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2009 - Reseñade Yves Sintomer PDF
2009 - Reseñade Yves Sintomer PDF
Sintomer Yves. Louis Althusser, Politique et histoire de Machiavel à Marx. Cours à l’École normale supérieure 1955-1972.
Texte établi, annoté et présenté par François Matheron. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 107, n°3,
2009. pp. 542-544;
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_2009_num_107_3_8088_t1_0542_0000_2
d’avoir trahi cette pensée dans l’affirmation ultime selon laquelle l’extérieur
n’est finalement pas différent de l’intérieur [...]» (p. 53).
C’est bien sûr, dans ce rapport problématique de Hegel et de Marx la
question même de l’aliénation qui est en jeu. Or précisément, ce que selon
F. F. Marx acquiert, dans sa critique de Hegel — «qui est aussi une critique
de la philosophie elle-même» (p. 68) —, c’est la conception de l’homme
comme être objectif, c’est-à-dire «en tant qu’être qui non seulement a
besoin d’objets mais qui ne peut s’affirmer et se réaliser que dans des
objets» (p. 68).
Alors, au fond, on peut se demander ce qui imposait de postuler, à
l’origine de ce beau commentaire, la rupture entre Hegel et Marx? Peut-être
s’agit-il d’invalider la thèse du renversement dialectique pour avancer celle
selon laquelle il n’y aurait pas de dialectique chez Marx.
C’est en conclusion que F. F. dévoile le projet théorique qui anime son
commentaire: montrer que Marx, et en particulier avec ce texte des Manus¬
crits de 44, est le fondateur de cette forme de «philosophie sociale» que l’on
trouve actuellement développée par Axel Honneth: «A nos yeux, écrit F. F.,
l’importance et l’actualité des Manuscrits parisiens de Marx tiennent à ce
que ce texte représente un moment fondateur pour un certain type de philo¬
sophie qui n’est ni la philosophie morale, ni la philosophie politique, mais
ce que les Allemands appellent, plus naturellement ou spontanément que
nous, la philosophie sociale» (p. 68).
Cette nouvelle traduction présente donc un double intérêt. D’abord, en
tant que telle, elle présente en langue française le texte de K. M. épuré de
certaines erreurs fondamentales de traduction qui avaient entraîné à leur suite
de nombreux problèmes interprétatifs; ensuite elle renouvelle la position
théorique vis-à-vis d’un texte en lui redonnant une actualité, et en favorisant,
en cela, un travail d’analyse et d’interprétation de K. M., selon une visée
philosophique.
Éric Puisais.
Une partie des analyses, qui portent sur des auteurs comme Locke,
Hobbes ou Condorcet, ont plus un intérêt philologique que proprement théo¬
rique: elles permettent de mieux comprendre le positionnement d’Althusser
et, à travers ce prisme original, la façon dont pouvait se construire le pan¬
théon de la philosophie politique en France dans les années 1960 et 1970.
Certains développements sont cependant plus originaux, Althusser mettant
notamment en relief la façon dont Helvétius pense la conciliation de l’intérêt
général et des intérêts particuliers à partir de situations où, comme dans les
sociétés académiques, les individus doivent généralement pour s’affirmer
défendre des idées utiles à la collectivité — une préfiguration de ce que
Bourdieu théorisera avec le concept de «corporatisme de l’universel».
D’autres développements aident à mieux saisir la genèse des grands
thèmes du philosophe de la rue d’Ulm, comme ces pages de 1955-1956 sur
Marx où, tout en esquissant la problématique de Lire le Capital, Althusser
affronte le problème épistémologique qui le hantera tout au long de sa car¬
rière: comment sortir de la philosophie de l’histoire (qui conçoit le dévelop¬
pement de celle-ci en le rapportant à une instance non historique, qu’elle soit
ontologique, anthropologique ou religieuse) et comment reconnaître l’ins¬
cription historique de la théorie sans tomber dans le relativisme? Comment,
en d’autres termes, «trouver un point ferme, archimédien, qui permette de
constituer une science de l’histoire (c’est-à-dire atteindre dans le contenu de
l’histoire le fondement de l’objectivité du jugement historique)» (p. 163)?
Un demi-siècle plus tard, il est frappant de constater qu’Althusser pensait
encore à l’époque trouver cet évanescent «point ferme» dans les ouvrages
de Lénine et de Staline, et dans les «lois immanentes et objectives du deve¬
nir historique» (p. 171).
Les plus belles pages sont sans doute celles qui sont consacrées à Rous¬
seau et Machiavel, deux auteurs sur lesquels Althusser jette une lumière qui,
pour être contestable, n’en est pas moins d’une originalité indéniable. Si ses
contributions les plus brillantes sur les «décalages» qui marquent le contrat
social ou la «solitude» de Machiavel avaient déjà été publiées (on peut
aujourd’hui les trouver dans Solitude de Machiavel, P.U.F., 1998, et dans le
second tome des Ecrits philosophiques et politiques, op. cit.), les textes conte¬
nus dans Politique et histoire permettent de mieux en prendre la mesure.
Les pages sur Machiavel sont de ce point de vue particulièrement
emblématiques. D’un côté, dès 1962, Althusser propose ce qui restera sa clef
de lecture de l’intellectuel florentin: la force de ce dernier ne résiderait pas
dans son anthropologie, essentiellement négative, ou dans sa thèse du carac¬
tère cyclique de l’histoire; sa singularité serait d’avoir pensé le moment du
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