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ACIDOCETOSE DIABETIQUE

AR EL ADIB

OBJECTIFS PEDAGOGIQUES

-Connaître les éléments permettant le diagnostic d’une acidocétose diabétique.

-Identifier les mécanismes et les facteurs favorisant cette complication.

-Mettre en œuvre le traitement initial de l’acidocétose diabétique.

-Connaître les modalités de surveillance et les complications de cette affection.

I- INTRODUCTION
L’acidocétose diabétique (ACD) est une complication métabolique aigue grave du
diabète sucré. Sa prévalence reste élevée, et la mortalité qui lui est associée est
encore importante, en particulier lorsqu’une prise en charge adéquate et rigoureuse
n’est pas assurée d’emblée. L’amélioration de son pronostic passe par la
compréhension de ses mécanismes physiopathologiques, la précocité de son
diagnostic, l’identification de ses circonstances favorisantes, la mise en place d’un
traitement protocolé et surtout des mesures préventives efficaces.

II-DEFINITION
-L’acidocétose diabétique est classiquement définie par l’association d’une
glycémie veineuse supérieure à 2,5 g/l (13,8 mmol/l), d’pH artériel inférieur à 7,30
et d’une concentration de bicarbonates plasmatiques inférieure à 15 mmol/l, en
présence de corps cétonique sanguins ou urinaires.
-Elle est sévère quand le pH artériel est inférieur à 7 et la concentration des
bicarbonates plasmatiques ne dépasse pas 10 mmol/l.
-Une situation particulière doit être signalée, en l’occurrence celle de la femme
enceinte chez laquelle une ACD authentique peut être observée en présence d’une
glycémie à peine supérieure à 2 g/l (11 mmol/l), du fait d’une augmentation de la
lipolyse et de la cétogenèse au cours de la grossesse.
III-EPIDEMIOLOGIE
-L’ACD reste une complication fréquente du diabète de type I.
-Son incidence annuelle varie de 3 à 13 % des patients diabétiques.
-Elle constitue un mode révélateur du diabète dans 20 à 30 % des cas.
-Elle apparaît également plus fréquente dans les groupes socialement défavorisés.
-La mortalité de l’ACD reste élevée. Elle augmente avec l’âge, la présence de
comorbidités et l’inexpérience des équipes soignantes; elle est estimée globalement
à 6-10 %.

IV-PHYSIOPATHOLOGIE

A-Mécanismes cellulaires
-L’association, d’une carence en insuline et d’une augmentation des
concentrations plasmatiques du glucagon, joue un rôle majeur dans l’initiation
de l’ACD.
-Deux troubles fondamentaux expliquent la majorité des perturbations
métaboliques et cliniques observées : l’hyperglycémie et la production des corps
cétoniques.
-L’hyperglycémie est liée aux facteurs suivants :
*diminution de l’utilisation du glucose dans le tissu adipeux et musculaire par
carence en insuline.
*augmentation de la production hépatique du glucose par élévation du rapport
glucagon / insuline dans la veine porte, qui stimule la glycogénolyse et inhibe
la glycogénosynthèse.
*inhibition de la glycolyse et stimulation de la néoglucogenèse hépatique qui
elle, est le fruit d’un catabolisme protidique musculaire et d’une lipolyse accrus,
fournissant respectivement des acides aminés et du glycérol glucoformateurs.
-La cétogenèse hépatique est accrue par augmentation de la lipolyse (carence en
insuline et excès des hormones de contre-régulation), qui libère des acides gras
libres en grand excès, dont l’oxydation intra-mitochondriale aboutit à la
formation de corps cétoniques, à savoir l’acétoacétate, le béta-hydroxybutyrate
et l’acétone. Leur consommation périphérique se trouve abaissée par
l’insulinopénie.

B-Conséquences métaboliques et cliniques


-L’hyperglycémie est responsable d’une hyperosmolarité extracellulaire puis
lorsque les capacités de réabsorption tubulaire sont dépassées (le seuil est 1,8
g/l), d’une glycosurie et d’une polyurie osmotique.
-Cette dernière est source d’une déshydratation, d’abord extracellulaire puis
intracellulaire, qui sera responsable d’une insuffisance rénale fonctionnelle,
limitant ainsi l’élimination du glucose et des corps cétoniques. Les pertes
liquidiennes sont également secondaires aux vomissements, à la fièvre et à
l’hyperventilation faisant suite à l’acidose métabolique.
-Celle-ci est liée à l’accumulation des corps cétoniques, qui sont des acides forts,
faisant d’elle une acidose à trou anionique élevé.
-Les anomalies hydro-électrolytiques sont constantes :
*la natrémie est souvent abaissée par appel d’eau depuis le secteur
intracellulaire vers le secteur vasculaire hypertonique, par diurèse osmotique et
par élimination rénale des corps cétoniques sous forme de sels de sodium.
*le pool potassique intracellulaire est très diminué par l’acidose métabolique,
la carence en insuline et l’hyperglycémie. La kaliémie et la phosphorémie sont
également abaissées par la polyurie osmotique, l’élimination des corps
cétoniques sous forme de sels de potassium ainsi que l’hyperaldostéronisme
secondaire à la déshydratation et aux vomissements.
V-DIGNOSTIC POSITIF

A-Circonstances de survenue
-Leur connaissance permet d’éviter la survenue de nombreux cas d’ACD. Une
cause déclenchant cette complication est dans la plupart des cas retrouvée
(environ 80 %).
-Elles ont toutes en commun la diminution des apports exogènes d’insuline,
l’augmentation des besoins ou l’élévation des hormones hyperglycémiantes lors
d’un état de stress.
-Les infections, essentiellement du tractus urinaire et pulmonaire, demeurent de
loin la cause la plus fréquente, expliquant ainsi à peu près 50 % des ACD.
-L’arrêt de l’insulinothérapie ou des antidiabétiques oraux, par instabilité
psychique ou difficultés sociales, de même que les erreurs d’adaptation ou de
répartition des doses d’insuline sont également des étiologies fréquemment
retrouvées.
-Les traumatismes physiques, les interventions chirurgicales et certaines
pathologies intercurrentes (accident vasculaire, syndrome coronarien aigu, ..)
sont aussi incriminés.
-Enfin, les médicaments hyperglycémiants (corticoïdes, tocolytiques) peuvent
déclencher cette décompensation.

B-Manifestations cliniques
-Le début de la symptomatologie est rarement brutal (femme enceinte, infection
sévère, ..).
-Le plus souvent, l’installation est progressive; elle est précédée d’une phase de
déséquilibre et de cétose, que l’interrogatoire du patient ou de son entourage et
la lecture du carnet d’autosurveillance permettent de reconnaître à posteriori. Il
peut ainsi s’agir d’un syndrome polyuro-polydipsique, d’un amaigrissement
récent, d’une asthénie, de troubles digestifs (anorexie, nausées), d’une
oppression respiratoire et d’une glycosurie à la bandelette.
-La dyspnée de Kussmaul, secondaire à l’acidose, est typiquement faite d’une
polypnée ample et profonde. Elle s’accompagne d’une odeur acétonique de
l’haleine réalisant la classique odeur de pomme pourrie. Cette polypnée peut
disparaître secondairement, car l’acidose majeure déprime les centres
respiratoires bulbaires.
-La déshydratation est globale ; d’abord extracellulaire (peau sèche, pli cutané,
yeux cernés et profondément enfoncés dans les orbites, hypotension artérielle et
collapsus) puis cellulaire (sécheresse des muqueuses, en particulier de la face
interne des joues, aspect de langue « rôtie », soif et disparition de la moiteur
axillaire).
-Les troubles de conscience se limitent le plus souvent à un état confusionnel ou
à une obnubilation. Un coma calme, sans signe de localisation, est présent dans
moins de 20 % des cas.
-Les signes digestifs sont fréquents et se résument essentiellement à des
vomissements, exposant au risque de fausse route en cas d’altération de la
vigilance, et à des douleurs abdominales, simulant un tableau chirurgical en
particulier chez les enfants.

C-Anomalies biologiques
-L’hyperglycémie est franche mais non majeure (4 à 8 g /l).
-L’acidose métabolique est caractérisée par une diminution des bicarbonates
plasmatiques et une hypocapnie. Le trou anionique, défini par la somme de la
concentration des cations moins celle des anions, est élevé, dépassant souvent 18
mmol/l.
-Les corps cétoniques sanguins sont élevés, mais non mesurés en routine.
-La cétonurie mesurée à la bandelette est positive, mais cette mesure a des limites
(Faux positifs et négatifs).
-les troubles hydroélectrolyiques sont dominés par une hyponatrémie, une
kaliémie faussement normale au début ensuite abaissée, une hypophosphatémie,
une hypomagnésémie et une insuffisance rénale fonctionnelle.
Quelques formules :
PH=6,97 + (0,0163×bicarbonates)
Formule de Katz :
• Na+ corrigée = Na+ mesurée + 0,3 × (glycémie – 5) ; si glycémie en mmol/l ;
• Na+ corrigée=Na+ mesurée + 1,6 ×(glycémie – 1) si glycémie en g/l)

VI-DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL

A-Si le diabète n’est pas connu


Les formes à expression cardiovasculaire, respiratoire ou neurologique et
surtout un tableau abdominal pseudo-chirurgical, peuvent fausser le diagnostic.
De ce fait, l’examen systématique des urines doit être la règle, puisque la
présence de plusieurs croix de sucre et d’acétone dans ce prélèvement ne se voit
qu’au cours de l’ACD.

B-Si le diabète est connu


*Devant un coma :
-le coma hypoglycémique est facilement éliminé par la mesure de la glycémie
capillaire.
-le coma hyperosmolaire s’accompagne d’une hyperglycémie majeure, sans
cétonurie ni acidose métabolique ou trou anionique.

*Devant une acidose :


-il faut penser à l’acidose lactique aux biguanides, rare, qui survient surtout
chez les personnes âgées ayant une fonction rénale et/ou hépatique altérée. Il
existe une acidose métabolique avec trou anionique, sans cétose ni corps
cétoniques dans les urines.
VII-TRAITEMENT

A-Objectifs
-Assurer une volémie et une perfusion tissulaire satisfaisantes.
-Réduire progressivement l’hyperglycémie et l’hyperosmolarité.
-Favoriser l’élimination des corps plasmatiques.
-Corriger les désordres hydroélectrolytiques.
-Identifier et traiter les facteurs favorisants.

B-Moyens
1-Réhydratation:
-C’est un élément indispensable, puisqu’elle permet à elle seule une diminution
de la glycémie de 20 % environ, ainsi qu’une restauration de la perfusion
tissulaire et de la diurèse.
-Le volume total de perfusion dans les 24 premières heures doit compenser, en
tenant compte de la diurèse et des pertes insensibles, le déficit hydrique qui est
de l’ordre de 5 litres chez l’adulte. La moitié du volume doit être administré
dans les 8 premières heures.
-Le liquide de perfusion fait appel, aux solutés isotoniques sous forme de sérum
salé physiologique 0,9 %, puis secondairement au sérum glucosé à 5 %
supplémenté en NaCl, lorsque la glycémie devient inférieure à 2,5 g /l. Les
solutés hypotoniques ne doivent être employés qu’en présence d’une natrémie
élevée, de peur de la survenue d’un œdème pulmonaire ou cérébral.
2-Insulinothérapie:
-La voie d’administration de choix est la voie intraveineuse continue, à l’aide
d’une seringue électrique. Ceci impose une surveillance stricte, puisque toute
interruption de l’administration d’insuline expose à une rechute immédiate et
toute perfusion excessive ou accidentelle conduit à une hypoglycémie fatale.
-Les doses utilisées sont de l’ordre de 0,1 U/kg/h. Elles peuvent être doublées
2 heures plus tard, si la glycémie ne diminue pas ou bien si le pH n’augmente
pas. L’objectif glycémique visée dans les premières 24 heures, étant à peu près
2 à 2,5 g/l.
-Le relais par la voie sous-cutanée se fait lorsque la cétose disparaît et le patient
peut s’alimenter normalement, en sachant que la première injection aura lieu
une heure avant l’arrêt de la seringue électrique.
3-Equilibration électrolytique:
*Potassium:
-La compensation du déficit potassique est une mesure d’une importance vitale
au cours du traitement de l’ACD. Le risque d’une hypokaliémie, profonde et
létale, est accentué par la réhydratation et l’insulinothérapie.
-La correction initiale passe par la perfusion continue de 20 mmol/h de chlorure
de potassium (soit 1,5 g/h), qui sera adaptée secondairement aux variations de
la kaliémie.

*Phosphore et magnésium:
La supplémentation en phosphore et en magnésium peut également être faite,
sans que son intérêt ne soit réellement établi.

*Bicarbonates :
Il est inutile, voire néfaste d’administrer des bicarbonates, sauf en cas d’acidose
très sévère, définie par un pH inférieur à 7, ou d’acidose modérée associée à un
collapsus.
4-Autres mesures:
*Antibiothérapie:
Ses indications sont larges, dès que les prélèvements systémiques (ECBU et
hémocultures) ont été faits, à fortiori qu’il y a suspicion clinique d’infection.
*Anticoagulants:
L’héparinothérapie à doses préventives est recommandée, compte tenu du
risque accru de thrombose artérielle ou veineuse associée à l’ACD.
*Oxygénothérapie.
*Prévention des complications de décubitus.

VIII-SURVEILLANCE
A- Clinique
-Elle consiste en un monitorage horaire des paramètres cliniques usuels, à savoir
le pouls, la pression artérielle, la fréquence respiratoire, l’état de conscience et
la diurèse, sans oublier le bilan entrée-sortie.
-L’électrocardiogramme est indispensable, puisqu’il peut servir comme
indicateur de la kaliémie.
B- Biologique
-Elle comprend la mesure horaire de la glycémie au doigt, par bandelette
réactive sur appareil à lecture optique, ainsi que la recherche d’acétone dans les
urines toutes les 4 heures.
-Les gaz du sang et l’ionogramme sanguin sont prélevés au bout de 2 heures de
traitement, puis toutes les 4 heures pendant les 12 premières heures, ensuite
toutes les 12 heures durant les 2 premiers jours, pour une meilleure adaptation
thérapeutique.
IX- COMPLICATIONS

A-Liées à la maladie

-Les accidents cardiovasculaires sont favorisés par la déshydratation et


l’hypovolémie, ainsi que l’état d’hypercoagulabilité fréquemment associé à
l’ACD. L’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral sont les deux
complications les plus fréquemment rencontrées.
-La mucormycose est une infection fongique opportuniste grave mais rare. Elle
intéresse particulièrement le nez, les sinus, l’orbite et le cerveau. Elle doit être
évoquée devant un tableau de sinusite avec jetage sanglant, une exophtalmie,
une atteinte des nerfs crâniens et des troubles de conscience. Son traitement
repose sur l’Amphotéricine B.

B-Liées au traitement
-L’hypoglycémie et l’hypokaliémie restent fréquentes. La rechute de la cétose
peut être due à une diminution précipitée des doses d’insuline ou à une
pathologie associée non efficacement traitée.
-L’œdème cérébral est une complication iatrogène sévère, qui concerne
particulièrement l’enfant et à moindre degré l’adulte. Il se traduit par des
troubles de conscience, pouvant aller jusqu’au coma voire le décès par
engagement cérébral. Il est lié à un déséquilibre de l’osmolarité extra et intra
cérébrale, faisant suite à une hydratation inadéquate et/ou une baisse rapide de
la glycémie. Le traitement est symptomatique et fait appel au mannitol, à la
diminution de l’hydratation, la ventilation assistée et la sédation profonde.
-Le syndrome de détresse respiratoire aigu est rare mais potentiellement fatal.
Il serait en rapport avec une réhydratation rapide par des solutés isotoniques, qui
feraient chuter trop brutalement la pression oncotique, ou bien avec un trouble
de la perméabilité alvéolo-capillaire.

X-CONCLUSION

L’ACD est une urgence médicale fréquente et grave. Son diagnostic repose sur des
éléments cliniques simples. Son traitement fait appel à la réhydratation et à de
faibles doses d’insuline. La prévention passe essentiellement par une meilleure
éducation des diabétiques.

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