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EMC-Pédiatrie 1 (2004) 59–72

www.elsevier.com/locate/emcped

Tubulopathies congénitales
Congenital tubular defects
M. Broyer (Professeur des Universités)
Département de pédiatrie médicale, néphrologie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants-Malades,
149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France

MOTS CLÉS Résumé Les tubulopathies congénitales rassemblent un assez grand nombre d’entités
Glycosurie rénale ; ayant en commun un dysfonctionnement tubulaire rénal proximal et/ou distal générale-
Cystinurie-lysinurie ; ment traduit par un trouble de la réabsorption d’un ou plusieurs éléments. Au cours des
Syndrome de Bartter ; dernières années, la base moléculaire d’un nombre grandissant de ces entités a pu être
Syndrome de identifiée, sous la forme d’un ou plusieurs transporteurs ou canaux dont les mutations
Gitelman ;
sont en cause. On trouvera dans ce chapitre une mise au point à ce sujet sur la glycosurie
Acidoses tubulaires ;
Cystinose ;
rénale, la cystinurie-lysinurie, le syndrome de Bartter et de Gitelman, les acidoses
Syndrome de Lowe tubulaires, les pseudohypoaldostéronismes, le syndrome de Liddle, ainsi que sur la
cystinose, les autres causes de syndrome de Fanconi d’origine génétique, et le syndrome
de Lowe.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS
Abstract Congenital tubular defects include a number of distinct entities sharing the
Renal glycosuria; same basis of a proximal and/or distal renal tube dysfunction, generally characterised by
Cystinuria-lysinuria; a reabsorptive defect of one or several elements. During the last years, the molecular
Bartter syndrome; basis of an increasing number of these entities was identified as one or several carriers or
Gitelman syndrome; channels the mutations of which are responsible. An update of this lysinuria, Bartter and
Tubular acidosis; Gitelman syndrome, tubular acidosis, pseudohypoaldosteronisms, Liddle syndrome, and
Cystinosis; also cystinosis, other causes of inherited Fanconi syndrome and Lowe syndrome.
Lowe syndrome
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction
Ces maladies étant liées à une anomalie généti-
On peut rassembler sous la dénomination générale quement transmise, on comprend que les premiers
de tubulopathies congénitales un certain nombre symptômes en soient généralement précoces et
d’entités cliniques ou seulement biologiques, très intéressent essentiellement le pédiatre. Mais cer-
diverses dans leurs manifestations, mais qui ont taines tubulopathies peuvent aussi apparaître se-
pour commun dénominateur d’être liées à un trou- condairement et se manifester à l’âge adulte. Le
ble du fonctionnement tubulaire rénal. La com- plan adopté pour ce chapitre permettra d’aborder
plexité et la multiplicité des fonctions tubulaires de successivement les anomalies ponctuelles d’un sys-
réabsorption et d’excrétion rendent compte du tème de transfert tubulaire : glucose, acides ami-
nombre de maladies ou de troubles qui peuvent être nés, électrolytes, eau et ions H+ , puis les anomalies
rangés dans ce cadre. De très importants progrès complexes du type de Toni-Debré-Fanconi, plus
dans la connaissance de ces affections ont été enre- couramment dénommé aujourd’hui syndrome de
gistrés ces dernières années du fait de l’identifica- Fanconi, pour terminer avec le syndrome de Lowe
tion des gènes dont les mutations sont en cause. et la maladie de Dent.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/S1762-6013(03)00007-7
60 M. Broyer

Glycosurie rénale aminoacidurie très faible, inférieure à 2 ou


3 lmol/min/1,73 m2 où prédominent la glycine et
La glycosurie rénale ou diabète rénal du glucose est l’histidine.
une anomalie anciennement connue dont on a long- Une hyperaminoacidurie peut avoir une origine
temps pensé qu’elle se transmettait selon un mode prérénale en cas de maladie du métabolisme d’un
dominant simple. En fait, on sait aujourd’hui qu’il acide aminé. Nous ne considérons ici que les hype-
s’agit d’un trouble incomplètement récessif, les raminoaciduries rénales.
hétérozygotes pouvant avoir une glycosurie modé-
rée et les homozygotes ayant une glycosurie mas- Cystinurie. Lysinurie
sive. L’incidence en serait de 1/500.
Le seul symptôme est une glycosurie orthoglycé- Elle représente le type le plus fréquent d’une ano-
mique pouvant atteindre 50 g/j, parfois seulement malie de transfert spécifique des aminoacides.
observée au cours des périodes postprandiales chez L’incidence de la maladie est de 1/2 000 à
les hétérozygotes. L’identification du glucose dans 1/15 000.
les urines est nécessaire au diagnostic. la caracté- La cystinurie est caractérisée par une excrétion
risation du glucose est possible, soit par chromato- urinaire excessive de cystine et des amino-acides
graphie, soit, plus aisément, par un papier réactif à dibasiques : la lysine, l’arginine et l’ornithine. Le
la glucose-oxydase, spécifique. Il est également trouble fondamental est mieux compris depuis que
nécessaire de vérifier que la glycémie est normale, l’on a identifié le système des transporteurs
de même que l’épreuve d’hyperglycémie provo- concernés et leur gènes. On distinguait naguère les
quée, pour écarter toute arrière-pensée de diabète types I II et III qui en fait ne sont pas vraiment
sucré. Enfin, le trouble est et demeure isolé sans différents au plan clinique dans les cas homozygo-
aucun autre symptôme tubulaire. tes. On peut maintenir une distinction en deux
On a décrit deux types de glycosurie rénale : types, le type I dont les hétérozygotes ne présen-
• le type A caractérisé par un abaissement du tent pas d’anomalie décelable et les types non-I
taux de réabsorption du glucose ; dont les hétérozygotes présentent une cystinurie
• le type B où le taux serait peu modifié avec un variable mais à un degré moindre et sont peu sujets
effondrement du Tm. à la lithiase.
En fait, les deux types peuvent coexister dans La symptomatologie est celle d’une lithiase dont
une même famille et leur distinction n’a guère la sévérité dépend de l’importance de l’excrétion
d’intérêt. On a identifié le gène dont des mutations de cystine dans les urines. La lithiase ne s’observe
sont à l’origine du trouble : il s’agit du gène SLC5A2 pas chez tous les sujets cystinuriques, mais en
codant pour le cotransporteur sodium/glucose de réalité chez presque tous les homozygotes pour le
basse affinité SGLT222. trait. La lithiase cystinique n’est en cause que dans
Le diabète rénal du glucose est une anomalie approximativement 1 % des cas de lithiase urinaire
bénigne dont la seule gravité est d’exposer à un de l’adulte, mais de l’ordre de 5 % chez l’enfant. Il
faux diagnostic de diabète sucré et à des traite- s’agit d’une lithiase radio-opaque souvent bilaté-
ments intempestifs. Il ne motive ni traitement ni rale, récidivante, pouvant s’accompagner de pyé-
régime. lonéphrite et/ou d’obstruction chronique mena-
Avant de porter le diagnostic de glycosurie ré- çant, à la longue, la fonction rénale. Le diagnostic
nale, il faut savoir que l’urine contient en moyenne repose sur la mise en évidence d’une cystinurie
65 mg/l de glucose, et que cette quantité est excessive par la réaction de Brand au nitroprussate
beaucoup plus importante chez le prématuré où ou par la chromatographie des acides aminés uri-
cette concentration peut atteindre 1,50 g/l. Une naires permettant d’évaluer la cystinurie qui dé-
glycosurie isolée a aussi été rapportée dans les passe 250 mg/g de créatinine et qui démontre en
pyélonéphrites et le tétanos. outre l’existence d’une excrétion excessive des
acides aminés basiques, essentiellement la lysine,
puis l’arginine et l’ornithine. Les calculs sont faits
Aminoaciduries de cystine, aisément identifiable au laboratoire,
mais contiennent souvent également des sels de
Le mécanisme de réabsorption des aminoacides est calcium, surtout s’il existe une infection surajou-
semblable à celui du glucose, impliquant l’inter- tée. La solubilité de la cystine est faible et la
vention d’un système de transport. En fait, il existe cristallisation apparaît pour un taux supérieur à
plusieurs systèmes, le déficit de chacun d’entre eux 250 mg/l. L’alcalinisation des urines augmente
étant à l’origine d’un type particulier d’aminoaci- cette solubilité à condition d’élever le pH au-dessus
durie. Chez l’enfant normal, on retrouve une de 7,5.
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Le traitement préventif de la lithiase11 doit être tions du gène SLC7A7 codant aussi pour un transpor-
prescrit quand la cystinurie dépasse teur hétéromérique d’acides aminés.
250 mg/24 heures. Il s’appuie essentiellement sur
l’ingestion d’une quantité suffisante d’eau, en par- Maladie de Hartnup
ticulier au milieu de la nuit. L’alcalinisation n’est
efficace que dans la mesure où elle est perma- Cette maladie rare est héritée sur le mode récessif
nente. Le régime pauvre en acides aminés soufrés autosomique, son incidence est de 1/20 000. Elle
est discuté dans ses effets. est en relation avec le défaut de transfert des
La D-pénicillamine (Trolovol®) qui forme un com- acides aminés neutres dans le tube digestif et dans
plexe soluble avec la cystine peut être utile, mais le tube rénal, par atteinte de leur système spécifi-
sa prescription au long cours peut être responsable que de transfert dans la bordure en brosse dont le
de diverses complications (manifestations allergi- gène a été récemment localisé en 5p16. Les symp-
ques, glomérulonéphrite extramembraneuse, ...) tômes cliniques ne dépendent en réalité que du
qui en font restreindre l’emploi aux formes les plus trouble intestinal, il s’agit de signes de pellagre et
graves. de troubles neurologiques survenant par accès et
Deux dérivés soufrés qui semblent avoir moins caractérisés par des mouvements anormaux et des
d’effets secondaires que la D-pénicillamine sont crises d’ataxie. Ces symptômes s’expliquent par la
également utilisés dans cette maladie : la N-acétyl limitation de l’absorption intestinale du trypto-
D-pénicillamine, et l’alpha mercapto-propionyl gly- phane qui est dégradé par les bactéries vers des
cine (Acadione®) à la dose de 30 à 50 mg/kg. Ce dérivés indolés probablement toxiques pour le sys-
dernier médicament serait susceptible de dissoudre tème nerveux, tandis que se constitue une carence
40 % des calculs déjà formés. Il faut noter qu’en cas en nicotinamide élaborée en partie normalement à
d’échec de ce traitement médical, l’ablation des partir du tryptophane alimentaire. Le trouble tubu-
calculs doit le plus souvent faire appel à la chirur- laire n’a d’intérêt que pour le diagnostic : il existe
gie, du fait de l’habituelle mauvaise efficacité de la chez ces malades une aminoacidurie excessive por-
lithotripsie dans cette lithiase. tant sur la glutamine, l’asparagine, l’histidine, la
Le type I le plus fréquent, autosomique et réces- sérine, la thréonine, la phénylalanine, la tyrosine
sif où seuls les homozygotes sont cystinuriques, est et le tryptophane, la leucine et l’isoleucine.
en rapport avec des mutations du gène SLC3A1 Cette aminoacidurie est le seul trouble rénal que
autrefois dénommé rBAT porté par le chromosome l’on puisse mettre en évidence, il est permanent et
2, et qui s’exprime essentiellement dans la branche définitif.
droite de l’anse de Henle. Les types non-I incom-
plètement récessifs, sont en rapport avec des mu- Autres aminoaciduries élémentaires
tations du gène SLC7A9 autrefois dénommé BAT1
porté par le chromosome 19, et dont l’expression La cystinurie isolée, la lysinurie, l’acidurie dicar-
est plus diffuse dans le tube proximal18. Les pro- boxylique (aspartate, glutamate), l’histidinurie et
duits de ces deux gènes qui peuvent se combiner l’aminoglycinurie (proline, hydroxyproline et glu-
font partie d’un nouveau groupe de transporteurs cine) ont également été décrites chez l’homme10. Il
dits hétéromériques d’aminoacides (HAT). s’agit le plus souvent d’anomalies asymptomati-
ques, sauf pour la cystinurie responsable de lithiase
Aminoacidurie dibasique avec intolérance à et l’histidinurie associée à des troubles cérébraux.
la lysine et aux protéines L’aminoacidurie n’est là encore qu’un moyen de
dépistage ou de diagnostic. Le trouble se retrouve
Dans cette affection qui serait liée à un défaut du généralement au niveau de la muqueuse intesti-
transporteur basolatéral des acides aminés dibasi- nale.
ques, on note une excrétion urinaire excessive
d’arginine, d’ornithine et de lysine, mais la cysti-
nurie n’est pas augmentée. Au plan clinique, la Hypo-uricémie rénale congénitale
gravité en est variable : une diarrhée, un défaut de
développement staturopondéral, une hépatoméga- Cette anomalie a surtout été rapportée chez des
lie, une ostéoporose sont fréquemment observés. sujets japonais et israéliens, elle a vraisemblable-
Des épisodes de coma peuvent survenir en rapport ment une base génétique, en rappelant que la
avec une hyperammoniémie secondaire à une in- présence de l’acide urique dans l’urine à la sortie
gestion excessive de protéines. Cette affection très du tube proximal est la résultante d’un double
rare essentiellement observée en Finlande est ré- processus de réabsorption et de sécrétion impli-
cessive autosomique et en rapport avec des muta- quant des transporteurs spécifiques. Elle peut être
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complètement latente ou s’accompagner d’une li- bombé, de grands yeux, des oreilles décollées, un
thiase urique avec ses symptômes cliniques habi- petit menton et une bouche tombante. Un stra-
tuels. En dehors de l’hypo-uricémie avec élévation bisme est fréquent. La polyurie massive se prolonge
considérable de la clairance de l’acide urique, on a au moins 1 à 2 mois après la naissance et persiste en
décrit chez ces sujets la possibilité de développer s’atténuant par la suite.
une insuffisance rénale aiguë suite à un effort On a également décrit une forme particulière de
musculaire intense17. syndrome de Bartter généralement à début néona-
Bien d’autres situations peuvent s’accompagner tal associée à une surdité neurogène.
d’une hypo-uricémie d’origine rénale, notamment
tous les syndromes de Fanconi quelle qu’en soit la Syndrome de Bartter classique
cause, les situations d’expansion du secteur extra- Dans la forme du syndrome de Bartter classique, les
cellulaire, comme la sécrétion inappropriée d’hor- premiers symptômes apparaissent généralement au
mone antidiurétique (ADH) ou la prescription de cours des 2 premières années de la vie : polyuro-
cotrimoxazole. Une hypo-uricémie peut aussi être dypsie, vomissements, constipation, anorexie et
prérénale comme dans le cas de la xanthinurie, du appétit particulier pour le sel, surtout insuffisance
déficit en adénine phosphoribosyl transférase (li- du développement staturopondéral. Des accès de
thiase de 2-8-dihydroxy-adénine) ou de la prescrip- paralysie hypokaliémique sont possibles, de même
tion d’allopurinol. que des crises de tétanie. Le faciès est parfois
semblable à celui décrit dans la forme néonatale. Il
faut souligner le fait que l’affection peut être tota-
Syndrome de Bartter lement latente, l’hypokaliémie étant découverte à
l’occasion d’un contrôle systématique. Chez
Décrit par Bartter en 1962 chez deux enfants qui l’adulte, la maladie se manifeste par une asthénie
présentaient une hypokaliémie chronique d’origine ou des signes musculaires d’hypokaliémie, mais
rénale et un certain nombre d’anomalies dont une peut aussi être latente et reconnue par examens
hyperréninémie, ce syndrome est resté longtemps systématiques fortuits.
obscur dans sa pathogénie. Les progrès considéra-
bles apportés par la génétique moléculaire permet- Biologie
tent aujourd’hui une assez bonne compréhension
de cet ensemble complexe. Elle n’est pas fondamentalement différente dans
les deux formes, sauf en termes d’intensité pour ce
Clinique qui concerne la perte de sodium et le trouble de
concentration. D’autre part, si l’hypokaliémie pro-
Les aspects cliniques sont variables, au point qu’il fonde (1 à 2 meq/l) et l’alcalose métabolique sont
n’est pas vraiment possible d’établir une corréla- des éléments constants du tableau biologique dans
tion étroite entre phénotype et génotype comme il la forme classique, ils peuvent manquer au départ
a été parfois proposé. On peut cependant opposer dans la forme néonatale, ou l’on peut constater au
au moins deux aspects cliniques selon l’âge de contraire une acidose avec une kaliémie normale.
début : autour de la naissance la forme néonatale, La preuve de l’origine rénale de l’hypokaliémie est
ou plus tard dans l’enfance et à l’âge adulte la donnée par la persistance d’une kaliurie au moins
forme classique. Dans tous les cas, il s’agit d’une égale à 2 meq/kg/j. La natrémie est généralement
maladie génétique habituellement transmise sur le abaissée autour de 130 mEq/l. Une hyperuricémie
mode récessif autosomique. est souvent notée, une hypomagnésémie avec
perte urinaire de magnésium est fréquente. L’hy-
Forme néonatale percalciurie est habituelle avec possibilité de
Dans la forme néonatale7, un polyhydramnios se néphrocalcinose parfois dès la naissance dans la
développe dès la 22 ou 24e semaine de gestation, forme néonatale.
avec naissance prématurée d’un enfant très polyu- Un symptôme biologique constant est l’élévation
rique (12 à 50 ml/kg/j) avec perte de sodium ma- considérable de la rénine plasmatique et de l’an-
jeure, épisodes de déshydratation menaçant la vie, giotensine II, alors que la tension artérielle de-
hypercalciurie et néphrocalcinose précoce accom- meure normale. L’aldostérone souvent sécrétée en
pagnant un trouble sévère du développement sta- excès peut être normale. Il faut noter que la dimi-
turopondéral. Des accès de fièvre, une sensibilité nution de la sensibilité vasculaire à l’angiotensine
accrue aux infections sont rapportés. La morpholo- (test de Kaplan) a fait penser qu’il s’agissait du
gie est parfois particulière avec des muscles peu trouble primaire lors de la première description de
développés et un faciès triangulaire, avec un front la maladie par Bartter. De même, l’augmentation
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considérable de l’excrétion urinaire de prostaglan- nale. On peut ajouter qu’à ce stade apparaît une
dine (PG)E2 et de PGF1 alpha fut considérée un hyperkaliémie dont il faut particulièrement se mé-
moment comme le primum movens de la forme fier chez ces malades qui reçoivent un supplément
néonatale, et certains continuent à désigner la de potassium. Après transplantation rénale, la ma-
forme précoce sous le nom de syndrome d’hyper- ladie ne récidive pas, comme nous avons pu le
prostaglandinémie, On sait qu’il existe aussi une constater dans un cas.
augmentation de la kallicréine et de la bradykinine
qui s’opposent probablement aux effets presseurs Diagnostic différentiel
de l’angiotensine II. On trouve aussi une augmenta-
tion du facteur atrial natriurétique. L’étude indi- Certains cas de cystinose ont été classés au départ
recte des transferts tubulaires proximaux et distaux comme des syndromes de Bartter. Récemment, un
du sodium et/ou du chlore par le test de Chaimovitz cas de mutation activatrice du gène du récepteur
met en évidence dans la plupart des cas un déficit au calcium (calcium-sensing receptor) qui est la
de réabsorption du chlore et/ou du sodium dans cause de l’hypocalcémie autosomique dominante,
l’anse ascendante de Henle, avec diminution de la simulait un syndrome de Bartter du fait de fuites
clairance de l’eau libre ainsi que de la réabsorption sodiques et potassiques associées23.
fractionnelle distale du sodium. L’étude de la clai- Il faut savoir que le syndrome de Bartter peut
rance du lithium permet aussi de retrouver un être simulé par la déplétion en chlore parfois d’ori-
défaut de sa réabsorption dans l’anse ascendante. gine alimentaire chez le nourrisson, ou à la suite de
D’autres symptômes tubulaires sont possibles : vomissements répétés. L’administration prolongée
trouble de concentration, protéinurie tubulaire, de diurétiques type furosémide entraîne également
limitation du Tm de l’acide para amino hippurique l’ensemble des signes biologiques du syndrome,
(PAH), limitation du taux de réabsorption des phos- rapidement réversible à l’arrêt du médicament.
phates. Ces symptômes sont en partie sous la dé- Dans le cas de vomissements provoqués, le chlore
pendance de l’hypokaliémie chronique, mais la cor- des urines est effondré, mais la prise occulte de
rection de l’hypomagnésémie peut aussi aider à la furosémide chez l’adolescent peut simuler totale-
correction de la déplétion potassique. ment le syndrome de Bartter. Le dosage de furosé-
mide dans les urines prend ici toute son impor-
Histologie tance.

La biopsie rénale permet de constater une hyper- Pathophysiologie et génétique moléculaire


trophie et hyperplasie des appareils juxtagloméru-
laires, anormalement visibles sur la plupart des La forme à début néonatal peut être en rapport
glomérules. Il est également fréquent de noter la avec au moins deux altérations géniques différen-
présence de nombreux glomérules de petite taille tes20. La première concerne le cotransporteur
très denses, d’aspect immature, spécialement sous NKCC2 ou Na-K-2Cl situé sur la face luminale de
la capsule. Enfin, la tubulopathie hypokaliémique l’anse ascendante de Henle, et dont les mutations
avec ses vacuoles caractéristiques est parfois visi- expliquent le trouble de réabsorption du Cl, du Na
ble. Des lésions rénales plus importantes avec fi- et du K. La perte de K est accrue par l’échange
brose tubulo-interstitielle peuvent se développer Na/K dans le tube distal. La seconde concerne le
dans certains cas, ainsi qu’une hyalinisation glomé- canal rectificateur du potassium dit ROMK, dont les
rulaire dont l’hypokaliémie chronique serait la mutations affectent le recyclage du K nécessaire au
cause ainsi que l’hyperangiotensinémie. fonctionnement de la cellule tubulaire et notam-
ment du cotransporteur NKCC2. Certains auteurs
Évolution ont proposé de dénommer ces deux anomalies Bart-
ter de types génétiques I et II, arguant du fait que
L’évolution à long terme dépend probablement au certains patients porteurs de mutation dans ROMK
moins en partie de la qualité du traitement. Le avaient une symptomatologie particulière simulant
pronostic vital est en jeu dans la forme néonatale, l’hypoaldostéronisme de type 1, mais cet aspect est
tant il peut être difficile d’équilibrer les pertes inconstant et cette distinction contestable au plan
hydroélectrolytiques. Le développement staturo- clinique.
pondéral demeure dans notre expérience générale- Le syndrome de Bartter classique, que certains
ment inférieur à la moyenne, mais il peut être auteurs dénomment Bartter de type génétique III,
strictement normal. Quelques cas présentant au correspond au moins dans quelques cas à des muta-
départ tous les symptômes de la maladie évoluent tions dans le gène du canal chlore ClC-Kb situé sur
progressivement vers l’insuffisance rénale termi- la membrane basolatérale des cellules tubulaires
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distales, d’où le défaut de réabsorption de chlore une alcalose hypokaliémique avec polyurie mais de
et de sodium affectant aussi le K. Des mutations des révélation en général plus tardive, se manifestant
transporteurs NKCC2 et ROMK ont aussi été décrites par des symptômes de sévérité variable mais pou-
dans des syndromes de Bartter classiques. vant affecter sérieusement la qualité de vie5, allant
Le syndrome de Bartter avec surdité neurogène d’un état de fatigue ou de crampes à des crises de
est en rapport avec des mutations dans un nouveau tétanie, de paralysies ou des accès de rhabdomyo-
gène dénommé BSND codant pour une protéine, la lyse. Chez l’enfant, le retard de taille ne se mani-
barttine, formant un hétéromére avec le canal feste qu’inconstamment après l’âge de 5 ou 6 ans.
chlore ClC-Ka et ClC-Kb exprimé dans le tube proxi- Au plan biologique, l’élément différentiel avec
mal et distal ainsi que dans l’oreille interne, ce qui le syndrome de Bartter est l’hypocalciurie (rapport
explique les symptômes de la maladie3. molaire calcium/créatinine inférieur ou égal à
À partir du déficit de réabsorption de chlore et 0,20) et l’hypomagnésémie (< 0,75 mmol/l).
de sodium généré par les anomalies des canaux Ce syndrome est en rapport avec des mutations
identifiés, s’accentue la perte de potassium et affectant le cotransporteur Na-Cl thiazide sensible
s’ensuivent tous les autres signes biologiques y entraînant un défaut de réabsorption au niveau du
compris l’hyperréninémie avec hypertrophie des tube contourné distal, les mécanismes de
appareils glomérulaires et augmentation de la sé- concentration/dilution n’étant que peu modifiés.
crétion rénale de PGE2. En fait, la corrélation phénotype/génotype n’est
Traitement pas univoque, puisqu’un syndrome de Gitelman cli-
niquement caractérisé peut aussi être en rapport
Un apport supplémentaire de chlorure de sodium avec une mutation dans le gène du canal chlore
est toujours de mise compte tenu de la physiopa- CLCNKB26.
thologie. L’administration permanente d’un sup- Le traitement comporte l’administration de ma-
plément de potassium qui peut dépasser gnésium et éventuellement de potassium.
15 mEq/kg/j est nécessaire, pour relever la kalié-
mie et réparer la déplétion potassique, ce qui est la
plupart du temps difficile, ou obtenu de façon Syndrome de Liddle
transitoire. Dans cette prescription, il faut tenir
compte du caractère agressif du chlorure de potas- Cette maladie décrite dans quelques familles cor-
sium sur les muqueuses digestives, certaines prépa- respond à une anomalie transmise génétiquement
rations galéniques microencapsulées étant mieux sur le mode autosomique et dominant. Elle associe
tolérées (Diffu-K®). L’adjonction de spironolactone une hypertension artérielle, une hypokaliémie pro-
(Aldactone®) ou surtout d’amiloride (Modamide®) fonde avec alcalose, et un taux bas de rénine avec
permet parfois un meilleur équilibre. Le progrès le
une excrétion faible ou nulle d’aldostérone dans les
plus évident au plan thérapeutique est venu de la
urines.
prescription d’inhibiteurs des prostaglandines syn-
Elle est en rapport avec une mutation activatrice
thétases (indométacine, Profénid®, etc.). L’admi-
du canal ENaC25, ce qui entraîne une réabsorption
nistration d’indométacine à la dose de 2 à
excessive de sodium au niveau du tube distal ne
3 mg/kg/j chez des enfants atteints d’un défaut de
dépendant pas de l’action des minéralocorticoïdes
développement staturopondéral a le plus souvent
et d’ailleurs non modifié par les antialdostérones.
un effet spectaculaire sur la croissance, tandis que
Le traitement de la maladie par un inhibiteur de
les signes biologiques s’améliorent également,
la réabsorption distale du sodium comme le Té-
mais la kaliémie n’est pas toujours complètement
normalisée. Étant donné les effets secondaires pos- riam®, et par un supplément en potassium adminis-
sibles de ce type de médicament, il convient cepen- tré au long cours, permet d’obtenir un bon résultat.
dant d’en nuancer les indications. La forme néona- Le diagnostic différentiel de ce syndrome est le
tale doit être traitée en unité de soins intensifs, déficit en 11 bêta hydroxylase surrénalien condui-
avec le but de compenser les pertes rénales de sant au même tableau clinique.
sodium et d’eau. L’indométacine est contre-
indiquée à la fois avant la naissance et pendant les
premières semaines de vie, du fait du risque très Trouble du transfert du sodium
élevé d’effets secondaires graves.
Pseudohypoaldostéronisme
Syndrome de Gitelman
Pseudohypoaldostéronisme de type I
Le syndrome de Gitelman apparaît comme une va- C’est un syndrome très rare qui se manifeste habi-
riante du syndrome de Bartter2, comportant aussi tuellement dès les premiers jours ou semaines de la
Tubulopathies congénitales 65

vie et qui ne touche en principe que les enfants de transporteurs tubulaires grâce à la biologie molécu-
sexe masculin. Les symptômes cliniques et électro- laire ouvre une nouvelle perspective pour la com-
lytiques sont ceux de l’insuffisance en minéralocor- préhension et la classification de ces acidoses19.
ticoïdes : vomissements, perte de poids, hypona-
trémie, hyperkaliémie et fuite urinaire du sodium. Acidoses tubulaires distales primitives dites
La déplétion sodée et/ou l’hyperkaliémie peut être de type I
létale en l’absence de traitement approprié. Le
diagnostic de pseudohypoaldostéronisme s’appuie Cette forme est en rapport avec une altération des
sur l’association d’une perte de sodium urinaire et échanges d’ions H+ au niveau du tube distal, qui se
d’un taux élevé d’aldostérone ou de ses dérivés traduit par une incapacité à abaisser le pH des
métaboliques (THA) dans les urines, chez un enfant urines en dessous d’un certain niveau sous le stimu-
dont les reins sont normaux morphologiquement et lus d’une acidémie, ce qui entraîne secondaire-
sans aucun autre symptôme rénal. Le trouble peut ment un déficit d’excrétion de NH4.
être principalement exprimé au niveau du rein ou Peuvent être en cause deux transporteurs, l’un
généralisé à tous les épithéliums sécrétoires, y impliqué dans l’excrétion des ions H+, la H+ ATPase
compris les glandes sudoripares et le côlon. Le vacuolaire au niveau de la membrane luminale,
trouble, majeur au début de la vie, semble s’atté- l’autre impliqué dans la réabsorption des bicarbo-
nuer avec le temps mais persiste néanmoins. nates, l’échangeur anionique AE1 au niveau de la
Ce diagnostic regroupe des entités génétiques membrane basolatérale. L’expression clinique de
diverses. Certains cas habituellement autosomi- ces deux entités est de sévérité et de précocité
ques récessifs sont en rapport avec des mutations variables.
inactivatrices des chaînes alpha, bêta ou gamma du
canal ENaC responsable des formes généralisées à Tableau commun
tous les épithéliums. D’autres cas rapportés auto- Dans les formes les plus graves, les symptômes se
somiques dominants et d’expression limitée au manifestent dès les premières semaines ou mois de
rein, sont liés à des mutations du récepteur aux la vie, par des vomissements et un arrêt du déve-
minéralocorticoïdes24. D’autres gènes peuvent loppement staturopondéral. Le diagnostic est évo-
aussi être en cause. qué sur la conjonction d’une acidose métabolique
Dans tous les cas, le traitement comporte l’ad- et d’urine insuffisamment acide dont le pH reste
ministration quotidienne d’une dose suffisante de supérieur à 6,5 ou 7. Il existe, d’autre part, une
sodium (10 à 20 mEq/kg/j et parfois plus) et l’uti- hypercalciurie, une hypocitraturie et très souvent
lisation de résine échangeuse d’ions en cas d’hyper- une hypokaliémie, ainsi qu’un trouble de concen-
kaliémie. La surveillance du taux d’aldostérone tration des urines. L’acidose étant un frein au pro-
plasmatique peut guider ce traitement. cessus de croissance par excès de catabolisme, un
retard du développement staturopondéral est cons-
Pseudohypoaldostéronisme de type II tamment associé, pouvant aboutir à un retard de
Encore appelé syndrome de Gordon, il associe une croissance extrêmement sévère en l’absence de
hypertension artérielle et une hyperkaliémie avec traitement. Peut alors s’y associer un rachitisme
acidose tubulaire et taux bas de rénine. Ce syn- ostéomalacique grave, qu’il est possible de guérir
drome habituellement autosomique dominant peut avec des doses physiologiques de vitamine D si
correspondre à des mutations dans plusieurs gè- l’acidose est contrôlée. Une néphrocalcinose mé-
nes1. Son traitement repose sur la prescription de dullaire bien visible à l’échographie est un symp-
thiazides généralement très efficaces. tôme fréquent, même dans les formes traitées pré-
cocement.
La maladie peut se révéler plus tardivement chez
Acidoses tubulaires l’adolescent ou l’adulte, par une lithiase ou une
néphrocalcinose ou des douleurs osseuses et/ou
Des mécanismes très différents peuvent être en articulaires en rapport avec l’ostéomalacie. Un épi-
cause dans une acidose métabolique d’origine tu- sode de paralysie hypokaliémique peut également
bulaire, et plusieurs classifications sont possibles. être révélateur. L’acidose n’est pas toujours im-
Jusqu’à récemment, cette classification était ba- portante dans ces cas.
sée sur la clinique et les données fonctionnelles. Un traitement bien suivi et régulièrement
Sur ces bases, on distinguait quatre types d’acido- contrôlé permet une croissance pratiquement nor-
ses tubulaires : le type 1 ou distal, le type 2 ou male. Un rattrapage spectaculaire peut être ob-
proximal, le type 3 mixte et le type 4 avec hyper- servé dans les cas traités tardivement. La taille
kaliémie. L’explosion des connaissances sur les finale est peu différente de la normale, à l’excep-
66 M. Broyer

tion de quelques cas dont le diagnostic n’a été pour une protéine sous-unité accessoire de la H+
porté qu’après l’âge de 3 à 5 ans, et qui s’accom- ATPase.
pagnaient de lésions osseuses sévères. La néphro-
calcinose persiste en général sans changements Traitement
malgré un traitement jugé satisfaisant. En l’ab- Le but du traitement est de normaliser la bicarbo-
sence de traitement, cette complication peut de- natémie (21 mmol/l pour un nourrisson, 23 mmol/l
venir plus sévère, et on a rapporté des cas d’insuf- pour un enfant plus âgé). Il faut aussi réduire la
fisance rénale après plus de 15 à 20 ans. calciurie en dessous de 4 à 5 mg/kg/j, et éventuel-
Le diagnostic biologique est porté sur l’ensemble lement maintenir la kaliémie supérieure ou égale à
des données suivantes : 3,5 mmol/l. Ces trois objectifs peuvent être obte-
• pH urinaire supérieur à 5,5 malgré l’état d’aci- nus en ajustant convenablement l’administration
dose, avec un bicarbonate plasmatique infé- de bicarbonate de sodium et de potassium. Des
rieur à 18 mmol/l. En fait, le pH ne descend pas doses de l’ordre de 5 à 10 mEq/kg/j peuvent être
généralement en dessous de 6 ; nécessaires chez le nourrisson, par la suite, 2 à
• excrétion des bicarbonates persistant quel que 3 mEq/kg/j doivent suffire. Cette dose doit être
soit l’abaissement du taux des bicarbonates répartie régulièrement sur le nycthémère. Il faut
plasmatiques, même si très inférieur à celui du aussi se garder d’une dose excessive de bicarbonate
seuil normal de disparition de la bicarbonatu- qui pourrait aussi théoriquement favoriser néphro-
rie ; calcinose et lithiase.
• débit insuffisant d’ions NH4 en stimulation par La prise en charge de la surdité, dont la recher-
un état d’acidose, débit d’ions H+ demeurant che doit être systématique dans un contexte d’aci-
inférieur à 50 lEq/min/m2 ; dose tubulaire, doit être la plus précoce possible en
• différence de pCO2 sang-urine basse (< 20 mm) milieu spécialisé.
en particulier lors d’une perfusion de bicarbo-
nates. Autres acidoses tubulaires distales

Acidose tubulaire distale autosomique De nombreuses situations peuvent s’accompagner


dominante d’une acidose tubulaire distale ; il ne s’agit pas
L’expression clinique peut être précoce et sévère, généralement de maladies congénitales mais acqui-
mais aussi et plus souvent tardive et modérée. Dans ses. Elles ont été bien analysées chez l’adulte, car
les familles atteintes, on a découvert des mutations elles sont plus rarement observées chez l’enfant. Il
du gène SLC4A1 codant pour l’échangeur Cl--,HCO3-- faut ajouter que le trouble distal peut accompa-
ou AE1. Il est intéressant de noter qu’il s’agit du gner un trouble proximal. On distingue deux grands
même gène que celui impliqué dans la sphérocytose groupes selon le taux de la kaliémie.
héréditaire qui ne s’accompagne jamais d’acidose
tubulaire. Acidose avec hyperkaliémie (de type 4)
Deux mécanismes sont possibles : le défaut d’am-
Acidose tubulaire distale autosomique récessive moniurie ou une anomalie plus importante de l’en-
avec surdité neurogène précoce semble du fonctionnement distal avec réabsorption
Le tableau clinique est ici généralement sévère insuffisante de sodium, et le défaut de voltage
avec une acidose dès les premières semaines de entre la lumière tubulaire et le côté basal des
vie, la surdité profonde étant également présente cellules.
dès les premiers mois. On a mis en évidence chez Lors d’une acidose, le pH des urines peut éven-
ces patients des mutations dans le gène ATP6V1B1 tuellement s’abaisser normalement mais avec une
codant pour la sous-unité B1 de la H+ ATPase vacuo- ammoniurie insuffisante. C’est l’hyperkaliémie,
laire, gène exprimé dans le rein et dans l’oreille dont le mécanisme est variable, qui joue ici un rôle
interne. L’absence de mutation dans ce gène dans inhibiteur de l’ammoniogenèse. Dans ce groupe de
certaines familles indique qu’il y a place pour faits, on peut relever tous les déficits en minéralo-
d’autres gènes dans cette forme clinique. corticoïdes, et beaucoup plus rarement chez l’en-
fant le syndrome hyporéninisme-hypoaldosté-
Acidose tubulaire distale autosomique récessive ronisme surtout décrit dans la néphropathie
avec surdité neurogène tardive diabétique et diverses néphropathies tubulo-
La seule différence dans ce groupe de patients est interstitielles. Entrent aussi dans cette catégorie
la date d’installation de la surdité, à partir de l’âge les troubles entraînés par certains traitements
de 9-10 ans ou plus. On a mis en évidence dans ces comme la ciclosporine ou les anti-inflammatoires
cas des mutations dans le gène ATP6V0A4 codant non stéroïdiens.
Tubulopathies congénitales 67

Le défaut de voltage s’observe dans les néphro- teur en cause serait le NBC-1 impliqué dans les
pathies obstructives, le traitement par l’amiloride, échanges de CO3H et exprimé dans le rein et dans le
ainsi que dans une situation particulière qualifiée stroma cornéen.
de shunt au chlore où l’acidose s’associe à une
hypertension avec expansion du volume extracellu- Acidose tubulaire proximale sporadique isolée
laire liée à une augmentation primitive de la réab- Des cas de fuite isolée de bicarbonate ont été
sorption du chlore ; c’est le pseudo- rapportés chez des nourrissons, s’accompagnant
hypoaldostéronisme de type II décrit plus haut. d’un défaut de développement staturopondéral. Ce
trouble peut être lié à un défaut de maturation
Acidose avec hypokaliémie tubulaire et ne semble pas se poursuivre au-delà
Dans ce groupe, on peut citer l’ostéopétrose (voir des premières années.
ci-dessous le déficit en carboanhydrase), les cyto-
pathies mitochondriales, les néphropathies toxi- Traitement
ques à l’amphotéricine B, et diverses néphropa- L’importance de la fuite bicarbonatée proximale
thies interstitielles auto-immunes avec ou sans oblige le plus souvent à administrer des doses éle-
hyperglobulinémie. Une acidose proximale est sou- vées de bicarbonates, de 5 à 20 mmol/kg/j, pour
vent associée. obtenir une bicarbonatémie au moins égale à
20 mmol/l, ce qui est parfois difficile. L’impor-
Acidoses tubulaires proximales (type II) tance de la charge sodée peut être responsable
d’autres problèmes, induisant notamment une po-
Le trouble fonctionnel caractéristique des acidoses lyurie, et il faut parfois accepter un taux de l’ordre
proximales est un défaut de réabsorption des bicar- de 18 à 20 mmol/l comme satisfaisant. Dans ces
bonates, conduisant à une excrétion fractionnelle formes proximales, il est possible que l’administra-
supérieure à 15 % pour un taux de bicarbonates tion d’indométacine ou d’un diurétique thiazidique
plasmatiques entre 22 et 26 mmol/l. La normalité aide à équilibrer la fuite bicarbonatée.
du fonctionnement du tube distal est estimée sur la
capacité à abaisser le pH urinaire en dessous de Acidoses tubulaires distale et proximale
5,5 lorsque le taux de bicarbonatémie descend en combinées (type III)
dessous d’un certain niveau dit seuil. Dans cette
situation, l’excrétion des ions H+ et en particulier Chez certains patients, on met en évidence les
des ions NH4+ est conservée en situation d’acidé- caractéristiques des deux types d’acidose, avec
mie. Enfin, le gradient de pCO2 sang/urine, en fuite majeure de bicarbonates comme dans le type
particulier lors d’une perfusion de bicarbonate, est proximal et absence de seuil comme dans le type
supérieur à 20 mmHg. Comme pour les acidoses de distal. Plusieurs diagnostics peuvent être évoqués
type distal, différentes affections peuvent être en dans cette situation (cf. supra).
cause.
Défaut en anhydrase carbonique II
Syndromes de Fanconi Le défaut d’anhydrase carbonique de type II est le
Le plus souvent, l’acidose de type proximal fait trouble primitif de l’ostéopétrose autosomique ré-
partie d’un syndrome d’insuffisance tubulaire com- cessive associée à une acidose tubulaire et à des
plexe dit de Toni-Debré-Fanconi, dont les causes et calcifications cérébrales. Le défaut enzymatique
les symptômes sont développés plus loin. C’est la explique tous les symptômes de la maladie, y com-
cystinose qui est la principale cause de ce syn- pris l’ostéopétrose du fait de l’incapacité des ostéo-
drome. clastes à sécréter des ions H+ pour dissoudre l’os
minéralisé.
Acidose tubulaire proximale autosomique Le diagnostic du déficit enzymatique peut être
dominante porté sur les globules rouges. Il s’agit d’une affec-
Cette forme a été rapportée dans au moins une tion grave létale, la greffe de moelle pouvant ce-
famille sur plusieurs générations. Le trouble de pendant permettre la survie dans quelques rares
croissance est le symptôme le plus évident ; il y a un cas. Un modèle de souris transgénique mutée pour
gène candidat, le SLC9A3, codant pour le transpor- le gène constitue un espoir pour de futures recher-
teur NHE-3. ches thérapeutiques.

Acidose tubulaire proximale autosomique Cystinose infantile


récessive avec anomalies oculaires
S’associent à l’acidose proximale glaucome, cata- Maladie familiale rare récessive autosomique, la
racte, etc., ainsi qu’un retard mental. Le transpor- cystinose est caractérisée par l’accumulation de
68 M. Broyer

cystine dans les lysosomes des cellules de la plupart mie, une aminoacidurie généralisée, un diabète
des organes4. Elle réalise, dans sa forme infantile phosphaté avec hypophosphatémie, une hypo-
de loin la plus fréquente, le type le plus complet et uricémie très caractéristique des tubulopathies
le plus grave d’insuffisance tubulaire proximale. proximales et une organoacidurie.
Son incidence a été récemment estimée en France La filtration glomérulaire est normale au départ,
à 1/167 000 naissances. mais une insuffisance rénale fonctionnelle est pos-
sible par déshydratation, acidose sévère ou perte
Biologie moléculaire et physiopathologie de sodium. L’histoire naturelle de la maladie com-
porte une altération progressive de la fonction glo-
L’accumulation intracellulaire de cystine est due mérulaire, avec évolution vers une insuffisance ré-
au dysfonctionnement d’un gène récemment sé- nale terminale avant l’âge de 10 ans.
quencé, CTNS, codant pour une nouvelle protéine, Les lésions tubulaires rénales sont précoces et
la cystinosine, insérée dans la membrane du lyso- importantes, avec images de tubules atrophiques
some et qui permet la sortie de la cystine hors de ou dilatés. Ces lésions anatomiques expliquent la
cet espace subcellulaire où s’effectue le catabo- sévérité des signes tubulaires biologiques. Des lé-
lisme des protéines12. La cystinose infantile est la sions glomérulaires particulières apparaissent,
conséquence de mutations sur des domaines très marquées par un aspect plurinucléé des podocytes
conservés dans les espèces animales, et qui invali- et une hyalinisation progressive. Des cristaux de
dent ainsi la protéine sur les deux gène, maternel cystine sont parfois visibles dans le tissu interstitiel
et paternel. Les mécanismes par lesquels l’accumu- extra- ou intracellulaire. À un stade plus tardif, les
lation de cystine dans les lysosomes altère le fonc- reins sont atrophiques et scléreux. L’image histolo-
tionnement cellulaire et conduit à des lésions orga- gique est celle d’une néphropathie tubulo-
niques ne sont pas encore connus. Un modèle interstitielle sévère, avec hyalinisation gloméru-
animal de la cystinose a été récemment établi sur laire et lésions vasculaires majeures.
une souris, et permettra de mieux comprendre ces
mécanismes. Diagnostic biologique

Le diagnostic est évoqué cliniquement sur la décou-


Clinique verte d’une glycosurie et d’une protéinurie au pa-
pier réactif placé sur les langes mouillés d’urines
Les signes de début, autour du 6e mois dans la dans un contexte d’hypotrophie récente, ou plus
forme habituelle, ont peu de spécificité : vomisse- tardivement si on découvre des dépôts cornéens à
ments, anorexie, soif permanente, instabilité ther- la lampe à fente. Il est affirmé par le dosage de la
mique, surtout stagnation du développement statu- cystine dans les leucocytes, où le taux atteint 50 à
ropondéral qui conduit à un nanisme et à une 100 fois la normale, soit de 2 à 20 nmol de
hypotrophie grave. Un rachitisme sévère développé 1/2 cystine/mg de protéine. Cette anomalie existe
en dépit d’une prévention correcte est fréquent. chez le fœtus, permettant le diagnostic in utero
Les cheveux sont généralement d’une couleur après prélèvement chorionique dès la 11e semaine
blond cendré et les téguments sont souvent de ou plus tard par ponction amniotique. Dans les deux
coloration très pâle, mais la maladie peut s’obser- cas, le diagnostic est établi après culture des cellu-
ver dans toutes les ethnies. Une déplétion en car- les prélevées par l’incorporation excessive de cys-
nitine d’origine rénale peut aggraver le mauvais tine radiomarquée.
état général de ces malades. Une photophobie liée
à des dépôts cornéens de cystine apparaît généra- Évolution
lement vers la 2e année.
Le groupement des symptômes rénaux est au L’histoire naturelle de la maladie est marquée par
départ assez variable, les différentes fonctions de la persistance des fuites tubulaires plus ou moins
réabsorption tubulaire pouvant être touchées dès faciles à compenser, et par un trouble de la crois-
le premier examen. Très souvent, les premiers si- sance en taille. Outre l’altération progressive de la
gnes sont une protéinurie et une glycosurie très fonction rénale citée plus haut, d’autres organes
évocatrices, une acidose hyperchlorémique avec que le rein sont concernés par cette maladie, no-
une perte massive de bicarbonates et une polyuro- tamment l’œil, la thyroïde, le pancréas, le foie et
dypsie avec un trouble majeur de concentration la rate, les muscles et le cerveau. Mais l’instaura-
font partie des premiers troubles. Au complet, le tion précoce et la poursuite régulière du traitement
tableau associe une glycosurie normoglycémique, par cystéamine ont modifié cette évolution.
une protéinurie de type tubulaire, une perte de L’aggravation des symptômes oculaires, avec
sodium, une perte de potassium avec hypokalié- une augmentation des dépôts de cystine dans la
Tubulopathies congénitales 69

cornée et les corps ciliaires et le développement tains enfants traités dès le premier mois de vie ont
d’une rétinopathie, est notée chez certains mala- conservé une fonction rénale normale après 10 à
des, pouvant conduire à une amblyopie sévère. Elle 15 ans de suivi6. Ce traitement doit être appliqué
n’est cependant pas constante et les symptômes quotidiennement de façon indéfinie. Du fait de la
cornéens se trouvent très améliorés par le traite- brève demi-vie de la cystéamine, il est nécessaire
ment local. de l’administrer en quatre prises quotidiennes
L’atteinte thyroïdienne, le plus souvent sous équidistantes. La dose moyenne se situe autour de
forme d’une hypothyroïdie compensée, peut appa- 50 mg/kg/j d’équivalent base de cystéamine. L’ef-
raître dès l’âge de 5 ou 6 ans. L’hépatomégalie liée ficacité doit être vérifiée régulièrement par un
à la surcharge des cellules de Kupffer peut s’asso- dosage de cystine leucocytaire qui devrait être
cier à une hypertension portale rarement impor- maintenue au-dessous de 1 nmol de 1/2 cystine/mg
tante, une splénomégalie peut se développer dans de protéine.
ce cadre ou isolément à l’origine d’un hypersplé- L’administration régulière 5 à 10 fois par jour,
nisme avec thrombopénie pouvant conduire à une voire encore plus souvent, de collyre à la cystéa-
splénectomie ; ces complications sont devenues mine à 0,5 %, a une efficacité indiscutable pour
exceptionnelles. prévenir ou diminuer voire supprimer les dépôts
L’atteinte pancréatique se traduit par un dia- cornéens de cystine.
bète sucré qui peut se développer après transplan- Un traitement symptomatique est également né-
tation rénale, favorisé par la corticothérapie et qui cessaire, car la cystéamine n’a pas d’action sur le
peut nécessiter un traitement par insuline. syndrome tubulaire ; il comporte la compensation
Un hypogonadisme est rapporté essentiellement de l’acidose habituellement sévère par du bicarbo-
chez les garçons. Il est beaucoup moins marqué nate de sodium, de l’hypokaliémie par des supplé-
dans le sexe féminin, avec possibilité de grossesse. ments de potassium, la compensation des pertes
Une myopathie particulière touchant les extré- phosphorées est également utile. De la vitamine D
mités distales avec atrophie des interosseux, des hydroxylée en 1 alpha doit être prescrite à la dose
éminences thénar et hypothénar peut apparaître de 0,1 à 0,5 lg/j, adaptée selon les données clini-
après l’âge de15 à 20 ans. On en rapproche des ques et biologiques. Un supplément de carnitine
difficultés de la motricité buccopharyngée avec mérite d’être essayé en cas de fatigabilité muscu-
expression verbale affaiblie, voix nasonnée, et laire.
troubles de la déglutition. La prescription d’indométacine à la dose de 2 à
Enfin, une encéphalopathie avec diverses mani- 3 mg/kg/j en deux prises permet dans la plupart
festations a été observée à partir de l’âge de 20 ans des cas de limiter la polyurie et les fuites urinaires
dans un certain nombre de cas. Les symptômes les de sodium et de potassium. Il devient alors plus
plus fréquents en sont des troubles cérébelleux, facile d’équilibrer les perturbations hydroélectro-
des signes pyramidaux, ainsi qu’une altération des lytiques. Ce traitement peut avoir un effet très
fonctions mentales supérieures. Des accidents de favorable sur la croissance, mais ses effets secon-
type ischémique sont aussi possibles. Le traitement daires font généralement limiter la prescription
par cystéamine a été capable de faire régresser les aux premières années de vie.
troubles dans certains cas. L’hormone de croissance recombinante peut
Toutes ces manifestations ont été rapportées être utile.
chez des malades qui n’avaient pas reçu de traite- Dans les cas qui ont évolué vers l’insuffisance
ment par cystéamine dès les premiers mois de vie, rénale terminale, la dialyse et la transplantation
et on peut espérer qu’un tel traitement administré rénale offrent une possibilité de survie avec un
précocement et poursuivi correctement permettra succès remarquable. La maladie ne se reproduit pas
de les éviter. sur le greffon, car il s’agit d’un trouble du métabo-
lisme intracellulaire et la survie des greffes est
Traitement habituellement meilleure que dans d’autres mala-
dies rénales.
Le traitement de la cystinose s’appuie sur la cystéa-
mine4,8,13 disponible commercialement sous forme Autres types de cystinose
de bitartrate (Cystagon®). Cette substance se com-
binant à la cystine intracellulaire forme un disul- La cystinose juvénile, dont les premiers symptômes
phide qui peut quitter le lysosome et permet ainsi apparaissent plus tardivement, entre 10 et 20 ans,
de réduire l’accumulation. Il est montré se manifeste par des signes tubulaires moins sévè-
aujourd’hui que ce traitement est d’autant plus res et une protéinurie parfois importante pouvant
efficace qu’il est débuté plus précocement. Cer- faire évoquer à tort une néphropathie gloméru-
70 M. Broyer

laire9. Elle évolue plus tardivement vers l’insuffi- proximale et présence d’anticorps antitubulaires
sance rénale. circulants. L’étude en immunofluorescence met ici
La cystinose de l’adulte est en revanche totale- en évidence une fixation linéaire d’anticorps anti-
ment latente cliniquement, et découverte par immunoglobuline (Ig)G le long des membranes ba-
l’examen fortuit de la cornée où l’on trouve des sales tubulaires ; cette néphropathie s’accompagne
cristaux de cystine. souvent d’une glomérulonéphrite extramembra-
Les trois types de cystinose infantile, juvénile et neuse.
adulte vont de pair avec un taux de cystine intra-
leucocytaire différent et sont en rapport avec des Intoxications
mutations en des zones différentes du gène CTNS.
Certains toxiques peuvent entraîner des lésions tu-
Autres causes de syndrome bulaires proximales et réaliser un syndrome de
Toni-Debré-Fanconi. C’est le cas des tétracyclines
de Toni-Debré-Fanconi
périmées, de l’acide valproïque (Dépakine®), de
Maladies métaboliques certains autres antibiotiques (gentamicine, céfalo-
tine), de certains métaux (cadmium, uranium, ...)
Un certain nombre de maladies du métabolisme ou d’autres substances (lysol, acide maléique, sali-
peuvent s’accompagner d’une tubulopathie com- cylates, oxyde de tributylène).
plexe. Il s’agit rarement d’une insuffisance tubu-
laire aussi complète et aussi grave que dans le cas Carences vitaminiques
de la cystinose, et le plus souvent d’autres symptô-
mes occupent le premier plan et permettent d’évo- C’est essentiellement le rachitisme carentiel qui
quer le diagnostic. C’est le cas par exemple de la figure dans ce chapitre. L’avitaminose D est res-
galactosémie et de l’intolérance au fructose, où les ponsable d’une tubulopathie d’ailleurs peu sévère
troubles tubulaires sont réversibles après suppres- associant une hyper-aminoacidurie généralisée, et
sion du galactose ou du fructose alimentaire. La une acidose par abaissement du seuil de réabsorp-
maladie de Wilson donne lieu à une tubulopathie tion des bicarbonates. Le rôle de l’hyperparathyroï-
complexe au second plan, là encore, derrière les die a été évoqué dans cette symptomatologie.
signes neurologiques et/ou hépatiques. Ces symp- Cette manifestation du rachitisme carentiel peut
tômes peuvent regrouper une aminoacidurie neu- entraîner la confusion avec d’autres maladies tubu-
tre, une glycosurie, une hypophosphorémie et une laires où existe également un rachitisme ou une
hypercalciurie. Ils sont favorablement influencés ostéomalacie.
par les chélateurs du cuivre. La glycogénose hépa-
torénale de type Bickel-Fanconi et la tyrosinose Causes diverses
peuvent être également en cause dans un syndrome
de Toni-Debré-Fanconi sévère. Plus récemment, les
On peut citer ici certains syndromes néphrotiques
cytopathies mitochondriales avec déficit d’une en-
graves corticorésistants et le myélome multiple. On
zyme de la chaîne respiratoire ont été rapportées
a aussi décrit un syndrome de Fanconi chez des
comme causes de tubulopathie proximale15. Là
sujets qui éliminent dans les urines de grandes
aussi, les symptômes extrarénaux peuvent orienter
quantités de chaînes légères d’Ig sans aucun symp-
le diagnostic (atteinte neurologique ou musculaire,
tôme de myélome, comme si ces protéines « intoxi-
pancréatique, hématologique ou cardiaque), mais
quaient » le tube proximal. Il s’agit en fait d’une
il est des cas où le syndrome tubulaire est prédomi-
nant ou le premier en date. Le diagnostic est pathologie qui n’a été rapportée que chez l’adulte.
orienté par une élévation du rapport lactate/ La question est posée de savoir s’il reste encore
pyrurate à l’état nourri, mais ce symptôme peut aujourd’hui des cas de syndrome de Toni-Debré-
manquer et seule la mise en évidence d’un défaut Fanconi idiopathique une fois éliminés le diagnostic
dans la chaîne respiratoire mitochondriale sur biop- de cystinose et celui des autres causes envisagées
sie musculaire ou rénale permet la certitude du ci-dessus, en particulier une cytopathie mitochon-
diagnostic. driale. Rappelons que ces formes idiopathiques ont
été décrites chez des enfants, mais aussi beaucoup
Néphrites avec anticorps anti-membrane plus tard vers la trentaine. Les symptômes cliniques
basale tubulaire en étaient essentiellement osseux : rachitisme et
retard de croissance ou ostéomalacie. Il est possi-
Quelques observations ont été décrites de gloméru- ble que de nouvelles entités recouvrant ces faits
lonéphrite avec syndrome d’insuffisance tubulaire voient le jour.
Tubulopathies congénitales 71

Syndrome oculo-cérébro-rénal de Lowe Maladie de Dent

Le syndrome de Lowe est caractérisé par l’associa- Les principaux symptômes des cas rapportés par
tion d’une encéphalopathie sévère avec retard du Dent en 1964 étaient : néphrocalcinose médullaire,
développement mental, hypotonie et aréflexie, lithiase rénale, hypercalciurie, trouble de concen-
d’une atteinte oculaire avec cataracte congénitale tration et protéinurie tubulaire. Cette affection
et glaucome, et d’une atteinte tubulaire. Le dia- s’observe presque exclusivement chez l’homme.
gnostic de cette maladie est facilité par le fait Elle peut s’accompagner d’autres symptômes du
qu’elle comporte un faciès assez particulier. Il syndrome de Fanconi : fuite phosphorée avec rachi-
s’agit d’une maladie génétique liée au sexe, tou- tisme et/ou ostéomalacie, glycosurie, amino-
chant essentiellement les garçons. acidurie-hyperuricosurie, et elle peut conduire à
La tubulopathie est au second plan, car elle l’âge adulte à une insuffisance rénale terminale.
n’entraîne, en règle, pas de complications graves Maladie récessive liée à l’X, elle est aujourd’hui
en dehors d’une acidose inconstante mais nécessi- mieux comprise grâce à la biologie moléculaire,
tant parfois de fortes doses de bicarbonates et/ou étant en rapport avec des mutations du gène du
d’un rachitisme sensible à la vitamine D. Il existe canal chlore CCl-5 voltage-dépendant essentielle-
une aminoacidurie globale plus ou moins accentuée ment exprimé dans le tube proximal et l’anse as-
et parfois une fuite des phosphates. La glycosurie cendante de Henle, et dont la perte d’activité
est plus rare, mais la protéinurie tubulaire cons- s’accompagne d’un défaut d’endocytose tubulaire
tante. Le trouble de l’acidification est très fré- responsable de l’hypercalciurie, de la protéinurie,
quent. Il est habituellement, mais non constam- et des autres symptômes tubulaires21. Le rachi-
ment, de type proximal. tisme hypophosphatémique récessif lié à l’X et la
L’évolution est surtout grave du fait de lithiase rénale récessive liée à l’X sont d’autres
l’encéphalopathie. La fonction glomérulaire de- noms de la même affection.
meure peu modifiée, mais des cas d’insuffisance
rénale ont été rapportés après l’âge de 20 ou
30 ans. L’étude anatomique des reins met en évi- Références
dence une atrophie tubulaire et parfois une fibrose
interstitielle. L’étude ultrastructurale d’un cas a 1. Achard JM, Disse-Nicodeme S, Fiquet-Kempf B, Jeunemai-
précisé l’existence de lésions mitochondriales et tre X. Phenotypic and genetic heterogeneity of familial
d’un épaississement des membranes basales. hyperkalaemic hypertension (Gordon syndrome). Clin Exp
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Le traitement est purement symptomatique : 2. Bettinelli A, Bianchetti M, Girardin E. Use of calcium
prise en charge des problèmes essentiellement ocu- excretion values to distinguish two forms of primary renal
laires, neuropsychiatriques et rénaux. Une sur- tubular hypokaliemia alkalosis: Bartter and Gitelman syn-
veillance régulière de la biologie permet dans ce dromes. J Pediatr 1992;120:38–43.
dernier domaine d’ajuster l’administration de bi- 3. Birkenhager R, Otto E, Schurmann MJ, Vollmer M, Ruf EM,
Maier-Lutz I, et al. Mutation of BSND causes Bartter syn-
carbonates, vitamine D, etc.
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Cette maladie, qui se transmet comme un trait Genet 2001;29:310–314.
récessif lié au sexe, est en rapport avec des muta- 4. Broyer M. Cystinosis. Paris: Elsevier; 1999 120 p.
tions du gène OCRL114 localisé sur le chromosome X 5. Cruz DN, Shaer AJ, Bia MJ, Lifton RP, Simon DB. Gitelman
en q24-q26. Ce gène code pour une protéine qui syndrome revisited: an evaluation of symptoms and health
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s’exprime dans le cerveau, le rein, les muscles, la
6. Da Silva VA, Zurbrugg RP, Lavanchy P, Blumberg A, Suter H,
peau, etc. La protéine OCRL1 a une activité d’ino- Wyss SR, et al. Long-term treatment of infantile nephro-
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tant. On a également mis en évidence une 7. Deschenes G, Burguet A, Guyot C, Hubert P, Garabedian M,
interaction avec les GTPases RHO, protéines de Dechaux M, et al. Forme anténatale du syndrome de Bart-
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signalisation intracellulaire. Reste à comprendre le
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sions cornéennes asymptomatiques, mais plus de la 9. Hauglustaine D, Corbeel L, Van Damme B, Serrus M,
moitié des cas correspondent à des néomutations. Michielsen P. Glomerulonephritis in late onset cystinosis.
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