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Le vieillissement cérébral CHAPITRE 1

Le vieillissement cérébral normal qu'une atrophie de l'ordre de 1 % (Haug, Eggers,


1991). Ces résultats ont été confirmés par des
études en imagerie par résonance magnétique
Les modifications structurales (IRM) structurale. Par exemple, Raz et al. (1997)
Avec l'âge s'opèrent des modifications phy- ont estimé les variations volumétriques de plu-
siques, physiologiques et psychologiques, en sieurs régions cérébrales en fonction de l'âge.
l'absence de toute pathologie, en raison du Pour cela, ils ont utilisé la méthode des régions
vieillissement cellulaire. Ce vieillissement, d'intérêts, qui consiste à définir et délimiter au
qualifié de « normal », se caractérise par des préalable les structures cérébrales qui seront sou-
changements de l'apparence physique (e.g. des mises aux analyses du signal par IRM. Les auteurs
modifications de l'aspect de la peau), un ralen- ont ainsi quantifié le volume de 17  régions chez
tissement de la motricité, une baisse de l'acuité 148 sujets sains âgés de 18 à 77 ans. Les aires céré-
dans différentes modalités sensorielles (e.g. brales étudiées incluaient notamment plusieurs
vision, audition, goût). Une diminution des régions frontales, dont le cortex préfrontal dorso-
fonctions respiratoires, digestives et rénales est latéral, le cortex orbitofrontal et le gyrus cingu-
également constatée, ainsi que des perturba- laire antérieur. Les volumes des cortex moteur et
tions des systèmes endocrinien, métabolique, somatosensoriel, situés de part et d'autre de la scis-
reproducteur et immunitaire, et des modifica- sure centrale, ont également été mesurés. Dans les
tions des rythmes biologiques et du sommeil. structures temporales, les auteurs se sont focalisés
Les systèmes nerveux périphérique et central sur les volumes des hippocampes, des gyri para-
subissent également des modifications avec hippocampiques et fusiformes, ainsi que des cor-
l'âge, tant structurales que fonctionnelles, même tex temporaux inférieurs. Enfin, les volumes des
en l'absence de pathologie neurodégénérative. lobules pariétaux inférieurs et du cortex visuel ont
Lorsque ces modifications affectent le cerveau, été mesurés. Raz et al. (1997) ont observé que les
les conséquences sur le fonctionnement cognitif cortex préfrontaux dorsolatéraux et orbitofron-
se traduisent le plus souvent par des altérations taux présentent l'atrophie la plus marquée avec
de certaines fonctions, telles que l'attention ou l'âge. La diminution du volume de l'ensemble de
la mémoire. Ces altérations peuvent s'observer ces structures est estimée à 4,9 % par décennie. La
dès l'âge de 30 ans (Salthouse, 2009). perte de matière grise, qui résulte d'une diminu-
Des données obtenues grâce à la neuro-ima- tion du nombre de connexions synaptiques entre
gerie mettent en évidence une réduction globale les neurones et à des morts neuronales, touche
du volume cérébral avec l'âge. Cette réduction également d'autres structures telles que les cortex
présente toutefois d'importantes variations d'une pariétaux supérieurs, qui subissent une atrophie
région cérébrale à l'autre. Des mesures post mor- de 4,3  % par décennie, les cortex temporaux
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tem ou in vivo montrent que le cortex préfrontal inférieurs et les gyri fusiformes. En comparaison
est la structure la plus affectée par le vieillisse- avec ces dernières estimations, les volumes hippo-
ment. Pour exemple, l'analyse de mesures mor- campiques ne semblent être affectés par l'âge que
phométriques post mortem de différentes régions dans une moindre mesure, avec une diminution
Le vieillissement neurodéngénératif

cérébrales réalisées chez des individus âgés de de 2 % par décennie (Fig. 1.1). En 2004, Raz et al.
20 à 100  ans a montré que le volume du cortex ont apporté de nouvelles données à leur étude
frontal est réduit de 10 % chez les sujets de plus de de l'évolution du volume cérébral au cours du
80 ans, par rapport aux personnes âgées de 20 ans vieillissement. Ils focalisent leurs analyses, chez
à 40 ans. Chez ces mêmes personnes, les régions 200 sujets sains âgés de 18 à 80 ans, sur 11 régions
temporales, pariétales et occipitales ne présentent corticales d'intérêt et sur la matière blanche

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Le vieillissement neurodégénératif

Cortex pariétal
supérieur Cortex préfrontal
dorsolatéral

Taux
d'atrophie
Gyrus temporal Cortex
Hippocampe
inférieur orbitofrontal
Figure 1.1 Topographie de l'atrophie corticale dans le vieillissement normal sur les faces externe
(à gauche) et interne (à droite) du cortex cérébral.
L'échelle de couleur représente la sévérité de l'atrophie (couleurs foncées : atrophie marquée).

frontale et pariétale. Les résultats confirment que âgés non déments (Jernigan et al., 2001 ; Jernigan,
les régions frontales sont les structures les plus Gamst, 2005 ; Walhovd et al., 2005), d'autres sug-
sensibles au vieillissement, leur taux d'atrophie gèrent une relative préservation du volume hippo-
corticale étant le plus important parmi toutes les campique quel que soit l'âge de l'individu (Cohen
régions cérébrales étudiées. Parmi ces régions, et al., 2006 ; Liu et al., 2003 ; Sullivan et al., 2005 ;
le cortex préfrontal dorsolatéral semble être la Kalpouzos et al., 2009). Ces données, basées sur
structure la plus affectée au cours du vieillisse- une analyse comparative de groupes de sujets de
ment. Les analyses réalisées permettent d'estimer différents âges, ont été confirmées par plusieurs
la diminution volumétrique de cette structure études longitudinales (Pfefferbaum et  al., 2013 ;
à 5,36  % par décennie. Les auteurs observent Resnick et  al., 2003). Par exemple, Pferfferbaum
également une atrophie significative des cortex et  al. (2013) ont suivi un groupe d'adolescents
orbitofrontaux, somatosensoriels et moteurs, de âgés de 10 à 14  ans et un groupe d'adultes âgés
la matière blanche (i.e. principalement constituée de 20 à 85  ans. Les participants ont été soumis
des axones neuronaux) frontale, des gyri parahip- à plusieurs examens par IRM (i.e. de 2 à 6 selon
pocampiques et fusiformes, ainsi que des cortex les participants), sur une période d'un à huit ans.
temporaux inférieurs. En revanche, les analyses Les résultats montrent que le volume du cortex
ont permis d'identifier des régions cérébrales qui préfrontal latéral et du cortex préfrontal médian
semblent peu vulnérables aux effets de l'âge, telles présentent un déclin linéaire au cours de la vie,
que les lobules pariétaux inférieurs, le cortex débutant à partir de l'âge de 30  ans. Le volume
visuel et le gyrus cingulaire antérieur. Il est à noter hippocampique resterait quant à lui stable jusqu'à
également qu'à la différence de leur précédente environ 60 ans, et déclinerait significativement à
étude (Raz et al., 1997), les auteurs observent dans partir de cet âge.
leur étude de 2004 une atteinte significative du Du point de vue phylogénétique, les structures
volume hippocampique chez les personnes âgées. néocorticales frontales sont celles qui seraient
Cependant, contrairement aux lobes frontaux apparues le plus tardivement au cours de l'évo-
qui s'atrophient tout au long de la vie, le volume lution des espèces (Armstrong, 1990). D'autre
de l'hippocampe ne semble se réduire  qu'à par- part, en considérant l'évolution ontogénétique
tir d'un âge avancé. En effet, celui-ci reste stable cérébrale chez l'homme, la maturation du cortex
jusqu'à la cinquième décennie et commence à frontal s'achève plus tardivement (i.e. à environ
diminuer à partir de 50  ans. Il est cependant l'âge de 10 ans) que celle des autres structures (e.g.
important de noter que ce modèle d'évolution à environ 10 mois après la naissance pour les cor-
du volume de l'hippocampe au cours de la vie est tex temporaux et pariétaux ; Thompson, Nelson,
controversé. En effet, alors que certaines don- 2001 ; Huttenlocher, 1990). En effet, des études
nées en neuro-imagerie semblent confirmer une longitudinales par IRM structurale montrent
atrophie de cette structure chez des individus notamment que la maturation de la matière grise

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Chapitre 1. Le vieillissement cérébral

frontale se poursuit après la naissance et s'achève Les études évaluant le niveau fonctionnel de
vers l'âge de 12  ans, bien plus tardivement que structures cérébrales utilisent dans la plupart des
celle des autres régions cérébrales (Giedd et  al., cas les techniques de la tomographie par émission
1999 ; Pfefferbaum et al., 2013). de positons (TEP) et de l'imagerie par résonance
L'ensemble des données présenté ci-dessus, issu magnétique fonctionnelle (IRMf). La TEP évalue
d'études longitudinales ou transversales, sug- le métabolisme cérébral du glucose, qui peut être
gère que des altérations cérébrales structurales mesuré au repos ou lors de la réalisation de tâches
s'opèrent au cours de deux fenêtres temporelles cognitives. Son principe repose sur le marquage
distinctes selon les régions considérées. D'une part, du glucose sanguin à l'aide d'un traceur radioactif
le cortex préfrontal dorsolatéral présente l'atrophie (e.g. le 18-fluoro-désoxy-glucose). Lorsqu'une
la plus marquée au cours de la vie. Celle-ci débute- structure cérébrale intervient dans la réalisation
rait vers l'âge de 30 ans, puis évoluerait de manière d'une tâche cognitive, son approvisionnement
linéaire au cours de la vie, à raison d'une réduction en glucose sanguin augmente. Ce phénomène
volumique d'environ 5  % par décennie. D'autre a pour conséquence un accroissement local de
part, le volume hippocampique présente un déclin la radioactivité par le biais du glucose marqué,
débutant à un âge plus tardif, entre 50 et 60 ans. mesuré et localisé dans le cerveau par la TEP. La
L'ensemble de ces atrophies serait issu de méca- mesure du métabolisme cérébral du glucose peut
nismes biologiques impliquant une réduction également être réalisée au repos, c'est-à-dire en
de  la densité synaptique, ainsi qu'une réduction l'absence de toute sollicitation cognitive. Dans
du nombre de neurones de grande taille au profit ce cas, l'examen permet de détecter des anoma-
de neurones plus petits. Une atteinte des systèmes lies dans le fonctionnement basal d'une structure
de neurotransmission pourrait également expli- cérébrale. Ces anomalies peuvent se traduire par
quer l'atrophie corticale au cours du vieillissement un hypométabolisme ou un hypermétabolisme,
normal. Par exemple, les voies dopaminergiques correspondant respectivement à une réduction ou
nigro-striées, projetant de la substance noire du une surconsommation de glucose par ces régions.
tronc cérébral au cortex frontal, semblent parti- Le principe de l'IRM est basé sur les proprié-
culièrement vulnérables aux effets de l'âge (Reeves tés magnétiques des protons des molécules d'eau
et  al., 2002 ; van Dyck et  al., 2002). Ainsi, si des contenues dans le corps humain. Cette technique
modifications neuronales, synaptiques et neuro- mesure notamment le temps nécessaire aux atomes
chimiques semblent sous-tendre les modifications d'hydrogène pour revenir à l'équilibre après l'appli-
structurales liées à l'âge, elles suggèrent également cation d'un champ magnétique. L'IRMf repose sur
des modifications sur le plan fonctionnel. l'effet BOLD (blood-oxygen-level dependent), qui
correspond à la variation du rapport sanguin entre
les taux d'hémoglobine oxygénée et d'hémoglobine
Les modifications fonctionnelles
désoxygénée. Alors que l'oxyhémoglobine est peu
Certaines structures cérébrales présentent des sensible au champ magnétique, la désoxyhémoglo-
modifications métaboliques avec l'âge. La majo- bine présente des propriétés paramagnétiques. Une
rité des observations démontrant ces altérations activité neuronale s'accompagne d'une augmen-
a été réalisée à partir de techniques évaluant la tation de l'apport en sang oxygéné au niveau des
réponse hémodynamique cérébrale, c'est-à-dire les vaisseaux adjacents, résultant en une diminution
variations du flux sanguin au sein de différentes du rapport désoxy-/oxyhémoglobine. Lorsqu'un
structures cérébrales. Ces mesures reposent sur champ magnétique est généré par IRM, cette
les besoins des neurones en énergie (i.e. glucose modification du rapport moléculaire se traduit par
et oxygène) pour maintenir un fonctionnement une augmentation du temps de relaxation des pro-
optimal. L'augmentation de l'activité neuronale tons, et donc par une augmentation du signal IRM.
au sein de régions cérébrales impliquées dans la Lors des paradigmes utilisant l'IRMf, l'individu est
réalisation d'une tâche cognitive s'accompagne amené à réaliser une tâche perceptive ou cognitive.
d'un besoin accru en énergie. Ce besoin énergé- La plupart des données recueillies par les études
tique est couvert grâce à une augmentation du en TEP indique une réduction du métabolisme
flux sanguin arrivant à la structure impliquée. cérébral global au cours du vieillissement

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Le vieillissement neurodégénératif

(Petit-Taboué et  al., 1998). Cependant, l'étude matière grise, et d'autre part, par un hypométabo-
des variations régionales du métabolisme indique lisme glucidique au repos, indiquant un moindre
que cette réduction n'affecte pas toutes les struc- fonctionnement de cette structure. Les données
tures cérébrales de manière homogène. En effet, concernant l'évolution structurale et métabo-
le cortex frontal et le gyrus cingulaire antérieur lique de l'hippocampe au cours du vieillissement
présentent la plus forte diminution métabolique sont plus controversées. En effet, une diminution
au repos (Herholz et al., 2002 ; Petit-Taboué et al., du volume cortical et/ou métabolique n'est pas
1998 ; Willis et  al., 2002 ; Fig.  1.2). Dans une systématiquement observée. Bien que des modi-
moindre mesure, un hypométabolisme est égale- fications cérébrales structurales et fonctionnelles
ment observé chez les personnes âgées dans les aient été constatées dans le vieillissement normal,
aires occipitales, le cortex cingulaire postérieur, le celles-ci sont bien moins sévères que celles obser-
cervelet, les noyaux gris centraux et le thalamus. vées dans les maladies neurodégénératives liées au
En revanche, le métabolisme semble préservé au vieillissement, que nous aborderons dans la suite
cours du vieillissement pour les autres structures de ce chapitre.
cérébrales. Une étude combinant l'IRM struc-
turale et la TEP a permis de mettre en évidence
une cartographie des aires cérébrales altérées
et préservées par le vieillissement (Kalpouzos
La maladie d'Alzheimer
et al., 2009). Sur le plan anatomique, les résultats Profil neuropsychologique
montrent que les volumes du cortex préfrontal,
du cortex pariétal et de l'insula sont négativement
de la maladie d'Alzheimer
corrélés avec l'âge. En revanche, une telle rela- La maladie d'Alzheimer (MA) est caractérisée
tion n'a pas été mise en évidence pour la partie par l'apparition insidieuse et l'évolution lente de
antérieure des lobes temporaux médians. Sur le troubles cognitifs. Cette affection débute géné-
plan fonctionnel, les données indiquent une cor- ralement par une altération de la mémoire, qui
rélation négative entre l'âge et le métabolisme du constitue le symptôme central de la maladie. Avec
glucose au sein du cortex préfrontal et du gyrus l'évolution de la pathologie, des troubles appa-
cingulaire antérieur. Ces données montrent ainsi raissent dans d'autres domaines de la cognition
que seul le lobe préfrontal semble subir des modi- (le langage, les fonctions exécutives, l'attention,
fications aussi bien structurales que fonction- les fonctions visuelles et les praxies). L'atteinte de
nelles au cours du vieillissement. multiples fonctions cognitives dans cette maladie
Les données d'études en imagerie indiquent de induit la perte d'autonomie des patients pour réa-
manière quasiment unanime que le cortex pré- liser les activités de la vie quotidienne.
frontal est la structure cérébrale qui présente les Les troubles de mémoire épisodique sont au pre-
modifications les plus significatives au cours du mier plan dans la MA. La mémoire épisodique per-
vieillissement normal. Ces modifications s'expri- met le souvenir des événements personnellement
ment d'une part, par une réduction du volume de vécus, situés dans leur contexte spatio-temporel

Gyrus cingulaire Gyrus cingulaire


antérieur postérieur
Cortex préfrontal
dorsolatéral Cortex visuel

Hypométabolisme
Cortex glucidique
visuel au repos
Figure 1.2 Hypométabolisme du glucose au repos dans le vieillissement normal sur les faces
externe (à gauche) et interne (à droite) du cortex cérébral.
L'échelle de couleur représente la sévérité de l'hypométabolisme.

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