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TECHNIQUE
ET
CIVILISATION
DU MEME AUTEUR
AUX MEMES EDITIONS
Sth Ww aby
LEWIS MUMFORD
YL
TECHNIQUE
1d &
CIVILISATION
TRADUIT DE L’AMERICAIN PAR
DENISE MOUTONNIER
EDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris-VI°
ISBN 2-02-2364-4
ILLUSTRATIONS
I.. Anticipations ‘de la, vitess@.
5. 5 wns ene, we 66
Vis Perenecriveste cna cu sie sha a a ee ee 67
Lieandanseumacabre.s« swe. ees cos Mele eat 98
IV. Les mines, l’armement et la guerre. ...... 99
Vi gleds CCCONIGUG™~GUy DOISs os. srehags sees ae kee 162
VI. L’environnement éotechnique. .......... 163
VII. Les débuts de lindustrie. . . .. . 1. ss ome 194
VIII. Les produits paléotechniques. .......... 195
IX. Les triomphes paléotechniques. ......... 226
X. L’automatisme néotechnique........... 227
AI. Formes ‘d’aéroplanes 64. 6.44% 06-4. oie ae 258
All. La nature et lajmachinesys & .02.5 ae 46.7. 259
XIII. L’assimilation esthétique. ..........-. 322
XIV. L’art moderne de la machine. .......... 323
XV. Le nouvel environnement. .......... “* 9354
PREFACE
pws
TECHNIQUE ET CIVILISATION
I2
PREFACE
de la, Beaucoup d’idées qui ont dd paraitre douteuses au lecteur
la premiére fois que je les ai énoncées, ont été clarifiées ou renfor-
cées par les événements des douze derniéres années. Aucun des
changements que je pourrais étre tenté d’introduire maintenant
n’altérerait les arguments de base de ce livre : la conviction que
la conception mécanique du monde, qui apparut au XVII* siécle,
doit étre remplacée par une autre conception rendant toute jus-
tice ad la nature humaine. Pour sauver notre science et notre
technique, nous devons d’abord sauver l’homme. La réponse aux
problémes posés par la technique, on ne la trouvera pas dans
la technique m dans l’application de ces méthodes de pensée qui
ont justement créé une disparité tellement ironique entre nos
moyens physiques et nos fins sociales, entre la méthode scienti-
fique et la discipline morale},
Ce livre est a la fois une justification de la technique mo-
derne et l’indication de ses erreurs. S’il reconnait les valeurs
humaines de la technique, il rejette la philosophie qui subor-
donnerait les buts de l’homme a ceux de la machine ou qui con-
cevrait l’homme — Samuel Butler l’a montré — comme le
moyen par lequel une machine peut fabriquer une autre ma-
chine. Nous avons atteint, je crois, la fin de « l’dge de la ma-
chine », soit parce que les forces que nous avons déclenchées
sont trop puissantes pour notre contréle moral et politique, soit
parce que les hommes, réaffirmant une fois de plus le primat de
la personne, contréleront effectivement ces forces et les soumet-
tront a des fins humaines. En d’autres termes, nous avons peut-
étre atteint un point radical de discontinuité sociale : un point ou
continuer les vertus du passé peut étre aussi mauvais que se sou-
mettre encore plus a ses vices. On peut, en fin de compte, rete-
nir beaucoup de ce qui est valable dans le passé de l’homme mo-
derne, a condition que rien, pas méme la science — ce grand
acquis de l’homme occidental — ne soit traité comme un absolu,
échappant aux évaluations humaines, aux contréles humains. Ce
que l’homme a créé, il peut le détruire. Ce que homme peut
détruire, il peut aussi le refaire de toute autre facon. Si nous
apprenons a temps cette legon, l’homme peut étre sauvé de son
propre anéantissement final, au moment méme ou il se proclame
tout-puissant.
Lewis Mumrorp.
1946.
1. Cf. mon essai sur la bombe atomique dans Values for Survival,
1946.
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BUT DE CET OUVRAGE
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BUT DE CET OUVRAGE
ni résolues. La seconde vague se dressa au XVIIIF siécle, apres
avoir roulé pendant tout le Moyen-Age, avec les améliorations
dans la mine et la métallurgie. Acceptant toutes les données
idéologiques du premier effort pour créer la machine, les disci-
ples de Watt et d’Arkwright souhaitaient les universaliser et
profiter des conséquences pratiques. Au cours de cet effort, divers
problémes moraux, sociaux et politiques, que le développement
exclusif de la machine avait fait passer au second plan, redou-
blaient d’urgence. L’efficacité méme de la machine était impitoya-
blement réduite par l’impossibilité d’établir dans la société un
ensemble de buts harmonieux et complets.
L’enrégimentation externe et la résistance 4 la désintégration
interne allaient de pair : les heureux membres de la société qui
étaient en harmonie compléte avec la machine ne parvenaient a
cet état qu’en se fermant diverses voies importantes de la vie.
Enfin, nous commencons a observer aujourd’hui l’énergie de
plus en plus grande d’une troisitme vague. Derriére elle, il y
a des forces qui, 4 la fois dans la technique et dans la civi-
lisation, furent supprimées ou perverties par le développement
hatif de la machine — forces qui se manifestent maintenant dans
chaque branche d’activité et qui tendent 4 une synthése nouvelle
dans la pensée et 4 une synergie nouvelle dans l|’action. En tant
que résultat de ce troisitme mouvement, la machine cesse de se
substituer 4 Dieu ou a une société ordonnée; son succés n’est
plus mesuré par la mécanisation de la vie; de plus en plus, elle
n’a de valeur que pour autant qu’elle se rapproche de 1’organi-
que et du vivant. En reculant, les deux premiéres vagues dimi-
nuent un peu la force de la troisi¢me. Mais l’image reste exacte
dans la mesure ot elle suggére que la vague qui nous emporte
aujourd’hui va dans une direction opposée a celle du passé.
Il est évident qu’en ce moment un nouveau monde se crée.
Mais il n’existe que par fragments. De nouvelles formes de
vie s’élaborent depuis longtemps; elles ont aussi été divisées et
dispersées. Nos vastes gains dans l’énergie et la production se
sont partiellerient manifestés par une perte dans les formes et par
un appauvrissement de la vie. Par quoi furent limités les bienfaits
de la machine? Dans quelles conditions la machine peut-elle
étre dirigée vers un usage plus complet et meilleur? La pré-
sente étude cherche aussi une réponse a ces questions. Les tech-
niques et la civilisation, prises comme un tout, sont le résultat
de choix humains, d’aptitudes et d’efforts, délibérés aussi bien
qu’inconscients, souvent irrationnels, alors qu’en apparence ils
sont objectifs et scientifiques. Et cependant, méme lorsqu’ils ne
peuvent étre contrélés, ils ne sont pas extérieurs. Le choix se
manifeste autant dans la société par de petites additions et des
décisions au jour le jour que par des luttes bruyantes et drama-
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et
jouvence, les iles heureuses des délices perpétuelles y invitaient.
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rapide. Par la pensée, la culture moderne se lanca dans lespace
et se donna au mouvement. Ce que Max Weber appelait le
« romantisme du nombre » allait naitre naturellement de cet inté-
rét. Dans la mesure du temps, dans le commerce, dans la
guerre, les hommes comptérent les nombres, et finalement, 1’ha-
bitude aidant, seuls les nombres comptérent.
ys
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humains. La machine a soutfert pour les péchés du capitalisme.
Par contre, le capitalisme a souvent profité des vertus de la
machine.
En favorisant la machine, le capitalisme a accéléré sa marche
et stimulé les perfectionnements mécaniques. Bien qu’il ait sou-
vent oublié de récompenser |’inventeur, il est parvenu — avec
des flatteries et des promesses — A I’encourager dans ses efforts.
Dans bien des branches, la marche fut accélérée et le stimulant
employé au maximum. En fait, la nécessité de promouvoir sans
cesse_des changements et des _améliorations — ce qui est_la
caractéristique du _capitalisme — a introduit un élément d’insta-
bilité dans la technique et empéché la société d’assimiler ces per-
fectionnements et de les intégrer dans des schémas sociaux ap-
propriés. Au fur et & mesure que le capitalisme s’est développé
et répandu, ces défauts ont grossi et les dangers pour |’ensemble
de la société ont grandi en proportion. Il suffit de noter ici 1’é-
troite association historique de la technique moderne et du capi-
talisme moderne, bien qu’il n'y ait pas entre eux connexion
nécessaire. Le capitalisme a existé dans d’autres civilisations
dont le développement technique était relativement faible. La
technique fit des progrés réguliers du X® ou XV°® siécle sans
avoir besoin de l’aiguillon particulier du capitalisme. Mais le style
de la machine, jusqu’aé nos jours, a été fortement influencé par
le capitalisme. L’importance de la taille, par exemple, est un
trait commercial. Il apparut dans les corporations et chez les
commercants bien avant d’étre observé dans la technique, dont
l’échelle des opérations était 4 l’origine plus modeste.
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TECHNIQUE
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DE LAYCULTURE( “A BA TECHNIQUE
saient, se chauffaient au soleil, méditaient sous les étoiles. Cet
état immédiat avait peu de sens. Le sens des actes quotidiens,
c’était celui d’accessoires de théAtre, de costumes et de répéti-
tions générales pour le drame du pélerinage humain dans |’éter-
nité. Jusqu’ol aurait pu aller l’esprit, dans l’observation et la
mesure scientifique, tant que les chiffres mystiques 3 et 4, 7, 9
et 12 imprégnaient toute relation d’un sens allégorique? Avant
de pouvoir étudier les successions de la nature, il fallait disci-
pliner l’imagination et aiguiser la vision. La seconde vue mys-
tique devait étre convertie en une premiére vue réelle, L’artiste
eut un plus grand rdle 4 jouer dans cette discipline qu’on ne
lui en avait attribué jusqu’alors. Dans l’énumération des nom-
breuses parties de la nature qui ne peuvent étre étudiées sans
« laide et l’intervention des mathématiques », Francis Bacon
comprenait la perspective, i’architecture, la science de |’ingé-
nieur, aussi bien que la cosmographie et l’astronomie.
Le changement d’attitude envers la nature se manifesta par
des exemples isolés bien avant de se généraliser. Les préceptes
expérimentaux de Roger Bacon et ses recherches spéciales en
optique étaient devenus science courante. En fait, comme les
visions scientifiques de son homonyme élisabéthain, elles avaient
été quelque peu surestimées. Leur importance réside dans le fait
qu’elles représentent une tendance générale. Au XVI® siécle, la
curiosité poussait les éléves d’Albert le Grand 4 explorer leur
environnement, et Absalon de Saint-Victor déplorait que ses
éléves veuillent étudier « la conformation du globe, la nature des
éléments, l’emplacement des étoiles, la nature des animaux, la
violence du vent, la vie des plantes et des racines ».
Dante et Pétrarque, a l’encontre de la plupart des médiévaux,
n’évitaient plus les montagnes comme des obstacles terrifiants
qui accroissent les difficultés du voyage. Ils soupiraient aprés
elles, les escaladaient pour jouir de la conquéte des distances et
du paysage. Plus tard, Léonard explora les collines de Toscane,
découvrant des fossiles, interprétant correctement les phéno-
ménes géologiques. Agricola, poussé par son intérét pour les
ressources du sous-sol, fit de méme. Les herbiers et les traités
d’histoire naturelle des XV* et XVI® siécles, bien qu’ils mélent
encore la fable et l’hypothése au fait, marquent un pas en avant
dans |’étude de la nature. Leurs admirables peintures en témoi-
gnent encore. Les petits livres sur les saisons et la cadence de
la vie quotidienne suivaient la méme direction. Les grands pein-
tres n’étaient pas loin. La chapelle Sixtine fut une legon d’ana-
tomie autant que la fameuse toile de Rembrandt, et Léonard fut
le digne prédécesseur de Vesalius, dont la vie se superpose a la
sienne. Au XVI® siécle, d’aprés Bechman, il existait de nom-
breuses collections privées d’histoire naturelle et, en 1659, Elias
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DE LAVCULTUREI*A LA TECHNIQUE
reproduire l’organique, de conjurer les géants et les djinns, au
lieu de faire concevoir leur équivalent abstrait, retarda le déve-
loppement de la machine.
La nature facilite souvent de telles abstractions. Le cygne, en
déployant ses ailes, peut suggérer la navigation A voile; le nid de
frelon peut suggérer le papier. Réciproquement, le corps est une
sorte de microcosme de la machine. Les bras sont des leviers;
les yeux, des lentilles; le cceur, une pompe; le poignet est un
marteau, les nerfs sont le systéme télégraphique connecté avec
une station centrale. Mais, dans l’ensemble, les instruments mé-
caniques furent inventés avant que les fonctions physiologiques
aient été exactement décrites. La machine la moins efficace est
celle qui imite de facon mécanique et réelle l’homme ou 1’ani-
mal. La technique a retenu le nom de Vaucanson pour son
métier 4 tisser plut6t que pour son canard mécanique, d’aspect
vivant, qui non seulement absorbait de la nourriture, mais
accomplissait les fonctions de digestion et d’excrétion.
La technique n’a pu progresser que lorsqu’il a été possible d’i-
soler un systéme mécanique d’un tissu entier de relations. Le pre-
mier aéroplane, comme celui de Léonard, essayait de reproduire
des ailes d’oiseaux. En 1897, |’aéroplane d’Ader, qui se trouve au
Conservatoire des Arts et Métiers 4 Paris, rappelait la forme
d’une chauve-souris; ses membrures ressemblaient aux fanons
d’une baleine, et les hélices, comme s’il était nécessaire d’épuiser
toutes les possibilités zoologiques, étaient en bois mince, fendu,
pour imiter les plumes d’oiseaux. On croyait que la forme
« naturelle » du mouvement était le mouvement réciproque —
comme celui des bras et des jambes —, et cette croyance explique
l’opposition que rencontra la turbine. Au début du XVII siécle,
dans un plan de machine A vapeur par Branca, la chaudiére avait
la forme d’une téte et d’un torse humains. Le mouvement cir-
culaire, l’un des attributs les plus fréquents et les plus employés
des machines perfectionnées, est de ceux que l’on rencontre le
moins dans la nature. Les étoiles elles-mémes ne décrivent pas
une course circulaire et, sauf pour les rotiféres, c’est l’>homme
qui, par ses danses et par ses sauts, donnent un premier exemple
du mouvement rotatif.
Le triomphe de l’imagination technique, c’est d’avoir décuplé
la puissance du bras et créé la grue; d’avoir séparé le travail de
l’action humaine ou animale et inventé la roue hydraulique; d’a-
voir distingué |’éclairage dans la combustion du bois ou de
Vhuile et imaginé la lampe électrique. Pendant des_ milli ’an-
nées,
l’animisme avait obstrué la _voie. II avait caché le visage
de la nature derriére les formes humaines. On attribuait aux
étoiles, selon de vagues ressemblances, les figures de Castor et
Pollux et du Taureau. La vie, ne se contentant pas de son pro-
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
pre domaine, coulait sans retenue dans les roches, les riviéres,
les étoiles et tous les éléments naturels. L’environnement immé-
diat de l’homme restait capricieux, confus, reflet de ses propres
impulsions et de ses craintes désordonnées.
Le monde, dans son essence, semblait animiste, les puissances
« extérieures » menacaient l’homme. Le seul moyen d’y échapper
qui s’offrit &4 son désir de puissance c’était, ou bien la disci-
pline de soi, ou bien la conquéte des autres hommes, la religion
ou la guerre. J’étudierai plus loin la contribution spéciale que
la technique et l’esprit de la guerre ont apporté au développe-
ment de la machine. Quant 4 la discipline de la personnalité, ce
fut essentiellement au Moyen-Age, le domaine de 1’Eglise, et
bien entendu elle fut plus poussée dans les monasteéres et les uni-
versités que parmi les paysans et les nobles, encore attachés a
des modes de pensée essentiellement paiens avec lesquels |’Eglise
sut composer.
Dans ces monastéres et universités, l’animisme fut repoussé
par la toute-puissance de |’Esprit unique, par la conscience de
son rdle immense sans commune mesure avec les capacités
humaines ou animales. Dieu avait créé un monde ordonné, ot
sa loi prévalait. Ses actes pouvaient étre insondables, ils n’é-
taient pas capricieux. Tous ces efforts de la vie religieuse furent
de provoquer |’humilité envers les voies de Dieu et le monde
qu’il a créé. Si la foi sous-jacente du Moyen-Age restait supers-
titieuse et animiste, les doctrines métaphysiques des scolastiques
étaient en fait antianimistes. Leur position essentielle était que
le monde de Dieu n’est pas celui de l’homme et que seule |’F-
glise peut servir de pont entre l’homme et |’absolu.
Le sens de cette distinction n’apparut vraiment que lorsque
les scolastiques eux-mémes en vinrent 4 se disputer et que leurs
successeurs, comme Descartes, eurent profité de la vieille querelle
pour décrire le monde naturel sur une base purement mécanique,
laissant de cété le domaine propre de |’Eglise : 1’Ame humaine.
Whitehead a montré dans La Science et le Monde moderne que
si la science a pu progresser avec tant de confiance, c’est grace
& la croyance de |’Eglise en un monde indépendant et ordonné.
Les humanistes du XVI° siécle pouvaient étre fréquemment scep-
tiques et athées, ils pouvaient se gausser scandaleusement de
’Eglise, méme lorsqu’ils restaient en son sein. Ce n’est pas par
hasard que les savants les plus sérieux du XVII® siécle, Galilée,
Descartes, Leibniz, Newton, Pascal, ont été des hommes dévots.
Le nouveau pas en avant commencé par Descartes lui-méme fut
le transfert de l’ordre divin & la machine. Dieu devint, au
XVIII* siécle, 1’Horloge éternelle qui, ayant congu et créé le
monde, et terminé l’horloge universelle, n’avait plus d’autre res-
ponsabilité jusqu’A ce que, finalement, la machine se brise ou
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DE LA CULTURE: A LA TECHNIQUE
bien, comme l’a pensé le XIX® siécle, jusqu’A ce que les rouages
s’arrétent.
Les méthodes scientifiques et technologiques, sous leurs for-
mes €voluées, impliquent une neutralisation du moi, une élimi-
nation aussi compléte que possible des tendances et des préfé-
rences humaines, y compris le plaisir de contempler sa propre
image et la croyance instinctive en une représentation immédiate
de ses réves. Toute une culture ne pouvait trouver de meilleure
préparation a ces efforts que dans la diffusion du systéme monas-
tique et la multiplication d’une foule de communautés séparées
consacrées a une vie humble et pleine d’abnégation sous une
régle stricte. Le monastére était un monde relativement non ani-
miste, non organique. Les tentations du corps étaient théorique-
ment maitrisées et, malgré les mauvais penchants et l’irrégula-
rité, souvent réduites pratiquement, en tout cas plus souvent que
dans la vie séculiére. L’effort pour exalter l’individu était arrété
par la régle collective.
Comme la machine, le monastére était incapable de se perpé-
tuer, si ce n’est par un renouvellement de l’extérieur. Si l’on
excepte les couvents de femmes, le monastére était, comme I’ar-
mée, un monde strictement masculin. Comme l’armée aussi, il
aiguisait, disciplinait et concentrait le désir humain de puissance.
Toute une série de chefs militaires vint des ordres religieux et
le chef de l’Ordre qui illustra l’idéal de la Contre-Réforme com-
menca sa vie dans l’armée. L’un des premiers savants expéri-
mentaux, Roger Bacon, était un moine, ainsi que Michel Stifel,
qui en 1544 étendit l’usage des symboles dans les équations
algébriques. Les moines étaient au premier rang des mécaniciens
et des inventeurs. La vie spirituelle du monastére, si elle ne
favorisa pas positivement la machine, annihila bien des infiuences
qui lui étaient contraires. A l’encontre des disciplines analogues
des bouddhistes, celles des moines occidentaux donnérent lieu a
une machinerie plus fertile et plus complexe que les moulins a
priéres.
D’une autre facon, par le mépris du corps, les institutions de
l’Eglise ouvrirent la voie 4 la machine. Pourtant, le respect du
corps et de ses organes était profondément enraciné dans les
civilisations du passé. Quelquefois, projeté par |’imagination, le
corps pouvait étre remplacé symboliquement par les parties ou
les organes d’un autre animal, comme I’horus égyptien. Mais la
substitution avait pour but d’exalter la qualité d’un organe, la
puissance de I’ceil, des muscles, des organes génitaux. Les phal-
lus que l’on portait dans les processions religieuses étaient plus
grands et plus puissants que les organes humains réels. Ainsi
l'image des dieux atteignait une taille héroique pour accentuer
leur vitalité. Tout le rituel de la vie dans les civilisations ancien-
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
grandes recherches sur la transmutation des métaux vils en
métaux nobles; il y eut aussi des efforts acharnes et maladroits
pour agir sur le milieu extérieur. La magie apprit du moins A
lexpérimentateur qu’il était aussi difficile de changer le plomb
en or qu’un goujat en gentilhomme. C’était un progrés véritable
vers le réalisme.
Lynn Thorndike rappelle que « la raison d’étre des opérations
magiques, c’est l’efficacité dans le monde de la réalité exté-
rieure », La magie n’est pas une simple satisfaction occulte, elle
présuppose une démonstration publique.
On ne peut déterminer exactement le moment ot la magie
devint science, ou l’empirisme devint expérimentation systéma-
tique, ot l’alchimie devint chimie, et l’astrologie astronomie;
bref, ott le besoin de résultats pratiques et de satisfactions
humaines ne laissa plus de souillure. La magie offrait surtout
deux caractéres non scientifiques : le secret et le mystére; elle
manifestait une certaine impatience pour des « résultats ». Selon
Agricola, les alchimistes du XVI® sitcle n’hésitaient pas A dissi-
muler un peu d’or dans une pelletée de minerai, de facon a faire
réussir leur expérience. Des subterfuges analogues furent prati-
qués; par exemple on dissimulait un mouvement d’horlogerie
dans les nombreuses machines &4 mouvement perpétuel que 1’on
proposa. Partout l’ivraie de la fraude et du charlatanisme se
mélait aux quelques bons grains des connaissances scientifiques
utilisées ou produites par la magie.
Les instruments,de recherche, cependant, se développérent
avant que l’on ne découvre le procédé. Si le plomb ne se chan-
gea pas en or dans les expériences des alchimistes, on ne peut
leur reprocher leur échec, mais on doit les féliciter de leur
audace. Leur imagination leur faisait sentir le gibier dans un
terrier ot: ils ne pouvaient pénétrer, et leurs cris finirent par attirer
les chasseurs en cet endroit. Les résultats de leurs recherches
furent plus importants que l’or : la cornue, le four et l’alambic,
l’habitude de broyer, moudre, briler, distiller, dissoudre, c’est-
4-dire des appareils et des méthodes valables pour une science et
des expériences réelles. Aristote et les Péres de !’Eglise cessé-
rent d’étre des autorités pour les magiciens qui s’appuyaient sur
ce que leurs mains pouvaient faire, ce que leurs yeux pouvaient
voir et sur le mortier, le pilon et le fer. La magie était plutét
une démonstration qu’une dialectique. Plus que toute autre
chose, A l’exception peut-étre de la peinture, elle libéra la pensée
européenne de la tyrannie des textes écrits.
En somme, la magie orienta l’esprit humain vers le monde
extérieur. Elle suggéra le besoin d’agir sur ce monde. Elle con-
tribua 2 créer des instruments nécessaires pour y parvenir et
rendit plus aigué l’observation des résultats. On ne trouva pas
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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DE DAVCULTUREVA IA TECHNIQUE
phénoménes machinistes. Tout ce qui réduit les actions et les
mouvements des hommes A de simples éléments meécaniques
appartient a la physiologie, sinon 4 la mécanique, de l’ére machi-
niste.
A partir du XV°® siécle, l’invention et l’enrégimentation se
développérent réciproquement. Le nombre et la variété des ma-
chines — moulins, fusils, horloges, automates — doit avoir sug-
géré 4 l’homme des attributs mécaniques et étendu_l’analogie
entre _le_machinisme et les act rganiques pl j us
complexes. Vers le XVII*® siécle, ce changement apparut dans
la_philosophie. Descartes, analysant la physiologie du corps
humain, remarque que ses fonctions étant indépendantes de la
volonté « il ne semblera nullement étrange A ceux qui, sachant
combien de divers automates ou machines mouvantes l'industrie
des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de piéces,
a _comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des
nerfs, des artéres, des veines, et de toutes les parties qui sont
dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme
une machine ayant été faite des mains de Dieu ».
Mais le phénomeéne contraire était aussi vrai; la mécanisation
des habitudes humaines ouvrit la voie aux imitations mécani-
ques. Lorsque la crainte et l’angoisse l’emportent sur le « sié-
cle », "homme tend a rechercher un absolu, S’il n’existe pas, il
le fabrique. L’enrégimentation donna 4 l’homme de cette époque
un but qu’il ne pouvait trouver nulle part ailleurs. L’un des fac-
teurs de la rupture de l’ordre médiéval fut le besoin d’aventures
qui incita les flibustiers, les explorateurs, les pionniers 4 rompre
avec la servitude des vieilles coutumes et avec la rigueur des
auto-disciplines. Un facteur opposé s’y ajouta, obligeant la
société A se fondre dans un moule étroit : ce fut la routine mé-
thodique de |’adjudant et du comptable, du soldat et du bureau-
crate. Ces maitres de l’enrégimentation connurent leur apogée
au XVII? siécle.
La nouvelle bourgeoisie, dans les comptoirs et les boutiques
réduisait la vie A une chaine minutieuse et continue : temps pour
les affaires, temps pour les repas, temps pour le plaisir — le tout
soigneusement mesuré, aussi méthodique que les exercices
sexuels du pére de Tristram Shandy, qui avaient lieu — c’est
assez symbolique — le jour du mois ot il remontait la pendule.
Temps pour les paiements, temps pour les contrats, temps pour
les repas; A partir de cette époque, rien n’échappe a l’emprise du
calendrier ou de la pendule. Perdre son temps était pour les
précheurs protestants, comme Richard Baxter, un des péchés les
plus haissables. Passer son temps en société, ou méme a dormir,
était répréhensible.
L’idéal de ce nouvel ordre fut Robinson Crusoé. II ne faut
47
TECHNIQUE. ET CIVILISATION P
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DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
vers la fin du Moyen-Age? Chaque élément de la vie est_un 4,
owe
maillon dans la chaine de la civilisation. un
L’un implique, restreint
ou contribue exprimer [l’au cette épo ue, la Chaine se
wire
brisa_et l’un des maillons s’en dehappa pour suivre sa propre Se
voie : c’est la volonté de dominer son milieu; dominer et non 5a. pot
galaeee s’emparer du pouvoir et_non faconner. De ce fait, on
peut embrasser une série complexe d’événements. Un autre fac-
teur du changement a peut-étre été l’accroissement du sentiment
d’infériorité, 4 cause de la disproportion humiliante entre
l'homme, ses aspirations, ses prétentions idéales et ce qu’il peut
réellement atteindre, entre la charité et la paix préchées par 1’E-
glise et les guerres, les luttes féodales et les animosités sans
cesse renaissantes entre la vie dévote préchée par les saints et
la vie dissolue des papes de la Renaissance, entre la croyance
au ciel et le désordre misérable, la détresse de l’existence ter-
restre. N’étant pas sauvés par la grace, ne sachant pas tempérer
leurs désirs, manquant des vertus chrétiennes, les gens cher-
chaient peut-étre A chasser leurs complexes d’infériorité et a
surmonter leur déception par la conquéte du pouvoir.
En tout cas, l’ancienne synthese s’était perdue dans la pensée
et l’action sociales. Et elle s’était perdue parce qu’elle n’était
pas adéquate. C’était une conception trop étroite de la vie et de
la destinée humaines, une conception pessimiste jaillie de la
misére et de la terreur qui accompagnérent la brutalité de la
Rome impérialiste et son ultime déclin.
Du XV*® au XVII® siécle, les hommes vécurent dans un
monde vide, un monde qui devenait plus vide de jour en jour.
Ils disaient leurs priéres, répétaient leurs formules. Ils s’effor-
caient méme de retrouver la sainteté qu’ils avaient perdue en
ressuscitant des superstitions depuis longtemps abandonnées
c’est ce qui explique la férocité et le fanatisme creux de la
Contre-Réforme, le massacre des hérétiques, la persécution des
sorciéres, A la naissance méme du « siécle des lumiéres ». Ils se
rejetaient dans le réve médiéval avec des sentiments, sinon une
conviction, d’une intensité renouvelée. Ils sculptaient, peignaient,
écrivaient. Qui a jamais taillé dans la pierre plus puissamment
que Michel-Ange, qui a écrit avec plus de vigueur et de lyrisme
que Shakespeare?
Mais sous les travaux de l’art et de la pensée, il y avait un
monde mort, un monde vide, une vacuité qu’aucune bravade,
aucune audace ne pouvaient remplir. Les arts fusaient dans 1l’air
en cent feux d’artifices incomparables; car c’est précisément aux
périodes de dissolution culturelle et sociale que l’esprit travaille
avec une liberté et une intensité qui sont impossibles lorsque le
cadre social est stable et la vie satisfaisante. Mais l’idole était
devenue creuse.
49
TECHNIQUE ET CIVILISATION
50
DE LAVCULTURE, A LA TECHNIQUE
Comment le nouveau tableau machiniste fut-il composé ? Com-
ment favorisa-t-il la propagation des inventions et la diffusion
des machines?
La méthode des sciences physiques reposait sur quelques prin-
cipes fondamentaux simples. Prim) élimination des qualités,
réduction du complexe au simplé, en ne tenant compte que des
aspects de la réalité qui peuvent étre pesés, mesurés, comptés,
et des séquences spatio-temporelles qui peuvent étre contrélées
et répétées ou — comme en astronomie — dont la répétition
peut étre prédite. Gecundo>: concentration sur le monde exté-
rieur et élimination ou neutralisation_de, l’observateur face aux
données sur lesquelles il travaille. 0’: isolation, limitation
du champ d’expérience, spécialisation de l’intérét et division du
travail. Bref, ce que les sciences physiques appellent : le monde,
n’est pas l’objet total de l’expérience humaine courante, ce n’est
que la partie de cette expérience qui se préte a |’observation
exacte, objective et aux généralisations.
L’élimination de l’organique ne fut pas seulement justifiée par
lintérét pratique, mais par l’histoire. Alors que Socrate se dé-
tourna des philosophes ioniens parce qu’il préférait s’instruire
sur les problemes humains plutét que sur les arbres, les riviéres
et les étoiles, tout ce qu’on a pu appeler connaissance positive et
qui a survécu aux événements et aux chutes des_ sociétés
humaines — ce sont justement des vérités inorganiques, comme
le théoréme de Pythagore. En opposition aux cycles du gofit, des
doctrines, de la mode, il y a eu une accumulation ininterrompue
de connaissances mathématiques et physiques. L’étude de 1’astro-
nomie aida beaucoup ce développement. Les étoiles ne pouvaient
étre cajolées ou perverties. Leur course était visible a l’ceil nu
et n’importe quel observateur patient pouvait la suivre.
Comparez le phénoméne complexe du déplacement d’un boeuf
sur une route sinueuse, irréguliére, avec le mouvement d’une
planéte. Il est plus facile de tracer une orbite enti¢re que d’éva-
luer les variations de vitesse et les changements de position de
l’objet le plus proche et le plus familier. Fixer_son attention sur
un_systeéme mécanique fut le premier pas vers la création des
systémes, une importante victoire pour la pensée rationnelle. En
concentrant les efforts sur le non-historique et linorganique, les
physiques
clarifi¢rentt’analyse.
sciences Le champ auquel elles
limitaient leur attention était celui_ot_la_méthode_pouvait
étre
trop de difficultés _ou
poussée le plus. Join _sans_qu’on_rencontre
qu’elle_ne_s’avére_manifestement_inadéquate. Mais le monde
physique réel n’était pas encore assez simple pour la méthode
scientifique A ses débuts. II fallut le réduire 4 des éléments qui
puissent étre ordonnés suivant les notions d’espace et de temps,
de masse, de mouvement et de quantité. Galilée a trés bien décrit
51
TECHNIQUE ET CIVILISATION
tout ce qu’il fallut ainsi éliminer, lui qui fit tant progresser cette
méthode. Citons-le : ~
« Dés que je concois une substance matérielle ou corporelle,
j’éprouve en méme temps la nécessité de concevoir qu’elle a une
forme limitée quelconque; que par rapport a d’autres, elle est
grande ou petite; qu’elle est située a tel ou tel endroit, a telle ou
telle époque, qu’elle est en mouvement ou au repos; qu’elle touche
ou ne touche pas un autre corps; qu’elle est unique, rare ou
commune; je ne peux, par aucun acte de l’imagination, la sépa-
rer de ces qualités. Mais je ne suis pas obligé de concevoir
qu’elle est blanche ou rouge, amére ou sucrée, sonore ou silen-
cieuse, odorante ou malodorante; si les sens n’avaient pas fait
ressortir ces qualités, le langage et l’imagination seuls n’auraient
pu parvenir jusqu’a elles. Aussi je pense que ces gofits, odeurs,
couleurs, par rapport A l’objet auquel ils semblent appartenir,
ne sont rien de plus que des noms. Ils n’existent que pour le
corps sensible; lorsque la créature vivante s’en va, toutes ces
qualités sont emportées et annihilées, bien que nous leur ayons
imposé des noms particuliers et voudrions bien nous persuader
qu’elles sont vraies et qu’elles existent en fait. Je ne crois pas
qu’il y ait dans les corps extérieurs, pour exciter le gofit, 1’odo-
rat et l’ouie, autre chose que la taille, la forme, la quantité et
le mouvement. »
En d’autres termes, la science physique se limitait 4 ce qu’il
est convenu d’appeler les qualités primaires. Les qualités secon-
daires étaient dédaignées, comme subjectives. Mais une qualité
primaire n’est pas plus déterminante ou élémentaire qu’une
qualité secondaire et un corps sensible n’est pas moins réel
qu’un corps insensible. Du point de vue biologique, 1’odorat
est extrémement important pour subsister; plus peut-étre que la
capacité de distinguer les distances, les poids, car c’est le pre-
mier moyen de déterminer si la nourriture est bonne A manger.
Le plaisir olfactif n’est pas seulement un raffinement ajouté A la
nutrition. Il est associé au désir érotique. C’est ce plaisir qui
finalement a été sublimé dans les parfums. Les qualités primaires
ne pouvaient étre appelées ainsi qu’en termes d’analyse mathé-
matique, car elles avaient comme dernier point de référence des
mesures indépendantes dans l’espace et le temps : une pendule,
une régle, une balance.
L’intérét de cette concentration sur les qualités primaires fut
de neutraliser les réactions sensorielles et émotives de 1l’obser-
vateur dans l’expérience et l’analyse. Si l’on excepte la démarche
de la pensée, il devint un instrument enregistreur et purement
objectif. De cette maniére, la technique scientifique _devint géné-
rale, impersonnelle, objective, dans un champ limité, purement
conventionnel : le « monde matériel ». Cette technique résultait
52
DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
d’une catéchisation de la pensée. Les normes, tout d’abord éla-
borées en dehors des buts personnels et des intéréts immédiats
de homme, furent également applicables aux aspects plus com-
plexes de la réalité, proches des ambitions, des amours ou des
espoirs humains, Mais la premiére conséquence de ce progrés
dans la clarté et la sobriété de la pensée fut de dévaloriser toute
expérience qui ne se prétait pas aux investigations mathémati-
ques. Quand on fonda en Angleterre la Royal Society, les huma-
nités en furent délibérément exclues.
En général, les sciences physiques aiguisérent les sens. La vue
n’avait jamais été si percante, l’ouie si fine, le toucher si précis.
Hooke, ayant constaté combien les verres amélioraient la vue, ne
doutait pas « que des inventions mécaniques puissent affiner nos
autres sens, l’ouie, l!’odorat, le gofit, le toucher ». Mais ce gain
dans la précision s’accompagna d’une déformation de 1’expé-
rience. Les instruments scientifiques ne furent d’aucun secours
dans le domaine de la qualité. Le qualitatif fut assimilé au sub-
jectif; le subjectif fut méprisé comme irréel, l’invisible et 1’in-
commensurable n’existérent plus. L’intuition et le sentiment n’af-
fectérent pas les procédés ou les explications mécaniques. La
Science et_la_techntque nouvelles purent progresser parce qu’on
avait délibérément éliminé ce qui, dans la pensée, était ié
a la_ vie et au travail : Var e, le rythme_ organi
magination. Au fur et &4 mesure que le monde extérieur de la
perception grandissait en importance, le monde intérieur du sen-
timent devenait de plus en plus impuissant. Les buts et les
valeurs, centres de tout phénoméne vital, disparurent, 4 1’ex-
ception des buts et des valeurs qui découlaient automatiquement
du désir de pouvoir, de la volonté de puissance.
La division du travail et la division d’une opération en parties
simples, qui avait déja commencé 4 caractériser la vie écono-
mique au XVII? siécle, dominérent le monde de la pensée. Elles
exprimaient un égal désir de précision mécanique et de résultats
rapides. Le champ des recherches fut progressivement divisé et
chaque partie fut soumise 4 un examen approfondi. Dans les
petites mesures, pour ainsi dire, on pouvait trés bien atteindre
la vérité. Cette restriction eut une grande portée pratique. Con-
naitre A fond la nature d’un objet ne rend pas nécessairement
apte A l’utiliser. Car la connaissance compléte exige une infinité
de temps. D’ailleurs elle tend finalement a une sorte d’identi-
fication dépourvue précisément de cette froideur distante qui
permet de le manier et de l’utiliser 4 des fins extérieures. Si
vous voulez manger un poulet, il vaut mieux ne pas lui accorder
une attention amicale, une sympathie humaine ou méme porter
sur lui une appréciation esthétique. Si vous considérez la vie du
poulet comme une fin, vous pouvez méme, avec la minutie d’un
53
TECHNIQUE ET CIVILISATION
54
DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
science et a son nouveau point de vue. Elles répondaient 4 la dé-
finition de la « réalité » plus parfaitement que les organisnies
vivants. Une fois le monde mécanique établi, les machines pu-
rent réussir, se multiplier et dominer l’existence. Leurs concur-
rents avaient été exterminés ou relégués en un sombre univers
auquel seuls les artistes, les amants et les ¢leveurs d’animaux
osaient croire. Les machines ne furent-elles pas concues selon
les seules qualités primaires, sans tenir compte de l’apparence,
du bruit ou de tout autre excitant sensoriel? Si la science pro-
curait une réalité ultime, la machine incarnait l’excellence. En
fait, dans ce monde vide, dépouillé, l’invention de la machine de-
venait un devoir. En renoncant & une grande partie de son
humanité, l"homme pouvait arriver 4 la divinité. Il émergeait de
ce second chaos et créait la machine 4 son image : image du
pouvoir, mais pouvoir arraché de sa chair et isolé de son huma-
nité.
55
TECHNIQUE ET CIVILISATION
56
DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
au profit, ce qui permettait d’accroitre encore le pouvoir : tels
furent les dignes objectifs qu’une habitude d’esprit mécanique et
un mode mécanique d’action proposérent aux hommes. Tout le
monde reconnait qu’on doit mille instruments salutaires 4 la tech-
nique nouvelle. Mais depuis le XVII® siécle, la machine s’est subs-
tituée a la religion. Or une religion vivante n’a pas besoin d’étre
justifiée par 1l’efficience.
La religion de la machine dut s’appuyer sur les faits trans-
cendants qu’elle supplanta. Car la mission de la religion est de
donner un sens final et une idée force. La nécessité de l’inven-
tion devint un dogme, et le rituel de la routine mécanique devint
élément déterminant de la foi. Au XVIII® siécle, des sociétés
mécaniques furent créées pour propager la foi avec le plus grand
zéle. Elles préchaient |’Evangile du travail, la foi en la science
mécanique et le salut par la machine. Sans |’enthousiasme, le
zele apostolique des chefs d’entreprises, des industriels, des in-
génieurs et méme des mécaniciens, depuis le XVIII® siécle, il
serait difficile d’expliquer le flot des convertis et le rythme accé-
léré des progrés mécaniques. Les méthodes impersonnelles de la
science, les dures contraintes de la mécanique, les calculs ration-
nels des utilitaires, tout cela accaparait |’émotion, d’autant plus
que le paradis du succés financier était au bout.
Dans leur compilation des inventions et découvertes, Darm-
staedter et Du Bois-Reymond ont dénombré : entre 1700 et
1750, cent soixante-dix inventeurs — entre 1750 et 1800, trois
cent quarante-quatre inventeurs — entre 1800 et 1850, huit cent
soixante et un inventeurs — entre 1850 et 1900, mille cent cin-
quante. Méme en tenant compte du raccourci qu’entraine immé-
diatement la perspective historique, on ne peut méconnaitre l’ac-
célération entre 1700 et 1850. La technique s’était emparée de
imagination, les machines et leurs produits semblaient égale-
ment désirables. Si certaines inventions ont fait beaucoup de
bien, un grand nombre ne tinrent aucun compte du bien. Si la
sanction de l’utile avait été le but supréme, |’invention aurait
progressé plus rapidement dans les domaines ot les besoins hu-
mains étaient les plus aigus : nutrition, logement, vétement.
Mais si cette derniére branche a sans aucun doute progressé, la
ferme et la maison d’habitation profitérent de la nouvelle tech-
nologie mécanique bien plus lentement que le champ de bataille.
Il en fut de méme pour la mine, ot la conversion de la produc-
tion en une vie meilleure s’effectua plus lentement, a partir du
XVII® siécle, que pendant les sept siécles précédents.
Dés qu’elle exista, la machine tendit a se justifier en s’empa-
rant silencieusement des autres branches de la vie que son idéo-
logie avait négligées. La virtuosité est un élément important du
développement de la technique : intérét pour les matériaux,
o7
TECHNIQUE ET CIVILISATION
58
DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer de
la méme facon a tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi
nous rendre maitres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est
pas seulement a désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices
qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre
et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement
aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le
premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette
vie; car méme l’esprit dépend si fort du tempérament et de la
disposition des organes du corps que s’il est possible de trouver
quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages
et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans
la médecine qu’on doit le chercher. »
Qui est récompensé dans la république idéale prénée par Ba-
con dans la Nouvelle Atlandide? Dans la maison de Salomon,
le philosophe, l’artiste, le professeur sont négligés bien que Ba-
con, comme le prudent Descartes, s’attache cérémonieusement
aux rites de l’Eglise chrétienne. Pour les « ordonnances et les
rites » de la maison de Salomon, il y a deux galeries. Dans
l’une « nous placons les modeéles et échantillons de toute sorte
des inventions les plus rares et les meilleures. Dans l'autre,
nous mettons les statues des principaux inventeurs. Nous avons
la statue de votre Christophe Colomb qui découvrit 1’Amérique,
et aussi celles de l’inventeur des bateaux, celle de votre moine
qui inventa 1’artillerie et la poudre 4 canon, de I’inventeur de la
musique, l’inventeur des lettres, l’inventeur de l’imprimerie, 1’in-
venteur de l’observation astronomique, l’inventeur du travail des
métaux, l’inventeur du verre, l’inventeur du vin, l’inventeur du
blé et du pain, l’inventeur du sucre... Pour toute invention de
valeur, nous érigeons une statue A son auteur et nous lui don-
nons une large et honorable récompense ». Cette maison de
Salomon, telle que Salomon l’imaginait, était une combinaison
de l’Institut Rockfeller et du Deutsches Museum, On trouvait
1a, sinon ailleurs, les moyens de soulager la condition humaine.
Il faut remarquer qu’il y a rien de vague ou de fantaisiste
dans toutes ces prévisions sur le réle nouveau que la science et
la machine sont appelées A jouer. L’état-major de la science avait
élaboré un plan de campagne bien avant que les capitaines, sur
le champ de bataille, n’aient mis au point une tactique capable
de mener & bien l’attaque dans tous ses détails. Usher note
qu’au XVII° siécle l’invention fut relativement faible et que le
pouvoir de l’imagination technique dépassa de loin les capacités
réelles des ouvriers et des ingénieurs. Léonard, André, Campa-
nella, Bacon, Hooke dans sa Micrographia, Glanvill dans Scepsis
Scientifica inscrivaient les caractéristiques du nouvel ordre : uti-
liser la science pour l’avancement de la technique et diriger la
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
60
DE LA CULTURE A LA TECHNIQUE
pourra battre l’air avec ses ailes artificielles & la maniére des
oiseaux... et aussi des machines qui permettront aux hommes de
marcher au fond des mers ou des riviéres, sans bateaux. » Et
Léonard de Vinci laissa derri¢re lui une liste des inventions et
des machines qui apparait comme le tableau synoptique du
monde industriel actuel.
Mais vers le XVII® siécle, la confiance s’était accrue, et la
poussée vers les réalisations pratiques était devenue plus uni-
verselle et plus urgente. Les travaux de Porta, Cardan, Besson,
Ramelli et autres ingénieux inventeurs, ingénieurs et mathéma-
ticiens témoignent d’une habileté accrue et d’un enthousiasme
grandissant pour la technique elle-méme. Schwenter, dans ses
Délassements physico-mathématiques (1636), montra comment
deux individus pouvaient communiquer entre eux au moyen d’ai-
guilles magnétiques. « Pour ceux qui viendront aprés nous,
disait Glanvill, il pourra étre aussi simple d’acheter une paire
d’ailes pour voler dans les régions les plus lointaines que main-
tenant d’acheter une paire de bottes pour un voyage A cheval;
communiquer par transmission sympathique aussi loin qu’avec
les Indes pourra étre aussi commun dans les temps futurs que
la correspondance épistolaire. » Cyrano de Bergerac imagina le
phonographe. Hooke observait qu’il « n’est pas impossible d’en-
tendre un murmure émis a une grande distance, cela a déja été
fait, et la nature des choses ne le rendra pas impossible peut-
étre, méme si cette distance est multipliée par dix ». Il prévoyait
méme l’invention de la soie artificielle. Et Glanvill ajoutait
« Je ne doute pas que la postérité verra se vérifier par les réa-
lités pratiques de nombreuses choses qui ne sont aujourd’hui que
des rumeurs. Oui, dans quelque temps, un voyage au péle sud,
dans la lune peut-étre, ne paraitront pas plus étrange qu’u
voyage en Amérique... Le rajeunissement des cheveux gris e
le renouvellement de la moelle usée pourront étre effectués sans
miracle, et la transformation de ce monde comparativement déser
en un paradis n’est pas improbable, 4 en juger par l’agricultur
récente » (1661).
Le XVII° siécle n’a pas manqué de foi en la présence immi-
nente de la machine. Horlogerie, mesure du temps, exploration
de l’espace, régularité monastique, ordre bourgeois, projets tech-
niques, inhibitions protestantes, explorations magiques et _finale-
ment l’ordre_magistral, la_précision et la sciences
physiques — toutes ces activités distinctes, négligeables_peut-
étre en elles-mémes, formé un complexe social
avaient finalement
et un_ réseau idéologique capables.de—s e
de la machine et d’étendre encore plus loin ses opération s. Vers
le milieu du XVIII* siécle, les défrichements préparatoires étaient
terminés, les inventions-clés trouvées. Une armée de philosophes
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
64
LES FACTEURS DE MECANISATION
poulie et peut-étre de la roue, pour ne pas parler du treuil. La
hache du bicheron est le principal outil primitif de l’humanité.
Des occupations analogues A celles du castor — dont |’obser-
vation conduira peut-étre A la ré-invention du pont et de la
digue — sont apparemment A l’origine des travaux modernes
de génie civil. Les instruments de précision, les plus importants
pour la transmission du mouvement et le faconnage des mateé-
riaux — surtout le tour — proviennent sans doute du bficheron.
Au-dessous de la limite idéale de la forét, qui devient plus
visible avec les progrés d’une culture sédentaire, alors que la
hache du bicheron ouvre des clairiéres et que les graines semées
poussent avec une vigueur nouvelle, s’étend le domaine du pas-
teur et du paysan. Les troupeaux de chévres, de moutons, de
vaches occupent les hauts paturages ou les grandes prairies des
plateaux A leur stade initial ou final d’érosion. Le filage, art
grace auquel les fils ténus sont renforcés par la torsion, une des
premiéres grandes inventions, a peut-étre été appliqué d’abord
aux nerfs des animaux. Le fil et la ficelle furent utilisés & l’ori
gine dans les cas que nous regardons comme accidentels aujour
d’hui, par exemple pour fixer le manche d’une hache. Mais 1
filage et le tissage des étoffes pour les vétements, les tentes ou
les tapis — qui couvrent temporairement le sol de la tente —
sont l’ceuvre du berger. Ils apparurent 4 la période néolithique
avec la domestication des animaux. Quelques-unes des formes
les plus élémentaires du fuseau et du métier 4 tisser subsis-
tent chez les peuples primitifs. Aujourd’hui méme, selon
M. M. D. C. Crawford, les plus fines soieries, les mousselines
de Dacca ne sont pas tissées 4 la machine. Le fil (400 fin) est filé
4 la main et tissé sur le plus primitif des métiers 4 main.
Au-dessous des paturages, le paysan occupe le sol de facon per-
manente et le cultive. Il s’étend sur les sols alluvionnaires lourds.
Sa maitrise sur les animaux domestiques et les outils grandis-
sant, ou la lutte pour la vie devenant plus 4pre, il peut rejoindre
hinterland et cultiver les prairies, terres arables en puissance.
Les outils et les machines du fermier sont relativement peu nom-
breux. Comme chez le berger, ses capacités inventives s’exer-
cent directement sur la sélection, la production et l’amélioration
des plantes. Ses outils se modifient peu au cours des temps his-
toriques : la houe, la pioche, la charrue, la béche et la faux. Mais
ses ustensiles et ses utilités sont nombreux : le fossé d’irriga-
tion, le cellier, le silo, la citerne, le puits et l’habitation perma-
nente. C’est en partie de ses besoins de défense et de coopération
que naissent le village et la ville. Enfin, sur les cétes, travail-
lant au dela et en deca des plages et des salines, vit le pécheur,
sorte de chasseur aquatique. Le premier pécheur qui construisit
un barrage a pu inventer le tissage : le filet et le panier fait avec
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
66
| I. ANTICIPATION
| DE LA VITESSE
: La DRAISIENNE, bicyclette
siyventée par le baron von
iPerais, en 1817. Noter que l’au-
pmobile de Gurney, contem-
boraine, était ‘aussi mue2 par
‘s pieds. La premiére_ bicy-
ette était en bois. Aprés
vers essais de roues a grand
dametre, la machine retrouva
ies lignes initiales.
LA MACHINE VOLANTE, de
‘enson et Stringfellow, d’aprés
brevet Henson, 1842. L’une
£s premiéres a imiter le vol
‘idané des oiseaux.
La DILIGENCE A VAPEUR, de
hurch : un des nombreux
pes d’automotrices a vapeur,
nassées des routes vers 1830
ar le monopole du rail. Le
éveloppement de l’automobile
evait attendre les pmeus en
aoutchouc, les routes 4 revé-
j}fment résistant et le combus-
Pole liquide.
II. PERSPECTIVES
5. L’Aube du Naturalisme
au XII siécle. (Saint-Lazare
ad Autun, France.)
67
TECHNIQUE
TECHNIQUE ET CIVILISATION
68
LES FACTEURS DE MECANISATION
d’abondance, il est vraisemblable, suivant la loi des moyennes,
que succéderont sept années de disette. La chance, pour le
paysan, est le plus souvent un fait négatif : pas de gréle, de
vent, de flétrissure, de pourriture. Mais les gains dans la mine
peuvent étre soudains et n’avoir que peu de rapports — surtout
aux débuts de 1l’industrie — avec la capacité technique du mineur
ou le travail qu’il a fourni. Un prospecteur assidu peut s’user
pendant des années sans trouver un riche filon; un nouveau
venu dans la méme région peut rencontrer la fortune a son pre-
mier jour de travail. Certaines mines — comme les mines de sel
de Salzkammergut — ont existé pendant des siécles, mais en
général l’irrégularité et l’abandon caractérisent la mine.
Jusqu’au XV° siécle, la mine a sans doute fait moins de pro-
grés que les autres arts. Les travaux romains de génie civil
(aqueducs et routes) ne se sont pas étendus A la mine. Non seule-
ment l’art en est resté pendant des milliers d’années 4 un stade
primitif, mais le travail, la profession ont été considérés comme
des plus inférieurs dans |’échelle humaine. Jusqu’aux temps
modernes, dans les pays civilisés, 4 part celui qui était attiré par
la prospection, personne n’entrait dans la mine, si ce n’est un
prisonnier de guerre, un criminel, un esclave. Le travail de la
mine n’était pas considéré comme un art humain : c’était une
forme de punition qui combinait les terreurs du cachot avec 1’é-
puisement physique de la galére.
Le travail de la mine, justement parce qu’il était considéré
comme écrasant, ne fut pas amélioré pendant toute |’antiquité,
de ses débuts a la chute de |’Empire romain. En général, le tra-
vail libre ne fut introduit dans les mines qu’a la fin du Moyen-
Age. II faut se rappeler que le servage y subsista, dans les
mines d’Ecosse par exemple, bien longtemps aprés son aboli-
tion dans Il’agriculture. Il est possible que le mythe de l’4ge d’or
exprime ce que l’humanité a perdu quand elle a découvert les
métaux durs.
La dégradation sociale de la mine fut-elle un accident ou est-
elle dans la nature des choses? Examinons pour cela le travail
et son cadre, tel qu’il a existé dans la plus grande partie de
I’histoire.
Excepté pour les mines a ciel ouvert, les travaux s’effectuent
dans les entrailles de la terre. L’obscurité est dissipée par la
timide lueur d’une lampe ou d’une bougie. Jusqu’a |’invention
de la lampe de sireté Davy, au début du XIV° siecle, le feu pou-
vait prendre et tout détruire en une seule explosion. Aujour-
d’hui, la possibilité de telles explosions n’est pas exclue, puisque
des étincelles peuvent se produire par hasard, méme avec I’élec-
tricité. Des infiltrations souterraines dans les filons menacent
fréquemment d’inonder les galeries. Jusqu’&a ce qu’un outillage
69
TECHNIQUE ET CIVILISATION
70
LES FACTEURS DE MECANISATION
71
TECHNIQUE ET CIVILISATION
72
LES FACTEURS DE MECANISATION
les cours d’eaux et détruit les poissons ou les chasse. Ainsi les
habitants de ces régions en raison de la dévastation de leurs
champs, de leurs bois, de leurs cours d’eau, éprouvent de gran-
des difficultés 4 se procurer ce qui est nécessaire & la vie et A
cause du déboisement, la construction de leurs maisons est plus
onéreuse, »
La réponse boiteuse du D™ Bauer ne vaut pas la peine de s’y
arréter. I] se trouve que l’accusation est toujours maintenue et
qu’on ne peut y répondre. On doit toujours admettre les dévas-
tations causées par la mine, méme si l’on est décidé & en justifier
la fin. « Un exemple typique de déboisement, dit un écrivain
moderne a ce sujet, peut étre observé sur les pentes est de la
Sierra Nevada, qui regardent la Truckee Valley. Les coupes de
bois pour alimenter en poteaux les mines profondes de Coms-
tock ont laissé le versant exposé A |’érosion, et aujourd’hui il est
désert, dénudé et hideux. La plupart des régions miniéres racon-
tent la méme histoire, de Lenares A Leadville, de Potosi a Por-
cupine. » L’histoire des quatre derniers siécles souligne la vérité
de cette accusation. Ce qui n’était qu’un dommage local au
temps du D" Bauer est devenu un caractére général de la civili-
sation occidentale dés le XVIII®* siécle, époque ot elle commenca
a reposer directement sur la mine et ses produits et a refléter,
méme sur des territoires tres éloignés des mines, les pratiques
et les buts du mineur. Une carriére laisse un creux qui deviendra
souvent étang ou lac. La mine laisse un puits souterrain et des
« terrils » & la surface.
Un autre effet de cette destruction et de cette désorganisation
coutumiéres mérite d’étre noté : leur réaction psychologique sur
le mineur. II] est peut-étre inévitable que celui-ci ait un standard
de vie faible. C’est en partie la conséquence naturelle du mono-
pole capitaliste, souvent exercé et maintenu par la contrainte
physique. Mais cette derni¢re se rencontre aussi en des condi-
tions de liberté relative et de périodes « prospéres ». L’explica-
tion est simple : tout paysage est plus beau que le puits de la
mine, presque n’importe quel son est plus doux que le bruit du
marteau, toute cabane rudimentaire, du moment qu’elle ne laisse
pas passer l’eau, est plus accueillante & un homme é€puisé que
la galerie sombre et humide d’une mine. Le mineur, comme le
soldat qui sort des tranchées, a besoin de repos et d’une diver-
sion immédiate. On sait notoirement aussi que les désordres de
la ville miniére sont la boisson et le jeu, compensation néces-
saire 4 l’effort quotidien. Débarrassé de son travail, le mineur
risque sa chance aux cartes, aux dés, aux courses, dans l’espoir
qu’il en recevra le gain rapide qui lui éviterait les efforts péni-
bles de la mine. L’héroisme du mineur est authentique. De 1a
son équilibre instinctif, sa profonde fierté personnelle et son
amour-propre.
ae
TECHNIQUE ET CIVILISATION
74
LES FACTEURS DE MECANISATION
« lp
hydraulique fut _récupérée pour actionner les SATE des_hauts
fourneaux_sur Carreau — toutes les _améliorations_exigérent
plus_de capitaux que les_ouvriers “ Vorigine n’en paseo
Cela co "admission terent
taux au lieu du travail : c a ceneecietpcopucaires abet En
retour, cela _conduisit 4 une expropriation progressive u-
vriers-propriétaires
et_réduisit leur participation_aux _bénéfices_a
les salaires. Ce développement capitaliste fut encore sti-
mulé dés le XV° siécle par la spéculation effrénée sur les actions.
Les propriétaires fonciers et les commergants pratiquérent ce
ce nouveau jeu. Si l’industrie miniére, au temps du D* Bauer,
avait presque tous les caractéres de l’organisation industrielle
moderne : les trois équipes, la journée de huit heures, les corpo-
rations dans les diverses industries métallurgiques pour les rela-
tions sociales, l’entr’aide et l’assurance, elle montrait aussi,
sous la pression du capitalisme, les traits caractéristiques de
l’industrie du XIX°® siécle, dans le monde entier : division
la en
eS
classes, l’emploi de la gréve_comme ar se, l’amére
lutte de classes, et finalement la suppression des pouvoirs cor-
poratifs par coalition des_propriétaires de mines et as la noblesse
idodalg pendants cc-guil-ext=convenu.d' app erre_des
paysans, en 152
Le résultat de ce conflit fut d’abolir la base corporative et
coopérative de l’industrie miniére, qui avait caractérisé sa résur-
rection technique en Allemagne, et de la replacer sur une base
libre, c’est-A-dire une base d’acquisitions sans entraves et de
domination sociale par les actionnaires et les directeurs, qui n’é-
75
TECHNIQUE ET CIVILISATION
76
LES FACTEURS DE MECANISATION
Enfin, il est possible que l’esprit du mineur ait encore eu un
autre effet sur le développement du capitalisme. C’est dans l’idée
que la valeur économique est proportionnelle A la quantité de
travail brut et a u_produit. Ces deux éléments furent
domin
dans le
ants
calcul du prix. La _rareté de l’or, des rubis,
des diamants, le travail brut pour extrai le fer de re
la terre, et le
rendre prét au laminoir devinrent le critére de la valeur écono-
mique dans toute cette civilisation. Mais les valeurs réelles ne
dérivent ni de la rareté ni du simple labeur humain. Ce n’est
pas la rareté qui donne 4a l’air le pouvoir d’entretenir la vie, ni
le travail humain qui donne au lait ou aux bananes leurs qualités
nutritives. Comparée aux effets des réactions chimiques et aux
rene du soleil, la contribution humaine est plus bien faible. La
valeur, c’est le pouvoir d’entretenir ou d’enrichir la Coa"
Unamorceau de verre peut avoir | s_de valeur_qu’un Samant
une table en_bois al ys
grande qu’une table tortueusement sculpt Ce, et_le jus aunnatcon yl
au cours d’une longue traversée peut avoir plus de valeur qu’une
livre de_viande. La valeur réside directement dans la fonction "~
vitale, non
non pas
pas dans l’origine, la_rareté > ou le travail effectue
par des agents humains. La notionyn de valeur du mineur comme
celle du financier tend a étre purement abstraite et quantitative.
Le défaut vient-il du fait que tout autre type d’environnement
primitif contient de la nourriture qui peut étre immédiatement
transformée en vie : gibier, baies, champignons, séve d’érable,
noisettes, moutons, blé, poissons, alors que seul 1’environne-
ment du mineur est — exception faite pour le sel et la saccha-
rine — non seulement complétement inorganique, mais comple-
tement incomestible? Le mineur travaille non par amour ou
pour se sustenter, mais pour « faire son tas », L’exemple classi-
que de Midas caractérise peut-étre les machines modernes : tout
ce qu’elles touchaient était changé en or et en fer, et les ma-
chines ne pouvaient exister que si l’or et le fer leur servaient de
fondation.
77
TECHNIQUE ET CIVILISATION
76
LES FACTEURS DE MECANISATION
lor et leurs alliages — l’assortiment originel — offraient un
maigre choix de possibilités; jusqu’a la fin du XIX® siécle le bois
en présentait une grande variété. Puisque le bois peut é@tre
aplani, scié, tourné, sculpté, fendu, découpé et méme ramolli,
courbé ou faconné, c’est le matériau le plus propice 4 |’artisa-
nat. Il se préte 4 un grand nombre de techniques. Mais A 1’état
naturel, il garde la forme de |’arbre et sa structure. Il suggére
des outils appropriés et une adaptation des formes. La courbe
des branches donne le crochet, le baton fourchu donne la poignée
et le soc de I’araire primitive.
Enfin le bois est combustible. Au commencement, ce fait était
plus important et plus favorable au développement humain que
la résistance au feu des autres matériaux. Car, sans aucun
doute, le feu a été la plus grande réalisation de l’homme dans
son action sur l’environnement tout entier. L’utilisation du feu
I’éleva d’un degré au-dessus de ses contemporains inférieurs.
Partout ot: il pouvait rassembler quelques branches séches, il
pouvait avoir un 4tre et un autel : les germes de la vie sociale
et la possibilité de la pensée libre et de la contemplation. Bien
avant que I’on extraie le charbon, que la tourbe et le fumier
soient desséchés, le bois fut la principale source d’énergie de
homme, plus la nourriture qu’il absorbait ou le soleil qui le
chauffait. Bien aprés l’invention des machines génératrices d’é-
nergie, le bois continua a étre employé comme combustible dans
les premiers bateaux 4 vapeur et les chemins de fer américains
ou russes.
Le bois était donc le plus varié, le plus facilement faconné, le
plus utilisable de tous les matériaux employés par |’homme. La
pierre était, au mieux, un accessoire. Le bois prépara l’homme a
la technique de la guerre et du métal : il n’est pas étonnant qu’il
lui soit resté fidéle quand il commenca 4 transformer en pierre
ses temples de bois. L’ingéniosité du bfcheron est a |’origine
des réalisations post-néolithiques les plus importantes pour le
développement de la machine. Supprimez le bois et vous suppri-
mez, littéralement, les bases de la technique moderne.
Le réle du bficheron dans la technique a rarement été appré-
cié. Mais son travail est en fait synonyme de production d’éner-
gie et d’industrialisation. Non seulement le bicheron défriche
la forét et procure du combustible, non seulement il fabrique le
charbon de bois, combustible répandu et efficace qui facilite les
progrés de la métallurgie, mais il est, avec le mineur et le forge-
ron, un ingénieur primitif. Sans son habileté, le travail du mi-
neur et du macon serait difficile et les progrés de leur art au-
raient été impossibles. C’est grAce aux étais de bois que le pro-
fond tunnel de la mine est possible, c’est la volige et le coffrage
qui permettent la votite élevée de la cathédrale ou la longue
79
TECHNIQUE ET CIVILISATION
&0
LES FACTEURS DE MECANISATION
ment le royaume sur lequel il régnait. L’une était la demande du
fermier en terres arables, qui amena 4 la culture des sols plus
aptes a la forét. En France, cette tendance a été poussée si loin
que, dans le Nord, il ne reste plus guére que de petits bouquets
d’arbres ou des rangées se détachant sur le ciel. En Espagne et
autres pays méditerranéens, il n’y a pas eu seulement déboise-
ment, mais érosion sérieuse du sol. Il en est de méme pour la
Chine, berceau d’une des plus anciennes civilisations. L’Etat de
New-York remédie A ce mal en acquérant et en reboisant les ter-
res agricoles marginales.
Le mineur et le verrier exercérent aussi leur pression sur notre
section de vallée. Vers le XVII® siécle, les merveilleuses foréts de
chénes d’Angleterre avaient déja été sacrifiées par le fondeur.
La pénurie devint si sérieuse que |l’Amirauté, sous sir John
Evelyn, fut forcée d’adopter une vigoureuse politique de reboi-
sement afin de procurer assez de bois 4 la marine royale. Les atta-
ques continues sur |’environnement du bicheron 1’ont chassé vers
les régions plus éloignées, les foréts de bouleaux et de sapins
du Nord de la Russie, de la Scandinavie, les Sierras, les Rocheu-
ses. La demande commerciale devint si impérieuse, les méthodes
du mineur devinrent si autoritaires que pendant tout le XIX® sié-
cle l’exploitation forestiere fut réduite 4 la production du bois de
mine. De nos jours, on assassine des foréts enti¢res, chaque se-
maine, pour alimenter les presses des seules publications hebdo-
madaires. Mais la culture et la technique du bois, qui ont survécu
a l’Age du métal, supporteront vraisemblablement |’Age des com-
posés synthétiques. Car le bois est le produit naturel le meilleur
marché.
8&2
LES FACTEURS DE MECANISATION
et régulariser le tribut annuel renforcant en retour, si c’est né-|
cessaire, les mesures propres a assurer l’ordre.
Alors que les métiers du potier, du vannier, du vigneron, du
moissonneur ne connurent que peu de perfectionnement depuis
les temps néolithiques, le perfectionnement des armes de guerre
a été constant. L’assolement triennal a continué jusqu’au
XVIITI® siécle en Grande-Bretagne, et les outils utilisés dans les
parties les plus reculées de |’Angleterre auraient fait rire un
fermier romain. Mais le lourd paysan avec sa serpe et sa massue
de bois avait été remplacé par l’archer et le lancier qui avaient
eux-mémes cédé la place au mousquetaire, et le mousquetaire
était devenu un soldat d’infanterie élégant, aux réflexes mécani-
gues. Le mousquet lui-méme était devenu plus meurtrier dans
les combats corps a corps, grace 4 la baionnette; la baionnette
était devenue plus efficace grace a l’exercice et A la tactique de
masses et finalement toutes les armes en service furent progres-
Sivement coordonnées avec l’arme la plus meurtriére et la plus
décisive : l’artillerie, le triomphe du progrés mécanique, de
l’enrégimentation. L’invention de l’horloge mécanique marqua
la nouvelle volonté d’ordre; le canon, au XIV® siécle, augmenta
Ja volonté de puissance, et la machine, telle que nous la connais-
sons, est le résultat et l’incarnation systématique de ces deux pre-
miers éléments.
La guerre moderne conduit plus loin que la discipline de l’ar-
mée. De rang en rang, passe le mot d’ordre. Il ne passerait pas
si, au lieu d’une obéissance mécanique, il rencontrait une parti-
cipation plus active cherchant 4 savoir comment, pourquoi, ou,
pour qui, dans quel but. Les commandants du XVI® siécle dé-
couvrirent que l’efficacité, dans les combats de masse, augmen-
tait d’autant plus que le soldat était réduit 4 un « atome » et
entrainé a étre un automate. L’arme, méme si elle n’est pas uti-
lisée pour donner la mort, est cependant le moyen d’imposer un
comportement humain qui ne serait pas accepté si ne se dres-
saient pas devant lui la mutilation physique ou la mort. C’est,
en bref, le moyen d’amener une attitude inhumaine chez |’en-
nemi ou la victime.
Il est probable que la diffusion générale des habitudes mili-
taires de pensée, au XVII° siécle, aida psychologiquement 1’in-
dustrialisation. Considérée comme une caserne, |’usine semble
tolérable et naturelle. La conscription et les forces militaires
volontaires qui se répandirent dans le monde occidental aprés la
Révolution francaise firent de l’armée et de l’usine — quant a
leurs effets sociaux — des termes presque interchangeables. Ce
ue l’on appelle complaisamment la_premitre guerre mondiale
fut une opération industrielle A grande échelle — et_l’on pourrait
dire en sens inverse : l’industrialisme moderne est_une opération
militaire
4 grande échelle.
ce 83
TECHNIQUE ET CIVILISATION
84
LES FACTEURS DE MECANISATION
nique pour étre placé entre les mains d’hommes endurcis. Une
par une les inventions mécaniques et la croyance grandissante en
un pouvoir abstrait supprimérent ces scrupules, supprimérent ces
sauvegardes. La chevalerie elle-méme tomba dans les conquétes
inégales et dans l’assassinat des barbares mal armés que les
Européens rencontrérent dans leur expansion 4 travers toute la o
planéte aprés Christophe Colomb. yr v
Jusqu’ou faut-il remonter_ pour démontrer que la guerre a été wr)
le
propagateur
principal eur de
de la machine? A_la fléche
a ou 4la balle Moe
empoisonnée? Ce sont les précurseurs des gaz asphyxiants. Les
gaz nocifs étaient un produit naturel de la mine et les masques
a gaz furent employés dans la mine avant de 1’étre sur les \
champs de bataille. Est-ce jusqu’au char armé de faux qui abat- yo
taient les fantassins? C’est le précurseur du tank moderne, qui oh
— avan¢ant a la force des bras de ses occupants — fut concu
dés 1558 par un Allemand. Est-ce par l’usage du pétrole sa\y y
enflammé et du feu grégeois? le premier ayant été employé lar- ry
gement avant l’ére chrétienne. C’était l’embryon des lance-
fiammes mobiles et efficaces de la guerre moderne ou des bombes cg:
incendiaires encore plus destructrices qui furent déversées sur les we
villes japonaises!. A la premiére machine qui projetait les pier- i
res et les javelots et fut apparemment inventée par Denis de
Syracuse et _utilisée_par lui dans son expédition contre les Car-
thaginois en avant_J.-C.? Dans les mains des Romains, les
catapultes pouvaient projeter 4 une distance de 350 4 450 métres
des pierres pesant environ 25 kilogrammes; leurs balistes,
énormes arcs de bois, projetaient les pierres avec précision
a de plus grandes distances. Par ces instruments précis la
société romaine était plus proche de la machine que par ses aque-
ducs et ses bains. Les forgerons de Damas, de Toléde, de Milan
étaient renommés pour leur travail raffiné et leur habileté dans la
fabrication des armes — c’étaient les précurseurs de Krupp et
de Schneider. On utilisa méme trés tét les sciences physiques
dans l’armement. L’histoire rappelle qu’Archiméde concentrait
les rayons du soleil 4 l’aide de miroirs, sur les voiles de la flotte
ennemie, A Syracuse, pour enflammer les bateaux. Ctésibius,
l’un des premiers savants d’Alexandrie, inventa un canon a
vapeur, Léonard en concut un autre. Et quand le P. Jésuite Fran-
cesco Lana-Terzi imaginait en 1670 un ballon dirigeable, il insis-
tait sur son utilisation militaire. Bref, l’association entre le sol- l
dat, le mineur, le technicien et le savant est trés ancienne. Con- pu :
sidérer les horreurs de la guerre moderne comme le résultat_acci-
dentel d’une €volution technique _innocente et paisible, c’est
oublier les faits élémentaires de l’histoirede la machine.
86
LES FACTEURS DE MECANISATION
que Léonard de Vinci ait offert ses services au duc de Milan,
non seulement pour inventer des armes d’artillerie, mais pour
conduire tous ces travaux de génie. Bref, la guerre fit naitre un
nouveau genre de chef d’industrie, qui n’était ni macon, ni for-
geron, ni maitre artisan, mais ingénieur-militaire. L’ingénieur
militaire combinait 4 l’origine les fonctions d’ingénieur civil,
d’ingénieur mécanicien et d’ingénieur des mines, qui ne furent
complétement différenciées qu’au XVIII® siécle. La machine doit
autant aux ingénieurs militaires italiens depuis le XV° ante |
qu’aux ingénieurs inventeurs anglais du temps de James Watt.
Au XVII° siécle, grace au génie du grand Vauban, I’art mili-
taire offensif et défensif en arriva presque A échec et mat, a
partie nulle : les forts de Vauban étaient imprenables par n’im-
porte quelle attaque, exceptée celle qu’il inventa finalement lui-
méme. Comment emporter cette énorme masse de pierre? L’artil-
lerie était incertaine, car elle servait aux deux camps. La seule
solution était de faire appel au mineur, dont le travail est de
venir A bout de la pierre. Sur le conseil de Vauban, des troupes
d’ingénieurs appelés sapeurs furent créées en 1671,etdeux années
aprés on recrutait la premiére compagnie de mineurs. Le « pat »,
la partie nulle était terminée. La guerre ouverte redevenait pos-
sible et nécessaire, et c’est l’invention de la baionnette, entre
1680 et 1700, qui rétablit le meurtre personnel.
Si le canon fut la premiére des inventions modernes qui sup-
priment l’espace, et par lesquelles l’homme s’exprime & distance,
le télégraphe par sémaphores (d’abord utilisé dans la guerre) fut
sans doute la deuxiéme. Vers la fin du XVIII® siécle un systéme
efficace était installé en France et un autre analogue était pro-
jeté en Amérique pour le service des routes lorsque Morse inventa
opportunément le télégraphe électrique. En tous temps la guerre /
88
LES FACTEURS DE MECANISATION
tion navale devint un assemblage d’éléments exactement mesurés
et abandonna la_vieille production empirique de |’artisanat.
Mais il y a encore un autre point ot la guerre ouvrit le che-
min. Non seulement la fonte des canons était « le grand stimu-
lant pour perfectionner la technique dans les fonderies », non
seulement « le droit d’Henry Cort 4 la gratitude de ses compa-
triotes... fut fondé d’abord sur sa contribution & la sécurité mili-
taire », comme le dit Ashton, mais la grosse demande en fer de
bonne qualité alla de pair avec la préparation des attaques par
bombardements d’artillerie. L’efficacité de cette tactique fut
démontrée par le jeune et brillant officier d’artillerie qui allait
secouer l’Europe par son génie technique tout en liquidant la
Révolution frangaise. La base rigoureusement mathématique et
la précision accrue du tir d’artillerie servirent de modéle aux
nouveaux arts industriels. Napoléon III, au milieu du XIX° sié-
cle, offrit une récompense & qui trouverait le procédé le plus éco-
nomique pour fabriquer de l’acier capable de supporter la force
explosive des nouveaux obus. Le procédé Bessemer répondit
es
“ts
directement a cette demande.
L’organisation sociale de l’armée fut le second domaine ou laY
ite
guerre devanca la machine et contribua définitivement a la for- te |
mer. La guerre féodale avait généralement été basée sur un
service de quarante jours qui était nécessairement interrompu,
donc rendu peu efficace, par les retards et les arréts occasionnés -
89
TECHNIQUE ET CIVILISATION
go
LES FACTEURS DE MECANISATION
OI
TECHNIQUE ET CIVILISATION
Q2
LES FACTEURS DE MECANISATION
93
TECHNIQUE ET CIVILISATION
94
LES FACTEURS DE MECANISATION
par sa propre luxuria. Elle demande en temps de paix d’autant
plus d’attentions compensatrices qu’elle a été négligée pendant
la guerre. Les caresses de Vénus ne suffisent pas en elles-mémes
a compenser les abstentions et la cruauté bestiale du champ de
bataille. Le corps doit étre glorifié aprés avoir été négligé. Elle
veut des bijoux, de la soie, des parfums, des vins rares pour
anticiper et prolonger par tous les moyens le rite érotique lui-
méme. Elle ne néglige rien pour parvenir a ses fins. Elle expose
sa poitrine, retire ses sous-vétements, révéle au passant ses
membres, jusqu’au mont de Vénus. Aprés une période de ten-
sions, de désordres et de guerre, de la bonne & tout faire A la
princesse, les femmes, consciemment ou non, adoptent les habi-
tudes des courtisanes. Ainsi la vie se renouvelle, de facon extra-
vagante. Les modes féminines qui ont prévalu dans le monde
occidental a la fin de la derniere débauche martiale rappellent
point par point celles de la fin du Directoire : de la suppression
du corset a l’abandon temporaire de la combinaison.
Parce que les impulsions érotiques cherchent une compensation
au mépris dans lequel elles ont été tenues, elles envahissent et
pervertissent toute activité : la courtisane consomme la substance
des conquétes du guerrier. Une pléthore de marchandises marque
les triomphes du soldat et justifie le butin qu’il ramene avec lui.
Shakespeare nous en a donné une étude précise dans Antoine
et Cléopatre. Mais les résutats économiques sont plus importants
que les conséquences psychologiques. Du point de vue économi-
que, la conquéte de Mars par Vénus signifie une augmentation
de la demande en produits de luxe de toute sorte : satins, den-
telles, velours, brochés, pierres précieuses — ornements en or,
cassettes finement ciselées pour les ranger, couches moelleuses
— bains parfumés, appartements et jardins privés, avec un arbre
d’amour. Bref les acquits de toute une vie.
Si le soldat ne les fournit pas, c’est le marchand. Si ces pro-
duits ne sont pas le butin prélevé 4 la Cour de Montezuma ou
sur une galére espagnole, ils doivent étre achetés au comptoir.
A la Cour et dans les palais, la religion elle-méme est devenue
une cérémonie vide. Peut-on s’étonner que le luxe soit presque
devenu une religion? a
Observez le contraste : le luxe privé n’était pas favorablement
considéré au Moyen-Age. En fait, la vie privée, au sens moderne,
existait & peine. Ce n’est pas seulement parce que les péchés
we
d’orgueil, d’avarice et de concupiscence, avec leurs dérivés pos-
sibles, la fornication et la débauche, étaient sinon de sérieuses
offenses, du moins des obstacles au salut, c’est simplemen
parce que les standards de vie, du point de vue purement finan
cier, étaient modestes. Mais le Moyen-Age avec sa tendanc
continuelle au symbole employait l’or, les bijoux et l’artisana
95
TECHNIQUE ET CIVILISATION
96
LES FACTEURS DE MECANISATION
comme dans la chair, la pierre et la toile. Son incarnation la plus
splendide est peut-¢tre dans la précoce conception de l’abbaye de
Théléme, par Rabelais. La vie de la Cour devenait le critére
d’une belle vie. Les standards luxueux de consommation qui y
étaient établis se répandaient de proche en proche dans la
société.
Non seulement la vie dans son ensemble se réduisit & l’humble
travail manuel du cocher, du cuisinier, du groom : mais la Cour
commenga aussi a prendre la téte de la production industrielle.
Le nouveau luxe de la porcelaine de table devint le monopole
des fabriques royales de porcelaine en Prusse, en Saxe, au Dane-
mark, en Autriche. Quant aux tapisseries, la grande manufac-
ture des Gobelins devint l’un des principaux centres de produc-
tion en France. Dans l’effort pour paraitre, pour avoir une
facade, l’usage des fraudes, des ersatz et des substituts se
généralisa. Le platre imita le marbre, la dorure imita l’or, le
moulage imita les ornements a la main, le verre imita les pierres
précieuses. La reproduction des substituts, pour la consomma-
tion en masse, comme la pacotille de Birmingham, remplaga les
créations lentes et originales de l’artisanat authentique.
Pour obtenir un effet au del’ des moyens de l’acheteur, les
prix furent systématiquement abaissés par la production en
masse et des matériaux de qualité inférieure, d’abord pour les
ornements, puis pour les objets utiles. L’expansion de l’idéal de
la Cour dans toute la société, amena au XVIII® siécle le méme
changement que I’introduction de l’idéal « démocratique » de la
conscription militaire. La fabrication standardisée de la bijou-
terie bon marché, des ornements domestiques et des textiles alla
de pair avec la standardisation de l’équipement militaire. On
peut remarquer avec ironie que c’est avec les capitaux amassés
dans ses ateliers de pacotille &4 Soho que Mathiew Boulton put
aider James Watt pendant la période ot il perfectionna la ma-
chine 4 vapeur.
Le signe de l’aisance économique, en se concentrant sur un
luxe insignifiant, fut de beaucoup de facons un prélude malheu-
reux a la production machiniste, mais ce ne fut pas enti¢rement
stérile. De ce ritede la consommation, de grandes réalisations mé-
caniques, d’abord concues comme des jeux : les mannequins dont
les mouvements raides et ¢légants étaient actionnés par un mou-
vement d’horlogerie, les poupées qui marchaient toutes seules; les
voitures mues par un mouvement d’horlogerie comme celle que
Camus construisit pour le jeune Louis XIV, les oiseaux qui re-
muaient la queue en mesure au son d’une boite A musique. Vains
A Vorigine, ces jouets, ces impulsions de jeux ne furent pas sans
fruits. On a généralement sous-estimé le rdle des jouets et des
instruments non utilitaires dans les inventions importantes. Héro
97
TECHNIQUE ET CIVILISATION
98
Ill. LA DANSE
MACABRE
99
TECHNIQUE
TECHNIQUE ET CIVILISATION
Ioo
LES FACTEURS DE MECANISATION
Ior
TECHNIQUE ET CIVILISATION
LA PHASE EOTECHNIQUE
103
TECHNIQUE ET CIVILISATION
104
LA PHASE KOTECHNIQUE
d’ennemis naturels, elles proliférérent aussi rapidement et avec
autant d’exubérance que le chardon du Canada, lorsqu’il gagna
les pampas de l’Amérique du Sud. Mais A aucun moment — et
c’est la chose importante 4 retenir — la machine n’a représenté
une rupture compléte. Loin de ne pas avoir été préparé dans
Vhistoire humaine, l’4ge moderne_de_la_machine_ne peut étre
compris que comme le terme d’une préparation trés longue et
trés diverse. Croire qu’une poignée d’inventeurs britanniques_fit
soudain chanter les roues, au_XVIII®° siecle, est_tro rossier
105
TECHNIQUE ET CIVILISATION
ok
lus brillantes périodes de I’histoire. A cdté de ses grandes réali- }
sations mécaniques, elle construisit des villes, cultiva des terres,
batit des maisons, peignit des tableaux, qui complétent, dans
le royaume de la pensée et des joies humaines, les progrés déci-
sifs de la vie pratique. Si cette période ne parvint pas 4 établir
une politique juste et équitable dans la société, elle connut au
moins dans la vie du monastére et de la commune, des moments
proches de ce réve : les derniéres lueurs de cette vie se refletent
dans l’Utopia de More et la Christianopolis d’Andrea.
En remarquant l’unité sous-jacente de la civilisation éotech-
nique, a travers tous les changements superficiels de costume et
de croyances, il faut considérer ses périodes successives comme
l’expression d’une culture unique.
Ce point est maintenant renforcé par les érudits qui ont été
amenés A douter de la notion d’une rupture gigantesque qui se
serait produite 4 la Renaissance — illusion contemporaine de la
Renaissance, adoptée 4 tort par les historiens qui suivirent. Mais
il faut ajouter que les progrés techniques grandissants de cette
société furent, en partie pour des raisons indépendantes de la
machine elle-méme, accompagnés d’une dissolution et d’une déca-
dence culturelles. Bref, la Renaissance ne fut pas, socialement y
parlant, l’aube d’un jour nouveau, mais son crépuscule. Les arts
mécaniques progressérent & mesure que les arts humains faiblis- y 6 |
saient et s’éloignaient. Et c’est au moment ot la forme et la oo
civilisation étaient le plus complétement brisées que le rythme py
des inventions s’accéléra et qu’eurent lieu la multiplication des pre,
machines et l’accroissement de leur puissance. yw’
107
TECHNIQUE ET CIVILISATION
1
o” Les nouvelles A
~
108
LA PHASE EOTECHNIQUE
régions abondamment _pourvues d’eau et de vent. C’est le long
des fleuves au cours rapide, le Rhéne, le Danube, les petites
riviéres rapides d’Italie et dans les régions de la mer du Nord et
de la Baltique, avec leurs vents violents, que cette nouvelle civi-
lisation établit ses bases les plus fermes et quelques-unes de ses
plus splendides expressions culturelles.
Les roues hydrauliques pour élever l’eau dans une chaine de
pots ou pour actionner des norias furent décrites par Philo de
Byzance au LII* siécle avant J.-C., et_les moulins A eau sont
mentionnés 4 Rome au I* siécle avant J.-C. Antipater de Thes-
salonique, contemporain de Cicéron, chanta les louanges des
nouveaux moulins : « Cesse de moudre le grain, 6 femme qui
peine au moulin, dors tard, méme si le chant du coq annonce
l’aube, car Demeter a ordonné aux Nymphes d’accomplir de
leurs mains le travail, et se penchant au sommet de la roue,
elles font tourner les pales qui entrainent la lourde pierre
meuliére de Nysis. Nous goftons 4 nouveau les joies de la vie
primitive, en apprenant a festoyer avec les produits de Demeter
sans avoir travaillé. L’allusion est significative. Elie montre,
comme Marx l’a fait ressortir, combien les civilisations clas-
Siques considéraient d’une facon plus humaine que les entre-
preneurs du XIX® siécle les inventions économisant le travail.
Elle prouve, en outre, que bien que la roue horizontale plus
primitive soit antérieure, et largement utilisée grace 4 sa cons-
truction simple, le type vertical, plus compliqué, était déja em-
ployé, apparemment avec la roue en dessus, plus efficace.
Vitruve, dans son Traité sur l’Architecture, décrit l’engrenage
régularisant la vitesse.
Contrairement aux installations sanitaires de Rome, le moulin
hydraulique ne fut jamais complétement oublié; on trouve des
allusions 4 de tels moulins, ainsi que le fait remarquer Usher,
dans une collection de lois irlandaises du V® siecle et elles appa-
raissent par intervalles dans d’autres lois et chroniques. D’abord
utilisé pour moudre le bié, le moulin a eau fut employé dés le
IV®° siécle pour scier le bois, et si le nombre des moulins hydrau-
liques a pu baisser avec l’effondrement de |’Empire et la dimi-
nution de la population, il se renforce lors de la récupération et de
la colonisation des terres entreprises par les Ordres monastiques
au X® siécle. Au temps ot l’on dressa le grand cadastre, il y
avait 5.000 moulins hydrauliques en Angleterre — prés d’un
moulin pour 400 personnes —, et l’Angleterre était un pays en
retard, en marge de la civilisation européenne. Vers le XIV° sié-
cle, le moulin A eau se généralisa dans tous les grands centres
industriels : Bologne, Augsbourg, Ulm. Leur emploi a peu a
peu descendu les riviéres vers les estuaires, car au XVI* siécle,
les basses terres utilisaient des moulins hydrauliques pour pro-
fiter de la force des marées.
109
TECHNIQUE ET CIVILISATION
Le moulin hydraulique n ’était pas seulement employé pour
moudre les grains et pomper “Peau. Il fournissait de 1’énergie
pour faire de la pate a papier (Ravensburg, 1290). Il actionnait
les marteaux-pilons et les scies des métallurgies (prés de Dobri-
lugk, Lausitz, 1320). Il sciait le bois (Augsbourg, 1322). Il bat-
tait les peaux dans les tanneries, il fournissait 1’énergie pour filer
la soie, il fournissait les foulons 4 feutres et il faisait tourner
la polisseuse des arfnuriers. Le cabestan inventé par Rudolphe
de Nuremberg en 1400 était actionné par la force hydraulique.
Dans les mines et la métallurgie, le D™ Georg Bauer décrivait la
grande commodité de la force hydraulique pour pomper dans la
mine et suggérait qu’on |’utilise encore mieux en la substituant
a l’énergie des chevaux ou des hommes pour actionner la ma-
chinerie souterraine. Dés le XV® siécle, les moulins 4 eau furent
employés pour broyer le minerai. L’importance de la force hy-
draulique dans l’industrie du fer ne saurait étre surestimée.
Grace 4 cette force, il était possible d’avoir des souffieries plus
puissantes, d’atteindre des températures plus élevées, d’em-
ployer de grands foyers et ainsi d’accroitre la production de fer.
L’extension de toutes ces opérations comparée 4 celles qui
sont entreprises aujourd’hui 4 Bombay, a Gary, est naturelle-
ment faible. Mais telle était la société. La diffusion du pouvoir
aidait 4 la diffusion de la population. Tant_que la puissance in-
dustrielle fut_représentée directement par |’utilisation de _l’éner-
gie, plutét que par les investissements financiers, 1’équilibre_en-
tre_les diverses régions d’Europe et dans une_régi ntre la
et la campagne, fut 4 peu pré intenu.
C’est seulement avec la concentration rapide des pouvoirs fi-
nanciers et politiques, aux XVI*® et XVII® siécles, que com-
menca la croissance excessive d’Anvers, de Londres, d’Amster-
dam, de Paris, de Rome, de Lyon, de Naples.
Au second rang, aprés la force hydraulique, il y a la force
éolienne. Quelle que soit la voie par laquelle il pénétra, le mou-
lin 4 vent se développa rapidement en Europe, et il était large-
ment répandu vers la fin du XII® siécle. La premiére mention
définie de moulin 4 vent se trouve dans une charte de 1105 auto-
risant l’Abbé de Savigny & installer des moulins 4 vent dans
les diocéses d’Evreux, de Bayeux et de Coutances. En Angle-
terre la premiére référence date de 1143 et & Venise de 1332. En
1341, l’évéque d’ Utrecht souhaitait établir son autorité sur_les
vents qui soufflaient dans sa province. Cela_suffit_presque_A
montrer_ Ja.valeur
leur_industrielle des moulins A vent d ] s-
Bas A cette époque.
“AT part la turbine 4 vent, décrite dés 1438, il y avait trois ty-
pes de moulins. Dans le plus primitif, toute la structure faisait
face au vent dominant. Dans le second type, toute la structure,
IIo
LA PHASE EOTECHNIQUE
quelquefois montée sur un bateau pour faciliter ce mouvement,
se tournait pour y faire face. Dans le type le plus répandu, la
tourelle seule tournait.
Ce furent les ingénieurs hollandais, vers la fin du XVIF° siécle,
qui donnérent au moulin sa plus grande taille et sa forme la
plus efficace, bien que les ingénieurs italiens, dont Léonard lui-
méme, 4 qui on attribue généralement le moulin tournant, aient
apporté leur contribution.
Les Pays-Bas étaient alors un centre de production d’énergie
presque plus important que ne le fut plus tard 1’Angleterre, sous
le régime du fer et du charbon. Les provinces hollandaises, en
particulier, simple pellicule de sable détrempée par le vent et
l’eau, labourées de part en part par le Rhin, 1’Amstel, la Meuse,
perfectionnérent le moulin 4 vent au plus haut degré possible.
Il écrasait le grain produit dans les champs fertiles, sciait le
bois apporté de la céte baltique pour construire la grande flotte
marchande, et moulait les épices — quelque cing cent mille li-
vres par an au XVII° siecle — apportées d’Orient. Une civilisa-
tion semblable se répandit dans les marécages boueux et les pla-
ges dénudées, des Flandres a 1|’Elbe, car les cétes baltiques de
la Saxe et de la Frise orientale avaient été repeuplées au XII* sié-
cle par des colonies hollandaises.
Mais, surtout, le moulin 4 vent était le principal agent de ré-
cupération des terres. Sous la menace des inondations marines,
les pécheurs et les fermiers de la mer du Nord essayérent non
seulement de maintenir l’eau, mais d’assécher et d’agrandir les
terres. Le jeu en valait la peine, car ce sol lourd, une fois drainé
et dessalé, donnait de riches paturages. D’abord entreprise par
les Ordres monastiques, cette récupération des terres était deve-
nue, au XVI? siécle, l’une des principales industries hollandai-
ses. Lorsque les digues furent construites, cependant, le pro-
bléme était de retirer l’eau des terrains situés au-dessous du ni-
veau de la mer. Les moulins 4 vent, qui ont justement le plus fort
rendement quand les tempétes sont déchainées, servirent a éle-
ver l’eau des riviéres et des canaux. Ils maintenaient entre la
terre et l’eau cet équilibre qui rend la vie possible dans une si-
tuation aussi précaire. Poussés par la nécessité, les Hollandais
devinrent les premiers ingénieurs de 1’Europe. Leurs seuls ri-
vaux étaient les Italiens. Quand les Anglais, au début du
XVII°® siécle, voulurent assécher leurs marécages, ils invitérent
Cornélius Vermeyden, célébre ingénieur hollandais, 4 entrepren-
dre cette tache.
Le gain d’énergie par l’utilisation des forces hydraulique et
éolienne n’était pas seulement direct. En permettant de cultiver
le sol riche des polders, ces instruments mécaniques interrom-
paient la dégradation continue du sol qui résultait de l’abatage
III
TECHNIQUE ET CIVILISATION
II2
LA PHASE EOTECHNIQUE
quée par l’inaction saisonniére n’était pas si grande que si l’on
avait employé le fer. Les moulins pouvaient vivre longtemps.
L’entretien et la surveillance étaient A peu prés insignifiants, la
source de puissance inépuisable. Loin d’empiéter sur les terres,
de laisser des débris et des villages dépeuplés, comme le fait la
mine, les moulins enrichissaient la terre et facilitaient une agri-
culture stable et conservatrice. we
Grace aux services domestiques de l’eau _et du vent, une véri-
table intelligentsia put se constituer, de"grands _travaux d’art,
de science, d’étude et de génie civil purent étre entre ris mad
ne
avoir recours A l’esclavage. Libération d’énergie
prit humain. Si l’on mesure les gains, non en C.-V. employés al
l’origine, mais en travail finalement accompli,
nique peut soutenir favorablement la comparaison,
la
vf
période éotech-
Afois
la 3 AVEC pe
les ¢poques qui l’ont précédée et avec les mee de civili
na
on
Ss
mécanique qui l’ont suivie. Au XVIII® siécle, les ind xti-
les atteignirent un volume de production jusque-la i nOnE
a_la force hydrauliqu hi va jee eae
moteur qui dépasse le faible rendement de 5 4 10 ¥ des premieres
machines 4 vapeur fut la turbine hydraulique de Fourneyron, }»
développement ultérieur de la roue 4 pales baroque, perfectionnée
en 1832. Vers le milieu du XIX° siécle on construisit des turbines
hydrauliques de 500 C.-V. De toute évidence, la révolution indus-
trielle moderne se serait produite et aurait continué réguliére-
ment, ) méme si l’on n’avait p pas extrait une tonne de charbon en /.
Angleterre et si aucune nouvelle mine de fer n’avait été ouverte.
i?y
nomie éotechnique.
D’abord, le bois était la base de ses constructions. Toutes les
formes élaborées de maconnerie dépendaient du travail du char-
pentier. Ce n’est pas seulement parce que les piliers, dans les
constructions gothiques ultérieures ressemblaient a des troncs
liés ensemble, ou que la lumiére filtrée des églises avait le clair
obscur des foréts, que l’effet des vitraux était celui du ciel bleu
ou d’un coucher de soleil A travers l’entrelacs des branches. Le
fait est qu’aucune de ces constructions n’aurait été possible sans
un coffrage en bois, sans grues en bois et sans sapines. On n’au-
rait pu élever les pierres aux hauteurs nécessaires. Bien plus, le
bois alternait avec la pierre comme matériau de construction.
Quand, au XVIP siecle, les fenétres des habitations commenceé-
113
TECHNIQUE ET CIVILISATION
II4
LA PHASE EOTECHNIQUE
La plupart des machines et des inventions-clés de la derniére
phase industrielle ont d’abord été construites en bois avant de
l’étre en métal. Le bois était le banc d’essai du nouvel industria-
lisme. La dette du fer envers le bois est lourde. En 1820, Ithiel
Town, un architecte de Newhaven, prenait un brevet pour un
nouveau type de pont avec armature de lattes, sans arche et
sans poussée horizontale. Ce fut plus tard le prototype de bien
des ponts métalliques. Matiére premiére, outil, machine-outil,
ustensible et utilité, Slpriecs produit
mmr final ee fut la
: le bois ee
ressource industrielle dominante de la phase ¢otechnique.
L’artisanat du bois atteignit son point culminant avec l'in-
vention du violon moderne. Aucun ouvrier n’a depuis pu attein-
dre la perfection technique d’un_ stradivarius (début du
XVIII* siécle). Aprés cela, les ceuvres exquises des ébénistes
anglais et francais viennent au second rang. Avec le violon, la
période éotechnique se termine sur une note de triomphe subtil
et contenu que la musique entend encore.
Le vent, l’eau et le bois se combinérent pour former la base
d’un autre développement technique important : la construction
navale. Si le XII® siécle a vu |’introduction du compas du navi-
gateur, le XIII° siecle a apporté le gouvernail permanent, utilisé
a place de la godille, et le XVI° siécle a introduit l’usage de la
montre pour déterminer la longitude, du quadran pour déter-
miner la latitude. La roue 4 aubes — qui ne devait prendre de
l’importance qu'au XIX®* siécle — fut sans doute inventée dés le
VI® siécle, et mise au point en 1410 si elle fut utilisée plus tard.
Des besoins de la navigation naquit cette invention qui écono-
mise tant de travail, la table de logarithmes, élaborée par Biggs
sur les bases établies par Napier. Un peu plus d’un siécle apres,
le chronométre de bord était finalement perfectionné par Har-
rison.
Au début de cette période, la voile, qui jusque-la était seule
utilisée avec les rames, commenca & supplanter ces derniéres et
le vent remplaca les muscles humains dans la navigation.
Au XV¢° siécle apparut le bateau 4 deux mats, mais il dépen-
dait d’un bon vent. Vers 1500 ce fut le trois-mats, et il avait été
tellement perfectionné qu’il pouvait lutter contre le vent. Les
longues traversées étaient enfin possibles sans qu’il soit néces-
saire d’avoir l’audace d’un Viking et la patience de Job. Comme
la marine prenait de l’extension et que l’art de la navigation se
perfectionnait, les ports se développérent, des phares furent pla-
cés aux points dangereux de la céte, et au début du XVIII* siécle
les premiers bateaux-phares furent ancrés dans les Nore Sands
au large de la céte anglaise. Grdce 4 sa confiance grandissante
dans la capacité de gouverner, de mettre le cap, de trouver sa
position et d’atteindre le port, la marine remplaca les lentes
115
TECHNIQUE ET CIVILISATION
116
LA PHASE EOTECHNIQUE
gued o¢; puis en Angleterre au XVIII® siécle, et enfin en Amé-
rique -— sauf pour les petits canaux de New-Amsterdam — au
XIX®* siécle. Les pays en avance 4 la période paléotechnique
avaient été en retard dans la phase éotechnique.
Tout comme les moulins 4 vent et les moulins & eau servaient
4 distribuer l’énergie, le canal distribuait la population et les
marchandises, permettait une union plus intime entre la ville et
la campagne. Méme en Amérique, on pouvait observer un type
de population et d’industrie éotechniques dans 1’Etat de New-
York vers 1850. Grace aux scieries locales, aux moulins et A
un systéme de canaux complété par un réseau routier assez mau- yi
vais, tout l’état se peuplait avec une remarquable unité, et 1’oc- © |
casion de fonder une industrie se présentait presque en chaque
point de la région. Cet _équilibre entre l’agriculture et_1’indus-
trie iffusion de la civilisation fut l’une des grandes réalisa- xs
tions sociales de la période ¢otechnique. De nos jours, le village 4
hollandais garde encore une note extérieure d’urbanité et offre
un contraste marqué avec l’atroce laisser-aller de la période qui
suivit.
Le développement des navires, des ports, des phares et des
canaux, continua réguliérement. Le complexe éotechnique se
maintint plus longtemps dans les milieux maritimes que dans
n’importe quelle autre activité. Le type le plus rapide de voilier,
le clipper, ne fut pas construit avant 1840 environ, et ce n’est
qu’au XX® siécle que le type triangulaire de voile principale rem-
placa le polygone trop lourd a4 la pointe du m&t sur les petits
bAtiments et améliora leur vitesse. Le voilier, comme les moulins
A vent et 4 eau, était A la merci du vent et de l’eau, mais 1’éco-
nomie de travail et d’énergie qu’ils permettaient était extréme-
ment importante bien qu’incalculable. Parler_de_la_ puissance
comme_d’un acquis récent de _l’industrie, c’est_oublier l’énergie
cinétique_des_ chutes _d’eau_et_des déplacements d’air, c’est
oublier le rdle_du_voilier_dans Lutilisation des énergies, c’est
trahir une ignorance de marin d’eau d -4-
de la vie économique, qui dura du XII* ‘bile jusque vers 1875.
A part cela, la navigation fut indirectement un facteur de ratio-
nalisation de la production et de standardisation des marchan-
dises. Ainsi, de grandes fabriques de biscuits pour la marine
furent construites en Hollande au XVII° siecle. La confection de
vétements tout faits pour les civils commenga pour la premiére
fois 4 New-Bedford vers 1840, car nécessaire de procurer
il était _néces:
qui débarquaient.
rapidement des vétements aux matelots qui
117
TECHNIQUE ET CIVILISATION
118
LA PHASE EOTECHNIQUE
ment paralléle s’effectua dans l’agriculture. Une lettre inédite,
datée de 1385, écrite en latin et signée Jean, relate qu’é « Bois-
le-Duc il y a de merveilleuses machines, méme pour tirer l’eau,
battre les peaux, et gratter le drap. Et aussi, ils font pousser des
fleurs dans des pavillons de verre, orientés vers le sud ». L’em-
pereur Tibére posséda des serres, avec du lapis specularis, sorte
de mica, au lieu de verre. Mais les serres en vitres sont proba-
blement une invention éotechnique. Elles prolongérent la saison
agricole dans |’Europe septentrionale, accrurent pour ainsi dire
le champ climatique d’une région et utilisérent l’énergie solaire
qui autrement aurait été perdue : autre bénéfice net. Encore
plus important pour l’industrie, le verre prolongea la journée de
travail, par temps froid ou inclément, surtout dans le Nord.
Avoir_de la lumiére dans la maison ou la serre sans étre
exposé au froid, a la pluie ou a la neige, c’était contribuer_gran-
dement 4 la régularité de la vie domestique
et du travail. La
substitution de la vitre aux volets de bois, au papier huilé ou a
la mousseline ne fut vraiment complete qu’a la fin du XVII* si¢-
cle, c’est-a-dire lorsque la fabrication du verre fut perfectionnée
et_bon marché et que les verreries se multipliérent. Pendant ce
temps, le produit lui-méme s’était modifié, clarifié et purifié. Dés
1300 on fabriquait 4 Murano du verre pur incolore : ce fait est
établi par une loi imposant de lourdes sanctions si l’on utilise du
verre ordinaire pour les lunettes. En perdant sa coloration, en
cessant de décorer — fonction qu’il remplissait dans les églises
médiévales — et_en laissant pénétrer a l’intérieur les formes et
les
ee
couleurs du monde extérieur, le -—_—————
verre servit aussi de symbole
au_double_phénoméne de naturalisme et d’abstraction qui avait
commencé a4 caractériser la_pensée européenne. Plus encore, il
renforca ce phénoméne. Il aida 4 insérer le monde dans un
cadre. Il permit de voir plus clairement certains éléments de la
réalité. Il concentra l’attention sur un champ nettement défini,
c’est-a-dire ce qui était limitée par le cadre.
Dés que l’on regarda & travers le verre, le symbolisme médié¢-
val fut dissout et le monde devint étrangement différent. Le pre-
mier changement fut l’emploi de lentilles convexes pour les
lunettes, elles corrigeaient l’aplatissement des lentilles humaines,
da a l’Age et la presbytie. Singer a suggéré que la renaissance du
savoir pourrait étre en partie attribuée aux nombres d’années de
lectures que les lunettes ont_ajouté & la vie humaine. Au
XV° siecle on utilisait largement les lunettes et |’invention de
l’imprimerie en renforga le besoin.
A la finde ce siécle furent introduites les lentilles concaves pour
corriger la myopie. La nature a mis des lentilles dans chaque
goutte de rosée et dans la forme des arbres basalmiques. Mais
il appartenait aux verriers éotechniques d’exploiter ce fait. On
119
TECHNIQUE ET CIVILISATION
I20
LA PHASE EOTECHNIQUE
tériologie aurait été impossible et il est presque aussi vrai que
la chimie aurait subi un sérieux handicap. Le professeur
J. L. Myres, l’archéologue classique, a méme avancé que le
retard des Grecs en chimie était df au manque de verres de
bonne qualité. Car le verre a des propriétés uniques : non seu-
lement il est transparent, mais il résiste 4 l’action de la plupart
des éléments et composés chimiques. Il a le grand avantage de
rester neutre 4 l’expérience, pendant qu’il permet a 1’observa-
teur de voir ce qui se passe dans le récipient. Facile A nettoyer,
facile 4 obstruer, facile 4 déformer, suffisamment résistant pour
que des globes relativement minces, dans lesquels on a fait le
vide, puissent supporter la pression de l’atmosphére.
Le verre posséde un ensemble de qualités avec lesquelles
aucun récipient de bois, de métal ou d’argile ne peut rivaliser.
En outre, il peut étre soumis 4 des températures relativement
élevées et — ce qui devint important au XIX® siécle — il est
un isolant électrique. La cornue, le ballon 4 distiller, l’éprou-
vette, le barométre, le thermométre, les lentilles et la plaque du
microscope, la lumiére électrique, le tube 4 rayons X, 1’audion,
sont tous des produits de la technique du verre. Ou: en serait la
science sans eux? L’analyse méthodique de la température, de
la pression et de la constitution physique de la matiére attendait
le développement du verre. L’ceuvre de Boyle, Torricelli, Pascal,
Galilée, fut une ceuvre spécifiquement éotechnique. Méme dans
la médecine, le verre triomphe. Le premier instrument de préci-
sion employé pour les diagnostics fut le thermométre introduit
par Sanctorius, qui n’est qu’une modification du thermométre de
Galilée.
Le verre a une autre propriété qui fut exploitée 4 plein au
XVII® siécle. On la remarque surtout dans les habitations hol-
landaises, avec leurs vastes fenétres, car c’est aux Pays-Bas
que l’usage du verre et ses nombreuses applications furent pous-
sés le plus loin. Le verre transparent laisse pénétrer la lumiére. I]
révéle, avec une sincérité impitoyable, les insectes dansant dans
les rayons de soleil et la poussiére cachée dans les coins. Pour
étre pleinement utilisé, le verre doit étre propre, et sur aucune
autre surface que la surface dure et polie du verre on ne peut
aussi bien vérifier la propreté. Aussi, 4 la fois par sa nature et
par sa fonction, le verre est favorable a l’hygiéne. La fenétre
propre, le plancher frotté, les _ustensiles brillants_sont_caracté-
ristiques de l’intérieur éotechnique. Et |’approvisionnement abon-
dant en eau, par l’introduction de canaux, de pompes et de
canalisations circulant dans toute la cité ne fit que rendre le
phénoméne plus facile et plus universel. Une vue meilleure, d’ot
un intérét aiguisé pour le monde extérieur, une réponse plus nette
aux images clarifiées. Ces caractéristiques vont de pair avec
l’expansion du verre.
I2I
TECHNIQUE ET CIVILISATION
I22
LA PHASE EOTECHNIQUE
123
TECHNIQUE ET CIVILISATION
s
ques ne furent que pour une faible part le produit direct de l’ha-
bileté et des connaissances artisanales, résultant du rythme régu-
lier de l'industrie. La tendance 4 un artisanat organisé, régle-
menté dans l’intérét d’un travail efficace et standardisé, garanti
par des monopoles locaux, était dans l’ensemble conservatrice,
bien que dans le batiment, entre les X*® et XV® siécles, il y ait
eu sans aucun doute nombre d’innovateurs audacieux. Au début,
c’était le savoir, l’habileté, l’expérience qui étaient le sujet du
monopole corporatif. Avec la croissance du capitalisme, des
monopoles spéciaux furent accordés d’abord aux sociétés privi-
légiées, puis aux propriétaires des brevets spéciaux accordés
124
LA PHASE EOTECHNIQUE
pour les inventions spécifiquement originales. Cela fut proposé
par Bacon en 1601 et apparut pour la premiére fois en Angle-
terre en 1624. A partir de ce moment, ce n’est pas l’héritage du
passé qui fut monopolisé, mais ce qui s’en détacha.
Un encouragement spécial fut offert A ceux dont l’esprit d’in-
vention mécanique dépassait les réglements sociaux et économi-
ques de la corporation. Dés lors, il était naturel que |’invention
accapare l’attention de tous, méme en dehors du systéme indus-
triel : l’ingénieur militaire, et méme i’amateur dans tous les
domaines de la vie. L’invention était un moyen d’échapper A sa
classe ou d’obtenir des richesses. Si le monarque absolu a pu
dire : « l’Etat, c’est moi », l’inventeur heureux pouvait dire :
« la corporation, c’est moi ». Alors que les perfectionnements de
détail furent le plus souvent l’ceuvre d’ouvriers habiles, 1’idée
décisive vint fréquemment des amateurs. Les inventions mécani-
ques brisérent les principes de caste dans |’industrie, tout comme
elles allaient plus tard menacer les principes de caste de la
société elle-méme. Wd
Mais l’invention la plus importante de toutes est sans rappor
direct avec l’industrie : Cost Tinvention deta_methode exper
ae
mentale
dans les sciences, sans aucun doute la plus grande 9\\{-—~
réalisation de la phase éotechnique. Son action ne se fit pleine-
ment sentir sur la technique qu’au milieu du XIX® siecle. La
méthode _expérimentale, comme je 1’ai fait _ressortir, doit _beau-
coup a4 la transformation de la technique, car_l’impersonnalité
relative des nouveaux instruments et des nouvelles machines — |
en particulier de l’automate — doit avoir contribué a établir_la i"
croyance en_un monde également impersonnel, de faits bruts et
irréductibles, agissant_aussi_indépendamment_qu’un mouvement
d’horlogerie et ¢loigné des _voeux de l’observateur. réorgani-
La
sation de l’expérience en_termes de causalité_ mécanique et_le
développement _d’expériences coopératives, contrélées, répétables
et vérifiables, utilisant juste les segments de réalité qui _se_pré-
tent d’eux-mémes A cette méthode — fut_une_inventior i_per-
mit_des économies gigantesques de travail. Elle traga un che-
min bien droit dans la jungle de l’empirisme confus et cons-
truisit une grossiére piste coloniale 4 travers des marécages de
superstitions et de pensées avides. Avoir trouvé un moyen si
rapide de locomotion intellectuelle est peut-étre une excuse suf-
fisante, au début, a l’indifférence envers le paysage et au mé-
pris de tout ce qui n’accélérait pas le voyage. Aucune des inven-
tions qui suivirent le développement de la méthode scientifique
ne fut aussi importante, pour remodeler la pensée et 1’activité de
’humanité, que celles permises par la science expérimentale. II
se trouve que la méthode scientifique allait payer au centuple ses
dettes envers la technique. Deux siécles plus tard, comme nous
I25
TECHNIQUE ET CIVILISATION
120
LA PHASE EOTECHNIQUE
désireux d’avoir un acier plus finement trempé pour les res-
sorts de montres, qui inventa le procédé de l’acier trempé. Ce
ne sont la que quelques-uns des noms auxquels on doit le
plus. L’horloge fut la machine qui eut la plus grande influence
mécanique et sociale. Vers le milieu du XVIII® siécle, elle était
devenue la plus parfaite. Ses débuts et son perfectionnement
délimitent trés bien la sphase éotechnique. Aujourd’hui, elle
est le modéle des automatismes délicats.
La presse 4 imprimer vient aprés l’horloge; dans l’ordre si-
non dans |’importance. Son développement a été admirablement
résumé par Carter, qui fit tant pour clarifier les faits historiques.
« De toutes les grandes inventions du monde, l'imprimerie est
la plus cosmopolite et internationale. La Chine inventa le papier
ct expérimenta pour la premiére fois les caractéres gras et les
caractéres mobiles. Le Japon produisit les imprimés les plus
anciens qui soient parvenus jusqu’éa nous. La Corée imprima
pour la premiere fois avec des caractéres métalliques, fondus
dans un moule. Les Turcs furent parmi les plus importants agents
qui transportérent les caractéres 4 travers l’Asie, et le caractére
d’imprimerie le plus ancien que l’on connaisse est en langue
turque. La Perse et l’Egypte furent les deux terres du moyen
Orient qui connurent l’imprimerie avant |l’Europe. Les Arabes
préparérent la voie en introduisant la fabrication du papier de
Chine en Europe... Florence et |’Italie furent les premiers pays
de la chrétienté 4 fabriquer du papier. Quant aux caractéres
d’imprimerie et leur introduction en Europe, la Russie prétend
avoir été le canal par ot ils ont pénétré, et cela repose sur les
autorités les plus anciennes, bien que |’Italie le revendique aussi
fortement. L’Allemagne, |’Italie et les Pays-Bas furent les pre-
miers centres d’imprimerie. La Hollande et la France, comme
Allemagne, prétendent avoir expérimenté les caractéres, L’Al-
lemagne perfectionna l’invention, et de 1A elle se répandit dans le
monde entier. »
La presse A imprimer et le caractére mobile furent perfection-
nés par Gutemberg et ses assistants, 4 Mayence, vers 1440, Un
calendrier astronomique de 1447 est le premier exemple daté
des imprimés de Gutemberg. Un mode inférieur d’imprimerie a
pu étre pratiqué plus tét par Coster 4 Haarlem. Le perfection-
nement décisif fut l’invention du moule A mains pour fondre des
caractéres uniformes.
L’imprimerie fut dés le commencement une réalisation com-
plétement mécanique. En outre, elle servit de modétle 4 tous les
instrument ultérieurs de reproduction. La feuille imprimée, avant
luniforme militaire, était le premier produit enti¢rement stan-
dardisé, fabriqué en série, et les caractéres mobiles eux-mémes
sont le premier exemple des parties absolument standardisées et
127
TECHNIQUE: ET CIVILISATION
128
LA PHASE EOTECHNIQUE
quilibre et de procurer les associations visuelles nécessaires.
Mais la presse 4 imprimer n’accomplit pas elle-méme toute la
révolution. Le papier joua un réle & peine moins important, car
son utilisation dépassa la page imprimée. L’application des ma-
chines 4 la production du papier fut un des développements de
cette économie. Le papier supprima la nécessité des contacts
d’homme a homme — les dettes, les actes, les contrats, les nou-
velles furent confiés au papier. Ainsi, alors que la société féodale
existait en_vertu de coutumes rigoureusement maintenues de_gé-
nération en _génération, ses derniers éléments ts furent_abolis en
Angleterre par le seul fait de ‘demander_aux paysans — pour
établir_ quelque preuve documentaire — s’ils avaient_jamais_pos-
sédé la terre, alors qu’ils avaient toujours joui_d’un droit cou-
tumier_sur les terrains communaux. La coutume et la mémoire
passérent au second plan, derriére le mot écrit: la réalité signi-
fiait « établi sur papier ». Est-ce écrit sur l’engagement? Si oui, il
faut le remplir; sinon, on peut le négliger. Le capitalisme, en
confiant ses transactions au papier, pouvait tenir et maintenir
une comptabilité stricte du temps et de l’argent. Et la nouvelle
éducation, pour la classe des commergants et de leurs assis-
tants, consista essentiellement 4 apprendre les trois R*% Un
monde du papier apparut, coucher une chose sur le papier devint
la premiére étape de la pensée et de |’action, malheureusement
aussi souvent la derniére.
Economisant l’espace, le temps, le travail — donc finalement
la vie — le papier avait un rédle unique A jouer dans le dévelop-
pement industriel. Avec l’habitude d’utiliser le papier et 1’im:
primerie, la pensée perdit un peu de son caractére organique,
fluide, 4 quatre dimensions, ct devint abstraite, catégorique, sté-
réotypée, se satisfaisant de formules et de solutions purement
verbales aux problémes qui n’avaient jamais été présentés ou
abordés dans leurs inter-relations concrétes.
Les inventions mécaniques primordiales — l’horloge et la
presse _a_imprimer s aceOm penn arene d’ inventions sociales
presque aussi iiporantes : Vuniversité, organisation _coopéra-
tive de savoir sur une base internationale apparut 4 Bologne en
rag
TECHNIQUE ET CIVILISATION
130
LA PHASE EOTECHNIQUE
puissante; d’autre part, elle fut le centre d’une nouvelle sorte
d’intégration sociale et permit une coordination efficace de la ae
production qui serait valable dans n’importe quel ordre social. °°
L’unité et la coopération causée par ces diverses institutions,
de luniversité 4 l’usine, augmenta largement l’énergie effective
de la société. Car l’énergie ne dépend pas seulement de simples
ressources physiques, mais de leur application sociale harmo-
nieuse. Des habitudes de politesse, telles que les Chinois les ont
cultivées, peuvent étre aussi importantes pour accroitre le ren-
dement, méme grossi¢rement mesurée en kilogrammétres de tra-
vail accompli, que des méthodes économiques pour utiliser le
combustible. Dans la société, comme dans la machine indivi-
duelle, le manque de lubréfiant et de transmission peut étre
désastreux. Il importait, pour l’exploitation ultérieure de la
machine, qu’une organisation sociale appropriée 4 la technique
fut inventée. Que le XIX® siécle ait révélé des défauts sérieux
dans cette organisation — notamment avec son frére financier, ae
la société par actions — ne diminue pas l’importance de Il’inven- ;
tion initiale.
L’horloge, la presse 4 imprimer et le haut _fourneau furent|esa
inventions gigantesques de la phase €otechnique, comparables 4 &
la_machine & vapeur de la phase suivante, ou 4 la radio et a la
dynamo de la phase néotechnique — mais elles étaient entourées yn |
d’une multitude d’ inventions, trop significatives pour étre APRET yy
lées mineures, méme si a |’épreuve elles ne répondirent pas vox Fath
espoirs des inventeurs.
Une bonne partie de ces inventions naquit, ou fut nourrie, qeH
dans l’esprit fécond de Léonard de Vinci. Vivant au milieu de ee.
cette ¢re, Léonard rassembla la technologie des artisans et_des
ingénieurs militaires qui l’avaient_précédé et libéra de nouvelles
« réserves » de connaissance scientifique et_d’esprit_inventif.
Cataloguer ses inventions et découvertes, ce serait presque
esquisser la structure de la technique moderne. II n’était pas
seul & son époque : ingénieur militaire lui-méme, il utilisa a
plein le fonds communs de connaissances de sa profession. Il ne
fut pas non plus sans influence sur la période qui suivit, car il
est probable que ses manuscrits furent consultés et exploités par
des gens qui se souciaient fort peu de révéler leurs sources.
Léonard incarna en lui les forces de la période qui allait suivre.
Il fit les premiéres observations scientifiques sur le vol des
oiseaux, concut et batit une machine volante ainsi que le premier
parachute. La conquéte de l’espace le préoccupait, bien qu a
n’ait pas été plus heureux que son obscur contemporain,
G. B. Danti. Les inventions utilitaires retenaient son intérét. Il
inventa l’appareil & dévider la soie et le réveille-matin, il congut
un métier A tisser mécanique qui fut bien pres de réussir. Il
131
TECHNIQUE 5
TECHNIQUE ET CIVILISATION
132
LA PHASE EOTECHNIQUE
machine a vapeur et le bateau A vapeur. (Pour sentir plus com-
plétement la richesse inventive de la période éotechnique du
XV* au XVIII® siécle, consulter la liste des inventions 4 la fin
de l’ouvrage.)
Ce ne sont 1a que les échantillons prélevés dans le grand entre-
pot de invention éotechnique : les graines qui ont germé ou
dorment dans le sol desséché ou les crevasses rocheuses, selon
que le vent, le temps ou le hasard en ont décidé. La plupart de
ces inventions furent attribuées A la période suivante, en partie
parce qu’elles portérent leurs fruits & ce moment, en partie parce
que les historiens de la révolution mécanique, conscients des
pas de géants qu’avait fait leur propre génération, ignoraient la
préparation et la maturation préalables, et en tout cas, avaient
tendance a diminuer la période préparatoire. D'ailleurs ils n’é-
taient souvent pas familiers avec les manuscrits, livres et docu-
ments qui les auraient édifiés. C’est ainsi que l’Angleterre a été
quelquefois considérée comme la mére-patrie d’inventions qui
étaient apparues plus tét en Italie. Souvent aussi, le XIX° siécle
couronna son chef de lauriers qui revenaient aux XVI° et
XVII? siécles.
L’invention n’est presque jamais l’ceuvre unique d’un seul
inventeur, quel que soit son génie. Elle est le produit des tra-
vaux successifs d’hommes innombrables, travaillant 4 des épo-
ques différentes et souvent avec des buts différents. Aussi est-ce
simplement une figure de rhétorique que d’attribuer une inven-
tion a une seule personne : c’est une erreur commode, entretenue
par un faux patriotisme et par |’institution des brevets de mono-
poles qui permettent a un homme de revendiquer une récompense
financiére spéciale parce qu’il est le dernier chainon d’un phéno-
méne social compliqué qui a produit cette invention, Toute ma-
chine perfectionnée est un produit collectif composite; la machine
a tisser actuelle, d’aprés Hobson, est le composé d’environ
huit cents inventions et la machine 4 carder actuelle est le com-
posé d’environ soixante brevets. Cela est vrai aussi bien pour les
pays que pour les générations. Le patrimoine commun de con-
naissances et d’habileté technique dépasse les limites des indivi-
dus ou des nations. Oublier ce fait, ce n’est pas seulement in-
troniser la superstition, mais miner la base essentiellement plané-
taire de la technologie.
En attirant l’attention sur l’importance et l’efficacité des
inventions éotechniques, nous ne cherchons pas a diminuer leur
dette envers le passé et les régions plus lointaines, nous dési-
rons simplement montrer qu’il coula généralement beaucoup
d’eau sous les ponts avant que les gens ne prennent conscience
de la construction du pont.
133
TECHNIQUE ET CIVILISATION
a —— AW ©
mereka
pA? I 34.
LA PHASE EOTECHNIQUE
135
TECHNIQUE ET CIVILISATION
bart
situe
le point critique du capitalisme dans le passage du
centre
entre de_gravité
de des industries textiles organi ues a s-
tries miniéres inorganiques, cela marque aussi le *é-
conomie éotechnique A 1’économie_paléotechnique.
Il faut noter une autre série d’inventions dans les industries
textiles : l’invention de la machine A tricoter au XVIII® siécle.
Les origines du tricot A la main sont obscures. Si l’art existait,
il joua un réle effacé avant le XV°® siécle. Le tricot est la contri-
bution la plus originale de |’Europe aux industries textiles, et ce
fut l’une des premiéres industries mécanisées a la suite de 1’in-
vention du cadre A tricot par un autre clergiman anglais ingé-
nieux. Mettant a profit l’élasticité des fils, le tricot donne des
textiles qui s’adaptent d’eux-mémes au corps, se tendent et se
contractent suivant les mouvements des muscles. L’air qui se
trouve dans les fils et entre les rangs accroit la chaleur sans
augmenter le poids. La bonneterie et les sous-vétements tricotés
— pour ne rien dire de l’usage plus répandu des cotons plus
légers et lavables pour les vétements de corps — sont une con-
tribution éotechnique distincte au confort et A la propreté..
Si les industries textiles montrérent une continuelle avance
dans |’invention, précédant de beaucoup |’introduction de la ma-
chine a vapeur, elles furent aussi le témoin d’une dégradation du
travail par les déplacements de main-d’ceuvre et la disparition
du contréle politique sur les procédés de production. C’est peut-
étre encore plus caractéristique dans les industries, ot la division
du travail a pu étre poussée plus loin que dans les textiles.
La manufacture, c’est-a-dire le travail manuel _organisé et
réparti, dan r établissem avec ou sans machines
mécaniques, divisa la production en_une série d’opérations spécia-
lisées. Chacune de ces opérations était exécutée par _un_ouvrier
spécialisé, toe atod’autant
autant_ plus
plus grande
grande qque sa fonction
était plus limitée. Cette division était, en fait, une sorte de dé-
composition empirique du travail en une série de mouvements
humains simples qui pouvaient alors étre traduits en opérations
mécaniques. Une fois cette analogie accomplie, la reconstitution
de toute la suite d’opérations par une machine devenait facile.
La mécanisation du labeur humain fut, en effet, le premier pas
vers « |’humanisation » de la machine, humanisation dans le
sens ot. l’on donne a l’automate quelques-uns des équivalents
mécaniques de la vie. La conséquence immédiate de cette divi-
sion du travail fut une déshumanisation monstrueuse de
homme. Les pires travaux de l’artisanat ne peuvent guére lui
étre comparés. Marx a admirablement résumé le. phénoméne :
136
LA PHASE EOTECHNIQUE
forme l’ouvrier en un infirme, un monstre, en le forcant A attein-
dre une grande habileté « spécialisée _», aux dépens d’un monde
d’élans et de facultés productifs. En Argentine on tue une béte
simplement pour avoir sa peau ou sa graisse. Non seulement les
diverses opérations partielles sont attribuées & des individus dif- x
férents, mais l’individu lui-méme est brisé, transformé en un Xv
ressort machinal pour une opération partielle... A l’origine l’ou- ee
vrier vendit son travail au capital parce qu’il manquait lui-méme
des moyens matériels de production. Maintenant s’il ne vend
son travail au capital, il se condamne au chémage. »
ILy a la a la fois le fait et le résultat de l’emiploi accru de 1’é-
nergie et de la machine dans la période éatechnique. Ce fut la fin
du_systéme corporatif et le commencement du _salariat. Ce fut la
fin de la discipline interne de l’atelier assurée par le patron et
les ouvriers, avec un systéme d’apprentissage, d’enseignement
traditionnel, et du contrdle corporatif du produit. Cela indi-
quait le commencement de la discipline externe imposée A lori-
gine et a l’industriel dans l’intérét des profits privés — systéme
qui se préta a l’altération et a la détérioration de la qualité de
production aussi bien qu’aux perfectionnements techniques. Tout
cela était une grave chute vers |’inférieur. Dans 1’industrie texe}
tile, la descente fut rapide et violente au XVIII® siécle.
Pour résumer : au fur et 4 mesure que l’industrie progressait
du point de vue mécanique, elle rétrogradait du point de vue
humain. Les progres dans l’agriculture, pratiqués dans les
grands domaines vers la fin de cette période, visaient, comme le
fait ressortir Arthur Young, a établir au champ les mémes nor- ;
mes que celles qui commengaient 4 prévaloir dans I’atelier : spé- te
cialisation et division des opérations. Si l’on veut voir la période 4
éotechnique a son plus beau moment, il faut peut-étre remonter
jusqu’a la fin du XVI? siécle, lorsque l’ouvrier ordinaire, s’il ris-
quait de perdre sa liberté, sa tranquillité ou ses biens, était fou-
gueux et plein de ressource, encore capable de combattre et de
coloniser et non prét & se soumettre au joug soit en devenant
une machine, soit en rivalisant par le sweated labor avec les pro-
duits de la machine. II restait au XIX® siécle & accomplir la
dégradation finale.
Mais si l’on ne peut ignorer les défauts de la période éotech-
nique, y compris le fait que les engins de distribution les plus
puissants et les plus précis ainsi qu’un appareil raffiné pour la
torture humaine furent mis au service d’ambitions morbides et
d’idéologies corrompues, si l’on ne peut ignorer ces choses on
ne doit pas non plus sous-estimer les acquis réels. Les nouveaux
procédés économisaient bien le labeur humain et diminuaient —
comme l’industriel suédois Polhem le fit alors remarquer — la
quantité et l’intensité de travail manuel. Ce résultat fut atteint
137
TECHNIQUE ET CIVILISATION
138
LA PHASE EOTECHNIQUE
Hollande. Quand la nourriture est rare on ne fait pas pousser
des fleurs a la place. De quelque maniére que l'industrie se
développat 4 cette période, elle enrichissait et améliorait direc-
tement la vie de la communauté. Quant A l’art et A la culture, au
lieu d’étre paralysés par l’augmentation du contréle sur le mi-
lieu, ils étaient pleinement alimentés. Comment pte RS
expliquer sans cela l’explosion artistique de la Renaissance A un
moment ou la culture qui leur servait de base était si affaiblie
et ou les créations visuelles n’étaient que pastiche et transposi-
tion.
Le but de la civilisation éotechnique, dans son ensemble, /)
avant la décadence du XVIII® siécle, n’était pas_d’accroitre sa’
puissance, mais d’intensifier la vie : couleurs, parfums, images,
musiques, extase sexuelle, aussi bien qu’audacieux exploits, dans
les
_armes,
la pensée etl’exploration. De belles images étaient
partout. Un champ de tulipes en fleurs, le parfum du foin frai-
chement coupé, le crissement de la soie sur la chair ou la ron-
deur des seins naissants, le sifflement du vent lorsque les nuages
s’enfuient sur la mer, ou le bleu calme du ciel et des nuages
reflétés dans une lumiére cristalline par la surface lisse du canal,
de l’étang, du cours d’eau. L’un aprés l’autre, les sens s’affi-
naient. A la fin de cette période, les nombreux services du repas
médiéval étaient décomposés suivant un rite alimentaire s’étalant
des excitants qui provoquent les secrétions nécessaires au des-
sert qui signifie la satiété finale. Le toucher était lui aussi affiné :
la soie se répandait et les mousselines des Indes remplagaient Jes
laines et toiles grossiéres. La porcelaine de Chine aux surfaces
délicates remplacaient les porcelaines plus lourdes de Delft, la
majolique et la faience ordinaire. -
Les fleurs dans les jardins affinaient la vue et l’odorat, les
rendant plus délicats vis-a-vis des tas de fumiers et excréments
humains, et renforcérent les habitudes ménageres d’ordre et de
propreté qui accompagnérent les améliorations éotechniques.
Agricola observait déja « Je lieu que la nature a pourvu d’une
riviére ou d’un torrent peut servir 4 beaucoup de choses, car
l'eau ne manquera jamais et pourra étre transportée dans des
tuyaux en bois jusqu’aux baignoires des maisons ». Le raffine-
ment de l’odorat fut porté A un tel point qu’il suggéra au
P. Castel son clavecin des odeurs. On ne touchait pas aux livres
ou aux imprimés avec des mains sales ou graisseuses, Les volu-
mes des XVI° et XVIIP® siécles, feuillétés par de nombreux lec-
teurs, sont encore 14 pour nous le prouver.
Renforcant le sens de la propreté, le raffinement du toucher et
du goit s’étendit méme 4 la cuisine; les pots et casseroles en
cuivre, astiqués comme un miroir par la servante ou la ménagére
industrieuses, remplacérent les premiers pots grossiers en fer.
139
TECHNIQUE ET CIVILISATION
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
141
TECHNIQUE ET CIVILISATION
142
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
143
TECHNIQUE ET CIVILISATION
torze & seize heures par jour; ils vivaient et ils mouraient sans
souvenirs et sans espoirs, héureux des croftes qui les faisaient
vivre ou du sommeil qui apportait la bréve consolation des
réves.
Les salaires, qui n’avaient jamais beaucoup dépassé le niveau
d’existence, étaient diminués dans les nouvelles industries par
la concurrence de la machine. Ils étaient si bas au début du
XIX®* siécle que, dans |’industrie textile, ils retardérent pour un
temps l’introduction du métier 4 tisser mécanique. Comme si le
surplus de main-d’ceuvre, causé par la privation et par la paupé-
risation, ne suffisait pas a renforcer la loi d’airain des salaires,
il y eut un accroissement extraordinaire de la natalité. Les cau-
ses initiales de cet accroissement sont encore obscures. Aucune
théorie actuelle ne l’explique pleinement. Mais l’un des motifs
tangible est que les parents chémeurs devaient vivre sur les
salaires des jeunes qu’ils avaient procréés. Le nouvel ouvrier
d’usine ou le nouveau mineur ne pouvait échapper aux chaines
de la pauvreté perpétuelle. Le servage de la mine, profondément
enraciné, s’étendait a tous les emplois accessoires. I fallait 4 la
fois de la chance et de J’intelligence pour échapper a ces
entraves.
Il y a la un phénoméne a peu prés unique dans l’histoire de
la civilisation. Non pas une chute dans la barbarie par 1’affai-
blissement d’une civilisation, mais une poussée de barbarie, aidée
par les forces et les intéréts mémes qui a l’origine avaient été
dirigés vers la conquéte de l’environnement et la perfection de la
culture humaine. Ou et dans quelles conditions eut lieu ce chan-
gement? Comment, alors qu’il représentait au point de vue
social le point le plus bas que 1|’Europe ait connu depuis l’Age de
l’obscurantisme, en vint-on a le considérer comme un progrés
humain et bénéfique? Nous devons répondre a ces questions.
La phase ici définie comme paléotechnique atteignit son apo-
gée — suivant ses propres buts et concepts — en Angleterre au
milieu du XIX°® siécle. Sa premiére manifestation triomphale fut
la grande exposition du Crystal Palace, nouvellement édifié &
Hyde Park en 1851 : premiere Exposition mondiale, victoire
apparente pour le commerce libre, l’entreprise libre, Vinvention
libre, l’acces libre & tous les marchés d’un pays qui prétendait
déja étre le fournisseur du monde. Depuis 1870, les intéréts et
preoccupations spécifiques de la phase paléotechnique ont été
combattus par les derniers développements de la technique et
modifiés par divers contrepoids sociaux. Mais comme la phase
éctechnique, on la rencontre encore dans certaines parties du
monde; au Japon, en Chine, elle passe méme pour nouvelle, pro-
gressive, moderne, alors qu’en Russie un malencontreux résidu
des concepts et des méthodes paléotechniques a contribué A faus-
144
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
ser et méme & rendre boiteuse l’économie avancée projetée par
Jes disciples de Lénine. Aux Etats-Unis, le régime paléotechni-
un
que n’apparut guére qu’en 1850, presque un siécle plus tard qu’en
Angleterre. Il atteignit son point culminant au commencement
du siécle actuel, alors qu’en Allemagne il domina entre 1870-
1914 et, porté peut-étre par une expression plus profonde et plus
compléte, s’écroula dans ce pays avec une plus grande rapidité
que partout ailleurs. La France, excepté dans ses centres spé-
ciaux de charbonnages et de métallurgie, a échappé A quelques-
uns des pires défauts de la période. La Hollande, le Danemark,
une partie de la Suisse ont sauté presque directement de 1’éco-
nomie éotechnique a l’économie néotechnique, et sauf dans les
ports comme Rotterdam et dans les régions miniéres, ont vigou-
reusement résisté 4 la lépre paléotechnique.
Bref, il s’agit d’un complexe technique qui ne peut étre stric-
tement situé dans une période définie; si l’on prend 1700 comme
origine, 1870 comme sommet de la courbe, et 1900 comme point
de départ de la chute accélérée, on a une approximation suffisante
du fait. Sans accepter tout ce qu’implique l’effort d’Henry
Adams pour appliquer la loi de l’accélération aux faits de l’his-
toire, on peut reconnaitre que les phénoménes d’inventions et les
perfectionnements techniques ont suivi un rythme accéléré du
moins jusqu’éa présent. Si prés de huit cents ans définissent la ——
phase éotechnique, il faut s’attendre 4 ce que la phase paléo-
technique soit plus courte.
Ww
.
du_charbon
t__industriel qui se produisit au
XVIII® siécle est dQ a 1’introduction
comme _ source _d’énergie mécanique, a_l’emploi de ey”
Wh
Sena
145
TECHNIQUE ET CIVILISATION
146
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
Car la mine est une industrie qui se dévore elle-méme. Son pro-
priétaire, comme |’ont fait remarquer MM. Tryon et Echel, dé-
vore constamment son capital et, si l’on s’étend, le prix de
revient par unité de minerai extrait augmente. La mine est la
pire base territoriale pour une civilisation permanente. Lorsque
les filons sont épuisés, elle doit étre abandonnée, laissant der-
riére elle ses déchets, ses hangars déserts et ses maisons. Les
« terrils » forment un environnement désordonné et souillé et le
produit final est épuisé.
La soudaine accession au capital, sous la forme de ces vastes
charbonnages, plongea l’humanité dans une fiévre d’exploita-
tion. oa charbon et_le fer furent les pivots autour des ur-
naient_ les autres fonctions de la société. Les activités du
XIX* siécle furent
rentabsorbees par une série de rush, la ruée vers
Vor,
‘or,la ruée vers le fer, la_ruée vers le cuivre, la ruée vers le
pétrole, la _ruée vers les diamants. L’esprit de la mine affecta
I’économie tout entiére et l’organisme social. Ce mode prédomi-
nant d’exploitation devint le type des formes subordonnées d’in-
dustrie. L’attitude brutale, « enrichissez-vous », « malheur au
dernier » (attitude des rush de la mine), se répandit partout. Les
fermes du Middle West, aux Etats-Unis, furent exploitées
comme des mines, les foréts furent saignées et minées comme
les minerais de leurs collines. L’humanité se conduisit comme
un héritier pris de boisson. Et les dommages pour la civilisation
engendrés par la supériorité des nouvelles habitudes d’exploita-
tion destructrice et désordonnée subsistérent, que la source
d’énergie disparft ou non. Les résultats psychologiques du
capitalisme « carbonifére » : morale diminuée — désir d’obtenir
quelque chose pour rien — mépris de l’équilibre entre la con-
sommation et la production — habitude de saccager, comme si
les débris faisaient partie d’un environnement humain normal —
ces résultats sont, de toute évidence, funestes.
147
TECHNIQUE ET CIVILISATION
)AC
mine de charbon, il était possible de s’enfoncer plus profondé-
ment et d’éviter les inondations. L rincipes généraux de 1’in-
vention étaient établis avant que Watt n’apparaisse. Sa mission
y@
fut non pas d’inventer la machine 4 vapeur, mais d’augmenter
considéralement son rendement en créant une chambre de con-
densation séparée en en utilisant la pression de la vapeur elle-
méme. Watt travailla sur la machine 4 vapeur a partir de 1765,
demanda un brevet en 1769 et construisit en Angleterre 289 ma-
chines entre 1775 et 1800. Il ne se consacra a |’invention du
moteur a rotation qu’a partir de 1781. Et le résultat fut la
grande machine de 50 C.-V. a double action, que sa firme ins-
talla dans |’ « Albion Flour Mill » en 1786, et qui suivait la
machine de 10 C.-V. qu’il avait faite pour une brasserie de Lon-
dres. En moins de vingt ans, la demande fut telle qu’il installa
84 machines dans des filatures de coton, 9 dans des filatures de
laine, 18 pour des canaux et 17 dans des brasseries.
Le perfectionnement de la machine 4 vapeur par Watt exigea
le perfectionnement des arts métallurgiques. L’outillage de cette
époque, en Angleterre, était peu précis, et pour creuser les cylin-
dres de sa machine il fut obligé de « tolérer des erreurs égales a
l’épaisseur du petit doigt dans un cylindre de 700 mm. de dia-
métre ». Le besoin de machines plus précises conduisit a la
foreuse de Wilkinson vers 1776. Les_nombreuses inventions et
simplifications de Maudslay, une génération plus tard — y com-
149
Pie ici arene ET CIVILISATION
ee
premier établissement important ol toutes les piéces de l’usine et
d’équipement, axes, roues, pignons et arbres ient en métal.
Dans plus d’une branche, les années de 4780-1790) marquent
la cristallisation définitive du complexe paléotechnique — la voi-
i" ture 4 vapeur de Murdock, le four 4 réverbére de Cort, le bateau
Jo métallique de Wilkinson, le métier 4 tisser de Cartwright, les
40 bateaux 4 vapeur de Jouffroy et Fitch, celui de ce dernier a
-
hélice, datent de cette décade.
Toute la technique du bois était maintenant perfectionnée avec
le fer — matériau plus difficile et réfractaire. Le passage de
l’éotechnique au paléotechnique comprit des étapes transitoires,
mais on ne pouvait s’arréter en chemin. Bien qu’en Amérique et
en Russie on ait pu employer le bois jusqu’au trois quarts du
XIX® siécle pour les locomotives et les bateaux & vapeur, le
besoin en charbon augmenta avec les demandes de plus en plus
fortes de combustible qui accompagnaient l’universalisation de
la machine. Le fait méme que la machine 4 vapeur de Watt con-
sommait prés de 8,5 livres anglaises de charbon par cheval-
vapeur, comparée a la machine atmosphérique de Smeaton qui en
usait presque 16, ne fit qu’accroitre la demande pour les ma-
chines de Watt et élargit le champ d’exploitation. La turbine a
eau ne fut pas perfectionnée avant 1832. En deux générations,
la vapeur avait gagné la suprématie et demeurait le symbole du
rendement accru. Méme en Hollande, la machine 4 vapeur, au
rendement meilleur, fut introduite pour aider 4 1|’asséchement
du Zuy der Zee. Une fois établies les nouvelles échelles, les nou-
velles grandeurs, les nouvelles normes, le vent et l’eau ne pou-
vaient rivaliser sans aide contre la vapeur.
Mais il faut noter une différence importante. La machine a
apeur tendait au monopole et 4 la concentration . Le vent et
Veau étaient libres, mais le charbon était cher et la machine 4
apeur était un investissement cofiteux, comme les machines
u’elle actionnait, Le travail continu de vingt-quatre heures, qui
aractérisaient la mine et le haut fourneau s’imposa désormais
dans les industries qui avaient jusqu’alors respecté le jour et la
nuit. Mus par le désir de faire rapporter le plus possible leurs
capitaux engagés, les indusiriels des textiles allongérent la jour-
née de travail. Alors qu’en Angleterre, au XV° siécle, on travail-
lait quatorze ou quinze heures en plein été, avec deux heures et
demie a trois heures par jour pour le repos et les repas, dans les
nouvelles villes textiles on travaillait souvent seize heures par
jour toute l’année sans une seule heure accordée pour le repas.
150
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
Avec la machine a vapeur, |’éclairage au gaz, les nouvelles fabri-
ques pouvaient fonctionner vingt-quatre heures. Pourquoi pas
Vouvrier ?La machine 4 vapeur faisait marcher!
Puisque la machine 4 vapeur demande un soin constant de la
part du chauffeur et de l’ingénieur, les grandes unités ont un
meilleur rendement que les petites. Au lieu de la vingtaine de
petites machines qu’aurait exigé un travail dispersé, une seule
grosse machine peut fonctionner continuellement. Ainsi la vapeur!
provoqua la tendance aux grandes usines, nécessaires déja A |
division du travail. La grande taille, rendue obligatoire par la
nature de la machine 4 vapeur, devint le symbole du rendement.
Les leaders industriels non seulement acceptérent la concentra-
tion et le colossal comme un résultat d’expérience conditionné
par la machine a vapeur, mais ils y virent un signe de progres.
Avec la grosse firme, le gros haut fourneau, on supposait que
le rendement était directement proportionnel a la taille. Dire plus
gros, c’était une autre maniére de dire meilleur.
Mais la machine 4 vapeur tendit d’une autre facon & la con-
centration et 4 la grosseur. Si le rail augmenta la distance des
voyages et la quantité de locomotions et de transports, il travail-
lait dans des limites régionales relativement étroites. Les faibles
performances de la locomotive sur des pentes supérieures 4 2 7
obligea les nouvelles lignes 4 suivre les cours d’eau et les fonds
de vallées. Cela tendit 4 drainer les populations de |’arriére-pays,
qui avait été desservi pendant la phase éotechnique par les gran-
des routes et les canaux. Avec |’intégration du systéme ferro-
viaire et la croissance des marchés internationaux, la population
s’entassa dans les grandes villes, au terminus ou aux points de
jonction, et dans les ports. Les services d’express sur les grandes
lignes de desserte ou les transversales agonisérent ou furent deéli-
bérément supprimés. Pour traverser un pays, il était souvent
nécessaire de doubler le parcours en remontant en épingle a
cheveu jusqu’a une ville centrale.
Bien que la voiture A vapeur ait été inventée et mise en service
sur les vieilles routes de diligences d’Angleterre avant le chemin
de fer, elle ne le détr6na jamais.
Un acte du Parlement britannique la chassa des routes dés
l’apparition du chemin de fer. La vapeur agrandit ainsi les zones
urbaines. Elle renforca encore la tendance des nouvelles commu-
nautés urbaines A se grouper le long des voies principales de
trausport et de voyage. Cet agglomérat, purement physique, des
populations auquel Patrick Geddes donna le nom de conurbation
fut un produit direct du régime charbon-acier. Il doit étre soi-
gneusement distingué de la formation sociale de la cité, auquel
il ressemble accidentellement, & cause de la concentration des
bdtiments et des habitants. On évalua la prospérité de ces agglo-
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
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TECHNIQUE. ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
technique, il fallait recouvrir le fer d’une pellicule de produit
inoxydable. Laissé 4 lui-méme, le fer rouille. Sans une lubrifi-
cation constante, les supports s’effondreraient, et, si on ne les
enduisait fréquemment de peinture, les navires, ponts et hangars
seraient détériorés dangereusement en une génération. A moins
que le fer ne soit sans cesse vérifié, la pierre — les viaducs en
pierres des Romains, par exemple — dure plus longtemps.
Le fer est en outre soumis aux changements de température.
Il faut prévoir sa dilatation et sa contraction en été et en hiver
et au cours d’une méme journée. Sous une couche protectrice de
produit ignifugé, il perd rapidement sa résistance sous 1’effet
de la chaleur, si bien que les structures les plus solides devien-
draient une masse de métal courbé et tordu. Mais si le fer
s’oxyde si rapidement, il a du moins un autre avantage : avec
aluminium, il est le métal le plus répandu sur 1|’écorce terrestre.
Malheureusement, parce qu’il est répandu et bon marché, et
qu’il a été utilisé de facon empirique longtemps avant qu’on ne
connaisse scientifiquement ses propriétés, il a été employé assez
grossi¢rement. Ignorant les limites de sécurité, les construc-
teurs exagérérent les dimensions des structures en fer sans tenir
compte de l’esthétique, pour ne pas parler des économies qu’au-
raient permis la légéreté et l’adaptation plus étroite de la struc-
ture a la fonction. De la ce paradoxe : entre 1775 et 1875 il y eut
un retard technologique dans la branche la plus avancée de la
technologie. Si le fer était bon marché et l’énergie en abondance,
pourquoi l’ingénieur aurait-il perdu son temps en cherchant a
économiser l’un ou l’autre? Du point de vue paléotechnique il
n’y avait pas de réponse. Le fer dont cette période s’enorgueil-
lissait fut en grande partie un poids mort.
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
trielles étaient ignorés des Mexigains et Péruviens réguliérement
exposés au soleil. En réponse, cita fiérement un atelier d’u-
sine, sans fenétre, comme exeniple d’excellent éclairage au gaz,
remplaéant le soleil!
Les valeurs de l’économie paléotechnique étaient sens dessus
dessous. On appelait ses abstractions des « faits réels » et réalités
ultimes — alors que les réalités de l’existence étaient traitées par
les Gradgrind et les Bounderby? comme des abstractions, des
fantaisies sentimentales, ou méme des aberrations. Aussi cette
période est-elle caractérisée dans tout l’Occident par la perver-
sion et la destruction largement répandues de 1’environnement.
Les tactiques de la mine et ses débris se propagérent partout. Le
gaspillage moyen par la fumée, aux U.S.A., est énorme. On
Vestime a prés de deux cent millions par an. L’économie paléo-
technique avait de l’argent a briler, au sens littéral du mot.
Dans les nouvelles industries chimiques qui apparurent a cett
époque, on ne fit aucun effet pour contréler la pollution de |’air o
des eaux, ni pour déparer ces usines des quartiers d’habitatio
de la ville. La poussiére, les fumées, les effluves, quelquefois no
cifs pour l’organime humain, émergaient des usines de soude,
d’ammoniaque, de ciment, des usines 4 gaz. En_1930 la régio
de_la Meuse supérieure, en_Belgique, connut_une_véritabl a-
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
plexe industriel, une localité se spécialisait dans l’acier, une
autre dans le coton, sans que l’on essaie de diversifier les acti-
vités. Il en résulta une vie sociale anémiée et retenue et une
industrie précaire. A cause de la spécialisation, bien des possi-
bilités régionales en puissance furent négligées et les transports
de marchandises qui auraient pu étre produites dans d’autres
localités augmentérent. Mais la fermeture d’une seule industrie
pouvait ruiner toute la communauté locale. Par-dessus tout, le
stimulant psychologique et social, venant de nombreuses occupa-
tions différentes et de modes différents de pensée et de vie, dis-
parut et ne laissa qu’une industrie précaire, une vie sociale
médiocre, un appauvrissement des ressources intellectuelles, et
souvent un milieu physique détérioré. Cette spécialisation régio-
nale intensive apporta d’abord d’énormes bénéfices aux indus-
triels, mais les prix étaient trop élevés. Méme au point de vue
du rendement mécanique, la méthode était douteuse. Elle empé-
chait d’emprunter a l’étranger ses procédés, ce qui est le prin-
cipal moyen de profiter des inventions nouvelles et de créer des
industries. Quand on considére le milieu comme un élément d’é-
cologie humaine, sacrifier ses potentiels divers aux seules indus-
tries mécaniques, c’est aller contre le bonheur humain. L’en-
vahissement des parcs et des lieux de baignades par les nou-
velles aciéries et fours 4 coke, |’implantation insouciante des
installations ferroviaires, faite en ne tenant compte que de 1’é-
conomie et de la commodité pour le chemin de fer lui-méme, le
déboisement, la construction de masses de briques solides et le
pavage, sans aucun égard pour les qualités spéciales du site et
du sol, voila les formes de destruction et de gaspillage du
milieu. Qui peut évaluer le cofit de cette indifférence a 1’envi-
ronnement, considéré comme ressource humaine? Mais qui pour-
rait douter qu’elle a absorbé pour une large part les autres gains
réels en production de textiles bon marché ou en transport de
denrées ?
eg,v5t
ite
es
Dégradation La_doctrine de Kant, que tout étr
de Vlouvrier. humain soit traité comme une fin ae
non comme un moyen, fut_formulée
au_ moment précis ot _1|’industrie mécanique avait commencé &
traiter l’ouvrier uniquement comme un moyen dele_production
mécanique a meilleur marché. Les étres humains étaient
‘talent traités
avec la méme brutalité que le paysage. La main-d’ceuvre était
mat
une ressource 4 exploiter, A miner, 4 épuiser et finalement a reje-
ter. La responsabilité envers la vie et la santé du travailleur
finissait avec le paiement de la journée de travail.
Les pauvres se multipliaient comme des mouches, atteignaient
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
Ces trois conditions sont les fondements de la discipline indus-
trielle, et elles étaient entretenues par les classes dirigeantes,
bien que la pauvreté de l’ouvrier mindt et ruindt périodiquement
le systeme de production en masse que la nouvelle discipline
recherchait. II y a la une des contradictions inhérentes au schéma
capitaliste de production.
Il appartenait a Richard Arkwright, au début paléotechnique,
d’apporter la note finale du systéme usinier. Toutes choses bien
considérées, c’est la piéce d’enrégimentation la plus remarquable i
du dernier millénaire. unt
Arkwright était en quelque sorte l’archétype du nouvel ordre. ™,, @
Alors qu’on le tient, comme beaucoup de capitalistes qui ont ¢% ¥ n
réussi, pour un grand inventeur, il n’est, en fait, pesponsable 9) jam
d’aucune invention originale. Il ne fit que s’approprier le travail ;
des hommes moins avisés. Ses usines étaient situées en divers a cae
points de l’Angleterre, et pour les surveiller il devait voyager,
avec la rapidité d’un Napoléon, dans une chaise de poste con-
duite a toute vitesse. Il travaillait tard dans la nuit, en roulant
aussi bien qu’a son bureau. La part d’Arkwright A son succés
personnel et au systeme pit genéral gan lst fut_l’élaboration
ialclan Viena d’un
code de discipline ouyri¢re. Trois cents ans aprés que le prince
Maurice. eut perfectionné I’ ilitai i i
nait l’armée industrielle. Il mit fin aux habitudes faciles, « au
petit bonheur la chance » du passé. Il obligea celui qui avait été
un artisan indépendant « a renoncer 4 son ancienne prérogative
de s’arréter quand il veut, car — remarque Ure — il plongerait
ainsi dans le désordre tout |’établissement ». A la suite des per-
fectionnements de Watt et de Kay, l’entrepreneur dans les tex-
tiles eut entre les mains un nouvel instrument. Les machines
étaient tellement automatiques que l’ouvrier lui-méme, au lieu
d’accomplir le travail, devint le serviteur de la machine, corri-
geant les manques des opérations automatiques et les ruptures
de fils. Cela pouvait étre accompli par une femme aussi bien que
par un homme, par un enfant de huit ans aussi bien que par
un adulte, pourvu que la discipline soit assez stricte. Comme si
la concurrence des enfants ne suffisait pas a faire baisser les
salaires et A assurer la soumission générale, il y eut un autre :
facteur de coercition : la_menace d’une nouvelle invention qui Ay)
élimine_l’ouvrier. an
Depuis le début, le perfectionnement technique était la réponse \ \,o*
de l’industriel aux révoltes de la main-d’ceuvre, ou, comme |’iné- 9
narrable Ure lerappelle 4 ses lecteurs, lesnouvelles inventions ,0, yt
« confirmaient_la grande doctrine déja proposée; si le ca ital Ya
prend la science 4 son service, l’ouvrier récalcitrant_sera td
#
d‘étre docile ». Nasmyth traduisait moins cyniquement ce fait, {ui% At
5S
lorsque d’aprés Smiles, il soutenait que « les gréves font plus de yw
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V. LA TECHNIQUE
DU BOIS
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
il s’abaissait, minait le gofit et le jugement, altérait la qualité,
multipliait les marchandises inférieures.
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Cobden, un mouvement agonisant. Les événements montrérent,
au contraire, qu'il allait reprendre une nouvelle vigueur.
Avec le rassemblement des masses dans des Etats nationaux
au XIX°® siécle, les luttes nationales se coupérent A angle droit
avec les luttes de classes. Aprés les guerres de la Révolution fran-
¢aise, ce qui était un sport royal devint l’occupation industrielle
principale de peuples entiers. La conception « démocratique » le
rendit possible.
La lutte pour le pouvoir politique, toujours limité dans le
passé par la faiblesse financiére, les restrictions techniques, 1’in-
différence et l’hostilité des populations sous-jacentes, devint une
lutte entre Etats pour la domination des régions exploitables :
mines de Lorraine, diamants de 1’Afrique du Sud, marchés de
l’Amérique du Sud, sources possibles de ravitaillement ou dé-
bouchés possibles pour les produits que ne pouvait absorber le
prolétariat déprimé des pays industriels, ou finalement champs
possibles d’investissements pour les surplus de capitaux entassés
dans les pays « progressifs 4.\
« Le présent, xclama Ueen 1835, se distingue de toutes
é
les époques qui ont précédé~par une ardeur universelle dans les
arts et manufactures. Les nations, enfin convaincues que la
guerre est un jeu ot l’on perd toujours, ont converti leurs épées
et leurs mousquets en installations d’usines, et s’opposent les
unes aux autres dans la lutte non sanglante, mais formidable, du
commerce. Elles n’envoient :plus de troupes combattre sur des
champs lointains, mais des usines pour devancer leurs anciens
ennemis dans la possession des marchés étrangers. Diminuer les
ressources d’un rival, en vendant A bas prix des marchandises 4
l’étranger, voila quel est le nouveau systéme belligérant, pour
lequel sont entrainés tous les nerfs de la population. » Les riva-
lités économiques attisérent les haines nationales et donnérent un
aspect pseudo-rationnel aux motifs les plus violemment irration-
nels.
Méme les principales utopies de la phase paléotechnique
étaient nationalistes et militaristes. L’Icarie de Cabet, contem-
porain des révolutions libérales de 1848, est le chef-d’ceuvre de
l’enrégimentation sur le modéle de la guerre dans tous les dé-
tails de la vie, et Bellamy, en 1888, prit l’organisation de l’ar-
mée, sur la base d’un service obligatoire, comme modéle de tou-
tes les activités industrielles. L’intensité de ces luttes nationalis-
tes, soutenues par des instincts de tribu, affaiblirent quelque peu
les effets des luttes de classe. Mais elles différent en ceci : ni
l’Etat concu par les successeurs d’Austin, ni les classes proléta-
riennes concues par les successeurs de Marx n’étaient des en-
tités organiques ou de véritables groupes sociaux. Chacune for-
mait une collection arbitraire d’individus réunis non par des
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
purent étre maintenus si bas. Cet excés de main-d’cwuvre inem-
ployée dans des temps « normaux et prospéres » était essen-
tielle 4 la production en concurrence. L’ implantation des indus-
tries n’était pas étudi¢e. Le hasard, les avantages pécuniaires,
Vhabitude, la position prés du marché du travail étaient aussi
importants que des avantages tangibles, du point de vue tech-
nique. La machine, aboutissement des efforts humains pour la
conquéte de l’environnement et la canalisation de ses élans désor-
donnés en activités ordonnées, fut pendant la phase paléotech-
nique la négation systématique de tous ces caractéres : rien de » u
moins que l’empire du désordre. Qu’était, en définitive, la « mo-
bilité 7 la main-d’ ceuvre » tellement vant
si ceée,
n’est |’effon |r y
dre iales stables et la fesaecieetioneel
anisation de e
ipeviestalinde yr
L’état de la société paléotechnique peut étre décrit, idéale- ‘Coal
ment, comme celui de la guerre. Ses organes typiques, de la 7
mine a l’usine, du haut fourneau au taudis, du taudis au champ
de bataille étaient au service de la mort. Concurrence, lutte pour
la vie. Domination et soumission. Extinction. Avec la guerre,
immédiatement, les principaux élans, les bases sous-jacentes, la
destination directe de cette société, les réactions et les motifs
normaux des étres humains étaient réduits au désir de domina-
tion et 4 la crainte de l’annihilation, la crainte de la pauvreté,
la crainte du chémage, la crainte de perdre son niveau de classe,
la crainte de mourir de faim, la crainte de la mutilation et de
la mort. Quand la guerre finit par éclater, elle fut accueillie a
bras ouverts, car elle levait une menace intolérable. Le choc de
la réalité, si terrible soit-il, était plus supportable que la menace
constante des spectres agités et brandis par les journalistes et
les politiciens. La mine et le champ de bataille renfermaient
toutes les activités paléotechniques, et les pratiques qu’elles sus-
citérent conduisirent 4 l’exploitation largement répandué de la
peur.
Les riches avaient peur des pauvres et les pauvres craignaient
le propriétaire. Les classes moyennes craignaient les épidémies
qui venaient des quartiers insalubres de la ville industrielle, et
les pauvres craignaient, avec raison, les hépitaux sordides ot on
les conduisaient. Vers la fin de cette période, la religion revétit
l’uniforme de |’Armée du Salut, chantant Il’hymne Onward Cris-
tian Soldiers : « En avant, soldats du Christ. » Les convertis défi-
laient en habits militaires, en ordre et avec une humilité provo-
cante. L’école était organisée comme |’armée. Maitres et éléves
se craignaient comme capitalistes et ouvriers. Les murs, les
fenétres A barreaux, les barriéres en fil de fer barbelé entouraient
Yusine comme jadis la prison. Les femmes craignaient d’avoir
des enfants et les hommes de leur en faire. La crainte des mala-
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TECHNIQUE: ET CIVILISATION
|
pouvoir et du profit, la plupart des marchandises que fabriquait
la machine étaient destinées au tas d’ordure ou au champ de
bataille. Si les possédants jouissaient, grace a la population et
au rendement collectif de la machine, de revenus qu’ils n’avaient
pas gagné par leur travail, le résultat net pour la société dans
son ensemble peut étre caractérisé par de... l’or dur.
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Vorganisation de la production par des tableaux horaires et 1’in-
terrelation des diverses parties eut lieu plus d’une génération
avant que des tableaux et prévisions similaires ne soient intro-
duits dans l’industrie en général. L’invention des dispositifs
nécessaires pour assurer la régularité et la sécurité, depuis les
freins a air comprimé, et le wagon-salon, jusqu’au bouton
automatique et au systéme automatique de signalisation, la per-
fection du systéme pour acheminer les marchandises A des
vitesses différentes et suivant des conditions climatiques varia-
bles d’un point 4 un autre fut l’une des superbes réalisations
techniques et administratives du XIX®* siécle. Qu’il y ait des
courbes différentes de rendement dans tout le systéme, cela va
sans dire, elles sont dues a la piraterie financiére, le manque
d’organisation rationnelle de l'industrie et des villes, l’inachéve-
ment des liaisons continentales. Mais, étant donné les limitations
sociales de cette période, le chemin de fer fut 4 la fois la forme
de technique la plus caractéristique et la plus efficace.
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
que le monde naturel n’était pas sobre, les paléotechniques pen-
saient que les artistes étaient ivres.
Alors que la couleur et la lumiére absorbaient les nouveaux
peintres, la musique se repliait intensément sur elle-méme, en
réaction contre le nouvel environnement. La chanson d’atelier,
les cris de la rue, de l’étameur, du boueux, du colporteur, de la
marchande de fleurs, les chants des marins halant un cordage,
les chansons traditionnelles de la campagne, du pressoir, de la
cave, mouraient lentement. En méme temps, disparaissait la pos-
sibilité d’en créer de nouvelles. Le travail était orchestré par le
nombre de tours 4 la minute plutét que par le rythme des chants.
La ballade et son ancien contenu religieux, militaire ou tragique,
était dégradée, réduite en chanson populaire, sentimentale, lavée
méme de son érotisme. Son sens se délayait 5.
La ballade ne survivait que dans la littérature pour les classes
cultivées, dans les poémes de Coleridge, Wordsworth et
W.. Morris. Les chansons et la poésie n’étaient plus populaires.
Elles devenaient « littéraires », professionnalisées, spécialisées,
séparées. Personne n’aurait plus pensé & demander 4a la bonne qui
entrait au salon de se joindre au madrigal ou a la ballade. Ce
qui advint 4 la poésie arriva aussi & la musique. Mais la musi-
que, par la création des nouveaux orchestres, par l’ampleur, le
mouvement et la puissance des nouvelles symphonies, devint
d’une facon singuliérement représentative la contrepartie idéale
de la société industrielle.
L’orchestre baroque avait été construit sur la sonorité et le
volume des instruments 4 corde. Les inventions mécaniques aug-
mentérent énormément la nature des sons et la qualité des tons
que l’on pouvait produire. Elles initi¢rent méme I’oreille 4 de nou-
veaux sons et de nouveaux rythmes. Le fréle petit clavecin devint
cette machine massive qu’on appelle piano, avec sa grande caisse
de résonance et son clavier agrandi. Adolphe Sax, l’inventeur du
saxophone, introduisit vers 1840 une série de petits instruments
intermédiaires entre les instruments 4 vent et les anciens cui-
vres. Tous les instruments étaient maintenant scientifiquement
calibrés. La production du son devenait limitée, standardisée,
prévisible. Avec l’augmentation du nombre des instruments, la
division du travail dans l’orchestre correspondit a celle de l’u-
sine. Cette division était perceptible dans les symphonies les plus
récentes. Le chef d’orchestre était le surintendant et le directeur
de production chargé de la fabrication et de l’assemblage du
produit, en l’occurrence la piece de musique, et le compositeur
correspondait 4 l’inventeur, a l’ingénieur et au constructeur qui
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dix années suivantes. Fait également vrai pour les transports fer-
roviaires. Ce qui était contraire a la vitesse |’était aussi a la taille,
car les navires par leur volume perdaient leur facilité de manceu-
vre dans les ports et touchaient le fond des chenaux. Le Great
Eastern était cing fois plus gros que le Clermont. Le plus grand
navire aujourd’hui est moins du double du Great Eastern, Les
traversées en 1866 était trois fois plus rapides qu’en 1819 (en
quarante-sept ans); mais cette durée est aujourd’hui deux fois
moindre qu’en 1866 (en soixante-sept ans). Ceci est vrai pour de
nombreuses branches de la technique. L’accélération, la quanti-
fication, la multiplication allérent plus vite au début de la phase
paléotechnique que depuis.
Une maitrise précoce fut atteinte dans la construction des
structures métalliques. Le plus grand monument de la période
fut le Crystal Palace en Angleterre. Un batiment sans Age, qui
tient & la fois de la phase é¢otechnique avec |’invention des ser-
res, dela phase paléotechnique avec les verriéres de gares, et de
la phase néotechnique par le soleil, le verre et la légéreté de
structure. Mais les ponts sont les monuments les plus typiques,
le pont métallique suspendu de Telford sur les détroits de Menai,
1819-1925; le pont de Brooklyn, commencé en 1865, et le pont du
Firth of Forth, grande construction commencée en 1867, furent
peut-étre les réalisations esthétiques les plus complétes de la
nouvelle technique industrielle. La, la quantité de matériaux, la
taille des éléments eux-mémes avaient une part dans le résul-
tat esthétique, soulignant la difficulté de la tache et le succés de
la solution. Dans ces ceuvres magnifiques, les sordides habitu-
des de pensée empiriques, les économies de bout de chandelle
comme celles qu’on réalisait dans les textiles étaient déplacées.
De telles méthodes, bien qu’elles aient joué un rédle scandaleux
en contribuant au désastre des premiers chemins de fer et des
premiers bateaux fluviaux & vapeur, en Amérique, furent enfin
rejetées. Un standard objectif était fixé et observé. Les arma-
teurs de Glasgow consultérent lord Kelvin sur la difficulté de
leurs problémes techniques. Leurs machines révélaient la fierté
honnéte et justifiée de s’attaquer aux dures conditions et de con-
quérir des matériaux récalcitrants. Les louanges de Ruskin aux
vieux navires de ligne, en bois, s’appliquent plus encore A leurs
successeurs métalliques de la flotte marchande.
Cela mérite d’étre répété :
« Un bateau de ligne commerciale est la chose la plus hono-
rable que l’homme, animal grégaire, ait produite. De lui-méme,
sans aide, il peut faire mieux que des bateaux de ligne, il peut
faire des poémes ou des tableaux, ou d’autres chosés qui expri-
ment le meilleur de lui-méme. L’ceuvre la plus importante de
homme en tant qu’étre vivant en troupeau, tirant_de ce trou-
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LA PHASE PALEOTECHNIQUE
peau, avec des alternances de conflits et d’entente, ce qui lui
est nécessaire, c’est le vaisseau de ligne. iin lui, il a mis autant
de patience humaine, de bon sens, de prévoyance, de philosophie
expérimentale, de contréle de soi, d’habitudes d’ordre et de dis-
cipline, de lutte contre les éléments, de courage et de patrio-
tisme, d’acceptation calme du jugement de Dieu que peut en
contenir un espace de 300 pieds sur 80... Je suis reconnaissant d’a-
voir vécu a une époque ou j’ai pu voir cette chose s’accomplir®. »
Cette période d’expériences audacieuses dans les structures
métalliques atteignit son point culminant avec les premiers
gratte-ciel de Chicago et les grands ponts et viaducs d’Eiffel.
La fameuse Tour Eiffel les surpassa en hauteur, mais non en
maitrise.
La construction de bateaux et de ponts était extreémement com-
pliquée. I] fallait un degré de coordination dont peu d’industries,
sauf le chemin de fer, approchent. Ces structures firent appel A
toutes les vertus militaires latentes du régime et les utilisérent
a bon escient. Des hommes risquaient leur vie, tous les jours,
avec une superbe nonchalance, pour fondre le fer, marteler et
river l’acier, travailler sur des plates-formes étroites et des pou-
tres inclinées. Au cours de la construction, il y avait peu de dif-
férences entre l’ingénieur, les contremaitres et les ouvriers, cha-
cun avait sa part de la tache commune, chacun affrontait le dan-
ger. Quand on construisit le pont de Brooklyn, ce fut le contre-
maitre, et non un simple ouvrier, qui essaya pour la premiére
fois la cabine qui devait servir A tendre le cable. William Morris
appelait les nouveaux bateaux A vapeur les cathédrales de l’age
industriel. I] avait raison. Ils impliquaient une entiére orches-
tration des arts et des sciences plus que tout autre ceuvre paléo-
technique, et le produit final était un miracle de cohésion, de vi-
tesse, de puissance, d’interrelations et d’unité esthétique. Le
bateau et le pont étaient de nouvelles symphonies du métal. Des
hommes durs et tristes les produisaient : esclaves salariés ou
tacherons. Mais les sculpteurs égyptiens travaillérent aussi des
milliers d’années avant de connaitre la joie de |’effort créateur.
Les arts de salon ne soutenaient pas la comparaison. L’odeur vi-
rile de la forge était un parfum plus doux que tous ceux des da-
mes.
Derriére tous ces efforts, il y avait une nouvelle race d’artis-
tes : les fabricants anglais d’outils de la fin du XVIII® siécle et
du début du XIX*. Ces fabricants d’outils se répandirent pour
répondre A deux besoins différents : les machines de Boulton et
de Watt et les ateliers de menuiserie de Joseph Bramah. En
Igl
TECHNIQUE ET CIVILISATION
192
LA PHASE PALEOTECHNIQUE
sance. Et, par la production en masse. elle montra que les perfec-
tionnements mécaniques seuls ne suffisent pas A donner des ré-
sultats socialement valables, ou méme un rendement industriel
maximum.
La conséquence derniére de cette idéologie de la puissance et
de cette lutte constante, ce fut la guerre mondiale, période de
lutte sans merci qui commenga en 1914 et continue pour les po-
pulations frustrées qui sont sous le systéme de la machine. Ce
processus ne peut avoir d’autre fin qu’une victoire boiteuse : l’ex-
tinction des deux parties, ou le suicide de la nation victorienne,
au moment méme oli elle achéve sa victime. Bien que par com-
modité j’ai parlé de la phase paléotechnique au passé, elle est
encore parmi nous, et les méthodes et habitudes de pensées ré-
gnent encore sur une grande partie de l’humanité. Si on ne les
surmonte pas, les bases mémes de la technique peuvent étre mi-
nées, et notre retour 4 la barbarie s’effectuera A une vitesse di-
rectement proportionnelle 4 la complexité et au raffinement de
notre patrimoine technologique actuel.
Mais le rdéle le plus significatif de la phase paléotechnique
n’est pas dans ce qu’elle a produit, mais dans ce qu’elle a
amené : c’était une période de transition, une avenue encom-
brée, congestionnée entre les économies éotechnique et néoteeh-
nique. Les institutions n’affectent pas directement la vie hu-
maine. Elles l’affectent en raison des réactions contraires qu’elles
provoquent. Humainement parlant, la phase paléotechnique fut
un interlude désastreux, mais par son désordre méme elle con-
tribue A intensifier la recherche de |’ordre et, par ses formes
spéciales de brutalité, 4 clarifier les buts de la vie humaine.
Action et réaction étaient deux forces égales et de sens con-
traire.
CHAPITRE V
LA PHASE. NEOTECHNIQUE
194
VII. LES DEBUTS
DE L'INDUSTRIE
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do
ee 28. MAIN-D’GEUVRE ENFANTINE
dans la fabrication des é€pin-
fgles, illustrant le fameux
exemple d’Adam Smith sur les
méthodes « modernes » de
production. L’emploi de la
main-d’ceuvre enfantine est une
‘base essentielle du capitalisme
paléotechnique. I] subsiste en-
core dans des domaines réetar-
dataires. Mais la décomposi-
tion en éléments simples des
rmouvements humains allait
6étre imitée facilement par les
machines.
VIII. LES PRODUITS
PALEOTECHNIQUES
195
TECHNIQUE 7
TECHINIQUE: ET CIVITISATTON
qui permet !'utilisation commerciale du caoutchouc, ainsi que ses
travaux sur les courants élettro-magnétiques; ceux-ci commen-
cérent en 1871 par la découverte qu'un conducteur, coupant les
lignes de forces d'un aimant, créait une différence de potentiel.
Aprés avoir fait cette découverte purement scientifique, il regut
une lettre anonyme lui suggérant que ce principe pourrait étre
appliqué a la création de grandes machines. Couronnant I’ceuvre
importante accomplie par Volta, Galvani, Oerstedt, Ohm, Am-
pere, les travaux de Faraday sur I'¢lectricité, joints aux recher-
ches exactement contemporaines de Joseph Henri sur |’électro-
aimant, jetérent les bases nouvelles de la conversion et de la
distribution de l’énergie, et de la plupart des inventions néotech-
niques décisives.
Vers 1850, une bonne partie des découvertes scientifiques et
des inventions fondamentales de la phase nouvelle étaient faite :
la cellule électrique, l’accumulateur, la dynamo, le moteur, la
lampe électrique, le spectroscope, la doctrine de la conservation
de l’énergie.
Entre 1875 et 1900, l’application détaillée de ces inventions a
l'industrie fut réalisée dans la centrale électrique, le téléphone
et la télégraphie sans fil. Enfin une série d’inventions compleé-
mentaires, le phonographe, le cinéma, le moteur Aa explosion, la
turbine A vapeur, l’avion, furent toutes esquissées, sinon perfec-
tionnées, vers 1900. Cela entraina une transformation radicale
des centres de production d’énergie dans l’aménagement des
villes et l’utilisation de l’environnement en général. Vers 1910,
une contre-marche trés nette contre les méthodes paléotechniques
commengait dans I|’industrie elle-méme.
Les grandes lignes du phénoméne furent bouleversées par 1’ex-
plosion de la Grande Guerre et par les sordides désordres, com-
pensations et chocs en retour qui s’ensuivirent. Bien que les
instruments d’une civilisation néotechnique soient maintenant
disponibles, bien que de nombreux signes définitifs d’une inté-
gration ne manquent pas, on ne peut soutenir qu’une seule
région, surtout dans notre civilisation occidentale, ait entiére-
ment embrassé le complexe éotechnique. Car les institutions
sociales nécessaires et les buts sociaux explicites indispensables
méme a l’accomplissement technique font encore défaut. Les
gains de la technique n’apparaissent jamais automatiquement
dans la société; il leur faut a la fois des inventions astucieuses
et des adaptations dans la politique. L’habitude irréfléchie d’at-
tribuer aux perfectionnements mécaniques un réle direct d’ins-
trument de culture et de civilisation exige de la machine plus
qu’elle ne peut donner. Sans une intelligence sociale coopérative,
et de la bonne volonté, la technique la plus raffinée’ne sert pas
plus au perfectionnement de la société qu'une ampoule électrique
1906
LA PHASE NEOTECHNIQUE
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mcg
TECHNIQUE ET CIVILISATION
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
défauts, les arbres et courroies limitaient le déplacement local A
l’emploi de grues.
L’introduction du moteur électrique transforma l’usine elle-
méme. Car le moteur apporta de la souplesse dans la distribu-
tion des ateliers. Non seulement on pouvait placer les unités
individuelles ou l’on voulait, non seulement on pouvait les pré-
voir pour un travail particulier, mais la conduite directe, qui
augmenta le rendement du moteur, permit de modifier l’implan-
tation de l’usine quand il le fallait. L’installation des moteurs
supprima les courroies de transmission qui prenaient la lumiére
et diminuaient le rendement, et offrit l’occasion de réaménager
les machines en unités fonctionnelles, sans se préoccuper des ar-
bres et des ailes des anciennes usines. Chaque unité pouvait tra-
vailler 4 sa vitesse propre, partir et s’arréter suivant ses propres
besoins, sans pertes de puissance pour l’ensemble de l’usine.
Suivant les calculs d’un ingénieur allemand, cela augmenta le
rendement de 50 %. Lorsqu’il s’agissait de grosses unités, le
service automatique des machines au moyen de grues mobiles
devenait simple. Tous ces développements sont intervenus dans
ces quarante derniéres années. Il va sans dire que seules les usi-
nes les plus perfectionnées, possédant tous les raffinements, ont
pu réaliser ces économies d’opération.
Comme le fait remarquer Henry Ford, l’électricité permit
d’employer de petites unités de production avec de grosses uni-
tés d’administration, car une bonne administration repose sur la
comptabilité, le plan de travail et les communications, et pas
nécessairement sur une surveillance locale. En un mot, la taille
de l’unité de production n’est plus déterminée par les conditions
locales de la machine 4 vapeur ou du personnel qui la fait fonc-
tionner. Elle est fonction de l’opération elle-méme. Mais le ren-
dement des petites unités actionnées par des moteurs électriques
utilisant le courant soit de turbines locales, soit d’une centrale,
a prolongé la vie de la petite industrie.
Sur le plan purement technique, pour la premiere fois depuis
l’introduction de la machine 4 vapeur, elle rivalise avec les uni-
tés plus grosses. Méme la production domestique est redevenue
possible grace 4 I’électricité. Si, du point de vue mécanique, le
moulin domestique a un moins bon rendement que les énormes
minoteries de Minneapolis, il permet d’échelonner la produc-
tion. Il n’est plus nécessaire de consommer de la farine blanche
blutée, parce que la farine fine se détériore plus rapidement et
s’abime si elle est entreposée trop longtemps avant d’étre ven-
due et employée. Pour étre efficace, la petite usine n’a pas besoin
de tourner continuellement ou de produire des quantités gigan-
tesques de nourriture et de marchandises en vue d’un marché
lointain. Elle peut répondre & l’offre et & la demande locales.
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27TO
LA PHASE NEOTECHNIQUE
Vindustrie, et leur emploi minutieux suscite la prospérité méme
dans !’exploitation des minéraux plus communs. Ainsi la produc-
tion de l’acier inoxydable prévient I’érosion du métal et permet
de le récupérer 4 partir des débris. Mais déja la production acier
est si importante et la nécessité de sa conservation si primordiale
que la moitié des fours A ciel ouvert aux U.S.A. sont chargés
avec de l’acier de récupération; ce procédé représente 80 % de
la production d’acier domestique. Les éléments rares, dont la
plupart n’étaient pas encore découverts au XIX°® siécle, ont cessé
d’étre des curiosités ou d’avoir, comme I’or, une valeur surtout
décorative et honorifique. La place qu’ils occupent dans 1’indus-
trie est hors de proportion avec leur volume. L’importance des
quantités infimes — comme nous le remarquerons aussi dans la
physiologie et la médecine — caractérise toute. la métallurgie et
lindustrie de la nouvelle phase. On pourrait dire en un rac-
courci saisissant que la période paléotechnique ne considérait
que les chiffres 4 gauche des décimales, et que la phrase néotech-
nique ne se préoccupe que de ceux qui sont 4 droite. Ce nouveau
complexe a une autre conséquence importante. Alors que certains
produits de la phase néotechnique, comme le verre, le cuivre et
laluminium, existent en aussi grande quantité que le fer, d’au-
tres métaux importants, l’amiante, le mica, le cobalt, le radium,
luranium, le thorium, I’hélium, le cerium, le molybdéne, le
tungsténe, sont excessivement rares ou leur localisation stricte-
ment limitée. Le mica, par exemple, a des propriétés uniques qui
le rendent indispensable dans l’industrie électrique. Son cli-
vage facile, sa grande flexibilité, son élasticité, sa transparence,
la non-conductibilité 4 la chaleur et & 1’électricité, et sa résistance
générale 4 la décomposition font de lui le meilleur matériau pour
les condensateurs, les magnetos, les commutateurs et autres ins-
truments. Mais s’il est assez largement répandu, bien des ré-
gions importantes de la terre en sont complétement dépourvues.
Le manganése, l|’un des alliages les plus importants pour aciers
spéciaux est surtout concentré en Russie, aux Indes, en Brésil et
en Afrique (céte de 1’Or). 70 % du tungsténe proviennent de 1’A-
mérique du Sud et 9,3 % des U.S.A. Pour le chrome, la moitié
de la production actuelle vient de la Rhodésie, 12,6 % de la
Nouvelle Calédonie et 10,2 % des Indes. Le caoutchouc, pareille-
ment, est encore limité 4 certaines régions tropicales ou subtro-
picales, surtout au Brésil et 4 l’archipel malais.
Fait important A signaler : les industries paléotechnique et
éotechnique pouvaient se développer dans te cadre de la Société
européenne : |’Angleterre, |’Allemagne, la France, pays qui
étaient au premier rang, avaient suffisamment de vent, de bois,
d’eau, de pierre 4 chaux, de charbon, de minerai de fer. Les U.S.A.
aussi. Dans le régime néotechnique, ces pays ont perdu leur indé-
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
machine a vapeur. La benzine, isolée par Faraday, puis plus tard
le naphte, rendirent sa transformation possible ailleurs qu’au lieu
d’origine. Les nombreux emplois du caoutchouc, comme isolant,
dans les phonographes, pour les pneus, pour les semelles de
chaussures, pour les vétements imperméables, les accessoires
hygiéniques, les gants de chirurgie, les balles de jeu, lui confe-
rent une place unique dans la vie moderne. Son élacticité et son
imperméabilité, ses qualités isolantes en font le produit de rem-
placement, le cas échéant, de la fibre, du métal, du verre, et ceci
malgré son point de fusion relativement bas. Le caoutchouc
constitue l’un des stocks principaux de |’industrie, et le caout-
chouc de récupération, selon Zimmerman, représentait de 35 a
51 % de la production totale aux U.S.A. entre 1925 et 1930.
L’emploi de la paille et des tiges de canne a sucre pour les maté-
riaux de constructions composés et pour le papier illustre un
autre principe : la tentative de vivre sur les sources courantes
d’énergie, au lieu de vivre sur le capital des dépéts végétaux et
minéraux.
Presque toutes ces applications nouvelles datent de 1850. La
plupart vinrent aprés 1875. Les grandes applications de la chimie
colloidale ne sont venues qu’avec la génération présente. Nous
devons a ces matériaux et 4 ces ressources et aux instruments
et appareils laboratoires autant qu’A la machine. De toute évi-
dence, Marx était dans l’erreur quand il soutenait que la ma-
chine en dit plus sur une époque que les ustensiles et utilités.
Car il serait impossible de décrire la phase néotechnique sans
tenir compte des divers triomphes de la chimie et de la bactério-
logie, dans lesquels les machines jouérent un réle secondaire.
Le plus important, sans doute, des instruments simples que la
période néotechnique ait créé, c’est l’oscillateur 4 trois éléments,
ou amplificateur de De Forest, a partir de la valve de Fleming,
piéce dans laquelle seules les parties mobiles sont chargées d’é-
lectricité. Le phénoméne d’osmose est moins évident que celui de
la respiration. Mais ils sont tous deux aussi importants pour la
vie humaine. Les opérations relativement statiques de la chimie
sont aussi importantes dans notre technologie que les machines
qui produisent le mouvement et la vitesse. Aujourd’hui notre
industrie a une lourde dette envers la chimie. Demain elle pourra
en avoir une envers la physiologie et la biologie. Cela commence
déja 4 apparaitre.
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
3. Le Gorille chevelu.
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
tenaient de pres dans la course a la vitesse. En 1892, par l’utili-
sation d’un mode de combustion plus scientifique, par la seule
compression de l’air, Diesel inventa un type amélioré de moteur
4 huile lourde, dont certains modéles ont atteint 15.000 C.-V.
comme dans la génératrice d’Hambourg. Le développement des
petits moteurs 4 combustion interne vers 1880-1900 fut égale-
ment important pour le perfectionnement de l’automobile et de
Pavion.
Les transports néotechniques attendaient cette nouvelle forme
de puissance, dans laquelle tout le poids est représenté par le
combustible lui-méme, au lieu de transporter en plus, comme
dans la machine A vapeur, la réserve d’eau. Avec 1l’automobile,
la puissance et le mouvement ne sont plus enchainées A la voie
ferrée. Un simple véhicule peut voyager aussi rapidement qu’un
train de wagons. Et méme la plus petite unité a un rendement
supérieur. (Je mets de cété la question technique de savoir si la
machine a vapeur, avec I’huile lourde ou |’essence, n’aurait pu
concurrencer heureusement le moteur A combustion interne, et si
elle ne peut, sous une forme perfectionnée et simplifiée, rentrer
dans la lice.)
Les conséquences sociales de |’automobile et de l’avion ne se
sont manifestées largement que vers rgto. La traversée aérienne
de la Manche par Blériot, en 1go9, et |’introduction par Henry
Ford de la voiture automobile bon marché et de série marquent
deux points décisifs.
Mais, malheureusement, il se produisit ce qui se passe dans
presque toutes les branches de la vie industrielle. Les nouvelles
machines suivirent, non leur propre évolution, mais celle qu’a-
vaient tracée |’économie et les structures précédentes. Alors que
les nouvelles voitures automobiles étaient appelées des voitures
sans chevaux, elles n’avaient aucun autre point de ressemblance,
si ce n’est qu’elles avaient des roues. C’était un moyen de loco-
motion puissant, équivalant 4 la force de 5 4 100 chevaux, attei-
gnant une vitesse de 60 miles a l’heure, dés que les pneumati-
ques furent inventés, et ayant un rayon d’action de 200 4 500
miles. Le moyen de transport privé devait rouler sur les vieilles
routes poussi¢reuses comme sur les routes goudronnées qui
avaient été tracées pour les voitures 4 chevaux. Bien que ces
routes aient été ¢largies aprés 1910 et que le ciment remplacat
les revétements plus légers, le réseau routier resta ce qu’il était
dans le passé. Toutes les fautes qui avaient été commises au
début du chemin de fer furent renouvelées avec le nouveau mode
de locomotion. Les grandes voies coupaient les centres urbains,
malgré la congestion, les points de conflits, le bruit et les dan-
gers qui accompagnaicnt cette vieille pratique paléotechnique.
Considérant l’automobile uniquement comme un objet meécani-
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
du temps cessa d’étre représenté par le tic tac mécanique de
Vhorloge. Son ¢quivalent — Bergson s’empara rapidement de
cette image — c’était la bobine de cinéma.
On peut surestimer les changements du comportement humain
qui suivirent les nouvelles inventions. Mais il en est un ou deux
qui s’imposent d’eux-mémes : dans la phase éotechnique, on
conversait avec le miroir et on produisait le portrait biographique
et la biographie introspective; dans la phase néotechnique, on
pose pour le photographe ou, plutét, on agit pour la camera.
On passe d’une psychologie behavioriste, des soupirs douloureux
de Werther au masque public impassible d’un Ernest Heming-
way. Affrontant la faim et la mort dans un désert, un aviateur
en détresse écrit dans ses notes : « Je construisis un autre radeau
et retirais mes vétements pour l’essayer. Je devais avoir bonne
mine, transportant, en sous-vétements, les lourds rondins sur
mes é€paules. » Seul, il se considére encore comme une personne
publique qui est observée. A un degré plus ou moins grand, le
paysan dans un hameau éloigné et le dictateur politique sur 1’es-
trade soigneusement préparée sont dans la méme situation. .
Quelles que soient ies réactions psychologiques envers la pho-
tographie, le cinéma, le phonographe, leur contribution a l’orga-
nisation économique de l’héritage social ne fait, & mon avis,
aucun doute. Avant qu’ils n’apparaissent, le son ne pouvait étre
représenté qu’imparfaitement par les conventions de |’écriture.
I] est intéressant de noter que l’un des meilleurs systémes, la
parole visible de Bell, fut inventé par le pére de celui qui inventa
le téléphone. A part les documents écrits et imprimés, la pein-
ture sur papier, sur parchemin ou sur toile, rien ne subsistait
d’une civilisation que ses monceaux de ruines et ses monuments,
batiments, sculptures, travaux de génie, tous obstruant ou con-
trecarrant plus ou moins le libre développement d’une vie diffé-
rente au méme endroit.
Avec les nouvelles inventions, cette grande masse d’obstacles
physiques a pu étre transformée en feuilles de papier, disques de
métal ou d’ébonite, ou pellicules en celluloid qui peuvent étre
préservées bien plus économiquement et bien plus complétement.
Il n’est plus nécessaire de conserver de vastes stocks de maté-
riaux pour garder le contact, par l’esprit, avec les formes et les
expressions du passé. Ces inventions mécaniques sont ainsi un
excellent allié de cette autre piéce de l’appareil social qui se
répandit au XIX° siécle, le musée public. Elles ont rendu le pré-
sent plus historique en diminuant le laps de temps entre les évé-
nements et leur enregistrement concret. Pour la premiére fois,
on pouvait étre mis face a face avec la silhouette parlante de
défunts et se voir rappeler leurs gestes et leurs actions oubliés.
Faust vendit son Ame A Méphistophélés pour voir Héléne de Troie.
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
nouvelles teintures, d’ailleurs, trouvent un emploi dans les labo-
ratoires de bactériologie comme réactifs colorants. Quelques-uns
d’entre eux, comme le bleu de gentiane, sont employés comme
antiseptiques et d’autres comme médicaments dans le traitement
de certaines maladies.
Le monde obscur, aveugle, de la machine, le monde du mineur
commengait 4 disparaitre. La chaleur, la lumiére, 1’électricité et
finalement la matiére étaient toutes des manifestations de 1’é-
nergie. En poussant plus loin l’analyse de la matiére, l’ancienne
notion de solide devenait de plus en plus subtil jusqu’a ce qu’elle
soit finalement identifiée & une charge électrique : c’était la der-
niére pierre de la physique moderne, comme I’atome était celle
des plus vicilles théories physiques.
Les radiations invisibles ultra-violettes ou infra-rouges devin-
rent communes dans le nouveau monde physique, au moment
ot l’on ajoutait les forces obscures de l’inconscient A la psycho-
logie purement externe et rationnelle du monde humain, L’invi-
sible méme était, pour ainsi dire, illuminé. Il n’était plus inconnu.
On pouvait mesurer et utiliser ce qu’on ne pouvait voir et ma-
nier. Le monde paléotechnique avait employé des moyens physi-
ques et le feu pour transformer la matiére, le monde néotech-
nique avait confiance en d’autres forces pouvant étre aussi puis-
santes en d’autres circonstances : |’électricité, le son, la lumiére,
les radiations invisibles et les émanations. La croyance mystique
en une aura humaine fut confirmée par les sciences exactes,
comme le réve de transmutation des alchimistes le fut par Curie
isolant le radium.
Le culte du soleil, cher &4 Kepler au début de ces développe-
ments scientifiques révolutionnaires, émergea & nouveau. On
découvrit que l’exposition au soleil du corps nu prévenait le
rachitisme et guérissait la tuberculose, tandis que la lumiére
solaire assainissait l’eau et réduisait le nombre des bactéries
pathogénes dans |’environnement. Cette nouvelle connaissance,
basée sur |’étude de l’organisme encouragée par les découvertes
de Pasteur rendit évidente la nature antivitale du milieu paléo-
technique. L’obscurité et l’humidité de ses mines, de ses usines
et de ses taudis offrait les conditions idéales au développement
des bactéries, alors que son régime alimentaire appauvri entrai-
nait un squelette faible, des dentitions défectueuses et une moin-
dre résistance 4 la maladie. Les pleins effets de ces conditions
furent amplement démontrés par les conseils de révision dans
l’armée britannique A la fin du siécle. Les résultats étant dus,
particuliérement, A l’hyperurbanisation de l’Angleterre. Mais le
taux de mortalité dans le Massachusetts en apprenait autant.
La vie du fermier était plus longue que celle de l’ouvrier d’usine.
De nos jours, malgré les mesures de sécurité et les perfectionne-
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226
|
|. LE PONT DE BROOKLYN :
}669-1883. Masse importante
grande délicatesse : solution
{iroite d’un probléme difficile.
£s constructeurs John A. et
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227
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jz LA PHASE NEOTECHNIQUE
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
Chili, pour ne rien dire de la main-d’ceuvre nécessaire pour
coordonner ces machines et ces appareils. Cette généralisation
est vraie pour d’autres domaines que l’agriculture. Un des pre-
miers perfectionnements apporté par Frederick Taylor sous le
nom d’organisation scientifique n’impliquait qu’un changement
de gestes et d’habitudes chez les manceuvres qui transportaient
des gueuses de fonte. Pareillement un meilleur mode de vie et
un environnement mieux aménagé élimine le besoin de rayons
ultra-violets, de culture physique ou de reméde contre la consti-
pation, et la connaissance du régime alimentaire a supprimé
— sauf dans les cas désespérés de maladies 4 la mode — les opé-
rations d’estomac.
Alors que la croissance et la multiplication des machines a
caractérisé la période paléotechnique, on peut presque affirmer
que le raffinement, la diminution et 1’élimination partielle de la
machine caractérise |’économie néotechnique qui est en train d’é-
merger. La réduction de la machine aux domaines dans lesquels
elle rend des services uniques et indispensables, est la consé-
quence nécessaire de notre meilleure compréhension de cette ma-
chine et du monde dans lequel elle fonctionne.
La conservation de l’environnement a encore un autre aspect
éotechnique : la construction, en agriculture, d’un environnement
artificiel approprié, Jusqu’au XVII® siécle, le plus important
artifice de l-homme était probablement la ville. Mais alors les
procédés qu’il a employés pour sa propre domestication furent
appliqués en agriculture dans la construction de serres. Au
XIX® siécle, la production du verre augmentant et la connais-
sance empirique des terres se répandant, la culture en serre des
fruits et légumes se développa. Non content de prendre la Nature
comme elle vient, l’agriculteur néotechnique cherche 4 déterminer
les conditions exactes de sol, température de fermentation et
d’insolation qui sont nécessaires 4 chaque espéce qu’il cultive.
Dans les cnassis et les serres, il crée ces conditions.
Cette agriculture délibérée et systématique apparait aujour-
d’hui particuli¢érement en Hollande, en Belgique, au Danemark
et dans le Wisconsin pour les produits laitiers. Parallélement A
l’expansion de |’industrie moderne dans le monde, l’agriculture
tend A se régulariser — grdce A la production bon marché du
verre et des chassis métalliques, pour ne rien dire des rempla-
cants synthétiques du verre, qui laissent passer les rayons ultra-
violets — on a la perspective de faire de l’agriculture une occu-
pation de toute l’année, diminuant ainsi les transports néces-
saires pour les fruits et légumes frais, et de cultiver les fruits et
légumes tropicaux. Dans cette nouvelle phase, la quantité de
terre disponible n’est pas aussi importante que sa qualité et que
la maniére de s’en servir.
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LA PHASE NEOTECHNIQUE
Mammon et Moloch, pour ne rien dire des dieux infiniment plus
sauvages des tribus.
Au cceur d’une crise économique mondiale, qui a commencé
en 1929, On ne met pas encore en doute la valeur de ce qui s’est
effondré, bien que les timides avocats de ce qui n’est plus n’aient
aucun espoir de la reconstituer. Dans la Russie des soviets, le
seul pays qui ait magnifiquement tenté de renverser les intéréts
pécuniaires, méme dans cette Russie soviétique, les éléments de
la phase néotechnique ne sont pas clairs. En dépit de l’intuition
de Lénine « électrification + socialisme = communisme » 1’ado-
ration de la taille et de la puissance mécanique grossiére, 1’intro-
duction d’une technique militariste A la fois dans le gouverne-
ment et dans l’industrie, vont de pair avec les saines réalisations
néotechniques en hygiéne et en éducation. D’un cédté, un plan-
ning scientifique de l’industrie, de l’autre la culture mécanique-
ment concue a la fagon du bonanza farming de |’Amérique vers
1870.., La de grands centres d’énergie électrique et une décentra-
lisation potentielle dans les cités-jardins, ici l’introduction d’in-
dustries lourdes dans Moscou la métropole caduque et conges-
tionnée et le gaspillage d’énergie encore plus grand par la cons-
truction de métros cofiteux qui augmentent cette congestion. On
observe en U.R.S.S., quoique sous d’autres aspects que dans les
pays non communistes, la méme confusion, les mémes contradic-
tions, quelques-unes des survivances funestes qui prévalent ail-
leurs. D’ot vient cet échec de la machine ?
La réponse implique quelque chose de plus complexe qu’un
retard culturel. Elle est mieux expliquée, je crois, par le concept
qu’Oswald Spengler a mis en avant dans le second volume du
Déclin de l’Occident : le concept du pseudomorphisme culturel.
Spengler fait allusion au fait courant en géologie d’une roche
qui conserve sa structure aprés que certains éléments en ont été
érodés et remplacés par une matiére entiérement différente. Puis-
que la structure apparente de la roche ancienne subsiste, le nou-
veau produit est appelé un pseudomorphe. Une métamorphose
analogue est possible dans la culture. Des forces, des institutions,
des activités nouvelles, au lieu de se cristalliser indépendam-
ment suivant leur propre forme, peuvent s’insérer dans la struc-
ture d’une civilisation existante. C’est peut-étre le point essentiel
de notre situation actuelle. Notre civilisation n’est pas encore
entrée dans la phase néotechnique. Si plus tard un historien vou-
lait employer la terminologie actuclle, il appellerait sans doute
cette transition une période mésotechnique. Nous vivons encore,
comme dirait Mathew Arnold, entre deux mondes : un monde
mort et un autre qui ne parvient pas a naitre.
Quel a été en effet le résultat total de toutes ces grandes dé-
couvertes et inventions scientifiques, de tous ces intéréts plus
235
TECHNIQUE ET CIVILISATION
6. Bien que les gaz nocifs soient maintenant périmés aprés |’action
plus effrayante des bombes incendiaires et des grands explosifs, pour
ne rien dire de cet instrument absolu d’extermination, Ja bombe ato-
mique, l’esprit de ce passage a été souligné par les événements des
quatorze derniéres années (1946).
236
LA PHASE NEOTECHNIQUE
financiers sont investis dans un équipement technique périmé. Ce
conflit latent entre les affaires et l’industric, que Veblen a admi-
rablement analysé dans The Theory of Business Enterprise, est
accentué par le fait que de grands capitaux sont engloutis dans
les machines vétustes et les utilités onéreuses. L’investissement
financier, qui a l’origine accéléra |’invention, prolonge maintenant
l’inertie technique. De 1a le retard pour introduire le téléphone
automatique, de 14 les modes superficielles dans 1l’automobile,
plutét que l’étude et l’application des principes de 1’aérodyna-
mique pour le confort, la vitesse et 1’économie. De 14, l’achat
continuel de brevets pour des perfectionnements qui sont tran-
quillement supprimés par les monopoles.
Et cette répugnance, cette résistance, cette inertie ont bien leur
raison. L’ancien a tout lieu de craindre la supériorité du nou-
veau. L’industrie néotechnique planifiée et intégrée promet un
rendement tellement supérieur A l’ancienne que pas une seule
institution attachée & une économie parcimonieuse ne pourra
subsister dans une économie d’abondance, surtout pas les insti-
tutions qui limitent la propriété et les dividendes A une petite
fraction de la population, absorbant ainsi le pouvoir d’achat par
des réinvestissements excessifs dans l’entreprise industrielle et
ajoutant 4 son expansion excessive. Ces installations sont incom-
patibles avec une production et une distribution planifiée des
nécessités de la vie, pour l’avantage de toute la communauté.
Les valeurs financiéres et les biens réels ne peuvent étre le pri-
vilége des capitalistes privés par qui et pour qui le capitalisme
a été liée 4 l’origine.
ll n’est pas étonnant que ceux qui contrdlent la destinée des
sociétés industrielles, banquiers, hommes d’affaires et politiciens,
aient toujours freiné la transition, souhaitent limiter les dévelop-
pements néotechniques et éviter les changements radicaux qui
doivent se produire dans tout le milieu social. Le pseudomor-
phisme actuel est socialement et techniquement de troisiéme
ordre. I! ne représente qu’une fraction de l’efficacité qui sera
celle de la civilisation néotechnique, pourvu qu’elle produise enfin
ses propres formes, contréles, directions et schémas institution-
nels. Aujourd’hui, au lieu de trouver ses formes, nous avons em-
ployé notre talent et notre invention de fagon 4 donner un nou-
veau souffle de vie A beaucoup des institutions capitalistes et mili-
taristes de la période révolue. C’est le caractére le plus évident
de l’ordre présent. C’est pourquoi nombre des machines et des
institutions qui prétendent étre « nouvelles », ou en « avance »
ou « progressistes » ne le sont souvent que dans le sens ot un
navire de guerre moderne est nouveau ou en avance. Elles peu-
vent en fait étre réactionnaires et faire obstacle a |’intégration
nouvelle du travail, de la vie et de l’art que nous devons cher-
cher et créer.
CHAPITRE VI
PHENOMENES DE COMPENSATION
ET: CHOCS -EN «RETOUR
238
PHENOMENES DE COMPENSATION
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
240
PHENOMENES DE COMPENSATION
Bref, le temps mécanique n’est pas absolu. Un peuple main-
tenu dans une routine mécanique, en y sacrifiant la santé, le
confort et la félicité organique peut souffrir de cette discipline et
trouver la vie impossible s’il n’a pas des compensations plus
ardentes. Le fait que dans la ville moderne les relations sexuelles
sont limitées, pour les travailleurs de tous rangs et de tous
genres, aux heures du jour ot ils sont fatigués, ne peut accroitre
le rendement du travail qu’au prix d’un sacrifice trop lourd dans
l’équilibre personnel et organique. Si l’on parvient A diminuer
les heures de travail on aura l’occasion de retrouver par les jeux
corporels la vigueur qui s’est épuisée au service de la machine.
A coté de la régularité mécanique, il faut noter qu’une bonne
partie des éléments mécaniques A la mode annulent les effets du
temps et de la distance. La réfrigération des ceufs, par exemple,
s’efforce de répartir leur distribution plus uniformément que ne
le pourrait faire la poule elle-méme. La pasteurisation du lait
combat les effets du temps qui s’écoule entre la vache et le con-
sommateur lointain : la réfrigération ne fait qu’arréter le phéno-
méne de décomposition, et la pasteurisation retire au lait une
partie de sa valeur nutritive. Lorsque la population est plus proche
des centres ruraux qui produisent le lait, le beurre et les légu-
mes frais, tout l’appareil mécanique élaboré pour lutter contre
le temps et l’espace peut étre diminué dans une large mesure.
Partout on peut multiplier les exemples. Ils font ressortir un
point qui n’a généralement pas été reconnu par ces bizarres
apotres du capitalisme machiniste, qui considerent toute dépense
supplémentaire de force motrice ou toute nouvelle pi¢ce méca-
nique comme un bénéfice net et automatique pour le rendement.
Dans L’Instinct de l’Artisan, Veblen s’est demandé si la machine
4 écrire, le téléphone, l’automobile, tout en étant des réalisations
techniques appréciables, « n’ont pas gaspillé plus d’efforts et de
substance qu’elles n’en ont épargné », si on ne doit pas leur
attribuer une perte économique sensible, parce qu’elles ont aug-
menté le volume de correspondance, de communications et de
voyages au dela des besoins réels. Et M. Bertrand Russel a noté
que tout perfectionnement dans les transports élargit le champ
ou les gens sont contraints de se déplacer. Ainsi, un homme qui
mettait, il y a un siécle, une demi-heure pour se rendre a son
travail, mettrait encore aujourd’hui une demi heure pour arriver
4 destination parce que les inventions qui lui auraient permis
d’économiser du temps, s’il n’avait pas changé de situation, ont
annulé ce bénéfice en le faisant habiter trop loin.
Il faut encore noter que la coordination et les communications
instantanées brisent le temps et dispersent l’attention. Avant
1850, les difficultés de transport et de communications agissaient
comme un écran sélectif, empéchant qu’une personne soit tou-
241
TECHNIQUE ET CIVILISATION
chée par des stimulants plus nombreux qu’elle n’en pouvait ma-
nier. Il fallait un cas d’urgence pour qu’on regoive une commu-
nication lointaine ou qu’on soit obligé de faire le voyage soi-
méme. Cette lenteur de déplacement maintenait les échanges a
l’échelle humaine et sous un contréle défini. Aujourd’hui cet
écran a disparu. Le lointain est aussi prés que le proche. L’éphé-
mére, aussi accentué que le durable. Le nombre des choses qu’il
est possible de faire dans une journée a été augmenté par les
communications instantanées, mais le rythme en a été brisé. La
radio, le téléphone, le journal sollicitent l’attention. Parmi la
multitude des stimuli auxquels les gens sont soumis, il devient
de plus en plus difficile de choisir et de s’accorder 4 une partie
de Venvironnement — sinon a tout. L’homme ordinaire est
aussi soumis a ces interruptions que le savant ou l’homme d’af-
faires. Méme le repos de fin de semaine, rompant avec les taches
familiéres au profit de la réverie contemplative et qui fut une des
contributions de la religion occidentale 4 la discipline person-
nelle, devient une possibilité de plus en plus lointaine. L’aide
que la mécanique apporte a l’efficience, la coopération, 1’intelli-
gence, a été exploitée sans merci, par des pressions commer-
ciales et politiques. Mais, étant irréguliéres et désordonnées, elles
ont mis obstacle aux fins mémes qu’elles poursuivaient. Nous
avons multiplié la demande mécanique sans aucunement multi-
plier nos capacités humaines d’y répondre et de réagir intelli-
gemment devant elle. Les sollicitations extérieures successives
sont si fréquentes, si impérieuses et disproportionnées a leur
importance réelle que le monde extérieur s’amenuise et se
déforme progressivement. Au lieu d’une sélection active, il n’y
a plus qu’absorption passive finissant par l’état que Victor Bran-
ford appelait si heureusement un état de « subjectivité sura-
joutée ».
242
PHENOMENES DE COMPENSATION
listes dans les autres civilisations. Ce qui caractérise la machine,
c’est le fait que cet idéal, au lieu d’étre réservé & une classe,
s’est vulgarisé et répandu — du moins en tant qu’idéal —
dans toutes les couches de la société.
On peut définir cet aspect de la machine comme un « matéria-
lisme sans but ». Son principal défaut est de jeter une ombre de
reproche sur toutes les occupations et tous les intéréts non maté-
riels de l’humanité. En particulier, il condamne les intéréts libé-
raux, intellectuels et esthétiques, parce « qu’ils ne sont pas
utiles ». Le bienfait de l’invention, pour les naifs avocats de la
machine, c’est de supprimer le besoin d’imaginer. Au lieu d’a-
voir, en réve, une conversation avec un ami lointain, on prend
le téléphone et on substitue sa voix 4 l’imagination. Si l’on est
ému, au lieu de chanter ou d’écrire un poéme, on peut faire
marcher le phonographe. On ne dénigre pas le phonographe ou
le téléphone en disant que leur fonction spéciale ne remplace pas
la force de la vie imaginative, pas plus qu’une deuxiéme salle de
bains, si bien équipée soit-elle, ne remplace un tableau ou un
jardin. Le fait brutal est que notre civilisation est appréciée
maintenant d’aprés l’usage des instruments mécaniques, parce
que les opportunités de production commerciale et d’exercice du
pouvoir se trouvent la. Toutes les réactions humaines directes
ou les arts personnels qui exigent un minimum d’instruments
mécaniques sont méprisés. L’habitude de produire, que ce soit
nécessaire ou non, d’utiliser des inventions, que ce soit nécessaire
ou non, d’employer la puissance, qu’elle soit efficace ou non,
pervertit chaque branche de la civilisation actuelle. Le résultat
est que des domaines entiers de la personnalité ont été négligés.
Les buts manquent plus que les moyens, Cet « instrumenta-
lisme » est contraire aux réactions vitales qui ne sont pas inti-
mement liées A la machine. Il exagére l’importance des biens
physiques en tant que symboles d’intelligence, de capacité et de
prévoyance — et méme tend a considérer leur absence comme un
signe de stupidité et d’échec. Dans la mesure ol: le matérialisme
est sans but, il devient une fin. Les moyens deviennent aujour-
d’hui une fin. S’il faut justifier en d’autres termes les biens ma-
tériels, disons que l’effort de consommation fait marcher les
machines. Cependant les besoins de régime alimentaire équilibré,
de maisons favorables A la vie de famille et de villes tenant
compte de l’homme total sont presque universellement négligés.
Les inventions qui rétrécissent l’espace, économisent le temps,
produisent des biens, sont toutes des manifestations de la pro-
duction machiniste moderne. Et on rencontre le méme paradoxe
pour la puissance et la machine. Leurs économies sont en partie
annulées par l’augmentation des occasions et méme des néces-
sités de consommation. La situation a été clairement énoncée, il
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
que directe. Dés qu’elle eut lieu sur un front large et unifié, une
rébellion locale ne pouvait arréter l’avance que pour un temps.
Une opposition aurait exigé, pour réussir, un degré d’organisa-
tion que, dans ce cas précis, les classes ouvri¢res n’avaient pas
et dont elles manquent méme aujourd’hui.
Le second point est également important. La vie, l’énergie et
l'aventure étaient du cété de la machine. L’artisanat était consi-
déré comme fixé, fossile, suranné, mourant. Manifestement il se
déroba au nouveau mouvement de pensée et a l’épreuve de la
nouvelle réalité. La machine signifiait de nouvelles révélations,
de nouvelles possibilités d’action. Elle apportait avec elle un élan
révolutionnaire. La jeunesse était de son cdété. Ne recherchant
que la persistance des vieilles méthodes, ses ennemis menaient
des combats d’arri¢re-garde et ils étaient du ecdté des morts,
méme lorsqu’ils opposaient l’organique au mécanique.
Dés que la machine devint prédominante dans la vie courante,
le seul point sur lequel on pouvait l’attaquer ou lui résister avec
succés, ce fut sur le comportement et les intéréts de ceux qui
l’exploitaient. Les idéologies des programmes non méecaniques
qui ont fleuri depuis le XVII° siécle, malgré l’habitude persis-
tante de la machine, mesurent en partie la résistance que direc-
tement ou indirectement la machine a provoquée.
Le débat le plus général que la machine ait provoqué fut celui
entre les romantiques et les utilitaires. Porté par les idéaux
industriels et commerciaux de son époque, l’utilitaire répondait
a ses buts. Il croyait en la science et aux inventions, au profit
et au pouvoir, 4 la machine et au progrés, a4 l’argent et au con-
fort. Il croyait répandre cet idéal dans d’autres sociétés, au
moyen du libre échange, et permettre & une partie des bénéfices
de filtrer des classes possédantes aux classes exploitées — ou,
comme on les appelle par euphémisme, aux « sous-privilégiés »
— pourvu que tout cela soit fait assez prudemment pour main-
tenir les classes inférieures au travail et dans un état de soumis-
sion somnolente et respectueuse.
La nouveauté des produits mécaniques était, du point de vue
utilitaire, la garantie de leur valeur. L’utilitaire souhaitait met-
tre une distance aussi grande que possible entre sa propre société
d’individus sans entraves, money making et les idéaux d’une vie
corporative et féodale. Ces idéaux, avec leurs traditions, régle-
ments et sentiments, freinaient l’introduction des changements
et les perfectionnements mécaniques. Le sentiment qui s’atta-
chait A une vieille maison pouvait s’opposer A l’ouverture d’une
mine, tout comme l’affection qui caractérisait souvent les rela-
tions entre maitre et serviteur dans le régime patriarcal était
un obstacle a cet intérét personnel qui pouvait conduire A ren-
voyer l’ouvrier dés que le marché faiblissait. Ce qui empéchait
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PHENOMENES DE COMPENSATION
nécessité. Mais tant qu’il resta des possibilités dans les pays
non colonisés, tant de gens en recherchérent les avantages que
l’on pourrait s’en étonner si les bienfaits d’une civilisation ordon-
née, accumulatrice, mécanisée, étaient aussi grands que les avo-
cats du progrés le croient et le proclament. Des millions d’indi-
vidus préférérent mener une vie de dangers, de labeur héroique, de
privations et de difficultés en combattant les forces de la nature,
plutét que d’accepter la vie que les nouvelles ruches industrielles
offraient aussi bien aux vainqueurs qu’aux vaincus. Ce mouve-
ment fut en partie l’inverse du grand effort organisateur des
XI° et XII® siécles, qui défricha les foréts, assécha les marécages
et construisit des cités d’un bout & l’autre de l’Europe. Ce fut
plutot une tendance a la dispersion, échappant A une vie tran-
quille systématique, cultivée pour une existence ouverte et rela-
tivement barbare.
Les derniéres terres libres étant occupées, ce mouvement
démographique moderne déclina et notre civilisation mécanique
perdit l’ane de ses principales soupapes de sfreté. La réaction
humaine la plus simple que la crainte de la machine pouvait
provoquer — la fuite — cessa d’étre possible sans miner les
bases de la vie. La victoire de la machine a été si compléte sur
la derniére génération que, pour l’exode périodique loin de la
machine, qui se produit aux moments des vacances aux U.S.A.,
les exilés volontaires s’échappent en automobiles et emportent
dans la solitude un phonographe ou un poste de T.S.F. Finale-
ment, la réaction du pionnier fut beaucoup moins effective —
bien qu’elle ait rapidement trouvé des dérivations — que le
romantisme des poétes, des architectes et des peintres qui
créaient simplement en esprit l’image idéale d’une vie plus
humaine.
Pourtant l’attrait de conditions de vie plus primitives, en
contre-partie & la machine, subsiste. Quelques-uns de ceux qui
reculent devant le degré de contrdéle social nécessaire pour faire
fonctionner normalement la machine, s’affairent sur des plans
pour réduire la machine et retourner 4 un niveau de subsistance
élémentaire dans les petites iles d’utopie consacrées a une agri-
culture et une manufacture sous-marginales. Les avocats de ce
retour au primitif oublient seulement qu’ils ne proposent pas une
aventure, mais une retraite sordide, pas une libération, mais 1’a-
veu d’un échec complet. Ils proposent le retour aux conditions
physiques du pionnier, mais il manque 1’¢lan primitif positif qui
rendit tolérables ces conditions initiales et possibles ces premiers
efforts. Si un tel défaitisme se répandait, cela signifierait plus
que |’échec de la machine : cela signifierait la fin du cycle actuel
de la civilisation occidentale.
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XI. FORMES
D’AEROPLANE
Seeee
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TECHNIQUE 9
TECHNIQUE ET CIVILISATION
machine, qui rejetait Aprement la chair, fut bouleversée par la
chair, qui rejetait le comportement rationnel, intelligent, ordonné,
faisant partie de tout développement culturel de Il’homme —
méme dans les développements les plus étroitement dérivés de
Vorganique. La notion fausse que le machinisme n’avait rien a
apprendre de la vie fut remplacée par la notion aussi erronée que
la vie n’avait rien A apprendre du machinisme. D’un cété il y a
la gigantesque presse & imprimer, miracle de fine articulation,
qui débite les journaux, de 1l’autre cété il y a le contenu des jour-
naux eux-mémes enregistrant symboliquement les états les plus
grossiers et les plus élémentaires d’émotion, de sentiments et des
vestiges de pensée. La, l’impersonnel, le coopératif et l’objectif.
Ici, le limité, le subjectif, le récalcitrant, le moi violent, plein
de haine, de crainte, de frénésie aveugle, de grossiers instincts
de destruction. Les instruments mécaniques, qui sont, en puis-
sance, le véhicule de buts humains rationnels, sont rarement un
bienfait lorsqu’ils permettent de diffuser chaque jour 4 un million
de personnes le bavardage de l’idiot du village et les actes des
dépravés.
Ce retour au primitif absolu, comme tant d’autres adaptations
neurasthéniques qui jettent temporairement un pont sur l’abime,
a développé des forces propres qui tendent 4 séparer encore plus
les deux aspects de l’existence. Ce hiatus limite 1’efficacité de la
réaction compensatrice. Finalement, c’est la ruine de la civili-
sation qui cherche 4 maintenir le mécanique brut en le balancant
avec le primitif brut. Dans ses plus larges acquis, y compris ces
intéréts, sentiments et admirations culturels qui soutiennent le
travail du savant, du technicien, de l’artiste,; du philosophe,
méme lorsqu’ils n’apparaissent pas directement dans un travail
particulier, la civilisation ne peut pas étre conduite pas des bar-
bares. Un gorille®? dans la chambre de chauffe est un signe de
grave danger; un gorille sur le pont du navire signifie nau-
frage rapide. L’apparition de tels gorilles, sous la forme de ces
dictateurs politiques qui tentent d’accomplir par brutalité cal-
culée et par agression ce qu’ils n’ont pas l’intelligence et la
grandeur de faire par un comportement plus humain, indique
sur quels fondements insuffisants et traitres la machine repose
aujourd’hui. Car, et c’est encore plus désastreux que la destruc-
tion purement physique des machines par les barbares, elle
menace de détourner les forces motrices humaines, de décou-
rager les phénoménes coopératifs de pensée et. de recherche
désintéressée auxquels nous devons la plupart de nos réalisations
techniques.
260
PHENOMENES DE COMPENSATION
261
TECHNIQUE ET CIVILISATION
d’espéces animales. Le sport au sens d’un spectacle de masses,
avec la mort comme stimulant sous-jacent, apparait lorsqu’une
population a été entrainée, enrégimentée et déprimée a tel point
qu’il lui faut participer au moins par personnes interposées aux
actes difficiles de force, d’habileté ou d’héroisme afin de réveiller
son sens diminué de la vie. Les jeux du cirque et, si les spec-
tacles sont trop doux pour exciter la vie, les exploits sadiques
et le sang sont caractéristiques des civilisations décadentes :
Rome sous !es Césars, le Mexique au temps de Montezuma, I’ Alle-
magne sous les nazis. Ces formes de virilité et de bravade par
substitution sont les signes les plus sQrs d’une impuissance col-
lective et de vceux morbides. On trouve partout aujourd’hui les
symptémes dangereux de cette ultime décadence de la civilisation
machiniste sous |’aspect des sports de foules.
L’invention de nouvelles formes de sport et la conversion du
jeu en sport sont les deux marques distinctives du dernier siécle.
Le base-bali est un exemple de la premiére, la transformation du
tennis et du golf en tournois, 4 notre époque méme, est un
exemple de la seconde. A !’encontre du jeu, le sport existe dans
notre civilisation mécanique, méme dans sa manifestation la plus
abstraite possible : la foule qui ne va pas au match de football se
pressera dans la métropole autour des affiches donnant les résul-
tats. Si elle ne voit pas l’aviateur terminer un vol record autour
du monde, elle écoute a la radio le reportage de son arrivée et
entend les acclamations frénétiques de la foule sur le champ
d’aviation. Si le héros essaye d’échapper aux réceptions et pa-
rades publiques, il est considéré comme un tricheur. Parfois,
dans les courses de chevaux par exemple, les éléments sont
réduits aux noms et aux paris. La participation ne va pas plus
loin que le journal et le pari mutuel, pourvu que 1’élément de
hasard s’y trouve. Puisque le but principal de notre routine
mécanique dans l|’industrie est de réduire le domaine du hasard,
c’est dans la glorification du hasard et de l’inattendu par le
sport que les éléments exclus par la machine reviennent A Ja vie,
en général, avec une charge accumulée d’émotion. Dans les for-
mes récentes de sport de foules, comme les courses d’avions ou
d’autos, l’excitation du spectacle est intensifiée par la promesse
de mort immédiate ou de blessure mortelle. Le cri d’horreur qui
s’échappe de la foule quand la voiture se retourne ou que 1’aéro-
plane s’écrase au sol n’est pas un cri de surprise, mais d’attente
satisfaite. N’est-ce pas, au fond, pour l’excitation.de ce gofit du
sang que l’on organise cette compétition et qu’elle a un public
nombreux ? Grdce au cinéma parlant, ce spectacle et ce frisson
se répétent dans des milliers de salles du monde entier, comme
un simple incident dans la présentation des nouvelles de la
semaine.
262
PHENOMENES DE COMPENSATION
Ainsi, l’accoutumance au sang, aux exhibitions mortelles et au
suicide accompagne l’expansion de la machine et, familiarisée
par la répétition sous ses formes les plus douces, encourage la
demande pour des exhibitions brutales plus massives et déses-
pérées.
Le sport présente trois éléments principaux : le spectacle, la
compétition et la personnalité des gladiateurs. Le spectacle intro-
duit lui-méme 1’élément esthétique qui fait défaut si souvent dans
l'environnement industriel paléotechnique. La course ou le jeu
s’accomplissement dans un cadre de spectateurs étroitement
massés. Les mouvements de cette masse, ses cris, ses chants,
ses encouragements sont l’accompagnememt constant du spectacle.
Elle joue le réle du choeur antique dans le nouveau drame de la
machine, annongant ce qui va se produire et soulignant les inci-
dents. Par sa place dans le chceur, le spectateur trouve son
délassement. Généralement privé de toute association physique
étroite par son travail impersonnel, il est maintenant confondu
avec un groupe primitif indifférencié. Ses muscles se contractent
ou se dilatent au cours du jeu, sa respiration s’accélére ou se
ralentit, ses hurlements augmentent |’excitation du moment et
son sens intérieur du drame. Dans les moments de frénésie, il
tape dans le dos de son voisin ou il l’embrasse. Le spectateur a
l’impression de contribuer par sa présence a la victoire de ses
favoris, et souvent, plus d’ailleurs par hostilité envers l’ennemi
que par encouragement de ses amis, il exerce effectivement une
action sur la lutte. Il se libére du réle passif qu’il a joué : prendre
des ordres et les exécuter automatiquement, réduire sa personne
a un élément neutre. Dans le stade, le spectateur a l’illusion
d’étre completement mobilisé et utilisé.
D’ailleurs, le spectacle en lui-méme est l'une des plus riches
satisfactions du sens esthétique que la civilisation machiniste
puisse offrir & ceux qui ne connaissent pas d’autre forme de
culture. Le spectateur connait le style de ses favoris, 4 la facgon
dont le peintre connait la facture et la palette de son maitre, ct
il réagit aussi bien au succés du joueur qu’au spectacle esthé-
tique. Cet aspect a été développé dans les courses de taureaux.
Mais 11 s’applique évidemment Aa tous les sports. II reste cepen-
dant un conflit entre le désir d’une bonne performance et le
désir d’un dénouement brutal : blessure ou mort d’un ou de
plusieurs antagonistes.
Dans la compétition, deux éléments entrent en conflit : le
hasard et le record. Le hasard est la sauce qui stimule 1’excita-
tion du spectateur et augmente son goit du risque : les courses
de chiens ou de chevaux sont aussi efficaces dans ce domaine que
les jeux qui impliquent une grande habileté humaine. Mais les
habitudes du régime machiniste sont aussi difficiles a combattre
263
TECHNIQUE ET CIVILISATION
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PHENOMENES DE COMPENSATION
une affaire d’argent. Des millions sont investis dans les stades,
l’équipement et les joueurs, et le maintien du sport est aussi
important que le maintien de tout autre mécanisme lucratif. La
technique du sport de foules contamine les autres activités : les
expéditions scientifiques, les explorations géographiques sont
conduites comme une course ou une lutte — et pour la méme
raison. Affaire commerciale, récréation ou spectacle de foule, le
sport est toujours un moyen : méme lorsqu’il est réduit A des
exercices athlétiques ou militaires exécutés en grande pompe
dans le stade, le but est toujours de remporter le chiffre record
d’une foule de participants et de spectateurs et de justifier ainsi
le succés ou l’importance du mouvement représenté. Ainsi le
sport, qui a l’origine fut vraisemblablement une réaction spon-
tanée contre la machine, est devenu un devoir de masses 4 l’Age
de la machine. II fait partie de cette enrégimentation universelle
de la vie — pour les profits privés ou les exploits nationalistes —
a laquelle son excitation procure un soulagement temporaire et
superficiel. Le sport a fini par étre une des réactions les moins
efficaces contre la machine. II y en a qu’une autre qui le soit
moins dans son résultat final, plus ambitieuse en méme temps
que plus désastreuse, je veux dire la guerre.
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FPHENOUMENES DE COMPENSATION
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FELTING OUL Lt MVE V £EsE OLE EAS IN
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FHENOMENES DE COMPENSALION
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RRA SR BAIN Eee tay eel sat WSs VY Sse LEE AAA LY
~
274
PHENOMENES DE COMPENSATION
raient osé l’imaginer. D’autres aspects de la machine sont au
contraire, insignifiants. D’autres enfin, comme la guerre moderne
mécanisée, sont délibérément hostiles 4 tout idéal _d’humanité,
méme a l’idéal démodé du soldat qui risquaient sa vie dans
un combat a armes égales. Dans ces derniers cas, le probléme
est d’éliminer ou de soumettre la machine, 4 moins que nous
ne désirions étre éliminés nous-mémes. Car ce ne sont pas |’au-
tomatisme, la standardisation et l’ordre qui sont dangereux. Ce
qui est dangereux, c’est la restriction de la vie qui accompagne
si souvent leur acceptation ignorante. Par quelle logique absurde
devons-nous nous incliner devant notre création, si c’est une ma-
chine, et la dédaigner comme étant « irréelle », si c’est une pein-
ture, un poéme ou un idéal moral? La machine est, autant qu’un
poéme, une création de la pensée. Ceux qui utilisent la machine
quand ils ont besoin de réagir directement sur la vie ou d’em-
ployer les arts humains sont autant dans l’erreur que s’ils étu-
diaient la métaphysique pour apprendre & cuire le pain. Dans
chaque cas, la question est : Quelle est la réaction appropriée de
la vie? Dans quelle mesure cet instrument facile-t-il les buts bio-
logiques ou les fins idéales de la vie?
Toute forme de vie, comme I’a dit Patrick Geddes, est mar-
quée non seulement par l’adaptation au milieu, mais par la ré-
volte contre lui. Elle est Aa la fois créature et création, victime
du sort et maitresse de la destinée, elle ne vit pas moins par la
domination que par l’acceptation. Chez l’homme, cette rébellion
atteint son apogée et se manifeste plus complétement dans l’art
ou le réve et la réalité, l’imagination et les conditions qui la
limitent, l’idéal et les moyens sont fusionnés dans l’acte dyna-
mique de l’expression et dans le corps qui en résulte. En tant
qu’étre doué d’un héritage social, l’homme appartient a un
monde qui comprend le passé et le futur, dans lequel il peut, par
ses efforts sélectifs, créer des voies et des fins qui ne dérivent
pas de la situation immédiate, et modifier la direction aveugle
des forces insensibles qui l’entourent.
Reconnaitre ce fait est peut-étre le premier pas pour traiter
rationnellement avec la machine. Nous devons abandonner le
biais futile et lamentable de résistance 4 la machine par de ridi-
cules chutes dans la sauvagerie, par le recours aux anesthési-
ques et aux pare-chocs. Bien qu’ils puissent temporairement sou-
lager, ils font finalement plus de mal qu’ils n’en évitent. D’au-
tre part, les avocats les plus objectifs de la machine doivent
reconnaitre la validité humaine sous-jacente de la protestation
romantique contre elle. Les éléments incarnés d’abord dans le
mouvement romantique en littérature et en art sont des parties
essentielles de I’héritage humain qui ne peuvent étre négligées
ou repoussées : ils indiquent une synthése plus compréhensive
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une vertu. Pour ces derniers, l’absence de l’art était une preuve
d’utilité.
Si la machine avait vraiment manqué de valeurs culturelles,
les romantiques auraient eu raison et leur désir de rechercher ces
valeurs dans le passé aurait été justifié par ce cas désespéré.
Le réel et l’utilité dont les industriels faisaient le seul critére de
intelligence n’étaient que deux éléments parmi toute une série
de valeurs nouvelles nées du développement de la technique nou-
velle. Réalisme et utilitarisme avaient généralement, dans les civi-
lisations précédentes, été traités avec dédain par les classes
Oisives, tout comme si la succession logique des propositions
était un fait technique plus noble que les engrenages des ma-
chines. L’intérét pour l’utilitaire était représentatif du monde
plus large et plus conscient dans lequel on commengait 4 vivre —
monde dans lequel les tabous de classe et de caste ne pouvaient
plus, confrontés avec les événements et les expériences, étre consi-
dérés comme définitifs. Le capitalisme et la technique avaient
dissout ces restes d’erreurs. Ainsi furent-ils d’abord d’importants
libérateurs de la vie.
Dés le début la conquéte la plus durable de la machine, ce ne
furent pas les instruments eux-mémes, vite démodés, ni les pro-
duits, vite consommés, mais les modes de vie qu’elle rendait pos-
sibles. L’esclavage de la machine était aussi une éducation.
Si la machine renforca l’asservissement du salariat, elle promet-
tait aussi une libération des surhommes. Elle stimulait la pensée
et l’effort comme aucun systéme technique ne l’avait jamais
fait. Aucune partie de l’environnement, aucune convention sociale,
ne pouvaient étre acceptées sans examen, du moment que la
machine montrait combien l’ordre, le systéme et 1’intelligence
pouvaient prévaloir sur la nature brute des choses.
La contribution permanente de la machine transmise de géné-
ration en génération, c’est la méthode de pensée et d’action
coopérative qu’elle a développée, la pureté esthétique de ses
formes, la logique délicate des matériaux et des forces, qui ajou-
térent aux arts un nouveau canon — celui de la machine. Et
par-dessus tout, peut-étre, c’est la naissance d’une personnalité
plus objective, favorisée par les échanges plus intelligents et plus
compré¢hensifs grace & ces nouveaux instruments sociaux et a
leur assimilation culturelle consciente. En projetant un aspect
particulier de la personnalité humaine dans les formes concrétes
de la machine, nous avons créé un environnement indépendant
qui a réagi sur tous les autres aspects de la personnalité.
Jadis, les aspects irrationnels et démoniaques de la vie avaient
envahi des sphéres auxquelles ils n’appartenaient pas. C’était
faire un pas en avant que de découvrir que le lait caillait 4 cause
de bactéries et non A cause de petits lutins, que pour les trans-
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progrés. On ne rend pas un enfant puissant parce qu’on lui met
de la dynamite entre les mains. On ne fait qu’ajouter aux dan-
gers que fait courir son irresponsabilité. Si les hommes devaient
rester des enfants, ils auraient un pouvoir plus efficace en étant
réduits a utiliser un morceau d’argile et un vieil outil 4 modeler.
Mais si la machine est une aide que |’homme a créée pour attein-
dre une plus grande maturité intellectuelle, s’il considére que ce
puissant automate exalte son propre développement, si les arts
exacts nés de la machine enrichissent l’esprit et aident & cris-
talliser l’expérience, alors toutes ces contributions sont vitales.
La machine, qui a atteint des dimensions si écrasante dans la
civilisation occidentale, en partie parce qu’elle a jailli d’une cul-
ture qui s’est disjointe pour se tourner d’un seul cété, peut cepen-
dant aider 4 agrandir le domaine de la culture et ainsi & cons-
truire une plus vaste synthése. Dans ce cas elle sera 1’antidote
de son propre poison. Aussi considérons la machine de plus prés
en tant qu’instrument de culture et examinons comment nous
avons commencé, au siécle dernier, a l’assimiler,
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emploie, ses yeux, avec leur champ de vision limité et leur insen-
sibilité aux rayons ultra-violets et infra-rouges, ses mains qui
ne peuvent tenir et manier simultanément qu’un nombre limité
d’objets, son esprit qui tend a créer des catégories binaires et
ternaires parce que, A moins d’un entrainement intensif, c’est
demander un effort excessif 4 son intelligence que d’agiter plu-
sieurs idées ensemble comme un musicien manie les notes de
piano — et plus encore, ses microscopes et ses balances — portent
tous la marque de son caractére aussi bien que les caractéristi-
ques générales imposées par l’environnement physique. Ce n’est
que par un processus de raisonnement et de déduction — lui-
méme non exempt de la couleur de ses origines — que l’homme a
établi le calme royaume de la nature. L’homme peut définir arbi-
trairement la nature comme la partie de son expérience qui reste
neutre en face de ses désirs et & ses intéréts. Mais lui, avec ses
désirs et ses intéréts, pour ne rien dire de sa constitution chi-
mique, a été formé par la nature et ne peut éviter de faire partie
du systéme de la nature. Une fois qu’il a puisé et choisi dans
ce royaume, comme il le fait dans la science, le résultat est une
ceuvre d'art, son art : certainement, il n’est plus A létat de
nature.
Dans la mesure ot le culte de la nature a procuré aux hommes
une expérience plus large, leur a fait se découvrir dans un envi-
ronnement jusque-la inexploré et leur a fait isoler du laboratoire
des corps qui leur permettront de faire de nouvelles découvertes,
il a exercé une bonne influence. L’homme devrait se trouver
aussi & l’aise parmi les étoiles qu’au coin de son feu. Bien que
le nouveau canon de l’ordre repose sur une base esthétique
autant qu’intellectuelle, la nature extérieure n’a pas finalement
d’autorité indépendante. Elle existe en tant que résultat de l’ex-
périence collective de l’humanité, et en tant que sujet de ses
progrés ultérieurs dans les sciences, la technique et les arts
humains.
Le mérite de ce nouvel ordre était de donner a l’homme, par
projection, un monde extérieur qui l’aidait A transférer le monde
spontané de désirs qu’il portait en lui. Mais le nouvel ordre, la
nouvelle impersonnalité n’étaient qu’un fragment transplanté de
l'ensemble de la personnalité. Ils avaient fait partie de 1l’homme
avant qu’il ne les sépare et ne leur donne un milieu et un sys-
teme indépendants. La compréhension et la transformation de
ce monde « externe » impersonnel de la technique fut une grande
révélation pour les peintres, les artistes et les poétes des trois
derniers siécles. L’art est le rétablissement de la réalité, d’une
réalité purifi¢e, libérée des contraintes et des accidents imprévus,
non entravée par les circonstances matérielles qui troublent 1’es-
sentiel. Le passage de la machine dans I’art fut en lui-méme un
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cinéma : les arts spécifiques de la machine, que 1’on retrouve le
mieux ce développement.
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seul systéme. Mais l’axe des événements restait fixé, pour ainsi
dire, dans un seul cadre établi 4 une distance donnée de 1’obser-
vateur, dont on posait naivement en principe l’indépendance vis-
é-vis du systéme. Aujourd’hui, dans le cinéma, qui symbolise nos
erceptions et nos sentiments, le temps et l’espace ne sont pas
seulement coordonnés sur un méme axe, ils le sont par rapport A
un observateur qui, lui-méme, par sa position, détermine en
partie l’image, et qui n’est plus fixe mais mobile. Le cinéma,
avec ses gros plans et ses vues synoptiques, ses événements
changeants et l’ceil toujours présent de la caméra, ses formes
spatiales toujours échelonnées dans le temps, sa capacité de
représenter des objets qui s’interpénétrent et de juxtaposer des
environnements éloignés — comme dans les communications ins-
tantanées — enfin, par sa possibilité de représenter des éléments
subjectifs, des déformations, des hallucinations, est aujourd’hui
le seul art qui peut représenter de facon suffisamment concréte
la vue du monde qui émerge et qui différencie notre culture de
toutes celles qui l’ont précédée.
Méme avec des sujets faibles et ordinaires, le septiéme art
rassemble des intéréts et capte des valeurs que négligent les arts
traditionnels. Seule la musique, jusqu’alors, avait représenté le
mouvement dans le temps. Mais le cinéma fait la synthése de ce
mouvement 4 la fois dans le temps et dans l’espace; par le fait
méme qu’il coordonne les images visuelles avec le son et qu’il
libére chacun de ces éléments des frontiéres de |’espace apparent
et d’une localisation fixe, il apporte 4 notre image du monde
quelque chose de plus que |’expérience directe. Utilisant notre
expérience quotidienne du mouvement dans le train ou 1’automo-
bile, le cinéma recrée sous une forme symbolique un monde qui
est au dela de notre perception directe ou de notre portée. Ce
n’est pas un mince triomphe pour I’assimilation culturelle.
Bien qu’il ait été stupidement employé, le cinéma par lui-méme
s’annonce cependant comme un art majeur de la phase néotech-
nique. La machine nous apporte une possibilité nouvelle de com-
prendre le monde que nous avons contribué a créer.
Mais, en art, il est évident que la machine est un instrument
aux possibilités multiples et opposées. Elle peut étre substituée
passivement A l’expérience. Elle peut contrefaire les formes d’art
plus anciennes, elle peut aussi servir 4 concentrer, 4 intensifier
et A exprimer de nouvelles formes d’expériences. En tant que
substitut a l’expérience directe, la machine, tout comme le
microscope, est inutile si la vue est percante, tout l’appareil mé-
canique de l’art n’a de valeur que s’il développe dans la culture
les aptitudes organiques, physiologiques et spirituelles qui repo-
sent sur son emploi.
M. Waldo Franck a bien dit que « l’art ne peut devenir un
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dans la maniére dont fut d’abord affronté, évité et finalement
résolu le probléme de la conception des machines.
L’un des premiers produits de la machine fut la machine elle-
méme. Dans l’organisation des premiéres usines, les considéra-
tions étroitement pratiques primaient tout, et tous les autres
besoins de la personne étaient mis de cété. La machine fut 1’ex-
pression directe de ses propres fonctions. Le premier canon, les
premi¢res arbalétes, les premiéres machines A vapeur étaient tous
construits uniquement en vue de l’action. Une fois résolus les
premiers problémes d’organisation et d’opération, le facteur
humain, qui avait été négligé, avait besoin d’étre, d’une maniére
ou d’une autre, réintégré. Le seul précédent A cette intégration
plus compléte se trouvait naturellement dans l’artisanat. C’est
pourquoi, aux formes incomplétes, partiellement réalisées des
premiers canons, des premiers ponts, des premi¢res machines, on
ajouta une note décorative de mauvais gofit : simple souvenir
des heureuses fantaisies, 4 demi magiques, que la peinture et la
sculpture avaient jadis ajouté 4 tous les objets artisanaux. C’est
sans doute parce que |’énergie de la période éotechnique fut tout
entiere absorbée par les problémes techniques qu’elle fut, du
point de vue de la conception, si étonnamment claire et directe.
L’ornement fleurissait dans les utilités de la vie, quelquefois de
facon extravagante et perverse, mais on le chercherait en vain
sur les machines décrites par Agricola, Besson ou les ingénieurs
italiens. Elles sont aussi directes et objectives que 1’était l’archi-
tecture du X° au XIII® siécle.
Les plus grands pécheurs — c’est-a-dire les sentimentaux les
plus évidents — furent les ingénieurs de la période paléotech-
nique. Déflorant impitoyablement l’ensemble de 1’environnement,
ils souhaitaient se venger de leurs échecs en ajoutant des fiori-
tures aux nouvelles machines qu’ils créaient. Ils embellissaient
les machines A vapeur avec des colonnes doriques, les dissimu-
laient en partie derri¢re des broderies gothiques. Iis décoraient
les cadres de leurs presses et de leurs machines automatiques
avec des arabesques en fonte, ils percaient des trous-ornements
dans l’armature métallique de leurs structures nouvelles, depuis
les travées de l’aile ancienne du Métropolitan Museum jusqu’a
la base de la tour Eiffel 4 Paris. Partout prédominaient des
habitudes analogues : hommage de l’hypocrisie A l’art. On
remarque de semblables efforts dans les premiers radiateurs de
chauffage central, dans la décoration florale des machines a
écrire, dans les ornements indescriptibles qui subsistent encore
bizarrement sur les fusils et les machines 4 coudre — méme s’ils
ont fini par disparaitre des caisses enregistreuses et des wagons
Pullman — tout comme, longtemps auparavant, dans les pre-
miéres incertitudes de la technique nouvelle la méme séparation
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dans sa fatuité — que c’était le primitif qui faisait la meilleure
affaire.
Mais cette forme de vétement et de bijouterie indiquait le but
de la production machinique. Le but dans lequel chaque objet
serait apprécié directement d’aprés sa fonction mécanique vitale
et sociale, indépendamment de son état financier, du snobisme
de castes ou des sentiments périmés d’émulation historique.
Cette guerre entre une esthétique saine de la machine et ce
que Veblen appelle les « nécessités de faire riche » a encore un
autre aspect. Notre technologie moderne, dans son organisation
interne, a produit une économie collective et ses produits carac-
téristiques sont des produits collectifs. Quelle que soit la politi-
que d’un pays, la machine est égalitaire. De 14 viennent les pro-
fondes contradictions et les conflits qui se sont maintenus dans
l’industrie machinique depuis la fin du XVIII® siécle. A tous les
stades de la technique, le travail représente une collaboration
d’innombrables ouvriers, utilisant eux-mémes un héritage tech-
nologique large et ramifié. L’inventeur le plus ingénieux, le sa-
vant isolé le plus brillant, le dessinateur le plus habile ne con-
tribuent qu’en partie au résultat final. Le produit lui-méme porte
la méme empreinte impersonnelle, il fonctionne ou il ne fon-
tionne pas, suivant des principes enti¢rement impersonnels. I] ne
peut y avoir de différence qualitative entre l’ampoule électrique
d’une force donnée d’un homme pauvre et celle d’un homme ri-
che qui indiquerait une différence de niveau économique dans
la société, bien qu’il y ait eu jadis une différence énorme entre
la chandelle poisseuse, la veilleuse du paysan, et les bougies de
cire ou d’huile de baleine employées par les classes supérieures
avant l’invention du gaz et de 1’électricité.
Ce qui distingue réellement la technique moderne du point de
vue social cependant, c’est de tendre 4 éliminer les distinctions
sociales. Son but immédiat est le travail effectif. Les moyens
sont la standardisation, l’accent sur le générique et le type.
Bref, un effort d’économie avouée. Son but ultime est le loisir,
c’est-a-dire la libération des autres capacités organiques.
Le puissant cété esthétique de ce phénoméne social a été obs-
curci par les intéréts pécuniaires et pragmatiques spéciaux qui
se sont insérés dans rotre technologie et se sont ajoutés a ses
fins légitimes. Malgré cette déviation des efforts, nous avons du
moins commencé 4 comprendre ces valeurs nouvelles, ces formes
nouvelles, ces modes d’expression nouveaux.
Toute partie effective de cet environnement représente |’effort
de l’esprit collectif pour élargir le domaine de l’ordre, du contréle
et de la prévoyance. Finalement, ces formes perfectionnées com-
mencent A prendre un intérét humain, indépendamment de leurs
performances pratiques. Elles tendent a produire cette sérénite
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ration, des systémes de ventilation, de chauffage et de climati-
sation qui compose une maison moderne, ou quand on compare
le pavage des anciennes rues, posé directement sur le sol, avec
le réseau de cables, de canalisations et de systémes souterrains
qui court sous l’asphalte, on ne peut douter de la complication
mécanique de notre existence moderne.
Mais, justement parce qu’il y a tant d’organes physiques, que
tant de parties de notre environnement requiérent constamment
notre attention, nous avons besoin de nous préserver contre la
fatigue d’avoir affaire 4 tant d’objets, ou d’étre stimulés sans
nécessité par leur présence, pendant que nous accomplissons les
nombreuses obligations qu’ils imposent. Aussi la simplification
externe du monde mécanique est-elle presque un moyen détourné
d’affronter sa complication interne. Afin de pouvoir réduire la
succession constante des stimuli, il faut que l’environnement lui-
méme devienne le cadre de nombreux arts artisanaux, qui s’ef-
forcent d’éduquer 1’ceil, de fournir a l’esprit de quoi jouer, de
revendiquer une attention spéciale pour eux-mémes. Pour que
le canon de l'économie et le respect de la fonction ne soient pas
enfouis dans la technique moderne, ils devraient dériver de notre
réaction psychologique contre la machine. Ce n’est qu’en obser-
vant ces principes esthétiquement qu’on pourra réellement assi-
miler le chaos des stimuli.
Sans la standardisation, la répétition, l’effet neutralisant de
l’habitude, notre environnement mécanique pourrait bien, en rai-
son de son rythm et de ses sollicitations continues, étre trop for-
midable. Dans les branches qui n’ont pas été suffisamment sim-
plifiées, il excéde les limites supportables. La machine produit
ainsi, par ses manifestations esthétiques, &4 peu prés le méme
effet que le cadre conventionnel du savoir-vivre dans les échanges
sociaux. Elle supprime la contrainte du contact et des adapta-
tions. La standardisation des maniéres est un pare-chocs psycho-
logique. Elle permet aux échanges entre les personnes et les
groupes de se produire sans avoir besoin de 1’exploration et la
compré¢hension préliminaires nécessaires pour une adaptation
plus profonde. Dans le domaine de |’esthétique, cette simplifica-
tion a encore un autre usage. Elle permet la perception de peti-
tes déviations et variations, par rapport aux normes prévalen-
tes, le rafraichissement psychologique qui ne se produisait qu’a-
vec des changements d’autant plus grands que les conditions ou les
variations étaient attendues et la standardisation exceptionnelle.
A. N. Whitehead a fait remarquer que |’un de nos principaux de-
fauts, en littérature, était de penser le passé ou le futur a 1’é-
chelle de milliers d’années avant ou aprés, alors qu’en réalité,
pour avoir l’expérience de la nature organique du passé ou du
futur, il faut penser dans l’ordre de la seconde ou d’une fraction
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nement naturel si nous les remplagons par les dangers que nous
font courir des hommes brutaux et avides de pouvoir. A quoi
sert d’avoir conquis la nature si nous devenons la proie de la
nature sous forme d’hommes déchainés?
A quoi sert a l’humanité de posséder des moyens puissants
pour se déplacer, batir et communiquer, si le résultat final de ce
ravitaillement assuré et de cette organisation excellente est de
couronner les instincts morbides d’une humanité opposée?
En développant le monde de la science neutre et sans valeur,
en faisant progresser les fonctions instrumentales et adaptatrices
de la machine, nous avons abandonné 4 1’égoisme non contrélé
de l’humanité la maitrise d’une puissance gigantesque, et la
technique des machines a envahi l’existence. En avancant trop
vite et trop imprudemment dans le domaine des perfectionne-
ments mécaniques, nous n’avons pas réussi 4 assimiler la ma-
chine et A l’adapter aux capacités et aux besoins humains. En
croyant, avec notre retard social et notre aveuglement, que les
problémes soulevés par la machine ne pouvaient étre résolus que
par des moyens mécaniques, nous nous sommes dépassés nous-
mémes. Quand on soustrait des bienfaits évidents de la machine
les quantités de temps, d’esprit, d’énergie et de ressources con-
sacrés a la préparation de la guerre, pour ne rien dire du far-
deau des guerres passées — on comprend que le gain net est
étonnamment petit et que le « progrés », qui consiste en des
moyens de destruction encore plus efficaces, devient de plus en
plus minime. L’échec dans ce domaine est l’exemple typique d’un
échec courant sur toute la ligne.
Le déclin de la foi en la machine a encore une autre origine;
on a compris que servir la machine c’était, naguére, servir l’en-
treprise capitaliste. Nous entrons dans une phase de dissociation
du capitalisme et de la technique. Nous commencons 4 voir, avec
Thornstein Veblen, que leurs intéréts respectifs, loin d’étre iden-
tiques, sont souvent opposés et que les gains humains réalisés
grace a la technique ont été détournés par la perversion des
intéréts qui entrent en jeu dans une économie d’argent. Nous
constatons en outre que beaucoup de gains dans la productivité,
dont s’était vanté le capitalisme, sont dus en réalité 4 des facteurs
tout a fait différerts — pensée collective, action coopérative et
habitudes générales d’ordre —, qualités qui ne sont pas nécessai-
rement liées 4 l’entreprise capitaliste. Perfectionner et augmen-
ter ia portée des machines, sans donner un sens humain aux
organes d’action et de contréle social, c’est créer de. dangereuses
tensions dans la structure de la société. Grdce au capitalisme, la
machine a été suremployée, suragrandie, surexploitée, A cause
des opportunités de profit. Le probléme de l’intégration de la
machine dans la société n’est pas seulement, comme je 1’ai fait
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nique. La matiére, 4 la fois dans les organismes bruts et dans les
corps organisés, pouvait étre décrite comme des systémes d’é-
nergie parvenus A des états d’équilibre plus ou moins stable, plus
ou moins complexe.
Au XVIIP* siécle, on se représentait le monde comme une série
de systémes indépendants. D’abord, le monde mort de la phy-
sique, le monde de la matiére et du mouvement, dont on pouvait
faire une description mathématique exacte. Puis, inférieur du
point de vue de Il’analyse objective, il y avait le monde des orga-
nismes vivants, royaume mal défini, sujet aux intrusions d’une
entité mystérieuse : le principe vital. Enfin, il y avait le monde
de l’homme, étre étrange qui était un automate mécanique par
rapport au monde de la physique, mais un étre indépendant dont
le destin était au ciel pour le théologien. Aujourd’hui, au lieu de
ces systémes paralléles, le monde est con¢cu comme un seul sys-
téme. S’il n’est pas encore possible de l’unifier en une seule
formule, il est encore moins possible de le concevoir sans un
ordre sous-jacent qui apparaisse dans toutes ses manifestations.
Les parties de la réalité qui peuvent étre réduites A un ordre
apparent, A des lois, 4 un jugement quantitatif ne sont pas plus
réelles ou définitives que celles qui restent obscures et illusoires.
En fait, quand elle est appliquée 4 contretemps, a mauvais
escient, ou avec un contexte faux, l’exactitude de la description
peut augmenter l’erreur d’interprétation. Toutes nos données
vraiment primordiales relévent de la société et de la vie. On com-
mence par la vie et on la connait, non comme un fait brut, mais
parce qu’on a conscience de la société humaine et qu’on utilise
les outils et les instruments que la société a développé tout au
long de V’histoire : les mots, les symboles, la grammaire, la
logique, bref toute la technique des communications et de l’expé-
rience fondée. Le savoir le plus abstrait, la méthode la plus im-
personnelle dérivent de ce monde de valeurs socialement ordon-
nées. Au lieu d’accepter le mythe victorien d’une lutte pour la
vie dans un univers aveugle et sans signification, il faut, avec
le professeur Lawrence Henderson, le remplacer par 1l’image
d’une association d’aide mutuelle, dans laquelle la structure phy-
sique de la matiére elle-méme, et la distribution des éléments sur
l’écorce terreste, leur quantité, leur solubilité, leur poids spéci-
fique, leur distribution et leur composition chimique, alimentent
et prolongent la vie. La plus rigoureuse des descriptions scien-
tifiques révéle que la vie, de facgon interne, est éloignée de la
logique}.
Maintenant les changements dans nos conceptions sont rare-
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TECHNIQUE ET CIVILEISATION
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TECHNIQUE ET CIVILESATION
schéma humain de vie, que tout ordre mécanique que nous proje-
tons doit convenir a l’ordre plus vaste de la vie. Au-dela de la
reconstruction intellectuelle nécessaire, qui se manifeste déja
dans la science et la technique, nous devons batir des centres
plus organiques de foi et d’action dans les arts de la société et
la discipline de la personnalité. Cela implique une nouvelle orien-
tation qui nous ménera bien au dela du domaine immédiat de la
technique. Ce sont les questions touchant 4 la construction des
communautés, la conduite des groupes, le développement des
arts de communication et d’expression, 1’éducation et l’hygiéne
de la personnalité, que j’ai l’intention de traiter dans d’autres
ouvrages de cette série. Ici je me contenterai d’attirer l’attention
sur les réadaptations coordonnées qui sont clairement indiquées
et déja en partie formulées dans le domaine de la technique et
de l'industrie.
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ORIENTATION
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TECHNIQUE ET CIVILESATION
322
a
tT. L’ASSIMILATION ESTHETIQUE
ae
17. SCULPTURE de Constantin Brancusi. Abs- 48. LES METALLURGISTES, peinture murale dt
paction, respect de la matiére, précision, mo- Thomas H. Benton. Représentation de 1'élé-
ulations délicates, impersonnalité. ment dramatique dans J’industrie moderne et
de lV’héroisme quotidien, qui souvent rivalise
avec celui du champ de bataille.
19. ELEVATEUR A BLE. Effet esthétique tiré de
. simplicité, de la plénitude, de la répétition
t2s formes élémentaires, et encore augmenté 50. TABLE DE PETIT DEJEUNER par Fernand
tar l’échelle colossale. Voir a ce sujet I’inté- Léger. Transposition mécanique du vivant et
ssante étude de Worringer sur lEgypte et de l’organique. Démembrement des formes na-
Amérique. turelles et réinvention graphique.
MIVe VARE
MODERNE DE
LA MACHINE
323
TECHNJQUF.
TECHNIQUE ET CIVILISATION
324
ORIENTATION
de loisirs, de distractions, d’absorption, d’activité créatrice, d’é-
changes et de transmission manquerait complétement de sens et
de caractére humain. Dans V’histoire des groupes humains il y
a eu évidemment des périodes de famine, d’inondations, de trem-
blements de terre et de guerres, ot l’homme lutte en vain avec
l'environnement et n’assure méme pas la simple survie physi-
que. Il y a des moments ot: le phénoméne social tout entier est
brutalement interrompu. Toutefois, dans les formes de vie les
plus viles et les plus dégradées, il y a un aspect qui correspond,
du point de vue vital et psychologique, 4 la « création » dans les
formes les plus mauvaises de production, telles que celles qui
prévalurent a la période paléotechnique, il reste un surplus dont
l'industrie ne s’empare pas. On ne peut décider automatiquement
si ce surplus doit aller accroitre les procédés préparatoires ou s’il
doit étre dépensé en création. La tendance de la société capita-
liste est de le rejeter rapidement dans les procédés préparatoires
et d’augmenter la production en faisant pression sur la consom-
mation. Cela indique encore plus l’absence d’un critére social.
Le vrai sens social de la machine ne consiste pas dans la mul-
tiplication des biens ou des besoins, réels ou illusoires. Il réside
dans les gains d’énergie par |’augmentation de la conversion, la
production efficiente, la consommation équilibrée et la création
socialisée. Le test du succés économique ne réside donc pas dans
le seul processus industriel et ne peut étre mesuré par la quan-
tité de chevaux-vapeurs convertis ou commandés par un seul
usager. Les facteurs importants ne sont pas des quantités, mais
des rapports : rapports de l’effort mécanique aux résultats so-
ciaux et culturels. Une société dans laquelle la production et la
consommation annuleraient complétement les gains de la con-
version — dans laquelle les gens travailleraient pour vivre et
vivraient pour travailler — resterait socialement inefficace, méme
si toute la population était constamment active et convenable-
ment nourrie, vétue et logée.
Le test ultime de l’industrie efficiente, c’est le rapport entre
les moyens de production et les fins atteintes. Il en résulte qu’une
société ayant une faible échelle de conversion, mais un degré
élevé de création est, humainement parlant, supérieure a une
société qui posséde une grande panoplie de convertisseurs et une
petite armée mal adaptée de créateurs. Par le pillage forcené des
territoires nourriciers d’Asie et d’Afrique, |1’Empire romain s’ap-
propria plus d’énergie que la Gréce, avec son régime frugal et
sobre et son niveau de vie assez bas, n’en possédait au V° siécle.
Mais Rome n’a produit aucun poéme, aucune statue, aucune archi-
tecture originale, aucune ceuvre scientifique, aucune philosophie
comparables a |’Odyssée, au Parthénon, aux ceuvres des sculp-
teurs des VI° et V° siécles et a la science de Pythagore, d’Eu-
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ORIENTATION
le vent suffira vraisemblablement 4 répondre, 4 lui seul, aux
besoins normaux d’énergie.
Par l’emploi renouvelé de 1’électricité, du vent et de l’eau, on
pourra localiser la distillation destructrice du charbon prés des
mines, dans de nouveaux types de fours & cokes. Non seulement
cela économisera la quantité énorme d’énergie dépensée aujour-
d’hui dans les transports de combustible, du lieu d’extraction au
lieu d’utilisation, mais aussi cela conservera les précieux com-
posés qui se perdent aujourd’hui dans l’atmosphére, avec le gas-
pillage des foyers individuels. Théoriquement, cependant, de
telles économies d’énergie ne conduisent qu’A une plus grande
consommation, et ainsi 4 l’utilisation plus rapide de cela méme
que nous voulons conserver. D’ot la nécessité de créer un mono-
pole socialisé de ces matiéres premiéres et de ces ressources.
Le monopole privé des gisements de charbon et des puits de pé-
trole est un anachronisme intolérable, aussi intolérable que le
serait celui du soleil, de l’air, de l’eau courante. Les buts d’une
économie des prix et d’une économie sociale doivent étre récon-
ciliés. La propriété commune des moyens de convertir 1’énergie,
depuis les régions montagneuses boisées ou les torrents prennent
leur source jusqu’aux puits de pétrole les plus éloignés, est la
seule garantie de leur emploi et de leur conservation effectifs.
Nous ne serons en mesure d’éliminer librement les formes de tra-
vail servile qu’en augmentant la quantité d’énergie disponible,
ou lorsque cette quantité est limitée, en l’économisant le plus
intelligemment possible.
Ce qui est vrai pour la production d’énergie mécanique est
également vrai pour les formes organiques de production, telles
que la culture vivriére ou 1’extraction des matiéres premieres.
Dans cette branche, la société capitaliste a confondu propriété
avec sécurité de tenure et continuité de l’effort. En s’efforcant
de favoriser la propriété tout en maintenant la spéculation sur
le marché, elle a détruit la sécurité de tenure. Cette derniére con-
dition est nécessaire pour conserver le fermage. Tant que la com-
munauté elle-méme ne possédera pas la terre, la position du fer-
mier ne sera pas enviable. Le cété négatif de cette socialisation
du sol, c’est-a-dire l’achat des terres marginales impropres a
tout autre usage que la forét, a déja été réalisé, par exemple,
par l’Etat de New-York. II reste 4 accomplir le cété positif en
s’emparant des bonnes terres agricoles et en dressant un planning
judicieux pour en tirer le maximum.
Cette propriété et ce planning par la communauté ne signifient
pas nécessairement une culture 4 grande échelle. Les unités éco-
nomiques optima différent suivant le type de culture.
Les grandes unités mécanisées qui conviennent a la culture du
blé sont impropres aux autres genres de culture. Ce systéme de
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ORIENTATION
En un mot, pour économiser la production, nous ne pouvons
commencer ou finir par les machines et utilités physiques seules,
pas plus que la production efficace ne peut commencer et finir
dans une usine ou une industrie particuli¢re. Le procédé implique
Pintégration de l’ouvrier, la fonction industrielle et le produit,
tout comme ii implique une coordination plus poussée entre les
sources d’approvisionnement et les débouchés de la consomma-
tion. Nous n’avons guére, dans notre systéme actuel de produc-
tion, commencé 4a utiliser les énergies latentes que 1’on peut
trouver grace a l’organisation et au contrdéle social. Tout au
plus par-ci par-la avons-nous juste commencé 4 faire des échan-
tillons de rendement de ce genre.
Si nous n’avons fait que commencer a utiliser les énergies
latentes du personnel, il est également vrai que tout reste a
faire pour la distribution géographique des industries. Jusqu’a
présent, des choix accidentels et des occasions fortuites la com-
mandaient, il faut aujourd’hui l’élaborer rationnellement d’aprés
les ressources mondiales et pratiquer une recolonisation de la
population du globe dans les régions favorables 4 la vie humaine.
Ainsi, grace 4 un régionalisme économique, s’offre une nouvelle
série d’économies.
Les hasards de la manufacture originelle ou de la localisation
originelle des ressources ne peuvent continuer 4 servir de fac-
teurs prépondérants alors qu’on a reconnu de nouvelles sources
de matiéres premiéres et une nouvelle distribution des marchés.
D’ailleurs, la distribution néotechnique de 1’énergie favorise le
régionalisme, La concentration démographique dans les villes
miniéres ou les ports est le signe d’un marché du travail mal
organisé et du prix élevé des transports du charbon.
Une des grosses possibilités de l’économie, c’est l’abolition des
tiraillements, de l’habitude si répandue de porter de l’eau a la
riviére. Les négociants et les intermédiaires gagnent a allonger
la distance, dans l’espace et dans le temps, entre la production
et la consommation. Dans une distribution de l’industrie ration-
nellement préparée, ce parasitisme du transit devrait étre réduit
au minimum. Au fur et & mesure que les connaissances de la
technique moderne se répandent, les avantages spéciaux qui
viennent de la main-d’ceuvre qualifiée, de l’organisation et de
la science, qui furent d’abord le privilege de quelques pays, sur-
tout, au XIX° siécle, de l’Angleterre, tendent 4 devenir la pro-
priété commune de l’humanité. Les idées ne sont pas arrétées
par les barriéres douaniéres ou les conditions de fret. Notre
monde moderne, en transportant le savoir et l’habileté, a diminué
le besoin de transporter les marchandises. Les chaussures de
Saint-Louis sont aussi bonnes que celles de la Nouvelle-Angle-
terre, les textiles francais sont aussi bon que les textiles anglais.
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ORIENTATION
l’atelier de 1’Amérique. Au fur et & mesure que l’industrie méca-
nique se rationalise et s’adapte mieux A l’environnement, une vie
industrielle variée et multiple tend A se développer dans chaque
région humaine naturelle.
La réalisation de tous ces gains possibles nous méne bien
au dela de l’usine ou de |’industrie privée, bien au del des taches
courantes de |’administrateur ou de l’ingénieur. Elle requiert les
les services du géographe et de l’urbaniste régional, du psycho-
logue, de |’éducateur, du sociologue, de l’administrateur politique
qualifié. Seule peut-étre, 4 l’heure actuelle, la Russie posséde le
cadre nécessaire 4 ce planning dans ses institutions fondamen-
tales. A un degré plus ou moins haut, les autres pays, poussés
par la nécessité de mettre de l’ordre dans le chaos et la désor-
ganisation actuelle, vont dans la méme direction. La formation
du Zuyderzee, en Hollande, est un exemple de la multiple ratio-
nalisation de 1’industrie et de l’agriculture et de la construction
des unités économiques régionales indiquées plus haut.
Les modes de production les plus anciens n’ont exploité que les
procédés superficiels qui pouvaient étre mécanisés et ordonnés de
l’extérieur. Une économie sociale plus hardie s’attaquera 4 tous
les aspects du complexe industriel. L’organisation compléte des
éléments mécaniques, avec l’ignorance, les hasards et les cou-
tumes non critiqués qui dominent dans l’ensemble de la société,
fut la formule de l’entreprise capitaliste dans ses premieres
phases. Elle est périmée désormais. Elle n’atteignit qu’une faible
partie de la production potentielle dont le machinisme grossier
de jadis aurait été capable s’il avait pu supprimer les frictions,
contradictions et forces contrariées qui arrétaient perpétuellement
le flot des marchandises de la source 4 la consommation. Obtenir
du rendement dans le passé était une entreprise aussi désespérée
que le fameux probleme de Carlyle : étant donné une bande de
voleurs, tirer l’honnéteté de leur action concertée. Dans le détail,
nous conserverons, sans aucun doute, d’amirables pratiques et
des arrangements rationnels dérivés du capitalisme. Mais il est
tout a fait douteux que nous puissions conserver la société capi-
taliste elle-méme, tant les dissonances sont profondes, les fric-
tions inévitables. Humainement parlant, elle a épuisé ses pro-
messes. Nous avons besoin d’un systéme plus sfr, plus souple,
plus facilement adaptable, enfin plus favorable a la vie que celui
qu’a établi notre économie financiére étroite et tournée d’un seul
cété. Son rendement ne fut que l’ombre d’un rendement réel, sa
puissance gaspillée ne fut qu’un faible substitut a l’ordre, sa
productivité fiévreuse et ses effondrements bruyants, ses gaspil-
laves et sa confusion ne furent que les mauvaises contrefagons
d’une économie fonctionnelle qui pouvait réellement profiter de
la technique moderne.
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ORIENTATION
montrer que l’on y a échappé, ne se répandit dans la société qu’a
un stade assez avancé du capitalisme, bien qu’elle soit apparue
dans les rangs les plus élevés dés le commencement du régime
moderne.
Le dogme des besoins croissants, comme tant d’autres dogmes
de l’industrialisme et de la démocratie, apparut d’abord dans la
comptabilité et 4 la Cour, puis s’infiltra dans le reste de la société.
Quand les comptes abstraits en or ou en papier devinrent les
symboles de la puissance et de la richesse, les hommes commen-
cérent 4 apprécier une forme de marchandise qui n’avait, en fait,
pas de limites naturelles. L’absence de standards normaux se
manifesta d’abord chez les banquiers et les négociants qui avaient
réussi. Cependant, méme 14, ces standards s’attardérent encore
au XIX° siécle dans la coutume de se retirer des affaires aprés
avoir réussi, c’est-a-dire atteint les standards de sa propre classe.
L’absence d’une norme cofitumiére de consommation fut plus
apparente dans la vie extravagante de la Cour. Pour extérioriser
le désir de puissance, de richesse et de priviléges, les princes de
la Renaissance furent prodigues pour leur luxe privé et dépen-
sérent d’énormes quantités d’argent. Ils ne le gagnaient pas eux- |
mémes 4 moins d’étre issus de la classe des commercants. Ils
étaient obligés de mendier, d’emprunter, d’extorquer ou de piller.
Et, pour dire la vérité, ils ne négligeaient aucune de ces possibi-
lités. Dés que la machine eut commencé 4 accroitre les capacités
de faire de l’argent dans |’industrie, ces limites s’étendirent et
le niveau des dépenses augmenta pour toute la société. Cette
phase du capitalisme s’accompagna, comme je l’ai déja fait
remarquer, d’un effondrement général des institutions sociales,
c’est pourquoi l’individu souhaitait compenser l|’absence d’insti-
tutions collectives et de but collectif par une acquisition et des
dépenses égocentriques. La richesse des nations servait 4 la
satisfaction privée des individus. Les merveilles de |’entreprise
et de la coopération collectives mises en: jeu par la machine lais-
saient la communauté appauvrie.
Malgré la tendance naturellement égalitaire de la production
en masse, il continue d’exister un grand fossé entre les diverses
classes économiques. Ce fossé consistait surtout, du point de
vue de l’économie victorienne, en une différenciation entre le
nécessaire, le confort et le luxe. Le nécessaire seul était le lot
de la masse des ouvriers. Les classes moyennes, outre que leur
nécesSaire était plus largement assuré que celui des ouvriers,
étaient aidées par le confort. Les riches possédaient, en outre,
— et cela les rendait plus heureux, — le luxe. Il y avait cepen-
dant 1A une contradiction. Dans la doctrine des besoins crois-
sants, on supposait que la masse de I’humanité avait adopté
comme but ultime un standard princier de dépenses, ce n’était
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
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ORIENTATION
régle soit vraie. La valeur des divers stimuli et intéréts n’est
pas augmentée par la multiplication quantitative, pas plus, au
dela d’un certain point, que par une variété infinie. La variété
des produits qui remplissent des réles similaires est comme un
régime alimentaire varié : un facteur utile de sécurité. Mais cela
n’altére pas le fait essentiel de la stabilité du désir et de la de-
mande. Un harem de mille femmes peut satisfaire la vanité d’un
monarque oriental, mais quel monarque est suffisamment bien
doué par la nature pour satisfaire un tel harem ?
Une activité saine exige la limitation, la monotonie, la répéti-
tion, autant que le changement, la variété et l’expansion. L’en-
nui d’un enfant qui posséde trop de jouets se répéte indéfiniment
dans la vie des riches qui, ne connaissant pas de limite finan-
ciére a l’expression de leurs désirs, sont incapables de se limiter
dans un canal unique et suffisamment long pour qu’ils puissent
en profiter en le creusant, en l’approfondissant et en 1’épuisant.
L’homme du XX° siecle dispose d’instruments tels que la radio,
le phonographe et le téléphone, qui n’ont aucune contre-partie
dans les autres civilisations, mais leur nombre est en lui-méme
limité. Personne ne se trouve mieux d’avoir un mobilier qui se
met en piéces en quelques années ou qui, par cet heureux moyen
de créer une demande nouvelle, « se démode ». Nul n’est mieux
habillé pour porter des vétements si mal tissés qu’ils s’usent en
une saison. Au contraire, cette consommation rapide est une
taxe sur la production, elle tend 4 effacer les gains que la ma-
chine apporte dans cette branche. Dans la mesure ot les gens
cultivent un intérét personnel ou esthétique, ils sont a l’abri des
changements grossiers de style et ils dédaignent de suivre de si
basses demandes. D’ailleurs, M. J. A. Hobson l’a trés bien
démontré : « Si un nombre anormal de personnes est consacré
4 produire et A consommer de la nourriture, des vétements, etc.,
et A cultiver ces gofits de facon consciente et raffinée, des for-
mes supérieures d’expression individuelle dans le travail et la
vie seront négligées. »
La seconde caractéristique des besoins vitaux est qu’ils ne
peuvent se limiter 4 des éléments simples : nourriture suffisante
pour éviter l’inanition, vétements et abri suffisants pour satis-
faire les conventions et protéger la vie contre les intempéries.
La vie, depuis le moment de la naissance, exige pour son é€pa-
nouissement des biens et des services qui sont généralement clas-
sés dans la catégorie « luxe ». Le chant, le conte, la musi-
que, la peinture, la sculpture, le loisir, le thédtre, toutes ces
choses sont en dehors du nécessaire animal. Mais ce ne sont
pas des choses qui viennent aprés la satisfaction du ventre. Ce
sont des fonctions qui doivent étre comprises dans l’existence
humaine méme pour satisfaire le ventre, pour ne rien dire des
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TECHNIQUE ET CIVILISATION
besoins émotionnels, imaginatifs et intellectuels de l>homme. Né-
gliger ces fonctions A distance, en faire le but d’une vie d’acqui-
sitions ou n’en accepter que celles qui peuvent étre canalisées
en produits de la machine et vendus avec bénéfice, c’est se mé-
prendre A la fois sur la nature de la vie et sur les possibilités de
la machine.
Tout standard vital comporte un luxe nécessaire. Le salaire
qui ne le comporte pas n’est pas un salaire vital. La vie qui ne
se maintient que par la simple subsistance n’est pas une vie
humaine. D’un autre cété, fixer comme but 4a |’effort économi-
que universel, ou du moins comme appat le standard imbécile
des dépenses adopté par les riches et les puissants, c’est tout
simplement agiter devant l’4ne une carotte en bois : il ne peut
atteindre la carotte, ou, s’il l’atteint, elle ne peut le nourrir. Un
niveau élevé de dépenses n’a rien 4 voir avec un niveau de vie
élevé, une pléthore de produits fabriqués 4 la machine non plus,
puisque l’un des éléments essentiels d’une bonne vie — un envi-
ronnement naturel agréable et stimulant, 4 la fois cultivé et pri-
mitif — n’est pas un produit de la machine. La notion que l’un
implique l’autre est une fiction inventée par l’homme d’affaire.
De méme, pour ce qu’il est convenu d’appeler le confort, 1l’ab-
sence d’efforts, l’emploi abusif de services mécaniques ou per-
sonnels conduit a l’atrophie de fonction. Cet idéal est celui d’un
valétudinaire. Attendre un plaisir sensuel des objets inanimés —
coussins, mobilier rembourré, sucreries et tissus moelleux — fut
une des inventions d’un puritanisme bourgeois qui affecta de re-
noncer a la chair et de chatier le corps, mais ne fit que les recon-
naitre sous leurs formes les plus décadentes en reportant sur des
simulacres l’attention jusqu’alors accordée 4 des corps vivants
d’hommes et de femmes. La Renaissance, qui célébra une riche
vie sensuelle, n’a guére produit en deux siécles de chaise confor-
table, mais il suffit de regarder les femmes peintes par Véro-
nése ou Rubens pour constater qu’il n’était point besoin de rem-
bourrage inorganique.
Les méthodes mécaniques devenant plus productives, on a cru
que la consommation deviendrait plus vorace. On connut 1’in-
quiétude secréte que la productivité de la machine ne crée un
encombrement sur le marché. On justifia les inventions qui éco-
nomisent la main-d’ceuvre, non parce qu’elles économisaient réel-
lement le travail, mais parce qu’elles augmentaient la consom-
mation, alors que, de toute évidence, l’économie de main-d’ceu-
vre ne peut avoir lieu que lorsque le standard de consommation
demeure relativement stable. Ainsi l’augmentation de conver-
sion et de facilité productive se réalise sous la forme d’une plus-
value réelle des loisirs. Malheureusement, le systéme industriel
capitaliste ne prospére qu’en refusant cette condition. Il pros-
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de plaisir esthétique, et plus, par conséquent, il tend A étre
exprimé par des biens et une amélioration de l’environnement qui
s’éloignent de la production machinique.
En méme temps, |’idée d’une consommation normalisée sous-
entend la fin de ces réves princiers du capitalisme — revenus
illimités, priviléges et vulgarités sensuelles — dont la possession
par les maitres de la société fournissait indéfiniment A leurs
valets et leurs imitateurs des satisfactions de substitution. Notre
but n’est pas d’augmenter la consommation, mais de fixer un
standard vital : moins dans les moyens préparatoires, plus dans
les fins, moins dans l’appareil mécanique, plus dans 1’accom-
plissement organique. Quand nous aurons une telle norme, notre
succes dans la vie ne sera pas jugé d’aprés les tas de détritus
que nous aurons laissés, mais par les biens immatériels et non
consommables dont nous aurons appris a jouir, par notre épa-
nouissement personnel d’amant, de camarade, de pére ou de
mére, et par notre épanouissement personnel en tant qu’homme
ou femme pensant ou sentant. La distinction et l’individualité
résideront dans la personnalité 4 qui elles appartiennent, et non
dans la grandeur des maisons ol nous vivons, le prix de nos
vétements ou le nombre de salariés que nous pouvons arbitraire-
ment commander. De beaux corps, des esprits sains, une vie
pleine, une pensée élevée, des perceptions justes, des réflexes
émotifs intelligents et une vie de groupe propre a rendre pos-
sibles ces choses et & les exalter, tels sont quelques-uns des buts
d’un standard normalisé.
Alors que l’esprit qui présida 4 l’expansion de la machine fut
étroitement utilitaire, le résultat net d’une telle économie serait
de créer un état antithétique analogue aux civilisations d’esclaves
des anciens, et jouissant d’une abondance de loisirs. Ces loisirs,
s’ils ne sont pas stupidement mal employés dans la production
irréfléchie d’encore plus de travail mécanique, soit par un esprit
d’invention mal a propos, soit par un rite vain de consommation,
peuvent se rencontrer dans une forme de société non utilitaire,
vouée davantage au jeu, a la pensée, aux échanges sociaux et a
tout ce qui donne plus de sens 4 la vie. Le maximum de machi-
nisme et d’organisation, le maximum de confort et de luxe, le
maximum de consommation ne signifient pas nécessairement le
maximum dans |’expression de la vie. L’erreur consiste a croire
que l’absence de maux physiques, une pléthore de bien sont les
plus grands bienfaits de la civilisation, et que s’ils augmentent,
les maux de la vie s’évanouiront et disparaitront. Le confort et la
sécurité ne sont pas des biens inconditionnés, ils sont capabies
de vaincre la vie autant que la dureté et |’incertitude. Croire que
tout autre intérét : art, amitié, amour, paternité, doive étre
subordonné & la production de plus de confort et de luxe, c’est
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ORIENTATION
ouvriéres dont l’incapacité initiale A racheter les biens qu’elles
avaient produits fut toujours le facteur principal de cette
débacle.
Ce systéme ne peut donc pas fonctionner selon ses propres don-
nées, sauf peut-étre dans un mode de production pré-machinique.
Car, en termes capitalistes, le prix de toute marchandise, grosso
modo, varie en raison inverse de la quantité disponible A un
moment donné. Cela veut dire que si la production tend vers 1’in-
fini, le prix d’un article doit tomber 4 zéro. Jusqu’A un certain
point, la chute des prix élargit le marché. Au dela de ce point,
l’enrichissement de la communauté veut une baisse réguli¢re des
profits a l’unité que réalise le fabricant. Si les prix sont main-
tenus sans qu’il y ait augmentation des salaires réels, il y a
surplus. Si les prix baissent beaucoup, le fabricant n’a plus une
marge suffisante de bénéfices. L’ensemble de l’humanité s’enri-
chit dans la mesure ot les nécessités de la vie peuvent, comme
lair étre obtenues sur simple demande. Le systéme des prix
s’effondre bien avant que ce point idéal soit atteint. Ainsi, les
gains de production, dans le systéme des prix, peuvent étre dimi-
nués ou supprimés, ainsi que Veblen 1’a bien mis en lumiére, par
un sabotage délibéré du financier et de l’homme d’affaires. Mais
cette stratégie n’a qu’un effet temporaire. Car le poids de la
dette, surtout lorsqu’elle est recapitalisée sur la base d’une
expansion probable de la population et du marché, dépasse fina-
lement les capacités de production qui avaient été freinées et leur
impose une charge qu’elles ne peuvent assumer.
L’intérét de la conversion d’énergie et de la production mécani-
sée, c’est qu’elles ont créé une économie de surplus, c’est-a-dire une
économie qui n’est pas adaptée au systéme des prix. Comme ce sont
les machines automatiques qui, de plus en plus, accomplissent le
travail, le procédé qui consiste 4 supprimer les ouvriers dans ce
systéme équivaut a les priver de leurs droits de consommateurs.
En effet, contrairement aux actionnaires, aux porteurs d’obligations
et aux créanciers d’hypothéques, il n’ont pas d’autres droits sur
l’industrie, selon les conventions capitalistes, que ceux qui résul-
tent de leur travail. Il est inutile de parler des absorptions tem-
poraires de main-d’ceuvre dans telle ou telle industrie. Une par-
tie de cette absorption par les industries de distribution ne fait
qu’accroitre le gaspillage et grossir le personnel de direction. En
dehors de cela, dans le systéme lui-méme, la main-d’ceuvre a
perdu a la fois son pouvoir d’achat et la capacité d’assurer sa
subsistance. Les industries de remplacement prolongent quelque-
fois individu, mais n’évitent pas le jour des comptes collectifs.
Les ouvriers renvoyés n’ayant pas le moyen d’acheter les choses
nécessaires 4 la vie, leur condition réagit sur ceux qui ont
encore leur place. Aujourd’hui, |’édifice tout entier s’écroule, les
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égalité de revenus et, la consommation étant normalisée, les
phénoménes de base tiendraient, vraisemblablement, de plus en
plus compte des besoins de la communauté. De cette facon, et
je ne vois que celle-la, nos gains de production et nos remplace-
ments croissants de la main-d’ceuvre humaine pourront étre des
bénéfices pour l’ensemble de la société. Si l’on ne choisit pas le
communisme de base, on tolére le chaos : soit la fermeture pério-
dique de l’usine et la destruction — bizarrement appelée valori-
sation — des marchandises essentielles, avec des efforts brutaux
de conquéte impérialiste pour forcer les marchés étrangers, soit
un retrait complet de la machine vers une sous-agriculture (cul-
ture de subsistance) et une sous-industrie (fabrication de subsis-
tance) qui seraient bien inférieurs, de toutes maniéres, 4 1’in-
dustrie artisanale du XVIII® siécle. Si nous voulons conserver les
bienfaits de la machine, nous ne pouvons plus nous permettre
de nier sa principale condition sociale : le communisme de base.
Un des avantages — et non des moindres — du communisme
de base serait de mettre un frein 4 l’entreprise industrielle. Mais
un tel frein, au lieu de prendre la forme d’un sabotage capitaliste
ou d’un effrondrement brusque en cas de crise commerciale, con-
sisterait en une diminution progressive des parts individuelles
et un engrenage de toute l’organisation dans un rythme régu-
lier de production. M. J. A. Hobson a encore posé le probleme
avec sa sagesse et sa profondeur coutumitres : « Le progrés
industriel, dit-il, serait sans aucun doute beaucoup plus lent sous
le contrdéle de |’Etat, car l’objet d’un tel contréle est de détour-
ner une plus grande proportion de génie et d’efforts de ces occu-
pations (production préparatoire) pour les appliquer a la pro-
duction de formes plus élevées de richesse. On ne peut dire,
cependant, que le progrés dans les arts industriels cesserait dans
une industrie étatique; il serait plus lent et prendrait 1l’aspect
d’une routine — adaptation lente et continue du mécanisme de
production et de distribution aux besoins de la communauté qui
se modifient lentement. » Si rebutante que soit cette perspec-
tive pour l’entrepreneur de l’ordre ancien, humainement parlant
elle représenterait un gain énorme.
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ORIENTATION
cités libres que Pétrarque avait connues dans sa jeunesse furent
asservies par les armées conquérantes. Mais ce fait se retrouve
également dans Machiavel, Hobbes, Leibniz, Hegel; et cette ten-
dance atteignit un point maximum dans la mauvaise application
des théories sur la lutte pour l’existence de Malthus et Darwin,
dans le but de justifier la guerre, la race nordique et la position
dominante de la bourgeoisie.
Tandis que le cété humaniste de cette culture nouvelle se
concentrait sur des principes de caste et d’individus avec une
tendance marquée en faveur des classes possédantes, la science
allait dans une direction opposée. Le développement des connais-
sances scientifiques empéchait d’en faire un secret réservé & des
petits groupes, comme I’avait été l’astronomie dans les civilisa-
tions de jadis. Et d’ailleurs, la science, en utilisant systématique-
ment les connaissances pratiques des artistes et des médecins
pour l’anatomie, des mineurs et des métallurgistes pour la chi-
mie, restait en contact avec la vie de travail de la communauté.
N’est-ce pas 4 la requéte des brasseurs et éleveurs de vers A soie
que Pasteur se mit 4 ses recherches fructueuses en bactériologie?
Méme lorsque la science était lointaine et ésotérique, elle n’était
pas « snob ». Avec des méthodes socialisées, une portée interna-
tionale, un esprit impersonnel, accomplissant ses démarches de
pensée les plus audacieuses et les plus fructueuss, en raison
méme de son absence de responsabilité immédiate, la science a
édifié lentement une grande cosmogonie dans laquelle un seul
élément fait encore défaut : l’inclusion du spectateur et de 1’ex-
périmentateur dans le tableau final.
Malheureusement 1|’assombrissement et la dépression d’esprit
qui ont inévitablement suivi la division du travail et le rythme mo-
tone de la vie en usine ont ouvert une bréche entre la science,
la technique, la pratique courante et tous les arts qui sont en
dehors du systéme machinique. Les ouvriers durent se rejeter sur
le résidu des cultures antérieures, qui s’attardaient dans la tradi-
tion et les souvenirs, et ils s’attachérent 4 des formes supersti-
tieuses de religion qui les maintinrent dans une sorte de tutelle
vis-a-vis des forces qui les exploitaient, ou bien ils trahirent le
puissant stimulant moral et émotionnel qu’une vraie religion
apporte dans la vie. Cela vaut également pour les arts. Le paysan
et le travailleur manuel du Moyen-Age étaient les égaux des
artistes qui sculptaient et peignaient leurs églises et leurs mai-
sons communes. En ce temps-la, l’art le plus élevé n’était pas
trop élevé pour les gens du commun, et il n’y avait pas, les
affectations de la poésie de cour mises 4 part, une sorte d’art
pour un petit nombre et une autre sorte pour la masse. Il y avait,
dans tous les arts, des niveaux inférieurs, mais la division n’était
pas marquée par 1’état ou la condition pécuniaire.
352
TECHNIQUE ET CIVILISATION
354
ORIENTATION
socialisé la création, tant que nous n’aurons pas subordonné la
production a l’éducation, un systéme mécanisé de production, si
efficace soit-il, ne poura que se durcir en une forme servile et
byzantine s’appuyant sur panem et circenses.
353
TECHNIQUE ET CIVILKSATION
354
XV. LE NOUVEL
ENVIRONNEMENT
355
TECHNIQUE 12
TECHNIQUE ET CIVILISATYON
356
ORIENTATION
357
TECHNIQUE ET CIVILISATION
Le contréle politique.
Le plan et Vordre sont-latents dans
toutes les industries modernes, dans
le dessin d’études, les calculs préliminaires, l’organigramme,
dans le tableau des temps, dans les graphiques qui suivent la
production au jour le jour, et méme heure par heure .dans les
358
ORIENTATION
359
TECHNIQUE ET CIVILISATION
360
ORIENTATION
361
TECHNIQUE ET CIVILISATION
362
ORIENTATION
tant et enrégimentant les travailleurs quand les deux groupes
sont en guerre ouverte. Le laissez-faire est un fait recommandé
et préché par le capitalisme seulement dans les rares moments,
ol il se porte bien sans le secours de |’Etat. Mais, dans ses
phases impérialistes, le laissez-faire est la dernitre chose que le
capitalisme désire. Ce qu’il veut dire par ce slogan, ce n’est pas
« chassez la main-d’ceuvre de l’industrie! », c’est « chassez la
main-d’ceuvre des bénéfices ». En concluant sa monumentale
enquéte sur le capitalisme, Sombart considére l’année 1914 comme
un tournant du capitalisme. Les signes de ce changement sont la
fécondation, par les idées normalisatrices, des modes capitalistes
d’existence, |’élimination de la lutte pour le profit en tant que
condition unique d’orientation dans les rapports entre industriels,
le recul de la concurrence privée devant le principe de compréhen-
sion et l’organisation constitutionnelle de l’entreprise indus-
trielle. Il suffit de pousser ces phénoménes, qui ont déja com-
mencé en régime capitaliste jusqu’a leur conclusion logique pour
dépasser le capitalisme. La rationalisation, la standardisation, et
par-dessus tout la production et la consommation rationalisées,
a l’échelle nécessaire pour élever 4 une norme vitale le niveau de
consommation de toute l’humanité, sont impossibles sans un
contréle politique socialisé de tout le phénoméne.
A notre époque, les considérations politiques devant tenir
compte de la justice et de la sécurité, de la santé biologique et
de la coopération sociale, doivent prendre le pas sur les calculs
purement économiques basés sur le prix de revient et le rende-
ment. Si un tel contréle ne peut étre institué avec la coopération
et l’aide intelligente des chefs d’industrie, il devra se faire mal-
gré eux, par leur renvoi. L’application des nouvelles normes
de consommation, par exemple dans le logement des ouvriers, a
depuis une trentaine d’années gagné l’appui passif ou quelque-
fois l’aide financiére, grace a l’impét, des gouvernements d’Eu-
rope, depuis le Londres conservateur jusqu’au Moscou commu-
niste. Mais de telles communautés, en attaquant et en rempla-
cant l’entreprise capitaliste, ne font qu’indiquer simplement dans
quelle direction souffle le vent. Avant que nous puissions conce-
voir et organiser 4 nouveau notre environnement tout entier a
une échelle appropriée 4 nos besoins humains, la base morale,
légale et politique de notre systéme productif devra étre radica-
lement revisée. Si cette révision n’a pas lieu, le capitalisme lui-
méme sera éliminé par une pourriture interne. Des luttes mor-
telles ¢clateront entre les Etats qui chercheront 4 se sauver par
des conquétes impérialistes, comme elles éclateront entre les
classes, 4 l’intérieur des Etats, pour l’obtention d’un pouvoir
qui prendra la forme d’une force d’autant plus brutale que l’em-
pire de la société sur le mécanisme de production sera affaiblie.
363
TECHNIQUE ET CIVIEISATION
304
ORIENTATION
qus sont déja explorés. La presse 4 ii primer, par exemple, a
atteint un haut degré de perfection un siécle aprés avoir été
inventée. Toute la série des inventions suivantes, de la presse
rotative aux machines linotypes et monotypes, ont pu accroitre
le rythme de production, elles n’ont pas amélioré le produit or’-
ginal. La plus belle page que l’on puisse imprimer aujourd’hui
n’est pas plus belle que l’ceuvre des imprimeurs du XVI° siécle.
La turbine hydraulique a aujourd’hui un rendement de go %,
nous ne pouvons, en aucune fagon, ajouter 10 % 4 son rendement.
La transmission téléphonique est pratiquement parfaite, méme 4
de trés longues distances. Tout ce que peuvent faire maintenant
les ingénieurs, c’est multiplier la capacité des fils et étendre les
interconnections. La parole et la vision ne peuvent étre trans-
mises plus vite qu’elles ne le sont aujourd’hui avec 1’électricité.
Les gains que nous pouvons faire sont dans le bon marché et 1’u-
biquité. Bref, le progrés mécanique est limité par la nature du
monde physique. C est seulement en ignorant ces conditions limi-
tatives que l’on peut s’attarder 4 croire en l’expansion automa-
tique, inévitable et illimitée de la machine.
En dehors d’un affaiblissement de l’intérét porté A la machine,
Vaccroissement général des connaissances vérifié dans d’autres
domaines que celui de la physique menace déja une bonne part
des habitudes et des instruments mécaniques. Ce n’est pas un
refus mystique des préoccupations pratiques du monde qui lance
un défi 4 la machine, mais plut6t une connaissance plus appro-
fondie des phénoménes auxquels nos inventions mécaniques ne
répondaient que partiellement et de facgon peu efficace. Tout
comme dans le domaine de |’ingénieur lui-méme, s’est développée
la tendance vers plus de raffinement et de rendement grace a la
meilleure interrelation des parties, dans l’environnement en géné-
ral, le domaine de la machine a commencé a diminuer. Quand
nous penserons et agirons en fonction des phénoménes organi-
ques et non d’une abstraction, quand nous considérerons la vie
dans toutes ses manifestations, et non seulement sous son aspect
limité, celui qui recherche la domination physique et qui se pro-
jette dans les systémes purement mécaniques, nous ne deman-
derons plus 4 la machine seule ce que nous devrions, par des
adaptations multiples, demander 4 tous les autres aspects de la
vie. Une connaissance plus raffinée de la physiologie réduit le
nombre des drogues et des élixirs auquels le docteur accordait sa
confiance. Elle diminue aussi le nombre et |’importance des
interventions chirurgicales — ces magnifiques triomphes de la
technique machinique — car, bien que les pro,rés de la technique
aient augmenté le nombre des opérations possibles, les médecins
compétents voudront d’abord épuiser les ressources de la nature
avant d’utiliser un moyen radical de suppression mécanique. En
365
TECHNIQUE ET CIVILISATION
366
ORIENTATION
367
TECHNIQUE ET CIVILISATION
368
ORIENTATION
l’ont fait les grands sauriens, et seront remplacées par des orga-
nismes plus petits, plus rapides, plus intelligents et plus souples,
adaptés non plus 4 la mine, au champ de bataille et A l’usine,
mais a l’environnement positif de la vie.
369
TECHNIQUE ET CIVILISATION
370
ORIENTATION
a faire pour l’agriculture. Avec la décentralisation démographi-
que dans de nouveaux centres, encouragée par les transports
automobiles et aériens et par la force motrice avec 1’application
des méthodes. scientifiques 4 la culture du sol et aux procédés
agricoles tels qu’on les pratique si admirablement aujourd’hui
en Belgique et en Hollande, il y a tendance a plus d’égalité entre
les régions agricoles. Avec le régionalisme économique, le rayon
d'action des cultures maraichéres et de la polyculture déja favori-
sées par la transformation scientifique de notre régime alimen-
taire s’étendra et la monoculture en vue d’exportations mondiales
tendra a diminuer, sauf dans les régions produisant des spécia-
lités difficiles 4 cultiver ailleurs.
Lorsque l’équilibre régional entre |’industrie et l’agriculture
sera élaboré dans le détail, la production de ces deux branches
aura une base plus stable. Cette stabilité est le c6té technique de
cette normalisation de la consommation dont j’ai déja parlé.
Parce que, au fond, l’aiguillon du profit naquit et fut exalté par
l’incertitude et la spéculation, la stabilité relative du capitalisme
spécialisé reposa jadis sur son aptitude 4 susciter des change-
ments et a en profiter. Sa sécurité dépendait de sa tendance a
révolutionner les moyens de production, 4 susciter des mouve-
ments démographiques et a profiter d’un désordre voulu. L’équi-
libre du capitalisme, en d’autres termes, était un équilibre de
chaos.
Par contre, les forces qui travaillent en faveur d’une normali-
sation de la consommation, d’une production étudiée et limitée,
d’une conservation des ressources, d’une répartition étudiée de
la population sont en opposition directe, & cause de leur techni-
que essentielle, avec les méthodes du passé. D’ot le conflit entre
cette technologie et les méthodes d’exploitation dominantes du
capitalisme. Au fur et 4 mesure que nous nous rapprocherons
d’un équilibre industrie-agriculture, une bonne part de la raison
d’étre du capitalisme s’évanouira.
371
TECHNIQUE ET CIVILISATION
372
ORIENTATION
INTRODUCTION.
Cette liste des inventions ne prétend pas étre exhaustive. Elle vise
simplement 4 fournir aux interprétations sociales des pages qui pré-
cédent un cadre historique de faits techniques. J’ai essayé de choisir
parmi les inventions et procédés les plus importants; j’en ai sans doute
négligé beaucoup qui méritaient autant d’étre cités. Dans ce domaine,
les guides les plus complets sont la compilation de Darmstaedter et
celle de Feldhaus. Mais j’ai puisé a des sources trés variées. Tous
les techniciens savent qu’on ne peut déterminer qu’arbitrairement la
cate d’une invention et son auteur. L’invention n’est pas comme le
I"homme : on ne peut pas souvent dire a quelle date elle est née. Fré-
quemment, elle semble mort-née, mais elle ressuscite quelques années
aprés sa parution malheureuse. L’arbre généalogique des inventions
est parfois difficile 4 établir. Comme l’ont démontré W. F. Ogburn et
Dorothy D. Thomas, les inventions sont souvent pratiquement simul-
tanées; elles sont la conséquence d’un héritage et de besoins com-
muns. J’ai essayé d’étre a la fois précis et impartial en donnant la
date de l’invention et le nom de son inventeur putatif. Mais le lecteur
devra garder présent a l’esprit que ces dates ne lui sont proposées que
pour l’aider 4 pousser ses recherches. Au lieu d’une seule date, on
en trouvera généralement une série qui marque le passage de |’imagi-
nation pure a la réalisation concréte, sous la forme la plus acceptable
pour les capitalistes, celle de la réussite commerciale. On a générale-
ment accordé trop d’importance a l’individu qui s’est approprié ce
phénoméne social en prenant un brevet pour « son » invention. D’autre
part, on prend souvent des brevets pour des inventions qui ne sont pas
encore pratiquement utilisables, et d’autre part elles sont souvent pré-
tes a servir longtemps avant que les industriels ne se décident a
en profiter. La science et la technologie moderne appartiennent au
fonds commun de la civilisation occidentale, aussi n’ai-je pas voulu
attribuer les inventions 4 un pays ou a un autre. Je me ‘suis efforcé
d’éviter la tendance inconsciente a grossir la liste de mon pays, espé-
rant par mon exemple faire honte aux savants qui se laissent dominer
par leurs impulsions les plus enfantines. J’accueillerai volontiers toutes
corrections ou suggestions que l’on voudra bien me présenter.
374
LISTE DES INVENTIONS.
X° SIECLE.
XI® SIECLE.
XII® srEcLe.
Emploi militaire de la poudre @ canon en Chine. La boussole magné-
tique, connue en Chine en 1160 avant J.-C., est introduite en Europe
par les Arabes.
1105 :
Premier moulin 4 vent dont on ait eu trace en Europe (France).
1100 :
Fondation de |’Université de Bologne.
1148 :
Emploi du canon par les Maures.
1144 Papier (Espagne).
: '
1147 Utilisation de bas de casse en bois pour les lettres capitales
:
(monastére bénédictin d’Engleberg).
1180 : Gouvernail fixe.
1188 : Pont d’Avignon, 18 arches de pierre, 900 métres de long.
375
1190 : Fabrique de papier (France, Hérault).
1195 : Boussole magnétique en Europe (citation anglaise).
XIII® sréc.e.
XIV® sSIECLE.
XV° SIECLE.
376
1410 : Etude de bateau avec roues a aube.
1418 : Gravure sur bois authentique.
1420 : Observatoire 4 Samarcande.
1420 : Scierie 4 Madeére.
1420 : Char de guerre (Fontane).
1423 : Premiére gravure sur bois en Europe.
1430 : Tour de moulin a vent.
1436 : Cartographie scientifique (Banco).
1438 : Turbine a vent (Mariano).
1440 : Lois de la perspective (Alberti).
1446 ; Gravure sur cuivre.
1440-1460 : Imprimerie moderne (Gutenberg et Schoeffer).
1457 : Redécouverte de la voiture sur ressorts, A laquelle Homére
faisait allusion.
1470 : Fondements de la trigonométrie (J. Muller Regiomontanus).
1471 : Boulets de canon en fer.
1472 : Observatoire 4 Nuremberg (Bernard Walther).
1472-1519 : Léonard de Vinci fit les inventions suivantes : pompe cen-
trifuge — drague pour la construction de canaux — forteresse
polygonale avec ouvrages avancés — canon se rechargeant par
la culasse — canons rayés — coussinet antifriction — joint uni-
versel — vis conique — courroies de transmission — chaine de
transmission — sous-marin — engrenage conique — engrenage
en spirales — proportionnelle et parabole — compas — appareil
pour dédoubler et dévider la soie — fuseau et volant — para-
chute — bateau de log — production en masse de maisons stan-
dardisées.
1481 : Ecluse de canaux (Denis et Pierre Domenico).
1483 : Gravure a |’eau-forte sur cuivre (Wenceslas von Olnutz).
1490 : Poéle en fonte.
1492 : Premier globe terrestre (Martin Belhaim).
XVI° SIECLE.
377
1546 : Chemin de fer dans les mines allemandes.
1548 Adduction d’eau par pompes (Augsburg).
:
1550 :
Premier pont suspendu que l’on connaisse en Europe (Palladio).
1552 :
Laminoir (Bruler).
1558 :
Tank militaire.
1558 :
Appareil photographique avec lentille et arrét pour le dia-
phragme (Daniello Barbaro).
1560 : Accademia Secreterum Naturae & Naples (Premiére société
scientifique).
T5OSe: Crayon a mine de plomb (Gesner).
1569 : Exposition industrielle au Rathaus de Nuremberg.
1$75 : Opéra de Hero (traduction).
1578 : Tour & fileter.
si : Métier a tisser automatique pour les rubans 4 Dantzig.
1579
1582 : Revision du calendrier grégorien.
1598 : Pompe utilisant la force de la marée & Londres (Morice).
1585 ; Systéme décimal (Simon Stevin).
1589 : Cadre de métier a tisser (William Lee).
1589 : Camion a traction humaine (Gilles de Bom).
1590 : Microscope composé (Jansen).
1594 : Emploi de Vhorloge pour déterminer la longitude.
1595 : Etudes de ponts métalliques, arches et chaines (Veranzio).
1595 : Turbine a vent (Veranzio).
1597 : Scéne de théatre tournante.
XVII® sSIECLE.
378
1624 : Premiére loi de protection des inventions (Angleterre).
1628 : Machine a vapeur (décrite en 1663 par Worcester).
1630 : Brevet de machine 4 vapeur (David Ramsey).
1635 : Découverte des infiniment petits (Leeuwenhoek).
1636 : Calcul infinitésimal (Fermat).
1636 : Porte-plume réservoir (Schwenter).
1636 : Machine a battre (van Berg).
1637 : Périscope (Hevel a Dantzig).
1643 : Barométre de Torricelli.
1647 : Calcul de la distance focale pour toutes les formes de lentilles.
1650 : Machine a calculer (Pascal).
1650 : Lanterne magique (Kircher).
1652 : Pompe a air (V. Guericke).
1654 : Loi de probabilité (Pascal).
1657 : Pendule a balancier (Huygens).
1658 : Ressorts pour les balanciers d’horloge (Hooke).
1658 : Globules rouges du sang (Schwammerdam).
1660 : Loi de probabilité appliqué aux assurances (Jan de Witt).
1665 : Prototype de machine automobile 4 vapeur (S. J. Verbiest).
1666 : Télescope 4 miroir (Newton).
1667 : Structure cellulaire des plantes (Hooke).
1667 : Observatoire de Paris.
1669 : Semence en sillons (Worlidge).
1671 : Tube acoustique (Morland).
1673 : Nouveau type de fortification (Vauban).
1675 : Premiére détermination de la vitesse de la lumiére (Roemer).
1675 : Fondation de l’observatoire de Greenwich.
1677 : Fondation du musée Asmolean.
1678 : Métier a tisser mécanique (de Gennes).
1679-1681 : Premier tunnel moderne, de 160 métres de long, dans le
canal du Languedoc.
1680 : Premiére drague a vapeur (Cornelius Meyer).
1680 : Calcul différentiel (Leibniz).
1680 : Machine explosive employant la poudre 4 canon (Huygens).
1682 : Loi de gravitation (Newton).
1682 : Pompes de 100 chevaux a Marly (Ranneguin).
1683 : Exposition industrielle 4 Paris.
1684 : Machine a couper le fourrage, fonctionnant par la force hydrau-
lique (Delabadie).
1685 : Fondements de l’obstétrique scientifique (van Deventer).
1687 : Principia, de Newton.
1688 : Distillation du charbon (Clayton).
1695 : Machine a vapeur (Papin).
XVIII* si&cLe.
379
1707 : Appareil de médecine poi mesurer les pulsations, avec cadran
et deux aiguilles (John Floger).
1708 : Fonte du fer au sable (Darby).
1709 : Emploi du coke dans les hauts fourneaux (Darby).
1710 : Premier stéréotype (van der Mey et Muller).
1711 : Machine a semer (de Camus).
1714 : Thermométre au mercure (Fahrenheit).
1714 : Machine a écrire (Henry Mill).
1716 : Rails de chemin de fer en bois recouvert de fer.
1719 : Imprimerie en trois couleurs sur plaque de cuivre (Le Blond).
1727: Premiére mesure exacte de la pression sanguine (Stephen
Hales).
1727 : Invention d’un stéréotype (Ged).
1727 : Photographie au nitrate d’argent (Schulze, voir 1839).
1730 : Procédé stéréotype (Goldsmith).
1733 : Navette mobile de métier a tisser (Kay).
1733 : Cylindre de machine 4 filer (Wyatt et Paul).
1736 : Chronométre de précision (Harrison).
1736 : Fabrication commerciale de l’acide sulfurique (Ward).
1738 : Rails de tramway en fonte (Whitehaven, Angleterre).
1740 : Fonte d’acier (Huntsman).
1745 : Premiére école technique. distincte du génie militaire, a
Braunschweig.
1749 : Calcul scientifique de la résistance de 1]’eau (Euler).
1755 : Roues en fonte pour les voitures 4 charbon dans les mines.
1756 : Fabrication du ciment (Smeaton).
1763 : Chronométre moderne (Le Roy).
1761 : Cylindre a air : piston actionné par roue hydraulique. Produc-
tion des hauts fourneaux plus que triplée (Smeaton).
1763 : Premiére exposition des Arts Industriels (Paris).
1763 : Support A coulisse (Encyclopédie francaise).
1765-1769 : Amélioration de la pompe 4 vapeur, avec condenseur sé-
paré (Watt).
1767 : Rails en fonte a Coalbrookdale.
1767 : Métier a filer (Hargreaves).
1769 : Voiture a vapeur (Cugnot).
1770 : Voiture sur chenille (R. L. Edgeworth, voir 1902).
1772 : Description de la portée des balles (Narlo).
1774 : Instrument de forage (Wilkinson).
1775 : Machine réversible a roues.
1776 : Four a réverbére (Fréres Cranege).
1778 : Water-closet moderne (Bramah).
1778 : Automate parlant (von Kempelen).
1779 : Sections de pont en fonte (Darby et Wilkinson).
1781-1786 : Machine a vapeur comme source d’énergie (Watt).
1781 : Bateau a vapeur (Joufroy).
1781 : Labourage par sillons (Proude : déja pratiqué par les Babylo-
niens 1700-1200 avant J.-C.). te
1782 : Ballon (J.-M. et J.-E. Montgolfier). Invention originale chinoise.
1784 : Four a puddler, four 4 réverbére (Cort).
1784 : Métier a filer en fin (Crompton).
1784 : Fusil a parties interchangeables (Le Blanc).
1785 : Premiére filature 4 vapeur (Papplewick).
380
1785 : Métier a tisser A vapeur (Cartwright).
1785 : Emploi du chlore pour blanchir (Berthollet).
1785 : Hélice (Bramah).
1787 : Bateau métallique (Wilkinson).
1787 : ‘Hélice de bateau 4 vapeur (Fitch).
1788 : Machine a battre (Meikle).
1790 : Fabrication de la soude a partir du chlorure de sodium (Le
Blanc).
1790 : Premiére semeuse brevetée (M. Saint, Angleterre).
1791 : Machine a4 gaz (Barker).
1792 : Eclairage domestique au gaz (Murdock).
1793 : Moulin sciant pour le coton (Whitney).
1793 : Télégraphe a signaux (Chappe).
1794 : Fondation de l’Ecole Polytechnique.
1795-1809 : Mise en boites de conserves des aliments (Appert).
1796 : Lithographic (Senefelder).
1796 : Ciment naturel (J. Parker).
1796 :
Hélicoptére (jouet, de Cayley).
1796 :
Presse hydraulique (Bramiah).
1797 :
Your a fileter (Maudsley).
1797 :
Perfectionnement du support a coulisse dans le tour en métal
(Maudsley).
1799 : Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris).
1799 : Fabrication de poudre de chlore pour blanchir (Tennant).
1799 : Humphrey Davy démontre les propriétés anesthésiques de
Voxyde azotique.
XIX°® SIECLE.
381
1818 : Machine 4 filer (Witney).
1820 : Procédé pour courber le bois (Sargent).
1820 : Lampe a incandescence (De la Rue).
1820 : Rabots modernes (Georges Rennie).
1821 : Bateau A vapeur métallique (A. Manby).
1821 : Microtome.
1822 : Premier congrés scientifique a Leipzig.
1822 : Alliages de l’acier (Faraday).
1823 : Principe du moteur (Faraday).
1823-1843 : Machines a calculer (Babbage).
1824 : Ciment de Portland (Aspdin).
1825 : Electro-aimant (William Surgeon).
1S255 Chemins de fer Stockton-Darlington.
1825-1843 : Tunnel sous la Tamise (Marc I. Brunel).
1826 : Moissonneuse (Bell). D’abord utilisée 4 Rome et décrite par
Pline.
: Automobile A vapeur (Hancock).
: Chaudiére 4 vapeur de haute pression (1.400 livres anglaises,
Jacob Perkins).
: Chromo-lithographie (Zahn).
: Souffleries d’air chaud dans la production du fer (J. B. Nielson),
: Plumes d’acier faites 4 la machine (Gillot).
: Imprimerie pour aveugles (Braille).
: Installations de filtrage pour l’eau (usine de Chelsea, Londres).
: Chemin de fer Liverpool-Manchester.
: Machine a semer (Thimonier).
: Stéréotvype (Genoux).
: Air comprimé pour creuser les puits et tunnels sous l’eau (Tho.
mas Cochrane).
: Elevators (dans les usines).
: Moissonneuse (Mc Cormick).
: Dynamo (Faraday).
: Chloroforme.
: Turbine hydraulique (Fourneyron).
: Télégraphe magnétique (Gauss et Weber).
: Batterie électrique sur bateau (M. H. Jacobi).
: Teinture d’aniline a partir du goudron de houille (Runge).
: Machine a réfrigérer, fonctionnant bien (Jacob Perkins).
: Application des méthodes statistiques aux phénoménes sociaur
(Quetelet).
: Commutateur de dynamo.
: Télégraphe électrique.
: Automobile électrique (Davenport).
) : Premiére application du télégraphe électrique aux chemins de
fer (Robert Stephenson).
: Moteur électrique (Davenport).
: Télégraphe a aiguille (Wheatstone).
: Télégraphe électro-magnétique (Morse). oN
: Circuit 4 la terre avec fil simple (Steinheil). :
: Marteau pilon (Nasmyth).
: Machine a gaz a double action (Barnett).
: Hélice de bateau a vapeur (Ericsson), voir 1805.
» : Bateau A moteur électrique (Jacobi).
: Acier au manganése (Heath).
: Electrotype (Jacobi).
: Callotype (Talbot).
: Daguerréotype (Niepce et Daguerre).
: Vulcanisation du caoutchouc (Goodyear).
: Lampe a incandescence de Grove.
: Toitures en fer galvanisé (gares de chemins de fer de 1’Ouest).
: Micro-photographie (Donne).
: Premier cable métallique de pont suspendu, Pittsburg (Roe-
bling).
: Papiers positifs en photographie (Talbot).
: Conservation de |’énergie (von Mayer).
: Machine électrique (Davidson).
: Conservation de l’énergie (von Mayer).
: Aerostat (Henson).
: Machine a écrire (Thurber).
: Analyse spectrale (Miller).
: Gutta percha (Montgomery).
: Lampe a arc de charbon (Poucault).
: Application de l’oxyde nitrique (D™ Horace Wells, voir 1799).
1844 : Papier a pulpe de bois (Keller).
1844 : Linoléum (caoutchouc et liége, Galloway).
1845: Arc électrique (brevet Wright).
1845 : Machine a4 semer rapide (Elias Howe).
: Pneus en caoutchouc (Thomson).
: Chargeur mécanique de chaudiére.
: Presse a cylindre rotatif (Hoe).
: Ether (Warren et Morton).
: Nitroglycérine (Sobrero).
1846 : Coton-poudre (C. F. Sconbein).
1847 : Anesthésique au chlorofrome (J. Y. Simpson).
: Locomotive électrique (M. G. Farmer).
: Construction métallique (Bogardus).
1848 : Ventilateur (Fabry).
1849 : Locomotive électrique (Page).
1850 : Ventilateur rotatif (Fabry).
1850 : Ophthalmoscope.
1851 : Crystal Palace : premiére Exposition internationale de Machi-
nes et Arts industriels.
1851 : Crystal Palace (Paxton).
1851 : Voiture 4 moteur électrique (Page).
1851 : Pendule électro magnétique (Shepherd).
1851 : Moissonneuse (Mc Cormick).
1853 : Science Museum (Londres).
1853 : Bateau A vapeur Great Eastern : 680 pieds de long, comparti-
ments étanches.
1553 *; Bateau de log mécanique (William Semens).
1853 : Production en masse des montres (Denison, Howard et Curtis).
1853 : Télégraphe multiple sur fil unique (Gintl).
1854 : Ascenseur hydraulique (Otis).
| 1854: Enregistrement automatique des messages télégraphiques.
| 1855 : Production commerciale de l’aluminium (Deville).
| 1855 : Turbine hydraulique de 800 C. V. (Paris).
383
1855 Télévision (Caselle). »
1855 :Navires de guerre cuirassés.
1855 :Serrure de sdreté (Yale).
1850 :Fours a foyer ouvert (Siemens).
1856 :Convertisseur Bessemer (Bessemer).
1856 :Photographie en couleurs (Zenker).
1858 :Phonautographe : Enregistrement des vibrations de la voix sur
un cylindre en révolution (Scott).
1859 : Extraction du pétrole (Drake).
1859 : Accumulateur (Plante).
1860 : Refrigération par l’ammoniac (Carre).
1860 : Revétement en asphalte des rues.
1800-1864 : Métro de Londres.
1801-1804 : Moteur & dynamo (Pacinnoti).
1501 : Mitrailleuse (Gatling).
1802 : « Monitor » (Iricsson).
1863 : Machine a gaz (Lenoir).
1863 : Procédé Solvay pour la fabrication de la soude.
1864 : Théorie de la lumiére et de l’électricité (Clerk Maxwell).
1864 : Dessin animé (Ducos).
1864-1875 : Moteur 4 essence (S. Marcus).
1805 : Pasteurisation du vin (L. Pasteur).
1865 : Train aérodynamique (Calthrop).
1866 : Dynamo pratique (Siemens).
1867 : Dynamite (Nobel).
1867 : Béton armé (Monier).
1867 : Machine a écrire (Scholes).
1867 : Machine a gaz (Otto et Langen).
1867 : Bicyclette (Michaux).
1868 : Acier au tungsténe (Mushet).
1869 : Table périodique (Mendelejev et Lothard Meyer).
1870 : Four électrique (Siemens).
1870 : Celluloid (J. W. et I. S. Hyatt).
1870 : Application de l’hypnotisme en psychopathologie (Charcot).
1870 : Teinture garance artificielle (Perkin).
1871 : Emploi de la teinture d’aniline pour déceler les bactéries
(Weigert).
1872 : Maquette d’aéroplane (A. Penaud).
1872 : Frein a air automatique (Westinghouse).
1873 : Réfrigateur 4 ammoniac compressé (Carle Linde, Munich).
1875 : Télévision (Carey).
1875 : Voiture électrique (Siemens).
1875 : Heure standard (chemins de fer américains).
1876 : Bon Marché, a Paris (Boileau et Eiffel).
1876 : Découverte des toxines.
1876 : Moteur a gaz quadriphasé (Otto).
1876 : Téléphone électrique (Bell).
1877 : Microphone (Edison).
1877 : Propriétés bactéricides de la lumiére mises enete par
Downes et Blunt.
1877 : Réfrigérateur a air compriné (J. J. Coleman).
ite) Maquette de machine volante (Kress).
1878 : Centrifugeur pour séparer la créme du lait (de Laval).
384
1879 : Lampe a filament de carbone (Edison)
1879 : Chemin de fer électrique.
1880 : Ascenseur électrique (Siemens). -
1882 : Premiére centrale électrique (Edison).
1882 : Appareil de cinéma (Marly).
1852 : Turbine & vapeur (de Laval).
1883 : Ballon dirigeable (fréres Tissandier).
1883: Moteur a essence rapide (Daimler).
1884 : Gratte-ciel 4 charpente d’acier.
1884 : Cocaine (Singer).
1884 : Linotype (Mergenthaler).
1884 ; Valve therionique (Idison).
1884 : Turbines de grandes chutes (Pelton).
1884 : Poudre sans fumée (Duttenhofer).
1884 : Turbine a vapeur (Persons).
1885 : Temps standard international.
1886 ; Aluminium par procédé électrolytique (Hall:
1886 ; Appareil de cinéma portatif (Eastman).
1880 : Chirurgie aseptique (Bergmann).
1886 : Machine a souffler le verre.
1887 : Alternateur polyphasé (‘lelsa).
1887 : Téléphone automatique.
1887 ; Ondes électromagnétiques (Hertz).
1887 : Monotype (Lewiston).
1888 : Machine a additionner enregistreuse (Burroughs).
1889 : Soie artificielle & partir des déchets de coton (Chardonnet).
| 1889 : Disques de phonographe en ébonite.
1889 : Tour Eiffel.
1889 ; Appareil de cinéma (Edison).
1889 : Pellicule photographique en celluloid (Eastman).
| 1890 : Détecteur (Branly).
1890 : Pneus en caoutchouc sur les bicyclettes.
1892 : Carbure de calcium (Willson et Moisan).
1893-1898 : Moteur Diesel.
| 1892 : Soie artificielle 4 partir de la pulpe de bois (Cross, Bevan et
Beadle).
1893 : Cinéma (Edison).
1893 : Sous-produit du coke (Hoffman).
| 1894 : « Phantoscope », de Jenkins, premier film de cinéma moderne.
| 1895 : Projecteur de cinéma (Edison).
| 1895 : Rayons X (Roentgen).
1896 : Vol sur un demi-mille sans passager (Langley).
1896 : Radio-télégraphie (Marconi).
| 1896 : Radio activité (Becquerel).
1898 : Lampe a l’osmium (Welsbach).
| 1898 : Radium (Curie).
1898 : Cité-jardin (Howard).
| 1899 : Rouleau pour le télégraphe et le téléphone a longue distance
(Pupin).
385
XX° SIECLE. ~
INTRODUCTION GENERALE
387
TECHNIQUE 13
~
tions ils forment le noyau de toute bibliothéque d’histoire. Usher et
Feldhaus sont utiles dans leurs commentaires sur les sources et les
ouvrages. Couronnant toutes ces études, il y a le monument de 1’éru-
dition au XX®° siécle, Der Moderne Kapitalismus de Werner Sombart.
Il n’est guére d’aspect de la vie européenne occidentale depuis le
X° siécle qui ait échappé au regard d’aigle de l’auteur. Ses biblio-
graphies a elles seules vaudraient la peine d’étre publiées. The Evolu-
tion of Modern Capitalism, de J. A. Hobson, est paralléle 4 1’ceuvre
de Sombart. L’édition originale insistait surtout sur les sources anglai-
ses, la derniére édition reconnait ouvertement sa dette envers Sombart.
En Amérique, les recherches de Thorstein Veblen, prises dans leur
ensemble, vycompris ses ouvrages les moins appréciés comme Imperial
Germany et The Nature of Peace, constituent une contribution unique
a ce sujet. Quant aux ressources de la technique moderne, la récente
enquéte d’Erich Zimmerman World Resources and Industries, comble
ce qui jusqu’ici était une lacune grave. Ceci est complété, dans une
certaine mesure, par |’étude quelque peu confuse sur les phénoménes
physiques de la vie moderne, The Work, Wealth and Happiness of
Mankind, de H. G. Wells.
Pour d’autres commentaires sur les livres les plus importants, je
renvoie a la liste suivante.
388
ANDRADE E. N.
The Mechanism of Nature, Londres, 1930.
Annals of the American Academy of Political and Social Science
National and World Planning, Philadelphie, juillet 1932.
APPIER Jean et THYBOUREL F.
Recueil de plusieurs machines militaires et feux artificiels pour la
&uerre et récréation, Pont-a-Mousson, 1620 (II).
ASHTON Thomas S.
Iron and Steel in the Industrial Revolution, Manchester, 1924.
Introduction nécessaire sur le sujet, la meilleure peut-étre en lan-
gue anglaise. Voir également Ludwig Beck (II, IV, V).
BABBAGE Charles
Traité sur l’économie des machines et des manufactures, traduit de
l'anglais sur la 3° édition, Paris, 1833 (V).
Un des jalons de la pensée paléotechnique, par un éminent mathé-
maticien britannique.
Exposition of 1851; or, Views of the Industry, the Science and the
Government of England, 2° édition, Londres, 1851.
BACON Francis
Le Progrés et Advencement aux sciences divines et humaines, traduit
de l’anglais, Paris, 1624.
Enquéte synoptique sur les lacunes et les réalisations de la connais-
sance éotechnique. Antérieure 4 Galilée dans sa conception des mé-
thodes scientifiques, mais cependant trés suggestive (I, III).
Novum Organum, traduction, Paris, 1840.
La Nouvelle Atlantide, traduite de l’anglais, Paris, 1702.
Utopie incomplete, utile seulement comme document historique.
Pour une vue plus approfondie de la technique courante et ‘d’un
ordre industriel nouveau, voir la Christianopolis de J. V. Andreae.
BACON Roger
Opus Majus (I, III).
A lire en méme temps que Thorndike, qui peut-étre n’estime pas
suffisamment Bacon, par réaction contre les louanges de ceux qui
ne connaissent pas d’autre exemple de la science médiévale.
BAKER Elizabeth
Displacement of Men by Machines; Effets of Technological Change
in Commercial Printing, New-York, 1933 (V, VIII).
Bonne étude objective des changements survenus dans une seule
industrie, qui combine la tradition a des perfectionnements techni-
ques réguliers.
BANFIELD T. C.
Organisation de l’Industrie, traduit sur la 2° édition anglaise, Paris,
1851.
BARCLAY A.
Handbook of the Collections Illustrating Industrial Chemistry,
Science Museum, South Kensington, Londres, 1929 (IV, V).
Comme les autres manuels préparés par le Science Museum, celui-
ci est remarquable par son champ étendu, sa méthode et. sa lucidité.
Plus que les simples manuels, ces essais doivent figurer dans une
bibliothéque d’étude sur la technique moderne.
BARNETT George
Chapters on Machinery and Labor, Cambridge, 1926 (V, VIII).
Etude objective du remplacement de la main-d ‘oeuvre par les machi-
nes automatiques.
389
~
BARTELS Adolf
Der Bauer in der Deutschen Vergangenheit, Leipzig, 1900.
Richement illustré, comme les autres ouvrages de cette série.
BAVINK Bernhard
The Anatomy of Modern Science, traduit de l’allemand, 4° édition,
New-York, 1932.
Enquéte utile, que l’on accepte ou que |’on refuse la métaphysique
de Bavink (I).
BAYLEY R. C.
The Complete Photographer, 9° édition, Londres, 1926.
Le meilleur livre général, en langue anglaise, sur l’histoire et la
technique de la photographie moderne (VY, VII).
BEARD Charles A. (Cahiers collectifs présentés par)
Wither Mankind, New-York, 1928.
Toward Civilization, New-York, 1430 (VII, VIII).
Le premier ouvrage tente de répondre 4 la question de savoir jus-
qu’a quel point et de quelle fagon les divers aspects de la vie ont
déja été affectés par la science ou la machine. Le second est une
apologie confiante et quelque peu confuse de la technique moderne,
excellemment préfacés, cependant, par Beard.
BECHTEL Heinrich
Wirtschaftsstil des Deutschen Spatmittelalters, Munich, 1930 (III).
Suit, dans le détail, la trace de Sombart. Traité de l’art et de l’ar-
chitecture, de l’industrie et du commerce. Un bon chapitre sur les
mines.
BECK Ludwig
Die Geschichte des Eisens in Technisher und Kulturgeschichtlicher
Bezienhung, 5 vol., Braunschweig, 1891-1903 (II, III, IV, Y).
Ouvrage monumental de premier ordre.
BECK Theodor
Beitrdge zur Geschichte des Machinenbaues, 2° édition révisée, Ber-
lin, 1900 (I, III, FV).
Parce qu’il résume les réalisations et les livres techniques des pre-
miers ingénieurs italiens et allemands, cet ouvrage a une valeur par-
ticuliére pour les recherches historiques.
BECKMANN J.
Beitrage zur Geschichte des Erfindungen, 5 vol., Leipzig, 1783-1788.
Le premier traité sur l’histoire de la technique moderne; 4 ne pas
négliger, méme aujourd’hui. Particuli¢rement intéressant, méme
pour nous, parce que, comme les classiques d’Adam Smith, il mon-
tre la courbe de la pensée éotechnique avant la révolution paléotech-
nique.
BELLAMY Edouard
L.’an 2000, traduction de Looking Backward, Paris, 1891.
Utopie quelque peu déshumanisée, qui a plutét gagné que perdu
sous la derniére génération. Elle est plus dans la tradition de Cabet
que de Morris.
BELLET Daniel
La Machine et la main-d’ceuvre humaine, Paris, 1912.
L’Evolution de Industrie, Paris, 1914. Ss
BENNET et ELTON
History of Commercial Milling (III).
CEuvre utile; mais voir la critique d’Usher.
BENNET C.N.
The Handbook of Kinematography, 2° édition, Londres, 1913.
390
BENT Silas
Machine Made Man, New-York, 1930.
BERDROW Wilhelm
Krupp, traduit de l’allemand, Paris, 1928 (IV).
Peinture détaillée d’un grand paléotechnicien; mais curieusement
incompléte 4 cause de son silence sur l’ceuvre de pionnier de Krupp
en matiére d’habitat.
BERLE Adolf A. Jr.
L’homme et la propriété, Paris, 1939 (VIII).
Excellente étude objective sur la concentration de la finance mo-
derne aux U.S. A. et sur la difficulté d’appliquer A cette situation
nos concepts légaux habituels. Mais trop timide dans ses recomman-
dations.
BESSON Jacques
Thédtre des Instruments mathématiques et mécaniques, Genéve, 1626.
CEuvre d’un mathématicien du XVI siécle, qui fut aussi un bril-
lant technicien.
BIRINGUCCI Vannucio
De la Pirotechnia, Venise, 1540.
BLAKE George G.
History of Radiotelegraphy and Telephony, Londres, 1926 (VY).
BODIN Charles
Economie dirigée, Economie scientifique, Paris, 1932.
Opposition conservatrice.
BOISSONNADE Prosper
Le Travail dans l’Europe chrétienne au Moyen-Age (V°-XV® siécles),
Paris, 1921.
Bonne série d’ouvrages, bien congus et bien édités (III).
BOOTH Charles
Life and Labour of the People in London, 7 vol., Londres, 18q2-
1896 (IV).
Tableau objectif, massif et complet du niveau de vie dans une
grande métropole impériale. Voir aussi l’enquéte, plus récente et plus
condensée.
BORSODI Ralph
This Ugly Civilization, New-York, 1929 (VI).
Essaie de montrer que, grace au moteur électrique et aux machi-
nes modernes, l’industrie 4 domicile peut rivaliser avec la production
en masse. Pour un éxposé plus solide de cette these, voir Kropotkine.
BOTTCHER Alfred
Das Scheingliick der Technik, Weimar, 1932 (VI).
BOURDEAU Louis
Les forces de Vindustrie : Progrés de la puissance humaine, Paris,
1884.
BOUTHOUL Gaston
L’Invention, Paris, 1930, (I).
BOWDEN Witt
Industrial Society in England toward the End of the Eighteenth Cen-
tury, New-York, 1925 (LV).
Devrait étre complété par Mantoux et Halévy.
BOYLE Robert
The sceptical Chymist. Londres, 1661.
BRAGG William
Creative Knowledge : old Trades and new Science, New-York, 1927.
39r
BRANDT Paul
Schaffende Arbeit und Bildende Kunst, vol. I : « Im Altertum und
Mittelalter » (I, II, III); vol. II : « Vom Mittelalter bis zur Gegen-
wart », Leipzig, 1927 (III, IV).
Pour la présentation de l’industrie éotechnique s’appuie sur les
illustrations importantes de Stradanus, Ammann, van Vliet et Luy-
ken. Mais n’utilise pas suffisamment les sources francaises.
BRANFORD Benchara
A New Chapter in the Science of Government, Londres, 1919 (VIII).
BRANFORD Victor (présenté par)
The Coal Crisis and the Future : A Study of Social Disorders and
their Treatmen, Londres, 1926 (Y).
Coal-Ways to Reconstruction, Londres, 1926.
BRANFORD Victor et GEDDES P.
The Coming Policy, Londres, 1917 (Y).
Application de Le Play et de Comte a la situation contemporaine.
Our Social Inheritance, Londres, 1919 (VIII).
BRANFORD Victor
Interpretations and Forecasts : A Study of Survivals and Tendencies
in contemporary Society, New-York, 1914.
Science and Sanctity, Londres, 1923 (I, IV, VIII).
Le plus complet exposé de la philosophie de Victor Branford. Par-
fois obscur, parfois obstiné, il est néanmoins plein d’idées profondes
et pénétrantes.
BREARLEY Harry C.
Time telling through the Ages, New-York, 1919 (I).
BROCKLEHURST H. J. et FLEMING A. P. M.
A History of Engineering, Londres, 1925.
BROWDER E. R.
Is Planning possible under Capitalism ? New-York, 1933.
Buch der Erfindungen, Gewerbe und Industrien, 10 vol., 9° édition,
Leipzig, 1895-1901.
BUCHER Karl
Arbeit und Rythmus, Leipzig, 1924 (1, II, VII).
Contribution unique A la question, et qui a été étendue et rema-
niée au cours des différentes questions. Etude fondamentale sur 1’es-
thétique et 1’industrie.
BUCKINGHAM James Silk
National Eviis and Practical Remedies. Londres, 1849 (IV).
La quintessence du réformisme paléotechnique. Utopie dont les
défauts, comme ceux de l’Hygeia de Richardson, montrent les ca-
ractéristiques de 1’époque.
BUDGEN Norman F.
Aluminium and its Alloys, Londres, 1933 (V).
BURR William H.
Ancient and Modern Engineering, New-York, 1907.
BUTLER Samuel
Erewhon, ou de l’autre cété des montagnes, traduit. de 1’anglais,
Paris, 1920.
Description d’un pays imaginaire, ot l’on a abandonné les ma-
chines, et ot le port d’une montre est considéré comme un crime.
Regardé comme une simple fiction et une satire de l’époque victo-
rienne, ce livre révéle une peur inconsciente de la machine, qui sur-
vit encore, et non sans raison.
392
BUTT I. N. et HARRIS I. S.
Scientific Research and Human Welfare, New-York, 1924.
Ouvrage de vulgarisation.
BUXTON L. H. D.
Primitive Labor, Londres, 1924 (II).
BYRN Edward W.
ee of Invention in the nineteenth Century, New-York, 1900
393
~
COLE G. D. H.
Life of Robert Owen, Londres, 1930.
Bonne étude sur un important industriel et utopiste, dont les idées
avancées sur l’organisation industrielle et la construction des villes
portent encore leurs fruits.
Modern Theories and Forms of industrial Organisation, Londres,
1932 (VIII).
COOKE R. W. Taylor
Introduction to History of Factory System, Londres, 1886.
Bonne perspective historique, mais qu’il faut aujourd’hui complé-
ter par les derniers travaux de Sombart.
COUDENHOVE-KALERGI R. N.
Revolution Durch Technik, Vienne, 1932.
COULTON G. G.
Art and the Reformation, New-York, 1928 (I, III).
COURT Thomas H. et CLAY Reginald S.
The History_of the Microscope, Londres, 1932 (III).
CRAWFORD M. D.C.
The Heritage of Cotton, New-York, 1924 (IY).
CRESSY Edward
Discoveries and Inventions of the twenteenth Century, 3° édition,
New-York, 1930 (¥).
(Ouvrage de vulgarisation.)
DAHLBERG Arthur
Jobs, Machines and Capitalism, New-York, 1932 (V, VIII).
Essaie de résoudre le probléme du remplacement de la main-d’ceuvie
par les perfectionnements techniques.
DAMPIER sir William
A History of Science and its Relations with Philosophy and Reli-
gion, New-York, 1932 (I).
DANA R. T. and ACKERMAN A. P.
The Human Machine in Industry, New-York, 1927.
DANIELS Emil
Geschichte des Krie gswesens, 6 vol., Leipzig, 1910-1913 (II, EYI, IV).
Peut-étre la meilleure des petites introductions générales sur 1’é-
volution de la guerre.
DARMSTAEDTER Ludwig, etc.
Handbuch zur Geschichte der Naturwissenschaften und der Technik :
In Chronologischer Darstellung, 2° édition revue et complétée, Berlin,
1908 (I-VIII).
Une chronologie compléte, mais valable plutét pour la science que
pour la technique.
DEMMIN Auguste-Frédéric
Encyclopédie d’armurerie... depuis les temps les plus reculés jusqu’d
nos jour, Paris, 1869.
TDDESCARTES René
Discours de la méthode, 1 édition, Leyde, 1637.
Un des fondements de la métaphysique au XVII¢ siécle, qui n’a
pas été sérieusement mis en doute par la science — “sauf par des
physiologues comme Claude Bernard — avant Mach.
L:ESSAUER Friedrich
Philosophie der Technik, Bonn, 1927.
Un livre réputé en Allemagne, mais qui démontre un peu ce qui
est évident.
394
Deutsches Museum
Amtlicher Fiirhrer durch die Sammlungen, Munich, 1928.
DIAMOND Moses
Evolutionary Development of Reconstructive Dentistry,. réimprimé
du New York Medical Journal and Medical Record, New-York, aott
1923 (V).
DIELS Hermann
Antike Technik, 1'@ édition, Berlin, 1914; 2° édition, 1919.
DIXON Roland B.
The Building of Cultures, New-York, 1928.
DOMINIAN L.
The Frontiers of Language and Nationality in Europe, New-York.
1917 (VI).
DOUGLAS Clifford H.
Social Credit, 3° édition, Londres, 1933.
DULAC A. et RENARD G.
L’Evolution industrielle et agricole depuis cent cinquante ans (IV,
V)
Bon tableau de 1’évolution depuis un siécle et demi.
DYER Frank L. et MARTIN T.C.
Edison : His Life and Inventions, New-York, 1910.
ECKEL E. C.
Coal, Iron and War : A Study in Industrialism, Past and Future,
New-York, 1920.
Etude intéressante, née des bouleversements de la premiére guerre
mondiale.
Economic Signifiance of Technological Progress : A Report to the
Society of Industrial Engineers, New-York, 1933 (V, VIII).
Un résumé des travaux d’un comité dont Polakov était président
(voir ce nom).
EDDINGTON A. S.
La nature du monde physique, traduit de l’anglais, Paris, 1929
(VIII).
EGLOFF Gustave
Earth Oil, New-York, 1933 (V).
ERRENGERG Richard
Das Zeilalter der Fugger, Jena, 1896, traduit en anglais : Capital and
Finance in the Age of the Renaissance, New-York, 1928 (I, II, ITI).
ELTON John et BENNETT Richard
History of Corn Milling, 4 vol., Londres, 1898-1904.
Encyclopédie des Sciences, des Arts et des Métiers, Recueil de plan-
ches (in folio), Paris, 1763.
Une coupe de la technique européenne au milieu du XVIII® siécle,
se rapportant surtout a la France, qui avait alors pris la premiére
place, auparavant occupée par la Hollande. L’explication détaillée et
illustration des procédés lui confére une importance particuli¢re. Les
gravures que j’ai utilisées sont caractéristiques de l’ensemble. L’En-
cyclopédie a été sous-estimée par les historiens allemands de la techni-
que. Dans son illustration sur la division du travail, il y a un com-
mentaire sur Adam Smith.
ENGELHART Victor
Weltanschauung und Technik, Leipzig, 1922.
ENGELS Friedrich
The Condition of the working Class in England in 1844, Londres,
1892 (IV).
395
Excellente peinture des horreurs de l’industrie paléotechniqaue pen-
dant une de ses crises les plus graves. La documentation qui a suivi
a enrichi et non atténué la description d’Engels. Cf. Hammonds.
ENGELS Friedrich et MARX Karl
Manifeste du parti communiste (traduction revue par Engels), Paris,
Igo!.
ENOCK C., R.
Can we set the World in Order? The Need for a constructive World
Culture; an Appeal for the Development and Practice of a Science of
Corporative Life... a new Science of Geography and Industry Plan-
ning, Londres, 1916 (V, VIII).
Ouvrage dont les critiques pertinentes et l’originalité rachétent les
passages nettement mauvais.
ERHARD L, "
Der Weg des Geistes in der Technik, Berlin, 1929.
ESPINAS Alfred
Les origines de la Technologie, Paris, 1899.
EWING J. Alfred
An Engineer’s Outlook, Londres, 1933 (V, VIII).
Violente critique de la morale et de la politique qui n’ont pas su
suivre la machine. Suggére de réduire le rythme des inventions jus-
qu’A ce que nous ayions maitrisé nos difficultés. Signalé en raison
de l’importante position professionnelle d’Ewing.
EYTH Max
Lebendige Krafte; Sieben Vortrage aus dem Gebiete der Technik,
17° édition, Berlin, 1904; 3° édition, Berlin, 1919.
FARNHAM DWIGHT T., etc.
Profitable Science in Industry, New-York, 1925.
FELDHAUS Franz Maria
Leonardo; der Techniker und Erfinder, lena, 1913, (III).
Die Technik der Vorzeit; der Geschichtlichen Zeit und der Natur-
vélker, Leipzig, 1914.
Ruhmesblatter der Technik von der Urerfindungen bis sur Gegen-
wart, 2 vol., 2° édition, Leipzig, 1926 (I, VIII).
CEuvre inestimable.
Kulturgeschichte der Technik, 2 vol., Berlin, 1928 (I, VII).
Lexikon der Erfindungen und Entdeckungen auf den Gebieten der
Naturwissenschaften und Technik, Heidelberg, 1904.
Technik der Antike und des Mittelalters, Postdam, 1931 (III).
Bien qu’il soit parfois incomplet en dehors des sources et de la
littérature allemande sur ce sujet, Feldhaus s’est acquis la reconnais-
sance de quiconque étudie 1’évolution historique de la technique.
FERRERO Gina LOMBROSO
La rangon du machinisme, traduit de l’italien, Paris, 1931.
Ouvrage assez faible, qui exagére les vertus du passé et ne par-
vient pas A faire une critique assez rigoureuse du présent, malgré un
évident parti pris contre lui.
FIELD J. A. 3
Essays on Population, Chicago, 1931 (¥). SS
FLANDERS Ralph
Taming our Machines : the Attainment of Human Values in a
mechanized Society, New-York, 1931 (V, VIII). ;
Essai d’un ingénieur qui comprend que 1’Age de la machine n'est
pas une pure utopie.
396
FLEMING A. P. M. et BROCKLEHURST H. J.
A History of Engineering, Londres, 1925.
FLEMING A. P. M. et PEARCE J. G.
Research in Industry, Londres, 1917.
FOPPL Otto
Die Weiterentwicklung der Menschheit mit Hilfe der Technik, Ber-
Jin, 1932.
FORD Henri
Today and Tomorrow, New-York, 1926.
Le Progrés, traduit par Arthur Foerster, Paris, 1930.
Ma vie et mon ceuvre, Paris, 1926.
Important Aa cause de la puissance industrielle de Ford et parce
qu’il comprend presque instinctivement le besoin d’une réorganisa-
tion néotechnique de l’industrie; mais gAché par le « cant » qui
accompagne si souvent les bonnes intentions de l’Américain, en par-
ticulier lorsqu’il veut justifier son pouvoir financier arbitraire.
Form, Die, Ouvrage bi-mensuel de la Deutscher Werkbund (VII).
Entre 1925 et janvier 1933, le plus important de tous les périodi-
ques qui aient traité des arts formels, A la fois dans l’artisanat et
le machinisme. Le premier rang est revenu maintenant a la France,
la Belgique, la Hollande et les Pays Scandinaves, mais Die Form
reste le témoin indispensable de la courte explosion créatrice de
l’Allemagne.
FOURNIER Edouard
Curiosités des inventions et découvertes, Paris, 1855.
FOX R. M.
The Triumphant Machine, Londres, 1928.
FRANK Waldo
The Rediscovery of America, New-York, 1929 (VI).
Quelques commentaires intéressants sur les effets subjectifs de la
mécanisation.
FREEMAN Richard A.
Social Decay and Regeneration, Londres, 1921 (VI).
Critique de la machine du point de vue de la dégradation humaine
qu'elle engendre, faite par un membre de la haute bourgeoisie. Cf.
Allport pour un exposé plus intelligent.
FREMONT Charles
Origine et évolution des outils, Paris, 1913.
FREY Dagobert
Gotik und Renaissance als Grundlagen der Modernen Welan-
schauung, Augsbourg, 1929 (I-VII).
Etude brillante et bien illustrée d’un sujet difficile, délicat et fas-
cinant.
FRIEDELL Egon
A Cultural History of the Modern Age, 3 vol., New-York, 1930-1932.
Généralement brillant, quelquefois inexact, et obscur a l’occasion.
Il ne faut pas considérer cet ouvrage comme une étude positive.
Comme pour Spengler, son intérét réside surtout dans des a-cétés que
ne révélent pas des esprits plus académiques.
FROST Dr Julius
Die Hollandische Landwirtschaft; Ein Muster Moderner Rationali-
sierung, Berlin, 1930.
GAGE S. H.
The Microscope, Edition revue, Ithaca, 1932 (III).
397
GALILEE ~
Dialogues sur la chute des corps et le pendule, traduction Souchet,
Angouléme, 1906 (I, III).
Un classique.
GANTNER Joseph
Revision der Kunstgeschichte, Vienne, 1932 (VII).
Suggére la nécessité de reviser les jugements historiques selon
les intéréts nouveaux et les valeurs nouvelles. L’auteur fut le ré-
dacteur en chef de la revue Die Neue Stadt qui, pour n’avoir paru
que peu de temps, n’en fut pas moins brillante.
GANTT H. L.
Travail, salaires et bénéfices, traduit d’aprés la 2° édition améri-
caine, Paris, 1921.
Un des jalons dans la recherche du rendement par un contemporain
de Taylor, qui dépasse l’étroite position initiale de son maitre.
GARRETT Garret
Ouroboros, or the Future of the Machine, New-York, 1926.
GASKELL P.
Artisans and Machinery; the Moral and Physical Condition of the
Manufacturing Population considered with Reference to Mechanical
Substitutes for Human Labour, Londres, 1836 (IV).
Gaskell, ayant la foi en l’ordre établi, présente une vision horri-
fiante des débuts de l’industrie paléotechnique, dont les défauts le
révoltent.
GAST Papl
Unsere Neue Lebensform, Munich, 1932.
GEDDES Norman Bell
Horizons, Boston, 1932 (V, VII).
Suggére de nouvelles formes de machines et d’utilités, applications
des principes de l’aérodynamique et des matériaux modernes. Doit
plus 4 la publicité qu’é son érudition, mais utile par ses illustrations.
GEDDES Patrick
An Analysis of the Principles of Economics, Edimbourg, 1885 (VIII).
The Classification of Statistics, Edimbourg 1881.
Un des premiers écrits de Geddes, encore plein d’enseignement
pour ceux qui sont capables de porter les théories de l’auteur jus-
qu’a leur conclusion. Premiére application sociologique du concept
moderne de énergie.
An Indian Pioneer of Science; the Life and Work of sir Jagadis
Bose, Londres, 1920.
Cities in Evolution, Londres, 1915.
Premier ouvrage de Geddes qui distingue la période néotechnique
de la période paléotechnique.
GEDDES Patrick et THOMSON J. A.
Life; Outlines of General Biology, New-York, 1931.
Biology, New-York, 1925.
Le titre du premier ouvrage esquisse le second. Les derniers cha-
pitres du second volume de Life sont ceux qui résument le mieux la
pensée de Geddes, encore valable aujourd’hui. Il projetait un ouvrage
analogue en sociologie, mais ne vécut pas assez pour le terminer.
~
GEDDES Patrick et SLATER G.
Ideas at War, Londres, 1917 (II, IV).
Une brillante collection des articles de Geddes sur la paix et la
la guerre, qui parurent dans la Sociological Review.
GEER William C.
The Reign of Rubber, New-York, 1922 (Y).
598
GEITEL Max (Editor),
Die Siegeslauf der Technik, 3 vol., Berlin, 1909.
GEORGE Henry
Progres et Pauvreté, traduit sur |’édition anglaise de 1886, Paris,
1887.
George met l’accent sur le réle de l’appropriation privée des reve-
nus fonciers, ce qui lui fait dépeindre l’industrie moderne sous un
seul aspect. Son ceuvre, comme celle de Marx, marque en tant que
critique.
GIESE Fritz
Bildungsideale in Maschinenzeitalter, Halle, 1931.
GLANVILL Joseph
Scepsis Scientifica; or Confessed Ignorance the W'ay to Science,
Londres, 1665 (I).
GLAUNER Karl Th.
Industrial Engineering, Des Moines, 1931.
GLOAG John
Artifex, or the Future of Craftsmanship, New-York, 1927.
GLOCKMEIER Georg
Von Naturalwirtschaft zum Millardentribut : Ein Langschnitt durch
Technik, Wissenschaft und Wirtschaft cweier Jahrtausende, Zurich,
1931.
GOODYEAR Charles
Gum Elastic and Its Varieties, 1853 (V).
GORDON G. F.C.
Clockmaking, Past and Present; with which is Incorporated the
more important Portions of « Clocks, Watches and Bells », by the
late Lord Grimthorpe, Londres, 1925 (I, II).
GRAHAM J. J.
Elementary History of Progress of the Art of War, Londres, 1858
(II).
GRAS N.S. B.
Industrial Evolution, Cambridge, 1930 (I, VY).
Une utile série d’études concrétes sur le développement de 1’industrie.
An Introduction to Economic History, New-York, 1922.
GREEN A. H. et autres
Coal; its History and Uses, Londres, 1878 (IV).
GROSSMANN Robert ly
Die Technische Entwicklungen der Glasindustrie in ihrer Wirts-
chaftlichen Bedeutung, Leipzig, 1908 (III).
GUERARD A. L.
A short History of the International Language Movement, Londres,
1922 (VI).
Excellent résumé des raisons qui militent en faveur d’une langue
internationale, et la base méme du mouvement de cette époque.
L’ceuvre de Ogden sur le Basic English, si elle a quelque valeur en
logique et en grammaire, ne présente pas de raisons suffisantes pour
V’emploi d’une langue vivante dans les relations internationales.
HALE W. J. :
Chemistry Triumphant, Baltimore, 1933 (V)-
HALEVY Elie
The Growth of Philosophic Radicalism, Londres, 1928 (IV).
La meilleure histoire de l’idéologie utilitaire.
HAMMOND John Lawrence et Barbara
The Rise of Modern Industry, New-York, 1926 (III, TV).
The Town Labourer (1760-1832).
The Skilled Labourer (1760-1832), New-York, 1919 (IV).
The Village Labourer, Londres, 1911 (III, IV).
Cette série d’ouvrages, méme le plus général sur la naissance de
Vindustrie moderne, est basée presque uniquement sur une docu-
mentation britannique. Dans cette limite, ils constituent le tableau
le plus vivant, le plus complet et le plus irréfutable du régime
paléotechnique A ses débuts, et de ses progrés. Cf. Engels, Mantoux,
et, par contraste, Ure. Le phénoméne décrit par les Hammond fut
suivi, avec de faibles variantes, par les autres pays.
HAMOR William A. et WEIDLEIN E. R.
Science in Action,New-York, 1931.
HARRIS L. S. et BUTT I. N.
Scientific Research and Human Welfare, New-York, 1924 (¥).
HARRISSON H. S.
Pots and Pans, Londres, 1923 (II).
The Evolution of Domestic Arts, 2° édition, Londres, 1925.
Travel and Transport, Londres, 1925 (II).
War and Chase, Londres, 1929 (II).
Une excellente série d’introductions. Consulter en particulier War
and Chase.
HART Ivor B.
The Mechanical Investigations of Leonardo da Vinci, Londres, 1925.
Avec Feldhaus constitue un excellent résumé de l’ceuvre de Léo-
nard. Voir aussi le chapitre correspondant dans Usher.
The Great Engineers, Londres, 1928.
HATFIELD H. Stafford
The Inventor and his World, New-York, 1933.
HAUSER Henri
La Modernité du XVI° siécle, Paris, 1930 (I).
HAUSLEITER L.
The Machine Unchained, New-York, 1933.
Inestimable.
HAVEMEYER Louis
Conservation of our Natural Resources, New-York, 1930 (Y).
Un ingénieur reconnait le gaspillage et la destruction de l’envi-
ronnement, clairement démontré pour la premiére fois par George
Perkins Marsh vers 1860.
HENDERSON Fred
Economic Consequences of Power Production, Londres, 1931 (W,
VIIt).
Etude bien menée sur les tendances 4 |’automatisme et au con-
tréle lointain dans la production néotechnique.
HENDERSON Lawrence J.
L’ordre de la Nature, traduit de l’anglais, Paris, 1924.
The Fitness of the Environment; an Inquiry into The Biological
Signifiance of the properties of Matter, New-York, 1927 (I, VIII).
Ouvrage brillant et original, qui contredit la thése habituelle sur
l’adaptation. .
HENDRICK B. J.
The Life of Andrew Carnegie, New-York, 1932 (IY).
HILL Leonard et CAMPBELL Argyll
Health and Environment, Londres, 1925 (IV, VY).
Bon ouvrage.
400
HINE Lewis
Men at Work, New-York, 1932 (VY).
Photographies d’ouvriers modernes au travail. C’est le genre d’é-
tude qui devra étre faite systématiquement si l’on entreprend jamais
l’Encyclopedia Graphica de Geddes.
HOBSON John A.
The Evolution of Modern Capitalism; a Study of Machine Production,
nouvelle édition revisée, Londres, 1926 (I, V).
Incentives in the New Industrial Order, Londres, 1922 (VIII).
Wealth and Life; a Study in Values, Londres, 1929 (VIII).
Un des économistes modernes les plus intelligents, les plus hu-
mains, et dont l’esprit est le plus clair. Ces ouvrages corrigent heu-
reusement les réves non discutés sur « le nouveau capitalisme » qui
furent si 4 la mode en Amérique entre 1925 et 1930.
HOCART A. M.
Les progres de l’homme, traduit de l’anglais, Paris, 1935.
Bréve enquéte critique dans les divers domaines de |’anthropologie,
y compris la technique.
HOER
A short History of the printing Press, New-York, 1902.
HOLLAND Maurice et PRINGLE H. F.
Industrial Explorers, New-York, 1928.
Hollandsche Molen
Eerste Jaarboekje, Amsterdam, 1927 (III).
Rapport de la Société pour la protection des vieux moulins de
Hollande.
HOLSTI R.
Relation of War to the Origin of the State, Helsingfors, 1913 (II).
Un livre qui bouleverse la notion démodée et paresseuse selon la-
quelle la guerre est l’apanage des petuples sauvages. Démontre le
caractére rituel de la guerre primitive.
HOLZER Martin
Technik und Kapitalismus, lena, 1932 (VIII).
Critique aigué du « technicisme » et du pseudo-rendement vantés
par la grosse finance moderne.
HOOKE Robert
Micrographia, Londres, 1665 (I).
Posthumous Works, Londres, 1705.
HOPKINS W. M.
The Outlook for Research and Invention, New-York, 1919 (Y).
HOUGH Walter
Fire as an Agent in Human Culture, Smithsonian Institution Bul-
letin 139, Washington, 1926 (II).
HOWARD Ebenezer
Tomorrow; a peaceful Path to Reform, Londres, 1898, 2° édition inti-
tulée Garden Cities of Tomorrow, Londres, 1902 (Y).
Ouvrage qui décrit l’une des plus importantes inventions néotech-
niques, la cité-jardin. Voir aussi Kropotkine et Cities in Evolution de
Geddes.
ILES George
Inventors at Work, New-York, 1906.
Leading American Inventions, New-York, 1912.
JAMESON Alexander (Editor).
A Dictionary of Mechanical Science, Arts, Manufactures and Miscel-
laneous Knowledge, Londres, 1827 (III, IV).
401
JEFFREY E. C. ~
Coal and Civilization, New-York, 1925 (1V, Y).
JEVONS H. Stanley
Economic Quality in the cooperative Commonwealth, Londres, 1933
(VIID.
Suggestions détaillées pour passer, d’une fagon ordonnée et typi-
quement anglaise, au communisme.
JEVONS W. Stanley
The Coal Question, Londres, 1866 (IY).
Un ouvrage qui attirait l’attention sur la base de 1’économie
paléotechnique, peu sdre en ses fondements.
JOHANSEN Otto
Louis de Geer, Berlin, 1933 (III).
Bréve évocation d’un capitaliste belge qui s’enrichit en fabriquant
des munitions dans la Suéde du XV11® siécle. Voir aussi 1’évocation
de Christopher Polhem dans Usher.
JONES Bassett
Debt and Production, New-York, 1933 (VIII).
Essaie de démontrer que le taux de la production industrielle dé-
croit quand la dette augmente. Thése importante.
KAEMPFFERT Waldemar
A Popular History of American Invention, New-York, 1924 (IV, V).
KAPP Ernst
Grundlinien einer Philosophie der Technik, Braunschweig, 1877.
KEIR R. M.
The Epic of Industry, New-Haven, 1926 (IV, Y).
Développement de l’industrie américaine. Bien illustré.
KESSLER Count Harry 4
Walter Rathenau : His Life and Work, New-York, 1930 (Y).
Description sympathique de celui qui fut, peut-étre, le plus grand
des financiers et des industriels néotechniques. Complément biogra-
phique a la théorie de l’entreprise de Veblen, montrant le conflit
entre les normes pécuniaires et techniques chez une méme personne.
KIRBY Richard S. et LAURSON P.G.
The Early Years of Modern Civil Engineering, New-Haven, 1932
(IV).
Documentation intéressante sur ]’Amérique.
KLATT Fritz
Die Geistige Wendung des Maschinenzeitalters, Postdam, 1930.
KNIGHT Edward H.
Knight’s American Mechanical Dictionary, 3 vol., New-York, 1877.
Compilation trés intéressante, eu égard a l’époque et au lieu, et
qui donne une coupe utile de |’industrie paléotechnique.
KOFFKA Kurt
The Growth of the Mind, New-York, 1925.
KOLLMANN Franz
Schénheit der Technik, Munich, 1928 (VII).
Bonne étude, avec de nombreuses photographies, qui demande
déja a étre complétée. ~
KRAFT Max
Das System des Technischen Arbeit, 4 vol., Leipzig,
1902.
KROPOTKINE .
Champs, Usines, Ateliers, ou Vindustrie combinée avec Vagriculture,
traduction, Paris, 1910 (V, VIII).
402
Un des premiers essais pour définir ce qu’implique 1’économie
néotechnique, grandement renforcé par les progres de l’électricité et
de la production en usine. Voir Howard.
KULISHER A.M. et Y. M.
Kriegs und Wanderziige; Weltgeschichte als Wolkerbewegung, Ber-
lin, 1932 (II, IV).
Bonne analyse du rapport entre la guerre et la migration des
peuples.
LACROIX Paul
Vie militaire et religieuse au Moyen-Age et a l’époque de la Renais-
sance, Paris, 1873 (II).
LANDAUER Carl
Planwirtschaft und Werkehrswirtschaft, Munich, 1931.
LANGLEY S. P.
Langley Memoir on Mechanical Flight, 17° partie, 1887-1896.
LAUNAY Louis de
La Technique industrielle, Paris, 1930.
LAURSON P. G.
Voir KIRBY R. S.
LE CORBUSIER
L’Art décoratif d’aujourd’hui, Paris, 1925.
Vers une architecture, Paris, 1922.
Une génération aprés les ceuvres de Sullivan, Wright et Loos, Le
Corbusier re-découvre pour lui-méme la machine. Principal avocat
polémique des formes de la machine.
LEE Gerald Stanley
The Voice of the Machines; on Introduction to the Twentieth Cen-
tury, Northampton, 1906.
Livre sentimental.
LEITH C. K.
World Minerals and World Politics, New-York, 1931 (¥).
LENARD Philipp
Great Men of Science; A History of human Progress, Londres, 1933
LEONARD J. N.
Loki; the Life of Charles P. Steinmetz, New-York, 1929 (V¥).
LE PLAY Frédéric
Les ouvriers européens, 2° édition, 6 vol., Tours, 1879 (II).
Un des grands jalons de la sociologie moderne. Les principales
écoles d’économistes et d’anthropologistes ne parviennent pas a le
suivre et montrent par 14 leurs limites. Le manque de telles études
concrétes sur le travail, l’ouvrier et l’environnement du travail est
un sérieux handicap pour écrire l’histoire de la technique ou appré-
cier les forces en action.
LE-PLAY House
Coal : Ways to Reconstruction, Londres, 1926 (¥).
Application de la pensée néotechnique a une industrie retardataire.
LEVY H.
The Universe of Science, Londres, 1932.
Bonne introduction (I, V).
LEWIS Gilbert Newton
The Anatomy of Science, New-Haven, 1926 (I, V).
Excellent exposé des démarches contemporaines de la science.
Voir Poincaré, Henderson, Lévy et Bavink.
403
LEWIS Wyndham be!
Time and Western Man, New-York, 1928 (I).
Critique du temps mécanique par un visuel, avocat des arts de
l’espace. Ne voit qu’un aspect, mais n’est pas négligeable.
LIEHBURG Max Eduard
Das Deue Weltdild, Zurich, 1932.
LILJE Hanns ’
Das Technische Zeitalter, Berlin, 1932.
LINDNER Werner et STEINMETZ G.
Die Ingenieurbauten in Ihrer Guten Gestaltung, Berlin, 1923 (VII).
Particuligrement bon dans la comparaison des formes anciennes de
la construction industrielle avec les usines modernes. Beaucoup d’il-
lustrations. Voir Le Corbusier et Kollmann.
ILLOMBROSO Gina
Voir Ferrero.
LUCKE Charles E.
Power, New-York, 1911.
LUX J. A.
Ingenieur-Aesthetik, Munich, 1910 (VII).
Une des premiéres études. Voir Lindner.
Mac CURDY G. G.
Human Origins, Londres, 1923 (I, II).
Bon compte rendu objectif des outils et des armes préhistoriques.
Mac IVER R. M.
Society : its Structure and Changes, New-York, 1932.
Introduction pénétrante et équilibrée.
Mac KAYE Benton
The New Exploration, New-York, 1928 (Y).
Un des premiers traités sur la géotechnique et le planning régio-
nal, A mettre aux cétés de Marsh et de Howard.
MACKENZIE Catherine.
Alexander Graham Bell, New-York, 1928 (¥).
MALE Emile
L’art religieux en France au XIII® siécle, 17 édition, Paris, 1898 (1).
MALTHUS T.-R.
Essai sur le principe de poptlation. traduit de l’anglais, Paris,
1852 (IV).
MAN Henri de
La joie au travail, Paris, 1930.
Fiude objective de la récompense psychologique du travail, basée
cependant sur une observation limitée et un nombre insuffisant de
cas. Des observations utiles sur ce sujet attendent des études du
genre de celle de Terpenning sur le village. Voir Le Play.
MANLEY Charles M.
Langley Memoir on Mechanical Flight, 2° partie, Washington, 1911
(V).
MANNHEIM Karl :
Ideologie und Utopie, Bonn, 1929. A
Ouvrage difficile, mais intéressant.
MANTOUX Paul
La Révolution industrielle du XVIII® siécle, Paris, 1906.
Traite des changements techniques et industriels dans 1’Angleterre
du XVIII¢ siécle. Sans doute le meilleur livre qui ait été publié sur
ce sujet.
404
MAREY Etienne-Jules
La machine animale : locomotion terrestre et aérienne, Paris, 1873.
Le mouvement, Paris, 1894.
Importantes études physiologiques destinées A renouveler l’intérét
pour le vol. Voir Pettigrew.
MOROT Helen
The Creative Impulse in Industry, New-York, 1918 (VIII).
Evaluation des valeurs éducatives potentielles dans les organisations
industrielles modernes. Beaucoup de critiques et de suggestions sont
encore pertinentes.
MARTIN T.-C.
Voir Dyer F, L.
MARX Karl
Le Capital, 4 vol., Paris,1924-1928.
Un classique, dont la documentation historique, le sens social et
la passion humaine contrebalancent les défauts dans 1l’analyse éco-
nomique abstraite. La premiére interprétation de la société moderne
selon la technique.
MARX Karl et ENGELS Friedrich, cf. Engels.
MASON Otis T.
The Origins of Invention; a Study of Industry among Primitive
Peoples, New-York, 1895 (I, II).
Bon ouvrage A l’époque. Demande maintenant un successeur digne
de lui.
MATARE Franz
Die Arbeitsmittel, Maschine, Apparat, Werkzeug, Leipzig, 1913
(I, V).
Important. Fait ressortir le r6éle des appareils et utilités et montre
les tendances néotechniques des industries chimiques, en avance en
ce qui concerne l’organisation scientifique, le nombre proportionnelle-
ment élevé de techniciens et l’automatisme croissant du travail.
MATSCHOSS Conrad
Die Entwicklung der Dampfmaschine; eine Geschichte der Ortsfes-
ten Dampfmaschine und der Lokomobile, der Schiffsmaschine und
Lokomobile, 2 vol., Berlin, 1908 (IY).
Etude compléte de la machine a vapeur. Pour une étude plus
courte, voir Thurston.
Technische Kulturdenkmdler, Berlin, 1927.
MATSCHOSS Conrad (Editor)
Manner der Technik, Berlin, 1925.
Série de biographies. Ouvrage critiqué par Feldhaus pour diffé-
rentes omissions et erreurs.
MAYHEW Charles
London Labor and the London Poor, 4 vol. Londres, 1861.
MAYO Elton
The Human Problems of an Industrial Civilization, New-York,
1933 (V) ;
Etude utile des rapports entre le rendement, les périodes de repos
et l’intérét pour le travail. Voir Henri de Man.
McCARTNEY Eugene S.
Warfare by Land and Sea, Boston, 1923 (II).
McCURDY Edward
Leonardo da Vinci’s Notebooks, New-York, 1923 (I, III).
The Mind of Leonardo de Vinci, New-York, 1928 (I, HII).
405
MEISNER Erich =
Weltanschauung eines Technikers, Berlin, 1927.
MEYER Alfred Gotthold
Eisenbauten, Ihre Geschichte und Esthetik, Essling, 1907 (IV, V,
VID).
Trés important; critique compétente et travail historique.
Middle West Utilities Company
America’s New Frontier, Chicago, 1929 (¥).
Malgré son origine, étude trés utile sur les rapports de 1’électricité
et de la décentralisation industrielle et urbaine.
MILHAM Willis I.
Time and Time-Keepers, New-York, 1923 (I, III, IV).
MOHOLY-NAGY L.
The New Vision (traduit par Daphne Hoffman), New-York, sans
date (VII).
Malerei Fotografie film, Munich, 1927.
Bien que la fin ne vaille pas le début, The New Vision est encore
un des meilleurs exposés sur les expériences modernes dans le genre
de la Bauhaus de Dessau par Gropius et Moholy-Nagy. Dans de
telles expériences, méme les échecs et les erreurs ne manquent pas
d’intérét, ne serait-ce que parce que ceux qui sont nouveaux en la
mnatiére ont souvent tendance a les répéter.
MORGAN C. Llyod
Emergent Evolution, New-York, 1923.
MORY L. V. H. et REDMAN L. V.
The Romance of Research, Baltimore, 1933.
MUMFORD Lewis
The Story of Utopias, New-York, 1922 (VI, VIII).
Résumé des utopies classiques qui, bien que souvent superficiel,
découvre cependant quelquefois un aspect négligé.
NEUBURGER Albert
The Technical Arts and Sciences of the Ancients, New-York, 1930.
Volumineux. Mais voir Feldhaus.
NEUDECK G.
Geschichte der Technik, Stuttgart, 1923.
Quelquefois utile pour les faits historiques. Complet, mais pas
d’une qualité extraordinaire.
NUMMENHOFF Ernst
Handwerker in der Deutschen Vergangenheit, Tena, 1924.
Abondamment illustré.
NUSSBAUM Frederick L.
A history of the economic institutions of modern Europe, New-York,
1933-
Un résumé de Sombart.
OBERMEYER Henry
Stop that Smoke! New-York, 1933 (VI, VY).
Exposé de vulgarisation sur le coft et les conséquences des che-
minées des usines paléotechniques, qui pésent lourdement, encore
aujourd’hui, sur les centres industriels. “
OGBURN W. F.
Living with Machines, New-York, 1933 (IV, V).
Social Change, New-York, 1922.
ORTEGA Y GASSET José
La révolte des masses, traduction, Paris, 1937.
406
OSTWALD Wilhelm
Energetische Grundlagen der Kulturwissenschaften, Leipzig, 1909.
Voir The Classification of Statistics de Geddes, écrite une généra-
tion plus tét.
OZENFANT Amédée
Bilan des arts modernes, Paris, 1928.
Irrégulier, mais parfois pénétrant.
PACORET Etienne
Le machinisme universel, ancien, moderne et contemporain, Paris,
1925.
L’une des plus utiles introductions en langue frangaise.
PARRISH Wayne William
An Outline of Technocracy, New-York, 1933.
PASDERMADJIAN H.
L’organisation scientifique du travail, Genéve, 1932.
PASQUET D.
Londres et les ouvriers de Londres, Paris, 1914.
PASSMORE J. B. et SPENCER A. J.
Agricultural Implements and Machinery (III, IV). A Handbook of
the Collections in the Science Museum, London, Londres, 1930.
Utile.
PAULHAN Frédéric
Psychologie de l’invention, Paris, 1901.
Traite intelligemment de l’invention mécanique, non comme un
don particulier de la nature, mais comme un aspect particulier des
caractéristiques communes 4 tous les arts.
PEAKE Harold J. E.
Early Steps in human Progress, Londres, 1933 (I, II).
Bon. Mais voir Renard.
PEAKE Harold et FLEURE H. J.
The Corridors of Time, 8 vol., Oxford, 1927.
PELDGOT Eugéne M.
Le verre, son histoire, sa fabrication, Paris, 1877 (III).
PENTY Arthur
Post Industrialism, Londres, 1922 (VI).
Critique des finances et du machinisme modernes. Prévoit la chute
du systéme A une époque ot cette position était moins courante
qu’aujourd’hui.
PETRIE W. F.
Les arts et métiers de l’ancienne Egypte, traduit de l’anglais, Bruxel-
les, 1912.
The Revolutions of Civilization, Londres, 1911 (III).
FETTIGREW J. Bell
La locomotion chez les animaux, ou marche, natation et vol, suivie
d’une dissertation sur l’aéronautique, Paris, 1874 (V).
Contribution importante. Voir Marey.
POINCARE Henri
Science et méthode, Paris, 1908.
Un classique dans la philosophie de la science.
FOLAKOV Walter N.
The Power Age; its Quest and Challenge, New-York, 1933 (V, VIII).
Donne d’excellentes perspectives sur les nouvelles formes d’utilisa-
tion de l’énergie électrique et l’organisation de l’industrie moderne.
Se trompe lorsqu’il affirme que l’emploi de l’énergie est le trait
caractéristique de l’industrie néotechnique.
407
POPP Josef i
Die Technik als Kultur Problem, Munich, 1929.
POPPE Johann H. M. von
Geschichte aller Erfindungen une Entdeckungen im Bereiche der
Gewerbe, Kiinste und Wissenschaften, Stuttgart, 1837 (III).
Le plus proche successeur de Beckmann. Contient quelques faits
qui ont été négligés depuis.
PORTA Giovanni Battista della
La magie naturelle, 17* édition en frangais, Rouen, 1612 (III).
PORTER George R.
Progress of the Nation, 3 vol. en un, Londres, 1836-1843 (IV).
Utile comme documentation.
POUND A.
Iron man in industry, Boston, ig22 (¥).
Etude de l’automatisme dans l’industrie et du besoin de le com-
penser.
PUPIN Michael J.
Romance of the Machine, New-York, 1930.
Quelconque.
RATHENAU Walter
Die Neue Gesellschaft, Berlin, 1919 (V, VIII).
Die Neue Staat, Berlin, 1919.
Die neue Wirtschaft, Berlin, 1918.
Conscient des dangers de la mécanisation 4 outrance, Rathenau,
bien que parfois emphatique et exagéré, a écrit une série de justes
critiques sur cette situation. I! a tracé le portrait d’une nouvelle so-
ciété industrielle. Il se distingue de la plupart des démocrates sociaux
et communistes parce qu’il reconnait l’importance fondamentale des
problémes moraux et éducatifs dans l’orientation nouvelle.
READ T. T.
Our Mineral Civilization, New-York, 1932.
Recent Social Trends in the United States, 2 vol., New-York, 1933.
Recent Economic Changes in the United States, 2 vol., New-York,
1929 (IV, Y).
Enquéte encore utile pour ses données et qui aurait été encore plus
importante si elle avait été présentée de facgon a faire ressortir
plus clairement ses conclusions pessimistes et pleines de doutes.
Recueil de planches sur les Sciences, les Arts libéraux et les Arts
mécaniques (Supplément a 1l’Encyclepédie de Diderot), Paris, 1763
(II).
Voir Encyclopédie.
REDMAN L. V.
Voir Mory L. V. H.
REDZICH Constantin
Das Grosse Buch der Erfindungen une deren Erfinder, 2 vol., Leip-
zig, 1928.
RENARD Georges-F.
La révolution économique et sociale au début de l’ére moderne (X V°-
XVIP° siécles), Paris, 1913 (HII).
Le travail dans la préhistoire, Paris, 1927 (II). =
Etude pénétrante d’un sujet dont les données exigent une imagina-
tion active mais prudente.
RENARD G.-F. et DULAC A.
L’ Evolution industrielle et agricole depuis cent cinquante ans, Paris,
1912 (IV, VY).
408
RENARD G.-F, et WEURLESSE G.
Le travail dans l’Europe moderne, Paris, 1920 (III).
Excellent.
REULEAUX Franz
Cinématique. Principes fondamentaux d’une théorie générale des
machines, traduit de l’allemand, Paris, 1877.
La plus importante des morphologies systématiques de la machine.
Ouvrage si remarquable qu’il a découragé les successeurs.
RICHARDS Charles R.
The Industrial Museum, New-York, 1925.
Enquéte critique sur les genres existants de musées industriels.
RICKARD Thomas A.
L’homme et les métaux, traduit de l’anglais, Paris, 1938.
Abrégé assez complet.
RIEDLER A.
Das Maschinen-Zeichnen, 2° édition, Berlin, 1913.
Traité qui a beaucoup d’influence en Allemagne.
ROBERTSON J. Drummond
The Evolution of Clockwork, with a special Section on the Clocks of
Japan, Londres, 1931.
Données récentes sur un sujet dont I’histoire, au début, présente
de nombreux piéges. Voir Usher.
ROE Joseph W.
English and American Tool Builders, New-Haven, 1916 (IY).
Ouvrage de valeur. Voir Smiles.
ROSSMAN Joseph
The Psychology of the Inventor, New-York, 1932.
ROUTLEDGE Robert
Discoveries and Inventions of the Nineteenth Century, Londres, 1899,
(IV).
RUGG Harold O.
The Great Technology; Social Chaos and the Public Mind, New-
York, 1933 (V, VIII).
Concerne le probléme éducatif qui consiste 4 comprendre les va-
leurs de l’industrie moderne et du contréle de la machine.
RUSSELL George W.
The National Being, New-York, 1916.
SALTER Arthur
Modern Mechanization, New-York, 1933.
SARTON George
Introduction to the History of Science, 3 vol., Baltimore, 1927-
1931 (I).
(Euvre qui occupa toute une vie de savant.
SAYCE R. U.
Primitive Arts and Crafts; an Introduction to the Study of Material
Culture, New-York, 1933 (II).
Suggestif.
SCHMIDT Robert
Das Glas, Berlin, 1912 (III).
SCHMITTHENNER Paul
Krieg und Kriegfiihrung im Wandel Weltgeschichte. Postdam,
1930 (II, II, IV).
Bien illustré, bonne bibliographie.
409
~
SCHNEIDER Hermann
The History of World Civilization from Prehistoric Times to the
Middle Ages, vol. I, New-York, 1931.
SCHREGARDUS J., VISSER Door C. et TEN BRUGGENCATE A.
Onze Hollandsche Molen, Amsterdam, 1926.
Bien illustré.
SCHULZ Hens
Die Geschichte der Glaserzeugung, Leipzig, 1928 (III).
Das Glas, Munich, 1923 (III).
SCHUMACHER Fritz
Schopferwille und Mechanisierung, Hambourg, 1933.
Der Fluch der Technik, Hambourg, 1932.
Ces quelques pages en disent plus que bien des traités prétentieux.
L’esprit humain et rationnel de Schumacher soutient la comparaison
avec celui de Spengler, tout comme ses admirables écoles et com-
munautés de Hambourg le font avec l’obscurantisme esthétique dé-
cadent de la Béttcherstrasse de Bréme. Il faut reconnaitre que les
deux tendances sont caractéristiques de la pensée germanique, bien
qu’elle ait subi une éclipse au moment ot Schumacher écrivait.
SCHUYLER Hamilton
The Roeblings; a century of Engineers, Bridge-Builders and Indus-
trialists, Princeton, 1931 (IV).
Plus important par le sujet que par l’apport personnel de 1’auteur.
SCHWARZ Heinrich
David Octavius Hill, Master of Photography, New-York, 1931
(V, VII).
Bon ouvrage.
SCHWARZ Rudolph
Wegweisung der Technik, Postdam, sans date (VII).
Quelques comparaisons intéressantes entre les formes solides du
gothique septentrional 4 Lubeck et les formes modernes de la ma-
chine. Noter également que cela vaut pour les bastides de la France
méridionale.
Science at the Crossroads, rapports présentés au Congres internatio-
nal de l’Histoire de la science et de la technologie par les délégués
de 17U...R. S..S:,, Londres, 1937.
Rapports intéressants, bien que souvent agagants a cause de leur
sens obscur, sur le communisme, le marxisme et la science mo-
derne.
SCOTT Howard
Introduction to Technocracy, New-York, 1933.
Un livre dont l’ignorance politique et historique, l’absence d’ob-
jectivité ont fait beaucoup pour jeter le discrédit sur les justes con-
clusions de ceux que l’on appelle les technocrates.
SOULE George
A Planned Society, New-York, 1932 (VIII).
SHEARD Charles
Life-giving Light, New-York, 1933 (¥).
Un des meilleurs ouvrages de la collection trés inégale « Century
of Progress ». 3
SINGER Charles
From Magie to Science, New-York, 1928 (I).
A short history of medecine, Oxford, 1928.
SLOSSON E. E.
Creative Chemistry, Londres, 192t.
410
SMILES Samuel
Industrial Biography; Iron Workers and Toolmakers, Londres, 1863
qil
rie britannique sur la diffusion absolue a partir d’une source unique.
Man and Technics, New-York, 1932.
Ouvrage alourdi par un mysticisme rance, qui suit les aspects les
plus faibles de Wagner et de Nietzsche.
STENGER Erich
Geschichte der Photographie, Berlin, 1929 (Y).
Résumé utile.
STEVERS Martin
Stell Trails; the Epic of the Railroads, New-York, 1933 (IV).
Ouvrage de vulgarisation, qui ne présente aucun intérét historique.
STRADA Jacobus de
Kunstlicher Abriss Allerhand Wasser, Wind, Ross und Handmiihlen,
Francfort, 1617 (IID).
Survey Graphic : Regional Planning Number, May, 1925 (Y).
Prophétisait l’effondrement de 1’économie métropolitaine actuelle
et tragait Iles grandes lignes d’un régionalisme néotechnique.
SUTHERLAND George
Twentieth Century Inventions; a Forecast, New-York, 1901.
TAUSSIG F. E.
Inventors and Moneymakers, New-York, 1915.
Surestimé.
TAWNEY R. H.
Equality, New-York, 1931.
Religion and the Rise of Capitalism, New-York, 1927 (I).
The Acquisitive Society, New-York, 1920.
CEuvre d’un économiste compétent et a l’esprit humain.
TAYLOR Frederic W.
Principes d’organisation scientifique, traduction, Paris, 1927.
Un de ces classiques dont la réputation est incompréhensible si on
ne connait pas la personnalité de 1’auteur.
Taylor Society
Scientific Management in American Industry, New-York, 1929 (V).
I:xposé des applications les plus récentes des principes de Taylor
et de Gantt.
THOMSON J. A.
Voir Geddes Patrick.
THORNDIKE Lynn
A History of Magic and Experimental Science during the first Thir-
teen Centuries of our Area, 2 vol., New-York, 1923 (I, III).
Science and Thought in the Fifteenth Century, New-York, 1929 (I,
Til).
Deux ouvrages d’une valeur inestimable.
THORPE T. E. (Editor)
Coal; its IIistory and Uses, Londres, 1878 (IV).
THURSTON RoH.
Traité de la machine a vapeur, traduit de l’anglais, Paris, 1893.
Trés bon ouvrage.
TILDEN W. A.
Chemical Discovery and Invention in the Twentieth Century, Lon-
dres, 1916. 3
TILGHER Adriano
Histoire de V’idée de travail dans la civilisation occidentale, traduit de
Vitalien, Paris, 1931.
Ouvrage désevant.
Tomlinson’s Encyclopedia of the Useful Arts, 2 vol., Londres, 1854.
{12
TRAILL Henry D.
Social England, 6 vol., Londres, 1909.
Bien illustré.
TRYON F.G. et ECKEL E. C.
Mineral Economics, New-York, 1932 (V).
Utile.
TUGWELL Rexford Guy
Industry’s Coming of Age, New-York, 1927.
Un peu trop sar des perspectives d’une transformation de 1l’indus-
trie selon les données actuelles.
UNWIN George
Industrial Organization in the sixteenth and Seventeenth Centuries,
Oxford, 1904.
UPDIKE D. B.
Printing Types; their History, Forms and use, 2 vol., Cambridge,
1922 (III).
Important.
URE Andrew
The Philosophy of Manufactures, or an Exposition of the Scientific
Moral and Commercial Economy of the Factory System of Great Bri-
tain, 17° édition, Londres, 1835; 3° édition, Londres, 1861.
Peut-étre le meilleur exemple d’apologétique paléotechnique dans
lequel l’auteur se bat inconsciemment avec ses propres verges.
Dictionary of Arts, Manufactures and Mines, 7° édition, Londres,
1875.
USHER Abbott Payson
A History of Mechanical Inventions, New-York, 1923 (I, V).
Voir l’introduction.
VAN LOON Hendrick
Man the Miracle Maker, New-York, 1928.
The Fall of the Dutch Republic, New-York, 1913 (III).
Quelques données utiles sur le commerce et les transports en
Hollande.
VEBLEN Thorstein
The Instinct of Workmanship and the State of the Industrial Arts,
New-York, 1914.
Imperial Germany and the Industrial Revolution, New-York, 1915.
The Theory of Business Enterprise, New-York, 1905.
The Theory of the Leisure Class, New-York, 1899.
The Place of Science in Modern Civilization, New-York, 1919.
The Engineers and the Price System, New-York, 1921 (V, VIII).
An Inquiry into the Nature of Peace and the Terms of tts Perpetua-
tion, New-York, 1917.
Aprés Marx, Veblen partage avec Sombart le mérite d’étre un des
premiers économistes sociologues. Ses différents ouvrages, pris dans
leur ensemble, constituent un apport unique a la théorie de la
technique moderne. Les plus importants du point de vue de la tech-
nique moderne sont peut-étre The Theory of Business Enterprise et
Imperial Germany and the Industrial Revolution. Mais il y a d’ex-
cellents chapitres dans The Theory of the Leisure Class et dans The
Instinct of Workmanship. Tout en croyant a l’industrie rationalisée,
Veblen ne considérait pas l’adaptation comme un ajustement passif
de l’organisme A un milieu physique et mécanique inflexible.
VEGETIUS Renatus Flavius
Military Institutions, Londres, 1767 (II).
Traduction au XVIII® siécle d’un classique du XV°.
~
VERANTIUS Faustus
Machinae Novae, Venise, 1595 (III).
VIERENDEEL A.
Esquisse d’une histoire de la technique, Bruxelles, 1921.
VON DYCK W.
Wege und Ziele des Deutschen Museums, Berlin, 1929.
VOSKUIL Walter H.
Minerals in Modern Industry, New-York, 1930 (Y).
The Economics of Water Power Development, New-York, 1928 (Y).
Bon résumé.
VOWLES Hugh P. et Margaret W.
The Quest for Power, from Prehistoric Times to the Present Day
Londres, 1931 (I, VY).
Bonne étude des diverses formes de moteurs.
WARSHAW H. T.
Representative Industries in the United States, New-York, 1928.
WASMUTH Ewald
Kritik des Mechanisierten Weltbildes, Hellerau, 1929.
WEBB Sidney et Beatrice
Histoire du Trade-Unionisme, traduit de l’anglais, Paris, 1897.
Industria] Democracy, 2 vol., Londres, 1897.
Exposés classiques, se référant surtout a 1’Angleterre.
WEBER Max
General Economic History, New-York, 1927.
The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism, Londres, 1930.
WEINRICH Hermann
Bildungwerte der Technik, Berlin, 1928.
Surtout utile par la bibliographie.
WELLS David L.
Recent Economic Changes, New-York, 1886.
Comparer avec l’ouvrage similaire de 1923.
WELLS H. G.
Anticipations, ou de l’Influence du progrés mécanique et scientifi-
que sur la vie et la pensée humaines, traduit de l’anglais, Paris, 1904.
The Work, Wealth and Happiness of Mankind, 2 vol., New-York,
1931.
The World Set Free, Londres, 1914.
La plus remarquable des prophéties de Wells par le cété technique
avec la prédiction exacte de la bombe atomique, mais gatée par une
naiveté toute victorienne en ce qui concerne le probléme du mal et
la difficulté de parvenir A une organisation du monde.
WENDT Ulrich
Die Technik als Kulturmacht, Berlin, 1906.
Un des meilleurs commentaires historiques sur la technique.
WESTCOTT G. F.
Pumping Machinery; a Handbook of the Science Museum, Londres,
1932 (III, IV).
WHITEHEAD Alfred North zi
La Science et le monde moderne, traduction, Paris, 1930.
The Concept of Nature, Cambridge, 1920.
Adventures of Ideas, Cambridge, 1933.
WHITNEY Charles S.
Bridges : a Study in their Art, Science and Evolution, New-York,
1929.
414
World Economic Planning; the Necessity for Planned Adjustment of
Productive Capacity and Standards of Living, La Haye, 1932,
(V, VIII).
Introduction compléte sur le sujet, considéré sous presque tous les
angles possibles.
WORRINGER Wilhelm
L’art gothique, traduit de l’allemand, Paris, 1941.
Intéressant, quoique pas toujours consistant. A une portée sur la
forme en général.
ZIMMER George F.
The Engineering of Antiquity, Londres, 1913.
ZIMMERMAN Erich W.
World Resources and Industries; an Appraisal of Agricultural and
Industrial Resources, New-York, 1933 (IV, V).
Trés utile, avec une bibliographie appropriée.
ZIMMERN Alfred
The Greek Commonwealth, Oxford, 1911 (II).
Nationality and Government, Londres, 1918 (VI).
ZONCA Vittorio
Novo Teatro di Machine et Edifici, Padoue, 1607 (III).
ZSCHIMMER Eberhard
Philosophie der Technik, Iena, 1919.
OFFSET-AUBIN, POITIERS, D.L. 4° TR. 1950. N° 407:-4 (6426)
COLLECTION ESPRIT
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« lly a la une véritable encyclopédie des techniques, depuis le x® siecle
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jusqu’a nos jours, avec de bien inteltigentes illustrations. L’auteur ne i
se borne pas a décrire et a renseigner: il fait oeuvre de sociologue .
et de moraliste. On sent, a chaque instant, un sens profond de I'humain.
Il apercoit, mieux que bien d'autres, comment pourrait se réaliser l’assi-
milation de la machine, dans un monde ou |’'Economique serait chose
plus cohérente. Lewis Mumford s’exprime sans emphase, sans exage-
ration doctrinale, sans parti pris... » Mercure de France.
« Par la hardiesse et la netteté de ses vues de synthese, Lewis Mumford
se situe dans la brillante série des philosophes de l'histoire qui tentent
d'ouvrir les chemins de l'avenir, par une meilleure compréhension du
passé et du présent, et de répondre a quelques-unes de nos interroga-
tions essentielles. » Preuves.
« Lewis Mumford a brillamment écrit un bilan historique et critique des
effets du milieu sur l'homme, et de |l’homme sur le milieu; un bilan
nécessaire, l'un de ceux que nous avons longtemps attendus. » Walde-
mar Kaempffert, New York Times.
« L'exposé le plus lucide et le plus convaincant qu’i! m’a été donné de
lire sur les promesses offertes a l'homme par la technique. Un livre
ample et pénétrant. » Stuart Chase, New York Herald Tribune. |
LEWIS MUMFORD
Mondialement connu, Lewis Mumford est, notam-
ment, membre honoraire des principaux instituts
d’architecture et de planification urbaine dans les
pays de langue anglaise. II est l’auteur d'une
ceuvre importante qui comprend une vingtaine
d'ouvrages, parmi lesquels : « The culture of
m Cities », « The story of Utopia », « The condition
» of Man », « The conduct of life » et « The City in
History », dont la traduction est parue aux
Editions du Seuil sous le titre « La Cité a travers
i |’Histoire >.