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LIVRE DU PROFESSEUR

HISTOIRE 2de

SOUS LA DIRECTION DE
Jean-Marc VIDAL

AUTEURS
Mickaël BERTRAND
Lycée Anna Judic – Semur-en-Auxois (21)
Guillaume BOUREL
Lycée Fénelon – Paris (75)
Christophe CAILLEAUX
Lycée Jean-Marc Boivin – Chevigny-Saint-Sauveur (21)
Laura CARBONNIER
Lycée Beaupré – Haubourdin (59)
Thomas CASSIGNEUL
Lycée Bréquigny – Rennes (35)
Bertrand JOLIVET
Lycée Paul Robert – Les Lilas (93)
Formateur, ESPE Paris
Éric MAGNE
Lycée Claude de France – Romorantin (41)
Formateur académique, ESPE Centre – Val-de-Loire
Pauline RAMEAU
Lycée Parc des Chaumes – Avallon (89)
Fabrice ROMANET
Collège Molière – Lyon (69)
Isabelle SOLER
Lycée en Forêt – Montargis (45)
Jean-Marc VIDAL
Lycée Alain Colas – Nevers (58)
Les auteur-e-s et les éditions Magnard remercient l’ensemble des relecteurs et relectrices
pour leurs remarques et leurs suggestions, ainsi que tout-e-s les enseignant-e-s
qui ont participé aux études menées sur le manuel.

Édition : Vanessa Colnot, Anne Dartigues


Mise en page : Sabine Beauvallet
Cartographie : Marie-Christine Liennard, Cyrille Suss
Couverture : Maestro

Le photocopillage, c’est l’usage abusif et collectif de la photocopie sans autorisation des auteurs et des éditeurs. Largement
répandu dans les établissements d’enseignement, le photocopillage menace l’avenir du livre, car il met en danger son équilibre
économique. Il prive les auteurs d’une juste rémunération. En dehors de l’usage privé du copiste, toute reproduction totale ou
partielle de cet ouvrage est interdite. Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation
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contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des
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Grands-Augustins – 75006 PARIS - tél. : 01 44 07 47 70 – fax : 01 46 34 67 19.

ISBN : 978-2-210-11156-1
© MAGNARD 2019
5, allée de la 2e D.B. 75015 PARIS
www.magnard.fr

2
Sommaire

Introduction La périodisation............................................................................................... 6

Thème 1 Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité


et du Moyen Âge

1 La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines............. 8


2 La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits............... 20

Thème 2 xve-xvie
siècles : un nouveau rapport au monde,
un temps de mutation intellectuelle

3 L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte


du « Nouveau Monde »..................................................................................... 32
4 Renaissance, humanisme et réformes religieuses :
les mutations de l’Europe...................................................................................41

Thème 3 L’État à l’époque moderne : France et Angleterre

5 L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles)...... 56


6 Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles)....................... 66

Thème 4 Dynamiques et ruptures dans les sociétés


des xviie et xviiie siècles

7 Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles)....... 79


8 Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres
(xviie-xviiie siècles).................................................................................................. 94

Cartes .....................................................................................................................................106

3
Programme d’histoire
Bulletin officiel spécial no 1 du 22 janvier 2019

Grandes étapes de la formation du monde moderne

Introduction La périodisation (2 heures)


L’introduction est l’occasion de rappeler comment l’histoire a été divisée en quatre grandes périodes, avec, pour marquer cha-
cune d’entre elles, le choix d’une date clé (476,1453/1492,1789). On montre que le choix de ces dates qui servent de marqueurs
ne va pas de soi : ainsi, on retient 1453 ou 1492 pour les débuts de l’époque moderne, selon ce qu’on souhaite mettre en exergue.
Il convient aussi de présenter les formes de périodisation (exemples : dynasties, ères, époques, âges, siècles…). Le but n’est pas
de réaliser un inventaire mais d’introduire l’idée que le temps a lui-même une histoire et que cette histoire a été soumise à des
évolutions, dans le temps et dans l’espace.
Une frise chronologique peut être construite puis enrichie au fil de l’année, y compris sous forme numérique.

Thème 1 Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité et du Moyen Âge


(10-12 heures)
Chapitre 1 La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines
Objectifs Ce chapitre vise à rappeler que l’Antiquité méditerranéenne est le creuset de l’Europe.
du chapitre On peut pour cela :
• distinguer des temps, des figures et des constructions politiques ayant servi de référence dans
les périodes ultérieures ;
• montrer comment Athènes associe régime démocratique et établissement d’un empire maritime ;
• montrer comment Rome développe un empire territorial immense où s’opère un brassage des différents
héritages culturels et religieux méditerranéens.
Points de • Périclès et la démocratie athénienne.
passage et • Le principat d’Auguste et la naissance de l’empire romain.
d’ouverture • Constantin, empereur d’un empire qui se christianise et se réorganise territorialement.
Chapitre 2 La Méditerranée médiévale : espace d’échanges et de conflits à la croisée de trois civilisations
Objectifs Ce chapitre vise à montrer comment des civilisations entrent en contact, nouent des relations et
du chapitre connaissent des conflits dans un espace marqué par les monothéismes juif, chrétien et musulman.
On peut mettre en avant :
• l’émergence de grands ensembles de civilisation ;
• les contacts et les heurts entre Chrétienté et Islam ;
• l’hétérogénéité religieuse et politique entre Rome et Byzance et au sein du monde musulman ;
• la persistance de la circulation de biens, d’hommes et d’idées dans cet espace méditerranéen relié
à l’Europe du Nord, à l’Asie et l’Afrique.
Points de • Bernard de Clairvaux et la deuxième croisade.
passage et • Venise, grande puissance maritime et commerciale.
d’ouverture

Thème 2 xve-xvie
siècles : un nouveau rapport au monde,
un temps de mutation intellectuelle (11-12 heures)
Chapitre 1 L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde »
Objectifs Ce chapitre vise à montrer le basculement des échanges de la Méditerranée vers l’Atlantique après 1453
du chapitre et 1492, ainsi que le début d’une forme de mondialisation.
On peut mettre en avant les conséquences suivantes en Europe et dans les territoires conquis :
• la constitution d’empires coloniaux (conquistadores, marchands, missionnaires…) ;
• une circulation économique entre les Amériques, l’Afrique, l’Asie et l’Europe ;
• l’esclavage avant et après la conquête des Amériques ;
• les progrès de la connaissance du monde ;
• le devenir des populations des Amériques (conquête et affrontements, évolution du peuplement
amérindien, peuplement européen, métissage, choc microbien).
Points de • L’or et l’argent, des Amériques à l’Europe.
passage et • Bartolomé de Las Casas et la controverse de Valladolid.
d’ouverture • Le développement de l’économie « sucrière » et de l’esclavage dans les îles portugaises et au Brésil.

4
Chapitre 2 Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe
Objectifs Ce chapitre vise à montrer comment l’effervescence intellectuelle et artistique de l’époque aboutit
du chapitre à la volonté de rompre avec le « Moyen Âge » et de faire retour à l’Antiquité.
On peut mettre en avant :
• l’imprimerie et les conséquences de sa diffusion ;
• un nouveau rapport aux textes de la tradition ;
• une vision renouvelée de l’homme qui se traduit dans les lettres, arts et sciences ;
• les réformes protestante et catholique qui s’inscrivent dans ce contexte.
Points de • 1508 – Michel-Ange entreprend la réalisation de la fresque de la Chapelle Sixtine.
passage et • Érasme, prince des humanistes.
d’ouverture • 1517 – Luther ouvre le temps des réformes.

Thème 3 L’État à l’époque moderne : France et Angleterre (11-12 heures)


Chapitre 1 L’affirmation de l’État dans le royaume de France
Objectifs Ce chapitre vise à montrer l’affirmation de l’État en France dans ses multiples dimensions ainsi
du chapitre qu’à caractériser la monarchie française.
On peut mettre en avant :
• le rôle de la guerre dans l’affirmation du pouvoir monarchique ;
• l’extension du territoire soumis à l’autorité royale ;
• le pouvoir monarchique et les conflits religieux ;
• le développement de l’administration royale, la collecte de l’impôt et le contrôle de la vie économique ;
• la volonté du pouvoir royal de soumettre la noblesse ; les limites de l’autorité royale.
Points de • 1539 – L’ordonnance de Villers-Cotterêts et la construction administrative française.
passage et • Colbert développe une politique maritime et mercantiliste, et fonde les compagnies des Indes et du Levant.
d’ouverture • Versailles, le « roi-soleil » et la société de cour.
• L’édit de Nantes et sa révocation.
Chapitre 2 Le modèle britannique et son influence
Objectifs Ce chapitre vise à montrer comment l’ébauche d’un gouvernement représentatif ainsi que la définition de grands
du chapitre principes et de droits fondamentaux inspirent les philosophes au cours du xviiie siècle, et aboutit à la fondation
d’un nouveau régime politique doté d’une constitution écrite avec la naissance des États-Unis d’Amérique.
On peut mettre en avant :
• l’évolution politique et sociale anglaise à la fin du xviie siècle ;
• l’affirmation des droits du Parlement face à la Couronne anglaise, autour de la révolution de 1688 ;
• l’influence du régime britannique sur des philosophes des Lumières ;
• le retournement par les colons américains des valeurs anglaises contre leur métropole ;
• la rédaction d’une constitution et ses enjeux ;
• les limites de l’application des principes démocratiques (esclaves, Indiens d’Amérique…) ;
• l’influence de l’intervention française sur les esprits et la situation financière du royaume de France.
Points de • 1679 et 1689 – L’Habeas Corpus et le Bill of Rights, le refus de l’arbitraire royal.
passage et • Voltaire, l’Angleterre et la publication des Lettres philosophiques ou Lettres anglaises : 1726 -1733.
d’ouverture • Washington, premier président des États-Unis d’Amérique.

Thème 4 Dynamiques et ruptures dans les sociétés des xviie et xviiie siècles (11-12 heures)
Chapitre 1 Les Lumières et le développement des sciences
Objectifs Ce chapitre vise à montrer le rôle capital de l’esprit scientifique dans l’Europe des xviie et xviiie siècles.
du chapitre On peut mettre en avant :
• l’essor de l’esprit scientifique au xviie siècle ;
• sa diffusion et l’extension de ses champs d’application au xviiie siècle (par exemple par l’Encyclopédie) ;
• le rôle des physiocrates en France ;
• l’essor et l’application de nouvelles techniques aux origines de la « révolution industrielle » ;
• le rôle de femmes dans la vie scientifique et culturelle.
Points de • Galilée, symbole de la rupture scientifique du xviie siècle.
passage et • 1712 – Thomas Newcomen met au point une machine à vapeur pour pomper l’eau dans les mines.
d’ouverture • Émilie du Châtelet, femme de science.
Chapitre 2 Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres
Objectifs Ce chapitre vise à montrer la complexité de la société d’ordres.
du chapitre On peut mettre en avant :
• le poids de la fiscalité et des droits féodaux sur le monde paysan ;
• une amélioration progressive de la condition des paysans au xviiie siècle ;
• le monde urbain comme lieu où se côtoient hiérarchies traditionnelles (juridiques) et hiérarchies
nouvelles (économiques) ;
• le maintien de l’influence de la noblesse ;
• les femmes d’influence dans le monde politique, littéraire, religieux…
Points de • 1639 - La révolte des Va Nu-pieds et la condition paysanne.
passage et • Riches et pauvres à Paris.
d’ouverture • Un salon au xviiie siècle (le salon de madame de Tencin par exemple).
• Les ports français et le développement de l’économie de plantation et de la traite.

– 5
INTRODUCTION La périodisation

Pourquoi découpe-t-on l’histoire en périodes ? Qu’est-ce que l’époque moderne ?

I. Introduction
A. Un nouvel objet d’étude La démarche historique
C’est l’une des nouveautés du programme 2019 : 3. L’analyse
La finalité
la « périodisation », en particulier le découpage Interpréter le passé
canonique des grandes périodes historiques,
devient désormais un objet d’étude. Elle constitue Le socle 1. La chronologie : 2. La périodisation :
l’angle d’attaque de ce court chapitre introductif, Ordonner les dates Découper la chronologie
à traiter en deux heures.
Sa première ambition est de faire réfléchir les élèves à ce qui constitue, avec la chronologie, le socle
fondamental de la démarche historique : le découpage de l’histoire en périodes. C’est une étape indis-
pensable au travail d’interprétation du passé, qui l’inscrit dans un « cadre » bien identifié, nommé et
borné par des dates emblématiques.
La seconde ambition est d’aider les élèves à comprendre la périodisation canonique codifiée au
xixe siècle et sur laquelle repose l’enseignement de l’histoire. Celle-ci n’est plus un cadre intangible,
mais l’objet de remises en cause permanentes. La « repériodisation » est au cœur de l’historiogra-
phie actuelle et la périodisation est elle-même devenue un objet d’étude historique. On peut citer les
travaux de Fernand Braudel sur les différents temps de l’histoire (temps long, moyen et court) et le
renouvellement récent de la vision longtemps très européocentrée par la Global History.
Une réflexion sur les noms donnés aux périodes peut aider les élèves à mener une analyse critique de
ces chrononymes : le Moyen Âge est « moyen » car vu par les historiens à l’origine du terme comme
une parenthèse entre une Antiquité idéalisée et la Renaissance.
L’analyse des césures délimitant les périodes peut introduire la réflexion. Par exemple, l’emblématique
« 1492 », borne entre Moyen Âge et époque moderne, ne constitue pas un repère pour les contempo-
rains mais une rupture, annonciatrice des transformations postérieures vue par les Européens.

B. Une compétence du lycée


Les références aux « périodes » historiques sont présentes dès les premières lignes du tableau de
compétences qui introduit le programme 2019, « Maîtriser et utiliser des repères chronologiques et
spatiaux ». À ce titre, la frise chronologique est un outil didactique particulièrement pertinent.
La troisième ambition de cette introduction est d’étudier les mécanismes de construction de la pério-
disation, pour montrer que la démarche relève de choix (durée de la période, bornes chronologiques,
ruptures et continuités…) faits par les historiens en fonction de leur objet d’étude. La réflexion amor-
cée ici jette les bases du travail à poursuivre afin de contextualiser un sujet d’étude problématisé.

BIBLIOGRAPHIE
-- Paul Bacot, Laurent Douzou et Jean-Paul Honoré, « Chrononymes. La politisation du temps »,
Mots. Les langages du politique, no 87, CNRS Éditions, 2008.
-- Bartolomé et Lucile Bennassar, 1492, Un monde nouveau ?, Perrin, 1991.
-- Alice Cardoso, « Des frises pour apprendre la chronologie ? », dans Cahiers Pédagogiques,
« Apprendre l’histoire », no 471, 2009.
-- Stéphane Gilbert (dir.), « Découper le temps : actualité de la périodisation en histoire », Atala,
no 17, Lycée Chateaubriand de Rennes, 2014. En ligne : https://www.lycee-chateaubriand.fr/
revue-atala/
-- Jean Leduc, Les Historiens et le Temps, Le Seuil, 1999.

6
-- Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Le Seuil, 1996.
Ouvrage de référence sur le travail de l’historien. Le chapitre 5 est consacré aux « temps de l’histoire ».
-- Paul Veyne, L’Inventaire des différences, Le Seuil, 1976.

II. Du programme au manuel


La première double page de cours est consacrée à une présentation globale de la périodisation en
histoire. Elle rappelle l’importance du repérage dans le temps pour le travail de l’historien, fait un bref
historique de la mise en place de la périodisation canonique (enrichi par une frise interactive) et se
termine par la question des choix et des débats qui la concernent.
La seconde double page de cours est centrée sur l’époque moderne. En prenant appui sur la question
de la périodisation, on introduit les huit chapitres du manuel dont le fil conducteur est l’analyse des
« grandes étapes de la formation du monde moderne ». La notion de modernité qui donne son nom à
la période est explicitée, de même que le choix, débattu, des césures. La frise interactive permet de
visualiser la finalité des deux premiers chapitres qui mettent en perspective l’époque moderne dont
les différents aspects sont déclinés dans les six autres chapitres.

III. Corrigés

LES GRANDES PÉRIODES LES GRANDES ÉTAPES


DE L’HISTOIRE p. 11 DE LA FORMATION DU MONDE
1. Pour les historiens, les traces écrites sont une MODERNE p. 13
condition nécessaire pour qu’une période soit
1. 1452 est la date d’une catastrophe d’origine vol-
considérée comme faisant partie du domaine his-
canique majeure. Elle a eu un impact fort à l’échelle
torique. Les documents écrits constituent en effet
de la planète (baisse de la température moyenne
la matière première de leur travail. Pour cette rai-
mondiale). L’événement concerne donc l’ensemble
son, la naissance de l’écriture, qui fait émerger les
de la population mondiale et, à ce titre, mérite
premières grandes civilisations, est l’événement
d’être choisi comme rupture majeure.
emblématique, vers 3000 av. J.-C., qui sépare l’his-
toire de la préhistoire. Pour cette raison, la nais- 2. Au centre, Vénus, déesse de la mythologie
sance de l’écriture, événement emblématique des romaine, sort des eaux, juchée sur une large coquille
premières grandes civilisations vers 3 000 av. J.-C., évoquant le monde marin. Du ciel, autour d’elle,
sépare l’histoire de la préhistoire. tombent des fleurs. À droite, un personnage fémi-
nin lui tend un voile rouge pour couvrir sa nudité.
2. Sur une tablette d’argile divisée en comparti-
À gauche, un personnage ailé portant une jeune
ments, des signes ont été tracés, probablement en
femme souffle dans sa direction et la pousse vers le
enfonçant un objet pointu dans le support encore
rivage. La Renaissance, à partir de la fin du xve siècle,
mou. Ils forment manifestement un texte écrit,
marque le début de l’époque moderne. L’époque est
mélange de formes géométriques et de petits des-
vue alors comme une période de renouveau, sui-
sins. La légende confirme qu’il s’agit d’une forme
vant un « Moyen Âge » considéré comme un recul
d’écriture dite « précunéiforme » et indique la fina-
après l’Antiquité gréco-romaine idéalisée. L’artiste,
lité de l’objet : un compte de rations alimentaires.
en choisissant un sujet mythologique romain et le
Cette tablette témoigne d’une organisation structu-
thème de la naissance, illustre parfaitement cette
rée pour produire et gérer la nourriture.
idéalisation de l’Antiquité et ce sentiment de vivre un
3. En 1992, la sortie du film correspond à une renouveau à la fin du xve siècle.
date anniversaire majeure de l’événement histo-
3. 1453 est la date de la prise de Constantinople par
rique qu’il raconte. Le réalisateur célèbre ainsi le
les Ottomans. C’est le point de départ de la créa-
cinq-centième anniversaire de l’arrivée de Chris-
tion d’un vaste empire dont Constantinople devient
tophe Colomb aux Bahamas.
la capitale et qui se maintient jusqu’au début du
xxe siècle. L’ouverture d’un musée exclusivement
consacré à cet événement historique témoigne de
l’importance que lui accorde aujourd’hui la Turquie.

INTRODUCTION – La périodisation 7
CHAPITRE 1 L a Méditerranée antique :
les empreintes grecques et romaines Manuel p. 14-45

Comment Athènes et Rome ont-elles façonné la culture gréco-romaine


en Méditerranée ?

I. Introduction
Le premier enjeu du chapitre consiste à rappeler aux élèves que l’Antiquité méditerranéenne est le
creuset de l’Europe, et ce dans de nombreux domaines. Le programme invite en effet à montrer les
héritages essentiels issus de la Méditerranée antique.
Ces derniers sont tout d’abord politiques avec l’étude de deux régimes politiques qui ont marqué
durablement l’Europe : la démocratie athénienne et l’empire romain. Même si les deux régimes poli-
tiques diffèrent, des continuités existent dans la vie locale des cités et à travers la notion de citoyen-
neté qui prend une acception de plus en plus ouverte au cours de l’histoire romaine jusqu’à l’édit de
Caracalla qui la généralise à l’ensemble des hommes libres de l’empire romain. De même, la notion
d’empire perdure et se redéfinit entre les deux périodes : même si Athènes est une démocratie, elle
repose cependant sur une forme d’impérialisme concrétisé par la Ligue de Délos. Elle assoit ainsi
une thalassocratie à l’échelle de la mer Égée. Cet impérialisme centré sur la mer est perpétué par les
Romains à une échelle beaucoup plus vaste.
Autre élément constitutif du creuset culturel européen, la religion. Polythéistes toutes les deux, les
religions grecque et romaine comportent de nombreux points communs, mais se sont également
enrichies des autres religions du bassin méditerranéen, consolidant la notion du creuset culturel à
l’échelle de la Méditerranée. C’est enfin dans le cadre de l’empire romain qu’est étudiée la diffusion
du christianisme et sa reconnaissance par l’empereur Constantin.
Enfin, l’héritage culturel livré par les époques grecque et romaine nous a semblé également primor-
dial. Que ce soit dans le domaine des arts, de la philosophie, des œuvres littéraires ou des sciences,
les exemples sont nombreux et permettent de saisir la notion de creuset culturel.
Tout en s’attachant à mettre en avant les empreintes gréco-romaines, il convient également de veiller
à instaurer de solides repères chronologiques qui font écho à l’introduction du programme et donc
de distinguer, en les remettant dans leur contexte, les apports respectifs des deux grandes périodes
emblématiques des empreintes grecques et romaines : les ve et ive siècles avant Jésus-Christ au cours
desquels s’instaure la démocratie athénienne, et les ie-ive siècles après Jésus-Christ où se mettent en
place le principat dans l’empire romain ainsi que le christianisme.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture doit permettre aux élèves de saisir l’enjeu essentiel du chapitre, à savoir
la continuité culturelle entre le monde grec et le monde romain, et l’héritage qu’ils ont transmis à
l’Europe. Par la mosaïque d’Ulysse et les Sirènes, l’élève retrouve un thème mythologique grec, mis en
scène à l’époque romaine, et qu’il a vraisemblablement rencontré au cours de sa scolarité au collège.

La double page Notions définit les notions centrales du chapitre. Associées au schéma sur les héri-
tages gréco-romains, elles présentent les études du chapitre qui permettent d’en comprendre l’inté-
rêt et la place dans l’héritage européen.

La double page Cartes permet de mettre en avant les différentes échelles dans lesquelles s’inscrit
l’héritage gréco-romain : celle de la cité, et celle du monde méditerranéen. Le fait de proposer des
cartes à des époques différentes permet également de faire repérer aux élèves les évolutions entre le
monde grec et l’empire romain.

La première double page de cours est consacrée à l’étude d’Athènes : elle invente un modèle poli-
tique original, la démocratie, tout en s’appuyant sur une thalassocratie qui lui permet d’atteindre son
apogée au ve siècle avant J.-C.

8
Le point de passage et d’ouverture sur Périclès est un point de passage et d’ouverture du programme
et a pour objectif de faire comprendre la notion de démocratie. Elle permet de saisir le personnage et
son œuvre politique à travers des documents du ve siècle avant J.-C., mais aussi de montrer comment
ils ont servi de référence dans les périodes ultérieures à travers un document du xixe siècle.

L’étude sur la thalassocratie est complémentaire de celle sur la démocratie. Elle permet de com-
prendre comment l’empire maritime a permis à la démocratie de s’affirmer dans la cité athénienne,
et de rayonner dans l’ensemble du monde grec.

L’étude sur les femmes dans la cité d’Athènes a pour objectif de montrer les limites de la notion de
démocratie à l’époque antique, mais aussi de saisir les différences de statut au sein de la population
de l’Attique.

L’étude sur La Bataille de Marathon permet quant à elle d’aborder les origines de la thalassocratie
athénienne, mais surtout l’héritage culturel grec et son réinvestissement dans le cinéma.

La deuxième double page de cours est consacrée à Rome : elle explique la mise en place d’un nou-
veau régime politique, le principat, qui a permis le brassage de nombreuses cultures, dont le christia-
nisme, finalement reconnu par l’empereur Constantin.

Le point de passage et d’ouverture sur Auguste et la naissance de l’empire romain est un point de
passage et d’ouverture du programme. Elle permet d’étudier la notion d’empire, en en montrant l’ori-
gine, l’étendue et le fonctionnement. Cet empire est justement le préalable du brassage des différents
héritages culturels et religieux méditerranéens.

Le point de passage et d’ouverture sur la christianisation et la réorganisation de l’empire de


Constantin constitue le dernier point de passage et d’ouverture du programme. Elle permet de mon-
trer les réformes mises en œuvre par Constantin, tant du point de vue politique, économique que
religieux, et qui sont elles aussi constitutives du creuset culturel méditerranéen imprégné du chris-
tianisme. Elle met notamment en avant la création de Constantinople.

L’étude sur la citoyenneté romaine peut être mise en parallèle avec la citoyenneté athénienne. L’ob-
jectif de cette étude est de montrer que la citoyenneté romaine est ouverte, et l’est même de plus
en plus avec le temps, jusqu’à l’édit de Caracalla. C’est en particulier cette ouverture politique qui a
permis un brassage culturel remarquable dans l’empire romain.

L’étude sur la mythologie gréco-romaine permet de montrer le brassage culturel qui s’est effectué
entre le monde grec et le monde romain. L’Énéide de Virgile en est un exemple emblématique, faisant
écho à l’Illiade et l’Odyssée évoquées dans la double page d’ouverture et la double page Notions.

BIBLIOGRAPHIE
-- Frédéric Hurlet, Auguste, les ambiguïtés du pouvoir, Armand Colin, 2015.
Une biographie du premier empereur mise en perspective dans son contexte historique.
-- Michel Kaplan, Nicolas Richer, Le Monde romain, Bréal, 3e édition, 2014.
L’essentiel à connaître sur la période de l’empire.
-- Bertrand Lançon, Thiphaine Moreau, Constantin, un Auguste chrétien, Armand Colin, 2012.
Le point sur le premier empereur chrétien et ses choix politiques et religieux.
-- Edmond Lévy, La Grèce au ve siècle, de Clisthène à Socrate, Le Seuil, 1997.
Une synthèse classique et une référence de base sur l’histoire d’Athènes au ve siècle avant J.-C.
-- Christophe Pebarthe, Introduction à l’histoire grecque. xiie-fin ive siècle, Belin, 2006.
Un manuel bien construit et qui fournit plusieurs documents et cartes utiles.
-- Nicolas Richer, Atlas de la Grèce classique, ve-ive siècle av. J.-C., l’âge d’or d’une civilisation
fondatrice, Autrement, 2017.
Un atlas historique très pratique proposant des documents facilement réutilisables en classe.

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 9


-- Nicolas Tran, Patrice Faure, dir. Catherine Virlouvet, Rome, cité universelle, de César à Caracalla
70 av. J.-C.-212 ap. J.-C., Belin, 2018.
Une approche récente de Rome et de ses rapports avec son empire, qui fait aussi le point sur
l’historiographie.
-- Violaine Sébillotte Cuchet, 100 fiches d’histoire grecque viii-ive siècle av. J.-C., 4e éd., Bréal, 2018.
Un ouvrage très pratique constitué de fiches synthétiques et de repères (chronologie, cartes, iconographie,
lexique). Il fournit également des textes utilisables par le professeur afin de travailler l’étude de sources
historiques.
-- « Homère, le nouveau visage du poète », Les Collections de L’Histoire, n° 82, janvier-mars 2019.
Parution récente qui fait écho à l’une des études du chapitre. Elle fournit de nombreuses ressources, aussi
bien sur les mythes homériques que sur leur réutilisation aux différentes époques, et sur le monde grec.

III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 14-15 D’autres ont une fonction religieuse et témoignent


des premières empreintes chrétiennes dans la
1. Le personnage principal est le personnage ville : le lieu du premier concile en Gaule et une des
central. Il s’agit d’Ulysse debout sur un bateau à premières églises d’Arles.
deux voiles et à un rang de rames, orné d’une tête 3. Le monde grec est organisé en cités, indépen-
humaine et d’une palme, les mains attachées au dantes les unes des autres. Le monde romain,
grand mât pour éviter de succomber au charme quant à lui, est organisé selon une administration
fatal de la musique des Sirènes. Autour d’Ulysse précise : l’empire possède une capitale, Rome, et
sont assis ses compagnons, les oreilles bouchées Constantinople à partir de 330, et il est divisé en
de cire comme le relate l’Odyssée. provinces, qui elles-mêmes possèdent des capi-
2. L’origine grecque du document se perçoit à tra- tales. La carte montre l’empire romain au début du
vers le sujet représenté, un épisode de l’histoire ive siècle après J.-C., et l’on peut relever qu’en plus
d’Ulysse, transmis par l’Odyssée d’Homère. L’ori- de l’organisation politique se surimpose une orga-
gine romaine se voit à travers la technique utilisée, nisation religieuse : l’empire est divisé en diocèses,
la mosaïque (art typique de l’époque romaine), et chacun possédant un siège. C’est là la preuve d’un
le lieu où a été retrouvé le document : une villa nouveau contexte, à savoir la diffusion du christia-
romaine de Dougga, cité d’une province de l’empire nisme et sa reconnaissance officielle par l’empe-
romain, marquée par une importante romanisation. reur Constantin.

CARTES  p. 18-19 POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE


1. La cité dispose d’un accès à la mer grâce au Remarque : les points d’ouverture et de passage
port du Pirée, relié directement à la ville d’Athènes sur Périclès, Auguste et Constantin sont traités de
(l’asty) par des remparts. Elle dispose aussi de plu- manière indépendante dans le manuel comme le
sieurs sources de richesses : une campagne (chôra programme le préconise, avec des exercices dédiés
en grec) relativement vaste assurant des res- et corrigés ci-après.
sources agricoles, mais surtout les mines d’argent Il est toutefois envisageable, dans le triple objectif
du Laurion. d’un gain de temps, d’une comparaison fructueuse
2. Les monuments et aménagements de la cité et d’une mise en perspective (mise en évidence des
d’Arles correspondent à plusieurs fonctions carac- acteurs clés et des héritages pour la culture euro-
téristiques des cités romaines : péenne), de les rassembler, par exemple sous la
– la fonction récréative et civique : cirque, théâtre, forme d’un tableau, au cours d’une étude compa-
arènes, thermes ; rative, ou éventuellement en se concentrant seule-
– la fonction défensive : murailles ; ment sur Auguste et Constantin.
– la fonction économique : le forum, le pont.

10
Étudier des acteurs clés de l’Antiquité

PÉRICLÈS AUGUSTE CONSTANTIN


p. 22-23 p. 30-31 p. 32-33
Repérer : placer le nom des
trois personnages sur un
axe allant de - 500 av. J.-C.
à 500 ap. J.-C. (voir frise
chronologique p. 14)
Biographie Voir p. 22 Voir la biographie Voir la biographie
p. 278 p. 278
Contextualiser :
- indiquer le contexte Voir p.16 : le contexte Voir p. 17 : le contexte Voir l’introduction
historique (frise) : de la démocratie et de de l’empire p. 32
- indiquer le contexte la thalassocratie Carte 2 p. 30 Carte 4 p. 19
géographique Cartes 1 p. 18 et 2 p.22
Repérer les aspects Répondre à la question Répondre aux Introduction de la
politiques : qui exerce 3 p. 23 questions 1 à 4 p. 31 p. 32
le pouvoir et comment ?
Repérer les actions clés S’aider des questions S’aider des questions S’aider des questions
des acteurs en indiquant 1, 3 p. 23 et de la 1, 2, et 4 p. 31 et de la 1, 2, 3 et 4 p. 33 et de
de quel domaine il s’agit biographie biographie la biographie
(politique, culturel,
économique, religieux) sous
forme d’un organigramme
Repérer les héritages des S’aider de la question 4 S’aider de la S’aider de la question
acteurs pour l’Europe p. 23 et du vocabulaire question 4 p. 31 et du 2 p. 33 et
vocabulaire du vocabulaire
Argumenter et S’exprimer Dans une réponse organisée répondant à la question : « En quoi Périclès,
Auguste et Constantin marquent-ils à la fois leur époque et la culture
européenne ? », construisez un paragraphe soit à l’écrit, soit à l’oral.

POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE


Périclès et la démocratie athénienne p. 22-23

Repérer, identifier
1. Périclès mène des travaux sur l’Acropole avec la création du Parthénon, de l’Érechthéion et des Propy-
lées. Les deux temples rendent hommage à la déesse protectrice de la cité, Athéna. Le Parthénon, mis
en scène et idéalisé dans le document 3, est un élément de prestige du siècle de Périclès, aussi bien au ve
siècle avant J.-C. que dans les siècles suivants.
Il achève la construction des Longs Murs qui sont une enceinte de défense reliant le port du Pirée à la ville
d’Athènes.
2.
Lieu dans la cité Nom de l’institution Fonction politique
Colline de la Pnyx Ecclésia Assemblée de tous les citoyens qui vote les lois
Bouleuterion Boulè Prépare les lois et contrôle les magistrats
Héliée situé sur l’Agora Héliée Tribunal des citoyens
Stratègeion Stratèges Chefs militaires
Aréopage Magistrats Tribunal religieux

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 11


Confronter deux documents Vers le bac
3. Plusieurs principes politiques font la spécifi- 6. Périclès est un personnage central dans l’his-
cité d’Athènes. Tout d’abord l’isonomie : tous les toire de la cité athénienne. Il participe activement
citoyens participent à l’Ecclésia, les membres de la à la direction d’Athènes en tant que stratège entre
Boulè et de l’Héliée sont tirés au sort. La création 443 et 429 avant J.-C., et impulse des réformes
du misthos par Périclès afin que les plus pauvres importantes. Son action marque ainsi durablement
puissent participer aux institutions (d’abord à l’Hé- la cité. Tout d’abord, du point de vue politique et
liée, puis Boulè) va également dans ce sens. Les social : si la loi de 451 restreint les conditions d’ac-
décisions sont votées, et cette action a un caractère cès à la citoyenneté (désormais, seuls les hommes
sacré : le vote est placé sous la protection d’Athéna, nés d’un père citoyen et d’une mère fille de citoyen
elle-même déesse protectrice de la cité. sont citoyens), la création du misthos, quant à elle,
permet aux citoyens pauvres de participer à l’Hé-
Mener un raisonnement historique liée, puis à la Boulè, renforçant ainsi la démocra-
4. Plusieurs éléments historiques sont visibles : tie. Du point de vue militaire, Périclès renforce
– la réunion des citoyens dans l’Ecclésia sur la col- la cité athénienne en reconstruisant la ville et en
line de la Pnyx pour voter les lois, prendre les déci- achevant les Longs Murs qui relient l’asty au port
sions politiques de la cité ; du Pirée. Du point de vue artistique et intellectuel,
– les discours des orateurs à la tribune ; l’action de Périclès permet à la cité athénienne de
– la présence d’hommes uniquement ; rayonner dans le monde méditerranéen et dans les
– Périclès en costume de soldat du fait de sa fonc- siècles ultérieurs : les constructions de l’Acropole
tion de stratège, responsable de la défense de la sont sans précédent, et le temple du Parthénon en
cité ; est l’exemple le plus abouti ; le théâtre connaît une
– la présence du Parthénon construit sous Périclès. période faste, notamment la tragédie qui s’épanouit
Les éléments d’interprétation de l’auteur du avec les pièces d’Eschyle, Sophocle et Euripide,
xixe siècle qui visent à idéaliser le personnage de de même que la philosophie sous l’influence de
Périclès sont multiples. Il y a la mise en scène Socrate et de ses disciples comme Platon.
avec Périclès debout, la main levée ; la position
des citoyens, concentrés, attentifs et fascinés par
Périclès. La statue sur l’Acropole, qui fait écho à la
position de Périclès, donne une mise en scène mys- ÉTUDE La thalassocratie, fondement
tique. Les ruines à gauche et la tête d’Athéna avec de la puissance d’Athènes p. 24-25
un bonnet phrygien font également partie des élé-
ments d’interprétation et sont à relier au contexte :
c’est l’époque des fouilles par les archéologues Repérer
allemands à Athènes. 1.
Samos alliés Empire perse
Raisonner en histoire et s’exprimer
révoltés
ennemis pendant
5. Le chrononyme « Siècle de Périclès » se justifie
les guerres
par le fait que c’est sous Périclès que la démocratie
alliés médiques
athénienne est à son apogée.
Cette apogée est liée à son fonctionnement : loi sur Ligie de Délos ATHÈNES Sparte
le misthos, afin que même les plus pauvres puissent
ennemis pendant
participer à la vie politique de la cité, ostracisme la guerre du
Clérouquie
pour exclure ceux qui voudraient supprimer la Péloponnèse
démocratie, magistrats tirés au sort afin que ce
ne soit pas les plus riches ou les plus influents qui Skyros ennemis Thèbes
soient choisis. Mais elle connaît aussi son apogée pendant la guerre
du point de vue de sa renommée : prestige de la du Péloponnèse
démocratie à travers les grands travaux de l’Acro-
pole, le discours de Périclès, la vie culturelle déve- 2. Le port du Pirée a principalement deux fonc-
loppée (théâtre), la figure protectrice d’Athéna et la tions : une fonction militaire avec les deux ports de
mythologie (Ajax et Ulysse). guerre de Zéa et Mounichie, et une fonction com-
Ce sont ces images de la démocratie athénienne merciale avec le port de Kantaros. Ces deux fonc-
qui ont marqué les siècles postérieurs, comme en tions se retrouvent dans les activités artisanales
témoigne le document 3. présentes au Pirée : arsenal et atelier servant aux

12
navires commerciaux et de guerres ; halles aux Périclès justifie sa décision par plusieurs raisons :
blés, bourse de commerce, boutiques et autres ate- – raison politique : montrer le prestige de la cité
liers participant de la fonction commerciale. athénienne avec ce programme de construc-
Le plan du Pirée est attribué à Hippodamos de tion. Selon lui, les Athéniens n’ont pas à rendre
Milet, qui aurait inventé le système en “damier”, compte de l’argent de leurs alliés, puisqu’ils ont
avec des rues se croisant à angles droits, et l’idée fait la guerre pour eux et ont tenu en respect les
de déterminer des zones affectées à des fins défi- barbares. Cette approche permet de contenter
nies. Ainsi le Pirée, réalisé de la sorte, fut divisé en les citoyens pauvres, les thètes, bénéficiaires des
trois secteurs : le port militaire, l’Emporion ou mar- réformes démocratiques à la base du système poli-
ché international, le quartier résidentiel. Le plan tique renforcé par Périclès.
primitif a été conçu de manière à satisfaire à tous – raison économique : fournir du travail à la popu-
les besoins d’un grand port militaire et marchand. lation athénienne qui n’est plus occupée sur les
terrains militaires.
Analyser
3. Le choix de construire les Longs Murs et de Vers le bac
développer le port du Pirée survient après la défaite 6. La thalassocratie a permis le renforcement de
définitive des Perses à Platées, en 479. Les Athé- la démocratie, et ce de plusieurs points de vue.
niens décident alors de rebâtir leur ville et élèvent Politiquement, le rôle des thètes s’est vu renforcé :
des murailles pour la protéger contre tout envahis- ce sont les rameurs des trières, citoyens pauvres,
seur. Ils fortifient non seulement l’Asty, mais aussi dont le rôle a été décisif à la bataille de Salamine
le Pirée, le nouveau port d’Athènes. Thémistocle, en 480 av. J.-C. Leur rôle essentiel dans la tha-
alors stratège, est le promoteur de cette politique lassocratie leur permet de revendiquer des droits
maritime d’aménagement et de défense du Pirée politiques qui élargissent la base démocratique de
car c’est la première condition pour faire d’Athènes la cité. Économiquement, la thalassocratie assure
une puissance navale : posséder un bon port où la le ravitaillement de la cité : Athènes exporte des
flotte peut être mise à l’abri de l’ennemi et du mau- vases, de l’argent des mines du Laurion et de l’huile
vais temps. La cité d’Athènes va comporter désor- d’olive, tandis qu’elle importe du blé, des métaux
mais deux centres, qui se complèteront l’un par et du bois. De plus, la Ligue de Délos assure à
l’autre. Les Longs Murs permettent ainsi de faire Athènes le versement d’un tribut régulier, ce qui lui
la jonction d’Athènes avec la mer. Ils sont achevés permet de renforcer le prestige de la démocratie à
sous Périclès après deux ans de travaux (458-456). travers les grands travaux entrepris par Périclès,
4. La bataille de Salamine est un moment clé dans notamment sur l’Acropole. Enfin, militairement, la
la constitution de la thalassocratie athénienne car Ligue de Délos permet à la démocratie athénienne
elle permet à la cité de recouvrir un très grand de disposer d’une flotte puissante et d’alliés nom-
prestige : grâce à Thémistocle, Athènes s’affirme breux.
comme une puissance navale capable de diriger
une coalition. C’est aussi un événement fondamen-
tal pour l’histoire et l’identité de la population de
ÉTUDE Être une femme dans la cité
l’Attique, mis en scène dans les grandes fêtes de
la cité comme dans la pièce d’Eschyle, Les Perses. d’Athènes  p. 26
Cette victoire est aussi à l’origine de la fondation
de la Ligue de Délos , système d’alliance entre Contextualiser
Athènes et les autres cités de la mer Égée : elle
permet à Athènes de dominer celles-ci, lesquelles 1. Les femmes peuvent appartenir à trois catégo-
lui versent chaque année un tribut, en navires et ries différentes : femmes de citoyens, femmes de
en argent, et adoptent sa monnaie. En échange, métèques ou esclaves. Depuis le décret de Périclès
Athènes mène la guerre. de 451 av. J.-C., seuls les hommes nés d’un père
citoyen et d’une mère fille de citoyen sont citoyens,
ce qui donne un statut privilégié aux femmes de
Argumenter citoyens. Les femmes de métèques ne disposent
5. Périclès rapatrie le trésor de la Ligue de Délos pas de ce statut particulier. Enfin, les femmes
afin de financer une partie des grands travaux qu’il esclaves sont considérées comme une marchan-
entreprend à Athènes. Il s’agit en particulier de dise, à l’instar des autres esclaves. Sur le docu-
reconstruire l’Acropole, détruite par les Perses lors ment 1, on distingue bien la femme de citoyen qui
des guerres précédentes. est servie par une esclave.

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 13


Confronter comme Aspasie, mais ces exemples demeurent des
cas rares dans la société athénienne.
2. Les femmes de citoyens ont un rôle clé dans la
société athénienne. Elles participent à la gestion de
l’oikos, notamment en surveillant l’organisation du
ÉTUDE CINÉMA
travail des esclaves et en s’occupant des questions La Bataille de Marathon  p. 27
relatives à l’éducation des enfants. Elles disposent
d’ailleurs d’un espace réservé au sein de la maison,
Connaître
le gynécée. Certaines peuvent même participer à
la vie politique et culturelle de la cité, à l’instar 1. Philippidès incarne le héros possédant à la fois
d’Aspasie (même si celle-ci est une métèque), la des vertus physiques (athlète vainqueur des Jeux
compagne de Périclès, qui fréquente philosophes olympiques), morales et civiques (dévouement pour
et écrivains. De plus, les femmes peuvent avoir défendre la cité, bravoure militaire, capacité à com-
un rôle clé dans la religion, comme les grandes mander, résistance à la corruption, à la tentation).
prêtresses d’Athéna.
3. La première partie du document 2 reflète bien la Analyser
méfiance des Athéniens vis-à-vis des femmes trop 2. L’affiche est typique des péplums des années
instruites : « Elle devait voir le moins de choses 1950-1960, mettant en scène les ingrédients du
possibles, en entendre le moins possible, poser le succès : un héros guerrier, musclé, sportif, évo-
moins de questions possibles. » De plus, si Aspasie quant le courage, l’action, une femme blonde pour
a acquis une certaine influence dans la cité athé- le glamour (Mylène Demongeot, star de l’époque),
nienne, elle demeure une exception si l’on consi- un arrière-plan où pointe le drame (course,
dère son statut de métèque. D’après Nicole Loraux bataille). Action et amour, le parfait cocktail, sur
(« Aspasie, l’étrangère, l’intellectuelle », Clio, HFS, fond de détails antiques (drapé, tunique, nudité).
n°13, 2001), « sa situation de compagne valorisée
et d’intellectuelle reconnue, exceptionnelle dans Argumenter
une cité où la norme voulait que la plus grande
3. Ce péplum est un modèle du genre. Le réalisa-
gloire d’une femme soit l’invisibilité et le silence, fut
teur et les scénaristes proposent une image idéa-
sans doute liée à son statut de métèque (étrangère
lisée de la cité antique en personnifiant les vertus
résidente) : celui-ci, tout en lui interdisant d’être
idéales d’Athènes. Ils mettent en effet au premier
l’épouse légitime de l’homme dont elle partageait
plan les Athéniens, les anonymes et, surtout, les
la vie, lui accordait, au risque d’une réputation un
héros dont le patriotisme est sans faille. Miltiade,
peu sulfureuse, la liberté de se montrer, de penser
Philippidès sont parés des plus hautes vertus et
et de s’exprimer ».
récompensés de leur dévouement. Ils incarnent le
bien qui triomphe toujours du mal, des traîtres de
Vers le bac
la cité. Ceux-ci sont punis car ils se sont attaqués
4. La place des femmes de citoyens est ambiva- à Athènes. On voit aussi de manière récurrente le
lente dans la société athénienne. Elles bénéficient peuple, mobilisé, et la discussion des élus de la cité
d’un statut privilégié par rapport aux femmes de dans un bâtiment à colonnes censé représenter les
métèques, puisqu’elles transmettent la citoyenneté. institutions légitimes, ce qui met en avant la démo-
Elles possèdent certains pouvoirs dans la gestion cratie en action.
de l’oikos, et les femmes les plus riches disposent
d’esclaves. Cependant, quelle que soit leur richesse, POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
les femmes demeurent toute leur vie sous la domi-
nation d’un tuteur, appelé kyrios, qui est générale- Auguste et la naissance
ment le père, puis l’époux. La majorité des sources de l’empire romain p. 30-31
montrent l’image d’épouses subordonnées, et plu-
sieurs discours « médicaux » justifient leur infério-
rité biologique et leur destinée de mère. Ce discours
Repérer
justifie en même temps leur rôle au sein de l’oikos : 1. Auguste a l’image d’un chef de guerre (imperator)
elles doivent d’abord assurer la continuation de la en raison des conquêtes dont il supervise les opé-
famille en donnant à l’époux une descendance légi- rations (en jaune sur la carte 1) et qui agrandissent
time, et elles sont aussi chargées de faire fructifier l’empire entre 27 av. J.-C. et 14 ap. J.-C. Son enver-
l’oikos, ce qu’enseigne l’époux à sa femme dans gure militaire est affirmée et amplifiée par la pro-
l’Économique de Xénophon (doc. 2). Certaines excep- pagande impériale. Les représentations comme
tions existent, comme certaines prêtresses ou bien la statue du document 1 mettent en avant l’aspect

14
militaire : geste du chef s’adressant à ses troupes les rappeler. Dans le document 3, Auguste prend
pour les galvaniser (adlectio), cuirasse militaire en charge les provinces les plus difficiles, montrant
ornée des victoires sur les ennemis vaincus pour ainsi sa capacité à faire régner l’ordre.

Analyser
2.
La capitale Les provinces Les cités
Programme de construction Organisation en -27 par Auguste Auguste distribue les sanctions
et d’embellissement de Rome, qui en répartit l’administration et les récompenses entre les
qu’Auguste dote de monuments entre lui et le Sénat. cités selon leur degré de fidélité
en marbre (sur le Forum, le Organisation d’un système de à l’empire. Il octroie le droit de
mont Palatin) symbole de la communication préfigurant la cité à certaines.
solidité et de la richesse du poste impériale, avec des relais
nouveau régime. Voir p. 29. dans les provinces.

3. La statue du document 1 indique qu’Auguste Vers le bac


possède le pouvoir de commander, l’imperium, à la
6. L’empire naissant est constitué de deux échelles
fois un pouvoir militaire mais aussi politique par sa
complémentaires : le pouvoir central et l’échelon
capacité à s’imposer aux provinces de l’empire. La
des cités. Le premier est incarné par l’empereur
présence du petit personnage, vraisemblablement
s’imposant comme un chef politique, religieux et
Éros, à ses pieds, de même que ses pieds nus et
militaire qui donne son cadre et son unité à l’empire.
sa posture proche de celles des dieux grecs, lui
Ce pouvoir s’appuie sur les multiples cités qui en
confèrent aussi un pouvoir religieux. Il est en effet
sont les relais. Il existe des relations particulières
grand pontife, c’est-à-dire le plus haut responsable
entre l’empereur et les cités : le culte impérial dans
de la religion romaine. Par ailleurs, il se donne
des temples dédiés montre ce lien puissant.
une dimension mystique en reliant sa personne à
des ancêtres mythologiques : voir p. 35, l’Enéide de
Virgile. L’ensemble de ces pouvoirs constitue le
principat, nouveau régime institué par Auguste. POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
4. La présence au milieu des dieux et de l’allégo- La christianisation et la réorganisation
rie de Rome de deux personnages réels, Auguste, de l’empire de Constantin p. 32-33
le princeps, et Tibère, son fils adoptif destiné à lui
succéder, marque la volonté de donner un carac-
tère sacré à la nouvelle dynastie qu’Auguste tente Analyser et s’exprimer
de mettre en place. La présence des dieux montre 1.
que ceux-ci la soutiennent et la renforcent. Ce
camée fait partie de la propagande impériale visant Monnaie : le solidus,
Législation : lois
nouvelle monnaie d’or
à légitimer le nouveau régime du principat. sur la famille, mariage
assurant la stabilité

Argumenter
5. Mesures

AUGUSTE

Chef militaire Chef politique Économie :


Militaire : relations
réalisant organisant prospérité dans
Chef religieux avec les Perses
des conquêtes les provinces l’empire (agriculture)
militaires et les cités

Repérer
Création d’un nouveau régime politique,
le principat, reposant sur une dynastie 2. Constantin fait construire des églises dans les
cités de l’empire, en particulier dans ses deux capi-
tales : Rome (Sainte-Sabine, ve siècle) et Constanti-
Contrôle de l’empire nople (Sainte-Irène et église des Apôtres).

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 15


Analyser Argumenter et s’exprimer
3. Constantin tente d’unifier et de contrôler la reli- 5. L’exposé doit mettre en avant les éléments de
gion chrétienne : il s’impose comme un chef reli- réorganisation effectués par Constantin qui per-
gieux en organisant le concile de Nicée en 325. Il y mettent le retour à la stabilité et à l’unité après des
est lui-même présent et insiste pour montrer qu’il années de troubles. On attend ici de l’élève qu’il
en a l’initiative et en est le garant : « Je remercie utilise les réponses aux questions 1 à 4. La carte
Dieu de toutes choses ; mais principalement de ce 4 p. 19 peut être mise à profit pour compléter l’ar-
qu’il m’a fait la grâce d’assembler dans le même gumentation. L’élève doit structurer son exposé en
lieu tant de saints évêques » (doc. 5). Il réunit des classant les arguments. Doivent être ainsi abor-
évêques de tout l’empire et les décisions du concile dés : la réorganisation de l’empire dans de nom-
font autorité, doivent être acceptées de tous les breux domaines (économique, législatif, militaire et
chrétiens. Dans un contexte d’enracinement du
territorial), l’adoption du christianisme contrôlé par
christianisme, Constantin tente ainsi de se poser
l’empereur et envisagé comme un nouveau facteur
comme l’autorité suprême d’un empire chrétien
d’unité de l’empire.
unifié.
4. Sa législation semble influencée par ses Vers le bac
croyances car il promulgue « de nouvelles lois [...]
pour redresser les mœurs et briser les vices », 6. On attend de l’élève qu’il prenne conscience à
se conformant aux valeurs du christianisme. Ses la fois de la valeur d’un témoignage contemporain
paroles montrent ses croyances aussi : « Je remer- des événements mais aussi de l’aspect subjectif du
cie Dieu de toutes choses », « jugement de Dieu texte 3 qui fait un éloge excessif de Constantin. Il
même » (doc. 5). Ses actes et paroles apparaissent s’agit d’un texte de propagande impériale qu’on doit
donc très influencés par le christianisme et servent donc prendre avec réserve. Ce qui permet d’insister
sa politique d’unification de l’empire. sur le travail de l’historien face aux sources.

ÉTUDE La citoyenneté, intégrer les peuples conquis  p. 34

Repérer
1.
Doc. 1 Doc. 2
Date ier
siècle ap. J.-C. e
iii siècle ap. J.-C.

Personnes des notables d’origine gauloise devenus tous les hommes libres de l’empire
concernées citoyens romains

Mode l’exercice de hautes responsabilités l’édit de l’empereur Caracalla (voir méthode


d’obtention dans leur cité pour étudier un document juridique p. 40)

Lieu la cité de Nîmes tout l’empire romain

Contextualiser romain et de l’empereur en particulier. Il avance


aussi une raison de justice sociale et surtout d’inté-
2. Caracalla explique son octroi de la citoyenneté
gration de l’ensemble des populations de l’empire :
romaine à tous les hommes libres de l’empire par « Il est conforme à celle-ci que d’autres puissent
plusieurs raisons. Il met d’abord en avant une rai- être admis à cette même dignité que celle dont les
son fiscale. Sa première préoccupation est dans le Romains bénéficient depuis toujours. » Une raison
domaine financier lorsqu’il déclare qu’« il se doit s’ajoute aussi à cela : l’augmentation du nombre
en effet que la multitude soit non seulement asso- des citoyens permettra de recruter plus de sol-
ciée aux charges qui pèsent sur tous ». Il souhaite dats pour la défense de l’empire, alors très menacé
qu’un plus grand nombre de citoyens permette à sur ses frontières nord et est. L’édit de Caracalla
Rome d’augmenter les impôts prélevés. Il expose constitue un puissant outil d’intégration des popu-
ensuite que cette mesure « augmentera la majesté lations de toutes les provinces de l’empire. Il tend à
du peuple romain », c’est-à-dire l’image du pouvoir instaurer un empire universel.

16
Argumenter et s’exprimer gnons de tes destins ; va chercher pour eux ces
murs superbes, que tu élèveras enfin après avoir
3. Pour cette présentation orale, qui peut aussi être
longtemps erré sur la mer. » Rome est ainsi pré-
réalisée à l’écrit, on attend de l’élève :
sentée comme la nouvelle Troie.
– qu’il fasse une petite introduction dans laquelle il
présente le sujet et le plan demandé ;
Conduire une démarche historique
– qu’il suive dans le développement le plan demandé
en utilisant les ressources de la page : pour la par- 3. Le personnage d’Énée légitime le règne d’Auguste,
tie 1, le vocabulaire (droit de cité romaine) ; pour la en rattachant sa famille, la gens Iulia, à la descen-
partie 2, la réponse à la question 1 ; pour la partie 3, dance du valeureux héros. Auguste est ainsi asso-
on utilisera à la fois les réponses des questions 1 et cié à une famille divine et héroïque, justifiant le
2 en montrant qu’au ier siècle l’intégration concerne culte impérial qui est réservé à sa famille.
surtout les élites locales des cités et, qu’au iiie siècle,
la citoyenneté est devenue universelle (tous les Vers le bac
hommes libres de l’empire) par l’édit de Caracalla. 4. Depuis la fin du iie siècle avant J.-C., tous les
territoires grecs sont sous domination romaine.
Vers le bac La culture romaine s’est appropriée l’héritage
4. Le document 2 permet de mettre en avant le de la culture grecque, qui se retrouve dans plu-
pouvoir de l’empereur : il promulgue des édits sieurs domaines. Elle réinvestit en effet les dieux
comme celui-ci qui ont valeur de loi dans tout l’em- de la religion grecque et les récits mythologiques,
pire, applicables immédiatement. Ce pouvoir légis- comme en témoigne l’Énéide de Virgile : les dieux
latif, non partagé, s’ajoute aux autres pouvoirs : voir grecs sont cités, et l’histoire d’Énée s’inscrit dans
schéma et cours p. 28. Par ses décisions dans tous la continuité de l’Iliade. Les genres littéraires de la
les domaines, l’empereur est le personnage cen- culture grecque sont également repris, à l’image de
tral de l’empire. Son pouvoir est multiforme. l’épopée, dont l’Énéide est à nouveau un exemple
emblématique : la construction du récit reprend
ÉTUDE La mythologie gréco-romaine, en partie celle de l’Odyssée. L’éducation des jeunes
Romains intégrait tous ces éléments de la culture
l’Énéide de Virgile  p. 36-37 grecque. Auprès d’un précepteur ou dans des
écoles municipales, les futurs citoyens étudiaient
Identifier des récits mythologiques d’auteurs grecs. Ils rece-
vaient également des connaissances en philoso-
1. Les deux principaux types de personnages inter- phie grecque, en rhétorique et en droit.
venant sont les dieux et les héros. Dans cet extrait,
la déesse Athéna est citée sous le nom de Pallas. REGARD CRITIQUEp. 36
D’après l’arbre généalogique, on voit également
qu’Énée est le fils d’une déesse, Vénus. Les élèves
pourront aussi relever dans l’extrait le nom des Développer son esprit critique
Pénates, les divinités du foyer à Rome. Concernant Ces questions sont conçues dans un esprit de
les héros, le premier cité est évidemment Énée, fils liberté pédagogique, pouvant aussi bien être pro-
d’Anchise et de Vénus, donc demi-dieu. Le docu- posées aux élèves dans le cadre d’un débat argu-
ment 1 cite également Hector, fils du roi de Troie menté en classe, d’un exercice individuel ou encore
Priam, et héros de l’Iliade. pour introduire le chapitre, en accroche.
1. Les réponses peuvent mettre en avant : le goût
Contextualiser pour les aspects guerriers, l’héroïsme, les grandes
2. Virgile inscrit l’histoire de Rome dans la conti- épopées, la représentation des grandes figures de
nuité de l’Iliade en faisant remonter les origines de la mythologie.
la ville à Énée. La deuxième partie de l’Énéide relate 2. On attend ici des élèves qu’ils prennent conscience
en effet les guerres auxquelles participe Énée pour des multiples traces directes ou indirectes de l’Anti-
conquérir le Latium, la région où sera fondée la quité dans la culture européenne avec des exemples
ville de Rome. De plus, Romulus, fondateur de la dans les domaines : du cinéma, des séries (Rome,
ville, est présenté comme le descendant d’Énée. Percy Jackson, Troie, Game of Throne…), des jeux
La filiation entre Troie et Rome est ainsi établie, et vidéo (Assassin’s Creed Odissey…), de la publicité et
Énée aura réalisé l’injonction d’Hector citée dans des noms de marque (pour des parfums…), de l’ar-
le document 1 : « Troie te recommande ses objets chitecture (Assemblée nationale, le Capitole à Was-
sacrés et ses Pénates. Prends-les pour compa- hington…), des connaissances (mathématiques :

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 17


Pythagore, Thalès ; astronomie : noms des pla- Son instauration remonte à Clisthène. Une fois par
nètes ; philosophie : Platon...). Sans oublier la an, l’Ecclésia pouvait décider d’exiler une personna-
langue française, qui tire largement son origine du lité jugée dangereuse pour la démocratie, pour une
latin et du grec, enseignés au collège et lycée. On durée de dix ans.
peut aussi en chercher les traces à travers le passé : 2. L’objet présenté est un morceau de céramique,
le retour à l’Antiquité de la Renaissance, Louis XIV un tesson, sur lequel a été gravé le nom de Thémis-
surnommé le roi-soleil en référence à Apollon, les tocle. On attend des élèves qu’ils comprennent que
références mussoliniennes à la Rome antique, etc. les membres de l’Ecclésia écrivaient le nom de la
personne qu’ils souhaitaient ostraciser. Les élèves
S’EXERCER p. 37 peuvent aussi émettre l’hypothèse que ce vote était
secret : sur le tesson, il n’y a pas de trace de la per-
Employer le vocabulaire spécifique sonne qui l’écrivait.
de l’histoire La procédure d’ostracisme se déroulait en deux
temps. Au sixième mois de l’année, un premier
• Ensemble de récits, légendes et figures divines, vote à mains levées décidait de l’opportunité de
humaines ou monstrueuses brassés par les sys- lancer une telle procédure. Si le vote était posi-
tèmes religieux de l’Antiquité : mythologie. tif, un second vote se tenait deux mois plus tard
• Territoire comprenant une ville et un espace péri- pour désigner le condamné. Ce second vote était
phérique : cité. secret et s’effectuait sur des tessons de céramique
• Religion monothéiste née en Palestine au ier siècle, (ostraka), où les citoyens écrivaient le nom de celui
fondée sur l’enseignement, la personne et la vie de qu’ils voulaient ostraciser. L’individu qui recueillait
Jésus-Christ : christianisme. le plus de suffrages était alors exilé, à condition de
• Régime instauré par Auguste, plus communé- réunir un quorum d’au moins 6 000 votants.
ment appelé empire, qui se fonde sur les pouvoirs
du prince : principat. 3. Homme politique athénien, Thémistocle a été
• Synonyme de citoyenneté romaine : droit de cité. archonte et stratège d’Athènes. Il est celui qui
« amena insensiblement la cité à se tourner et à
Construire une argumentation historique descendre vers la mer » (Plutarque, Vies, IV, iv) en
pour l’oral la dotant d’un port, d’une flotte et de fortifications.
Commandant la flotte, il est le grand vainqueur de
On attend ici de l’élève: la bataille de Salamine en -480 contre les Perses.
– sur le fond : un exposé organisé en deux parties, En donnant davantage d’importance à la flotte, et
la première sur la situation du ier siècle qui concerne donc aux thètes par rapport aux hoplites, il a modifié
un petit nombre de personnes (voir correction des l’équilibre des pouvoirs au sein de la cité. Ce débat
questions de l’étude de la page 34). La seconde sur sur l’évolution de la cité est sans doute au centre
l’évolution vers une citoyenneté universelle instau- de la rivalité de Thémistocle avec ses concurrents
rée par Caracalla et ses motivations (p. 34). politiques (Aristide, ostracisé en -483, et Cimon).
– sur la forme : une diction claire, une posture Thémistocle a ainsi été l’objet d’une campagne de
adaptée à l’oral, un effort pour se détacher de ses dénigrement systématique et a été ostracisé par
notes face à la classe. Voir les conseils de la vidéo les Athéniens en -472. L’analyse de centaines de
« S’entraîner à l’oral », p. 37. tessons retrouvés sur l’Agora a permis aux archéo-
logues d’établir que les adversaires de Thémistocle
Comprendre un objet historique avaient préparé à l’avance des dizaines de tessons
1. L’ostracisme est un vote de l’Ecclésia visant à ban- à son nom, écrits par la même main, pour les dis-
nir un citoyen jugé dangereux pour la démocratie. tribuer le jour du vote.

18
Identifier des notions
Othanès Mégabyze
Type de régime Démocratie Oligarchie
politique
Arguments « On y obtient les magistratures par « Choisissons un groupe d’hommes
favorables le sort, la charge que l’on exerce est parmi les meilleurs, et investissons-
soumise à reddition de comptes et les du pouvoir ; […] il est dans l’ordre
toutes les délibérations sont soumises de la vraisemblance que les hommes
à la communauté. » Ce qui permet le les meilleurs prennent les meilleures
contrôle du pouvoir par le peuple et décisions. » C’est la sélection des
l’égalité devant la loi : isonomie. dirigeants en fonction de leurs capacités
supposées.
Arguments « Multitude bonne à rien » Concernant la monarchie : « Il lui est
défavorables permis de faire ce qu’elle veut sans
contrôle […] Le tyran bouleverse les
coutumes des ancêtres, il fait violence aux
femmes. Il met à mort sans jugement. »

Procéder à l’analyse critique d’un document 2. Le titre de l’ouvrage Éloge de Rome indique qu’il
s’agit de vanter les mérites de l’empire romain, et
1. Aelius Aristide écrit que « c’est ce qui concerne le
qu’il s’agit vraisemblablement d’une commande
droit de cité. Quelle grandeur de conception ! […] Ni
officielle du pouvoir impérial. On peut évoquer le
la mer ni l’étendue d’un continent ne peuvent être
terme de propagande.
un obstacle à l’accession à la citoyenneté ; dans ce
domaine l’Asie n’est pas séparée de l’Europe. Tout se 3. Non, car à la date de l’ouvrage en 144 ap. J.-C.,
trouve ouvert à tous ; il n’est personne digne du pou- seul un petit nombre de personnes était concerné
voir ou de la confiance qui reste un étranger ». Ce par l’octroi du droit de cité : les notables des cités
qui provoque l’admiration de l’auteur est le fait que sortant de charge, les légionnaires après leur ser-
selon lui tout habitant de l’empire, dans n’importe vice ou les personnes distinguées par l’empereur
quelle province, peut accéder au statut de citoyen à titre personnel. L’octroi d’une citoyenneté uni-
romain. Il met en avant la générosité de Rome dans verselle, c’est-à-dire à tous les hommes libres de
ce domaine. En tant que Grec, l’auteur fait certaine- l’empire ne date que de 212 (Édit de l’empereur
ment la comparaison avec le système fermé de la Caracalla).
citoyenneté athénienne du temps de Périclès.

Chapitre 1 – La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines 19


CHAPITRE 2 L a Méditerranée médiévale,
espace d’échanges et de conflits  Manuel p. 46-77

Comment l’expansion chrétienne s’est-elle traduite dans la Méditerranée


à partir du xiie siècle?

I. Introduction
Le premier enjeu du chapitre consiste à faire saisir la notion de civilisation aux élèves. Nous l’entendons
comme l’ensemble le plus vaste auquel s’identifient des sociétés par la langue, la culture, la religion
et le système politique. Si le programme invite à mettre en avant l’émergence des trois civilisations
qui bordent la Méditerranée médiévale (Occident chrétien, mondes byzantin et arabo-musulman)
et l’étude des monothéismes, il faut aussitôt souligner, d’une part, que les civilisations évoluent et
doivent être étudiées dans un contexte historique donné et, d’autre part, qu’elles ne constituent pas
des blocs monolithiques.
C’est pourquoi le terme popularisé par Samuel Huntington de « choc de civilisations » (The Clash of
Civilizations and the Remarking of World Order, 1996) a suscité tant de polémiques. Aussi l’étude des
trois civilisations doit s’accompagner, dans le récit du professeur, d’une attention toute particulière
portée aux divisions qui les fracturent de l’intérieur, comme le précise le programme.
C’est là le second enjeu du chapitre. Si le programme demande de comprendre les conflits entre chré-
tiens et musulmans, il invite à montrer, à travers la figure de Bernard de Clairvaux, que cette violence
est le fruit d’un discours plus que de présupposés religieux irréductibles et intangibles.
L’historiographie actuelle s’est certes écartée d’une vision lénifiante de relations de tolérance entre
communautés religieuses dans la Méditerranée des xie et xiie siècles. Leur cohabitation était marquée
par la domination d’un groupe sur un autre, par des phénomènes de ségrégation, de poussées d’anti-
judaïsme ou de pression envers les musulmans, dans l’Espagne catholique par exemple. Mais les
raisons en sont autant religieuses que sociales et politiques. Ces relations sont aussi marquées par
des formes d’accommodement, en Sicile par exemple.
Par ailleurs, la période des croisades et du jihâd dans la Méditerranée des xiie et xiiie siècles s’accom-
pagne de diverses formes de transferts techniques, culturels et d’échanges commerciaux. Le cas de
Venise est exemplaire d’une cité où la participation aux croisades se mêle d’ambitions économiques
et territoriales, mais aussi d’une curiosité pour l’Orient.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture vise à permettre une compréhension immédiate des questions qui struc-
turent le chapitre. Par la photographie de l’église San Castaldo à Palerme, l’élève appréhende concrè-
tement la conquête par des chevaliers chrétiens d’une ville qui fut musulmane. Cet exemple illustre
en même temps les emprunts architecturaux étonnants qui en résultent.
La double page Notions articule entre elles les notions centrales de la question pour faire sens. Elle
associe à chacune les études du chapitre qui permettent d’en comprendre l’intérêt et la place dans la
réflexion sur les affrontements, mais aussi les convergences et les échanges, qui lient les trois civili-
sations de la Méditerranée médiévale.
La double page Cartes permet à la fois donner les limites géographiques des grandes aires de civi-
lisations, mais aussi leurs fractures et de faire ressortir des espaces de contact que furent la Sicile,
l’Espagne, les États latins d’Orient, ainsi que les centres de traduction et les principaux ports.
La première double page de cours est consacrée à un tableau synthétique des trois civilisations, mais
dans une perspective dynamique. Si l’empire byzantin brille par sa culture et sa richesse, il est sur la
défensive territorialement alors que l’Occident chrétien connaît une période de croissance et que le
pape entend y imposer son autorité. Or la dynamique économique, sociale et politique de l’Occident
se déploie au moment où le monde musulman connaît quant à lui un éclatement religieux et surtout
politique extrême.

20
L’étude sur Constantinople a pour objectif de saisir la notion de civilisation à travers l’exemple byzan-
tin. La civilisation byzantine est à la fois un cadre politique hérité de l’empire romain, une culture mar-
quée par l’héritage grec et la religion chrétienne, mais aussi une culture matérielle liée à la position
de carrefour de Constantinople qui explique par exemple son artisanat raffiné.
L’étude sur les trois monothéismes vise à remobiliser les connaissances vues par les élèves au col-
lège sur les trois religions du Livre. La confrontation des documents choisis doit permettre également
de dégager les fondements communs au judaïsme, au christianisme et à l’islam et les convergences
en termes de croyances.
La deuxième double page de cours développe l’idée de guerre sainte, mais aussi la notion, difficile à
saisir avec rigueur, de jihâd. La guerre sainte chrétienne se traduit par les quatre croisades qui s’éche-
lonnent de 1095 à 1204, mais aussi par les conquêtes menées en Espagne par les rois catholiques.
Toutefois, il ne s’agit pas d’un mouvement continu, mais de vagues d’expansion suivies de reconquêtes
musulmanes portées par des Turcs ou des Berbères qui instrumentalisent la notion de jihâd. Dans
tous les cas, si la guerre a un motif religieux, elle représente également un moyen d’affirmer en
interne une autorité : celle du pape en Occident, comme celles d’émirs ou de sultans qui prétendent
refaire l’unité du monde musulman.
Le point de passage et d’ouverture sur Bernard de Clairvaux est consacrée à une figure centrale de
la croisade au xiie siècle et plus particulièrement de sa légitimation. Bernard achève de faire de celle-ci
une guerre sainte. Son discours donne un modèle au chevalier chrétien à une époque où l’Église
cherche à encadrer la société féodale par un système de valeurs. Le modèle du chevalier du Christ
construit la figure d’un « ennemi » musulman qui légitime et explique la violence des croisés.
La troisième double page de cours montre que l’expansion de l’Occident fut autant territoriale et
militaire que commerciale. La Méditerranée devient à partir du xiie siècle le centre des échanges inter-
nationaux, avant le renversement en faveur de l’Atlantique que les élèves étudieront dans le chapitre
suivant du manuel. Les échanges commerciaux sont aussi de formidables vecteurs de transferts tech-
niques et culturels. Les marchands italiens jouent donc un rôle aussi important que les traducteurs à
Tolède ou à Palerme. Les échanges culturels ont pris des formes variées : emprunts, traductions ou
syncrétisme artistique comme en Sicile ou en Espagne aux xiie et xiiie siècles.
L’étude sur Pierre le Vénérable fait la transition entre le thème de la guerre sainte et celui des
échanges. La traduction du Coran qu’il coordonne illustre une autre façon de mener la guerre sainte,
pacifique ou tout au moins sans verser le sang, par la polémique et la conversion espérée des musul-
mans. L’étude fait ressortir l’importance des traducteurs tolédans qui jouent également un rôle essen-
tiel dans les transferts culturels et scientifiques du monde arabo-musulman vers l’Europe.
L’étude sur Palerme se penche sur un autre type d’échange culturel : les emprunts faits par les rois
normands à l’art mais aussi à la représentation du pouvoir byzantins. Les documents proposés, com-
plétés par celui de la page d’ouverture du chapitre, illustrent le syncrétisme qui se réalise en Sicile
entre les cultures latine, grecque, et musulmane.
Le point de passage et d’ouverture sur Venise est centrée sur la thalassocratie. Si cette notion a
déjà été abordée à travers l’exemple d’Athènes dans le premier chapitre, il s’agit de montrer qu’elle
peut avoir une autre traduction au Moyen Âge. La domination vénitienne sur la Méditerranée repose
certes sur une flotte de guerre, mais davantage encore sur son réseau de marchands et un véritable
empire colonial à partir de la quatrième croisade. L’architecture vénitienne fait également ressortir
l’influence byzantine sur cette cité italienne, mais aussi celle de l’architecture arabo-musulmane, ce
qui est souvent moins mis en avant.

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 21


BIBLIOGRAPHIE
-- Michel Balard et Christophe Picard, La Méditerranée au Moyen Âge, ve-xve siècle, Paris, Hachette,
coll. « Carré histoire », 2014.
Un ouvrage de référence sur la question qui se veut une histoire globale. Il propose des documents utiles
en fin de chapitre.
-- Guillaume Bourel, Pascal Buresi, Marielle Chevallier, David El-Kenz et Sonia Fellous,
Enseigner les trois monothéismes, Paris, Hatier, coll. « Hatier enseignants », 2009.
Ce petit ouvrage propose une démarche comparative des trois monothéismes, une mise au point claire
et de nombreux documents utilisables en classe.
-- Jean-Pierre Delumeau et Isabelle Heuillant-Donat, L’Italie au Moyen Âge ve-xve siècle, Paris,
Hachette, coll. « Carré histoire », 2002.
Une synthèse utile sur l’Italie normande et les cités marchandes italiennes.
-- Alain Demurger, Croisades et croisés au Moyen Âge, Paris, Flammarion, coll. « Champs histoire »,
2010.
La synthèse la plus claire sur les croisades et une réflexion rigoureuse sur une notion difficile à
appréhender.
-- Philippe Gourdin et Gabriel Martinez-Gros (dir.), Pays d’Islam et monde latin, 950-1250,
Neuilly-sur-Seine, Atlande, coll. « Clefs-concours », 2001.
Une synthèse très pratique sur la question réalisée pour la préparation à l’agrégation. Outre les grandes
phases historiques et événementielles, des mises au point sur les notions, les acteurs et les villes qui ont
joué un rôle clé dans les affrontements et les contacts entre mondes latin et musulman.
-- « Byzance, l’empire de mille ans », Les Collections de L’Histoire, juin 2018.
Parution récente qui fait la synthèse sur le monde byzantin. On y trouvera une riche iconographie.

III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE p. 46-47 L’unité de l’Occident chrétien est incarnée par le


pape de Rome. À l’est, l’empire byzantin où s’étend
1. En 1061, les Normands, menés par Robert Guis- l’influence de l’Église chrétienne grecque et ortho-
card, entreprennent la conquête de la Sicile et doxe. La capitale, Constantinople, est le siège de
prennent Palerme à l’issue du siège de 1071-1072. l’empereur, autorité à la fois politique et militaire.
La Sicile musulmane passe sous leur contrôle et Au Proche-Orient, en Afrique du Nord et jusqu’en
devient donc une terre chrétienne. Robert Guiscard Espagne s’étend le monde musulman, qui corres-
et ses successeurs, les rois normands, construisent pond aux territoires conquis par les forces arabes
de nombreuses églises dont l’église San Cataldo à au viie siècle. Si tous les musulmans considèrent
Palerme. comme villes saintes La Mecque, Médine et Jéru-
2. L’église San Cataldo emprunte des éléments salem, on ne peut pas vraiment distinguer un
d’architecture propres aux mosquées : la forme centre politique à cette aire de civilisation qui reste
simple et cubique, surmontée de coupoles. fragmentée. Bagdad est théoriquement le siège
3. Cette église est représentative du syncrétisme du calife, mais d’autres dynasties ont fondées des
culturel qui caractérise la Sicile normande. Elle États indépendants : les Fatimides en Égypte, qui
témoigne des influences arabo-musulmanes dans sont par ailleurs chiites alors que la majorité du
l’architecture, mais que l’on retrouve aussi dans monde musulman est sunnite ; les sultans almora-
l’artisanat, la vie de cour ou dans le domaine intel- vides au Maghreb et dans al-Andalus, renversés au
xiie siècle par le courant religieux des Almohades.
lectuel. Ces transferts culturels sont favorisés
par les rois normands qui accordent une certaine 2. Jérusalem est une ville sainte pour les juifs,
liberté aux musulmans, mais aussi aux juifs et aux les chrétiens et les musulmans. Elle a abrité le
chrétiens grecs, et font appel à leurs compétences Grand Temple bâti par Salomon puis remplacé
dans différents domaines. par le Second Temple en 516 av. J.-C., détruit par
les Romains en 70. Jérusalem est aussi la ville
CARTES p. 50-51 où Jésus aurait été crucifié et qui abrite le Saint-
Sépulcre. C’est donc pour les chrétiens le lieu de
1. Autour de la Méditerranée s’étendent trois aires la résurrection de Jésus. Enfin, la ville est sainte
de civilisation. À l’ouest, le monde chrétien latin. aussi pour les musulmans, car le dôme du Rocher

22
est le troisième lieu saint de l’islam. Il s’élève à entreprit la construction du port appelé d’abord « port
l’emplacement où, selon la tradition, le prophète de Justin » puis « sophien ». Théodose II entoure la
Mohammed serait monté au paradis. ville de nouveaux remparts entre 412 et 414.
3. Des régions particulières ou certaines villes On trouve une reconstitution de tous les quartiers
apparaissent comme des interfaces entre les dif- et monuments de Constantinople à l’époque byzan-
férentes civilisations. C’est le cas des régions tine sur le site : www.byzantium1200.com
conquises par les chrétiens. Le centre de l’Espagne
conquise par les rois catholiques du Nord mêle les Analyser
chrétiens aux communautés qui y existaient avant
3. Pouvoir politique et religieux sont intimement
l’époque musulmane : musulmans (ou mudejars),
mêlés. L’empereur reçoit son pouvoir de Dieu,
juifs et chrétiens arabisés, les mozarabes. En Ita-
dont il est le « servant et lieutenant » sur terre,
lie du Sud et en Sicile, cohabitent les Normands,
comme le représente la mosaïque (doc. 5). Jean II
les communautés musulmanes et juives, mais
Comnène y est représenté en habit de sacre, se
aussi d’importantes communautés de chrétiens
tenant devant la Vierge et le Christ, couronné du
grecs car la région fit longtemps partie de l’em-
diadème fermé, symbole d’un pouvoir universel et
pire byzantin. En Terre sainte, les Latins qui s’ins-
tenant un sac rempli de terre rappelant au basileus
tallent coexistent avec les musulmans et les juifs.
qu’il est mortel. L’empereur est donc aussi à la tête
Par ailleurs, les grandes cités marchandes sont
de l’Église. La loge où il se tient lors des messes
aussi le lieu d’échanges, à la fois commerciaux et
dans l’église Sainte-Sophie, juste à côté du chœur
culturels, entre les trois civilisations. C’est le cas
qui n’est accessible qu’aux clercs, symbolise cette
de Venise et de Gênes, notamment, mais aussi de
position éminente.
Constantinople, la capitale de l’empire byzantin qui
est également un port majeur en Méditerranée, ou
encore de certains ports de Méditerranée orientale Confronter
comme Acre ou Alexandrie. 4. Constantinople est une métropole enrichie par
4. Au cours du Moyen Âge, le commerce méditer- le commerce mais aussi l’artisanat raffiné qui s’est
ranéen s’intensifie. La Méditerranée est au centre développé pour répondre aux besoins de la cour et
des échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Orient de l’aristocratie. La ville est connue pour l’art de la
jusqu’en Asie. Les produits précieux (étoffes, mosaïque, l’orfèvrerie et les tissus brodés qui sont
épices…) y transitent d’est en ouest, de la route des biens rares.
de la soie jusqu’en mer Noire et au Proche-Orient 5. Constantinople, par sa richesse et son luxe,
pour être revendus en Europe. Les draps des exerce une fascination sur les Latins comme sur
villes drapières de l’Europe du Nord sont vendus les musulmans qui y transitent.
à travers toute la Méditerranée. Les États musul-
mans importent également l’essentiel de leur bois
Vers le bac
d’Europe ou de l’empire byzantin. La Méditerranée
est le centre d’une économie-monde. 6. La photographie de la basilique Sainte-Sophie
synthétise les principales caractéristiques de la
civilisation byzantine.
ÉTUDE Constantinople,
La religion chrétienne est au centre de la vie des
capitale byzantine p. 54-55 Byzantins. L’architecture de l’église reflète les
grands principes chrétiens : la distinction entre
Repérer les laïcs et le clergé, intermédiaire obligé entre
les hommes et Dieu ; la puissance de Dieu dont la
1. Constantinople est un port situé sur les détroits lumière illumine l’intérieur du monument par les
entre la Méditerranée et la mer Noire. C’est égale- quarante fenêtres situées à la base de la coupole.
ment une ville aux confins de l’Europe, tournée vers Le régime politique est un empire autocratique où
l’Asie Mineure et donc l’Orient. Cette situation en fait le basileus est le représentant de Dieu sur terre. Il
un carrefour entre les principautés russes au nord, se tient en hauteur à côté du chœur dans une loge
la route de la soie, le Proche-Orient et l’Europe. qui lui est réservée durant la messe. Il est égale-
2. Constantinople conserve les traces de la capi- ment le chef de l’Église dont il nomme le patriarche.
tale de l’empire romain d’Orient fondée en 330 par L’empire byzantin se distingue par la richesse de
Constantin. De cette époque, subsistent le palais son artisanat et son architecture. Outre les marbres,
impérial, le champ de courses (qui pouvait accueil- les mosaïques ornent l’intérieur de la basilique. Les
lir 50 000 spectateurs) et la citerne. Ses successeurs artisans byzantins ont repris de l’Antiquité gréco-
aménagèrent plusieurs forums. Justin II (567-578) romaine cet art de la mosaïque pour le porter à un

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 23


niveau de raffinement réputé dans l’ensemble de Confronter deux documents
la Méditerranée par l’usage d’émaux, de pâtes de
5. La foi chrétienne est tournée vers le Salut. À
verre et d’or.
la fin des temps, le Christ doit, selon les livres de
l’Apocalypse, revenir ressusciter les hommes et les
juger en fonction de leur comportement de chré-
ÉTUDE La Méditerranée tien durant leur vie terrestre. Les élus gagnent la
des trois monothéismes p. 56-57 vie éternelle, ressuscités corps et âme, tandis que
les damnés sont condamnés à l’enfer.
Analyser une image 6. Selon la sourate 82 du Coran, Dieu aurait annoncé
au Prophète la fin des temps. Lors du jour du juge-
1. Moïse est le personnage le plus important de
ment (Al-Qiyâmah) qui doit durer 50 000 ans, Dieu
la Bible hébraïque. Il est le Prophète qui, selon
fera entrer les croyants pieux au paradis tandis
la tradition juive, a posé les bases de la religion
que les croyants qui ont commis de grands péchés
juive. Il aurait reçu de Dieu, lors de la traversée du
seront soit pardonnés soit condamnés à l’enfer. Les
désert, la parole divine et surtout les tables de la
mécréants sont forcément damnés éternellement.
Loi que Dieu aurait gravées de son doigt, d’après le
récit biblique. Dieu lui aurait également demandé
de dresser une tente pour célébrer son culte, le Vers le bac
« Tabernacle », qui est le modèle du Temple de 7. Les trois monothéismes présentent de nom-
Jérusalem. breuses convergences. Tout d’abord les dogmes
2. Les Dix Commandements sont à la base du des trois religions se sont établis successivement
dogme juif. Le Décalogue, sans doute mis en forme dans le temps en intégrant des principes du mono-
entre le vie et le ve siècle av. J.-C., pose une série théisme précédent. Cela explique les points com-
d’exigences morales qui s’appliquent à tous. Il est muns entre les trois livres sacrés, Bible hébraïque,
au fondement des préceptes à respecter énoncés Bible chrétienne et Coran, et notamment la recon-
par le Talmud. naissance de prophètes communs.
Les trois religions se retrouvent d’abord sur la
Analyser et interpréter croyance en un dieu unique, créateur et tout-
3. La direction générale de la mosquée s’explique puissant. Elles ont toutes une vision linéaire de
uniquement par l’orientation de la prière vers l’histoire qui s’achève par une fin des temps. Pour
La Mecque, premier lieu saint de l’islam. Son orien- les chrétiens et les musulmans, elle sera marquée
tation est déterminée par le mur de qibla, la direc- par un jugement dernier et le salut éternel pour les
tion de La Mecque, qui est indiquée par le mihrab. bons croyants.
L’ampleur de la salle de prière tient à l’obligation
de celle-ci qui est un des cinq « piliers de l’islam ».
L’horizontalité et l’absence dans la salle de tout POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
encombrement au sol permettent de recevoir les
fidèles à la prière du vendredi, dans un ensemble Bernard de Clairvaux
commun, sans distinction sociale. Le minaret (au et la deuxième croisade p. 60-61
nord) et la fontaine d’ablutions dans la cour consti-
tuent les deux étapes préalables à la prière, avec
Repérer
l’appel du muezzin cinq fois par jour et les néces-
saires préparatifs pour se purifier. 1. La première croisade aboutit à la conquête de
4. L’islam est une religion monothéiste qui impose Jérusalem par les croisés chrétiens en 1099. Les
la croyance en un dieu unique, tout-puissant et chevaliers d’Occident fondent en Terre sainte les
créateur, Allah. Si l’islam reconnaît les prophètes quatre États latins d’Orient : le comté d’Édesse de
de la Bible hébraïque et considère Jésus comme Baudouin de Boulogne, la principauté d’Antioche
un prophète, Mohammed est le dernier des pro- fondée par Bohémond de Tarente (fils du Normand
phètes. Dieu lui aurait, selon la tradition, transmis Robert Guiscard qui a conquis la Sicile), le comté de
sa parole, retranscrite postérieurement dans le Tripoli sous l’autorité de Raymond de Saint-Gilles
Coran, dont le nom arabe, Qur’ân, signifie « réci- et le royaume de Jérusalem. Dans ce dernier cas,
tation ». Le Coran est non seulement le livre sacré le patriarche de Jérusalem Daimbert de Pise sacre
des musulmans, mais bien plus la parole de Dieu Baudouin de Boulogne roi pour défendre la ville des
lui-même. contre-attaques lancées par les Turcs.

24
Analyser l’autorité religieuse, à savoir le pape Eugène III qui
appelle à cette deuxième croisade en 1145.
2. Jérusalem est disputée entre chrétiens et
musulmans car elle est sainte pour les deux reli-
gions. Jérusalem est la ville où Jésus aurait été Argumenter en histoire et s’exprimer
crucifié et qui abrite le Saint-Sépulcre. C’est donc 6. La croisade est une guerre sainte pour Dieu
pour les chrétiens le lieu de sa résurrection. Le comme le souligne la croix au centre de l’enlumi-
dôme du Rocher qu’abrite la ville est également nure (doc. 4). Les musulmans étant les ennemis
le troisième lieu saint de l’islam. Il s’élève à l’emplace- de Dieu, leur mort apparaît légitime. Bernard écrit
ment où, selon la tradition, le prophète Mohammed d’ailleurs que tuer un musulman lors des croisades
serait monté au paradis. n’est pas un homicide, mais un « malicide ». Cette
3. Les croisés peuvent espérer l’absolution de tous représentation du musulman en ennemi de Dieu
leurs péchés et donc le salut éternel lors du juge- par l’Église du xiie siècle autorise donc la violence
ment dernier puisque Bernard dit que Dieu leur la plus extrême et la légitime. L’épisode du siège de
donnera « le fruit de l’éternelle rétribution ». Damas le montre assez par la violence aveugle des
croisés qui tuent « avec ardeur », comme le sou-
4. Pour Bernard de Clairvaux, les musulmans sont
ligne Guillaume de Tyr, ou s’emparent sans distinc-
non seulement les ennemis des chrétiens, mais les
tion de tous ceux qui se trouvent dans les maisons
ennemis du Christ puisqu’ils se sont emparés de
et jardins qui entourent l’enceinte de la ville.
son tombeau.
5. Pour Bernard de Clairvaux, la croisade est une
guerre sainte car elle est faite au nom de Dieu Vers le bac
pour le « venger », écrit-il. Dès lors, le croisé se bat 7. Au brouillon, pour préparer l’analyse du doc. 2,
pour Dieu et « exécute la volonté divine ». Ajoutons classez les arguments de Bernard de Clairvaux
qu’une guerre sainte est forcément légitimée par dans le tableau suivant :

Cause principale Récompense promise Fonctions de la croisade


de la croisade aux croisés pour l’Église
Prise du comté L’absolution des •U  ne guerre sainte au nom du Christ.
d’Édesse par péchés. • Un pèlerinage, un « saint voyage » qui permet de
les Turcs et gagner son salut.
perspective de
• Une occasion pour l’Église de détourner la violence
voir la Terre sainte
des chevaliers (« malice invétérée parmi vous qui
reprise par les
vous arme si souvent et vous précipite les uns contre
musulmans.
les autres pour vous exterminer ») vers une guerre à
l’extérieur de la chrétienté. Par la croisade, l’Église
impose aux chevaliers une morale qui distingue le
bon du mauvais chevalier.

ÉTUDE La traduction du Coran p. 64 Mohammed. En cela, Pierre le Vénérable suit


l’exemple donné par nombres d’intellectuels latins
comme les Anglais Daniel de Morley ou Robert de
Repérer Chester, qui se rendirent à Tolède pour traduire
1. Pierre le Vénérable se rend à Tolède pour entre- les traités d’astronomie d’auteurs grecs anciens
prendre la traduction du Coran. En effet, cette ville conservés dans leur version arabe à Tolède. L’An-
conquise par Alphonse VI de Castille en 1085 est glais Robert de Chester fait également partie des
devenue un centre de traduction de textes arabes traducteurs du Coran auxquels Pierre le Vénérable
connu dans toute l’Europe. La présence de musul- fait appel.
mans, mais surtout de mozarabes, chrétiens ara- 2. Pierre le Vénérable dit s’adresser aux musul-
bisés qui ont vécu sous la domination musulmane, mans. Il prétend, par son traité, les combattre non
fait de Tolède une véritable école de traduction par les armes mais en argumentant pour démon-
de l’arabe vers le latin. Pierre le Vénérable s’est trer les erreurs de l’islam : il se fait ici polémiste.
ainsi entouré d’une équipe de traducteurs dont un On peut dire qu’il mène une sorte de croisade par
Tolédan dénommé Pierre et un musulman appelé d’autres moyens, intellectuels.

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 25


Identifier Ce pluralisme explique les transferts culturels
intenses qui se sont opérés en Sicile. La description
3. Dans son traité Contre la secte des Sarrazins,
qu’ibn Jubair fait des palais de Roger II témoigne
Pierre le Vénérable entreprend de démontrer les
d’une vie curiale qui rappelle le luxe et les plaisirs
erreurs des musulmans et d’attaquer l’islam par
des cours orientales. Les sources nous apprennent
l’argumentation théologique. C’est pour cela qu’il
d’ailleurs que les rois normands auraient eu un
a fait traduire le Coran. Pour mieux combattre l’is-
harem. Le palais de la Zisa (de l’arabe al-Aziz, la
lam, Pierre a d’abord cherché à le connaître, non
« splendeur ») construit sur l’ordre de Guillaume Ier
pas pour lui-même mais pour y trouver les fonde-
à Palerme est un magnifique exemple de ce syncré-
ments de son argumentation théologique.
tisme : il est entouré d’un jardin et de fontaines ; sa
décoration intérieure est faite de mosaïques d’ins-
Vers le bac
piration arabo-musulmane (motifs végétaux) et de
4. Pierre le Vénérable dit lui-même aux musul- muqarnas (reliefs architecturaux en nid d’abeille).
mans « qu’il dirige ses attaques contre des gens L’influence byzantine est surtout marquée dans
qu’il n’a jamais vus et ne verra peut-être jamais, l’idéologie royale que développe la dynastie nor-
qu’il [les] attaque, non par les armes comme le font mande : le roi, par son caractère sacré, est le repré-
souvent les chrétiens, mais par la parole, non par la sentant de Dieu sur terre et ses vêtements de sacre
force, mais par la raison, non par la haine, mais par empruntent largement à ceux du basileus, comme
l’amour ». Il emploie le vocabulaire du combat car en témoigne les mosaïques de l’église de la Marto-
il s’agit d’une forme de croisade contre les musul- rana. Cette église, construite en 1149 et consacrée
mans, bien qu’elle passe par la polémique et non à la Vierge par l’amiral Georges, reprend d’ailleurs
par les armes. Il remplace les armes par les argu- le plan des édifices cultuels de l’Église byzantine,
mentations et la raison, c’est-à-dire ici la théologie en croix grecque. Les piliers sont couverts d’ins-
considéré comme la plus éminente des sciences au criptions en grec et en arabe.
Moyen Âge. On trouve de nombreuses photographies des
Bien plus, il explique mener ce combat par églises San Cataldo et de la Martorana ou du palais
« amour » des musulmans, présentant ainsi son de Zisa sur le site : www.ilgeniodipalermo.com ainsi
traité comme une action d’amour qui vise à détour- que sur le site du patrimoine mondial de l’Unesco :
ner les musulmans de leurs erreurs, de les conver- whc.unesco.org.
tir à la « vraie foi », guidé par l’amour de Dieu envers
tous les hommes. Parcours 2
ÉTUDE Palerme au xiie siècle, 1. Les musulmans bénéficient sous le règne des
rois normands d’une protection et de la liberté de
un creuset culturel p. 65 culte, même s’ils doivent pratiquer en secret, le
prosélytisme leur étant sans doute interdit.
Parcours 1 2. Les musulmans mais aussi les juifs et les Grecs
La Sicile, et plus particulièrement Palerme, est le continuent à accéder à des emplois importants
lieu d’un syncrétisme culturel permis par la tolé- même auprès du roi. Les rois normands ne peuvent
rance des rois normands. se permettre de se passer de ceux qui maîtrisent
Ces rois ont effet garanti aux différentes com- les arts et techniques qui font la prospérité de la
munautés présentes certains droits. Les musul- Sicile. C’est vrai dans des domaines variés comme
mans, les juifs et les Grecs jouissent de la liberté l’agriculture irriguée, la cartographie, la cadastra-
et notamment peuvent pratiquer leur culte. Si tion…, et notamment dans l’art de la mosaïque, que
nous pouvons parler de tolérance, c’est au sens Roger II a favorisé parce qu’il sert la propagande de
où les rois « tolèrent » ces groupes, sans pour son pouvoir.
autant accepter ces communautés religieuses sur 3. Sur les murs de l’église de la Martorana, le roi
un pied d’égalité avec le christianisme romain et Roger II se fait représenter couronné par le Christ.
latin. D’ailleurs Mohammed ibn Jubair, qui n’est Il porte les vêtements et la couronne fermée (avec
pas avare de louanges envers Roger II à qui il dédie en son centre la croix) d’un empereur byzan-
son ouvrage, précise que les musulmans « gardent tin. Autrement dit, sous l’influence de la culture
secrète leur foi ». Leur statut les protège mais les grecque il conçoit son pouvoir à la façon du basi-
tient dans un rang inférieur à celui des chrétiens. leus : il le détient directement de Dieu dont il est
Pour autant, musulmans, juifs et Grecs participent le représentant sur Terre. Le support (la mosaïque)
à l’administration du royaume, à l’activité commer- mais aussi la conception du pouvoir royal sont ins-
ciale et artisanale. pirés de Byzance.

26
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE 4. Les riches marchands vénitiens rivalisent dans
l’édification de somptueux palais, notamment le
Venise, grande puissance maritime long du Grand Canal à Venise. La Ca’ da Mosto
et commerciale p. 66-67 (« maison des Mosto ») à gauche de la photo-
graphie en est un parfait exemple. Ce palais du
xiie siècle présente la structure type de ces palais :
Réaliser un schéma
le rez-de-chaussée ouvrant directement sur le
1. L’association entre les marchands Giovanni et canal abrite les activités marchandes ; à l’étage, le
Angelo est une commenda. piano nobile (« étage noble »)où réside la famille du
marchand s’ouvre par une série de baies en arcs
Angelo Giovanni brisés ou en accolade. On retrouve le même style
Semitecolo Corner dans le palais voisin. Si on parle de style vénéto-
byzantin, ces arcs témoignent en fait plutôt d’une
inspiration arabe. Ils reprennent en effet l’archi-
tecture des mosquées et des riches demeures des
Investit la totalité villes du Proche-Orient comme Le Caire. À travers
Prend la mer
du capital leurs palais, les marchands montrent à la fois l’ori-
pour commercer
(100 livres) gine de leur fortune (le commerce), mais aussi une
réelle fascination pour l’Orient.

Vers le bac
Profit réalisé 5. Venise est une thalassocratie qui maîtrise les
par l’opération commerciale voies maritimes et les lieux stratégiques pour le
commerce et la navigation en Méditerranée. La
présence des Vénitiens y est de deux types.
Les marchands sont présents à travers toute la
Méditerranée grâce à la flotte vénitienne commer-
3/4 du profit 1/4 du profit
ciale qui organise deux fois dans l’année des convois
(mudae) escortés par des navires de guerre. Cette
puissance et l’intérêt bien compris de leurs parte-
Raisonner naires commerciaux leur a permis d’obtenir des
privilèges de la part des autorités musulmanes :
2. La puissance de Venise réside d’abord dans sa
ils établissent des comptoirs permanents (funduks)
position centrale en Méditerranée, qui lui confère
dans des ports comme Alexandrie, Tripoli, Tunis…
un avantage géographique dans les échanges entre
Une véritable diaspora vénitienne est présente en
Orient et Occident. Au xiie siècle, elle contrôle les
Afrique du Nord mais aussi dans les ports des États
grandes voies de navigation qui parcourent le pour-
latins d’Orient, à Constantinople et même en mer
tour méditerranéen grâce à sa flotte et aux établisse-
Noire et jusqu’en Espagne à l’Ouest.
ments commerciaux qu’elle a fondés. Sa puissance
Au xie siècle, Venise a déjà conquis Zara, Spalato,
est également territoriale après la quatrième croi-
Raguse. Participant activement à la quatrième
sade, avec le contrôle de la côte dalmate, des îles de
croisade, Venise s’est également taillé un véritable
Corfou ou de la Crête et de la région d’Athènes. empire. Alors que les Latins détrônent finalement
3. La possession d’une flotte puissante assure à le basileus et se partagent l’empire byzantin, Venise
Venise la sécurité des convois marchands à travers se taille la part du lion avec les 3/8e de la ville de
la Méditerranée. Elle lui a permis de jouer un rôle Constantinople, les principaux ports, des îles de la
déterminant dans la quatrième croisade. En effet, mer Ionienne et des Cyclades mais aussi la Crête,
les croisés louent la flotte vénitienne et en contre- un partie du Péloponnèse, des places en Eubée et
partie s’engagent à prendre le port de Zara au profit dans les détroits, ainsi qu’une franchise commer-
de Venise. Plus encore, quand l’empire byzantin est ciale dans tout l’empire.
démantelé par les Latins, Venise prend le contrôle
des principales îles et ports de l’empire et s’assure
le contrôle du commerce à Constantinople. Ce lien REGARD CRITIQUE p. 68
entre puissance commerciale et militaire est illustré
par l’enluminure où l’on voit un marchand offrir les Développer son esprit critique
statuts de sa corporation au doge de Venise dont la 1. Le terme « passage » désigne de manière assez
principale fonction est de diriger la flotte vénitienne. large les déplacements d’individus armés ou non

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 27


dans le contexte d’une expansion de l’Occident des musulmans, que les Espagnols nomment les
chrétien au xiie siècle. mudejars. Les chrétiens ayant vécu sous domination
2. En Orient, les croisades ont entraîné la construc- musulmane, qu’on appelle mozarabes, et les Juifs
tion de nombreuses forteresses comme celles de sont également protégés. Des contrats assurent à
Margat et Chastel Rouge en Syrie, de Coliath au chacune de ces minorités des droits juridiques et
Liban. religieux.
Dans l’Espagne du xiie siècle, les rois chrétiens
garantissent dans les espaces conquis les droits

S’EXERCER p. 69-71

Situer dans l’espace

Gênes

Tolède
Rome
Constantinople
Cordoue
Édesse

Tunis

Acre
Jérusalem
Alexandrie

500 km

Analyser une architecture religieuse dans cette ville et aurait reçu la parole d’Allah dans
une grotte des environs. L’entrée du mihrab est
Le mihrab de la mosquée de Cordoue, vers 961
surmontée d’un verset du Coran, livre saint de l’is-
1. Cordoue est une ville musulmane d’al-Andalus. lam considéré comme la parole de Dieu mise par
Elle fut la capitale du califat omeyyade d’al-Andalus écrit.
jusqu’au début du xie siècle. 3. L’exemple de la mosquée de Cordoue présente les
2. Le mihrab indique la direction de La Mecque, caractéristiques de l’art musulman. L’islam inter-
vers laquelle les musulmans se tournent pour la disant les représentations humaines (et a fortiori
prière. Les cinq prières quotidiennes sont un des celles du prophète et d’Allah), les artisans jouent
« cinq piliers de l’islam ». On la pratique tourné vers avec les motifs végétaux, les arabesques et la calli-
La Mecque car selon la tradition coranique c’est là graphie arabe pour réaliser leurs décors. On trouve
qu’Abraham aurait créé la première « demeure ici un second élément caractéristique des bâtiments
divine ». Surtout, le prophète Mohammed est né arabo-musulmans : l’usage de l’arc outrepassé.

Situer un événement historique

Traduction du 1141 Échanges culturels entre Orient Pierre le Vénérable


Coran et Occident
Deuxième croisade 1146-1149 Guerre sainte lancée par le pape Bernard de Clairvaux
Prise de Tolède 1085 Reconquista Alphonse VI, roi de Castille
Prise d’Édesse 1144 Jihâd Nur ad-Din

28
Mettre en relation deux documents et doivent prendre le contrôle d’une île peuplée
en majorité de Grecs et de musulmans. Pour faire
La Reconquista et le jihâd en Espagne
accepter la nouvelle domination et s’appuyer sur
1. En mai 1085, le roi de Castille Alphonse VI prend les populations qui font la prospérité de l’île, Robert
Tolède. Face à cette poussée d’un roi chrétien, Guiscard cherche à obtenir la faveur des différentes
l’émir de Grenade appelle à l’aide les Almoravides. communautés par des signes d’ouverture en leur
2. Les autorités musulmanes sont en position direction. La croix sur la pièce indique toutefois que
de faiblesse face à la poussée des rois espagnols le nouveau pouvoir est bien chrétien !
catholiques. En effet, depuis le début du xie siècle, le
califat de Cordoue a disparu au profit d’un ensemble Histoire & jeux vidéo
de petites principautés dirigées par des émirs et
Assassin’s Creed et les légendes de la croisade
qu’on appelle royaumes de taïfas. C’est pourquoi
l’émir de Grenade, à la tête d’un de ces royaumes, 1. L’ordre du Temple (ou des Templiers) est créé en
se tourne vers un État musulman puissant. 1129 pour accompagner et protéger les pèlerins qui
se rendent à Jérusalem. Il tire son nom du Temple
3. Les Almoravides importent en al-Andalus une
de Salomon à Jérusalem. C’est un ordre religieux
nouvelle interprétation du jihâd. Comme l’écrit
militaire : selon leur statut, établi par Bernard de
l’émir Abdallah, les Almoravides disent se battre
Clairvaux, les Templiers sont des clercs organisé en
contre les chrétiens pour gagner leur salut (« s’as-
ordre monastique régi par la règle des moines béné-
surer le paradis ») et cherchent la mort en martyr
dictins, mais cette règle est adaptée à la vie de ces
de Dieu. L’intérêt du texte est de montrer que cette
moines appeler à combattre. Les Templiers sont un
conception du jihâd est datée historiquement et ne
ordre puissant en Terre sainte puisqu’ils sécurisent
correspond pas au jihâd tel qu’il est défini dans les
les routes, ont la garde des lieux saints comme le
premiers temps de l’islam. Il faut d’abord distinguer
Saint-Sépulcre et participent aux croisades.
le grand jihâd du petit jihâd. Le grand jihâd consiste
Les Assassins (de l’arabe hasasyin) est une secte
à combattre contre soi-même pour s’améliorer ou
religieuse de l’islam constituée dans le contexte de
améliorer la communauté des croyants, faire un
l’opposition entre sunnisme et chiisme, dont ses
effort sur soi pour se perfectionner comme musul-
membres se réclament. Cette secte est d’abord
man ; il est spirituel. Le petit jihâd passe par les
apparue pour combattre la domination des Turcs
armes. Il n’est en rien une obligation, mais ce que
seldjoukides sunnites en Orient. Ces derniers sont
l’on peut traduire par « guerre légale », la guerre
leurs principaux ennemis, et ils utilisent la violence
autorisée par le droit coranique quand il s’agit de
et la terreur pour combattre ceux qu’ils considèrent
mener bataille contre les infidèles et les factions
comme ennemis de la vérité de l’islam.
musulmanes considérées comme hérétiques (les
guerres entre sunnites et chiites peuvent relever 2. Si les Assassins ont pu ponctuellement partici-
du jihâd). Le jihâd dans la tradition musulmane per à des combats contre les croisés, leur combat
n’est donc en rien une guerre sainte qui permet- se porte principalement contre les Seldjoukides.
trait d’accéder au paradis dans le combat contre Templiers et Assassins n’ont sans doute eu que
les chrétiens. C’est le sens qui lui a été donné au très rarement l’occasion de se croiser et de s’af-
cours des xie et xiie siècles par les Almoravides pour fronter, et surtout ce n’est pas leur but premier. En
légitimer leur pouvoir, en se présentant comme cela, le jeu prend de grandes libertés avec l’histoire
une dynastie qui visait à réaliser l’unité du monde en faisant de la lutte sans merci entre Templiers
musulman et pour justifier l’expansion de leur ter- et Assassins la trame d’Assassin’s Creed. L’idée du
ritoire au Maghreb et dans al-Andalus. scénario et le succès du jeu tiennent principale-
ment au mystère et aux légendes qui ont toujours
Justifier une hypothèse sur une situation entouré les Templiers et les Assassins. Les Tem-
historique pliers ont inspiré une série de légendes quand le
pape mit fin à cet ordre en 1312 et que les maîtres
Les rois normands de Sicile et les musulmans français de l’ordre furent brûlés sur le bûcher en
1. Le dinar d’or frappé par le comte normand 1314. Les contemporains ont alors voulu voir dans
Robert Guiscard reprend la profession de foi qui les Templiers un ordre extrêmement riche et qui
constitue un des cinq piliers de l’islam : « Il n’y a de disposait d’une immense influence occulte. La tra-
Dieu qu’Allah et Mohammed est son Prophète. » dition a diffusé l’image d’Assassins qui cherchaient
2. Si les premières monnaies normandes frappées l’extase dans la consommation du hashish et tuaient
en Sicile mêlent éléments de la religion musul- leurs ennemis avec violence.
mane et de la religion chrétienne (la croix), c’est 3. De nombreux jeux vidéo s’ancrent dans une
que les chevaliers normands sont peu nombreux période historique. Comme la série Assassin’s Creed

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 29


(guerre du Péloponnèse, Renaissance italienne, païenne ». Il rappelle l’exemple de la première croi-
Révolution française), Age of Empires explore dif- sade qui a permis de libérer Jérusalem « où notre
férentes époques dans ses divers épisodes : Anti- Sauveur a voulu souffrir pour nous ». Ce fut la pre-
quité grecque, Moyen Âge, conquête du « Nouveau mière guerre sainte, puisque les croisés ont com-
Monde »… On peut aussi citer Versailles, complot à battu avec le soutien de Dieu. L’enluminure illustre
la cour du Roi Soleil, la série Europa Universalis, ou la même idée en représentant les croisés libérant
L’Hermione, la Traversée des Lumières. non seulement la ville de Jérusalem mais le Christ
lui-même et son tombeau. L’image superpose en
effet deux registres : le siège de Jérusalem en bas ;
MÉTHODE VERS LE BAC le Chemin de croix, la Crucifixion et la Résurrection
Analyser le texte et un document du Christ en haut de l’image.
iconographique p. 72-73
La croisade apporte aux croisés l’absolution de
leurs péchés grâce à l’indulgence délivrée par le
pape. En cela, la croisade est aussi un pèlerinage
Sujet 1 : La croisade, une guerre sainte
qui permet de racheter ses fautes. Ce qui compte
1. Dans le premier document, le pape Eugène III dans la croisade, c’est autant le combat contre les
s’adresse en 1145 aux souverains et seigneurs musulmans que le voyage lui-même. La difficulté
chrétiens après la prise d’Édesse par les Turcs l’an- et les épreuves du voyage en Terre sainte sont une
née précédente. Il fulmine une bulle (du latin bulla, façon de s’approcher des souffrances subies par
sceau), c’est-à-dire un acte juridique de l’Église Jésus lors du Chemin de croix. Les croisés suivent
romaine rédigé pour une décision importante : la donc l’exemple du Christ et peuvent ainsi gagner
convocation d’un concile, une mise au point sur le leur salut. L’espoir de la rédemption est au cœur du
dogme ou, dans le cas qui nous intéresse, la convo- message de Jésus venu, selon l’Évangile, apporter
cation d’une croisade. En tant qu’autorité suprême la « bonne nouvelle », à savoir le salut éternel à la
de l’Église, le pape cherche à convaincre les laïcs fin des temps.
de se croiser pour défendre les États latins d’Orient
et reprendre si possible le comté d’Édesse conquis Sujet 2 : Chrétiens et musulmans dans l’Espagne
par le Seldjoukide Zengi en décembre 1144. Le de la Reconquista
texte justifie la deuxième croisade. La réponse peut s’organiser en deux parties :
L’image est une enluminure du xive siècle. Il s’agit 1. Les musulmans bénéficient de garanties de
donc de l’interprétation deux siècles après les faits protection dans les territoires conquis par les
de la prise de Jérusalem par le moine qui l’a réa- rois catholiques espagnols : pratiquer leur culte,
lisée. Elle insiste sur la dimension religieuse de la s’administrer en appliquant leur lois et coutumes.
prise de Jérusalem en mélangeant l’événement de Cela explique une coexistence entre musulmans
1099 et les récits des Évangiles. et chrétiens et des influences culturelles arabo-
2. En effet, l’enluminure représente deux scènes musulmanes comme l’illustre l’église chrétienne
dans la même image : la prise de Jérusalem par les San Andrès.
croisés (en bas) et la fin de la vie de Jésus dans la par- 2. Pour autant, les musulmans sont en situation
tie supérieure. Dans les arcs de ce qui ressemble à de minorité, c’est-à-dire d’inégalité par rapport
une église sont représentées de gauche à droite les aux chrétiens qui dominent la région. À Tudèle, ils
scènes de la Flagellation, du Chemin de croix, de la doivent quitter le centre de la ville au bout d’un an
Crucifixion et la Résurrection du Christ, puis celle de et ne peuvent donc vivre que dans les faubourgs ou
la découverte du tombeau vide de Jésus par Marie- les campagnes. Les mosquées sont parfois trans-
Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé formées en églises sur décision des autorités chré-
(Marc, XVI, 1). Dans le coin en haut à gauche de tiennes.
l’image, une nuée évoque l’ascension du Christ.
La résurrection du Christ est le thème central du
dogme chrétien. L’image suggère ainsi que les croi-
TRAVAILLER EN HISTOIRE
sés participent à une guerre sainte pour le Christ. Faire une recherche sur internet p. 74
3. La croisade est une guerre sainte légitimée par
l’autorité religieuse suprême de l’Église qu’est le Exemple : Adélard de Bath
pape. Comme l’écrit Eugène III, cette guerre est 1. Adélard de Bath est un philosophe et mathéma-
une œuvre sainte car elle consiste à se battre au ticien né à Bath au début du xiie siècle qui a voyagé
nom du Christ contre ses « ennemis », c’est-à- en Sicile, en Terre sainte et en Espagne. C’est sans
dire ici les troupes seldjoukides qui ont pris le doute à Palerme, lors de ses rencontres avec l’évêque
comté d’Édesse et que le pape qualifie d’« ordure Guillaume de Syracuse, qu’il prend connaissance

30
des traités scientifiques grecs dont les Éléments 2. La plupart des lettrés chrétiens se rendent à
d’Euclide. C’est ensuite lors de ses séjours en Italie Tolède où existe une véritable école de traduction
du Sud et à Tolède qu’il approfondit sa connaissance grâce à la présence de musulmans et de chrétiens
des sciences arabes qui lui permettent de traduire arabisés, les mozarabes. Ils y trouvent à la fois un
les Éléments. Il semble en effet en connaître la tra- riche fonds de traités en arabe et les traducteurs
duction par Gérard de Crémone (1114-1187). Ce dont l’aide est nécessaire.
dernier vient d’Italie à Tolède pour diriger les tra-
3. Principaux traités grecs traduits de l’arabe en
ductions latines de quelque soixante-dix grands
latin :
textes scientifiques et philosophiques gréco-arabes.

Titre et auteur Discipline scientifique Traducteur Lieu de traduction


Almageste de Ptolémée Mathématiques Gérard de Crémone Tolède
Physique d’Aristote Physique
Optique de Ptolémée Optique Amiral Eugène Palerme
Canon d’Avicenne Médecine Accursius de Pistoia Palerme
Divers œuvres d’Aristote Médecine, sciences naturelles Daniel de Morley Tolède
Entraînement : Le géographe arabe al-Idrîsî www.qantara-med.org : le site propose un dos-
Sites utiles : sier et un documentaire vidéo sur Al-Idrîsî dans la
rubrique « Les sciences humaines ».
www.lhsitoire.fr : l’article d’Emmanuelle Tixier de
février 2013, « Le monde selon Idrisi » est consul- La synthèse des recherches peut être organisée
table en ligne. suivant le plan suivant :
– Un savant arabe au service du roi Roger II de Sicile
www.classes.bnf.fr : le site de la bibliothèque
– Les méthodes scientifiques du géographe
nationale a consacré une exposition et un dossier à
– La représentation du monde au xiie siècle centrée
« Al-Idrîsî , la Méditerranée au xiie siècle »
sur la Méditerranée

TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 75

Réaliser une production cartographique

Entraînement : Les échanges en Méditerranée au xiie siècle

ROYAUME
D’ANGLETERRE
ROY. DE
Londres POLOGNE PRINCIPAUTÉS
Cologne RUSSES Mer
ROYAUME Caspienne
DE FRANCE SAINTEMPIRE
Paris
ROMAIN
GERMANIQUE ROYAUME
ROY. DE DE HONGRIE
NAVARRE
Venise Mer Noire
ROY. DE Gênes
LEÓN Marseille
Pise ÉTATS Constantinople EMPIRE DES TURCS
ROY. DE DE L’ÉGLISE SELDJOUKIDES
CASTILLE COMTÉ DE
BARCELONE Rome EMPIRE BYZANTIN
ROYAUME Édesse
ROY. NORMAND Antioche
EMPIRE D’ARAGON DE SICILE
DES
ALMORAVIDES Acre
Tunis
jusque 1147
CALIFAT ALMOHADE Mer Méditerranée Jérusalem
à partir de 1147
Les croisades Expansion chrétienne Riposte
1re croisade 3e croisade musulmane
Territoires conquis par
2e croisade 4e croisade les chrétiens où vivent Jihâd CALIFAT
des minorités juives DES FATIMIDES 500 km
et musulmanes

Chapitre 2 – La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits 31


CHAPITRE 3 L ’ouverture atlantique : les conséquences
de la découverte du « Nouveau Monde » Manuel p. 78-111

Comment la découverte du « Nouveau Monde » par les Européens après 1453 et 1492
transforme-t-elle l’Europe et le reste du monde ?

I. Introduction
Le titre même du chapitre invite à la réflexion. Tout d’abord, par l’usage des guillemets à « Nou-
veau Monde » qui incite à une distance critique complétée par l’abandon de l’expression de « Grandes
Découvertes ». On peut y voir la possibilité de sortir d’une approche européocentrée qui a pu prévaloir
par le passé, souvent comme un impensé. Il est donc envisageable de s’appuyer sur le renouveau his-
toriographique des dernières années, notamment autour de l’histoire globale et de l’histoire connec-
tée. L’idée d’une « ouverture atlantique » limite tout de même le propos géographiquement, bien qu’il
soit possible de n’y voir qu’une étape à un élargissement progressif de la focale.
Ce troisième chapitre a pour enjeu principal de comprendre dans quelle mesure cet épisode d’explo-
rations et de conquêtes européennes constitue un basculement global dans l’histoire de l’humanité,
participant à faire entrer cette dernière dans la modernité. Loin d’une vision irénique de cette sortie
du Moyen Âge, ce chapitre est au contraire l’occasion de déconstruire des représentations en insistant
sur le cortège de violences qui a accompagné la naissance de l’âge dit moderne.
L’enseignement de cette rupture constituée par l’élan européen vers le monde à partir du xve siècle
doit donc donner toute sa place aux logiques de domination et d’exploitation qui l’ont profondément
structurée. Il est également possible d’insister auprès des élèves sur le fait que les peuples conquis
ne cessèrent jamais d’être acteurs de l’histoire, quand bien même ils furent réduits en esclavage et
exploités.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture permet une approche synthétique de la chronologie et des probléma-
tiques qui structurent le chapitre. La reproduction du planisphère de Cantino plonge les élèves dans
la question de la représentation du monde, reliant exploration, découverte et colonisation.
La double page Notions articule les quatre notions clés du chapitre, associant chacune d’elle à une
étude ou à un point de passage et d’ouverture. D’un seul regard, les élèves peuvent aborder par le
biais notionnel le processus de découverte du « Nouveau Monde » et ses principales conséquences :
constitution des premiers empires coloniaux, première colonisation et essor de la traite atlantique.
La double page Cartes offre une approche à deux échelles complémentaires. Une première cen-
trée sur l’Atlantique à travers le développement de la traite portugaise reliant Afrique et Brésil. Une
seconde à l’échelle mondiale, rassemblant de manière synthétique les différents points abordés dans
le chapitre.
La première double page de cours s’attache à présenter le processus d’exploration et de découverte
engagé par les Européens aux xve et xvie siècles, ainsi que les principales causes et motivations de cet
élan.
L’étude sur la prise de Constantinople a pour objectif d’amener les élèves à réfléchir de manière cri-
tique sur l’idée de rupture historique. La conquête ottomane, loin d’être cataclysmique dans la réalité,
a pourtant bien été vécue et surtout décrite par certains acteurs et témoins comme un basculement.
On peut ainsi amener les élèves à interroger la construction des faits historiques et des événements
en histoire.
L’étude sur Christophe Colomb vise à interroger tout à la fois les motivations des « Grandes Décou-
vertes », mais aussi les conditions intellectuelles et pratiques qui les ont rendues pensables et effec-
tives. Elle permet de mener les élèves à la question du point de vue des documents, ici européocentré,
afin de leur donner des outils d’analyse critique.

32
La deuxième double page de cours montre que les Européens ne se sont pas contentés d’explorations
mais se sont littéralement appropriés certains des territoires découverts ainsi que leurs richesses. La
constitution des premiers empires coloniaux va de pair avec la mise en place d’une première forme de
mondialisation, profondément structurée par le contexte de domination et d’exploitation.
L’étude sur Tenochtitlan permet de comprendre, par un exemple précis, la violence de la conquête et de
la première colonisation européennes. L’étape des explorations a très rapidement été suivie d’une volonté
farouche de conquérir de nouveaux territoires, afin d’en exploiter les richesses naturelles et humaines.
Le point de passage et d’ouverture sur Séville offre aux élèves la possibilité de comprendre que la
colonisation, pour être comprise, ne doit pas rester centrée sur les territoires colonisés. L’essor du
port sévillan au xvie siècle démontre l’importance et l’inégalité des flux de richesses entre Europe et
« Nouveau Monde » dans le cadre d’une première mondialisation indissociable de la constitution des
premiers empires coloniaux.
La troisième double page de cours rappelle ce que fut « l’ouverture atlantique » pour les peuples
conquis et dominés. Une partie entière de cours nous a semblé nécessaire tant il est important de
mener les élèves à sortir d’une approche européocentrée. L’esclavage, la destruction des Amérin-
diens (pour reprendre les termes de Las Casas) et le développement de la traite transatlantique ont
profondément et durablement bouleversé l’histoire des continents américain et africain. Les critiques
et les résistances en Europe mais aussi dans le « Nouveau Monde », bien que minoritaires, doivent
être rendues visibles et compréhensibles aux élèves.
Le point de passage et d’ouverture sur la controverse de Valladolid est pensé pour permettre tout
à la fois de comprendre l’opposition entre les deux religieux, mais aussi pour mener les élèves à per-
cevoir la complexité sinon l’ambiguïté des positions de Las Casas, en se gardant de toute approche
irénique.
Le point de passage et d’ouverture sur l’économie sucrière et la traite au Brésil entend souligner
les liens profonds qui unissent les processus de colonisation, d’exploitation et de développement de
l’esclavage, puis de la traite. Le xvie siècle a ainsi vu se mettre en place les différents éléments qui vont
puissamment se développer dans les siècles suivants.

BIBLIOGRAPHIE
-- Carmen Bertrand, Histoire des peuples d’Amérique, Fayard, 2019.
Un ouvrage très récent proposant une vaste synthèse sur les peuples d’Amérique. Le parti pris est celui
de se défaire au moins partiellement des sources européennes, notamment par le recours à l’ethnologie
et à l’archéologie. Un contrepoint essentiel.
-- Patrick Boucheron (dir.), Histoire du monde au xve siècle, Fayard, 2009.
Une somme ambitieuse qui se présente comme une généalogie de la mondialisation. L’approche propose
de mettre en œuvre une histoire mondiale, renouvelant ainsi l’historiographie. Les limites dépassent très
largement le cadre atlantique du chapitre, mais cela semble éminemment pertinent pour le comprendre
et l’enseigner.
-- « Les Grandes Découvertes », L’Histoire, juillet-août 2010.
Un numéro synthétique marqué par la volonté de donner écho au renouveau historiographique sur
le thème (malgré le titre choisi). Nombreuses documents précieux et utiles pour les cours.
-- Flacio Dos Santos Gomes, Quilombos. Communautés d’esclaves insoumis au Brésil, L’Échappée,
2018.
Un ouvrage rapide, sans apparat critique, mais qui apporte des connaissances percutantes sur le
marronnage. Le propos, bien qu’engagé, est celui d’un historien. Et il permet de rappeler que les esclaves
furent bien des acteurs au sens plein de l’histoire de l’Amérique.
-- Marc Ferro (dir.), Le Livre noir du colonialisme, Robert Laffont, 2003.
Encore une somme impressionnante. L’ouvrage dépasse largement le cadre chronologique et spatial
du chapitre mais donne justement une perspective éclairante sur le processus de colonisation. La partie
consacrée au « Nouveau Monde » apporte des analyses et des exemples importants pour le cours.
-- Serge Gruzinski et Carmen Bertrand, Histoire du nouveau monde, 2 tomes, Fayard, 1991-1993.
Un ouvrage un peu ancien mais qui reste fondamental pour le sujet.

Chapitre 3 – L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde » 33


III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 78-79 animé par la même intention : atteindre l’Inde en


contournant le continent américain.
1. Les côtes africaines et européennes sont carto- 2. Le partage du monde entre les deux puissances
graphiées avec précision car les explorations euro- ibériques est manifesté avec clarté par la ligne du
péennes y ont été intenses. C’est le cas de toutes traité de Tordesillas (et de Saragosse en 1529). Deux
les côtes méditerranéennes, parcourues depuis empires coloniaux sont alors constitués : l’empire
l’Antiquité, mais aussi des littoraux africains, explo- espagnol concentré sur le continent américain, le
rés depuis la fin du xive siècle par des Européens. portugais plus dispersé à travers les continents.
De nombreux cartographes ont ainsi réalisé des
portulans de plus en plus précis, copiés et transmis 3. Ce partage du monde se manifeste aussi à tra-
à travers tout le continent. vers le contrôle des principales routes commer-
ciales maritimes par les deux royaumes ibériques.
2. Le continent américain est représenté de manière Ces routes permettent notamment d’acheminer
très inégale. Plusieurs îles des Antilles sont déjà les richesses du « Nouveau Monde » vers l’Europe.
représentées avec précision (mais leur superficie
est surestimée) alors qu’une partie importante des
terres reste inconnue. Il est intéressant de voir qu’à ÉTUDE 1453 : Constantinople
certains égards, l’Amérique apparaît comme un
archipel. L’insistance sur la couleur verte et la repré-
devient ottomane  p. 86
sentation de la flore est révélatrice de l’imaginaire
européen qui se développe alors vis-à-vis du « Nou- Connaître
veau Monde ». Un point pose question également : 1. Le texte déborde littéralement de termes dési-
la Floride est représentée alors qu’elle n’a été gnant la prise de Constantinople comme une
explorée par Juan Ponce de León qu’en 1513, soit destruction : « ouragan », « saccagèrent », « inon-
plus de dix ans après la date de réalisation de cette dant », « pilla et saccagea », « vidée, dépeuplée »,
carte. Nous en sommes réduits à des hypothèses : « comme un incendie », et enfin « elle fut détruite
ajout postérieur, date erronée de la carte, explora- et changée en tombeau ». Il est intéressant de
tion antérieure à celle de Ponce de León, figuration demander aux élèves de réinvestir les outils appris
approximative d’un territoire qui aurait été indiqué en cours de français (accumulation, hyperbole, etc.),
par des Amérindiens aux explorateurs européens ? qui aident à développer la dimension critique de
3. À travers cette question, l’idée est de mener les l’étude de document.
élèves à s’interroger sur la carte comme outil de
pouvoir. Pour paraphraser Y. Lacoste, on pourrait Analyser
dire ici que la géographie, ça sert d’abord à conqué-
2. Le document peut permettre de comprendre l’is-
rir des territoires et à exploiter leurs richesses. La
lamisation de la ville de Constantinople, à travers
représentation des insignes portugais et espa-
l’exemple de l’église Sainte-Sophie à laquelle sont
gnols, la figuration de la ligne de Tordesillas ou
ajoutés des minarets. Il est toutefois intéressant
encore la désignation des territoires par des mots
de rappeler aux élèves que la structure globale du
européens sont bien de l’ordre de l’appropriation.
monument est conservée ainsi qu’une grande par-
Par le tracé précis des littoraux, accompagné de
tie des décorations intérieures. La forme même de
repères nombreux, les cartes étaient des outils
l’édifice, organisé en coupoles, est souvent perçue
décisifs qui pouvaient aider à explorer et conquérir
comme musulmane par les élèves, alors qu’elle
de nouveaux territoires en concurrençant les puis-
est typique des églises orientales (le travail sur
sances ibériques.
Venise dans le chapitre précédent peut permettre
de mieux comprendre ce point). Il est intéressant
aussi de montrer aux élèves que la généralisation à
CARTES  p. 82-83
partir d’un document, d’un exemple, est un travers
1. Quand on parle de Dias ou de Gama, il est évident qu’il convient d’éviter.
que la volonté initiale était d’atteindre l’Inde en 3. Le document sur les décomptes de communau-
contournant le continent africain. On sait égale- tés religieuses démontre que la ville de Constanti-
ment que Colomb n’a « découvert » l’Amérique nople, après la conquête, a connu une importante
que par hasard. Son projet était bien d’ouvrir une croissance démographique, manifestation de son
nouvelle route maritime vers l’Inde en passant par dynamisme. En outre, non seulement on y trouve
l’Atlantique. Magellan était lui aussi partiellement de nombreux juifs et chrétiens, mais, en plus, leur

34
proportion dans la population globale reste inchan- par l’ancienneté du commerce et des explorations
gée. Cela permet d’insister à nouveau sur la néces- vers ces régions.
saire dimension critique dans l’étude de document, 2. Colomb, s’appuyant sur les connaissances les
sur le fait que tout document est un point de vue plus avancées de son époque, sait que la Terre
dont il ne faut pas être dupe. est sphérique. Son projet est de parvenir en Asie,
et notamment en Inde, en évitant le long voyage
Argumenter autour de l’Afrique. Les calculs sur lesquels il s’ap-
4. La prise de la ville chrétienne par une dynastie puie sous-estiment la circonférence de la planète
musulmane, la chute de l’empire byzantin, héritier (on le voit sur le globe de Behaim à la superficie
de l’empire romain d’orient, a bien été vécue par de l’Afrique). Ainsi, lorsqu’il pose les pieds dans les
certains chrétiens comme un traumatisme. Mais il Antilles, cela correspond à la distance qui devait à
faut insister sur le terme « vécue » qui souligne la ses yeux séparer l’Europe de l’Asie. C’est notam-
subjectivité du point de vue. Dès lors, plus que la ment pour cette raison qu’il a pensé être en Inde et
destruction fantasmée de la ville, c’est bien le fait a persisté dans cette idée jusqu’à son décès, mal-
qu’elle passe sous autorité musulmane qui est au gré tous les signes qui auraient pu lui faire com-
cœur des préoccupations de certains commenta- prendre qu’il s’agissait d’un nouveau continent.
teurs. Par ailleurs, ces récits outranciers de 1453 3. La lettre de Colomb au roi Ferdinand multiplie
ont connu un écho suffisamment large pour mar- les arguments en faveur d’une nouvelle expédition.
quer durablement les consciences européennes : L’explorateur génois promet à son souverain tout à
si la prise de la ville n’a pas été en soi une destruc- la fois des richesses (or, aromates, coton, gomme,
tion, la représentation de cette conquête comme un bois, esclaves) mais aussi l’extension de la chré-
sac apocalyptique s’est en quelque sorte imposée tienté, dans une sorte de continuation de la croisade
sur la réalité matérielle. En ce sens, 1453 a bien été et de la Reconquista, si importantes dans l’idéolo-
un événement et un basculement. gie des monarques espagnols. 1492 est en effet la
date de l’expulsion des Juifs et de la conquête de
Vers le bac Grenade. La dernière phrase du document résume
parfaitement ces deux dimensions.
5. Les élèves peuvent ici s’entraîner à l’exercice
d’argumentation des épreuves du bac. Ils peuvent 4. Il s’agit de synthétiser l’ensemble des questions
dans un premier temps insister sur la fermeture précédentes, dans l’optique d’une préparation à
religieuse et commerciale que signifie 1453 pour l’étude de documents, exercice du bac.
de nombreux chrétiens. Mais il est important qu’ils
apportent également une nuance en reprenant les ÉTUDE Tenochtitlan
différents éléments d’approche critique vus précé-
face aux Espagnols  p. 90
demment.

Repérer
ÉTUDE 1492 : le premier voyage 1. La capitale de l’empire aztèque était située dans
de Christophe Colomb  p. 87 une zone très humide. Elle avait l’apparence d’une
île au milieu des marécages. On voit également
qu’elle était organisée de manière presque symé-
Parcours 1
trique autour d’une place centrale, de laquelle par-
On peut attendre des élèves qu’ils construisent taient plusieurs artères principales. Soulignons
eux-mêmes une réponse argumentée et structurée toutefois que le document a été réalisé après la
à la question. conquête par des Espagnols. Il est donc à utiliser
Le plan suggéré est le suivant : avec prudence, même si d’autres sources mènent à
I. Les connaissances géographiques des Européens prêter une certaine véracité à cette description. On
avant le départ de Colomb sait par exemple qu’il existait un corps d’urbanistes
II. Une découverte mal comprise par Colomb lui- veillant à la bonne organisation de la ville. La place
même centrale abritait l’enceinte sacrée de la pyramide
III. Les perspectives ouvertes par 1492 à degrés, nommée Templo Mayor par les conquis-
tadores.
Parcours 2
Analyser
1. Les territoires les mieux connus des Européens
avant le départ de Colomb en 1492 sont les litto- 2. Les troupes de Cortés ont fait montre de vio-
raux méditerranéens et africains. Cela s’explique lence dans la conquête de l’empire, multipliant les

Chapitre 3 – L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde » 35


massacres. Les deux documents ici présentés per- de la ville est également favorable : située à moins
mettent de s’en rendre compte, notamment celui de 100 km du littoral, elle permet l’accès direct à
rappelant le massacre du Templo Mayor. Le codex l’océan Atlantique par l’embouchure du fleuve.
Duran, ainsi que les récits aztèques, sont deux
sources « métissées », il s’agit de témoignages Analyser
indirects des vaincus. Dans les deux cas, l’inéga-
2. Cette question doit permettre aux élèves de s’en-
lité de la lutte est soulignée : armures et armes
traîner à l’étude de sources chiffrées. La croissance
métalliques contre des indigènes peu armés, voire
parallèle de la population, des trajets transatlan-
désarmés. Numériquement aussi, le combat était
tiques et des flux de métaux précieux est édifiante.
inégal, notamment du fait de la stratégie de Cor-
L’augmentation des importations d’argent est à elle
tés, qui parvint à s’allier aux peuples amérindiens
seule spectaculaire et permet de se décentrer un
ennemis du pouvoir aztèque.
peu de l’or, certes objet de fantasmes particuliers.
3. Les conquérants s’approprient la ville de plu- Cet enrichissement se retrouve dans l’urbanisme
sieurs manières. Tout d’abord en changeant son de la ville, les objets sacrés et les églises, ou encore
nom, acte symbolique puissant, qui efface l’ancienne dans la création de monnaie. Le travail d’histoire
civilisation par le langage. De plus, les édifices quantitative de P. Chaunu sur les archives sévilla-
construits rappellent tous la culture et la domina- nes nous permet de bénéficier de ces chiffres pré-
tion du colon, dans le domaine politique (résidence cieux, qu’il faut toutefois savoir critiquer. Un chiffre
de Cortés, maisons royales), religieux (églises et précis à l’unité près est séduisant et exerce un effet
monastères), économiques (places publiques) et de réel puissant. Toutefois, il convient de travailler
même démographique (terrains pour les colons). Il avec les élèves sur la construction de ces chiffres,
convient de souligner là encore la nécessité d’une sur les sources historiques dont il ne faut jamais
lecture critique : le témoignage de Diaz del Castillo cesser de questionner la sincérité, les lacunes ou
est manifestement de l’ordre de la louange faite à les erreurs.
son général et à son royaume (« jamais vu une ville
3. Il est question ici de mener les élèves à croi-
plus populeuse, plus étendue et possédant de plus
ser deux sources de nature différente. Un docu-
beaux édifices... »). L’historien Christian Duverger
ment construit d’un côté, un document-source de
a par ailleurs émis l’hypothèse (controversée) que
l’autre. La complémentarité des documents et des
Cortés lui-même aurait écrit L’Histoire véridique.
démarches historiennes permet d’aboutir à une
réponse assez riche : croissance des allers-retours
Prélever des informations
vers l’Amérique, croissance démographique, diver-
4. Le cours doit permettre aux élèves de citer les sité des marchandises, population cosmopolite.
Incas. Il est possible d’élargir le propos aux Mayas, Tout évoque une ruche en pleine activité. On n’ou-
Zapotèques, Aymaras, etc., malgré les indéniables bliera pas de rappeler que Alonso Morgado était
différences entre le sort de ces différents peuples. sévillan et que son Histoire est un hommage ému et
élogieux à sa ville.
Vers le bac 4. Les mêmes documents doivent permettre aux
5. Dans cet exercice de synthèse, on veut pousser élèves de voir que cette « première mondialisation »
les élèves à s’entraîner à l’argumentation. Ils pour- du xvie siècle est déséquilibrée : les allers-retours
ront par exemple structurer leur propos en deux ou nombreux ne doivent pas masquer le déséquilibre
trois points suggérés par l’énoncé : situation préco- des flux. Alors que l’Europe exporte quincailleries,
loniale, conquête, colonisation. vin et huile, elle importe bois, sucre et métaux pré-
cieux. Ces produits proviennent non seulement du
continent américain, mais aussi d’Asie.
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
L’or et l’argent des Amériques à Séville Prélever des informations

 p. 92-93 5. Dans le prolongement de la question précédente,


l’idée est de mener les élèves à comprendre que
colonisation et première mondialisation sont indis-
Repérer
sociables. En ce sens, plutôt que d’échanges, il est
1. Le site de Séville est propice pour le commerce préférable de parler d’exploitation. Un appui sur
maritime : les fonds encore profonds du fleuve per- les cours leur permettra de réinvestir la centralité
mettent la venue de navires de haute-mer, tout en des plantations et des exploitations minières dans
leur fournissant un abri serein pour l’hivernage, dans la société et l’économie coloniale qui se met alors
une boucle aménagée du Guadalquivir. La situation en place.

36
Vers le bac car elle se fait contre un peuple mauvais, un peuple
d’esclaves par nature (il reprend ici la théorie aris-
6. Nouvel entraînement à l’exercice d’argumen-
totélicienne). De plus, cette guerre est nécessaire
tation. Un travail structuré peut être attendu des
car elle se fait contre des ennemis de Dieu, des
élèves. Il s’agit pour eux de structurer les éléments
infidèles, qui commettent des crimes contre l’ordre
étudiés dans les questions précédentes en répon-
humain et divin. Il précise enfin que cette guerre est
dant à la problématique. Ils pourront par exemple
la condition nécessaire à sa propre fin : c’est par la
proposer une approche à deux échelles : une focale
violence et la guerre que les indigènes se converti-
globale, montrant Séville comme un pôle au centre
ront et que la paix sera alors possible.
d’un réseaux de flux ; une focale locale sur la ville
de Séville pour en souligner son enrichissement.
Argumenter

POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE 4. La question 4 doit mener les élèves à une approche
nuancée et complexe. Spontanément, ils vont voir
Bartolomé de Las Casas en Las Casas un défenseur sans réserve de la cause
et la controverse de Valladolid des Amérindiens, une sorte de rebelle affrontant les
puissants et l’ordre colonial. On peut toutefois voir
(1550-1551) p. 96-97 que Las Casas entend défendre la monarchie espa-
gnole et son projet colonial. Il désigne les violences
Repérer contre les Amérindiens et leur réduction en escla-
1. Les violences commises par les Européens sont vage comme des mises en danger de la domination
multiples. Elles accompagnent la conquête militaire, espagnole. Son argumentation vise à montrer que
violente et inégale qu’on a déjà vue avec l’exemple l’Espagne se trahit elle-même et désobéit à Dieu,
de Tenochtitlan (on le retrouve ici, notamment dans en se livrant à ces injustices. Son idée n’est pas de
le document 4). Mais il est surtout question de la mettre fin à la colonisation et à l’évangélisation,
suite de la conquête, du temps de la soumission des mais de les mener avec amour et charité. Il rejoint
Amérindiens à la domination européenne. Si l’on en sur ce point la définition de la guerre juste selon
croit Las Casas, certaines formes de brutalité étaient Augustin ou Thomas d’Aquin .
de l’ordre de la férocité, voire de la perversité. Dans
d’autres cas, elles visaient à obtenir la conversion Vers le bac
des Amérindiens au catholicisme, notamment par 5. Nouvel entraînement au bac, à l’argumenta-
la répression envers les récalcitrants, rapidement tion. Il s’agit de proposer aux élèves de rédiger un
poursuivis par l’Inquisition. Nos deux sources sont développement argumenté complet. Les questions
toutefois à interroger : le texte de Las Casas peut précédentes leur suggèrent un plan mettant tout
se comprendre dans le contexte de la controverse d’abord en avant son opposition aux violences, pour
de Valladolid et a pu le pousser à accentuer les vio- ensuite voir que ce n’est pas à la colonisation qu’il
lences dont il fut témoin. De même Théodore de Bry s’oppose mais à sa brutalité.
a produit ces gravures dans le contexte des guerres
entre protestants et catholiques et avait pour propos
de peindre ceux-ci comme des barbares. POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
Esclavage et économie « sucrière »
Analyser
au Brésil p. 98-99
2. Le système des encomiendas est au centre de la
société coloniale et de l’exploitation de la popula- Repérer
tion amérindienne. On peut distinguer d’un côté la
Couronne espagnole, ses représentants en Amé- 1. Cette carte terrestre et marine, issue d’un véri-
rique et les grands colons propriétaires comme les table projet d’atlas réalisé pour Manuel Ier est édi-
bénéficiaires. D’un autre côté, les populations amé- fiante. De nombreux éléments concourent à faire
rindiennes, tombant de droit sous la propriété des de l’espace représenté un territoire portugais :
plus riches colons, sont clairement des victimes de bannières, navires, onomastique, repères ter-
ce système. restres, implantations portugaises sur les littoraux
brésiliens (et africains à l’extrémité du document).
3. Le point de vue de Sepúlveda est sans détours favo-
rable à la poursuite de l’œuvre des conquistadores.
Analyser
Il reprend ici la théorie de la guerre juste, élabo-
rée depuis Augustin jusqu’à l’époque moderne. La 2. La différence d’environ 20 % entre esclaves embar-
guerre contre les Amérindiens est juste à ses yeux qués et débarqués s’explique par la mortalité très

Chapitre 3 – L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde » 37


forte sévissant dans les navires négriers du fait des quotidienne, les violences des maîtres envers les
conditions extrêmement dures de leur déportation. esclaves, les conditions de vie, les révoltes, les
3. Cette question permet de réinvestir et d’appro- désobéissances, les cris et le tumulte, tout cela est
fondir les connaissances précédentes. L’exploita- tu par le tableau de Franz Post.
tion coloniale se comprend cette fois dans le cadre
de la mise en place d’une société esclavagiste. Les REGARD CRITIQUE  p. 100
esclaves fournissent la main-d’œuvre stable et
corvéable dont parle B. Bennassar. La structure Développer son esprit critique
même de l’engenho est rationalisée et orientée vers
1. Jérôme Baschet est un historien engagé, compa-
l’exportation de la production. Les coûts importants
gnon de lutte de la révolte zapatiste au Chiapas – où
de la traversée atlantique sont en fait compensés
il vit et enseigne régulièrement depuis plus de vingt
par l’exploitation des esclaves. La société coloniale
ans. Son approche de la période dite des « Grandes
est une société esclavagiste. De plus, la présence
Découvertes » est marquée par ce décentrement
d’une église et d’une grande demeure coloniale
physique et intellectuel.
rappelle la domination fondamentale des Portugais
À ses yeux, on peut dire que Colomb n’a pas décou-
sur les indigènes.
vert l’Amérique pour au moins trois raisons :
– Christophe Colomb n’a jamais compris, ni en
Schématiser 1492 ni plus tard, que lui et son équipage avaient
4. a/2 ; b/3 ; c/6 ; d/4 ; e/5 ; f/1 posé les pieds sur un continent inconnu des Euro-
péens. Malgré de nombreux éléments qui ont alerté
S’exprimer d’autres explorateurs européens, il a préféré conti-
nuer à croire qu’il s’agissait de terres asiatiques.
5.
– Les continents, comme le rappelle par ailleurs
Christian Grataloup, ne sont pas des données natu-
Autres facteurs
Exploitation relles, mais des « inventions » humaines. En ce
(choc microbien,
coloniale sens, il a fallu inventer l’Amérique, la construire
massacres, etc.)
comme une catégorie intellectuelle, processus
auquel Colomb n’a pas volontairement participé,
contrairement à Amerigo Vespucci.
Effondrement Luttes de
démographique défense des – Enfin, et surtout, Jérôme Baschet dénonce l’eu-
amérindien Amérindiens ropéocentrisme de l’idée même d’un « nouveau
continent ». En effet, des humains ont peuplé ce
continent, il y a plus de 15 000 ans, bien avant que
Recours à la Colomb (ou même d’éventuels Vikings) y pose le
traite atlantique pied. Parler de découverte en 1492, c’est mépri-
ser des dizaines de milliers d’années d’histoire
humaine, c’est considérer que l’histoire ne com-
Vers le bac mence qu’au moment où les Européens inter-
6. Le document 3 est à la fois riche et délicat pour viennent dans le cours des événements.
comprendre la réalité quotidienne de l’esclavage 2. La question est très ouverte et peut conduire à une
dans les engenhos au xvie siècle. Riche, car il offre grande diversité de réponses. L’idée est précisément
dans un seul cadre une vision complète sur l’orga- de mener les élèves à réfléchir à l’indépassable sub-
nisation de la plantation esclavagiste et coloniale jectivité de l’écriture de l’histoire, jusque dans le
type comme on l’a vu précédemment. Cela dit, un choix des notions et des simples termes utilisés.
recul critique s’impose. Tout d’abord, parce qu’il a À titre d’exemples, on pourra penser à l’histoire de
été peint au xviie siècle, à une époque où les engen- la décolonisation, souvent analysée et enseignée
hos sont considérablement plus rationalisés dans du point de vue européen ou encore à la projec-
leur fonctionnement que cinquante ans auparavant. tion cartographique la plus couramment utilisée
Ensuite et surtout, la vision ici offerte est celle d’un plaçant l’Europe en position centrale, projection
Européen qui idéalise les exploitations coloniales. précisément issue de la période des « Grandes
Le calme, l’ordre et la beauté du paysage, tout Découvertes ». Certains élèves auront peut-être
concourt à donner une image idyllique de l’exploita- l’idée de chercher d’autres tropismes et décentre-
tion coloniale. Les colons et les esclaves semblent ments : l’histoire a longtemps (et est encore très lar-
travailler en harmonie, sans rapport de domina- gement) été racontée du point de vue des hommes,
tion, voire librement. La réalité de l’exploitation laissant aux femmes une position marginale.

38
S’EXERCER  p. 101-103 Mettre en relation un document avec une
situation historique
Employer les notions à bon escient 1. À gauche de la scène, on voit un bâtiment défendu
1/a ; 2/c ; 3/b par une personne armée. Une personne chute alors
que d’autres gisent, démembrées, au sol. Au centre
Identifier des acteurs clés et à droite de l’image, on trouve des assaillants.
2. Les personnages assiégés sont des Aztèques
Voir les biographies de B. de las Casas (p. 96),
et leurs alliés. Les assaillants sont composés
Pizarro (p. 89) et Magellan (p. 84). L’exercice peut
d’un conquistador, reconnaissable notamment à
être l’occasion de réfléchir à la place de l’individu
son cheval, à sa lance et à ses habits. Mais on voit
dans l’histoire.
parmi les assaillants d’autres Amérindiens parmi
lesquels se trouve la Malinche sur la droite.
Mettre en récit
3. La Malinche par son geste de la main semble
Le webdocumentaire www.lienmini.fr/hemc2-026 indiquer le lieu à assaillir pour le conquistador et
permet aux élèves d’aller chercher en autonomie ses alliés. Cela renvoie au possible rôle de soutien
un certain nombre de réponses appuyées sur des à Cortés que lui attribue la tradition.
exemples précis.
1. La domination portugaise s’exerce par l’installa- Situer des événements dans le temps
tion de comptoirs (Ormuz, Goa, Calicut), mais aussi 1452 : Prise de Constantinople par les Ottomans
par des explorations intenses qui aboutissent à une 1492 : Premier voyage de C. Colomb
cartographie précise, élément clé pour faire perdu- 1522 : Fin de la circumnavigation de Magellan et
rer et accentuer leur domination. Elcano
2. Sur un plan militaire, les Portugais ne par- 1543 : Des navigateurs portugais arrivent en Chine
viennent à s’imposer que ponctuellement. Leurs 1562 : Arrivée de Huguenots français en Floride
adversaires chinois et arabes sont en effet très
présents dans l’océan Indien et trop puissants pour Mener à bien une recherche personnelle
que les Portugais puissent les affronter frontale-
Les recherches des élèves pourront porter sur un
ment et globalement.
nombre important de peuples disparus ou ayant
3. Leurs navires puissants et modernes (caraques, survécu jusqu’à nos jours. On peut penser par
nefs et caravelles) sont des outils déterminants exemple aux Aymaras et à leur place importante
dans l’expansion commerciale portugaise. dans le Pérou actuel.

Réaliser un schéma de synthèse Confronter des informations


Titre : Les causes de la destruction des Amérin- 1. La première carte, certes réalisée au xve siècle,
diens au xvie siècle est surtout intéressante car elle reprend la géogra-
phie de Ptolémée, réalisée plus de mille ans plus
Causes militaires : Causes sanitaires : choc tôt. Elle témoigne de la persistance de connais-
Conquête des microbien, importation sances antiques et dépassées dans la représenta-
capitales et par les Européens de tion du monde à cette époque.
nombreux maladies comme le La seconde, issue de la mappemonde de Mercator,
massacres typhus ou la variole est réalisée dans le dernier tiers du xvie siècle. Les
> Étude p. 90 > p. 109 explorations européennes ont déjà largement sil-
lonné le globe, permettant la réalisation de cartes
bien plus précises.
Destruction des civilisations 2. Dans la carte imitée de Ptolémée, les seuls
amérindiennes
littoraux représentés avec un peu de détails (et
beaucoup d’erreurs) sont ceux des côtes méditer-
ranéennes, mais aussi de la mer Rouge. Le reste
Causes religieuses Causes économiques de l’Afrique est une immense masse informe qui
et culturelles : et politiques : s’étend jusqu’aux antipodes, littéralement jusqu’à
évangélisation forcée réduction en
la fin du monde.
et acculturation esclavage
En revanche, dans la mappemonde de Mercator,
> Étude p. 96-97 > Étude p. 98-99
les côtes africaines et les proportions globales sont

Chapitre 3 – L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde » 39


respectées. La projection choisie induit certes une que l’Afrique n’est pas un objectif prioritaire pour
forme de déformation mais elle n’ôte rien aux pro- les Européens. Terminez en soulignant les consé-
grès manifestes dans la connaissance du continent quences humaines pour l’Afrique du système com-
entre les deux dates. mercial qui se met en place dans l’Atlantique.
3. Lors de leurs explorations des littoraux africains,
les Européens ont su dresser des cartes précises Plan et exemples :
des littoraux, les portulans. Les cartes étaient des I. Un continent exploré
outils précieux pour les explorateurs, marchands Premières explorations des Européens au xve siècle,
et conquérants, le travail de cartographie était fait le long du littoral africain. Exemples des Açores en
avec une très grande précision, rendue possible par 1432 ou encore du cap de Bonne-Espérance atteint
des outils de mesure de plus en plus perfectionnés. par Dias en 1488.
II. Un continent contourné
Passé & Présent
L’Afrique n’est vraiment explorée que sur son litto-
L’exposition de la BnF est d’une grande richesse ral, dans le cadre de la recherche d’une nouvelle
et permettra aux élèves de mener des recherches route pour l’Asie. Exemples de V. de Gama et même
approfondies. Les réponses se trouvent essentiel- de C. Colomb qui cherche à l’éviter complètement.
lement dans les rubriques « Les portulans », « Sur III. Un continent exploité
la route des deux Indes », « Le nouveau monde dis- Les richesses africaines sont convoitées par les
puté » ou encore « L’océan Indien ». Européens, à commencer par sa richesse humaine.
Exemples : la traite qui commence dès le xve siècle
à Sao Tomé et bien entendu la traite atlantique par
MÉTHODE VERS LE BAC p. 104-105
la suite.

Étudier une carte historique


TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 108
Sujet 2 : La carte au temps des « Grandes Décou-
vertes », un outil pour explorer et comprendre le
Définir un événement historique
monde
Entraînement : Dans quelle mesure la prise de
Problématique :
Tenochtitlan est-elle un événement pour les
Dans quelle mesure les cartes ont-elles constitué Européens ?
un outil décisif pour les Européens au temps des
« Grandes Découvertes » ? Plan :
I. La prise de Tenochtitlan comme moment majeur
Plan :
dans la conquête du « Nouveau Monde »
I. La carte comme outil d’exploration et comme II. La prise de Tenochtitlan n’est qu’un des élé-
produit des explorations elles-mêmes. ments dans un processus beaucoup plus large de
II. La carte pour comprendre le monde dans tous conquête et de domination du continent américain.
les sens du terme : en avoir une meilleure connais-
sance, mais aussi se l’approprier.
TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 109
MÉTHODE VERS LE BAC p. 106-107
Distinguer document-source
Rédiger une réponse à une question et document construit
problématisée
Entraînement : « Esclavage et économie sucrière
au Brésil » : documents sources ou documents
Sujet 2 : Le continent africain a-t-il une place
construits ?
marginale dans la mise en place du « Nouveau
Monde » ? Documents sources : l’extrait de l’Atlas Miller ainsi
que la peinture de Franz Post. (doc. 1 et 3, p.98-99)
Consigne : Documents construits : le tableau statistique et
l’article de B. Bennassar. (doc. 2 et 4, p.98-99)
Après avoir décrit la phase d’exploration en insis-
tant sur le rôle particulier du Portugal, montrez

40
CHAPITRE 4 R
 enaissance, humanisme et réformes religieuses :
les mutations de l’Europe Manuel p. 112-143

Quelles sont les mutations issues de l’effervescence intellectuelle en Europe


aux xve et xvie siècles ?

I. Introduction
Le premier enjeu de ce chapitre est d’expliquer comment l’effervescence intellectuelle et artistique
aux xve et xvie siècles aboutit à la volonté de rompre avec le Moyen Âge et de renouer avec l’Antiquité.
Si la Renaissance italienne débute dès le xive siècle, ce mouvement de renouveau se diffuse progressi-
vement en Europe aux xve et xvie siècles, notamment par l’intermédiaire de la diffusion de l’imprimerie,
mais aussi d’une « République des Lettres » organisée sous la forme d’un réseau d’échanges entre
les érudits de cette époque.
Cette période se caractérise également par une redécouverte des sources d’inspiration grecque et
romaine. Ainsi, les historiens Hérodote et Thucydide, ainsi que les philosophes platoniciens, sont tra-
duits et lus à travers toute l’Europe.
Ce mouvement s’accompagne d’une vision renouvelée de l’Homme que l’on qualifie d’humanisme.
L’Homme est désormais considéré comme un être de raison qui ne doit plus trouver son salut uni-
quement dans la prière, mais aussi rechercher son épanouissement dans le développement de ses
capacités intellectuelles par l’intermédiaire de l’éducation et d’une pensée critique.
Ces nouvelles façons de penser et de présenter l’Homme conduisent à une volonté de réformes dans
le domaine religieux et à une contestation de l’autorité de l’Église catholique. Certaines critiques
avaient déjà émergé à l’époque médiévale mais c’est la diffusion des 95 Thèses de Martin Luther qui
marque véritablement la naissance des Églises protestantes en Europe. Ces réformes conduisent
non seulement à un bouleversement politique au sein de la chrétienté avec des guerres de Religion
violentes, mais aussi à l’émergence d’une Contre-Réforme catholique visant à répondre aux critiques
portées par les Églises réformées.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture vise à permettre une compréhension immédiate des questions qui struc-
turent le chapitre. Le célèbre tableau de Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs, illustre non seu-
lement le renouveau artistique, mais aussi l’humanisme par l’intermédiaire des nombreux objets qui
sont exposés sur les étagères et qui font référence aux connaissances et à la science. Par ailleurs, la
présence de l’évêque Georges de Selve permet d’évoquer le contexte des réformes religieuses, et plus
particulièrement du schisme de l’Église anglicane avec Rome en 1534.
La double page Notions articule entre elles les notions centrales de la question pour faire sens. Elle
associe à chacune les études du chapitre qui permettent d’en comprendre l’intérêt et la place dans la
réflexion sur l’effervescence intellectuelle et artistique en Europe aux xve et xvie siècles.
La double page Cartes permet à la fois d’identifier les principaux foyers de la Renaissance en Europe,
mais aussi d’illustrer la « République des Lettres » par la localisation des principaux centres d’impri-
merie, universités et voyages des humanistes. Le bouleversement géopolitique des réformes est plus
particulièrement visible par la représentation des majorités confessionnelles à travers les territoires
de l’Europe.
La première double page de cours est consacrée la Renaissance et à la place des arts dans les muta-
tions de l’Europe des xve et xvie siècles. Si l’art est mobilisé comme un outil au service du pouvoir
politique, le mécénat permet progressivement aux artistes de renouveler leurs thèmes et leurs tech-
niques et de se distinguer des artisans.
Le point de passage et d’ouverture sur Michel-Ange et la chapelle Sixtine a pour objectif de saisir
la notion de Renaissance à travers l’un des chefs-d’œuvre de cette période. Le plafond de la chapelle

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 41


Sixtine est certes une commande du pape Jules II pour un lieu religieux, mais la fresque proposée par
l’artiste est ponctuée de références antiques et humanistes.
La deuxième double page de cours est consacrée à l’humanisme et à la vision renouvelée de l’Homme
inspirée non seulement par les références antiques, mais aussi par l’affirmation des sciences et de la
pensée critique. Ce mouvement intellectuel se diffuse rapidement à travers l’Europe grâce à l’impri-
merie, les voyages et les correspondances des érudits, mais aussi au développement d’une éducation
humaniste portée par des auteurs tels qu’Érasme et Comenius.
Le point de passage et d’ouverture sur Érasme développe la notion de Renaissance, et plus parti-
culièrement l’organisation de la « République des Lettres ». Les extraits des œuvres de cet érudit
permettent de comprendre l’étendue de ses connaissances dans des domaines aussi variés que la
théologie, l’éducation, la guerre, la politique, etc. Ses voyages et ses correspondances lui permettent
de s’affirmer comme le « prince des humanistes » à travers l’Europe.
L’étude sur Isabelle d’Este permet d’approfondir plus particulièrement la notion de mécénat et
témoigne du rôle des femmes et hommes politiques dans la production artistique à l’époque de la
Renaissance. Les instructions d’Isabelle d’Este sont effet très précises et ne laissent finalement que
peu d’espace de liberté à la créativité de l’artiste.
L’étude sur Abraham Ortelius est consacrée au développement de la cartographie qui constitue un
nouveau moyen de diffusion de l’humanisme. L’exploration de nouveaux territoires en Amérique,
Afrique et Asie s’accompagne en effet de la volonté de représenter les découvertes à l’aide des pre-
miers atlas modernes réalisés en collaboration avec les éditeurs et imprimeurs.
La troisième double page de cours est centrée sur les réformes qui bouleversent l’Europe chrétienne
au xvie siècle. La pratique des indulgences conduit en effet à une rupture profonde au sein de l’Église
catholique, et plus particulièrement par Martin Luther en 1517. Bien qu’il ait été excommunié par le
pape, le théologien reçoit la protection du prince Frédéric III de Saxe et contribue à la diffusion des
réformes en Europe. Cette division confessionnelle conduit non seulement à des guerres de Religion
particulièrement violentes, mais aussi à une Contre-Réforme catholique visant à répondre aux cri-
tiques et combattre le protestantisme.
Le point de passage et d’ouverture sur Martin Luther montre l’importance de ce moine dans l’essor
et la diffusion du protestantisme en Europe à partir de 1517. Grâce à une protection politique et le
soutien de nombreux alliés, Martin Luther parvient à insuffler un esprit de réforme au-delà de la ville
de Wittenberg. Il mobilise pour cela tous les moyens modernes à sa disposition, à savoir l’imprimerie,
mais aussi les images de propagande.
L’étude sur le livre imprimé permet de développer le rôle de l’imprimerie dans la diffusion de l’hu-
manisme. Non seulement le coût de fabrication d’un livre permet de multiplier la reproduction des
textes, mais l’émergence de dynasties d’imprimeurs et le développement d’un réseau de bibliothèques
contribuent également à faciliter les échanges d’idées au sein de la République des Lettres.
L’étude sur le concile de Trente permet de comprendre la réaction de l’Église catholique face aux
réformes protestantes. Face à l’audience grandissante de Martin Luther et Jean Calvin, le pape Paul III
et l’empereur Charles Quint décident en effet d’organiser un concile afin de rappeler le dogme catho-
lique et d’initier une réforme du clergé.

BIBLIOGRAPHIE
-- Gérald Chaix (dir.), L’Europe de la Renaissance, Éditions du temps, 2002.
Cet ouvrage propose une synthèse utile et efficace sur l’Europe de la Renaissance de 1470 à 1560.
-- Philippe Hamon, Les Renaissances, Belin, 2009.
Cet ouvrage s’inscrit dans la collection de l’histoire de France dirigée par Joël Cornette. Il se distingue
notamment par un découpage chronologique original qui tente d’effacer la rupture entre le Moyen Âge et
l’époque moderne au profit d’une analyse à cheval sur le xve et le xvie siècle (1453-1559).
-- Arlette Jouanna, La France de la Renaissance, Perrin, 2009.
Cette synthèse propose une étude centrée sur la France, ce qui permet d’approfondir certaines thématiques
démographiques, économiques et politiques parfois moins développées dans d’autres ouvrages.

42
-- Jean-Marie Le Gall, Défense et illustration de la Renaissance, PUF, 2018.
Cet ouvrage revient sur la genèse de la Renaissance ainsi que ses principales caractéristiques en
proposant de mettre en perspective cette période avec les thématiques récente de l’historiographie :
mondialisation, État-nation, modernité, etc.
-- « Luther : 1517, le grand schisme », Les Collections de L’Histoire, avril-juin 2017.
Parution récente qui propose une synthèse des derniers travaux consacré au célèbre réformateur et
à la rupture que constitue la diffusion des 95 Thèses contre les indulgences en Europe à partir de 1517.

III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 112-113 religieuse dans le contexte de l’émergence des


réformes protestantes.
1. Jean de Dinteville est représenté avec de riches
vêtements de soie et d’hermine, ainsi qu’une impo- CARTES  p. 116-117
sante médaille de l’ordre de Saint-Michel accordée
par François Ier. Ces éléments ont pour objectif de 1. Érasme et Léonard de Vinci sont révélateurs de
montrer sa réussite sociale et politique. Il convient la République des Lettres car ils voyages énormé-
par ailleurs de préciser que l’existence même de ce ment à travers l’Europe. Ces déplacements ont non
portrait dont il est le commanditaire vise à illustrer seulement pour objectif de compléter la formation
son pouvoir. de ces érudits, mais ils contribuent également à
la constitution d’une communauté transnationale
2. La présence de nombreux objets liés aux arts et
d’humanistes qui échangent entre eux à travers
aux sciences témoignent de l’effervescence intel-
l’Europe et contribuent à la diffusion des idées nou-
lectuelle en Europe au début du xvie siècle. Situés
velles.
au centre du tableau, ces éléments peuvent être
répartis en deux catégories principales : 2. La Renaissance se diffuse en Europe par diffé-
– les globes terrestre et céleste, les cadrans rents moyens du xive au xvie siècle.
Tout d’abord, les principaux centres d’imprimerie
solaires, les quadrants, le torquetum, le livre
contribuent à la diffusion des idées nouvelles par
d’arithmétique, l’équerre et le compas évoquent le
l’intermédiaire de la publication à moindre coût
quadrivium, c’est-à-dire les disciplines considérées
d’ouvrages de plus en plus nombreux. On trouve
comme fondamentales depuis l’Antiquité romaine
notamment d’importantes imprimeries à Venise,
et qui font l’objet d’une redécouverte et d’un renou-
Paris et Wittenberg.
vellement dans la perspective de l’humanisme ;
Ensuite, les voyages des humanistes à travers
– le luth, les flûtes, le livre de chants et le crâne en
l’Europe favorisent la diffusion des idées entre les
anamorphose témoignent d’une période de renou- érudits et les artistes. Érasme est par exemple
veau dans les domaines culturel et artistique qui considéré comme le « prince des humanistes »
est caractéristique de la Renaissance. car il entretient des relations d’amitié avec de
3. Cette œuvre constitue une représentation idéale nombreux autres humanistes à qui il rend visite
des hommes de la Renaissance car elle illustre aussi bien dans les États de l’Église que dans les
les principales préoccupations des sociétés euro- royaumes de France et d’Angleterre.
péennes du xve et xvie siècles. Ces différents éléments contribuent à la diffusion
D’une part, les techniques utilisées (l’anamor- de la Renaissance dont le principal foyer se déve-
phose) et le sujet du tableau (un portrait) sont des loppe au nord de l’Italie dès le xive siècle, avant que
éléments caractéristiques de la Renaissance artis- d’autres foyers émergent en France au xve et au
tique qui se développe dès la fin du xive siècle en xvie siècle, puis en Flandre au xvie siècle.
Italie, avant d’être diffusée en Europe au cours des 3. Les principaux territoires marqués par les
xve et xvie siècles. réformes protestantes sont le Saint-Empire romain
D’autre part, les références scientifiques du tableau germanique, la région de Genève et le royaume
témoignent d’une redécouverte des savoirs de l’An- d’Angleterre. Ces territoires sont souvent organi-
tiquité grecque et romaine et sont révélateurs de sés autour d’un foyer autour duquel se développent
l’humanisme. Ils sont mis au service de l’épanouis- les réformes. C’est le cas de Wittenberg qui est le
sement de l’Homme. lieu d’affichage des 95 Thèses de Martin Luther,
Enfin, la présence de l’évêque Georges de Selve mais aussi de Genève qui accueille le réformateur
et du crucifix sont révélateurs d’une réflexion Jean Calvin à partir de 1541.

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 43


POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE la Renaissance car elles sont révélatrices de cette
période de « renouveau » et d’effervescence intel-
Michel-Ange et la chapelle Sixtine lectuelle et artistique qui propose une nouvelle
(1508)  p. 120-121 représentation de l’Homme.
Tour d’abord, ces fresques sont le résultat d’une
Connaître commande du pape Jules II qui mobilise l’art au
service de son pouvoir politique. Par cette œuvre,
1. Michel-Ange est né en Italie et il a réalisé les le chef de l’Église catholique souhaite en effet ren-
fresques de la chapelle Sixtine au Vatican au début forcer le prestige de la papauté.
du xvie siècle. Il appartient par conséquent au Ensuite, ces peintures sont révélatrices des muta-
foyer de la Renaissance italienne qui se développe tions des pratiques artistiques de l’époque. Si
notamment autour de la cité de Florence. Michel-Ange doit représenter une scène religieuse
inspirée de la Bible, il intègre néanmoins des réfé-
Prélever des informations
rences à la mythologie grecque (Charon traversant
2. Michel-Ange est un artiste exigeant et reconnu. le Styx) et à la littérature médiévale (la Divine Comé-
D’une part, c’est en raison de son talent que le pape die de Dante).
Jules II fait appelle à ses services pour réaliser les Enfin, la centralité de La Création d’Adam dans la
fresques de la chapelle Sixtine au Vatican. fresque du plafond de la chapelle Sixtine témoigne
D’autre part, cette notoriété semble rendre Michel- de la volonté de placer l’Homme au centre de la
Ange particulièrement exigeant et parfois même réflexion des artistes et intellectuels.
compliqué à gérer pour ses mécènes. C’est notam-
ment le cas du pape Jules II qui précise dans Vers le bac
une lettre aux autorités de Florence que « nous 5. Michel-Ange est un artiste révélateur des muta-
connaissons l’humeur des hommes de ce genre ». tions artistiques de la Renaissance.
En l’occurrence, le chef de l’Église catholique tente D’une part, il s’affirme comme un artiste et un
de convaincre l’artiste de revenir au Vatican pour érudit qui bénéficie d’une certaine notoriété. Son
terminer son œuvre abandonnée à la suite d’un œuvre lui permet d’être sollicité par les plus grands
conflit avec la papauté. De même, Giorgio Vasari princes et, dans le cas de la chapelle Sixtine, par la
raconte dans ses Vies des plus illustres peintres que papauté afin de participer à un projet de grands tra-
Michel-Ange aurait peint Messer Biago da Cesena vaux destiné à marquer la postérité.
« sous la figure de Minos dans les enfers » afin de D’autre part, quoiqu’il soit relativement âgé au
se venger des critiques de ce dernier concernant sa moment de la réalisation de ces fresques, Michel-
fresque du Jugement dernier. Ange fait preuve d’audace en proposant une inter-
prétation de l’idéal humaniste par l’intermédiaire
Analyser
de la figure d’Adam représenté au même niveau et
3. Michel-Ange mobilise à la fois des sources d’ins- à la même taille que dieu.
piration antiques et médiévales pour la réalisation
des fresques de la chapelle Sixtine.
Tout d’abord, il convoque des références mytholo-
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
giques en représentant une barque qui rappelle le Érasme, prince des humanistes
personnage de Charon qui faisait traverser le Styx  p. 124-125
aux morts dans la mythologie grecque.
Ensuite, il représente des scènes révélatrices de
l’héritage de la tradition iconographique médiévale. Connaître
Ainsi, Michel-Ange représente La Création d’Adam 1. Michel de Montaigne, Léonard de Vinci et
et Le Jugement dernier afin de répondre à une com- Guillaume Budé sont d’autres humanistes qui
mande religieuse. participent à la République des Lettres de par
Enfin, l’artiste intègre également dans son œuvre leurs correspondances et leurs voyages à travers
des références littéraires humanistes. Sa repré- l’Europe.
sentation de l’enfer et du purgatoire s’inspire en
effet de la Divine Comédie de Dante composée au Analyser
début du xive siècle. 2. Plusieurs éléments permettent d’expliquer le
pacifisme d’Érasme.
Argumenter
Tout d’abord, le prince des humanistes a développé
4. Les fresques peintes par Michel-Ange pour la une amitié solide (entretenue par des correspon-
chapelle Sixtine constituent un chef-d’œuvre de dances et des voyages) avec de nombreux autres

44
érudits à travers l’Europe. En 1617, il demande par Tout d’abord, il participe à cette vague de nou-
exemple au peintre Quentin Metsys de réaliser un velles traductions des textes anciens en proposant
diptyque le représentant aux côté du jurisconsulte notamment en 1516 une traduction du Nouveau
anversois Peter Gilles afin de l’offrir à leur ami Testament. Dans sa préface, il justifie cette entre-
commun, l’humaniste anglais Thomas More. Ces prise par sa volonté de retrouver « la pure doctrine
gestes et attentions témoignent d’une amitié qui [...] à l’aide de nombreux manuscrits des deux lan-
dépasse les frontières et les divisions politiques gues, choisis parmi les plus anciens et les plus cor-
au profit d’un respect commun pour les arts et la rects ».
connaissance. Ensuite, Érasme publie de nombreux ouvrages sur
De plus, l’un des adages les plus connus d’Érasme l’éducation, la guerre, etc. en contribuant à diffuser
témoigne de sa réflexion sur la guerre. Ainsi, lors- ses travaux au-delà de la communauté des huma-
qu’il écrit que « la guerre est douce pour ceux nistes. Ses adages constituent par exemple des
qui n’en ont pas l’expérience », l’humaniste tente phrases courtes inspirées de citations grecques
de faire comprendre à ses contemporains que le et latines qu’il commente et utilise comme point
recours à la violence et à la lutte armée doit être de départ pour développer ses réflexions. Ainsi,
évité à tout prix. la phrase « l’homme est un loup pour l’homme »
3. Érasme contribue au renouvellement des constitue une synthèse permettant d’introduire la
connaissances dans le contexte de la Renaissance. pensée des humanistes sur la nature humaine.

Réaliser des productions graphiques


4. Érasme est considéré comme le « prince des humanistes » :

Érasme, prince des humanistes

Redécouverte des savoirs Diffusion et échanges Réflexion sur l’homme


antiques Érasme voyage durant toute sa Érasme écrit de nombreux
Érasme propose en 1516 vie à travers l’Europe et se lie ouvrages sur l’éducation, la
une nouvelle traduction du d’amitié avec les plus grands guerre, etc., et surtout ses Adages
Nouveau Testament à partir savants de son époque, tels que dans lesquels il développe une
des textes grecs anciens. l’anglais Thomas More. réflexion sur la nature humaine.

Vers le bac 1499 et 1500. Lors de ces voyages, il rencontre les


principaux humanistes de son époque tels que
5. Érasme joue un rôle très important dans la cir-
Thomas More lors de son passage dans le royaume
culation des idées humanistes en Europe au début
d’Angleterre. Ces rencontres aboutissent souvent à
du xvie siècle.
de solides amitiés qu’Érasme entretient par l’inter-
Tout d’abord, il profite de l’invention et de la diffu-
médiaire d’une correspondance qui contribue aux
sion du système d’impression à caractères mobiles
échanges des idées humanistes.
de Johannes Gutenberg au xve siècle pour publier
Ce rôle central d’Érasme dans la circulation des
de nombreux ouvrages qui peuvent être diffusés
idées humanistes en Europe au début du xvie siècle
facilement à moindre coût à travers l’Europe. C’est
lui vaut parfois d’être considéré comme le « prince
notamment le cas de L’Éloge de la folie publié pour
des humanistes ». Il contribue donc à l’émer-
la première fois en 1511, avant d’être réimprimé
gence de ce réseau d’échanges que l’on qualifie de
à de nombreuses reprises dans la première moi-
« République des Lettres ».
tié du xvie siècle. Si la première version est écrite
en latin, les éditions suivantes sont traduites en
langues vernaculaires telles que le français, l’alle- ÉTUDE Isabelle d’Este,
mand et l’anglais. Ainsi, l’ouvrage connaît un grand une femme mécène  p. 126
succès populaire dans de nombreux territoires et
royaumes.
Connaître
Érasme n’utilise cependant pas que les livres pour
faire circuler ses idées en Europe. Il voyage lui- 1. La famille des Médicis est l’une des plus grandes
même beaucoup. Par exemple, il se rend à Paris familles de mécènes en Italie durant la Renaissance.
entre 1495 et 1498, puis à Londres et Oxford entre Ils soutiennent de nombreux artistes à Florence.

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 45


Repérer Les mécènes ne se contentent cependant pas seu-
lement de financer et d’encourager la production
2. Le Pérugin a reçu des instructions précises de la
artistique. Par leurs commandes et leurs instruc-
part d’Isabelle d’Este pour la réalisation du Combat
tions souvent très précises, ils contribuent égale-
de l’Amour et de la Chasteté. Sa mécène lui demande
ment à une mutation des pratiques artistiques et à
par exemple de représenter « une lutte virile entre
un renouvellement des thèmes. Si les scènes reli-
Pallas et Diane contre Vénus et Cupidon » et c’est
gieuses demeurent une source importante d’inspi-
une scène de combat qui est peinte par l’artiste. Le
ration, l’art du portrait se développe énormément
Pérugin respecte d’ailleurs les moindres détails
au début du xvie siècle car les mécènes réclament
de la commande d’Isabelle d’Este qui souhaite voir
de plus en plus des œuvres qui mettent en scène
Pallas piétiner l’arc de Cupidon, ce qui est effective- leur pouvoir personnel. C’est notamment le cas
ment le cas au premier plan et à gauche de l’œuvre. du célèbre portrait de François Ier par Jean Clouet,
mais aussi de La Dame à l’Hermine de Léonard de
Analyser Vinci qui représente probablement Cecilia Galle-
3. Isabelle d’Este est en mesure d’imposer des ins- rani, maîtresse du duc de Milan Ludovic Sforza qui
tructions aussi précises au Pérugin car il s’agit d’une est l’un des principaux mécènes de l’artiste.
femme puissante. D’une part, elle bénéficie d’une Les mécènes ne se sont donc pas contenté de
large autorité et assure le pouvoir politique lors soutenir la production artistique à l’époque de
des absences de son mari, le marquis François II la Renaissance. Ils ont également influencé les
de Mantoue. D’autre part, elle dispose de moyens artistes et la nature de leurs œuvres.
importants et paye généreusement les artistes qui
acceptent de travailler à son service pour la déco-
ration de son studiolo. ÉTUDE Abraham Ortelius  p. 127

Argumenter Analyser
4. Isabelle d’Este mobilise les arts au service de 1. Les grandes découvertes territoriales ont exercé
son pouvoir. une grande influence sur la pensée humaniste au
Tout d’abord, elle cherche à valoriser et renforcer xvie siècle. L’une des premières gravures du Théâtre
son autorité à travers la construction de la figure de l’Univers d’Abraham Ortelius, premier atlas
d’une princesse moderne. La construction et la moderne, représente en effet des personnages qui
décoration de son studiolo s’inscrivent dans cette font référence à l’Amérique, l’Afrique et l’Asie.
démarche. Isabelle d’Este souhaite montrer qu’elle 2. La citation de Cicéron utilisée au début du Théâtre
possède son cabinet de travail et impressionner de l’Univers illustre les principes de l’humanisme
ses visiteurs. car elle est révélatrice des réflexions de l’époque
Ensuite, en attirant les meilleurs peintres de son sur la nature humaine. L’homme est alors consi-
époque à son service, tels que Le Pérugin, cette déré comme un être de raison qui se distingue des
mécène montre qu’elle met sa richesse au service animaux et qui est capable de progrès non seule-
des arts. ment dans la connaissance de Dieu, mais aussi de
lui-même et du monde.
Vers le bac
5. Les mécènes jouent un rôle très important dans Prélever des informations
la production artistique à l’époque de la Renais- 3. Dans l’édition française de son Théâtre de l’Univers
sance. publié en 1570, Abraham Ortelius utilise plusieurs
Tout d’abord, leur soutien financier est un fac- arguments pour justifier son projet cartographique.
teur indispensable pour l’activité des artistes dont Tout d’abord, il considère que les cartes étaient
l’essentiel des revenus provient des commandes jusqu’alors difficile à consulter : « On ne pouvait
d’œuvres. Ainsi, le marchand et banquier sien- se servir de ces dites cartes géographiques en
nois Agostino Chigi consacre une partie de sa for- moindre lieu et place. » Il précise d’ailleurs que ces
tune à soutenir des artistes tels que Raphaël et cartes « étaient si grandes qu’un chacun n’avait
Le Pérugin. Cette pratique du mécénat conduit pas le lieu propre, ou assez grand pour pouvoir
d’ailleurs parfois à une concurrence entre les les prendre ou attacher à quelque paroi pour en
mécènes royaux et les mécènes privés qui aspirent user ». Ainsi, on comprend que l’un des objectifs
justement à exercer des fonctions politiques et d’Abraham Ortelius est de proposer des cartes qui
qui sont prêts à consacrer des sommes d’argent puissent être éditées dans un ouvrage facilement
importantes pour montrer leur pouvoir. consultable et transportable.

46
Par ailleurs, le cartographe semble sensible à la POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
diffusion des connaissances cartographiques. C’est
Martin Luther ouvre le temps
pourquoi il souhaite limiter le coût de son atlas
contrairement aux autres cartes « qu’on ne pouvait des réformes (1517) p. 130-131
[...] obtenir à moindre prix ».
C’est pour ces raisons qu’Abraham Ortelius s’asso- Identifier
cie à des éditeurs tels que Christophe Planton pour
1. La gravure de Lucas Cranach le Jeune représente
développer ses atlas et les diffuser au plus grand
Luther prêchant face au pape dans les flammes de
nombre.
l’enfer.
1 Martin Luther
Connaître
2 La Bible
4. L’apparition de l’imprimerie à caractères mobiles 3 Le Christ en croix
de Johannes Gutenberg en 1454 est l’autre inno- 4 Pape et membres du clergé brûlant dans les
vation majeure qui favorise la diffusion de l’hu- flammes de l’enfer
manisme à l’époque de la Renaissance. Les livres 5 Pasteurs délivrant la communion aux fidèles
imprimés se multiplient et leur faible coût, ainsi
que leur format, favorisent la circulation des idées. Analyser
2. La principale critique adressée par Luther au
Vers le bac
pape est la pratique des indulgences, c’est-à-dire
5. Les cartes ont joué un rôle important dans le le pardon des péchés accordé par l’Église aux
renouvellement des connaissances à l’époque de la croyants, le plus souvent en échange de dons en
Renaissance. argent. Que ce soit dans les 95 Thèses affichées le
Tout d’abord, les cartes ont été un moyen de diffuser 31 octobre 1517 (« les prédicateurs des indulgences
les nouvelles connaissances géographiques à la suite se trompent quand ils disent que les indulgences du
des découvertes territoriales de la fin du xve siècle pape délivrent l’homme de toutes les peines et le
et du début du xvie siècle. À la suite des voyages de sauvent »), ou dans la Confession d’Augsbourg pré-
Christophe Colomb et d’autres explorateurs tels que sentée à Charles Quint le 25 juin 1530 (« nos œuvres
Jacques Cartier, les cartographes ont été sollicités n’ont pas le pouvoir de nous réconcilier avec Dieu
afin de renouveler les supports utilisés jusqu’à pré- ni d’acquérir sa grâce »), Martin Luther ne cesse
sent par les souverains et les marins. C’est notam- de dénoncer cette pratique qu’il considère comme
ment le cas de Martin Waldseemüller qui, sur un étant contraire aux principes de l’Église originelle.
planisphère de 1507, est l’un des premiers à utiliser 3. Les autorités religieuses et politiques reprochent
le terme « America » sur une carte en l’honneur de à Luther de ne pas respecter la hiérarchie des pou-
l’explorateur florentin Amerigo Vespucci. voirs et l’ordre établi.
Ces cartes contribuent également à renouveler la Dans un premier temps, le pape Léon X, chef de
façon de penser l’Homme dans le monde. Avec l’ap- l’Église catholique, reproche au moine Martin
parition de nouveaux territoires, et notamment du Luther de ne pas respecter son autorité. C’est pour-
continent américain, les Européens s’interrogent quoi il le convoque en 1518 devant la diète d’Augs-
sur la nature humaine. Ils réalisent alors que la bourg pour lui rappeler la hiérarchie ecclésiastique
planète est non seulement gigantesque, mais et lui demander de se rétracter, en vain.
qu’elle rassemble aussi une multitude de peuples Dans un deuxième temps, Charles Quint reproche
aux croyances et pratiques différentes. à Martin Luther de ne pas non plus respecter son
Enfin, l’association des cartes et de l’imprimerie autorité. En tant qu’empereur du Saint Empire, il
permet non seulement de renouveler les connais- considère en effet que ce sujet devrait respecter la
sances, mais également de favoriser leur diffu- majorité confessionnelle imposée dans les terri-
sion à travers l’Europe. Ainsi, les premiers atlas toires soumis à son autorité, à savoir le catholicisme.
modernes d’Abraham Ortelius et Christophe Plan- Enfin, ces deux détenteurs des pouvoirs temporels
tin réduisent les coûts de fabrication d’une carte et spirituels considèrent que les enseignements
et adoptent un format qui facilite la circulation des de Martin Luther constituent une menace contre
découvertes géographiques récentes. la stabilité des sociétés au début du xvie siècle. En
Les cartes ont donc joué un rôle important dans prônant la théorie du sacerdoce universel, le réfor-
le renouvellement des connaissances à l’époque mateur laisse en effet entendre que chaque indi-
moderne et sont révélatrices des principes de vidu peut exercer une mission évangélique. C’est
l’humanisme qui se diffusent en Europe durant la ce point particulier qui est dénoncé par Tiepolo,
Renaissance. ambassadeur vénitien, dans son rapport au Sénat

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 47


de Venise lorsqu’il affirme : « Il semble que ces Le réformateur reçoit ensuite de nombreux sou-
gens, dans certains lieux, aient pris de telles liber- tiens qui contribuent à la diffusion de la Réforme
tés, qu’ils veulent qu’il soit licite à chacun de par- protestante. C’est le cas notamment de Frédéric III
ler et de prêcher sur la foi, et former de nouvelles de Saxe qui accepte de protéger Martin Luther
sectes, à leur guise. » après sa mise au ban de l’empire par Charles
Ce sont ces différents éléments qui conduisent le Quint. Ce prince permet ainsi au réformateur de
pape Léon X à excommunier Martin Luther en 1520, poursuivre son projet de traduction de la Bible en
puis Charles Quint à mettre le réformateur et ses allemand et de structuration de l’Église réformée.
disciples au ban de l’empire. Martin Luther est aidé dans cette tâche par Phi-
lippe Melanchthon qui est l’auteur de la confession
Argumenter d’Augsbourg, considérée comme l’un des fonde-
ments du luthéranisme.
4. Martin Luther utilise différents moyens pour favo-
Enfin, la mobilisation massive de textes imprimés et
riser l’essor de la Réforme protestante au xvie siècle.
d’images a également contribué à la diffusion de la
Tout d’abord, le moine réformateur parvient à
Réforme protestante en Europe au xvie siècle. Mar-
rassembler de nombreux disciples et protecteurs
tin Luther a non seulement proposé une traduction
autour de lui. C’est le cas notamment de Philippe
de la Bible en allemand, mais il est également l’au-
Melanchthon qui est l’auteur de la confession
teur de nombreux ouvrages en latin et en langues
d’Augsbourg considérée comme l’un des fonde-
vernaculaires qui ont énormément circulé à travers
ments du luthéranisme. De même, Frédéric III de
l’Europe grâce au développement de l’imprimerie
Saxe accepte de protéger Martin Luther après sa
à caractères mobiles. De plus, les livres de Martin
mise au ban de l’empire. Ces deux hommes per-
Luther sont généralement accompagnés d’images
mettent non seulement au réformateur de fonder
qui illustrent son propos et contribuent à la diffusion
la première Église protestante, mais ils jouent éga-
de ses idées au-delà du cercle des seuls lettrés.
lement un rôle important dans la diffusion de cette
Martin Luther bénéficiait donc d’un contexte favo-
nouvelle confession.
rable à l’émergence et la diffusion de la Réforme
De plus, Martin Luther comprend rapidement le
protestante. Il a néanmoins su rassembler de nom-
rôle des livres imprimés et de l’image dans l’essor
breux disciples grâce à son charisme et sa maî-
de la Réforme protestante. C’est pourquoi il pro-
trise des moyens de communication de l’époque
pose une traduction de la Bible en allemand, puis moderne.
de nombreux ouvrages et pamphlets en latin ou en
langues vernaculaires. Ses 95 Thèses auraient, par
ÉTUDE Le livre imprimé et la diffusion
exemple, été affichées sur les portes de l’église de
Wittenberg. Les textes de Martin Luther sont par de l’humanisme (1517)  p. 132
ailleurs souvent accompagnés d’illustrations per-
mettant de s’adresser aussi à ceux qui ne savent ni Parcours 1
lire ni écrire. Lucas Cranach le Jeune est l’un des
L’invention du système d’impression à caractères
principaux contributeurs en image au service de la
mobiles mis au point par Johannes Gutenberg en
réforme protestante.
1454, puis sa rapide diffusion à travers l’Europe, ont
favorisé le développement de l’humanisme.
Vers le bac
Tout d’abord, les livres imprimés ont permis de
5. De nombreux facteurs contribuent à la diffusion reproduire des textes plus vite et à moindre coût.
de la Réforme protestante en Europe au xvie siècle. C’est pourquoi des bibliothèques publiques comme
Dans un premier temps, l’apparition de la Réforme celle de Leyde ont pu se développer et rassembler
protestante survient dans un contexte religieux per- plusieurs centaines, voire des milliers de livres. Ce
turbé au début du xvie siècle. Lorsque Martin Luther phénomène est favorisé par la multiplication des
ouvre le temps des réformes avec la publication de centres d’imprimerie tels que Venise qui multi-
ses 95 Thèses, il s’inscrit en fait dans la continuité plient les éditions. Ainsi, plus de 27 500 incunables
de prédécesseurs qui, dès le xvie siècle, ont repro- sont publiés entre 1455 et 1500.
ché au catholicisme de s’être éloigné de l’Église Ensuite, les livres imprimés contribuent à la dif-
originelle. L’essentiel des critique se concentre fusion des connaissances de l’humanisme. Robert
sur l’utilisation des indulgences qui est considérée Estienne le précise en effet lorsqu’il explique dans
comme une forme de corruption au profit de l’en- la préface de son édition du Nouveau Testament
richissement de la papauté. Il n’est donc pas ano- en grec qu’il a vérifié l’exactitude de son texte à
din que Martin Luther dénonce cette pratique à de partir « du plus grand nombre de manuscrits ».
nombreuses reprises dans ses 95 Thèses. On comprend dès lors que les ouvrages circulent

48
relativement facilement à travers l’Europe, ce qui ouvrages écrits par les humanistes, mais aussi
favorise l’organisation d’un réseau d’échanges que d’imprimer d’anciens textes afin de faciliter leur
l’on qualifie de « République des Lettres ». Ceci diffusion. Robert Estienne a quant à lui un rôle par-
doit néanmoins être nuancé par l’observation de la ticulier car il obtient le titre « d’imprimeur royal »
bibliothèque de Leyde dans laquelle les livres sont de la part de François Ier et il est notamment chargé
retenus par des chaînes aux pupitres de lecture. à ce titre de développer « des caractères grecs de
Enfin, les livres imprimés contribuent à la diffu- petites dimension » afin d’éditer des textes grecs
sion des idées humanistes car ils sont imprimés en dans leur langue originelle. En somme, il accomplit
grec, en latin, en hébreux, mais aussi dans les lan- dans ce cas une mission de « service public ».
gues vernaculaires comme le français, l’allemand 2. Les bibliothèques constituent un lieu essentiel
et l’italien. Ceci répond donc à la volonté humaniste dans la diffusion de l’humanisme.
de valoriser l’Antiquité en proposant non seule- D’une part, elles favorisent la diffusion des connais-
ment de revenir aux textes originaux, mais aussi de sances en rassemblant et en mettant à disposition
traduire certains auteurs anciens afin de faciliter dans un même lieu des centaines, voire des mil-
l’accès à leur pensée. L’organisation de la biblio- liers d’ouvrages. C’est notamment le cas de la
thèque de Leyde témoigne de cette même volonté bibliothèque publique de Leyde qui est largement
d’organiser les connaissances par disciplines avec ouverte aux lecteurs alors que la plupart des biblio-
une valorisation des savoirs antiques (philosophie, thèques médiévales étaient privées.
mathématiques, etc.) en plus de la théologie. D’autre part, à l’époque de la Renaissance, les
L’imprimerie a donc favorisé, aux côtés de la carto- bibliothèques sont organisées par disciplines avec
graphie, des voyages et correspondances, la diffusion une valorisation des savoirs antiques (philosophie,
des idées de l’humanisme en Europe au xvie siècle. mathématiques, etc.) aux côtés de la théologie. Ceci
témoigne par conséquent d’une volonté de valori-
Parcours 2 ser les connaissances qui permettent à l’Homme
1. Les imprimeurs jouent un rôle important au de développer son esprit critique et de penser sa
xvie siècle puisqu’ils sont chargés d’éditer les place dans l’univers.

ÉTUDE Le concile de Trente (1545-1563), une contre-réforme  p. 133

Transposer un texte en schéma


1. Les principales mesures du concile de Trente

Principales mesures du concile de Trente

Réponse aux critiques des protestants Réaffirmation du dogme catholique

1. « Personne ne doit avoir l’audace ou la 1. « Il décide et déclare que la vieille édition de la


présomption de la rejeter » (à propos de la Vulgate approuvée dans l’Église par le long usage de
Vulgate). tant de siècles, doit être tenue pour officielle. »
2. « Les évêques doivent être irréprochables, 2. « Le saint Concile ordonne et déclare […] qu’il y a sept
sobres, chastes […] Bref, qu’ils fuient les sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie,
vices et suivent les vertus. » la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. »

Analyser Argumenter
2. Le tableau de Pasquale Cati témoigne d’une 3. L’Église catholique essaie de préserver l’unité
volonté de l’Église catholique de s’inscrire dans la chrétienne en apportant des réponses aux cri-
logique de l’humanisme. Un livre et une colonne tiques des protestants, mais aussi en réaffirmant
figurent en effet au premier plan devant l’Église son dogme catholique.
triomphante. Ces objets semblent faire référence Tout d’abord, l’Église chrétienne montre au cours
à la redécouverte des auteurs antiques et à l’affir- du concile de Trente qu’elle a entendu les cri-
mation des sciences qui constituent des caractéris- tiques formulées à son encontre par les Église
tiques centrales de l’humanisme. protestantes depuis plusieurs décennies et plus

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 49


particulièrement depuis les 95 Thèses de Martin Le concile de Trente constitue donc un moment
Luther en 1517. Ainsi, parmi les décrets adoptés important de l’histoire de l’Église catholique qui,
par le Concile, figure la mention des évêques qui après avoir subi les critiques et attaques des
« doivent être irréprochables, sobres, chastes ». Églises réformées, s’organise pour conserver sa
Ceci peut être considéré comme une réponse place prépondérante en Europe et dans les terri-
directe aux critiques des dérives de la hiérarchie toires récemment découverts par les explorateurs.
ecclésiastique de la part des protestants. Sur le
tableau de Pasquale Cati, la figure féminine écra-
sée sous le pied de l’Église catholique triomphante REGARD CRITIQUE p. 134
est probablement une référence aux Églises réfor-
mées que le concile de Trente est censé combattre. Développer son esprit critique
Néanmoins, le concile de Trente est aussi l’occasion
de réaffirmer le dogme catholique afin de célébrer 1. Selon Vincent Delieuvin, conservateur en chef
l’unité des fidèles. Ainsi, les décrets rappellent que chargé de la peinture italienne du xvie siècle au
la Vulgate, c’est-à-dire la version latine de la Bible, musée du Louvre, le portrait de Mona Lisa paraît
reste la référence pour les Livres saints face aux vivant car il a été réalisé à une époque où « les
multiples traductions proposées par les réforma- savants ont essayé de comprendre le mieux pos-
teurs. De plus, la représentation de l’Église triom- sible l’être humain, son fonctionnement et le monde
phante sur le tableau de Pasquale Cati témoigne de dans lequel il vit ». Léonard de Vinci a plus particu-
l’assurance de l’Église catholique qui conserve la lièrement travaillé sur cet aspect, non seulement
crosse papale dans sa main droite et le contrôle du dans le domaine de l’art en étudiant des carica-
globe terrestre sous sa main gauche. tures, mais aussi dans le domaine des sciences en
Ces différents éléments montrent donc que l’Église pratiquant des dissections.
catholique essaie de préserver l’unité chrétienne à 2. La Joconde est l’une des œuvres les plus connues
la fois en rappelant les principes qui sont les siens, au monde. Elle attire chaque année des millions de
mais aussi en mettant en scène son pouvoir. visiteurs au musée du Louvre. Son succès dépasse
cependant les murs du musée car cette peinture
Vers le bac est désormais devenue une référence culturelle
4. Le concile de Trente (1545-1563) joue un rôle mondiale utilisée dans d’autres œuvres. On peut
important dans l’organisation de la contre-réforme citer par exemple, sans que cela ne soit exhaustif :
catholique dans la deuxième moitié du xvie siècle. – Le Sourire de Mona Lisa, réalisé par Mike Newell
L’objectif est tout d’abord d’apporter une réponse en 2003, est un film sur la condition féminine aux
aux critiques des Églises protestantes contre la États-Unis dans les années 1950 et, plus particu-
papauté et l’Église catholique. Ainsi, le concile de lièrement, dans une prestigieuse université améri-
Trente rappelle les principes fondamentaux du caine où une jeune professeure d’histoire de l’art
dogme catholique (comme les sept sacrements) et mobilise l’étude de La Joconde pour sensibiliser ses
le rôle central de la hiérarchie ecclésiastique, qui étudiantes aux droits des femmes.
est néanmoins appelée à se montrer exemplaire – Paris brûle encore est une bande dessinée publiée
afin d’éviter les accusations de débauche et de en 2012 et qui repose sur l’uchronie, c’est-à-dire
commerce de sacrements et de charges. une fiction construite autour de la modification
Cependant, l’Église catholique entend également d’un événement historique. Dans cet ouvrage, les
montrer qu’elle s’inscrit dans son époque et qu’elle auteurs imaginent que les événements de Mai 1968
est prête à évoluer pour s’inscrire dans la logique de dégénèrent en guerre civile et nucléaire au cours
l’humanisme. Les références aux auteurs antiques de laquelle La Joconde est détruite. Cet destruction
et les apports de la science ne sont donc pas niés est alors considérée comme un motif suffisamment
tant qu’ils ne s’opposent pas à la Vulgate. grave pour forcer l’ONU à intervenir en France mal-
Enfin, l’Église se montre également offensive afin gré son veto au conseil de sécurité.
de reconquérir les fidèles qui ont parfois rejoint les – L’écrivain Jules Verne a écrit au milieu du
réformes protestantes. C’est pourquoi l’ordre mis- xixe siècle une comédie en un acte intitulée Mona
sionnaire des jésuites créé par Ignace de Loyola est Lisa dans laquelle il imagine une histoire d’amour
approuvé par le pape en 1540. Cette reconquête des entre Léonard de Vinci et son modèle.
âmes permet d’ailleurs probablement d’expliquer – Enfin, un des détournements les plus célèbres du
le sens de la figure féminine écrasée sous le pied tableau est celui proposé par les surréalistes Mar-
de l’Église triomphante dans la fresque de Pas- cel Duchamp et Salvador Dali qui proposent d’ajou-
quale Cati. ter une moustache à Mona Lisa.

50
S’EXERCER  p. 135-137 1534 : Création de l’Église anglicane d’Angleterre
par Henri VIII
Identifier et nommer les dates et acteurs
clés Nommer et localiser les grands repères
1454 : Invention de l’imprimerie à caractères géographiques
mobiles par Gutenberg Les points : principaux centres d’imprimerie
1508 : Michel-Ange entreprend la réalisation de la Les étoiles : principaux foyers des réformes protes-
fresque de la chapelle Sixtine tantes
1511 : Éloge de la Folie d’Érasme Les losanges : centre de la Contre-Réforme catho-
1517 : 95 Thèses de Martin Luther lique
1530 : Création du Collège des lecteurs royaux par Les élèves peuvent se reporter à la carte du manuel
Guillaume Budé p. 117 pour vérifier leurs réponses.

Compléter un schéma

Redécouverte des savoirs


Réflexion sur l’Homme
antiques
Raison et libre-arbitre
Platon et Aristote

Humanisme

Diffusion et échanges
Éducation
Voyage, imprimerie et
Érasme et Comenius
correspondances

Classer et confronter des informations 2. Plusieurs éléments permettent d’identifier saint


Augustin comme l’un des pères de l’Église. Tout
Catholicisme Protestantisme d’abord, la mitre posée sur la table de travail au
centre de l’œuvre rappelle que saint Augustin a été
Le salut est obtenu par Le salut est obtenu par évêque d’Hippone. Ensuite, la plume et l’encrier ont
la foi et les œuvres. la foi seule. pour objectif de montrer ce théologien au travail.
Protégé par Protégé par le prince- Enfin, l’attitude extatique témoigne de sa foi pro-
l’empereur Charles électeur de Saxe. fonde.
Quint. 2 sacrements
7 sacrements Temples 3. Ce tableau est emblématique de l’époque de la
Églises Pasteurs Renaissance car il contient de nombreux éléments
Prêtres Martin Luther révélateurs d’un cabinet de travail humaniste. Sur
Pape Jean Calvin les étagères figurent en effet un traité de géomé-
trie et une sphère armillaire qui témoignent d’un
intérêt pour les connaissances et l’expérimentation
Analyser un document de manière critique scientifiques.
1. A. Mitre d’évêque
B. Sphère armillaire (mouvement des astres)
C. Cadran solaire
D. Livres dont l’un est ouvert à la page des théo-
rèmes de Pythagore
E. Plume et encrier

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 51


D
B
C

Passé & Présent


1. Le marché de l’art évolue très vite mais on peut Parfois, ces acquéreurs décident de conserver
citer quelques tableaux qui ont dépassé le prix ces œuvres dans leurs collections privées et de
de 100 millions de dollars lors de leur vente aux ne pas les exposer. Dans d’autres cas, comme par
enchères récente : exemple pour la fondation Louis Vuitton, les œuvres
– Quand te maries-tu ? de Paul Gauguin adjugé à rejoignent un espace d’exposition où elles peuvent
300 millions d’euros en 2015 ; être admirées par le public.
– Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne adjugé à
274 millions d’euros en 2011 ; 3. Face à cette concurrence de grandes fortunes
– Les Femmes d’Alger de Pablo Picasso adjugé à dans un marché de l’art mondialisé, les musées
179 millions d’euros en 2015. ont de plus en plus de difficultés à acquérir de
nouvelles œuvres. C’est pourquoi ces institutions
2. Depuis quelques années, ces tableaux sont de
publiques font appel au mécénat afin de compléter
plus en plus achetés par des familles princières
leurs collections.
enrichies par l’exploitation du pétrole au Moyen-
Orient. C’est parfois également le cas de fonds
d’investissement. Dans tous les cas, l’identité des
acheteurs est souvent mystérieuse au moment de
la vente.

52
MÉTHODE VERS LE BAC p. 138

Étudier un document iconographique

Sujet 2 : Comment Lucas Cranach le Jeune défend-il la réforme protestante contre l’Église catholique ?

Plan Documents Connaissances et analyse

I. Une critique • Présence d’une multitude • L’Église catholique est représentée comme
de l’Église de démons et d’un corrompue, associée au diable et à l’Antéchrist.
catholique monstre qui engloutit • Cette critique est récurrente depuis l’affichage des
le pape et le clergé (on 95 Thèses de Martin Luther en 1517 qui dénoncent
aperçoit un moine et un notamment la pratique des indulgences par la
cardinal). papauté et la corruption du clergé catholique.

II. Une • La présence d’un agneau • L’agneau symbolise le sacrifice.


valorisation portant un drapeau. Le drapeau est un labarum, c’est-à-dire un étendard
de la réforme • Présence d’une militaire portant un symbole chrétien.
protestante assemblée de fidèles Ces deux éléments illustrent l’engagement des
composée de laïcs, luthériens pour défendre ce qu’ils considèrent
femmes et hommes. On comme la foi véritable.
distingue deux pasteurs • On ne distingue aucun clergé régulier car la
qui délivrent l’eucharistie. hiérarchie ecclésiastique est refusée par l’Église
réformée au profit du sacerdoce universel.
L’eucharistie est l’un des deux seuls sacrements
acceptés par les protestants (avec le baptême) alors
que les catholiques reconnaissent sept sacrements.

III. Une • Luther est au centre de • Luther est représenté comme le restaurateur du
valorisation du la gravure, prêchant dans christianisme, voire comme l’émissaire de la parole
rôle de Luther la chaire qui domine divine.
dans l’essor l’ensemble de la scène. Il • La présence de la Bible rappelle l’un des principaux
de la réforme est à la gauche du Christ fondamentaux du dogme protestant : Sola scriptura.
protestante en croix. Cela signifie que la Bible est considérée comme
• Un livre est posé devant l’autorité ultime et unique à laquelle les chrétiens
lui, probablement la doivent se soumettre, en opposition à la Vulgate de
Bible. l’Église catholique.

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 53


MÉTHODE VERS LE BAC p. 139

Préparer un brouillon

Sujet 2 : Quelle vision nouvelle de l’Homme l’humanisme diffuse-t-il ?


Consigne : Après un rappel des sources d’inspiration de l’humanisme, montrez avec quelles idées et par
quels moyens il se diffuse aux xve et xvie siècles.

Plan Arguments Exemples

I. Les sources • Une redécouverte • Les historiens grecs Hérodote et Thucydide, mais
d’inspiration de des auteurs aussi les géographes Ptolémée et Strabon.
l’humanisme antiques... • De nombreux savants byzantins trouvent refuge
• … favorisée en Italie après la prise de Constantinople par les
par l’arrivée de troupes ottomanes du sultan Mehmet II en 1453.
manuscrits anciens • Guillaume Budé, « maître de librairie » de
en Europe… François Ier, est le traducteur de plusieurs traités de
• … et de nouvelles Plutarque. Il est également à l’origine de la création
traductions du Collège des lecteurs royaux en 1530 qui délivre un
enseignement du grec et de l’hébreu.

II. Un renouvellement • L’Homme est un • Michel de Montaigne propose une réflexion sur la
dans la façon de être de raison nature humaine dans ses Essais publiés entre 1580
penser l’Homme et le • L’affirmation des et 1588.
monde sciences • Les croquis et dessins anatomiques de Léonard de
• Une remise en Vinci laissent penser qu’il a pratiqué des dissections.
cause de l’Église • Érasme dénonce les excès de la papauté et l’attitude
du clergé dans son Éloge de la Folie (1511).

III. Un mouvement • Après l’invention • Le système d’impression à caractères mobiles est


intellectuel qui se et la diffusion de mis au point par Johannes Gutenberg en 1454. Les
diffuse rapidement l’imprimerie centres d’imprimerie se multiplient en Europe,
en Europe à partir du • Dans le cadre de la comme à Paris et Venise.
xive siècle « République des • Érasme voyage beaucoup à travers l’Europe pour
Lettres » entretenir un réseau d’humanistes érudits. Il
• Avec le entretient notamment des relations d’amitiés avec
développement l’anglais Thomas More.
d’une éducation • Érasme rédige un traité d’éducation publié en 1519
humaniste et Comenius réalise un des premiers manuels
d’apprentissage du latin associant des images et des
mots.

54
TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 140

Rédiger une fiche biographique

Entraînement : Léonard de Vinci, un artiste humaniste

Fiche • Nom, prénom, éventuel • Leonardo di ser Piero da Vinci, dit Léonard de Vinci
d’identité pseudonyme • 1452 à Vinci (Toscane)
• Date et lieu de naissance • 1519 à Amboise (Royaume de France)
• Date et lieu de décès • Italien
• Nationalité

Sa vie / • Métier / fonction • Peintre, sculpteur, ingénieur, érudit, etc.


Son œuvre • Grandes étapes de • Formation à Florence dans l’atelier d’Andrea del
sa vie personnelle et Verrocchio de 1469 à 1482.
professionnelle • Il entre ensuite au service du Ludovic Sforza, duc de Milan,
de 1482 à 1499. C’est à cette période qu’il réalise La Cène.
• Il travaille pour différents mécènes entre 1499 et 1516,
réalisant notamment La Joconde pour un marchand
florentin.
• De 1516 à 1519, il est appelé au service de François Ier, roi
de France.

L’essentiel • Pourquoi étudiez-vous • Léonard de Vinci est un archétype de l’artiste humaniste.


à retenir cet acteur ? • Lors de son séjour à Florence, il rencontre Marsile Ficin et
Jean Pic de la Mirandole qui lui font connaître les auteurs
classiques.
• Ses travaux sur l’anatomie et dans le domaine de
l’ingénierie témoignent de son intérêt pour les sciences et
l’expérimentation.
• Ses différents séjours à Milan, Florence, Rome et Amboise
font de lui un représentant de la « République des
Lettres ».

TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 141

Identifier les ressources pertinentes pour étudier un sujet

Entraînement : La Renaissance flamande


La Renaissance flamande se développe à partir du xvie siècle à la suite des Renaissances italienne et fran-
çaise. Elle se développe plus particulièrement autour des villes de Louvain, Leyde et Anvers. Ses princi-
paux représentants sont par exemple Jan Van Eyck et Pieter Brueghel l’Ancien.
Quelques références bibliographiques et sitographiques :
– Philippe Hamon, Les Renaissances, Belin, 2014.
– Tzvetan Todorov, Éloge de l’individu. Essai sur la peinture flamande de la Renaissance, Adam Biro, 2000.
– Une collection d’œuvres révélatrices de la Renaissance flamande peut être consultée sur le site Google
Arts et Culture https://artsandculture.google.com/entity/m0gmxl

Chapitre 4 – Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe 55


CHAPITRE 5 L ’affirmation de l’État dans le royaume de France
(xvie-xviiie siècles) Manuel p. 144-177

Quel type d’État se met en place en France du xvie au xviiie siècle ?

I. Introduction
Le premier enjeu de ce chapitre consiste à faire saisir aux élèves la notion d’État et notamment son
affirmation durant la période moderne. L’État s’entend ici comme le gouvernement d’un territoire et de
ses habitants grâce à la mise en place de structures modernes afin de le maîtriser. La notion d’État est
de plus en plus présente dans le vocabulaire politique à partir du xvie siècle ; elle est définie par Jean
Bodin dans son ouvrage Les Six Livres de la République. En 1987, Emmanuel Leroy-Ladurie définit l’État
royal qu’il situe entre 1410 et 1640. L’État royal s’oppose à l’État féodal et suppose un changement de
nature conséquent.
En effet, le deuxième enjeu du chapitre consiste à caractériser la monarchie française. Il s’agit donc
ici de faire saisir aux élèves la notion d’absolutisme. L’absolutisme est un terme qui apparaît au xixe
siècle. Nous l’entendons comme un système politique dans lequel le pouvoir est concentré entre les
mains du souverain qui en exerce tous les attributs, mais l’historiographie récente nous montre que si
cet absolutisme est triomphant au xviie siècle, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas sans limite et
qu’il convient de s’interroger sur sa réelle emprise sur le territoire durant la période.
Le troisième enjeu du chapitre est donc de faire saisir aux élèves que l’affirmation de l’État ne peut se
comprendre si on ne saisit pas le rôle de la guerre dans le royaume de France. Si la guerre modifie les
frontières de la France entre le xvie et le xviiie siècle, elle demande toujours plus d’argent et oblige l’État
à se moderniser. Elle nécessite la mise en place d’une collecte d’impôts efficace, ce qui implique une
administration performante (Joël Cornette parle de « royaume de papiers »), une économie dirigée
ainsi qu’un royaume unifié. Cette affirmation de l’État dépasse donc la seul personne du roi même s’il
en est l’élément central.
Enfin, il convient de montrer aux élèves que cette affirmation de l’État n’est en rien linéaire, amenant
inexorablement la France à la période révolutionnaire. La période est dynamique et l’État royal est,
durant la période, en butte à des oppositions de différentes natures : sociales, religieuses ou poli-
tiques, voire techniques, comme le réseau limité de routes qui entrave les communications. C’est
pourquoi le choix a été fait d’aller jusqu’au xviiie siècle pour montrer ces oppositions afin d’éviter de
faire de cette période un moment d’absolutisme triomphant et sans limite.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture permet aux élèves d’entrer directement dans la problématique du cha-
pitre. Le tableau représentant Louis XIV et sa cour permet d’aborder cet absolutisme triomphant au
xviie siècle dans un lieu symbolique tel que le château de Versailles.

La double page Notions permet à l’élève de saisir les notions centrales du chapitre afin de donner
sens au titre de cette leçon : « L’affirmation de l’État dans le royaume de France ». Chaque notion est
associée aux études, qu’elles soient des points de passage et d’ouverture ou non, afin que les élèves
puissent en saisir le sens et l’importance au travers de moments, de lieux ou de personnages clés.
La double page Cartes permet de représenter l’évolution du royaume de France entre le xvie et le xviiie
siècle avec ses forces et ses faiblesses de façon dynamique, aidant ainsi l’élève à se repérer. Grâce au
changement d’échelle, l’élève entrevoit que cette affirmation de l’État n’est pas sans conséquence sur
le monde puisque l’influence de la France grandit et s’étend en Amérique et en Asie, notamment par
le commerce colonial.
La première double page de cours présente la naissance de l’État moderne au xvie siècle. Elle permet
de dégager les changements qui s’opèrent entre un État précédemment qualifié de féodal et l’affir-
mation d’un État royal. Dans la première moitié du xvie siècle, une administration moderne se met en

56
place sous l’impulsion de souverains qui s’emploient à magnifier la monarchie et à la mettre en scène,
mais le royaume de France est confronté à de nombreux conflits, religieux ou politiques, contre les
monarques européens.
Le point de passage et d’ouverture sur l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) montre le rôle que
cette ordonnance joue dans la modernisation de l’État au xvie siècle. Elle est un élément de centralisa-
tion important et ne peut être réduite à l’obligation d’utiliser le français dans les actes administratifs.
Elle réorganise la justice et clarifie les domaines de compétences entre l’Église et l’État.
Le point de passage et d’ouverture sur l’édit de Nantes (1598) et sa révocation (1685) illustre l’évolu-
tion de la politique religieuse dans le royaume de France aux xvie et xviie siècles. L’édit de Nantes apaise
les conflits religieux qui affaiblissent le royaume à la fin du xvie tandis que sa révocation au siècle sui-
vant peut être vue comme le signe d’un absolutisme religieux incarné par Louis XIV qui n’est pas sans
conséquence pour le pays.
La deuxième double page de cours présente l’absolutisme triomphant du xviie siècle. Après avoir
rappelé comment il se met en place, notamment par la guerre qui nécessite d’importants moyens
financiers, il s’agit de montrer que cet absolutisme se voit au travers d’une économie dirigée, d’une
religion unique et se met en scène par la culture. Cet absolutisme est incarné par Versailles et Louis
XIV, lequel met en scène, grâce aux artistes, son pouvoir.
L’étude sur Colbert et la compagnie des Indes fait la lumière sur un personnage clé du règne de Louis
XIV et la mise en place d’un système économique qui participe à l’affirmation de l’État au xviie siècle. Le
colbertisme conjugue l’essor du commerce, notamment maritime (grâce aux compagnies), de l’industrie
(par les manufactures royales) et le protectionnisme. Il illustre aussi le rôle de contrôleur général des
finances qui prend une place de plus en plus importante dans le gouvernement du Roi.
Le point de passage et d’ouverture sur Versailles, le « roi-soleil » et la société de cour montre
qu’au-delà d’un chef-d’œuvre architectural, Versailles est un instrument de pouvoir érigé par Louis
XIV qui entend exalter sa grandeur et assurer sa mainmise sur la noblesse en mettant en place une
étiquette stricte rappelant à chacun sa place et ses devoirs.
La troisième double page de cours présente les limites et la montée des contestations de l’absolu-
tisme au cours du xviiie siècle. Après avoir rappelé que l’absolutisme n’est pas sans limites (exemple
des lois fondamentales), le rôle des Lumières est souligné ainsi que la montée des tensions durant le
siècle avec la dégradation de l’image royale, la naissance de l’opinion publique et la crise financière
qui s’aggrave et contribue à affaiblir l’État.
L’étude sur Jean-Jacques Rousseau insiste sur l’importance des philosophes des Lumières dans la
lutte contre l’absolutisme et la recherche d’un nouvel art de gouverner, libéré de l’arbitraire et de la
superstition.
L’étude sur Louis XV face à l’opposition des parlements analyse le rôle joué par les parlements et les
assemblées dans cet État royal. Elle met en exergue leur opposition mais aussi leur rôle de garant
dans un État absolutiste qui n’est pas sans limite.

BIBLIOGRAPHIE
-- Pierre-Yves Beaurepaire, La France des Lumières (1715-1789), Belin, coll. « Histoire de France », 2014.
Cet ouvrage permet d’aller jusqu’à la Révolution en analysant les causes profondes des contestations.
-- Patrick Boucheron (dir.), Histoire mondiale de la France, Le Seuil, 2017.
Des pages synthétiques sont consacrées aux points de passage et d’ouverture comme l’ordonnance de
Villers-Cotterêts ou Colbert et la compagnie des Indes.
-- Joël Cornette, Absolutisme et Lumières (1652-1783), Hachette, coll. « Carré Histoire », 2016.
Synthèse très utile avec des documents commentés permettant de voir l’absolutisme en action et ses limites.
-- Philippe Hamon, Les Renaissances (1453-1559), Belin, coll. « Histoire de France », 2014.
Cet ouvrage, richement illustré, permet de faire la jonction entre époque féodale et époque moderne.
-- Nicolas Le Roux, Les Guerres de religion (1559-1629), Belin, coll. « Histoire de France », 2014.
Cet ouvrage analyse cette période très sombre de crises religieuses où l’État peine à s’affirmer.

Chapitre 5 – L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles) 57


III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 144-145 imposante. C’est le personnage du roi qui constitue


le point de fuite du tableau et attire les regards.
1. Le roi
CARTES  p. 148-149
Le roi, dont la tête du cheval est située au centre de
la composition, attire les regards par sa taille, son 1. On peut remarquer tout d’abord que le territoire
attitude et la couleur blanche de son cheval. du royaume s’agrandit entre le xvie et le xviiie siècle
Juste au-dessus du roi, sur le fronton du bâtiment, au nord dans la région de Lille, dans l’est avec les
est sculpté un soleil, emblème choisi par Louis XIV Ardennes et l’Alsace et la région du Jura, dans le
depuis 1662. Le soleil représente Apollon, dieu de la sud-est avec les Alpes et dans le sud avec les Pyré-
paix et des arts. Mais le soleil, c’est aussi cet astre nées. À la fin du xviiie siècle, le royaume connaît qua-
indispensable à la vie et dont la course rythme le siment ses limites actuelles. Ses frontières sont, à
temps et est éternel. Il est présent partout au châ- la fin du xviie siècle, protégées par les fortifications
teau, parfois surmonté de la devise « Nec pluribus de Vauban formant le « pré carré ».
impar » (« Au-dessus de tous »). On constate ensuite que les résidences royales
À la droite du tableau, se trouve l’entrée de la grotte du xvie siècle, principalement situées dans le Val
de Téthys qui abritait trois groupes sculptés repré- de Loire, n’accueillent plus la cour, qui désormais
sentant Apollon baigné par les nymphes. Cette réside à Versailles. On a donc un déplacement du
grotte, destinée à accueillir les fêtes et les repré- centre de gravité du pouvoir qui accentue la centra-
sentations dont Louis XIV raffolait et auxquelles il lisation de l’État.
participait, fut détruite en 1685. On peut observer qu’au xviiie siècle l’influence du
commerce avec les colonies dynamise les ports de
La cour la façade atlantique avec Lorient où est localisé le
Le peintre représente la cour du roi, dans une siège de la compagnie des Indes orientales. Mais
vision disparate et dynamique. Derrière le roi, on ce qui est un atout pour le royaume de France ne
trouve son fils, le Grand Dauphin, tandis qu’au pre- peut masquer la montée des contestations repré-
mier plan, descendant l’escalier, on peut apercevoir sentées principalement par l’opposition des Parle-
Mme de Montespan, maîtresse en titre du roi et, ments de Paris et de Rouen.
C’est donc, au final, un royaume qui a connu beau-
tenant un enfant par la main, Mme de Maintenon
coup de changements entre le xvie et le xviiie siècle.
(futur épouse en secondes noces de Louis XIV).
À droite du tableau, on voit donc la cour qui regarde 2. Le territoire agrandi et protégé des agressions
le roi ; tandis qu’à gauche, le peintre a voulu mon- extérieures ainsi qu’un gouvernement centralisé
trer une foule plus disparate, d’origine sociale plus (doc. 1) constituent des atouts renforcés par la pré-
variée comme en témoignent les vêtements. sence des grands ports atlantiques qui témoignent
À l’arrière-plan, on distingue les jardins de Ver- de la vitalité du commerce maritime et colonial.
sailles qui constituent un élément essentiel du châ- La présence française se voit en Amérique, en
teau par leur symbolique. Sur le tableau, on peut Asie mais aussi en Afrique. La France possède des
distinguer une tour qui avait pour fonction d’ame- colonies notamment en Amérique du Nord avec
ner l’eau dans les jardins de Versailles. À ce titre, la Louisiane ou encore le Canada. Elle détient des
la grotte de Téthys avait un rôle important à jouer comptoirs en Afrique ainsi que cinq comptoirs en
puisqu’un réservoir d’eau était disposé sur son toit. Inde : Pondichéry, Chandernagor, Mahé, Karikal et
Elle était une pièce maîtresse de l’alimentation en Yanaon.
eau des nombreuses fontaines du parc. Si la France semble influente au xviiie siècle, elle a
cependant perdu beaucoup de terrain vis-à-vis de
2. Versailles a plusieurs fonctions. Une fonc- l’Angleterre. Le traité de Paris, signé en 1763, a
tion résidentielle puisque c’est là que s’installent mis fin à la guerre de sept ans entre la France et
Louis XIV et la cour à partir de 1682. Une fonction l’Angleterre, mais il consacre la Grande-Bretagne
politique puisque le roi y travaille avec ses ministres comme premier empire colonial au détriment de la
qui occupent les ailes du palais et qu’il y reçoit les France qui a dû céder des territoires.
ambassadeurs des pays étrangers. C’est, enfin, un Les territoires colonisés fournissent de nombreux
lieu de plaisirs et de divertissements souvent orga- produits à la France. Celle-ci fait aussi du com-
nisés par le roi lui-même. merce triangulaire et c’est en 1685 qu’est promul-
3. L’artiste met le roi en valeur en le représentant gué, à l’initiative de Colbert, le Code noir, qui définit
au centre du tableau, sur un cheval blanc et de taille juridiquement le statut des esclaves.

58
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE langue française que sont les auteurs de la Pléiade
comme Joachim du Bellay ou Pierre de Ronsard.
1539 : l’ordonnance de Villers-Cotterêts
 p. 152-153 Mettre en relation les documents
6. L’ensemble documentaire permet de montrer à
Repérer la fois l’importance de cette ordonnance dans les
1. L’ordonnance fut signée dans une des résidences domaines administratif, judiciaire et linguistique
royales de François Ier. La cour, à cette époque, se (doc. 1) dans une France qu’il convient d’unifier
déplaçait de château en château. C’était aussi un (doc. 3). L’usage d’une langue commune participe
moyen d’affirmer sa présence dans le royaume et au sentiment national. Malgré les difficultés à
cela créait du lien entre le roi et le peuple. s’imposer (doc. 2), elle ne cesse de gagner du ter-
rain (doc. 5). Enfin, elle est l’œuvre d’un souverain
Contextualiser dont la forte personnalité contribue à magnifier la
monarchie (doc. 4).
2. Appelée aussi ordonnance Guilelmine ou encore
Guillemenine, cette ordonnance est composée de Vers le Bac
192 articles qui touchent à plusieurs domaines :
administratif avec l’instauration d’un état-civil, 7. Les deux documents montrent l’importance de
judiciaire avec l’usage de la question (torture) ou, cette ordonnance dans l’affirmation de la monarchie
encore, linguistique (l’usage de la langue fran- de François Ier dans la mesure où elle est promul-
çaise). guée dans une des résidences royales à un moment
où la cour est itinérante. Cette itinérance permet
Analyser de renforcer le lien entre le souverain et le peuple
et affirme la volonté de maîtrise du territoire. Le
3. D’abord, il s’agit d’une ordonnance et non d’un nombre d’articles et la diversité des domaines
édit. En effet, l’ordonnance s’applique à tout le abordés montrent la volonté royale de légiférer et
royaume et à l’ensemble des sujets alors qu’un édit d’assoir son pouvoir le plus largement possible.
s’applique à un groupe de personnes. Ici, la règle C’est aussi un signe de rupture avec l’âge féodal
s’applique à tous : le clergé est tenu de s’y confor- où le roi prenait alors conseil auprès des nobles, ce
mer pour la tenue de l’état-civil, tous les actes que François Ier va nettement moins faire.
administratifs quelle qu’en soit la nature sont rédi-
gés en français. L’instruction du français est désor-
mais une règle.
4. Les changements judiciaires sont principale-
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
ment de deux sortes : l’usage du français pour les L’édit de Nantes (1598)
décisions et actes judiciaires ainsi que l’usage de la et sa révocation (1685)  p. 154-155
question (nom donné à la torture) sont réglemen-
tés. Cette ordonnance réduit également l’influence
de l’Église en matière judiciaire puisque seules Analyser
les questions concernant la foi sont traitées par le 1. Les articles 3 et 6 (doc. 1) s’adressent aux deux
clergé. religions et leur accordent des droits à toutes les
deux. La religion catholique est rétablie dans des
Argumenter espaces qui lui étaient interdits et la religion pro-
5. Le document 2 montre un usage du français testante est tolérée et protégée par ailleurs. Ces
limité, mélangé à du patois ou dialecte chez une propos sont corroborés dans le document 2 car la
personne qui possède cependant un certain niveau carte montre qu’il existe désormais des places de
d’éducation puisque celle-ci postule comme maître sûreté protestantes ainsi que des villes sous leur
administration.
d’école et sait lire et écrire. Ce document est à
mettre en relation avec le document 3 qui présente
une France multiple d’un point de vue linguistique et
Confronter deux documents
plus complexe que la traditionnelle coupure entre la 2. L’argument utilisé est qu’il n’existe plus ou prati-
France du nord et la langue d’oïl et la France du sud quement plus de protestants en France. Si les pro-
et la langue d’oc. Cependant, le document 5 montre testants ont vu leurs droits petit à petit rognés, il
que le français ou, plus généralement, les langues n’est pas possible au vu de l’importance des foyers
vernaculaires sont majoritaires dans le domaine protestants dans le sud de la France que tous se
littéraire. On peut rappeler ici les défenseurs de la soient convertis (doc. 2).

Chapitre 5 – L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles) 59


Porter un regard critique de « colbertisme ». Elle se fonde sur l’idée que la
puissance d’un État repose sur la quantité d’or qu’il
3. Les conversions au catholicisme ont souvent été
possède, sur l’industrie au travers des monopoles
faites sous la contrainte comme l’illustre le document
des manufactures royales et sur le commerce mari-
4. La présence des « dragons » qui logeaient chez les
time, y compris colonial, permettant à la France de
réformés et à leurs frais est attestée dès 1681. On
se fournir en matières premières et/ou précieuses.
estime à 400 000 le nombre de conversions forcées.
On peut aussi parler de protectionnisme.
Le préambule qui semble dire que ces conversions
ont été faites spontanément est critiquable. La révo-
Repérer
cation de l’édit de Nantes doit être vue non comme
un durcissement de la politique religieuse de Louis 2. La compagnie des Indes est en contact avec
XIV mais comme une suite logique : en effet, pour le l’Afrique (Gorée et Le Cap), l’île de France dans
roi, il n’y a plus ou presque de protestants en France l’Océan indien, le continent asiatique avec en Inde,
donc l’édit de Nantes n’a plus lieu d’être ! Pondichéry et Chandernagor et en Chine, Canton.
3. On peut voir que la configuration de Port-Louis
Identifier est modifiée car la ville s’adapte au commerce
4. Les conséquences de cette révocation s’avèrent colonial par la présence de bâtiments dédiés. À
désastreuses car un quart des protestants quittent Lorient, on peut observer les bâtiments imposants
la France emmenant avec eux leurs richesses et qui occupent le centre du port.
leurs savoir-faire. Elle participe aussi à la mauvaise
image du roi de France à l’extérieur, lequel est vu Identifier
comme un tyran par les puissances européennes 4. La compagnie bénéficie d’un monopole sur un
rivales. À l’intérieur du pays, les contestations vont espace très vaste. Ce monopole est prévu pour une
se transformer en révoltes comme celle des Cami- durée de cinquante ans et elle pourra ainsi obtenir
sards, en 1702, dans les Cévennes. de l’or et de l’argent en cas de besoin.

Raisonner et s’exprimer Vers le bac


5. Le roi marque ici son emprise sur la religion et 5. La politique économique de Colbert permet
réaffirme sa volonté qu’il n’y ait qu’une religion d’affirmer la monarchie absolue en contrôlant
autorisée dans le royaume. On peut parler de reli- l’économie, en renforçant le rôle de l’État par les
gion d’État. monopoles. Le pouvoir royal dépasse aussi les
limites du royaume puisqu’il s’étend au-delà des
Vers le bac mers.
6. La France est un pays où la situation religieuse
est complexe. On peut y voir la présence, notam-
ment dans le sud de la France, de fortes minori-
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
tés protestantes dans un pays majoritairement Versailles, le « roi-soleil » et la société
catholique. La violence des affrontements entre de cour  p. 160-161
les deux religions éclate lors des massacres de la
Saint-Barthélemy. Il n’y a pas eu une Saint-Barthé-
lemy mais des Saint-Barthélemy, y compris dans Contextualiser
la France du nord où les protestants étaient pour- 1. Le château de Versailles est construit afin de
tant moins représentés. Ces événements rendirent permettre au roi d’affirmer sa puissance, d’abord
l’apaisement plus difficile à trouver, l’édit de Nantes en se montrant auprès de sa cour, qui lui rend ainsi
intervenant au bout de huit guerres de religion. tout le temps hommage, et par la configuration des
lieux. Ce magnifique château est, par son architec-
ture, un symbole de sa puissance comme le montre
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE la vue de l’édifice et des jardins (doc. 4). Tout est
Colbert et la compagnie des Indes symétrique, organisé, et la nature a été domptée.

 p. 158-159 Comprendre
2. Pour le roi, il s’agit d’une façon de contrôler et
Analyser
d’exercer son pouvoir sur la noblesse de manière
1. Dans ce document, Colbert énonce sa théo- déguisée. Le roi remarquait la présence ou non de
rie économique que l’on désignera sous le nom la noblesse aux différentes manifestations.

60
Analyser Ce sont donc, ici, deux visions opposées de la
monarchie : Louis XV incarne la monarchie abso-
3. Dès sa prise de pouvoir personnel en 1661,
lue de droit divin alors que Rousseau souhaite une
Louis XIV choisit un lieu où ancrer sa puissance.
monarchie limitée.
Versailles est situé à distance de Paris où, durant
son enfance, sa mère et lui furent menacés par les
Parcours 2
Grands et le parlement durant la Fronde (1648-
1653). La cour est désormais sous la coupe du roi 1. Louis XV pose en costume de sacre avec autour de
qui lui impose un code rigoureux, l’étiquette. En lui les symboles de son pouvoir absolu. On observe à
distribuant ou non ses faveurs, en l’obligeant à gauche, sur le tabouret, la main de justice qui sym-
résider près de lui, Louis XIV a « domestiqué » la bolise son pouvoir judiciaire, sa couronne qui lui a
noblesse qui, paradoxalement, cherche à lui plaire été donnée lors de la cérémonie religieuse du sacre,
et accepte, voire recherche, ce mode de vie. entérinant ainsi le caractère divin de la monarchie.
4. Le roi distinguait les personnages qui avaient le Il tient, dans sa main droite, le sceptre, symbole de
privilège de pouvoir le suivre, créant ainsi une com- commandement et, sur son flanc gauche, on aper-
pétition entre eux. Il pouvait aussi les disgracier à çoit une épée rappelant le roi de guerre. Sur son
tout moment, par un seul mot. manteau, on voit les fleurs de lys brodées, symbole
de la monarchie française tandis qu’à son cou pend
Vers le bac un collier, celui de l’ordre du Saint-Esprit, symboli-
sant la chevalerie dont il est le premier représen-
5. Versailles symbolise bien la monarchie absolue. tant. Louis XV concentre ainsi tous les pouvoirs.
C’est Louis XIV en personne qui a supervisé les tra- 2. Selon Rousseau, la société idéale est celle où
vaux du château et des jardins. Le décor est donc personne n’est au-dessus de la loi et où souverain
destiné à le magnifier. Il a un œil sur son entou- et peuple ont un intérêt commun. C’est aussi une
rage qui est constamment en sa présence, et l’éti- société démocratique et tempérée.
quette mise en place indique à chacun sa place et
ses devoirs. 3. Ce texte constitue une critique de l’absolutisme
car il souhaite exactement l’inverse. Il ne veut pas
que quelqu’un concentre tous les pouvoirs et se
ÉTUDE Jean-Jacques Rousseau : situe au-dessus des lois.
4. La réponse peut se faire en deux parties : une
les Lumières contre l’absolutisme  p. 164 première partie qui explique, à l’aide du tableau, ce
qu’est l’absolutisme et la concentration des pou-
Parcours 1 voirs dans une même personne et une deuxième
Louis XV pose en costume de sacre avec autour de partie montrant les différents gouvernements pro-
lui les symboles de son pouvoir absolu. On retrouve posés par Rousseau en insistant sur les termes
à gauche, sur le tabouret, la main de justice qui employés : « démocratie », « libre », « loi », etc.
symbolise son pouvoir judiciaire, sa couronne, qui
lui a été donnée lors de la cérémonie religieuse
du sacre, entérinant ainsi le caractère divin de la ÉTUDE Louis XV face à l’opposition
monarchie. Il tient dans sa main droite le sceptre, des parlements  p. 165
symbole de commandement, et, sur son flanc
gauche, on aperçoit une épée rappelant le roi de Analyser et schématiser
guerre. Sur son manteau, on voit les fleurs de lys
brodées, symbole de la monarchie française, tan- 1.
dis qu’à son cou pend un collier, celui de l’ordre du Roi
Saint-Esprit, symbolisant la chevalerie dont il est
Loi
le premier représentant. Louis XV concentre ainsi
tous les pouvoirs. Présentation aux parlements
Le texte de Rousseau, quant à lui, parle du peuple
et de la volonté de partager le pouvoir dans un inté- Vérification de la légitimité de la loi
rêt commun. Il insiste sur deux points : la nécessité
d’avoir une égalité devant la loi et que personne Enregistrement de la loi
ne doit être au-dessus d’elle. En affirmant que
tout homme doit être soumis à la loi, il réfute la Validité de la loi
monarchie absolue qui concentre les trois pouvoirs
Application de la loi
dans une même personne.

Chapitre 5 – L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles) 61


Contextualiser retrait durant le règne de Louis XIV. Sous Louis XV,
les parlements, et notamment celui de Paris, vont
2. Le tableau représente un lit de justice tenu par
s’opposer de plus en plus ouvertement à l’absolu-
Louis XV en 1715. Louis XIV avait, dans son testa-
tisme royal. Ils utilisent de plus en plus leur droit de
ment, désigné un conseil de régence composé de
remontrance et n’hésitent pas à soutenir des mou-
plusieurs membres dont le duc du Maine, le fils
vements de contestation populaire. Louis XV doit,
bâtard qu’il avait eu avec Mme de Montespan et
dans un discours dit « de la flagellation », interve-
qu’il avait légitimé. Il rompait ainsi avec la tradition
nir personnellement pour rappeler aux parlements
qui faisait que la régence est exercée par une seule
les limites de leurs pouvoirs.
personne. Louis XIV se méfiait de son neveu Phi-
lippe d’Orléans. Ce dernier fit casser le testament
et obtint la régence pleine et entière. Il réintrodui- REGARD CRITIQUE p. 166
sit, à cette occasion, le droit de remontrance pour
les parlements, c’est-à-dire la possibilité de faire Développer son esprit critique
des objections sur la loi à enregistrer.
1. Didier Le Fur montre les limites de cette ordon-
Analyser nance en démontrant le véritable objectif de l’usage
du français. C’est avant tout pour assurer la com-
3. Louis XV rappelle les principes de la monarchie, à préhension des écrits. Enfin, il rappelle que chaque
savoir qu’il est à l’initiative des lois et lui seul, mais souverain a eu sa vision de l’État selon les moments
il réaffirme aussi le droit de remontrance. Il rap- et, pour François Ier, l’État devait s’affirmer afin de
pelle que lui seul détient l’ensemble des pouvoirs. lui permettre de mieux trouver l’argent pour finan-
cer ses guerres.
Vers le bac 2. On peut citer la prise de pouvoir personnel de
4. Durant la régence de Philippe d’Orléans, les par- Louis XIV en 1661 ou l’installation de la cour à Ver-
lements regagnent en autorité car ils étaient en sailles en 1682.

S’EXERCER p. 167-169

Connaître et se repérer

1598 Édit de Nantes Les protestants peuvent exercer leur culte.

1664 Création de la compagnie des Indes orientales Développement du commerce colonial

1685 Révocation de l’édit de Nantes Fuite des protestants et de leurs richesses


hors de France
1682 Installation de la cour à Versailles Mainmise du roi sur la noblesse

1766 Discours de Louis XV devant le parlement de Opposition parlementaire de plus en plus vive
Paris
1539 Ordonnance de Villers-Cotterêts Diffusion de la langue française

62
Connaître et comprendre

DIEU

désigne respecte les commandements de l’Église


à Versailles
LE ROI
aident nomme nomme conseillent

Ministres Conseils

– chanceliers (justice) – Conseil d’en-haut :


– contrôleur général affaires importantes, guerre
des finances – des parties :
– Secrétaires d’État à : justice
• la Marine – des finances
• la Guerre – des dépêches :
• la Maison du roi relations avec les
(intérieur) provinces et l’étranger
• Affaires étrangères

dans les provinces


nomme informent

Intendants
de justice, de police, des finances
dans les généralités

Justifier et argumenter Mettre un événement en perspective


• Vrai, elle est limitée par les lois fondamentales Texte rédigé :
ainsi que les libertés et les privilèges. Le massacre de la Saint-Barthélemy intervient
• Vrai, ils participent à la diffusion d’idées hostiles à en 1572 durant les guerres de religion qui agitent
l’absolutisme et proposent d’autres formes de gou- la France. Les principaux chefs protestants sont
vernement. assassinés alors qu’ils étaient réunis à Paris pour
• Faux, elles ont aussi évolué grâce aux mariages, le mariage de Marguerite de Valois, sœur du roi
aux héritages et aussi par des confiscations de catholique Charles IX, et d’Henri de Navarre, chef
terres. du parti protestant et futur Henri IV. On peut voir ici
• Faux, le protestantisme était permis notamment la violence de cet événement : les protestants sont
grâce à l’édit de Nantes. traqués jusqu’à leur domicile, tués par les armes
ou défenestrés. On aperçoit des soldats qui tuent
Utiliser différents langages mais aussi le peuple parisien. Ce massacre, suivi
Le royaume de France s’est agrandi depuis la fin par d’autres dans la France entière, reste célèbre
du règne de Louis XIII au nord, à l’est et au sud pour illustrer la férocité des guerres de religion
grâce aux guerres et aux traités. Le royaume est qui se déroulent en France dans la seconde moitié
désormais protégé par les fortifications de Vauban du xvie siècle. Il symbolise l’intolérance et le fana-
constituant le « pré carré ». tisme religieux. Il convainquit aussi de la nécessité
Le pouvoir politique est à Versailles qui constitue le de trouver un accord qui donna lieu à la promul-
« centre » de la France avec Paris d’où partent les gation en 1598 de l’édit de Nantes instaurant une
principales routes du royaume montrant la volonté tolérance religieuse.
de maîtriser le territoire afin de mieux le contrôler.
On peut cependant voir que des espaces sont mal
reliés à la capitale.

Chapitre 5 – L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles) 63


Schéma : Antoine Furetière, l’autre de l’Encyclopédie de Dide-
rot et d’Alembert parue en 1751. L’article est écrit
Guerre de religion entre catholiques et protestants
par Louis de Jaucourt. Ces deux sources sont des
ouvrages de référence dont on peut supposer qu’ils
Tensions et haine de plus en plus forte reflètent l’opinion de leur époque respective.
2. Antoine Furetière défend une vision très péjo-
Refus du mariage de la sœur du roi avec rative du peuple qu’il oppose à la noblesse ou aux
un protestant personnes aisées et éduquées. Selon lui, le peuple
est sot, dénué de raison et prompt à la révolte.
Déclenchement de la Saint-Barthélemy Louis de Jaucourt défend, quant à lui, un peuple
en danger, dont il vante les mérites et le labeur. La
Massacres à Paris et en province description est romantique et fait appel aux sen-
timents.
3. Ces deux visions sont représentatives d’un chan-
Nécessité de trouver un accord entre
les deux religions gement d’opinion envers le peuple qui est davan-
tage respecté. Le deuxième texte témoigne de
l’influence des Lumières, comme Rousseau qui
Édit de Nantes en 1598
défend l’idée d’un homme naturellement bon. En
mettant l’accent sur les qualités du peuple, Louis
Tolérance religieuse et fin des guerres de religion de Jaucourt semble vouloir faire percevoir qu’il est
naturel que ce peuple puisse jouer un rôle, ou du
Raisonner et argumenter moins qu’on le représente.

1. Bossuet justifie la monarchie absolue comme


étant la preuve et la manifestation de la volonté de MÉTHODE VERS LE BAC p. 172
Dieu. Ainsi le roi est le lieutenant de Dieu sur Terre.
2. C’est la cérémonie du sacre qui confère les pou- Rédiger une introduction
voirs divins au roi notamment par l’onction. et une conclusion
Passé & Présent Sujet 2 : Quelles sont les forces et les faiblesses
1. Louis XIV a fait construire cet hôtel afin d’accueil- de l’État en France entre le xvie et le xviiie siècle ?
lir les officiers et les soldats pour les soigner mais Consigne : Après avoir rappelé les fondements
aussi pour offrir un logement et de la nourriture politiques de l’absolutisme au xvie siècle et décrit
aux soldats sans ressources afin de les remercier ses manifestations à la fin du xviie siècle, vous en
de s’être battus pour lui. soulignerez les fragilités au xviiie siècle.
2. Cette expression signifie que le pays tout entier
témoigne son respect pour la personne qui vient de Introduction
mourir et qui incarnait par ses actions les valeurs En 1515, l’avènement de François Ier ouvre en
rattachées au pays. France une période d’affirmation de la monarchie.
3. Elle est un lieu idéal car elle rappelle que cet En concentrant de plus en plus tous les pouvoirs
hôtel avait été construit pour venir en aide aux per- dans les mains d’un seul, celle-ci peut être qua-
sonnes qui avaient combattu pour le pays. lifiée d’absolue. C’est au xviie siècle que cet État
Les personnes à qui on rend hommage à cet absolutiste triomphe grâce à un contrôle de la
endroit ont, elles aussi, servi la France de diffé- société et une administration rigoureuse mais cet
rentes façons. État connaît des limites, voire des contestations,
notamment au xviiie siècle.
On peut définir les forces de cet État comme les
MÉTHODE VERS LE BAC p. 171
atouts dont il dispose pour accroître son rayon-
nement et les faiblesses peuvent être comprises
Analyser deux textes comme les limites à ce pouvoir, mais aussi aux
oppositions de plus en plus vives qui se font jour au
Sujet 2 : Une définition contrastée du mot xviiie siècle.
« peuple » à la fin du xviie et au xviiie siècle Sur quoi repose la monarchie absolue en France
1. Les deux documents sont des extraits, l’un issu entre le xvie et le xviiie siècle ? À quels problèmes
du Dictionnaire universel datant de 1690 écrit par est-elle confrontée durant cette période ?

64
Nous verrons d’abord la mise en place de cet abso- TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 174
lutisme au xvie siècle, puis qu’il repose sur des
atouts majeurs, et enfin les difficultés rencontrées Préparer un exposé oral
par la monarchie au xviiie siècle.
Entraînement : Colbert, un acteur clé du règne de
Conclusion Louis XIV
La monarchie s’est bien affirmée au xvie siècle 1. Une trajectoire exemplaire : enfance, éducation,
grâce à des rois forts qui ont commencé à mettre les premiers pas dans les rouages du pouvoir.
en place un contrôle du royaume qui s’est agrandi. 2. Un contrôleur général des finances puissant : le
Le xviie siècle montre que l’État peut désormais cumul des charges, la mise en place de réseaux.
compter sur une économie dirigée, une unification 3. L’œuvre de Colbert : mise en place du colber-
religieuse et une centralisation, le tout dirigé par un tisme, industries, commerce maritime et colonial…
roi tout puissant, mais cet absolutisme triomphant
ne doit pas faire oublier qu’il connaît des limites et
qu’il doit faire face à une montée des oppositions de
plus en plus nombreuses dans un contexte de crise
financière aiguë.
L’État est de moins en moins capable de s’affirmer
et de faire face à la vague de mécontentements à la
fin du xviiie siècle.

MÉTHODE VERS LE BAC p. 173

Analyser un tableau statistique

Sujet 2 : L’évolution des productions de 1701


à 1790
Les tendances générales du tableau
Une tendance à la hausse, sauf pour le vin.
Les points importants
Céréales et viande qui augmentent régulièrement
➞ hausse de l’espérance de vie, apport de pro-
téines…
Les raisons de cette évolution
– Davantage de surfaces agricoles (au détriment
des vignes).
– Influence des physiocrates.
– Mais toujours une fragilité face aux aléas clima-
tiques.

Chapitre 5 – L’affirmation de l’État dans le royaume de France (xvie-xviiie siècles) 65


CHAPITRE 6  Le modèle britannique et son influence
(xviie-xviiie siècles) Manuel p. 178-211

Pourquoi l’Angleterre s’impose-t-elle comme un modèle politique dans l’Europe


des xviie et xviiie siècles ?

I. Introduction
L’enjeu de ce chapitre est d’amener les élèves de Seconde à réfléchir à la notion de « modèle » en
histoire et de comprendre plus particulièrement en quoi l’Angleterre dite moderne peut se prévaloir
d’un destin singulier, particulier, par rapport au reste du continent européen ; puis, en prolongeant
la réflexion, en quoi ce destin spécifique a eu une influence sur l’Europe, voire même sur le reste du
monde (considérant que l’Angleterre fait partie des premiers empires coloniaux européens).
Si nous nous référons à la définition du Petit Larousse :
« Modèle : 1. Ce qui est donné pour servir de référence, de type. 2. Désigne quelque chose que l’on propose
comme référence. »
En appliquant cette définition simple au chapitre qui nous intéresse, il s’agit de poser l’Angleterre
comme référence puisqu’au xviie siècle, dans une Europe majoritairement absolutiste, elle apparaît
comme le premier État à connaître une transformation politique profonde. En effet, durant cette
période, le pays voit se « renforcer l’autorité conjointe du monarque et du Parlement » entraînant
« une collaboration et une compétition croissante entre ces deux incarnations conjointes de la sou-
veraineté ». Ainsi, tout au long du xviie siècle, « l’affirmation de la prérogative royale d’une part et la
défense des droits des sujets à travers le Parlement d’autre part, furent placées au cœur de la vie
politique » (Stéphane Jettot, François-Joseph Ruggiu, L’Angleterre à l’époque moderne, Des Tudors aux
derniers Stuarts, Armand Colin, 2017).
S’il existe un modèle britannique, il est donc avant tout politique. Il peut alors se définir comme la pre-
mière forme de monarchie tempérée ou parlementaire, dont la construction trouve ses origines non
seulement dans l’héritage de l’art de gouverner en Angleterre, qui repose sur la Magna Carta, mais
aussi par le refus des tentations absolutistes au xviie siècle ayant abouti à une révolution globalement
pacifique, la « Glorieuse Révolution » (selon l’expression de Bernard Cottret, La Glorieuse Révolution
d’Angleterre), nourrie des aspirations libérales des philosophes anglais.
Ce modèle britannique est également un modèle culturel et social qui fait de l’Angleterre un acteur
précoce de la période des « Lumières », laquelle est notamment source d’inspiration pour le continent
et, en particulier, pour Voltaire. Ainsi, « dans son périodique The Spectator, Joseph Addison célébrait
la naissance d’une société nouvelle avec l’essor des villes, de leurs lieux de sociabilité, la suspension
de la censure et l’intégration harmonieuse entre les savoirs des élites foncières et des artisans et des
marchands » (Stéphane Jettot, François-Joseph Ruggiu, op. cit.). C’est donc l’Enlightenment anglais
qui, selon plusieurs historiens, inaugurait la révolution philosophique européenne du xviiie siècle.
Cependant, comme tout modèle qui diffuse ses influences, l’Angleterre connaît des limites et des
contestations aussi bien en Europe que dans les territoires qu’elle a conquis. L’exemple le plus évident
est celui des Treize colonies américaines qui, au nom des principes libéraux prônés par leur métro-
pole, se lancèrent dans une guerre d’indépendance qui donna naissance aux États-Unis et à leur
Constitution.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture vise à permettre une compréhension immédiate des questions qui struc-
turent le chapitre. Par la toile de Peter Tillemans, l’élève visualise concrètement l’organisation poli-
tique de l’Angleterre au début du xviiie siècle grâce à la mise en scène du pouvoir par l’artiste. La
souveraineté est désormais nettement partagée entre le monarque et le Parlement, ce dernier s’im-
posant, depuis la Glorieuse Révolution, comme le garant de la loi et du bien commun.

66
La double page Notions articule entre elles les notions centrales de la question pour faire sens. À
chacune sont associés les études ou points de passage et d’ouverture du chapitre qui permettent de
comprendre les principales caractéristiques politiques du modèle politique et culturel de l’Angleterre
ayant influencé l’Europe, mais aussi les territoires ultramarins contrôlés par la couronne britannique.
La double page Cartes permet à la fois de visualiser le destin singulier de l’Angleterre et ses influences
qui se sont diffusées en Europe et dans le monde tout en soulignant les liens ambigus entretenus avec
les Treize colonies, ayant conduit au développement des tensions avec les patriotes américains et à la
guerre d’indépendance.
La première double page de cours est consacrée à l’évolution politique de l’Angleterre et à l’ensemble
des principales transformations ayant abouti à la naissance du modèle européen de monarchie par-
lementaire.
L’étude sur Thomas More a pour objectif de saisir la tradition intellectuelle et les origines philoso-
phiques qui ont nourri la réflexion sur la pratique du pouvoir. En effet, Thomas More est de ces phi-
losophes qui s’inquiètent des possibles dérives d’une monarchie de droit divin et prônent un modèle
fondé sur la tempérance.
L’étude sur Aphra Behn vise à faire découvrir non seulement l’une des premières écrivaines profes-
sionnelles anglaises mais aussi une réflexion politique originale attachée à la tradition monarchique
anglaise qui souhaite garantir les droits fondamentaux au prisme d’une critique sur le colonialisme
britannique au Suriname.
Le point de passage et d’ouverture sur l’Habeas Corpus et le Bill of Rights s’attache à montrer com-
ment ces deux textes, qui affirment la victoire du Parlement et le refus de l’arbitraire royal, se sont
imposés comme des textes fondateurs du modèle britannique à l’origine d’influences juridiques nom-
breuses au-delà du seul territoire insulaire.
La deuxième double page de cours s’intéresse aux bouleversements intellectuels et sociaux qui font
de l’Angleterre un exemple culturel pour l’Europe. Après avoir insisté sur les aspects spécifiques
des Lumières anglaises, il s’agit de comprendre comment les théories libérales qui en découlent ont
transformé la société britannique. Cette dernière se distingue alors par des rapports sociaux fondés
sur l’idéal de la politeness, mélange de savoir-vivre et de savoirs professionnels (maritime, droit, com-
merce, finance) au service de la nation tout entière et pour le bien commun.
L’étude sur l’ascension de la bourgeoise anglaise souhaite montrer en quoi la fin du xviie siècle est mar-
quée en Angleterre par un développement économique important qui favorise l’émergence d’une nou-
velle élite urbaine. La bourgeoisie marchande devient en effet un acteur économique, politique et social
clé dans cette Angleterre où Londres apparaît désormais comme la plus grande métropole d’Europe.
Le point de passage et d’ouverture sur Voltaire et Les Lettres anglaises permet de comprendre
comment le philosophe s’est inspiré du modèle britannique pour rédiger un véritable manifeste des
Lumières. Son voyage outre-Manche est en effet l’occasion pour lui de montrer à quel point l’influence
anglaise est notable et peut être bénéfique pour l’Europe. Ces lettres sont donc aussi, dans ce sens,
un véritable panégyrique.
La troisième double page de cours délaisse le cadre insulaire pour s’intéresser à la diffusion du
modèle britannique et à ses répercussions dans les Treize colonies d’Amérique. Il s’agit alors d’in-
sister sur le renversement des valeurs anglaises contre la métropole. En effet, attachés à leur auto-
nomie politique, les « Fils de la Liberté » s’engagèrent dans une guerre d’indépendance, soutenue
notamment par la France, qui leur permet de fonder un nouvel État s’appuyant sur une constitution à
l’origine d’une République. Pourtant, les limites de la démocratie américaine sont réelles comme en
témoigne la place des femmes et des populations noires-africaines ou indiennes.
Le point de passage et d’ouverture sur Georges Washington dresse le portrait complexe d’un des
pères fondateurs des États-Unis, incarnant les ambivalences de la nation américaine naissante. Chef
militaire durant la guerre d’indépendance, rédacteur de la Constitution, premier président de la Répu-
blique américaine, il s’impose comme un mythe national. Cependant, il incarne également l’image
d’une souveraineté nationale qui exclut une partie du peuple.

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 67


L’étude sur les limites de la démocratie américaine a pour objectif d’éclairer la formule « Nous, le
Peuple des États-Unis », inspirée des Lumières et qui ouvre le préambule de la Constitution, formule
qui masque la réalité d’un système limitant les droits d’une grande partie des habitants, en particulier
les esclaves.
L’étude sur le retentissement de la révolution américaine en France souligne la fascination fran-
çaise pour cet événement, notamment à travers l’analyse de Condorcet sur ses effets et l’exemple
qu’il offre aux monarchies européennes.

BIBLIOGRAPHIE
-- Michael Braddick, « Réflexions sur l’État en Angleterre (xvie-xviie siècles) », Histoire, économie
& société 2005/1 (24e année), p. 29-50.
-- Jean Carpentier, François Lebrun, Histoire de l’Europe, Le Seuil, réed. 2014.
-- Bernard Cottret, La Glorieuse Révolution d’Angleterre, Éditions Gallimard, coll. « Folio Histoire »,
2013.
-- Roxanne Dunbar-Ortiz, Contre-Histoire des États-Unis, Wildproject, 2018.
-- Stéphane Jettot, François-Joseph Ruggiu, L’Angleterre à l’époque moderne, Des Tudors aux
derniers Stuarts, Armand Colin, 2017.
-- Liliane Kerjan, George Washington, Armand Colin, 2015.
-- Stéphane Lebecq (dir.), Histoire des îles britanniques, PUF, 2e édition, 2013.
-- Sophie Loussouarn « L’évolution de la sociabilité à Londres au xviiie siècle : des coffee-houses
aux clubs », Bulletin de la société d’études anglo-américaines des xviie et xviiie siècles, n°42, 1996.
-- Steve Pinctus, « La Révolution anglaise de 1688 : économie politique et transformation
radicale », Revue d’histoire moderne & contemporaine 2011/1 (n° 58-1), p. 7-52.
-- Jacques Portes, Histoire des États-Unis de 1776 à nos jours, Armand Colin, 2017.

III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 178-179 – Chambre des lords : assemblée de nobles, nom-


més à vie par le roi, qui fait essentiellement fonc-
1. Peter Tillemans met en scène l’organisation du tion de cour de justice ;
pouvoir britannique dans une salle du palais de – Chambre des communes : assemblée des dépu-
Westminster en inscrivant sa représentation dans tés d’Angleterre élus au suffrage censitaire, qui
une organisation triangulaire de l’espace. Si les contrôle l’action gouvernementale, les finances et
lignes de fuite convergent vers l’arrière-plan, au vote les projets de lois.
centre duquel trône la reine Anne dans son habit 3. L’œuvre complète les caractères du modèle
d’apparat, entourée de sa cour, l’artiste met avant anglais en insistant dans le décor (peintures
tout en valeur les lords du Parlement, qui siègent murales dans la salle du palais de Westminster)
au deuxième plan (auxquels sont associés les sur ses éléments de puissance :
représentants du pouvoir religieux), mais aussi les – Londres : cœur économique et culturel de l’An-
membres des Communes, placés au tout premier gleterre, plus grande métropole moderne d’Europe
plan de la toile. L’artiste insiste donc, par cette et poumon de la vie commerciale avec la présence
construction géométrique, sur la spécificité du d’une bourgeoisie marchande internationale ;
modèle politique anglais, à savoir la séparation des – les navires, symboles de la puissance commer-
pouvoirs dans le cadre d’une monarchie tempérée ciale et colonisatrice britannique.
dans laquelle le souverain est porté par la Loi com-
mune, issue de la volonté du peuple souverain. CARTES  p. 182-183
2. Le peintre montre que le Parlement est divisé
en deux chambres avec la présentation des repré- 1. L’Angleterre apparaît comme étant un modèle
sentants de la Chambre des lords au centre et de de monarchie tempérée garante des droits fonda-
ceux des communes, debout, au premier plan. Il est mentaux dans une Europe encore largement abso-
alors possible de rappeler ici la fonction de chacun : lutiste.

68
2. Le groupe social qui joue un rôle important en roi Henri VIII comme diplomate, ministre et chan-
Angleterre est celui de la bourgeoisie marchande celier de 1529 à 1532. C’est à cette époque qu’il
implanté dans les grands ports du royaume. Ce réclame la supériorité du Parlement en matière
groupe peut être considéré alors comme apparte- religieuse au détriment du roi. Cette réflexion
nant à une élite urbaine qui a fait fortune dans le l’invite alors à proposer un projet politique fondé
grand commerce. sur un idéal humaniste : l’Utopie. Ce projet tend à
3. Le modèle anglais qui s’est déjà diffusé en forger un modèle parfait de vie en société carac-
Europe s’étend également en Amérique du Nord, et térisé par l’égalité entre tous, la séparation des
plus particulièrement dans les Treize colonies que pouvoirs, l’effort au service du bien commun et de
contrôle la couronne britannique. l’émancipation personnelle et le pacifisme. Dans
ce projet, le principe du respect de la loi est placé
ÉTUDE Thomas More, aux origines au-dessus de tout et doit être l’outil permettant de
gouverner avec tempérance.
de la monarchie tempérée p. 186 Ces idées novatrices sont à l’origine de l’arresta-
tion pour trahison et de la condamnation à mort de
Savoir Thomas More en 1535.
1. Nous pouvons distinguer deux sources d’in-
fluence principales chez Thomas More : Vers le bac
– l’une liée à l’héritage politique même de son 4. Pour montrer que la couverture d’Utopie est une
pays : la Magna Carta, texte de loi de 1215 qui fixe représentation explicite de l’Angleterre, l’élève est
les bases d’un régime parlementaire et les princi- invité à construire son développement autour de
pales libertés individuelles des sujets du roi ; trois principales caractéristiques :
– l’autre liée à l’histoire culturelle de l’Europe avec – le territoire insulaire ;
le poids du courant humaniste, et en particulier – une ville importante à proximité d’un fleuve qui
Érasme.
renvoie à Londres et la Tamise ;
– une ouverture sur l’extérieur et la présence d’im-
Analyser
posants navires qui évoquent le commerce anglais
2. Les principes que prône Thomas More afin d’or- et son rayonnement, d’abord en Europe, puis dans
ganiser la vie en société reposent principalement le monde.
sur l’égalité garantie par des institutions, un mode
de gouvernement dont les pouvoirs sont séparés.
À cela s’ajoute l’effort au service du bien commun
afin d’assurer le bien-être personnel, fondé essen-
ÉTUDE Aphra Behn, un regard
tiellement sur l’acquisition de savoirs. Enfin, le d’écrivaine sur la monarchie p. 187
pacifisme, même si chacun doit être en mesure de
s’engager pour la défense du territoire dans lequel Situer dans le temps et dans l’espace
il vit mais aussi contre toute forme de tyrannie.
L’ensemble de ces principes ne peut être réalisé 1. Le règne de Charles II est marqué par une période
que si celui du respect de la loi est placé au-dessus troublée. En effet, ce roi arrive sur le trône à l’is-
de tout. sue d’une guerre civile née des tentatives absolu-
tistes de ses prédécesseurs. Avant sa montée sur
Argumenter le trône, la guerre civile a été remportée par l’ar-
mée du Parlement créée par Olivier Cromwell, petit
3. Thomas More interroge le système politique
seigneur devenu le chef de file de la contestation
anglais dès le début du xvie siècle. Attaché à l’hé-
anti-absolutiste, qui a condamné à mort Charles Ier.
ritage politique même de son pays, notamment
Cependant, Cromwell instaure progressivement un
à la Magna Carta (texte de loi de 1215 qui fixe les
régime d’austérité et une dictature républicaine
bases d’un régime parlementaire et les princi-
de type militaire. C’est donc à sa mort en 1658
pales libertés individuelles des sujets du roi), et
influencé par l’histoire culturelle de l’Europe et le qu’un nouveau Parlement favorise le retour à la
poids du courant humaniste, Érasme en particu- monarchie avec Charles II.
lier, le philosophe s’inquiète très tôt des possibles 2. D’après le document 2, le Suriname est une colo-
dérives d’une monarchie de droit divin. En effet, nie britannique d’Amérique du Sud développée à
son parcours l’incite à craindre le retour d’une partir de l’exploitation d’une main-d’œuvre esclave,
forme d’arbitraire royal en Angleterre. Juriste de originaire d’Afrique, et issue du commerce triangu-
formation, Thomas More s’est imposé à la cour du laire.

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 69


Pour information : Le Suriname est un territoire à tel : le discours qu’elle fait prononcer à Oroonoko
l’origine peuplé par les Indiens Surinen, puis exploré s’inscrit surtout dans la condamnation d’un pou-
par les Espagnols au xvie siècle. Au siècle suivant, voir arbitraire et absolu. Il apparaît donc qu’Aphra
s’implantent les premiers comptoirs hollandais puis Behn est à contre-courant des tentatives absolu-
anglais. Ces derniers importent vers 1650 des esclaves tistes de l’époque et semble favorable à la pra-
d’Afrique pour cultiver leurs plantations. En 1667, l’An- tique d’une monarchie fondée sur la tempérance.
gleterre accepte de céder le Suriname en échange de
la Nouvelle-Amsterdam (la future New York) à la Hol-
lande qui en fait une colonie. La culture du café et de la POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
canne à sucre se développe à partir des années 1680.
En 1799, les Britanniques reprennent possession du L’Habeas Corpus et le Bill of Rights
Suriname ; ils le quittent pendant deux ans en 1802,  p. 188-189
puis se réinstallent jusqu’en 1816.
Repérer
Analyser
1. Les relations entre le roi et le Parlement au
3. Le poème d’Aphra Behn rédigé à la mort de
xviie siècle s’effectuent dans un climat de tensions
Charles II souligne son attachement pour un roi
régulières, chaque acteur tentant d’affirmer la
dont la figure est non seulement liée à l’image de
supériorité de ses prérogatives. Les monarques
Dieu sur terre (vision traditionnelle de la monarchie
agissent ainsi au nom de la tradition de la monarchie
de droit divin) mais aussi à celle du Christ puisque
de droit divin et donc se parent de la primauté de
sa mort est comparée à la crucifixion.
leur fonction sur la Nation. Le Parlement agit au
Le sentiment de perte immense est renforcé par
nom de la tradition politique de la Magna Carta et
l’emploi du champ lexical de la tristesse, de la des idées des philosophes humanistes et utopistes,
désolation et de la souffrance religieuse. et souhaite affirmer la primauté de la Loi com-
Cependant, le dernier vers (« A fait de Charles un mune, issue de la volonté de la Nation.
Dieu ! et de Jacques un monarque ! ») montre sa
fidélité à une monarchie perpétuelle. Mettre en relation
4. Aphra Behn dénonce les pratiques esclavagistes
et le traitement réservé aux Africains dans les 2. Au cours du xviie siècle, l’Angleterre est marquée
par une évolution de la conception du pouvoir royal.
plantations du Suriname.
La première moitié du siècle est caractérisée par
Il est difficile a priori de savoir si l’auteure condamne
une succession de tentatives d’affirmation d’un
véritablement l’esclavage en tant que tel : le dis-
pouvoir absolutiste par les monarques. L’exemple
cours qu’elle fait prononcer à Oroonoko s’inscrit
le plus marquant est celui de Charles Ier. La mise en
surtout dans la condamnation d’un pouvoir arbi-
scène de son pouvoir sur la toile de Daniel Mytens
traire et absolu.
l’Ainé, Le Roi Charles Ier d’Angleterre, peinte en 1633,
est d’ailleurs tout à fait révélatrice. Elle reprend en
Vers le bac
effet le code des portraits de monarques absolus
5. Aphra Behn est attachée à une monarchie de sur le continent où ceux-ci sont représentés avec
droit divin comme en témoigne le poème rédigé à tous les attributs du pouvoir : sceptre de justice,
la mémoire du roi Charles II. Dans ce poème, elle globe surmonté de la croix, symbole du pouvoir
souligne son affection pour un roi dont la figure religieux, couronne royale, apparat militaire.
est non seulement liée à l’image de Dieu sur terre Cependant, le règne de Charles Ier est aussi une
(vision traditionnelle de la monarchie de droit divin) rupture fondamentale dans l’histoire politique de
mais aussi à celle du Christ puisque sa mort est l’Angleterre mais aussi de l’Europe : monté sur
comparée à la crucifixion. Le sentiment de perte le trône en 1625, le souverain est renversé par le
immense est appuyé par l’emploi du champ lexical Parlement et décapité en 1649. C’est le premier
de la tristesse, de la désolation et de la souffrance régicide européen. Dès lors, le pouvoir législatif ne
religieuse. Ainsi, l’auteure montre qu’elle s’inscrit cesse d’affirmer son ascendant en Angleterre dans
pleinement dans la tradition monarchique anglaise une logique de séparation des pouvoirs. Ainsi, lors
du pouvoir continu. du couronnement de Guillaume III d’Orange et de
Cependant Aphra Behn dénonce les pratiques Marie II Stuart en 1689, la Couronne d’Angleterre
esclavagistes et le traitement réservé aux Africains leur est offerte par les représentants des lords et
dans les plantations du Suriname. des communes à Whitehall. Le pouvoir est désor-
Il est difficile a priori de savoir si l’auteure mais partagé et soumis à la loi commune votée par
condamne véritablement l’esclavage en tant que le Parlement.

70
3. Le travail peut s’effectuer ici sous forme de ÉTUDE L’ascension de la bourgeoisie
tableau pour mettre les deux textes et leurs idées
anglaise  p. 192-193
en miroir.
Texte de John Locke Bill of Rigths Repérer
Pouvoir législatif Parlement 1. La bourgeoisie dispose essentiellement de deux
issu de la volonté considéré comme la types d’atouts :
populaire. représentation pleine et – des atouts économiques et financiers qui se
libre de la Nation. résument par sa richesse. Celle-ci se concentre
tout particulièrement dans la City de Londres et,
Autorité et pouvoirs Le prétendu pouvoir
conférés par de l’autorité royale de
plus spécifiquement, à la Royal Exchange, lieu où
le peuple. suspendre les lois ou s’échangent les produits financiers. De plus, la City
l’exécution des lois sans s’impose comme un vaste marché avec la présence
le consentement du de près de 200 boutiques sur plus de 4000 m² ;
Parlement est illégal. – des atouts politiques puisque la bourgeoisie est
un groupe social sur lequel s’appuient les candi-
La Loi commune Pour remédier à dats aux élections soucieux d’accéder à des fonc-
est supérieure au tous griefs et pour tions politiques et au pouvoir.
pouvoir exécutif. l’amendement,
l’affermissement et Contextualiser
l’observation des lois,
le Parlement devra être 2. « Elles étaient conduites par des rois qui ne pou-
fréquemment réuni. vaient errer, parce que leur pouvoir était sagement
borné par les lois. »
L’ensemble des Articles 4 à 8. Ce passage renvoie au régime de monarchie tem-
décisions est soumis pérée qui est une monarchie dans laquelle les pou-
au Parlement, issu de voirs du souverain sont limités par l’existence d’une
la volonté populaire.
assemblée représentative, un Parlement, et la
garantie de droits fondamentaux. Ce régime s’im-
Analyser pose au xviie siècle en Angleterre, grâce à l’action
du Parlement qui a œuvré pour le refus définitif de
4. L’Habeas Corpus souhaite mettre un terme à l’ar- la monarchie absolue, tentée à deux reprises sous
bitraire royal, principalement dans la pratique de la Charles Ier (1625-1649) et Jacques II (1685-1688),
justice, afin d’interdire les arrestations sommaires. après la Glorieuse Révolution.
5. Les deux textes de lois anglais sont à l’origine
de la garantie des droits fondamentaux au sein du Analyser
royaume. Ils déterminent ainsi les libertés indi-
3. L’auteur assimile le fonctionnement de la société
viduelles et collectives, tout en fixant une nou-
anglaise à une ruche et au travail des abeilles afin
velle Constitution pour la pratique du pouvoir. Ils
de rappeler comment les philosophes anglais ont
marquent donc un tournant à la fois pour la for-
mis en avant l’importance de l’engagement de la
mation d’une nouvelle société (fondée sur des nation tout entière au service du bien commun. Par
principes d’égalité et de libertés) et d’un nouveau l’image de la ruche, Bernard de Mandeville illustre
régime politique (fondé sur l’idéal de tempérance le principe de la politeness, terme anglais désignant
et de séparation des pouvoirs). L’Angleterre entre le modèle culturel anglais fondé sur un mélange de
alors dans l’ère de la monarchie tempérée protec- savoir-vivre et de savoirs professionnels destinés à
trice des droits fondamentaux. protéger le bien commun au profit de la nation.
4. Dans Les Délices de l’Angleterre et de l’Irlande,
Vers le bac
James Beeverell écrit « qu’il se trouve des mar-
6. Il s’agit de construire ici un paragraphe repre- chands dans Londres, plus riches et plus puissants
nant la structure de la deuxième réponse avec un que des princes souverains d’Allemagne et d’Ita-
premier argument qui insiste sur les tentatives lie ». Le statut social de cette bourgeoisie mar-
absolutistes (voir Cours p. 184), puis un second qui chande, composée de riches négociants, lui offre
montre le passage vers une monarchie tempérée un rôle essentiel dans le système politique anglais
en évoquant à la fois le rôle croissant du Parlement puisque la bourgeoisie devient l’enjeu majeur des
et l’adoption de deux textes fondateurs, inspirés candidats qui doivent compter sur son soutien lors
des philosophes anglais. des élections.

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 71


Pour information : Humeurs d’une élection, le POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
Scrutin se déroule en quatre tableaux : « Le Banquet
Voltaire et Les Lettres anglaises
électoral », « La Quête des voix », « Le Scrutin » et
« Le Triomphe des vainqueurs ». Le peintre, tout en  p. 194-195
retraçant les élections qui se sont déroulées dans
le comté d’Oxford en 1754, cherche à interpeller sur Repérer
un système électoral censitaire qui profite aux plus
1. La couverture des Lettres anglaises témoigne
riches. Durant cette année, la campagne électorale
d’une impression à Londres, d’un ouvrage écrit en
est vive et la bourgeoise devient un enjeu pour les can-
français et vendu à Amsterdam (donc Angleterre,
didats. Ainsi, à Londres, Dashwood mène campagne
France et Hollande).
les dans trois auberges de la ville « Aux Armes du
Roi », « La Taverne du Tonneau » et « La Tête de Sar- Analyser
razin » dans Friday Street, dans lesquelles il multiplie
les banquets. Dans le camp opposé, lady Susan Keck 2. Importance de la diffusion de la culture à l’échelle
sillonne le pays à cheval pour rallier les électeurs à de l’Europe grâce :
son candidat. – à la publication des ouvrages et à leur circulation
dans plusieurs pays ;
Vers le bac – aux échanges épistolaires entre les philosophes
des pays étrangers qui assurent les débats, les
5. On peut attendre de l’élève qu’il développe sa querelles, les controverses et donc la diffusion des
réponse autour de deux grands axes : savoirs.
– une nouvelle élite économique qui développe un
nouveau modèle culturel favorable à l’essor de la Analyser et schématiser
nation anglaise : la politeness ;
– une nouvelle élite politique qui s’impose en tant 3. Extrait 1 : Un régime politique orignal de
que nantis et qui dispose du droit de vote en raison monarchie tempérée.
de sa fortune (suffrage censitaire). Extrait 2 : Une société fondée l’égalité et les droits
fondamentaux.
Extrait 3 : Un rayonnement commercial à l’origine
de l’enrichissement de la nation.
4. et 5.

Un régime politique Une société fondée Un rayonnement commercial Un renouveau


orignal de monarchie l’égalité et les droits à l’origine de l’enrichissement culturel avec
tempérée fondamentaux de la nation l’Enlightenment

Le modèle anglais

Vers le bac L’élève pourrait ensuite faire une annonce de plan


articulé autour des thèmes formulés à l’issue des
6. Après avoir passé près de quatre ans en exil à
questions 3 à 5.
Londres, Voltaire publie Les Lettres anglaises en
1734. Rapidement, cet ouvrage se diffuse en Europe
et bénéficie de nombreuses publications. Son suc-
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
cès immédiat est dû non seulement au procédé
d’écriture choisi par son auteur – celui du regard George Washington, premier président
étranger, faussement amusé, exagérément étonné des États-Unis  p. 198-199
et désorienté par tout ce qu’il voit – mais surtout
au tableau qu’il dresse d’une Angleterre où règnent
Repérer
la liberté religieuse, la liberté politique, la liberté
scientifique et la liberté de création littéraire. Ainsi, 1. La séparation des pouvoirs se traduit par la for-
pourquoi Les Lettres anglaises de Voltaire peuvent- malisation du texte de la Constitution qui distingue
elles être considérées comme un véritable mani- clairement des articles et des sections pour chacun
feste des Lumières inspiré du modèle anglais ? des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire).

72
Analyser un texte qui puisse convenir aux différents États
(doc. 3). Le troisième paragraphe pourrait étudier
2. Les principaux pouvoirs du président repérables
la construction du mythe par une analyse critique
sont : durée de mandat de quatre ans pour être
des deux documents, qui sont des mises en scène
le commandant en chef des armées, nommer les
rétrospectives.
ambassadeurs, les ministres, consuls et juges de
la Cour suprême.
3. La mythification de Washington est d’abord ren- ÉTUDE Les limites de la démocratie
due possible par la date du document postérieure
(1851) aux événements relatés (1776) et donc à américaine p. 200
l’anachronisme de la présence du drapeau (1777). Il
s’agit de signifier rétrospectivement son rôle dans Identifier
la naissance de l’État-nation américain. D’autres 1. À la fin du xviiie siècle (1790), les esclaves repré-
éléments de la composition renforcent ce rôle cen- sentent près de 20 % de la population américaine.
tral : la position justement centrale de Washington
2. Il y a un net contraste entre les États du Sud (35 %
dans le tableau, sa posture debout, un pied en avant
d’esclaves dans la population totale) et les États du
comme s’il allait débarquer (ce qui est fortement
Nord (moins de 5 %). Cet écart ira en grandissant
improbable vu l’embarcation et les conditions de la au xixe siècle, même si la part moyenne dans le pays
traversée), son regard fixé vers l’autre berge où va se réduit.
se dérouler la bataille, la lueur du soleil au-dessus
de lui dans un ciel globalement ténébreux. Analyser
4. Washington se trouve debout sur une estrade, le
3. Dans ce tableau, la distinction entre personnages
texte de la Constitution ouvert, dans ses mains. Il le
blancs (Washington et les jeunes enfants) et noirs
montre à l’ensemble des délégués. Certains lui font
se traduit par le fait que les personnes de couleur
face debout et les autres sont assis tout autour de
sont toutes en activité ou du moins ont des attributs
lui. On repère quelques personnages qui discutent,
de travailleur (outils divers de l’agriculture). Il s’agit
mais la majorité d’entre eux se montre dans une
d’esclaves dont le rôle est de travailler dans les
attitude grave, une posture d’écoute (on peut ima-
plantations. On assiste ici à une scène de récolte
giner que Washington s’exprime dans un discours
où Washington semble donner ses consignes à un
solennel de présentation de la constitution).
contremaître.
Employer les notions et le lexique 4. Jefferson témoigne des mentalités de l’époque,
y compris chez les partisans de l’abolition. Il est
5. Les phrases qui témoignent du souci d’unité de la persuadé de différences fortes (voire d’inégalités)
nation sont omniprésentes. On peut citer : « L’unité entre populations blanche et noire. Ainsi, il les
du gouvernement qui fait de vous un seul peuple », décrit comme « inférieurs » en ce qui concerne la
« votre bonheur individuel dépend de l’union qui raison et incapables « de tracer ou comprendre les
vous constitue en nation », « le nom d’Américain, recherches d’Euclide ». Il se montre du coup non
qui est pour vous le nom national », « à de très favorable à la mixité entre les deux populations.
faibles différences près, vous avez la même reli-
gion, les mêmes coutumes, les mêmes mœurs, les Vers le bac
mêmes principes politiques. Vous avez combattu et
5. Le modèle républicain américain, nourri par les
triomphé ensemble pour la même cause ».
principes des Lumières (droits naturels notam-
Vers le bac ment), ne les applique pas à toutes les populations.
Ainsi, un cinquième des habitants des États-Unis a
6. On peut imaginer une réponse qui comporte un statut d’esclaves qui les prive de liberté et en fait
trois paragraphes. Le premier porterait sur le une main-d’œuvre servile exploitée dans les planta-
rôle militaire de Washington dans la révolution tions. Cette situation d’inégalité de statut juridique
américaine et sa libération de la tutelle anglaise. (absence de liberté mais aussi de droits civiques,
Il a commandé les troupes qui se sont opposées de vote…) est encore plus manifeste dans les États
aux Anglais et a remporté des victoires décisives du sud du pays où les plantations (coton, canne à
comme celles de Trenton (doc. 2) pour donner sucre…) sont nombreuses. Cette inégalité en droit
sa souveraineté à la nation américaine. Le deu- est nourrie par les mentalités et les convictions que
xième paragraphe présenterait l’homme politique les Noirs sont inférieurs intellectuellement et ont
devenu premier président des États-Unis nouvel- des singularités physiques qui les distinguent des
lement indépendants et qui a œuvré pour favoriser populations blanches. Il faudra attendre près d’un

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 73


siècle entre la naissance de la République améri- vaste territoire. Il évoque ensuite les débats qui l’ani-
caine et la fin de l’esclavage (mais pas des discri- ment très tôt et encore aujourd’hui concernant sa
minations) en 1869. place dans les révolutions de l’époque moderne. On
peut dégager quatre statuts pour cette révolution :
la « fille » des Lumières, la « fille » de la révolution
ÉTUDE Le retentissement de anglaise, la « mère » de la Révolution française ou
la révolution américaine en France p. 201 un simple « processus de guerre d’indépendance ».
L’enjeu est le rôle de modèle démocratique et la
concurrence entre les deux révolutions américaine
Parcours 1 et française de ce point de vue.
Condorcet cite un certain nombre des principes des 2. Réponse libre des élèves.
Lumières (Droits de l’homme, égalité des droits)
qui sont mis en œuvre aux États-Unis. Il les repère
dans la Déclaration d’indépendance du pays, dans
le fait qu’ils sont appliqués dans tous les États.
S’EXERCER p. 203-205
L’égalité des droits est comparée à son inverse
européen avec le principe de la société d’ordres Situer un événement historique
qui donne des privilèges à certains. Condorcet fait
enfin référence au fait que le texte de la Déclaration Habeas Corpus 1679 Parlement anglais
d’indépendance rend possible le renversement ou Glorieuse Révolution 1688 Guillaume III
le changement d’un gouvernement jugé « mauvais
ou défectueux ». Les Lettres
1734 Voltaire
philosophiques
Parcours 2 Bill of Rights 1689 Parlement anglais
1. Au moment où Condorcet rédige son texte (1786), Constitution des Georges
les États-Unis ont déclaré leur indépendance et 1787
États-Unis Washington
l’ont associée à une déclaration de principes poli-
tiques nouveaux inspirés par les Lumières (1776). Marquis de
Bataille de Yorktown 1781
Ils ont remporté des victoires militaires face à la Lafayette
métropole anglaise qui a finalement accepté cette
indépendance en 1783 (traité de Paris). Situer dans l’espace
2. Les principes politiques repérables sont : les 1. La couleur rouge correspond aux possessions
Droits de l’homme, l’égalité en droit, la possibilité britanniques.
pour la nation de renverser un gouvernement s’il
2. L’événement qui a lieu en 1763 : la rétrocession
ne la respecte pas.
des possessions françaises à l’Angleterre.
3. La fascination française pour la révolution est
3. L’espace délimité en vert correspond aux Treize
perceptible à l’accueil qui a été réservé à Benjamin
colonies.
Franklin lors de sa venue à la cour de Versailles
(1778). On le voit comme le centre des attentions
Réaliser une production graphique
et on le pare d’une couronne de laurier pour saluer
son action et les principes qui l’animent. L’ordre chronologique à définir est le suivant :
4. Voir les éléments de réponse donnés au Par- 1) Popularité croissante de la cause américaine en
cours 1. France (cour et salons) = années 1770-1780
2) Réticences initiales du roi à aider un peuple à se
révolter contre son roi = années 1770
REGARD CRITIQUE p. 202 3) Aide secrète (envoi d’armes aux Insurgents) =
1774-1778
4) Action diplomatique des émissaires américains
Développer son esprit critique
(B. Franklin) et pressions de la noblesse éclairée
1. L’auteur montre d’abord l’originalité de la révo- (La Fayette) = 1776-1778
lution américaine qui a été initiatrice dans bien des 5) Traité d’amitié franco-américain = 1778
domaines : affranchissement d’une colonie deve- 6) Envoi d’un corps expéditionnaire français en
nant souveraine, rédaction de deux textes fonda- Amérique (troupes et vaisseaux) = 1778-173
mentaux (Déclaration d’indépendance de 1776 et 7) Application des principes des Lumières dans les
Constitution de 1787), première république sur un institutions américaines = 1787

74
Confronter deux documents Histoire & Légende
1. Jacques I justifie l’importance de la monarchie
er
1. Les éléments qui manquent sont les preuves
absolue de droit divin avec un monarque qui historiques crédibles : lettres, agenda, acte de
concentre tous les pouvoirs car il représente à la vente, compte rendu. L’histoire ne se base que sur
fois Dieu sur terre, le père du peuple et aussi la tête un témoignage de la famille de Betsy Ross (qui
du corps social. n’est donc pas neutre). La seule certitude est que
2. L’exécution de Charles Ier en 1649. Fin des ten- Betsy Ross a bien fabriqué des drapeaux mais il
tatives absolutistes en Angleterre sous l’action du est impossible de dire si elle en est la première
Parlement. conceptrice.
3. Ces deux documents montrent le passage 2. La dimension mythique est visible à la compo-
d’un pouvoir monarchique absolu vers un pouvoir sition du tableau qui laisse à penser à une mise
monarchique limité dans le cadre d’une monarchie en scène bien ordonnée. Betsy Ross montrant le
tempérée. drapeau à la lumière de la fenêtre par laquelle
pénètrent des rayons de soleil. Le drapeau semble
avoir été finalisé juste avant. Face à Betsy Ross, on
Utiliser les notions et le lexique acquis
voit Washington qui paraît lui donner des consignes
1. Les hommes remettent à la société les droits de fabrication.
naturels d’égalité et de liberté afin que ces derniers 3. On peut citer les deux autres tableaux suivants :
soient garantis par la loi et ainsi applicables à tous, – Percy Moran, The Birth of Old Glory, 1917, Biblio-
par tous et pour tous. L’objectif est de maintenir un thèque du Congrès ;
équilibre entre droits individuels et droits collectifs – Jean Leon Gerome Ferris (1863-1930), Betsy Ross,
capable d’assurer le bien commun. 1777, collection particulière.
2. Le but de cette organisation politique est de pro-
poser des lois au nom de la nation souveraine. C’est
donc l’idéal d’une société dans laquelle les droits MÉTHODE VERS LE BAC p. 207
fondamentaux sont défendus par une participation
du peuple au pouvoir par l’intermédiaire de repré-
sentants choisis. Analyser deux documents
3. Cette organisation est incompatible avec un pou-
iconographiques
voir autoritaire car elle repose sur la logique de
Sujet 2 : Analysez les deux gravures pour
séparation des pouvoirs, seule capable d’assurer
montrer l’importance des lieux de sociabilité et
l’équité devant la loi, également et librement for-
la diversité des acteurs dans le développement
gée.
de l’Enlightenment aux xviie et xviiie siècles siècle.
4. Les réflexions de John Locke permettent de fixer
les grands axes d’un idéal politique démocratique Étape 1. Analyser la consigne
et républicain qui sont à l’origine non seulement
des motivations des révolutionnaires américains Notion clé : Enlightenment.
mais aussi de l’élaboration de leur Constitution. Acteurs : philosophes, scientifiques, élites urbaines…
Lieux de sociabilité : espace de rencontre et
Procéder à l’analyse critique d’un document d’échanges comme les salons, la Royal Society, les
coffee-houses en Angleterre.
1. ➀ Les patriotes
➁ Un loyaliste victime du supplice du goudron et Dates : xviie et xviiie siècles (période durant laquelle
des plumes s’affirme et se diffuse le modèle britannique).
➂ Référence au Stamp act, taxe que Londres a voulu
imposer aux colons américains Étape 2. Analyser les documents
➃ Référence au Boston Tea Party de 1773 : le thé Deux documents de même nature : peinture,
anglais que les colons devaient acheter de façon la première contemporaine des événements, la
obligatoire est déversé dans la mer. seconde, postérieure.
2. On peut parler de guerre civile dans la mesure Deux documents complémentaires montrant
où la violence s’exerce entre colons américains : chacun un lieu de sociabilité et des acteurs spéci-
les patriotes aspirent à l’indépendance et les loya- fiques :
listes veulent rester fidèles à la Couronne anglaise – Doc. 1 : coffee-house et bourgeoisie londonienne
et demeurer sous sa tutelle. – Doc. 2 : salon ou club littéraire et intellectuel

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 75


Étape 3. Construire un plan (au brouillon)
Plan Documents Connaissance et analyse
L’Enlightenment, • Doc. 1 : Intérieur d’un coffee- • Le xvii siècle est synonyme d’essor culturel
e

un courant house londonien. important pour l’Angleterre. Cet essor


culturel nouveau • Doc. 2 : Literary Club autour transforme la société avec la fin de la
diffusé dans de Samuel Johnson. Ce club censure et les échanges de savoirs entre
des lieux et par littéraire fondé en 1764 par élites foncières, artisans et marchands. Ce
des acteurs l’écrivain Samuel Johnson et mouvement inspire l’Europe et le mouvement
multiples… le peintre Joshua Reynolds des Lumières. Désormais, deux lieux de
est ouvert à tous les savoirs, sociabilité majeurs s’imposent : le coffee-
artistiques et scientifiques, et house (auberge de Londres où négociants et
illustre le dynamisme culturel banquiers de la City se retrouvent, discutent
britannique au xviiie siècle. et échangent) et les salons, clubs littéraires.
• Les acteurs : bourgeoisie marchande,
intellectuels, historiens, écrivains, juristes,
scientifiques… comme représentés sur la
toile de James William Edmund Doyle.
… à l’origine • Doc. 2 : Discussions entre • La nouvelle philosophie expérimentale est
d’une pensée l’écrivain Samuel Johnson, le à l’origine du pragmatisme qui contribue à
libérale et philosophe Edmund Burke et la réussite du modèle anglais sur fond de
pragmatique… l’homme politique Pascal Paoli. théorie libérale.
… qui porte un • Doc. 1 : Regroupement des • Les discussions aboutissent à l’affirmation
nouveau modèle Londoniens en fonction de leur d’un modèle culturel anglais fondé sur
social : celui de métier, de leur classe sociale, un mélange de savoir-vivre et de savoirs
la politeness de leurs goûts et de leurs professionnels destinés à protéger le bien
tendances politiques. commun au profit de la nation.

Étape 4. Rédiger (sur la copie) MÉTHODE VERS LE BAC p. 208


L’introduction
Brève présentation des documents (nature, thème, Rédiger un développement
date et contexte) et rappel des attendus du sujet.
Sujet 2 : L’Angleterre, une source d’inspiration pour
Le développement
les Lumières européennes ? (seconde partie)
Trois paragraphes qui reprennent le plan donné
dans le tableau ci-dessus. Consigne : Rédigez entièrement la seconde par-
tie du développement (« Un modèle intellectuel et
La conclusion
social »).
Ces deux documents montrent deux points de vue
complémentaires sur le développement d’un nou- Proposition pour l’intégralité du développement :
veau courant intellectuel en Angleterre : l’Enlighten- L’Angleterre s’affirme d’abord, dès le xvie siècle,
ment. Les deux peintures mettent en évidence les comme un exemple politique original dans une
lieux de sociabilité et les acteurs essentiels dans Europe largement dominée par l’absolutisme.
le processus d’essor et de diffusion des théories Cette originalité politique est en premier lieu le
libérales et de la politeness. Cependant, elles ne résultat d’une ancienne tradition dans le royaume,
témoignent pas de l’importance de la presse, des qui repose sur trois principes essentiels : le gou-
publications et des conférences publiques, large- vernement par la loi, la séparation des pouvoirs et
ment soutenues par la Royal Society, créée en 1660 la garantie des libertés. Inspirés par cette tradition,
et bénéficiant de la protection de la Couronne. les philosophes anglais développent et approfon-
dissent les théories libérales. Ils conçoivent en
effet le libéralisme dans le but de construire un
État capable d’associer l’ensemble de la société à
la pratique du pouvoir et contribuer ainsi au bon-
heur de tous. Un courant utopiste s’affirme, au
cours de la période moderne, incarné notamment
par Thomas More en 1516 et son idéal de tempé-
rance. John Locke, quant à lui, insiste, en 1690, sur

76
l’importance de la séparation des pouvoirs comme tuelle avec notamment la Royal Society, apparue en
principe de gouvernement essentiel au bien com- 1660. Elle regroupe de nombreux scientifiques, tel
mun. Ces discours philosophiques contribuent qu’Isaac Newton (1642-1727), adeptes de la nou-
largement à l’émergence d’un sentiment révolu- velle philosophie à l’origine du pragmatisme qui
tionnaire au moment où les souverains anglais contribue à la réussite du modèle anglais, aussi
tentent de réaffirmer leur pouvoir arbitraire. appelé Enlightenment. Les philosophes et scienti-
Le xviie siècle est de fait une période troublée pour fiques anglais gagnent une réputation considérable
le royaume anglais puisqu’il s’ouvre avec la dynas- et leurs savoirs se diffusent par le biais des multi-
tie des Stuart, soucieuse de consolider leur auto- ples traductions. On dénombre ainsi plus de quinze
rité. Jacques Ier (règne 1603-1625), puis Charles Ier éditions au xviiie siècle du Traité du Gouvernement
(règne 1625-1649) confisquent pour cela l’essen- civil de John Locke (1690).
tiel des pouvoirs exécutifs et législatifs en met- L’Enlightenment favorise donc la diffusion du libé-
tant entre parenthèses le Parlement. Une guerre ralisme qui met en avant l’individu, acteur de sa
civile se déclenche et est rapidement gagnée par réussite mais au service du bien commun. Bernard
l’armée parlementaire sous les ordres d’Olivier de Mandeville compare ainsi la société anglaise au
Cromwell. Charles Ier est condamné à mort. Après fonctionnement d’une ruche. Chaque membre s’y
une période d’accalmie, les tensions reprennent active pour faire fructifier l’essaim. De nouvelles
lors du mariage de Jacques II avec une catholique. élites se distinguent cependant. Dans les cam-
Le Parlement, craignant une alliance avec les sou- pagnes, la gentry (les chevaliers au mode de vie
verains absolutistes sur le continent voisins, en proche de celui de la noblesse grâce à des revenus
appelle à Guillaume III, roi hollandais protestant. confortables issus de leur propriété foncière) voit
En 1688, il débarque avec son armée et met fin son rôle et son influence s’accentuer. Mais ce sont
au règne de Jacques II. C’est la « Glorieuse Révo- les villes, en plein essor, qui connaissent l’affir-
lution » à l’origine d’un nouvel idéal de gouverne- mation majeure d’une nouvelle élite : la bourgeoi-
ment : la monarchie tempérée. Les pouvoirs des sie marchande. À la fin du xviie siècle, le royaume
souverains anglais sont désormais définitivement compte 2 000 grands négociants, 8 000 négociants
limités par le Parlement, où siègent les représen- intermédiaires et près de 10 000 vendeurs de détail.
tants du peuple, répartis entre Chambre des lords Ces négociants forment le groupe des gentlemen,
et Chambre des communes. élite urbaine financière et politique, nourrie des
Ces mouvements révolutionnaires sont également idées des philosophes libéraux et attachée aux
l’occasion de consolider les droits fondamentaux. droits fondamentaux. Ils se distinguent par leur
En 1679, l’Habeas Corpus est le premier texte de culture de la politeness, mélange de savoir-vivre
lois rédigé par le Parlement qui limite l’arbitraire et de savoirs professionnels (maritime, droit, com-
royal en établissant une justice impartiale. Désor- merce) au service de la nation toute entière.
mais, les arrestations sommaires sont interdites. Aussi, cette émulation sociale permet-elle à l’Angle-
En 1689, le Bill of Rights délimite les libertés indivi- terre de connaître un important essor économique
duelles et collectives dans la société anglaise tout dont le rayonnement dépasse les dimensions euro-
en fixant une nouvelle constitution pour le royaume. péennes. Londres, capitale culturelle, devient le
La loi est placée au-dessus du roi, le Parlement centre de la vie économique, en plus d’être le siège
détient la réalité du pouvoir et les libertés fonda- des principales institutions politiques et finan-
mentales (expression, pétition, vote…) sont définiti- cières du royaume. Ville en pleine croissance, la
vement instaurées. City compte 550 000 habitants en 1700 et 810 000 en
Le modèle politique anglais caractérisé par la sépa- 1800. Les négociants s’y activent et se regroupent
ration des pouvoirs et par la garantie législative du dans les grandes compagnies de commerce telles
respect des libertés fondamentales est à l’origine que la New East India Company. Près de 850 mar-
d’une philosophie libérale qui se diffuse en Europe. chands sont dénombrés en 1692, et le nombre de
Si l’Angleterre se pose en modèle politique pour sociétés de commerce passe de plus de 1 042 en
l’Europe, ses transformations intellectuelles et 1763 à 1 225 vers 1790. Les marchands les plus
sociales sont également source d’inspiration sur puissants continuent de s’installer dans le cœur
le continent, à l’image de Voltaire qui publie ses urbain. Les coffee-houses se multiplient, permet-
Lettres anglaises (ou Lettres philosophiques) en 1734. tant aux entrepreneurs, marchands et banquiers
Le xviie siècle est en effet synonyme de bouillonne- d’échanger et de conclure des affaires en toute
ment culturel porté par la croissance des villes et convivialité. Dès lors, et tout au long du xviiie siècle,
de leurs lieux de sociabilité, la fin de la censure et l’Angleterre affirme sa vocation de pilier du com-
la multiplication des échanges au sein de toute la merce mondial et son modèle original explique lar-
société. Londres devient le centre de la vie intellec- gement le développement de sa puissance.

Chapitre 6 – Le modèle britannique et son influence (xviie-xviiie siècles) 77


TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 209

Réaliser une production graphique

Entraînement : Transformez le texte de La Fable des abeilles de Bernard de Mandeville


en organigramme.

Rois tempérés

Essaim d’abeilles =
société anglaise

Activités au service
Attitude industrieuse
du bien commun

La Fable des abeilles est donc une allégorie du principe de la politeness anglaise.

78
CHAPITRE 7 L es Lumières et le développement des sciences
(xviie-xviiie siècles) Manuel p. 212-243

Comment expliquer l’essor des sciences et des techniques dans l’Europe des xviie
et xviiie siècles ?

I. Introduction
La question des sciences aux xviie et xviiie siècles a donné lieu à des débats historiographiques autour
du concept de « révolution scientifique ». Ce concept a été introduit par Alexandre Koyré dans les
années 1930. Il fait du xviie siècle un moment de rupture majeur dans l’histoire des sciences, idée que
semble reprendre le programme par son découpage chronologique (alors que le programme de 2010
englobait le xvie siècle). Cette rupture se caractériserait par l’idée que le monde est régi par des lois
d’ordre mathématique que le recours à l’expérience permet de valider. Elle serait incarnée par des
savants comme Francis Bacon, Galilée ou Isaac Newton.
Cependant, cette vision a été relativisée par la mise en évidence des continuités entre le xviie siècle
et les périodes qui le précèdent, la Renaissance, mais aussi le Moyen Âge. Ainsi, pour de nombreux
savants, leurs pratiques scientifiques restent-elles subordonnées à leur foi chrétienne. C’est le cas
de Newton qui affirme que seule l’intervention d’un « être tout-puissant et intelligent » explique la
subtilité des réglages cosmiques. Surtout, la perspective d’une évolution linéaire des progrès des
sciences a été battue en brèche au profit de la prise en compte des rythmes asynchrones des évolu-
tions scientifiques. Ce n’est ainsi que dans les années 1770-1780 que la chimie connaît une révolution,
notamment avec les travaux d’Antoine Lavoisier, qui adopte une nouvelle conception des éléments
constituant la matière.
Néanmoins, malgré ces nuances, des transformations majeures ont bien lieu aux xviie et xviiie siècles.
Tout d’abord, le régime d’administration de la preuve est bouleversé, puisque l’exégèse des textes
anciens, fondement de la scolastique médiévale, recule face à un rationalisme empirique appuyé sur
l’expérimentation. Ainsi, lorsque, dans les années 1660, Robert Boyle cherche à démontrer l’existence
du vide, il s’appuie sur des expérimentations menées à partir d’une pompe à air qu’il a mise au point
avec son assistant Robert Hooke. Ensuite, sur le plan sociologique, l’Église et les universités perdent
leur monopole savant au profit de nouvelles institutions comme les académies, dont la création entre
souvent dans le cadre d’une politique de prestige des États européens.
Le programme articule également les évolutions scientifiques et techniques. Or, si pendant long-
temps les techniques ont été définies comme des « sciences appliquées », l’historiographie récente
a remis en cause cette subordination de l’histoire des techniques à celle des sciences. D’abord, elle a
réinscrit les évolutions scientifiques dans leur dimension matérielle, montrant l’impact de l’état des
techniques (instruments, dispositifs, gestes, savoir-faire) dans la recherche et l’expérimentation. Par
exemple, Galilée lui-même insiste sur l’importance de lieux comme l’arsenal de Venise où les arti-
sans mettent au point des procédés techniques qui aident à la compréhension de certains faits par les
savants. Symétriquement, l’historiographie a mis au jour l’autonomie des techniques et la capacité
d’abstraction des techniciens à travers le concept d’« intelligence technique » (Hélène Vérin). Dotés
d’une rationalité spécifique, les ingénieurs sont ainsi capables de formaliser et de diffuser leur savoir,
comme le montre l’exemple de Jean-Rodophe Perronet.
De façon générale, l’étude du rôle des acteurs dans l’histoire des sciences et des techniques a été
renouvelée par les historiens qui refusent désormais de s’intéresser aux seuls « génies » pour se
pencher sur le rôle des innombrables individus, souvent anonymes, qui ont contribué aux évolutions
scientifiques et techniques. La place des femmes y est essentielle bien que souvent invisible, en par-
ticulier dans les laboratoires ou les ateliers. Dans le domaine scientifique, les historiens ont montré
au sujet d’Émilie du Châtelet ou Marie-Anne Lavoisier la contradiction entre les compétences qu’elles
ont acquises en la matière et leur exclusion de la quasi-totalité des lieux de savoir officiel.
Les chercheurs s’intéressent également aux inscriptions spatiales de ces évolutions à différentes
échelles, du fonctionnement concret des laboratoires au rôle des villes-monde dans l’essor des savoirs

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 79


scientifiques (Stéphane Van Damme) en passant par l’émergence d’une « République des sciences »
en Europe. Ils replacent également l’étude des innovations dans leurs dynamiques propres et leurs
contextes locaux dans le cadre d’une histoire culturelle des techniques : ils étudient ainsi l’environne-
ment juridique, les circulations et les transmissions, le rôle des marchés et des pouvoirs publics, les
entreprises de théorisation via le développement d’une littérature technique, etc.
L’histoire des sciences et des techniques ne peut donc s’envisager sans être articulée aux évolu-
tions politiques (construction de l’État), religieuses (sécularisation), économiques, etc. Mario Bia-
giolo montre ainsi que les travaux de Galilée sont indissociables du système patron/client en vigueur
à Florence et à Rome (Galilée, homme de cour). De même, les travaux sur les sociabilités scienti-
fiques (Daniel Roche), l’importance de l’imprimé (Henri-Jean Martin, Roger Chartier) ou le rapport
scientifique à l’espace (Bernard Lepetit et Daniel Nordman) nous aident à penser l’articulation entre
Lumières et développement des sciences.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture fait réfléchir à l’articulation entre les sciences et les techniques et les
replace d’emblée dans leur contexte historique. En effet, l’invention de la montgolfière n’est possible
que grâce à une meilleure compréhension scientifique des gaz. Par ailleurs, la mise en scène des vols
de montgolfières s’inscrit dans une volonté des pouvoirs publics de mettre en avant leur rôle dans les
progrès scientifiques et techniques. Enfin, le succès que rencontrent ces spectacles témoigne d’un
intérêt accru des sociétés pour ces domaines de savoir.
La double page Notions dégage les notions centrales du chapitre. Chacune d’entre elles est asso-
ciée à une étude qui permet d’en donner une incarnation concrète. Ces notions permettent à la fois
d’interroger l’évolution des sciences (« Révolution scientifique »), de les inscrire dans leur contexte
politique, culturel et social (« Lumières », « République des sciences ») et de réfléchir à l’autonomie
des techniques par rapport aux sciences (« Intelligence technique »).
La double page Cartes permet, d’une part, de réfléchir à la spatialisation et à la diffusion des lieux de
savoirs en Europe aux xviie et xviiie siècles et, d’autre part, d’étudier le rôle spécifique de la France dans
ce processus.
La première double page de cours est consacrée aux évolutions scientifiques au xviie siècle et inter-
roge la notion de « révolution scientifique ». Celle-ci se traduit par une nouvelle conception du monde
et de nouvelles modalités d’administration de la preuve. Néanmoins, il ne faut pas surestimer l’effet
de rupture en rappelant que ces évolutions s’inscrivent dans un contexte favorable qui remonte au
moins au xvie siècle et que ce mouvement n’est pas uniforme et fait l’objet de résistances, notamment
de la part de l’Église.
Le point de passage et d’ouverture sur Galilée permet d’incarner les évolutions scientifiques du
xviie siècle en insistant sur trois aspects : le rôle des techniques dans les évolutions scientifiques (la
lunette astronomique), l’émergence d’une nouvelle conception du monde (l’héliocentrisme), les résis-
tances opposées par l’Église catholique à ces évolutions (le procès de Galilée).
La deuxième double page de cours montre la poursuite des évolutions scientifiques au xviie siècle.
Elle insiste notamment sur la diffusion des connaissances scientifiques au sein des sociétés dans le
contexte intellectuel des Lumières. Elle permet également de réfléchir à la place des femmes dans
le champ scientifique dont elles sont progressivement exclues, malgré quelques exceptions notables.
L’étude sur l’Encyclopédie permet d’insister sur l’importance du contexte des Lumières dans la
diffusion des connaissances scientifiques au xviiie siècle. Le projet de Diderot et d’Alembert est en
effet de rassembler l’ensemble des connaissances scientifiques et techniques de leur époque, de les
rendre accessibles en particulier par l’articulation entre des articles écrits par des spécialistes et des
planches de gravures les illustrant et, enfin, de les diffuser en Europe.
Le point de passage et d’ouverture sur Émilie du Châtelet permet d’interroger la place des femmes
au sein du champ scientifique. La trajectoire de cette femme d’exception doit être contextualisée et
articulée avec le processus historique d’exclusion des femmes du champ scientifique. Cette étude fait

80
réfléchir les élèves sur la construction par genre des rôles sociaux, notamment à travers les attaques
qu’Émilie du Châtelet a subies en tant que femme.
La troisième double page de cours se penche spécifiquement sur la question des techniques. Elle
étudie l’autonomie des techniques par rapport aux sciences à partir du concept d’intelligence tech-
nique. Elle montre aussi comment la multiplication des innovations techniques au xviiie siècle favorise
la mutation du système technique qui s’épanouira au xixe siècle.
Le point de passage et d’ouverture sur la machine à vapeur met en lumière les processus d’invention
et d’innovation en montrant que, loin du stéréotype de l’inventeur génial isolé, il s’agit de processus de
longue durée intégrant de nombreux acteurs et s’inscrivant dans des contextes économique, politique,
culturel, juridique… essentiels à saisir.
L’étude sur les physiocrates montre un exemple d’extension de l’esprit scientifique à de nouveaux
domaines, ici l’économie et l’agronomie. Néanmoins, si les physiocrates sont parfois considérés
aujourd’hui comme les pères de la science économique, il faut rappeler qu’ils ont été critiqués de
leur temps par d’autres économistes pour leurs prétentions à la théorisation (et les conséquences
pratiques qu’elles ont eues à travers certaines réformes sur le commerce des grains) au détriment
d’une approche plus pragmatique.
L’étude sur Jean-Rodolphe Perronet donne un exemple concret d’ingénieur au xviiie siècle qui
démontre comment l’intelligence technique s’inscrit dans une visée à la fois théorique et pratique.
Elle permet également d’illustrer la volonté d’institutionnalisation et de diffusion de ces savoirs, par
exemple à travers la création d’écoles comme celle des ponts et chaussées.

BIBLIOGRAPHIE
-- Benjamin Deruelle, Camille Blachère, Aurélien Ruellet, Pierre Teissier, Sciences, techniques,
pouvoirs et sociétés 1500-1789, Atlande, « Clefs concours », 2016.
-- Audrey Millet, Sébastien Pautet, Sciences et techniques, 1500-1789. Documents, Atlande, « Clefs
concours », 2016.
Deux manuels sortis pour une question au concours du CAPES. Le premier propose une approche
synthétique des enjeux du chapitre. Le second est un recueil de documents très riche.
-- Dominique Pestre (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, t. 1, Stéphane Van Damme (dir.),
De la Renaissance aux Lumières, Le Seuil, 2015.
-- Liliane Hilaire-Pérez, Fabien Simon et Marie Thébaud-Sorger (dir.), L’Europe des sciences
et des techniques. Un dialogue des savoirs, XVe-XVIIIe siècle, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2016.
Deux ouvrages collectifs récents qui permettent d’approfondir tel ou tel point du chapitre selon
des approches historiographies renouvelées.
-- Stéphane Van Damme, Sciences en société. De la Renaissance à nos jours, Documentation
photographique, La Documentation française, n°8115, janvier-février 2017.
Un numéro de la Documentation photographique qui propose une approche conceptuelle des enjeux
de l’histoire des sciences ainsi que des documents commentés. La perspective chronologique est
beaucoup plus large que celle du chapitre.
-- « Newton, les Lumières et la révolution scientifique », L’Histoire, n°418, décembre 2015.
-- « L’affaire Galilée », L’Histoire, n°440, octobre 2017.
Deux numéros récents de la revue L’Histoire. On y trouvera des articles proposant une approche critique
quant aux représentations traditionnelles de ces deux figures majeures de l’histoire des sciences
aux xviie et xviiie siècle.
-- « Exposition virtuelle – Les sciences à Versailles », site du château de Versailles [En ligne]
http://www.chateauversailles.fr/actualites/vie-domaine/sciences-versailles
Des ressources iconographiques abondantes classées par thèmes : sciences et pouvoir, l’astronomie,
la géographie, l’ingénierie hydraulique, botanique et zoologie, médecine et chirurgie, la science spectacle,
la mécanique.

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 81


III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 212-213 donc l’Italie, l’Angleterre, les Provinces-Unies,


la Suisse et le monde allemand. C’est la concur-
1. La scène se déroule dans les jardins d’Aranjuez, rence avec la Société royale de Londres qui pousse
lieu de villégiature de la famille royale espagnole. l’Académie royale des sciences de Paris à ouvrir
Elle représente l’ascension d’une montgolfière diri- ses portes à des correspondants ou des membres
gée par le Français Boucle le 5 juin 1784. La scène associés étrangers.
met en valeur la prouesse technique puisque le bal- 3. La présence des villes joue un rôle dans la géo-
lon et le dispositif technique nécessaire à son envol graphie des espaces industriels en Europe au
(le foyer et les mâts) sont au centre de la composi- xviiie siècle. Par exemple, la proximité du port de
tion. La montgolfière trône dans un vaste ciel qui Liverpool favorise la concentration de l’industrie
occupe toute la moitié supérieure du tableau. La cotonnière à Manchester, un ancien village qui est
scène met également en valeur le public repré- devenu à la fin du siècle une ville de plus de 100 000
senté au premier plan et qui témoigne du succès de habitants. Par ailleurs, en France, l’industrie textile
ce type de spectacle dans les sociétés européennes prend souvent la forme d’une proto-industrie dis-
de la fin du xviiie siècle. séminée dans les campagnes, mais à proximité
2. Le public est composé de la famille royale et des des centres urbains où se trouvent les marchands
membres de la cour, reconnaissables à leur tenue fabricants. Par exemple, pour la fabrication de
aristocratique. On trouve également des gens du cotonnades en France, on trouve plusieurs nébu-
peuple. leuses autour de villes comme Rouen, Mulhouse
ou Lyon. Il existe néanmoins aussi d’autres fac-
3. Ce tableau témoigne de l’intérêt grandissant au
teurs de localisation. Ainsi, la métallurgie dépend
sein des sociétés européennes pour les spectacles
de l’importance du bois comme combustible, ce
mettant en scène les progrès techniques et scienti-
qui explique que les hauts-fourneaux, les forges
fiques. C’est particulièrement vrai pour les vols en
et les verreries sont souvent disséminés dans les
ballon qui deviennent le symbole du progrès depuis
espaces forestiers, par exemple les Ardennes ou le
le premier d’entre eux réalisé par les frères Mont-
Jura pour la France.
golfier en décembre 1782. Cet engouement touche
à la fois les élites d’Ancien régime mais aussi les
couches intermédiaires de la société. Les démons- POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
trations publiques deviennent ainsi de véritables
moments de fête populaire, mais aussi de mise en Galilée, symbole de la rupture
scène du pouvoir royal dans l’espace public. scientifique du xviie siècle p. 220-221

Se repérer
CARTES  p. 216-217
1. La grande nouveauté introduite par Galilée dans
1. Au xvii siècle, les espaces marqués par la pré-
e le domaine de l’astronomie est l’invention de la
sence de lieux scientifiques institutionnels (uni- lunette astronomique. Grâce à cet instrument, l’ob-
versités, académies, observatoires) sont localisés servation régulière et systématique du ciel s’im-
dans une aire qui va de la Grande-Bretagne au nord pose comme la démarche scientifique privilégiée
à l’Italie septentrionale au sud et de Paris à l’ouest dans ce domaine. Elle permet à Galilée de confir-
à Leipzig et Vienne à l’est. Cette géographie corres- mer la théorie de l’héliocentrisme formulée de
pondait déjà peu ou prou à l’espace dessiné par les façon mathématique par Copernic vers 1513.
correspondances d’Érasme au début du xvie siècle.
Le xviie siècle connaît avant tout une densification Argumenter
des lieux de savoir dans ce même espace, mais 2. La figure de Galilée permet de montrer que les
aussi un processus de diffusion vers des zones plus relations entre sciences et techniques ne peuvent
périphériques : la péninsule ibérique au sud ou la se réduire à la subordination des secondes aux
Scandinavie au nord. Néanmoins, les savants pré- premières en tant que « sciences appliquées ». En
sents dans les territoires baltes, en Pologne ou en effet, les avancées scientifiques sont également
Hongrie se plaignent tous d’être « au désert ». dépendantes des conditions techniques de leur
2. Les espaces européens où s’exerce l’influence époque, comme le montre l’importance de l’inven-
scientifique de la France s’inscrivent dans un tion de la lunette dans le domaine de l’astronomie.
triangle entre Londres, Rome et Berlin, couvrant Par ailleurs, les ateliers sont également des lieux

82
d’expérimentation pratique qui permettent l’avan- lois. Il préconise pour cela une démarche fondée
cée des savoirs, ainsi que le signale Galilée au sujet sur l’observation et l’expérimentation. C’est ainsi
de l’arsenal de Venise dans son Discours sur deux que la mise au point et l’usage de la lunette astro-
sciences nouvelles. nomique lui permettent de découvrir la surface
de la Lune, les taches solaires et les satellites de
Analyser Jupiter et, surtout, de confirmer la théorie de l’hé-
liocentrisme. Ce faisant, il remet en cause la sépa-
3. Galilée est au centre du tableau, assis devant
ration jugée essentielle par l’Église de la Terre et
une table nappée de rouge. Face à lui, sur l’es-
du ciel.
trade, se trouvent les sept cardinaux qui forment
le tribunal de l’Inquisition. En haut à gauche, dans
Vers le bac
la chaire surmontée d’un fronton triangulaire noir,
on identifie Fra Fiorenzuola, le commissaire géné- 6. Au xviie siècle, le financement des sciences fait
ral. Un garde sépare Galilée de ses accusateurs. Le partie d’une politique de prestige des États euro-
public en tribune enserre la scène. Cette mise en péens. L’exemple de Galilée permet de rappeler
scène révèle le caractère tout à fait exceptionnel que cette politique ne passe pas seulement par la
du procès de Galilée. Exceptionnel d’abord par son création de lieux institutionnels comme les acadé-
objet : il s’agit de statuer sur la nature du ciel et de mies, mais aussi par la promotion des savants au
la Terre. Exceptionnel ensuite par sa nature : c’est sein des cours princières. C’est ainsi que Galilée
la première fois que l’on condamne un savant pour fait le choix, en 1610, de passer de la République
ses travaux en tant que « physicien ». Exceptionnel de Venise au grand-duché de Toscane afin de béné-
enfin par le statut social de ses acteurs : celui de ficier de la protection de Cosme II. Il en tire éga-
l’accusé, philosophe du prince, ainsi que celui du lement un nouveau statut professionnel et social :
juge, le pape, l’inquisiteur suprême. celui de « philosophe et mathématicien » officiel du
représentant d’une des dynasties les plus presti-
Faire preuve d’esprit critique gieuses en Europe.
Face à ce rôle moteur des États, l’Église constitue
4. C’est au xixe siècle que le procès de Galilée a
quant à elle un pôle de résistance aux évolutions
acquis une dimension symbolique extraordinaire,
scientifiques, notamment lorsqu’elles sont sus-
devenant l’incarnation de l’affrontement entre
ceptibles de remettre en cause ses dogmes. Pour
l’Église et la science. Cependant, cette construc-
réaffirmer son autorité, l’Église réagit par l’aver-
tion mémorielle ne doit pas occulter que les rela-
tissement, la censure puis, dans les cas les plus
tions entre l’Église et la science au xviiie siècle sont
graves, par des poursuites menées par le tribunal
plus complexes. Si l’historiographie a longtemps
de l’Inquisition. C’est le cas de Galilée, condamné
mis en avant l’incompatibilité de deux conceptions
en 1633 pour sa défense de l’héliocentrisme. Cette
de la vérité, l’une fondée sur l’autorité de la révé-
condamnation s’explique aussi par le refus de
lation religieuse, l’autre sur l’observation, l’expé-
l’Église de mettre en doute l’infaillibilité pontificale,
rience et la mise en équation du monde, certains
dans le contexte de l’essor des mouvements pro-
historiens ont montré depuis les années 1990 que
testants et de la guerre de Trente Ans.
cette vision était réductrice. Ils se penchent, pour
cela, non plus sur les institutions mais sur les indi-
vidus. Ainsi, le théologien et mathématicien Marin ÉTUDE
Mersenne tente-t-il de concilier discours religieux
et discours scientifique. Pour lui, la physique gali-
L’Encyclopédie (1751-1772) p. 224-225
léenne constitue une voie de la contemplation de
l’œuvre de Dieu et même un moyen de confirmer Analyser
les récits des Saintes Écritures. De leur côté, de 1. L’extrait du discours préliminaire rédigé par
nombreux savants estiment que leurs travaux ne d’Alembert permet de rappeler que la démarche des
sont pas incompatibles avec la foi, à l’image de auteurs de l’Encyclopédie est collective puisqu’elle
Robert Boyle ou Isaac Newton. amène des dizaines de personnes à travailler à
la réalisation d’un même ouvrage. Cela s’inscrit
Argumenter en histoire et s’exprimer dans un contexte où les progrès scientifiques au
5. Galilée constitue, avec Robert Boyle ou Isaac xviiie siècle ont entraîné la fin de l’idéal humaniste

Newton, une des figures symboliques de la rupture du savoir universel au profit d’un processus de spé-
scientifique au xviie siècle. Il considère en effet que cialisation disciplinaire.
le monde est écrit dans une langue mathématique 2. La place accordée aux planches (11 volumes sur
qu’il est donc possible de formuler sous forme de 28) résulte de la volonté de Diderot et d’Alembert de

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 83


transmettre des connaissances utiles et utilisables. poursuivi au siècle suivant par les dictionnaires
Cela permet ainsi de donner une représentation (celui d’Antoine Furetière en 1690 ou celui de Pierre
concrète et précise de lieux, de gestes, d’outils et de Bayle en 1697-1702). Dans cette perspective, les
machines. Néanmoins, si ces représentations sont auteurs entendent réserver une part essentielle
techniquement précises, elles sont aussi large- aux techniques afin de promouvoir le travail utile et
ment utopiques, évacuant de la représentation des l’utilité sociale contre l’oisiveté et les privilèges de
laboratoires et des ateliers le désordre, la dureté la naissance. Car il ne s’agit pas seulement de ras-
des conditions de travail ou encore les conflits. sembler les connaissances, mais aussi de changer
la manière de penser, en affirmant l’homme et la
Mettre en relation les documents connaissance comme termes uniques. L’Encyclopé-
die est donc aussi une œuvre critique à l’égard des
3. D’Alembert rappelle dans son discours préli-
autorités constituées, en particulier l’Église, et de
minaire que les auteurs entendent faire une part
la tradition.
importante aux techniques. Celles-ci n’étaient
Afin de parvenir à cet objectif, Diderot et d’Alem-
certes pas évacuées des entreprises encyclopé-
bert mobilisent des moyens considérables. Ils
diques précédentes, mais Diderot et d’Alembert les
font appel à plus de 160 auteurs dans l’Europe
considèrent à part égale avec les sciences dans un
entière, considérés comme des spécialistes (le
contexte général de réhabilitation des arts méca-
chirurgien Antoine Louis, le naturaliste Buffon,
niques, à une époque où les innovations sont nom-
etc.), tant les progrès de la connaissance ont mis
breuses. Pour cela, ils recourent à des centaines
fin au rêve humaniste du savoir universel au pro-
d’artisans pour la description de certains métiers.
fit d’une logique de spécialisation disciplinaire.
Les articles sont rédigés après une enquête dans
De même, les articles sur les techniques et les
les ateliers où le travail est observé et les artisans
métiers sont rédigés après une enquête dans les
interrogés. Si d’Alembert considère que ceux-ci
ateliers. Les artisans y décrivent leur expérience,
ne sont souvent pas capables de formaliser eux-
leurs pratiques, leurs savoir-faire. Enfin, le recours
mêmes leurs pratiques, ils savent néanmoins les
aux images dans les volumes de planches permet
penser, les dire et les transmettre. Enfin, le recours
d’apporter une plus grande précision que les mots
aux planches permet de surmonter la difficulté à
dans la restitution des lieux, des objets, des gestes.
en faire comprendre tous les aspects uniquement
Le résultat est monumental : 17 volumes de textes,
par les mots.
11 volumes de planches, 6 tomes de suppléments
et de tables, en tout 25 000 pages et 60 000 articles.
Contextualiser
Certes, la diffusion de l’ouvrage reste quantitati-
4. L’Encyclopédie se diffuse prioritairement en vement et sociologiquement limitée (la première
France, en particulier dans les grands centres édition réunit 4 000 à 5 000 souscripteurs et, en
urbains, à proximité des académies, universi- tout, 25 000 exemplaires sont vendus jusqu’à la fin
tés et autres cercles savants, auprès d’une élite du siècle). D’abord, en raison de la censure qui le
éduquée et fortunée. Il en existe entre 11 000 et frappe et oblige à publier et vendre l’ouvrage sous
15 000 exemplaires en 1789. Elle se diffuse éga- le manteau. Ensuite, en raison du prix qui explique
lement dans le reste de l’Europe (entre 25 000 et que le lectorat soit pour l’essentiel issu du monde
30 000 exemplaires en tout), en particulier dans des rentiers de la terre, de la notabilité urbaine (jus-
un espace allant des Provinces-Unies à l’Italie du tice, finance, négoce) et du clergé. Néanmoins, la
Nord en passant par la Suisse. On y trouve de nom- pratique des lectures collectives et les correspon-
breuses villes d’édition pirate : Bruxelles, Liège, dances au sein des élites éclairées expliquent que
Bâle, Genève, etc. L’Encyclopédie n’est que l’un des l’Encyclopédie ait véritablement façonné l’esprit des
vecteurs de la diffusion de l’influence scientifique Lumières dans les sociétés du second xviiie siècle.
en Europe qui passe aussi par les correspondants
et les membres associés étrangers de l’Académie Vers le bac
royale des sciences de Paris.
6. Lorsque d’Alembert affirme : « L’expérience
journalière n’apprend que trop combien il est dif-
Raisonner en histoire et s’exprimer
ficile à un Auteur de traiter profondément de la
5. L’Encyclopédie dirigée par Diderot et d’Alem- Science ou de l’Art dont il a fait toute sa vie une
bert a pour projet d’inventorier les connaissances étude particulière ; il ne faut donc pas être surpris
de l’époque, de les classer par matières (sur le qu’un homme ait échoué dans le projet de traiter de
modèle de l’arbre des sciences de Bacon) et de les toutes les Sciences et de tous les Arts », il rappelle
transmettre. Elle marque ainsi l’aboutissement à quel point les progrès scientifiques et techniques
d’un mouvement commencé dès le xvie siècle et des xviie et xviiie siècles ont rendu utopique l’idéal

84
humaniste du savoir universel. Par exemple, dans représentée par un certain nombre d’objets asso-
le domaine du vivant, botanique, géologie et zoolo- ciés à son activité de scientifique (sphère astrono-
gie constituent désormais des disciplines séparées. mique, compas, cahier de géométrie). Les parures,
D’Alembert en tire ensuite la conséquence pratique d’autre part, que rappellent ici la robe élégante,
pour la rédaction de l’Encyclopédie : « Nous avons les nœuds, les dentelles, les bijoux, la coiffure très
inséré de là que pour soutenir un poids aussi grand apprêtée. Cette double passion lui valut le surnom
que celui que nous avions à porter, il était néces- de « Madame pompon Newton ».
saire de le partager ; et sur-le-champ nous avons
jeté les yeux sur un nombre suffisant de Savants Mettre en relation
et d’Artistes habiles et connus par leurs talents. »
3. Émilie du Châtelet est représentée de façon allé-
En effet, Diderot et d’Alembert font appel à plus
gorique comme la muse de Voltaire. Celui-ci est en
de 160 auteurs dans l’Europe entière, considérés
train d’écrire son livre Éléments de la philosophie
comme des spécialistes (le chirurgien Antoine
de Newton dont le frontispice est l’illustration. Il a
Louis, le naturaliste Buffon, etc.), ainsi qu’à des
à ses pieds les objets symboliques de la science
praticiens dans les ateliers pour les articles sur les
newtonienne : des livres, un globe terrestre, des
techniques et les métiers.
équerres, un compas, un pendule pour mesurer
les angles. Newton, semblant défier les lois de la
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE gravitation qu’il a lui-même établies, domine sym-
Émilie du Châtelet, femme de science boliquement la scène. Cette représentation est un
hommage rendu par Voltaire à Madame du Châ-
 p. 226-227 telet qui lui a permis de comprendre les idées de
Newton, mais qui, malgré ses qualités de femme
Se repérer de science, n’est pas du tout connue du public
1. Émilie du Châtelet constitue un cas exceptionnel comme l’était Voltaire dont la gloire est rappelée
dans l’histoire des femmes d’abord par sa culture par la couronne de lauriers. On notera néanmoins
scientifique : qu’Émilie du Châtelet est le seul personnage à ne
– dès son enfance, elle ne reçoit pas une éducation pas être pourvu des attributs de la science, rappe-
classique de jeune fille, mais la même éducation lant l’exclusion des femmes du champ scientifique.
littéraire, artistique et scientifique que ses frères ;
– pour parfaire sa formation, elle sollicite plusieurs Porter un regard critique
savants français parmi les plus réputés de son 4. Dans sa lettre, la marquise du Deffand trace un
temps comme Pierre Louis Moreau de Maupertuis portrait cruel et sarcastique d’Émilie du Châtelet
(doc. 1). fondé sur certains préjugés associés aux femmes.
Elle est également exceptionnelle par sa maîtrise Tout d’abord, elle reproche à Émilie du Châtelet un
des enjeux des théories de Newton et Leibniz : excès « d’ardeur » pour la vie mondaine. C’est un
– elle publie des ouvrages (les Institutions de phy- reproche en partie infondé car Émilie du Châtelet
sique en 1740) et traduit l’ouvrage majeur de n’était pas une vraie mondaine : elle n’a jamais
Newton ; tenu salon ni fréquenté régulièrement l’un d’entre
– elle est capable de soutenir une controverse eux dont elle n’appréciait pas l’étiquette. Surtout,
scientifique avec Dortous de Mairan, secrétaire la marquise du Deffand reproche à Émilie du Châ-
perpétuel de l’Académie des sciences : c’est la pre- telet d’avoir trop cherché à s’élever au-dessus des
mière de l’histoire entre un homme et une femme. autres femmes et, pour cela, de s’être approprié
Elle est enfin exceptionnelle par les quelques des mérites qui n’étaient pas les siens. Elle relaie
marques de reconnaissance institutionnelle de ses ainsi les soupçons quant à ses véritables compé-
compétences scientifiques : tences scientifiques (en particulier sur le fait qu’elle
– lorsqu’elle participe au concours de l’Académie ait elle-même écrit les Institutions de physique)
des sciences, son mémoire est publié en 1744, ce et rappelle qu’elle ne doit sa gloire qu’à ses rela-
qui n’avait jamais été le cas pour une femme ; tions avec les hommes et, en particulier, Voltaire.
– en 1746, elle est élue comme membre de l’Aca- La marquise du Deffand se fait ainsi le porte-voix
démie des sciences de Bologne (Italie), ce qui était des préjugés du xviiie siècle concernant les femmes
impossible en France à cette époque. dont l’exclusion du champ scientifique est justifiée
par un discours dévalorisant. Considérées comme
Analyser différentes, voire inférieures, elles sont reléguées
2. Ce portrait d’Émilie du Châtelet met en scène dans la sphère privée, alors que la science appar-
ses deux passions de jeunesse. L’étude, d’une part, tient à la sphère publique.

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 85


Argumenter et s’exprimer POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
5. Le parcours d’Émilie du Châtelet illustre les dif- 1712 : la machine à vapeur
ficultés pour une femme de participer à la Répu-
de Thomas Newcomen  p. 230-231
blique des sciences d’abord en raison des obstacles
auxquels elle a dû faire face : les Institutions de
physique sont d’abord publiées de façon anonyme Se repérer
(avant d’être finalement republiées sous son nom 1. L’invention de la machine à vapeur est le fruit
et traduites en plusieurs langues), seule l’Acadé- d’une succession d’améliorations apportées à
mie des sciences de Bologne l’accueille en son un procédé déjà connu dans l’Antiquité (l’éolipyle
sein, etc. Émilie du Châtelet elle-même déplore d’Héron d’Alexandrie) et redécouvert à la fin du
l’absence de reconnaissance officielle et la tutelle xvie siècle. Ainsi, de Christian Huygens à James
permanente des hommes. Watt, se forme une chaîne d’inventeurs dans
Le parcours d’Émilie du Châtelet illustre les difficul- laquelle s’insère Thomas Newcomen. Celui-ci joue
tés pour une femme de participer à la République un rôle décisif afin de faire de la machine à vapeur
des sciences également en raison des critiques dont une véritable innovation trouvant des applications
elle a fait l’objet. Des critiques masculines, comme dans le domaine industriel. Son apport essentiel
celles de Samuel Koenig, qui tente de s’approprier la réside dans l’utilisation d’un piston alternativement
paternité des Institutions de physique, ou de Dortous soulevé par la pression de la vapeur d’eau chaude
de Mairan qui, vexé par leur controverse, cherche à dans le cylindre et abaissé par la dépression obte-
ridiculiser les capacités scientifiques d’Émilie. Mais nue par la condensation de la vapeur provoquée par
également des critiques féminines : la marquise du une injection d’eau froide.
Deffand dresse un portrait cruel d’Émilie du Châte-
2. L’invention et la diffusion de la machine de Newco-
let : elle tourne en ridicule son apparence physique
et la réduit à être « l’amie déclarée » de Voltaire à men révèlent une diffusion importante des savoirs
qui elle devrait sa renommée. techniques dans l’Europe des xviie et xviiie siècles.
Tout d’abord, les perfectionnements successifs de
Vers le bac la machine à vapeur sont le fruit d’inventeurs hol-
landais, français et anglais. Ensuite, si la première
6. Le xviiie siècle voit le renforcement des préjugés machine de Newcomen est mise en service dans
concernant les supposées différences naturelles l’ouest des Midlands en 1712, elle se diffuse rapi-
entre les hommes et les femmes. Considérées dement dans le reste de l’Europe. Ainsi, en 1726,
comme différentes, voire inférieures, celles-ci l’ouvrier anglais John May demande à obtenir un
sont reléguées dans la sphère privée, alors que la privilège exclusif pour une machine de ce type qu’il
science appartient à la sphère publique et donc aux a introduite en France.
hommes. Ce discours justifie l’exclusion des femmes
des lieux de savoir officiels, malgré quelques excep- Argumenter
tions comme l’Académie des sciences de Bologne,
qui accueille Émilie du Châtelet en 1746. 3. Le cadre réglementaire de diffusion des tech-
Même lorsque les femmes participent à la Répu- niques à l’époque moderne oscille entre deux
blique des sciences, c’est dans une position souvent logiques : celle de la privatisation et celle de l’open
subordonnée. Ainsi, si les femmes sont présentes technology, c’est-à-dire un régime de libre circula-
dans des lieux de savoir informels comme les salons, tion des savoirs. Les privilèges d’invention relèvent
en essor aux xviie et xviiie siècles, c’est pour mettre en de la logique de privatisation. Inventés par la Répu-
valeur les hommes qu’elles y accueillent, en l’occur- blique de Venise à la fin du xve siècle, ils se diffusent
rence des savants réputés. De même, Émilie du Châ- dans d’autres territoires où ils sont appropriés par
telet doit sa formation scientifique à des hommes, les autorités et deviennent des instruments de poli-
même si elle a su ensuite s’affranchir de leur tutelle. tique économique dans un contexte de concurrence
Enfin, les femmes de sciences ont eu à subir des technologique accrue. Le document 4 constitue la
mises en doute sur leurs réelles compétences réponse donnée par l’administration du roi à la
scientifiques, comme ce fut le cas pour Émilie du demande de privilège après avoir consulté l’Aca-
Châtelet. C’est en misant sur ces préjugés que démie des sciences. Les auteurs questionnent cer-
Samuel Koenig tente de s’approprier la paternité taines clauses de cette demande à partir de deux
des Institutions de physique. Mais ces préjugés sont objectifs antagonistes : favoriser la diffusion de la
également véhiculés par des femmes, comme la machine de Newcomen dont l’intérêt économique
marquise du Deffand dans le portrait qu’elle dresse est reconnu tout en n’empêchant pas de nouvelles
d’Émilie du Châtelet. innovations par une protection trop rigide.

86
Mettre en perspective
4.

Invention de la machine à vapeur

Applications dans plusieurs secteurs


économiques, en particulier
les mines

À l’échelle européenne :
À l’échelle locale :
émergence de nouvelles
modification des paysages
régions industrielles

Vers le bac valeurs qui leur préexistaient : ils sont donc impro-
ductifs. Afin d’accroître la prospérité du royaume, il
5. Pour devenir une véritable innovation, une inven-
faut augmenter la production agricole et donc favo-
tion doit être adoptée, mise en œuvre et diffusée
riser l’enrichissement des fermiers. C’est à ce titre
dans le cadre du marché. Cela nécessite donc un
qu’il prône la liberté de commerce des grains.
cadre juridique garantissant la protection de l’ex-
Cet argumentaire économique se double d’un
ploitation des inventions. Dans le cas de la machine
de Thomas Newcomen, celui-ci a d’abord dû s’en- argumentaire moral qui voit dans l’agriculture un
tendre avec Thomas Savery dont le privilège en modèle de vie saine et vertueuse, là où le com-
Angleterre protégeait toutes les machines utilisant merce et l’industrie sont associés au luxe et à l’oi-
la force du feu. Puis, en 1726, l’ouvrier anglais John siveté. Un point de vue politique émerge ici puisque
May demande à obtenir un privilège exclusif pour l’historien John Shovlin voit dans la critique du luxe,
une machine du même type qu’il a introduite en au long du xviiie siècle français, une dimension de
France. Les commissaires Donsenbray et Réau- plus en plus anti-aristocratique et anti-finance.
mur examinent le fonctionnement de la machine
à Passy, sur demande du secrétaire d’État aux Parcours 2
Affaires étrangères Fleuriau de Morville. Leur 1. L’article 1 est extrait de l’Encyclopédie, dont
compte rendu, très positif, conduit l’administra- l’objectif est de rassembler les connaissances de
tion à bien vouloir accorder le privilège. Mais, ayant l’époque.
reçu des inventeurs une proposition de rédaction
2. François Quesnay estime que seule l’agriculture a
détaillée du privilège, elle demande à l’Académie
une véritable utilité pour la prospérité du royaume,
d’en analyser les différentes clauses, en particulier
au contraire de l’industrie et du commerce qui, à
concernant les termes et la durée du privilège.
ses yeux, ne sont pas des activités productives et
sont socialement néfastes.
ÉTUDE Les physiocrates, fondateurs
3. Nicolas-Bernard Lépicié représente le travail à
de la science économique  p. 232 la ferme (alors que beaucoup de ses contempo-
rains comme les frères Le Nain privilégient le quo-
Parcours 1 tidien des paysans). Les personnages s’affairent à
François Quesnay considère que seule l’agriculture des tâches diverses : tirer de l’eau au puits, laver le
est véritablement productive, puisque c’est le seul linge, tisser de l’osier, s’occuper du fourrage. Sur
secteur dont la valeur de la production dépasse les la droite du tableau, une charrette débordante de
coûts ou « avances » (ces dernières incluant les sacs de blé évoque l’abondance des récoltes. À sa
investissements et le profit du fermier). La diffé- manière, Lépicié salue donc l’action des paysans
rence entre les deux constitue le « produit net ». pour la pérennité du royaume.
En revanche, selon Quesnay, le commerce et l’in- 4. Voir les éléments de réponse donnés au Par-
dustrie ne font qu’assembler ou transporter des cours 1.

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 87


ÉTUDE Jean-Rodolphe Perronet, niques, souvent au service de l’État, dans l’aména-
gement urbain, dans la maîtrise de l’eau ou encore
fondateur de l’École des ponts dans les moyens de transport. En effet, grâce à leur
et chaussées p. 233 maîtrise de l’écrit et des mathématiques, ils sont à
l’intersection entre l’artisan et le savant et peuvent,
Identifier à la fois, théoriser et diffuser leurs pratiques.
1. Jean-Rodolphe Perronet a été le fondateur et le
directeur de la future École nationale des ponts et REGARD CRITIQUE p. 234
chaussées de 1747 jusqu’à sa mort. Il a également
été membre de l’Académie royale des sciences à Développer son esprit critique
partir de 1765. 1. On perçoit le nouveau goût pour les sciences
Analyser au siècle des Lumières, tout d’abord dans les
nombreuses publications d’ouvrages de vulgari-
2. Les ingénieurs doivent diffuser leur savoir qui, sation scientifique, ainsi que dans les traductions
sans cela, risque d’être perdu. C’est pourquoi d’ouvrages étrangers, comme celle des Philoso-
Jean-Christophe Perronet préconise que ce savoir phiae Naturalis principia mathematica de Newton
soit théorisé et fixé dans des ouvrages qui asso- entreprise par Émilie du Châtelet. Mais on le per-
cient explications écrites et représentations sché- çoit également dans la multiplication des lieux de
matiques. Ces aspects théoriques doivent être savoirs publics, comme les salons ou les cabinets
appuyés sur des réalisations pratiques ayant fait la de curiosité. Les sciences sont encore néanmoins
preuve de leur réussite. largement réservées aux élites sociales et intellec-
tuelles, même si elles se diffusent également dans
Mettre en relation les couches intermédiaires de la société.
3. Les ingénieurs se distinguent des simples arti- 2. Les lieux de la diffusion scientifique se sont mul-
sans, formés de façon empirique, par leur capacité à tipliés. L’école, obligatoire jusqu’à seize ans, délivre
théoriser leurs pratiques, notamment à l’aide d’ou- une première culture scientifique à travers de
tils mathématiques. Cette articulation des aspects nombreux enseignements. Les musées jouent éga-
théoriques et pratiques est au cœur de la « science lement un rôle important : Palais de la Découverte,
de l’ingénieur » qui s’affirme au xviiie siècle et pré- Cité des sciences et de l’industrie, Muséum d’his-
side à la fondation des écoles d’ingénieurs comme toire naturelle, etc. Il faut y ajouter le réseau régio-
celle des ponts et chaussées en France. nal des centres de culture scientifique, technique
et industrielle ainsi que le réseau de structures
Synthétiser associatives. Il faut également tenir compte des
4. L’intelligence technique des ingénieurs, qui arti- lieux virtuels que constituent les nombreux sites
cule théorie et pratique, permet de rappeler que les à caractère scientifique disponibles sur Internet.
techniques, loin de constituer de simples « sciences En conséquence, on peut parler d’une démocrati-
appliquées », se caractérisent par des évolutions sation de l’accès aux connaissances scientifiques,
autonomes. Elles ont même pu permettre à cer- même si l’essor d’Internet a aussi eu pour revers la
tains savants de résoudre des problèmes auxquels diffusion de connaissances scientifiques falsifiées.
ils étaient confrontés.
S’EXERCER p. 235-237
Vers le bac
5. Hérité du mot médiéval engignour qui quali- Identifier et nommer les dates et acteurs clés
fie celui qui invente des « engins » (instruments,
machines…) et qui est doué d’ingenium (habi- Pompe à eau pourvue Thomas
1712
leté, capacité d’invention), le terme « ingénieur » d’un piston Newcomen
désigne, à l’époque moderne, des experts tech- Invention de la lunette
Galilée 1608
niques du domaine civil et militaire. C’est cepen- astronomique
dant dans la deuxième moitié du xviiie siècle que naît Machine à vapeur James Watt 1769
la figure de l’ingénieur moderne. En effet, à cette Création de l’Académie
Colbert 1666
époque, les ingénieurs connaissent une profession- des sciences de Paris
nalisation croissante, liée à la création d’écoles, Loi de la gravitation
Isaac Newton 1687
comme celle des ponts et chaussées en 1747, et universelle
à leur spécialisation. Ces ingénieurs vont dès lors Première nomenclature Antoine
1787
jouer un rôle décisif dans les progrès des tech- chimique Lavoisier

88
S’approprier un questionnement historique

Questions pour connaître Questions pour expliquer Questions pour interpréter


• Qui est Galilée ? • Pourquoi l’Église condamne- • Que révèle ce procès des relations
• Qu’est-ce que l’Inquisition ? t-elle Galilée ? entre l’Église et la science ?
• À quoi Galilée a-t-il été • Pourquoi Galilée n’a-t-il pas • Pourquoi Galilée est-il devenu
condamné ? été brûlé ? un mythe européen ?
• Galilée est-il le seul à être • Le mythe de Galilée est-il
condamné par l’Inquisition ? conforme à l’histoire ?

Identifier et évaluer les ressources Rédiger une fiche biographique


pertinentes en histoire • Les grandes étapes de la vie de Newton
1. Le site L’Histoire par l’image est édité par l’Éta- – La période de formation (1643-1667) : né à Wools-
blissement public de la Réunion des musées natio- thorpe dans le Lincolnshire, il entre à 18 ans au Tri-
naux et du Grand Palais des Champs-Élysées, nity College de Cambridge où il restera sept ans.
établissement public national à caractère industriel – Enseignement et recherche à Cambridge (1667-
et commercial, placé sous la tutelle du ministère de 1696) : en 1669, Newton obtient la chaire de pro-
la Culture et de la Communication. Il a pour insti- fesseur de mathématiques à l’université de
tutions partenaires le ministère de la Culture et de Cambridge ; en 1672, il devient membre de la Royal
la Communication et celui de l’Éducation nationale. Society dont il deviendra directeur en 1703.
Les auteurs sont des historiens reconnus par la – Politique et recherche à Londres (1696-1727) :
communauté des chercheurs et s’appuient sur des en 1696, il est nommé Directeur de la monnaie
sources référencées. La fiabilité du site est donc et doit donc s’installer à Londres. Il poursuit ses
optimale. recherches scientifiques.
2. Le tableau permet de mettre en scène le rôle des • Les épisodes de la vie de Newton qui l’ont rendu
sciences dans l’éducation de Louis XV. Sont ainsi important à son époque
représentées des disciplines nouvelles comme la – 1669 : parution du De analysi qui introduit le calcul
biologie, l’anatomie, l’astronomie ou la cartogra- infinitésimal, qui est développé et discuté dans les
phie grâce aux instruments qui les symbolisent : décennies suivantes par Leibniz et d’autres.
globe, équerre, astrolabe, compas, cadran solaire. – 1687 : parution des Philosophiae naturalis principia
Ainsi que l’écrit Stéphane Blond, auteur de l’article mathematica qui donne trois lois mathématiques du
consacré au tableau : « Cet attirail scientifique tra- mouvement, expliquant en même temps la gravita-
duit une mutation pédagogique avec un important tion terrestre et céleste.
volet pratique basé sur des exercice. » – 1704 : parution d’Opticks qui défend une idée cor-
pusculaire de la lumière à partir d’expériences sur
Mettre en relation deux documents le prisme.
1. Les deux documents portent sur l’obstétrique ou • La trace laissée par Newton dans l’histoire
encore « l’art des accouchements ». Si les contemporains n’ont pas toujours eu
conscience de l’importance des travaux de Newton,
2. Deux types d’acteurs interviennent ici dans la dif-
celle-ci devient évidente à partir des années 1720
fusion du savoir. Tout d’abord, Angélique-Margue-
et va influencer toute la physique du xviiie siècle. En
rite du Coudray, sage-femme, qui publie en 1752
France, Fontenelle, Voltaire ou Émilie du Châtelet
l’Abrégé de l’art des accouchements et conçoit un
vont contribuer à faire comprendre et diffuser sa
mannequin de démonstration. Ensuite, le pouvoir
pensée. Néanmoins, ils vont également forger le
politique, en la personne de Louis XV, qui lui délivre
mythe du génie solitaire, qu’attesterait l’épisode de
un brevet royal l’autorisant à donner des cours dans
la pomme, porteur d’une véritable révolution scien-
tout le royaume.
tifique. Les historiens actuels ont mis en cause ce
3. L’ouvrage et le mannequin sont complémen- mythe en montrant comment Newton s’insérait
taires dans la diffusion du savoir au xviiie siècle dans dans un réseau de savants européens avec les-
la mesure où ils permettent d’articuler la théorie et quels il n’a jamais cessé de correspondre.
la pratique et de s’adresser à des publics diversi-
fiés, aussi bien lettrés que populaires.

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 89


Identifier et nommer les continuités proposés malgré la vigilance des contributeurs
et ruptures chronologiques réguliers. Depuis 2010, des partenariats signés
avec des organismes officiels (Bibliothèque natio-
• Les arguments montrant que le xviie siècle connaît
nale de France, British Museum, ville de Toulouse,
des mutations sur le plan scientifique :
Château de Versailles) permettent d’enrichir l’en-
– la remise en question des visions du monde et des
cyclopédie de façon fiable.
pratiques scientifiques ;
– le rôle de grandes figures comme Galilée, Des-
cartes, Boyle et Newton.
• Les arguments montrant que le xviie siècle est MÉTHODE VERS LE BAC p. 239
marqué par des continuités sur le plan scientifique :
– la coexistence d’éléments religieux et scienti- Rédiger une réponse à un sujet
fiques pour expliquer le monde chez un savant
comme Newton ; Sujet 2 : Qui sont les acteurs et les actrices
– la persistance de l’influence de l’orthodoxie des progrès scientifiques et techniques
religieuse dans des institutions d’enseignement aux xviie et xviiie siècles ?
comme les universités.
Consigne : Vous présenterez les différents acteurs
qui ont fait naître et se développer les progrès
Passé & Présent
scientifiques et techniques tout en insistant sur le
1. La page d’accueil de Wikipédia met d’abord en rôle de ceux et celles qui ont facilité la réalisation
valeur le caractère libre de cette encyclopédie, par de ces progrès.
l’évocation de son slogan (« l’encyclopédie libre
que chacun peut améliorer ») et par la présence Étape 1. L’introduction
de nombreux onglets rappelant la possibilité pour
Analyse du sujet
chaque internaute de contribuer à la rédaction des
Longtemps les historiens qui étudiaient les progrès
articles. Elle met également en valeur le caractère
mondial de cette encyclopédie, par la présence du scientifiques aux xviie et xviiie siècles se sont sur-
logo de Wikipédia, un globe incomplet composé de tout intéressés aux savants restés célèbres. Mais
pièces de puzzle sur lesquelles sont inscrits des ceux-ci, loin d’être des génies isolés, se sont en
caractères issus de différents systèmes d’écriture. réalité appuyés sur une foule d’acteurs anonymes
Enfin, elle met en valeur l’importance quantitative qui ont souvent joué un rôle d’intermédiaires et
de Wikipédia, en rappelant le nombre d’articles et ainsi facilité la réalisation de ces progrès.
le nombre de contributeurs enregistrés actifs sur la Fil directeur
version française du site. Il s’agira de montrer comment les progrès des
2. Le système de l’Encyclopédie reposait sur le sciences et des techniques aux xviie et xviiie siècles,
choix d’auteurs reconnus comme compétents dans incarnés par quelques figures héroïques de
leur domaine. Les auteurs chargés des articles savants, n’ont été rendus possibles que par la pré-
techniques menaient des enquêtes auprès des sence de très nombreux acteurs souvent anonymes
experts en la matière, artisans ou ingénieurs. Ce et invisibles aux yeux de l’histoire.
système avait pour objectif de rassembler et de Annonce du plan
diffuser auprès du plus grand nombre la somme Nous verrons, dans une première partie, le rôle des
des connaissances de l’époque. Les avantages de savants et des techniciens dont le nom est souvent
ce système sont donc à la fois l’exhaustivité et la resté dans l’histoire puis, dans une deuxième par-
fiabilité des connaissances qui y figurent. Néan- tie, le rôle des acteurs intermédiaires et souvent
moins, par son volume et eu égard aux techniques invisibles.
de l’époque, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
reste un objet très cher qui n’est donc pas acces- Étape 2. Le développement
sible à tous.
Les avantages de Wikipédia résident dans son PARTIE 1 : Les savants et les techniciens, promo-
accessibilité, sa capacité à être actualisée en per- teurs des progrès scientifiques et techniques aux
xviie et xviiie siècles.
manence et dans les liens vers les autres articles
qui permettent une circulation rapide (ce que per- Idée générale
mettait aussi l’Encyclopédie de Diderot et d’Alem- Les progrès des sciences et des techniques aux xviie
bert par son système de renvois entre articles). et xviiie siècles sont d’abord portés par des savants
Néanmoins, son mode même de production induit et des techniciens dont le nom est souvent resté
une qualité et une fiabilité inégales des articles dans l’histoire.

90
Idée secondaire 1 Transition
Les progrès scientifiques ont longtemps été incar- Les acteurs évoqués jusqu’alors sont tous des
nés par des figures de savants célèbres, présentés hommes ; or certaines femmes ont également joué
comme les « héros » de la révolution scientifique. un rôle important.
Le savant se définit comme un érudit, celui qui sait. Idée secondaire 3
Cette figure du savant connaît des évolutions aux Si les femmes sont exclues des lieux de savoir offi-
xviie et xviiie siècles. Tout d’abord, en raison de l’essor ciels à partir du xviie siècle au nom d’un discours les
des connaissances, la figure du spécialiste rem- reléguant dans l’espace privé, certaines sont néan-
place progressivement celle du savant universel de moins parvenues à jouer un rôle important, soit par
la période de l’humanisme. Ensuite, le parcours de leurs travaux personnels, soit par leur rôle social
ces savants s’inscrit de plus en plus dans le cadre dans la circulation des connaissances. En effet,
d’une « carrière ». Cette évolution est encouragée certaines d’entre elles, comme Madame Geoffrin,
par la création des académies. accueillent dans leurs salons des savants réputés.
Exemple Exemple
L’Italien Galilée est l’incarnation type du savant du Émilie du Châtelet est souvent présentée comme
xviie siècle. Astronome et mécanicien, son nom reste l’exemple type de la femme de sciences. Elle se
attaché à des évolutions scientifiques décisives, en forme aux sciences dès son plus jeune âge, puis
particulier la promotion de la démarche hypothéti- tout au long de sa vie auprès des savants les plus
co-déductive, le recours à l’observation grâce à la réputés de son époque. Elle contribue à la diffusion
lunette astronomique et la formulation de l’héliocen- de la pensée de Newton en France par son travail
trisme. Il a par ailleurs su se construire une carrière de traduction. Enfin, elle produit elle-même des
grâce à ses talents de courtisan, qui lui permettent écrits scientifiques et participe aux controverses de
d’intégrer la cour de Cosme de Médicis. son temps.
Transition Transition
Les scientifiques ne sont pas les seuls acteurs des La tendance à l’héroïsation des savants a long-
progrès scientifiques et techniques car ils ont éga- temps fait oublier un ensemble d’acteurs qui gra-
lement bénéficié du rôle de nombreux techniciens, vitent autour d’eux et dont le rôle a été nécessaire
ingénieurs et artisans. aux progrès scientifiques et techniques aux xviie et
Idée secondaire 2 xviiie siècles.
Les ingénieurs et artisans ont joué un rôle décisif,
longtemps sous-estimé par les historiens. Or les PARTIE 2 : Les « invisibles » et les intermédiaires,
techniciens et les savants se rencontrent dans cer- des acteurs nécessaires aux progrès scientifiques
tains lieux comme les chantiers. Galilée lui-même et techniques aux xviie et xviiie siècles.
rappelle combien la visite de l’arsenal de Venise a Idée générale
été pour lui source d’inspiration. Par ailleurs, le sta- Un grand nombre d’acteurs, de natures différentes,
tut des techniciens est revalorisé grâce à des insti- sans être eux-mêmes directement à l’origine de
tutions privées comme la Royal Society of Arts créée progrès scientifiques et techniques, ont néanmoins
en Angleterre en 1754. Il faut signaler que les ingé- rendu possibles ces derniers.
nieurs se distinguent des artisans par leur capacité Idée secondaire 1
à passer par les mathématiques pour résoudre des Dans l’entourage des savants, on trouve des assis-
problèmes pratiques. Ils connaissent un processus tants et des apprentis dont le rôle est croissant
de professionnalisation, notamment par la création avec l’émergence de nouveaux lieux de production
d’écoles, souvent à l’initiative des États. de savoirs comme les laboratoires. Ce sont des
Exemple « invisibles », dans la mesure où ils ne disposent
Jean-Rodolphe Perronet constitue un exemple d’aucun crédit en tant que producteurs du savoir.
frappant du rôle des ingénieurs dans les progrès La plupart du temps, il est d’ailleurs presque
scientifiques et techniques. Il se spécialise dans la impossible pour les historiens de retrouver leur
construction de ponts (il a par exemple réalisé celui trace. Ajoutons que les femmes sont bien souvent
de la Concorde à Paris) et la création de routes. Il actives comme assistantes dans les laboratoires et
est chargé par le roi de la formation des ingénieurs les ateliers.
des ponts et chaussées et crée l’école du même Exemple
nom en 1747. Il fait l’objet d’une reconnaissance Robert Hooke constitue un exemple atypique de ces
importante puisqu’il est choisi pour faire partie des assistants, dans la mesure où il est finalement par-
rédacteurs de l’Encyclopédie et entre à l’Académie venu à s’émanciper et à laisser un nom dans l’his-
royale des sciences en 1765. toire. Il entre en effet dans l’équipe de Robert Boyle

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 91


en 1655 et participe à l’élaboration de la pompe à les ingénieurs, mais aussi les artisans, les assis-
air dont il est finalement l’artisan principal. Il déve- tants, les apprentis, etc. auxquels il faut ajouter les
loppe ainsi ses compétences au point de publier un princes dans un registre différent.
ouvrage sur l’usage du microscope (Micrographia, Bilan
1665) et de participer à des controverses savantes Si la société n’a souvent retenu qu’un petit nombre
avec Newton, Hobbes ou Huygens. de figures héroïques de savants, les historiens ont
Transition montré qu’en réalité les progrès n’ont été rendus
Si les assistants interviennent directement dans possibles que par le rôle d’une foule d’acteurs,
le processus de production du savoir, il existe souvent anonymes.
d’autres acteurs qui, sans intervenir directement, Ouverture
sont néanmoins indispensables en jouant un rôle La figure du génie isolé et désintéressé reste l’un
d’intermédiaire. des grands mythes modernes liés à la science, dont
Idée secondaire 2 l’incarnation la plus forte est sans doute Albert
De nombreux intermédiaires jouent un rôle essen- Einstein dans la première moitié du xxe siècle.
tiel dans les progrès scientifiques et techniques et
leur diffusion. Il s’agit des imprimeurs, des gra-
veurs et des dessinateurs, mais aussi des fabri-
TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 240
cants d’instruments. Ce sont donc des artisans
passés par l’apprentissage et le compagnonnage et
qui viennent de milieux sociaux urbains. Réfléchir par hypothèses à partir
Exemple d’un document
Parfois, certains d’entre eux percent dans l’activité
scientifique, comme Francis Hauksbee, fabricant Entraînement : Sciences et pouvoir au xviie siècle
d’instruments pour les activités de la Royal Society,
et qui en devient membre en 1706 par l’intervention Étape 1. Identifier le problème historique
d’Isaac Newton. posé par le document
Transition Le document
Ces intermédiaires sont issus de couches modestes Il s’agit d’un tableau d’Henri Testelin montrant Col-
de la société, au contraire du dernier type d’acteur bert présentant à Louis XIV les membres de l’Aca-
évoqué : les princes. démie royale des sciences créée en 1666.
Idée secondaire 3 Les enjeux
Les princes jouent également un rôle d’intermé- Le tableau représente une scène imaginaire qui n’a
diaire de plus en plus actif aux xviie et xviiie siècles. en réalité jamais eu lieu. De même, cet espace fictif
En effet, dans le contexte d’une concurrence s’ouvre sur l’Observatoire qui est alors en cours de
accrue entre les États européens, les princes construction.
voient dans la science une manière d’affirmer Le problème posé par le document
leur prestige et de gagner du terrain sur l’adver- Pourquoi Henri Testelin a-t-il représenté avec un
saire, tout en exploitant les applications pratiques soin très particulier et soucieux de réalisme une
potentielles. Cette politique passe souvent par la scène qui n’a jamais eu lieu ?
création de lieux de savoir institutionnels, comme
les académies. Étape 2. Construire ses hypothèses
Exemple Exemples
La création de l’Académie royale des sciences de 1. Je suppose que certains des personnages repré-
Paris en 1666 par Louis XIV marque la volonté de sentés n’étaient en réalité pas membres de l’Aca-
Louis XIV de placer la réflexion scientifique et tech-
démie royale des sciences, mais que Henri Testelin
nique sous la tutelle de l’État et permet à la France
les a représentés pour plaire au roi.
d’attirer des savants étrangers renommés, comme
2. Je suppose qu’Henri Testelin voulait mettre en
le Hollandais Christian Huygens ou l’Italien Jean
scène le rôle du roi dans le domaine scientifique en
Dominique Cassini.
le représentant dans un lieu et en compagnie de
savants prestigieux.
Étape 3. La conclusion
3. Je suppose qu’Henri Testelin a représenté la
Réponse à la question scène avant qu’elle ait lieu et que la présentation
Les acteurs des progrès scientifiques et techniques officielle des membres de l’Académie royale des
aux xviie et xviiie siècles sont à la fois les savants et sciences au roi a finalement été annulée.

92
Étape 3. Vérifier son hypothèse et justifier sortes et des artistes qui jusqu’alors assuraient (ou
son interprétation avaient assuré) la prééminence des dynasties et des
puissances concurrentes : en 1666, le roi accorda
Validation ou non des hypothèses
ainsi au Hollandais Christiaan Huygens, spécialiste
1. Non : tous les personnages ont bien été des
notamment d’instruments d’optique, outre un loge-
membres de l’Académie royale des sciences et ils
ment, une gratification de 6 000 livres par an ; trois
sont tout à fait identifiables du fait du soin que le
ans plus tard, il offrit 9 000 livres à l’Italien Jean
peintre a apporté leur portrait.
Dominique Cassini et lui confia la direction de l’Ob-
2. Oui : la création de l’Académie des sciences
correspond pour le roi à la volonté non seule- servatoire. »
Joël Cornette, « Colbert présente à Louis XIV les membres
ment de mettre en scène sa gloire dans un nou- de l’Académie royale des sciences », Histoire par l’image
veau domaine (les sciences) mais aussi d’attirer en [en ligne], http://www.histoire-image.org/fr/etudes/colbert-
France des scientifiques de toute l’Europe à même presente-louis-xiv-membres-academie-royale-sciences.
de faire bénéficier le royaume de leurs savoirs et de
leurs compétences. Parmi les premiers membres
de l’Académie figurent d’ailleurs déjà des savants
étrangers comme Dominique Cassini ou Christian
TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 241
Huygens.
3. Non : il ne s’agit pas d’une anticipation, mais Distinguer plagiat et travail personnel
bien d’une scène imaginaire. La première séance
de l’Académie des sciences avait eu lieu le Entraînement : Galilée a-t-il vraiment bouleversé
22 décembre 1666 dans la bibliothèque du roi, rue la science ?
Vivienne à Paris, mais en l’absence de ce dernier. Galilée est resté dans l’histoire comme celui qui
Interprétation a été condamné par l’Église en 1633 pour avoir
En peignant une scène imaginaire où Colbert pré- défendu la thèse de l’héliocentrisme. Mais celle-ci
sente à Louis XIV les membres de la nouvelle Aca- n’est pas véritablement nouvelle puisqu’elle avait
démie royale des sciences, Henri Testelin a surtout déjà été affirmée par Copernic au siècle précédent.
voulu mettre en scène le rôle du roi dans un contexte Mais, ainsi que le rappelle Massimo Buccianti, dans
où les États européens se font concurrence sur le un entretien donné à la revue L’Histoire en octobre
plan scientifique et cherchent à attirer les savants 2017, « au début du xviie siècle, la thèse de Copernic
les plus réputés. Ce tableau, qui représente parmi selon laquelle c’est la Terre qui tourne autour du
les membres de l’Académie l’Italien Dominique soleil (héliocentrisme) n’avait encore connu qu’une
Cassini ou le Hollandais Christian Huygens, sert diffusion limitée et personne ou presque ne mettait
non seulement à mettre en scène la gloire royale en question la différence ontologique entre le ciel
mais aussi à attirer d’autres savants. et la Terre ». Or, par l’utilisation de la lunette astro-
Aide : le point de vue d’un historien nomique pour observer le ciel et ainsi confirmer la
« Il ne s’agissait pas seulement pour Louis XIV d’exer- thèse de l’héliocentrisme, Galilée élabore une nou-
cer un mécénat intéressé en subventionnant des velle philosophie de la nature, « ce qui contraint à
hommes de sciences, mais aussi d’attirer en France repenser la hiérarchie traditionnelle des espaces
savants et artisans spécialisés pour développer les en réduisant à néant la conviction, alors bien
connaissances utiles à l’économie du royaume, et ancrée, qu’il existait une différence fondamentale
de capter les savoir-faire des techniciens de toutes entre la Terre et les corps célestes ».

Chapitre 7 – Les Lumières et le développement des sciences (xviie-xviiie siècles) 93


CHAPITRE 8 T
 ensions, mutations et crispations de la société
d’ordres (xviie-xviiie siècles) Manuel p. 244-277

Pourquoi la société d’ordres est-elle fragilisée à l’époque moderne ?

I. Introduction
Deux éléments sont à prendre en compte pour appréhender ce chapitre.
Perspective du programme : le chapitre 8 est à replacer dans l’étude plus large de l’époque moderne.
Les programmes de Seconde donnent une place majeure à cette période (plus de la moitié de l’année
avec 36 heures). Ce chapitre est à mettre en prolongement direct avec ceux du thème 3 consacrés à
l’affirmation de l’État royal. Ce thème, plutôt politique, est complété par ce chapitre, plutôt écono-
mique et social.
Enjeux historiographiques : communément, dans les anciens programmes, l’époque moderne était
étudiée en creux sous le prisme de sa disparition avec la Révolution française. Il faut veiller ici à ne
pas tomber dans ce piège téléologique révolutionnaire et républicain : les injustices de cette période
ne pouvaient que disparaître. Il faut veiller à étudier cette période pour elle-même. Il convient donc
de prohiber l’expression « Ancien Régime » qui, par définition, est postérieure et construite par la
Révolution. Cette expression est justement questionnée dans la page consacrée au regard critique
porté sur l’histoire. Il faut aussi rappeler que l’organisation juridique et sociale de l’époque moderne
a fonctionné près de mille ans et qu’une forme de mobilité sociale en a assuré le maintien. On peut
même considérer que cette mobilité a favorisé une partie de l’émergence de la bourgeoisie (acquisi-
tion de charges anoblissantes, possibilité de mariages, achat de terres…). Il s’agit donc d’en montrer
les permanences qui prennent racine dans l’époque médiévale (justification juridique et religieuse de
la société d’ordres et de la féodalité) tout en montrant les dynamiques et mutations qui ont pu la faire
évoluer. La question des rébellions doit aussi être déconnectée de la notion de Révolution/révolution.
La plupart des émotions et révoltes ne remettent pas en cause l’ordre politique et social comme en
témoigne l’étude sur les Nu-pieds et l’expression « Vive le roi sans la gabelle ». On peut cependant
montrer que la fin du xviiie siècle est marquée par une recrudescence des occurrences de révoltes et
par des blocages politiques (échec des réformes), financiers (question du financement fiscal de la
dette) et sociaux (aspirations nouvelles des élites du tiers). C’est ainsi que le chapitre du manuel se
clôt sur la convocation des États généraux, élément déclencheur de ce que sera la Révolution doré-
navant étudiée en Première.

II. Du programme au manuel


La double page d’ouverture, par le document consacré à la capitation, permet d’aborder le chapitre
de façon problématique. La question fiscale est au cœur des enjeux du chapitre. L’impôt témoigne des
inégalités et des hiérarchies juridiques et économiques. Cependant, la capitation permet de sortir de
cette image réelle mais habituelle (le tiers sous la forme d’un pauvre paysan supportant sur son dos
les ordres privilégiés) en montrant des classes aisées (ici probablement des nobles) payer l’impôt. Ce
document permet donc de poser la question de la répartition de l’impôt à l’époque moderne, question
qui provoquera la convocation des États généraux à la fin du chapitre.
La double page Notions permet d’articuler les enjeux et thèmes du chapitre. Les inégalités sociales
sont au fondement de l’époque moderne ; elles définissent des hiérarchies juridiques et économiques
et justifient la pratique de la traite comme un symbole extrême. Cependant, cette société « fonc-
tionne » grâce à la mobilité sociale possible qui aide notamment à « supporter » la société d’ordres et
permet le passage de l’un à l’autre. Cependant, en cas de crise de subsistance ou de pression fiscale,
les inégalités deviennent moins supportables et cela provoque des révoltes régulières. Ces quatre
notions permettent donc de mobiliser les termes clés du chapitre : tensions, mutations et crispations.
La double page Cartes vise à montrer, avec la carte 1, l’entrelacs de limites et circonscriptions fiscales
qui témoigne des inégalités de la société. Ces inégalités sont aussi visibles dans la carte 2 du point

94
de vue de l’inégale pression seigneuriale dans une société à 80 % rurale. La carte 2 cible également
la question des tensions à travers la répartition et la fréquence des révoltes tant rurales qu’urbaines.
Une dimension diachronique est intégrée pour distinguer les xviie et xviiie siècles de ce point de vue. Il
s’agit notamment de montrer la question de la fronde parlementaire comme symbole des tensions et
le rôle de Paris comme lieu de « concentration » des crispations et mutations.
La première double page de cours cible le monde rural pour deux raisons majeures. D’une part, du
fait du caractère majoritairement rural de la société d’alors et, d’autre part, pour montrer les pesan-
teurs qui s’y manifestent. C’est en milieu rural que s’expriment le plus les héritages médiévaux et
féodaux dont est issue la société d’ordres. On y repère donc les inégalités et hiérarchies sociales mais
aussi les facteurs des tensions et rébellions fréquentes. Il ne s’agit pas non plus d’avoir une approche
figée. Le cours évoque ainsi les mutations techniques, sociales et économiques.
L’étude sur les paysans vise à appuyer le Cours 1 en montrant le poids du monde paysan (80 % de la
population) mais aussi sa diversité tout en l’articulant à la question de son encadrement (politique,
juridique et fiscal).
Le point de passage et d’ouverture sur la révolte des Nu-pieds est une bonne illustration de la méca-
nique et des étapes d’une révolte, ici rurale. On y repère les principaux acteurs dans les trois ordres
et on y voit le rôle de la question fiscale dans le déclenchement des rébellions et émotions d’alors.
La deuxième double page de cours cible cette fois le monde urbain. Le milieu urbain est particulière-
ment intéressant car il est, comme le milieu rural, très marqué par les hiérarchies juridiques héritées
de l’époque médiévale (corps, communautés, corporations). Mais le monde urbain est aussi celui où
s’expriment les nouvelles dynamiques et la mobilité sociale. Il voit se concentrer et se côtoyer les
élites des trois ordres et, particulièrement, la nouvelle aristocratie de la bourgeoisie négociante et
industrielle et la noblesse de robe.
Le point de passage et d’ouverture sur les riches et les pauvres à Paris illustre le Cours 2 sur le
monde urbain et témoigne des inégalités, des hiérarchies et de la mixité sociale. Paris apparaît
comme un reflet des catégories et des dynamiques de l’ensemble de la société française. Les couches
sociales inégales sont à la fois visibles dans les documents iconographiques et le texte, mais aussi
dans les deux documents produits (carte et statistiques).
Le point de passage et d’ouverture sur les ports français et l’économie de plantation et de traite
porte là encore sur le milieu urbain. Il s’agit cette fois d’aborder les inégalités et les tensions du point
de vue de la question de l’esclavage. Le choix de Bordeaux tient à l’importance de ce port dans le sys-
tème de la traite. Les documents jouent sur les échelles et visent à incarner les territoires, les acteurs
et les débats que suscite cette question.
La troisième double page de cours vise à dresser un bilan des tensions et mutations sociales à la fin
du xviiie siècle pour ne pas dire à la veille de la Révolution française. Sans faire de téléologie, il s’agit
de montrer les blocages sociaux qui font que la société d’ordres semble ne plus pouvoir constituer
un système équilibré. Le phénomène de « réaction » mais aussi et, surtout, la question financière du
royaume et l’incapacité à se réformer aboutissent à la convocation des États généraux. Les cahiers
de doléances sont un bon témoignage des nouvelles aspirations et des contradictions sociales. On y
retrouve, en guise d’ellipse, la question du paiement de l’impôt qui avait ouvert le chapitre (document
sur la capitation).
L’étude sur Madame de Pompadour illustre, comme un des axes du programme y invite, la ques-
tion de la présence de « femmes d’influence » dans la société de l’époque moderne. Le parcours de
Madame de Pompadour offre un bon exemple de la possible mobilité et de l’ascension sociale. C’est
même un exemple « extrême » au sens où Madame de Pompadour, d’origine bourgeoise, arrive aux
plus hautes sphères de l’État (le roi) et de la société (la cour).
L’étude sur la crise financière du royaume montre que la question financière est incontournable pour
évoquer les blocages et les tensions sociales, économiques et politiques de la fin du xviiie siècle. Les
documents permettent de faire écho au Cours 3 en évoquant les oppositions et contradictions entre,
d’un côté, la fronde parlementaire (et au-delà la réaction nobiliaire qui s’attache à ses privilèges fis-
caux) et, d’un autre côté, les aspirations sociales du tiers perceptibles dans les cahiers de doléances.

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 95


Le point de passage et d’ouverture sur le salon de Mme Geoffrin permet de voir une deuxième femme
d’influence et l’ascension sociale possible de celle-ci. L’étude d’un salon illustre en outre comment se
côtoient les élites aristocratiques et intellectuelles et comment se diffusent les idées des Lumières.
En cela, les salons sont une autre explication des tensions, voire des remises en cause de la société
d’ordres et des inégalités juridiques.

BIBLIOGRAPHIE
-- Benoît Garnot, Les Campagnes en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Ophrys, 2000.
-- Benoît Garnot, Les Villes en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Ophrys, 2002.
Deux études adaptées au plan adopté (campagnes et villes) dans le chapitre.
-- François Hincker, Les Français devant l’impôt sous l’Ancien Régime, Flammarion, 1971.
Un ouvrage assez ancien mais qui fait un très bon état des lieux dans la perspective de l’écriture
du programme : nature, quotité, assiette des impôts et questions des soulèvements populaires.
-- Vincent Milliot et Philippe Minard, La France d’Ancien Régime, Armand Colin, 2018.
Un ouvrage général très récent sur la période d’étude.
-- Yves-Marie Bercé, Croquants et Nu-pieds, Éditions Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1991.
-- Jean Nicolas, La Rébellion française : mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789,
Le Seuil, 2002.
Deux ouvrages qui couvrent pour le premier les rébellions du xviie siècle et pour l’autre davantage celles du xviiie.
-- Gauthier Aubert, Révoltes et répressions dans la France moderne, Armand Colin, 2018.
-- Michel Figeac, État, pouvoirs et contestations politiques dans les monarchies française et
britannique, Armand Colin, 2018.
Deux ouvrages récents sur la question des tensions sociales et de l’esprit de rébellion à l’époque moderne
(acteurs et causes majeures).
-- DIDADOC : www.archives-manche.fr/pages/dl?f=customer_32%2Fblog%2Fdidacdoc_15.pdf
Un dossier complet des archives de la Manche sur la révolte des Nu-pieds.

III. Corrigés

OUVERTURE DE CHAPITRE  p. 244-245 personnages à payer cet impôt. Il est enfin qualifié
de « modique » ou de « taxe légère » pour en mini-
1. La gravure se décompose en deux parties divi- miser le coût.
sées par un mur ou couloir distinguant deux caté- 3. Cet impôt est singulier dans le paysage fiscal de
gories de personnages. À gauche, les collecteurs cette époque car il est payé par tous, alors que les
des impôts. Ce sont des officiers qui ont acheté une autres impôts directs et indirects sont très inéga-
charge pour lever cet impôt au nom du roi. Celui qui lement répartis socialement (privilégiés) et géo-
est en train d’écrire consulte et consigne la quotité graphiquement (coutumes et quotités de la gabelle
de l’impôt prélevé en fonction de la classe de la per- par exemple). Il montre donc la volonté royale de
sonne devant lui (il existe 22 classes). À droite, les rendre l’impôt plus « universel ». Les résistances
contribuables de cet impôt. Au vu des tenues des sont cependant fortes dans les ordres privilégiés
femmes et hommes présents (coiffes, robes, cha- qui restent très attachés au caractère exceptionnel
peaux, jabots…), on peut penser qu’il s’agit essen- de l’impôt. La capitation sera ainsi abandonnée en
tiellement de nobles. Leurs attitudes semblent 1698. Et Louis XV et Louis XVI échoueront à imposer
signifier un certain empressement à s’acquitter un impôt permanent payé par tous, y compris les
de cet impôt (bras levés avec les bourses, légers nobles et le clergé.
sourires). Ce sentiment est renforcé par le texte
d’accompagnement et par l’effet de foule en file CARTES  p. 248-249
indienne, de bousculade le long du mur formant un
couloir. 1. Les révoltes du xviie siècle sont plus rurales et
2. L’impôt est présenté comme une « loi », un diffuses dans de vastes régions. Les villes sont
impératif de la « paix » (texte). Cela se traduit touchées par extension de la révolte rurale. Les
sur le dessin par l’engouement manifesté par les révoltes du xviiie siècle sont plus ponctuelles dans

96
le temps et dans l’espace. Elles frappent davantage peuvent faire référence aux enclosures. Ces élé-
les villes notamment du fait de la fronde parlemen- ments étaient favorisés par le mouvement des phy-
taire ou des crises de subsistance. siocrates (voir l’étude p. 232).
2. À l’image de la révolte des Nu-pieds, les régions
de rébellions peuvent bénéficier de privilèges Vers le bac
qu’elles sont soucieuses de préserver. Il s’agit sou- 5. À partir des documents 3 et 4, on peut établir une
vent de régions intégrées tardivement au royaume réponse selon le plan suivant :
et attachées à leurs particularismes (Bretagne). Il – Une certaine frugalité de vie quelles que soient
existe aussi un lien entre rébellions et régions du les situations
royaume où la pression de l’ordre royal ou seigneu- – Une diversité de situation sociale : à repérer dans
rial peut se faire plus forte, et donc exaspérer les le doc. 3 à partir de l’observation des vêtements
révoltes en cas de crise de subsistance. (voir réponse 3 ci-dessus) et de l’intérieur paysan.
3. Les deux cartes montrent des inégalités en – Une diversité de situations fiscales (à établir
termes de pression seigneuriale (et donc d’impôts à partir du doc. 4) : évoquer la répartition par la
« locaux »), de poids des impôts royaux comme la communauté d’habitants et l’inégal poids selon la
gabelle (dont la quotité est très contrastée selon le richesse perceptible.
statut fiscal des provinces), de présence d’institu-
tions de « contre-pouvoir » (les parlements) et, par
voie de conséquence, de fréquence des rébellions. POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
La révolte des Nu-pieds
ÉTUDE Être paysan (1639-1643) p. 254-255
à l’époque moderne  p. 252-253
Se repérer
Se repérer 1. La Normandie était en régime de grande
1. La diversité s’exprime en termes de nature des gabelle (taxe élevée) sauf le Cotentin, en régime de
impôts (directs et indirects) et en termes d’échelles quart-bouillon (impôt payé sur un quart de la pro-
(impôt royal/seigneurial) et d’ordres ou d’autorité duction de sel).
(impôts dû au roi, au seigneur, au clergé).
Contextualiser
Contextualiser 2. C’est une révolte fiscale car elle se déclenche à
2. Le paysan cache une partie de sa nourriture pour l’annonce de l’abandon du privilège de quart-bouillon
minimiser sa situation financière. En effet, cer- et la chanson évoque « l’affranchissement des
tains des impôts comme la taille sont répartis par impôts de la gabelle ».
la communauté d’habitants des paroisses (doc. 1).
S’il est considéré comme riche, le paysan paiera Analyser
davantage d’impôt. 3. La violence est visible aux corps gisant au sol, à
la présence d’un pendu, d’un personnage décapité
Analyser et d’un autre éviscéré, aux nombreuses scènes de
3. On peut distinguer trois catégories sociales dont combat d’homme à homme, aux armes ou outils
deux catégories paysannes. Le propriétaire des agricoles détournés en armes (fléaux).
terres (?) pas forcément paysan et peut-être urbain 4. Le document 5 permet de constater la présence
(tenue différente). En position centrale, il tient le de personnes des trois ordres quels que soient « les
couteau et dispose du pain. À gauche, le « labou- camps » : les insurgés ou les personnes visées. On
reur », ou paysan aisé, avec sa femme à ses côtés. trouve par ailleurs tout le « spectre » des catégo-
Il s’agit peut-être de sa maison. À droite, un jour- ries sociales, des paysans aux bourgeois, des hobe-
nalier, paysan qui offrait sa force de travail à qui reaux à la noblesse urbaine, du bas au haut clergé
veut l’engager. C’est la catégorie la plus pauvre urbain.
comme en témoignent ses vêtements abimés et
son absence de chaussures. Argumenter
5. Il ne s’agit pas d’une opposition des ordres pri-
Connaître
vilégiés contre le tiers quand bien même il s’agit
4. On peut repérer une diversité d’outils et tech- d’une révolte fiscale qui ne concerne finalement
niques (charrue/labour). Certains arbustes et haies que le tiers. Le bas clergé et la petite noblesse

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 97


rurale (hobereaux) se rangent du côté des insurgés catégories sociales : aristocratie, pauvres urbains,
qui s’en prennent à d’autres catégories du tiers ou paysans.
de la noblesse (receveurs des impôts notamment).
Il y a plus une dimension d’opposition entre tradi- Contextualiser
tions locales et pouvoir central, entre mondes rural
4. Les documents 3 et 5 permettent de montrer des
et urbain.
« tensions » entre les catégories pauvres de Paris
(habitants des faubourgs) et les catégories les plus
Vers le bac
aisées (se déplaçant en carrosse, ayant de belles
6. Causes : contexte de pression fiscale et rumeur tenues) qui peuvent à la fois faire preuve de mépris
de fin du privilège de quart-bouillon qui entraîne pour les miséreux (doc. 5) ou être victimes de vols
l’assassinat d’un représentant du pouvoir royal pris (doc. 3).
pour un « financier ».
Déroulement : diffusion et généralisation de la Argumenter en histoire
révolte à la fois sociale (« constitution de l’armée
5. Éléments témoignant de :
de souffrance » qui fédère surtout des paysans
– concentration humaine : densité du bâti et hau-
sauniers, le petit peuple urbain, des hobereaux et
teur des immeubles, foule sur le Pont-Neuf (pro-
le bas clergé) et géographique (partie d’Avranches,
miscuité, « embouteillage »). Le texte du doc. 5
la révolte se généralise à la Normandie et à une
évoque « 800 000 hommes entassés » ;
partie de la Bretagne y compris les villes).
– mixité : coexistence de différents ordres, métiers
Conséquences : exercice de la violence par les
et catégories sociales, porosité entre le rural et
insurgés, mais également par la répression opé-
l’urbain (présence de paysans, de bétail) ;
rée, d’abord, par les autorités locales et, ensuite,
– tensions : vol, mendicité, inégalités sociales
par l’armée royale (exécutions, emprisonnements,
(« 800 000 hommes entassés et 200 000 gourmands
torture).
ou gaspilleurs »).
En règle générale, les révoltes se terminent par
une amnistie royale.
Vers le bac
6. Paris est un condensé de la société française du
POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE xviiie siècle en termes :

Riches et pauvres à Paris – démographiques : la croissance de la popula-


tion parisienne (+ 100 000 habitants entre 1700 et
au xviiie siècle  p. 258-259 1790) témoigne du « beau xviiie siècle » et de l’amé-
lioration des conditions de vie. Le Pont-Neuf et les
Repérer immeubles rendent compte d’un certain enrichis-
1. La localisation de la zone de mendicité se trouve sement, notamment dans les villes ;
à « cheval » entre les quartiers populaires, où se – sociaux : mixité, hiérarchie sociale entre ordres
concentrent les pauvres, et les quartiers des élites et à l’intérieur des ordres (diversité du tiers état),
aristocratiques (axe des Champs-Élysées par ruralité présente y compris dans les villes par les
exemple). productions agricoles qui s’y vendent (voir ques-
tion 3) ;
Analyser – de tensions : au sein et parfois entre les ordres,
tensions liées aux très fortes inégalités sociales.
2. La diversité se retrouve à deux niveaux. On trouve
d’abord la présence des trois ordres dans des pro-
portions à peu près identiques à celles de la France.
On retrouve ensuite la très grande diversité sociale POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
de l’ordre du tiers état qui va de la grande bourgeoi- Les ports français et l’économie
sie (financiers) aux domestiques en passant par les
boutiquiers…
de plantation et de la traite  p. 260-261
3. La mixité sociale se traduit par les activités ou
Repérer
actions diverses repérables (boutiquiers, paysans
venus vendre leurs productions, vendeurs d’eau, 1. Les échanges entre les trois continents forment
duel (?) entre deux nobles, ronde de policiers, pro- un triangle. Entre l’Europe et l’Afrique (échange de
meneurs). La mixité est aussi repérable aux tenues produits manufacturés contre des esclaves), puis
et attributs des personnages (carrosses, robes, entre l’Afrique et l’Amérique (échange d’esclaves
coiffes) qui permettent de distinguer deux à trois comme main-d’œuvre servile dans les plantations)

98
et, enfin, entre l’Amérique et l’Europe (retour des ÉTUDE Madame de Pompadour,
productions coloniales : sucre, café…).
une femme d’influence  p. 264
2. La servante noire, qui est un signe de richesse,
le perroquet, animal exotique inconnu en France,
Repérer
mais aussi le sucre et le café ou le chocolat, ali-
ments rares et précieux. 1. Madame de Pompadour est en position centrale
(c’est un portrait), habillée d’une robe très ample
Analyser ornée de motifs floraux à la mode. Elle est repré-
sentée en train de consulter ce qui semble être une
3. On peut dégager les principes suivants : « négoce partition (présence d’un luth ou d’une guitare à l’ar-
qui viole la religion, la morale, les lois naturelles rière-plan). On remarque aussi de nombreux livres
et tous les droits de la nature humaine », « les et un globe. Mme de Pompadour est placée dans un
hommes et leur liberté ne sont point un objet de univers des arts et des lettres. La pièce où se situe
commerce », et, enfin, un paradoxe dans la mesure la scène est richement meublée et décorée.
où l’esclavage est alors déjà interdit en métropole.
Ce sont des principes moraux et juridiques. Analyser un texte
4. L’importance du port se traduit par l’espace
occupé dans le tableau (les trois quarts), l’im- 2. On peut repérer trois types de reproches :
portance en taille et en nombre des navires, la – Madame de Pompadour est une arriviste, une
concentration et l’effervescence des hommes et usurpatrice, issue du tiers (« règne des vauriens »,
des activités sur les quais, la monumentalité des « petite bourgeoisie », « catin subalterne ») ;
immeubles du front de fleuve. – c’est une dépensière (« on épuise la finance ») ;
– c’est une femme immorale (« élevée à la gri-
voise », « catin »). En somme une personne indigne
Mettre en relation
de la cour.
5. Il y a une corrélation très nette entre hausse de la
production de sucre (de 0 à 900 000 quintaux entre Raisonner et argumenter
1710 et 1790) et hausse du nombre d’esclaves (de 0
3. Issue de la riche bourgeoisie, Jeanne-Antoinette
à 500 000 sur la même période) dans la colonie de
Poisson devenue Madame de Pompadour a été
Saint-Domingue.
anoblie. Favorite du roi, elle cotoie de très près la
sphère du pouvoir pendant près de vingt ans. Elle
Synthétiser a l’oreille du roi qu’elle conseille, notamment dans
6. On peut retracer le parcours suivant d’un esclave : les domaines artistiques.
capturé et vendu en Afrique, il est emmené dans les 4. Les « poissonades » visent aussi le roi qui est
colonies américaines (doc. 2) pour y travailler dans jugé inconséquent (« cette catin […] insolemment
les plantations ou pour être domestique au service le gouverne »). Il ruine le royaume (« épuise la
de l’aristocratie coloniale (doc. 5). On voit une ser- finance ») et compromet le gouvernement (« l’État
vante noire servir un café ou chocolat, accompagné tombe en décadence, le roi ne met ordre à rien »).
de sucre, à une femme en robe de soie richement
brodée. Vers le bac
5. Bien que non reconnue juridiquement, la des-
Vers le bac tinée de Mme de Pompadour montre l’influence
7. Deux types d’arguments s’opposent pour justifier possible des femmes dans la société de l’époque
ou combattre l’esclavage et l’économie de la traite. moderne.
– L’argument économique justifie la traite, considé- – Elles connaissent une possible ascension sociale :
rée comme un moyen de produire et de fournir des Mme de Pompadour illustre la mobilité sociale et la
produits tropicaux à l’Europe (sucre, café, chocolat, possibilité de passer d’un ordre à un autre (du tiers
coton…) mais aussi comme un moyen de favoriser à la noblesse).
l’enrichissement des villes portuaires (Bordeaux, – Elles peuvent exercer du pouvoir : Madame de
Nantes) et de la bourgeoisie des armateurs et Pompadour est parvenue au sommet de l’État.
négociants qui profitent du régime de l’exclusif. Outre sa position de favorite, elle révèle ses qua-
– L’argument moral s’oppose à la traite au nom des lités et devient conseillère du roi dans le domaine
droits naturels de l’Homme, définis notamment par des arts et lettres.
la philosophie des Lumières (reprise des éléments – On peut ajouter un regard critique : cette ascen-
de la question 3). sion ne concerne que les personnes issues de

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 99


l’aristocratie. Si Madame de Pompadour n’avait pas notamment les masses paysannes) souhaite au
été issue d’une riche famille bourgeoise, elle n’au- contraire une nouvelle répartition plus juste de la
rait sans doute pas connu cette ascension. fiscalité.
Il y a donc une impasse qui va aboutir à la Révolu-
tion de 1789.
ÉTUDE
La crise financière du royaume  p. 265
Parcours 2
Reprendre chacun des paragraphes du Parcours 1
Parcours 1 qui constituent des réponses aux trois questions.
La démarche peut s’établir en trois temps repre-
nant les trois documents proposés.
À partir du document 3, on constate que le bud- POINT DE PASSAGE ET D’OUVERTURE
get du royaume est marqué par un déficit chro-
nique depuis le xviie siècle. Il faut d’abord étudier Un salon au xviiie siècle :
les dépenses pour en comprendre les enjeux. Elles le salon de Mme Geoffrin  p. 266-267
ont été multipliées par six entre 1726 et 1789. On
note que la part des dépenses militaires reste Repérer
relativement stable et que ce sont les dépenses
civiles qui progressent (part des dépenses de la 1. Mme Geoffrin est issue de la bourgeoisie et noue
cour notamment). Mais ce qui est le plus remar- un mariage avec François Geoffrin, un bourgeois
quable et le cœur du problème financier, c’est la qui a réussi dans l’industrie de la miroiterie.
part du remboursement de la dette qui passe d’un
tiers à la moitié des dépenses. Par conséquent, Contextualiser
les impôts augmentent de façon constante sur la 2. On peut parler d’un monde en réseau car les
même période. Tous les types d’impôts sont mobi- salons sont en relation, voire en concurrence,
lisés. Les impôts indirects (gabelle par exemple) pour s’attirer les intellectuels ou artistes en vue.
augmentent plus que les directs (taille). Les autres Un système de recommandations existe. À titre
revenus sont constitués notamment de la vente d’exemple, Mme de Tencin (mère de d’Alembert) a
d’offices qui est un expédient souvent utilisé par la initié et introduit Mme Geoffrin dans le monde des
Couronne. On se retrouve donc avec une situation salons et favorisé l’émergence de son salon en y
de déficit chronique et croissant (plus de 100 mil- envoyant ses propres invités.
lions de livres en 1789).
3. La diffusion des idées des Lumières est assurée
Le document 1 permet de voir que le roi et ses
par les salons dans la mesure où les philosophes et
ministres (Turgot) cherchent à régler la question du
intellectuels qui animent ce mouvement y sont des
déficit par des réformes fiscales. Mais celles-ci se
invités privilégiés et recherchés. Le salon de Mme
heurtent au refus des ordres privilégiés de consen-
Geoffrin est fréquenté par les auteurs de l’Encyclo-
tir à un impôt payé par tous de façon permanente.
pédie (Diderot et d’Alembert), Marmontel, Montes-
Les parlements constitués de nobles (d’épée ou
quieu. Ces derniers y côtoient des acteurs de la vie
de robe) se veulent un contre-pouvoir garant du
politique et économique qui peuvent être inspirés
respect des « coutumes » du royaume et, notam-
par ces mêmes idées à l’image du ministre Turgot.
ment, du fait que la noblesse et le clergé doivent
Dans son texte (doc. 4), Marmontel évoque aussi les
être exemptés d’impôts, ou y consentir par des
étrangers (ministres ou princes) qui souhaitent s’y
États généraux. Ces derniers n’ont plus été convo-
rendre. C’est une diffusion et une notoriété euro-
qués depuis 1614, dans un contexte de renforce-
péenne que l’on constate.
ment du pouvoir royal (absolutisme). Cet échec des
réformes fiscales conduit le roi Louis XVI à convo-
Mettre en relation
quer les États généraux.
Le document 2 montre le fossé qui divise la société 4. Les liens entre l’argent et le pouvoir poli-
d’ordres concernant l’impôt puisqu’il s’agit d’un tique tiennent d’abord aux initiatrices des salons.
extrait de cahiers de doléances. Lors des États Celles-ci sont issues des élites et de l’aristocratie
généraux, ceux-ci sont rédigés dans chacune des de la noblesse (duchesse du Maine, Mme de Ten-
paroisses, par chacun des trois ordres. Celui pro- cin) et de la haute bourgeoisie (Mme Geoffrin, Mme
posé ici, issu du tiers état, montre bien les blocages Necker). Elles ont des relations ou sont les épouses
et contradictions de la société d’ordres à la fin du ou compagnes d’acteurs politiques. Mme de
xviiie siècle. Alors que les ordres privilégiés refusent Tencin est la maîtresse du Régent, Mme Necker est
de consentir à un impôt commun, le tiers état (et la femme du ministre de Louis XVI. En outre, les

100
invités des salons sont issus et animent les deux REGARD CRITIQUE p. 268
mondes de l’argent et de la politique : bourgeoisie
négociante, industrielle et ministres. Mme Geoffrin Développer son esprit critique
a poursuivi les activités industrielles de son mari et
est devenue actionnaire des Manufactures royales 1. L’expression « Ancien Régime » a été fondée par
des glaces de miroirs. Elle peut favoriser ses acti- les révolutionnaires. Les fondateurs de la nouvelle
vités économiques auprès de ses invités membres société issue de la Révolution de 1789 ont ainsi
du « gouvernement ». qualifié la société et le régime politique de l’époque
moderne. Cette expression ne peut donc pas être
Analyser employée pour évoquer la société avant l’événe-
ment révolutionnaire. Elle a en outre une dimension
5. Dans les salons, comme en témoignent les docu- péjorative, « Ancien » renvoyant à « vieux, dépassé »
ments 1 et 3, on trouve des personnes aux origines (remontant au Moyen Âge) par rapport au nouveau
(ordre, milieu socioprofessionnel) et statuts très système politico-social issu de la Révolution.
différents. La distinction entre noblesse et tiers
état n’y a pas de sens car les invités y forment une 2. Ce qui distingue la société d’Ancien Régime de la
élite qui partage un pouvoir économique, politique société contemporaine, c’est d’abord la reconnais-
et intellectuel commun. sance de l’individu. Dans l’Ancien Régime, celui-ci
s’efface au profit de l’ordre, du corps, de la com-
Argumenter munauté auxquels on appartient. Il n’y a donc pas
égalité des droits des individus. Ces inégalités sont
6. Mme Geoffrin, à l’image de Mme de Pompadour renforcées par l’absence de règles communes à
et des autres salonnières évoquées dans cette tout le territoire. La société d’Ancien Régime est
étude, témoigne du rôle et de l’influence possible marquée par des coutumes, des statuts territo-
des femmes dans la société. Elles y font preuve riaux (fiscalité) très divers qui s’entremêlent.
d’un pouvoir politique, économique, intellectuel et
artistique. Les salonnières ont un rôle majeur dans
le développement de sociabilités nouvelles et dans
la diffusion des idées des Lumières. S’EXERCER p. 269-271

Vers le bac Utiliser l’échelle appropriée


7. On peut reprendre le plan proposé dans la Échelles/Territoires Impôts ou taxes
consigne et repérer ces éléments dans les trois
domaines suivants : Ville Octroi
– domaine politique : dans les salons se côtoient des
femmes et compagnes de ministres, des hommes Paroisse Dîme
de pouvoir (le Régent), des ministres (Turgot). Des
liens avec des rois ou acteurs politiques étrangers Seigneurie Cens
existent aussi : Mme Geoffrin entretient une rela-
tion épistolaire avec le roi de Pologne. Royaume Taille
– domaine économique : les salons sont aussi fré-
quentés par des financiers, des industriels. Mme
Mettre un événement en perspective
Geoffrin elle-même y cultive les activités écono-
miques développées par son mari (manufacture de Une rébellion rurale peut s’engager dans un
miroirs). contexte d’hiver rigoureux et d’un été pluvieux qui
– domaine social : les salons sont des lieux de socia- provoque de mauvaises récoltes. Cela entraîne
bilité inédits qui dépassent les clivages juridiques une hausse du prix du pain du fait de la rareté du
traditionnels (les ordres) et où se fréquentent des grain. Si à cela s’ajoute un nouvel impôt ou taxe, le
personnes de différents horizons mais faisant tous coût de la vie devient insupportable. S’expriment
partie des élites (politique, économique ou intellec- alors la colère et l’exaspération qui aboutissent à
tuelle). l’exécution d’un collecteur des impôts. Ensuite, la
On peut ajouter le domaine culturel : présence des diffusion spatiale et sociale de la révolte se traduit
philosophes, écrivains, acteurs et autres artistes par des pillages et des exactions contre les repré-
dans les salons. Le dîner du lundi du salon de Mme sentants du gouvernement. Le gouvernement local
Geoffrin leur était consacré. Cette dernière assure ou central réagit par la répression par les troupes
la promotion des arts et lettres. royales. Une fois le calme revenu, le roi prononce
une amnistie royale.

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 101


Transposer un texte La population, et notamment la bourgeoisie, sou-
tiennent les parlementaires contre l’arbitraire royal
Blocages financiers qui envoie la troupe. Les soldats sont pris à partie
« les finances en désordre, avec un déficit impossible par la population qui leur jette des pierres et des
à combler »
tuiles depuis les toits de la ville. La troupe tire et
tue plusieurs insurgés. Début juin, les notables
Faiblesse du roi et de la cour
de la ville décident de provoquer une réunion des
« un prince […] à qui font défaut les ressources
d’esprit », « une cour ensevelie dans le plaisir États généraux de la province. Cette assemblée se
et la dissipation » réunit le 21 juillet 1788 à Vizille et demande au roi
de convoquer les États généraux du royaume, de
Nouveaux espoirs doubler le nombre des députés du tiers état (cette
« Une grande fermentation parmi les hommes revendication se retrouvera dans de nombreux
de tous les rangs qui aspirent à du nouveau » cahiers de doléances).
Issue : dans un contexte plus global de blocage, le
Influence extérieure roi finit par convoquer les États généraux.
« un levain actif de liberté qui s’accroît depuis 3. On parle parfois de « pré-Révolution » pour
la révolution d’Amérique » évoquer cet événement. Il est à inscrire dans le
contexte plus global de recrudescence des mécon-
Risque de révolution tentements et de climat de rébellion dans la deu-
xième moitié du xviiie siècle, contexte révélé par
l’historien Jean Nicolas (voir Bibliographie, p. 94).
Employer les notions et le lexique acquis Bien que leurs revendications ne soient pas for-
• « Les villes de l’époque moderne classent les cément identiques, il y a ici convergence entre la
citadins. » ➔ Le monde urbain est constitué de fronde parlementaire (forte hausse des remon-
nombreux corps, communautés et corporations qui trances) et les aspirations du tiers état en termes
définissent le rang et le statut des gens. de reconnaissance politique.
• « Les villes de l’époque moderne concentrent
les élites sociales. » ➔ Les villes sont le lieu de la Identifier les continuités et les ruptures
concentration du pouvoir politique (gouvernement chronologiques
central et/ou local avec les intendants, les par- 1. Passages qui montrent la perte de prestige et de
lements…), du pouvoir économique (bourgeoisie rang de l’ancienne noblesse : « Le reste de cette
du négoce, armateurs) et intellectuel (comme en ancienne noblesse languissait dans la pauvreté et
témoignent les salons et académies). ressemblait à ces chênes antiques mutilés par le
• « Les villes de l’époque moderne reflètent la temps, dont il ne reste que le tronc dépouillé », « La
diversité sociale du royaume de France. » ➔ On y noblesse enfin n’était plus distinguée des autres
trouve des représentants des trois ordres et, sur- classes des citoyens, que par les faveurs arbitraires
tout, la très grande diversité du tiers état (des de la cour et par des exemptions d’impôts, moins
manouvriers à la haute bourgeoisie en passant par utiles pour elle-même qu’onéreuses pour l’État et
les employés, les boutiquiers…). C’est aussi le lieu choquantes pour le peuple. »
de la mobilité sociale (émergence et résidence de 2. Termes et fonctions correspondant à la noblesse
la noblesse de robe). de robe : il s’agit de l’expression « nouveaux
nobles » ayant acquis par leur richesse des charges
Rechercher sur Internet anoblissantes ou des titres.
1. Recherche libre effectuée par les élèves. 3. L’affirmation peut être justifiée par les passages
2. Les causes de la « journée des Tuiles » : elles sont suivants. Pour ce qui concerne l’intégration de la
à replacer dans le contexte plus général de la fronde bourgeoisie à l’élite : « À Paris et dans les grandes
parlementaire du xviiie siècle qui oppose les réformes villes, la bourgeoisie était supérieure en richesses,
royales aux parlements qui souhaitent devenir des en talents et en mérite personnel. Elle avait dans
assemblées consultées systématiquement par le roi les villes de provinces la même supériorité sur la
pour enregistrer les lois. Face à cette fronde, le garde noblesse des campagnes. » Pour ce qui concerne
des sceaux Lamoignon, le 8 mai 1788, retire ce droit les blocages, on peut prendre toute la fin de texte
d’enregistrement aux parlements. qui évoque les fonctions inaccessibles dans le
Le déroulement : les parlements s’opposent à clergé ou l’armée. On y lit les expressions « humi-
cette décision, et ce particulièrement à Grenoble. liée », « exclue », « rejetée ».

102
Confronter deux textes Passé & Présent
Étape 1. Identifier les documents et leur sujet 1. Les révoltes évoquées représentent de gauche
commun à droite : les « Gaulois » (face aux Romains) ; les
Deux textes de natures différentes : le document 1 Croquants ou jacqueries (révoltes paysannes) ; les
est un extrait de cahier de doléances et le 2 est un révolutionnaires de 1789 (sans-culottes) ; les « pou-
extrait de mémoires autobiographiques. jadistes » des années 1950 ; les Bonnets rouges de
Dans les deux cas, le texte évoque la situation de la 2013 en référence à ceux de 1675 ; les Gilets jaunes.
noblesse à la fin du xviiie siècle. 2. L’auteur de l’article rassemble ces révoltes pour
Étape 2. Comparer les deux textes montrer un peuple qui serait rebelle quelle que soit
Les points communs portent sur le statut privilégié la période. À l’image du Gaulois du dessin, symbole
de la noblesse dans le contexte de la société d’ordres. – avec Astérix et Obélix – du refus de l’autorité. Les
La noblesse jouit de privilèges mais ceux-ci sont autres personnages font davantage référence au
remis en cause par les philosophes des Lumières. souhait de justice fiscale.
L’opposition majeure entre les deux textes tient 3. L’idée d’une constante de la contestation popu-
au refus de la majorité des nobles de remettre en laire est rendue par le fait que les personnages
cause leur statut par l’abandon de certains privi- sont les uns derrière les autres en train de courir
lèges (ici le paiement de l’impôt dans le doc. 1) et dans la même direction avec des attitudes vindica-
le fait qu’une minorité, plus jeune, de la noblesse tives. Ils donnent le sentiment de participer à une
voit avec sympathie les évolutions induites par les même manifestation.
critiques des Lumières (principe d’égalité entre les
hommes du point de vue des droits naturels).
Étape 3. Rédiger une réponse organisée au sujet MÉTHODE VERS LE BAC p. 272
La rédaction de la réponse peut se faire en trois
temps. D’abord, un exposé rapide des privilèges Analyser un document iconographique
de la noblesse pour donner sens au document 1 et
(doc. p. 251)
en voir les origines médiévales (doc. 2). Ensuite, un
temps sur le refus de remettre en cause ces pri-
Sujet 2 : Montrez comment la représentation d’un
vilèges (principe de l’exemption d’impôt, principe
paysan justifie le titre Né pour la peine.
des droits sur des terres liées à la féodalité dans
le doc. 1). Enfin, un point sur les mutations sociales
Analyser la consigne et le document
et intellectuelles qui aboutissent, dans certains
milieux aristocratiques, à l’acceptation de change- Consigne : Quand ? 1789 – Où ? France – Quoi et
ment de principes politiques et juridiques (doc. 2). qui ? La vie des paysans.
Document : un paysan chargé d’outils, nourrissant
la basse-cour. La légende expose la dure vie des
paysans, condamné à travailler pour « amasser par
son labeur de quoi payer le collecteur ».

Construire un plan
Plan Documents Connaissances et analyse
Une peine visible • Un visage triste, un air accablé. • Difficulté des travaux agricoles malgré
à l’attitude du Le personnage derrière travaille quelques outils.
paysan pieds nus. On représente un certain • Forte dépendance aux aléas climatiques.
dénuement et de nombreuses
activités à assumer.
Une peine visible • Sur l’image, on cite le « collecteur » • Poids des impôts pesant sur le monde
aux textes qui et on voit une référence à la taille. paysan. Impôts seigneuriaux (cens,
accompagnent • Le « pauvre paysan », « amasser champart...) et royaux (taille, gabelle).
l’image par son labeur de quoi payer le Les paysans ne peuvent y échapper
collecteur ». contrairement aux populations des villes.

Introduction Même s’il n’apparaît pas misérable, le paysan


représenté sur la gravure souffre de son dur labeur
Estampe anonyme datée de 1799.
et des impôts qui pèsent sur lui.
80 % de la population vit du travail de la terre.

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 103


Conclusion un « court » xviiie siècle (de 1726 à 1789 à quatre
moments). Les postes de revenus et de dépenses
Cette gravure témoigne du poids du travail et des
sont distingués. Le document permet donc d’éta-
impôts qui pèsent sur le monde paysan. Cependant,
blir le budget du royaume.
le document date de 1789 et peut être animé par
On constate que le budget du royaume est marqué
l’esprit révolutionnaire qui critique alors les impôts
par un déficit chronique depuis le xviie siècle. Il faut
et le système féodal. Le document ne précise pas
d’abord étudier les dépenses pour en comprendre
non plus si le paysan représenté est propriétaire de
les enjeux. Elles ont été multipliées par 6 entre
sa terre. Il dispose en tout cas d’un certain nombre
1726 et 1789. On note que la part des dépenses
d’outils. On sait que les campagnes connaissent
militaires reste relativement stable et que ce sont
des progrès techniques et que les paysans vivent
les dépenses civiles qui progressent (part des
une amélioration de leurs conditions de vie et de
dépenses de la cour notamment). Mais ce qui est
travail à la fin du xviiie siècle.
le plus remarquable et le cœur du problème finan-
cier, c’est la part du remboursement de la dette qui
MÉTHODE VERS LE BAC p. 273
passe d’un tiers à la moitié des dépenses.
En conséquence, les impôts augmentent de façon
Analyser un histogramme constante sur la même période. Tous les types d’im-
pôts sont mobilisés. Les impôts indirects (gabelle
Sujet 2 : Montrez l’évolution du budget par exemple) augmentent plus que les directs
de la monarchie (doc. p. 265). (taille). Les autres revenus sont constitués notam-
ment de la vente d’offices qui est un expédient sou-
Analyser la consigne et le document
vent utilisé par la Couronne. On se retrouve donc
Document : évolution des dépenses et des revenus avec une situation de déficit chronique et croissant
du royaume de France entre 1726 et 1788. (plus de 100 millions de livres en 1789).
Deux axes : évolution des dépenses ; évolution des Le document montre bien le creusement du déficit
revenus. sur le siècle et la situation préoccupante en 1789.
La question budgétaire apparaît donc comme un
Rédiger élément clé du déclenchement de la Révolution. On
Ces histogrammes établissent l’état des revenus peut regretter un certain manque de détail concer-
et des dépenses de la monarchie française sur nant les postes de dépenses et de revenus.

TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 274

Situer un fait historique à différentes échelles

Exemple : Repérer les échelles et territorialités présentes dans la révolte des Bonnets rouges (1675).

Organiser les informations dans un tableau


Échelles - Locale/régionale - Nationale - Européenne
repérées - Bretagne/Grand Ouest (Nantes, - Royaume de France
Bordeaux)
Acteurs - Assemblée de l’État de Bretagne - Le roi Louis XIV - Louis XIV et sa
- Parlement de Bordeaux - Troupes royales politique militaire
- Couches populaires urbaines et rurales commandées par le duc - Troupes militaires
(Bonnets rouges) de Chaulnes (gouverneur - Mercenaires
- Seigneurs locaux de Bretagne) allemands
Lien avec - Privilèges de la Bretagne (rattachée en - Financement de la - Financement
l’événement 1532) guerre par l’impôt (papier de la guerre par
- Difficultés économiques de cette timbré, tabac, impôts l’impôt
province dans les années 1660 directs) - Appui de
- Refus des nouvelles taxes par les - Répression de la révolte mercenaires
parlements (Bordeaux et Rennes) et la des Bonnets rouges allemands à la
population répression des
- Subissent le logement des troupes et Bonnets rouges
les exactions, et les taxes seigneuriales

104
Entraînement : Repérer les différentes échelles et temporalités de la révolte des Nu-pieds.

Organiser les informations dans un tableau


Plan Échelles Temporalités
1 Un déclenchement local (Avranches et le Cotentin) = région de quart-bouillon Juillet 1639
2 Une diffusion et une réaction régionale (Normandie et frange de la Bretagne) 1639-1641
3 Une réaction « nationale » (envoi des troupes sur ordre du gouvernement royal) 1641-1643

TRAVAILLER EN HISTOIRE p. 275

Identifier la fiabilité d’une source

Exemple : Ce document peut-il constituer une source fiable pour l’historien s’il veut décrire
et expliquer la révolte des Bonnets rouges ?
• Eléments historiques objectifs repérables dans l’œuvre : ville de Rennes assiégée par les troupes royales.
• Trois critères de fiabilité :

Neutralité/ L’œuvre n’est pas neutre. Elle est une commande du parlement de Rennes
subjectivité qui était partie prenante des événements.
En outre, l’œuvre est très allégorique : char tiré par des bêtes et un diable
en lieu et place du duc de Chaulnes. Personnification de la justice et de la
paix sous les traits de femmes dont l’attitude ignore le sort des populations.
C’est donc une dénonciation renforcée par le texte « Les riches et les pauvres
injustement accablés ».
Dramaturgie renforcée des populations fuyant ou étant écrasées (par le poids
de l’impôt).
Proximité temporelle Elle est effective. Un an seulement sépare l’œuvre de l’événement relaté.

Recoupement avec On n’en dispose pas ici. Il faudrait des sources « papiers » (archives), des
d’autres sources témoignages convergents d’acteurs différents de l’événement.

• Bilan : seule la proximité temporelle est effective, cela ne suffit donc pas à dire que cette œuvre est fiable
d’un point de vue historique.
Entraînement : Le tableau d’Alexandre Debelle peut-il constituer une source fiable pour
l’analyse de cet événement ? (doc. p. 270)
Il s’agit de faire repérer aux élèves le fait que cette œuvre a été peinte plus d’un siècle après les événe-
ments relatés. Elle est sans doute assez neutre du point de vue de la représentation (envoi des tuiles
depuis les toits). On ne dispose pas d’autres images ou textes pour le prouver totalement.

Chapitre 8 – Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (xviie-xviiie siècles) 105


CHAPITRE 1 Le monde grec au ve siècle av. J.-C.

Pont-Euxin
(Mer Noire)

Mer
Égée

Mer Intérieure
(Mer Méditerranée)

300 km

CHAPITRE 1 L’administration de l’empire romain sous Constantin


(début du ive siècle ap. J.-C.)

Mer
du Nord

OCÉAN
ATLANTIQUE

Mer Noire

Mer
Méditerranée

300 km

106
CHAPITRE 2 La Méditerranée médiévale (fin xie-début xiiie siècle)

Mer
du Nord

PRINCIPAUTÉS
RUSSES
Mer
OCÉAN Caspienne
ATLANTIQUE SAINT-EMPIRE
ROMAIN
GERMANIQUE ROYAUME
ROYAUME DE HONGRIE
ROY. DE DE FRANCE
NAVARRE Mer Noire

ROY. DE EMPIRE DES TURCS


ÉTATS SELDJOUKIDES
ROY. DU CASTILLE ROY. DE L’ÉGLISE
PORTUGAL D’ARAGON
EMPIRE BYZANTIN
ROY.
NORMAND
ÉMIRAT ALMORAVIDE DE SICILE
(jusqu’en 1147)
CALIFAT ALMOHADE
(à partir de 1147) Mer Méditerranée

CALIFAT
DES FATIMIDES

500 km
Cours Cours Cours
I II III

Trois civilisations Divisions et affrontements Échanges en Méditerranée

hemc2_051_ca01
Carte de synthèse – DP Cartes [n&b VERSION 2]
107
CHAPITRE 3 Conquête, partage et exploitation du monde par les Européens

er
Tropique du Canc

Cap-Vert
Socotra OCÉAN
Équateur
PACIFIQUE

Détroit
OCÉAN de Malacca
OCÉAN INDIEN
PACIFIQUE OCÉAN Tropique du Capricorne
ATLANTIQUE

3 000 km
Cours Cours Cours à l’équateur
I II III

La découverte Premiers empires coloniaux Des populations dominées


du « Nouveau Monde » et première mondialisation et exploitées

hemc2_083_ca01
Conquête, partage et exploitation du monde par les Européens – Carte de synthèse – DP Cartes [n&b VERSION 2]
108
CHAPITRE 4 L’Europe de la Renaissance et des réformes

ROYAUME ROYAUME
D’ÉCOSSE DE SUÈDE
Mer
ROYAUME Baltique
Mer
du Nord DU DANEMARK
ROYAUME
IRLANDE D’ANGLETERRE

ROYAUME
DE POLOGNE

SAINT-EMPIRE
ROMAIN GERMANIQUE

OCÉAN
ATLANTIQUE

ROYAUME
DE FRANCE
EMPIRE
OTTOMAN
ÉTATS DE
L’ÉGLISE
Mer
Adriatique
ROYAUME
DU
PORTUGAL
ROYAUME
ROYAUME DE NAPLES
D’ESPAGNE
Mer
Méditerranée

300 km
Cours Cours Cours
I II III

L’Europe de la Renaissance L’Europe L’Europe bouleversée par les réformes


des humanistes

hemc2_117_ca01
Carte de synthèse – DP Cartes [n&b VERSION 2]
109
CHAPITRE 5 Évolution et affirmation du royaume de France (début xvie-fin xviiie siècle)

Manche

Rhi
n
ei

S
ne
Lo
i

re

OCÉAN
Rhône
ATLANTIQUE

Ga
ro
nn
e

Mer
Méditerranée

200 km
Cours Cours Cours
I II III

L’affirmation de l’État Le royaume de France Forces et faiblesses


au XVIe siècle à son apogée au XVIIe siècle du royaume au XVIIIe siècle

hemc2_149_ca01
Évolution et affirmation du royaume de France (début XVIe-fin XVIIIe siècle) – DP Cartes [n&b VERSION 2]
110
CHAPITRE 6 L’Angleterre, un modèle original en Europe au début du xviiie siècle

ROYAUME DE SUÈDE

EMPIRE
RUSSE

ROYAUME
ANGLETERRE DU DANEMARK
PRUSSE
ME DE
U ROYAUME
PROVINCES YA
UNIES RO DE POLOGNE

SAINTEMPIRE
ROMAIN GERMANIQUE

ÉTATSUNIS

AUTRICHEHONGRIE
ROYAUME
DE FRANCE
RÉP. DE
VENISE

ROYAUME EMPIRE
DU OTTOMAN
PORTUGAL
ROYAUME
D’ESPAGNE
ROYAUME
DES DEUX SICILES

500 km
Cours Cours Cours
I II III

L’Angleterre : un modèle L’affirmation d’une société Un modèle fragilisé


de monarchie tempérée nouvelle dynamisée par un par la naissance
en Europe riche courant intellectuel des États-Unis

hemc2_183_ca01
Carte de synthèse. L’angleterre, un modèle original en Europe au début du XVIIIe siècle – DP Cartes [n&b VERSION 1]
111
CHAPITRE 8 Pouvoirs royal et locaux face aux « territoires sociaux » aux xviie-xviiie siècles

Manche

OCÉAN
ATLANTIQUE

Mer Méditerranée
100 km

Cours p. 250 Cours p. 256 Cours p. 262


I II III
L’héritage féodal Les villes : des territoires Exaspération des tensions
dans les campagnes juridiques et économiques (fin du xviiie siècle)
entremêlés

112

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