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Déshydratations aiguës
La déshydratation aiguë (DA) se définit comme un déficit aigu en eau
des compartiments de l’organisme. Ses formes les plus graves menacent
de façon immédiate la vie de l’enfant par collapsus hypovolémique. Des
séquelles, consécutives aux troubles hydro-électrolytiques ou à l’altération
de l’hémodynamique et de l’oxygénation tissulaire, peuvent grever l’avenir
neurologique ou rénal. Le traitement de la DA est une urgence en toute
situation, et une extrême urgence en cas de troubles hémodynamiques.
Si la forme la plus fréquente survient chez le nourrisson et complique
une gastro-entérite aiguë, d’autres DA peuvent être liées à des affections
aussi diverses qu’un diabète, une néphropathie, ou la constitution d’un
troisième secteur.
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Les pertes extrarénales, en particulier digestives par d’un stade de gravité supérieur de collapsus, et peut
gastro-entérite aiguë, sont les plus fréquentes. Elles mettre en jeu le pronostic vital de façon immédiate,
s’accompagnent d’une diminution de la concentra- car un arrêt circulatoire est susceptible de survenir à
tion urinaire de sodium < 20 mmol/L, du fait de tout moment (voir chap. B.25).
l’aldostérone. 2.1.2 Signes de déshydratation associés
La connaissance de la composition des différents
Ils sont le plus souvent évidents : teint gris, yeux
liquides biologiques est une aide, supplémen-
cernés, persistance du pli cutané, muqueuses sèches,
taire, à la prise en charge thérapeutique d’une
soif, fontanelle antérieure creuse, dans un contexte
déshydratation (voir chap.C.7).
étiologique évocateur (diarrhée aiguë profuse).
Les carences d’apports sont beaucoup plus rares,
apparaissant lors de vomissements incoercibles, chez 2.1.3 Gestes immédiats
des encéphalopathes ou lors de manque de soins. Il faut d’urgence rétablir une volémie efficace. Il
importe de mettre en place une voire deux voies
veineuses périphériques de fort calibre. À défaut
2. Principales situations d’y parvenir en moins de 3 minutes, on doit
rencontrées en pratique recourir à un abord vasculaire intra-osseux très
rapide (voir chap. C.36). Cela permet de débuter
2.1 Déshydratation aiguë une expansion volémique, en passant en moins de
avec choc hypovolémique 20 minutes 15 à 20 mL/kg de colloïdes : gélatines
synthétiques modifiées ou hydroxy-éthyl-amidons,
Le diagnostic de l’état de choc et de la déshydrata-
ou 30 à 50 mL/kg de sérum physiologique en 30 à
tion est rapide car il est clinique.
45 min (tableau 39.2). Il faut savoir accélérer à la
2.1.1 État de choc demande le débit dans les cas, heureusement rares,
(Voir chap. B.26.) de collapsus sévère. Dans ce contexte, prélèvement
Il doit se reconnaître, lorsqu’il est compensé, dès la sanguin préalable et pesée sont à différer jusqu’à
présence de signes périphériques : pâleur et refroi- récupération d’une hémodynamique plus sûre (la
dissement des extrémités, augmentation du temps pesée montrant alors une perte de poids > 10 %,
de recoloration cutanée (celui-ci est obtenu après voire 艌 15 % du poids antérieur).
une compression de 5 secondes – chronomètre en Secondairement, dans les cas où il a fallu prendre une
main – de l’éminence thénar ou hypothénar ; il est voie osseuse, ou si un abord périphérique ne paraît pas
normalement inférieur à 3 secondes), marbrures sûr, pourra être réalisée la pose d’un cathéter veineux
cutanées, pouls petit, filant, rapide (tachycardie), central, jugulaire interne, sous-clavier ou fémoral. La
tachypnée (les fréquences cardiaque et respiratoire pose directe d’un cathéter central dans cette situation
devant être interprétées selon l’âge de l’enfant), est souvent difficile et consomme du temps. De plus,
somnolence, oligurie. À ce stade, la pression arté- elle peut précipiter la survenue d’un collapsus ou d’un
rielle (dont les valeurs sont également à interpréter arrêt circulatoire chez un enfant dont l’hémodyna-
en fonction de l’âge) est souvent conservée, voire mique n’a pas été stabilisée auparavant.
élevée, mais avec une pression différentielle pincée. La Sous l’effet de l’expansion volémique initiale, l’évo-
constatation d’une hypotension artérielle témoigne lution est en règle générale favorable : élévation de
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Gallia
Nestlé
Guigoz
Milupa
GES 45®
Directives
mondiales
LYTREN®
Lab. Lactéol
ADIARIL®
Mead-Johnson
PICOLITE®
* OMS 2002
HYDRIGOZ®
OMS UNICEF
ALHYDRATE®
COMPOSANTS
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
g/L
mmol/L
K+ de 15 à 25 mmol/L 20 20 20 25 20 25 19 30
Cl- de 50 à 80 mmol/L 65 30 60 51 60 40 61 50
180
Citrate--- de 8 à 12 mmol/L 10 10 18,5 18,5 19,4 11,3 10
Gluconate- 20
艌 mmol de Na
Glucose 13,5 20 20 50 88
et < 110
Saccharose 20 20 20 20 20
Dextrine-
59 59 69,5
maltose
de 200 à 310
Osmoles 245 250 < 300 298 < 300 240 < 300 251
mOsmol/L
K Calories/L 54 160 320 160 320 205 360 352
La composition proposée par l’OMS (version 2002) convient aussi bien aux déshydratations en Europe que pour les diarrhées tropicales. La formule en est pour un litre d’eau potable :
NaCl : 2,6 g + KCl 1,5 g + Citrate trisodique anhydre 2,9 g + glucose 13,5 g. Le mélange est réparti en 5 sachets à dissoudre chacun dans 200 mL d’eau
Le bicarbonate de sodium provoque l’instabilité des solutions en pays chauds, contrairement au citrate. En Europe, le citrate peut être remplacé par 2,5 g de bicarbonate
Dans le dénuement, on peut utiliser la formule suivante pour un litre d’eau : 6 cuillerées à café ou 6 morceaux de sucre + 2/3 de cuillerée à café de sel ± 1 cuillerée à café de jus de citron
23/09/04, 11:01:20
Bouillie de riz : faire cuire 50 à 60 g de riz sans saler dans 1 litre d’eau - mixer + 1/4 à 1/2 cuillerée à café de sel + si possible 1 cuillerée à café de jus de citron (potassium)
39. Déshydratations aiguës
Un soluté de bicarbonate de sodium à 1,4 % est En cas d’échec de la réhydratation orale (vomis-
administré en 1 à 3 heures, suivant le pH initial. sements, ballonnements, selles importantes) une
réhydratation intraveineuse est alors entreprise
2.4 Surveillance (voir en 2.3.1 Apports liquidiens).
Elle est d’abord clinique en suivant régulière-
ment : pouls, temps de recoloration cutanée,
marbrures, température des extrémités, TA, 3. Cas particuliers
fréquence respiratoire, poids et signes neurologi-
ques (convulsion, conscience).
3.1 Déshydratation du nouveau-né
La reprise d’une diurèse (> 1mL/kg/h), dans les Elle peut être d’une particulière gravité avec des
3 heures, dans les cas des DA d’origine extrarénale, pertes de poids approchant 20 % en peu de temps.
traduit la restauration d’une hémodynamique effi- Non seulement il y a un risque vital, mais encore
cace. on observe souvent une insuffisance rénale sévère
Le rattrapage du poids de référence est progressif en par nécrose corticale, des thromboses des veines
48 heures. rénales, des thromboses veineuses cérébrales, de
Sur le plan biologique, dans les cas sévères, un graves séquelles neurologiques.
ionogramme sanguin est prélevé 6 heures après le Le plus souvent, elle survient peu après la sortie
début de la réhydratation, et répété en fonction des de maternité, conséquence d’une diarrhée noso-
perturbations constatées et de l’évolution. comiale, d’un muguet buccal, d’erreurs de régime
Le débit de perfusion et les apports électrolytiques importantes. Plus rarement, la cause est endocri-
sont adaptés à l’allure de la prise pondérale, aux nienne : une virilisation chez la fille, une pigmen-
nouvelles pertes éventuelles et aux ionogrammes tation accentuée des bourses chez le garçon doivent
sanguins et urinaires. attirer l’attention.
La prévention est essentielle. Pour les diarrhées, il
2.5 Déshydratations modérées est nécessaire de repérer en maternité les enfants à
Le traitement des formes modérées repose avant risque, de ne pas les laisser sortir sinon en direc-
tout sur une réhydratation orale. Celle-ci nécessite tion d’une structure hospitalière, ou, s’ils vont au
la coopération des parents, lors des gastro-entérites domicile, de s’assurer d’un suivi étroit (médecin,
aiguës. La réhydratation orale utilise des solutés puéricultrice). Les mères inexpérimentées doivent
de réhydratation (SRO) spécifiques, composés de recevoir une formation concrète sur la confection
glucose et d’électrolytes (tableau 39.7). Les SRO des biberons.
proposés par l’Organisation mondiale de la santé Le traitement symptomatique des insuffisances
(OMS) contiennent 90 mmol/L de Na. Ils sont surrénaliennes comporte un apport quotidien de
adaptés aux déshydratations du choléra en pays base de sodium de 15 mmol/kg. En cas d’hyperka-
tropical. En Europe, l’ESPGAN* recommande liémie menaçante (voir chap. B.40).
des solutions moins riches en sodium (60 mmol/L)
adaptées aux gastro-entérites aiguës des pays occi- 3.2 Sténose du pylore
dentaux. Ces solutions sont généralement obte- et atrésie duodénale
nues en diluant un sachet dans 200 ml d’eau. L’ad- Les vomissements répétés causent à la longue une
ministration est fractionnée, à hauteur de 50 mL DA avec une perte importante d’acide chlorhy-
toutes les 15 minutes au début, puis à volonté, drique qui cause une baisse de la chlorémie (souvent
pour une quantité totale de 150 à 200 mL/kg et < 80 mmol/L ), un pH alcalin, une hypokaliémie
par jour. Elle suppose une bonne coopération de et des urines paradoxalement acides (pH < 5,5).
l’enfant et une information soigneuse des parents. Ce profil biologique doit évoquer en priorité ce
Ces SRO ne contre-indiquent pas l’allaitement, diagnostic. La perfusion pour les 3 premières
elles sont alors administrées en complément. La heures est faite de sérum physiologique auquel
reprise de l’alimentation au sein ou par le lait on ajoute 2 mmol/kg de potassium (chlorure) et
artificiel habituel est progressive dans les douze 0,25 mmol/kg de gluconate de calcium.
premières heures. Il est possible de ne pas inter- Ensuite, l’enfant est perfusé avec du G 5 % dans
rompre l’alimentation dans les formes peu sévères. lequel, pour 24 h, on ajoute : 5 mmol/kg de
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sodium (chlorure), 5 mmol/kg de potassium (chlo- En fait, l’ionogramme sanguin dit ce qu’il en est.
rure) et 0,5 mmol/kg de gluconate de calcium. Il existe en règle générale aussi dans ce cas une
hypocalcémie.
3.3 Enfant très dénutri Les risques d’œdème cérébral de la réhydratation
Il y a un risque vital accru. Quand l’enfant a standard et la tactique à suivre ont été vus (voir supra
des œdèmes, il peut conserver une polyurie avec en 2.3.2 Hyperosmolarité et hypernatrémie). Il y a en
une fuite sodée. La priorité, si on le peut, est outre la possibilité d’œdèmes pulmonaires lors d’une
d’apporter des protides, puis de réhydrater avec réhydratation mal ajustée. Si le sujet est anurique, une
des électrolytes en se gardant des excès (risque dialyse péritonéale doit utiliser des liquides modifiés au
d’œdème pulmonaire). L’idéal est de prendre fur et à mesure à la demande, en y ajustant des apports
une voie veineuse, sinon, on utilise un goutte- de sodium pour que leur nombre de mmol/L dans le
à-goutte gastrique en apportant le premier jour liquide soit inférieur à la natrémie du moment de 5 à
1 g/kg de protides (par exemple, 50 ml/kg d’AL 10 mmol seulement. Quoi qu’il en soit, le traitement
110) dans une solution de glucose. est étroitement surveillé : pesée toutes les 6 heures,
La ration protidique est augmentée de 1 g/kg natrémie toutes les 4 heures. Des trémulations font
chaque jour, sans dépasser 4 g/kg/j. ralentir la perfusion. En cas de convulsions, injecter
1 mmol/kg de sodium molaire, faire une PL (une
3.4 Conditions de grand dénuement méningite ne doit pas être méconnue). La présence
La réhydratation orale peut être réalisée en mettant de plus de 1 000 hématies/mm3 évoque la possibilité
dans un litre d’eau bouillie 6 à 8 morceaux de sucre d’une thrombose veineuse cérébrale.
(ou une pincée de sucre en poudre ramassée avec 4 3.6.2 Hyperglycémies
doigts), deux pincées de sel fin prises avec 3 doigts
Les très fortes hyperglycémies observées lors de
(environ 3 g), du jus d’orange.
diabètes insulinoprives ou de certaines diarrhées
Si l’enfant vomit, faute de pouvoir perfuser, on
exposent à des dangers semblables lors d’une réhy-
peut instiller dans le péritoine 75 mL/kg de sérum
dratation. En effet, on sait que le glucose pénètre
physiologique en 2 h.
sans insuline les cellules cérébrales et y reste en
3.5 Recours à la dialyse péritonéale partie. Cela crée un gradient du même type, si
les liquides perfusés sont trop hypotoniques. Le
(Voir chap. C.72.)
recours à l’insuline est à ménager de sorte que la
Celle-ci peut devenir nécessaire quand l’évolution
chute de la glycémie ne soit pas trop brutale, les
se dessine défavorablement, en relation avec une
pertes de sodium et de potassium liées à la diurèse
anurie confirmée :
osmotique doivent être compensées.
– acidose rebelle avec un pH inférieur à 7,20 et un
excès de base supérieur à –15 ; 3.7 Acidocétose diabétique
– azotémie 艌 40 mmol/L ;
(Voir chap. B.44.)
– hypernatrémie > 165 mmol/L ;
– surcharge liquidienne iatrogène avec menace 3.8 Brûlures
d’œdème pulmonaire ou une natrémie
(Voir chap. B.267.)
< 120 mmol/L.
3.6 Grande hyperosmolarité 4. Complications
3.6.1 Natrémie >165 mmol/L
Il y a risque de mésestimer l’importance d’une DA, Leur fréquence dépend de la sévérité de la déshy-
car le collapsus y est tardif, le pli cutané ne se mani- dratation et de l’âge de l’enfant.
feste qu’à partir d’une perte de poids de 15 %. L’en-
fant est trop réactif aux stimulations, hypertonique, 4.1 Complications cérébrales
trémulant, avec des opsoclonies (mouvements Les complications liées à l’hypertonie plasmatique,
de va-et-vient rapides au moment où les globes telles qu’hématome sous-dural, thrombose des
oculaires franchissent la ligne médiane). Le fond sinus veineux ou hémorragies intraparenchyma-
d’œil peut révéler des suffusions hémorragiques. teuses, sont en fait rares et concernent essentielle-
ment le petit nourrisson et le nouveau-né. Il peut
en résulter des séquelles très invalidantes.
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L’apparition en cours de réhydratation d’un coma, permet de relancer la diurèse en cas d’insuffisance
de troubles de la conscience ou de convulsions rénale fonctionnelle. L’absence de réponse traduit
doit faire craindre, avant tout, une correction trop une insuffisance rénale aiguë organique (nécrose
rapide d’une hyperosmolalité plasmatique. Ces corticale) avec le risque de lourdes séquelles. Il
signes neurologiques reflètent l’apparition d’un convient de réduire le débit des perfusions. Il en
œdème cérébral. Ils sont annoncés par une insta- est de même si un pic de pression veineuse centrale
bilité tensionnelle, l’apparition ou l’aggravation de redescend très lentement après le test. L’absence de
troubles de la conscience. Le traitement consiste diurèse peut conduire rapidement à mettre en route
en une administration intraveineuse rapide de une dialyse péritonéale.
1,5 mEq/kg de NaCl molaire, à renouveler si néces-
saire, et en une réduction du débit de perfusion. 4.3 Thrombose des veines rénales
Elle est évoquée devant une hématurie, une forte
4.2 Insuffisance rénale protéinurie associées à la palpation d’un ou de deux
Tableau 39.8. : Évaluation gros reins.
Une échographie avec étude Doppler de la vascula-
de la fonction rénale (IR) risation rénale est utile au diagnostic.
IR IR 4.4 Hyperpnée
fonctionnelle organique
Elle est consécutive à une surcharge liquidienne
Natriurie (mmol/L) < 20 > 20 apparue secondairement avec menace d’œdème
Na/K urinaire <1 >1 pulmonaire rebelle au furosémide et peut réclamer
Osmolarité U/P 艌 1,5 艋1 la mise sous ventilation mécanique.
Urée U/P 5 à 10 <5 4.5 Défaillance multiviscérale (DMV)
U/P : rapport urine/plasma.
Les formes sévères de DA peuvent s’accompagner
Elle est fonctionnelle dans la majorité des cas de la constitution d’une DMV (voir chap. B.304),
(tableau 39.8). Si, à la 3e heure, il n’y a pas eu de chaque fonction altérée nécessitant une prise en
diurèse, celle-ci est stimulée par 1 mg/kg de furo- charge (troubles de la coagulation, atteinte hépa-
sémide. L’absence d’urines à la 6e heure conduit tique, atteinte myocardique). L’existence d’un sepsis
à faire, sous le contrôle de la pression veineuse associé à la déshydratation, dont il peut éventuelle-
centrale, un test de remplissage vasculaire (15 mL/ ment être la cause, favorise ce type d’évolution.
kg de sérum physiologique passés en 15 min). Cela
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