Vous êtes sur la page 1sur 38

ASSOCIATION FRANAISE DES HISTORIENS

DES IDEES POLITIQUES

Collection d’Histoire des Idées Politiques


dirigée par Michel GANZIN

xv
REPRESENTATION ET SOUVERAINETE
CIIEZ LES ENRAGES (1792-1794)
<<Pour tout être qui raisonne, gouvernement
et revolution sont incompatibles>>
Par

David GILLES
ATER a la Faculté de Droit de la Rochelle

Extrait de : LE CONCEPT DE REPRESENTATION


DANS LA PENSEE POLITIQUE

Actes du colloque d’Aix-en-Provence


Mai 2002

Abréviation de référence
AFNIP XV

PRESSES UNIVERSITAIRES D’AIX-MARSEILLE PUAM -

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

- 2003-
REPRESENTATION ET SOUVERAINETE
CHEZ LES ENRAGES (1792-1794)
<<Pour tout être qui raisonne, gouvernement
et revolution sont incompatibles >>1:
Par

David GILLES
A TER a Jo Faculté de Droit de Jo Rochelle

Marat, clans son journal Le Publiciste de la Republiquefrancaise du 4


juillet 1793, décrivait les Enrages de la façon suivante: <<Ces intrigants ne
se contentent pas d’être les factotums de leurs sections respectives, us
s’agitent du matin au soir pour s’introduire dans toutes les sociétés
populaires, les mfluencer et en devenir eufin les grands faiseurs. Tels sont les
3 individus bruyants qui s’étaient emparés de Ia section des Gravilliers, de la
Société fraternelle et de celle des Cordeliers : je veux parler du ?etit Leclerc,
de Varlet et de l’abbé Renaudi soi-disant Jacques Roux>>. Ces trois
<<individus >> dont le portrait est ici dressé par << 1’Ami du Peuple >>, ainsi
3 forment ce que les historiens ont appelé les Enrages
que quelques autres .
4

l
Jean-François Varlet, Gare l’Explosion, (s.l.), 15 vendémiaire de i’an TEE de Ia République
francaise, BN 8-Lb41-1330 ott NUMM- 41206, p. 8.
2
Marat, Lepubliciste de Ia Républiquefrancaise, par Marat, lAmi du Peuple, Paris. n° 233, 4
.uil1et 1793.
S’ajoute a ces trois personnages, une garde rapprochCe, composée essentiellement de
Pauline Leon et de Claire Lacombe, toutes deux membres des Républicaines Révolutionnaires,
ainsi que les séides de ces différents personnages sit sein de leurs sections, W. Markov, Les
Jacquesroutins >>, Annales Historiques de Ia Revolution Francaise, 1960, n° 32, pp. 163-182.
Georges Lefebvre et Albert Mathiez ont rapproché de ce mouvement Taboureau, <l’enragé
orléanais>>; A. Mathiez, Un enrage inconnu. Taboureau de Montigny v, Annales Historiques
de Ia Revolution Francaise, 1930, n° 7, pp. 209-230; Lefebvre Georges, <<Quelques notes sur
Taboureau, “i’enragé” d’Orléans >>, Annales Historiques de Ia Revolution Francaise, 1931,
n° 8, pp. 140-148.
Mouvement méconnu fort longtemps, les Enrages apparaissent le plus souvent a titre
individuel dans les ouvrages traitant de Ia Revolution. Voir notanunent Jean Jaurès, Histoire
socialiste de la Revolution francaise, reed. Messidor, Editions Sociales, 1986, T.V, et VI
essentiellement; Albert Mathiez, La vie chère et le mouvement social sons to Terreur, Paris,
Bibliothhque Payot, 1973 ; RB. Rose, The Enrages : socialist of the French Revolution?,
Melbourne, 1965 ; C. Guillon, Dens Enrages de Ia Revolution : Leclerc de Lyon et Pauline
Leon, ed. La Digitale, 1993, Le Guiilou Jean-Marc, Jacques Roux, l’annoncefaite a to gauche,
Paris, hd. des Ecrivains, 2000. Les historiens <<marxistes >>, pour des raisons de proximité
idéologique, s’inthressèrent notamnient a ces personnages en tant que mouvement social et
politique: M. Donimanget, Enrages et cures rouges en 1793: Jacques Roux, Pierre Dolivier,
Paris, Les arnis de Spartacus, 1993 ; id., Les Enrages dans to Revolution francaise, Paris,
Spartacus, 1987 ; D. Guhrin, La lutte des classes sour Ia premiere République, Gallisnard, coil.
la suite des tenips, 2 tomes, 1968, W. Markov, Scripta et ada, Berlin, éd. Akademie-Verlag,
1969 ; Exkurse zu Jacques Roux, Berlin, éd. Akademie-Verlag, 1970, 37lp. ; id., Die
Freiheiten des Priesters Roux, Berlin, éd. Akademie-Verlag, 1967, 430 p.; Zakher Iakov
254 Le concept de representation dans la pensée politique

Mouvement né de la sans-culotterie parisienne, ces hommes et ces femmes,


qualifies d’Enragés, au discours extrémiste, vont constituer une opposition
résolue mais fragile a la politique des Girondins, puis des Jacobins de 1792 a
1794.
Les Enrages
5 sont trés proches, durant les années de radicalisation de
la Revolution, des revendications sans-culottes et justifient ainsi le terme de
<<militants sans-culottes avancés>> donné par A. Soboul. S’ils ont bénéficié
dans leur ensemble d’une certaine education
, us ne se posent pas en
6
théoriciens de la Revolution, ni en penseurs politiques. Activistes
révolutionnaires, simples porte-paroles bien souvent des milieux sans
culottes, les Enrages développent un discours qui se rapproche fréquemment
de celui des autres leaders du mouvement populaire que sont Marat 7 et
Hébert, méme Si ceux-ci se révélérent leurs ennemis les plus achamés
.
8
Si la pensée enragée n’est pas une pensée originale, elle se caractérise
par la virulence des propos tenus
9 et, Ia constance, certarns diront la fidélité,
dans les prises de position. Cette opiniâtreté idéologique s’accompagne d’une
permanence dans l’opposition au pouvoir en place. La question de la
representation forme Ia clé de voüte des réflexions en matiêre politique de ces

Mikhailovitch, Les Enrages, éd. originale en russe, tra<L partielle, (s.Ln.d.), 2lp., doe. polytype,
BN 4- LB4I- 5636.
Pour cerner l’ensemble de cette pensée, ii convient d’étudier les différents pamphlets,
discours ci journaux publiés et rédigés par les principaux meneurs de cc mouvement (cf. note
22-24). Voir notamment les deux journaux publiês par Roux et Leclerc a la mort de Marat,
L ‘Ami du peuple écrit par T. Leclerc, Paris, n° I du 20 juilet 1793 au n° XXJV, du 15
septembre 1793, BN 8Lc2 704, (reed, par Claude Guillon, Deux Enrages de Ia Revolution,
op. cit., pp. 137-238), et Ic Publicisle de Ia Républiquefrancaise a l’ombre de Marat, écrit par
3. Roux, et rééd. par W. Markov dana Scripta et Acta, op. cit..
6
Jacques Roux fit des etudes chez les Lazanstes dii séminaire d’Angoulême avant d’être
tonsuré a 15 ans ci d’enseigner la philosophic, puis la physique expénrnentale a partir de 1772,
Dommanget, Enrages ci cures rouges en 1793 : Jacques Roar, Pierre Dolivier, op. cit., p.21;
Varlet. liii, bénéficia d’études au college d’Harcourt de l’Université de Paris, LB. Rose,
op. cit.. p. 10. Leclerc, quant a lui rapporte que: <<l’étude des belles lettres m’a occupé jusqu’i
l’âge de dix-huit ans chez mon pére, qui sacrifiant a noire education Ic peu de bien que ma
mere liii avait apporte en dot, cut le hon esprit de penser que les connaissances étaient au
dessus de Ia fortune >, T. Leclere, Extraction, profession avant er depuis la Revolution;
carriere politique ci Révolutionnaire es état present des affaires de Thiophile Leclerc, Paris,
1794, AN 9 4774
7
F
.
Voir l’ouvrage de Jean Massin, qui tend a un rapprochement quasi systematique des idées de
Marat et de celles des Enrages, Marat, Edition Alinêa, 1988.
Ainsi Marat pane des Enrages en ces termes peu flatteurs: <Varlet ne peut Ctre qu’un
intnigant sans cervelle. mais le petit Leclerc parait un fripon tres adroit. Je l’ai vu dans Ia même
semaine changer trois fois de costume pour Se travestir, ci mieux en imposer. On assure (...)
qu’il a fait quelques mois de noviciat a Coblentz, et qu’il eat un des pnincipaux auteurs des
désordres qui ont éclaté a Lyon depuis plusieurs mois >>, Le publicisre de Ia République
francaise, par Marar, l’Ami du Peuple, n 233, 4juillet 1793.
Cette virulence, Ic cbté sanguinaire de leurs propos, bien dans l’air dii temps, est toutefois
parfois plus suppose que vrai. fl en est certainement ainsi de l’anecdote de la presence de
Jacques Roux a l’exécution de Louis XVI. Cehui-ci aurait refuse, a in monarque mené vera Ia
mont, de prendre son testament, et aurait déclaré : <<3e ne suis chargé que de vous conduire a
l’échafaud >> a quoi Louis XVI répondit simplement: < C’est juste >>, Jean James, Histoire
socialisre de Ia Revolution francaise, T.V, op. cit., p. 210. Jacques Roux va même jusqu’à
revendiquer cet aspect sanguinaire. violent de ses pnises de positions. II s’enorgueillit de son
caractére extrémiste, ci combat Ic modérantisme : <<des modérés, dont l’âme est glacee par Ia
noirceur de leurs crimes, allument dana toutes les parties de I’empire, Ic flambeau des furies
>>, J. Roux, Discours sur le.s moyens de sauver la France. op. cit., p. 4.
David GLLES 255

F
hommes <<precipites >> dans I univers pohtique’° par Ia Revolution” Elle a
le merite d avancer certains elements origmaux si on la confronte notamment
avec celle des Jacobins. Cherchant a assouvir leurs revendications essentielle
ment economiques et sociales, us developperent une critique radicale de la
representation nationale et des représentants du peuple. Ces revendications en
matiere de democratie directe vont se trouver confrontees a Ia realute
politique sans jamais parvenir a une amorce de realisation pratique Pour les
Enrages, l’idée que des délégués nantis d’un mandat représentatif, élus ou
non au suffrage universel souent aptes a expnmer authentiquement la volonte
du Souverain, était inconcevable. Indvitablement la question de la
compatibilité entre mouvements extrémistes révolutionnaires et l’idée méme
de representation est posée par Ia xgeste>> enragée. us ont, par leurs propos
et par leur action politique, a résoudre une contradiction flagrante dont us ne
semblent pas toujours conscients. En effet, au nom de la souveraineté du
peuple, us critiquent l’idée de representation nationale développée par Sieyès.
Critiquant les représentants, leur déniant toute légitimité a parler au nom du
peuple, ils se posent en porte-parole de celui-ci. Or, si la légitimité de la
representation nationale est peut étre critiquable aux yeux des sans-culottes,
que dire de celle de Roux, Varlet et Leclerc, qui représentent au mieux leurs
sections, au pire eux-mêmes? Ce paradoxe criant, les Enrages feignent de
l’ignorer, leur absence de legitimité pour parler au nom du peuple ne les
empéchant aucunement d’attaquer les conventionnels. Ils se sentent investis
d’une mission quasi-mystique, défendre ce qu’ils considèrent comme les
revendications du peuple envers et contre tous”.
L’existence d’un veritable mouvement enrage, et l’utilisation de c
terme est contestée a juste titre par Michel Pertué’
3 ; ii faut convenir que cc
mouvement est une creation d’historiens, et qu’à aucun moment les
contemporains ne désignent Roux, Varlet, Leclerc et leurs consccurs des
Républicaines Révolutionnaires sous le vocable d’Enragés. Néanmoins,
comme les propos de Marat, et de Robespierre le démontre, us étaient
appréhendés par leurs contemporains comme un groupe, une mouvance qui

Scion l’expression de Patrice Roiland, << L’apprentissage de la liberté politique les


difficultés de i’annCe 1793 >, (ss. dir.) 3. Ban, 3.4. Clère, Ci. Courvoisier, M. Verpeaux, La
Constitution du 24juin 1793 1 ‘uropie dans le droit public francais ?, Actes du colioque de
Dijon, 16 et 17 septernbre 1993, éd. Universitaire de Dijon, 1997, pp. 65-95, p. 66.
“Autre pole de réflexion théorique Ct pratique des Enrages, c’est la question des subsistances.
Let Enrages preconiseront afin de résoudre les difficultds économiques un fort dirigisme
économique, une taxation des denrées, une limitation de Ia propriete. Pour appliquer ces
mesures, les Enrages prCconiserent une terreur sans-culotte fondée sur une purge de
l’administration, une lute conire les eennemis du dedansx’ et de l’extCrieur. Voir C. Guillon,
Deux Enrages de Ia Revolution : Leclere de Lyon et Pauline Leon, op. cit., pp. 47-62.
12
Ce caractére mystique de leur quéte les rapproche, paradoxe de I’histoire, de Ia mystique
jacobine, qui souhaitant défendre Ia Revolution envers et contre touS, va briser let Enrages
aussi sürement qu’elIe s’attaquera aux aristocrates et aux ennemis de l’extérieur au nom d’une
Republique fondée sir Ia vertu. Pour Robespierre, la République, c’est <<Ia vertu, non pas au
sens politique que 1w donnait Montesquieu, mais bien en un sent puremeat moral (...); Patrice
Roiland, eL’apprentissage de la liberté politique : let difficultés de l’annCe 1793 >>, op. cit.,
p.70.
3
Le professeur Pertué remarque que <<ceux qu’on entend aujourd’hui par la designation
d’enragés est une creation d’historien Jacques Roux, Varlet, Lecierc, Pauline Leon et Claire
Lacombe. Cette erreur est fcheuse, car die neutralise un terme excellent et d’usage general
sous Ia Revolution. >> M. PertuC, <<Les lutes de ciasse et la question de la dictature au debut de
1793 x’, Annales Historiques de Ia Revolution Francaise, 1977, pp. 454-462, p. 456 note 1.
256 Le concept de representation dans la pensée politique

menait objectivement la même politique, les mêmes t4 revendications Cette


.
mouvance est toutefois a géométrie variable, et intègre selon les <<moments
politiques >> l’un ou l’autre des meneurs Enrages ainsi que d’autres sans
5 évoque la defiance éprouvée a
culottes. Le terme <<Enrage >> en lui-même’
l’égard de ce mouvement’
, et les propos <<terroristes >>17 qu’ils tiennent
6
alimentent cette impressio&
. Les Enrages ont mauvaise presse, tant de leur
8
9 qu’aux yeux de la postérité. Ainsi Jaurês crédite Roux d’une <<vie
vivant
assez trouble et incertaine >>20, relayant Marat qui parlait lui de rt l’odieux
Jacques Roux >>21
Les écrits enrages sont proches des discours émanant de Ia sans
culotterie parisienne. La dialectique de la lutte pour une plus grande egalite
de fait et non plus la simple égalité de droit est commune, mettant la

14
Les rapprochements menés dans cette étude montre la très forte proximith des écrits des
différents protagonistes de ce mouvement.
II
provient selon Albert Mathiez, d’un terme utilisé pour des chevaux de louage qui aurait
d’abord englobé tous les patriotes et aurait été employé par les aristocrates pour designer
ceux-ci. Si le terme désigne des painotes, les Enrages pourraient s’en enorgueillir, mais cette
origme donnée par Mathiez est contestée par RB. Rose et Claude Guillon. eL’emplacement
de lx salle ois l’assemblée s’ótablit a Paris. aprés avoir quitté celle de l’archevêché, était
auparavant un manege. C’est ce qui donne l’idCe de dénommation d’Enragés que les
aristocrates donnérent aux patriotes [...). C’est ainsi qu’on nommait a Paris des chevaux de
louage dont on se servait communément pour les voyages de Versailles, afln d’éviter les frais
de la poste royale >>, A. Mathiez <Noirs et enrages. Origins de ces denominations >>, Annales
Historiques deta Revolution Française, 1929, p 501.
16
Ce terme est d’ailleurs utilisé dans un pamphlet révolutionnaire anonyme, Les enrages, ou le
rapprochement des ertrêmes, dialogue relatif aux circonstances entre un jacobin, un royaliste
et Un pair ote, (s.d.), Paris, BN P45/7890.
A litre d’exemple, voir Ic Pamphlet de 3.-F. Varlet, Pot Pourri National, 1791, 1791, BN YE-
53552 ou MFICHE YE- 53552, 8 p., p. 8. <<Des Rois liguCs les projets, sont bhtis sur des sables,
Nous repondxons par boulets, sabres, piques et mousquets Aux diables Aux diables Aux
diables!>>
18
Jacques Roux emploie le terme a plusieurs reprises, soit pour qualifier le camp réactionnaire
et aristocratique, ce qui Cclaire peut-Ctre certaines accusations portées par les Jacobins au
moment de l’hallali du mouvement, soit dans un sens positif et allCgorique. C’est Ic cas
positivement dans Le Triomphe des braves Parisiens sur les ennemis du bien public: eim
peuple tyrannisd [...] se reveille subitement d’un sommeil profond, ci rompe en enrage les fers
qu’il mordait en frémissant >>. Négativement, ii qualifie d’<< enrages >> les contre
révolutionnaires dans son Discours sur les movens de sauver to France : << Avoir de la douceur
pour des enrages, de Ia génerosite envers des rebelles, c’est partager leurs forfaits. >>, Claude
Guillon, Deux Enrages de Ia Revolution : Leclerc de Lyon er Pauline Leon, op. cit.,
p. 15. Dans
son Discours sur les moyens de sauver la France, ii utilise le terme negativement pour designer
les ministres du culte <<11 me semble voir les suppots orgueilleux de la tiare, des ministres
enrages, sonnant Ic tocsin de la mort, deployant l’étendard du carnage, portant Ic fer, Ia
flarnme, Ia desolation de toute part, et faisant couler des ruisseaux de sang jusque sur Ia
marche des autels. u, op. cit., p. 6.
19
Les femmes mémes ne trouvent pas grace aux yeux des Jacobins. Atm de pousser a Ia
dissolution de la Société des Républicaines Révolutionnaires, qui soutenait objectivement les
actions des Enrages, on attaque conjointement Leclere et Lacombe devant les Jacobins le 16
septenibre 1794. On critique Lacombe, car << elle est dangereuse en ce qu’elIe est fort
eloquente ; cUe pane bien d’abord, et attaque ensuite les autorités constituees. , cite par
paniel Guénin, La lutte des classes soar la premiere République, op. cit., tome 1, pp. 269-273.

Jean Jaurés, Histoire socialiste de la Révolutionfrançazse, TV, Paris, Editions sociales 1986,
p. 209. II rend également ce jugement définitif sur l’action des Enrages. Selon liii, ils
développent << des erreurs, bien des tendances dangereuses, un arrière fond de perfldie et de
venin que La contre-révolution pouvait aisément exploiter >>, ibid., tome VIII, 158.
21 p.
Cite par Théophile Leclerc, L ‘Ami du peuple, (s.1.), n° XXI, 8 septembre 1793, B.N 8°Lc2
704.
David GILLES 257

question des subsistances au premier plan. De même la revendication d’une


democratic populaire et d’un pouvoir populaire, voire d’un pouvoir de la rue,
est un theme cher a la sans-culotterie et omnipresent dans les discours des
Enrages. De l’idée d’une souveraineté populaire a une pratique du
gouvemement direct, découlent un certain nombre de revendication ou de
pratiques, telles que la sanction des lois par le peuple, Ia censure ou la
révocabilité des élus. Rien d’étonnant alors, a voir les Enrages vouer aux
Gémonies la representation nationale au profit de la démocratie sectionnaire.
Ces idées que les Enrages vont porter au cnr de la Convention, bien que
marquees par une faiblesse theorique évidente, n’en sont pas moms
intéressantes par l’action qui tente de se déveloper concomitamment. A
l’instar des autres mouvements révolutionnaires leur réfiexion sur la
,

question de la representation suit le rythme des événements de la capitale.


Mêlés a cette bourrasque d’événements, provoqués, suivis mais
rarement préparés, les Enrages vont accompagner de toutes leurs forces la
Revolution vers une radicalisation qu’ils jugent indispensable. Ce n’est pan
dans une approche juridique et constitutionnelle que se placent les Enrages.
us n’envisagent les événenients que par le prisme de la question sociale. La
radicalisation est motivée, scion eux, par la question centrale des
subsistances, qui accompagne leur réfiexion vers une plus grande egalité,
pour i’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Mais cette
recherche d’une plus grande dgalité, une fois les Girondins tombés, face a Ia
crise tant économique que militaire, va les pousser a réclamer des mesures
toujours plus terroristes, tout en se trouvant de plus en plus en opposition
face a la Convention Montagnarde
. Ce qui caractérise le mouvement des
24
Enrages, c’est son impatience effrénée, indomptable. Ils seront les premiers
d’une longue liste a s’opposer a Ia dictature robespierriste, car us
25 de faire taire leur demande d’une avancée sociale
n’accepteront pas 26 face
aux perils qui guettaient la Revolution. Cette position les mettra

22
A. Soboul, < Classes populaires et rousseauisme sous la revolution >>, Annales Hisroriques de
la Revolution Française, 1962, p. 425.
23
II en est par exemple ainsi, scion Lucien Jaume, des Jacobins, pour qui << metire Ia Tetreur a
l’ordre du jour>> se révêlent être une réponse, imprévue, aux circonstances.>> U ajoute que
ce n’est qu’aprés coup que les tétes les plus théoriciennes, comme Robespierre ou Billaud
Varenne, tentent de rationaliser la politique ainsi engagée, pour montrer qu’elle répond a Ia
vision morale que le jacobmisrne radical avait défendue thus les premiers temps.>> Le discours
jacobin er Ia démocratie, Fayard, 1989, p. 112 ;c’est de ces tCtes théoriciennes que manquèrent
vraisemblablement les Enrages pour pousser plus avant leur réflexion, étant plus prolixes en
<têtes chaudes >> qu’en têtes réfléchies.
24
Ccci malgré le satLsfecit publiC par Jacques Roux an Iendemarn de Ia chute de la Gironde,
eAussi Ia Montague de Ia Convention qui a écrasé de sa chute Ia tête du Tyran, et qui a
expulsé de son sein les scClérats, las hommes d’etat, qui voulaient nous donner Un roi et des
fers a-t-elle des droits Cternels ala reconnaissance des français (...). Ah La conduite que
tient Ia Convention, depuis qu’elle eat purgCe des chefs de la faction scélérate des hommes
d’etat, las mesures vigoureuses qu’elle a adoptees pour le salut de la République, attestent
qu’elle a voulu des sa premiere sCance, mais qu’elle n’a Pu operer Ic bien qui était dans son
creur. >>, Le Publiciste de Ia République Francaise, n° 243, 6 aoüt 1793, Pp. 3-5.
A Ia difference de Marat qui lui, décidera de mettre sous Ic boisseau ses aspirations
égalitaires pour ne pas affaiblir Ia Revolution en proic a tous les dangers. Ii preférera Ia
poursuite d’un objectif lointain C Ia satisfaction de revendications immédiates mais
dangereuses L. Giani, << Le réalisme politique de Jean-Paul Marat, dCputé C Ia Convention ,>,
Annales Hisroriques de Ia Revolution Française, oct-dec. 1996, n 306, pp. 675-692.
26
M. PertuC, Aux origines du gouvernemen: revolutionnaire. février-mars 1793: démocratie et
dictarure en Revolution, These d’Histoire du Droit, ParisH, 1976, 527 p.
258 Le concept de representation dans la pensée politique

logiquement en porte-a-faux par rapport a la dictature de salut public dont


l’essence même est de sauver la Revolution quel qu’en soit le coüt pour les
libertés. Cette opposition va d’ailleurs trouver sa catharsis dans le
musellement des mouvements populaires a l’automne 1793 et au printemps
1794. La question de la representation, du peuple ou de la Nation, réelle ou
supposée, juridiquement limitée ou non, provoque alors un hiatus dans cette
course a la radicalisation. Que ce soit dans la propagande de Varlet celle de
, Leclerc
2t
Roux , ou celle des Républicaines Révolutionnaires
29 3 comme
Claire Lacombe
’ et Pauline Leon, la référence au caractère populaire de la
3

z’ Jean-Francois
Varlet, Projet d’une caissepatriotique etparisienne, (sLn.d.), 1789, 12 p., BN
MFICHE LB39- 11657; L ‘Apôtre de Ia liberté, prisonnier, a ses concitovens libres, (s.1.n.d.),
19p., BN 8-LN27-20065 ; Aux mulnes de Marat (aux manes de Pelletier), (s.d.). Paris, impr. De
Vezard et Le Normant, 6p., BN P89/1521 ou YE-53551 ; Vouixformés par des Francais libres,
ou Petition manifeste d’unepartie du souverain a sex délégués pour être signée sur l’autel de la
paine erprésenté [sic] lejour oz lepeuple se lèvera en masse pour resister a l’oppression avec
let sezdes armes de Ia raison (s.Ln.d), 8 p., BN NUMM- 40901 ; Projet d’un mandat special et
impérat([ aux mandataires du peuple, a Ia Convention nationale, Paris, chez les directeurs de
l’imp. du cercie social, 1792, BN LB 41-109 ou [Document electronique], BN NUMM 40138;
Declaration solennelle des droits de I’homme dans l’état social. impr. Didot, (s.L), 1793, 24 p.,
BN 8-LB41-2979 ou numerisO NUMM 6699, rééd. EDH1S, 1967; Du Plessis: le maiheur,
queue Ecole ! Ce quej ‘écnis Ia nuit, a Ia lueur obscure d’une lampe de prison en est peut-étre
une preuve. Tyrans et ambitieux, lisez..., (s.1.), 1794, óp., BN 8-LN27-20066; L ‘Explosion,
(s.1.), L’an ifi de Ia ROpublique francaise, iSp., BN 8-LB41-4090, Gore l’Explosion, (s.1.),
L’an ifi de Ia ROpublique francaise, op. cit.; A ses chers concitoyens des tribunes et des
Jacobins, impr. de Ia sociétO typographique, 7p., BN 16-LN27-20067; Mesures suprémes de
salut public proposées aux citoyens du département de Paris, (s.Ln.d.), 7p., BN P89/1520.
n
Jacques Roux, L ‘Apôtre. martyr de Ia Revolution ou Discours d’un curé patriote qui vient
d’être assassiné par 18 aristocrate.s, Paris, Imprimene Henri W, 1793, 24 p., BN 8-LB39-
5568 ; Discours prononcé thins I ‘Eglise des Cordeliers, le 19 avril dernier, par M. Jacques
Roux, gui went d’être assassiné.,., Pans, Veuve Petit. 1793, BN 8-LN27-18058 ; Discours sur
lejugement de Louis-le-Dernier, sur la poursuite des agioreurs, des accapareurs et des traitres,
prononcé par Jacques Roux, (s.1.), 1792, 16 p., BN 8-Lb40-2014; Discours sur les moyens de
sauver Ia France et Ia liberré prononcé par Jacques Roux, Paris, (s.d.), 48p., BN 8-LB39-
10782 ; reed, par les editions d’Histoire sociale, Paris, 1967 ; Jacques Roux a Marat, Paris,
Impr. de La SociCté typographique, 1795, 16 p., BN 8-LN27-18057 ; Le Triomphe des braves
parisiens, sur let ennemis du Bien Public...par Jacques Roux, (s.1.n.cL), BN 8-Lb39-8638;
<POtition prOsentOe devant Ia Convention nationale, 25 juin 1793 >>, Archives parlementaires de
1787 d 1860: recueil compler des débats législatzfs et politiques des Chambres francaises.
PremiOre sOrie, 1787 a 1799. Tome LXVII, Du 20 juin 1793 au 30 jurn 1793, BN-Gallica
N049582, Reprod. de l’éd. de Paris, P. Dupont, 1905, ‘792p., pp. 457-458, rééd. (extmits), (ss.
dir.) Antoine de Baecque, < Vous n’avez pas tout fait pour Ic bonheur du peuple >>, Pour ou
conrre Ia Revolution, Paris, Bayard Compact, 2002, pp. 20-22; Projet de Discours sur les
causes des malheurs de la République Francaise, publiO par W. Markov, Scri,ta et Ada,
on. cit. pp. 102-160, r&d. du manuscnt des Archives Nationales, AN W20 d. 1073
29
T. Leclerc. (rCfOrencé sous le nom de Le Clere d’Oze pour cc discours). Discours
prononcé aux Jacobins, séance du if awil 1792, Paris, imp. Henri IV, ‘7p., BN LB 40-2260 ou
BN 8- LB4O- 2260, rééd. C. Guillon, Deux Enrages de la Revolution: Leclerc de Lyon et
Pauline Leon, op. cit., pp. 131-135 ; Extraction, profession avant et depuis la Revolution;
carrierepoliz’ique et révolutionnaire, et état present des affaines de Theophile Leclerc, Archives
Nationales, fonds Comité de süretC générale, F 7 47749, r&d. C. Guillon, Deux Enrages de Ia F
Revolution : Lederc de Lyon et Pauline Leon, op. cit., pp. 240-242.
30
Sur les Républicaines Révolutionnaires, voir notamment D. Godineau, Citoyennes
F
tnicoteuses, Paris. Alinéa, 1988; M. Cerati, Le club des ciroyennes révolutionnaires, Paris, éd.
Sociales, 1966.
Claire Lacombe, Discours prononcO a la barre de 1’Assemblée nationale par Mme F
Lacombe, Ic 25juillet 1792, l’an 4 de la libertd, (s.1.n.d.), 3 p.’ BN P92/1099 ou BN MFICHE
Le33-3 (X,63), Rapport fair par la citoyenne Lacombe a ia société des républicaines
F
David GILLES 259

souveraineté, son exercice direct par le peuple est permanente. Cette


aspiration a une démocratie populaire, corollaire dans la réflexion enragée
d’une critique de la representation nationale s’appuie sur une méfiance
viscérale envers les représentants du peuple. Celle-ci s’accompagne
naturellement de la volonté de contrôler fortement ces mandataires du peuple.
La critique de la notion méme de representation, et notamment la
representation nationale chère a Sieyès, fait echo a celle développée par les
Jacobins jusqu’à Ia chute de la Gironde. Mais les Jacobms vont chercher a
annthiler le conflit entre souveraineté et representation, entre démocratie pure
representative C’est une reponse pragmatique a la question
et démocratie 32
.
de la démocratie representative qui est avancée par les Enrages, méme s’ils
s’arc-boutent sur la revendication théorique de la démocratie directe. Mais, là
oC les Jacobins sauront construire une conception de la representation
populaire permettant une quasi-mdépendance des représentants <<vertueux>>
(légitimant amsi leur prise de pouvoir) en sauvegardant l’idée de souveraineté
du peuple, les Enrages persévéreront dans leur lutte, cette fois-ci contre la
Montagne, en tentant de rendre Ia parole au peuple par Ia revendication d’un
mandat impératif et en rejetant l’idée de representation.

I. LA CRITIQUE DE LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE

Les ambigultés inhérentes a l’idée méme de representation nationale


,
33
apparues des les premiers instants de la Revolution, poussent les Enrages a
un radicalisme politique fort. Ne souhaitant ou ne pouvant pas s’engager dans
les arcanes d’une doctrine representative qu’ils laissérent aux représentants
élus du peuple, us s’achamêrent a porter le discredit sur leur légitimité et a
promouvoir une démocratie directe d’inspiration rousseauiste. La critique
virulente par les Enrages de la representation de la souveraineté populaire se
trouve conftontée aux difficultés de l’expression de la volonté du peuple
souverain. Ayant épouse la lutte jacobine contre Ia representation nationale,
incarnée par les conventionnels girondins jusqu’au 2 juin 1793, ils
n’accepteront pas ce qui se révéla être pour eux l’opportunisme jacobin.
Ceux-ci, au contact du pouvoir, vont choisir le réalisme politique du
représentant vertueux, seul légitime a protéger le peuple contre les ennemis
taut du dehors que du dedans.

révolutionnaires, de Ce qui s ‘est passé le 16 septembre a la Société des Jacobins, 17 septembre


1793,(s.1.n.d.), iSp., BN 4-FM-35160 ou BN MFICHE 4-FM-35 160.
Selon les termes de Lucien Jaume. La souveraineté montagnarde: République, peuple et
territoire >>, (ss. dir.) 3. Bart, J.-J. Clère, Cl. Courvoisier, M. Verpeaux, La Constitution du 24
juin 1793: 1 ‘utopie dans le droitpublicfrançais ?, op. Cit., pp. 115-139, p. 116.
<< Le deuxiême facteur d’ambiguité reside dans la doctrine révolutionnaire de Ia
representation; entre les individus-citoyens, qui élisent leurs représentants, et ces représentants
eux-mémes, ii tie doit exister aucun intermédiaire qui, a tin titre ou a un autre, représenterait
des groupes ou des intbréts particularisés. En d’autres termes, I côtbs de Ia representation
institutionnelle, ii ne petit y avoir des instances de représentativité-coinme aujourd’hui un
syndicat, un parti, un groupe d’intbrêt, voire un leader d’opinion. >, Lucien Jaurne, eLes
Jacobins : une organisation darts Ic processus de la Revolution 1789-1794 >>, F. Bluche et S.
Rials (ss. dir.), Les Revolutions, pp. 243-257, p. 246.
260 Le concept de representation dans la pensée politique

La representation nationale on l’aliénation de la souveraineté populaire

Pour les Enrages, la question de la representation du peuple souverain


ne peut se poser qu’en terme d’une << impossible >> representation de la
volonté générale. En .< estimant que si les représentants ne se confondent pas
avec le corps du peuple, leur volonté n’est plus la sienne >?, les Enrages
reprennent la diatribe rousseauiste, marquant par là méme leur proximité
ideologique avec Ia sans-culotterie parisienne’
. Ils affirment alors, en
5
parapbrasant Rousseau
, que la << souveraineté consiste essentiellement dans
36
la volonté générale, et la volonté ne se représente point: elle est Ia même ou
elle est autre ; il n’y a point de milieu >>. La souveraineté populaire, mise
en exergue ar les Enrages, et veritable leitmotiv pour les patriotes avancés
des 1790-91 8 ne s’aliène donc point. Si la souveraineté ne s’aliène pas, les
Enrages entendent tirer de la souveraineté populaire tine série de consequences
affinnant un exercice total et permanent de la souveraineté par le peuple. Ce
faisant, us s’opposent a la conception representative, et a celui que Mirabeau
appelait << I’homme qui a révélé au monde les véritables principes du
gouvemement représentatif >>: Sieyès. 11 ne s’agit pourtant pas, pour eux,
de s’opposer theoriquement, doctrinalement au chef-d’ceuvre de rhétorique
politique qu’est l’ouvrage de Sieyès
° mais de trouver des solutions
4
pragmatiques afin de représenter au mieux le souverain, le débat se portant
alors sur les moyens d’expression de la souveraineté et les attributs de celle

Les attributs de la souveraineté: Jean-Francois Varlet distingue, et


encadre, dans son article 10 de sa Declaration des droits l’exercice de la
souveraineté populaire en huit parties distinctes. Dans cet article, ii reconnalt

Roels, Le concept de representation politique au dix-huitième siècle, coil. Anciens pays et


assemblées d’états, éd. Béatrice-Nauwelaerts, Paris, 1969, p. 41.
<< Déduisant de Ia souverainetC populaire au sens total du terme, I’autonomie et Ia
permanence des sections comme le droit a Ia sanction des lois, au contrôle et a la rbvocabilité
des élus, us tendaient vers Ia pratique d’un gouvernement direct et I’instauration d’une
détnocratie populaire. >>, A. Soboul, Mouvement populaire et Gouvernement révolutionnaire,
Paris, These, Librairie Clavreuil, 1958, p. 505.
<<Rousseau, dana un écrit divin, fait voir le peuple souverain, son Iivre eat celui dii destin:
qu’on le rCvére, car c’est la pete du genre humain. >>, Jean-Francois Varlet, Pot Pourri
National, op. cit., p. 3.
J-J. Rousseau, Du contrat social, GF Flammarion, Paris, 1966, Liv. III, Chap. 15, Des
Députés ou Représentants et 1.-F. Varlet, Projet d’un mandat special et impérarif op. cit., p. 5.
<<Cette doctrine n’était pas nouvefle (en 1793). On se souvient que Ia revendication de Ia
sanction des lois avait été formulée par les deux animateurs du mouvement démocratique,
Bonneville et Robert, des l’hiver 1790-91 o, A. Agostini, La pensée politique de Jacques-René
Hébert (1790-1794), op. cit., p. 105.
Roels, Le concept de representation politique au dix-huitième siècle, op. cit. p. 111.
40
Keith Michael Baker, art. << souveraineté >>, (ss. dir.) Francois Furet, Mona Ozouf,
Dictionnaire critique de la Revolution Française, Flaznmarion, pp. 888-903, p. 895.
Sur Ia question des attributs de la souveraineté du peuple, et notamment leur genése, voir
Marcel David, << Les attributs de Ia souveraineté du peuple avant et aprés 1793 >>, (ss. dir.) J.
Bait, J.-J. Clère, Cl. Courvoisier, M. Verpeaux, La Constitution du 24juin 1793: l’utopie dans
le droit public francais ?, Actes du colloque de Dijon, 16 et 17 septembre 1993, éd.
UniversitairedeDijon, 1997, pp. 95-115.
David GILLES 261

. Ce faisant, ii tente
au peuple souverain l’exercice plein de sa souveraineté
42
d’apporter, des 1792, un autre système propre a être oppose a la
representation nationale. Dans cet Etat social qu’il appelle de ses vcnux, non
seulement le pouvoir législatif appartient pleinement et directement au peuple
rnais aussi le pouvoir constituant, le peuple pouvant remettre en cause le
contrat social sans passer par la representation nationale. Varlet ne reconnait
comme loi qu’un texte qui aurait obtenu la sanction du peuple, ne réservant
l’idée de representation que lorsque les députés agissent par décret. Ii va
jusqu’à contester tout processus législatif dans les mains des mandataires,
rejetant les débats parlementaires comme processus de redaction des lois .
43
Possédant sans interrnédiaire s le monopole législatif, le peuple tout puissant
choisit ses fonctionnaires, les contrôle sans cesse, veille a Ia bonne marche &
l’administration mais aussi a Ia fixation et au recouvrernent des impôts. Un
tel système, pour permettre un bon fonctionnement de l’Etat et tin respect de
la souveraineté, doit ndanmoins accepter tine certaine dose de representation
politique, mais celle-ci reste juridiquement limitée, la souveraineté restant
directement exercée par le peuple. Cette vision s’oppose totalement a celle de
Sieyès qui prone quant a lui tine representation reposant sur un <<mandat
général a tine fin spécialisée >>, selon I’expression de Jean Roels. Alors que
pour Sieyès, la representation est un signe de progrès, pour les Enrages, elle
n’est qu’un pis-aller, justiflé uniquement en raison d’une trop grande étendue
du territoire et devant être étroitement encadrée. La representation ne
s’entend, pour les Enrages, que limitée juridiquement par un mandat special
et imperatif, rejetant par là même les systèmes politiques initiés par la
Revolution. Les Enrages ne sont pourtant pas touj ours cohérents dans leur
rejet de la representation nationale. Confrontés a la réalité politique, us se
trouvent bien obliges d’accepter une representation limitée de la volonté

42
<<L’exercice de Ia souveraineté des Nations se divise en 8 parties égaleinent distinctes les
une des autres; c’est le droit qu’ont les hommes dans l’Etat social: 1 d’élire sans intermèdiaire
a toutes les fonctions publiques ; 2 de discuter des intérêts de Ia société ; 3 d’exprimer
partiellement des vreux des intentions, collectivement des volontés, aux mandataires cornxnis
pour proposer des lois, et concourir ainsi personnellement a leur formation; 4 de rappeler et
faire punir des délégués qui trahissent les intéréts de leurs commettans 5 de constater Ia
nécessité des contributions publiques, de les consentir librement, d’en suivre l’emploi, d’en
determiner Ia quotité, l’assiette, le recouvrement et Ia durée; 6 de demander compte i tout
fonctionnaire public, administrateur, agent, dépositaire des deniers nationaux de leur gestion; 7
d’examiner, refuser ou sanctionner les décrets que proposent lea mandataires pour leur donner
force de lois, et lea rendre exécutables ; 8 le droit des citoyens pris en masse dans un Etat, de
revoir, refondre, modifier changer le contrat social quand ii leur plait >; Jean-Francois Varlet,
Declaration solennelle des droits de 1 ‘homme dans I ‘Etat social, op. cit., art. 10, pp. 14-15.
<<Lea loix ne doivent point être le résuhat des impressions que produisent des orateurs
comrnunément plus capneux que sincéres, mais butt le recensement des ordres intimés par lea
assemblées primaires. >>, 1.-F. Varlet, Projet dun mandat special et iznperatzX op. cit., p. 6.
Sieyès, via-i-via des doctrines démocratiques, exprimait un mépris profond pour ceux qui
opposaieat representation et democratic << Dana leur ignorance crasse, ils croyaient le
système représentatif incompatible avec la démocratie, comme si un edifice était incompatible
avec sa base naturelle ; ou bien ils voulaient s’en tenir a sa base, imaginant sans doute que
l’Ctat social doit condamner les hommes i bivouaquer toute leur vie. Je voulais prouver qu’il y
a tout a gagner pour Ic peuple a mettre en representation toutes les natures de pouvoir dont se
compose l’établissenient public, en se réservant le seul pouvoir de commettre tous lea ans des
hommes senses et inunédiatement con.nus de lui pour renouveler Ia portion sortante de ses
représentants >, Sieyès, Convention nationale. Opinion de Sieyds, sur piusieurs articles des
titres IV et Vdu projet de constitution, prononcée ci la Convention le 2 thermidor de l’an IlIe de
Ia République..., Paris, impr. Nationale, An ifi, 23 p., BN P89/508.
262 Le concept de representation dans Ia pensée politique

populaire. us sont parfois conscients des difficultés de mise en ceuvre d’une


démocratie directe, populaire, dans un Etat tel que la France: <<Lorsque le
territoire est trop étendu, Ia population immense, le Souverain, réduit a
l’impossibilité de s’expliquer lui-même, communique ses idées a ses
mandataires >>. Varlet, tout comme Rousseau, accepte, par exemple, que le
miracle de la volonté génerale s’opère par l’intennédiaire de ces <<délégués
subordonnés >> : < Rassemblés en commun, ces fondés de procuration,
charges de développer les intentions de leurs commettants, recensent leurs
vux, et de ce recensement naIt la volonté générale >>. Dans certains de
leurs écrits, les Enrages acceptent même de reconnaltre la légitimité de la
souveraineté populaire incarnée dans les representants élus de la Nation
. Ces
47
amorces de compromis montrent que les Enrages se perdent par moment dans
les amphigouris théoriques, terrninologiques, et envisagent par instant les
limites de leurs propres solutions. Néanmoins, ils restent constants lorsqu’ils
reftisent aux mandataires toute marge de manuvre, us ne leur accordent
aucun pouvoir de decision. Les lois que les mandataires sont appelés a
prendre doivent subir irrémédiablement Ia sanction des assemblées primaires
pour recouvrir force exécutoire, et devenir l’expression du souverain. us ne
souhaitent pas, aprés avoir combattu l’arbitraire royal, y substituer ce qu’ils
appellent .< l’arbitraire représentatif >>. us lui préfêrent l’appel au peuple
incessant, voire l’insurrection quasi permanente
.
4t
A cette critique de Ia representation nationale s’ajoute une critique
plus profonde, réfléchie, celle du système politique et des inégalités qu’il
entralne. Les Enrages s’insurgent en 1792 notainment contre la distinction
entre citoyen actif et passif qui ne répond pas a la juste expression du
souverain : <<(La liberté) pourvoit-elle triompher, lorsque qu’on ne mettoit a
Ia tête du gouvernenient que les citoyens actifs, de ce temps-là, c’est-à-dire
des assassins (...) Le décret du 11 aoüt 1792 consécutif a la prise des
Tuileries, supprimera la distinction des Francais en citoyens actifs et passifs,
sans aboutir toutefois a une expression parfaite du souverain selon leurs vues.

Le rejet de la confusion des pouvoirs: Autre critique présente sous


leirs plumes, c’est le refus de toute confusion des pouvoirs afin de protéger

Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de 1 ‘homme dans I ‘Liar social, I ‘an
premier de la vériié, op. Cii, p. 5. <<Tout bien examine, je ne vois pas qu’iI soit désormais
possible au souverain de conserver parmi nous l’exercice de ses droits si Ia cite n’est très
>>, J.-J. Rousseau, Du contrat social, op. cit., Iivre UI, chapine XV,
rtte
6 p. 136.
Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de l’homme dans l’Etat social, l’an
premier de Ia vérité, op. cit., p. 5.
<<ii est des circonstances, oü l’on dolt tout dire, sans méme craindre d’ouvrir les playes
encore saignantes une main audacleuse a violé Ia souveraineté du peuple, le sang d’un
représentant, le sang de Le Pelletier a coulé par le fer assassin des esciaves des roys.>>
Jacques Roux, Projet de Discours sur les causes des maiheurs de la République Francaise,
op. cit., p. 109.
La representation nationale est d’ailleurs consciente de cette menace constante des
mouvements populaires, appuyés, voire instrumentalisées par Ia Montagne durant le printemps
1793. Ainsi Isnard n’hésite pas a menacer les séditieux dont les Enrages font partie: <<Si par
des insurrections toujours renaissantes, ii arrivait qu’on portât atteinte a Ia representation
nationale, je vous declare au norn de Ia France entière [Les Montagnards: non! non! Les
Girondins: oui ! oui !J, Paris serait anéanti ; et bientôt on chercherait en vain sur les rives de la
Seine s’iI a existé. >> A. Agostini, La Penséepolitique de Jacques-René Hébert, op. cit., p. 111.
<
Jacques Roux, Projet de Discours sur les causes des maiheurs de la République Fran caise,
op. cit., p. 122.
David GILLES 263

Ia souveraineté populaire. Cette prise de position est d’ailleurs dans la droite


ligne de celle adoptée par la Constitution de 1793, qui distinguait les
atthbuts de l’autorité supreme du Peuple de ceux du Corps législatif et du
. Pour Leclerc par exemple, faire du Comité de salut public
Conseil exécutif’
50
un organe de gouvernement est le premier pas vets une dictature: <<Je ne
vois dans cette masse de pouvoirs réunis dans le Comité de salut public
qu’une dictature effrayante >>M. Chez Varlet, c’est le même combat, reprenant
l’idée développée par Rousseau d’une subordination de la puissance
executive, d’un gouvernement au sens strict, a Ia toute puissance de la
volonté souveraine. Dans la droite ligne de cet activisme proprement
<< enrage >>, les Enrages en viennent a contester non seulement Ia
representation du peuple en revolution, mais également l’idée même de
gouvemement révolutionnaire. Varlet, dans son pamphlet Gare 1 ‘explosion en
1794 affirme que <<pour tout être qui résonne, gouvemement et revolution
sont incompatibles, a moms que le peuple ne veuille constituer ses fondés de
pouvoir enermanence d’insurrection contre lui-mCme, ce qu’il est absurde
de croire>> . Pour Leclerc, c’est la peur de Ia dictature qui menace; en
stigmatisant les conventionnels jacobins ii rejette la confusion des pouvoirs
initiée en aoñt 1793, ii refuse que la Convention se perétue par la
suspension de la Constitution. II voit le Comité de Salut Public cornme un
moyen de mener la Revolution vers une dictature, vers un mode de
gouvernement révolutionnaire qui ne serait pas dans les mains du souverain,
mais dans les mains de représentants.
Paradoxalement, dans leurs diverses actions au sein des sections
populaires et de la Commune, les Enrages, Jacques Roux en tête, n’ont de
cesse d’appuyer leurs revendications sociales et politiques siir l’idée qu’ils
incarnent eux-même la voix du peuple, alors qu’ils ne représentent
juridiquement et sociologiquement qu’une faible partie de l’opinion, voire
qu’une partie de leurs sections. D’ailleurs, mis en minorité dans leurs
sections, us n’accepteront pas cet acte de democratic directe défavorable a
leurs partisans, et tenteront de contourner la volonté de leurs sections, faisant
ainsi fi de la légitimité de leur propre mandat. Les Enrages, s’ils renâclent a
accepter l’idée d’une representation légitime de la souveraineté populaire,
nourrissent de plus une defiance permanente envers les représentants, qu’iI
s’agit de contrôler par la mise en application d’un système les privant de
toute indépendance. Le seul représentant qui trouve alors grace a leurs yeux
est celui qui a sacriflé sa vie au peuple. Hors d’une nature exceptionnelle,

°°
Marcel David, <Les atiributs de Ia souveraineté du peuple avant Ct après 1793 >>, op. cit.,
p. 108.
°‘ T. Leclerc, L ‘Ami du peuple, n VII, 4 aoüt, I’an 2 de is République, op. cit.
52
Jean Francois Varlet, Gare I’explosion !, op. cit. p. 8.
<< Celui qui fait les lois ne doit pas les faire executer, parce que l’exécution exige une
obéissance passive, aveugle, de la part de ceux a qui elle est confiée, aux ordres des homrnes
que le peuple a charges de veiller a son salut; >> T. Leclerc, L ‘Ami du peuple, n VIII, 6 aoüt,
I’an 2 de Is République, op. cit.
<<S’il est une mesure dangereuse, impolitiqie et subversive de tout ordre social, c’est sans
doute celle qui a etC proposée a la Convention nationale d’eriger le Comité de salut public en
ComitC de gouvernement. (....) peut-être tous les membres qui le composent sont-ils puss et
inaccessibles a la corruption (...) [mais] c’est un capet a neuf têtes qu’on crCe a la place de
celui qui n’est plus. >>, T. Leclere, L ‘Ami du peuple, n VII, 4 aoüt, I’an 2 de la République,
op. cit.
264 Le concept de representation dans la pensée politique

d’une vertu antique, si les representants ne sont des << Brutus >>, ii ne doit pas
y avoir de representation de la souveraineté sans mandat.

<<La fiction de I’homme d’Etat >>

<<Peuple ! Sous le régne de la liberté, tu dois avoir


sans cesse les yeuxfixés sur tes magisirats
Jacques Roux, Le Publiciste de la Républiquefrancaise

La souveraineté populaire aflirmée par les Enrages, caractérisée par son


inaliénabilité, entraine chez ceux-ci une condamnation de la personne même
du representant. Ce rejet se retrouve dans 1a lexicographie qu’ils emploient
pour les designer. us préfrent au terme de représentant celui de déiégué, de
mandataire..., us n’emploient le terme de représentant que lorsque leur verve
les porte a décrier le système, a salir les tenants du pouvoir; <<représentant>>
sonne bien souvent comme une flétrissure
. Dans leurs différents écrits, les
57
Enrages développent une méfiance constante face a tout pouvoir qui ne serait
pas celui du peuple directement exercé, et done du gouvernement. Se
positionnant en héntier de Marat, ilsreprennent la inéfiance de celui-ci face a
la propaande des < Hommes d’Etat>> que dénoncait déjà << l’Ami du
Peuple> . C’est tout d’abord la représentativité du représentant qui est
attaquée. C’est ensuite sa conduite comme homme du gouvernement qui est
mise a mal. L’homme de gouvernement est par essence perverti selon eux.
S’opposant a tout pouvoir délégué, les Enrages, du moms dans leurs Iuttes
communes contre Ia royauté et les Girondins, se presentent comme des allies
objectif de la Montague jusqu’au printemps 1793. Pour détrôner les
Girondms du perchoir de la Convention, Jacobms et Enrages développent
dans l’opinion populaire, a travers leurs organes de presse et leurs pamphlets,
la méfiance envers les représentants du peuple. Jacques Roux, des le debut de
son activisme politique, se garde d’accorder sa conflance a des représentants
dont ii estime que la politique ne refléte pas celle du peuple. Ses critiques se
portent d’abord sur les Constituants, puis sur les Girondins dont ii met en
relief les trahisons et les turpitudes affairistes <<Les ministres, les brigands
décorés, les gens en place ont presque toujours éehappé au supplice. us ont
eu beau conspirer, allumer au-dedans le feu de I’intolérance et de Ia tyrannie

Lamartine, en parlant de Brissot, écrit << ii méritait l’injure d’homme d’Etat que lui jetait ses
ennemis, >> Roux, cornme Marat et lea Montagnards, utilisait cc terme pour designer les
Giroadins. Marat, face a in Tribune de la Convention, s’adressaut aux Girondins s’exclame:
<lln’y a id ni justice ni pudeur ! (...) Oui Décrétezmoi d’accusation, mais en méme temps
décrétez de dCmence ces hommes d’Etat. >>, A. de Lamartine, Histoire des Girondins, Paris,
Fume et Cie-W. Coquebert, 1868, tome V, p. 329 et tome W p. 498.
56
Jacques Roux, Le Publiciste de Ia Republiquefrançaise, a° 247,25 juillet 1793, p. 4.

Robesvierre lui-même rejetait Ic terme de representant au nom d’une libation rousseauiste.
Pour lui, < Ic mot de representant ne peut &e appliqué a aucun mandataire du peuple parce
que la volonté ne peut pas se représenter. Les membres de la legislature sont les mandataires a
qui le peuple a donnC Ia premiere puissance ; mais dans le vrai sens, on ne peut pas dire qu’ils
le représentent. >>, Archives Parlementaires, tome LXVI, p. 578, cite par Lucien Jaume, Le
dtscoursjacobin et la démocratie, op. cit., p. 333.

Christine Peyrard, << Carabots et Jacobins a La conquete de I’opinion >>, La Revolution
francoise et les processus de socialisation de I’homme moderne, Colloque International de
Rouen (octobre 1988), IRED/Université de Rouen, editions Messidor, 1989, pp. 123-131.
David GILLES 265

[...j. La hache de Ia loi ne les aurait jamais atteints, si Ia justice du peuple


n’eut supplée au silence affecté des tribunaux .

Critique de 1 ‘autorité: Les Enrages n’entendent pas reconnaIfre des


représentants de Ia Nation, entité qu’ils jugent impalpable, mais des
représentants du peuple, qui ne délègue alors plus sa souveraineté, mais qui
use des représentants comme de porte-parole. Ce sont les Girondins qui
incarnent le mieux, un temps, cette vision critique et negative du
représentant. Mais les Enrages, en donnant a cette critique un caractére
absolu, ne se limitent bientôt plus aux Girondins, mais englobent l’ensemble
de la representation nationale. Ce discours se trouve alors bien plus subversif,
et dangereux que celui developpe par les autres tribuns du mouvement
. En effet, poursuivant cette critique jusqu’en 1794, Roux et les
60
populaire
autres Enrages prennent une place atypique dans le mouvement populaire
révolutionnaire. Contrairement a Hébert, tout en critiquant le gouvemement
girondin, us ne se rallient pas a la ‘< Citadelle Montagnarde
>>61
selon
l’expression d’Albert Mathiez. Roux, au contraire se trouve être encore plus
exigeant envers des représentants qu’il considére comme naturellemeat plus
proches du peuple
.
62
Cette defiance envers les << representants infldèles >>, faite au nom de la
, ne se limite d’ailleurs pas a la
protection de la souveraineté du peuple
63
representation nationale. J. Roux voit dans l’avancee fremee de la Revolution
>>M
un <<plan d’oppression general et il fustige tous les corps de l’Etat,
ministres, generaux, magistrats, ministres du culte reprenant la theorie du
complot chere aux mouvements extreniistes. Il comprend la complexite de la
structure étatique, mais, loin de voir cette complexité comme une nécessaire
adaptation et spécialisation de 1’Etat, il y voit une dispersion de Ia
souveraineté populaire, une déresponsabilisation des tenants du pouvoir, et il
critique alors les divers representants de l’autorité. C’est en cela que les
accusations d’anarchistes qui ont ete portées contre les Enrages se trouvent en

Jacques Roux, Projet de Discours sw- les causes des maiheurs de la République Francaise,
cit. p 106.
6
La critique du représentant se trouve d’ailleurs étre l’uri des themes fondateurs de
l’extrémisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Sur les permanences des mythes fondateurs
communs aux extréniismes de droite et de gauche, voir notaininent Ia these de M. Crapez, La
gauche réactionnaire : mythes de la plèbe et de la race dans le sillage des Lumiêres, These
d’histoire du droit, Berg International, 1997.
61
Ainsi Leclerc, clans son numéro du 25 aoüt de l’An II declare: <<II existe un paso dans le
sein de Ia Convention, parmi les montagnards mémes, qui veut nous rendre nos anciens fers ou
nous en donner d’autres, en se perpétuant a Ia tête du gouvernement. >, T. Leclerc, L ‘Ami du
Peuple,n°XV,p. 1.
62
[Peupie !) Sous le règne de la liberté, tu dois avoir sans cesse les yeux fixes sur tes
magistrats. Combien n’as-tu pas été trahi par des municipaux sans pudeur, par des
commandants sans vertu? Combien ne le seras-tu pas encore si tu ne jettes tin regard vraiment
républicain stir tes mandataires... si tu ne fais éclater la foudre de Is loi sir les hypocrites Ct les
friporis qui t’entourent. s, Jacques Roux, Le Publiciste de Ia République Francaise, n 247, 25
juillet 1793.
6
<<Après avoir franchi l’intervalle immense de l’esclave a l’homme, vous ne souffrirez pas
que vos mandataires portent la moindre atteinte i Ia Iegitimité de vos droits; qu’ils s’écartent
de I’opinion publique, qui seule dicte des lois et qui est toujours droite et toute puissante >,
Jacques Roux, cite par A. Mathiez, La Vie chê.re et le Mouvement Social sous Ia Terreur, Paris,
Payot, 1973, p. 135.
“Jacques Roux, Projet de Discours stir les Causes des Maiheurs de Ia République Francaise,
op. cit., p.1l5.
266 Le concept de representation dans la pensée politique

partie alimentées, mais cela reste toutefois une extrapolation infondée


. Chez
65
Varlet, c’est la même attitude ; ii ne faut plus <<d’accommodements avec les
traltres, lorsque, revêtus d’un cantctêre sacré, us abusent des pouvoirs ue le
peuple leur a conflés >>. II mettra cet antiparlementarisme virulent en
action puisqu’il sera I’un des personnages trés actifs lors des insurrections
populaires organisées contre la representation nationale, échouant le 10 mars
6t et a la chute de la Gironde en mai. Ii
mais participant au comité de l’Evéché
ira méme jusqu’à parler de la << fiction de l’homme d’Etat >>. Pour lui ,
tt
<< l’homme par nature est etri d’orgueil, dans les postes élevés ii incline
forcément au despotisme>> Les cntiquant, les Enrages n’ont pourtant de
cesse d’en appeler a ces législateurs
’ qu’ils considérent comme inaptes a
7
mener la politique voulue par le peuple. Pour Leclerc, << C’est aux
legislateurs a mériter les bénédictions des français >>72• leur demande
d’enfin faire primer l’intérét général sur les intérêts particuliers
73 rejoignant
alors paradoxalement le mot d’ordre des Jacobins
.
74
Cette méfiance envers Ia representation nationale, chez Jacques Roux
notarnment, est sans doute influencée par les échecs successifs de celui-ci
pour parvenir a de tels postes. Si ce n’est le mandat de sa section a Ia
Commune, Jacques Roux a échoué dans sa conquête d’un siege a la
Convention nationale a l’automne 1792, et ii ne parviendra pas plus a se faire
élire a l’assemblée départementale. Ces échecs dans l’arène électorale ne firent
65
A contrario Roux, dans son Discours stir les moyens de sauver la France, estime <que
l’obéissance a la loi >> est une <<condition pour empécher l’explosion de la guerre civile. (...)
Le triomphe de Ia liberté depend du rCgne de la loi, et c’est dat respect qu’on Jul porte que nait
cette force, cette indépendance, cette harmonie qui prepare le bonheur du monde. >>, op. Cit.,
p. 17.
66
Jean-Francois Varlet, Mesures suprémes de salut public proposes aux citOyens du
départenient de Paris, op. Cit.
6
us accompagnent en cela le Pére Duchesne dans sa lutte contre Ia Gironde: <<Nom d’un
foutre, n’avons-nous done plus de sang dana les veines de nous voir ainsi trahis par tine
poignCe de scClérats qul mordront Ia poussière quand nous voudrons dormer Ic momdre signe
de vie? s, Hébert, Le Pêre Duchesne, N°235, p. 5.
68
D. Guerin, La lutte des classes sous Ia premiere République, op. cit., tome 1, p. 43.
69
Leclerc développe le méme pessirnisme sur la nature méme de l’hornme politique: cMais je
l’ai dit et le répéterai ntiule fois au peuple, l’habitude de gouverner corrompt les hommes, Os
s’accoutument a se considérer comme des êtres petris d’un different limon, us deviennent
insolents avee leurs concitoyens, et semblables aux valets parvenus sous le régime despotique,
traitent avec tine hauteur ridicule, tine morgue insoutenable, ceux qui ont affaire a eux. >>,
Leclere, L ‘Ami du Peuple, n° XX, 6 septembre de l’an II.
°
Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de l’homme dans l’Etat social, l’an
premier de Ia vérité, op. cit., p. 5 ; J. Roux nourrit Ia méme méfiance <<l’homme, des qu’iI voit
le jour est abandonné a des pensCes d’ambition et d’orgueil. >, 3. Roux, Discours stir les
moyers de sauver Ia France, op. cit., p. 9.
71
<<Législateurs ! Avez-vous a vous plaindre du peuple 7 Vous un avez dit que vous ne
pouviez pas sauver Ia pathe sans 1w, ii a prété son bras; qu’il était temps de se lever, et ill’ a
fait; que les Brissotms entravaient vos operations, et ii les a écrasés. Peuple, as-ru a te plaindre
de tes législateurs ? Tu leur a detnandC Ia taxation de toutes les denrées de premiere nécessitC,
on te I’a refuse ; l’arrestation de tous les gens suspects, dIe n’est pas décrétée; l’exclusion des
nobles et des prCtres de tous les emplois civils et militaires, on n’y a pas accédé. >> T. Leclerc,
L ‘Ami du Peuple, n° IX, 8 aoüt Anil, op. cit.
72
T. Leclerc, L ‘Ami du Peuple, O X, 10 aoüt An II, op. cit.
<< Ii est done vrai qu’il est des hommes qui, sacrifiant l’intérêt génCral a leur intérêt
particulier, voudraient perpétuer La guerre afin de se perpétuer eux-mêmes I la tête du
ouvernernent >>, T.Leclerc, L ‘Ami du Peuple, O. cit., fl XDC.
Patrice Rolland, << L’apprentissage de Ia libertC politique: les difficultés de l’année 1793 >>,
op. cit., p. 86.
David GThLES 267

qu’accentuer la propension de Jacques Roux a la defiance et au combat vis-à


, combat qu’iI mènera de concert avec Varlet et
vis des hommes en place
75
Leclerc jusqu’à leur écrasement par la machine jacobine. On peut se demander
si Roux, une fois établi de manière certaine dans le système révolutionnaire,
n’aurait pas fait taire son appel au peuple comme tant d’autres au profit de
son intérêt particulier. A contrario de cette hypothèse, un élément étaye l’idée
d’une fidélité avérée des Enrages a leurs principes. Les Enrages, contrairement
aux Hébertistes, ne firent pas preuve d’entrisme. Si l’on retrouve des fldèles
d’Hébert dans de nombreux lieux de pouvoir, comme la Commune ou le
ministère de la guerre, relayant un lobbying efficace, et nécessitant une
veritable purge a l’automne de leur rayonnement, les Enrages privilégièrent la
presence sectionnaire, et ne briguèrent pas ou peu, a l’exception de Roux, de
postes officiels.
Cette opposition a tout gouvernement représentatif
, selon les
6
Enrages source d’un avilissement du peuple souverain, d’une derive vers une
dictature aux mains des représentants, est le reflet d’une fihiation rousseauiste
forte. Pour eux. la démocratie directe doit s’exprimer coflte que coüte, même
Si le peuple doit faire entendre sa voix par-dessus celle de ses representants.
Ils refusent l’idée développée par Robeierre d’une unicité entre la volonté
exprimée par le représentant et le peuple . Pour eux comme pour Rousseau,
ii y a dualité entre les deux expressions de la volonté. Ce mepris et cette
méfiance du représentant s’accompagnent naturellement d’un panégyrique en
, fidéle a son mandat et
faveur d’un représentant vertueux, quasi mythique
78
au peuple : << Les fonctions administratives et judiciaires, l’échatpe
municipale, le baton de la République ne doivent être donnés qu’aux citoyens
qui se sont constamment montrés avec l’autorité d’un vie pure, ui ont
>>.
entouré de leur lumière Ct de leur vertu le berceau de la Revolution Ii eSt
remarquable que le 25 aoüt de l’an II, alors que les premieres estocades ont
été portées aux Enrages, Leclerc personnifle encore le representant vertueux en
, alors que celui-.ci s’est toujours montré hostile
Ia personne de Robespierre
80

M. Dornmanget, Enrages et curé.s rouges en 1793: Jacques Roux, Pierre Dolivier, op. cit.,
p.
.
41
76
<< Le mouvement est hostile a tous les partis il est antiparlementaire, orienté contre Ia
bourgeoisie, sa domination sociale, Ic régime juridique qui Ia permet et Ic personnel politique
qui l’incarne. > M. Peruse, << Les lutes de classe et la question de la dictature an debut de
1793 >, A.H.R.F, op. cit., p. 456.
Ce fàisant, ii adopte une théorie qui est Ia théorie de Ia representation qui <<fonde Ic droit
public francais celui qui fait la loi est présumé exprimer Ia volonté générale. >>, Michel
Troper, <<Débats >, La Constitution du 24juin 1793 : 1 ‘uropie dans le droit public francais?,
oe. cit., pp. 90-95, p. 91.
Ce culte du représetitant vertueux, entretenu par les Jacobins, accompagne celui des héros
révolutionnaires qui s’implante puis triomphe durant les années 1793 et 1794. D’abord culte
des << martyrs de Ia République >>, dans lequel s’inscrivent les écrits de Roux et Leclerc
concernant Michel Le Peletier de Saint Fargeau et Marat., il va se transformer en culte
institutiormalisé du héros révolutionnaire sous la férule de Robespierre (panthéonisant ainsi
Chalier et Bars, notamment). M.Ganzin, << Le hCros révolutionnaire : 1789-1794 >>, Revue
historique de droitfrancais et étranger, Sirey, 1983, vol. 61, pp. 371-392, p. 378-381.
J. Roux, Discours sur les moyens de sauver Ia France et Ia liberté prononcé par Jacques
Roux, op. cit.
<<Si Ic petit nombre d’hommes vertueux qui reste dana Ic scm de Ia Convention Nationale ne
vientpas a bout de faire restituer aux autres comités les fonctions que celui dit d.c Salut Public a
usurpCes sur eux, nous verrons, comme je l’ai dit, Robespierre et deux ou trois hornmes purs
encore qui en Sont membres, remplacés au premier renouvellement [...J >>, Leclerc, L ‘Ami du
Peuple,nXV,p. 1.
268 Le concept de representation dans Ia pensée politique

a ceux qu’il considérait comme des fauteurs de troubles, agissant d’ailleurs en


personne afin d’exclure Roux et Varlet du Club des Cordeliers. Malgré cette
hostilité affichée, Jacques Roux n’entend pas << avilir les autorités
constituées >>. Ii écrit dans son projet d’un Discours sur les Causes des
maiheurs de la République Française, <<je sais que des mandataires
temporaires et librement élus sont la sauvegarde de la liberté. Je sais que les
loyx qui émanent de leur sagesse, sont des preuves vivantes de la
souveraineté du peuple, et j ‘ay distnbué plus d’une couronne civique aux
représentants qui se sont pénétrés de la sainteté de leur devoir >>. Les Enrages
firent preuve a cette époque d’un aveuglement dramatique pour leur
mouvemen:. En 1793, Roux remarque d’ailleurs, amer, que << depuis quatre
arts, la vertu des vrais amis de l’égalité, s’est perdue dans Ia foule des traltres,
comme un petit ruisseau se perd dans tin fleuve immense >>. Les références a
la démocratie antique, dont us parsèment parfois maladroitement
8 leurs
écrits, ne trouvent alors pas même grace a leurs yeux, et s’ils cherchent tin
Brutus, tin Catilina, ou en appellent aux manes des Gracques, us estiment la
République encore plus malade que celle de la Rome de César . Pleins de
83
désillusions, les Enrages rejettent la démocratie representative telle qu’ils
l’ont vue pratiquée darts les premieres années de la Revolution: <Trois fois
nos députés ne se pénétrerent pas assez de leur grande mission, l’insouciance,
les prétentions a l’espritle gout de la domination, et par-dessus tout Ia soif
de l’or les obsédèrent>> C’est ici que la méfiance envers les représentants
.

rej oint le theme essentiel des Enrages, la lutte contre les agioteurs, les
accapareurs, les riches darts leur ensemble.

Représentants et accapareurs: Car c’est tine critique sociologique de


la representation que ménent également les Enrages, notamment contre les
Girondins, qui sont trop éloignés de cette <<guenille>> qui leur est chère
.
85
Varlet, par exemple, allant de concert avec Jacques Roux, fustige la collusion
entre représentants du peuple et tenants du pouvoir économique, voyant dans

Jacques Roux, Projet de Discours sur les Causes des Malheurs de la République Francaise,
cit.
8
Leclerc pane notamment clans son Ami du peuple, d’un Crussus, alors qu’il semble vouloir
dbsigné Crassus, le maiheureux triumvir, T. Leclerc. L ‘Ami du peuple, n° IX, 8 aoüt de l’an II
de la République, commenté par Claude Guillon, Deux enrages de la Revolution, op. cit.,
P. 171.
<<Nos nueurs sont encore plus dépravbes que celles des Romains au temps oO ils avaient des
Marius, des Sylla, des Césars et des Pompée; défions-nous de nous mémes, surveillons et
n’idolâtrons pas les gens en place, mais surtout tie les y perpbtuons pas x’, T. Leclerc, L ‘Ami du
Peuple, n° XX, 6 septembre de l’an IL Sun Ia reminiscence de l’antiquité dunant Ia revolution,
voir notamment Jacques Bouineau, Lea Toges au pouvoir, 1789-1 799 ou la Revolution de droit
antique, Toulouse. Association des publications de l’Université Toulouse-Le Mirail, 1986, 544

Jean-François Varlet, Declaration solennelle des droits de l’homme dans l’Etat social. l’an
remier de Ia vérité, O. Cit., p. 4.
<<Depuis quatre sos, toujours sur laplace publique clans les groupes du peuple, clans Ia sans
culottenie, dana la guenille que j’aime, j’appnis naivement et sans contrainte; les pauvres
diables raisonnaient plus stirs, plus hardiment que les beaux messieurs, les grands parleurs, les
savants tatonneux >, Jean François Varlet, I.e malheur, quelle Ecole! Ce que j ‘écris Ia nuit, a
la lueur obscure d’une lampe de prison en est peut-étre une preuve. Tyrans et ambitieux,
lisez..., O. Cit ; << Trois heures de temps passé a la porte d’un boulanger formerait plus d’un
législateur que quatre annCes tie residence sun les bancs de Ia Convention. >>, T. Leclerc, L ‘Ami
dupeuple, n° XVII, 30 aoüt 1793.
David GILLES 269

I’appât du gain l’un des vices trop frequent des représentants du peuple:
<<Trois fois nos députés ne se pénétrérent point assez de leur grande mission,
l’insouciance, les prétentions a I’esprit, le gout de la domination, et par
dessus tout Ia soif de l’or, les obsédérent. us commencèrent par être
patriotiques, enraés, et finirent par se montrer traltres et réfractaires a Ia
cause du peuple>> Les Enrages passent ainsi, durant les années 1791-1793,
.

d’une critique du representant infidéle, affihié aux tyrans et a Coblence, a celle


de l’agioteur, le prévaricateur, l’affameur du peuple parisien, incarné par le
représentant Girondin, << l’homme d’etat >> désigné par Marat. Leur demière
lutte, fatale celle-ci, contre les représentants, est celle contre les représentants
tyrans, agissant contre le peuple (essentiellement contre eux-mêmes et les
sociétés populaires), instigateurs du Comité de Salut Public , les
87
représentants de la Montagne
88 qui vont provoquer leurs disparitions
successives. Logiquement, c’est au moment oil les Jacobins ouvrent le plus
largement le flanc aux critiques de corruption, de tyrarmie, notamnient par le
scandale de la Compagnie des hides89 et la mise en place de la Terreur, qu’ils
vont juguler la critique enragée.
Cet antiparlementarisme, selon le terme de Denis Richet , va
90
entralner les Enrages vers la recherche d’une solution juridiquement capable
de protéger le peuple de ses représentants. La solution de la representation
mandatée, héritée du passé, leur semble alors la seule permettant au peuple
souverain de garder un contrôle permanent sur la politique de la Nation. Cette
revendication, qui débute des 1792, va prendre place dans une problématique
plus large, qui est celle du problème des subsistances d’un côté et celle de la
mise en place de la Terreur de l’autre. Si les Jacobins, les sans-cu’ottes et les
Enrages exacerbérent les crises et en imputèrent la respoasabilité aux traltres
et aux conspirateurs, us divergent néanmoins sur les réponses a apporter .
91
Les Enrages souhaitent, comme les sans-culottes, un recours general a la
démocratie directe, en poursuivant << la radicalisation de la Revolution d’en

J.-F. Varlet, Déclaration solennelle des droits de l’homme dons 1 ‘Etat social, op. cit., p. 4.
<<C’est de Ce parti là (la Montagne), qu’est sorti [sic] l’inlâme proposition d’eriger Ic
Comité de Salut Public en comité de gouvernement (ii vise alors les dantonistes) ; (...) c’est par
ce parti là qu’adroitement et pour la forme exclue du Comité de salut public, Danton et Lacroix
ont eu la facilité de lui faire accorder 50 millions, bien sürs d’y Ctre reportés au premier
renouvellement. >>, T. Leclerc, L ‘Ami du Peuple, n XV, 25 aolit de l’an II.
n <<Députés
de Ia Montagne, que n’êtes-vous montés depuis le troisième jusqu’au neuvième
étage des maisons de cette yule révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les
gémissements d’un peuple immense sans pain et sans vétements, réduit a cet état de ddtresse et
de maiheur par l’agiotage et les accaparements, parce que les lois ont été cruelles a l’égard du
pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches >>, Jacques Roux,
Petition devant la Convention, du 25 juin 1793, in Dommanget, Enrages et cures rouges en
1793 : Jacques Rou.x. Pierre Dolivier, op. cit., p. 21.
09
A l’automne 1793, éclate Ic scandale de cette Compagnie, auquel sont mélés plusieurs
députés dantonistes ( Delaunay, Chabot, Basire...) et certains hébertistes. Ce scandale va
servir a i ‘aile robespierriste pour faire chuter successivement leurs rivaux dantonistes a Ia
Convention et hébertistes dans les milieux populaires. Cette lutte sera engagée au nom d’un
suppose complot entre étrangers de Paris (Anacharsis Cloots, Guzman...) et les campagnes
hébertistes. F. Furet et D. Richet, La Revolution francaise, coil. Pluriel, Paris, Hachette, 1973,
pp. 241-243.
90
Denis Richet, art. <<Enrages >, F.Furet et M.OzouI Dictionnaire critique de la Revolution
francaise, op. cit., p. 360.
91
Amo J. Meyer, Leo Furies (1 789-1917), Violence. Vengeance, Terreur, Paris, Fayard, 2002,
pp. 171-174.
270 Le concept de representation dans la pensée politique

bas >>92. Les Jacobins entreprennent eux de renforcer le pouvoir représentatif,


en contrOlant l’ensemble du politique, et sauver ainsi selon eux, Ia
Revolution. Ce faisant, se pose entre le courant populaire et le courant
jacobin Ia controverse de la localisation de la souveraineté
, qui va les
93
entrainer vers une rupture definitive.

II. LA REPRESENTATION JURIDIQUEMENT LIMITEE

Les Enrages, dont la lutte s’oriente dans l’été 1793 vers des questions
plus politiques, vont insister sur la nécessité pour le peuple, afin de conserver
une souveraineté pleine et entière, de contrôler la démocratie et la
representation nationale. Ce n’est pas pour autant qu’ils abandonnent les
themes économiques et sociaux qui ont fait leur popularité dans le milieu
sans-culotte. Mais les réponses apportées par les Jacobins, et la reprise d’une
partie du programme social commun aux Enrages et aux sans-culottes, va
couper l’herbe sous le pied de Roux, Leclerc et Varlet. Le système jacobin,
après les avoir prives d’une partie de leurs revendications sociales, va les
priver de leurs tribunes habituelles, en expulsant notamment Roux et Varlet
des Cordeliers, et enfin les priver de leurs soutiens sectionnaires en
pourchassant leurs séides a travers leurs différentes sections. En réponse, les
Enrages, vont se dresser en contempteurs du système jacobin. Mais Ia
critique du representant ne suffit plus. Les Jacobins, <<l’incorruptible>> en
tête, prétent moms le flanc aux accusations d’agioteurs et d’accapareurs que
les Girondins. Les Enrages critiquent alors plus volontiers les faiblesses de Ia
Montagne, sa tiédeur a l’égard des < tyrans du dedans >> et renforcent leur
appel a une Terreur aux mains des sans-culottes. Les Enrages appellent
également de leurs vux l’application pleine et entière de Ia Constitution de
1 79395, Afin de contrer les Jacobins, us vont reprendre avec force le theme
déjà ancien du mandat impératif, ceci afin d’obliger les représentants a
protéger le peuple de la < tyrannie legislative >>. Dans leurs diatribes acides
contre les Jacobins, us vont répondre a la prise de contrôle de la Revolution
par un appel incessant au peuple, par des petitions a la Convention (dont ils
seront les rédacteurs plus ou moms avoués) et par l’appel a l’insurrection et
aux assemblées primaires, seules institutions aptes selon eux a aboutir a une
representation fidèle du peuple. Aprés avoir été les plus fervents terroristes,
les Enrages refusent alors de voir dans Ia Terreur, selon les termes de Lucien
Jaume, une nouvelle forme de representation du peuple
.
96

92 171
17id.,p.
L. Jaume, Le discoursfacobin et la démocratie, op. ciL, p. 282.
<
<<Puisque vous avez le droit de faire massacrer les hotnmes, pourquoi ne leur assurez-vous
pas le droit a Ia vie? Puisque vous déclarez la guen’e aux tyrans du dehors, pourquoi laissez
vous en paix les tyrans du dedans ? >>, Jacques Roux, Discours a la Convention du 25 juin 1793,
A.P., op. cit., p. 458.
Varlet va même jusqu’a parodier les propos du marquis de La Fayette, dont il avait été l’un
des plus farouche opposant, en r&lamant << La Constitution, toute Ia Constitution, rien que la
Constitution. >> Voir également J.-M. Zacher, <<Jacques Roux et la Constitution de 1793 >>,
Conference universitaire sur I’histoire de la dictature jacobine, Odessa, 1958, pp. 43-46.
96
<< Representation qui s’exerce a distance des gouvernCs, puisque c’est la Convention qui
donne l’impulsion (a travers le Comité de salut public) ; mais representation qui fait aussi corps
avec eux puisqu’elle répond a leur deinande, qu’elle exerce lx <<vengeance nationale>> (selon
I’expression frCquetnment employee), queue traduit dans Ic cerveau du colosse les nécessitCs
David GILLES 271

Le joug nécessaire d’un << mandat special et impératif>>

<<Point de députés sans pouvoirs, sans mandats.


Ce principe nous garantit de la Tyrannie legislative >>.
Varlet Jean-François, Projet d ‘un mandat special et impératif
97

Des mandataires dans les mains de leurs commettants : C’est Varlet


qui se trouve être la cheville ouvriêre de Ia << théorisation > du mandat au sein
des Enrages. Ii s’en fait l’ardent défenseur tant lors de ses harangues du haut
de sa tribune roulante quand ii personnifie <d’Apótre de Ia Liberté >>, que
dans ses pamphlets oü sa plume ne fait que suivre le plus souvent les traces
. Ii se réfère a Ia pensée
laissées par celle de Jean-Jacques Rousseau
98
rousseauiste expressément quand ii rend hommage au citoyen de Genève pour
avoir consacré la souveraineté du peuple: <<Francais des 85 départements,
notre souverain reste encore a demi cache sous un voile épais, dont le divin
Rousseau, tous les jours de sa vie, relevait un petit coin >>. Au jeu de
l’heritage de la pensée rousseauiste auquel se livre Varlet comme tant d’autres
durant la période révolutionnaire’°°, celui-ci ne se montre pas le plus habile
ni le plus profond. Cette matrice rousseauiste, qui donnera a travers la
, n’acquiert pas, loin
réflexion de Robespierre entre autre le jacobinisme
10t
s’en faut, une telle valeur ajoutée dans la réflexion de Varlet, même s’il faut
reconnaItre, a l’instar de Claude Courvoisier, que durant ces teinps>>102, de
Revolution, <<il est particuliêrement difficile d’être fidèle a Rousseau
Celui-ci, contrairement aux autres Enrages, béndficie d’une certaine aisance
financière qui ne l’exclut pas du système représentatif en 1792. Ii se trouve
pourtant être l’un des plus critiques contre le systeme, et notamment le
suffrage universel a deux degrés
. Varlet part tout d’abord d’une critique des
103
. Ensuite, il
représentants tels que, selon lui, Ia monarchie les connaissait’°
4

vécues par les cellules de l’organisme. >>, Lucien Jaunoe, Le discours jacobin et Ia démocratie,
o. Cit., p. 114.
Jean-François Varlet, Projet d ‘Un mandat special et impéranf op. cit., p. 7.
98
Sur les ambiguités de Ia pensCe du edivin Jean-Jacques >>, voir Ernst Cassirer, Le problèrne
Jean-Jacques Rousseau, Paris, Hachette, 1987.
Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de 1 ‘homme da,zs 1 ‘Etat social, 1 ‘an
?mier de la vérité, op. cit., p. 6.
Sur les relectures de l’héritage rousseauiste, et plus prCcisbrnent les critiques faites a Ia
00

representation analysée par Rousseau, voir notamment Roger Barny, L ‘éclatement


révolutionnaire du rousseauisme, Annales Liuéraires de I’Université de Besançon. Les Belles
Letlies, Paris, 1988, pp. 121-128, ains que la these de J. Boudon, Les Jacobms: uric traduction
idCologique et institutionnelle des principes de Jean-Jacques Rousseau, 1789-1794, These, Paris
II, 2002, pp. 272-332.
A. Soboul, <<Jean-Jacques Rousseau et Ic jacobinisme a, Etude.s sur le Control social de
I 01

Jean-Jacques Rousseau, Paris, Les belles lettres, 1964, p. 405 et svt. M. Revault d’Allonnes, <<
Rousseau et le jacobinisme, pedagogic et politique a, A.H.R.F., 1978, p. 584 et svt.
102
Courvoisier, << Rousseau en 1793 un modèle détnocratique clans la tourmente a, (ss.
dir.) J. Ban, J.-J. Clére, Cl. Courvoisier, M. Verpeaux, La Constitution du 24juin 1793: 1 ‘utopie
dans le droit publicfrancais , op. cit., pp. 49-65, p. 49.
Dei:us Richet, art <<Enrages a, Dictionnaire critique de Ia Revolution francaise, op. cit,
103

360-365, p. 360.
<<Jadis, sons uric monarchic, on pouvait reconnaitre des représentants investis de pouvoirs
illiutités, substituant sans cesse leurs systbrnes, leurs volontés particulieres a Ia volonté generale
et infaillible cela n’Ctoime pus ; sons un roi Ic people est Sujet a, Jean Francois Varlet,
272 Le concept de representation dans la pensée politique

dépeint le système représentatif tel que la République devrait le connaltre:


<<Dans une République, le Régime change, les députés tie sont plus que des
délegués subordonnés dont les pouvoirs expriment des vux, des
intentions >>‘°. Cette vision de l’exercice de la souveraineté est celle de
6 telle qu’elle est reprise dans les milieux populaires durant la
Rousseau’°
Revolution. La question du mandat impératif va permettre a Varlet d’étayer
son discours et de construire un projet aboutissant au contrôle permanent des
représentants. De maiiière paradoxale, l’abandon du principe du mandat
impératif dans les débats s’était opéré concomitarnment au développement de
<<l’idée du contrôle permanent des électeurs sur les élus >>b07, ce contrôle
étant repris par Varlet. Ce renouveau du mandat imperatif, après son abandon
dans les premiers temps de la Revolution par les députés, reste d’ailleurs un
theme pregnant dans les milieux sans-culottes. En affirmant le caractère
absolu de la souveraineté du peuple, les Enrages accomagnent la réflexion
des Jacobins durant les premiers temps de la Revolution.
Dans son Projet d’un mandat special et imperatf en 1792, Varlet,
pour protéger la souveraineté populaire, veut dormer aux mandataires un
veritable << plan de conduite >> dressé par le peuple’°
9 qui se dessaisit
temporairement de sa souveraineté par l’élection. Pour lui: <des lois doivent
être le recensement des ordres intimés par les assemblées priniaires. Dans un
Etat oü le peuple est tout, le premier acte de la souveraineté est d’élire, le
second de rédiger des pouvoirs, des mandats a ses élus >>‘. Ce mandat est
rendu nécessaire, car les prédécesseurs des législateurs < abusèrent de la
confiance du peuple >>“. Ce faisant, ii ne fait que reprendre RousseauHi et
reprend les grands traits qui ont sous-tendu la redaction de la Constitution du
24 juin 1793, mais qui n’avaient pas connu leur pleine expression
3
juridique”

Declaration solennelle des droils de I ‘homme dans I ‘Etat social, I ‘an premier de Ia vérité,
0?. cit., p. 5.
Jean Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de I ‘homme dans 1 ‘Etat social, 1 ‘an
?remier de Ia vérité, op. cit., p. 5.
06
<<Le souverain, qui n’est qu’un he collectif, roe peut être reprhsenté que par lui-même
(...). La souveraineth roe peut étre représentée pour la onéme raison qu’elle roe peut être
aliénhe a, J.-J. Rousseau, Consideration sur le gouvernement de Ia Pologne, cite par Robert
Dérathé, J-JRousseau ella science politique de son temps, Paris, PUF, 1950, p. 269.
Lucien Jaume. Le discours Jacobin et la Démocratie. O. Cit., p. 287.
loS
Partout oü Ic peuple n’exerce pas son autorité, et roe manifeste pas Ia volonté par lui
méme, mais par des représentants, si Ic corps lCgislatif n’est pas pur et presque identiflé avec
le peuple, Ia liberté est anéantie. a. Robespierre, Discours du 18 mai 1791, Archives
Parlementaires, tome XXVI, du 12 mai au 5 juin 1791, pp. 203-207.
ISO
< Quand [vos concitoyens] renoncent momentanément a l’exercice de leur souveraineté
pour en laisser l’usufruit a leurs mandataires, us entendent désormais que ce soit a des
conditions prescrites vous ne serez plus nos représentants, vous serez nos mandataires, nos
organes : vous verrez tracCe devant vous. Ia ligne que vous devrez suivre.a Jean-Francois
Varlet, Projet d’un mandat special er impérat4f op. cit., p. 5.
110
Ibid., p.6.
Ill
Ibid. p. 9.
112
<< Les députCs du peuple roe sont que ses commis (et) donc tie peuvent être ses
representants, us ne sont que ses ccnnmissaires ; us ne peuvent nero conclure définitivement.
Toute loi que le peuple n’a pas ratiflée est nulle; ce n’est point une loi a, J.-J. Rousseau, Du
Contrat Social, op. cit., Livre Ill, Chapitre XV.
<sDans la Constitution de 1793, Ic peuple souverain, en tant qu’universalitC des citoyens,
délibére sun les lois (article 7 et 10). Mais déjà, ii n’est habilité lui, a le faire qu’au second
degré. C’est nutialement le Corps lCgislatif qui propose les lois << en tarot qu’elles émanent de
David GJLLES 273

Par ce mandat, Varlet attend qu’enfin le législateur prenne en compte


les demandes du peuple et que la misêre sociale devienne enfin la priorité du
gouvernement comme elle est celle des Enrages: <chacun de nous attend en
suspens le bien être que vous devez nous faire éprouver >>. Ce faisant us ne
parlent d’ailleurs pas autrement que les autres leaders de la sans-culotterie
parisienne. Hébert, par exemple, en septembre 1792 écrit: <<Ii faut que les
représentants du peuple se conforment a Ia volonté souveraine du peuple (...)
quand ils se conduiront bien, ii faudra approuver froidement leur conduite,
s’ils reudent de bons décrets, us recevront la sanction générale du peuple
souverain (...). Réservons-nous le droit de les rappeler et de les livrer a
14
Chariot aussitôt qu’ils broncheront >>

( Un plan de conduite dressé par le Souverain: Jusqu’au 2 juin


1793, l’idée dii rappel des représentants infidèles, amsi que celle du mandat
impératif avaient cheminé de concert dans les milieux populaires. Les
districts notamment vont affirmer ces idées des les premiers temps de Ia
. Les Enrages, eux, ne se contentent pas de réaflirmer le
5
Revolution”
caractère revocable des représentants : ils dressent tine liste de mesures que
ceux-ci doivent prendre sous peine de se voir rappeler, reveudiquant une
application extensive de la souveraineté directe. Bien entendu, dans ces
mesures que doivent prendre les nouveaux mandataires, la premiere est
d’instituer le pouvoir pour le peuple de rappeler ses mandataires fautifs. Pour
Varlet, l’expression de la souveraineté populaire doit se faire par
l’établissement d’un mandat impératif, reprenant l’idée développée
. Ce mandat accompagne toute une série de droits
notarnment par Robert”
6
qu’a le peuple d’intervenir directement dans le gouvernement de la
République, et qui, ii faut le noter, se retrouvent pour une grande partie dans
Ia Declaration des droits de 1 ‘homme et du citoyen de 1793. Ce sont
notanunent les droits : <<d’élire sans interrnédiaire a toutes les fonctions
publiques, de discuter des intéréts de la Société, d’exprimer partiellement des
vceux, des volontés, des intentions, collectivement des volontés, aux
mandataires commis pour proposer des lois, et concourir ainsi
personnellement a leurs formations, de rappeler et faire punir des délégnés qui
trahissent les intéréts de leurs commettants ; de constater la nécessité des
contributions publiques, de les consentir librement, d’en suivre l’emploi,
d’en determiner la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ; cIa
demander compte a tout fonctionnaire public, administrateur, agent,
dépositaire des deniers nationaux, de leur gestion, d’examiner, de refuser ou
sanctionner les décrets que proposent les mandataires pour leur dormer force
de lois, et les rendre exécutables. >> C’est enfin << le droit des citoyens pris en

1w u. le Peuple n’intervient effectivement sur la due proposition que si Ic 1/10 des Assemblées
primaires de Ia moitié des départements le rdclament. >>, Marcel, David, Les Attributs de Ia
souveraineté du peuple avant et aprés 1793 >>, op. cit., p. 101.

3.-P.. Hébert, Le Père Duchesne, Septernbre 1792, cite par A. Agostini, O. cit., p. 106.
<<Ainsi, Ic district des Prémontrés écrit le 18 novembre 1789 : << le mandat impératif est [...]
15

un principe de droit naturel qui assujettit le mandataire a son commettant, selon la teneur et la
Iettre du pouvoir que le premier a recu du souverain.>> (...) Saint-Nicolas du Chardonnet
affirme le 4 septembre <<Chaque reprCsentant appartenant i son district avant d’appartenir a
Ia Commune, oU ii n’est que son constitué, sera revocable a la volonth du district. >>, Lucien
Jaume, Le discoursjacobin et la démocratie, op. cit., p. 289.
116
A. Agostini, La penséepolitique de Jacques-René Hébert, op. cit., p. 106.
274 Le concept de representation dans Ia pensee politique

masse dans un Etat, de revoir, refondre, modifier, changer le contrat social


quand ii leur plait >>“.
Dans ce souci de bonne gestion du gouvernement mandé par le
peuple, Varlet préconise egalement que <<deux postes ne puissent être tenus
par le même individu >> 18 refusant tout cumul de mandats. Sur ce point, ii
est rejomt dans son souci de protéger le peuple contre une toute-puissance des
représentants par Leclerc qui, dans son numéro XX. declare: <<J’ai de tout
temps regarde la non-réeligibilite aux places et aux magistratures importantes
pour un temps limité, comme Ia sauvegarde du peuple et le boulevard de Ia
liberté >>119 Leclere, entré en lutte ouverte avec la Convention des les
premiers numéros de son Ami du Peuple, mène Ia même lutte que Varlet
contre la representation nationale et interpelle les conventionnels comme &
simples mandataires du peuple souverain, ce qu’ils refusent unanimement
, II se demande même quels sont les conventionnels qui n’ont pas
20
d’être’
rempli leurs obligations clans le cadre du contrat que Leclerc considère conclu
entre le peuple et ses mandataires:
((Mandataires du peuple!
Lorsque le peuple vous a conflé le soin de veiller a son salut, vous
conlractátes tacitement un engagement mutueL Vous, Mandataires, de faire
tout ce qui était en votre pouvoir pour écraser les ennemis [...] quels sont
ceux qui n ‘ont paz rempli les obligations qu ‘us se sont imposées ? [...]
Vous elites toutes la latitude nécessaire pour faire le bien; cependant, ci
part la constitution, vous n ‘avez encore rien fait pour la prospérité de la
121
République
Même si un tel mandat est bien moms strict que cehui de Varlet,
puisqu’il résüLte d’un engagement tacite et que les mandataires l’ont aecepté,
ii n’en reste pas moms qu’on retrouve les mémes revendications chez les
deux homrnes, celle de her le législateur a la volonté du peuple, niais aussi
Gene voloatd de voir les conventionnels rendre des comptes de leurs actions.
Ces revendications sont en droite ligne les consequences dii dégoflt provoqué
clans le mouvement populaire parisien par les tergiversations de la Legislative
et de Ia Constituante. Pourtant, si Hébert notamment a pensé que Ia
démocratie indirecte dii système representatifpermettrait une adéquation enire
les volontés des représentants et les revendications populaires, les Enrages
ont toujours montré une forte defiance envers tout pouvoir délégué. Ces
revendications, Jacques Roux ne sera pas le dernier a s ‘en faire he porte
parole, et il ira jusqu’à les porter au cceur de cette representation nationale a
laquelle iI dénie sa légitimité. Le 25 juin 1793, Roux se rend a la
Convention pour lire un texte qui admoneste la deputation Nationale dans
des termes jamais entendus jusqu’alors. Car ce sont des mandataires
qu’interpelhe Roux méme s’il commence sa harangue par ces mots:

‘‘
Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de I ‘homme dans I ‘Etat social, Ian
de Ia vdrité, op. cit., p. 14.
IS
Jean-François Varlet, Projci d ‘un mandat special et impératij op. cit., p. 17.

Théophile Leclerc, L ‘Ami dii peuple, op. cit., n° XX.
120
Hébert de Ia même facon incite la peuple a demander des comptes a Ia Constituante pins a
Ia Convention : << Demandez-Iui surtout de queue tnaniére elle entend que le peuple
sanctionnera ses décrets et comment nous pourrons rappeler les deputes qui ne marcheront pas
droit >>, Jacques-René Hébert, Le Père Duchesne, n° 181, cite par A. Agostini, La pensée
olitique de Jacques-René ifébert, op. cit., p. 105.
21
Theophile Leclerc, L ‘Ami du peuple, O. cit., n° XI.
David GILLES 275

<Délégués du peuple français, cent fois cette enceinte sacrée a retenti des
crimes des égoIstes et des fripons ; toujours vous nous avez promis de
frapper les sangsues du peuple. L’acte constitutionnel va être présenté a la
sanction du souverain ; y avez vous proscrit l’agiotage? NON ! [...j Eh
bien ! Nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du
peuple ! >>122 Quand Roux conjure ainsi les mandataires, ces mots résonnent
comme des coups de fouet aux oreilles des représentants de la Nation, et
surtout des montagnards, qui se voient reprocher de ne pas être assez proches
du peuple, et donc de détourner la Revolution a leur profit. Ce que veulent
alors les Enrages, c’est constater Ia rupture du contrat entre les mandataires et
le peuple, et légitimer ainsi la reprise en main de la démocratie par le peuple.

Ce que nos mandataires ne peuvent ni ne veulent, faisons-le nous


t<
mêmes ; donnons a ces messieurs une lecon de Républicanisme >>123

t 1 ‘insurrection pure et simple Pour contrer les représentants


trop facilement infidèles, les Enrages ont recours a Ia revendication d’un droit
a l’insurrection permettant au peuple d’affirmer sa souveraineté. Cette
revendication repose sur l’idée chère a Rousseau que le peuple est boa par
nature, que sa volonté fait loi, qu’il constitue un ensemble solide,
. Les Enrages identifient alors < le peuple sans-culotte >>
125
indivisible
<<peuple de la nature>> Les imperfections de tout système représentatif
paraissent entramner aux yeux des Enrages un droit a l’insurrection, seul
recours a la spoliation du pouvoir souverain opérée par des <<représentants
infidèles >>. Idéologiquement, us confrontent des représentants naturellement
infidèles a un peuple naturellement bon. Ayant poussé fortement aux grandes
journées insurrectionnelles, et notamment le 10 aoüt, us y voient une
expression immediate de la souveraineté du peuple directement exercée, le
. Cette attitude, cet
peuple s’incarnant alors véritablement dans la Nation’
27
appel au peuple est d’ailleurs utilisé par les Jacobins dans leur lutte contre la
Gironde. Varlet rédige a leur initiative, suite a l’insurrection manquée du 10
mars 1793, une motion reprise par plusieurs sections et le club des
Cordeliers, et qui appelle le peuple a <s’emparer de l’exercice de la
souveraineté >>128. Les Enrages, trouvent dans la Declaration des droits de

22
Jacques Roux, Pétition présentbe devant la Convention nationale, 25 join 1793 >, Archives
op. cit., p. 458.

Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de 1 ‘homme dans I ‘état social,
OO. Cit., p. 6.
Jean-Francois Varlet, Gare I ‘explosion!, Op. Cit., p. 7.
R.R. Palmer rernarque que << les idbes empruntbes a Rousseau n’étaient pas non pius
121

susceptibles d’encourager les révolutionnaires a la conciliation. [...] Que le people puisse se


partager et adopter des positions divergentes, c’était là une perspective qu’avait nbgligée
Rousseau. Les adeptes du Contrat Social avaient ainsi une vision tout a fait simplifibe des
réalités politiques. >> R.R. Palmer, Le gouvernement de la Terreur, 1 ‘année do Comité de Salut
Public, Armarid Cohn, 1989, p. 31.
126
Jean-Francois Varlet, Declaration solennelle des droits de l’homme dans l’état social,
cit., p.4.
I
jj Clbre, <cL’Emploi des Mots Nation et people dana le langage politique de la Revolution
francaise (1789-1799) >>, Actes du colloque de Dijon des 6 Ct 7 avril 1994, Nation et
Rpublique, AFHII’, 1995, Tome X, pp. 51-65.
12
<< Le dbpartement de Paris, partie intégrante do souverain, est invite a s’emparer de
l’exercice de Ia souveraineté le corps electoral de paris est autorisé a renouveler les
276 Le concept de representation dans la pensée politique

1 ‘homme et du citoyen du 24 juin 1793 une expression de ce droit a


l’insurrection et les articles 33 et 34129 leurs paraissent l’expression de Ia
souveraineté directement exprimée. A défaut de l’existence d’un mandat
impératif, us reconnaissent au peuple le droit d’agir de lui-même, court
circuitant ainsi l’action de ses représentants qui ne suivent pas sa volonté
souveraine, comme l’article 35 de la Declaration de 1793 l’y invite
<<Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour
le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus
indispensable des devoirs.>> Leclerc, par exemple, dans son Ami du Peuple,
au sujet d’une rumeur concemant une amnistie générale pour célébrer la
nouvelle Constitution, appelle le peuple au soulèvement et a de nouveaix
massacres de septembre: <<D’ailleurs, si jamais la Convention nationale
donnait cette preuve déshonorante de sa faiblesse, ce serait au peuple qu’il
appartiendrait de se faire justice >>‘°. Cet appel a l’insurrection s’affirme
davantage lorsque les Enrages s’opposeut a la dictature jacobine, puisqu’il se
fait alors an nom d’une résistance a l’oppression’
. Reprenant le flambeau
31
laissé tombé par Marat’
, les Enrages font également appel aux assemblées
32
primaires, et ont recours aux petitions collectives afin de faire entendre leur
voix.

La démocratie section naire: Cette aspiration a Ia representation la


plus parfaite possible du peuple, voire a son intervention directe dans le
gouvernement, thus Ia droite ligne des theses rousseauistes, sera un des
points d’achoppement entre les différentes factions politiques au cours des
années de radicalisation du processus révolutionnaire (1792-1793).
L’affirmation des mouvements sectionnaires donnera toute son ampleur au
mouvement populaire qui, mettant en scene de fortes personnalité telles que
Marat, Hébert, ou Roux, s’appuiera plus on moms efficacement sur des
systèmes institutionnels créés de toutes pièces dans la tounnente
révolutionnaire. Mais pour que le souverain puisse s’exprimer au sein des
sections, les Enrages sont conscients, bénéficiant eux-mémes d’une certaine

membres [de la Convention] traitres a Ia cause du peuple. >>, D. Guérin, La lutte des classes
sour lapremière République, op. cit., p. 43.
< Article 33. - La résistance a loppression est Ia consequence des autres Droits de l’homme.
129

Article 34. - II y a oppression conire le coips social lorsqu’un seul de ses xnetnbres est opprimé.
II y a oppression conire chaque membre lorsque le corps social est opprimé.>> Constitution du
24juin 1793, op. Cit.
‘° T.Leclerc, ‘Ami du peuple, N9X,
L 8 aoüt An II.
131
Voir M. Morabito, e La résistance a l’oppression en 1793 , Revue d’Histoire du Droit, vol.
72, a° 2, avril-juin 1994.
132
Marat, dans L ‘Ami du Peuple du 12 juin 1791 dénonce a Ia foi l’interdiction des petitions
collectives et celle des coalitions par Ia Loi Ic Chapelier: < N’osant les dissoudre (les sociétés
fraternelles ou clubs), us (les députés) ont pals le parti de les rendre nulles en interdisant toute
délibération ou plutôt toute petition faite par une association quelconque, sons pretexte que le
droit de se plaindre est Un droit individuel (...) ils out enlevé a la classe innornbrable des
mamauvres et des ouvriers le droit de s’assembler pour délibérer en régle sur leurs mtérêts,
sons prétextes que ces asseniblées pourraient ressusciter les corporations qui cm été abolies. Us
ne voulaient qu’isoler les citoyens et les empCcher de s’occuper en comxnun de Ia chose
publique. >, Marat, L ‘Ami du Peuple, 18 juin 1791, <<Usurpation des droits de Ia souveraineté
du peuple par ses représentants >, cite par Jean Bart, <<Le prolétaire, present/absent >>, La
Revolution francaise et les processus de socialisation de I ‘homme moderne, Colloque
International de Rouen (octobre 1988), IRED! Université de Rouen, editions Messidor, 1989,
pp. 397-407.
David GILLES 277

33 le Souverain, reprenant une fois encore


education, de Ia nécessité d’éduquer’
un aspect de Ia pensée de Rousseau’. Pour Varlet, <<L’éducation,
l’instruction, les predications de morale publique, dettes sacrées des Etats
envers tous les citoyens. peuvent seules leur rendre praticable la jouissance de
leurs droits >‘‘, et ii va méme jusqu’à en faire l’un des objectifs assignés
aux mandataires du peuple. L’objectif n’est plus alors seulement, utile a
l’expression des droits dii Souverain, mais indispensable au bonheur
.
36
social’
Pour les Enrages, le choix de l’appui institutionnel se fait
naturellement. Ii faut voir dans le mouvement Enrage, non pas < les
mitiateurs ou les << inventeurs>> du mouvement populaire, mais bien l’un de
ses résultats les plus distincts >>‘. Toute evolution du mouvement hors du
cadre sectionnaire se trouvera empêché par l’hostilité des factions
concuxrentes’ Néanmoins le soutien que trouvent Roux, Leclerc et Varlet
.
38
au sein des sections se révèle particulierement efficace pour ces hommes
aspirant a la representation du mouvement sans-culotte. Pour eux, le seul
organe démocratique capable de faire entendre exactement la voix du peuple
est l’organe sectionnaire. Leclerc, réclamant le vote d’une loi générale sur les
subsistances, refusée jusqu’alors par les Jacobins declare : << C’est aux
sections de Paris, c’est aux cornmissaires des départements que j’en
recommande l’examen. C’est a la masse du peuple de se>orter a la barre de Ia
Convention nationale pour en faire la demande >>‘ II est d’ailleurs
.

remarquable de voir que lorsque les Jacobms se décideront a détruire le


mouvement Enrage devenu gênant, us le feront en l’attaquant a la bas& , au
40
’ (oü les Jacquesroutins, cette <clic
sein des sections des Gravilliers’
4 ue
1
2)
infernale >>, seront débarqués dii contrôle de la section sans ménagement ’
des Droits-de-I’Homme (muselant Varlet) et enfin, pour abattre Leclerc, la
dissolution des Républicaiiaes Révolutionnaires sera décidée. Bien que
trouvant leur appui et in soutien efficace essentiellemeut au sein de ces trois
sections, << les Enrages s’étaient débarrassés de l’esprit excuusif de section.

QueUe sera donc a jamais glorieuse l’Cpoque ou l’Cducation nationale élêvera les
citoyens français au niveau de Ia justice éternelle, oü us seront amenés a Ia libertC parla
conscience de leurs droits, le sentiment vertueux de l’amour du bien general >>, Jacques Roux,
Discours sur les Causes des Malkeurs de la République Francaise. op. ciL
134
J.-J. Rousseau, Du Contrat Social, op. cit. Titre II, Chapitre 3.
Jean-François Varlet, Declaration solennelle des droits de 1 ‘homme dans 1 état social,
op. cii, p. 8.
<<Vous poserez Ia base, juSqu’ici si negligee, du bonheur social; elle dolt se trouver darts
tin plan d’éducation nationale, calque en tout stir des principes de liberté, d’CgalitC, soigne darts
son execution. >> J.-F. Varlet, Projet d’un mandat special et imp&at op. cit., p. 15.
W. Markov, << Les Jacquesroutins >>, Annales Historiques de la Revolution Française,
137

anvier-niars 1960, P. 164.



Pour plus de commodité, Varlet va méme jusqu’ã imaginer tine section imaginaire, Ia
section des hommes libres, réunie en assemblée primaire, qui rCdige son Projet de mandat
impératif. J.-F. Varlet, Projet dun mandat special et imperanj op. cit., p. 11.
139
T. Leclerc, L’Ami du Peuple, N°X, 10 aoüt Anil.
°
Pour le detail des soutiens, voir R. Monnier, Repertoire du personnel sectionnaire parisien
en l’An II, Publications de Ia Sorbonne, Paris, 1988.
Les adversaires de Jacques Roux s’emparerent des juullet 1793, du bureau et des
147

principaux comités de Ia section des Gravilliers. L’un de ces comités, le 7 juillet, ouvrit tine
enqu&e contre Jacques Roux et interrogea sa compagne, Daniel Guérin, bs lutte des classes
sous Ia premiere République, op. cit., tome 1, p. 263.
142
W. Markov, 9<Les Jacquesroutins >>, op. cit., p. 168.
278 Le concept de representation dans la pensée politique

Jacques Roux surtout a de tout temps mené sa propagande a travers toute ‘la
yule hospitalière’ >>‘‘. C’est des les premieres atteintes portées aux sociétés
sectionnaires que les Enrages vont se porter au secours des patriotes des
sections afin de promouvoir le recrutement populaire au sein des sections.
Suite au décret du 9 septembre 1793 qui réduisait le pouvoir des sections
,

Varlet, par une petition rédigée le 17 septembre, accuse les députés de vouloir
ofermer I’ceil du peuple, attiédir sa surveillance. Et dans queue occasion?
Quand les dangers de la patrie l’obligent a remettre entre vos mains un
pouvoir immense qui exige une surveillance active >>145. Ii entrevoit pourtant
l’utilisation ii peut étre fake de certains comités, afin de museler le peuple
sans-culotte’
A Ia recherche de tribunes pour faire entendre leur voix, les Enrages,
avant de se muer en journalistes révolutionnaires en revendiquant I’héntage
de Marat, oat tenté de se faire une place au sein des organes multiples créés
dans le Paris révolutioimaire. En 1792, Roux tentera vainement de se faire
élire a la Convention et au Département, ce qui le privera d’une tribune
essentielle pour son action, mais aussi pour sa postérité. Néanmoins, Roux
s’appuiera stir la Commune de Paris’
’ oü, bien qu’en opposition constante
4
face a Chaumette, Pache et Hébert, ii sera élu au Conseil Général le 30
novembre 1792 aux côtés de ceux-ci’
. Ii y tiendra adrnirablement son role
48
de trublion révolutionnaire, en y étendant son influence jusqu’à sa chute.
Muni de ce strapontin institutionnel, Roux n’en cherchera pas moms a se
faire entendre de toutes les tribunes disponibles, se faisant élire délégué de sa
section chaque fois qu’il veut lancer un brülot au sein de la Convention,
comme son manifeste du 25 juin. Ii sera trés actif aux Cordeliers notamment
dont il sera membre jusqu’à son exclusion sons la pression des Jacobins’
.
49
Pour Jaurès qui est pourtant peu suspect de sympathie pour << le curé rouge >>,
Jacques Roux se montre, dans l’utiuisation des sections, sinon un habile
politique, du moms tin efficace meneur d’hoinme. 11 < s’était dit, sans doute,
que lorsqu’il aurait pénétré cette section (celle des Gravilliers) lentement,
obscurément, de son influence et de sa pensée, ii aurait, au cw méme de
Paris, une force decisive


ibid., p. 167.
Pris a l’invitation de Danton, ce décret prévoyait une reduction des assemblées de section
ainsi qu’une rémunération de quarante sous. <Outre Ia rérnunération, qui flit jugée msultante
par les sections, le décret donnait I’impression de reprendre a Ia souveraineté du peuple ce que
ha avait reconnu Ia Legislative le 25 juillet 1792: Ia permanence des assemblées génerales.
Lucien Jaume, Le discoursjacobin et la démocratie, op. cit., 141.
p.
A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en Ian II. Mouvement populaire et gouvernement
révolutionnaire, 2juin 1793-1799 thermidor an II, op. cit.,
146 p. 189.
<<Le despotisme a passé du palais des rois dans l’enceinte des Comités. >>, J.F. Varlet, Gare
L ‘explosion !, op. cit.
Selon Mathiez, l’influence de Jacques Roux ne faisalent que grandir a la Commune jusqu’à
l’insurrection du 31 mai. A cette date, ii sera méme nommé historiographe de Ia Revolution qui
s’opérait ; ii sera par ailleurs chargé Ic 1” juin de Ia redaction du Bulletin officiel de la
Commune A. Mathiez, La vie chére et le mouvement social sous Ia Terreur, op. cit., tome 2,
p.6.
148
Jacques Roux recevant 46 voix soit 15% des 300 votants aux Gravilliers. Nicole Bossut,
Chaumetteporteparole des sans-culottes, Paris, Editions CTHS, 1998, 171.
p.
Le 30 jum 1793 ime delegation des Jacobins menCe par Robespierre, Hébert et Collot
d’Herbois sera envoyée au club des Cordeliers pour en obtenir I’exclusion de Jacques Roux et
de Leclerc et la suspension de Varlet.
°
J. Jaurès, Histoire socialiste de Ia Revolution Française, op. cit., tome V, 209.
p.
David GLLES 279

Varlet, lui, sera un clubiste effréné des le debut de la Revolution. A


partir de l’été 1790, ii deviendra membre du club des Jacobins, des
. Ii se dépensera sans
Cordeliers et de la Société Fraternelle des Deux Sexes’
51
compter au scm de sa section pour imposer ses vues clans les Assemblées
Générales. II marquera l’influence enragée lors des coups de force, notamment
ceux des 31 mai et 2 juin, par son activité au sein du Comité de l’Evêché’
,
52
comité plus ou moms piloté en sous-main par la Commune et Ia Montagne
pour organiser les insurrections. Ii y tiendra une place importante mais
déclarera, après Thermidor, avoir été manipulé pendant cette période par les
Jacobins. En effet, des l’insurrection lancée, ceux-ci priveront I’Evêché,
organe sectionnaire par excellence, et donc difficilement contrólable, de tout
pouvoir veritable. Leclerc, liii, restera moms actif a I’extérieur de Ia section
des Républicaines Révolutionnaires oü il étendra son influence jusqu’à marier
l’une d’elles, et a se voir attribuer une relation avec Claire Lacombe. II
préférera se consacrer a son action aux Cordeliers et a 1a publication de son
Ami du peuple. Néanmoins cette action au scm des sections se devait de
trouver dans le peuple un relais plus large qu’au scm de la population
sectionnaire. Dans cette volonté de démocratie <pure >>, les Enrages usent et
abusent des institutions a vocation insurrectionnelle qui voient le jour dam le
Paris révolutionnaire.

L ‘appel aux assemblées primaires : Les Enrages souhaitent une


démocratie basée sur le rassemblement des assemblées primaires clans
lesquelles, il faut bien le remarquer, us trouvent leurs principaux soutiens.
Les assemblées primaires constituent pour eux la seule solution pour pallier
les insuffisances de la representation nationale. <<Ii faut croire que les grands
évènements élecirisent les âmes. L’assemblée nationale se pénétra enfm, de la
sainteté de ses devoirs. Elle décréta des mesures vigoureuses de süreté
53 (...) Et ce qui honorera les derniers existants de Ia legislature,
génerak’
c’est l’aveu qu’elle fit de l’insuffisance de ses moyens pour sauver la chose
publique, et de la nécessité qu’il y avoit de convoquer les assemblées
primaires >>‘. Pour les Enrages, la souveraineté ne peut être déléguée et doit
demeurer au sein de ces assemblées qui représentent la <source de Ia
>>‘.
souveraineté du peuple Cette idée était d’ailleurs présente darts de
nombreux esprits a l’été 1793, le recours aux assemblées primaires
s’imposant quasiment dans l’esprit de tons’ . Pour les Enrages, Ia
56
souveraineté des assemblées générales ne pouvait jamais être déléguée de

c he became a member of the Jacobin club, the Cordeliers club, and the Fraternal Society
of both Sexes >>, R.B. Rose, The Enrages socialist ofthe French Revolution ?, op. cit., p. 11.
52
Lamartine classe Varlet parmi les agents secondaires de ce Comité avec, Maillard, Cerat,
Gonchon, Malard, Siret, Gibon..., A. de Lamartine, Histoire des Girondins, op. ci:., Tome V.
p. 332.
e elle suspendit de ses fonctions le monarque surpris en flagrant délit et qui, pour jouir avec
sa famille du plaisir barbare de marcher sur les cadavres, avoit pris asile parmi Jes
représentants du peuple qu’on devoit égorger... >,, Jacques Roux, Projet de Discours sur les
Causes des Maiheurs de la République Francaise, O. Cit.
5
‘4
mw.
<la souveraineté du Peuple a retournée a sa source, nous nous sommes ressaisis de toute
notre indépendance >>. 3.-F. Varlet, Projet d’un mandat special et impératzf O. ci:., p. 4.
156
Serge Aberdarn, e soumettre Ia constitution au peuple >>, (ss. dir.) 3. Bart, J.-3. Clére, Cl.
Courvoisier, M. Verpeaux, La Constitution du 24 juin 1793 : I ‘utopie dans le droit public
francais ?, O. cit., pp. 139-159, p. 143.
280 Le concept de representation dans la pensée politique

facon ermanente, même a des assemblées parlementaires élues par le


,
peuple dans la droite ligne de l’article 26 de Ia Constitution du 24 juin
1793158
: <Presque toujours celui qui represente s ‘imagine étre réellement, et
ii est de principe que notre alienable souveraineté ne peut ni se déléguer. ni se
représenter >>15. Ii est donc logique de trouver un instrument capable
d’exprimer directement Ia volonté populaire. Cet appel aux assemblées
primaires, seuls instruments institutionnels aptes a exprimer la volonté du
souverain selon eux, est d’autant plus légitime pour les Enrages que les
revendications de ces assemblées et les leurs sont proches’
. us ont d’ailleurs
60
bien compris que << l’appel au vote des assemblées primaires constitue un défi
qui peut devenir mortel pour la Convention >>161. Cette retention de
l’expression légitime de la souveraineté par les assemblées primaires est
d’autant plus importante que ces assemblées possèdent une competence
génerale, illimitée, egale a celle du souverain : << Tout ce qui intéressoit
essentiellement l’orgarnsation, l’ordre, l’harmonie, la reconstruction même de
l’édifice social, étoit de noire competence >>162 Suivant cette idée, ii est
logique pour Varlet de reconnaItre le droit pour les assemblées primaires de
se réunir spontanément, préférant, au contraire de Robespierre, un tel xexcês
de démocratie >> a une démocratie tempérée par les lois, même si ce
temperament est fait au noni du < bonheur general

L ‘anne pétitionnaire : Pour Leclerc et Varlet, l’une des autres armes


apte a exprimer la volonté souveraine est la pétitio&
, qui permet aux
M

157
<<To Varlet the first principle of politics was that the fundamental sovereignty of the
General Assemblies could never be permanently delegated, even to a populary elected
parliamentary assembly >>, LB. Rose, The Enrages : socialist of the French Revolution?,
j. ciLp. 18.
5
o
I 8
<<Article 26. Aucune pothon du peuple ne petit exercer Ia puissance du peuple entier;
..

mais chaque section du souverain assemblée doitjouir du droit d’expruner as volonté avec une
entihre liberté. >> La Constitution du 24juin 1793, consultable sur le site internet du Conseil
Constitutionnel http ://www.conseil-constitutionnel.fr/constitutionfcl793.htm.
159
i-F. Varlet, Projet d’un mandat special el imperatif aux mandataires du peuple, a Ia
Convention nationale, op. cit., p. 3.
160
c• Riffaterre, << Les revendications hconomiques et sociales des assemblées primaires de
juillet 1793 >>, Bulletin d’histoire économique et sociale de Ia Revolution fran caise, 1906, n 4,
pp. 321-380.
S. Aberdam, << Soumettre la Constitution au peuple >>, (ss. dir.) 3. Bart, 3.-J. Clére, Cl.
Courvoisier, M. Verpeaux, La Constitution du 24 juin 1793 : 1 ‘utopie dans le droit public
francais ?, O. Cit., pp. 139-159, p. 140.
162
i-F. Varlet, Projet d’un mandat special et impératf aux mandataires du peuple, a la
Convention nationale, op. cit., p. 3.
163
c, Courvoisier, << Rousseau en 1793 un modèle démocratique dans la tourmente >>, op. cit.,
p.61.
Le droit de petition avait été autrefois défendu par les Jacobins, et notamment le premier
d’entre eux, Robespierre. Dans on discours du 9-10 mai 1791, ii avait défendu avec vigueur Ic
droit de petition face aux constituants modérCs : << Le droit de petition est Ic droit
imprescriptible de tout botnme en société. Les francais en jouissaient avant que vous fussiez
assembles. (...) Et vous, législateurs d’un peuple libre, vous ne voudrez pas que des Français
vous adressent des observations, des demandes, des priéres comme vous les appeler. (...) Le
droit de petition n’est autre chose que Ia faculté accordèe a un homme, quel qu’il, soit,
démettre on vdu, de demander cc qui lui parait plus convenable, soft a son intérét particulier,
soit a l’intérCt général. II eat evident qu’il n’y a point là de droits politiques parce qu’en
adressant mae petition, en émettant tin vons, son desir particulier, on ne fait aucun acte
d’autorité, on exprinae a celui qui a l’autorité en main ce que l’on desire qu’il vous accorde. >>,
David GLLES 281

militants sans-culottes de faire entendre leurs voix en face de la Convention,


et des représentants. Si besoin est, les petitions permettent également aux
leaders des Enrages de jeter leur gant aux Conventionnels, comme le fern
Roux le 25 jum 1793. Leclerc instrumentalise également l’arme pétitionnaire
65 dans
en prenant le relais de la petition des Républicaines Révolutionnaires’
son numéro XVII de L ‘Ami du peuple. Ce faisant, ii apostrophe les
représentants : <<Approchez-vous souvent du peuple ; ne vous méconnaissez
pas dans le poste oü ii vous a place. Eh ! Pourquoi suis-je oblige de vous
faire les lecons qu’on donnait aux tyrans? >>. Ii vausqu’a rapporter les
difficultés des patriotes pour faire entendre leur petition’ afin de dérnontrer a
ses lecteurs l’éloignement, voire le mépris des représentants pour les
véritables patriotes. Varlet, quant a lui, se voit emprisoriné a la suite de Ia
petition du 17 septembre 1793, qui entendait montrer la conscience
qu’avaient les militants sans-culottes de l’incompatibilité, prévisible, entre la
centralisation impulsant Ia Terreur et les droits de la souveraineté
populaire >>‘. Par la petition relevant d’une section ou d’un groupe de
patriotes, les Enrages affirment un veritable droit a Ia petition en nom
collectif, relevant du droit d’opinion, combat entrepris en 1791, et perdu par
les démocrates lors de l’mstitution du décret des 10-18 mai 1791, interdisant
. L’utilisation a
les petitions et affiches signées d’un nom générique’
69
outrance de cet outil a partir du 2 juin, va obliger les Conventionnels a
détacher les sections pétitionnaires de leurs porte-paroles enrages, ceux-ci se
voyant désavoués, cornme Roux le 30 juin, par la section dont ils se veulent
les porte-paroles.

<<Une loi de responsabilité.>: Les Enrages, inquiets du déroulement


de la Revolution durant I’été 1793, choisissent de proposer au peuple, afin
d’échapper a une dictature des représentants accaparant le pouvoir exécutif, de
rendre ceux-ci responsables devant le Souverain, conformément a l’esprit de
l’article 31 de la Declaration des droits de 1 ‘hommes et du citoyen de
170
1793 Leclerc écrit ainsi que : << toute fausse interpretation, tout retard,
effet de mauvaises intentions, doit leur coüter Ia vie ; et oC serait la

<< Discours de Robespierre a 1’Assemblée constituante, des 9 et 10 mai 1791 >>, Robespierre,
Pour le bonheur etpour Ia liberté, discours, réécL, La fabrique editions, 2000, pp. 101-104.
165
Petition des Citoyennes républicaines révolutionnaires du 26 ao6t, Paris, BN LB ° 2412.
4
66
T. Lecierc. L Ami du peuple, n XVII, 30 aoüt, l’an 2 de Ia Republique.
167
e Les femmes rCpublicaines révolutionnaires, dont vous vous rappelez sans doute les
services pendant Ic temps de I’insuxrection, demandent l’entrée de Ia barre, le président la leur
refuse. Une autre deputation, venue aprés dies, est admise avant dies. RCvoitées d’une
injustice aussi criante, cues parviennent cependant a Ia barre malgré i’opposition des huissiers,
et lisent leur petition; quel Ctait le but de cette petition ‘? De demander qu’un minisire rende ses
cotnptes. >, Petition des Citoyennes républicaines révolutionnaire.s du 26 aozit, Paris, op. cit.
168
Lucien Jaume, Le discoursjacobin et la démocratie, op. cit., p. 140.
169
En 1791, << le pCtitionnement est reconnu comme relevant du droit d’opinion, mais a
condition qu’il soit chaque fois le fait d’un signataire individuel, explicite. >> Cette question avait
essentiellement comme enjeu la reconnaissance des clubs comme instruments politiques, et
opposait lors d’un débat a I’Assemblée Ic 9 mai 1791 Pétion, Buzot et Robespierre a Le
Chapelier. Ce dernier agitait la figure de l’hydre corporationniste afin de restreindre Ic droit de
petition. Lucien Jaume, << Les Jacobins : une organisation clans le processus de Ia Revolution
1789-1794 u, op. cit., p. 245 et 246.
170
<<Article 31. Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais étre
-

impunis.Nul n’a ledroit de se prétendre plus inviolable que les autrescitoyens. >s, Constitution du
24juin 1793, op. cit.
282 Le concept de representation dans la pensée politique

responsabilité chez les hommes dont la personne est inviolable et sacrée.


Mais supposez que la Convention les rende responsables, je demande a tout
homme de bon SenS, si neuf des meilleurs tétes de la Convention composant
ce comité n’auraient pas assez d’influence dans le sein du Sénat français pour
conjurer l’orage, ecarter méme toute idée de suspicion, et se mettre a l’abri de
Ia vengeance des lois >>‘. Varlet, afin de responsabiliser les mandataires, va
jusqu’à demander la creation de magistrats du souverain, composes de
patriotes d’élites, afin de juger les mandataires’
72 et parle d’une loi de
responsabilité. Roux lui aussi souhaite voir les mandataires du peuple cites
devant les tribunaux
. Ils combattent l’idée d’une dictature beneflque pour
tm
la Revolution, sur un modèle romain’
, qu’ils estiment néfaste car un tel
74
systéme politique accoutume le peuple << a souffrir quelquefois des maltres >>,
ce qu’il ne doit jamais souffrir en tant que Souverain. Toutefois, une telle
solution est bénefique que si les citoyens sont <<des sectateurs de la vertu et
les enfants de la nature >>, ce que les citoyens de 1793 ne sont pas. La crainte
de voir que Ia << Convention serait la premiere a étouffer son enfant>> a donc
pousse les Enrages a s’opposer a la dictature jacobine, en cherchant a dresser
le peuple souverain contre elle, afin de preserver sa souveraineté’
.
75

C’est l’action politique qui va provoquer leur perte, car en s’opposant


ainsi, non seulement en théorie, mais surtout en pratique, a une
representation nationale en quéte de soutien populaire pour mettre en place
son projet politique, ils vont se voir acculés de toutes parts et précipités dii
haut de la roche tarpéienne. La chute des Enrages nalt de l’incompatibilité
entre la démocratie populaire dont us se sont fait les défenseurs et la
naissance dii gouvernement révolutionnaire, tout a la fois <<vertueux>> et
<<terroriste >>, voulu par les Jacobins’
. En 1793-1794, les nécessités de la
76


T. Leclerc, L ‘Ami dupeupie, n° VIII, 6 aoüt, l’an 2 de Ia république, op. cit.
172
<<Pour connoitre désormais de toutes les atteintes portées aux droits publics des citoyens,
pour appliquer la lol de responsabilité aux députés ou fonctionnaires inlidèles, vous créerez
une nouvelle institution composée àe patriotes d’élite, éprouvés dens les fonctions de
législateur ou d’officiers municipaux. Ces citoyens respectables seront nommés les magistrats
du souverain >>, 3.-F. Varlet, Projet d’un mandat special et imperat O. Cit., p. 19.
173
eLe salut de Ia République vous impose donc la tâche trés honorable de citer devant les
tribunaux les mandataires infldèles et ins conspirateurs. >>, 3. Roux, Projet de Dzscours sur les
Causes des maiheurs de Ia République Francaise, op. cit., p. 125.
174
<<A Rome, on ne créait des dictateurs que clans les circonstances extrêmetnent difficiles, et
cette institution ne flit jamais funeste a Ia libertb tant que les Romains, sans luxe, sans arts
inutiles, sans besoins superfius, fiirent les sectateurs de la vertu, et les enfants de Ia nature,
mais us n’en contractérent pas moms l’habitude de plier de temps en temps sous cette
magistrature eayante, et lorsque, charges des depouilles de leurs ennemis, ils héritCrent de
leur noblesse et de leurs vices. > T. Leclerc, L ‘Ami du peuple, n 8 VIII, 6 aoflt, l’an 2 de la
resublique, O. Cit.
17
<<Peuple, debout ou Is souveraineté n’est plus qu’un mot dont on t’abuse; si tu ne mets pas
Ia Constitution a sa place. et les préposés a Ia leur, sais-tu ce que peut une autorité provisoire
qui ne gouverne pas d’après les loix établies, mais d’après sa volonté >>, T. Leclerc, L ‘Ami du
Peuple, n XIX, 4 septembre de l’an II.
176
Robespierre, (févrierl794): <<Si le ressort du gouvernement populaire clans la paix est Ia
vertu, Ic ressort du gouvernement populaire en revolution est a Ia fois Is vertu et la terreur: la
vertu sans laquelle Ia terreur est funeste, Ia terreur sans laquelle Ia vertu est impuissante. La
terreur n’est autre que Ia justice prompte, sCvêre, inflexible ; cUe est donc une emanation de la
vertu, cue est moms un principe particulier qu’une consécuence du principe general de la
démocratie politique apoiiquée aux plus pressants besoins de La patrie >, S. Lazarus, << A propos
David GILLES 283

defense nationale et révolutionnaire semblaient difficilement conciliables avec


les pratiques de la démocratie directe. Pour ne pas avoir compris qu’ils
luttaient trop tat pour des revendications qui risquaient de mettre en peril la
Révo1ution,our ne pas avoir compns que la << Terreur est une arme a double
tranchant >>‘ les Enrages subirent de la main des Jacobins Ia Terreur qu’ils
,

avaient pousse eux-mémes a instaurer. La Terreur s’est révélée un régime


, et la suspension
d’exception légitimé par une représeiitation populaire élue’
78
de la Constitution de 1793, qui répond a un grand nombre de revendications
enragées, n’est que le prelude a la fin politique de ceux qui ne <<composent
pas avec les principes de la liberté>> selon l’expression de Jacques Roux.
Apparaissant a l’été 1793 comme des ennemis de la Revolution car ennemis
de la representation nationale, contre-révolutionnaires au même titre que Pitt,
, ils vont être les premieres victimes
les Brissotins ou les aristocrates’
79
populaires de la Terreur jacobine. Varlet écrit en 1794 < On m’accuse de
contre-révolution (...). Je me regarde comme convaincu, si par contre révolu
tionnaire l’on entend l’opposition au gouvernement révolutionnaire >>‘°.
Perdant leurs soutiens sectionnaires, peut-être victime de leurs excés,
’ et de l’absence de veritable plan politique,
plus srement de leurs divisions’
8
us assistent impuissants a leur déchéance. Ces représentants honnis se liguent
alors contre eux, faisant soudain de ces patriotes avancés, les ennemis les
. Ce que la Montague était parvenue a
plus dangereux de la Révolution’
8
faire, suite aux mouvements de février 1793, c’est-à-dire refaire < l’unité a
gauche contre la Gironde pour cristalliser la colère du peuple sur le côté
droit >>, n’est plus possible a l’automne 1793 face aux Enrages, aux
<<militants sans-culottes avancés >>. Pourquoi ? En raison du succès de la
marnnuvre politique des Jacobins de février a septembre 1793. II sont
parvenus a replacer la question économique, centrale, <<raison d’être>> des
Enrages, derriere la question politique dans le processus révolutionnaire’
.
83

de la politique et de is terreur >>, (ss. dir.) C. Kintzler et H. Rizk, La République et Ia Terreur,


Paris, Cd. Kimé, 1995, p. 85.
l77
Saint Just, Discours cia Convention du 26février 1794, cite par Daniel Guérin, La lutte des
classes sour la Premiere République 1793-1797, op. cit., p. 267.
S. Aberdam, e Soumettre Ia constitution au peuple >>, op. cit., P. 152.
< Croyez-vous que tel prCtre qui, de concert avec les Authchiens, dCnonce les meilleurs
patriotes, puisse avoir des vues bien pures, des intentions bien légitimes? (...) Croyez-vous
qu’on puisse d’un coup surmonter l’Autriche, l’Espagne, Pitt, les Brissotins, et Jacques
Roux ? >>, Robespierre, Discours aux Jacobins du 28 juiliet 1793, cite par Daniel GuCrin, La
iutte des classes sour Ia premiere Rdpublique, op. cit., tome 1, p. 261.
180
3.-F. Varlet, Gare I ‘explosion!, op. cit., p. 4.
I8I
II faut remarquer, au detriment d’une cohesion toujours fragile, qu’une certaine atonie,
voire une hostilitC, se font jour chez Leclerc confrontC aux arrestations de Roux et Varlet. Ii
dCnonce ainsi Varlet, dans son Ami du Peuple clans Is personne <<d’un homme, au milieu du
jardin des Tuileries,>> disant equ’il existe clans le sein de Ia sainte montagne des fripons des
intrigants, des ambitieux, comme partout ailleurs >>, T. Leclerc, L ‘Ami du Peuple, n° XXII, 11
septembre 1793. Cette fracture entre Leclerc et les attires Enrages, vraisemblablement
motivée par Ia peur, n’efface pourtant pas Ia solidarité dont font preuve les attires Enrages
face a leurs déboires communs.
182
.tLe plus cruel des fléaux que nous ayons a combattre pour faire triompher la liberté, ce
n’est point les aristocrates, les royalistes, les contre-révolutionnaires, mais les faux patriotes
exaltés qui se prevalent de leur masque de civisine pour égarer les bons citoyens, et les jeter
clans des démarches violentes, hasardées, térnéraires et désastreuses. >> Marat, Le Publiciste de
Ia Républiquefrancaise. tome IV, a° 233, 4juillet 1793.
‘>
M. Pertué, << Les luttes de classe et Ia question de Ia dictature au debut de 1793 u, A.H.R.F.,
op. cit., p. 457.
284 Le concept de representation dans la pensée politique

Ce faisant, us ont oblige les Enrages a accentuer leurs critiques quant a la


representation même. Critiquant l’essence de la dictature jacobine, l’idée
même d’wi représentant vertueux incarné par le conventionnel jacobin, les
Enrages rendent toute conciliation impossible. Ne servant plus les intérêts de
Ia Montagne, leurs revendications sociales sont alors integrées en partie dans
le programme politique jacobin, notamment par Billaud-Varenne. C’est le cas
de Ia loi du 9 aoüt sur les greniers d’abondance. II ne reste alors plus, a
l’automne 1793, qu’ã les annihiler, avant d’écraser les hébertistes. Le refus de
Ia prise de pouvoir de Ia representation jacobine rendait impossible toute
acceptation par les Enrages du système politique de la Terreur. Appelant a
une representation des assemblées primaires, des sections qu’ils considéraient
comme une emanation directe du souverain assemble, les Enrages tentaient
de court-circuiter la Representation nationale’
85 qu’était la Convention,
s’attirant logiquement les foudres de celle-ci.
Qui ne voit pas que la plupart de ceux qui se sont popularisés
depuis 89, et qui sont charges de nos destinées, ant concur dessein d’envahir
le pouvoir supreme ? Qui ne voit pas qu ‘us exercent une inquisition
dictatoriale envers ceux qui ne compasentpas, comme eux, avec les principes
de hi ljberté ? Les tartufes ! us se sont servi des Leclerc, des Varlet, des
...

Jacques Roux, des Bourgouin, des Gonchons, etc. ils se sont servi des
femmes révolutionnaires, des Lacombe, des Colombe, des Champion, des
Ardoin, et tant d ‘autres républicaines, pour briser le sceptre du tyran
))186
[••]
Jacques Roux mort’
, Leclerc, Pauline Leon et Claire Lacombe retires
87
de la vie publique’
, seul Varlet va persévérer dans l’engagement
88
politique’. Ii continue d’uwer au scm du mouvement social’
, méme Si,
90

Républicains, ne cherchons pas ailleurs que dana le gouvernement révolutionnaire


I’origine de I’oppression sous laquelle Ia République a gem, ] QueUe monstruosité sociale,
quel chef d’ceuvre de machiavélisme que cc gouvemement révolutionnaire [...J II faut a ses
auteurs un pretexte pour légitimer le dictatoriat. Au nom du salut public, ils créent une infinite
de dictature, >. Jean-Francois Varlet, Gare 1 ‘explosion !, op. cit., p. 7 et 8.
‘‘ S. Aberdam, e soumettre la constitution au peuple >>, op. Cit., p. 146.
186
Jacques Roux, Le Publiciste de Ia Répziblique de la République française, par I ‘ombre de
Maras, n° 268. O. Cit.
ArrCté le 5 septernbre, Jacques Roux ffit jugé Ic 12 janvier 1794 par le tribunal
correctionnel, qui Ic renvoya devant la Tribunal révolutionnaire. Sans espoir, ii tenta de se
suicider une premiere fois, et y parvient Ic 10 février 1794. Daniel Guérin, La lutte des classes
sous Ia Premiere Republique, O. Cit., tome 1, pp. 267-268.
188
Leclerc, échappe a I’arrestation a l’automne 1793 au prix d’un enrôlement dans Ic
bataillon de requisition de Ia section Marat. fl se trouve a La Fère depuis dCcembre 1793 quant
Pauline Leon, sa femme, le rejoint en mars 1794, vraisemblablemcnt afin de fiñr les mesures
prises contre les hébertistes. us sont arrêtés et conduit a Ia prison du Luxembourg le 6 avril
1794. Claire Lacombe, cUe, est arrêtée Ic 2 avril. Après la chute de Robespierre, Pauline sera
libérée Ic 6 aoüt, et Théophile Ic 22. Ils vont ensuite vivre de divers emplois, notamment
instituteurs, sans plus participer ala vie politiquc. Voir notaniment C. Guillon, Deux enrages de
Ia Révolufion, op. cit., pp. 81-91 ainsi que pp. 125-128.
189
Voir notamnlent l’article de J. Zacker, << Varlet pendant Ia reaction thermidorienne >,
Annales Historiques de Ia Revolution Française, 1961, pp. 19-34 ainsi que M. Slavin, (Jean
Varlet as defender of direct democracy >>, The Journal of Modern History, Yorkrtown, dec.
1967, pp. 387-404.
‘°
Jean-Francois Varlct, Plan d’une nouvelle organisation de Ia société-mère des Amis de la
Constitution, suivi de la religion du philosophe, dédié aux indigents, Paris, Palais-Royal, I’an
quatrc de Ia Liberté, 58 p., BN 8-LB4O-2278.

I
David GILLES 285

par haine du régime robespierriste, ii emboIte le pas a la reaction


. II se trouve fiche comme sympathisant du mouvement
91
thermidorienn&
92 etil participe avec Dobson, Babeuf et Legray a la fondation du
babouviste’
’. Mais les années aidant, cet engagement, s’éloigne de Ia
club électoral’
9
démocratie directe, pour se rapprocher du pouvoir. Celui qui se présentait lui
méme cornme < une tête chaude >>‘, dont les emprisonnements successifs
, renie en effet une partie de ses
ont vraisemblablement fragilisé l’esprit
195
. Ceci
actions et va se presenter comme tin chantre du modérantisme’
96
l’empêcha vraisemblablement de devenir pour les Enrages, ce que Buonarroti
flit pour les babouvistes, et annihila toute relecture du parcours enrage. En
1814, Varlet, retire dans la region nantaise, use de son assé sans-culotte afin
‘.

de légitimer l’héritage révolutionnaire de 1’Empereur On est alors bien


loin du représentant devant être fldèle a son mandat impératif, et soumis aux
injonctions du peuple. Mais un tel jugement serait un peu sévére car les
vieilles aspirations sommeillent, la fibre révolutionnaire est toujours
sensible, et c’est I’héritier de la Revolution que Varlet respectait dans
Napoleon Bonaparte. La Revolution de 1830, l’appel des barricades va
trouver en Varlet us admirateur sincere, et les différents écrits198 qu’il écrit
alors, s’ils sont le fait d’un patriote et d’un republicain sincere, n’expriment
pourtant plus le méme antiparlementarisme, méme s’il est encore surveillé
par la police pour sa coaduite contraire au boa ordre.
Grain de sable, les Enrages sont vite eflàcés par les Jacobins qui sont
guides <<par Ia volonté de défendre et de poursuivre l’esprit de la Revolution
et son ccnur, c’est-à-dire la Convention telle qu’ils la concoivent et telle
qu’ils Ia pratiquent >>200. Or, c’est bien là que se situe le point d’achoppement
fatal aux Enrages. Ils ne veulent pas voir dans la Convention use
representation du souverain, ils ne veulent pas d’une Convention comme
cceur de la Revolution, qui prendrait trop facilement le pas sur l’âme de celle
ci, le peuple. Terroristes, les Enrages ne souhaitaient pas la Terreur coacue
comme système politique de gouvernement. Si Marx voyait chez Roux et
191
Daniel Guérrn. La lune des classes sous Ia Premiere République. op. cit., tome 2, p. 390.
192
Sur les réflexions menéss par les babouvistes sur Ia question de Ia démocratie populaire,
voir D. Guérin, Ibid., pp. 393-396.
A. Mathiez, < L’affaire Legray n, Annales Historiques de la Revolution Francaise, 1947,
305.
Jean-Francois Varlet, Tête chaude et bon c&ur, Paris, 1795, (Archives Nationales F
477540)

En tbmoigne les deux pamphlets rédigés pour partie en prison (depuis Ia prison Du Plessis,
06 se trouvèrent enfermés de nombreux vaincus de prairial) en 1794 et 1795 et qui font montre
d’une certaine incoherence rédactionnelle, Jean-Francois Varlet, Du Plessis Ie maiheur,
queue Ecole ! Ce quej ‘écris Ia nuit, a la Iueur obscure d ‘une lampe de prison en est peut-être
unepreuve. Tyrans et ambitieux, lisez..., op. cit., et Le Pantheon Françazs, Paris, impr. Laurens
eune, an ifi 1795, 8p., BN MFICHE LB41-1695.
<d’aime beaucoup le modérantisme qui me rend huntain, tolerant, réfléchi. He bien soit, je
suis un modéré >> J.-F. Varlet, Gare l’explosion !, op. cit.
197
Jean-Francois Varlet, Magnanimizé de l’Empereur des francais envers ses ennemis, a
l’occasion de Ia nouvelle declaration des Puissances.. ; Gazette de France, 5 janvier 1814,
impr. Chaigneaujeune, 8p. BN P89/889 ou MFICHE LB46- 116.
Jean-Francois Varlet, Nanres, I ‘an deux de I ‘héroisme parisien, Nantes, Septembre 1831,
BN P89/895 Lepater noster d’un librepenseur, Paris, 1830, BN P89/901 Le Phénix, le hibou
et les oiseaux de proie, Nantes, octobre 1831, BN P90/789.
199
Y. Blamer, Jean-Francois Varlet après la Revolution , Annales Historique.s de la
Revolution Francaise, n 284, avril-juin 1991, pp. 227-231.
200
S Lazarus, < A propos de Ia politique et de Ia terreur u, op. cit., p. 83.
286 Le concept de representation dans Ia pensée politique

Leclerc l’émergence de < l’idée du Nouvel état du Monde >>201, ceux-ci ne


croyaient ni a la vertu, ni a la Terreur des Jacobins. us périrent,
politiquement, d’avoir tentd d’apporter tine réponse a Ia question que St Just
posait aux représentants de la Convention << Que veulent ceux qui ne
veulent m vertu ni terreur? >>202.

201
<<La revolution &ancaise a fait germer des idées qui mènent au-deli des idées de tout
l’ancien itat du monde. Le mouvement rCvolutionnaire qui commença en 1789 au Cercie
social, qui. au milieu de sa carrière, eut pour representants principaux Leclerc et Roux, et finit
par succomber provisoirement avec Ia conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée
communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti, réintroduisit en France aprCs la revolution de
1830. Cette idée, développCe avec consequence, c’est l’idée du Nouvel Ctat du monde. >, K.
Marx et F. Eagels, La Sainte Famille, editions Sociales, Paris, 1972, p. 145.
202
St Just <<Un gouveruement republicarn a Ia vertu pour principe; sinon Ia terreur. Que
veulent ceux qui ne veulent on vertu ni terreur? >>, S. Lazarus, <<A propos de la politique et de
Ia terreur x., op. cit., p. 83.

Vous aimerez peut-être aussi