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L'Homme et la société

Socialisme ou capitalisme d'État


Guy Dhoquois

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Dhoquois Guy. Socialisme ou capitalisme d'État. In: L'Homme et la société, N. 21, 1971. Colloque de Cabris : sociologie et
révolution. pp. 211-218.

doi : 10.3406/homso.1971.1446

http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1971_num_21_1_1446

Document généré le 25/09/2015


socialisme ou

capitalisme d'état1

GUY DHOQUOIS

L'alternative Socialisme ou Barbarie est déjà ancienne dans le marxisme/


Pendant longtemps la barbarie fut plutôt synonyme d'écroulement des forces
productives et de la civilisation. La revue Socialisme ou Barbarie a commencé
de montrer que la Barbarie pouvait prendre d'autres formes. Le thème
unificateur de ce colloque lui-même a été, à mon sens, de dissocier le
socialisme de formes sociales qui s'efforcent d'en prendre l'apparence et qui
en sont tout le contraire. Elles culminent, me semble-t-il, dans un mode de
production qu'on peut appeler le capitaUsme d'Etat (1).
Cette dénomination provient d'une part du fait que la forme
d'exploitation est la même que dans le capitalisme classique (elle consiste dans la vente
de la force de travail) et d'autre part du fait que la propriété des moyens de
production est publique, ce qui permet la centralisation de la plus-value.
L'étude de ce mode de production est difficile car il est largement à
notre avenir et ne me semble pleinement réalisé nulle part. Mais elle est
d'autant plus importante car U s'agit d'un avenir qu'il faut éviter pendant
qu'U est encore temps..
Il faut remarquer du reste qu'il y a toute une tradition de critique du
capitalisme d'Etat dans le marxisme (2). Dès 1918, en Russie dans le numéro
deux du kommunist, le « communiste de gauche » Osinsky écrivait r « Le
socialisme et l'organisation socialiste doivent être mis en place par le

(1) Cet article ne fait qu'esquisser quelques points qui sont étudiés avec plus de détail dans mon livre,
Pour l'Histoire, Anthropos, Paris 1971.
Le Nouveau
(2) En dehors
Leviathan
de monIII,livre
Anthropos,
cité, on trouvera
Paris 1970
une; P.
orientation
Souyri, Lebibliographique
marxisme aprèsprécieuse
Marx, Flammarion,
dans P. Naville,
Paris 1970 ; F. Charlier, l'Union Soviétique et les pays de l'est : capitalisme ou socialisme T , Cahier rouge,
nouvelle série internationale, N. 1, Maspero, Paris 1970.
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prolétariat lui-même, ou bien Us ne seront pas mis en place du tout ; à leur


place apparaîtra autre chose : le capitalisme d'Etat. » (3)
Dans les années vingt, l'opposition de gauche, importante en Allemagne,
en Italie, en Hollande, vit dans le capitalisme d'Etat la confiscation de la
Révolution soviétique. Citons les noms de K. Korsch, A. Bordiga, A. Panne-
koek.
En 1932, A. Rosenberg écrivait : « la Russie soviétique appartient
aujourd'hui encore au même type social qu'en 1921 : c'est un pays d'ouvriers et
de paysans régi par le capitalisme d'Etat et où la bureaucratie régnante
maintient la cohésion nécessaire entre les deux classes de la société » (4).
Alors qu'on pourrait trouver ici ou là dans la Social-Démocratie un
thème analogue,^ Trotsky le condamna formellement, condamnation reprise
depuis par les trotskystes de tout poil. C'est chez des dissidents du
trotskysme que la critique du capitalisme d'Etat fut systématique après la
guerre mondiale, . dans Socialisme ou Barbarie ou dans l'uvre de Tony
Cliff (5). -
Il faut dne que les « bolcheviks » ont eu tendance à sous-estimer
l'impact négatif du maintien de la valeur marchande. Je n'en veux pour
preuve que Staline qui en 1952 dans « les problèmes économiques du
socialisme en U.R.S.S. » juxtaposait avec simplicité maintien de la valeur et
Etat prolétarien pour défimr... le socialisme en U.R.S.S. !

.
Trotsky, dans son article de 1935 «le régime communiste aux U.S. A.'»,
conseUlait aux révolutionnaires yankees de garder un dollar stable et des prix1
justes et ne prévoyait aucune mesure pour faire reculer la valeur ou se
prémunir contre elle (6). ' ......>
Lénine lui-même se départit dans ce cas de sa lucidité habituelle'/ Le
thème du capitalisme d'Etat est essentiel chez lui mais sous la forme d'un
capitaUsme «contrôlé par l'Etat». Il pouvait cependant écrire en 1921 (7),'
reprenant des idées émises trois ans plus tôt : « L'histoire a donné naissance,
en 1918,, à deux moitiés de socialisme, séparées et voisines comme deux
futurs poussins sous la coquille commune de l'impérialisme internationale
L'Allemagne et la Russie incarnent en 1918, avec une évidence particulière, la
réalisation matérielle des conditions du socialisme, des conditions productives,^
économiques et sociales d'une part, et des conditions politiques d'autre part »,
Pour lui l'Allemagne était devenue pendant la première guerre mondiale un
pays de « capitalisme d'Etat ». Le secteur d'Etat dans la NEP ne lui pose pas
de problème dans la mesure où l'Etat est prolétarien. ,
Les dirigeants chinois, depuis quelque temps, semblent plus lucides à ce
sujet, après avoir reconnu que la valeur restait le garant ultime de la
(3) Cité dans Cohn-Bendit, Le gauchisme remède à la maladie senile du communisme, Le Seuil,
Paris 1968, p. 246. 1967.' .,,.. ..i
(4) Cf. son Histoire du Bolchevisme, Grasset, Paris
(5) T. Cliff, Russia, A marxist Analysis, published by International socialism, Londres (2ème
édition, 1964). .,,.;,.. \
(6) Il prévoyait sa disparition dans un lointain avenir.
(7) Cf. « L'impôt en nature », Oeuvres choisie, tome III, Editions du Progrès, Moscou 1962, p. 704.
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rationalité économique dans leur économie de transition vers le socialisme (8).


Un des thèmes de la Révolution Culturelle a été d'empêcher le triomphe de la
valeur (sous le couvert de l'économisme de Liu Chao Chi) par l'extension du
primat léniniste du politique à la vie quotidienne. Le paradoxe d'une telle
économie est en effet que construisant les bases du sociaUsme elle construit
aussi les bases du capitalisme d'Etat, et que des défaillances répétées dans la
vigilance des masses et de leurs organisations ne peuvent qu'assurer la victoire
dui capitalisme qui, sous une forme ou sous une autre, est contenu dans les
rapports de production de la période de transition.
Ces formes sont,. me semble-t-U, au nombre de trois, une fois mise à part
la petite production marchande qui est essentiellement celle des communautés
paysannes, et qui, si exploitation U y a, est surtout soumise à l'exploitation
par l'impôt, de type * asiatique » (9). -
>' La première forme est le « capitalisme collectif» de type yougoslave,
très proche du capitalisme classique et utilisant les catégories traditionnelles
de marché et de profit. La deuxième forme est le capitalisme bureaucratique
qui agit par l'intermédiaire de l'Etat pour les intérêts du groupe dirigeant
d'une5 entreprise ou d'un groupe d'entreprises. La troisième forme est le
capitalisme d'Etat qui essaie de contrôler l'Etat et de diriger la planification
pour centraliser la plus-value (10).
Il est évident que de telles analyses, ici à peine esquissées, ne sont
possibles que si on se débarrasse des illusions idéologiques, si on conserve
l'idée que l'idéologie peut être un miroir renversé de la réaUté, que rapports
de production et rapports de propriété ne se confondent pas.
1 'c Ces analyses sont à compléter par l'étude des couches sociales en
présence. Une image simplifiée oppose le prolétariat, vendeur de sa force de
travail pour accomplir une fonction subordonnée dans le cycle de production
et des couches diverses, bureaucratie, techno-bureaucratie, technocratie ( 1 1 )
qui sont également salariées pour accompUr une fonction de direction et dont
le salaire, forme juridique, peut éventuellement dissimuler une ponction sur la
plus-value/- ¦" J
» La diversité des formes > de t capital, - des formes d'exploitation des
couches sociales qu'on peut éventuellement rencontrer dans des formations
économico-sociales -qui, sous le couvert de la construction du sociaUsme,
construisent éventuellement le capitaUsme d'Etat, met en valeur le fait qu'U
s'agit de formes de transition. Le capitalisme monopoliste d'Etat est peut-être
à sa manière une forme de transition d'un autre genre vers le même type de
société/ Voilà peut-être la plus redoutable des « convergences » 1 .

1 " (8) Cf. Yang Po, « La politique des prix en Chine », Pékin information, 23, 1 1, 1964.
(9) Oh sait que ie « mode de production asiatique » repose sur l'exploitation par l'impôt.
v (10) La centralisation de la plus-value au profit de la bureaucratie est décrite par Jacek Kuron et Karol
i Modzelewski, Lettre ouverte au parti ouvrier polonais (1965), Cahier Rouge N. 4, Maspero, Paris 1969.
(li) La bureaucratie règne grâce à son pouvoir politique (de coercition). La technocratie grâce à son
savoir (réifié), la technobureaucratie est une forme mixte.
214 GUY DHOQUOIS %

¦ , Le capitalisme d'Etat n'existe donc pas actuellement à l'état pur. Mêlé à


d'autres formes, U est altéré, rudimentaire. Pour, en dégager la structure
fondamentale U est nécessaire de procéder à une extrapolation prospective à
partir de ce qu'on peut présumer actuellement de la révolution scientifique et
technique,: de l'importance croissante de la « nouvelle classe ouvrière », du
rôle de la science dans les forces productives et les rapports de production,
etc. 11 est nécessaire également de garder à l'esprit la logique du concept de
mode de production et en particulier le fait que chaque mode de production
exige un certain niveau des forces productives et (quand il y a rapport
d'exploitation) tend à polariser la société en deux classes antagonistes.)
Dans ces conditions je pense qu'on peut fane les hypothèses suivantes :
pour se réaliser parfaitement le capitalisme d'Etat exigerait un très haut
niveau des forces productives tel que l'opposition de classes se situerait
essentiellement î entre technocrates et techniciens. Les techniciens seraient
porteurs d'un savon* technique, partiel, parcellarisé. Les technocrates seraient
porteurs d'un savoir global/ mais ce savoir ne serait que celui qui serait
nécessane pour la reproduction du système et du' rapport d'exploitation,
savon de leur pouvoir, . savon du droit et de la marchandise, savon* réifié
répressif, portant essentiellement sur les rapports humains considérés comme
des choses. >
: > Au moins dans les premières étapes, les seules actuellement prévisibles de
ce système, la valeur marchande resterait essentielle, d'une part parce qu'elle
représente actuellement le maximum de rationalité économique compatible
avec l'exploitation de classe et d'autre part parce que le fétichisme de la
valeur représente , l'image type de la réification des rapports humains sur
laquelle tous ceux-ci ont tendance à se modeler- La planification sera donc
très élaborée mais en monnaie et en prix^.
i La logique de ces analyses montre que pour désigner ce genre de société
la dénomination sociaUsme d'Etat (12) est inacceptable. D'abord, elle masque
ce que, capitalisme et capitalisme d'Etat ont en commun, c'est-à-dire la forme
d'exploitation, le salariat et la valeur marchande (et donc la plus-value). Elle
introduit une confusion fâcheuse avec.;, le socialisme qui est forcément d'Etat
mais f d'une tout autre façon. EUe introduit une autre confusion avec le
thème, propagé au siècle dernier, du socialisme d'Etat qui pour F. Engels et le
programme d 'Erfurt désignait *« le système des exploitations par l'Etat dans
un but fiscal, système qui substitue l'Etat à l'entrepreneur particulier et qui,
par là, réunit en une seule main la puissance de l'exploitation économique et
de l'oppression poUtique »* Aujourd'hui nous désignons volontiers par
exploitation de type « asiatique » une exploitation « dans un but fiscal » qu'U faut
distinguer de la centraUsation de la plus-value. ---
De même que les linéaments réels du capitalisme d'Etat se rencontrent
déjà dans la réalité de l'Union Soviétique, des Démocraties Populaires, voire
de la Chine,, de même les premières approximations de l'idéologie propre au

(12) Employée par P. Naville dans son ouvrage cité.


SOCIALISME ET CAPITALISME D 'ETA T 215

capitalisme d'Etat sont très probablement apparues et de même que le


capitaUsme d'Etat essaie de prendre le masque du sociaUsme, de même son
idéologie essaie de se travestir en idéologie du socialisme, en marxisme..
Une uvre importante à méditer de ce point de vue est celle de Lucio
CoUetti (13)/ Dans le cadre de cette contribution, ici, parmi beaucoup
d'éléments très intéressants, . j'en, choisirai deux, à porter au crédit de
L. CoUetti.t. D'abord il . rappelle avec force la critique marxienne de la
métaphysique réeUe et en. même temps illusoire qui est contenue dans la
valeur marchande et qui sert de substrat au dualisme idéologique. Ensuite il
montre qu'une acceptation non-critique de l'hégélianisme dans le marxisme
aboutit à une théologisation dogmatique, profanisée dans les apparences du
matériaUsme. Exagérée quand U s'agit d'Engels ou de Lénine, cette critique
me paraît juste quand elle vise des formes dogmatiques de matérialisme
dialectique, de « Diamat ».-
Mais L. CoUetti ne s'arrête pas là dans son entreprise « critique » et,
dans son désir de séparer Marx de Hegel, U a le courage intellectuel de relier
Marx à Kant. Du coup U éclaire l'uvre d'Althusser et l'on peut
raisonnablement se demander si la référence faite par Althusser à Spinoza n'est pas
trompeuse et n'est pas là pour dissimuler son rapport à Kant. Je pense que
l'on pourrait aisément montrer qu'Althusser n'emprunte à Spinoza que ce qui
chez ce dernier est compatible avec Kant, par exemple l'opposition au moins
relative entre le concept et la réalité, du genre « le concept de chien n'aboie
pas » et l'idée d'une « scientificité », commune à toutes les recherches
conceptuelles ce qui aboutit à constituer les sciences de l'Homme sur le
modèle des sciences de la Nature et, ce que Hegel justement reprochait à
Spinoza, v Par contre Althusser ne prend pas à Spinoza ce qui passionnait
Hegel, , c'est-à-dire l'amorce de la dialectique (« ommis determinatio est
negativo »), pas plus que l'obsession de la totalité. Ce dernier thème manque
également complètement à Lucio CoUetti.
Celui-ci ne pourrait considérer que des totalités fermées, dogmatiques,
idéaUstes comme en effet dans l'hégélianisme. Il manque complètement le fait
qu'avec le marxisme la totaUté s'ouvre, se dynamise et n'est susceptible que
d'une approche critique. .
Nos deux auteurs sont obligés de se rabattre sur les « totalités
partielles », c'est-à-dire sur les « modèles » de la science bourgeoise qui prennent
souvent à notre époque l'aspect du structuraUsme. On a déjà beaucoup parlé
à propos de Lévi-Strauss et de Foucault de « kantisme sans sujet transcen-
dantal ». U est loisible de penser que nous sommes en présence, avec nos
deux auteurs, d'un « structuralo-marxisme » qui, en expulsant la dialectique
et la totaUté, en séparant théorie et pratique, peut fane le jeu d'une classe
montante, avide eUe aussi de scientificité abstraite, la technocratie. .
Rien ne nous empêche de penser, toutefois, qu'à l'image de la bourgeoisie
ascendante, la technocratie puisse utUiser un succédané de l'hégélianisme aussi

(13) L. CoUetti, Hegel e U marxismo, Laterza, Bari 1969/


216 A i\ \ \ GUY DHOQUOIS ls'

bien qu'un succédané du kantisme. Pour l'instant c'est cette dernière forme,
soutenue par la science bourgeoise, d'apparence plus neutre, moins politique,
qui l'emporte/ v ...-, .¦¦,.*¦
Ces formes idéologiques sont fréquemment séduisantes,* d'autant plus
qu'elles se fondent sur une évolution profonde des rapports de production.
Contre elles la vigilance critique est peut-être plus que nécessaire/ Tout ce
que nous avons dit montre que cette vigilance critique est le contraire de la
vigilance dogmatique. Nous ne devons jamais oublier que le matériaUsme
historique est fondé sur le doute." ' ¦ i J' " '/ ' "

'
Nous ne devons sans doute pas oublier non plus que le socialisme, pour
triompher, a besoin d'accéder à « l'hégémonie »- idéologique. Il y a là un
thème profond, presque mystérieux, avancé par Gramsci. Cette nécessaire
hégémonie- est en effet paradoxale. Le capitalisme était déjà réansé- et
dominant dans les entraUles de la société féodaliste. Rien de tel pour le
socialisme. La logique de mes analyses montre que les rapports socialistes de
production n'existent en tant que tels actuellement nulle part. La logique
économique, livrée à elle-même, aboutit au triomphe inéluctable du
capitaUsme, actuellement sous une forme mixte, composite, à l'avenir sous la forme
du capitalisme d'Etat. Le prolétariat n'est pas une classe déjà dominante
comme la bourgeoisie face à la féodaUté/ Aliéné de toutes parts, il l'est
également par ses créations et par les organisations et' les idéologies^ qui
prétendent lutter pour lui. Comment dans ces conditions ' son hégémonie
idéologique est-elle possible ? ' 'A ¦

'
Elle ne peut l'être que si sa lutte est particulièrement active et critique
et également parce que les contradictions du capitalisme et en particuUer
celles de son idéologie sont énormes ; fondé de plus en plus sur la science, en
même temps U la limite et la refoule car elle peut permettre de dénoncer ses
tares à tout moment. Le capitalisme d'Etat pousse à l'extrême ce type de
contradictions. - ' > ' -* '¦> ' ¦ - * » vj
'

La vigilance critique consiste aussi pour le prolétariat à ne jamais


s'emprisonner dans des exotismes, dans le temps ou dans l'espace, à ne jamais
se référer à l'universalisation dogmatique d'expériences, fondamentales, mais
dont on ne saurait oublier qu'elles sont prises dans des conditions concrètes,
particuUères, à commencer, pour la plupart d'entre elles, par le rôle réduit ou
secondaire qu'y joue le prolétariat lui-même." "-/ >:'..i
Ce que ces expériences ont d'universel n'échappe pas au particulier, bien
entendu/ tel par exemple le primat du politique qui a été entendu*, de
manières bien différentes par Lénine, Staline et Mao Tsé-Toung, et ne pourrait
prendre que des aspects nouveaux et parfois inattendus dans un des pays les
plus développés, où le prolétariat est à ce point majoritaire (14) qu'U peut
agir complètement en vue de ses objectifs et avec les méthodes qui lui sont
propres/ * ' ' ' ' -" «" -' '' " J »
'

(14) Il peut être bon de rappeler que le prolétariat ne se confond pas avec les seuls travailleurs
matériellement productifs. Il comprend tous les travailleurs productifs de plus-value. Mais la diversité des
tâches effectuées contribue fortement à la diversité des manifestations empiriques de la conscience de
classe.
SOCIALISME ET CAPITALISME D 'ETA T 217

' ' Contre les exotismes qui ont beaucoup pesé et continuent à peser sur les
luttes idéologiques du XXème siècle, il est souvent nécessaire de revenu* à
Marx et à Engels, entre autres, pour puiser à nouveau chez eux la conception du
sociaUsme.
Eparse dans de nombreux textes et par exemple dans les critiques des
programmes de Gotha et d'Erfurt, telles que Lénine les a fort bien lues (15),
elle pourrait nous rappeler, entre autres choses, trois points importants :
Premièrement le mode de production socialiste est caractérisé par un
Etat mais d'un type tout à fait différent des Etats qui ont existé jusqu'à nos
jours. La Commune de Paris commença d'en montrer la possibilité.
Deuxièmement cet Etat d'un genre nouveau commence
immédiatement à dépérir et ne cesse de s'amoindrir jusqu'à sa disparition finale (16).
Troisièmement le mode de production socialiste entreprend de faire
reculer la valeur marchande pour l'amener, elle aussi, à sa disparition, sans
laquelle toutes les formes d'oppression ne peuvent que renaître sans cesse.
De ce point de vue le thème de l'autogestion est fondamentalement
ambigu. Il n'est valable que dans la mesure où U rappelle que le socialisme ne
peut être l'uvre que des « producteurs librement associés ». Mais U
comporte un manque de lucidité flagrant envers la valeur marchande. Si les
conseUs ouvriers ne trouvent pas le moyen de s'entendre politiquement à
l'échelle nationale et internationale, si, à ces niveaux, un plan n'entreprend
pas de gérer l'économie et de fane reculer la valeur, les conseils ne pourront
économiquement entrer en relations les uns avec les autres que par
l'intermédiaire du marché. Ils respecteront la valeur. Ils aboutiront à la petite
économie marchande ou au « capitalisme collectif» (17). Là encore U s'agit
de retrouver un thème ancien dans le marxisme et repris souvent et avec
force par Lénine.
Je terminerai sur deux points. Le premier est que la vigilance du
prolétariat doit s'exercer aussi vis-à-vis de ses propres organisations s'U ne
veut pas qu'elles dégénèrent et qu'après la prise du pouvoir elles ne
deviennent le repaire de spécialistes du pouvon qui gouvernent en son nom,
mais à sa place et donc contre lui. De ce point de vue l'organisation de type
léniniste n'apparaît concevable que dans les conditions historiques où elle est
indispensable, celles où il ne s'agit pas immédiatement de construire le
socialisme mais de construire les bases du sociaUsme, car, de toutes façons, un
parti léniniste est appelé à devenu* un parti-Etat.

(15) Cf. ses notes publiées avec les « critiques » aux Editions Sociales.
(16) Il est remplacé par l'administration des choses à condition que ces choses ne soient pas des
rapports humains.
(17) Il s'agit en plus de formes moins évoluées que le capitalisme d'Etat qui respecte la valeur mais par
le plan corrige certaines de ses imperfections. L'Allemagne semble avoir eu raison de ce point de vue de ne
pas choisir la solution yougoslave du « capitalisme collectif », même dans la phase de transition dans
laquelle elle se trouve. De plus l'économisme auquel la gestion réduit les conseils » garantit efficacement
le règne de la bureaucratie politique.
218 GUY DHOQUOIS

Le deuxième point est qu'à l'avenir des luttes sociales dans les pays les
plus développés, le rôle des « techniciens » ne peut que grandir jusqu'à devenu*,
peut-être, un jour, stratégique. . -, , , , ,:.,:'

Sorbonne Paris

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