res, ainsi que les participants de mon séminaire à l’EHESS. Enfin, je suis reconnais-
sant à Patrice Bourdelais, Éric Brian, André Burguière, Christine Théré et Jean-Marc
Rohrbasser de leur lecture ou avis.
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Sources : Fonds Louis Henry et Fonds Pierre Depoid (Centre des Archives contem-
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ROSENTAL Paul-André.– La nouveauté d’un genre ancien : Louis Henry et la fondation


de la démographie historique
Pourquoi Louis Henry a-t-il créé une discipline scientifique, la démographie histo-
rique, qui domine l’histoire des populations des années 1950 aux années 1980, en remontrant
même à l’école des Annales ? Au-delà de l’historiographie et de l’histoire des théories
démographiques, la réponse suppose une histoire de l’État, des politiques publiques, des ins-
titutions démographiques et des politiques de population. Après 1945, les organisations inter-
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nationales, notamment la Division de la population à l’Onu, donnent à la démographie
analytique à la Lotka une assise planétaire. Elles s’intéressent particulièrement à la fécondité.
Le baby-boom des pays riches remet en cause l’idée de prévisions démographiques, la notion
de transition démographique, et menace les systèmes d’allocations familiales. L’expansion de
la population mondiale soulève la question du contrôle des naissances dans les pays en déve-
loppement. Les démographes souhaitent déterminer la « fécondité naturelle », qui serait celle
de populations ne pratiquant pas la contraception, mais butent sur les problèmes d’enregistre-
ment statistique dans le Tiers-Monde. Pour Henry, les registres paroissiaux de l’Ancien
Régime permettent de les surmonter. L’actualité du problème est telle qu’Alfred Sauvy à
l’Ined accepte de financer ses études, et que les grands démographes de son époque comme
Notestein, Glass ou Hajnal sont d’emblée convaincus que la démographie historique apporte
une contribution majeure à la démographie théorique.
ROSENTAL Paul-André.– The Novelty of an Old Genre: Louis Henry and the Founding of
Historical Demography
Why did Louis Henry create a scientific discipline — historical demography — that domi-
nated population history from the 1950s to the 1980s, and even influenced the École des
Annales? Beyond historiography and the history of demographic theories, the answer lies in the
history of government, public policy, demographic institutions, and population policies. After
1945, international organizations, most notably the U.N. Population Division, placed analytical
demography à la Lotka on a planetary footing. They developed a special interest in fertility. The
rich countries’ baby boom undermined the concepts of demographic forecasting and demo-
graphic transition, and jeopardized the family allowance systems. World population growth
raised the issue of birth control in the developing countries. Demographers wanted to determine
“natural fertility” — which they assumed to be the fertility of non-contracepting populations —
but were prevented by the dearth of statistical records in the Third World. For Henry, these dif-
ficulties could be overcome by the use of parish registers. The relevance of his approach was
such that Alfred Sauvy at INED agreed to finance his work, and the leading demographers of his
time — including Notestein, Glass, and Hajnal — were convinced from the outset that historical
demography provided a major contribution to theoretical demography.

ROSENTAL Paul-André.– La novedad de un género antiguo: Louis Henry y la fundación


de la demografía histórica
¿Porqué creó Louis Henry una disciplina científica, la demografía histórica, que domi-
na la historia de las poblaciones desde los años cincuenta hasta los ochenta, remontándose a
la escuela de los Anales? Más allá de la historiografía y de la historia de las teorías demográ-
ficas, para entender su éxito hay que tener en cuenta la historia del Estado, las políticas
públicas, las instituciones demográficas y las políticas de población. A partir de 1945, las
organizaciones internacionales, y en particular la División de Población de las Naciones Uni-
das, otorgaron a la demografía analítica a la Lotka una dimensión planetaria. Estas institucio-
nes se interesaban, en particular, por la fecundidad. El baby-boom que tuvo lugar en los países
ricos puso en cuestión las previsiones demográficas, la noción de transición demográfica y su-
puso una amenaza para los sistemas de prestaciones familiares. La expansión de la población
mundial pone de relieve el tema del control de nacimientos en los países en desarrollo. Los
demógrafos intentan determinar el nivel de “fecundidad natural”, que es el nivel que se obser-
va en poblaciones que no usan métodos anticonceptivos, pero no lo consiguen debido a los
problemas de registro estadístico existentes en los países del Tercer Mundo. Los registros par-
roquiales del Antiguo Régimen permiten a Henry superar los problemas de datos. El tema es
de tal actualidad que Alfred Sauvy, del INED, acepta financiar sus estudios, y los grandes
demógrafos de su época como Notestein, Glass o Hajnal se convencen rápidamente de que la
demografía histórica aporta una contribución significativa a la demografía teórica.

Paul-André ROSENTAL, Institut national d’études démographiques, 133 bd Davout, 75980 Paris Cedex
20, tél : 33 0(1) 56 06 21 59, fax : 33 0(1) 56 06 21 99, courriel : rosental@ined.fr

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