Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Il faut louer le jury d’Agrégation d’avoir enfin proposé une question qui fait
appel à l’intelligence historique des étudiants : « Rome et l’Occident ». Il faut
aussi complimenter les auteurs de la bibliographie dite « officielle » qui ont
Rome et les provinces de l’Occident de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.
fourni un travail considérable pour les aider.
Mais qui dit « intelligence » dit « difficulté », et la difficulté, dans ce cas, vient
de la conjonction de coordination « et ». Que signifie-t-elle ici ? D’un point
de vue simplement grammatical, elle unit deux mots. Ici, elle unit deux ac-
tions, et celles-ci vont en sens contraire ; on peut aussi dire qu’elles consti-
tuent, si l’on préfère, une action et une réaction. D’une part, il y eut action
de Rome vers l’Occident : conquête, organisation de cette conquête, entente
avec les populations. D’autre part, il y eut réaction des provinciaux. Les uns
ont tout refusé en bloc, comme Vercingétorix ou Boudicca ; d’autres se sont
résignés ; d’autres encore ont accueilli les changements avec plus ou moins
d’enthousiasme. Par la suite, ces derniers ont plus ou moins intégré la ro-
manité, et plutôt plus que moins, dans leur vie quotidienne, leurs activités
économiques, leur organisation sociale, leurs pratiques culturelles et reli-
QUESTIONS D’HISTOIRE
gieuses.
Et il n’est pas possible d’étudier les conquérants sans tenir compte des
conquis ; il n’est pas possible d’étudier les transformations en faisant abs-
ROME ET LES PROVINCES
traction de ceux qui les veulent, de ceux qui les refusent et de ceux qui les
subissent. DE L’OCCIDENT
Cet ouvrage cherche à simplifier le travail des étudiants en leur proposant
des articles couvrant tous les aspects du sujet, en leur indiquant des pistes DE 197 AV. J.-C. À 192 AP. J.-C.
pour ne rien négliger d’une question plus complexe qu’il n’y paraît.
9HSMIOC*heejdj+ 25 €
ISBN 978-2-84274-493-9
EDITIONS
DU TEMPS
Illustration de couverture :
Céramiques communes du Ier siècle après J.-C. produites à Langres.
Photographie d’A. Vaillant (musée de Langres).
ISBN 978-2-84274-493-9
www.edutemps.fr
Tous droits réservés. Toute représentation ou reproduction même partielle, par quelque pro-
cédé que ce soit, est interdite sans autorisation préalable (loi du 11 mars 1957, alinéa 1 de
l'article 40). Cette représentation ou reproduction constituerait une contrefaçon sanctionnée
par les articles 425 et suivants du Code Pénal. La loi du 11 mars 1957 n'autorise, aux termes
des alinéas 2 et 3 de l'article 41, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective d'une part, et, d'autre part, que les
analyses et les citations dans un but d'exemple et d'illustration.
Table des matières
Préface .............................................................................................................5
Yann Le Bohec
I. ACTION DE ROME
Le jeu diplomatique des Romains en Occident
lors de la conquête des provinces occidentales........................................11
Claudine Auliard
Les gouverneurs des provinces occidentales
à l’époque républicaine et sous le Principat.............................................27
Agnès Bérenger
II. RÉACTIONS DES OCCIDENTAUX
1. Refus de la conquête
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité.
Quelques aspects..........................................................................................39
Jean‐Louis Voisin
2. Transformations économiques, sociales et culturelles
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine ..................................57
Jean‐Claude Béal
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons
durant le Principat .......................................................................................70
Martine Joly
Les Africains dans les provinces occidentales
(IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)........................................................................84
Michèle Coltelloni‐Trannoy
La Gaule et « l’hellénisation » ..................................................................110
Michel Debidour
3. Transformations des religions
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments .....121
François Baratte
3
Rome et les provinces de l’Occident (de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.)
4
Préface
Yann Le Bohec
Professeur d’histoire romaine à l’université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
5
Rome et les provinces de l’Occident (de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.)
tenir compte des conquis ; il n’est pas possible d’étudier les trans-
formations en faisant abstraction de ceux qui les veulent, de ceux qui les
refusent et de ceux qui les subissent. Et là surgit une autre difficulté ; la
bibliographie « officielle » risque d’induire en erreur les étudiants car,
pour tenir compte de la production historiographique davantage orientée
vers un versant de la montagne que vers l’autre, leurs auteurs ont été
contraints de privilégier l’action du pouvoir central.
Là réside toute la difficulté du sujet : faire la part de ce qui vient de
Rome et de ce qui vient des provinciaux. En lisant livres et articles, les
étudiants devront toujours se poser ces deux questions : qu’ont voulu les
uns et qu’ont voulu les autres ?
Prenons des exemples ; ils montreront la difficulté qui nous attend. Cer-
tes, les villes sont « romaines ». Mais ce n’est pas l’empereur qui les cons-
truit, ou qui impose des modèles architecturaux ou urbanistiques ; ce sont
les notables provinciaux par le biais de l’évergétisme. Certes, la diffusion
de la céramique, comme le savent bien les archéologues, répond à des
goûts « italiens » ; mais les artisans qui la fabriquent et les chalands qui
l’achètent sont des provinciaux. Et ce n’est pas le pouvoir central qui la-
boure les terres, mais les paysans provinciaux, et ils représentent peut-être
90% de la population.
Le problème est encore plus difficile qu’il n’y paraît, car de sérieuses
divergences ont séparé les historiens sur la question de la « roma-
nisation ». Les uns acceptent le mot, les autres non. La critique la plus
virulente est venue du plus grand historien anglais du XXe siècle (en fait il
était néo-zélandais), Ronald Syme : « Le mot “romanisation” … est laid et
vulgaire ; pis que cela, il constitue un anachronisme et une source
d’erreurs. Le mot “romanisation” suppose l’application d’une politique
délibérée, ce qui reviendrait à ne rien comprendre du comportement de
Rome » (c’est nous qui traduisons). Ronald Syme a été approuvé par des
savants comme Hans-Georg Pflaum ou, plus récemment, Christian Gou-
dineau et Geza Alföldy ; on peut ne pas être d’accord avec eux, mais il est
difficile de les négliger. Nous renvoyons à ce propos à un article, conçu en
2007, alors que la question d’Agrégation n’était pas connue1, où nous re-
prenons un article de Geza Alföldy2.
La querelle n’est pas une querelle sémantique, un débat entre littéraires
sur le vocabulaire ; elle renvoie à une question de fond, celle qui a été
6
Préface
posée plus haut : qu’est-ce qui revient au pouvoir central, et qu’est-ce qui
revient aux habitants de l’Occident ?
1/ Le cadre chronologique
On commencera, comme toujours, par le cadre événementiel. C’est aus-
si utile que les échafaudages pour la construction d’une maison. Vous
connaissez sûrement des manuels pratiques (nous ne vous indiquerons
pas ici quel est le meilleur). Pour approfondir, il vaut mieux utiliser André
Piganiol ou l’Histoire romaine, I, pour la République, et Marcel Le Glay et
J. Le Gall pour le Principat1.
2/ L’action de Rome
La question de programme présente, avons-nous dit, deux aspects
complémentaires. L’action de Rome, d’abord, est évidemment décidée à
Rome, et il vaut mieux savoir comment les choix y sont opérés, même si la
Ville éternelle n’est pas au programme. Là-dessus, on consultera au moins
un très bon petit livre de Michel Humbert et au mieux un ouvrage un peu
plus gros de Jean Gaudemet2. Le premier contact se fait au moment de la
conquête, par l’intermédiaire de l’armée. On nous pardonnera, là-dessus,
de renvoyer à nos livres, en particulier à celui qui vient d’être publié dans
la collection “Synthèse d’histoire romaine”, aux éditions du Temps ; il a
été conçu pour compléter celui que vous avez en mains3. Le Sénat de la
1. A. Piganiol, La conquête romaine, 7e édit., 1995 (Paris), p. 355 et suiv. ; Histoire romaine, I, édit.
F. Hinard, 2000 (Paris), p. 443 et suiv. ; J. Le Gall et M. Le Glay, L’Empire romain, 2e édit., 1991
(Paris), p. 11-523.
2. J. Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, 2e édit., 1982 (Paris), p. 428-569 (ne pas négliger, pour un
oral, la bibliographie complémentaire à la fin du livre) ; M. Humbert, Institutions politiques et so‐
ciales de l’Antiquité, 5e édit., 1994 (Paris), p. 214-361.
3. On verra aussi, pour la fin de la République, notre édition de César, La guerre des Gaules, 2009
(Paris), 236 p., en particulier l’avant-propos et les « Éléments d’histoire militaire antique », et
notre Armée romaine sous le Haut‐Empire, 3e édit. revue et augmentée, 2002 (Paris), 292 p.
7
Rome et les provinces de l’Occident (de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.)
1. M. Rostovtseff, Histoire économique et sociale de l’empire romain, trad. fr. d’O. Demange, 1988
(Paris), p. 43-284.
2. J. Gagé, Les classes sociales dans l’empire romain, 2e édit., 1971 (Paris), p. 59-247 ; G. Alföldy, His‐
toire sociale de Rome, trad. fr. d’É. Évrard, 1994 (Paris), p. 45-141.
3. J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, 2e édit., 1969 (Paris), 340 p. ; M. Le
Glay, La religion romaine, 2e édit. 1991 (Paris), 288 p. ; J. Scheid, Religion et piété à Rome, 1985 (Pa-
ris), 155 p. ; M. Beard, J. North et S. Price, Religions de Rome, trad. fr. de M. et J.-L. Cadoux, 2006
(Paris), 414 p.
8
Préface
4/ Action-réaction
Après l’action et la réaction, voici le temps de l’action-réaction. Et là se
pose un autre problème délicat. Certains historiens, et non des moindres,
pensent que Rome a appliqué une politique consciente pour diffuser dans
les provinces les statuts juridiques de municipe et de colonie. Dans un
ouvrage célèbre, mais consacré à l’Afrique, Jacques Gascou décrivait une
« politique municipale » de Rome dans cette région3. À l’opposé, d’autres
historiens, qui ne peuvent pas être négligés eux non plus, par exemple
Ronald Syme ou Hans-Georg Pflaum4, pensaient que cette conception
appartient au monde des anachronismes.
Il est sûr que de nombreuses cités ont voulu avoir des centres urbains à
l’allure romaine et que ce sont les notables et les habitants qui les ont
construits, et que l’empereur et l’armée ne s’occupaient pas de ces affaires.
L’empereur parce que ce n’était pas son domaine d’activités et parce qu’il
n’en avait pas les moyens financiers. L’armée parce que ce n’était pas là le
métier des soldats : ils étaient payés pour faire la guerre, pas pour cons-
truire des maisons pour les civils, comme l’a montré Benjamin Isaac, pour
l’Orient il est vrai5. De manière plus concrète, nous renvoyons à deux
volumes de Pierre Gros6 et à une étude sur Lyon (voir ici l’article d’Agnès
Groslambert) et sur l’habitat urbain en Gaule (voir ici l’article de Pascal
9
Rome et les provinces de l’Occident (de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.)
Vipard). De toute façon, il fallait que leur capitale soit construite à la ro-
maine pour que des habitants puissent espérer une promotion au rang de
municipe ou de colonie (voir ici l’article de Bernadette Cabouret).
5/ La diversité géographique
Enfin, de même que l’on ne peut pas faire d’histoire sans tenir compte
de l’évolution, on ne peut pas étudier l’empire romain sans envisager sa
diversité géographique. Des informations sont dispersées dans tous les
articles mentionnés plus haut. On trouvera aussi, ici, des dossiers plus
particulièrement consacrés aux îles (voir l’article de Catherine Wolff)1, aux
Alpes (voir l’article de François Bertrandy)2, à la péninsule Ibérique (voir
l’article de Bernadette Cabouret)3, à la Gaule4 et aux Germanies (voir les
articles de Bernadette Cabouret, déjà citée, de Marie-Thérèse Raepsaet-
Charlier et d’Annie Vigourt), enfin à la Bretagne (voir l’article de Patrick
Galliou).
Et maintenant, un vœu : Bon travail ! Ou, pour reprendre des expres-
sions latines usuelles : Bonis bene ! Vtere felix !
10
Le jeu diplomatique des Romains
en Occident lors de la conquête des
provinces occidentales
Claudine Auliard
Professeur à l’université de Poitiers
et membre des équipes de recherche HeRMA (Poitiers) et ISTA (Besançon)
11
I. Action de Rome
Il est plausible que ces contrastes entre Orient et Occident aient été ac-
centués par l'origine des témoignages littéraires dont nous disposons : les
nombreux auteurs d'origine grecque se sont naturellement intéressés en
priorité aux échanges avec l'Orient et, le plus souvent, ils connaissent fort
peu la partie occidentale de la Méditerranée. Ainsi, Polybe n'évoque qu'un
nombre très limité de contacts avec les peuples d'Occident ; Appien est
souvent seul à témoigner de quelques échanges diplomatiques avec les
régions occidentales, notamment la péninsule Ibérique et la Gaule3. A
contrario, les missions diplomatiques liées à la conquête de la Gaule sont
particulièrement bien connues en raison du témoignage de César – peut-
être même ont-elles été surévaluées par le conquérant lui-même. L'abon-
dance de ses tractations avec les peuples gaulois constitue une telle excep-
tion en Occident que l'on est en droit de s'interroger sur la vraisemblance
des tractations décrites.
En outre, les auteurs anciens semblent ne s'intéresser aux événements
occidentaux que lorsque rien ou presque ne se passe dans la partie orien-
tale de la Méditerranée. Les récits les plus détaillés des opérations en Es-
pagne s'intercalent entre deux campagnes gréco-orientales4 ; et, dès que
les conflits reprennent en Grèce ou en Orient, les événements occidentaux
sont relégués au second plan. Par exemple Tite-Live en 168, mentionne le
retour d'Espagne de M. Marcellus mais il ne consacre qu'une seule phrase
au récit d'une campagne qui avait pourtant duré deux ans5.
12
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
1. Pour une définition plus complète du champ de la diplomatie, voir p. 19 à 23 de notre ouvrage.
Voir M. Lemosse, Le régime des relations internationales dans le Haut‐Empire romain, Paris, 1967,
p. 3 ou l'affirmation de Cl. Nicolet, Rome et la conquête, I, p. 910.
2. P. Le Roux, Romains dʹEspagne, Paris, 1995, p. 27.
3. La remarque vaut également pour les îles de Corse et de Sardaigne après 231. En revanche,
dans les décennies suivant la réduction en province de la Gaule du Nord (en 51), on ne trouve
plus l'équivalent des événements de la péninsule Ibérique.
4. Val. Max., 2, 8, 4. Sur les conditions d'application de cette règle aux deux derniers siècles de la
République, voir notre ouvrage, Victoires et triomphes à Rome, PUFC, 2001, p. 97-98.
5. Comme lors de l'ovatio accordée au préteur Fulvius en 191 : « Il fit porter devant lui 130 000
pièces d'argent frappées du bige et, en plus de cet argent monnayé, 10 000 livres pesant d'ar-
gent et 127 d'or, en lingots » Liv., 36, 21, 10.
13
I. Action de Rome
avant 197…
Jusqu'au IIIe siècle, la diplomatie romaine se limite majoritairement aux
contacts avec les peuples d'Italie de sorte que, jusqu'à la deuxième guerre
punique, les relations avec l'Occident sont marginales, puisqu'on ne dé-
nombre que 21 contacts avant 218 avec l'ensemble des peuples occiden-
taux – soit moins de 1% de l'activité diplomatique entre la fondation de
Rome et le début de la deuxième guerre punique.
Contacts diplomatiques avec les peuples d'Occident avant 197
Royauté 509- 395-290 290- 240- 218- 201 tot
396 241 219 202 197
Marseille 1 - 1 - - 4 - 6
Sicile - 3 8 3 24 - 38
Îles - - 1 - - 1 - 2
Gaule - - 1? - - 1 - 1
Transalpine
Corse - - - - 2 - - 2
Péninsule - - - - 3 20 1 24
Ibérique
Ligurie - - - - - 1 2 3
Total 1 3 2 (+ 1 ?) 8 8 51 3 76
14
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
1. Un double contact est établi avant et après la fondation vers – 600 (Justin, 43, 3, 4 et 5, 3).
2. Contrairement aux allégations de Justin, la conclusion d'un véritable foedus est fort improbable.
3. Seule la royauté lagide a établi des relations comparables avec Rome – mais seulement à partir
de 273.
4. César, B. C., 2, 22, 6. Voir infra p. 21.
5. Voir notre article « Les difficultés frumentaires de Rome : les apports de la diplomatie (509-
210) », dans Au jardin des Hespérides, Mélanges offerts à A. Tranoy, PUR, 2004, p. 283-295.
6. Le traité est conclu dès 263 et constitue également une exception : celle de la plus longue durée
du respect (de la part des deux parties) d'un foedus aequum.
7. Toutes les statistiques sont extraites de notre travail sur la diplomatie avant 290 (dans le pre-
mier volume) et, pour les trois derniers siècles républicains, du second volume prochainement
sous presse.
15
I. Action de Rome
autre ordre, car il est bien difficile d'identifier avec précision ceux qui
géographiquement feront partie de la Ligurie italienne et ceux qui intè-
greront les futures provinces alpestres. Quant aux Gaulois, ils ne sont
présents dans cet inventaire que très ponctuellement, en 390 lors du raid
contre Rome ; l'origine de ces Gaulois reste d'ailleurs très incertaine1. En
revanche, les souvenirs de la prise de Rome ont imprimé dans la mémoire
collective des Romains, une véritable « obsession » des Gaulois, selon
l'expression de J. Bayet2, une obsession dont les effets sont encore sensi-
bles à la fin de la République.
Les 76 échanges entre Rome et les peuples d'Occident comptabilisés ci-
dessus ne représentent que 16 % du nombre total des échanges identifiés
entre la royauté et 197, mais il est vrai qu'avant la fin de la conquête de
l'Italie péninsulaire en 272, les contacts de caractère diplomatique avec des
interlocuteurs non italiques – qu'ils soient d'origine orientale ou occiden-
tale – restent fort peu nombreux et souvent mal attestés3.
Statistiques générales des contacts diplomatiques de Rome
Nombre Contacts avec Rapport Occident/
Périodes
total l'Occident total
Royauté – 753 – 509 53 1 2%
509 – 396 135 3 2%
396 – 290 160 2 1%
290 – 219 96 15 16 %
218 – 198 182 55 30 %
Sous-total 626 76 12 %
197 – 189 155 28 18 %
189 – 168 279 15 5%
167 – 100 272 57 21 %
99 – 31 267 108 40 %
Sous-total 973 208 21 %
1. D. Briquel, dans F. Hinard, Histoire romaine, p. 215-234. La mémoire de cette catastrophe reste
vive à Rome encore à la fin de la République et le 18 juillet, jour de la défaite de l'Allia, reste dies
atra, jour funeste dans les calendriers romains.
2. Tite‐Live, Livre VII, CUF, p. 98.
3. Par exemple avec Delphes, Athènes ou Alexandre le Grand, voir notre Diplomatie romaine.
16
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
… et à partir de 197
Au cours des deux derniers siècles de la République, les données sont
très révélatrices des caractéristiques de la diplomatie occidentale. Entre
197 et Apamée, on ne dénombre que 28 contacts, mais les chiffres les plus
surprenants concernent les deux décennies suivantes : entre Apamée et
Pydna, les relations avec les zones occidentales deviennent quasiment
marginales1. Toute l'attention des historiens anciens s'est focalisée sur les
conflits orientaux qui donnent lieu à des échanges quasi permanents
d'ambassades entre Rome (ou les représentants romains) et les États orien-
taux et africains2. Même Tite-Live n'évoque que très sommairement les
événements en Occident, généralement en fin du récit annuel des événe-
ments.
De 167 à la fin du siècle, alors que les opérations en Orient se raréfient,
les événements occidentaux occupent nécessairement une place plus im-
portante, mais la diplomatie occidentale apparaît toujours aussi indigente.
Certes la disparition des livres de Tite-Live peut expliquer cette faible
proportion, mais Appien, Diodore ou Plutarque qui témoignent d'un cer-
tain nombre d'opérations militaires en Occident, n'avaient a priori aucun
motif de passer sous silence des échanges diplomatiques, s'ils en avaient
eu connaissance. On doit d'ailleurs souligner que l'activité de César, rap-
portée par le conquérant lui-même, ne trouve pas d'échos comparables
chez les autres historiens : entre 59 et 49, sur les 103 contacts recensés, 81
ne sont identifiés qu'à partir du témoignage exclusif de César3. Ce dernier
chiffre réaffirme notre dépendance des sources qui induisent des percep-
tions peut-être assez éloignées des réalités ; cependant, l'indigence des
rapports diplomatiques entre Rome et ses interlocuteurs occidentaux est
trop récurrente sur la longue durée pour n'être pas plausible. Nos infor-
mations, pour imparfaites qu'elles soient, traduisent avec une certaine
vraisemblance des formes de relations qui, tant par leur nombre que par
leur contenu, paraissent fortement différenciées de celles mises en œuvre
dans l'autre bassin de la Méditerranée.
1. 16 % de l'activité diplomatique entre 197 et 189 ; un peu plus de 5% entre Apamée et Pydna.
2. Par exemple, on dénombre 43 ambassades échangées avec le royaume séleucide, 46 avec la
ligue achéenne, 43 avec la ligue achéenne ou 53 avec la royauté antigonide (dont 43 pour les
seules années 200 à 167). Avec l'Afrique, les échanges sont tout aussi nombreux : 51 avec le
royaume de Massinissa, les Massyles ou 78 avec Carthage – sur une longue durée (entre – 509-
146), il est vrai.
3. Voir infra les exemples extraits des récits de César et les doutes suscités par ses récits.
17
I. Action de Rome
1. Alors qu'exceptionnellement des pirates et des mercenaires ont pu être admis comme interlocu-
teurs par des représentants romains.
18
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
ceux des zones alpestres) se concentre sur une période inférieure à vingt
ans.
Les îles, la Corse et la Sardaigne, n'apparaissent que très marginale-
ment. En 178, une délégation de Sardes vient au Sénat demander de l'aide
contre les attaques des Ilienses, soutenus par des Baléares. Au même titre
que les légations des alliés italiens reçues en même temps1, cette mission
ne peut être considérée comme une ambassade dans la mesure où elle a
été probablement envoyée par les représentants de la partie de l'île restés
fidèles à Rome. En revanche, les Ilienses, qui occupent le centre monta-
gneux de l'île, n'ont aucun contact avec les représentants de Rome – bien
qu'ils soient restés insoumis au moins jusqu'à l'époque d'Auguste, comme
en témoignent Diodore et Tite-Live pour lequel cette « peuplade n'est
même pas encore totalement pacifiée de nos jours2 ».
Quelques années plus tard, en 173, les Corses révoltés avaient perdu la
bataille contre le préteur C. Cicereius : « On accorda ensuite la paix aux
Corses, sur leur demande, et on exigea d'eux deux cent mille livres de
cire. Une fois la Corse soumise…3 ». L'annaliste ne précise pas quels fu-
rent les intermédiaires de ce marchandage, mais il ressort de son témoi-
gnage que la paix accordée contre de la cire s'inscrivait dans une forme de
marchandage assez souvent pratiquée par les généraux romains pour
accorder une paix qui n'est qu'une soumission de l'île. Comme en Sardai-
gne, les régions intérieures de la Corse étaient très mal contrôlées et, dans
ces deux îles, les généraux qui avaient eu en charge les opérations esti-
maient pouvoir postuler aux honneurs du triomphe. Ti. Sempronius
Gracchus obtint effectivement le grand triomphe (c'est-à-dire financé par
le Sénat) sur la Sardaigne, tandis que C. Cicereius n'obtenait que le triom-
phe sur le Mont Albain – sans qu'aucun motif ne soit avancé par nos sour-
ces pour justifier cette différence. Les Corses, pourtant ouvertement révol-
tés, avaient accepté de fournir les produits exigés, mais les sénateurs
estimèrent probablement que les conditions de cette soumission ne per-
mettaient pas au vainqueur d'être officiellement honoré. Sempronius
quant à lui se targue d'avoir remporté une victoire marquant la véritable
soumission de l'île – pourtant proclamée province romaine depuis plus
d'un demi-siècle. L'inscription dédiée à Jupiter dans le temple de Mater
Matuta lors de son triomphe en 174 justifie en ces termes l'attribution de
sa récompense : « Sous le commandement et les auspices du consul Ti.
Sempronius Gracchus, la légion et l'armée du peuple romain ont soumis
la Sardaigne… Sa mission ayant rencontré le plus grand succès et… les
tributs rétablis, il a ramené dans sa patrie l’armée saine et sauve et les bras
19
I. Action de Rome
1. Liv., 41, 28, 9. L'inscription figurait sur un tableau qui avait la forme de la Sardaigne et sur
lequel on avait peint des batailles.
2. In deditionem uenit, Liv., 40, 33, 9.
3. App., Ib., 42.
4. Entre 113 et 101. E. Demougeot, « L'invasion des Cimbres-Teutons-Ambrons et les Romains »,
Latomus, 37, 1978, p. 910-938.
20
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
1. Respectivement Liv., 37, 57, 1-2 ; 40, 18, 4 et Polyb., 33, 8, 1-3
2. Justin, 37, 1, 1.
3. Voir supra p. 15.
4. Les trois deditiones mentionnées entre parenthèses correspondent à des demandes formulées
par les généraux romains ; or, en Orient, comme en Occident, les demandes de deditiones n'ont
un résultat positif que lorsqu'elles sont présentées par le futur déditice. Ces trois démarches
sont donc des échecs.
21
I. Action de Rome
22
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
de ce passage des Alpes1 ». Autre exemple d'un échec plus d'un siècle
plus tard, en 58, lorsque les « plus grands personnages » (nobilissimi ciuita‐
tis) de l'État helvète « viennent demander à César l'autorisation de traver-
ser une partie de la Gaule. Le proconsul leur répond que « s'ils avaient un
désir à exprimer, qu'ils revinssent aux ides d'avril2 » ; et il commence im-
médiatement la construction du mur destiné à leur interdire le passage.
Dans ces deux cas, comme dans d'autres, les négociations, pourtant enta-
mées dans un contexte apparemment non belliqueux, se heurtent à des
refus, assortis qui plus est, de décisions hostiles.
Les critiques contre les agissements de certains représentants du pou-
voir romain, notamment en Espagne, se multiplient dès le début du IIe
siècle. En 171, une délégation qualifiée d'alliée (donc envoyée par des
provinciaux fidèles) est reçue au Sénat : « Ces envoyés, après s'être plaints
de l'avarice et de l'orgueil des magistrats romains, se jetèrent aux pieds
des sénateurs, et les supplièrent de ne pas souffrir que des alliés de Rome
fussent persécutés et dépouillés plus cruellement que des ennemis3 ». Les
Espagnols n'obtiennent que partiellement satisfaction avec l'envoi de cinq
commissaires chargés d'enquêter, mais les responsables ne furent pas
condamnés. Pas plus que ne le fut C. Cassius, dont les exactions avaient
été dénoncées en 170 à Rome par le roi gaulois Cincibilus ; le Sénat promit
de demander des comptes au consul et les délégués gaulois sont couverts
de cadeaux – c'est exceptionnel ! – ; ils furent même raccompagnés par
une ambassade sénatoriale4. Cependant Cassius, alors en Macédoine,
évita de rentrer à Rome afin de ne pas être mis en accusation.
C'est probablement dans le cadre de la mise en pratique des deditiones
que la diplomatie occidentale affiche une image particulièrement néga-
tive. Nous l'évoquions en introduction, presqu'un tiers des contacts di-
plomatiques se limitent à des deditiones5. Même si nos sources, dans ces
régions, plus qu'ailleurs, font référence à des procédures de soumission
parfois mal identifiées ou ambiguës, l'usage quasi systématique de ce type
de règlement illustre la volonté des généraux romains – puisque eux seuls
reçoivent ces soumissions – d'empêcher tout dialogue avec les ennemis
d'Occident. Certes, un contact avec des ambassadeurs est parfois men-
tionné (notamment par César) et les conditions de la deditio sont alors
présentées comme ayant été partiellement négociées6. Mais on connaît les
23
I. Action de Rome
24
Le jeu diplomatique des Romains en Occident lors de la conquête…
1. « Dediderunt sese, nihil quidem illi pacti », Liv., 42, 8, 1. Les Statellati sont mal localisés, probable-
ment sont-ils ensuite intégrés dans les Alpes Cottiennes.
2. Liv., 42, 8, 1-6.
3. App., Ib., 52.
4. App., Ib., 44.
25
I. Action de Rome
26
Les gouverneurs des provinces
occidentales à l’époque républicaine
et sous le Principat
Agnès Bérenger
Professeur d'histoire romaine à l'université Paul Verlaine - Metz
Les sources antiques peignent des portraits très contrastés des gouver-
neurs qui administrèrent les provinces occidentales de l’empire romain. Si
l’orateur Cicéron décrit Verrès, préteur en Sicile, comme le gouverneur le
plus abominable qu’aient jamais eu à supporter des provinciaux,
l’historien Tacite présente en revanche son beau-père Agricola comme un
modèle à suivre et met l’accent sur l’excellence de son comportement en
Bretagne.
Au-delà de ces cas, peut-être exceptionnels et sans aucun doute présen-
tés avec un certain nombre d’artifices rhétoriques, la réalité du terrain
était nettement plus contrastée et mérite une étude attentive. Qui étaient
donc ces représentants du pouvoir central ? Quels étaient les pouvoirs
considérables qui leur étaient confiés et les limites qui y étaient posées ?
Enfin, les relations avec leurs administrés ne furent pas toujours exemptes
de frictions et ce mode de gouvernement a souvent été vécu et décrit
comme oppressif. De nombreux abus furent commis par les représentants
du pouvoir central, état de fait problématique qui a entraîné la mise en
place progressive d’un système de régulation.
Dans les provinces étaient envoyés des représentants du pouvoir ro-
main, les gouverneurs. Sous la République, ces derniers étaient soit des
magistrats en titre, consul ou préteur, dotés de l’imperium, soit des pro-
magistrats, dont le pouvoir de magistrat avait été prolongé pour un an. Ils
portaient alors le titre de propréteur ou de proconsul.
Rapidement, la conduite des guerres et le gouvernement des provinces
obligèrent Rome à proroger certains magistrats. Au IIe siècle av. J.-C., les
provinces furent de plus en plus gouvernées par des magistrats prorogés,
parce que l’augmentation du nombre de provinces imposa cette solution.
En effet, désormais le nombre de magistrats à imperium en exercice
s’avérait insuffisant pour pouvoir en envoyer dans toutes les provinces.
Les magistrats exerçaient d’abord leur fonction à Rome, puis étaient im-
médiatement envoyés gouverner une province. À partir de la lex Pompeia
27
I. Action de Rome
L’imperium
Le fondement du pouvoir exercé par le gouverneur de rang sénatorial
dans sa province était l’imperium, qui lui donnait le droit de commander
une armée et de rendre la justice, et qui était attribué aussi bien aux pro-
consuls qu’aux légats d’Auguste propréteurs1. Cet imperium, qualifié de
consulaire à l’époque républicaine, fut ensuite appelé proconsulaire au
1. Cf. de Martino F., Storia della costituzione romana, IV, 2, 2e éd., 1975 (Naples), p. 807-808.
28
Les gouverneurs des provinces occidentales à l’époque républicaine…
Le ius gladii
Pour rendre la justice et assurer le maintien de l’ordre, deux des fonc-
tions les plus importantes de tout gouverneur, un autre pouvoir jouait un
29
I. Action de Rome
Le ius edicendi
Le ius edicendi faisait partie des pouvoirs attribués aux magistrats du
peuple romain et était aussi reconnu aux gouverneurs de province. Il leur
conférait la capacité à promulguer des édits, dont le plus important est sans
conteste celui qu’ils prenaient à leur entrée en fonction, afin de définir les
principes auxquels ils entendaient se conformer. Comme cette promulga-
tion avait lieu dès l’entrée en charge, cela impliquait que le gouverneur
1. Dion Cassius, LII, 22, 2-3 ; LIII, 13, 6-7 ; LIII, 14, 5.
2. Jones A.H.M., Studies in Roman Government and Law, 1960 (Oxford), p. 59-65.
3. Dion Cassius, LIII, 13, 6 ; 14, 5.
4. Cic., II Verr. V, 161-170.
5. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, V, 1, 44 ; 47.
30
Les gouverneurs des provinces occidentales à l’époque républicaine…
1. Pour Millar F., « The Emperor, the Senate and the Provinces », JRS, 56, 1966, p. 159, rien ne
prouve leur existence.
2. Tac., Ann., II, 77, 1. Sur ce passage, cf. Marotta V., Mandata principum, 1991 (Turin), p. 64-65.
31
I. Action de Rome
1. Cf. Millar F., The Emperor in the Roman World (31 BC – AD 337), 2e éd., 1992 (Londres), p. 313,
316 ; Hurlet F., ouvr. cité, p. 226-232, 240 ; Bérenger A., « Le contrôle des gouverneurs de pro-
vince sous le Haut-Empire », dans Feller L. (dir.), Contrôler les agents du pouvoir, 2004 (Limoges),
p. 130-131.
2. Marotta V., « Liturgia del potere. Documenti di nomina e cerimonie di investitura fra principa-
to e tardo Impero Romano », Ostraka, 8, 1999, p. 145.
3. Pour une étude plus complète, je renvoie à Bérenger A., « L’impartialité du gouverneur de
province dans l’empire romain : entre affirmations théoriques et réalité », dans Bock F., Bührer-
Thierry G., Alexandre S. (coord.), L’échec en politique, objet d’histoire, 2008 (Paris), p. 179-189.
32
Les gouverneurs des provinces occidentales à l’époque républicaine…
33
I. Action de Rome
vendre selon ses désirs, en toute liberté, et en particulier qu’il n’aurait pas
été à égalité avec l’acquéreur lors de la fixation du prix. Par conséquent il
se serait agi d’une extorsion (ereptio), non d’une acquisition (emptio).
Comme le soulignait l’orateur, ils avaient bien compris qu’un Romain
exerçant le pouvoir administratif dans une province pourrait emporter
tout ce qu’il voudrait, et au prix qu’il aurait lui-même fixé1.
Un autre type de relations, plus personnelles, entre provinciaux et gou-
verneur était aussi vigoureusement prohibé. Le gouverneur n’avait en effet
pas le droit de prendre épouse dans la province où il était en fonction2. Un
passage de Tacite a été invoqué par certains auteurs qui en tirent argument
pour conclure que cette interdiction remonterait à l’époque républicaine3,
mais l’historien n’affirme rien de tel explicitement. Cette interdiction est
également soulignée à plusieurs reprises dans le Digeste : le gouverneur ne
pouvait contracter une union légitime avec une femme qui était originaire
de la province où il était en fonction ou qui y était domiciliée4.
Ces interdits matrimoniaux ont été compris de diverses manières :
l’interdiction pouvait être due à la peur que certains magistrats n’abusent
de leur autorité pour contraindre une femme ou sa famille à consentir au
mariage, comme l’affirme un passage de Papinien à propos des préfets de
cohorte ou de cavalerie et des tribuns : le mariage avec une femme de la
province où ils servaient était prohibé parce qu’ils se trouvaient dans une
position de pouvoir5. Mais on peut aussi supposer que l’interdit visait à
éviter qu’une telle union n’ôte au gouverneur sa liberté de jugement et
son indépendance vis-à-vis des affaires locales. En effet, une famille de
notables locaux aurait pu tirer avantage d’une union avec le gouverneur
et en profiter pour obtenir divers avantages, ce qui pouvait à terme altérer
les équilibres locaux et engendrer des conflits ou les réactiver. Il est aussi
possible que l’interdiction ait voulu empêcher que le gouverneur
n’accroisse de façon excessive sa puissance à travers des alliances matri-
moniales dans la province et ne puisse ainsi soustraire le territoire à la
domination romaine. En fait, on peut admettre que chacune de ces raisons
ou toutes ensemble aient pesé sur la mise en place de l’interdiction. Tou-
tes ces explications ont en tout cas un point commun : il s’agissait de limi-
ter les contacts entre provinciaux et gouverneur. Néanmoins, l’existence
de normes définies ne signifie pas qu’elles aient été appliquées avec toute
la rigidité qui se dégage des textes juridiques. On ne peut que constater
34
Les gouverneurs des provinces occidentales à l’époque républicaine…
que les autorités impériales ont éprouvé le besoin de réitérer les interdic-
tions, et cela parce qu’elles n’étaient, semble-t-il, pas toujours respectées.
Même si les sources juridiques laissent voir un souci réel d’encadrer la
fonction de gouverneur, il est indéniable que des abus furent commis.
Face à cet état de fait, une législation répressive se mit progressivement en
place.
1. Tite-Live, XLIII, 2. Cf. Le Roux P., Romains dʹEspagne, 1995 (Paris), p. 49.
2. Cf. De Visscher F., Les édits dʹAuguste découverts à Cyrène, 1940 (Louvain), p. 138.
3. CIL I, 198 = FIRA I, n°7. Cf. Santalucia B., « La repressione penale e le garanzie del cittadino »,
dans Storia di Roma, II, 1, 1990 (Turin), p. 544-545.
4. Cic., Fam. VIII, 8, 3. Cf. Brunt P. A., « Charges of Provincial Maladministration under the Early
Principate », Historia, 10, 1961, p. 190-198.
35
I. Action de Rome
36
Les gouverneurs des provinces occidentales à l’époque républicaine…
tefois difficile de savoir quel était l’impact exact de cette arme dans la
pratique, et les provinciaux pouvaient se voir confrontés à de nombreuses
difficultés, que ce soit dans leur province ou à Rome même, car l’accusé
pouvait avoir des amis puissants qui retardaient ou même empêchaient le
dépôt de la plainte1.
Si l’on s’en tient aux textes législatifs qui nous sont parvenus, les pro-
vinciaux bénéficiaient donc d’une réelle protection contre les exactions
possibles des gouverneurs. Toutefois, il est difficile d’apprécier dans
quelle mesure ces possibilités ont vraiment été exploitées. En l’état actuel
de la documentation, le nombre des procès attestés est finalement assez
réduit : sous l’Empire, une trentaine de gouverneurs ont été poursuivis à
l’issue de leurs fonctions entre les règnes d’Auguste et de Trajan2, et la
majorité des procès attestés se sont achevés par une condamnation du
gouverneur3. Il ne s’agit là malheureusement pas d’une liste exhaustive.
En effet, nos sources sur ce sujet sont lacunaires, dans la mesure où elles
sont surtout composées des œuvres d’historiens, qui prêtent à cette ques-
tion un intérêt plus ou moins grand. Autre problème, même quand un
procès de ce type est évoqué, il ne fait souvent l’objet que d’une simple
mention, avec les noms respectifs du gouverneur et de la province
concernés, mais sans précision en revanche sur la nature du délit. Certains
historiens se sont attachés à la répartition par règne (en comparant le
nombre de procès attestés avec la durée du règne en question). Romuald
Szramkiewicz en déduit ainsi qu’Auguste, avec deux procès pour qua-
rante-cinq années de règne, était peu sensible aux doléances des provin-
ciaux4, mais il faut tenir compte du fait que c’est à son instigation qu’a été
voté le senatusconsultum Calvisianum, évoqué plus haut, qui témoigne
d’une réelle préoccupation à l’égard de ce problème. Si l'on continue cette
analyse règne par règne, on arrive à huit procès sous Tibère (20 ans) ; cinq
sous Claude (13 ans) ; six sous Néron (14 ans), pour se limiter à la dynas-
tie julio-claudienne, qui est la plus riche sous cet aspect. Cette répartition
par règne peut montrer une plus grande sollicitude de certains empe-
reurs. Ainsi, Tibère semble avoir été sensible à cette question, comme le
montre la fameuse phrase que lui prête Suétone : « Un bon berger doit
tondre ses brebis et non les écorcher5 ».
37
I. Action de Rome
Bibliographie
• BAUMAN R. A., Impietas in principem. A study of treason against the Roman emperor
with special reference to the first century A.D., 1974 (Munich), 242 p.
• BÉRENGER A., « Le contrôle des gouverneurs de province sous le Haut-Empire »,
dans Feller L. (dir.), Contrôler les agents du pouvoir, 2004 (Limoges), p. 127-146.
• BÉRENGER A., « L’impartialité du gouverneur de province dans l’empire romain :
entre affirmations théoriques et réalité », dans Bock F., Bührer-Thierry G., Alexan-
dre S. (coord.), L’échec en politique, objet d’histoire, 2008 (Paris), p. 179-189.
• BRUNT P.A., « Charges of Provincial Maladministration under the Early Princi-
pate », Historia, 10, 1961, p. 206-217.
• DE MARTINO F., Storia della costituzione romana, vol. IV, 2, 2e éd., 1975 (Naples), 270 p.
• DEININGER J., Die Provinziallandtage der römischen Kaiserzeit von Augustus bis zum
Ende des dritten Jahrhunderts n. Chr., 1965 (Munich), 220 p.
• DELL’ORO A., « Il divieto del matrimonio fra funzionario romano e donna della
provincia », dans Studi in onore di Biondo Biondi, II, 1965 (Milan), p. 525-540.
• GARNSEY P., Social Status and Legal Privilege in the Roman Empire, 1970 (Oxford),
321 p.
• HURLET F., Le proconsul et le prince d’Auguste à Dioclétien, 2006 (Bordeaux), 351 p.
• JONES A. H. M., Studies in Roman Government and Law, 1960 (Oxford), 243 p.
• LE ROUX P., Romains dʹEspagne. Cités et politique dans les provinces, IIe siècle av. J.‐C. –
IIIe siècle ap. J.‐C., 1995 (Paris), 182 p.
• LORETO L., Il comando militare nelle province procuratorie (30 a. C.‐280 d. C.), 2000
(Naples), 92 p.
• MAROTTA V., « Liturgia del potere. Documenti di nomina e cerimonie di investitura
fra principato e tardo Impero Romano », Ostraka, 8, 1999, p. 145-220.
• MAROTTA V., Mandata principum, 1991 (Turin), 209 p.
• MILLAR F., « The Emperor, the Senate and the Provinces », JRS, 56, 1966, p. 156-166.
• MILLAR F., The Emperor in the Roman World (31 BC – AD 337), 2e éd., 1992 (Londres),
675 p.
• SZRAMKIEWICZ R., Les Gouverneurs de Province à l’Époque Augustéenne. Contribution à
l’histoire administrative et sociale du principat, tome I, 1975 (Paris), 427 p. ; tome II,
1976 (Paris), 535 p.
• TALBERT R. J. A., The Senate of Imperial Rome, 1984 (Princeton), 583 p.
• THOMASSON B. E., Legatus. Beiträge zur römischen Verwaltungsgeschichte, 1991 (Stock-
holm), 173 p.
• DE VISSCHER F., Les édits dʹAuguste découverts à Cyrène, 1940 (Louvain), 227 p.
38
Révoltes, oppositions et résistances
à la romanité. Quelques aspects
Jean-Louis Voisin
Maître de conférences en histoire romaine
à l’université de Paris XII-Val de Marne
1. Voir en général A.-M. Thiesse, La création des identités nationales, Paris, 1999. Pour le cas français,
de nombreuses contributions dans La patrie gauloise d’Agrippa au VIe siècle, Actes du Colloque
(Lyon 1981), Lyon, 1983. Sur Alésia et la mémoire nationale, cf. O. Buchsenschutz, A. Schnapp,
« Alésia », dans P. Nora (dir.), Les Lieux de Mémoires, III Les France, 3. De l’archive à l’emblème, Pa-
ris, 1992, p. 272-315. On trouvera des parallèles suggestifs sur la place qu’occupent Alésia et
Teutoburg dans l’élaboration des mythes nationaux, en particulier dans les manuels scolaires,
dans M. Reddé, S. von Schnurbein (dir.), Alésia et la bataille du Teutoburg, Ostfildern, 2008. Pour
la péninsule Ibérique, cf. F. Wulff, Las esencias patrias. Historiografia e historia antigua en la cons‐
trucción de la identitad española (siglos XVI‐XX), Barcelone, 2003 ; A. Gonzales, « Essence, provi-
dence et histoire ancienne dans la construction de l’identité historiographique espagnole »,
DHA, 31, 1, 2005, p. 129-143. Pour le siège de Numance considérée depuis la tragédie de Cer-
vantès comme le mythe fondateur national, F. Cadiou, Hibera in terra miles, Madrid, 2008, n. 65,
p. 42. Ajoutons que le plus grand triomphe que cette pièce obtint sur scène a lieu pendant
l’occupation française au début du XIXe siècle, après qu’elle fut lue, dit-on, aux troupes espa-
gnoles assiégées à Saragosse, cf. W. Byron, Cervantès, Paris, 1984, p. 298.
2. À cet égard, la monumentale, Histoire de la Gaule de Camille Jullian est révélatrice. Entreprise à
l’extrême fin du XIXe siècle, publiée pour le premier tome en 1907, achevée en 1926, elle
s’intègre plus à une histoire nationale qu’à une histoire de l’empire romain, lequel, comme tous
les empires, s’écroule, alors que pour Jullian, la patrie demeure. L’ombre de Vercingétorix
plane sur toute l’étude, par exemple en 70 lors du soulèvement de Maricc, que Jullian nomme
« le prophète des Gaules » : « On vit soudain apparaître, telle qu’un fantôme aspirant à la vie, la
Gaule de Vercingétorix. » Sa conclusion de l’épisode, superbe : « Et les hommes cherchèrent le
dieu qui rendrait la liberté à la Gaule. Maricc n’était qu’un paysan. Mais si Rome ne retrouve
pas la force et la dignité, le prophète boïen aura son héritier parmi les chefs et les politiques. »
Sur ces questions, cf. Camille Jullian, l’histoire de la Gaule et le nationalisme français, Actes du collo‐
que organisé à Lyon le 6 décembre 1988, Lyon, 1991, et la présentation de Chr. Goudineau à la ré-
édition de l’Histoire de la Gaule de Jullian, Paris, 1993, p. I- XXIV.
3. Au demeurant avec quelques ambiguïtés, ainsi de Vercingétorix que se tiraillèrent la France de
Vichy et celle de la Résistance. Voir par exemple, A. Guérin, Chronique de la Résistance, Paris,
39
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
2000, p. 104-108. Ainsi à Gergovie : des étudiants et enseignants strasbourgeois repliés en zone
sud se livraient à des fouilles tout en prenant une part active à la Résistance ; mais le 30 août
1942 y a lieu une cérémonie présidée par le maréchal Pétain qui rassemble la Légion française
des combattants. On notera que l’étude, célèbre, en son temps, de J. J. Hatt, Histoire de la Gaule
romaine (120 avant J.‐C.– 451 après J.‐C), Paris, 1966, est dédiée « À la mémoire des résistants de
Gergovie, ceux de 52 av. J.-C., qui repoussèrent les légionnaires de César, ceux de 1940 à 1945,
dont l’enthousiasme et le sacrifice contribuèrent à la libération de la France » et préfacée par
J. Carcopino.
1. Ainsi, M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1975, qui souhaite « une histoire
décolonisée » (p. 13) et qui tente de constituer la résistance « en nouvel objet d’étude » (p. 18).
2. Nous n’avons rien trouvé ni dans V. Rosenberger, Bella et expeditiones. Die antike Terminologie der
Kriege Roms, Stuttgart, 1992, ni dans J. Sünskes Thompson, Aufstände und Protestaktionen im Im‐
perium Romanum. Die severischen Kaiser im Spannungsfeld innenpolitischer Konflikte, Bonn, 1990,
p. 12-18, qui porte essentiellement sur Dion Cassius et Hérodien.
3. Sur l’emploi de ce terme dans le vocabulaire politique, en particulier sous la République,
cf. J. Hellegouarc’h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris,
1972, p. 135-136.
40
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
1. Granius Licinianus, éd. Flemisch, Leizig, 1904, liv. 36, p. 31-32.
2. Appien, Ib., 100, 436-437.
3. Cf. J.-L. Bastien, Le triomphe romain et son utilisation politique à Rome aux trois derniers siècles de la
République, Rome, 2007, p. 233.
4. Appien, Ib., 100, 433-436 ; J.-L. Bastien, op. cit., p. 243.
5. P. Garnsey, R. Saller, L’empire romain, économie, société, culture, Paris, 1994, p. 71. Toute cette
page pose des questions pertinentes.
41
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
1. SHA, Ant. Pius, 5, 4 : Et Germanos et Dacos et multa gentes atque Iudaeos rebellantes contudit per
praesides ac legatos (« Et, par l’action des légats et des gouverneurs, il écrasa les Germains, les
Daces, de nombreuses autres nations, ainsi que les Juifs qui s’étaient révoltés », trad. A. Chasta-
gnol, Paris, 1994). A. Chastagnol fait donc porter rebellantes uniquement sur les Juifs.
2. L’ensemble du dossier est exposé par B. Rémy, Antonin le Pieux, Paris, 2005, p. 236 et p. 364,
n. 41-44.
3. Voir l’article, selon nous définitif, de P.A. Brunt, « The Revolt of Vindex and the Fall of Nero »,
Latomus, 18, 1959, p. 531-559, repris dans P.A. Brunt, Roman Imperial Themes, Oxford, 1990, p. 9-
32.
42
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
Ier siècle ap. J.-C. sa chère patrie de Bilbilis, ses ancêtres et les noms ru-
gueux de sa terre1. On le voit, les questions sont presque sans fin. De
même certaines inscriptions, certaines destructions violentes dont témoi-
gne l’archéologie peuvent être attribuées à des événements très divers : un
simple accident, du brigandage, une émeute, une révolte. Et souvent, il est
impossible de trancher de façon définitive.
Aussi lorsque la réalité même de certaines révoltes est sujette à des cri-
tiques, il paraît difficile d’avoir une vue exhaustive2 des rébellions et des
révoltes dans les provinces qui nous préoccupent. Impossible, ou presque,
de brosser de ces désordres, de ces rébellions, de ces furies paysannes, un
tableau d’ensemble. Impossible d’en dresser une typologie3. Impossible
d’en évaluer la fréquence, la densité, la répartition régionale, les cibles des
émeutiers, les liaisons ville-campagne, les complices, les groupes à ris-
ques, etc. Nos sources sont celles du pouvoir romain. Nous ne disposons
que d’indices maigres, partiaux souvent, mais pas obligatoirement, qu’il
est délicat de transposer en un autre lieu, dans une autre population et à
une autre époque. Quant aux caractères communs que l’on peut en déga-
ger, ils semblent d’une extrême banalité.
Dernière observation : il convient de différencier ce qui peut être consi-
déré comme une révolte ou comme un soulèvement de ce qui ne l’est pas.
Pour autant cette révolte ou ce soulèvement recouvre-t-il un désir
d’indépendance ou un sentiment identitaire qui se présente d’abord
comme une réaction à la présence romaine ? Nous envisagerons seule-
ment deux formes de rébellion, celle qui s’oppose par des actes de vio-
lence aux formes de l’autorité publique établie par Rome, et cela dans une
période de calme relatif, après la conquête ; et celle qui exprime de façon
feutrée un esprit que, faute de mieux, nous appelons résistance ou insou-
mission. En ce sens, nous ne prenons pas en compte les actes de brigan-
dage pur : ils peuvent être commis partout, même en Italie4, sans qu’existe
1. P. Le Roux, « Peuples et cités de la péninsule Ibérique du IIe a. C. au IIe p. C. », Pallas, n°80,
2009, p. 167.
2. À notre connaissance, il n’existe pas d’étude globale sur ces questions, l’intérêt des chercheurs
se portant avant tout sur l’Orient ou sur l’étude d’une révolte précise avec parfois des compa-
raisons avec d’autres formes d’opposition à Rome. L’ouvrage de Cl. Galini, Protesta e integra‐
zione nelle Roma antica, Bari, 1970, porte d’abord sur l’Italie et les problèmes sociaux de l’époque
républicaine. L’ensemble des communications réunies par Toru Yuge et Masaoki Doi, Forms of
Control and Subordination in Antiquity, Leyde, 1988, est trop dispersé et parfois très marqué idéo-
logiquement.
3. Rien de comparable par exemple aux recherches de J. Nicolas, La rébellion française. Mouvements
populaires et conscience sociale 1661‐1789, Paris, 2002.
4. Voir l’histoire célèbre que rapporte Pline le Jeune, Epist., 6, 25, celle du chevalier Robustus qui
disparaît avec ses gens en Italie. Une disparition qui n’est pas isolée : Pline rappelle que l’un de
ses compatriotes, Métilius Crispus, un centurion, avait lui aussi disparu peu auparavant.
Cf. aussi les exemples italiens que donne R. Mac Mullen, Les rapports entre les classes sociales dans
l’Empire romain, 50 av. J.‐C., 284 ap. J.‐C., Paris, 1986.
43
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
1. Des renseignements, assez rares malgré tout, sur les provinces occidentales sont fournis par
Brent D. Shaw, « Le Bandit », dans A. Giardina (éd.), L’homme romain, Paris, 1992, p. 371-420.
2. Voir Appien, Ib., 89-99 et J. S Richardson, The Romans in Spain, Oxford, 1996, p. 70.
3. Cf. P. Le Roux, L’armée romaine et l’organisation des provinces ibériques d’Auguste à l’invasion de
409, Paris, 1982, p. 52–77, en particulier p. 65-69
4. Sur cette question, toujours P. Jal, La guerre civile à Rome, Paris, 1963, p. 19-30 qui étudie en
définitive ces deux conflits dans son ouvrage.
5. Cependant Tacite lorsqu’il évoque la lutte contre Vindex parle d’une guerre provinciale et
certains Romains ne sont pas loin de voir en elle une guerre extérieure dans la mesure où elle
opposait les légions à la Gaule, cf. P. Jal, op. cit., p. 20.
6. Appien, Ib., 101, 441 ; BC, 1, 86 et 108-115.
7. L’expression est de J.-M. David, La République romaine, Paris, 2000, p. 185.
8. Suet., Galba, 9, 2 : Plut., Vies, Galba, 4-5.
9. Bref rappel des faits et de leurs interprétations dans J. Dubouloz, S. Pittia, « La Sicile romaine,
de la disparition du royaume de Hiéron II à la réorganisation augustéenne des provinces », Pal‐
las, n° 80, 2009, p. 89-90.
44
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
1. J.C. Dumont, Servus. Rome et l’esclavage sous la République, Rome, 1987, p. 197-271 ; p. 297-306.
Ouvrage non signalé par Dubouloz et Pittia.
2. J.C. Dumont, Servus, op. cit., p. 266.
3. Sur la résistance à Rome pendant ces guerres, cf. A. Tranoy, La Galice romaine, Paris, 1981,
p. 132-143
4. J.-M. Roddaz, Marcus Agrippa, Rome, 1984, p. 402-410.
5. Recension faite par A. Ferdière, Les Gaules IIe av. J.‐C.‐ Ve s. ap. J.‐C., Paris, 2005, p. 63-64, que
nous utilisons.
6. Sur ce peuple en général, cf. J.-P. Jospin (dir.), Les Allobroges. Gaulois et Romains du Rhône aux
Alpes, Gollion/Grenoble, 2002.
45
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
1. Les textes qui s’y rapportent, parfois contradictoires, ont été rassemblés par M. Tarpin « La
conquête de la Narbonnaise : retour sur les sources », dans J. Dalaison (éd.), Espaces et pouvoirs
dans l’Antiquité. Hommages à Bernard Rémy, Grenoble, en particulier, p. 487-501.
2. Cic., Cat., 3, 4. On sait le rôle que jouèrent les ambassadeurs allobroges dans le dévoilement de
la conjuration de Catilina.
3. Salluste, Cat., 40, 1-3 ; 41, 1.
4. Ainsi en 62-61, avec l’action expéditive de C. Pomptinus, Cic., Prov., 32
5. Cf. Chr. Goudineau, Aux origines de Lyon, Lyon 1989, p. 23-36 ; G. Lucas, « Histoire d’une fonda-
tion : Colonia Copia Felix Munatia », dans A. Desbat (dir.), Gollion, 2005, p. 41-44.
6. Une seule indication, Dion Cassius, 27, frg. 90.
7. Voir Cic., Nat., 3, 74 et Strabon, 4, 188.
8. Liv., Per., 73. La suggestion est de P. Jal, dans sa note n°12, p. 58 (C.U.F).
46
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
1. Mot de J. France, dans Chr. Delaplace, J. France, Histoire des Gaules, Paris, 1997, p. 45.
2. J.-M. Roddaz, Marcus Agrippa, Rome, 1984, p. 70-76.
3. Tibulle, Élégies, 1, 7 : « Ce jour qui devait mettre en déroute les peuples de l’Aquitaine et faire
trembler l’Adour vaincue par un vaillant soldat. » L’Adour, plutôt que l’Aude, cf. J.-P. Bost,
E. Didierjean, L. Maurin, J.-M. Roddaz, Guide archéologique de l’Aquitaine, Bordeaux, 2004, p. 12.
4. CIL XIII, 1, 1668, col. II, 37-38. Sur « l’inventaire complet des biens et des personnes à la faveur
de recensements systématiques dans les provinces nouvellement pacifiées », cf. pour
l’Hispanie, P. Le Roux, L’armée romaine…, op. cit., p. 116-117.
5. Une source quasi unique, Tacite, Ann., 3, 40-47, que nous résumons. Rien chez Suétone.
6. Voir à partir du texte de Tacite, R. MacMullen, Enemies of the Roman Order, Cambridge (Mass.),
1966, p. 213-214.
47
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
des soldats sont prêts à les rejoindre, font miroiter l’occasion de reconqué-
rir leur liberté. « Aucune cité, ou presque, affirme Tacite (Ann., 3, 41, 1), ne
fut à l’abri de cette révolte ». Les Andécaves de l’Anjou et les Turons de
Touraine donnent le signal de la rébellion. Les premiers sont contenus par
une cohorte venue de Lyon, les seconds écrasés par des légionnaires et
des auxiliaires arrivés de Germanie. Parmi les troupes romaines se trou-
vait Sacrovir ! Florus tente de soulever une aile de cavalerie. Il échoue. Sa
petite troupe, formée de ses clients et de ses débiteurs, ayant été battue
par un détachement provenant des armées des Germanies et commandé
par un autre Trévire, Florus se suicide. Sacrovir, lui, occupe Autun, prend
en otage « les enfants des plus nobles des Gaules » qui y étudiaient les arts
libéraux, rassemble 40 000 hommes, en équipe un cinquième avec des
armes de légionnaires, le reste avec des armes de chasseurs, leur incor-
pore des gladiateurs, récupère des volontaires venant d’autres cités. Avec
cette armée, à douze milles en avant d’Autun, il espère barrer la route au
légat de Germanie supérieure C. Silius Aulus qui commande à deux lé-
gions et leurs troupes auxiliaires. Plus qu’une bataille, ce fut un massacre.
Avec quelques fidèles, Sacrovir se réfugie dans une villa (première attesta-
tion en Gaule) où il se tue.
Cette révolte a intrigué ; la bibliographie est donc importante. Trois
grandes interprétations sont avancées qui ne sont pas dissociées mais liées.
La première, celle de Camille Jullian que reprend Jean-Jacques Hatt1, serait
expliquée par la nostalgie de l’indépendance. S’y ajoute le rêve d’une aris-
tocratie gauloise qui souhaite retrouver sa puissance passée, une aristocratie
concurrencée par l’enrichissement d’un groupe de marchands et d’artisans.
Enfin, et c’est la thèse qui prédomine, le déclenchement de la révolte se
trouverait dans les mesures fiscales de Tibère2 que l’on interprète comme la
suppression des privilèges accordés aux cités libres (c’est le cas des Trévi-
res) et fédérées (c’est le cas des Éduens), à savoir l’exemption du tribut.
Dans ce dernier cas, l’insurrection s’élève contre une fiscalité nouvelle, res-
sentie comme une injustice et une perte de privilège, et non contre la puis-
sance romaine elle-même. En relation avec la gravité de cette révolte, deux
camps militaires ont été associés – peut-être celui d’Arlaines, près de Sois-
1. « Ce soulèvement fut la dernière révolte proprement nationaliste de la Gaule », écrit J.-J. Hatt,
op. cit., p. 124. Hatt émet également l’hypothèse de raisons religieuses, s’appuyant sur un texte
de Pline l’Ancien (HN, 30, 4, 13) qui interdirait aux druides les sacrifices humains. Le texte dit
en réalité (trad. d’H. Zehnacker, Paris, 1999) : « Les Gaules ont été aussi possédées par la magie,
et même jusqu’à notre temps ; car c’est l’empereur Tibère qui a supprimé leurs druides et cette
race de prophètes et de médecins. » Mais il est vrai que quelques lignes plus loin, Pline précise
que ces monstruosités consistent à tuer un homme. Sur cette question, cf. désormais, J.-L. Bru-
naux, Les Druides, Paris, 2006, p. 328-330 ; 334-337.
2. Suétone, Tib., 49, 2 : « On retira à un très grand nombre de villes (civitates) et de particuliers
leurs anciennes franchises, le droit d’exploiter leurs mines et d’utiliser librement leurs reve-
nus. »
48
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
1. Voir M. Reddé (dir.), L’armée romaine en Gaule, Paris, 1996, p. 101, 177 -190.
2. Cf. Jean-Louis Voisin, « Auxerre gallo-romaine », dans J.-P. Delor (éd.), L’Yonne 89/1, C.A.G.,
Paris, 2002, p. 173-174.
3. J.-M. Engel, « La révolte de Sacrovir », dans Le regard des anciens sur l’étranger, Actes du colloque
organisé par la MAFPEN et l’ARELAD, Dijon, 1988, p. 149 -163.
4. Tac., Ann., 4, 18 et 19.
5. Signalons entre temps, aux marges de la Gaule belgique une révolte des Frisons en 28. Ils
rompirent la paix « plutôt par la faute de notre avidité que parce qu’ils étaient las de rester
soumis » (Tac., Ann., 4, 72). Drusus avait imposé aux Frisons un tribut assez faible, en rapport
avec leur pauvreté : ils devaient livrer pour les fournitures militaires des peaux de bœuf. Un
ancien primipile, Olennius, qui était chargé d’administrer les Frisons modifia cette redevance et
demanda comme modèle de ce qui sera accepté, des peaux d’aurochs. Une demande que les
Frisons ne pouvaient honorer. Ils se plaignirent d’abord, puis n’étant pas écoutés, ils ne trouvè-
rent pas d’autre recours que la guerre. Elle fut courte, mais violente. Plus de neuf cents soldats
Romains tombés dans un guet-apens furent tués, quatre cents autres s’entretuèrent, sans comp-
ter d’autres pertes. Tibère dissimula l’importance de ces revers (Tac., Ann., 72-74).
49
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
liés entre eux et cependant se distinguent les uns des autres1. Le premier
est l’épisode Vindex, un sénateur d’origine gauloise qui gouverne la pro-
vince de Lyonnaise2 et qui est totalement intégré au monde romain impé-
rial dans tous ses aspects, au point qu’il ne pense à restaurer ni indépen-
dance gauloise, ni république romaine. Son seul objectif est d’abattre
Néron. Il prend contact avec d’autres gouverneurs de province et pro-
pose, pour remplacer Néron, Sulpicius Galba, alors gouverneur de Tarra-
conaise qui est acclamé empereur en avril 68. Mais déjà, depuis mars,
Vindex a basculé dans la rébellion entraînant avec lui des peuples gaulois.
Malgré l’opposition des Trévires et des Lingons et de la ville de Lyon, le
mouvement est populaire : les Éduens, les Séquanes, les Arvernes, la ville
de Vienne en Narbonnaise le soutiennent. Aussi Vindex lève une armée
de cent mille hommes. La clé de la situation est sur le Rhin où se trouvent
les forces romaines les plus nombreuses et les mieux entraînées. Or celles
de Germanie supérieure veulent en découdre avec les rebelles gaulois et
malgré une entrevue entre Vindex et leur commandant, elles écrasent en
mai 68, près de Besançon, les soldats improvisés de Vindex. Lui-même se
tue. Un mois plus tard, Galba est reconnu empereur par le Sénat. En
Gaule, il récompense les cités qui s’étaient engagées en faveur de Vindex,
punit celles qui avaient choisi le camp opposé.
Deuxième moment. Vitellius que Galba a nommé gouverneur de Ger-
manie inférieure en décembre 68, est acclamé empereur par ses troupes le
2 janvier 69. Le 15 du même mois, à Rome, Galba est tué : Othon le rem-
place. Deux empereurs, un de trop. Le 14 avril, leurs troupes s’affrontent à
Bédriac, au nord de l’Italie. Othon, battu, se transperce. Reste donc Vitel-
lius, seul empereur jusqu’à la proclamation impériale de Vespasien an-
noncée à Alexandrie le 1er juillet 69. Vitellius entre à Rome à la mi-juillet.
En route, ses troupes ont dévasté les Gaules, s’acharnant en particulier sur
les villes et les cités qui avaient pris parti pour Vindex et pour Galba.
Cette même année, se superposant à ces troubles politiques, et peut-être
les utilisant, intervient l’histoire étrange de Maricc3. Issu de la plèbe des
Boïens, ceux que César avait installés à l’ouest du territoire des Éduens, se
disant inspiré par les dieux, il se présente comme le « libérateur des Gau-
les » et comme un dieu. Il rassemble huit mille hommes, mais se heurte
aux Eduens qui ont mis sur pied une troupe de iuventus (milice armée de
1. La encore, notre source essentielle est Tacite Hist., 1, 59, et une large partie du livre quatre. Là
encore, la bibliographie est importante, touche aussi bien ce qui concerne Néron que Vespasien.
2. Voir Y. Le Bohec, « L’armée romaine et le maintien de l’ordre en Gaule (68-70) », dans A. Cha-
niotis et P. Ducrey (éd.), Army and Power, Stuttgart, 2002, p. 151-165 ; Y. Le Bohec, La Gaule lyon‐
naise, Dijon, 2008, p. 36-37.
3. Seul Tacite la signale, Hist., 2, 61. Voir A. Momigliano, « Some preliminary remarks on the
“Religious opposition” to the Roman Empire », dans A. Giovannini (éd.), Oppositions et résistan‐
ces à l’Empire d’Auguste à Trajan, Entretiens sur l’Antiquité classique, t. 33, Fondation Hardt,
Vandœuvres-Genève, 1987, en particulier, p. 108-109.
50
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
jeunes gens) que renforcent des cohortes envoyées par Vitellius. Et facile-
ment, ils dispersent cette foule de « fanatiques1 ».
Troisième épisode. La rancœur et l’exaspération provoquées par la
conduite des armées vitelliennes entraînent certaines populations à se
tourner vers le camp de Vespasien et de ses partisans. Parmi eux, T. Hor-
deonius Flaccus, légat de Germanie supérieure. Il cherche à créer un
deuxième front à l’arrière des forces de Vitellius, ou du moins une vigou-
reuse effervescence. Dans ce dessein, il encourage les Bataves à se révolter
sous la direction d’un des leurs, Iulius Civilis, un aristocrate, citoyen ro-
main, commandant de troupes auxiliaires. Civilis mène donc en Germanie
inférieure une guerre au service de Vespasien contre les forts, les camps et
les troupes fidèles, mais partagées et hésitantes, à Vitellius. Il l’emporte
souvent, voit son prestige renforcé et récupère des armes. La confusion est
à son comble dans les troupes romaines, on s’y déchire, on s’y mutine, on
change de camp, on assassine, ainsi finit Hordeonius Flaccus. En octobre
69, Vitellius est battu à Crémone. En décembre l’armée de Vespasien entre
à Rome, Vitellius est tué, le Capitole flambe. Alors une rumeur s’empare
des Gaules et des Germanies, une rumeur qu’entretiennent les druides2 :
l’incendie du Capitole est un signe divin ; il annonce la fin de l’empire
romain et prédit la victoire aux nations d’au-delà des Alpes.
Dernier épisode, l’embrasement. Civilis est rejoint par d’autres notables
gaulois, tous citoyens romains et officiers des troupes auxiliaires : un Lin-
gon, Iulius Sabinus, qui laissait entendre qu’il descendait du dieu César et
deux Trévires, Iulius Tutor et surtout Iulius Classicus qui « surpassait les
autres par sa noblesse et ses richesses3 ». Réunis à Cologne, ce trio de Gau-
lois rassemble des Ubiens, des Tongres et naturellement des hommes de
leur peuple, analyse la situation et pense, que si l’on fortifie les Alpes, les
Gaules retrouveront la liberté et pourront décider des limites qu’elles
veulent mettre à leur puissance. Ils prennent Cologne, s’emparent de
Mayence et de son camp de légion, font prêter aux soldats (quatre légions
versent dans le déshonneur) serment de fidélité « à l’empire des Gaules »
et tuent ceux qui refusent4. De son côté, Civilis préfère s’établir au-delà du
1. On notera avec G.W. Bowersock, « Subversion in the Roman Empire », dans A. Giovannini
(éd.), Oppositions et résistances à l’Empire d’Auguste à Trajan, Entretiens sur l’Antiquité classique,
t. 33, Fondation Hardt, Vandœuvres-Genève, 1987, en particulier, p. 311, que le terme de fana-
tiques (fanaticam multitudinem) est le même (fanaticum agmen, Ann., 14, 30, 2) qu’emploie Tacite
pour décrire la foule de femmes et d’hommes qui attendent l’armée romaine lorsqu’elle débar-
que sur l’île de Mona en 61, peu avant la révolte de Boudicca. La fin de Maricc est curieuse. Fait
prisonnier, il est amené à Lyon, capitale provisoire de Vitellius, et livré aux bêtes de
l’amphithéâtre. Comme celles-ci ne veulent pas de lui, il est mis à mort sous les yeux de
l’empereur.
2. Tac., Hist., 4, 54.
3. Tac., Hist., 4, 55.
4. Tac., Hist., 4, 59.
51
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
52
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
1. Voir en français l’exposé pratique et clair de P. Galliou, Britannia, Histoire et civilisation de la
Grande‐Bretagne romaine Ier‐Ve siècles apr. J.‐C., Paris, 2004. Plus spécialement sur la conquête,
avec les mêmes qualités, cf. Y. Le Bohec, Rome et les provinces de l’Europe occidentale jusqu’à la fin
du principat, Pornic, 2009, p. 155-168.
2. Pour plus de précisions sur cette révolte, sur les sources et sur le personnage de la reine nous
nous permettons de renvoyer à nos deux articles, J.-L. Voisin, « Le lièvre de Boudicca et les fê-
tes d’Andraste », dans A. Vigourt, X. Loriot, A. Béranger, B. Klein (dir.), Pouvoir et religion dans
le monde romain. En hommage à Jean‐Pierre Martin, Paris, 2006, p. 471-493 ; « Boudicca, la Vercin-
gétorix anglaise », dans L’Histoire, n°329, mars 2008, p. 60-65.
53
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
des soldats d’active, se sont appropriés des terres dont ils ont chassé les
propriétaires. Un ensemble de facteurs qui peut pousser à la révolte, une
révolte qui ne se serait pas concrétisée sans la personnalité de Boudicca.
Par ses actions, ses discours, peut-être en liaison avec des druides dont la
présence est probable plus qu’assurée, elle déclenche l’insurrection. Les
Romains isolés et dispersés sont attaqués, la colonie de Camulodunum
(Colchester) est prise et le temple du culte impérial qui s’y élevait, détruit.
Cent vingt mille, puis deux cent mille hommes suivent Boudicca. Vraie
chef de guerre, elle détruit les bases arrières de Paullinus, évite une jonc-
tion entre deux armées romaines, massacre l’infanterie de la IXe légion
venue de Lincoln pour secourir Camulodunum, oblige le procurateur à
prendre la fuite et à passer en Gaule, brûle Londres, dévaste Verulamium
(près de Saint Albans). Au total, près de 70 000 citoyens romains et alliés
sont massacrés : « On luttait pour défendre sa vie » rappelle Tacite1. À
l’automne 60, Paullinus, qui a regroupé ses forces (environ 10 000 hom-
mes), fait face à Boudicca sur un terrain qu’il a choisi soigneusement. Le
combat tourne en faveur des Romains : 400 tués autant de blessés contre,
nous dit-on, 80 000 morts du côté des Bretons. À l’issue de la bataille,
Boudicca se serait empoisonnée. La reprise en main est impitoyable, le
pays est ravagé par le fer et le feu, quadrillé par une série de forts tandis
que les populations meurent de faim. En 63, la paix est à peu près restau-
rée. Mais lorsqu’Agricola prend ses fonctions de gouverneur au milieu de
l’été 77, elle n’est toujours pas assurée.
Face à ces rébellions armées, les formes de résistance passive sont très
mal connues et n’ont fait l’objet que de peu d’études. Malgré tout, même
si leur signification est multiple, elles existent et méritent d’être signalées.
Il y a les fraudes à l’impôt2, les monnaies entaillées et mutilées qui peu-
vent, comme celles trouvées à Alésia, être le témoignage de mouvement
d’humeur contre le pouvoir romain3, la fuite devant le recrutement, les
prises de possession de terre par Rome ou par ses alliés. Quant à la résis-
tance religieuse, elle demanderait à être étudiée région par région car
chaque cas est différent. Il semble cependant qu’en dehors du cas des
54
Révoltes, oppositions et résistances à la romanité. Quelques aspects
Conclusion
1. En dernier lieu, cf. J.-L. Brunaux, op. cit., p. 316-356, où sont présentés leurs rôles, plus ou moins
actifs, dans toutes les rébellions que nous avons signalées.
2. A. Tranoy, op. cit., p. 361. Cf. aussi l’article de A. Momigliano, cité supra.
3. C’est le même processus que l’on trouve dans la péninsule Ibérique, cf. F. Cadiou, op. cit., p. 41.
4. Tac., Hist., 4, 69, 3-4.
55
II. Réactions des Occidentaux. 1. Refus de la Conquête
56
Hommes et lieux de l’artisanat
en Gaule romaine
Jean-Claude Béal
Maître de conférences en archéologie gallo-romaine
à l'université Lumière-Lyon 2.
1. Morel J.-P., « L’artisan », dans, L’homme romain, éd. Andreau J. et alii, Éditions du Seuil, Paris,
1992.
2. Morel J.-P., « Élites municipales et manufacture en Italie », dans Les élites municipales de l’Italie
péninsulaire des Gracques à Néron, Actes de la table ronde internationale de Clermont‐Ferrand (1991),
dir. Cébeillac-Gervasoni M., Collection de l’Ecole Française de Rome, vol. 215, Naples-Rome,
1996, p. 184.
3. Meylan Fr., F. Perrin, M. Schönfelder, « L’artisanat dans les oppida d’Europe tempérée : un état
de la question », dans Les artisans dans la ville antique, éd. Béal J.-C. et J.-C. Goyon, Université
Lumière-Lyon 2, Lyon, 2002, p. 77-99, 4 pl.
57
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
La définition de l’artisanat
58
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
Les sources
Les professions
1. Frézouls E., « Les noms de métiers dans l’épigraphie de la Gaule et de la Germanie romaines »,
Ktéma, 16, 1991, p. 33-72.
2. Bonsangue M. L., « Aspects économiques et sociaux du monde du travail à Narbonne d’après la
documentation épigraphique (Ier s. av. J.-C. – Ier s. ap. J.-C.) », Cahiers du Centre Gustave Glotz,
XIII, 2002, p. 207.
59
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
ments ? Par facilité, on convient souvent qu’il est les deux et que l’activité
de la vente n’est pas séparée de celle de la production. On le constate dans
quelques agglomérations secondaires (en France, à Alésia chez les Hé-
duens, à Bliesbrück chez les Médiomatriques1), ou en Suisse à Oberwin-
thertür, où les fouilles de ces dernières années ont montré que les installa-
tions de travail étaient – particulièrement à partir du IIe s. – rejetées à
l’arrière de « maisons longues » dont la façade était désormais occupée
par des boutiques. Mais les modes de commercialisation sont en fait di-
vers, et, à côté de la vente directe, existent des chaînes plus complexes
dont témoignent aussi bien l’existence des negotiatores (marchands en
gros) en produits céramiques, sidérurgiques, etc., que celle d’ateliers péri-
urbains ou ruraux qui ne sont ni conçus ni localisés pour faciliter la vente
directe.
1. Pour Alésia, voir dans ce volume la contribution de M. Joly ; pour Bliesbrück : Vivre en Europe
romaine. De Pompei à Bliesbrück‐Rheinheim, éd. Petit J.-P. et S. Santoro, Paris, Éditions Errance,
2007, p. 167-172.
2. Martin R. et Varène P., Le Monument dʹUcuétis à Alésia, 26e suppl. à Gallia, C.N.R.S. Éditions,
Paris, 1973.
3. R.I.G., II, 1, L 3, p. 147-155.
4. Rabeisen E., « Fourniture aux armées ? Caractères et débouchés de la production d'équipe-
ments de cavalerie à Alésia au Ier siècle ap. J.-C. », Militaires romains en Gaule civile, dir. Le Bohec
Y., (Coll. CERGR, NS 11), Lyon 1993, 51-71.
60
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
Vaison, à Vienne ou à Glanum1. Leur plan est très proche de celui des
domus, et ces identifications sont souvent discutées. Mais ces constructions
témoignent de l’importance de ces groupes dans la société contemporaine,
par leur luxe et leur proximité des centres publics et des sanctuaires.
Les monuments funéraires font connaître, le plus souvent par les reliefs
sculptés des IIe et IIIe s. de n. è., un certain nombre des professionnels de
l’artisanat. C’est même dans les Trois Gaules que ces images sont les plus
nombreuses, et l’on a cru longtemps que ces représentations, et tout parti-
culièrement celles des professionnels à leur tâche, étaient des images
« prises sur le vif2 », dans lesquelles C. Jullian3 voyaient s’exprimer « les
forces vives de l’art régional et ancestral, […] autochtone » : on sait au-
jourd’hui4 qu’elles s’inscrivent en fait dans la continuité formelle d’images
gréco-romaines dont elles sont des adaptations.
Deux types d’images peuvent être distingués5. D’une part des défunts
sont figurés de face, tenant un outil qu’ils ne sont pas en train d’utiliser. Il
ne faut pas voir dans ces « possesseurs d’outils » les artisans modestes
qu’imaginait C. Jullian : quelle que soit la réalité de leur activité, l’image
que ces défunts ont choisi de donner est celle de propriétaires
d’instruments de la production artisanale. Ces reliefs s’inscrivent dans
une double tradition. Ils sont en effet la transposition dans la pierre d’une
pratique attestée à l’âge du fer, mais qui n’a pas disparu à l’époque impé-
riale en Gaule, le dépôt d’outils dans les tombes de défunts fortunés,
membres d’une élite sociale que leur fortune met en situation de posséder
des outils de production. C’est ainsi le sens qu’il faut donner aux outils de
forgeron trouvés dans la sépulture principale d’un enclos funéraire de
Banassac (Lozère), où l’on avait vu6, à tort selon nous, « la reconnaissance
très élargie du rôle que joue le forgeron dans la société antique ». Mais à
Rome aussi, le « possesseur d’outils » n’est pas nécessairement l’artisan
qui les met en œuvre. L’outillage, en effet, et plus largement l’équipement
1. Gros P., « Maisons ou sièges de corporations ? Les traces archéologiques du phénomène asso-
ciatif dans la Gaule romaine méridionale », CRAI, 1997, vol. 1, p. 213-241 ; Bouet A., « Les collè-
ges dans la ville antique : le cas des subaediani », RA, 2001, vol. 2, p. 227-278.
2. Reddé M., « Les scènes de métier dans la sculpture funéraire gallo-romaine », Gallia, XXXVI,
1978, p. 43.
3. Jullian C., De la Gaule à la France, nos origines historiques, Éditions Hachette, Paris, 1926 3, p. 168.
4. Baltzer M., « Die Alltagdarstellungen der treverischen Grabdenkmäler, Untersuchungen zur
Chronologie, Typologie und Composition », TZ, 46, 1983, p. 7-151.
5. Béal J.-C., « La dignité des artisans : les images d’artisans sur les monuments funéraires de
Gaule romaine », DHA, 2000, p. 149-182.
6. Feugère M. et Ph. Gros, « Les ensembles funéraires gallo-romains du Champ del Mas à Banas-
sac (Lozère), fouilles 1990 », RAN, 1996, p. 285-305.
61
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
d’une structure artisanale est, en droit, du ressort de celui qui fait travail-
ler plutôt que de celui qui travaille : c’est la taberna instructa qui est mise à
disposition, la boutique équipée, c’est-à-dire les murs et le matériel, et le
Digeste (33, 7, 15 ou 23) discute longuement sur la définition juridique de
l’instrumentum d’une taberna comme ce qui est strictement nécessaire à son
fonctionnement. Une distinction identique existe du reste dans le monde
rural : pour Caton l’Ancien, comme plus tard pour Varron, le propriétaire
du domaine (fundus) fournit aux travailleurs l’outillage et les matériaux, et
les articles du Digeste sont nombreux à évoquer le fundus instructus, et le
fundus cum instrumento.
On rencontre d’autre part sur les reliefs funéraires des scènes de travail
montrant des professionnels à leur tâche. Ces images se trouvent généra-
lement sur les faces latérales de monuments funéraires de défunts qui
apparaissent figurés en pied sur la façade. Ces images en position se-
condaire se superposent les unes aux autres, montrant des activités diver-
ses, dans une logique qui n’est pas celle de la chaîne opératoire d’un mé-
tier (du sciage de tronc à la réalisation de charpentes ou de meubles), mais
le reflet des choix financiers du défunt pour s’assurer des revenus1. Il faut
donc identifier ici le défunt comme un « investisseur multiple », plaçant
de l’argent dans plusieurs domaines censés rapporter : preuve, s’il en était
besoin, qu’à côté des revenus de la terre et de l’agriculture, existent en
Gaule romaine des revenus de la manufacture.
1. Béal J.-C., « Pistor et materiarius : à propos d’une stèle funéraire de Metz antique », RAE, 47,
1996, p. 79-95.
2. Goudineau Ch., « Les villes de la paix romaine », Histoire de la France urbaine, dir. G. Duby,
Éditions du Seuil, Paris, 1980, p. 38.
62
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
1. Ferdière A., « La place de l’artisanat en Gaule romaine du Centre, Nord-Ouest et Centre-Ouest
(province de Lyonnaise et cités d’Aquitaine septentrionale », RACF, 2006-2007, revue en ligne.
2. Desbat A., « La gestion des déchets en milieu urbain : l’exemple de Lyon à la période ro-
maine », La ville et ses déchets dans le monde romain : rebuts et recyclages. Actes du colloque (Poitiers,
19‐21 sept. 2002), éd. Ballet P., P. Cordier, N. Dieudonné-Glad, Montagnac, Éditions Monique
Mergoil, 2003, p. 117-120.
3. Pour la céramique : Raepsaet-Charlier M.-Th. et G., « Aspects de l’organisation du commerce
de la céramique sigillée dans le nord de la Gaule aux IIe et IIIe siècles de notre ère, II, négociants
et transporteurs », Münstersche Beiträge zur antiken Handelsgeschichte, VII, 2, 1988, p. 45-68.
63
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Béal J.-C., « L’artisanat et la ville : relecture de quelques textes », dans Les artisans …, op. cit.,
p. 5-14.
2. Laur-Belart R., Guide d’Augusta Raurica, 5e édition revue et augmentée par L. Berger, Historische
und Antiquarische‐Gesellschaft, Bâle, 1991, p. 129-136.
3. Ferdière A., « La place de l’artisanat en Gaule romaine du Centre, Nord-Ouest et Centre-Ouest
(province de Lyonnaise et cités d’Aquitaine septentrionale », RACF, 2006-2007, revue en ligne.
64
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
1. Ferdière A., « L’artisanat gallo-romain entre ville et campagne (histoire et archéologie) : posi-
tion historique du problème, méthodologie, historiographie », dans Artisanat et productions...,
op. cit., p. 12.
2. La Graufesenque (Millau, Aveyron). Volume I, Condatomagos, une agglomération de confluent en
territoire rutène, IIe s. a.C. – IIIe s. p.C., dir. Schaad D., Fédération Aquitania, Pessac, 20082.
3. Vivre en Europe romaine. De Pompei à Bliesbrück‐Rheinheim, éd. Petit J.-P. et S. Santoro, Paris,
Éditions Errance, 2007, p. 159-172.
4. Coulthard N., « Les activités artisanales gallo-romaines à Touffreville (Calvados – France) et
quelques réflexions sur leur importance dans le développement du site », dans Artisanat et pro‐
ductions artisanales …, op. cit., p. 165-183.
5. Ferdière A., « L’artisanat gallo-romain entre ville et campagne (histoire et archéologie) : posi-
tion historique du problème, méthodologie, historiographie », dans Artisanat et productions …,
op. cit., p. 19-20, fig. 10-11.
6. Par exemple, vers l’époque augustéenne, des membres d’une gens Usulenia d’origine italienne :
Christol M. et G. Fédière, « La présence italienne dans l’arrière-pays de Narbonne : le dossier
des Usuleni. Épigraphie de l’instrumentum domesticum et épigraphie lapidaire », DHA, 25/1,
1999, p. 81-99.
65
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
66
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
installations ; mais il est acquis que ces établissements ont une vocation
vinicole quasi exclusive ou exclusive, bien éloignée de l’idéal du domaine
rural selon Pline le Jeune. D’ailleurs, les deux villae se trouvent à proximi-
té d’axes de commercialisation terrestres (vers Rodez et vers la Voie Do-
mitienne pour l’une, vers Valence et vers Arles pour l’autre) et fluviaux
(l’Hérault et le Rhône). En revanche, la part réduite consacrée sur les deux
sites à la résidence (pars urbana) montre qu’on y a bien affaire à des lieux
de transformation d’une matière première agricole, bien plus qu’à des
résidences de campagne : s’estompe alors la division que nous évoquions
en commençant, entre une agricultura digne d’éloge et l’activité artisanale.
Du reste, s’il existe en milieu urbain, à Fréjus ou Marseille par exemple, de
rares cas d’ateliers de production d’amphores destinées au transport de
l’huile et plus encore du vin, c’est bien en milieu rural que sont attestés la
plupart de ces ateliers1, tel celui de Sallèles-d’Aude (Aude), à peu près
intégralement fouillé, et dont on connaît même les quelques maisons où
habitaient le personnel.
1. Brun J.-P. et Laubenheimer F. (éd.), « Dossier : la viticulture en Gaule », Gallia, 58, 2001, p. 207-
209, fig. 105.
2. Dupraz J. et C. Fraisse, L’Ardèche, 07, Carte archéologique de la Gaule, Paris, 2001, p. 161 : atelier
sidérurgique de la boutique n°550.
3. Plassot E., « Le quartier Saint-Pierre, la maison aux xenia », dans Delaval E. et alii, Vaise, un
quartier de Lyon antique, DARA, n°11, Service régional de l’archéologie, Lyon, 1995, p. 94-96 (ate-
lier de bronzier).
67
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
Cependant, dans les zones urbaines dont la trame est plus lâche, les
lieux du travail et de l’habitation de l’artisan peuvent se répartir au sein
d’une même parcelle et autour d’une cour, comme les unités de forge du
quartier de la Grande Boissière à Jublains1, capitale des Diablintes
(Mayenne), ou l’atelier de potier du site « Villa Roma » à Nîmes2. Ce type
d’installation existe aussi dans les agglomérations secondaires, à La Grau-
fesenque par exemple3 ou dans le hameau rural de la Boissière-École4 : on
peut y voir une autre forme de la multiplication des unités de production.
À l’inverse, aux portes des villes et en milieu rural, on rencontre des
halles artisanales, dont on connaît aussi quelques exemples en Italie, et
qui abritent plusieurs postes de travail identiques. À Besançon5, une halle
de plus de 120 m2 abrite des fours, des espaces de travail et de stockage ; à
Lyon, une autre halle abrite des foyers et des fosses permettant la produc-
tion d’objets en bronze6. Dans les hameaux ruraux du Rozier (Lozère) et
de Sallèles-d’Aude, d’autres halles, dont la superficie peut dépasser
1000 m2 à Sallèles-d’Aude, hébergent plusieurs dizaines de postes de
tourneurs sur céramique, dont la production sera, à Sallèles en tout cas,
cuite dans un grand four commun7. L’importance d’une activité ou d’une
entreprise se manifeste donc par deux voies, la multiplication des unités
de production ou l’agrandissement d’une unique unité, la première plus
adaptée à une trame urbaine serrée, la seconde plus commodément déve-
loppée en milieu rural.
Ainsi le poids de l’artisanat urbain ne peut-il être opposé simplement à
celui des autres milieux : l’insertion dans un contexte ou les conditions
d’approvisionnement en matières premières sont aussi à prendre en
compte, et la bourgeoisie moyenne de la Gaule romaine ne néglige pas, en
ville et ailleurs, les revenus de l’artisanat, exprimant sa réussite par
l’édification de sièges d’associations professionnelles et l’érection de mo-
numents funéraires, où elle témoigne assez sereinement, au moins dans
les Trois Gaules, de ses investissements manufacturiers.
1. Boquet A., « Un quartier artisanal dans la cité antique de Noviodunum (Jublains – Mayenne) »,
dans Les artisans …, op. cit., p. 165-171.
2. Fiches J.-L.et A. Veyrac, Nîmes, CAG, 30/1, Carte archéologique de la Gaule, Paris, 1996, p. 234.
3. La Graufesenque, op. cit., p. 144-159, fig. 231.
4. Dufay B., « Le centre… », op. cit.
5. Muniez Cl., « Un atelier de verrier du IIe siècle à Besançon », dans Foy D. dir., Cœur de verre,
Production et diffusion du verre antique, catal. d’expo., Lyon, décembre 2003 – avril 2004, In Folio Édi-
tions, Gollion, 2003, p. 46-51.
6. Tranoy L. et alii, « Le quai Arloing : artisanat et nécropole », dans Delaval E. et alii, Vaise, un
quartier de Lyon antique, DARA, n°11, Service régional de l’archéologie, Lyon, 1995, p. 179-254,
p. 194-200, fig. 175, p. 202-206,
7. Laubenheimer F., « L’atelier de Sallèles-d’Aude et son évolution dans le temps », dans Lauben-
heimer F. (dir), 20 ans de recherches à Sallèles‐d’Aude, Presses Universitaires franc-comtoises, Be-
sançon, 2001, p. 11-24, p. 14, fig. 5 à 8.
68
Hommes et lieux de l’artisanat en Gaule romaine
Bibliographie
• 20 ans de recherches à Sallèles‐d’Aude, dir. LAUBENHEIMER F., Presses Universitaires
franc-comtoises, Besançon, 2001.
• Artisanat et productions artisanales en milieu rural dans les provinces du nord‐ouest de
l’Empire romain, Actes du colloque d’Erpeldange, mars 1999, dir. POLFER M., Éditions
Monique Mergoil, Montagnac, 1999.
• BÉAL J.-C., « La dignité des artisans : les images d’artisans sur les monuments
funéraires de Gaule romaine », Dialogues d’Histoire Ancienne, 2000, p. 149-182.
• FERDIÈRE A., « La place de l’artisanat en Gaule romaine du Centre, Nord-Ouest et
Centre-Ouest (province de Lyonnaise et cités d’Aquitaine septentrionale », Revue
Archéologique du Centre de la France, 2006-2007, revue en ligne.
• FERDIÈRE A., Les Gaules, IIe s. av. J.‐C. – Ve s. ap. J.-C., Armand Colin, Paris, 2005.
• Les artisans dans la ville antique, éd. BÉAL J.-C. et GOYON J.-C., Collection Archéolo-
gie et histoire de l’antiquité, Université Lumière-Lyon 2, Lyon, 2002, p. 5-14.
• MOREL J.-P., « L’artisan », dans Andreau J. et alii, L’homme romain, Éditions du
Seuil, Paris, 1992, p. 267-362.
• Vivre en Europe romaine. De Pompei à Bliesbrück‐Rheinheim, éd. PETIT J.-P. et
SANTORO S., Paris, Éditions Errance, 2007.
69
Artisanat et commerce chez les Éduens
et les Lingons durant le Principat
Martine Joly
Maître de Conférences en Antiquités Nationales à l’université de Paris-
Sorbonne (Paris IV), UFR d’Art et d’Archéologie
1. Nous ne revenons pas sur la question des limites de ces cités antiques, qui a donné lieu à une
abondante littérature, voir à ce sujet Le Bohec Y., Les inscriptions de la cité des Lingons, Inscrip‐
tions sur pierre, Inscriptions latines de la Gaule Belgique, 1, Paris, éd. du C.T.H.S., 2003, p. 11-12.
2. Joly M. éd., Histoire de pot, les potiers gallo‐romains en Bourgogne, réédition complétée par M. Joly
et Ch. Vernou, Dijon, Musée Archéologique, déc. 2004, 32 p.
70
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
Fig. 01. Carte de localisation des principaux sites mentionnés dans le texte
1. Elle se reconnaît grâce à son revêtement rouge brillant, un engobe vitrifié grâce à une cuisson
dans des fours perfectionnés, à haute température. Elle concerne uniquement de la vaisselle de
table. Dans un premier temps, durant les décennies autour de la Conquête, produite par les
Romains et importée en Gaule, elle est ensuite fabriquée à Lyon, puis dans quelques grands
centres en Gaule, dont le plus important est celui de La Graufesenque, qui a exporté dans tout
l’Empire romain. Voir à ce sujet la publication récente consacrée à ce site : Genin M., éds., La
Graufesenque (Millau, Aveyron). Volume II : sigillées lisses et autres productions, Aquitania, Études
d’Archéologie Urbaine, 2007.
2. Joly M. éd., Histoire de pot, les potiers gallo‐romains en Bourgogne, réédition complétée par M. Joly
et Ch. Vernou, Dijon, Musée Archéologique, déc. 2004, 32 p.
71
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
Les lieux d’activité des artisans se trouvent soit dans les capitales de
cité, soit dans des agglomérations secondaires, soit dans les campagnes.
Andemantunnum (Langres), la capitale des Lingons, succède à
l’oppidum gaulois et un important programme urbanistique débute dès
l’époque augustéenne. L’importance du site résulte de sa position straté-
gique, qui constitue un nœud du réseau routier d’Agrippa3. La surface de
l’espace urbain atteint 135 hectares. L’organisation de la ville et la locali-
1. Gauthier E, Joly M., « Vignoble et viticulture dans le Nord-Est de la Gaule au Ier s. ap. J.-C. »,
dans Favory Fr., Vignot A. éds., Actualité de la recherche en histoire et archéologie agraire, Actes du
colloque V Ager, Besançon, 2000, ALUB, 2003, p. 191-208
2. Bogard Ph., Forest V., Pelletier L., « Passer les peaux en blanc : une pratique gallo-romaine ?
dans : éd. Beyriès S., Audouin-Rouzeau F., Le travail du cuir de la Préhistoire à nos jours, Actes des
XXIIe rencontres internationale d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes, 18‐20 octobre 2001, Antibes,
2002, p. 231-250 ; Forest V., Rodet-Belarby I., « Artisanat de la peau », dans éd. Monteil M., Tra-
noy L., La France gallo‐romaine, Inrap, La Découverte, Paris, p. 109.
3. Joly M., Langres, oppidum et caput civitatis, dans : R. Hanoune, dir., Les villes romaines du Nord de
la Gaule, Revue du Nord, Hors Série. Coll. Art et Archéologie, 10, 2007, p. 205-219.
72
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
1. Joly M., Langres, Carte Archéologique de la Gaule, 52-2, Académie des Inscriptions et Belles Let-
tres, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2001, p. 98
2. Joly M., Langres, Carte Archéologique de la Gaule, 52-2, Académie des Inscriptions et Belles Let-
tres, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2001, p. 98-100.
73
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
74
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
1. Rebourg A., « L’urbanisme d’Augustodunum », Gallia, 55, 1998, p. 141-236 ; Rebourg A., Gou-
dineau Ch., Autun antique. Guides archéologiques de la France, Monum., éditions du patri-
moine, Paris, 2002, p. 88-93.
75
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
76
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
77
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Voir en particulier les publications récentes, qui donnent une abondante bibliographie : Pol-
fer M., Lʹartisanat dans lʹéconomie de la Gaule Belgique à partir de la documentation archéologique,
Monogr. Instrumentum, 28, Éd. M. Mergoil, Montagnac, 2005 ; Polfer M. éd., Artisanat et écono‐
mie romaine : Italie et provinces occidentales de l’Empire, Actes 3e colloque international dʹErpeldange
(Luxembourg, 14‐16 oct. 2004), Monogr. Instrumentum, 32, Éd. M. Mergoil, Montagnac, 2005.
78
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
Les artisans
79
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
Le commerce
80
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
des produits de l’artisanat. Les Lingons et les Éduens occupent une place
importante sur les marchés, en raison de leurs contacts anciens avec Rome
et de titres et statuts privilégiés acquis dès la période qui précède la
conquête romaine.
En ce qui concerne le commerce de proximité, l’archéologie a récem-
ment mis en évidence quelques lieux de vente dans des échoppes urbaines.
Dans le vicus (bourg) lingon de Vertillum (Vertault), un lot de céramique
découvert au XIXe s., en bordure d’une rue principale, dans une couche de
terre brûlée, a été récemment interprété comme une partie du stock d’un
commerçant1. Sa boutique, installée en bordure d’une rue de Vertillum a
probablement été endommagée par un incendie. Dans ce quartier du vicus,
d’autres boutiques associées à des maisons ont été repérées lors des fouilles
anciennes, mais celle-ci est la première pour laquelle on peut identifier la
marchandise vendue. Les vases peuvent, au vu des recherches récentes, être
datés du deuxième quart du Ier siècle ap. J.-C. (période tibério-claudienne).
La découverte de Vertault vient s’ajouter à la liste peu fournie des quelques
réserves de revendeurs de céramiques publiées à ce jour. Il faut souligner
qu’il s’agit de l’une des plus anciennes signalées à l’heure actuelle.
Ce lot de céramiques est particulièrement intéressant pour l’étude des
mouvements commerciaux en Gaule de l’est dans la première moitié du Ier
siècle après J.-C. Ces céramiques, importées des ateliers champenois loca-
lisés dans la vallée de la Vesle, entre Reims et Châlons-en-Champagne,
témoignent d’un commerce sur une distance relativement longue (de
l’ordre de cent cinquante à deux cents kilomètres). La consommation de
produits champenois est bien attestée chez les Lingons à cette période, en
particulier dans la capitale lingonne Andemantunnum, ou encore dans
l’agglomération d’Alésia. Vertault apparaît comme un centre de redistri-
bution important pour ces produits.
Dans la capitale des Éduens, la fouille réalisée en 1985 boulevard Fré-
déric-Latouche a entraîné la découverte d’un segment du cardo maximus,
bordé par un portique monumental, constitué d’arcades à piliers. Dans
l’une des couches recouvrant le trottoir, un lot très abondant de cérami-
ques a été recueilli. Au minimum 1 500 vases en sigillée provenant des
ateliers du Centre de la Gaule, ont fait l’objet d’une étude approfondie. Ils
proviennent vraisemblablement d’une boutique datable, grâce à ces vases,
des années 140-160. Ces céramiques importées des importants ateliers de
1. Joly M., avec la coll. de Biegert S., Un stock de produits champenois du Ier siècle ap. J.-C. re-
trouvé en Bourgogne à Vertillum (Vertault, 21), dans Rivet L. éd., Spécificités et diffusion de la cé‐
ramique gallo‐romaine en région Centre ; Actualité des recherches céramiques, Actes du congrès de Blois,
5 mai‐ 8 mai 2005, Société Française d’Étude de la Céramique Antique en Gaule, Marseille, 2005,
p. 459-468.
81
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
La marque de Rome
Bibliographie
• CHARDRON-PICAULT P. éd., Hommes de feu – Hommes du feu, l’artisanat en pays
éduen, Catalogue de l’exposition temporaire tenu au musée Rolin (22 septembre
2007– 28 janvier 2008), Le Creusot, 2007.
• CHARDRON-PICAULT P., PERNOT M., Un quartier antique dʹartisanat métallurgique à
Autun – Le site du Lycée militaire, DAF 76, Paris, 1999.
1. Rebourg A., Archéologie à Autun et dans l’Autunnois, fouilles et découvertes récentes, Cat. de
l’exposition (19 avril – 13 juillet 1986, Musée Rolin, Autun), Ville d’Autun, 1986, p. 38.
2. Reddé M. dans : éd. R. Goguey et M. Reddé, Le camp légionnaire de Mirebeau. Römisch Germani‐
sches Zentralmuseun Forschungsinstitut für Vor‐ und Frühgeschichte, Mayence, 1995, p. 5-9 et
p. 373-380.
82
Artisanat et commerce chez les Éduens et les Lingons durant le Principat
• COULON G., Les Gallo‐Romains, vivre, travailler, croire, se distraire, 51 av. J.‐C. – 486
apr. J.‐C., Errance, 2006, 220 p.
• DEMAROLLE J.-M., « Quatre chefs-lieux de Gaule du nord-est et leurs artisans au
Haut-Empire : état des lieux », dans Béal J.-C., Goyon J.-C. (éd.), Les artisans dans la
ville antique, Actes Coll. Arch. et Hist. de lʹAnt., Univ. Lumière-Lyon 2, vol. 6, De
Boccard, Lyon/Paris, 2002, p. 151-164.
• FERDIÈRE A., Les Gaules, IIe s. av. J.‐C. – Ve s. ap. J.‐C., Armand Colin, collection U,
Histoire, 2005 (Paris), 447 p.
• JOLY M. éd., Histoire de pot, les potiers gallo‐romains en Bourgogne, 1996, réédition
complétée par M. Joly et Ch. Vernou, Dijon, Musée Archéologique, déc. 2004, 80 p.
• JOLY M., Langres, Carte Archéologique de la Gaule, 52‐2, Académie des Inscriptions et
Belles Lettres, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2001.
• JOLY M., Langres, oppidum et caput civitatis, dans R. Hanoune (dir.), Les villes romai‐
nes du Nord de la Gaule, Revue du Nord, Hors Série. Coll. Art et Archéologie, 10,
2007, p. 205-219.
• JOLY M., VAILLANT A., « La production de vaisselle en céramique à Andemantun‐
num », dans M. Joly, A. Vaillant (dir.), Du producteur au consommateur : les cérami‐
ques chez les Lingons (IIe s. av J.‐C. – IIIe ap.), à paraître.
• LE BOHEC Y., Les inscriptions de la cité des Lingons, Inscriptions sur pierre, Inscriptions
latines de la Gaule Belgique, 1, Paris, éd. du C.T.H.S., 2003, 368 p.
• MONTEIL M., TRANOY L., La France gallo‐romaine, Paris, La Découverte, 2008, 180 p.
• REBOURG A., « L’urbanisme d’Augustodunum », Gallia, 55, 1998, p. 141-236.
83
Les Africains dans les provinces
occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
Michèle Coltelloni-Trannoy
Professeur d'histoire romaine à Paris IV-Sorbonne,
membre du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques
et de la Société d'Études du Maghreb préhistorique, antique et médiéval
Le groupe des provinces occidentales, tel qu’il est défini par le pro-
gramme des concours, ne doit pas faire oublier un autre grand bloc dont
l’importance fut essentielle à la formation de l’espace méditerranéen puis
à sa redéfinition à la faveur des conquêtes romaines : il s’agit des territoi-
res africains1 qui bordaient la côte méridionale du Mare nostrum. Leur
intégration progressive dans l’Empire, sur une longue durée et sous des
formes successives (royaumes alliés et provinces2), a parachevé l’expan-
sion romaine en Méditerranée occidentale ; en même temps, les contacts
développés entre les populations de ces différents espaces ont contribué à
donner une coloration particulière, originale, à certaines provinces euro-
péennes, qu’il convient de souligner. Le thème choisi donne ainsi
l’occasion d’étudier celles-ci (Gaules, Espagnes, îles italiennes), à partir
d’une perspective qui leur est extérieure : il nous a semblé que le recours à
un partenaire supplémentaire permettrait de mettre plus aisément en
évidence les logiques transméditerranéennes, mais aussi régionales, dont
les Romains et les populations locales ont été responsables.
L’instauration d’une puissance politique prédominante dans le secteur
occidental de la Méditerranée, avant même la création de provinces, a créé
des conditions favorables aux relations privées, personnelles et commer-
ciales, aux migrations de populations (temporaires ou définitives), à la
1. Nous entendrons par là les provinces romaines d’Afrique Proconsulaire (qui s’étend à la Tripo-
litaine jusqu’à Dioclétien), de Maurétanie césarienne et de Maurétanie tingitane : nous excluons
les ressortissants de Cyrénaïque et d’Égypte, puisque, pour les Romains, ces provinces helléno-
phones n’entraient pas dans l’Africa (prise au sens large du terme).
2. La première province africaine est l’Africa, formée à partir du territoire de Carthage, en 146 ;
puis le royaume numide de Juba I est annexé en 46 et devient l’Africa Noua, rattachée à l’Africa
(Vetus) à l’époque triumvirale. À ces deux provinces, unifiées en droit à partir de 27 av. J.-C.
(Afrique proconsulaire), s’ajoutent en 42 les deux Maurétanies (césarienne et tingitane) qui suc-
cèdent au royaume de Maurétanie qu’Auguste avait créé en 25 av. J.-C. à partir de l’ancien
royaume maure de Bocchus II (son allié) et de certaines régions de l’ancienne Africa noua. Sur
cette chronologie : Coltelloni-Trannoy M., Le royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée (25
av. J.‐C.‐40 p. J.‐C., Paris, 1997, cf. p. 9-65.
84
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. Voir, par exemple, le large panorama de Lassère J.-M., « La mobilité de la population. Migra-
tions individuelles et collectives dans les provinces occidentales du monde romain », dans
L’Africa romana, 16, 2006, p. 57-92.
2. Dondin-Payre M., « Gaulois des Gaules et Gaulois d’Afrique : de la réalité à l’imaginaire ;
naissance et développement d’un mythe de migration », dans L’Africa romana, 16, 2006, p. 857-
870.
3. Sordi M. (dir.), Emigrazione e immigrazione nel mondo antico, Contributi dell’Istituto di storia antica,
vol. 20, Milan, 1994 ; ead. (dir.), Coercizione e mobilità umana nel mondo antico, Contributi
dell’Istituto di storia antica, vol. 21, Milan, 1995 ; Moatti Cl., La mobilité des personnes en Méditerra‐
née de l’Antiquité à l’époque impériale. Procédure de contrôle et documents d’identification, Rome,
2004 ; Angeli Bertinelli M. G. et Donati A. (éds), Le vie della storia. Migrazioni di popoli, viaggi di
individui, circolazione di idee nel Mediterraneo antico, Rome, 2006 ; Compatangelo-Soussignan R. et
Schwentel C.-G. (dir.), Étrangers dans la cité romaine. « Habiter une autre patrie » : des incolae de la
République aux peuples fédérés du Bas‐Empire, Actes du colloque de Valenciennes, octobre 2005, Ren-
nes, 2007.
4. Haley E. W., Foreigners in Roman Imperial Spain : Investigations of Geographical Mobility in the
Spanish Provinces of the Roman Empire, 30 BC‐AD 284, University of Colombia, 1986 ; id., Migra‐
tion and Economy in Roman Imperial Spain, Barcelone, 1991 ; Lassère J.-M, « La mobilité de la
85
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
Cette contribution n’a pas pour objectif de faire l’inventaire de ces mul-
tiples travaux, une entreprise d’ailleurs impossible, ni de fournir une liste
exhaustive de tous les Africains répertoriés ici où là, ce qui relèverait d’un
autre cadre d’études, mais de proposer un bilan d’ensemble qui insistera
surtout sur deux points. Le premier point amène à nuancer l’impression
généralement admise d’un « marché commun » de l’Antiquité pour met-
tre en valeur une optique qui nous semble plus juste : la situation née de
l’emprise romaine a, certes, créé des conditions nouvelles d’échanges des
biens et des populations, mais ce cadre eut aussi pour effet de renforcer
les anciennes voies économiques et culturelles, de dynamiser les routes
migratoires mises en place depuis les époques préhistorique et protohisto-
rique. Le deuxième point montrera que l’impact de la domination ro-
maine a épousé des rythmes différents et des modalités variées selon les
époques et les régions de l’Occident : la présence des Africains dans le
domaine européen est, à cet égard, un très bon mètre-étalon des processus
migratoires engagés dans ce cadre.
Pour entreprendre cette étude, nous avons tiré parti de la documenta-
tion la plus ample et la plus diverse possible (littéraire, archéologique,
épigraphique, numismatique) parce que chaque type de source ne fournit
pas le même type d’informations et qu’il est donc nécessaire de les croiser :
et ce d’autant plus que notre projet est de traiter des gens plus que des
biens, des migrations plus que des échanges, et que ce choix réduit de ma-
nière assez sensible l’éventail de la documentation. De fait, les migrations
des personnes sont surtout directement perceptibles à travers les informa-
tions que fournit la documentation épigraphique, en dépit de ses lacunes,
de ses imprécisions, de ses limites chronologiques (elle est pratiquement
inexistante à l’époque républicaine) et de ses variations régionales. De leur
côté, les textes littéraires ne s’intéressent qu’à quelques personnages im-
portants ou bien décrivent des processus juridiques et politiques relatifs à
des transferts de population volontaires ou forcés, mais pas aux individus
population… », op. cit., fournit une bibliographie sélective de 350 titres ! Lefèvre S., « Les migra-
tions des Africani en péninsule Ibérique : quelle vérité ? », dans Caballos Rufino A. et Demou-
gin S. (dir.), Migrare. La formation des élites dans l’Hispanie romaine, Paris, 2006, p. 100-203 ; Mas-
tino A., « Le relazioni tra Africa e Sardegna in età romana : inventario preliminare », dans
L’Africa romana, 2, 1985, p. 27-89 ; id., « Le relazioni tra Africa e Sardegna in età romana », ASS,
XXXVIII, 1995, p. 11-82 ; Ricci C., « Africani a Roma. Testimonianze epigrafiche di età imperiale
di personaggi provenienti dal Nordafrica », Ant. Afr., 20, 1994, p. 189-207 ; Salmieri G., « Sui
rapporti tra Sicilia ed Africa in età romana repubblicana ed imperiale », dans L’Africa romana, 3,
1987, p. 397-412 ; Villedieu F., « Les relations commerciales entre l’Afrique et la Sardaigne du IIe
au Ve s. », dans L’Africa romana, 3, 1986, p. 321-332 ; Wierschowski L., Die regionale Mobilität in
Gallien nach den Inschriften des 1. bis 3. Jh. n. Ch., Stuttgart, 1995 ; id., Fremde in Gallien‐Gallier in
der fremde. Die epigraphisch bezeugte Mobilität in, von und nach Gallien vom 1. bis 3. Jh. n. Ch. (Texte‐
Übersetzungen‐Kommentare), Stuttgart, 2001 ; Zucca R., « I rapporti tra l’Africa e la Sardinia alla
luce dei documenti archeologici. Nota preliminare », dans L’Africa romana, II, 1985, p. 93-104. Je
renvoie également aux parutions de L’Africa romana, en particulier aux volumes 13, 14, 15 et 16
dont les thèmes concernent le sujet des échanges et de la mobilité.
86
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
qui les subissent ou en profitent. Quant aux biens matériels, ils ont besoin,
bien évidemment, de marchands pour circuler, mais ces derniers ne sont
pas nécessairement issus de la même région que les productions (et les
producteurs) et les intermédiaires peuvent être nombreux : les routes mi-
gratoires et les régions d’immigration se distinguent, au moins en partie,
des routes et des régions de commercialisation. L’immense réservoir des
sources archéologiques informe donc sur les voies commerciales et sur les
marchés, sur les influences culturelles et les échanges techniques, mais il
n’est pas en mesure de nous assurer en toute certitude si ces phénomènes
de transferts ont généré des migrations temporaires ou définitives, abon-
dantes ou mineures, d’Africains vers les régions d’exportation. En outre,
les migrations peuvent très bien s’expliquer par des motifs autres
qu’économiques, même si la multiplication des échanges de biens à partir
de l’époque augustéenne s’est accompagnée d’une mobilité croissante des
personnes : malheureusement, les motifs précis n’apparaissent pas tou-
jours dans les sources qui concernent les individus.
Du point de vue méthodologique encore, comment repérer la trace des
Africains hors de l’Afrique du Nord ? Plusieurs indices peuvent nous
guider, et il est nécessaire de les croiser quand ils existent, d’autant que
les plus solides ne sont pas les plus nombreux, bien au contraire ! Si la
mention de l’origo1 ou celle de l’ethnique des individus sont des argu-
ments irréfutables de migration, du moins pour la première génération, la
rareté de leur mention interpelle assurément : faut-il penser que les Afri-
cains hésitaient à se distinguer de leur environnement social dans l’espoir
d’améliorer leur intégration et celle de leurs enfants ? Ou bien n’était-ce
pas une donnée de « mémoire » aussi importante que nous sommes por-
tés à le croire aujourd’hui ? Pourtant, les mentions diverses de l’origine
géographique ou ethnique existent bel et bien, et ne sont pas exceptionnel-
les : s’agit-il alors d’un signe adressé à la communauté africaine locale à
laquelle la famille du défunt tient à se rattacher pour des raisons profes-
sionnelles ou familiales ? Est-ce le rappel nostalgique de l’ancienne patrie
de cœur, d’autant plus idéalisée qu’elle a été abandonnée2 ? Il est égale-
ment possible que la mention de la cité d’origine indique que les liens
avec celle-ci ne sont pas encore distendus, que les relations familiales ont
perduré malgré la distance. Le deuxième indice d’une origine africaine est
1. Elle intervient sous plusieurs formes qui peuvent être associées : par la mention de la cité ou de
la province d’origine, ou bien par des expressions plus originales (natione Afer, domo Afrika ou
colonia, oriunda Mauritania, oriundus Siccae Veneriae).
2. Ainsi le thème récurrent, dans les dédicaces funéraires, de la mort en pays étranger, témoigne-t-
il de cette circonstance aggravant la peine exprimée sur la stèle par le défunt et sa famille :
R. Lattimore., Themes in Greek and Latin Epitaphs, Urbana, 1962, p. 200-202 ; Vérilhac A.-M.,
Paμidew °$avroi. Poésie funéraire, T. 1, Textes, Athènes, 1978, p. 83-87 ; Cugusi P., « Deux thèmes
épigraphiques », dans Aspetti letterari dei carmina latina Epigraphica, Cagliari, 1985, p. 199-221.
87
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. La bonne méthode est de croiser cette information onomastique avec d’autres éléments, quand
ces derniers existent ! Cet article n’est pas le lieu approprié pour discuter de ces questions épi-
neuses. J’en donnerai un seul exemple : concernant Afer, comme désignation ethnique ou co‐
gnomen africain, les avis des historiens sont très partagés : les uns le retiennent dans leur liste,
en considérant que la probabilité d’une origine africaine est forte, les autres l’excluent parce que
ce nom est assez commun dans l’Empire et qu’il est porté par des individus qui n’ont appa-
remment pas d’origine africaine (le père de l’empereur Hadrien porte ce nom alors que la fa-
mille vient d’Italie : HA, Hadr., I, 1-2) : ainsi L. Wierschowski (cf. supra n. 4, p. 85) ne décompte
pas les Afer dans sa recension, tandis que S. Lefèvre le fait (mais avec prudence). Sur la question
des cognomina : M. Dondin-Payre, « Gaulois des Gaules et Gaulois d’Afrique… », op. cit., p. 859
et Y. Le Bohec, La Sardaigne et l’armée romaine sous le haut‐Empire, Sassari, 1990, p. 79 semblent
dénier aux noms géographiques toute valeur informative sur l’origine des porteurs. Cependant,
les cartes de répartition des principaux cognomina de type africain en Espagne, présentées dans
l’article de S. Lefebvre, « Les migrations des Africani…, op. cit., montrent une concentration ma-
nifeste de ces noms en Bétique, dans le sud de l’Andalousie et dans les ports de la côte orien-
tale : même si les porteurs de ces noms ne sont pas tous africains ou d’origine africaine, la ré-
partition est conforme à ce que l’on sait par ailleurs des migrations africaines dans la péninsule.
88
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. Compatangelo-Soussignan R., « Etrangers dans la cité romaine : introduction à l’étude », dans
Compatangelo-Soussignan R. et Schwentel C.-G. (dir.), Etrangers dans la cité romaine…, op. cit.,
p. 9-21, cf. p. 12-14 ; voir aussi, dans le même volume, les contributions de Hermon E., « Des
communautés distinctes sur le même territoire : quelle fut la réalité des incolae ? », p. 25-42 et de
Licandro O., « Domicilium et incolae tra repubblica e principato », p. 43-76. Le statut de pérégrin
a servi à définir les individus qui n’avaient pas la citoyenneté romaine et les cités qui ne bénéfi-
ciaient pas du statut municipal.
2. Tarradell M., « L’immigration à Tarragone, capitale d’une province romaine d’Occident », dans
Etienne R., Itineraria Hispanica, Bordeaux, 2006, p. 187-206, cf p. 206.
89
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
sés. De ces réalités-là, nous n’avons que peu d’échos parce que les témoi-
gnages épigraphiques émanaient des milieux les moins pauvres. Souli-
gnons toutefois que les migrations étaient en général préparées et accom-
pagnées par l’existence de réseaux professionnels, familiaux ou politiques
de nature à faciliter les séjours et les intégrations locales.
Loin d’avoir créé une situation d’échanges uniforme, où les popula-
tions auraient circulé d’un bout à l’autre de l’Empire de manière indis-
tincte, l’instauration de la pax romana laisse entrevoir des zones géogra-
phiques et culturelles dont la cohérence s’enracine dans un passé lointain :
la présence romaine a accentué et a diversifié ces relations privilégiées au
lieu de les émousser, apportant une seule réelle grande innovation, les
échanges nourris avec la ville de Rome. De ce point de vue, la réponse
apportée par les provinciaux à la situation créée par la présence romaine
témoigne de la vitalité des échanges humains interrégionaux, tels qu’ils
s’étaient instaurés avant la conquête : le modèle romain n’a en rien altéré
le cadre général de ces réseaux ; bien plus, non seulement Rome ne les a
gênés qu’épisodiquement, mais elle a au contraire parfois mené une poli-
tique de nature à les renforcer.
La première observation tient à l’existence, en Occident, de trois gran-
des régions avec lesquelles les Africains ont entretenu des relations tota-
lement asymétriques : d’une part, la région nord-Espagne/Gaules, d’autre
part, la région Sicile/Sardaigne, enfin l’Ibérie méridionale (Bétique et sud-
est de la Lusitanie) et les principaux sites de sa côte orientale. La distinc-
tion se fonde sur la contiguïté territoriale avec l’Afrique, ce qui entraîne
l’abondance ou la faiblesse des migrations africaines.
Concernant les Gaules, l’étude récente de L. Wierschowski1 consacrée
aux migrations de l’époque impériale, confirme celle, plus ancienne, de
B. Fischer2 (sur l’époque républicaine) et même celle du pionnier en la
matière, R. Cagnat3. L’une des conclusions majeures de B. Fischer était que
les monnaies africaines trouvées en Gaule à l’époque républicaine et au
90
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. La zone du denier gaulois comprend la Transalpine et les territoires alliés de César, plus les
Arvernes, mais après la conquête, les émissions gauloises continuent en raison de la pénurie en
monnaie romaines : Ferdières A., Les Gaules, IIe s. av. J.‐C.‐Ve s ap. J.‐C., Paris, 2005, p. 113-114 ;
Gruel V., La monnaie chez les Gaulois, Paris, 1989, p. 151-152 ; Goudineau Ch., César et la Gaule,
Paris, 1990, p. 141 sq ; Guichard V. et alii, « À propos de la circulation monétaire en Gaule Che-
velue aux IIe et Ier s. av. J.-C. », RAC, 32, 1993, p. 25-55. En Afrique, les émissions numides, jus-
qu’à Juba I, ont adopté une échelle divisionnaire inspirée du système punique alors que le
monnayage de Juba I ouvrit une ère nouvelle : certains de ses deniers comportent une légende
bilingue (latin-punique), une iconographie inspirée de la Victoire utilisée par Caton sur ses
émissions d’Utique et le portrait royal à l’avers se rapproche des portraits romains : Alexan-
dropoulos J., Les monnaies de l’Afrique antique, 400 av. J.‐C./40 ap. J.‐C., Toulouse, 2000, p. 174 sq.
2. Mazard J., « Création et diffusion des types de monnaies maurétaniennes », BAM, 4, 1960,
p. 107-116 expliquait cette rareté par la nature de ces émissions, éminemment politique (mani-
fester le pouvoir royal) et non économique (créer un véritable instrument d’échange).
91
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Gozalbes Cravioto C., « Monedas del Norte e Africa halladas en la provincia de Málaga », dans
L’Africa romana, 14, 2002, p. 1529-1540, cf p. 1537-1539 ; Callagarin L., « La Maurétanie de
l’Ouest », dans L’Africa romana, 15, 2004, p. 505-540, cf p. 538.
2. Hamdoune Ch., Les auxilia externa africains des armées romaines, IIIe s. av. J.‐C.‐IVe s. ap. J.‐C.,
Montpellier, 1999.
3. Wierschowski L., op. cit., p. 42 sq., Bonsangue M.-L., « Des affaires et des hommes : entre
l’emporion de Narbonne et la péninsule Ibérique (Ier s. a. C.-Ier s. p. C.) », dans Caballos Rufino
A. et Demougin S. (dir.), Migrare…, op. cit., p. 15-68.
4. Les marchés africains semblent avoir « réagi » diversement à l’offre gauloise : Bourgeois A.,
« La céramique sigillée de la Graufesenque en Afrique Proconsulaire », Pallas, hors série, 1986
(Mélanges M. Labrousse), p. 323-334, constate la faiblesse des importations gauloises dans cette
province et suppose la venue, sous les Flaviens de potiers gaulois, qui auraient contribué au
démarrage de la production africaine ; au contraire, Limane H., « La céramique du sud de la
Gaule à Lixus », dans Lixus, Actes du Colloque organisé par l’Institut des sciences et du patrimoine de
Rabat avec le concours de lʹÉcole française de Rome (Larache, janvier 1989), CEFR, 166, Rome-Paris,
1992, p. 299-303, note des importations considérables à Lixus, l'apogée se situant sous Néron et
Vespasien.
5. Briand-Ponsart Cl. et Hugoniot Ch., L’Afrique romaine, de l’Atlantique à la Tripolitaine, 146 av. J‐
C.‐533 ap. J.‐C., Paris, 2005, p. 189 sq ; Brun J.-P., Archéologie du vin et de lʹhuile dans lʹEmpire ro‐
main, Paris, 2004, chapitre VII, p. 185-259, dresse un tableau pour les provinces d'Afrique du
Nord ; id., Archéologie du vin et de lʹhuile en Gaule romaine, Paris, 2005.
92
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
93
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
94
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. La stèle votive évoquant le taurobole fut trouvée près d’une nécropole qu’O. Hirschfeld a
appelée « le cimetière des étrangers » de Lyon (« Fremdenfriedhof » : Hirschfeld O., « Zur Ges-
chichte des Christentums in Lugdunum vor Constantin », dans Hirschfeld O., Kleine Schriften,
Berlin, 1913, p. 177).
2. Burian J., « Die Afrikaner im römischen Reich in der Zeit des Prinzipats », Das Altertum, 7, 4,
1961, p. 233-238 ; Lassère J.-M., Ubique populus…, op. cit.
3. Bonsangue M.-L., « Des affaires et des hommes… », op. cit., p. 16.
95
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Se reporter au bilan de J.-M. Lassère, « La mobilité de la population… », op. cit., en part. p. 58-63.
2. Lefèvre S., « Les migrations des Africains…, op. cit. ; d’autres travaux minimisaient la présence
africaine en Espagne : Haley, Migration and Economy..., op. cit., p. 44, recense 17 Africains sûrs et
48 probables ; Lassère J.-M., Ubique populus…, op. cit., p. 627-632.
3. Voir supra, la bibliographie aux notes 3, p. 85 et 4, p. 85-86.
96
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
97
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
basées sur la confiance, sans doute aussi sur des relations familiales. Ce
que les textes ne précisent pas, c’est que ces échanges s’inscrivaient dans
un cadre plus large, que les historiens et les archéologues ont pris
l’habitude de désigner par la formule « Circuit du détroit » : on entend
par là que les deux rives du détroit et leur arrière-pays formaient, depuis
l’époque phénicienne, une région ayant un faciès original, une « province
culturelle » où les brassages culturels, démographiques et commerciaux
étaient multiples et sans comparaison avec ce que l’on peut observer avec
le reste de l’Espagne. L’épicentre de la zone se trouvait à Gadès, le Maroc
constituant en quelque sorte « la périphérie d’une périphérie » occiden-
tale1 où les armateurs pouvaient s’associer et se concurrencer pour expor-
ter ces produits au loin, en Italie et même jusqu’en Grèce2. Les activités
étaient toutes en relation avec les ressources maritimes, qu’il s’agisse de la
pêche au thon, de l’exploitation du murex destiné à la fabrication de la
pourpre, des salaisons et du garum (saumure de poisson), mais aussi des
amphores qui transportaient ces produits. Concernant ces dernières, des
formes identiques étaient fabriquées dans des ateliers situés de part et
d’autre du détroit (à Cadix, à Ibiza comme à Kouass ou à Banasa, etc.), de
l’époque phénicienne à l’époque romaine : ainsi, au milieu du Ier s. de
notre ère, les amphores Beltran 2b remplacent le type Dressel 7-11 apparu
à l’époque augustéenne, pour contenir les mêmes denrées3.
Pareille homogénéité dans les productions suggère des transferts de
techniques et de populations qui apportaient leur savoir faire en Bétique
et au Maroc. En revanche, on observe la faible diffusion des monnaies
maures en Espagne et, au contraire, l’abondance de monnaies espagnoles
en Maurétanie occidentale : cette situation suggère que le commerce euro-
africain s’est effectué pour l’essentiel avec les monnaies espagnoles en
raison de la prédominance économique de Gadès et de sa région. Gadès
aurait été « un filtre commercial, un centre capteur et redistributeur4 », ce
qui pourrait expliquer la présence tardive en Maurétanie occidentale des
matériels issus des grands centres méditerranéens, notamment italiens.
1. Morel J.-P., « Note sur les relations économiques et culturelles ente le Maroc et l’Espagne dans
l’Antiquité », dans L’Africa romana, 16, 2006, p. 1327-1336, cf p. 1329.
2. Rouillard P., « Le commerce grec du Ve et IVe s. av. J.-C. dans les régions de Lixus et de Ga-
dès », dans Lixus, Actes du colloque de Larache, novembre 1989, Rome, 1992, p. 211-213 ; Garcia-
Bellido, M.P. Gelabert-Pérez,, « Hispanos en el Norte – Noroeste de Africa… », dans L’Africa
Romana, 16, 2006, p. 791-802 ; Liou B., Maréchal R., « Les inscriptions peintes sur amphore de
l’Anse Saint-Gervais à Fos-sur-Mer », Archaenautica, 2, 1978, p. 109-181, cf. p. 169, cite des am-
phores contenant du jeune thon, trouvées à Vindonissa, à Pompéi et à Rome, avec l’inscription
Cord(ula)Ting(itarum) Vet(us), une autre à l’Anse Saint-Gervais contenait du thon de Lixus.
3. Hassini H., « Le Maroc et l’Espagne à l’époque antique. Échanges commerciaux ou marché
commun ? », dans L’Africa Romana, 16, 2006, p. 803-812 ; Morel J.-P., « Note sur les relations
économiques et culturelles … », op. cit., p. 1333.
4. Callegarin L., « La Maurétanie de l’ouest au IIe s. av. J.-C. en marge de la Méditerranée ro-
maine ? », dans L’Africa romana, 15, 2004, p. 505-540, cf p. 538.
98
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
99
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Lefèvre S., « Les migrations des Africani… », op. cit., p. 149 ; même conclusion de M. Tarradell,
« L’immigration à Tarragone… », op. cit., p. 190.
2. Le Glay M., « Les Flaviens et l'Afrique », MEFRA, 80, 1968, p. 201-246,
3. Par exemple, Lopez Pardo F., « Traslados de población entre el Norte de Africa y el Sur de la
Península Ibérica en los contextos coloniales fenicio y púnico », Gerion, 20, 2002, p. 113-152 ;
Garcia-Bellido, M.P. Gelabert-Pérez, « Hispanos en el Norte-Noroeste de Africa y Africanos en
el Sur de la Peninsula ibérica en época helenistica », dans L’Africa romana, 16, 2006, p. 791-801, cf
p. 796 sq.
4. Pol., 3, 33, 7 ; TL, 21, 22.
5. Desanges J., « Sur quelques rapports toponymiques entre l'Ibérie et l'Afrique Mineure dans
l'Antiquité », dans La toponymie antique. Actes du colloque de Strasbourg, 12‐14 juin 1975 (= Travaux
du CRPOGA, 4), Leyde, 1977, p. 249-264.
100
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. Ascalis reçoit en revanche l’aide de Sylla, ennemi du marianiste Sertorius : Plut., Sert., 9, 1-5.
2. Cic., Fam., X, 31-33 ; Appien, BC, III, 81 et 97 ; Rodriguez Neila J.-F., Los Balbos de Cádiz. Dos
Españoles en la Roma de César y Augusto, Séville, 1973.
3. Juba II, à Carthagène : C.N.N.M., n°397 ; C.I.L., II, 3417 = I.L.S., 840 ; à Gadès : Fest.. Av., Ora
mar., 277-283 ; Ptolémée : C.N.N.M., n°512-514. Mangas J., « Juba II de Mauretania, magistrado y
patronado ciudades hispanas », dans Ripoll Perello E. (dir.), Actas del I congresso « El Estrecho di
Gibraltar », Ceuta, 1987, Madrid, 1988, p. suppose que Juba a participé au financement de la Via
Augusta et a consolidé la position des Gaditains sur le marché maurétanien.
4. Plusieurs cités d’Espagne choisissent pour patrons des empereurs ou des membres de leur
famille sous les julio-claudiens : Cardon E., « Le patronat municipal en Bétique et en Tarraco-
naise sous les premiers Julio-claudiens : un exemple de loyalisme dynastique », dans André J.-
M., Hispanité et romanité, Actes du colloque Barcelone‐Paris, 1999, Madrid, 2004, p. 39-58.
5. Coltelloni-Trannoy M., « Les liens de clientèle en Afrique du nord, du IIe s. av. J.-C. au début du
principat », dans BCTHS, ns, 24, 1997, p. 59-82.
6. Porphyre, De abst., 25, 1.
101
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
102
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
pública y orden social, » Canelobre, 48, 2003, p. 35-57). Dernièrement, Gascou J., « Sur le statut de
quelques villes de Numidie et de Maurétanie césarienne », Antiquités africaines, 40-41, 2004-2005,
p. 259-267 revient sur la question en considérant que ces Icositani constituaient un conuentus
ciuium romanorum d’Icosium, rattaché à Ilici, mais l’auteur ne mentionne pas l’existence de la table
de centuriation. À paraître : Bernard G., « Le lien de contributio entre colonies et communautés de
citoyens romains dans les provinces africaines sous le Haut-Empire, dans Actes du colloque inter‐
national de la SEMPAM « Centres de pouvoir et organisation de l’espace », Caen, mai 2009 ; et ma pro-
pre contribution : « Encore sur les Icositani… ».
1. Lefèvre S., « Les migrations des Africani… », op. cit., p. 143-146.
2. CIL, II, 105 ; D’Encarnação J., « La Lusitanie romaine, pôle d’immigration : témoins épigraphi-
ques », dans Angeli Bertinelli M. G. et Donati A. (éds), Le vie della storia..., op. cit., p. 299-305,
cf. p. 301 sq.
103
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Lefèvre S., ibid., p. 129-131 ; Beltran Fortes J., Rodriguez Hidalgo J. M., « Dea Caelestis en Italica.
Peculiarides de un culto norteafricano en una ciudad de la Baetica », dans L’Africa romana, 16,
2006 p. 1439-1450.
2. CIL, II, 1976 = AE, 1986, 337 (datée du IIIe s.) ; Rodriguez Oliva P., « Contactos entre las tierras
malacitanas y el norte de Africa en epoca clásica », dans España y el norte de Africa. Bases históri‐
cas de una relación fundamental, I, Actas del I congreso Hispano‐africano de las culturas mediterráneas
« Fernando de los Rios Urruti », juin 1984, Grenade, 1987, p. 195-206.
3. Bondi S.F., « La cultura punica della Sardegna romana: un fenomeno di sopravvivenza ? », dans
L’Africa romana, 7, 1990, p. 457-464.
4. Mastino A., « Le relazioni tra Africa e Sardegna… », op. cit., p. 38-39.
5. ILSard., I, 233 = AE, 1894, 153.
104
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
105
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
106
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. De Salvo L., « Mobilità dei mercanti nell’ occidente romano », dans L’Africa romana, 16, 2006,
p. 773-790.
2. SEG, IV, 21 ; Feissel D., « Un Libyen à Syracuse », BCH, 107, 1983, p. 609-612.
3. Genovesi S., « Lo spostamento di popolazioni e persone… », op. cit., p. 786-787.
4. Picard G.-Ch., « Rapports de la Sicile et de l’Afrique pendant l’Empire romain », Kokalos, 18-19,
1972-1973, p. 108-119 ; De Salvo L., « la Sicilia e la province occidentali in età imperiale e tar-
doantica », dans L’Africa romana, 14, 2002, p. 1601-1616.
5. Bivona L., « La gens Cassia tra Africa e Sicilia », dans L’Africa romana, 4, 1987, p. 489-492.
6. CIL, X, 8044, 1-5 a-b.
7. Napoli F., Spigolature storiche di Magara antica, Marsala, 1923, p. 155-158.
8. CIL, VIII, 23801 ; Corbier M., « Les familles clarissimes d’Afrique (I-IIIe s.) », dans Epigrafia e
ordine senatorio, Rome, 1981, II, p. 717.
9. CIL, VIII, 24528.
10. Villedieu F., « Les relations commerciales entre l’Afrique et la Sardaigne du IIe au Ve s. », dans
L’Africa romana, 3, 1986, p. 321-332 ; De Salvo L., « I naviculari de Sardegna e d’Africa nel tardo
impero », dans L’Africa romana, 6, 1989, p. 743-754 ; Mastino A., « Le relazioni tra Africa e Sar-
dinia… », op. cit., p. 63.
107
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
collège sont liés à une famille africaine bien connue au IIe s., les Aufidii,
grands propriétaires fonciers et marchands de grain1.
Certaines familles africaines avaient su développer des activités de pro-
duction et de commercialisation à une échelle transrégionale, nécessitant
des trajets réguliers ainsi que l’implantation hors d’Afrique de leurs mem-
bres : ces derniers, qui devenaient citoyens des cités d’accueil, étaient par-
fois à l’origine de branches apparentées à la gens d’origine avec laquelle les
liens d’affaires et de famille étaient maintenus. Une autre série de docu-
ments montre que la puissance régionale de ces familles et les liens de
patronat facilitaient les carrières administratives2 : ainsi Q. Caecilius Metel-
lus, proconsul de Sicile (fin Trajan-début Hadrien) est-il d’origine africaine,
sans doute carthaginoise ; Septimius Geta et son frère, le futur empereur
Septime Sévère, originaires de Leptis Magna, sont proconsuls de Sicile sous
Commode ; C. Maesius Picatianus, légat propréteur de Numidie (162-165),
peut avoir été à l’origine de l’implantation de la gens Maesia en Sicile3. En-
tre 117 et 122, on connaît la présence en Sicile de deux procurateurs impé-
riaux originaires de Proconsulaire : leur fonction intervient à un moment
délicat, après la grande révolte juive sous Hadrien en Égypte, qui désorga-
nisa l’annone et nécessita de recourir aux ressources frumentaires de la
Sicile4 : leur procuratèle sicilienne comportait donc une dimension anno-
naire inusitée. M. Vettius Latro, natif de Thuburbo Maius, prêtre des Cereres,
est d’abord procurateur de l’annone à Ostie puis procurateur de Mauréta-
nie Césarienne avant d’arriver en Sicile (vers 117)5. Titus Flavius Macer,
notable issu d’Ammaedara et citoyen de Calama, en Numidie, s’introduit
tardivement dans l’administration impériale après avoir gravi tous les
échelons du cursus municipal : il assure alors une fonction extraordinaire
dans sa région (responsable des achats de blé pour Rome à la fin du règne
de Nerva) en donnant satisfaction puisqu’il devient ensuite procurateur
pour les domaines impériaux d’Hippone et de Théveste avant d’accéder
(sous Hadrien) à la fonction de procurateur en Sicile6. La corrélation entre
l’origine africaine de certains notables et leur accès à des postes adminis-
tratifs dans la province voisine se voit aussi en Espagne : à partir de Nerva,
28 sénateurs africains en charge dans les provinces ibériques viennent de
1. Mathieu N., Histoire d’un nom. Les Aufidii dans la vie politique, économique et sociale du monde
romain, Rennes, 1999.
2. Salmieri G., « Sui rapporti tra Sicilia e Africa… », op. cit., p. 410.
3. Bivona L., « Note sulla gens Maesia nella Sicilia occidentale », dans filéiaw xéarin. Miscellanea di
studi classici in onore di E. Manni, I, p. 241-242.
4. Picard G.-Ch., « Rapports de la Sicile et de l’Afrique pendant l’Empire romain », op. cit., p. 109.
5. Pflaum H. G., Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut Empire romain, Paris, 1960,
p. 240-243, n°104.
6. Christol M., « Du notable local à l’administrateur impérial, la carrière de T(itus) Flavius Macer :
aspects de la vie institutionnelle de la province d’Afrique au début du IIe s. ap. J.-C. », dans
Christol M., Regards sur l’Afrique romaine, Paris, 2005 (= Splendidissima ciuitas. Études d’histoire
romaine en hommage à François Jacques, Paris, 1996, p. 27-37).
108
Les Africains dans les provinces occidentales (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.)
1. Castillo C., « Relaciones entre Hispania y Africa en época alto-imperial », dans L’Africa romana,
7, 1990, p. 79-99.
2. CIL, X, 7600 = AE, 1992, 870 ; Mastino A., « Le relazioni tra Africa e Sardegna… », op. cit., p. 39 ;
Hamdoune Ch., Les auxilia externa africains…, op. cit., p. 122, n. 43 et p. 254 f.
109
La Gaule et « l’hellénisation »
Michel Debidour
Professeur d’histoire grecque à l’université Jean Moulin Lyon 3
1. On lira dans la REL 86, 2008, p. 129-138, un article de Y. Le Bohec qui offre une mise au point
précieuse sur cette question.
110
La Gaule et « l’hellénisation »
1. Polybe, Histoires, trad. D. Roussel (coll. Pléiade), 1970, p. 1145-1146 (rééd. coll. Quarto, 2005,
p. 1287-1289). Il s’agit de quatre fragments relatifs à la Gaule, transmis par Athénée.
2. Quand on voit les choses depuis l’Orient, ou même simplement de Rome, en l’absence de cartes
précises, des erreurs sont excusables…
3. Momigliano A., Sagesses barbares, Maspero, 1979, p. 80-83.
4. Une arrivée ponctuelle ou un flux régulier ? avec ou sans intermédiaires ?
5. Le même problème se pose pour Rome, et avec la même acuité, dans toutes les régions exté-
rieures à l’Empire, à propos des objets de fabrication romaine découverts jusque dans les ré-
gions de l’Inde, voire de l’Indochine.
111
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
certains sites. On sait que les Grecs de Phocée, d’abord marins et commer-
çants avaient installé des comptoirs sur les côtes de la Méditerranée occi-
dentale, en Corse, en Ibérie, en Gaule. Ils s’étaient notamment implantés à
Marseille autour du port du Lacydon, puis de là sur un certain nombre de
sites en Provence : Agde, Olbia (Hyères), Tauroeis (Le Brusc), Antipolis
(Antibes), Nikaia (Nice), Monaco. Cette implantation coloniale ne fut pas
territoriale ou assez peu : la chôra de Massalia se limitait à quelques cen-
taines de km2 dans le bassin de l’Huveaune.
1. Comme nulle part en Occident, même en Sicile, la région pourtant la plus anciennement et la
plus profondément hellénisée avant la conquête romaine. Les seuls descendants du grec se-
raient, à ma connaissance, un dialecte en voie de disparition dans quelques villages perdus de
la Basilicate (Italie du sud). Les Grecs de Cargèse (Corse) ne sont arrivés que bien plus tard, au
XVIIe siècle, pour fuir la domination ottomane.
2. Les Marseillais tenaient à leurs traditions grecques, « comme s’ils habitaient au cœur même de
la Grèce », à en croire les ambassadeurs rhodiens (Tite-Live, 37, 54, 21).
112
La Gaule et « l’hellénisation »
L’archéologie doit bien entendu être notre source principale, mais les
documents mis au jour restent trop souvent difficiles à interpréter. Le
témoignage des objets, s’il est irrécusable, se révèle bien souvent ambigu.
Leur présence ne nous renseigne pas directement sur les échanges, et en-
core moins sur leur caractère (directs ou par intermédiaires ?) et sur les
responsables (des Marseillais ? d’autres Grecs ? des Étrusques ? des Gau-
lois ?)3. Après la belle céramique attique, rare mais facile à identifier, qui
remonte aux premiers siècles de la colonisation, d’autres objets d’origine
grecque4 se retrouvent-ils en grande quantité dans la Gaule indépendante
avant la conquête romaine ?
1. On peut faire des remarques un peu analogues à propos des oppida d’Ensérune (Hérault) et
d’Entremont (Bouches-du-Rhône).
2. Gros P., La Gaule Narbonnaise, Picard, 2008, p. 7- 14.
3. Roman D. et Y., Histoire de la Gaule, p. 262 : « Une coupe ne constitue pas un mouvement com-
mercial et n’en signe pas l’origine. »
4. Qu’il s’agisse d’objets produits à Marseille, ou bien venus de Grèce propre par l’intermédiaire
de Marseille.
113
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Laubenheimer F., Le temps des amphores en Gaule, éd. Errance, 1990 ; Poux M., L’âge du vin. Rites
de boisson, festins et libations en Gaule indépendante, Montagnac, 2004.
2. On se souviendra qu’avec les méthodes de navigation et les pratiques météorologiques à
l’époque, les naufrages se produisaient en général à proximité de la destination beaucoup plus
que du port de départ : les épaves des côtes provençales nous renseignent donc sur les importa-
tions reçues par la Gaule, non sur des exportations éventuelles depuis la Gaule.
3. On sait que cette céramique dite arétine (d’Arezzo en Italie) a été supplantée sous le Haut-
Empire par la sigillée gauloise, dont les ateliers les plus fameux furent ceux de la Graufesenque
(Aveyron) et de Lezoux (Puy-de-Dôme), sans parler de Montans (Tarn), de Banassac (Lozère)…
4. L’analyse sociologique, voire anthropologique de ce phénomène, amorcée par Fanette Lauben-
heimer (Le temps des amphores en Gaule), a été poussée par Poux M., L’âge du vin. Rites de bois‐
son… ; D. et Y. Roman, op. cit., p. 255-256.
114
La Gaule et « l’hellénisation »
1. Decourt J.-Cl., Inscriptions grecques de la France (IGF), Travaux de la Maison de l’Orient, vol.
n°38, diff. de Boccard, 2004.
2. IGF n°140, 159.
3. IGF n°135.
4. IGF n°68 ; Roman D. et Y., op. cit., p. 267-268.
5. IGF n°101.
6. IGF n°156, 157 et 158.
7. IGF n°143.
115
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
1. Voir l’article de Duval P.-M., « Les inscriptions gallo-grecques trouvées en France », in Actes du
colloque sur les influences helléniques en Gaule, Dijon, 1958, p. 63-69, et surtout Lejeune M., Recueil
des inscriptions gauloises (Duval P.-M. dir.), vol. I Textes gallo‐grecs, (45e suppl. à Gallia, éd. du
CNRS, 1985) ; carte de répartition dans Roman D. et Y., op. cit., fig. 59 p. 358 et dans Lauben-
heimer F., Rev. Arch. de l’Est, 38, 1987, p. 165. On ne connaît pas d’inscription gallo-grecque en
dehors de la France [hormis les monnaies], ni en Italie du Nord, ni en Galatie, ni sur le Danube,
autres régions celtes pourtant fréquentées par les Grecs.
2. À côté d’une bonne centaine en langue grecque, datées pour leur majorité de l’époque romaine.
En 1985, Lejeune en a recueilli 281, mais beaucoup sont des fragments ténus. Les proportions
restent les mêmes : en dehors du Midi, essentiellement le Centre-Est, entre Roanne, le mont
Beuvray et Alésia.
3. Lejeune M., Textes gallo‐grecs, p. 5. Strabon (Géographie, IV, 1, 5) mentionne à Marseille la grande
école fondée par Volcacius Moschus, où l’élite des Romains venait, de préférence même à
Athènes, pour s’initier à la culture grecque ; quelques Gaulois aussi devaient fréquenter à
l’occasion les écoles marseillaises, si le Massaliote Cinto, au service des Ptolémées au IIe siècle,
était bien d’origine gauloise (Momigliano A., Sagesses barbares, Maspero, 1979, p. 68).
116
La Gaule et « l’hellénisation »
celtique n’a jamais représenté, pour reprendre les termes de Michel Le-
jeune, qu’un « épiphénomène de colonisation ».
117
II. Réactions des Occidentaux. 2. Transformations économiques, sociales…
Conclusion
118
La Gaule et « l’hellénisation »
Bibliographie
Un ouvrage général
• ROMAN Danielle et Yves, Histoire de la Gaule, Fayard, 1997 (rééd. en cours), spéc. les
chapitres IV et V.
119
Les cultes de tradition romaine
en Gaule : images et monuments
François Baratte
Professeur d’archéologie à l’université de Paris-IV Sorbonne
121
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
122
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments
123
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
124
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments
125
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
126
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments
127
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
128
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments
129
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
130
Les cultes de tradition romaine en Gaule : images et monuments
Bibliographie
131
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
• Archéologie de la France. 30 ans de découvertes, catalogue de l’exposition qui s’était
tenue à Paris en 1989, ou La France archéologique. Vingt ans d’aménagements et de dé‐
couvertes, dir. DEMOULE J.-P., 2004 (Paris).
• Pour l’architecture, on se reportera au manuel de GROS P., L’architecture romaine du
début du IIe siècle av. J.‐C. à la fin du Haut‐Empire. I. Les monuments publics, 1996 (Pa-
ris).
• GROS P., La Gaule Narbonnaise, 2008 (Paris)
• LE BOHEC Y., La province romaine de Gaule Lyonnaise, 2008 (Dijon)
Plusieurs colloques, des recueils d’études et des atlas ont été consacrés
à l’urbanisme en Gaule, dont l’architecture religieuse n’est qu’un des as-
pects. Il est inutile de les reprendre ici, de même que les nombreuses mo-
nographies consacrées aux villes.
Plus rares sont les colloques consacrés spécifiquement aux sanctuaires.
Ainsi :
• Archéologie des sanctuaires en Gaule romaine, dir. VAN ANDRINGA W., table-ronde,
Université Jean Monnet, 1999, Mémoires du Centre Jean Palerne, 22, 2000 (Saint-
Etienne).
132
Les « religions orientales »
dans les provinces occidentales
sous le Principat
Laurent Bricault
Professeur d’histoire romaine à l’université de Toulouse II – Le Mirail
1. N. Belayche, « L’Oronte et le Tibre : l’Orient des cultes orientaux de l’Empire romain », dans
M.-A. A. Moezzi, J. Scheid (éds), L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des ori‐
gines, Turnhout, 2000, p. 1-35.
2. Malgré le livre à succès de R. Turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain (Paris, 1re éd.
1989) traduit en plusieurs langues et qui en est à sa troisième édition française (2004) en vingt
ans. Voir aussi J. Alvar, Romanising Oriental Gods. Myth, Salvation and Ethics in the Cults of Cybele,
Isis and Mithras, RGRW 165, Leyde, 2008.
133
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
La catégorie des religions orientales s’est ainsi, peu à peu, trouvée remise en
question, déconstruite et finalement invalidée1. Elle ne correspondait
d’ailleurs guère à la typologie religieuse en vigueur à Rome même, où la
catégorisation des cultes étrangers ne dépend pas de l’origine géographique
de leur panthéon ni même de leur nature mais de la représentation qu’en
ont les autorités. Les divinités accueillies officiellement dans le culte public
romain relèvent de la catégorie des peregrina sacra (Cybèle, Isis) tandis que
celles perçues comme menaçantes ou non intégrables sont désignées
comme externae religiones ou peregrinae superstitiones (Mithra, Sabazios, Doli-
chenus). Coexistent donc à Rome et dans l’empire des cultes officiels et des
cultes que l’on qualifie parfois d’ethniques, d’alternatifs ou d’électifs2.
Pour autant, les expressions « religions orientales » ou « cultes gréco-
orientaux » continuent d’être employées un peu partout dans la littérature
moderne. Peut-être, après tout, saisissent-elles finalement aussi, comme
l’écrit avec subtilité Corinne Bonnet, « quelque chose de “l’air du temps” :
des cultes nouveaux, venus parfois de loin (avec bien des étapes et des “do-
mestications” en route), des pratiques et des images exotiques, une mytho-
logie et un discours religieux en partie différent3 », qui invite à leur attribuer
une étiquette commune, fût-elle impropre. Telle est la raison d’être du titre
de ce chapitre, qui s’attachera à éclairer comment se diffusèrent mais aussi
comment furent accueillis puis éventuellement intégrés dans les panthéons
de l’Occident romain Cybèle et Attis, Isis et Sarapis, Mithra enfin.
En 204 av. J.-C., Rome ne sait comment venir à bout d’Hannibal et met-
tre ainsi fin à la guerre qui l’oppose à Carthage5. Des pluies de pierres
1. Trois publications majeures sur ce thème ont paru ces dernières années : plusieurs articles
réunis sous le titre « Les ‟religions orientales” : approches historiques – Die ‟orientalischen Re-
ligionen” im Lichte der Forschungsgeschichte », dans Archiv für Religionsgeschichte 8, 2006,
p. 151-272 ; C. Bonnet, J. Rüpke & P. Scarpi (éds), Religions orientales‐culti misterici. Neue Perspek‐
tiven‐nouvelles perspectives‐prospettive nuove, Stuttgart, 2006 ; C. Bonnet, S. Ribichini & D. Steuer-
nagel (éds), Religioni in contatto nel Mediterraneo antico. Modalità di diffusione e processi di interfe‐
renza, Mediterranea 4, Pise, 2008.
2. M. Beard, J. North & S. Price, Religions de Rome, Paris, 2006, p. 239-241.
3. Les « religions orientales » dans le monde grec et romain : un bilan complet, consultable sur le site de
l’université d’Erfurt : http://www2.uni-erfurt.de/vergleichende_religionswissenschaft/bilan
complet.htm.
4. La bibliographie sur Cybèle et Attis est très fournie. Citons M. J. Vermaseren, Corpus Cultus
Cybelae Attidisque (CCCA), ÉPRO 50, 7 vol., Leyde, 1977-1989 ; Id., Cybele and Attis. The Myth and
the Cult, Londres, 1977 ; Ph. Borgeaud, La Mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris, 1996 ;
E. N. Lane (éd.), Cybele, Attis and Related Cults : Essays in Memory of M. J. Vermaseren, RGRW 131,
Leyde, 1996 ; E. Simon, s. v. Kybele, Lexicon iconographicum mythologiae classicae (LIMC), VIII.1,
Zürich, 1997, p. 744-766.
5. R. Turcan, Cultes orientaux, 1989, p. 42-49 ; cf. S. A. Takacs « Magna Deum Mater Idaea, Cybele,
and Catullus' Attis », dans E. Lane (éd.), Cybele, Attis and Related Cults, p. 367-386.
134
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
135
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
aux rites1. Il n’en fait pas moins désormais partie de la religion officielle,
lui qui, selon Festus (s. v. sacra peregrina [268L]), était au départ peregrinus.
Selon Jean le Lydien (De mensibus IV, 59), ces restrictions furent levées par
l’empereur Claude, dans le temps même où il admettait les Dendrophoria
dans le calendrier officiel de Rome. Ce cycle de fêtes, à caractère plus net-
tement phrygien, déjà pratiqué du temps d’Ovide, se déroulait du 15 au
27 mars, faisant revivre la mort et la résurrection d’Attis, le parèdre de la
déesse, qui se voyait désormais pourvu d’un culte officiel et dont le pres-
tige s’accrut progressivement aux côtés de celui de Cybèle. Ces festivités
symbolisant la renaissance de la végétation comportaient plusieurs céré-
monies particulières, dont la succession semble avoir été précisée lors
d’une réforme que l’on date du principat d’Antonin2 : le premier jour était
marqué par une procession de cannophores (porte-roseaux) et le sacrifice
d’un taureau (taurobolium)3. Ce sacrifice expiatoire s’opérait sur une pierre
ou une planche percée de trous, placée elle-même au-dessus d’une fosse
dans laquelle avait pris place le fidèle. Aspergé par le sang de l’animal
que l’on égorgeait, il en ressortait purifié. Les tauroboles, qui pouvaient
être effectués à différents moments de l’année, donnaient lieu à de gran-
des cérémonies populaires au cours desquelles de nombreux sacrifices
étaient pratiqués. À l’issue de la cérémonie, les fidèles faisaient sculpter
des autels commémoratifs mentionnant leur nom, le nom du prêtre offi-
ciant, la date et la raison d’être du taurobole. Ces autels tauroboliques
(parfois improprement appelés eux-mêmes tauroboles) étaient ornés de
représentations de l’animal sacrifié (taureau, bélier ou mouton) et parfois
d’objets rituels (patère, vase à libations [praefericula], torche, glaive). Une
autre cérémonie, durant laquelle on sacrifiait dans de semblables condi-
tions un bélier était appelée criobole. S’ensuivait une semaine de conti-
nence et d’abstinence ; le 22 mars, les dendrophores (porteurs de bois)
transportaient un pin enveloppé de bandelettes et de violettes, représen-
tant Attis mort ; le 24, jour du sang (dies sanguinis), les funérailles du dieu
étaient célébrées à grand renfort de douleur bruyante et de mutilations ; le
25, les hilaria, jour de réjouissance et de rire, fêtaient la résurrection
d’Attis ; enfin, le 27, à Rome, la Grande Mère elle-même était purifiée par
1. Cf. K. Summers, « Lucretius' Roman Cybele », dans E. Lane (éd.), Cybele, Attis and Related Cults,
p. 337-365, analysant le passage où Lucrèce, De rerum natura, 2, 600-660 décrit une cérémonie
que l’auteur considère comme proprement romaine ; cf. C. Craca, Le possibilità della poesia. Lu‐
crezio e la Madre frigia in De rerum natura II 598‐660, Bari, 2000.
2. P. Lambrechts, « Les fêtes 'phrygiennes' de Cybèle et d'Attis », Bulletin de lʹInstitut Historique
Belge de Rome, 1952, p. 141-170 ; D. Fishwick, « The Cannophori and the March Festival of Ma-
gna Mater », Transactions and Proceedings of the American Philological Association 97, 1966, p. 193-
202.
3. Prudence, Peristephanon, X, Romanus contra gentiles, 1006-1085, à la fin du IVe siècle, décrit un
taurobole ; voir J. B. Rutter, « The Three Phases of the Taurobolium », Phoenix 22, 1968, p. 226-
249 ; R. Duthoy, The Taurobolium. Its evolution and terminology, ÉPRO 10, Leyde, 1969 et les criti-
ques de R. Turcan, Les religions de lʹAsie dans la vallée du Rhône, ÉPRO 30, Leyde, 1972, p. 83-85.
136
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. L’existence d’un temple de Cybèle et Attis à Mago (Mahón) sur l’île de Minorque, dans les
Baléares, n’est attestée que par une inscription perdue du XVIe siècle (CCCA V 215).
2. CCCA IV 152-164 p. 61-66 ; G. Sfameni Gasparro, « Per la storia del culto di Cibele in Occi-
dente : il santuario rupestre di Akrai », dans E. Lane (éd.), Cybele, Attis and Related Cults, p. 51-
86.
3. CCCA V 155-216 p. 59-79 ; J. F. Ubiña, « Magna Mater, Cybele and Attis in Roman Spain », dans
E. Lane (éd.), Cybele, Attis and Related Cults, p. 405-433.
4. Le sanctuaire n’a pas encore été réellement publié. On peut se reporter, en attendant, à
M. Witteyer, Das Heiligtum für Isis und Mater Magna, Mayence, 2004.
5. P. Gros, « Maisons ou sièges de corporations ? Les traces archéologiques du phénomène asso-
ciatif dans la Gaule romaine méridionale », CRAI, janvier-mars 1997, p. 223-229. À Arras, le site
de la rue Baudimont fouillé au tournant des années 1990 peut avoir été celui d'un club
d’adorateurs des dieux étrangers, mais les fosses qu’on y a relevées n’ont rien à voir avec des
137
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
tauroboles. Voir enfin A. Bouet, « Les collèges dans la ville antique : le cas des subaediani », Re‐
vue Archéologique, 2001/2, n°32, p. 257-258, pour une possible schola des dendrophori dans la
« domus » de la Place des Épars, à Chartres.
1. CCCA V, p. 83-163 ; R. Turcan, Vallée du Rhône, 1972, p. 48-102 ; Id., « La documentation mé-
troaque en Gaule romaine », Revue du Nord 73, n°292, 1991, p. 9-19.
2. M. J. Vermaseren, Der Kult der Kybele und des Attis im römischen Germanien, Stuttgart, 1979 ; L.
Schwinden, « Neue Trierer Inschrift für die Mater Deum Magna. Ein Haruspex im Kult der Ky-
bele », Mainzer Archäologische Zeitschrift 7, 2008, p. 51-66.
3. Voir encore Turcan, Cultes orientaux, 1989, p. 64-68.
138
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. Respectivement CCCA V 184 (108 apr. J.-C.) et 186 (fin du IIe siècle apr. J.-C.)
2. Exception faite d’une inscription funéraire d’Egitania, en Espagne, copiée au XVIe siècle (CCCA
V 188).
3. Ainsi en Germanie, à Kastel, en face de Mayence (cf. E. Schwertheim, Die Denkmäler orientalis‐
cher Gottheiten im römischen Deutschland, ÉPRO 40, Leyde, 1974, n°105 p. 123 et CCCA VI 48) et à
Ostie (cf. S. Price, « Homogénéité et diversité dans les religions à Rome », ARG 5, 2003, p. 184 et
CCCA III 107-119).
4. J. Scheid, Quand faire c’est croire. Les rites sacrificiels des Romains, Paris, 2005.
5. Ou, au IIIe siècle, de Cordoue (CCCA V 176-177 en 234 et 238 apr. J.-C.), de Die (CCCA V 363 en
245 apr. J.-C.), etc.
6. E. Espérandieu, Inscriptions antiques de Lectoure, Auch-Paris, 1892, p. 15-63 et 94-128.
7. B. Dignas, K. Trampedach (éds), Practitioners of the Divine : Greek Priests and Religious Officials
from Homer to Heliodorus, Washington, 2008.
139
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
140
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. Comparer M. Malaise, Les conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie,
ÉPRO 22, Leyde, 1972, p. 261-263 et G. Sfameni-Gasparro, « Les cultes isiaques en Sicile », dans
L. Bricault (éd.), De Memphis à Rome, Leyde-Boston-Cologne, 2000, p. 35-62 ; Ead., « Le mon-
nayage isiaque de Sicile », dans L. Bricault (dir.), Sylloge Nummorum Religionis Isiacae et Sarapia‐
cae, Paris, 2008, p. 175-185.
141
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
142
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
143
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
144
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. J.-L. Podvin, « Lampes isiaques de la péninsule Ibérique », BAEDE, 16, 2006, p. 171-188.
2. R. Turcan, « Les religions orientales en Gaule narbonnaise et dans la vallée du Rhône », ANRW
II 18, 2, Berlin, 1986, p. 462-481 ; R. Sierra, « Isis en la Galia Narbonense : nuevas perspectivas »,
dans R. Rubio (éd.), Isis. Nuevas perspectivas, Madrid, 1996, p. 123-134 ; L. Bricault, Atlas, p. 96-
107.
145
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
d’Égypte. Aux Ier-IIe siècles apr. J.-C., les isiaques y ont une place impor-
tante (RICIS 605/0101-0107).
La diffusion des cultes isiaques en Narbonnaise s’est alors opérée en
suivant le couloir rhodanien, remontant vers le Nord au moins jusqu’à
Lugudunum, et le long du littoral languedocien. Isis est caractérisée par un
nombre assez faible – tout au plus une trentaine – de témoignages, toute-
fois très signifiants – une quinzaine d’inscriptions –, répartis en deux
groupes nettement distincts : la basse vallée du Rhône et la côte d’une
part, le Nord de la province et les hautes vallées alpines d’autre part. Sa-
rapis, inversement, est surtout présent dans la vallée du Rhône par des
documents iconographiques. En dehors de quelques grands sites (Massa‐
lia, Glanum, Arelate, Vienna et Nemausus), ceux-ci se regroupent dans la
moyenne vallée, dans la plaine ou sur les premières pentes des Alpes et
du Massif central, où Isis n’est, elle, guère honorée. L’influence des vallées
alpines liant cette région avec l’Italie du Nord serait-elle plus forte pour
Isis, bien implantée en Transpadane et en Ligurie, et celle des ports médi-
terranéens en contact avec Alexandrie ou Délos plus forte pour Sarapis ?
Quoi qu’il en soit, les cultes isiaques se sont répandus à travers toutes
les couches sociales (surtout des esclaves et des affranchis, mais aussi des
citoyens et des représentants des élites municipales), essentiellement en
milieu urbain (municipes et colonies). Si les noms de quatre affranchis et
d’un esclave trahissent une origine orientale, les autres dévots mentionnés
dans les inscriptions portent des noms romains. Les indigènes n’ont sans
doute guère adhéré aux cultes isiaques. La forte présence de sectateurs
appartenant aux couches sociales les plus basses, dont certains occupent
une fonction bien définie parmi le personnel du sanctuaire (aedituus ou
ornatrix), traduit une forme de promotion et d’intégration sociale par
l’entremise d’un culte très romanisé et lié étroitement au culte impérial
comme en témoignent les épithètes d’Augusta et de regina attribuées à Isis
ou les médaillons d’applique réunissant certains caractères bénéfique
(bouquet d’épis), royal (sceptre) et solaire (couronne radiée) pour Sarapis.
Comme en Espagne, importante est la présence, parfois autonome,
d’Harpocrate, ainsi que le montrent les nombreuses lampes à son effigie
retrouvées en maints endroits, souvent dans des nécropoles, ce qui amène
à considérer que c’est la valeur prophylactique du dieu-enfant qui impor-
tait souvent1. Anubis, enfin, apparaît sur divers médaillons. Un Anubo-
phore2, porteur du masque du dieu-chacal lors des processions, est connu
à Vienne (RICIS 605/1001) et des Anubiaques sont présents à Nîmes
(RICIS 605/0107) au début du IIIe siècle. La mention de la fonction
1. J.-L. Podvin, « Nouvelles lampes égyptisantes de la vallée du Rhône », Revue archéologique, I,
1999, p. 79-88.
2. L. Bricault, « Les Anubophores », Bulletin de la Société égyptologique de Genève 24, 2001/2, p. 29-42.
146
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
d’Anubophore dans une épitaphe est intéressante, car elle distingue les
cultes isiaques des cultes métroaque ou mithriaque. En effet, il existe un
nombre considérable d’inscriptions funéraires, surtout dans la partie
grecque de l’empire et en Italie il est vrai, dont le décor ou le langage sont
isiaques, mentionnant à l’envi les signes d’attachement du (ou de la) dé-
funt(e) à Isis, contrairement aux fidèles de Mater Magna parmi lesquels
seuls les galles se désignent comme tels ou les mithriastes, qui n’évoquent
quasiment jamais leur appartenance religieuse sur leur sépulture. Les
liens privilégiés d’Isis avec l’au-delà, les multiples fonctions que les fidè-
les pouvaient exercer au cours de leur vie pour servir la déesse ne suffi-
sent sans doute pas à expliquer ce fait et l’on peut se demander pourquoi
les dévots de Mithra et les adorateurs de la Grande Mère n’en faisaient
pas autant.
Alors qu’au Sud-Est de la Gaule on observe une concentration d’isiaca
près du littoral méditerranéen et tout au long du couloir Rhône-Saône,
voie naturelle de pénétration des influences orientales vers le Nord, leur
répartition géographique est plus clairsemée et plus éparpillée en Gaule
Aquitaine. Au lieu d’une concentration sur les voies navigables, les do-
cuments isiaques, peu importants, jalonnent surtout les principaux axes
routiers. Beaucoup d’influences orientales semblent avoir atteint le bassin
de la Garonne par Arles et Nîmes plutôt que par Narbo (Narbonne), mais
peut-être aussi par Burdigala (Bordeaux) dont les relations commerciales
avec l’Orient sont attestées.
En Gaule Lyonnaise, c’est dans la capitale Lugudunum, plaque tour-
nante du commerce et des influences étrangères, ville cosmopolite, que
l’on repère surtout la présence des cultes isiaques : plusieurs dédicaces,
des médaillons d’appliques ornés des bustes d’Isis, de Sarapis et
d’Anubis, des bulles de scellement à l’image de Sarapis, Isis et Osiris, une
statuette d’Isis-Fortuna, un bloc architectonique orné d’un sistre suggè-
rent fortement l’existence d’un sanctuaire qui n’a pas été retrouvé.
Plus au Nord, la documentation se réduit considérablement. Les aegyp‐
tiaca sont épars et bien peu apparaissent comme de véritables isiaca. Une
ville comme Augustodunum (Autun) a livré plusieurs statuettes, mais il est
difficile d’en faire un véritable centre isiaque, celles-ci pouvant ressortir
de quelques contextes domestiques. Même les inscriptions d’Agedincum
(Sens) et Metlosedum (Melun), traditionnellement retenues comme isia-
ques, sont d’interprétation très incertaine (RICIS *607/0201-0202 et
*607/0301). Il semble bien que ces cultes ont été fort peu implantés en
Lyonnaise. La plupart des aegyptiaca, d’une origine locale souvent très
douteuse, proviendraient de sites jalonnant le cours de la Saône, impor-
tante voie de communication entre la vallée du Rhône et le Nord de la
Gaule ou la Germanie.
147
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
1. S. Cibu, B. Rémy, « Isis et les dieux égyptiens dans les provinces alpines au Haut-Empire »,
dans L. Bricault (éd.), Isis en Occident, Leyde-Boston, 2004, p. 137-170.
2. G. Grimm, Die Zeugnisse ägyptischer Religion und Kunstelemente im römischen Deutschland, ÉPRO
12, Leyde, 1969 ; M. Haase, « Signum in modum liburnae figuratum (Tacitus, Germania 9,1) : Über-
legungen zum Beginn des Isis-Kults in Germanien », dans W. Spickermann et al. (éds), Religion
in den germanischen Provinzen Roms, Tübingen, 2001, p. 317-338 ; L. Bricault, Atlas, p. 112-117.
148
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
149
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
Le culte mithriaque, sur bien des points, se distingue des cultes évo-
qués plus haut1. Dernier venu sur la scène romaine2, il fait peut-être son
apparition en Occident, si l’on en croit Plutarque (Vie de Pompée XXIV, 7),
dans le sillage des pirates ciliciens capturés par Pompée en 67 av. J.-C. et
installés pour certains comme paysans en Apulie. Selon le philosophe de
Chéronée, ils pratiquaient en effet des sacrifices et un rituel initiatique
dans les grottes de leurs montagnes qui a pu être interprété comme parti-
1. Les ouvrages classiques sont ceux de F. Cumont, Catalogue sommaire des monuments figurés
relatifs au culte de Mithra, Paris, 1892 ; Id., Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mi‐
thra, Bruxelles, 1896-1899 ; Id., Les Mystères de Mithra, Bruxelles, 1902. Pour des synthèses récen-
tes, voir M. Clauss, The Roman Cult of Mithras, the God and his mysteries, Edinburgh, 2000 ;
R. Turcan, Mithra et le mithriacisme, Paris, 2000.
2. Turcan, Cultes orientaux, 1989, p. 193-241.
150
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. R. Beck, « The Mysteries of Mithras : a new account of their genesis », Journal of Roman Studies
88, 1998, p. 115-128.
2. C. M. Daniels, « The role of the Roman Army in the spread and practise of Mithraism », dans J.
Hinnells (éd.), Mithraic Studies, vol. II, Manchester, 1975, p. 249-274 ; A. Périssin-Fabert, « Isis et
les dieux orientaux dans l'armée romaine », dans L. Bricault (éd.), Isis en Occident, Leyde-
Boston, 2004, p. 449-478. La documentation épigraphique antérieure aux années 1960 avait été
réunie par M. J. Vermaseren, Corpus Inscriptionum et Monumentorum Religionis Mithriacae
(CIMRM), La Haye, 1956-1960, 2 vol. L’ouvrage mériterait d’être revu et actualisé.
3. S. Price, « Homogénéité et diversité dans les religions à Rome », Archiv für Religionsgeschichte 5,
2003, p. 180-197.
4. R. Beck, Planetary Gods and Planetary Orders in the Mysteries of Mithras, ÉPRO 109, Leyde, 1988.
5. Voir par exemple, pour le temple découvert récemment à Hawarte, en Syrie, à 15 km
d’Apamée, M. Gawlikowski, « The mithraeum at Hawarte and its paintings », JRA 20, 2007,
p. 337-361, qui présente un ensemble de peintures uniques à ce jour. Il est daté du IVe siècle.
6. H. Lavagne, « Les reliefs mithriaques à scènes multiples en Italie », dans Mélanges Pierre Boyan‐
cé, Paris, 1974, p. 481-504 ; R. L. Gordon, « Panelled complications », Journal of Mithraic Studies 3,
1980, p. 200-227.
151
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
1. Voir M. Fuchs, Y. Dubois, « Le plafond du mithraeum de Martigny (Valais, Suisse) », dans L.
Borhy (éd.), Plafonds et voûtes à l’époque antique. Actes du VIIIe Colloque international de
l’Association Internationale pour la peinture murale antique (AIPMA), 15‐19 mai 2001, Budapest‐
Veszprém, Budapest, 2004, p. 213-219.
2. J. D. Shepherd, The Temple of Mithras, London : Excavations by W. F. Grimes and A. Williams at the
Walbrook, Londres, 1998.
3. M. J. Vermaseren, C. C. van Essen, The Excavations in the Mithraeum of the Church of Santa Prisca
in Rome, Leyde, 1965.
152
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. M. Volken, « The development of the cult of Mithras in the western Roman Empire : a socio-
archaeological perspective », Electronic Journal of Mithraic Studies 4, 2004 :
http://www.uhu.es/ejms/papers.htm.
2. J. Alvar, « El culto de Mitra en Hispania », Memorias de Historia Antigua 5, 1981, p. 51-72 ; M. A.
De Francisco Casado, El culto de Mithra en Hispania. Catalogo de monumentos esculpidos e inscrip‐
ciones, Grenade, 1989.
3. CIMRM 793 pour la fondation du premier mithraeum de Mérida en 155 apr. J.-C. ; pour Lugo,
voir J. Alvar, R. Gordon & C. Rodríguez, « The mithraeum at Lugo (Lucus Augusti) and its con-
nection with Legio VII Gemina », JRA 19, 2006, p. 266-277.
4. G. E. Adán, R. M. Cid, « Nuevas aportaciones sobre el culto a Mitra en Hispania : la comunidad
de San Juan de la Isla (Asturias) », Memorias de historia antigua 18, 1997, p. 257-298 ; Ead., « Tes-
timonios de un culto oriental entre los astures transmontanos. La lápida y el santuario mitraicos
de San Juan de la Isla (Asturias) », Real Instituto de Estudios Asturianos 152, 1999, p. 125-146.
5. M.-A. Gaidon-Bunuel, « Les mithraea de Septeuil et de Bordeaux », Revue du Nord 73, no 292,
1991, p. 49-58. Pour la documentation antérieure, voir R. Turcan, Vallée du Rhône, 1972, p. 1-47 et
V. J. Walters, The Cult of Mithras in the Roman Provinces of Gaul, ÉPRO 41, Leyde, 1974.
153
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
154
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
1. Voir, récemment, les données nouvelles concernant ceux de Mayence : I. Huld-Zetsche, Ein
Mithräum in Mainz, Mayence, 2003 ; de Tienen : M. Martens, « Re-thinking sacred “rubbish” :
the ritual deposits of the temple of Mithras at Tienen (Belgium) », JRA 17, 2004, p. 333-353 ; de
Güglingen : A. Brodbeck, « Die römischen Wandmalereifragmente aus dem Mithräum II in
Güglingen, Kreis Heilbronn. Technologischer Aufbau, Restaurierung, Präsentation », Denkmalp‐
flege in Baden‐Württemberg 35, 4, 2006, p. 213-219.
2. C. Plouin-Fortuné, « Les vases cultuels découverts dans le mithraeum de Biesheim (Haut-
Rhin) », Société Française d’Étude de la Céramique Antique en Gaule, Actes du congrès de Vallauris,
Marseille, 2004, p. 269-276.
3. M. Martens, A. Lentacker & A. Ervynck, « Restes d'un festin en l'honneur de Mithra et autres
dépôts rituels dans le vicus de Tirlemont », dans S. Lepetz, W. Van Andringa (éds), Archéologie
du sacrifice animal en Gaule romaine – Rituels et pratiques alimentaires, Montagnac, 2008, p. 273-278.
4. Voir les nombreuses contributions réunies dans l’important ouvrage de M. Martens, G. De Boe,
Roman Mithraism : the evidence of the small finds, Bruxelles, 2004 ; citons par exemple A. Lentac-
ker, A. Ervynck & W. Van Neer, « The symbolic meaning of the cock. The animal remains from
the mithraeum at Tienen (Belgium) », p. 57-80 ; T. Luginbühl, J. Monnier & Y. Mühlemann, « Le
mithraeum de la villa d'Orbe-Boscéaz (Suisse) : du mobilier aux rites », p. 109-133 ; R. Gordon,
« Small and miniature reproductions of the Mithraic icon : reliefs, pottery, ornaments and
gems », p. 259-283.
5. F. Wiblé, « Le Mithraeum de Forum Claudii Vallensium, Martigny (Valais) », Archäologie der
Schweiz 18, 1995, p. 2-15.
155
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
Conclusion
Bibliographie
156
Les « religions orientales » dans les provinces occidentales sous le Principat
Sur Mithra
• VERMASEREN M. J., Corpus Inscriptionum et Monumentorum Religionis Mithriacae
(CIMRM), La Haye, 1956-1960, 2 vol.
• TURCAN R., Mithra et le mithriacisme, Paris, 20002 (1re éd. 1981).
• CLAUSS M., The Roman Cult of Mithras, the God and his mysteries, Edinburgh, 2000.
• MARTENS M., DE BOE G., Roman Mithraism: the evidence of the small finds, Bruxelles,
2004.
157
Les martyrs de Lyon (177)
et les débuts du christianisme en Gaule
Marie-Françoise Baslez
Professeur d’histoire ancienne à l’université de Paris XII-Val de Marne
1. Transmise par l’auteur de la première histoire générale de l’Église sous le règne de Constantin,
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique 5, 1-53, abrégée HE dans la suite de cette étude, à
consulter dans l’édition bilingue grec-français des Sources Chrétiennes 41, Tome II, édition et
traduction de G. Bardy, Les Éditions du Cerf, Paris, réédition 1994 (Paris). L’anniversaire de
l’événement en 1977 a été l’occasion d’un Colloque international, qui documente tous les as-
pects de la question : Les martyrs de Lyon (177), éds Rougé J. et Turcan R., Colloques internatio-
naux du CNRS 575, 1978 (Paris), 328 pp.
2. La distinction conventionnelle en termes de degré d’authenticité, qui avait été autrefois établie
par les hagiographes entre les Actes, qui auraient repris les procès-verbaux officiels, les Marty-
res, qui auraient relevé du témoignage oculaires et les Passions, qui seraient des récits plus tar-
difs et plus distancés, apparaît aujourd’hui caduque : voir Baslez M.-F., Les persécutions dans
l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Fayard, 2007 (Paris), p. 8.
158
Les martyrs de Lyon (177) et les débuts du christianisme en Gaule
159
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
160
Les martyrs de Lyon (177) et les débuts du christianisme en Gaule
1. HE 5, 1, 20.
2. Épitaphe publiée par Pouilloux J., Journal des Savants 1975, p. 47-75.
3. Jones C.P., « L’inscription grecque de Saint-Just », Les martyrs de Lyon, p. 119-127.
161
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
deux Églises. L’évêque, qui représente l’autorité établie, élue par les fidè-
les selon des normes de dignité et de reconnaissance sociale qui remon-
tent, en Asie, au IIe siècle, est désigné à Lyon par une périphrase comme si
la charge n’y était pas encore stabilisée1 ; d’après des textes contempo-
rains, il préside les liturgies, mais gère aussi les ressources communes et
en assure la redistribution parmi les plus démunis. Le diacre est plus spé-
cifiquement chargé des œuvres sociales, qui prennent une importance
particulière en période de persécution, avec les visites aux prisonniers. Le
fait que la lettre ne mentionne qu’un évêque et qu’un diacre pour deux
Églises (de Lyon et de Vienne) et ne cite aucun prêtre, pourrait aussi don-
ner à penser que la communauté n’est pas encore très nombreuse.
D’ailleurs, elle ne retient que dix noms de martyrs, ce qui correspond au
chiffre moyen de victimes pour une persécution locale dans le cadre d’une
cité2.
L’affaire des martyrs de Lyon n’est pas claire à ses débuts, car la lettre
des Églises ne dit rien des causes immédiates de la persécution. Elle ne le
devint qu’après les premiers aveux et les premières dénonciations, obte-
nues lors de l’instruction. Les convertis furent dès lors poursuivis par
l’application automatique du droit romain et d’une jurisprudence rappe-
lée par un rescrit de Trajan en 112 : le christianisme faisait l’objet d’un
interdit légal, même si les chrétiens ne devaient pas être recherchés, ni
systématiquement poursuivis3, sauf en cas, bien sûr, de provocation, de
trouble et de désordre. Les dénonciations, procédure normale de la justice
romaine4, étaient donc nécessaires pour mettre en branle l’action judi-
ciaire. À Lyon, celles-ci s’enchaînèrent et c’est ainsi que la persécution prit
de l’ampleur, selon le même processus qu’en Bithynie en 112. La lettre
retrace trois étapes de la persécution : une réaction populaire qui interdit
d’abord l’accès des lieux publics aux chrétiens avant d’en arriver à des
violences : l’intervention des autorités municipales et du tribun de la co-
horte urbaine pour rétablir l’ordre, ce qui conduit aux premières arresta-
tions, puis à une vague de dénonciations ; enfin, l’ouverture d’une en-
quête sur les chrétiens, diligentée par le légat impérial quand il arrive
1. HE 5, 1, 11.
2. Les persécutions, p. 232-244.
3. Ce texte célèbre est conservé dans Pline, Lettres 10, 97.
4. Voir Rivière Y., Les Délateurs sous l’Empire romain, BEFAR 311, École Française de Rome, 2002.
162
Les martyrs de Lyon (177) et les débuts du christianisme en Gaule
1. Voir, par exemple, Voluntary Associations in the Graeco‐Roman World, éds Kloppenborg J.S. et
Wilson St.G., Routledge, 1996 (Londres et New York) ; Les Communautés religieuses dans le monde
gréco‐romain. Essai de définition, Belayche N. et Mimouni S. éds, Bibliothèque de l’École des Hau-
tes Études en Sciences Religieuses 117, Brepols, 2003 (Turnhout).
2. Hypothèse d’Amable Audin, discutée par Turcan R., « Les religions orientales à Lugdunum en
177 », dans Les Martyrs de Lyon, p. 69-70.
163
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
1. Attis est le jeune dieu phrygien, dont on célèbre chaque année la mort, le deuil et la résurrec-
tion au printemps et qui représente, comme d’autres jeunes dieux orientaux, le renouveau sai-
sonnier de la végétation et de la vie auprès de la Grande Mère Phrygienne, déesse de la nature
et de la fertilité.
2. Le Glay M., « Le culte impérial à Lyon au IIe siècle ap. J.-C. », Les martyrs de Lyon, p. 19-31.
3. HE 5, 1, 5-6.
4. Les persécutions, p. 277-279.
164
Les martyrs de Lyon (177) et les débuts du christianisme en Gaule
Le christianisme avait été déclaré religion illégale par une décision im-
périale ou sénatoriale, dont nous ignorons la date et la nature. La
condamnation à la déportation ou à la mort était donc inévitable à partir
du moment où un accusé confirmait et réitérait son appartenance chré-
tienne lors de l’interrogatoire mené par le gouverneur, dont le devoir était
précisément d’identifier les chrétiens et de les prendre en flagrant délit en
les plaçant devant le choix de l’abjuration. Le crime était d’« être chré-
tien » ; c’est l’attendu de la condamnation à mort que portait le supplicié
sur un écriteau, ainsi Attale, ce citoyen romain qui fut l’un des premiers
chrétiens exécutés à Lyon2. La torture et l’incarcération, dans des condi-
tions très pénibles, étaient pratiquées comme une sorte de délai de ré-
flexion, pour inciter les accusés à abjurer. À Lyon, comme dans d’autres
situations de persécution, il y eut des abjurations, surtout en prison, peut-
être en assez grand nombre. Mais on n’oubliera pas que l’objectif du légat
et, au-delà, de l’État impérial n’était pas d’éradiquer cette religion nou-
velle, mais d’en réintégrer les fidèles dans l’ordre romain. La tolérance
romaine avait ses limites, qui sont aisément compréhensibles. Tous les
cultes de l’Empire devaient contribuer au bien commun, ce qui impliquait
la participation aux rituels publics ; les particularismes religieux étaient
tolérés dans la mesure où il s’agissait pour une communauté ethnique de
célébrer ses « dieux ancestraux » selon ses « rituels ancestraux », ce qui
1. Thèse défendue par Cracco Ruggini L., « Les structures de la société lyonnaise et de l’économie
lyonnaise au IIe siècle », dans Les Martyrs de Lyon, p. 69-79.
2. HE 5, 1, 44.
165
II. Réactions des Occidentaux. 3. Transformations des religions
1. Garnsey P., « Religious Toleration in classical Antiquity », Persecution and Toleration, éd.
W.J. Sheila, Blackwell, 1984 (Oxford), p. 1-27.
2. HE 5, 1, 20.
3. HE 5, 1, 44-47.
4. Identification par l’inscription monumentale de fondation, trouvée en 1958 et datée de 19.
5. Rome et le martyre, traduction française, Champs Flammarion, 2002 (Paris).
166
Les martyrs de Lyon (177) et les débuts du christianisme en Gaule
dine, qui éclipse totalement dans le récit celle de sa maîtresse1, et qui de-
vient au fil de la narration l’inspiratrice du groupe des martyrs. Les auto-
rités romaines ne s’y trompent pas, qui la réservent pour le dernier jour
des Jeux, comme clou du spectacle. Blandine est un leader paradoxal,
puisqu’elle est jeune, faible, femme et esclave2.
Dans l’Antiquité chrétienne, on devient un « martyr », non pas pour
des faits particuliers, mais parce que les autres vous ont reconnu comme
tel. Les martyrs de 177, les personnages de l’évêque Pothin et surtout de
Blandine, ont survécu dans la mémoire collective comme des figures
exemplaires pour la communauté chrétienne de Lyon et de Vienne, qui a
transmis et fait circuler le récit de leurs épreuves. Mais ce récit reste insuf-
fisant pour bien cerner l’importance réelle des plus anciennes fondations
chrétiennes de Gaule à la fin du IIe siècle, ainsi que les causes précises de
la violence populaire. On peut en partie analyser la situation à partir
d’exemples parallèles, mais il serait imprudent d’extrapoler à partir du
cas lyonnais pour tenter de décrire la pénétration et la diffusion du chris-
tianisme dans les provinces occidentales, histoire qui reste très obscure. Le
récit lyonnais confirme surtout une certaine orientalisation des villes-
carrefours de la Gaule lyonnaise, avec tout ce que cela suggère d’échanges
commerciaux et culturels, voire de déplacements personnels. L’événe-
ment met également en évidence des relations suivies entre capitale pro-
vinciale et capitale de l’Empire, soulignant l’efficacité du maillage romain.
Événement local et isolé, dans une tradition discontinue, la persécution de
177 ne semble pas avoir accéléré la christianisation de la Gaule lyonnaise,
où les témoignages de christianisme restent épars jusqu’à la fin du IIIe
siècle, mais elle n’a pas non plus éradiqué l’Église de Lyon, dont le grand
théologien Irénée prit immédiatement la tête comme évêque3.
167
Vie et institutions des cités de Gaule
et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
ou l’épanouissement de la « civilisation municipale »
Bernadette Cabouret-Laurioux*
Professeur d'histoire romaine à l'université Jean Moulin-Lyon 3
168
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
169
III. Action et réaction
1. Gros, 2008a, p. 63-67. On ne parlera ici que très allusivement de ce cadre matériel de la vie
municipale.
2. Et sans doute parallèlement (ou antérieurement) dans le monde oriental (cités phéniciennes).
Les cités grecques se sont développées et épanouies selon leurs modalités propres.
3. Évidemment cette autonomie n’existe que tant que les intérêts de Rome sont préservés : les
cités sont des cellules de l’État romain, qui est seul souverain, en vertu de l’imperium populi ro‐
mani.
4. Le Roux,1993, p. 191.
170
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
171
III. Action et réaction
cordé concerne aussi leur famille. Seule une élite en bénéficie : ceux qui
peuvent se faire élire aux postes de magistrats municipaux, et corres-
pondent aux critères de fortune, de culture et de mérite qui sont exigés
de ceux qui aspirent à jouer un rôle dirigeant. Les autres habitants sont,
eux, gratifiés de droits (civils) comme le conubium1 et le commercium2 :
c’est un moyen de permettre les mariages entre des gens de statuts ju-
ridiques différents. Ces membres de la cité sont citoyens de leur com-
munauté, mais pas citoyens romains. Les cités dotées du droit latin sont
donc des communautés mixtes, où cohabitent des membres aux statuts
différents : le plus prestigieux, celui de citoyen romain, ne concerne
qu’une minorité. On trouve aussi des cités pérégrines dotées du droit
latin. Il n’y a pas équivalence obligatoire entre l’octroi du Latium ou ius
Latii et le rang de municipe3.
Enfin, mais hors hiérarchie des communes romaines, les cités pérégri-
nes (les plus nombreuses au début de la période) regroupent les provin-
ciaux étrangers au droit romain. Cela ne veut pas dire cependant qu’ils ne
connaissent pas de règles ni d’organisation politique élaborées, et celles-ci
peuvent même être de type romain. Parmi celles-ci, les plus privilégiées,
on l’a dit, sont les cités fédérées (comme Marseille) ; ensuite viennent les
cités « libres » ou libres et immunes, enfin la masse des cités stipendiaires.
172
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
173
III. Action et réaction
pour certains, de vastes territoires (ce sont ces peuples que César appelle
déjà civitates). Rome (en l’occurrence Auguste) n’a pas, dans l’ensemble,
modifié ni bousculé ces ensembles ethniques rendus cohérents par une
histoire commune, des traditions et des institutions propres (ainsi le fa-
meux vergobret1). Cependant certains peuples ont été intégrés dans des
cités plus vastes2. Les cités ont été adaptées à chacun des territoires de ces
peuples et elles les ont en quelque sorte décalqués (sans doute avec quel-
ques ajustements et remodelages, car les limites étaient parfois difficiles à
définir). La seule intervention autoritaire a concerné leur regroupement
en provinces, et aussi la désignation d’un chef-lieu unique3. Le statut de
chaque cité dépendait également de Rome et c’est ce statut, on l’a dit, qui
garantissait les droits et les devoirs de la nouvelle communauté.
La densité des cités, loin d’être l’indice d’une réussite ou d’un rejet de
la greffe romaine, est donc avant tout le résultat d’une histoire que Rome
a toujours pris soin de respecter. La différence de statuts entre les cités, et
surtout d’une province à l’autre, a pu être importante à la fin de l’époque
républicaine et au Ier siècle de l’Empire. La Gaule Narbonnaise a des colo-
nies romaines dès l’époque de César (Narbonne est encore antérieure) et
reçoit globalement le droit latin, mais la date précise reste inconnue4 ;
l’Aquitaine le reçoit également ; les Trois Gaules apparaissent beaucoup
plus en retard dans ce processus : trois colonies, pour les Trois Gaules,
Lyon (Lugudunum), Nyon (Noviodunum), Augst (Raurica) (43 av. J.- C.),
sont installées à la périphérie du pays, pour couvrir la route de la Tran-
salpine et de l’Italie. Face à quelques cités privilégiées (fédérées ou libres),
c’est une large majorité de cités stipendiaires qui occupe l’ancienne Gaule
indépendante. C’est le reflet de l’insertion plus ou moins précoce dans le
système romain. Ces promotions, qui viennent toujours de Rome, sanc-
tionnent une acculturation jugée suffisante, qui passe par la latinisation, la
pratique ou la connaissance (au moins superficielle) du droit et des insti-
tutions romains, l’adhésion aux valeurs et croyances romaines.
174
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
1. Les citoyens romains sont la majorité (voire la quasi totalité) dans une colonie puisque ce sont
des colons romains, une bonne part ou une part relative dans les municipes et les cités de droit
latin, et peu ou très peu dans les cités pérégrines. On distingue aussi des communautés « de ci-
toyens romains » (civium romanorum).
2. Sur la potestas, voir M. Humbert, Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, 1991, 4e éd. p. 308.
175
III. Action et réaction
gestion des affaires publiques1. Les magistratures sont dans l’ordre crois-
sant de dignité :
• la questure : 2 questeurs chargés de responsabilités financières2
• l’édilité : 2 édiles chargés de responsabilités économiques (annona),
urbanistiques et judiciaires3
• le duumvirat : deux duumviri jure dicendo, « pour dire le droit »,
chargés de responsabilités judiciaires4, financières5, mais aussi de
superviser les affaires, notamment religieuses, de toute la cité6.
On peut noter que dans certaines cités l’édilité se situe avant la ques-
ture, parfois même cette magistrature ne paraît pas attestée ; on connaît
enfin des quattuorviri (en Narbonnaise par exemple) au lieu des duumviri7.
• tous les cinq ans les duumviri sont dits quinquennales et sont alors
chargés du recensement général des membres de la cité (et de leur
fortune) ; c’est la fonction la plus prestigieuse.
Les magistratures sont une source de prestige inégalé, c’est même la
seule dans l’horizon réduit d’une patrie où le mérite d’un notable ne peut
venir que d’activités de temps de paix. Elles supposent la fortune qui au-
torise la disponibilité et surtout le paiement de la summa honoraria, la
somme « légitime », tarifée selon les cités, qu’il faut verser à chaque entrée
en charge. L’honneur que le titulaire retire de ce service public compense
1. Ainsi la rubrique G de la loi d’Irni souligne bien cette préoccupation : il ne faut pas que des
magistrats ou anciens magistrats soient désignés comme ambassadeurs avant d’avoir rendu
compte de leur gestion.
2. Voir la rubrique 20 de la Lex Irnitana : « Qu’ils aient le droit et le pouvoir de percevoir, récla-
mer, surveiller, administrer, dépenser l’argent de la communauté des citoyens de ce municipe
pour les servir dans ce municipe », AE 1986, 333 (trad. P. Le Roux).
3. Lex Irnitana, 19 : ils ont « le droit et le pouvoir de régler et de contrôler le ravitaillement, les
édifices sacrés, les lieux sacrés et religieux, le chef-lieu, les rues, les vici, les égouts, les bains, le
macellum (marché), les poids et mesures, de régler les surveillances nocturnes en cas de nécessi-
té... ». Ils jouent aussi un rôle de garant en justice : « et aussi de recevoir des gages des citoyens
de ce municipe et des incolae pourvu que la somme ne soit pas inférieure à 10 000 sesterces par
personne et par jour ». Leurs attributions judiciaires complètent celles des duumvirs, mais pour
des affaires de moindre importance : « le pouvoir de juger les affaires et de prononcer un juge-
ment entre les parties qui relèvent de la compétence des duumviri, dans les cas pouvant aller
jusqu’à 1 000 sesterces, et concernant l’attribution et la désignation du juge et des recuperato‐
res... », ib. Les recuperatores sont les juges chargés de juger les cas de concussion.
4. Leur domaine de compétence couvre tout ce qui ne relève pas de la justice du gouverneur. Ils
peuvent infliger des amendes dont le montant (pas plus de 15 000 sesterces semble-t-il) est ver-
sé à la caisse municipale.
5. Ils sont chargés des locationes des biens qui appartiennent à la cité et font affermer (à des
conductores) les différents impôts ainsi que les travaux publics. Les affranchissements et les af-
faires de tutelle sont encore de leur ressort. Ils soumettent aussi au conseil des décurions « la
question de la tournée d’inspection et d’examen du territoire, des biens et de la mise au point
de l’état des redevances (vectigalia) du municipe » (Irni, rub. 76)
6. Ils supervisent toutes les dépenses pour les cérémonies sacrées, pour les jeux et pour la part
réservée aux repas officiels qui sont offerts en commun aux citoyens ou aux décurions (rubri-
que 77).
7. Voir J. Gascou, « Duumvirat, Quattuorvirat et statut dans les cités de Gaule Narbonnaise »,
Epigrafia, Mélanges en l’honneur d’A. Degrassi, 1991, p. 547-563.
176
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
L’ordo decurionum
Enfin, le conseil de la cité ou conseil des décurions (ordo decurionum)
complète l’édifice et assoit le pouvoir des notables. Équivalent à l’échelle
de la cité du Sénat de Rome, il est l’instance la plus importante, car ses
membres sont cooptés et figurent à titre viager sur la liste municipale,
l’album municipal. Les duumvirs quinquennales chargés, tous les cinq ans,
des opérations du recensement, assurent la mise à jour de l’album3. Le
critère principal d’appartenance à l’ordo est financier : les décurions garan-
tissent sur leurs biens la gestion des biens publics pour la cité. Mais ce
revenu minimum exigé varie selon les cités4. On peut aussi faire appel à
des résidents riches (exemple très éclairant de Lucretius Severus à Axati,
qui est devenu décurion alors qu’il était incola, mais que sa fortune re-
commande5). Le nombre des décurions varie aussi selon l’importance de
la cité : il est de 63 à Irni6, beaucoup plus dans les grands centres (100
paraît un nombre moyen). L’ordo se réunit dans la curie locale, sur convo-
cation des duumviri. Un quorum est exigé, qui varie, entre les 2/3 et la
moitié, selon l’importance des questions. Les avis sont, comme au sénat
romain, recueillis selon un ordre strict : le plus ancien dans la plus haute
dignité et ainsi de suite. Là encore s’imposent le prestige et l’auctoritas de
quelques-uns. La décision qui est rendue est un décret (decretum decurio‐
num) qui est affiché. Les décurions délibèrent sur toutes les affaires impor-
tantes de la vie de la cité : les affaires religieuses (calendrier des fêtes,
budget des cultes), les affaires financières (contrôle des recettes comme
des dépenses), et parfois les affaires judiciaires (l’ordre s’érige en cour de
justice pour trancher, par exemple, de la validité des amendes imposées
par les magistrats). Ils peuvent dans certaines cités désigner les magis-
177
III. Action et réaction
trats. Ce sont surtout eux qui décident d’attribuer des honneurs et qui
désignent les patrons. Enfin ils s’occupent d’organiser les ambassades,
essentielles dans la vie de la cité, car elles permettent d’assurer le lien avec
le gouvernement provincial et central1. Les décurions, en leur conseil, sont
donc les véritables dirigeants de la cité, car ils supervisent toutes les affai-
res et incarnent la permanence. Il faut ajouter les prêtres qui garantissent,
pour la communauté, la pax deorum et assurent par les rites la protection
des divinités civiques, et les desservants du culte impérial, fonctions qui
sont considérées comme le couronnement du cursus municipal.
Ainsi au cœur du territoire, la ville-chef-lieu est le pôle politique et civi-
lisateur par excellence. C’est là que la justice est rendue, que l’ordre est
maintenu, qu’on tient l’état civil et conserve les archives ; on y affiche les
décisions du conseil et les ordres du gouverneur ; on y diffuse les images
qui célèbrent le pouvoir impérial, garant de cette prospérité et de cette
autonomie des cités. La ville est ainsi un relais du pouvoir2.
L’appartenance à une civitas garantit la dignité et l’autonomie des hom-
mes et des communautés.
178
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
1. Pour plus de détails, voir Nony, dans Nicolet, 2004 (4e éd.), p. 670 et sq. ; Le Roux, 1995, passim.
Cette colonisation césaro-augustéenne a provoqué un vaste travail d’attribution et de redistri-
bution des terres en Bétique, en Lusitanie méridionale et dans l’est de la Citérieure et la vallée
de l’Èbre : Le Roux dans Arce/Le Roux, 1993, p. 190.
2. Ces colonies peuplées de vétérans (italiens) avaient moins une vocation militaire que politique
et sociale : offrir des terres aux soldats démobilisés et créer des foyers de romanité. Il s’agissait
aussi, pour César, de concurrencer la clientèle que Pompée avait su se créer en Espagne. Ces
fondations coloniales furent dotées comme le prouve le règlement d’Urso de constitutions déjà
très élaborées. Mais les autres communautés et/ou habitants étaient déjà familiarisés avec les
institutions romaines et les pratiques de gouvernement communautaire : la Bétique, très large-
ment concernée par ce mouvement, était de ce point de vue une région privilégiée.
3. Ce qui ne fait que 6,5%, note le Roux,1995, p. 53 et n. 140.
4. Promotion au rang de municipe claudien avérée par une inscription sur base de statue : AE
1971, 172.
5. Ou 70-71 ?
6. Pline, HN, III, 30 : « L’empereur Vespasien Auguste a accordé à l’Espagne tout entière le droit
du Latium. » Il s’agissait d’asseoir l’autorité de la nouvelle dynastie et de prendre en compte
l’acculturation romaine de nombreuses communautés hispaniques : Le Roux, 1995, p. 81 sq.
7. Voir Le Roux, 1998b.
179
III. Action et réaction
1. Ainsi Igabrum (Cabra), qu’une inscription de 75 atteste comme municipe : AE 1986, 334d, ou
Cisimbrium (Zambra) en 77 : AE 1986, 334a. « On ne peut nier que c’est avec les Flaviens et par-
tout en Hispanie que cette formule originale a eu le plus de succès et de diffusion ». Le Roux,
1995, p. 85 qui rappelle qu’historiquement le municipe « n’était pas une formule de cité de droit
latin », et donc n’impliquait pas « le principe de mixité juridique » (droit romain pour les élites
municipales/droit latin pour les autres citoyens).
2. On souligne le phénomène pour les régions les plus romanisées, dans lesquelles existait une
réelle « culture de la cité » : Le Roux, 1995, p. 86.
3. « Il n’est pas déraisonnable d’envisager que ce chiffre pourrait être augmenté d’un tiers ou de
50%, ce qui fixerait à la mort de Domitien le total des cités autonomes en Hispanie à 180 ou 210,
les municipes flaviens comportant la majeure partie des cités latines d’époque augustéenne » :
Le Roux, 1993, p. 191.
4. Peut-être la première Lex provinciae est-elle à attribuer à l’époque de Pompée et au gouverne-
ment de Fonteius (74-72) : Christol-Goudineau, Gallia 45, 1987-88, qui supposent l’existence
d’une lex provinciae des années 75 av. J.-C. ; la liste des oppida latina de Narbonnaise aurait en-
suite été ajoutée à ce règlement. Dans le même sens, Gros, 2008, p. 18 ; Delaplace, France, 1997
[1995], p. 33. Contra Roman, pour qui la transformation en province daterait des années 100
av. J.-.C. peut-être due à Marius : Roman, 1997, p. 407.
5. Pour compléter, voir Goudineau, dans Nicolet, 2004, chap. V, p. 679-699 ; Goudineau, 1980,
(chap. 1 Le réseau antique, en part. p. 74-87).
180
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
1. Qui répond à des préoccupations sociales et politiques, mais aussi économiques : Gros, 2008,
p. 19-20. M. Gayraud, Narbonne antique des origines à la fin du IIIe siècle, Suppl. 8 à la RAN, 1981. Il
s’agit de la première colonie romaine fondée hors d’Italie, à l’exception toutefois de l’essai grac-
chien de fondation à Carthage. On estime le nombre de colons, originaires d’Italie centrale, en-
tre 2000 et 6000.
2. Voir Goudineau, 1980, p. 88-95 ; Raepsaet-Charlier, dans Lepelley, 1998, Chap. IV, en part.
p. 144-148.
3. Devenue colonia Iulia Paterna Narbo Martius Decumanorum. Sur Arles, colonia Iulia Paterna Arelate
Sextanorum : Pline, HN, III, 36 ; Chastagnol, 1995, 114-116.
4. Sur ces cités de droit latin : Chastagnol, 1995, VII, Les Cités de la Gaule Narbonnaise. Les sta-
tuts, et partic. p. 116-118 et Gascou, 1991, p. 547-563.
5. D’abord Forum Iulii, de fondation vraisemblablement césarienne, promue ensuite Colonia Octa‐
vanorum Pacensis Classica : Gascou, ILN Fréjus, p. 15-17.
6. Chastagnol, 1995, p. 121. La date et le statut de Valentia restent contestés.
7. Entre la fin de la guerre civile (49) et la période triumvirale sont fondées diverses colonies
latines : Nîmes ; Digne ; peut-être Valence et Toulouse ; on peut joindre Carpentras et Lodève.
Vienne dut être fondée par Octave entre 40 et 27, en tant que colonie latine avec des quattuorvi‐
ri : ILN, Vienne, Historique de la cité par J. Gascou, p. 39. Pour d’autres, l’entreprise de fonda-
tion à Vienne aurait échoué : Ch. Goudineau, « Note sur la fondation de Lyon », Gallia 44, 1986,
p. 171-173. Sur l’ensemble, voir Raepsaet-Charlier, dans Lepelley, 1998, p. 146. Voir aussi sur la
municipalisation : Gascou, 1991, p. 547-563 et Christol, dans Dondin-Payre, 1999, p. 1-27.
8. Voir la carte dans Goudineau, Février, Fixot, 1980, p. 45.
181
III. Action et réaction
1. La lex provinciae qui fut promulguée à cette occasion servit de source à Pline l’Ancien pour sa
description de la Narbonnaise.
2. Narbonne et Béziers, Orange et Arles, Fréjus. Peut-être faut-il ajouter Valence. Vienne est citée
par Pline dans la liste des colonies, mais on s’accorde à penser que c’est un ajout de Pline à la
liste qu’il a recopiée.
3. Chastagnol, 1995, p. 117, propose la date de 42 av. J.-C. pour l’octroi du droit latin à Nîmes,
Cavaillon et Antibes et le titre de colonie (latine) à Nîmes ; il ajoute 12 cités qui devaient déjà
disposer du droit latin avant l’année 14 av. J.-C : ce sont Aix, Apt, Avignon, Carcassonne, Car-
pentras, Riez, Ruscino, les Ruthènes provinciaux, Toulouse, les Tricastins (Saint-Paul) et les Vo-
conces (Luc, Vaison). Ajouter Alba (capitale des Helviens) et Lodève. Voir Pline, HN III, 32 à 37.
Voir ces cités sur la carte 4.
4. Voir l’étude fondamentale de P. Gros, 2008, p. 31-79.
5. Elle a obtenu le solidum beneficium civitatis romanae, ILS, 212.
6. Pour une idée des incertitudes sur les limites exactes des cités, voir à titre de comparaison avec
la Narbonnaise les introductions des volumes des ILN, Vienne, et ILN, Antibes, Digne, Riez.
182
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
1. Sur les critères qui ont présidé au choix des chefs-lieux, voir Goudineau, 1980, p. 98.
2. Goudineau, 2000, p. 355 sq.
3. Le Roux, 1995, p. 123.
4. Le Roux, 1993, p. 193.
5. C’était un municipe de citoyens romains, qui avait reçu ce titre sous César.
6. Voir Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XIV, 13 ; et Jacques, 1990, n°12, p. 31-33.
7. Comme Lodève, Augusta Tricastinorum (Saint-Paul-Trois-Châteaux), Toulouse ?, Die, et sans
doute Marseille.
183
III. Action et réaction
Plus tard, Avignon fut promue colonie sous Hadrien1 ; Digne fut rattachée
aux Alpes Maritimes et devint municipe2 en vertu des usages de cette
province.
L’étape dernière devait être l’octroi par Caracalla, en 212, du statut de
citoyen romain à tout habitant libre de l’Empire, uniformisation qui signi-
fiait que l’intégration des provinciaux était achevée. Dès lors le droit latin
des cités provinciales disparaît et les mots municipium et colonia sont de
moins en moins employés, au profit de civitas et de respublica.
Pourtant les différences statutaires, ou ressenties comme telles, entre les
cités n’ont pas disparu, pas plus que les rivalités. Seulement la documen-
tation nous échappe. L’exemple de l’Orient doit nous inciter à croire que
les cités privilégiées défendaient âprement leur statut d’exception3 ou
simplement leurs acquis, toujours révisables par le pouvoir. Ainsi en His‐
pania a-t-on pu observer les conséquences de la promotion générale des
cités sous Vespasien et celles de la relative uniformisation des statuts
qu’elle avait entraînée. L’association des onze « municipes » de l’inscrip-
tion du pont d’Alcantara4 en Lusitanie, datable de 105-106, a d’abord une
visée économique (s’associer pour construire un pont et assurer la liaison
avec la capitale Merida), mais elle permet d’afficher les noms des cités.
Même si toutes ces cités n’étaient pas effectivement municipes, elles
avaient à coup sûr évolué ensemble dans le sens d’une forte romanisation.
À l’époque antonine un flamine a été admis pour l’ensemble des cités
immunes5 de Bétique, dénommé flamen coloniarum immunium provinciae
Baeticae6. Tous ces rappels de titres prouvent que la rivalité n’est pas
éteinte, loin de là, entre les cités et que la relative uniformisation des sta-
tuts n’a pas fait disparaître la fierté locale ; celle-ci s’est sans doute encore
exacerbée et trouve en particulier dans des programmes urbanistiques,
souvent ambitieux, autant l’occasion de manifester sa loyauté à Rome que
celle d’éclipser des rivales.
Si l’on devine que les relations entre les cités sont parfois tendues, c’est
donc bien que les cités vivent leur autonomie et qu’un fonctionnement
administratif satisfaisant autorise l’expression de leur orgueil local.
De fait les documents qui peuvent être invoqués pour le IIe siècle
confirment que les institutions sont en général bien rodées et que le sys-
tème est désormais éprouvé. Les notables assurent leur rôle dirigeant
(même si l’on devine parfois des difficultés de renouvellement) et les
sources (en particulier les décrets honorifiques) reflètent l’accomplis-
184
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
sement méritoire de leurs fonctions, ce qui souligne plus que jamais le rôle
accordé au mérite.
Le fonctionnement de l’ordo
Quelques exemples mettront en lumière le rôle essentiel que joue ce
conseil des notables. L’épigraphie de Belo nous fait connaître, pour la
première moitié du IIe siècle, l’honneur réservé « à Quintus Pupius Urbi-
cus, …duumvir du municipe Claudien de Belo, par décret de l’ordre
local1 ». Le texte rappelle que le conseil vote les honneurs décernés aux
citoyens méritants, comme la statue honorifique de Pupius dont le
piédestal, seul conservé, porte l’inscription. Ce sont ses parents qui ont
rédigé l’épitaphe à ce fils prématurément disparu. Les décurions de Belo
devaient siéger dans la curie, située sur la bordure ouest du forum. Le
nombre des décurions peut être estimé entre 60 et 70 personnes, en pro-
portion de la population du municipe.
De même, à Belo, le « conseil des Boloniates a décrété un éloge, les frais
de funérailles, le lieu de sépulture ; le peuple a élevé une statue à la suite
d’une souscription ( ?) » à un Procu[lus], [flam]ine ou une Procu[la],
[flam]inique ( ?)2. Outre le rappel de ce rôle des décurions, qui votent
honneurs et reconnaissance publique et sont en quelque sorte les garants
de la morale civique, le texte évoque le culte impérial, essentiel dans la vie
de la communauté. Il rappelle aussi le fait que le peuple a participé à la
décision des décurions.
On insistera, dans le même champ d’activité des décurions, sur la dési-
gnation des patrons et sur les ambassades : les patrons sont essentiels à la
communauté, car ces hauts personnages servent de relais et d’inter-
médiaires de la cité auprès du pouvoir central. Comme le rappelle
R. Étienne, « le patronage est le signe irréfutable de la volonté des com-
munautés civiques de se ménager à Rome des appuis fidèles et conti-
nus »3. On en donnera un exemple pour le IIe siècle avec une inscription
de Riez (Narbonnaise) qui fait connaître un « curateur de la cité
[d’Avignon] et patron » (soit de la cité de Riez, où a été trouvé le texte,
soit de celle d’Avignon), et que les habitants de la cité [d’Avignon] ou les
[Réiens ?] décident d’honorer. C’est un personnage important qui a suivi
un cursus de sénateur de famille patricienne : il a été questeur de la Ville
et préteur. Selon A. Chastagnol, il aurait possédé des terres ou une maison
185
III. Action et réaction
186
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
fait connaître est datée de la fin du IIe siècle. Cerialius a d’abord été chargé
de tâches subalternes, avec le titre de praefectus : il aurait été « préfet à la
répression du brigandage1 », si la restitution est exacte. Mais sa carrière
municipale proprement dite commence avec la questure (autre restitution
possible : quinquennalis, comme le proposent les éditeurs de l’Année épi‐
graphique). Il est ensuite quattuorvir, titre qui apparaît rarement dans les
cités des Trois Gaules alors qu’il est bien attesté en Narbonnaise2. Il pour-
rait d’après ce titre (au singulier) avoir été celui qui exerçait le pouvoir
juridictionnel. Enfin le couronnement de sa carrière est atteint avec la
fonction de prêtre (sacerdos) de Rome et d’Auguste, qui est vraisembla-
blement une prêtrise locale (dans la cité ou le pagus) du culte impérial. On
a en tout cas avec cette dédicace un exemple de carrière municipale dans
la plus parfaite tradition de la notabilité locale.
L’autre exemple que l’on peut invoquer est celui de Tiberius Aquius
Apollinaris à Lyon3. Il atteint le sommet de la carrière municipale avec la
fonction de duumvir, mais ce qui a précédé n’est pas mentionné. Seules
sont précisées ses fonction religieuses, puisqu’il a été augure et flamine
des divi (empereurs divinisés) ainsi que de Mars. Ce qui est intéressant
dans cette inscription en l’honneur du personnage est le rappel de sa dé-
signation comme duumvir expostulante populo, « sur la recommandation du
peuple » : ce qui atteste sinon la vitalité du populus dans la colonie, du
moins sa traditionnelle mention épigraphique4. L’activité des décurions
est rappelée par la formule traditionnelle finale : l(oco) d(ato) d(ecreto)
d(ecurionum). Enfin, troisième intérêt de ce cursus : le personnage entre
dans l’ordre équestre comme juge des cinq décuries. Cela explique sans
doute que les étapes de la carrière municipale, qui ont préparé le débou-
ché beaucoup plus valorisant dans l’ordre équestre, ne soient pas détail-
lées5.
Pour les Espagnes, on prendra l’exemple de Marcus Valerius Capellia-
nus, qui est originaire d’une cité proche de Caesaraugusta (Saragosse),
Damania6. Le notable ne se contente pas de la citoyenneté et du cursus
réalisé dans sa patrie, mais vise de plus hautes fonctions, à l’échelle de la
capitale de la province : il se fait donc « adlecter » dans le corps civique de
Caesaraugusta par faveur impériale d’Hadrien. L’inscription souligne qu’il
a rempli tous les honneurs dans les deux communes, in ultraque re publica
1. Mangard, 1982, p. 38 et p. 42-43 qui évoque l’insécurité en Gaule (?) ; AE 1982, 716 (Le chef-lieu
est bien Samarobriva et non Samarobrina, à propos de la l. 2)
2. Dondin-Payre, 1999, p. 187.
3. AE 1966, 252 ; Bruhl et Audin, Gallia 23, 1965, p. 267-272 ; AE 1966, 252. Bérard, 1999, p. 114.
4. Sur cet aspect important, mais qu’il ne faut pas surinterpréter, voir Bérard, 1999, p. 114-115.
5. Dondin, 1999, p. 176-7.
6. ILS 6933 ; Jacques, 1990, n°44. Cf sur l’origo : Yan Thomas, Origine et commune patrie, Rome,
1996.
187
III. Action et réaction
(et est inscrit du même coup dans deux tribus), donc est parvenu au
sommet de la carrière municipale. Le couronnement de ce parcours réside
dans la prêtrise provinciale, puisqu’il a été flamine des divi, de Rome et
d’Auguste. Il s’agit là d’un grand personnage, et le réseau de ses relations
comme sa notoriété, sans doute aussi sa fortune, expliquent qu’il ait dé-
passé l’horizon de sa modeste cité d’origine (qui reste son origo cependant
d’où l’intérêt juridique de ce document).
L’évergétisme
L’évergétisme reste une des manifestations les plus expressives du
pouvoir et des obligations civiques des notables1. On en rappellera seule-
ment trois exemples pour le IIe siècle. À côté des attestations d’évergé-
tisme à Vienne2, on évoquera pour la Gaule Lyonnaise le notable déjà
rencontré, Lucius Cerialis Rectus, qui fait édifier, à la fin du IIe siècle, un
théâtre à Eu (Seine-Maritime) pour le pagus Catuloug[...]3 : [theatru]m cum
proscaenio [et suis ornamentis] d(e) s(ua) [p(ecunia) fecit]. Le personnage qui a
accompli tout son cursus municipal, on l’a vu, remplit ses obligations
évergétiques, et va même peut-être au-delà de ce qui est attendu. La dé-
pense qu’il a consentie (sua pecunia fecit) est en effet énorme4 : il a financé
l’ensemble de l’édifice théâtral et sa décoration. L’évergétisme peut aussi
se manifester par des fondations, comme le prouve, en Narbonnaise, un
décret de Vaison à un évergète « qui par testament a légué 12 centaines de
milliers de sesterces à la république des Juliens ... et a de même légué
50 000 sesterces pour orner de marbre le portique et les thermes5 ».
On terminera par la péninsule Ibérique et l’exemple célèbre de Proculi-
nus qui, sous Trajan, est honoré par sa cité de Singili Barba (Bétique) pour
sa bonne gestion municipale et ses générosités6. Celles-ci sont présentées
par ordre d’importance : il a d’abord assuré l’organisation de ludi publici,
puis de ludi privati d’une durée égale de 4 jours, fêtes en l’honneur des
divinités protectrices de la cité, ce qui donne toute sa valeur à sa générosi-
té. L’évergétisme au sens propre se manifeste dans ce doublement du
programme : il a en effet dépassé les obligations légales du magistrat (jeux
1. Voir Jacques, 1990, p. 205-213 avec des exemples essentiellement africains.
2. Rémy, 1992, p. 201-221, qui étudie 63 inscriptions attestant un acte d’évergétisme.
3. AE 1978, 501 = AE 1982, 716 ; M. Mangard, Gallia 40, 1982, p. 35-51.
4. L’étude archéologique prouve cependant qu’il a visé au moindre coût (matériaux locaux, appui
sur la pente naturelle, décoration limitée aux colonnes ciselées) ! Pour un autre exemple de
construction de théâtre : un notable indigène fait édifier le théâtre de Jublains : AE, 1991, 1238.
Pour d’autres parallèles, voir Mangard, p. 40, n. 15 (cité ci-dessus).
5. CIL XII 1357 Vaison = Lerat, n°125. Pour un exemple en Bétique, à Hispalis, d’une fondation par
une fille, femme et mère de sénateurs, Fabia H. (malheureusement non daté), voir CIL II, 1174
et Jacques, 1990, n°125.
6. AE 1989, 420 et Le Roux, 1987, p. 271-284, avec le texte et sa traduction.
188
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
Conclusion
1. Dépense totale pour ces jeux estimée à 8000 sesterces : Le Roux, 1987, p. 277.
2. Le Roux, 1987, p. 271 et conclusion, p. 278 et 284.
3. Voir le déclin de certaines villes des Espagnes qu’atteste l’archéologie : P. Sillières, « Vivait-on
dans les ruines au IIe s. ap. J.-C. ? Approche du paysage urbain de l’Hispanie d’après quelques
grandes fouilles récentes », dans Arce/Le Roux, 1993, p. 147-152. Mais les conclusions de
l’auteur restent nuancées et montrent que ces évolutions sont ponctuelles.
4. Jacques, 1990, p. 168-179 ; pour une étude générale, ID, 1983.
189
III. Action et réaction
Bibliographie
• ARCE J. et LE ROUX P. (éd.), 1993, Ciudad y comunidad civica en Hispania, siglos II y III
d. C. Actes du colloque organisé par la Casa de Velázquez et par le Consejo Superior de In‐
vestigaciones Científicas, Madrid, 25‐27 janvier 1990 (coll. de la Casa de Velázquez, 40),
Madrid.
• BÉRARD F., 1999, « Organisation municipale de la colonie de Lyon » dans Dondin-
Payre et Raepsaet-Charlier, p. 97-126.
• BERRENDONNER, CL., CÉBEILLAC-GERVASONI, M. et LAMOINE, L. (éd.), 2008, Le
quotidien municipal dans l’Occident romain, Clermont-Ferrand.
• BURNAND, Y., 2005‐2009, Primores Galliarum : sénateurs et chevaliers romains originai‐
res de Gaule de la fin de la République au IIIe siècle, I. Méthodologie ; II. Prosopogra-
phie ; III. Étude sociale. 1. Les racines, 2. Les horizons de la vie, Bruxelles.
• CHASTAGNOL, A, 1995, La Gaule romaine et le droit latin, Lyon.
• CHASTAGNOL, A., DEMOUGIN, S. et LEPELLEY, Cl. (dir.), 1997, Splendidissima ciui-
tas. Études d’histoire romaine en hommage à François Jacques, Paris.
1. Pour des exemples en Gaule, voir Dondin-Payre, dans Dondin-Payre/ Raepsaet-Charlier, 1999,
p. 177 et Y. Burnand, Senatores romani ex provinciis Galliarum orti, Epigrafia e Ordine Senatorio
II, Rome, 1982.
190
Vie et institutions des cités de Gaule et d’Hispanie au IIe siècle après J.-C.
191
III. Action et réaction
Ce tableau a été élaboré à partir des listes de Pline (III, 7-17), qui sur un
total de 175 cités, précise qu’il énumère « celles qui méritent mention ou
qu’il est facile de nommer en latin ». On l’a complété avec la liste de L. A.
Curchin, The Local Magistrates of Romain Spain, Toronto, 1990 et celle de A.
Tovar, Iberische Landeskunde. 2. Teil, Die Völker und die Stadte des antiken
Hispanien. I. Baetica, 1974. De nouvelles découvertes épigraphiques sont
venues depuis enrichir le corpus et la prosopographie des magistrats.
Mais on ne voulait donner ici qu’une liste indicative, forcément incom-
plète et imparfaite, qui mette cependant en lumière la richesse de
l’urbanisation de la Bétique et la vitalité de ses institutions.
192
Nom Pline Ptolémée Conventus Statut Promotion Institutions Cartes A.Tovar
(4 conventus : (d’après L. A. Cur- LR = P. Le
Gadès, Cor- chin) Roux,
doue, Astigi, Romains
Hispalis) d’Espagne
1 Abdera / Abdera III, 8 II, 4, 7 Gaditanus municipe fondation 2 flamines connus Fig.2 LR 2, 1, 83
phénicienne
2 Abra ? 2 magistrats connus
au IIe s
3 Acinipo Acinippo, III, 14 II, 4, 11 Hispalensis 1 patron connu fin Fig.2 LR 2, 1, 153
Ier/IIe s
4 Agla minor III, 10 2, 1, 120
D’après P. Le Roux, Romains d’Espagne. Cités et politique dans les provinces, IIe s. av. J.-C. – IIIe s. ap. J.-C., Paris 1995, fig. 1, p. 140.
Carte 2 : Cités de la province de Bétique
D’après P. Le Gros, La Gaule narbonnaise. De la conquête romaine au IIIe siècle ap. J.-C., 2008,
fig. 2, p. 8.
Petite cité conçue par le pouvoir central pour quelques colons, Lyon
est devenue une des plus grandes villes de l’Occident, grâce au travail
des provinciaux. C’est le processus de cet essor qu’il convient mainte-
nant de voir et d’expliquer.
Les sources littéraires sont nombreuses même si les passages concer-
nant Lyon sont souvent brefs1 : Tacite (Hist., 1.65. 2), Dion Cassius, Stra-
bon, Pomponius Mela, Sénèque (Ep. 91), Pline L’Ancien, Ptolémée et le
Pseudo-Plutarque. De même des écrits techniques ou administratifs sont
utiles : L’Itinéraire d’Antonin, la Table de Peutinger et la Notitia Dignitatum
et la Notitia Galliarum. L’épigraphie apporte chaque année sa moisson de
découverte. Cependant certains textes anciens sont fondamentaux telle
la Table Claudienne où un discours de l’empereur Claude avait été gra-
vé. Le Corpus inscriptionum latinarum doit être complété par le recueil de
P. Wuilleumier et par l’Année épigraphique. La numismatique est assez
limitée à Lyon, bien que la ville ait possédé son atelier monétaire à plu-
sieurs époques. Quant à l’archéologie, elle ne cesse de renouveler nos
connaissances.
Pour étudier Lyon sous le Principat, période de l’apogée de la cité, il
convient de voir d’abord la fondation de Lugudunum, promue capitale
des Trois Gaules par Rome, qui a organisé l’administration de la pro-
vince. Puis, la vie civique et la vie religieuse montrent qu’elles ont été en
partie influencées par le pouvoir central. Enfin, on constate que
l’économie comme la société de Lyon sont très liées à l’Empire, tant par
les produits qui lui étaient destinés, que par la mise en place d’une so-
ciété plus ou moins copiée sur celle de Rome.
1. Pour tout ce paragraphe, voir plus loin : Sources et bibliographie, Sources.
206
La ville de Lyon sous le Principat
A. Le site et la situation1
Du point de vue du site, on sait que trois ensembles topographiques
composaient la cité. 1/ Le plateau de Fourvière, avec son prolongement de
207
III. Action et réaction
B. La fondation6
Elle est connue par des textes : le Pseudo-Plutarque (Des noms des fleu‐
ves et des Monts et des choses que l’on y trouve, VI), Dion Cassius (XLVI, 50,
4), ainsi que par Cicéron dans plusieurs de ses lettres (Ad Familiares, X, 22
et X, 24). Le CIL, X, 6087 apporte aussi son témoignage.
Trois étapes ont été mentionnées : l’existence d’un oppidum celtique,
une première installation et l’implantation officielle de la colonie.
L’oppidum celtique est connu par le Pseudo-Plutarque qui rapporte la
légende d’un vol de corbeau prélude à la fondation du premier établisse-
ment autour du sanctuaire du dieu Lug sur la hauteur de la rive droite de
la Saône. Lugdunum ou, mieux, Lugudunum fut le sanctuaire du dieu Lug,
« le haut-lieu de Lug ». On pense qu’il fut un dieu solaire ou un dieu de la
1. M. Le Glay, « L’amphithéâtre des Trois Gaules à Lyon », Gallia, 28, 1970, p. 67-89.
2. CIL, XIII, 1670.
3. CIL, XIII, 1684.
4. G. Ayala, « Rue Palais-Gillet », RAE, 43, 1992, p. 293-305.
5. A. Desbat et J.-P. Lascoux, « Le Rhône et la Saône à Lyon à l’époque romaine », Gallia, 56, 1999,
p. 45-69.
6. P. Wuilleumier, Lyon, métropole des Gaules, 1953, (Paris), p. 12-15 ; A. Audin, Lyon, miroir de
Rome, 1965, (Paris), p. 36-60 ; Y. Le Bohec, La province romaine de Gaule lyonnaise (Gallia Lugudu‐
nensis) du Lyonnais au Finistère, 2008, (Dijon), p. 66.
208
La ville de Lyon sous le Principat
lumière, plutôt qu’un dieu des corbeaux. Une présence humaine anté-
rieure a été détectée à Vaise et à Fourvière1, mais il n’y eut pas de vraie
ville avant celle de Plancus. Des fouilles récentes2 ont dégagé de vastes
enclos limités par des fossés.
La première installation est mentionnée par Dion Cassius (XLVI, 50, 4).
En 61 avant J.-C., des commerçants italiens, chassés de Vienne par une
révolte des Allobroges3, vinrent chercher refuge dans l’espace compris
entre Rhône et Saône, là où se trouve le confluent.
La fondation de la colonie fut effectuée par l’ancien lieutenant de César
en 43 avant J.-C., L. Munatius Plancus. C’est la seule colonie déduite de la
province4 dont elle était la capitale et elle relevait du droit italique comme
le soulignait Ptolémée5. Lyon fut appelée Copia Munatia, en hommage à sa
prospérité et à Munatius Plancus. Au temps de l’empereur Claude, Clau‐
dia remplaça Munatia. Dans les inscriptions, la cité est désignée comme :
CCCL, c’est-à-dire c(olonia) C(laudia) C(opia) L(ugudunum)6.
Lyon devint très vite une des plus grandes métropoles de l’Occident
romain au début du Principat.
1. A. Pelletier, Pour une nouvelle histoire des origines de Lugdunum, Caesarodunum, 30, 1996,
p. 167-177 ; Vaise. Un quartier de Lyon antique, éd. E. Delaval et alii, 1995, (Lyon), 291 p.
2. Lyon avant Lugdunum, éd. M. Poux et H. Savay-Guerraz, 2003, (Lyon), 152 p.
3. Dion Cassius, XXVI, 29 et 50. C. Goudineau, « Note sur la fondation de Lyon », Gallia, 1986,
XLIV, p. 171-173 et id., Origines de Lyon, 1989, (Lyon), 128 p. ; Lugdunum. Naissance d’une capitale,
éd. A. Desbat, 2005, (Paris), 182 p.
4. F. Bérard, « L’organisation municipale de la colonie de Lyon », in : Cités, municipes, colonies, éd.
M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepset-Charlier,1999, (Paris), p. 97-126.
5. Ptolémée, II, 8, 17.
6. AE, 2003, 175, d’après J. Gascou.
7. P. Wuilleumier, Lyon, métropole des Gaules, 1953, (Paris), p. 17-23.
209
III. Action et réaction
210
La ville de Lyon sous le Principat
attendre les Flaviens pour connaître une stabilité restaurée à Lyon et dans
la région.
L’âge des Flaviens et des Antonins marqua l’apogée de l’Empire. Lugu‐
dunum y participa. Les Flaviens ont accordé de l’importance à Lyon. Dès
la prise de Rome et devant la révolte de Civilis, Mucien décida
d’emmener le jeune Domitien à Lyon1. Par la suite, Domitien devait re-
tourner à deux reprises à Lyon : en 83 pour procéder au recensement,
pour préparer son expédition contre les Chattes2, et peut-être lors de la
révolte de L. Antonius Saturninus en 88-89. En interdisant, la culture de la
vigne dans les provinces3, il a favorisé le commerce des négociants lyon-
nais qui importaient le vin d’Italie.
En dehors de Nerva, tous les Antonins ont laissé des traces de leur pas-
sage à Lyon. Leurs époques virent une activité édilitaire importante. Une
inscription incomplète rappelle le passage de Trajan après 1024 et celui
d’Hadrien semble attesté en 119 par une dédicace des negotiatores uinarii
(CIL, XIII, 1788). Ces temps semblent avoir correspondu à l’extension du
forum de la cité, à l’agrandissement du théâtre, à la construction de
l’odéon et à l’établissement d’un quatrième aqueduc. Antonin Le Pieux
reçut l’hommage d’un taurobole le 9 décembre 160 ainsi que le montre la
dédicace d’un autel à Cybèle (CIL, XIII, 1751). Le développement de ce
culte est peut-être lié à la persécution des chrétiens de 177, puisque les
fidèles de Cybèle et ceux de la communauté chrétienne se seraient ras-
semblés en même temps à Lyon. Et ce martyre des chrétiens de 177 à Lyon
est resté tristement célèbre5. On retrouve le culte de Cybèle sous Com-
mode auquel le clergé offrit un taurobole à Lyon en 190 (CIL, XIII, 1752).
Une guerre civile eut lieu dans les années qui suivirent la mort de
Commode, et Lyon prit le parti de Clodius Albinus contre Septime Sévère.
Les deux compétiteurs se rencontrèrent à la bataille de Lyon, le 19 février
197. Septime Sévère l’emporta et la ville de Lyon fut abandonnée à la sol-
datesque, ruinée pour longtemps. Fourvière devint un quasi désert.
D. L’urbanisme de Lyon6
Comme on l’attendait, la ville était organisée en plusieurs quartiers.
211
III. Action et réaction
1. J. Lafargues et M. Le Glay, « Découverte d’un sanctuaire municipal du culte impérial à Lyon »,
CRAI, 1980, p. 394-414.
2. A. Desbat, « Nouvelles recherches à l’emplacement du prétendu sanctuaire lyonnais de Cy-
bèle », Gallia, 55, 1998, p. 237-277.
3. M. Billard, « Les sépultures du quartier Saint-Pierre de Vaise à Lyon », Bulletin d’études préhisto‐
riques et archéologiques alpines, 2, 1997, p. 131-147 ; D. Frascone, La voie de l’Océan et ses abords‐ Né‐
cropole et habitat gallo‐romain à Lyon‐Vaise, 1999 (Lyon), 172 p.
4. AE, 2000, 938-944.
5. J. Burdy, Les aqueducs romains de Lyon, 2002 (Lyon), 204 p.
212
La ville de Lyon sous le Principat
Lyon était une ville sans grande originalité dans son urbanisme ou
dans son organisation municipale. Cependant, la cité était une métropole
provinciale. Elle était le siège de l’administration, le lieu de résidence du
gouverneur, elle avait un atelier monétaire (de 19 avant J.-C. à la fin du Ier
siècle) et une garnison. De plus, Lyon fut une capitale religieuse. Le conci‐
lium des Trois Gaules se rassemblait à Condate1. L’État a fait construire le
palais du gouverneur, la caserne (ou les casernes) et l’atelier monétaire.
Les temples et les demeures ont été conçus par les habitants.
1. F. Richard, « Une nouvelle inscription lyonnaise d’un sacerdos sénon des Trois Gaules : Sex.
Iulius Thumianus », CRAI, 1992, p. 489-509.
2. P. Wuilleumier, Lyon, métropole des Gaules, 1953 (Paris), p. 42-47 ; Y. Le Bohec, COH. XVII
LVGVDVNIENSIS AD MONETAM, Latomus, 56, 4, 1997, p. 811-818, et La province romaine de Gaule
lyonnaise (Gallia Lugudunensis) du Lyonnais au Finistère, 2008 (Dijon), p. 38-45.
3. CIL, XIII, Index, p. 142 ; J. Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, 1982 (Paris), 2e éd., XIX-909-44 p.
4. P. Wuilleumier, L’administration de la Lyonnaise sous le Haut‐Empire, 1948 (Paris), 79 p. ; « Les
procurateurs des provinces de Gaule et de Germanie », S. Demougin éd., CCG, 9, 1998, p. 215-
275 ; R. Haensch, Capita provinciarum : Statthaltersitze und Provinzialverwaltung in der römischen
Kaiserzeit, 1997 (Mainz am Rhein), 863 p. et 2 carte h.t.
213
III. Action et réaction
agens). Il veillait aussi sur les biens impériaux comme cela se produisait
dans toutes les provinces où l’empereur avait des domaines.
D’autres personnages intervenaient dans les finances. Le legatus Augusti
rationibus putandis III Galliarum pouvait se voir confier une fonction de
contrôle étendue aux trois provinces. Le census, recensement des biens et
des hommes, avait lieu en Gaule comme dans les autres provinces. Il était
confié à des chevaliers ou à des sénateurs. On connaît le légat impérial
chargé du cens en Gaule, le censitor et le procurateur chargé du cens. Des
fonctionnaires subalternes sont également attestés. En effet, le fisc était
une préoccupation importante des empereurs.
Plusieurs services avaient été centralisés à Lyon. La perception du 1/20e
des héritages fut confiée à un procurateur sexagénaire, la poste officielle
au « préfet des véhicules des trois provinces de Gaule », également sexa-
génaire. On trouvait aussi des bureaux qui s’occupaient des mines de fer
des Gaules, des gladiateurs impériaux et la mensa Galliarum était une
caisse peut-être chargée des dépenses du concilium. L’administration du
1/40e des Gaules1, avec un prélèvement de 2,5% sur les échanges, est
mieux connue. Le procurateur responsable était à Rome et les bureaux de
ce service aux frontières de la province. Cependant, un bureau avait été
installé à Lyon. La perception était l’affaire d’une société fermière au Ier
siècle, puis elle fut confiée à des collecteurs indépendants au début du IIe
siècle et enfin, Septime Sévère décida de passer à la régie directe.
L’atelier monétaire de Lyon a été en activité depuis la fondation de la
colonie jusqu’au IVe siècle, preuve de l’importance de la cité pour les Gau-
les. L’atelier a émis des monnaies en or, en argent et en bronze, surtout au
Ier et au IIIe siècle. Frapper monnaie était un privilège politique, mais aussi
cela prouvait l’existence d’une économie monétaire.
1. J. France, Quadragesima Galliarum, CÉFR, 278, 2001, (Rome-Paris), 498 p. (avec un catalogue des
inscriptions latines relatives à cette taxe).
2. Ph. Fabia, La garnison romaine de Lyon, 1918, (Lyon), 120 p ; H. Freis, Die cohortes urbanae, ES, 2,
1967, p. 28-31 ; F. Bérard, « Une nouvelle inscription militaire lyonnaise », MEFR(A), 105, 1993,
p. 39-54, « Vie, mort et culture des vétérans d’après les inscriptions de Lyon », REL, 70, 1992,
p. 166-192, et « La garnison de Lyon à l'époque julio-claudienne », Militaires romains en Gaule ci‐
vile, 1993 (Lyon-Paris), 77 p. ill. cartes. (Coll. du Centre dʹÉtudes romaines et gallo romaines, N. S.,
11), p. 9-22, et id., « La cohorte urbaine de Lyon : une unité à part dans la Rangordnung ? » La
hiérarchie (Rangordnung) de lʹarmée romaine sous le Haut‐Empire, éd. Y. Le Bohec, 1995, (Paris),
p. 373-382 ; Y. Le Bohec, COH. XVII LVGVDVNENSIS AD MONETAM, Latomus, 56, 4, 1997,
p. 811-818.
214
La ville de Lyon sous le Principat
1. Artisanat
Les inscriptions font connaître la présence de fabri (charpentiers), de sa‐
garii (fabricants de sayons), de centonarii (fabricants de bâches, également
chargés d’éteindre les incendies à l’aide de leurs toiles). Des découvertes
archéologiques récentes ont montré l’existence de la métallurgie (bronze
1. L’armée romaine en Gaule, éd. M. Reddé, 1996 (Paris), 278 p. ; Y. Le Bohec, « L’armée romaine en
Gaule à l’époque de Tibère », in : Rom, Germanien und die Ausgrabungen von Kalkriese, 1999 (Os-
nabrück), p. 689-715.
2. P. Wuilleumier, Lyon, métropole des Gaules, 1953 (Paris), p. 49-56 ; A. Audin, Lyon, miroir de Rome,
1965 (Paris), p. 97-171 ; Y. Le Bohec, La province romaine de Gaule lyonnaise (Gallia Lugudunensis)
du Lyonnais au Finistère, 2008 (Dijon), p. 68-70, 204-213, 226-230.
3. N. Tran, Les membres des associations romaines. Le rang social des collegiati en Italie et en Gaule sous le
Haut‐Empire romain, CÉFR, 367, 2006 (Rome-Paris), 577 p.
215
III. Action et réaction
2. Commerce
Parmi les commerçants, les marchands de vin (uinarii) et les nautes
(nautae) du Rhône5, de la Saône et de la Loire occupaient une position
1. L. Tranoy et G. Ayala, « Les pentes de la Croix-Rousse dans l’Antiquité », Gallia, 51, 1994,
p. 171-189 ; M.-D. Nenna et alii, « L’atelier de verrier de Lyon au Ier siècle », Revue
d’Archéométrie, 21, 1997, p. 81-87.
2. La bibliographie sur la céramique à Lyon est très importante, on ne prétend pas donner une
bibliographie exhaustive. B. Dangréaux et A. Desbat, « Les amphores du dépotoir fluvial du
Bas de Loyasse à Lyon », Gallia, 45, 1987-1988, p. 115-153 et « La distribution des amphores
dans la région lyonnaise », Les amphores en Gaule, I, 1992, p. 151-156 ; B. Dangréaux et alii, « La
production d’amphores à Lyon », ibidem, p. 37-50 ; C. Bonnet, « Nouvelles formes d’amphores
orientales, place des Célestins ? » ibidem, p. 175-192 ; M. Génin, « Céramique augustéenne du
Verbe Incarné à Lyon », ibidem, p. 19-22, et « Céramique augustéennes précoces de Lyon », RAE,
45, 1994, p. 321-359 ; F. Laubenheimer et alii, « Assainissement place des Célestins à Lyon », ibi‐
dem, p. 205-235 ; A. Desbat, « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon », Gallia,
53, 1996, p. 1-249, et 54, 1997, p. 5-117, « L’atelier de potier antique de la rue Chapeau-Rouge à
Lyon-Vaise », RA, 2002, p. 199-204, « L’artisanat céramique à Lyon durant la période romaine »,
RCRF, 37, 2001, p. 17-35, et « Amphorae from Lyon and the question of Gaulish Imitations of am‐
phorae », JRP, 10, 2003, p. 45-49 ; A. Desbat et alii, « Le début des importations de sigillée à
Lyon », RCRF, 36, 2000, p. 513-523.
3. C. Becker, in Les artisans dans la ville antique, 2002 (Lyon), p. 209-220.
4. P. Wuilleumier Lyon, 1953, p. 83-85, et, sur les métiers : p. 53-54.
5. X. Colin, « Une nouvelle inscription lyonnaise concernant un naute du Rhône », ZPE, 119, 1997,
p. 217-220.
216
La ville de Lyon sous le Principat
1. A. Deman, « Avec les utriculaires sur les sentiers muletiers de la Gaule romaine », in : Les
métiers du monde romain, CCG, 13, 2002, p. 233-246.
2. Rencontres en Gaule romaine, Gallion, 2005, 126 p.
3. P. Wuilleumier, Lyon, 1953, p. 81 et 55-56.
217
III. Action et réaction
2. L’inégale prospérité
On retrouve à Lyon comme dans tout l’Empire, une société à la fois
d’ordres et de classes.
Au sommet de la hiérarchie, il y avait l’empereur et sa famille, mais il
est vrai que les empereurs venaient rarement à Lyon. Pourtant, certains y
firent des séjours : Auguste, Caligula, Claude et Hadrien. Septime Sévère
y poursuivit Clodius Albinus.
Les représentants du pouvoir central, sénateurs, chevaliers ou esclaves
et affranchis impériaux ont occupé des postes dans l’administration impé-
riale. Les sénateurs pouvaient avoir à servir à Lyon au cours de leur cursus
honorum. C’est ainsi que Septime Sévère, le futur empereur, fut gouver-
neur de la province1. Clodius Albinus, devenu son rival pour l’accession à
l’Empire, vint s’installer à Lyon qui fut pour lui une capitale temporaire2.
Les chevaliers, comme les sénateurs, pouvaient être amenés à travailler
dans la province au cours de leur carrière, notamment comme procura-
teurs. Comme eux, ils étaient très souvent des étrangers à la province. Un
autre groupe de privilégiés était constitué des esclaves et affranchis impé-
riaux travaillant dans l’administration de la province. Appartenant à
l’empereur, ils avaient un pouvoir important du fait même de cette
proximité.
Les élites gauloises3 ont pu entrer dans les ordres supérieurs, mais peu
ont su en tirer profit. On connaît le célèbre discours prononcé par Claude
pour demander au Sénat d’ouvrir aux primores Galliarum leur illustre as-
semblée. Il ne fut guère entendu.
Les riches Gallo-Romains ont accepté assez facilement de servir leurs
petites patries4. Aisés, ils disposaient de biens fonciers limités au territoire
de leur cité. Parmi les notables Gaulois, César parle des equites, aristocra-
tes de l’époque celtique dont les notables municipaux étaient souvent les
descendants ; et, dans une colonie, les descendants d’Italiens étaient nom-
breux. À Lyon comme partout, les décurions formaient deux groupes : les
élites et les simples décurions. Les magistrats étaient comme ailleurs, les
questeurs, chargés des finances, les édiles chargés de la police et de la
voirie et les deux duumvirs, qui s’occupaient de la justice et présidaient
l’ordo decurionum. Les plus riches pratiquaient l’évergétisme qui semble
connaître un déclin au milieu du IIe siècle : appauvrissement ou change-
ment de mentalité ? La cité confiait parfois ses intérêts à des patrons. Le
premier semble avoir été Lucius César, un des petits-fils d’Auguste.
218
La ville de Lyon sous le Principat
1. P. Wuilleumier, Lyon, 1953, p. 88-97 ; A. Audin, Lyon, 1965, p. 67-79, p. 105-107 et p. 172-188 (sur
le christianisme) ; Y. Le Bohec, La province romaine de Gaule lyonnaise, 2008, p. 263-279.
2. César, BG, VI, 17, 1.
219
III. Action et réaction
2. Le culte impérial
a. Le sanctuaire fédéral et le Conseil des Gaules
Culte impérial : l’État a proposé et les notables ont adhéré.
Le culte provincial était célébré à Condate, aujourd’hui la Croix-Rousse,
dans un sanctuaire qui était situé sur un pagus dépendant probablement
de Lyon1. C’est Drusus qui créa le culte impérial pour tous les peuples de
la Gaule en 12 avant J.-C2. Il implanta un autel de Rome et d’Auguste qui
fut consacré en 103. La même année naissait à Lyon Claude, le futur empe-
reur4. L’évènement eut lieu le 1er août, jour de la fête du dieu Lug, épo-
nyme de Lyon. Tous les ans, les prêtres municipaux des soixante peuples
de la Gaule5 s’y rendaient pour former le concilium ou assemblée, et ils
élisaient l’un d’entre eux sacerdos. Ce dernier célébrait le culte de
l’empereur et de Rome.
Cette institution est connue par une demi-douzaine de textes et environ
soixante-quinze inscriptions. Ce culte se traduisait essentiellement par les
cérémonies annuelles qui commençaient le 1er août. Les fêtes duraient
plusieurs jours et attiraient des foules de toute la Gaule. Il y avait à la fois
des cérémonies religieuses et des spectacles variés à l’amphithéâtre (dont
le massacre de 177 !). Ce conseil avait pour président un prêtre et pour
centre un autel monumental, doublé ultérieurement d’un temple. Il jouait
un rôle à la fois politique et religieux. Sur le plan politique, il pouvait in-
tervenir auprès de l’empereur, lui adresser des requêtes. Sur le plan finan-
cier, il servit d’intermédiaire entre le pouvoir central et les cités. Cepen-
dant son caractère religieux restait prédominant.
Le sanctuaire était nommé Ara Romae et Augusti ad Confluentem Araris et
Rhodani. À l’époque d’Hadrien, un templum Romae et Augusti lui fut ad-
1. R. Turcan, « L’autel de Rome et d’Auguste “ad confluentem” », ANRW, 2, 12, 1, 1982, p. 607-
644, et « Un nouveau sesterce d’Auguste à l’Autel de Lyon », BMLyon, 1992, 2, p. 12-17 ; D.
Fishwick, « L’autel des Trois Gaules », BSAF, 1986, p. 90-111, « The sixty Gallic tribes and the
altar of the Three Gauls », H, 38, 1989, p. 111-112, « The dedication of the Ara Trium Galliarum »,
Latomus, 55, 1996, p. 87-100, et « Flavian Regulations at the Sanctuary of the Three Gauls » ZPE,
124, 1999, p. 249-260 ; A. Audin et D. Fishwick, « L’autel lyonnais de Rome et d’Auguste », La‐
tomus, 49, 1990, p. 658-662 ; M. Le Glay, in Inscriptions latines de Gaule Lyonnaise, 1992, p. 41-49 ;
J. Van Heesch, « Note sur la représentation de l’Autel de Lyon sur les monnaies d’Auguste et
les imitations », Cercles d’études numismatiques, 29, 1992, p. 81-84.
2. Tite-Live, Per., 139 ; Suétone, Aug., LIX, 3 ; Dion Cassius, XXXII, 1.
3. Suétone, Cl., II, 1.
4. Sénèque, Apoc., VI, 1-2 ; Suétone, Cl., II, 1.
5. Strabon, IV, 3, 2-4.
220
La ville de Lyon sous le Principat
4. Mourir à Lyon
À l’ouest, le cimetière de la voie d’Aquitaine, débordant dans le vallon
de Trion, a livré des tombes en grand nombre. C’est là la plus forte
concentration de défunts connue par les archéologues. Au nord, le long de
la route menant à Langres, de nombreuses sépultures ont été retrouvées.
D’autres proviennent de Saint-Clair et d’autres encore de l’est de la ville.
On sud, il y en avait sans doute le long de la route pour Marseille. La ma-
1. R. Frei Stolba, « Die Kaiserpriester am Altar von Lyon », BAL, 22, 1993, p. 35-54.
2. E. Rosso, L’image de l’empereur en Gaule romaine, 2006, (Paris), p. 269-292.
3. J. Lasfargues et M. Le Glay, « Découverte d’un sanctuaire municipal du culte impérial à Lyon »,
CRAI, 1980, p. 394-414.
221
III. Action et réaction
1. Les thermes
Lyon avait plusieurs établissements de bains. Les thermes étaient om-
niprésents dans les cités de l’Empire. Les bibliothèques et les gymnases
étaient souvent à proximité des thermes. On y trouvait aussi des tavernes
et des lupanars.
2. L’odéon et le théâtre
La construction du théâtre augustéen date peut-être de 16-14 avant no-
tre ère4. Il fut par la suite agrandi par Hadrien aux alentours de l’année
121. Il était situé sur la colline de Fourvière à l’est de l’odéon. À l’origine,
sa contenance était très réduite et l’on pense que, sous Auguste, il ne
comportait que deux maeniana couronnés par un portique. Il semble qu’il
ait été doublé au début du IIe siècle en liaison avec la croissance de la cité.
Le théâtre d’Auguste rassemblait 4 500 spectateurs, capacité qui fut portée
222
La ville de Lyon sous le Principat
223
III. Action et réaction
224
La ville de Lyon sous le Principat
4. Le cirque perdu1
Le cirque servait exclusivement aux courses de chars. Le principe était
simple : quatre ou cinq quadriges devaient faire sept fois le tour de
l’arène. Ce type d’édifice est mal connu car dans les provinces, on utilisait
généralement la terre et le bois. En Gaule, on en a trouvé à Vienne
(455 m), Arles (350 m), Orange, Fréjus et Trèves. Ceux de Saintes, Valence,
Nîmes et Lyon appartiennent encore au domaine des hypothèses.
Une inscription, trouvée dans le vallon du Trion, aujourd’hui disparue
et mentionnant le cirque, révélait que l’édile Iulius Ianuarius avait fait
aménager à ses frais 500 places. On observe dans de nombreuses villes
antiques, comme à Vienne, la proximité des cirques et des cimetières. Par
ailleurs, cet espace est le seul assez long (300 m) et assez plat pour avoir
pu recevoir la piste des chars. Ce cirque pourrait dater du IIe siècle.
En dehors de ce texte, on possède une mosaïque montrant une course
de chars2. L’apparence du cirque de Lyon – s’il s’agit de lui ! – est connue
par celle-ci. Le plan comprenait une arène de 300 à 500 m, flanquée de
gradins sur les côtés ; au sommet pouvait se trouver une galerie à porti-
que. Sur une largeur, au-dessus des huit carceres (écuries), d’où
s’élançaient les chars lorsque le système d’ouverture simultanée fonction-
nait, on voit la tribune des présidents des jeux, trois magistrats. L’autre
extrémité était arrondie.
Au centre, la spina, massif de maçonnerie partageant l’arène par le mi-
lieu, était limitée par deux bornes et elle supportait des autels, des statues,
sept œufs et sept dauphins qui indiquaient en s’abaissant le nombre de
tours qui avaient été courus. On ne retrouve pas tous ces éléments sur la
mosaïque de Lyon. Ici, la spina se réduit à un obélisque central, encadré
par deux bassins inégaux. Au-dessus des bassins se trouvent les boules en
forme d’œufs que l’on déplaçait au fur et à mesure du déroulement de la
course. Les deux metae, triples bornes coniques situées aux extrémités de
la spina imposaient aux auriges des virages dangereux. Les courses de
chars donnaient lieu à de nombreux accidents notamment lorsque les
chars se renversaient, ce qui est justement le cas sur cette mosaïque.
Les équipages, répartis en plusieurs écuries, étaient reconnaissables à la
couleur des casaques. Au Ier siècle, bleus et verts vinrent s’ajouter aux
rouges et blancs. Plus tard, les courses prirent une teinte d’affrontements
socio-politiques. Les cirques servaient parfois aussi aux processions. Sur
la mosaïque, huit quadriges participent à la course. Ils font partie des qua-
tre factions que l’on a rappelées plus haut.
225
III. Action et réaction
Bilan
Sources et bibliographie
A. Sources
Textes, généralités
• PLINE L’ANCIEN, XVII, 107.
• POMPONIUS MELA, III,2.
• PTOLÉMÉE, II, 8 1-17.
• STRABON, III, 1-5.
• TACITE, Ann (discours de Claude) et H (Guerre civile de 68-70).
Fondation de Lyon
• DION CASSIUS, Histoire romaine, XLVI, 50.
• PSEUDO-PLUTARQUE, Des noms des fleuves et des Monts et des choses que l’on y trouve,
VI.
• SÉNÈQUE, Apocoloquintose du Divin Claude, et Lettres à Lucilius, XIV, 91.
• STRABON, Géographie, IV, 3, 2.
226
La ville de Lyon sous le Principat
• SUÉTONE, Vie de Tibère, 4.
• CIL, X, 6087.
Documents routiers
• CIL, XVII.
• MILLER K., Itineraria romana, 1916, réimpr, 1964, (Rome), 81, 94, 101, 102 (voir no-
tamment Itinéraire Antonin, p. 368 et Carte de Peutinger).
Épigraphie
• CIL, XIII, p. 227 à 377 et nos 1664 à 2445].
• WUILLEUMIER P., Inscriptions des Trois Gaules, 1963 (Paris), IV-256 p., n°s 215-
302ter ; 461 ; 496 ; 498-503 ; 505-508 ; 510 ; 512-515 ; 517bis ; 555 ; 569.
• L’Année épigraphique depuis 1962.
« Tables claudiennes »
• TACITE, Ann, XI, 23-27 ; CIL, XIII, 1668.
• FABIA Ph., La Table de Lyon, 1929, (Lyon), 128 p.
• LE GLAY M. et AUDIN A., Notes d’épigraphie et d’archéologie lyonnaises, BSAF,
1972, p. 86-89.
• CHASTAGNOL A., « Les modes d’accès au sénat romain au début de l’Empire :
remarques à propos de la Table claudienne de Lyon », BSAF, 1971, p. 282-310.
• PERL G., « Die Rede des Kaisers Claudius für die Aufnahme römischer Bürger aus
Gallia Comata in den Senat », Philologus, 140, 1996, p. 114-138.
• SAGE P., « La Table claudienne et le style de l’empereur Claude » : REL, 1980, p. 274-
312.
• BADOUD Nathan, « La table claudienne de Lyon au XVIe siècle », CCG 2002, 13 :
p. 169-195 ill.
Numismatique
• Dictionnaire de numismatique, édit. M. AMANDRY et alii, 2001 (Paris), 628 p.
• GIARD J.-B., Le monnayage de l’atelier de Lyon de Claude Ier à Vespasien (41‐78 après
J.‐C.) et au temps de Clodius Albinus (196‐197), 2000 (Paris), 180 p-58 pl.
• LE BOHEC Y., COH. XVII LVGVDVNIENSIS AD MONETAM, Latomus, 56, 4, 1997,
p. 811-818.
• REBUFFAT F., La monnaie dans l’Antiquité, 1996, (Paris), 271 p.
Archéologie
• Gallia‐Informations ; Guides archéologiques de la France sur Lyon (Reynaud).
• Mosaïques : RGMGaule, 2. Province de Lyonnaise-1- Lyon, 1967, p. 73 ; BullAIEMA
de I, 1968 à 17, 1999 (en cours).
• Numéro d’Archéothema, mars-avril 2009 sur Capitale de la Gaule romaine‐ LYON,
avec des articles sur les découvertes récentes : M. POUX et T. SILVINIO, « Le terri-
toire de Lugdunum », p. 18-22. ; H. SAVAY-GUERRAZ, « Production et échanges »,
p. 26-30. A. DESBAT, « L’habitat et le luxe domestique », p. 50-52. D. FELLAGUE,
« Les édifices de spectacle », p. 54-55 et « Les édifices religieux », p. 54-55.
L. TRANOY, « Monuments et pratiques funéraires à Lugdunum », p. 46-49.
227
III. Action et réaction
B. Bibliographie
Dictionnaires
• CRAMER, Lugdunum, Realencyclopädie der Altertumswissenschaft., 1927, édit.
A F. Pauly et G. Wissowa, Stuttgart, vol XIII, 2, col. 1718-1724.
• LE GLAY M., Lugdunum : The Princeton Encyclopedia of classical sites, edit. R. Stillwell,
Princeton, 1976, (1019 p), pp. 528-531.
• LAFOND Y. et LE GLAY M., Lugdunum, Der neue Pauly, 7, 1993 (Stuttgart), col. 487-
489.
Autres publications
• AUDIN A., Lyon, miroir de Rome, nouv. éd., 1979 (Paris), 304 p.
• BÉRARD F., « La cohorte urbaine de Lyon : une unité à part dans la Rangord-
nung ? » in : La hiérarchie (Randordnung) de lʹarmée romaine sous le Haut‐Empire, éd.
Y. Le Bohec. 1995 (Paris), p. 373-382.
• BÉRARD F., « La garnison de Lyon à l'époque julio-claudienne », Militaires romains
en Gaule civile Militaires romains en Gaule civile, éd. par Y. Le Bohec, 1993 (Paris),
pp. 9-22.
• BÉRARD F., « L'organisation municipale de la colonie de Lyon », Cités, municipes,
colonies : les processus de municipalisation en Gaule et en Germanie sous le Haut Empire
romain, éd. M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier, 1999 (Paris), p. 97-126.
• DESBAT A. et DELAVAL É., Colonia Copia Claudia Augusta Lugdunum : « Lyon à
l'époque claudienne », in : Claude de Lyon, empereur romain, éd. Y. Burnand, Y. Le
Bohec, J.-P. Martin, 1998 (Paris), p. 407-434.
• DRINKWATER J.F., Roman Gaul: the Three Gauls, Londres, 1983, X-256 p.
• GASCOU J., « Les titulatures de la colonie de Lyon », in : Hommages à Carl Deroux. 3,
Histoire et épigraphie, droit, éd. P. Defosse, Collection Latomus, 270, 2003, p. 225-231.
• GOUDINEAU Chr., « Note sur la fondation de Lyon », Gallia, 44, 1986, p. 171-173.
• LASFARGUES J. et LE GLAY M., « Découverte d'un sanctuaire municipal du culte
impérial à Lyon », CRAI, 1980, p. 394-414.
• LE BOHEC Y., La province romaine de Gaule lyonnaise (Gallia Lugudunensis) du Lyon‐
nais au Finistère, 2008 (Dijon), 358 p.
• PELLETIER A., Lugdunum : Lyon, 1999 (Lyon), 151 p. 8 de pl. ill.
• ROMAN Y., « Le corbeau de Lyon et l'origine du nom de Lugdunum », BSABR, 3,
1985, p. 51-53.
• WUILLEUMIER P., Lyon, métropole des Gaules, 1953, Paris, 118 p.
228
L’habitat urbain en Gaule
sous le Principat
Pascal Vipard
Maître de conférences d’Antiquités nationales à l’université de Nancy 2,
rattaché à l’EA 1132 HISCANT-MA (Centre Albert Grenier)
L’habitat urbain, par sa nature plus proche des individus que les édifi-
ces civils ou religieux, qui correspondent à un mode d’expression collectif,
constitue une source privilégiée pour mesurer l’impact de Rome sur les
habitants de la Gaule et la réception de sa culture.
Dans le cadre domestique, celle-ci a d’ailleurs quelquefois précédé la
conquête : la Transalpine, a ainsi connu un mélange d’influences hellénis-
tiques (via Marseille peut-être) et italiques dès avant 121 av. J.-C. (Gros,
2001, p. 142-147) et en Gaule Chevelue, certaines régions sous influence
économique romaine (région lyonnaise, territoire éduen) présentent des
indices précoces d’acculturation dès la fin du IIe s. av. J.-C. Le recours à
des toitures en terre cuite (tegulae et imbrices), étrangères au monde celti-
que, sans être fréquent, semble y avoir été courant. À Lyon, les bâtiments
de la Rue du Souvenir (3e quart du IIe s.), présentent des aménagements et
une décoration très romains : murs maçonnés, sol béton, toiture en tuiles
ou en opus pauonicum (plaques de pierre), peintures polychromes du Ier
style pompéien sur mur en pan de bois. Qu’ils soient le fait de Romains
installés en Gaule ou d’aristocrates celtes romanophiles, ces exemples
montrent que le modèle domestique romain semble avoir déjà été dès
cette époque un but pour certains.
Les sources dont on dispose pour étudier l’habitat urbain de Gaule sont
presque essentiellement de nature archéologique. L’information est toute-
fois très disparate d’un site à l’autre et, comme elle concerne majoritaire-
ment l’habitat modeste et moyen, généralement négligée et peu publiée.
Ce relatif désintérêt vient en partie du fait que, contrairement aux autres
catégories de l’architecture, l’habitat est difficilement réductible à une de
ces typologies si rassurantes pour l’archéologue et l’historien. On constate
cependant que cet habitat se répartit de façon très inégale en deux lots qui
renvoient, quantitativement et qualitativement, à la structure même de la
229
III. Action et réaction
1. Signalons au passage que le terme latin domus, dont l’usage tend aujourd'hui à se restreindre
improprement aux seules maisons riches, désigne clairement chez les Romains, par opposition
à un appartement, toute maison urbaine occupée par une famille et s’applique donc aussi bien
à un misérable taudis qu’à une superbe demeure à péristyle.
2. Tacite, Vie dʹAgricola, 21, 1 (trad. H. Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1922, p. 124-125).
230
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
de l’espace ouvert, ces demeures assez vastes (au moins 210 m2) et assez
luxueusement décorées, dénotent un certain standing des occupants.
Des plans véritablement romains ne sont pas inconnus, mais restent ra-
res. On connaît ainsi, dès les alentours de 125 av. J.-C., sur l’oppidum
d’Ensérune, mais surtout à partir du début du Ier s. av. J.-C., en Narbon-
naise (à Glanum, à Vaison-la-Romaine, à Vienne) et en Lyonnaise (à Bi-
bracte, à Lyon), de petites maisons à atrium tétrastyle, d’une superficie
généralement inférieure ou égale à 200 m2 environ. Il s’agit d’un type déjà
évolué où, comme en Italie à cette époque, l’impluuium ne sert plus à la
collecte de l’eau de pluie, mais à son évacuation. Ces cas assez précoces,
en voie de disparition en Italie même, n’ont pas fait florès.
En fait, plus que dans les plans, c’est dans les matériaux et techniques
de construction que l’influence romaine s’est fait sentir.
Durant tout le Haut-Empire, bois et terre (brique crue, torchis ou pisé)
restent les matériaux de construction traditionnels les plus utilisés, mais il
est difficile de savoir si leur mise en œuvre s’est inscrite dans la tradition
indigène ou a pu être influencée par des techniques romaines (le pan de
bois hourdé, par exemple, est très courant chez les Romains qui maîtrisent
également remarquablement l’art de la charpente). Ils ne laissent souvent
que des traces brouillées : trous de poteaux, tranchées de sablières basses,
charbons de bois, couches de terre argileuse … donnant de ces construc-
tions une impression d’extrême modestie qui peut être trompeuse. Des
peintures murales de belle qualité posées sur le torchis indiquent en effet
quelquefois un cadre de vie agréable. L’influence romaine se fait surtout
sentir, avec de notables décalages suivant les lieux, dans l’emploi de ma-
tériaux (tuiles et, plus tard, briques), d’équipements (sol en mortier ou
hypocauste, par exemple) ou de techniques décoratives (enduit peint,
mosaïque). La construction en pierres liées par du mortier de chaux (opus
caementicium et, particulièrement en Gaule, le petit appareil) n’apparaît
que tardivement par rapport aux édifices publics, souvent guère avant le
milieu ou la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C., souvent même plus tard
encore, selon les cités.
231
III. Action et réaction
Les maisons modestes, comme les plus riches d’ailleurs, ne doivent pas
être étudiées isolément, mais dans leur contexte local (îlot, quartier, ville
si possible). Densité de population et contraintes topographiques, peuvent
tout autant en conditionner les formes que les disponibilités financières
ou des traditions locales. Couplées à des informations chronologiques
(encore trop rares), les données planimétriques permettent d’obtenir des
informations dont l’intérêt dépasse largement celui de la seule maison.
232
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
233
III. Action et réaction
1. Des études récentes font le point pour l’Occident (Gros, 2001, p. 148-196) et pour la Gaule, les
Germanies et la Bretagne (Vipard, 2007). On y trouvera tous les détails qui font défaut ici.
234
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
235
III. Action et réaction
1. Nombre d’informations non justifiées ici faute de place peuvent être trouvées dans Vipard,
2007.
236
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
1. Dessales H., « Les fontaines privées de la Gaule romaine », Dossiers dʹarchéologie, 295, 2004,
p. 20-29, spécialement p. 23.
237
III. Action et réaction
1. Battelli P., « L'ingresso della domus come confine tra città e abitazione », Studi Romani, XLVI, 3-
4, 1998, p. 281-301 ; Lafon X., « Dehors ou dedans ? Le vestibulum dans les domus aristocratiques
à la fin de la République et au début de l'Empire », Klio, 77, 1995, p. 405-423.
2. Outre à l’impossibilité d’identifier la présence de lits de repas, cette absence pourait être due à
la préférence des Gallo-Romains de prendre les repas assis, plutôt que couchés (Cf. Duval P.-
M., La vie quotidenne en Gaule romaine pendant la Paix Romaine, 1952 (Paris), p. 111).
3. Les chambres à coucher des maîtres restent difficiles à identifier en dehors des rares cas où l’on
retrouve des traces de lits sur le sol ou les murs ou des graffitis significatifs.
238
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
trilogie : leur grande taille (souvent 50 à 100 m2), leur ouverture large, leur
sol fréquemment situé à une altitude plus élevée que les autres, leur arti-
culation privilégiée avec le péristyle (notamment par la recherche d'un
point de vue privilégié sur les aménagements les plus marquants du jar-
din, favorisé par la coïncidence de leur entrée avec un entrecolonnement) ;
surtout, un décor luxueux – généralement le plus riche de la maison –
mais conventionnel, seyant à leur dignité : mosaïques, statues, peintures,
hauts plafonds stuqués, quelquefois même voûtés.
Outre cette trilogie publique, incontournable, il existe d’autres compo-
santes caractéristiques, pas toujours aisées à percevoir faute de sources
écrites ou matérielles suffisantes.
Taille et instabilité : Le gigantisme en est une. Il semble lié au besoin
d’occuper ostensiblement un espace et, surtout, de favoriser le dévelop-
pement du péristyle. De ce fait, beaucoup de maisons à péristyle se sont
donc heurtées au manque de place en centre ville. Il a donc souvent fallu
s’accommoder de la place disponible, acheter et détruire des constructions
antérieures, souvent progressivement, d’où l’existence d’une succession
de phases de transformations planimétriques ou décoratives, variables
d’une maison à l’autre, souvent équivalentes ou inférieures à une généra-
tion. Leur rythme peut être lu comme la traduction architecturale de la
montée en puissance sociale d'un propriétaire ou d'une famille de nota-
bles.
On note qu’à partir de la fin du IIe s., cette recherche d’extension hori-
zontale cesse pour laisser place à l’accroissement de la décoration.
La décoration et le luxe : Le décor – généralement identique à celui des
édifices publics – joue en effet un rôle capital, bien évidemment esthéti-
que, mais également signalétique (hiérarchisation des espaces et des circu-
lations dans la maison) et politique (officialisation de la maison, promo-
tion individuelle du maître). Mosaïques, opus sectile et décor sculpté sont
très inégalement répartis dans les demeures de Gaule. Certaines statues
ont une connotation officielle qui renforce l’aspect public de ces pièces,
comme les Tutèles identifiées dans des salons à Autun ou à Vieux. Le
décor pictural le plus soigné et le plus luxueux se concentre dans les di-
verses salles de réception. Dès le début, les domus de Gaule se contentent
de suivre les grands courants picturaux et, semble-t-il d’en respecter les
usages1. On a donc recours, à l’époque augustéenne, aux deux grands
styles du moment : le IIIe style, qui répond à la simplicité requise par
l'idéologie impériale du moment, et le IIe style tardo-républicain. Ce der-
nier, faisant référence à des traditions anciennes et romaines, va perdurer
1. Perrin Y., « Peinture et architecture. Statut du décor, statut de l'édifice, statut de la recherche »,
Journal of Roman archaeology, 10, 1997, p. 355-362.
239
III. Action et réaction
1. Thébert Y., « Vie privée et architecture domestique en Afrique romaine », dans Histoire de la vie
privée de lʹEmpire romain à lʹan mil, Ariès Ph. et Duby G. (dir.), 1985 (Paris), p. 305-397.
2. Les installations balnéaires sont rares et surtout présentes dans les maisons précoces, sans
doute pour suppléer l’insuffisance des équipements publics.
3. Le point dans : Vipard P., « L'usage du verre à vitre dans l'architecture romaine du Haut Em-
pire », dans Verre et fenêtre de lʹAntiquité au XVIIIe siècle, éd. Lagabrielle S. et Philippe M., 2009
(Paris), p. 3-10.
240
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
tige du forum rejaillit sur les maisons qui l’entourent et renforce ainsi la
liaison de leur propriétaire avec le pouvoir.
Les maisons contribuent d’ailleurs au prestige de la ville au même titre
qu’un quelconque monument public. Dès le Ier s. av. J.-C., des lois munici-
pales les considèrent comme un élément de la parure urbaine, de la pul‐
chritudo urbis, qui fait partie intégrante de la maiestas imperii. À partir de
Claude, la législation romaine s’attache d’ailleurs régulièrement à empê-
cher leur dégradation ou leur destruction « afin que la ville ne soit pas
défigurée par les ruines1 » et à ne pas nuire à cette maiestas du peuple
romain. Cette législation de protection du paysage urbain, dont on trouve
des traces en Gaule, confirme, de nouveau, le caractère public du décor
domestique, riche puisqu’il peut être utilisé pour orner des bâtiment pu-
blics, et montre bien que ces maisons constituent pour leur ville des en-
jeux importants, dépassant les simples aspects résidentiels (rôle dans
l’émulation entre cités, par exemple).
Domus à péristyle et principat : Désertées par les élites au milieu du
IIIe s., en Gaule, elles disparaissent massivement dans les décennies sui-
vantes. Bien que sortant du strict cadre chronologique de cette étude, ce
phénomène est néanmoins capital parce qu’il montre à quel point le des-
tin de ce type d’habitat est lié au principat sous lequel il naît et avec lequel
il disparaît, sous l’effet des transformations politiques qui voient notam-
ment le pouvoir – incarné dans les notables – quitter le cadre urbain (pour
occuper des uillae où se mettent à fleurir les péristyles).
La maison à péristyle que l'on retrouve en Gaule est donc, fondamenta-
lement, celle élaborée sous la République à Rome et reprise par le pouvoir
augustéen au service d'un système politico-administratif auquel elle était
bien adaptée. Un écart incommensurable existe entre cet habitat rare et
celui du commun, mais ils sont toutefois intimement liés par une promis-
cuité topographique nécessaire à l'ostentation du premier. Émanation et
mode d’expression des puissants, ces maisons peuvent être considérées
comme un indice fiable du haut degré d'intégration des élites municipales
au système de gouvernement des provinces et à la culture romaine.
Bien que généralement considérées comme se développant dans un ca-
dre anhistorique, les domus à péristyle, s’inscrivent malgré tout, à travers
le rythme de leurs phases de développement et de mutations, dans celui
de l'histoire politique et administrative de la Gaule dont elles épousent les
grandes tendances.
241
III. Action et réaction
Conclusion générale
Bibliographie
Études de cas
• BALMELLE A., NEISS R., Les maisons de lʹélite à Durocortorum, Collection Archéologie
urbaine à Reims, 5, Bulletin de la Société archéologique champenoise, 96, 4, 2003, 102 p.
• BINET É., « Le site antique du ‘Palais des Sports’ à Amiens », Revue du Nord, 78, n°
318, 1996, p. 83-96. [Publication définitive prévue en 2010 dans un n° spécial de la
Revue du Nord]
• DELAVAL É., « Formes d'habitat collectif à Lyon et à Vienne en milieu artisanal et
commercial », Revue du Nord, 83, n° 343, 2001, p. 35-48.
242
L’habitat urbain en Gaule sous le Principat
• DESBAT A., « Les maisons de Lugdunum » dans Le Mer A.-C. et. Chomer Cl., Lyon.
Carte archéologique de la Gaule, 69/2, 2007 (Paris), p. 198-204.
• DESBAT A., LEBLANC O., Prisset J.-L. et alii, La maison des Dieux Océans à Saint‐
Romain‐en‐Gal (Rhône), 55e supplément à Gallia, 1994 (Paris), 276 p.
• GARCIA D., « Le passage de la maison de type protohistorique à la maison gallo-
romaine. L'exemple de Lattes (Hérault) », La maison urbaine dʹépoque romaine, 1996,
p. 145-153.
• GOUDINEAU Ch., « Bibracte. Les habitants et leurs habitations », éd. Goudineau
Ch. et Payre Ch., Bibracte et les Éduens. À la découverte du peuple gaulois, 1993 (Paris),
p. 51-80.
• GOUDINEAU Ch., Les fouilles de la Maison au Dauphin. Recherches sur la romanisation
de Vaison‐la‐Romaine, 2 vol., XXXVIIe supplément à Gallia, 1979 (Paris), 325 p.
• LOUSTAUD J.-P., Limoges antique, Travaux dʹarchéologie limousine, supplément 5,
2000, 387 p. [Notamment le « chapitre II – L'habitat urbain », p. 172-237].
• MANGIN M., « Alésia, une ville gallo-romaine à travers son habitat », Archéologia,
157, 1983, p. 20-24.
• MANGIN M., Un quartier de commerçants et dʹartisans dʹAlésia. Contribution à lʹhistoire
de lʹhabitat urbain en Gaule, 2 vol., 1981 (Dijon), 399-300 p.
• MIGNON J.-M., « Approche morphologique et fonctionnelle de la maison. Le lotis-
sement augustéen de Saint-Florent à Orange », La maison urbaine dʹépoque romaine,
1996, p. 218-233.
• OLIVIER A., « Rues et portiques de Mâlain-Mediolanum : les problèmes d'une
restitution », Archéologia, 237, juillet-août, 1988, p. 74-78.
• PAUNIER D. et LUGINBÜHL T. (éd.), Bibracte. Le site de la maison 1 du Parc aux Che‐
vaux (PC 1) des origines de lʹoppidum au règne de Tibère, 2004 (Glux-en-Glenne), 468
p.
• PETIT J.-P. et BRUNELLA Ph. (éd.), Bliesbrück‐Reinheim. Celtes et Gallo‐Romains en
Moselle et en Sarre, 2005 (Paris), 223 p. [Notamment le chapitre 4 : « Les quartiers
artisanaux et commerciaux » p. 89-140]
• PLASSOT É. et DESBAT A., Le site de la rue du Souvenir, dans Lyon avant Lugdunum, éd.
Poux M. et Savay-Guerraz H., 2003 (Lyon), p. 130-133.
• VIPARD P., La maison du ʺBas de Vieuxʺ. Une riche habitation du quartier des thermes
dʹAregenua (Vieux, Calvados), 1998 (Caen), 125 p.
• VIPARD P., « Le rôle du décor dans les parties officielles d’une domus à péristyle du
début du IIIe s. : le cas de la Maison au Grand Péristyle (Vieux, Calvados) », Revue
du Nord, 83, n° 343, 2001, p. 21-33.
243
Fig. 1 – BLIESBRÜCK (Moselle) – Évolution du quartier ouest
(d’après Petit, 2005, p. 90).
Évolution des maisons en bandes installées le long d’une unique voie : d’abord en bois
et torchis sur sablières basses avec une couverture en matériaux périssable au Ier s., elles
sont, à la fin du même siècle, reconstruites en pans de bois sur des fondations en pierre
ou en petit appareil avec des toitures en tuiles. Une tendance à la complexification des
plans et à l’accroissement du décor se fait nettement jour à partir du IIe s. : apparition
des caves, ajout sur l’arrière de la halle de petites pièces, de séjours comme le montre
l’installation, au IIIe s., de chauffage par hypocauste quelquefois (à partir du milieu du
IIe s.), exécution de peintures de qualité dans certaines pièces.
Les parcelles ne sont bâties que progressivement et le parcellaire ne subit que très peu
de modifications au cours de l’histoire du quartier. On n’y rencontre pas ces fusions de
lots si courantes dans les îlots urbains proches du centre que connaissent la plupart des
grandes villes. La hausse du niveau de vie se manifeste par les techniques de construc-
tion, l’ajout de caves et de pièces (chauffées) sur l’arrière et l’accroissement du luxe
(enduits peints). L’archéologie montre que, d’un bout à l’autre de l’occupation, on est
toujours en présence d’une population d’artisans ou de commerçants.
Fig. 2 – LIMOGES – Maison à péristyle des Nones de Mars (v. 30-45 ap. J.-C.).
a – Position de la maison par rapport au forum (d’après Loustaud, 2000, fig. 26,
p. 180). Noter ses dimensions (39 m x 96, 3734 m2, une demi-insula, soit, à elle seule,
les trois cinquièmes des thermes publics …). Le cas lémovice illustre bien la prédilection
de ce type de maison pour le contact avec le centre civique.
b – Reconstitution axonométrique de la maison (Loustaud, 2000, fig. 35, p. 189). La
comparaison d’échelle et de plan avec la maison 31 de l’insula V, 5 (ou celles de la
fig. 1) montre bien le fossé qui sépare les domus des plus puissants de celles des gens
modestes. Grandes dimensions et régularité (permises ici par la précocité de
l’implantation) sont des composantes caractéristiques de cet habitat réservé aux élites
urbaines des chefs-lieux.
c – Plan et reconstitution axonométrique de la maison 31 de l’insula V, 5 (état 3, IIe s.)
à la même échelle (d’ap. Loustaud, 2000, p. 227, fig. 96-97). Grande maison à cour
d’artisan occupant une parcelle de 15 m sur 25 (375 m2).
Fig. 3 – MÂLAIN (Côte-d’Or) – Maisons avec galerie de façade (A. Olivier 1988).
a – Plan du quartier (Ier s.). On distingue bien les plans simples, peu réguliers et atypi-
ques des maisons modestes qui se développent librement le long d’une rue.
b – Proposition de restitution en élévation de la façade montrant comment la galerie, à
défaut d’uniformiser, sert à régulariser les disparités architecturales. Noter l’existence
d’un étage surplombant la galerie.
Si elles sont relativement proches les unes des autres, les trois grandes
îles de la Méditerranée occidentale, Corse, Sardaigne et Sicile, présentent
en ce qui concerne leur histoire et leur géographie autant de différences
que de points communs. Les contacts entre elles existaient, mais n’étaient
pas particulièrement développés, et ce fut finalement Rome qui les réunit
toutes ensemble sous la même domination. Malgré ces différences, il est
cependant possible d’étudier conjointement leur évolution, bien que
l’étude ne soit pas toujours équilibrée : les sources, qu’elles soient littérai-
res, épigraphiques ou archéologiques, sont moins abondantes pour la
Corse, dont nous parlerons donc moins, plus nombreuses pour la Sardai-
gne et la Sicile. Nous disposons d’autre part pour cette dernière des Verri‐
nes, les discours que Cicéron écrivit contre celui qui fut préteur de Sicile
entre 73 et 711. Ces discours n’ont jamais été prononcés, sauf la Première
action, ni même n’ont été écrits pour être prononcés. C’est une source
précieuse, mais dangereuse. Cicéron n’est pas objectif, loin s’en faut, et ce
qu’il dit est valable pour la Sicile de son époque, pas pour la Sicile des
siècles précédents : à l’époque des discours, cela faisait deux siècles que
les Romains étaient présents dans l’île. Nous avons conservé un autre
discours de Cicéron, le Pro Scauro, dans lequel il parle de la Sardaigne.
Mais il est beaucoup moins précis et détaillé qu’à propos de la Sicile, et
comme il s’agit ici de défendre M. Aemilius Scaurus, gouverneur de l’île
en 55, contre les accusations de corruption des provinciaux, il est nette-
ment défavorable aux Sardes.
Nous passerons rapidement sur l’histoire des trois îles avant leur
conquête par Rome : il n’est pas possible de traiter de façon complète de
leur évolution, et nous insisterons surtout sur les différentes influences
qui s’y exercèrent et sur la situation qui y régnait à la veille de l’arrivée de
Rome. Nous insisterons beaucoup plus sur la façon dont s’est effectuée
cette conquête, dont Rome a ensuite organisé ces territoires et dont enfin
251
IV. Diversité régionale
Avant la conquête
Compte tenu de leur situation, les trois îles furent envahies à de nom-
breuses reprises. La Corse par les Phocéens, et ce dès le milieu du VIe siè-
cle. Ils s’installèrent vers 565 à Alalia (Aleria pour les Romains), qui devint
vite prospère, placée comme elle l’était au centre de voies commerciales
importantes. Ils ne purent rester après leur coûteuse victoire d’Alalia vers
535, et les Étrusques s’installèrent à leur place. Les Carthaginois, présents
dès cette époque, finirent par remplacer les Étrusques. Ils continuèrent à
développer Alalia.
La Sardaigne est la deuxième plus grande île de la Méditerranée, après
la Sicile. Mais elle offre une plus grande bande côtière que cette dernière1.
Deux parties la composent : l’intérieur, montagneux et surtout pastoral, et
la côte, surtout agricole et commerçante. Des contacts s’établirent entre les
Phéniciens et la Sardaigne dès les années 1000. L’île est en effet idéale-
ment située sur les routes commerciales, en particulier la route vers
l’Occident, et plus tard à l’époque romaine entre la péninsule Ibérique et
Rome. Ils installèrent des comptoirs sur les côtes ouest et sud dès le VIIIe
siècle, parfois sur des sites nuraghiques, et cherchèrent à s’implanter à
l’intérieur et à exploiter les ressources minières de l’île (fer, argent,
plomb2) dès le milieu du VIIe siècle. Les Étrusques arrivèrent dès la se-
conde moitié du IXe siècle. Les Carthaginois intervinrent dès le milieu du
VIe siècle, mais leur véritable mainmise sur l’île ne date que des années
450. Ils ne purent conquérir la partie est de l’île, une partie montagneuse
appelée Barbaria (Barbagia) par les Romains, mais surent exploiter le reste
de l’île, en privilégiant la céréaliculture, sans négliger pour autant les au-
tres ressources. La présence phénicienne, carthaginoise et grecque (à Sul-
cis en particulier) influença profondément une grande partie du territoire.
La Sicile, qui mesure un peu plus de vingt-cinq mille km2 et dispose de
côtes faciles d’accès, de sols fertiles et de nombreuses forêts, occupe une
position particulièrement propice : elle relie en particulier l’Europe et
l’Afrique3. Elle intéressa donc très tôt les colonisateurs : les Phéniciens et
252
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
les Grecs s’installèrent entre le VIIIe siècle et le début du VIe siècle. Les
Carthaginois arrivèrent à partir de la fin du VIe siècle. C’est là que régnè-
rent à Syracuse des tyrans célèbres, dont Denys l’Ancien, de 405 à 367,
Agathocle, de 317 à 289, et enfin Hiéron II, un lieutenant de Pyrrhus, de
269 à 215. Conséquence de cette histoire mouvementée, il faut distinguer
trois zones en Sicile avant le déclenchement de la guerre de Sicile entre
Rome et Carthage1. La première zone, celle de la côte orientale et de la
région alentour, est en contact étroit avec le monde hellénistique. La
« grécité » de cette zone n’est cependant pas uniforme, et l’hellénisme
sicilien a des caractéristiques qui lui sont propres2. La partie occidentale
est celle où la présence carthaginoise est particulièrement forte. Carthage
tient en particulier fortement les ports, dont Lilybaeum (Lilybée), et a une
base militaire importante à Agrigente. La troisième partie comprend les
zones de l’intérieur et la côte septentrionale, essentiellement habitées par
les peuples établis en Sicile avant l’arrivée des Carthaginois et des Grecs,
les Sicules, les Sicanes et les Élymes. Quand les Romains arrivent en Sicile,
c’est la culture grecque qui l’emporte, même si elle n’a pas fait disparaître
les autres.
1. Bejor G., « Aspetti della romanizzazione della Sicilia », Rome, CEFR n°67, 1983, p. 345.
2. Salmeri G., « I caratteri della grecità di Sicilia e la colonizzazione romana », Colonie romane nel
mondo greco, éd. Salmeri G., Raggi A., Baroni A., Rome, 2004, p. 257 sv.
253
IV. Diversité régionale
des Romains au cours des négociations1. Ces derniers n’avaient pas ré-
clamé les deux îles en 241. Pourquoi le firent-ils alors ? Peut-être décidè-
rent-ils de profiter de l’occasion qui s’offrait à eux de s’emparer à peu de
frais d’îles proches de la Sicile, qui pour l’une au moins présentait des
avantages stratégiques certains. Ils combattaient d’autre part aussi en
Ligurie, et cela leur permettait de rendre plus sûre toute la zone de la mer
tyrrhénienne.
La Sicile constitue un cas particulier, dans la mesure où la conquête se
fit en deux temps. À la suite du traité conclu entre les deux puissances en
241, Rome ne contrôlait qu’une partie de l’île, celle qui était auparavant
sous domination carthaginoise. Une partie qui a beaucoup souffert de la
guerre : outre les destructions des récoltes et des établissements agricoles,
certaines villes ont été pillées, voire détruites (par exemple Selinunte ou
Agrigente, où le préteur T. Manlius Vulso opéra une déduction en 197). Le
royaume de Hiéron II restait en effet indépendant, même si l’on peut
considérer qu’il était un royaume client de Rome. Bien qu’ayant passé un
accord avec Carthage en 264, Hiéron II se rangea finalement du côté des
Romains et conclut un traité avec eux en 263 : Rome lui garantissait son
pouvoir en échange d’une indemnité. Ce n’est qu’après la prise de Syra-
cuse en 212 par Marcellus que les Romains furent maîtres de toute la Si-
cile, en 210. L’impact de la guerre contre Hannibal toucha surtout la partie
orientale de la Sicile, celle qui n’avait pas souffert lors de la guerre de
Sicile. Là aussi des cités furent détruites, comme Megara, ou ralentie dans
leur prospérité, comme Morgantina ou même Syracuse.
Il n’y eut pas de révoltes en Sicile après la fin de la guerre contre Han-
nibal. Les deux guerres serviles qui éclatèrent à la fin du IIe siècle (139-132
et 104-101) ne sont en effet pas dirigées directement contre Rome. Il n’en
alla pas de même pour la Corse et la Sardaigne. Après l’occupation par le
consul Ti. Sempronius Gracchus des villes sardes côtières en 238, les cam-
pagnes militaires durèrent de 236 à 2252. Elles furent aussi dures en Corse,
où elles se succédèrent dès 238. Un moment apaisées (mais il y eut une
révolte sarde en 215, lors de la guerre contre Hannibal3), les guerres firent
leur réapparition en Sardaigne en 181, en même temps que les guerres
contre les Ligures4. Sempronius Gracchus remporta une victoire impor-
tante en 177 sur la Sardaigne, tua ou prit plus de quatre-vingt mille hom-
mes et mit en vente tellement d’esclaves sardes que la vente fut intermi-
nable et que le prix des esclaves chuta5. Cela n’empêcha pas les révoltes
254
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. Meloni P., art. cit., p. 458-459 ; Rowland R.J. Jr., ouv. cit., p. 94.
2. Cicéron, 2, Verr., 2, 2 : Prima omnium, id quod ornamentum imperii est, prouincia est appellata ; prima
docuit maiores nostros quam praeclarum esset exteris gentibus imperare.
3. Prag J.R.W., « Auxilia and Gymnasia: A Sicilian Model of Roman Imperialism », JRS 97, 2007,
p. 72.
4. Serrati J., « Garrisons and grain: Sicily between the Punic Wars », Sicily from Aeneas to Augustus.
New Approaches in Archaeology and History, éd. Smith C. et Serrati J., Edimbourg, 2000, p. 121-
122.
255
IV. Diversité régionale
1. Pittia S., « La cohorte du gouverneur Verrès », La Sicile de Cicéron, Lectures des Verrines, éd.
Dubouloz J. et Pittia S., Besançon, 2007, p. 60.
2. Gabba E., « Sui senati delle città siciliane nell’età di Verre », Athenaeum, 37, 1959, p. 305.
3. Prag J.R.W., JRS 97, 2007, p. 74sv.
256
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. France J., « Deux questions sur la fiscalité provinciale d’après Cicéron Ver. 3, 12 », ouv. cit.,
Dubouloz J. et Pittia S. éd., p. 178 sv.
2. Finley M.I., ouv. cit., p. 130.
3. Andreau J., « Le prix du blé en Sicile et à Antioche de Pisidie (AE 1925. 126b) », ouv. cit., Du-
bouloz J. et Pittia S. éd., p. 111-112.
4. Finley M.I., ouv. cit., p. 132.
257
IV. Diversité régionale
1. Sirago V.A., « Aspetti coloniali dell’occupazione romana in Sardegna », Sardinia antiqua, Caglia-
ri, 1992, p. 242 ; Rowland R.J. Jr., ouv. cit., p. 91 et 105.
2. Cicéron, De lege Manilia, 34 ; Valère Maxime, 7, 6, 1 ; Lucain, 3, 65 ; Pausanias, X, 17, 1 et 11-12 ;
Horace, Carmina, 1, 31, 4 ; Strabon, V, 2, 7.
3. Salmeri G., art. cit., p. 267.
4. Strabon, V, 2, 7.
258
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
Il est bien évident que les habitants des trois îles n’ont pas tous réagi de
la même façon à la domination romaine, et qu’à l’intérieur même de ces
trois îles les habitants n’ont pas tous eu la même attitude : un Grec de
Syracuse, un Punique de Lilybée et un commerçant italien installé à Cara‐
lis n’avaient ni les mêmes intérêts, ni les mêmes préoccupations, ni la
même culture, ni les mêmes relations avec les Romains, sans même parler
1. Strabon, V, 2, 7.
2. Jehasse J. et L., Aléria antique, Aléria, 19872 ; Jehasse O., « Les suburbia d’Aleria et la romanisation
de la Corse au second siècle de l’Empire », Caesarodunum, 32, 1998, p. 253.
3. Salmeri G., art. cit., p. 266.
4. Pinzone A., Provincia Sicilia. Ricerche di storia della Sicilia romana da Gaio Flaminio a Gregorio
Magno, Catane, 1999, p. 95.
259
IV. Diversité régionale
des différences liées aux différents statuts sociaux. D’autant plus que la
population était très mêlée : tous les Carthaginois n’ont pas quitté les îles
après la conquête romaine, les populations locales sont restées, tout
comme les Grecs ou les habitants hellénisés. Il est donc difficile de généra-
liser, mais il n’en reste pas moins que des « tendances » ressortent.
La présence romaine est incontestable dans les trois territoires. Il faut
d’abord mentionner les autorités, le gouverneur, avec tout son personnel1,
ses amis, ses esclaves, le ou les questeur(s), les agents du fisc. Étaient éga-
lement présents les citoyens romains ou italiens, qu’ils fussent dans les
affaires, le commerce ou l’agriculture. Ils étaient de plus en plus nom-
breux, avant tout en Sardaigne (venus d’Italie centrale et méridionale
essentiellement2) et en Sicile3. Ils formaient dans les principales villes oc-
cidentales de Sicile (Agrigente, Lilybée, Palerme) des conuentus ciuium
Romanorum4. Tous ces gens étaient essentiellement installés en milieu
urbain, dans la capitale de la province pour le gouverneur et son entou-
rage. Ils parlaient latin. Les inscriptions latines, à quelques exceptions
près, sont précisément le fait des magistrats romains, des negotiatores et
d’autres Romains installés en Sicile5. Qu’en était-il des autres habitants
des îles ? La réponse n’est pas facile à donner. Si ces sources épigraphi-
ques sont incontestablement précieuses, elles n’offrent qu’une image limi-
tée de la société, et les réponses qu’elles fournissent ne peuvent donc être
que partielles. Il est cependant incontestable qu’en Sicile, à l’époque répu-
blicaine, la plupart des inscriptions faites par des Siciliens, qui sont sur-
tout nombreuses dans les villes de la côte est et nord, étaient en grec6.
Selon les habitudes épigraphiques grecques, il s’agit essentiellement
d’inscriptions publiques (les inscriptions funéraires sont nettement moins
nombreuses)7. Verrès disposait d’un interprète, ce qui est la preuve qu’un
certain nombre de ses interlocuteurs, et on comptait des notables parmi
eux, parlait grec. Quelques décennies plus tard, quand César accorda en
44 le ius Latii aux habitants, c’est en grec que ces derniers célébrèrent cet
1. Pittia S., art. cit., p. 60, pour les légats qui accompagnent le gouverneur.
2. Colavitti A.M., « Per una storia dell’economia della Sardegna romana: grano ed organizzazione
del territorio. Spunti di una ricerca », Africa romana, 11, 1994, p. 646 ; Pinzone A., ouv. cit.,
p. 119 ; Rowland R.J. Jr., ouv. cit., p. 105.
3. Meloni P., « Nuovi apporti alla storia della Sardegna romana dalle iscrizioni latine rinvenute
nell’isola fra il 1975 e il 1990 », Africa romana, 9, 1991, p. 508-509, pour des exemples. Voir aussi
Gagliotti M., « Nuova luce sull’economia della Sicilia romana da une rilettura dell’iscrizione
siracusana ILLRP 279 », Africa romana, 14, 2000, p. 1053 sv. ; Salmeri G., art. cit., p. 271-272.
4. Salmeri G., art. cit., p. 272.
5. Prag J.R.W., « Epigraphy by numbers: Latin and the Epigraphic culture in Italy », Becoming
Roman, Writing Latin? Literacy and Epigraphy in the Roman West, Cooley A.E. éd., Portsmouth,
2002, p. 28 n. 46 : une des premières inscriptions en latin (CIL X, 7459 = I2, 612) est une dédicace
des Italici d’Halaesa à Scipion en 193 ; Salmeri G., art. cit., p. 267-268 ; Prag J.R.W., « Ciceronian
Sicily: The Epigraphic Dimension », ouv. cit., Dubouloz J. et Pittia S. éd., p. 259-260.
6. Prag J.R.W., « Ciceronian Sicily », p. 251.
7. Prag J.R.W., « Ciceronian Sicily », p. 257-258.
260
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. Prag J.R.W., « Epigraphy by numbers », p. 23 : les inscriptions puniques sont moins nombreu-
ses après la conquête romaine, mais se maintiennent jusqu’au Ier siècle ap. J.-C.
2. Apulée, M., XI, 5.
3. Wilson R.J.A., « Sardinia and Sicily during the Roman Empire: aspects of the archaeological
evidence », Kokalos, 26-27, 1980-1981, p. 226.
4. Sechi A., « Cultura scritta e territorio nella Sardegna romana », Africa romana, 7, 1989, p. 641.
5. Sechi A., art. cit., p. 648.
6. Zucca R., « Le persistenze preromane nei poleonimi e negli antroponimi della Sardinia », Africa
romana, 7, 1989, p. 659 sv. pour des exemples d’onomastique punique ; Rowland R.J. Jr., ouv.
cit., p. 191. Cicéron, Pro Scauro, II, 1 (h, i et o) et III, 8sv, évoque deux habitants de Nora respec-
tivement appelés Bostar et Aris.
7. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., Le grandi isole del Mediterraneo Occidentale. Sicilia,
Sardinia, Corsica, Rome, 2005, p. 201, avec un autre exemple provenant de Sulcis.
261
IV. Diversité régionale
262
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. Bondí S.F., art. cit., p. 463. Ghiotto A.R., ouv. cit., p. 204 : l’influence africaine n’apparaît que
sous l’Empire en Sardaigne.
2. Wilson R.J.A., art. cit., p. 222 ; Ghiotto A.R., ouv. cit., p. 34 sv.
3. Ghiotto A.R., ouv. cit., p. 37.
4. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 59 et p. 71 pour d’autres exemples. Voir aussi
Wilson R.J.A., art. cit., p. 226, qui considère qu’à la fin de l’époque républicaine le culte de Vé-
nus Érycine a perdu son aspect punique : sur des monnaies de 57, le temple ressemble à un
temple italien standard avec une façade à colonnes.
5. Ghiotto A.R., ouv. cit., p. 70 et 200 ; Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 218.
263
IV. Diversité régionale
1. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 330 sv.
2. André P., « Les sanctuaires du forum d’Aleria : architecture, technique, idéologie », Africa
romana, 11, 1994, p. 1164.
3. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 56 sv.
4. Prag J.R.W., JRS 97, 2007, p. 87 sv., pour le lien entre les activités du gymnase et l’activité mili-
taire civique.
5. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 69.
6. La Torre G.F., « Il processo di ‘romanizzazione’ della Sicilia: il caso di Tindari », Sicilia Antiqua,
1, 2004, p. 131 sv ; Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 79.
7. La Torre G.F., art. cit., p. 130. Lomas K., « Between Greece and Italy: an external perspective on
culture in Roman Sicily », ouv. cit., Smith C. et Serrati J. éd., p. 167 : quand les théâtres sont ain-
si remaniés, y a-t-il une influence de facteurs culturels ou s’agit-il d’impératifs économiques ?
8. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. p. 91-92.
264
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
Un autre élément urbain occupe une place importante : ce sont les sta-
tues qui ornaient les villes, et en particulier les lieux publics1. C’est Cicé-
ron qui nous donne le plus de renseignements en ce qui les concerne. Les
statues des Romains célèbres (Marcellus, Scipion sont cités par Cicéron) et
des gouverneurs, de Verrès en l’occurrence, avec ou sans les membres de
sa famille, ornaient les villes siciliennes. On en trouvait sur l’agora de
Syracuse, au sénat, et ailleurs dans la ville2. Ces statues ornaient égale-
ment les villes sardes. S. Angiolillo note que le portrait ne correspond pas
à la tradition punique, et que les exemplaires retrouvés ont tous un carac-
tère officiel et sont importés3. La seule exception pour l’époque républi-
caine est constituée par un buste trouvé à Caralis. Il s’agit sans doute d’un
Italien installé là. Outre ces statues, il faut noter la présence d’arcs, à Syra-
cuse par exemple, également à la gloire de Verrès4, ou à Aleria, un arc qui
fut élevé sans doute au milieu du Ier siècle par un Italien, peut-être pour
fêter la victoire de Pompée en 57 sur les pirates5.
La situation est moins bien connue en ce qui concerne l’habitat privé.
L’architecture privée est souvent mal conservée, les changements sont
moins spectaculaires que pour l’architecture publique, et les datations peu
sûres. À Nora et à Caralis apparaissent à la fin du Ier siècle, donc à
l’époque augustéenne peut-être, quelques grandes domus avec atrium à
colonnes avec des chapiteaux toscans. C’est un type qui est alors diffusé
dans toute la Méditerranée, par exemple à Pergame6. Mais en même
temps, les techniques de construction utilisées restent puniques, en parti-
culier avec l’utilisation générale de ce qui est appelé l’opus africanum7.
C’est un mode de construction peu coûteux, qui utilise les produits lo-
caux, et solide. Et à Caralis, Nora, Sulcis, les maisons continuent à être
construites sur le modèle punique, celui des habitations « à cour », c’est-à-
dire avec une cour pavée et une entrée décentrée8. Le même mélange se
retrouve en Sicile, avec quelques maisons « pompéiennes » avec atrium et
péristyle à Agrigente et Lilybée par exemple (cette dernière est un siège
de l’administration romaine, et Agrigente a été repeuplée en 197), mais
265
IV. Diversité régionale
1. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 95-96. La Torre G.F., p. 137, pour un exemple
de domus romaine datant de la fin du IIe ou du début du Ier siècle avec atrium et péristyle dans
son prolongement à Tyndaris.
2. Ghiotto A.R., ouv. cit., p. 15.
3. Pinzone A., ouv. cit., p. 95 sv.
4. La Torre G.F., art. cit., p. 114 ; Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 45 sv.
5. Manganaro G., « Per una storia della Sicilia Romana », ANRW I, 1, 1972, p. 452.
266
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. Lilliu G., « Sopravvivenze nuragiche in età romana », Africa romana, 7, 1989, p. 419 ; Colavitti
A.M., art. cit., p. 650-651.
2. van Dommelen P., « Spazi rurali fra costa e collina nella Sardegna punico romana: Arborea e
Marmilla a confronto », Africa romana, 12, 1996, p. 594 et 601.
3. Colavitti A.M., art. cit., p. 650.
4. Lilliu G., art. cit., p. 420 sv.
5. Burnett A., « Latin on coins in the western empire », ouv. cit., Cooley A.E. éd., p. 33.
6. Schilling R., « La place de la Sicile dans la religion romaine », Kokalos, 10-11, 1964-1965,
p. 260 sv.
267
IV. Diversité régionale
grecques. Dès qu’ils se furent emparés d’Éryx, les Romains ont d’autre
part privilégié le culte de Vénus Érycine. Le culte était lié à l’origine avec
Carthage, la déesse partant en Afrique avec ses colombes pendant neuf
jours. Les Romains l’adoptèrent, les livres sibyllins prescrivant de recourir
à la déesse en 2171. Les Romains désignèrent dix-sept cités, qui avaient le
privilège d’offrir une couronne d’or à la déesse pour entretenir le sanc-
tuaire et payer la garde de deux cents esclaves chargés de protéger le
sanctuaire. Cette troupe finit par constituer une garde du gouverneur.
En Sardaigne, certains lieux de culte d’époque nuraghique étaient tou-
jours en activité à l’époque romaine. C’est le cas du puits sacré de Campo-
santo-Olmedo, utilisé comme lieu de culte jusqu’à la fin du Ier siècle ou le
début du IIe ap. J.-C. D’autres puits devinrent des lieux d’appro-
visionnement en eau potable2. Si le sanctuaire d’Orulu-Orgósolo était
toujours en activité, ce n’était pas le cas d’autres sanctuaires3. Cléon, un
esclave sans doute d’origine grecque appartenant à une societas impliquée
dans les salines, dédia une base votive en bronze avec une inscription
trilingue (latin, punique, grec) à Esculape dans la première moitié du IIe
siècle. Elle a été trouvée à San Nicolò Gerrei4. À Sulcis, le culte de la
déesse Elat était encore célébré à l’époque syllanienne ou césarienne, s’il
faut en croire une inscription bilingue (punique et latin) : le temple a été
construit sur décision de l’assemblée, Himilco en a été chargé, et son fils
dédia une statue à la divinité près du temple5. De même, les tofet se mul-
tiplièrent jusqu’à la fin du IIe siècle, et les aires continuèrent à être oc-
cupées sans solution de continuité6. Les six statuettes de terre cuite enter-
rées dans l’aire sacrée du « temple d’Esculape » à Nora au IIe siècle
montrent la continuité des pratiques cultuelles : un culte fut pratiqué dans
cette zone à partir du VIIe siècle7.
Conclusion
268
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
1. Wilson R.J.A., art. cit., p. 222 ; Bejor G., art. cit., p. 845-846 ; Bonetto J., « Nora municipio roma-
no », Africa romana, 14, 2000, p. 1211 sv.
2. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 51.
3. Bejor G., CEFR n°67, 1983, p. 370-371. L’autre responsable de ces changements est Sex. Pompée,
qui en coupant la Sicile de son unique débouché commercial pour son blé a eu une influence
négative sur les zones de production. Il faut noter aussi qu’à partir d’Auguste, l’Égypte puis
l’Afrique prennent une part de plus en plus importante dans l’approvisionnement en blé de
Rome.
4. Portale E.C., Angiolillo S., Vismara C., ouv. cit., p. 104-105.
269
IV. Diversité régionale
aux influences romaines, mais bien plutôt parce qu’elle ne voyait pas
l’intérêt de changer des habitudes qui lui convenaient parfaitement.
Bibliographie
• ANDRÉ P., « Les sanctuaires du forum d’Aleria : architecture, technique, idéolo-
gie », Africa romana, 11, 1994, p. 1163-1189.
• BEJOR G., « Aspetti della romanizzazione della Sicilia », Rome, CEFR n°67, 1983,
p. 345-378.
• BEJOR G., « Romanizzazione ed evoluzione dello spazio urbano in una città puni-
ca : il caso di Nora », Africa romana, 10, 1991, p. 843.
• BONDÍ S.F., « La cultura punica nella Sardegna romana: un fenomeno di sopravvi-
venza? », Africa romana, 7, 1989, p. 457-464.
• COLAVITTI A.M., « Per una storia dell’economia della Sardegna romana: grano ed
organizzazione del territorio. Spunti di una ricerca », Africa romana, 11, 1994,
p. 643-652.
• COOLEY A.E. éd., « Becoming Roman, Writing Latin? Literacy and Epigraphy in
the Roman West », JRA Suppl. series 48, Portsmouth, 2002.
• VAN DOMMELEN P., « Spazi rurali fra costa e collina nella Sardegna punico roma-
na: Arborea e Marmilla a confronto », Africa romana, 12, 1996, p. 589-601.
• DUBOULOZ J. et PITTIA S. éd., La Sicile de Cicéron, Lectures des Verrines, Besançon,
Presses Universitaires de Franche-Comté, 2007.
• FINLEY M.I., La Sicile antique. Des origines à l’époque byzantine, Paris, éd. Macula,
1986 (19782 pour l’édition anglaise).
• GABBA E., « Sui senati delle città siciliane nell’età di Verre », Athenaeum, 37, 1959,
p. 304-320.
• GHIOTTO A.R., L’architettura romana nelle città della Sardegna, Rome, ed. Quasar,
2004.
• LA TORRE G.F., « Il processo di ‘romanizzazione’ della Sicilia: il caso di Tindari »,
Sicilia Antiqua, 1, 2004, p. 111-146.
• LILLIU G., « Sopravvivenze nuragiche in età romana », Africa romana, 7, 1989,
p. 415-446.
• MANGANARO G., « Per una storia della Sicilia Romana », ANRW I, 1, 1972, p. 442-
461.
• MARGINESU G., « Le iscrizioni greche della Sardegna », Africa romana, 14, 2002, p. -
1825.
• MELONI P., « La provincia romana di Sardegna, I I secoli I-III », ANRW, II, 11, 1,
1988, p. 451-490.
• PINZONE A., Provincia Sicilia. Ricerche di storia della Sicilia romana da Gaio Flaminio a
Gregorio Magno, Catane, ed. del Prisma, 1999.
• PORTALE E.C., ANGIOLILLO S., VISMARA C., Le grandi isole del Mediterraneo Occiden‐
tale. Sicilia, Sardinia, Corsica, Rome, Bretschneider, 2005.
• PRAG J.R.W., « Auxilia and Gymnasia: A Sicilian Model of Roman Imperialism »,
JRS 97, 2007, p. 68-100.
• ROWLAND R.J. Jr, The Periphery in the Center. Sardinia in the Ancient and Medieval
Worlds, Oxford, BAR IS, 970, 2001.
270
Les îles de la Méditerranée occidentale à l’époque républicaine
271
Les régions alpines occidentales
de l’indépendance à l’organisation de la domination
romaine (IIe siècle av. J.-C. – IIe siècle ap. J.-C.)
François Bertrandy
Professeur d’histoire romaine à l’université de Savoie
Introduction
1. Il existe parfois une confusion dans l’emploi des adjectifs alpin et alpestre. Les régions alpines
désignent une localisation dans la chaîne des Alpes, tandis que le terme alpestre se rapporte à
ce qui est propre aux Alpes, comme la végétation alpestre ou l’économie alpestre. Je dois à
l’amitié et à la patience de Fabrice Delrieux la confection des cartes originales qui illustrent mon
propos. Qu’il en soit vivement remercié !
2. On peut s’en faire une idée en consultant Migliario E., 2007, p. 725-736.
272
Les régions alpines occidentales…
1. Pour un aperçu sur la géographie des Alpes antiques et modernes, on renverra à la synthèse de
Le Berre M., « Contraintes naturelles et peuplement des Alpes occidentales : Montagne alpine,
objectivation, socialisation », dans Annequin-Jourdain C. (dir.), Atlas culturel des Alpes occidenta‐
les, Paris, 2004, p. 18-27.
273
IV. Diversité régionale
1. Voir pour le dossier exhaustif des sources antiques, M. Tarpin et alii, 2000, p. 11-219. Cet inven-
taire comporte aussi les textes épigraphiques et les photographies de l’arc de Suse et du trophée
de la Turbie.
274
Les régions alpines occidentales…
3. Historiographie
L’histoire des Alpes à l’époque antique est restée longtemps un objet
d’étude marginal. Ainsi par exemple, dans l’ouvrage publié en 1978 sous
la direction de Cl. Nicolet, seules sont évoquées la Gaule Transalpine et la
Gaule indépendante3. Vingt ans plus tard, dans une approche régionale
1. Voir Pline, HN, 138, éd. et trad. H. Zehnacker, 1998, commentaire p. 264-265 qui reprend le
dossier et résume les hypothèses proposées, notamment celle de G. Barruol.
2. Tarpin M., 1991, p. 89-120 ; Atlas culturel des Alpes occidentales, Annequin (C.), 2004, p. 102-105.
3. Nicolet Cl. (dir.), Rome et la conquête du monde méditerranéen. 2 /Genèse d’un empire, Paris, 1978.
275
IV. Diversité régionale
276
Les régions alpines occidentales…
1. Sur les Rhètes, voir Gleirscher P., Die Raeter, Coire, 1991 ; on trouvera également des informa-
tions dans Ciurletti (G.), Marzatico (F.) éd., I Reti / Die Räter, Trento, 1993, 2 vol., Trento, 1999.
2. Wiblé (Fr.), « Le Valais, les Ubères et les Lépontiens », dans I Leponti tra mito e realtà, t. 2, Ticino,
2000, p. 159-164.
279
IV. Diversité régionale
et du Rhône et dans les vallées voisines vivaient les Véragres, dont Octo‐
durus était le chef-lieu. À cette époque, ils frappaient des monnaies en
argent inspirées de la drachme padane. Plus en aval jusqu’au Léman, le
territoire du bas Valais était occupé par les Nantuates dont le chef-lieu
Tarnaiae (Massongex) devint par la suite le siège du sanctuaire fédéral des
quatre cités valaisanes1.
280
Les régions alpines occidentales…
281
IV. Diversité régionale
282
IV. Diversité régionale
A. Rappel historique
1. La lente pénétration économique italienne
Comme dans d’autres parties du bassin méditerranéen, la domination
militaire et politique a été précédée d’une progression plus ou moins large
de l’influence diplomatique et économique romaine qui fait suite dans
cette région à celle de Marseille. Dans le cas des Alpes, elle est difficile à
mesurer, mais des domaines, comme l’archéologie et la numismatique,
sont susceptibles d’apporter quelques éléments de réponse.
L’archéologie nous informe quelque peu sur les relations avec les peu-
ples gaulois et les importations venues d’Italie au cours des IIe et Ier siècles
avant J.-C. Ainsi quelques exemples suffisent à montrer quelques témoi-
1. Cependant Février P.-A., « Remarques sur la géographie historique des Alpes méridionales »,
Atti del CSDRI 7, 1975-1976, p. 269-301 (p. 279), pense qu’ils ont été distingués par la lex Pompeia
(89 av. J.-C.), celle de Pompeius Strabo, qui accorda le droit latin aux Transpadans (Asconius, 3,
éd. commentée, A. Marshall Bruce, Columbia, 1985).
2. Sur tous ces problèmes, on renvoie à Garcia D., dans CAG Les Hautes‐Alpes 04, 1997, p. 58-60 ;
Idem, La Celtique méditerranéenne. Habitats et sociétés en Languedoc et en Provence du VIIIe au IIe siècle
av. J.‐C., Paris, 2004, précisément p. 72-73 pour les Alpes méridionales, qui évoque les rares tra-
ces d’un habitat à l’Âge du Fer (VIe-Ve siècles).
284
Les régions alpines occidentales…
1. Wiblé Fr., Martigny‐la‐Romaine, Lausanne, 2004, p. 21, notamment de la céramique arétine, et
p. 258.
2. Sur tout cet aspect avec les références bibliographiques, voir Bertrandy Fr., 2001, p. 125-148.
285
IV. Diversité régionale
2. La conquête militaire
Afin d’assurer les communications entre l’Italie et les Gaules, l’Italie et
le piémont septentrional des Alpes, le pouvoir romain se devait de maîtri-
ser les passages des Alpes et par conséquent de soumettre les peuples,
dont les intentions pacifiques n’étaient jamais garanties. Les motivations
de ces opérations ont été largement discutées, mais elles relèvent de la
nécessité de permettre le libre déplacement des troupes, des fonctionnai-
res et des commerçants à travers le massif alpin1.
L’action de César et ses conséquences
En 58 avant J.-C., Jules César franchit les Alpes pour lancer son offen-
sive sur la Gaule chevelue. Il emprunta le col du Montgenèvre pour af-
fronter successivement les Caturiges, dans la haute vallée de la Durance,
puis les Graiocèles en basse Maurienne et les Ceutrons en Tarentaise qui
occupaient les routes d’accès vers le territoire des Allobroges (César, BG,
1, 10). Il a su probablement s’assurer les bonnes grâces du roi Donnus2,
mais surtout celles des Ceutrons, qui contrôlaient le col du Petit-Saint-
Bernard car leur nom ne figure pas sur le trophée de la Turbie parmi ceux
des peuples vaincus. On ne sait ce qu’il advint précisément du territoire
des Ceutrons entre le passage de César et le règne d’Auguste. Mais, au vu
de ce qui s’est passé pour Donnus, dont le domaine fut placé sous protec-
torat romain, on doit supposer que les Ceutrons conservèrent une certaine
autonomie avec la bienveillance de Rome, bien incapable pendant les
luttes entre Octavien et Marc Antoine d’assumer une autorité complète
sur les régions alpines.
L’action de Lucius Munatius Plancus et ses conséquences
Sans que l’on ait des informations précises sur le déroulement de sa
campagne, il faut rappeler que Lucius Munatius Plancus, le fondateur de
Lugudunum (Lyon) et de Raurica (Augst) avait célébré un triomphe ex Rae‐
tis – sur les Rhètes – en 43 avant J.-C. (CIL X 6087=ILS 886, inscription du
mausolée de Plancus à Gaète, en Campanie). Mais il semble bien que
l’ensemble du territoire alpin et des relations routières entre l’Italie et le
Haut Danube ne fut définitivement contrôlé par les Romains qu’après la
campagne de Drusus et de Tibère en 16/15 avant J.-C. (entre autres, Res
gestae diui Augusti, 26,3 ; Suétone, Auguste, 21,1 ; Tibère, 9,3 ; Cassius Dion,
54, 22)3. Les conséquences de cette conquête se retrouvent en premier lieu
dans la mainmise sur les voies de passage et les cols, tels ceux du Splügen
286
Les régions alpines occidentales…
3. Le règne d’Auguste
Une fois clos l’épisode des guerres civiles et la paix revenue dans
l’Empire, la conquête des Alpes occidentales a occupé la première partie
du règne d’Auguste, entre 25 et 14 av. J.-C., sans exclure les arrière-
pensées de mainmise sur les richesses minières locales.
La conquête a débuté, en 25 av. J.-C., par la soumission des Salasses qui
occupaient le Val d’Aoste. Ils furent vaincus par Aulus Terentius Varro
Murena. La confiscation d’une partie de leur territoire, le déplacement
forcé d’une partie de la population et la création de la colonie d’Augusta
Praetoria permettaient aux Romains de contrôler l’accès au col du Grand-
Saint-Bernard et au Valais et à celui de Petit-Saint-Bernard et à la Taren-
taise (Strabon, 4, 6,7 : Cassius Dion, 53, 25). Au-delà, la voie était ouverte
vers Vienne, la capitale de la grande cité septentrionale de la province de
Gaule Narbonnaise.
Mise au jour à Aime (Axima), une inscription honorifique dédiée à Au-
guste (AE 1969-1970, 332 = ILAlpes Graies, 8), dans sa vingt-cinquième
puissance tribunicienne (2/3 après J.-C.), consacre la présence d’une auto-
rité romaine sur le territoire des Ceutrons et probablement alors depuis
quelques années, son annexion. À leur tête fut placée, comme ailleurs
dans les Alpes, une administration militaire représentée par un préfet ou
par un procurateur.
En ce qui concerne le territoire de Donnus, il fut transmis à la mort de
ce dernier à son fils Cottius (14/13 av. J.-C.-13 ap. J.-C.), qui aurait mani-
festé au départ quelque hostilité (Ammien Marcellin, Histoires, 15, 10,2),
avant de se rallier à Rome, vers 13 avant J.-C., et d’être admis dans
l’amicitia d’Auguste. En effet, dès 9/8 av. J.-C., selon l’inscription de l’arc
de Suse dédié à Auguste (CIL V 7221=CIL XII 89), il n’est plus qu’un gou-
verneur portant le titre de praefectus ciuitatium. Sa domination s’exerçait
sur des peuples occupant le val de Suse, la haute vallée de la Durance et
quelques-uns de ses affluents, les cours supérieurs de la Tinée et de la
1. Van Berchem D., 1982, p. 87-102 ; Zanier W., « Der Alpenfeldzug 15 v. Chr. und die augusteis-
che Okkupation in Süddeutschland », dans Römer zwischen Alpen und Nordmeer, München, 2000,
p. 11-17. Sur les cohortes recrutées chez les Rhètes et les Vindéliciens, voir Spaul J., « Cohors,
The Evidence for and a Short History of the Auxiliary Infantry Units of the Imperial Roman
Army », BAR 841, Oxford, 2000, p. 274-291.
287
IV. Diversité régionale
1. Braund D.C., « Client Kings », dans Braund D.C. (éd.), The Administration of the Roman Empire
(241 BC‐AD 193), Exeter, 1988, p. 69-96.
2. Pour une approche commode du monument, voir Chevallier R., Provincia, Paris, 1982, p. 9-12 ;
l’étude exhaustive du monument reste celle de Formigé J., Le Trophée des Alpes (La Turbie), Gal-
lia suppl. 2, Paris, 1949 ; voir Barruol G., 19752, p. 32-41.
288
Les régions alpines occidentales…
1. Sur la localisation de ces peuples, voir le commentaire de H. Zehnacker, de Pline, HN, 3, 136-
137, p. 260-264).
2. Une synthèse très suggestive sur l’organisation des Alpes après la conquête a été donnée der-
nièrement par Laffi U., « L’organizzazione dei distretti alpini dopo la conquista » et
« Sull’organizzazione amministrativa dell’area alpina in étà giulio-claudia », dans Laffi (U.),
Studi di storia romana e di diritto, Roma 2001, p. 361-378 et p. 325-359.
3. Pflaum H.-G., Carrières procuratoriennes équestres sous le Haut‐Empire romain, I., Paris, 1961, n°11,
p. 27-28.
4. Sur cette cohorte, sa naissance et son histoire, voir le dossier établi par Lassère J.-M., « La co-
horte des Gétules », dans Mélanges à la mémoire de M. Le Glay, Bruxelles, 1994, p. 244-253.
289
IV. Diversité régionale
290
Les régions alpines occidentales…
core affectés à une province1. Probablement en 69, les Brigianii, les Qua-
riates et les Savincates furent attribués aux Alpes Cottiennes et les Ca‐
pellati à la province des Alpes Maritimes (Pline, HN, 3, 135). Galba rat-
tacha à la province de Narbonnaise deux peuples alpins les Auanticii et
les Bodiontici (Pline, HN, 3, 37).
• Détachée de la Rhétie-Vindélicie sous le règne de Claude2, la Vallée
Poenine (tirée du nom du dieu Poeninus vénéré au col du Grand-Saint-
Bernard) forma une entité administrative distincte, réunie plus tard aux
Alpes Graies, sur le versant occidental du col du Petit-Saint-Bernard,
sous l’autorité d’un même procurateur équestre résidant à Aime-en-
Tarentaise3. Une ville nouvelle fut bâtie à côté de l’ancienne Octodurus
et, avant 47, elle avait pris le nom de Forum Claudii Augusti, puis de Fo‐
rum Claudii Vallensium4. Une nouvelle appellation fut également donnée
à Aime qui devint Forum Claudii Ceutronum5. À partir de la fin du Ier
siècle, un autre nom est donné par l’épigraphie aux Alpes Graies, celui
d’Alpes Atréctiennes6 avec une première attestation sans conteste, sous
le règne d’Antonin le Pieux, grâce à une inscription mentionnant Titus
Appalius Alfinus Secundus, procurator Alpium Atrectianar(um) : CIL IX
5357=ILS, 1417 de Firmum dans le Picenum. Il semble que cette termino-
logie a supplanté celle d’Alpes Graies.
Cependant la date de la réunion entre les deux provinces des Alpes
Graies-Alpes Atréctiennes et de la Vallis Poenina paraît beaucoup plus
tardive puisqu’une inscription découverte en 1992, donne le nom d’un
procurateur, Titus Flavius Geminus, qui les réunit à l’extrême fin du IIe
siècle sous son autorité avec le titre de procurator Alpium Atrectianarum et
Vallis Poeninae7.
1. Roth-Congès A., « L’inscription des Escoyères dans le Queyras, la date de l’octroi du droit latin
aux Alpes Cottiennes et la question de Dinia », RELig 59-60, 1993-1994, p. 73-101 ; Letta C.,
« Ancora sulle ciuitates di Cozio e sulla praefectura di Albanus », dans Giorcelli-Bersani (S.), Tu-
rin, 2001, p. 149-166 ; ILAlpes. Alpes Cottiennes, 17 et le savant commentaire de cette inscription
par Fr. Kayser, qui reprend tout le dossier.
2. Frei-Stolba R., « Die römische Schweiz: Ausgewählte staats- und verwaltungsrechtliche Pro-
bleme in Frühprinzipat », dans ANRW 2, 5,1, 1976, p. 288-403, surtout p. 358-364, a) Wallis und
Raetien unter gemeinsamer Verwaltung ; b) Die Abtrennung der Vallis Poenina.
3. Bérard Fr., 1995, p. 343-358.
4. Ainsi que le révèlent les deux bornes milliaires CIL XVII 2, 124 et 120a.
5. CIL XII 102, 104, 105 passim = ILAlpes Graies, 11, 12, 13 ; Ptolémée, 3, 1,33.
6. CIL XII 5717 = ILAlpes Graies, 58 ; CIL IX 5357=ILS, 1417. Il se pourrait que cette dénomination
soit tirée du nom d’un dynaste local, Atrectius, comme les Alpes Cottiennes de Cottius, voir la
remarque de Wiblé (Fr.), Deux procurateurs du Valais et l’organisation des districts alpins, An‐
tiquité tardive 6, 1998, p. 181-191.
7. Bérard Fr., 1995, p. 343-358. Ce regroupement s’inscrit dans la réorganisation de certaines
provinces de l’Empire voulue par Septime Sévère. Cependant selon Wiblé Fr., 1998, p. 181-191
(p. 187), rien ne s’oppose à ce que l’apparition de cette dénomination soit liée à la fondation de
Forum Claudii Ceutronum.
291
Les régions alpines occidentales…
1. On trouvera un bon aperçu de la domination romaine en Rhétie septentrionale dans l’ouvrage
dirigé par Czysz W., Die Römer in Bayern, Stuttgart, 1995.
2. Ptolémée, 2, 12,3 ; 8, 7,4. Sur les vestiges actuels de cette capitale antique, voir R. Haensch, « Les
capitales des provinces germaniques et de Rhétie : de vieilles questions et de nouvelles perspec-
tives », dans Simulacra Romae CCAA, Vindelicum, Mogontiacum, p. 313-315, site internet.
3. Pour un résumé synthétique, voir A.-M. Adam, entrée Rhétie, dans Dictionnaire de l’Antiquité
J. Leclant (dir.), Paris, 2005, p. 1863-1864.
293
IV. Diversité régionale
Pompée dans les années 70 av. J.-C. en route vers l’Espagne), chargés de
conquérir le Sud de la Gaule ou de réprimer les révoltes de certains peu-
ples (Salyens, Cavares, Voconces, Allobroges) et plus tard, tel César, pour
engager rapidement ses campagnes en Gaule1. À la hauteur de Briançon,
un embranchement permettait de gagner Cularo (Grenoble), dans la cité
de Vienne, par le col du Lautaret et la vallée de la Romanche2.
À partir du règne d’Auguste furent établies des voies stratégiques re-
liant l’Italie à la Rhétie et à la Germanie par les cols, déjà existants avant la
conquête, dont les plus importants d’entre eux furent incontestablement
les cols du Grand-Saint-Bernard et du Petit-Saint-Bernard. Si l’on suit
Strabon (4, 6,7), qui est contemporain de la rédaction de son ouvrage, « la
route se divise en deux : l’une passe à travers la région appelée pœnine, imprati‐
cable pour les attelages par les sommets alpins, l’autre plus à l’Ouest, à travers le
pays des Ceutrons (trad. I. Cogitore) ». Plus loin (4, 6,11), il indique encore
que « des chemins qui conduisent d’Italie en Gaule celtique et septentrionale,
celui qui passe par les Salasses conduit à Lyon. Il est double : d’un côté il peut
être parcouru en char, mais sur une distance plus longue, c’est celui qui passe
chez les Ceutrons, d’un autre côté, il est raide et étroit, mais rapide, et passe par le
Pœnin (trad. M. Tarpin) ». L’aménagement de la voie carrossable par le
Petit-Saint-Bernard (Alpis Graia) serait l’œuvre d’Auguste ainsi que le
suggère le rapprochement avec une inscription dédiée en son honneur et
datée de 2-3 après J.-C. (ILAlpes Graies, I, 8). Il faut attribuer la construc-
tion d’une route au Grand-Saint-Bernard, empruntable par les chars, à
l’empereur Claude, peut-être au moment de son expédition vers la Breta-
gne (42-43). Jusqu’à cette date, les dernières rampes du col étaient consti-
tuées par des degrés taillés dans le roc sur lesquels seuls des convois de
mulets bâtés pouvaient s’aventurer3. Les bornes milliaires étaient comp-
tées depuis Martigny vers Viuiscus (Vevey) en direction des Germanies et
vers le col du Grand-Saint-Bernard. Les plus anciens de ces témoins rou-
tiers remontent au règne de Claude.
Un second axe nord-sud empruntait les cols des Grisons qui reliaient le
lac de Côme (Lacus Larius) à Curia (Coire) et à la vallée alpine du Rhin
ainsi qu’au lac de Constance par le col du Splügen ou la Maloja et le Julier,
voire par le raccourci du Septimer. Elle se poursuivait au-delà de Bregenz,
vers Kempten et Augsbourg. On a retrouvé d’importants témoignages de
cette voie de passage (monnaies, inscription votive dédiée aux Alpes) et
1. On trouvera un aperçu sur le déplacement des légions dans les Alpes de César à la guerre civile
de 68-69 dans Tarpin M., « Les légions dans les Alpes : géographie et logistique », Preistoria al‐
pina 39, 2003 (2005), p. 254-264.
2. Sur ces deux voies, Barruol G., Dupraz J., Atlas culturel des Alpes, 2004, p. 166-167 avec toutes les
références précédentes.
3. Voir Fellmann R., 1992, p. 85-86 ; Wiblé (Fr.), « Le col du Grand-Saint-Bernard à l’époque ro-
maine d’après les sources écrites », Alpis Poenina, 2008, p. 23-30.
294
Les régions alpines occidentales…
surtout des vestiges d’ornières, notamment une rampe taillée dans le ro-
cher sur un tronçon particulièrement raide du col de la Maloja, doté de
dispositifs d’arrêt creusés dans la roche, sur le côté de la montagne, pour
éviter le recul des chars. Le même aménagement a prévalu sur le col du
Septimer1.
Enfin, par le col du Brenner et la vallée de l’Eisack (Isarco), le col du
Reschen (Resia) et la vallée de l’Adige, la Rhétie était reliée à la Vénétie.
Au moment de la conquête en 16/15 avant J.-C., Drusus ouvrit la uia Au‐
gusta. Mais c’est à l’empereur Claude, vers 46 avant J.-C., que l’on doit
l’aménagement définitif de la route appelée désormais uia Claudia Augusta
(CIL V 8003), jalonnée de bornes milliaires dont les plus anciennes remon-
tent justement à Claude. Cette route était appelée à devenir dans les siè-
cles suivants le grand axe reliant le Sud de l’Allemagne à l’Italie du Nord2.
Un axe Est-Ouest reliant les provinces danubiennes, ainsi qu’Augusta
Vindelicum, au sud de la Germanie supérieure, par l’étape d’Inuauum
(Salzbourg) dans le Norique, passait par Brigantium (Bregenz) et traversait
le plateau suisse pour desservir au Ier siècle le camp de la XIe légion Clau‐
dia, à Vindonissa (Windisch) et Augusta Raurica (Augst)3.
Seules ont été évoquées ici les voies de communications les plus
connues, mais il faut garder à l’esprit qu’il existait nombre de routes se-
condaires intra-alpines, qui étaient empruntées en toutes saisons (par
beau temps en hiver) par les voyageurs, les marchands, les soldats voire
les fonctionnaires4. Pour les Alpes méridionales, en dehors de la route
côtière, la uia Iulia Augusta, les itinéraires sont beaucoup plus compliqués
du fait d’un relief tourmenté et du cloisonnement des vallées.
Afin d’assurer la sécurité et le confort des voyageurs, les Romains ont
aménagé sur les voies des Alpes, comme ailleurs, toute une série d’étapes
(mansiones). Les itinéraires routiers, tels la Table de Peutinger et l’Itinéraire
d’Antonin, donnent en effet les noms de stations routières sur un même
parcours, mais il est vain de chercher une agglomération derrière le nom
de chaque étape. En effet, de nombreuses stations routières sont mal
connues et il est bien difficile d’identifier les bâtiments qui appartiennent
à la poste impériale, le cursus publicus, que ce soit dans une agglomération
ou non. Toutefois il est assuré qu’aux cols du Grand et du Petit-Saint-
Bernard s’élevaient des édifices (auberges, thermes, petits temples, écuries
et remises pour les chariots) destinés, dès le Ier siècle après J.-C. à l’accueil
1. Fellmann R., 1992, p. 85-89, qui donne toutes les références bibliographiques antérieures.
2. Migliario E., « Mobilità sui valichi alpini centrorientali in étà imperiale romana », Preistoria
Alpina 39, 2003, p. 265-276.
3. Fellmann R., 1992, p. 91.
4. Voir par exemple pour le secteur des Alpes Graies et des Alpes Cottiennes, Bertrandy (Fr.),
2003 (2005), p. 289-298.
295
IV. Diversité régionale
A. Le cadre provincial
1. Des fonctionnaires de rang équestre
Les provinces alpines relevaient d’un gouverneur issu de l’ordre éques-
tre, nommé directement par l’empereur, qui recevait un traitement de
100 000 sesterces et restait en poste entre un et trois ans, parfois davantage
selon les besoins du service. Il était entouré d’un personnel subalterne au
demeurant peu nombreux. Ce sont les procurateurs financiers, les procu-
rateurs des mines, les procurateurs chargés des biens de l’empereur, quel-
ques secrétaires et archivistes pour assurer la gestion.
Pour la période qui nous concerne, six inscriptions mentionnent des
procurateurs des Alpes Maritimae, mais trois seulement appartiennent à la
période étudiée : Marius Maturus, en 69 (Tacite, Histoires, 2, 12,5-6 passim),
Valerius Proculus, vers 126 (CIL II 1970) et Caius Iunius Flavianus, entre
117 et 161 (CIL VI 1620).
Si l’on ne possède aucune évocation du Valais et de ses habitants dans
la seconde moitié du Ier siècle et pendant la plus grande partie du IIe siè-
cle, la situation administratives des Alpes Pennines donne un exemple
intéressant d’évolution puisqu’elles furent rattachées aux Alpes
Graies/Atrectiennes et qu’elles eurent un gouverneur commun, comme il
a été vu plus haut.
On connaît également une douzaine de procurateurs pour les Alpes
Graies3, pour l’essentiel du IIe et du début IIIe siècle, mais le premier gou-
verneur attesté est Titus Claudius Pollio, sous le règne de Domitien (ILAl‐
pes Graies, 1, mise au jour à Rome CIL VI 31032).
Pour les Alpes Cottiennes, le nombre est inférieur, huit occurrences at-
testées, plus quatre incertaines, mais trois seulement se rapportent aux
296
Les régions alpines occidentales…
297
IV. Diversité régionale
298
Les régions alpines occidentales…
tre les Viennois et les Ceutrons ». Ce gouverneur a aussi œuvré dans les
Champs Décumates à cette période1.
On a ici le témoignage d’une gestion des conflits, assurée par le légat de
Germanie Supérieure, car il y avait peu de troupes dans la région,
d’autant que la cité de Vienne faisait partie de la province sénatoriale de
Narbonnaise, province inermis par excellence, et que les procurateurs ne
disposaient que d’une petite garde personnelle composée d’auxiliaires.
En outre, le légat de Germanie Supérieure avec ses troupes avait la
charge de surveiller les routes alpines entre Italie et Germanie, et plus
précisément les cols du Grand et Petit-Saint-Bernard, passages stratégi-
ques en toute saison. À titre d’exemple, il faut retenir la traversée entre-
prise par Caecina avec 30000 hommes, en mars 69, par le col enneigé du
Grand-Saint-Bernard, pour apporter un soutien à Vitellius (Tacite, Histoi‐
res, 1, 61,1 ; 1, 70,3). Ce passage n’a pu avoir lieu qu’avec le soutien des
populations locales (balisage de la route, portage, escorte par des guides).
D’autres tâches étaient assignées au procurateur. C’était, comme dans
la plupart des provinces de l’Empire, la surveillance des administrations
locales, comme la perception des impôts, l’obligation de rendre la justice,
ce qui supposait des tournées dans la province d’affectation ou le contrôle
des grandes constructions publiques. D’autres fonctionnaires étaient
chargés de la gestion des biens de l’empereur.
D’où la mise en place d’un personnel administratif, dont on ne peut
mesurer le nombre et l’importance que les découvertes épigraphiques
laissent seulement entrevoir.
Pour ce qui relève de l’impôt perçu par l’État au titre du tribut, si on
dispose du montant établi par César pour les Gaules (40 millions des ses-
terces), et probablement doublé par Auguste (Velleius Paterculus, 2, 39,2 ;
Cassius Dion, 54, 21,4), on ignore ce que devaient verser les provinces
alpines au fisc romain.
Les droits de douanes (portorium) sont également prélevés à l’entrée des
provinces alpines. Il s’agit ici de la quadragesima Galliarum, le quarantième
des Gaules qui représentait 2,5% de la valeur des marchandises qui en-
traient dans ces provinces et même pour une partie de la Rhétie2. On
connaît des bureaux (stationes), comme celui de Saint-Maurice (Acaunum),
de Massongex (Tarnaiae) dans le Valais, d’Avigliana (Ad Fines) et de Borgo
San Dalmazzo (Pedona) à l’entrée des Alpes Cottiennes et des Alpes Mari-
times, de Turicum (Zürich) en Rhétie3. De même est attesté parfois par
l’épigraphie le personnel qui gère ces bureaux. Ainsi est évoqué à Aime
1. Zimmermann B., Zur Authentizität des Clemensfeldzuges, Bonner jahrbücher 13, 1992, p. 289-
301.
2. Voir pour ce système d’imposition France J., 2001.
3. France J., 2001, p. 323-336, qui énumère les stations connues dans le secteur alpin.
299
IV. Diversité régionale
300
Les régions alpines occidentales…
union de tous les Ceutrons et de tous les Valaisans. Dans le Valais, dispa-
raissaient ainsi les quatre précédentes cités au profit d’une capitale uni-
que.
Pour les cités cottiennes, le droit latin fut octroyé probablement sous le
règne d’Auguste, car elles ne s’étaient pas comportées en ennemies de
Rome et parce qu’elles furent mises sur le même plan que les municipes
créés par la lex Pompeia de 89 avant J.-C. (Pline, HN, 3, 24,138).
En revanche, selon Tacite (Annales, 15, 32), ce n’est qu’en 63 que Néron
accorda le droit latin à toutes les cités de la province des Alpes Maritimes
qui n’en avaient pas bénéficié auparavant.
Quant à la Rhétie, l’évolution semble avoir été plus lente parce que les
Rhètes ont probablement subi plus durement que les autres peuples les
effets de la conquête militaire, notamment en voyant une partie des
hommes intégrer de gré ou de force les unités auxiliaires. Pour l’heure, on
ignore à quel moment le droit latin fut accordé à la population de la Rhé-
tie.
Au Ier siècle de notre ère enfin, certains peuples ont vu leur statut évo-
luer. Nous disposons d’un exemple précis dans les Alpes méridionales.
Après la disparition du royaume de Cottius, en effet, certains peuples
comme ceux de la vallée de l’Ubaye furent constitués en ciuitates, tandis
que d’autres, jugés incapables de s’organiser à la romaine, étaient ratta-
chés à des cités existantes. Ce fut le cas des Avantici et des Bodiontici qui
furent intégrés au territoire de Digne (CAG 04, Ph. Leveau, p. 61-62, voir
ci-dessous).
C. Le cadre municipal
Faute de place, il n’est pas possible d’aborder ici l’urbanisation des
provinces alpines et de mesurer les rapports entre la ville et la montagne.
Mais on renverra à un important colloque qui s’est tenu dernièrement à
Grenoble et qui a traité de ces questions1.
Pour répondre dans une certaine mesure à la nécessité de pourvoir les
provinces alpines de centres administratif, économique, voire culturels et
religieux, les Romains ont favorisé le développement urbain. Dans les
provinces alpines, la municipalisation – la création de municipes – reste
principalement l’œuvre de l’empereur Claude, qui lia cette évolution au
développement du réseau routier. Comme on l’a vu plus haut, les cols
occidentaux (Montgenèvre, Petit et Grand-Saint-Bernard) furent soigneu-
sement aménagés, de même que prirent de l’importance les routes de
1. La ville dans les Alpes occidentales à l’époque romaine, Leveau Ph., Rémy B. (dir.), Cahiers du
CRHIPA 13, Grenoble, 2008, voir en particulier les conclusions de Ph. Leveau, p. 371-398.
301
IV. Diversité régionale
Milan au Rhin par le Julierpass et plus à l’Est celle du col du Reschen qui
reliait Vérone à Augsbourg.
À l’inverse des Alpes méridionales, les Alpes Graies et Pennines étaient
peu étendues et elles n’étaient pas subdivisées en plusieurs cités. Elles ne
disposaient donc que d’une capitale, Aime et Martigny, et le nombre des
agglomérations resta limité : Darentasia (Moutiers), Bergintrum (Bourg-
Saint-Maurice) pour les Alpes Graies, Massongex et Sion pour les Alpes
Pennines.
302
Les régions alpines occidentales…
1. Pour les cités des provinces des Alpes méridionales, voir Arnaud P., Gayet Fr., 2007, p. 19-35 ;
voir également le tableau synthétique des agglomérations alpines confectionné par Segard M.,
2009, p. 246-247.
303
IV. Diversité régionale
1. Voir sur ce point, Arnaud P., Gayet Fr., dans Epigrafia delle Alpi (Migliario E., Baroni A. éd.),
Trento, 2007, p. 13-73 (p. 36-41 pour les honneurs municipaux).
2. Wiblé Fr., 2007, p. 171-172 avec les références aux inscriptions.
3. Rémy B., 2000, p. 881-924, avec les textes épigraphiques et des tableaux recensant les flamines,
les flaminiques et les sévirs augustaux.
304
Les régions alpines occidentales…
Conclusion
Sources et bibliographie
Sources littéraires
• STRABON, Géographie, 4, éd. et trad. Fr. Lassère, CUF, Paris, 1966.
• PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, 3, éd. et trad. H. Zehnacker, CUF, Paris, 1998.
• TACITE, Histoires, 1, éd. et trad. P. Wuilleumier, H. Le Bonniec, J. Hellegouarc’h,
CUF, Paris, 1987.
• TARPIN (M.), BOEHM (I.), COGITORE (I.), ÉPÉE (D.), REY (A.-L.), « Sources écrites de
l’histoire des Alpes dans l’Antiquité », BEPAA 11, 2000, p. 9-220.
Sources épigraphiques
• AE = L’Année Épigraphique depuis 1888.
• CIL = Corpus Inscriptionum Latinarum.
• CIL III = Mommsen (Th.), Corpus Inscriptionum Latinarum, t. III. Inscriptiones Asiae,
prouinciarum Graecarum Illyrici Latinae, Pars I, Berlin, 1873.
• CIL V = Mommsen (Th.), Corpus Inscriptionum Latinarum. t. V. Inscriptiones Galliae
Cisalpinae Latinae, Berlin, 1872.
• CIL XII = O. Hirschfeld, Corpus Inscriptionum Latinarum, t. XII. Inscriptiones Galliae
Narbonensis, Berlin, 1988.
305
IV. Diversité régionale
Bibliographie
• ARNAUD (P.), « Un flamine provincial des Alpes Maritimes à Embrun. Flaminat
provincial », incolatus et frontière des Alpes Maritimes, RAN 32, 1999, p. 39-48.
• ARNAUD (P.), GAYET (Fr.), « Petite et grande histoire globale : la contribution de
l’épigraphie à la connaissance du versant occidental des Alpes méridionales ro-
maines », dans Epigrafia delle Alpi, Migliario (E.), Baroni (A.) éd., Trento, 2007,
p. 19-35
• Atlas culturel des Alpes occidentales. De la Préhistoire à la fin du Moyen Âge, Jourdain-
Annequin (C. dir.), Paris, 2004.
• BARRUOL (G.), Les peuples du Sud‐Est de la Gaule. Études de géographie historique,
Paris, 19752.
• BARRUOL (G.), « Les Hautes-Alpes à l’époque romaine », dans Archéologie dans les
Hautes‐Alpes, Gap, 1991, p. 227-237.
• BARRUOL (G.), « Les agglomérations gallo-romaines des Alpes du Sud », dans Gros
(P. dir.), Villes et campagnes en Gaule romaine. 120e Cong. Nat. Soc. Hist. Scient., Aix-
en-Provence, 1995, Archéologie, Paris, 1998, p. 27-43.
• BEPAA = Bulletin d’Études Préhistoriques et Archéologiques Alpine, édité par la Socié-
té Valdôtaine de Préhistoire et d’archéologie, Aoste (Val d’Aoste, Italie).
• BÉRARD (Fr.), « Un nouveau procurateur à Aime-en-Tarentaise », Gallia 52, 1995,
p. 343-358.
• BÉRARD (Fr.), « Organisation municipale et hiérarchies sociales dans les provinces
gauloises et alpines, dans XI Congresso Internazionale di Epigrafia greca et latina
Rome, 1997, II, Rome, 1998, p. 39-54.
• BERTRANDY (Fr.), « Recherches sur les relations entre l’Italie et les régions alpines :
les témoignages monétaires », dans Giorcelli-Bersani (S. éd.), Gli Antichi e la monta‐
gna/Les Anciens et la montagne, Turin, 2001, p. 125-148.
• BERTRANDY (Fr.), « Recherches sur les voies secondaires dans les Alpes occidenta-
les entre Montgenèvre et Grand-Saint-Bernard à l’époque romaine : approche mé-
thodologique », Preistoria alpina 39, 2003 (2005), p. 289-298.
• CAG 04 = G. Bérard, Carte archéologique de la Gaule. Les Alpes‐de‐Haute‐Provence. 04,
Paris, 1997.
• CAG 05 = Ganet (I. et alii), Carte archéologique de la Gaule. Les Hautes‐Alpes. 05, Paris,
1995.
• CAG 38 = Pelletier (A.), Dory (F.), Michel (J.-Cl.), Carte archéologique de la Gaule.
L’Isère I. 38, Paris, 1994.
306
Les régions alpines occidentales…
307
IV. Diversité régionale
• RÉMY (R.), « Loyalisme politique et culte impérial dans les provinces des Alpes
occidentales (Alpes Cottiennes, Graies, Maritimes et Pœnines) au Haut-Empire »,
MEFRA 112, 2000, p. 881-924.
• RÉMY (B.), « Les notables de la province romaine des Alpes Cottiennes au Haut-
Empire d’après les inscriptions », Histoire des Alpes 5, 2000, p. 17-44.
• RÉMY (B.), « La dénomination des “pérégrins” des Alpes Cottiennes au Haut-
Empire d’après les inscriptions », Preistoria Alpina 39, 2003 (2005), p. 243-253.
• ROTH-CONGÈS (A.), « L’inscription des Escoyères dans le Queyras, la date de
l’octroi du droit latin aux Alpes Cottiennes et la question de Dinia », RELig 59-60,
1993-1994, p. 73-101.
• SEGARD (M.), Les Alpes occidentales romaines. Développement urbain et exploitation des
ressources des régions de montagne (Gaule Narbonnaise, Italie, provinces alpines), Aix-
en-Provence, 2009.
• TARPIN (M.), « La négation des Alpes dans l’imaginaire romain », dans La monta‐
gne et son image du peintre d’Arkesilas à Thomas Cole (116e Congrès National des Sociétés
Savantes. Archéologie et Histoire de l’Art, Chambéry, 1991), Paris, 1991, p. 89-120.
• TARPIN (M.), « Les Romains et les Alpes, dans Vallis Poenina ». Le Valais à l’époque
romaine, Sion, 1998, p. 17-21.
• Vallis Poenina. Le Valais à l’époque romaine, Catalogue de l’exposition (Fr. Wiblé dir.),
Sion, 1998.
• VAN BERCHEM (D.), Les routes et l’histoire. Études sur les Helvètes et leurs voisins dans
l’Empire romain, Genève, 1982 (recueil d’articles).
• VAN BERCHEM (D.), « Conquête et organisation par Rome des districts alpins »,
dans Les routes et l’histoire, Genève, 1982, p. 79-85.
• VAN BERCHEM (D.), « La conquête de la Rhétie », dans Les routes et l’histoire, Ge-
nève, 1982, p. 87-102.
• VAN BERCHEM (D.), « Les Alpes sous la domination romaine », dans Guichonnet
(P.), Histoire et civilisation des Alpes, Toulouse/Lausanne, 1980, p. 95-130 = Van Ber-
chem (D.), Genève, 1982, p. 185-217.
• WALSER (G.), « Summus Poeninus ». Beiträge zur Geschichte des Grossen St Bernhard‐
Passes in römische Zeit, Historia Einzelschrift 46, Stuttgart, 1984.
• WALSER (G.), « Via per Alpes Graias ». Beiträge zur Geschichte des Kleinen St Bern‐
hard‐Passes in römischer Zeit, Historia Einzelschrift 48, Stuttgart, 1986.
• WALSER (G.), Studien zur Alpengeschichte in antiker Zeit, Stuttgart, 1994.
• WIBLÉ (Fr.), Tarpin (M.), « L’époque julio-claudienne dans le Valais », dans Le
Valais avant l’Histoire, Catalogue exposition, Sion, 1986, p. 139-152.
• WIBLÉ (Fr.), « Deux procurateurs du Valais et l’organisation de deux districts al-
pins », L’Antiquité tardive 6, 1998, p. 181-191.
• WIBLÉ (Fr.), « Inscriptions latines sur pierre de la Vallis Poenina », dans Epigrafia
delle Alpi, (Migliario (E.), Baroni (A.) éd.), Trento, 2007, p. 169-182.
• WIBLÉ (Fr.), Martigny‐la‐Romaine, Martigny, 2008.
308
La Gaule Belgique d’Auguste
à Commode. Perspectives historiques
Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier
Professeur émérite à l’université Libre de Bruxelles
Si les Belgae et le Belgium figurent déjà chez César (BG, I, 1, 1 ; V, 12, 2),
la Gaule Belgique entre dans l’histoire avec Auguste. C’est en effet le
premier empereur qui divise la province de Gallia Comata issue de la
conquête césarienne en trois éléments : l’Aquitaine, la Lyonnaise et la
Belgique. Faut-il lier cette opération administrative à la lex provinciae qui
en 22 avant notre ère créa la nouvelle Narbonnaise attribuée à l’autorité
du Sénat (Dion Cassius, 54, 4, 1) ? Ou bien est-ce déjà en 27, lorsque l’on
procéda au recensement du territoire (Tite-Live, Per., 138) ? Ou même lors
du séjour d’Auguste en Gaule de 16-13 (Dion Cassius, 54, 19, 1 et 25, 1) ?
Cette dernière date est sans doute trop tardive car l’inauguration de
l’autel du Confluent par Drusus en 12 implique que, à ce moment, toutes
les civitates existent avec un chef-lieu et une administration propre capable
d’envoyer des délégués au sanctuaire fédéral. Par ailleurs il apparaît que
les deux séjours d’Agrippa et son gouvernement ont constitué des étapes
essentielles dans l’organisation des nouvelles provinces. La phase trium-
virale (40-38/7) fut sans doute celle du réseau routier tel que le décrit Stra-
bon (IV, 6, 11) et la seconde (20-19/8) celle de l’installation urbaine des
peuples gaulois, en Aquitaine et Lyonnaise car il ne semble pas y en avoir
de traces dans les régions septentrionales. Archéologiquement, il se
confirme que toutes les fondations reconnues datent de la décennie 20-10.
D’emblée les villes des chefs-lieux et les agglomérations nombreuses vont
se développer de manière ininterrompue, interconnectées par un réseau
routier et fluvial particulièrement dense. Le processus d’urbanisation qui
débute alors va connaître des phases d’extension variable selon les ré-
gions mais la richesse et l’ampleur de la monumentalisation ne doivent en
rien être sous-estimées. Il semble que ce soient les deux villes principales
au niveau administratif qui aient bénéficié de la parure la plus magnifi-
que : les portes de Reims et l’enceinte de Trèves sont spectaculaires ; tou-
tefois le grand cryptoportique de Bavay ou le théâtre de Soissons,
l’amphithéâtre de Metz ou celui d’Amiens constituent des monuments
309
IV. Diversité régionale
La province
310
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
être déplacée vers l’ouest, à hauteur de la Scie1. Au nord, les travaux des
géologues sur le tracé ancien des embouchures dessinent une géographie
très différente de celle de la Zélande actuelle2. Il est probable que l’Escaut
occidental n’existait que sous la forme d’un estuaire limité et que
l’embouchure de l’Escaut correspondait approximativement à l’Escaut
oriental actuel : cela implique une cité des Ménapiens plus vaste, englo-
bant les anciennes îles de Walcheren et Beveland, ce qui entraîne des
conséquences non négligeables au niveau économique et religieux (voir
carte).
La capitale provinciale est située à Reims (Strabon, IV, 3, 5).
L’importance prise par Trèves au fil du temps a donné à penser que cette
ville avait pu remplacer Reims dès le Haut-Empire mais ce n’est pas avéré
car un gouverneur du milieu du IIe siècle dont ne subsiste que le surnom
Priscus fut honoré par la cité des Rèmes (CIL X 1705 = AE 1991, 4853). Les
gouverneurs sont d’abord communs pour les Tres Galliae, et ce fut no-
tamment Drusus, Tibère, Germanicus ; ensuite un sénateur ancien préteur
prendra la tête de la Belgique (stricto sensu), inermis, dans laquelle, selon
les usages, il restera en poste en moyenne trois ans. Il convient
d’envisager encore la question du recensement4 : après les opérations
d’Auguste, Drusus et Germanicus, ce furent à notre connaissance des
consulaires (censitores) qui furent nommés pour organiser cette entreprise
essentielle pour la perception des impôts, sans doute avec une solidarité
maintenue entre les trois provinces. Pour une efficacité plus grande sur le
terrain, les territoires étaient divisés en districts confiés à des chevaliers,
qui eux-mêmes devaient s’appuyer sur les cités et les pagi. On notera spé-
cialement un censor des Rèmes, ou un procurateur chargé du district des
Ambiens, Morins et Atrébates. Pour mieux contrôler l’assiette fiscale ou
pour installer de nouveaux cadres parcellaires, voire de nouveaux domai-
nes, il n’est pas exclu que des opérations de cadastration aient été effec-
tuées dans certaines cités, soit par l’administration centrale soit par les
civitates elles-mêmes5.
Le rang prétorien du gouverneur et son implication militaire ont long-
temps appuyé l’idée d’une absence quasi complète de troupes sur le terri-
toire de la province. L’archéologie cependant a montré que, pour des rai-
sons de sécurité sans doute et de logistique liée aux nécessités techniques
de l’implantation des nouvelles villes, des unités militaires limitées y ont
séjourné. D’abord, entre César et Auguste, on peut citer par exemple les
311
IV. Diversité régionale
312
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
313
IV. Diversité régionale
mode, alors gouverneur de Belgique, les combattit vers 175 et les repoussa
hors des frontières de l’empire (SHA, Did., 1, 7-8). L’archéologie montre
notamment l’établissement d’un petit camp (Maldegem) dans le nord du
pays ménapien et, sans doute pour protéger les côtes d’incursions futures,
furent construits peu après les deux castella d’Aardenburg et Oudenburg1.
Il n’est pas certain que la « guerre des déserteurs » de Maternus qui affec-
ta notamment la Rhénanie et l’Alsace sous Commode ait touché la Belgi-
que.
Les cités
314
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
que la petite cité des Silvanectes ait été créée par découpage du territoire
des Meldes. Des regroupements pourraient aussi avoir été effectués qui
expliqueraient des listes de peuples plus nombreux chez Pline. Dans cer-
tains cas les peuples gaulois connaissaient déjà une organisation proto-
urbaine qui a permis l’installation du chef-lieu dans la « capitale » de
l’indépendance. C’est le cas à Reims. Mais l’administration romaine a
aussi procédé au déperchement des oppida dans un souci d’installation des
nouveaux chefs-lieux en plaine, pour des raisons tactiques peut-être, ou
économiques. Ainsi on voit le remplacement du Titelberg par Trèves sans
site laténien préalable, ou celui de l’oppidum de Vermand par Augusta
(Saint-Quentin). Toutefois la plupart des chefs-lieux de Belgique semblent
avoir été des créations ex nihilo sans site gaulois ne fût-ce que proche1, et
certains exemples, comme Arras, paraissent illustrer la participation de
l’armée (et de ses ingénieurs) au tracé du carroyage primitif. Le choix des
emplacements pose problème car certains sites se révèlent fortement ex-
centrés2 : il est probable qu’au-delà des impératifs géographiques, des
critères culturels ou religieux ont parfois prévalu, qui nous échappent
souvent. Dans d’autres cas des localisations sur des voies stratégiques,
militairement et économiquement parlant, routières ou fluviales, ont dû
être retenues mais cela pose la question de savoir si les tracés routiers
d’Agrippa ont précédé les implantations urbaines ou non. De manière
générale, dès lors qu’il n’y avait pas – ou guère – de centres urbanisés ou
pré-urbanisés à respecter, ce sont souvent les sanctuaires qui représen-
taient les lieux collectifs marquant les territoires, qui ont aidé à la constitu-
tion des cités et à la fixation des limites.
Les cités sont dotées de statuts différents en fonction de leur histoire à
l’époque de la conquête (Pline, HN, IV, 106) : les Nerviens et les Leuques
sont « libres », les Rèmes « fédérés ». Ces différents statuts avaient à
l’origine des conséquences fiscales mais Tibère unifia les exigences de
Rome et il n’en résulta plus que des titres : on constate que, toutefois, les
Rèmes3 conservèrent la fierté de se dire « civitas Remorum foederata ». Les
Trévires furent civitas libera dans un premier temps (antea) puis seront
élevés au rang de colonie latine. La date de cette promotion est discutée :
habituellement on propose Claude, mais le nom même d’Augusta Trevero‐
rum indique peut-être Auguste4. Il doit s’agir d’une promotion honoraire
car il n’y a aucune trace de colons italiens ou narbonnais dans la popula-
315
IV. Diversité régionale
316
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
1. Delmaire R., 1974 ; toutes les considérations topographiques de cette étude n’emportent toute-
fois pas l’adhésion.
2. Tarpin M., p. 87-99.
3. Scheid J., Colonia 1990, p. 51-52 ; Raepsaet-Charlier M.-Th., 2002.
4. Tarpin M., p. 259-260.
317
IV. Diversité régionale
318
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
L’administration
319
IV. Diversité régionale
320
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
321
IV. Diversité régionale
1. Mais ils ne peuvent en aucune manière avoir parfois « remplacé » les prêtres officiels de la cité
(Liertz U.-M., 1998) car il est évident que ni le rang ni le statut des sévirs ne peuvent les habili-
ter à agir publiquement au nom de tous les citoyens ; leurs fonctions ne peuvent être que su-
bordonnées, exercées dans le cadre d’un collège.
2. David J.-M., dans Quotidien, p. 391-403.
3. Van Andringa W., 1998.
4. Cf. Schlippschuh, p. 113-114.
5. Par exemple CIL XIII 5154 ; 1734, 1966, 2036.
322
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
Un point important de la vie des cités gallo-romaines n’a pas encore été
abordé directement : celui du droit latin1. Concédé d’abord aux Gaulois
de la Cisalpine, bientôt Italiens, puis étendu progressivement à tout
l’Occident romain, ce droit intermédiaire entre la citoyenneté romaine
pleine et entière et la situation « pérégrine », donnait aux territoires et
cités qui en disposaient les droits civils du citoyen romain, à savoir le
droit de mariage – et donc de transmission aux enfants légitimes –, et le
droit de commerce et d’action en justice. En outre, depuis les années 125
avant J.-C., les élites de ces villes obtenaient, pour eux-mêmes et leur fa-
mille, la citoyenneté romaine stricto sensu à leur sortie de charge comme
magistrats locaux. Ce droit, territorial et non individuel, fut accordé aux
Alpes (Tac., Ann., XV, 32) et à l’Espagne (Pline, HN, III, 3, 30), à certaines
cités d’Aquitaine (Strabon, IV, 2, 2), assurément à la Narbonnaise2. Un
certain nombre de colonies latines et de municipes latins furent institués
en Gaule et en Germanie. Plutôt que de concevoir que des îlots stricte-
ment pérégrins aient subsisté, on s’accorde à penser que le droit latin gé-
néralisé fut aussi accordé aux Tres Galliae, et sans doute aux Germanies, en
plusieurs phases peut-être. Déjà avancée par C. Jullian, l’hypothèse d’un
octroi claudien reste aujourd’hui privilégiée dans la perspective d’une
action concomitante en faveur des élites dirigeantes auxquelles
l’empereur ouvrit l’accès à la noblesse sénatoriale. Cette interprétation
s’accorde particulièrement bien au système d’organisation communale
quasi uniforme que l’on observe malgré des variantes locales, installé soit
progressivement soit globalement, librement ou sous la pression romaine,
en tant que préalable, conséquence ou corollaire de l’obtention du droit
latin. Cette hypothèse a en outre le mérite d’expliquer une particularité de
l’onomastique gallo-romaine, les gentilices indigènes et les gentilices pa-
tronymiques de création provinciale3. Dans la perspective d’une analyse
de la société, il convient en effet de s’intéresser aux processus d’accès à la
citoyenneté. L’acquisition du droit latin ne modifiait pas immédiatement
les usages de dénomination : les habitants conservaient leur nomenclature
de pérégrins. Seul le passage à la citoyenneté romaine pleine et entière
323
IV. Diversité régionale
La religion
Pour entrer dans le monde du sacré, pour tenter d’en comprendre les
grandes lignes, il faut penser en termes institutionnels, pour la Gaule ro-
maine comme pour Rome même. La religion romaine est civique ; les
devoirs religieux sont conditionnés par l’appartenance communautaire,
par le statut social des personnes et non par une décision individuelle
d’ordre spirituel, puisqu’il n’y a pas d’obligation de foi et qu’une pratique
stricte des rites, un respect exact des prescriptions constituaient l’exigence
centrale. La religion publique ne rend certes pas compte de toutes les fa-
cettes des cultes mais elle présente un tableau que les sources permettent
d’appréhender loin de l’imaginaire et du romantisme, c’est donc à sa dé-
finition1 qu’il faut s’appliquer. Première évidence : le polythéisme, dans
ses multiples implications. La religion appartient aux institutions de cha-
1. Van Andringa W., 2002 ; Scheid J., dans Villes 2007, p. 477-483.
324
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
que peuple, chaque cité a constitué la sienne et les Romains ont la leur,
également établie au fil du temps et préservant des couches multiples.
Rappelons la formule de Cicéron (Pro Flacco, 67-69) : Sua cuique civitati
religio est, nostra nobis. Aussi le statut des cités joue un rôle important dans
la mise en place des nouveaux cultes au moment de l’installation des insti-
tutions « communales », à l’époque d’Auguste, au moment de l’obtention
du droit latin, lors de la promotion au rang de colonie ou de municipe,
selon l’histoire de chacune. Un document nous décrit le processus pour
une colonie1, la loi d’Urso. Celle-ci montre que les décurions et les magis-
trats disposaient d’une certaine liberté pour organiser la religion publique
mais qu’ils avaient aussi des obligations comme celle de célébrer le culte
de la triade capitoline. Et la mention de Vénus dans une loi césarienne
doit assurément être remplacée par le culte impérial par la suite. Mais
surtout ils devaient organiser la religion : préciser les prêtrises, le calen-
drier des fêtes, les charges, frais et jeux à assurer. Rien de très contrai-
gnant, un simple cadre administratif et juridique. Mais un cadre qui ne
laissait pas de place à l’arbitraire et au désordre. Que la colonie soit latine
ou romaine avait peu d’importance, car elle devait se conformer aux rè-
gles du droit sacré romain pour tout ce qui concerne le fonctionnement de
la religion collective, les sacerdoces et la gestion des lieux de culte. Cette
rédaction d’un calendrier officiel (dont témoigne aussi la loi d’Irni par
exemple, ch. 92) impliquait la hiérarchisation des dieux, le choix de divini-
tés majeures auxquelles seraient consacrés les temples publics et les fêtes
principales. Il ne s’agissait pas seulement de piocher dans le panthéon
romain. Dans une colonie latine honoraire, comme Trèves par exemple2, il
fallait intégrer le panthéon local dans le nouveau cadre romain, procéder
donc à une assimilation consciente et organisée entre des divinités tradi-
tionnelles et des dieux romains jugés correspondants : ce processus dit
d’interpretatio n’est pas ainsi le fruit d’une initiative individuelle évoluant
au fil du temps selon des choix hasardeux et incompétents, mais une or-
ganisation pensée et réfléchie opérée par les nouveaux magistrats, issus
de l’élite locale, déjà bien romanisée avant la conquête. Ainsi donc la créa-
tion d’une colonie se traduisait par la rédaction d’une charte du culte pu-
blic, rédigée en termes romains et sous le contrôle des autorités locales,
sans doute avec l’approbation du représentant de Rome, le légat siégeant
à Reims. Dans les cités pérégrines, nous savons en principe par Pline le
Jeune (Ep., X, 49-50) que la liberté d’organiser la religion locale était totale.
Dans les cités gallo-romaines qui se sont dotées, au plus tard au moment
de l’accession au droit latin, d’institutions « communales » très standardi-
sées comme on l’a vu, le schéma du processus a dû être fort proche de
325
IV. Diversité régionale
celui décrit par la lex Ursonensis, puisque ce sont les mêmes structures
juridiques que l’on voit en place1. Par conséquent, ce n’est pas non plus
par hasard dans une chapelle éloignée mais dans la curie des civitates que
les cultes publics ont été installés. Il est tout à fait intéressant à cet égard
de constater que le choix de Mars comme dieu poliade que l’on peut ana-
lyser de manière relativement détaillée pour les Trévires2, sous la déno-
mination de Lenus Mars, a été aussi celui de plusieurs autres cités gallo-
romaines. Les Rèmes, par exemple, l’honoraient sous la dénomination de
Mars Camulus. Mais d’autres assimilations pouvaient être décidées, et on
a pu montrer comment Hercule était devenu le dieu poliade des Bataves3 ;
on peut songer aussi à Vulcain pour les Viromanduens, comme pour les
Sénons4. Mais la procédure ne concernait pas les « grands » dieux exclusi-
vement. Des dieux locaux et topiques pouvaient accéder à un niveau de
reconnaissance publique qui ne les confinait pas nécessairement à la dévo-
tion privée, notamment par l’assimilation qui pouvait être proposée avec
un grand dieu (Mars Vindonnus ou Diana Abnoba) mais non exclusive-
ment5. Le caractère politique de la religion gallo-romaine ne surprend
donc pas et n’a pas dû poser de problèmes d’adaptation puisque des liens
très forts existaient déjà dans les oppida de l’époque de l’indépendance,
entre temple et espace public, vie religieuse et vie politique : l’exemple du
Titelberg6 est particulièrement éclairant. Lorsque l’on a ainsi saisi le pro-
cessus institutionnel de la mise en place des cultes gallo-romains, il est
évident qu’une tentative de classification en « dieux romains » et « dieux
indigènes » est vaine. Certes, selon le moment, la circonstance ou la per-
sonne, le dieu en question pouvait être honoré sous une forme plus ou
moins dotée d’attributs ou de dénominations indigènes, mais globalement
les divinités honorées étaient le résultat d’une assimilation organisée. Il ne
convient pas davantage de fondre en un panthéon uniforme et simplifica-
teur toutes les personnalités religieuses que notre documentation nous
révèle. Pas plus que n’était unitaire le panthéon des Gaulois avant la
conquête, comme on a pu le croire au départ d’une lecture de César qui
avait, lui ou ses sources, réuni en un seul tableau réducteur tous les théo-
nymes qu’il avait rencontrés et les avait, pour la compréhension de ses
lecteurs, regroupés et classés selon des dénominations romaines. Pas plus
que n’était ramenée à une seule épiclèse la définition locale des dieux du
territoire par exemple. L’étude cartographiée des Mars trévires montre à
suffisance qu’une grande diversité prévalait qui avait sa propre géogra-
326
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
1. Chastagnol A., Gaule, p. 29-35 ; Scheid J., Colonia 1990, p. 51.
2. Dondin-Payre M. et Raepsaet-Charlier M.-Th., dans Sanctuaires 2006, p. VII-IX.
3. Brunaux J.-L., 1999.
4. Brunaux J.-L., dans Goudineau, p. 95-115.
327
IV. Diversité régionale
Il n’est guère opportun d’établir une liste, cité par cité, des divinités
honorées dans la province. Quelques remarques de nature générale suffi-
ront : à côté du dieu poliade, honoré dans le chef-lieu, parfois aussi sur le
territoire, également en dehors de la province1, le dieu municipal par ex-
cellence se révèle être Jupiter, sans qu’il y ait semble-t-il en dehors des
colonies d’intérêt particulier pour la triade capitoline (à Dalheim : 4048). Il
est honoré dans toutes les parties de la cité, au chef-lieu (Bavay : AE 1999,
1079) comme dans les vici (à Soulosse : 4681). Une variante de Jupiter qui
l’associe à des formes indigènes de culte cosmique est la colonne dite à
l’anguipède, si fréquente en Rhénanie, que des dédicaces explicites identi-
fient : on en signalera des exemples aussi en région mosellane. Sans sur-
prise Mercure et ses multiples assimilations, également perceptibles par
diverses parèdres, est célébré partout, particulièrement dans les sites de
routes et de carrefours, très logiquement, plus particulièrement par des
personnages affectés à la gestion d’un tabularium. Par contre, en dehors
des cités où il est dieu tutélaire, Mars reçoit très peu d’hommages dans la
province2. Apollon qui, dans la dédicace évergétique d’un proscaenium,
peut être associé à un pagus et au numen impérial au sanctuaire de Nizy-
le-Comte chez les Rèmes (3450), est certainement un dieu important dans
le culte public de certaines cités mais on le retrouve aussi associé à Sirona
dans un sanctuaire trévire de villa3. Cet exemple rappelle que ni les
grands temples officiels, ni même les lieux de culte des agglomérations,
n’épongeaient la totalité des dédicaces et que des temples plus petits,
voire des chapelles rurales, recevaient aussi des célébrations de nature
familiale ou privée. À cet égard on rencontre peu de traces de cultes de
Matres ou Matronae, à la différence de la province voisine de Germanie
inférieure, où elles ont même reçu une place officielle. Deux divinités qui
se révèlent d’importance assez faible dans les cités occidentales reçoivent
un culte plus développé à l’est de la province : Epona et Hercule. Epona,
par des reliefs caractéristiques, confirmés par des autels chez les Trévires4
et les Leuques5, et Hercule dont le profil de dévotion est assez « germani-
que6 » au sanctuaire de Deneuvre chez les Leuques, et en tant que Saxa-
nus aux carrières de Norroy. Il faut faire une place particulière à deux
lieux7 de culte d’une divinité rare, que la recherche contemporaine tend à
situer en Belgica, à la limite des Ménapiens : Domburg et Colijnsplaat, et
1. On peut citer Mars Camulus par les cives Remi publice à l’époque de Néron sur le Rhin : 8701 =
AE 1980, 656.
2. Raepsaet-Charlier M.-Th., dans Mars, p. 45-62.
3. Schwinden L., Niedaltdorf.
4. Culte de vicus à Wederath-Belginum : 7555a ; culte collectif à Trèves : AE 1994, 1237.
5. Où elle est associée au génie de la cité : 4630.
6. Tac., Germ., 3.
7. Hondius-Crone A., 1955 ; Stuart P. et Bogaers J.E., 2001.
328
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
1. Cf aussi César, BG, VI, 33 ; ainsi que la mise en connexion des Ménapiens et de la Meuse chez
Ptolémée II, 9, 10.
2. Par exemple AE 1931, 29 ; cf Van Andringa W., 2002, p. 198-200.
3. Par exemple : CIL XIII 3632 = ILB2 62 ; F 12-14 ; N-L 8 ; AE 1983, 728.
4. Par exemple CIL XIII 11313 ; AE 1964, 149 = 1966, 257.
5. Schwinden L., 1987.
6. Voir les remarques critiques de Belot R., 1990.
7. Schwinden L., 2008.
8. Jacques A. et alii, dans Sacrifice 2008, p. 237-252.
329
IV. Diversité régionale
vité religieuse : des terres cuites peuvent représenter des dévots et non
des divinités, des représentations être purement décoratives, des objets
divers n’être que le reflet de pratiques occasionnelles non représentatives,
voire même d’un simple intérêt culturel1. L’amalgame de données issues
de tous les types de support sans attention particulière aux contextes,
profanes ou sacrés, peut produire une image complètement fausse, et
cette remarque critique vaut pour tous les dieux des panthéons. Enfin
point n’est besoin de rappeler combien ces cultes sont « romains2 » quand
ils arrivent dans notre province et sont bien davantage porteurs de roma-
nité que de prétendue spiritualité orientale.
Le culte impérial devait être assuré à plusieurs niveaux. Symbole de
l’installation des Tres Galliae, le sanctuaire de Lyon est essentiel. L’orga-
nisation de ce culte de « Rome et d’Auguste » à l’instant même où se met-
tait en place la nouvelle administration du territoire gallo-romain, tenait
autant à la cohésion des élites et à l’adhésion au nouveau régime qu’à la
religion proprement dite, elle-même fondamentalement civique. Le choix
de l’endroit est révélateur d’une volonté politique indiscutable : situé en
territoire romain, face à la seule colonie romaine des Gaules proprement
dites, proche du lieu de résidence du gouverneur de Lyonnaise, ce lieu
sacré constituait un point de convergence de la piété officielle destiné à
réunir les notables des cités et à rassembler religion et vie publique puis-
que ce sanctuaire était aussi le lieu du concilium provinciarum, de
l’assemblée fédérale qui réunissait une fois par an gouverneurs et délé-
gués pour des entretiens politiques mais surtout pour des jeux et des sa-
crifices. Dans la même perspective de loyalisme religieux envers la mai-
son impériale3, il faut mentionner ici l’érection de monuments en
l’honneur des petits-fils d’Auguste4 dans les capitales de plusieurs cités
des Trois Gaules. En Belgique : Reims et Trèves, c’est-à-dire les deux villes
qui abritaient les centres administratifs de la province. Au sein de chaque
cité, le culte était organisé dans le chef-lieu au forum ; on le retrouve aussi
sur le territoire notamment dans le cadre des « grands sanctuaires » où il
est associé aux divinités tutélaires du pagus ou de la cité. Dans le vicus de
Bitburg on voit ainsi les Numina Augustorum, en compagnie de Jupiter,
recevoir l’hommage d’un citoyen évergète qui offre aux vicani un proscae‐
nium et un tribunal (donc une partie de théâtre) ainsi qu’une fondation
destinée à entretenir les lieux et à organiser chaque année des jeux (4132)5.
330
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
331
IV. Diversité régionale
332
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
La société
Dans les Trois Gaules, la promotion des élites locales vers les noblesses
d’empire s’est faite en deux phases. Dès l’époque augustéenne des chefs
militaires indigènes originaires de Belgique ont été placés à la tête
d’unités ethniques5 mais on ne sait s’ils furent réellement admis dans
l’ordre équestre ; le premier chevalier avéré était trévire, Iulius Indus, et il
commandait l’ala Indiana dans la répression de 21 (Tac., Ann., III, 42).
L’accès à l’ordre sénatorial fut plus tardif puisque c’est en 48 que le ius
honorum fut accordé. Le véritable problème est de déterminer
l’importance numérique réelle de ces promotions et d’apprécier la qualité
des liens qui les unissaient à leur région d’origine. Les listes prosopogra-
phiques ne procurent que peu de noms. Cependant se pose ici un pro-
blème méthodologique, celui du recours à l’argument a silentio pour ap-
précier la pratique épigraphique honorifique. On a déjà fait remarquer le
très faible nombre d’attestations de magistrats et notables, même dans des
cités dont la documentation est riche, comme la Trévirie. Ne faut-il dès
lors pas considérer que les usages et honneurs locaux devaient y revêtir
d’autres formes que celle de la célébration épigraphique ? D’autre part,
étant donné la faiblesse numérique spécifique des sénateurs, étant donné
333
IV. Diversité régionale
334
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
qu’il n’y ait pas eu nécessairement de réelle cassure sociale vis-à-vis des
propriétaires fonciers : n’appartiendraient-ils pas dans certains cas aux
mêmes familles mais avec des investissements différents, l’argent allant
de la terre au commerce selon les besoins et les bénéfices ? Ou même ces
« hommes d’affaires » ne pourraient-ils être parfois des cadets que l’on
plaçait dans des entreprises d’un autre genre parce qu’il fallait laisser la
place la plus honorable aux aînés et conserver les terres en indivision ?
Aucune interprétation n’est avérée et nous restons dans le domaine de
l’hypothèse. Mais un changement est manifeste. L’onomastique est à cet
égard parlante. Les notables du second siècle portent presque tous des
gentilices « patronymiques » de création locale, ce ne sont plus des des-
cendants des Iulii. Est-ce parce que les Iulii avaient été durement frappés
par la répression de la révolte de Vindex1 ? Ce n’est pas exclu. Mais ce qui
est exclu, c’est de penser2 que les notables des Ier et IIe siècles appartien-
nent aux mêmes familles qui auraient simplement changé de nom. Les
règles de la dénomination étaient en Gaule aussi strictes qu’ailleurs et les
hypothèses de « fluidité » relèvent de la même tendance à l’exception
gauloise qui affecte l’interprétation des institutions dans une certaine
frange de l’historiographie. Il faut ajouter à cela un autre problème docu-
mentaire. Si les monuments funéraires mosellans attestent, comme on l’a
dit, d’une exceptionnelle mise en évidence du travail et du profit du tra-
vail ou du commerce, ils sont aussi totalement muets sur les éventuelles
fonctions publiques de leurs commanditaires. Il est impossible de déter-
miner la catégorie sociale de ces défunts3. Aux IIe et IIIe siècles, ce sont les
dédicaces religieuses et les évergésies qui apportent des informations sur
le rang social des dédicants, et encore modérément. L’identification des
élites des cités de Belgique est particulièrement délicate et il faut donc se
contenter des minimes indices dont nous disposons, ceux de
l’onomastique et de l’archéologie, pour avancer une interprétation sociale.
Les couches sociales inférieures ne sont pas mieux connues. La réparti-
tion des fermes et villas, avec peu de très grands domaines avant le IIIe
siècle, donne à penser qu’il a pu exister une « classe moyenne » de pro-
priétaires fonciers dont les terres seraient issues de partages successoraux
et de l’extension progressive des terroirs cultivés ; elle comprenait assu-
rément aussi des artisans, des commerçants locaux, le cas échéant des
soldats et des vétérans (mais c’est une catégorie peu visible en Belgique).
Nous aurions tendance à y ranger aussi une partie des affranchis dont la
place dans le commerce des biens produits sur les domaines ou dans le
négoce de leur patron (3705) voire au sein des corporations de transport
335
IV. Diversité régionale
est bien connue en particulier à Lyon (1949) ou en Zélande (AE 1983, 721).
Si les Trévires1 constituent assurément la cité qui a envoyé le plus grand
nombre de ses citoyens dans toute la Gaule, il convient cependant de ne
pas surestimer la mobilité2 géographique des Gallo-Romains. Relèvent
sans doute aussi de cette catégorie, les affranchis publics employés dans
l’administration (p. ex. 11359), éventuellement religieuse (F 14), notam-
ment les affranchis (et esclaves) impériaux des bureaux financiers3. Un cas
particulier est celui de C. Iulius Pothus, affranchi d’un affranchi
d’Auguste, venu sans doute d’Italie pour commercer et dont la fille reçut
une stèle funéraire au pied du Titelberg (AE 1989, 538) où son père, vu la
date, avait encore trouvé un site de pleine importance. Mais il n’est guère
aisé de se faire une idée exacte du rôle des affranchis dans la société gallo-
romaine car les travaux généraux qui leur ont été consacrés sont insuffi-
sants.
Plus on descend dans la pyramide sociale, moins nous disposons de
documentation : la forte proportion des citoyens romains dans les sources
épigraphiques indique que l’essentiel de nos textes parle des riches et
moyennement riches et rarement des vrais pauvres. Les artisans, ouvriers
des chantiers, des ateliers, de l’agriculture, sont davantage connus par
l’archéologie, leurs produits, leurs habitats et leurs tombes, que par les
textes, et leur degré de dépendance (colons, clients) ou de liberté est diffi-
cile à déterminer, sauf exception (les coloni Crutisiones : 4228) ; les possibi-
lités réelles de réussite individuelle relative variaient sans doute selon les
circonstances. Quant à la population servile non impériale, elle est encore
moins saisissable : très peu d’esclaves avérés4 apparaissent dans nos sour-
ces. Quant aux images de la domesticité, nombreuses dans la sculpture
mosellane, ne permettent guère de découvrir le statut des personnes.
Que peut-on conclure de cette faiblesse documentaire, à opposer à
l’abondance numérique italienne ? Assurément à des variations dans les
modes de représentation5 qui, sans doute, doivent nous conduire à rééva-
luer leur nombre. Mais peut-être aussi à admettre un chiffre objectivement
moindre des esclaves et des affranchis en Gaule, en raison d’une structure
socio-économique différente qui ne comportait sans doute pas une aussi
forte dichotomie très riches / très pauvres. Par ailleurs, si assurément des
336
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
L’économie
337
IV. Diversité régionale
338
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
339
IV. Diversité régionale
340
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
341
IV. Diversité régionale
Bibliographie
• RAEPSAET-CHARLIER M.-Th., Les Gaules et les Germanies, Rome et l’intégration de
l’Empire, Tome 2, dir. LEPELLEY Cl., Nouvelle Clio, 1998 (Paris), p. XXXI-XLVI et
143-195.
Bibliographie complémentaire
• Aquam in altum exprimere. Les machines élévatrices d’eau dans l’antiquité, dir. BOUET
A., 2005 (Bordeaux), 168 p.
• Archéologie des pratiques funéraires. Approches critiques, dir. BARAY L., 2004 (Glux-en-
Glenne), 316 p.
• Archéologie des sanctuaires en Gaule romaine, éd. VAN ANDRINGA W., 2000 (Saint-
Étienne), 211 p.
• Archéologie du sacrifice animal en Gaule romaine. Rituels et pratiques alimentaires,
LEPETZ S. et VAN ANDRINGA W., 2008 (Montagnac), 305 p.
• AUBERT J.-J., Business managers in Ancient Rome, 1994 (Leyde), 520 p.
• Boisson d’immortalité. Regards sur Pommeroeul gallo‐romain, éd. BAUSIER K., 2008
(Ath), 188 p.
• BONNIE R., Cadastres, misconceptions and northern Gaul, 2009 (Leyde), 143 p.
• BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités, I, 2007 (Paris), 264 p.
• BURNAND Y., Primores Galliarum, 4 vol., 2005-2008 (Bruxelles), 1760 p.
• CHASTAGNOL A., La Gaule romaine et le droit latin, 1995 (Paris-Lyon), 346 p.
• Cités, municipes, colonies. Les processus de municipalisation en Gaule et en Germanie
sous le Haut Empire, éd. DONDIN-PAYRE M. et RAEPSAET-CHARLIER M.-Th., 1999
(Paris), 487 p.
• Cultivateurs, éleveurs et artisans dans les campagnes de Gaule romaine, RAPic, 2003
(Amiens), 369 p.
• De la ferme indigène à la villa romaine, éd. BAYARD D. et COLLART J.-L., RAPic N°
spécial 11, 1996 (Amiens), 336 p.
• DERKS T., Gods, Temples and Ritual Practices. The Transformation of Religious Ideas and
Values in Roman Gaul, 1998 (Amsterdam), 326 p.
• ECK W., La romanisation de la Germanie, 2007 (Paris), 103 p.
• Economies beyond Agriculture in the Classical World, éd. MATTINGLY D.J. et SALMON
J., 2001 (Londres), 324 p.
• FICHTL St., Les Gaulois du Nord de la Gaule (150‐20 av. J.‐C.), 1994 (Paris), 190 p.
• FRANCE J., Quadragesima Galliarum. L’organisation douanière des provinces alpestres,
gauloises et germaniques de l’Empire romain, Coll. EFR 278, 2001 (Rome), 498 p.
• HAENSCH R., Capita provinciarum. Statthaltersitze und Provinzialverwaltung in der
römischen Kaiserzeit, 1997 (Mayence), 863 p.
• HONDIUS-CRONE A., The Temple of Nehalennia at Domburg, 1955 (Amsterdam), 123
p.
• JACOBSEN G., Primitiver Austausch oder freier Markt ?, 1995 (St-Katharinen), 237 p.
• JACQUES Fr., Le privilège de liberté, Coll. EFR 76, 1984 (Rome), 867 p.
• JACQUES Fr., Les curateurs des cités dans l’Occident romain, 1983 (Paris), 436 p.
• KEHOE D.P., Law and the Rural Economy in the Roman Empire, 2007 (Ann Arbor),
265 p.
342
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
343
IV. Diversité régionale
• MOITRIEUX G., Hercules salutaris. Hercule au sanctuaire de Deneuvre (Meurthe‐et‐
Moselle), 1992 (Nancy), 270 p.
• MORAITIS A., Der römische Gutshof bei Lösnich, Kr. Bernkastel, 2003 (Trèves), 168 p.
• Noms, identités culturelles et romanisation sous le Haut‐Empire éd. DONDIN-PAYRE M.
et RAEPSAET-CHARLIER M.-Th., 2001 (Bruxelles), 774 p.
• POLFER M., L’artisanat dans l’économie de la Gaule Belgique, 2005 (Montagnac), 182 p.
• RAEPSAET G., Attelages et techniques de transport dans le monde gréco‐romain, 2002
(Bruxelles), 316 p.
• Religion et société en Gaule, dir. GOUDINEAU Chr., 2006 (Paris-Lyon), 222 p.
• Romeins erfgoed, éd. VAN DER VELDE P. et alii, Zeeuws tijdschrift, 58, 2008, 94 p.
• Sanctuaires et sources dans l’antiquité, éd. DE CAZANOVE O. et SCHEID J., 2003 (Na-
ples), 181 p.
• Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident romain, éd.
DONDIN-PAYRE M. et RAEPSAET-CHARLIER M.-Th., 2006 (Bruxelles), 514 p.
• SCHLIPPSCHUH O., Die Händler im römischen Kaiserreich in Gallien, Germanien und
in den Donauprovinzen, 1974 (Amsterdam), 291 p.
• STUART P. et BOGAERS J.E., Nehalennia. Römische Steindenkmäler aus der Oosters‐
chelde bei Colijnsplaat, 2001 (Leyde), 2 vol. 222 p.
• TARPIN M., Vici et pagi dans l’Occident romain, Coll. EFR, 299, 2002 (Rome), 485 p.
• TRAN N., Les membres des associations romaines. Le rang social des collegiati en Italie et
en Gaule sous le Haut‐Empire, 2006 (Rome), 577 p.
• VAN ANDRINGA W., La religion en Gaule romaine. Piété et politique, 2002 (Paris),
336 p.
• WIERSCHOWSKI L., Die regionale Mobilität in Gallien nach den Inschriften des 1. bis 3.
Jahrhunderts n. Chr., Historia Einzelschr., 91, 1995 (Stuttgart), 400 p.
344
La Gaule Belgique d’Auguste à Commode. Perspectives historiques
345
IV. Diversité régionale
• ROSSO Em., « Les hommages rendus à Caius et à Lucius Caesar dans les provinces
gauloises et alpines », L’expression du pouvoir au début de l’empire, dir. CHRISTOL M.
et DARDE D., 2009 (Paris), p. 97-110.
• SCHEID J., « Sanctuaires et territoire dans la Colonia Augusta Treverorum », Les sanc‐
tuaires celtiques et le monde méditerranéen, éd. BRUNAUX J.-L., 1990 (Paris), p. 42-57.
• SCHEID J., « Épigraphie et sanctuaires guérisseurs en Gaule », MEFRA, 104, 1992,
p. 25-40.
• SCHEID J., « Les reliefs du mausolée d’Igel », AC, 72, 2003, p. 113-140.
• SCHWINDEN L., « Zu den Mithrasdenkmälern und Mithraskultgesfässe in Trier »,
TZ, 50, 1987, p. 229-292.
• SCHWINDEN L., « Der römische Tempelbezirk von Niedaltdorf/Ihn – Kultzentrum
oder Villen–heiligtum ? », TZ, 58, 1995, p. 511-523.
• SCHWINDEN L., « Neue Trierer Inschrift für die Mater Magna », MAZ, 7, 2008,
p. 51-66.
• TURCAN R., « La documentation métroaque en Gaule romaine », RNord, 73, 1991,
p. 9-19.
• VAN ANDRINGA W., « Observations sur les associations de citoyens romains dans
les Trois Gaules », CCG, 9, 1998, p. 165-175.
• VERMEULEN F., « Moderate Acculturation in the Fringe Area of the Roman Em-
pire : Some Archaeological Indications from the Civitas Menapiorum », Bull. Inst.
hist. belge Rome, 62, 1992, p. 5-41.
• WILL E., « Le sel des Morins et des Ménapiens », Hommages à Albert Grenier, 1962
(Bruxelles), p. 1649-1657.
• WITSCHEL Chr., « Die Wahrnehmung des Augustus in Gallien, im Illyricum und in
den Nordprovinzen des römischen Reiches », Augustus – Der Blick von außen, éd.,
KREIKENBORN D. et alii, 2008 (Wiesbaden), p. 41-119.
• WOLFF H., Civitas und colonia Treverorum, Historia, 26, 1977, p. 204-242.
346
Peuples et cités des Germanies
sous le Principat
Annie Vigourt
Maître de conférences en histoire romaine à l’université de Paris IV-
Sorbonne, membre du groupe de recherche UMR 7044,
« Antiquité Romaine et Chrétienne. Étude des civilisations de l’Antiquité »
Des auteurs ont rattaché des peuples des IIe s. av. J.-C. – IIe s. ap. J.-C. à
un ensemble désigné sous le terme générique de « Germains ». La littéra-
ture est très riche : récits annalistiques de Tite-Live et Tacite, histoire des
guerres de César par lui-même ou son continuateur Hirtius, histoire des
guerres de Tibère et Germanicus par Velleius Paterculus, géographie eth-
nologique de Strabon, Pline l’Ancien ou Pomponius Mela, essai ethnogra-
phique de Tacite, sans compter les allusions dans des biographies de Plu-
tarque et Suétone. Il est en revanche bien difficile de retracer la ‘parole des
Germains’, puisque nous ne possédons que celle des Romains, et il faut
donc beaucoup solliciter les résultats des fouilles archéologiques et les
inscriptions trouvées dans le nord-ouest du monde romain, qui datent
naturellement toutes de l’époque impériale. Il se trouve que le livre dans
lequel s’insère ce chapitre est lié à une question mise au programme des
concours de recrutement dans l’Éducation nationale, question axée sur les
relations de Rome avec l’Occident : dans ce cas, les sources écrites sont
tout à fait pertinentes.
Les Grecs ignoraient les Germains, ou les différenciaient peu des Cel-
tes : à lire les sources helléniques, il n’y avait pas de peuples séparant les
Celtes des Scythes. C’est là, en partie, une conséquence des insuffisantes
connaissances géographiques concernant la mer Caspienne et l’extrême
347
IV. Diversité régionale
nord de l’Europe. Strabon indique tout à fait clairement que les Germains
ont ainsi été appelés non par les Grecs mais par les Romains, soucieux
selon lui de souligner ainsi l’étroite parenté de ces peuples avec les Cel-
tes1 ; aucun terme générique n’était usité par les intéressés eux-mêmes.
Cassius Dion, dans son ouvrage écrit en grec au début du IIIe siècle, a plus
tard régulièrement désigné les Germains comme des Keltoï ; Denys
d’Halicarnasse cependant, qui avait écrit sous Auguste, avait distingué
Germania et Galatia.
Quand il s’agit de récits événementiels, les sources littéraires mention-
nent généralement les noms des peuples ; c’est dans le cadre d’indications
ethnographiques qu’apparaît le terme ‘Germains’, désignant des barbares
remarquables par leur haute taille ou leur blondeur, leur quasi nudité,
leur extrême mobilité, des rites spécifiques supposant des acteurs aussi
‘étonnants’ que les prophétesses ou des instruments particuliers comme
les chaudrons2. Selon César3, Strabon4, Tacite5, une zone allant du Rhin à
l’Elbe était globalement considérée comme habitée par des Germains ;
Strabon reconnaissait ne pas savoir grand chose de l’extrême nord-est, en
dépit des expéditions augustéennes dont il appréciait les apports scienti-
fiques. Cette qualité frontalière du Rhin est à l’évidence un héritage de la
réflexion césarienne ; dans les faits, il semble bien que le Rhin était une
voie de circulation entre les peuples plutôt qu’une frontière séparant les
Germains des Celtes, les Belges étant eux-mêmes considérés comme des
Germains qui étaient passés sur la rive gauche du fleuve6.
Les Gréco-romains ne connaissaient les Germains que dans la mesure
où les Romains s’en étaient approchés. Dans ce processus, les guerres
contre Cimbres et Teutons furent fondatrices, et pourtant, là encore, les
ambiguïtés ne manquaient pas. Salluste, Cicéron, Florus, Appien, Orose7
ont présenté les Cimbres comme des Celtes, alors que César et Strabon les
ont rangés parmi les Germains, suivis en cela par Plutarque et Tacite8 ;
auteurs de langue grecque ou latine se mêlent dans chacune de ces séries.
Leur origine géographique a cependant fait, à peu près, l’unanimité :
Cimbres et Teutons seraient venus du nord, d’une région difficilement
habitable du fait des forêts profondes que le soleil ne pouvait percer. Mais
les causes de leur migration et de leur rencontre avec Rome étaient plus
discutées. Strabon a réfuté l’idée qu’une marée exceptionnelle aurait chas-
1. VII.1.2.C290.
2. Strabon, VII.1.2.C290 et 3.C290-291 ; Tacite, Germ., IV, VI, VIII.2-3 et H., IV.LXI.3-5.
3. BG, I.31 et VI.24.
4. VII.1.3.C290 et 1.4-5.C292.
5. Germ., I.
6. César, BG, II.4.1-2 ; Tacite, Germ., XXVIII.1-2. Voir Günnewig (1998), p. 27.
7. Respectivement : Jug. 114 ; De prov. consul. 13 et De orat. II.66 ; III.4 ; frg. IV.2 ; V.16.15.
8. Respectivement : BG, I.33 ; VII.2.2-4.C293-294 ; Marius, 11 ; Germ., XXXVII.
348
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
349
IV. Diversité régionale
350
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
tenu les Arvernes contre les Éduens alliés de Rome : c’était là une raison
suffisante d’intervention, pour un Romain soucieux de la dignité et de la
majesté de Rome. Mais Arioviste avait reçu du Sénat, quand César était
consul en 59, le titre de rex et amicus, et la situation était donc plus com-
plexe qu’il n’y paraissait, un amicus des Romains attaquant un autre ami‐
cus. Le passage en Germanie fut bref. La capture de nombreux prison-
niers destinés à être ensuite vendus comme esclaves est plausible, mais
les textes signalent la destruction des récoltes, le ravage des habitations
par le feu, non un lourd butin qui n’eût pas manqué d’être évoqué s’il
avait existé1.
À partir d’Auguste, l’appétit de gloire ne s’éteignit pas. Les princes
n’ayant pas de légitimité permanente, ils devaient sans cesse prouver leur
efficacité, leur accord avec les dieux, mettre en évidence des victoires et
des conquêtes. La gloire n’était pas toujours liée à des opérations militai-
res : les ambassades, comme celle des Cimbres reçue par Auguste en
5 ap. J.-C.2, ou les séjours prolongés de princes étrangers à Rome comme
ce fut le cas pour Marobode3, voire la fidélité indéfectible de chefs tel le
Chérusque Ségeste4, attestaient également le rayonnement de Rome et de
ses princes. Mais il est tout à fait certain, quand on considère une chrono-
logie des opérations militaires en Germanie, qu’Auguste a eu la volonté
de soumettre les peuples germaniques. Le Rhin n’était pas considéré
comme une frontière naturelle : construire des ponts était parfaitement
possible – et César en avait installé un en 10 jours selon le Bellum Gallicum5
–, sans compter que des bacs permettaient le franchissement et que la
rigueur des hivers pouvait autoriser, certes fugacement et de manière
imprévisible, le passage à gué6.
L’organisation administrative locale était celle d’une phase de
conquête : les membres de la famille impériale envoyés sur place, ou les
légats d’Auguste propréteurs en charge des armées, rendaient également
la justice, s’occupaient des affaires civiles en général, comme tout gouver-
neur de province. Ce fut d’ailleurs le soin qu’il mit à accomplir ces tâches
qui fit taxer Varus d’imprudence ou d’inconscience7, mais il existe des
traces archéologiques d’installations romaines dans les zones qui
n’appartinrent pas aux Romains après 9 n. è. et la bataille de Teutoburg-
Kalkriese. Elles furent longtemps systématiquement interprétées comme
les restes de forts avancés installés par les chefs romains qui purent pen-
351
IV. Diversité régionale
dant quelques années s’imposer entre Rhin et Elbe. Dans certains cas as-
surément les fouilles appuient cette interprétation, comme à Haltern ;
mais il paraît désormais assuré que telle n’était pas la fonction de Wald-
girmes, conçu comme une agglomération civile dont l’exploration archéo-
logique a démontré l’originalité. La région était d’ailleurs alors source de
revenus pour Auguste, grâce à l’exploitation du plomb1.
En 9 ap. J.-C., le désastre de Varus fut un coup terrible, mais surmonté
sur le terrain : les Germains ne déferlèrent pas sur Rome, et Tibère reprit
très vite l’offensive, qui ne s’arrêta pas à la mort d’Auguste ; Germanicus
puis Drusus fils de Tibère, puis Corbulon et enfin Domitien, Trajan et
Antonin le Pieux continuèrent à agrandir le domaine romain vers le nord-
est. Des études récentes ont en effet montré que, dans le sud de la Germa-
nie supérieure, les Champs Décumates ont connu des développements
après Domitien, alors que les installations entre Rhin et Danube étaient
généralement attribuées au dernier Flavien. Les établissements militaires
ont été déplacés vers l’est dans la seconde moitié du règne de Trajan, vrai-
semblablement juste après la conquête de la Dacie et en connexion avec la
réorganisation des frontières nord de l’empire, liée à cette dernière exten-
sion du monde romain ; sous Antonin encore, le « limes » fut avancé. Cette
progression vers l’est des installations militaires alla de pair avec la mul-
tiplication des installations civiles et l’organisation des cités, vici, villae, en
deçà du « limes »2.
Les légats d’Auguste propréteurs en Germanie, toujours de rang consu-
laire, ne pouvaient être soumis au légat de Gaule Belgique, qui n’était que
de rang prétorien, et l’interprétation de W. Eck3 est tout à fait convain-
cante : il y eut, aux yeux de Rome, une seule Germanie en phase de
conquête, organisée civilement et militairement par des membres de la
famille impériale ou par des légats, jusqu’à ce que Domitien, sans doute
en 85, organise deux provinces et proclame ipso facto la conquête achevée
– ce qui n’empêchait assurément pas les opérations militaires ultérieures.
1. Eck (2007), p. 17-25 ; Wigg (1999), p. 40 ; Van Havre (2006), p. 106. Pour les phases d’exploration
par terre ou mer, d’avancée jusqu’à l’Elbe, par exemple : Nicolet (1988) p. 82-94 et 100-101, Lae-
derich (2001), p. 23-101, Le Bohec (2009), p. 176-178.
2. Sommer (1999), p. 166-190.
3. (2004), p. 214-220, et (2007), 34-35. La date est discutée.
352
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
gauche du Rhin : leur rôle était alors de surveiller et protéger des autres
Germains les limites du monde romain1. Les Ubiens ne furent pas le seul
peuple ainsi déplacé : en 8 av. n. è., Tibère a installé des Sucambres et
Suèves sur le site de la future Xanten, et des Chattes qui devinrent des
Bataves sur l’île du Rhin2.
Germanie Inférieure
D’après M.-Th. Raepsaet-Charlier, « Vielfalt und kultureller Reichtum in den civitates Nieder-
germaniens », Bonner Jahrbücher 202/203, 2002/2003, p. 36.
1. Tacite, Germ., XXVIII.5 et Ann., XII.27.1. Eck (2004), p. 46-55 et (2007), p. 10, date cette installa-
tion de 19-18 av. n. è.
2. Suétone, Tib., IX.3. Bechert (2007), p. 18.
353
IV. Diversité régionale
Germanie supérieure
D’après É. Frézouls (éd.), Les Villes antiques de la France. Germanie supérieure 1 : Besançon,
Dijon, Langres, Mandeure, AECR, Strasbourg, 1988
354
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
La fondation chez les Ubiens d’un autel équivalent à celui des Trois
Gaules intervint au tout début de l’installation romaine sur le Rhin1. Sous
Claude, la succession de hasards qui unit un prince né à Lyon avec une
princesse née dans la civitas Ubiorum offrit l’occasion de nouveaux déve-
loppements : une colonie romaine fut fondée, et la nouvelle cité nommée
Colonia Claudia Ara Agrippinensium/Cologne reçut le privilège du ius itali‐
cum ; sous un nom que nous ignorons, l’autel des Ubiens, antérieur à la
fondation de la colonie, demeura dans cette cité d’importance régionale
où siégeait le légat impérial : en 50, Cologne était ainsi devenue l’exact
équivalent de Lyon pour le nord de l’empire2. Il est bien évident qu’en
tout cela, les Romains agissaient de leur propre mouvement, prenant soin
de leur gloire et des exigences de leur tranquille domination ; entre autres
avantages, la déduction d’une colonie romaine, accroissant le nombre de
citoyens romains, pouvait favoriser le recrutement légionnaire local –
phénomène observé surtout à partir du IIe s. Pour autant, cela ne signifie
pas que les sentiments et intérêts des peuples soumis aient été contrariés :
à partir d’Auguste, certes, l’empire fut conçu comme une entité territo-
riale, mais l’exemple des Ubiens justement met en évidence que des liens
personnels existaient entre les princes et les peuples et cités. Nous ne
connaissons pas de liens de clientèle entre Agrippine et les Ubiens, et
l’insistance sur cette naissance ‘germanique’ d’Agrippine est tout à fait
remarquable : née quand son père Germanicus faisait campagne pour
venger les morts du désastre de Varus, cette femme de la plus haute aris-
tocratie romaine rapprochait les Ubiens de la dynastie Julio-Claudienne.
Vers 85, les légats de province siégeant à Mayence et Cologne prenaient
en fait sans rupture la succession des anciens ‘légats d’Auguste propré-
teurs pour les armées’ de Germanie supérieure ou inférieure, et cette pro-
vincialisation passe donc pour nous à peu près inaperçue dans les sour-
ces. Ces provinces ne couvraient assurément pas l’étendue de la Germania
Magna, qui regroupait tous les peuples dits germaniques. Il ne paraît pas
vraisemblable que les autorités romaines aient pu tenter de faire croire à
une occupation totale, simplement en nommant ‘Germanies’ ces circons-
criptions administratives : Germanicus fut ajouté à la titulature de Nerva et
Trajan en novembre 97, de Marc Aurèle en 172, et de Commode en 182,
avec en outre l’adjectif maximus pour ce dernier ; ces surnoms ne pouvant
commémorer des victoires remportées sur des rebelles intérieurs, ils met-
taient en évidence l’existence de la Germanie libre.
Domitien n’eut pas plus que ses prédécesseurs le souci de l’homo-
généité ethnique des nouvelles provinces : en Germanie supérieure, les
Lingons, les Séquanes, les Helvètes et les Rauraques étaient des Celtes.
1. Eck (2004), p. 85-91 et (2007), p. 12-16, propose entre 7 av. J.-C. et 9 ap. J.-C.
2. Eck (2004), p. 132-137 et Haensch (1997), p. 73.
355
IV. Diversité régionale
Les Trévires et les Nerviens, peuples qui revendiquaient une origine ger-
manique selon Tacite, mais classés parmi les Gaulois par César1, n’étaient
pas en Germanie inférieure mais en Gaule Belgique ; en revanche
Mayence, vraisemblablement installée à l’origine sur une portion du terri-
toire trévire, était la capitale de la Germanie supérieure tout en possédant
une population à l’onomastique largement celtique2. Les Romains ne
semblent pas s’être heurtés au mécontentement des Celtes inclus dans les
Germanies, et les Lingons par exemple participèrent en 70 à la révolte de
Civilis aux côtés des Ubiens, Bataves, Bructères et Tenctères ; en fait,
l’appartenance d’une cité à une province n’empêchait pas des liens très
étroits avec une autre : les Séquanes et les Helvètes, qui passèrent ainsi de
Lyonnaise en Gaule Belgique puis en Germanie supérieure, continuèrent à
envoyer des représentants à l’autel des Trois Gaules3. L’existence des au-
tels provinciaux, leur rôle, sont des questions complexes, la tenue de
concilia regroupant les représentants des cités de la – ou des – province(s)
concernée(s) contribuant de toute évidence à nouer des liens intraprovin-
ciaux entre les notables des diverses cités, et extraprovinciaux entre ces
mêmes notables et les instances supérieures de l’empire. Que l’autel de
Cologne fut provincial est indéniable et il est vraisemblable que, jusque
sous Domitien, son rayonnement s’étendait sur toute la Germanie ro-
maine ; en revanche, à Arae Flaviae/Rottweil en Germanie supérieure, au-
cun élément ne permet de connaître le culte organisé à ces autels flaviens4.
La dimension d’une province, sa démographie, pesaient sur le plan
administratif : le prestige et les tournées des gouverneurs, les tâches des
procurateurs, en étaient modifiés. De telles considérations ont pu s’ajouter
à des intentions plus ‘diplomatiques’ ou ‘stratégiques’, que l’on a souvent
supposées à l’origine des découpages provinciaux : tant que l’empire était
conçu comme une puissance exercée grâce à de multiples liens de patro-
nage, supposant un effort pour aider l’aristocratie locale amie de Rome à
s’imposer et à se maintenir comme prédominante chez elle, il pouvait être
nécessaire de séparer des entités susceptibles de se heurter, ou de rassem-
bler celles qui s’épaulaient et soutenaient Rome. Cependant, les provinces
furent parties prenantes du pouvoir romain dès Auguste, de manière plus
évidente sous les Flaviens, et avec éclat sous les Antonins5. Les découpa-
ges répondirent alors surtout à un souci de stabilité : la désignation des
gouverneurs dépendait de principes hiérarchiques précis, et il fallait mé-
356
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
Organisations civiques
357
IV. Diversité régionale
très difficile de rétablir les chronologies. Par exemple la cité des Bataves,
apparemment constituée par Drusus ou Tibère, reçut de Trajan le nom
Ulpius, et devint alors – ou un peu plus tard – un municipe ; celle de leurs
voisins Cannanefates, qui ne semble pas avoir existé avant Claude, reçut
une promotion vraisemblablement sous Hadrien.
La création de colonies romaines ou latines, qui implantait des popula-
tions nouvelles venues du monde militaire, n’était pas incompatible avec
l’octroi d’un statut à des communautés anciennes voisines : ainsi la colonia
Iulia Equestris/Nyon avait été établie en 45/44 par César sur un morceau
du territoire des Helvètes, qui furent eux-mêmes reconnus comme civitas
par Drusus ; puis l’installation en 16 ou 17 ap. J.-C. d’un camp légionnaire
à Vindonissa priva d’une autre partie de son territoire cette cité dont
l’agglomération principale (Avenches) reçut alors le nom de Forum Tiberii,
avant de devenir colonie sous Vespasien1. De même, la colonia Augusta
Rauracorum/Augst a été fondée sur une partie du territoire des Rauraques
en 44/43 av. J.-C. par Munatius Plancus, et refondée par Auguste peu
après 15 av. J.-C. alors que la cité des Rauraques a continué d’exister au
moins jusqu’au milieu du IIe s.2. En Germanie inférieure, la fondation en
50 de la colonie des Agrippiniens a laissé des Ubiens non citoyens ro-
mains et non Agrippiniens, dans des conditions que nous comprenons
mal, sans que cela ait suscité, semble-t-il, de mécontentement ; le vaste
territoire de Cologne a sans doute été encore accru à la fin de la révolte de
Civilis, par adjonction du territoire des Sunuci3 ; la colonia Ulpia Traiana
fondée chez les Cugernes par Trajan en 98 avant son départ du Rhin vers
Rome, semble en revanche avoir intégré les habitants de l’ancienne cité, et
d’autres populations comme les Baetasii4.
Globalement, il paraît possible d’affirmer que les cités pour lesquelles
nous disposons de quelques informations, quel que soit leur statut,
avaient des institutions très comparables à celles que nous trouvons dans
le reste du monde romain occidental : des décurions formant l’ordo de la
cité, des magistrats intitulés questeurs, édiles, duumvirs iure dicundo, des
prêtres appelés sacerdotes, des sévirs augustaux, parfois des haruspices,
des augures et des pontifes. C’était par des détails que se distinguaient les
institutions civiques : ainsi, le magistrat suprême de la cité pérégrine des
Helvètes était un magister, titre qui peut avoir été une traduction d’un
terme gaulois, et la colonia Iulia Equestris avait, sans doute au début de son
histoire, en cas de défection des magistrats suprêmes, un interrex qui sem-
358
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
ble avoir ensuite laissé la place à un préfet produumvir1. Chaque cité était
en fait bien individualisée, avec un panthéon particulier et un calendrier
spécifique, qui ne concernait évidemment pas la seule agglomération
principale : Villars d’Héria, site naturel de montagne sur le territoire des
Séquanes, était ainsi un lieu de culte public, où les magistrats de la cité
jouaient un rôle, et où a été retrouvé un fragment d’un calendrier gaulois
« symbole de l’identité de la cité » selon J. Scheid2.
Les dédicaces retrouvées ne suffisent pas pour dresser la liste des divini-
tés publiques d’une cité : ainsi les 563 documents provenant de la Colonia
Claudia Ara Agrippinensium sont difficiles à interpréter puisque 130 pierres
proviennent du camp de la légion I Minervia de Bonn, et que les dédicaces
privées sont les plus nombreuses. Selon l’étude de J. Scheid3 cependant, les
cultes des divinités romaines Jupiter, Junon, Apollon, Isis et Sérapis, Diane,
Mercure ont été implantés par les citoyens de la colonie à Cologne, où le
culte des Matrones, culte précolonial très répandu correspondant sans
doute à une répartition du peuple en curies, a fait lui aussi partie des cultes
constitutifs de la cité. Les décurions de cette colonie romaine, en décidant
du panthéon de leur cité, ont démontré leur romanité et tenu compte des
anciennes divinités du lieu et du peuple4. Ils étaient en cela fidèles à la
tradition civique insistant sur la cohésion et l’autonomie d’une population
et de son territoire, et se conformaient aux coutumes des Romains de Rome
qui concevaient parfaitement les Génies des lieux, accueillaient officielle-
ment de nouvelles divinités et offraient des honneurs aux divinités locales
rencontrées sur les territoires qu’ils administraient.
Cette atomisation des Germanies en cités aux cultes caractéristiques al-
lait de pair avec l’apparition de pratiques communes, inconnues pendant
la période préromaine : citons par exemple l’érection de colonnes surmon-
tées de statues dites ‘du cavalier à l’anguipède’, offertes à Jupiter5.
Leur adoption rapide par des aristocrates locaux est attestée par de
nombreux témoignages. Ce ne fut peut-être pas sans conséquences sur les
désordres internes aux peuples germaniques – les récits à propos
d’Arminius et Ségeste mettent bien en relief que les désaccords quant à
l’attitude à adopter face à Rome s’ajoutaient aux rivalités internes ancien-
359
IV. Diversité régionale
360
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
361
IV. Diversité régionale
362
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
ressorts de cet épisode, qui paraît autant – si ce n’est plus – lié à des prises
de position partisanes à l’intérieur du monde romain que l’expression
d’une volonté d’indépendance. Ainsi, le prestigieux statut colonial attri-
bué par Vespasien à la cité des Helvètes pourrait être un témoignage de sa
reconnaissance aux notables d’Avenches, qui avaient été décimés pendant
l’insurrection1.
La réduction du nombre des légions, à 3 par province vers 90 puis 2 au
IIe siècle, peut être interprétée comme une diminution de la menace de la
part des peuples de la Germanie libre ; il existait d’ailleurs des échanges
commerciaux, diplomatiques et militaires entre la Germanie libre et
Rome2. Mais, symboliquement, les Germains d’au-delà du Rhin furent
toujours considérés comme emblématiques du « Barbare ». Entre 37 et 41,
une émission monétaire illustrant l’expédition de Germanicus avec
SIGNIS RECEP(tis)/DEVICTIS GERM(anis) au revers, faisait des Germains
un équivalent des Parthes auprès desquels Tibère, à la suite de tractations
diplomatiques, récupéra en 20 av. J.-C. les enseignes perdues par Crassus
33 ans auparavant3. Ainsi, l’est et le nord de l’empire se faisaient écho,
montraient la fragilité de Rome, soulignaient la nécessité de maintenir la
vigilance, d’affirmer une fidélité aux vertus antiques qui avaient permis la
domination romaine4. Un siècle et demi plus tard, sur la colonne auré-
lienne, ce sont encore des Germains qui figurent les barbares vaincus par
la puissance romaine. Et pourtant, dès les débuts de l’Empire, ce furent
des Bataves qui constituèrent la garde particulière des princes : une fois
dans l’empire, un peuple dit ‘barbare’ perdait cette qualité ; jamais en effet
les textes n’utilisent ce terme pour qualifier un peuple germanique inclus
dans le monde romain – à moins qu’il ne se révolte. Dès Auguste, les pro-
vinces de Rome avaient reçu de l’attention de la part des princes, et leur
rôle à l’intérieur de l’empire fut magnifié par Hadrien, qui émit des mon-
naies et fit sculpter des allégories de toutes les régions de l’empire ; la
Germanie figure en bonne place dans ces représentations5.
Conclusion
363
IV. Diversité régionale
monde romain parlaient des langues apparentées entre elles et avaient des
mœurs jusqu’à un certain point comparables, il est tout aussi certain que
les termes de ‘Germains’, ‘Germanie’, ‘germanique’, reflètent une manière
bien romaine de voir ces populations. Pour Rome, certains de ces peuples –
inclus dans les provinces – étaient devenus romains et semblables à toutes
les autres composantes du monde romain, tandis que ceux qui étaient res-
tés hors de la domination romaine continuaient à représenter ‘l’autre’, le
barbare. Le degré de ‘civilisation’ ou de ‘barbarie’ était indépendant de
l’ethnie : il dépendait du mode de vie, et surtout de la qualité juridique.
Bibliographie
• Alföldy (2005) : ALFÖLDY, G., « Die Inschriftenkultur. Lesen und Schreiben in der
Provinz », dans Imperium romanum. Roms Provinzen an Neckar, Rhein und Donau, Be‐
gleitband zur Ausstellung des Landes Baden‐Würtemberg im Kunstgebaüde Stuttgart
2005‐2006, Herausgegeben vom Archäologischen Landesmuseum Baden-
Würtemberg, 2005, p. 110-116.
• Barral et alii (2007) : BARRAL, Ph., et alii, « Epomanduodurum, une ville chez les
Séquanes : bilan de quatre années de recherche à Mandeure et Mathay (Doubs) »,
Gallia 64, 2007, p. 353-451.
• Bechert (2007) : BECHERT, T., Germania Inferior. Eine Provinz an der Nordgrenze des
Römischen Reiches, Zabern, Mayence, 2007, 167 p.
• Burns (2009) : BURNS, Th., Rome and the Barbarians. 100 B.C.‐A.D.400, Baltimore
Maryland, 20092 (1re éd. 2003), 461 p.
• David (2000) : DAVID, J.-M., La République romaine, de la deuxième guerre punique à la
bataille d’Actium, Nouvelle histoire de l’Antiquité 7, Paris, 2000, 304 p.
• Demougin ((1992) : DEMOUGIN, S., Prosopographie des chevaliers romains Julio‐
claudiens, Rome, 1992.
• Dubuisson (2001) : DUBUISSON, M., « Barbares et barbarie dans le monde gréco-
romain : du concept au slogan », L’Antiquité Classique 70, 2001, p. 1-16.
• Eck (2004) : ECK, W., Köln in römischer Zeit. Geschichte einer Stadt im Rahmen des
Imperium Romanum, Cologne, 2004, 858 p.
• Eck (2005) : ECK, W., La Romanisation de la Germanie, Errance, Paris, 2007, 102 p.
• Fishwick (2002 a) : FISHWICK, D., The Imperial Cult in the latin West, 3.1, Brill,Leiden-
Boston, 2002, 250 p.
• Fishwick (2002 b) : FISHWICK, D., The Imperial Cult in the Latin West, 3.2, Brill, Lei-
den-Boston, 2002, 324 p.
• France (2001) : FRANCE, J., « Remarques sur les tributa dans les provinces nord-
occidentales du Haut Empire romain (Bretagne, Gaules, Germanies) », Latomus
60.2, 2001, p. 359-379.
• Frei-Stolba (1999) : FREI-STOLBA, R. et alii, « Recherches sur les institutions de
Nyon, Augst et Avenches », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier
dir., Cités, Municipes, Colonies. Les processus de municipalisation en Gaule et en Germa‐
nie sous le Haut Empire romain, Paris, 1999, p. 29-95.
• Frézouls (1988) : FRÉZOULS dir., Les Villes antiques de la France. Germanie supérieure
1 : Besançon, Dijon, Langres, Mandeure, AECR, Strasbourg, 1988, 507 p.
364
Peuples et cités des Germanies sous le Principat
365
IV. Diversité régionale
• Scheid (1981) : SCHEID, J., « Sanctuaires et territoire dans la colonia Augusta Treve-
rorum », dans Les Sanctuaires celtiques et leurs rapports avec le monde méditerranéen,
Paris, 1981, p. 42-52.
• Scheid (1999) : SCHEID, J., « Aspects religieux de la municipalisation. Quelques
réflexions générales », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier dir., Ci‐
tés, Municipes, Colonies. Les processus de municipalisation en Gaule et en Germanie sous
le Haut Empire romain, Paris, 1999, p. 381-423.
• Scheid (2006 a) : SCHEID, J., « Les dévotions en Germanie inférieure : divinités,
lieux de culte, fidèles », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier dir.,
Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident romain, Bruxelles,
2006, p. 297-323.
• Scheid (2006 b) : SCHEID, J., « Paysage religieux et romanisation. Quelques ré-
flexions en guise de conclusion », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-
Charlier dir., Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident ro‐
main, Bruxelles, 2006, p. 439-448.
• Schmidts (2005) : SCHMIDTS, Th., « Göttliche Herrscher. Die Kaiser und ihre Vere-
hrung in der Provinz », dans Imperium romanum. Roms Provinzen an Neckar, Rhein
und Donau, Begleitband zur Ausstellung des Landes Baden‐Würtemberg im Kunstge‐
baüde Stuttgart 2005‐2006, Herausgegeben vom Archäologischen Landesmuseum
Baden-Würtemberg, 2005, p. 123-129.
• Sommer (1999) : SOMMER, C.S., « From conquered territory to Roman province :
recent discoveries and debate on the Roman occupation of SW Germany », dans J.
D. Creighton et R. J. A. Wilson dir., Roman Germany. Studies in cultural interaction,
Journal of Roman Archaeology supp. 32, Portsmouth – Rhode Island, 1999, p. 160-
198.
• Stupperich (1995) : STUPPERICH, R., « Bemerkungen zum römischen Import im
sogenannten Freien Germanien », dans G. Franzius dir., Aspekte römisch‐
germanischer Beziehungen in der Frühen Kaiserzeit. Vortragsreihe zur Sonderausstellung
“Kalkriese – Römer im Osnabrücker Land” 1993 in Osnabrück, Osnabrück, 1995, p. 45-
98.
• Van Andringa (2006) : VAN ANDRINGA, W., « Un grand sanctuaire de la cité des
Séquanes : Villards d’Héria », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier
dir., Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident romain,
Bruxelles, 2006, p. 121-134.
• Van Havre (2006) : VAN HAVRE, G., « Religion et municipalisation en Bretagne
romaine », dans M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier dir., Sanctuaires, pra‐
tiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident romain, Bruxelles, 2006, p. 99-
118.
• Völling (2005) : VÖLLING, Th., Germanien an der Zeitenwende. Studien zum Kulturmo‐
del beim Übergang von der vorrömische Eisenzeit zur alterer römischer Kaiserzeit in der
Germania Magna, BAR International Series 1360, 2005.
• Wigg (1999) : WIGG, A., « Confrontation and interaction: Celts, Germans and Ro-
mans in the Central German Highlands », dans J. D. Creighton et R. J. A. Wilson
dir., Roman Germany. Studies in cultural interaction, Journal of Roman Archaeology
supp. 32, Portsmouth – Rhode Island, 1999, p. 35-53.
366
Villes et agglomérations secondaires
de la Bretagne romaine
Patrick Galliou
Professeur émérite à l’université de Bretagne Occidentale (Brest)
Les fondations romaines les plus indiscutables sont bien sûr les trois co‐
loniae de Colchester (vers 49 apr.), Lincoln (vers 83 apr.) et Gloucester (vers
90-96 apr.)3. La première, Colonia Claudia [ ?] Victricensis Camulodunensium,
fut créée sur le site d’une ancienne forteresse légionnaire, abandonnée en
367
IV. Diversité régionale
D’après J. Wacher
Claude lui-même vint y recevoir, en août 43, la soumission de onze re‐
ges, au nombre desquels se trouvaient Prasutagus, roi des Iceni, et Carti-
mandua, reine des Brigantes2, et l’on y édifia par la suite, peut-être même
de son vivant3, un temple en son honneur4. La seconde, Colonia [Domitiana]
Lindensium, fut établie, vers la fin du principat de Domitien, sur une crête
de calcaire dominant la rivière Witham, à l’emplacement d’une forteresse
édifiée par la légion IX Hispana puis occupée, jusqu’à son évacuation, à la
fin des années 70, par la II Adiutrix5. Le site où fut bâtie la ville ne paraît
avoir été fréquenté que de façon sporadique avant l’époque romaine, mais
l’une des principales places des Coritani, sur le territoire desquels elle fut
368
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
369
IV. Diversité régionale
370
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
D’après J. Wacher
371
IV. Diversité régionale
D’après J. Wacher
L’histoire des deux siècles suivants montre sans aucun doute que c’était
là se bercer d’illusions et que Rome fut contrainte de pousser ses armées
bien au-delà de cette première frontière, sans toutefois que l’implantation
de nouvelles villes et agglomérations secondaires suive cette avancée mili-
taire, à l’exception notable du Sud et de l’Est du Pays de Galles (territoire
372
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
D’après J. Wacher
Pourtant les collines du Nord (Nord de l’Angleterre, chaîne des Penni-
nes) et celles de l’Ouest (Nord du Pays de Galles, péninsule du Sud-
Ouest) (Highland Britain), économiquement peu évoluées et occupées par
373
IV. Diversité régionale
1. La carte de répartition des agglomérations secondaires de Bretagne, donnée par Rodwell et
Rowley (1975, fig. 1) est très significative à cet égard.
374
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
mium, dont les citoyens les plus importants emportaient dans la tombe
objets et amphores vinaires venus du monde romain1.
C’est dans ce contexte marqué par l’influence de Rome qu’apparurent,
vers 20 av., les premiers éléments d’une régulation de l’espace bâti, attes-
tée, à Silchester, par l’édification de bâtiments en bois le long de rues recti-
lignes délimitant des îlots2. Les niveaux anciens des autres villes étant mal
connus, on ne sait toutefois pas s’il s’agit là d’une tentative isolée ou si ces
pratiques architecturales s’étaient largement répandues dans la région dès
avant la conquête claudienne.
On s’est, en revanche, longtemps accordé à penser que la très grande
majorité des capitales de civitates, et sans doute la plupart des aggloméra-
tions secondaires de Bretagne, trouvaient leur origine, non dans un éta-
blissement natif antérieur à la Conquête, mais dans des fondations
d’époque romaine, selon un processus évolutif en quatre temps, dont les
étapes paraissaient avoir été mises en évidence sur bon nombre de sites3.
La première se caractérisait par l’édification, sous le règne de Claude ou
de Néron, de forts destinés à contrôler militairement des territoires ré-
cemment conquis ; un second temps voyait la naissance et l’expansion, à
proximité de la fortification, d’un vicus civil où venaient s’agréger mar-
chands et dispensateurs (-trices) des plaisirs divers que requéraient le
bien-être et le délassement des soldats de la garnison ; celle-ci ayant défi-
nitivement quitté la place afin de prendre part aux expéditions de répres-
sion et/ou de conquête qui marquèrent le règne de Néron et surtout celui
des Flaviens, le vicus continuait de se développer, étant devenu, pour les
habitants des campagnes environnantes, l’indispensable marché où pou-
vaient être vendues leurs productions excédentaires et achetés denrées et
objets qu’ils ne produisaient pas ; choisi pour sa particulière prospérité ou
pour des raisons politiques qui nous échappent, ce vicus était enfin promu
au rang de chef-lieu de civitas et réorganisé à partir d’une trame viaire
orthogonale découpant des insulae propres à recevoir des bâtiments pu-
blics et privés, alors que ses voisins, moins bien pourvus ou jouissant
d’une moindre notoriété, conservaient leur statut et leur plan primitifs. Ce
modèle simple, qui constitua la doxa jusqu’aux années 1970, semble certes
avoir été mis en évidence dans sept chefs-lieux de civitates (Carmarthen,
Chichester, Cirencester, Exeter, Leicester, Saint Albans, Wroxeter) au
moins, et plus d’une vingtaine d’agglomérations secondaires4 ; une étude
plus serrée des données, accompagnée de nouvelles fouilles, a toutefois
souvent reconnu une étape supplémentaire dans ce processus de déve-
375
IV. Diversité régionale
1. Ils sont généralement plus accessibles à la fouille, le site des chefs-lieux de civitates étant généra-
lement occupé par une ville moderne. Des mobiliers préromains ont cependant été aussi mis au
jour à Canterbury et Leicester (Webster, 1966, p. 31).
2. Rodwell, 1975, p. 93.
3. Rowley, 1975, p. 115.
4. Manley et al, 2005.
5. Niblett, 2001, p. 62-64.
6. Tacite, Annales, XIV, 32.
7. Fulford 2002, p. 160.
8. Wacher, 1975, p. 328 ; contra Fox, 1966, p. 49, qui le date des années 50 apr.
9. Perring, 1991, p. 19.
10. Le premier forum (« proto-forum » ou « pré-forum ») de la ville date des années 70 apr. : Mars-
den, 1987.
376
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
377
IV. Diversité régionale
découvrir sous les portiques, dans les thermes et le raffinement des fes-
tins. L’inexpérience leur faisait appeler civilisation ce qui amputait leur
liberté1 ». Comme ailleurs dans l’Empire, l’urbanisation fut ici l’une des
facettes d’une acculturation consciemment recherchée2 et plus ou moins
librement acceptée, destinée à prolonger, de façon pacifique, les opéra-
tions de conquête proprement dites en s’emparant tout d’abord des es-
prits de la classe dirigeante, puis, par un effet de percolation, de ceux du
vulgum pecus. Le développement des villes et des agglomérations se-
condaires dans le Sud-Est de la Bretagne et les Midlands, le rôle qu’elles
jouèrent dans la diffusion des modes et pratiques nouvelles dans leur
environnement immédiat, permettent ainsi d’apprécier le succès de cette
approche.
D’après J. Wacher
378
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
379
IV. Diversité régionale
cercle1. Un seul et unique cirque, enfin, a été mis en évidence dans l’île, au
sud de la colonia de Colchester2. La quasi-totalité de ces ensembles urbains
était, par ailleurs, pourvue d’un ou plusieurs sanctuaires, où étaient hono-
rées des divinités locales, comme le dieu Abandinus à Godmanchester3,
ou exotiques, comme Isis ou Mithra à Londres4. Dans cet ensemble relati-
vement uniforme, les agglomérations d’Aquae Sulis (Bath)5 et d’Aquae
Arnemetiae (Buxton), où le culte de divinités associées aux eaux vives se
doublait de pratiques curatives, peut-être destinées, à l’origine, aux lé-
gionnaires, tiennent bien sûr une place à part.
Toutes les villes précitées, grandes et petites, étaient, à l’origine, de type
ouvert et dépourvues de tout système défensif. Au cours de la seconde
moitié du second siècle, bon nombre d’entre elles, réparties dans le Sud et
l’Ouest de l’île, furent cependant entourées de fortifications terroyées,
mouvement que l’on a souvent associé à une révolte des tribus galloises,
bien qu’aucun texte ne nous renseigne sur ce soulèvement6.
La documentation épigraphique de la Bretagne romaine – ou tout du
moins de sa partie « civile » – étant très pauvre, nous sommes extrême-
ment mal renseignés sur ses élites sociales et politiques. Si l’on s’en tient à
ce que révèle l’étude d’autres provinces7, elles devaient, du moins jusqu’à
la fin du second siècle, pratiquer l’évergétisme et donc financer la cons-
truction de certains bâtiments urbains, bien que la plupart de ceux-ci pa-
raissent, néanmoins, être dus à la générosité de collectivités plutôt que
d’individus8. La relative prospérité de cette classe, dont témoigne la quali-
té de ses demeures urbaines, sensible à partir du règne des Flaviens et
plus encore dans la seconde partie du siècle suivant9, est très vraisembla-
blement liée aux activités commerciales et artisanales que connaissaient
villes et bourgades. Celles-ci, une fois l’impulsion créatrice donnée,
étaient en effet nécessaires à la survie de l’agglomération, dont le déve-
loppement ultérieur dépendait étroitement des ressources et de la richesse
potentielle du territoire dont elle occupait le cœur. Bon nombre de ces
380
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
381
IV. Diversité régionale
mis en œuvre par un grand propriétaire des environs1 et géré par ses es-
claves ou ses affranchis2.
Il faut donc admettre, au terme de cette étude nécessairement brève,
que les villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine ne
diffèrent guère de celles du Continent, dont elles possèdent, peu ou prou,
les principales caractéristiques canoniques, tant dans leur administration
que dans leur organisation spatiale et leur économie. Leur naissance, que
l’on a trop souvent rapportée à des décisions prises par les autorités pro-
vinciales ou à un contexte exclusivement militaire, apparaît, à la lumière
des études récentes, bien plus étroitement liée à leur environnement géo-
graphique et économique qu’on ne le pensait voici peu, et peut-être plus
encore à la présence, sur le site où beaucoup se développèrent,
d’établissements de statut élevé de La Tène finale, où se trouvaient déjà
réunies les élites sociales et les conditions économiques nécessaires au
développement, à l’époque romaine, des villes et agglomérations se-
condaires. Leur répartition géographique globale montre bien, d’ailleurs,
que le fait urbain concerne presque exclusivement, en Bretagne, les zones
au relief peu élevé des Midlands et du Sud-Est, largement ouvertes aux
influences continentales dès le siècle précédant la conquête claudienne.
Leur rôle, dans la diffusion vers les campagnes de modes et pratiques
importées, bien qu’indéniable3, est de mise en évidence délicate, même si
le nombre et la richesse des villae concentrées autour des villes romaines
de l’Ouest de l’Angleterre (Bath, Cirencester, Gloucester, etc.)4 témoignent
sans aucun doute de l’étroitesse des liens économiques entre mondes ur-
bain et rural5, phénomène déjà observé voici plus de deux siècles par
Adam Smith, pour d’autres lieux et d’autres temps6.
Bibliographie
• BARRETT A., 1991, « Claudius’ British Victory Arch », Britannia, 22, p. 1-19.
• BATEMAN N., 1997, « The London Amphitheatre: Excavations 1987-1996 », Britan‐
nia, 28, p. 51-85.
• BIRLEY A., 1988, The People of Roman Britain, Londres, (réed.).
382
Villes et agglomérations secondaires de la Bretagne romaine
• BLAGG T., 1980, « Roman Civil and Military Architecture in the Province of Britain:
Aspects of Patronage, Influence and Craft Organization », World Archaeology, vol.
12, n° 1, p. 27-42.
• BLAGG T., 1989, « Art and Architecture », dans M. Todd (éd.), Research on Roman
Britain, 1960‐1989, Londres, p. 203-217.
• BLAGG T., 1990, « Architectural Munificence in Britain: the Evidence of Inscrip-
tions », Britannia, 21, p. 13-31.
• BRANIGAN K., 1976, The Roman Villa in South‐West England, Bradford-on-Avon.
• CRUMMY Ph., 1982, « The Origins of Some Major Romano-British Towns », Britan‐
nia, 13, p. 125-134.
• CRUMMY Ph., 2006, « The Circus Comes to Britannia », Current Archaeology, n°201,
p. 468-475.
• CUNLIFFE B., 1978, Iron Age Communities in Britain, Londres.
• CUNLIFFE B., 1985-1988, The Temple of Sulis Minerva at Bath, 2 vols., Oxford.
• CUNLIFFE B., 1995, Iron Age Britain, Londres.
• DUMASY F., 1975, « Les édifices théâtraux de type gallo-romain : essai d’une défini-
tion », Latomus, XXXIV, 4, p. 1010-1019.
• FINCHAM G., 2004, Durobrivae, a Roman Town between Fen and Upland, Stroud.
• FISHWICK D., 1995, « The Temple of Divus Claudius at Camulodunum », Britannia,
26, p. 11-27.
• FOX A., 1966, « Roman Exeter (Isca Dumnoniorum): Origins and Early Develop-
ment », dans J. Wacher (éd.), The Civitas Capitals of Roman Britain, Leicester, p. 46-
51.
• FRERE S., 1967, Britannia. A History of Roman Britain, Londres.
• FRERE S., 1975, « The Origin of “Small Towns” », dans Rodwell W. et T. Rowley T.
(éds.), Small Towns of Roman Britain, Oxford, p. 4-7.
• FRERE S., 1984a, « British Urban Defences in Earthwork », Britannia, 5, p. 63-74.
• FRERE S., 1984b, « The Early Development of the Cities of Roman Britain », dans
Revue archéologique de Picardie, vol. 3, n° 1, p. 11-17.
• FRÉZOULS E., 1984, « Evergétisme et construction urbaine dans les Trois Gaules et
les Germanies », Revue du Nord, LXVI, n° 206, p. 27-54.
• GALLIOU P., 2005, L’Armorique romaine, Brest.
• GOODCHILD R., 1946, « The Origins of the Romano-British Forum, Antiquity, 20,
p. 70-77.
• GREEN H., 1975, « Roman Godmanchester », dans Rodwell W. et Rowley T. (éds.),
Small Towns of Roman Britain, Oxford, p. 183-210.
• HULL R., 1963, The Roman Potters’ Kilns of Colchester, Oxford.
• LEACH P. (éd.), 1994, Ilchester, volume 2. Archaeology, Excavations and Fieldwork to
1984, Sheffield.
• MANLEY, J. et al., 2005, « A Pre-AD. 43 Ditch at Fishbourne Roman Palace, Chiches-
ter », Britannia, 36, p. 55-99.
• MARSDEN P., 1987, The Roman Forum Site in London, Londres.
• MILNE G., 1985, The Port of Roman London, Londres.
• NIBLETT R., 2001, Verulamium, the Roman City of Saint Albans, Stroud.
• PERRING D., 1991, Roman London, Londres.
• R.I.B. = Collingwood, R. et Wright, R., 1965, The Roman Inscriptions of Britain. Vol. 1
The Inscriptions on Stone, Oxford.
• RICHMOND I., 1966, « Industry in Roman Britain », dans J. Wacher (éd.), The Civitas
Capitals of Roman Britain, Leicester, p. 76-86.
383
IV. Diversité régionale
384
Histoire romaine
Il faut louer le jury d’Agrégation d’avoir enfin proposé une question qui fait
appel à l’intelligence historique des étudiants : « Rome et l’Occident ». Il faut
aussi complimenter les auteurs de la bibliographie dite « officielle » qui ont
Rome et les provinces de l’Occident de 197 av. J.-C. à 192 ap. J.-C.
fourni un travail considérable pour les aider.
Mais qui dit « intelligence » dit « difficulté », et la difficulté, dans ce cas, vient
de la conjonction de coordination « et ». Que signifie-t-elle ici ? D’un point
de vue simplement grammatical, elle unit deux mots. Ici, elle unit deux ac-
tions, et celles-ci vont en sens contraire ; on peut aussi dire qu’elles consti-
tuent, si l’on préfère, une action et une réaction. D’une part, il y eut action
de Rome vers l’Occident : conquête, organisation de cette conquête, entente
avec les populations. D’autre part, il y eut réaction des provinciaux. Les uns
ont tout refusé en bloc, comme Vercingétorix ou Boudicca ; d’autres se sont
résignés ; d’autres encore ont accueilli les changements avec plus ou moins
d’enthousiasme. Par la suite, ces derniers ont plus ou moins intégré la ro-
manité, et plutôt plus que moins, dans leur vie quotidienne, leurs activités
économiques, leur organisation sociale, leurs pratiques culturelles et reli-
QUESTIONS D’HISTOIRE
gieuses.
Et il n’est pas possible d’étudier les conquérants sans tenir compte des
conquis ; il n’est pas possible d’étudier les transformations en faisant abs-
ROME ET LES PROVINCES
traction de ceux qui les veulent, de ceux qui les refusent et de ceux qui les
subissent. DE L’OCCIDENT
Cet ouvrage cherche à simplifier le travail des étudiants en leur proposant
des articles couvrant tous les aspects du sujet, en leur indiquant des pistes DE 197 AV. J.-C. À 192 AP. J.-C.
pour ne rien négliger d’une question plus complexe qu’il n’y paraît.
9HSMIOC*heejdj+ 25 €
ISBN 978-2-84274-493-9
EDITIONS
DU TEMPS