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RESUME
La terre a occupé et occupe encore aujourd’hui une place prépondérante dans la vie de
l’Ivoirien. La Côte d’Ivoire est encore essentiellement agricole et pour qui s’intéresse à
l’aménagement du territoire, certaines solutions aux problèmes de développement passent par
les réponses aux questions que l’on pose à l’espace. Le foncier est un enjeu politique fort et une
des données de la vie locale. Il est un enjeu de multiples débats et objet de multiples réformes
législatives et réglementaires. En effet, la diversité des acteurs et des pratiques dans le foncier
rend l’unification des règles de gouvernance assez ardue.
La gouvernance du foncier est appréhendée comme moyen de gouverner des hommes, ce qui
donne une fonction sociale et politique de la terre. L’organisation de l’espace et la répartition
de la terre entre les familles traduisent l’histoire du peuplement du village. Le contrôle de la
terre différencie les premiers arrivants et les suivants. Il structure les appartenances
communautaires et les clivages de pouvoir.
Le foncier reste, pour les gouvernements, un moyen pratique de rétribution des groupes
sociaux ou du clientélisme politiques surtout en milieu urbain. Cette fonction ancienne est
renforcée par la marchandisation de la production foncière et par l’intensification des conflits
pour la terre. Enfin, le foncier est également utilisé comme moyen de pression et de contrôle
social. Le pouvoir peut réglementer l’accès au foncier, l’interdire à certains groupes ou
interdire aux populations vivant en situation foncière irrégulière d’accéder aux services
urbains de base.
Les différents acteurs sont conscients qu’il existe un problème de gouvernance sur les terres
agricoles toutefois ils ont des difficultés à trouver la manière idoine d'appréhender le problème
et à proposer des solutions.
Mots clés :
Droit foncier - propriété - immatriculation - droit colonial - droit coutumier - mise en
valeur - inaliénabilité - expropriation - domaine public/privé - cession - succession
Salut ô terre d’espérance ;
Pays de l’hospitalité
…
La Patrie de la vraie fraternité.
La terre est un terme polysémique. Le petit Larousse en donne douze sens. Quant au Dictionnaire
Universel Hachette, il définit la « terre » comme étant :
- La planète du système solaire habitée par l’espèce humaine.
- La portion de surface du globe qui n’est pas recouverte par les eaux marines,
l’étendue du sol, le domaine, le fonds rural.
- Le sol, la surface sur laquelle on marche, on se déplace, on construit des édifices.
- Le lieu où vivent les hommes, et où ils passent leur existence corporelle.
Elle se distingue en ceci du territoire qui se caractérise par son aspect limité et politique.
La notion de terre envisagée donc littéralement évoque à la fois la nature mais aussi le
mouvement. Pourtant, l’usage fait de la terre par les hommes l’érige non seulement en lieu de
vie, en moyen d’accès à la ressource, mais aussi en critère d’identification. La terre2 est, en
effet, le support sur lequel les hommes bâtissent leurs habitations, l’espace cultivé qui fournit
à celui qui l’exploite ses moyens de subsistance ; et enfin, un lieu qui permet de situer la
provenance, la naissance ou la résidence d’un individu, d’un peuple et, à partir de là, de
l’identifier.
Les modes d’appropriation de la terre renvoient toujours à l’organisation des groupes sociaux
et les règles de transmission n’ont de sens que comme illustration de leur logique interne ;
« l’espace est un produit, une organisation de la société, un système social (…) une institution
sociale initiale des ethnies » (3 ).
Par ailleurs, l’appareil socio culturel du groupe est au moins aussi important que la
composition chimique du sol sur lequel il vit ; l’eau et le soleil ne sont pas les seuls éléments
de la formation des mentalités. Les croyances interviennent aussi ; et, elles sont bien souvent
apparentées aux manifestations de la nature qu’elles interprètent cependant différemment.
Il existe des spécificités sociologiques étroitement associées aux particularités géographiques.
Ainsi, les modes de vie des sociétés sont de reflets des effets du climat qui assujettit l’homme
à son milieu et colore d’une façon typique, aussi bien les méthodes culturales que les
conceptions du droit de propriété.
Aussi, l’histoire des sociétés nous enseigne-t-elle que le mode de tenure des terres et
l’organisation des rapports de l’homme à la terre reflètent les sociétés qui les adoptent.
L’homme dépend naturellement du milieu naturel. L’homme et les sociétés sont marqués par
le milieu naturel qu’ils transforment par ailleurs. La permanence d’un groupe, même nomade,
est inconcevable, sans cette interpénétration du milieu naturel et humain, sans cette
articulation à des assises terriennes. Il y a, à la base de tout lignage, une inscription au sol, au
même titre qu’un ancêtre au début de la lignée. Il s’agira donc, pour nous, dans la présente
étude, de dégager les caractéristiques des traits structurels, la complexité et la dynamique des
interactions. Mais concrètement, quelles sont les informations que donne et reçoit la terre des
institutions et partant des hommes ?
1 Voir NENE BI Séraphin, La terre et les Institutions traditionnelles africaines, thèse de doctorat, Université de Cocody Abidjan,
UFR SJAP.
2 Dans notre ouvrage, nous emploierons indifféremment le mot terre et foncier que nous définissons de la façon suivante : Le
foncier est constitué à la fois par la terre et les ressources naturelles qui y sont directement attachés et l'ensemble des relations
entre individus, groupes pour l'appropriation et l'utilisation de ces ressources. Ces relations englobaient à la fois des règles et
des principes de la maitrise, d'appropriation et d'usage de la terre ainsi que les contextes institutionnels et relationnels qui
déterminent la mise en œuvre de ces principes. On devrait donc parler dans cette optique de foncier agricole, de foncier
pastoral, de foncier pour l'habitat, et d'un foncier halieutique...Le concept de foncier définit le rapport de l'homme à son
environnement par rapport à un système d'interrelation entre, d'une part, les sphères de l'action sociale, individuelle et
collective (l'organisation sociale, politique, le sacré, le religieux) et, d'autre part, les dynamiques écologiques. Ayant une valeur
d'adjectif, le mot « Foncier » désigne ce qui est « relatif à un fonds de terre, à son exploitation, à son imposition ».
3 HAUHOUOT (Asseypo Antoine), Développement, Aménagement, Régionalisation en Côte d’Ivoire, Abidjan, PUCI, 1996, p 13
5
I- LE PROBLEME ET SON APERÇU
Nous observons que si, l’Afrique dispose de grandes potentialités pour son
industrialisation, elle demeure cependant un continent essentiellement agricole. Quelqu’un a
même qualifié la Côte d’Ivoire d’ « Etat paysan »4 La possession d’un lopin de terre constitue
aujourd’hui encore un droit fondamental de l’homme en ce que l’agriculture intéresse une très
large majorité de la population africaine. L’agriculture y est plus qu’une occupation, c’est un
mode de vie. Le paysan africain est toujours le fidèle d’une véritable religion de la terre. Et
l’on peut reprendre à ce sujet ce que Mircea Eliade écrivait à propos de l’homme dit
« primitif » : « l’agriculture, comme toute activité essentielle, n’est pas une simple technique
profane. Ayant trait à la vie et poursuivant l’accroissement prodigieux de cette vie présente
dans les graines, dans le sillon, dans la pluie et dans les génies de la végétation, l’agriculture
est avant tout un rituel. Le laboureur pénètre et s’intègre dans une zone riche en sacré. Son
geste, son travail sont responsables de graves conséquences, parce qu’ils s’accomplissent à
l’intérieur d’un cycle cosmique »(5).
La terre occupe donc une place prépondérante dans la vie de l’Africain en général et de
l’Ivoirien en particulier et est en relation étroite avec les structures sociales. Les « liens qui
existent entre les régimes fonciers et les structures sociales et notamment les structures
familiales (sont tels que) l’on a pu dire qu’en Afrique la solidarité s’inscrit sur le sol et que
l’étude de l’un suppose celle des autres » (6). Dans ces sociétés traditionnelles africaines, elle
était avant tout un objet de cohésion sociale, à la fois sacrée, facteur de cohésion sociale et
facteur essentiel de production dans ces formes d’économie. Et, la signification ontologique à
elle donnée ne se laisse pas enfermer dans une loi.
Les enjeux de la terre sont plus étendus encore puisqu’elle est l’objet de crispations à la fois
sociales mais aussi économiques et politiques.
Ainsi, au niveau social, elle est l’objet de conflits entre individus, entre communautés ou encore
entre corporations professionnelles comme c’est le cas entre éleveurs et agriculteurs dans le
nord de la Côte d’Ivoire, confirmant ainsi le proverbe : « Qui terre a, guerre a ». En effet,
nombreux sont les conflits qui accompagnent l’acquisition d’un lopin de terre en Côte d’Ivoire
Que ce lopin de terre soit localisé en milieu rural ou urbain, peu importe. « Les questions foncières
sont les racines profondes des conflits dans le pays », observe Bert Koenders, représentant spécial
du secrétaire général de l'ONU en Côte d'Ivoire. Il observe également que « l'analyse de la
situation actuelle reflète la nécessité de prioriser … l'adoption d'une triple stratégie nationale qui traite
dans une approche commune les problèmes fonciers, de la sécurité et de la réconciliation 7 ». Pour
Monsieur Jeannot Ahoussou KOUADIO « La question du foncier, tant dans son aspect rural que
sous sa forme urbaine, est une problématique essentielle au cœur de l`histoire et de la vie de notre pays
et l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de circonscrire au mieux les conflits récurrents autour de la question
4 Jean Pierre CHAUVEAU, La question foncière en Côte d’Ivoire et le coup d’Etat ou comment remettre à zéro le compteur de l’histoire.
L’Agriculture constitue le pôle essentiel de l’économie ivoirienne. En effet, la Côte d’Ivoire est : premier producteur et
exportateur de cacao avec 40% de la production mondiale, troisième producteur mondial de café, premier producteur africain
d’hévéa, cinquième producteur mondial de palmier à huile, elle s’est récemment hissé au rang de deuxième producteur et
premier exportateur mondial d’anacarde. Et cette agriculture fait vivre, avec l’agro-industrie, le tiers de la population du
pays4.
5 Eliade MIRCEA, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, p 268.
6 KOUASSIGAN ( A. – G. ), « Propriétés foncières et développement. Tendances générales et option négro-africaine » in Le
village piégé, cahiers de l’Institut universitaire d’étude et du développement, Genève, 1978, p 277
7
Bert KOENDERS, représentant spécial du secrétaire général de l'ONU en Côte d'Ivoire entre le 1er septembre
2011 et le 4 juin 2013, http://www.rfi.fr/afrique/20130330-cote-ivoire-bert-koenders,
6
foncière »8. Pour lui, ces conflits « servent bien souvent de terreaux à des crises majeures » dans
différentes régions de la Côte d`Ivoire.
La situation foncière confirme encore cet autre proverbe : « Qui achète une terre, attire sur soi
la guerre ; on croit acheter une (plantation, une forêt), et on achète des procès »9. Le Président
de la chambre administrative de la Cour suprême de Côte d’Ivoire confessait récemment : « La
question foncière est la question qui est de très loin la plus importante en volume devant notre
juridiction ».
Sur le plan économique, la réduction considérable des terres en fait un objet de fortes
spéculations économiques10.
En effet, « dans un contexte de démographie galopante, de raréfaction des facteurs de
production, la terre devient dans le cas d’une économie agricole un enjeu déterminant et une
variable décisive dans l’analyse et la compréhension de l’évolution socio-économique du pays
et des rapports sociaux de production entre les communautés » ( 11).
Enfin, sur le plan politique, il est aisé de citer parmi d’autres causes la question de
l’immigration.
La terre est ainsi au centre des préoccupations de la plupart des pays en voie de développement.
Elle est en effet un espace disputé, un enjeu social économique et politique. Son accaparement
ou son contrôle génère des conflits complexes qui voient s’affronter des revendications puisées
à des sources ou légitimités diverses. Aussi, « en ce début du XXIe siècle apparaît en Afrique
de nouvelles problématiques dans le domaine des politiques publiques qui remettent la
question foncière au centre des débats politiques et des démarches réformatrices » (12).
La terre comme notion est donc vaste (en nous répétant). Mais comme sujet de réflexion, elle
l’est plus encore ; même utilisée comme épithète pour qualifier le droit que nous définissons
comme « l’ensemble des règles régissant les rapports sociaux ». Ainsi, le droit foncier13 peut
se définir comme « l’ensemble des dispositions régissant les relations qu’entretiennent entre
eux les individus et les groupes en ce qui concerne le statut et l’usage de la terre »14. Il peut
également être défini comme « est l’ensemble des dispositions comprenant les règles relatives
à l’accès à la terre et à sa gestion. Le droit foncier est déterminé par la législation étatique et
par la gestion au jour le jour des enjeux que poursuivent les communautés rurales et urbaines.
Mais il est également régi par des usages locaux instituant des droits et des pratiques
foncières particuliers qui peuvent s'écarter largement du droit étatique et éventuellement
s'opposer à lui »15. Faut-il alors étudier tout le droit relatif à la terre ? Car, il existe de
nombreux aspects relatifs à certains droits comme le droit de l’eau, le droit forestier qui sont
liés aux questions de la tenure foncière. Nous n’allons pas les traiter mais nous n’allons pas
non plus les ignorer. Ecrivons quelques lignes sur ces droits.
8
Jeannot Ahoussou KOUADIO, ancien premier ministre de Côte d’Ivoire, discours d’ouverture du séminaire gouvernemental
sur le foncier rural le 25 juin 2012, http://news.abidjan.net/h/436085.html.
9 Antoine DUMONT, Traité de la prudence contenant un grand nombre d’instructions, de sentences, et de proverbes choisis. M. DCC.
XXXIII, p. 502
10On peut citer le cas du sud de la Côte d’Ivoire ou encore la ville d’Abidjan, où l’accès à la terre en vue d’habitation est de
non daté, p 5
12 E. LE ROY, Editorial : Retour au foncier. L’Afrique ne peut continuer… in Retour au foncier bulletin du LAJP du 26
septembre 2001
13 Le mot foncier à l’origine est un adjectif. (Gérard CIPARISSE, Thésaurus multilingue du foncier version française, 2ème édition,
7
Le droit de l’eau est l’ensemble des règles relatives à la propriété, au contrôle et à l'utilisation
de l’eau comme ressource. Il est plus étroitement lié au droit des biens, mais est également
influencé par le droit de l’environnement et le droit foncier (L'eau a toujours été considérée comme
un accessoire de la terre. De cette conception on a tiré deux conséquences. La première considère
que le droit varie en fonction du rapport à la terre : La terre fait le droit de l'eau. La deuxième considère
que le droit est d'abord celui de la terre)
Le droit forestier : ensemble des dispositions comprenant les règles relatives à l’exploitation,
à la protection des forêts ainsi que celles réglementant les pouvoirs de l’Administration dans
les forêts soumises au régime forestier.
Ceci exposé, il convient d’écrire également quelques mots sur les types de droit foncier. Il
existe en effet plusieurs catégories de droit foncier :
- Selon l’activité exercée sur le sol, on distingue le droit foncier pastoral (qui est l’ensemble
des dispositions qui régissent les relations qu’entretiennent entre eux groupes et individus en
ce qui concerne le statut et l’usage de la terre et de l’eau dans le cadre d’une activité
socioéconomique donnée : l’élevage. Ces dispositions concernent les modalités d’accès à l’eau
et aux pâturages car l’utilisation d’une terre à des fins pastorales est conditionnée par la
présence de l’eau. Ces deux ressources, au centre de la problématique du foncier pastoral, sont
intimement liées.)16, du droit foncier environnement (qui exprime à travers les paysages, la
relation homme/nature en tant que reflet d’une conception du monde dépendante de l’ordre
écologique établi)17, du droit foncier cynégétique, du foncier agricole.
- Selon l’espace d’activité et la densité de la population humaine, on distingue le droit foncier
rural et le droit foncier urbain.
C’est cette seconde division du droit foncier que nous utilisons dans le présent ouvrage.
Pourquoi ? Parce que tout simplement le critère de distinction est ici plus pertinent et
opérationnel.
A la lumière de ce qui précède, notre objectif dans cette étude est de tenter de comprendre la
société ivoirienne de l’intérieur, d’en démêler la trame depuis que l’Etat colonial a dessiné ses
nouveaux contours(18). Nous voulons apporter notre modeste contribution à la construction de
« l’édifice ivoire » que nous voulons uni et en paix avec lui-même, vu les nombreux litiges
fonciers qui jalonnent sa marche vers le progrès et qui dégagent sur son territoire grand de
322 462 km2, soit 1 % de le surface du continent africain, une chaleur cadavérique, suffocante,
qui fragilise l’harmonie, la communion existant entre les différentes ethnies19 composant cette
nation ivoirienne d’une part, et les populations étrangères vivant en Côte d’Ivoire d’autre
part ; faire l’état des lieux législatif et règlementaire régissant le foncier en Côte d’Ivoire et les
situations obstacles y afférant.
En effet, le problème de la propriété des sols se révèle être un sujet extrêmement passionnel
en Côte d’Ivoire, vu qu’il met en conflit divers intérêts.
Le système juridique foncier ivoirien hérité de la colonisation, outre son inadaptation à
l’organisation socio-économique du milieu rural mais aussi urbain, est loin d’être uniforme ;
les parties (usagers et praticiens) ne s’y retrouvent guère. Beaucoup de problèmes liés à la terre
apparaissent alors dans toute leur virulence. C’est le cas des problèmes posés par les réserves
forestières et les espaces protégés face à l’extension des activités agricoles ; c’est également le
cas des problèmes des migrants et de leur l’accès à la terre, ou encore de la pertinence du droit
foncier c’est-à-dire celui détenu et exercé par une personne sur une terre ou tout simplement
le droit portant sur la terre.
16 Gérard CIPARISSE, Thésaurus multilingue du foncier version française, 2ème édition, FAO, Rome, 2005.
17Idem.
18 CHAUVEAU ( J- P ), et DOZON ( J – P ), Au cœur des ethnies ivoiriennes… l’Etat, Paris, L’Harmattan, 1987, p 222
19
La Côte d’Ivoire compte officiellement soixante ethnies, soit un peu plus de 1% des groupes et sous-groupes
ethniques d’Afrique.
8
Il s’agit là de graves problèmes bien trop souvent funestes. Ces conflits éclatent d’une part,
entre l’Etat et les détenteurs coutumiers des terres20. Car, des contradictions existent entre
les aspirations des populations rurales et les projets de développement initiés par l’Etat. Ces
projets de développement conçus sans la participation des intéressés se situent d’une manière
générale dans un contexte évolutionniste et de dépréciation des cultures locales21. Les porteurs
de ces projets trouvent en effet, toute résistance comme un frein au développement et une
incapacité des populations rurales à s’engager dans un processus plus rationnel de
compréhension et d’exploitation de la nature ; d’autre part, entre les autochtones et les
étrangers. Les premiers se plaignent de l’accaparement de leurs terres, des terres de leurs
ancêtres par les seconds, qui eux, crient à la xénophobie et à l’insécurité foncière. On le voit,
en Côte d’Ivoire, la question foncière se ramène à la définition du statut des sols et à la
détermination des titulaires des droits portant sur les terres.
Le foncier en Côte d’Ivoire apparaît comme une réalité complexe et sa gestion
administrative se révèle problématique. Cette difficulté tient à la multiplicité des
acteurs intéressés par cette ressource mais aussi aux tensions occasionnées par sa rareté au
niveau de certaines localités.
On le voit, l’ambigüité est au cœur du système foncier ivoirien. Tiraillé en plusieurs logiques,
l’Etat se révèle incapable d’imposer ses règles. Les règles étatiques sont écartées par le corps
social qui a tendance à vivre sous l’empire de ses propres pratiques nées des travestissements
du droit positif et des coutumes foncières redéfinies au goût du jour.
20 Les conflits entre Etat et détenteurs coutumiers des terres se déroulent la plupart du temps autour des forêts sacrées et
parc nationaux. RCI MINISTERE DE L’AGRICULTURE, Étude d’impact social du volet d’appui à la mise en œuvre de la
loi sur le foncier rural du PARFACI. Rapport final, août 2014. Rapport réalisé par Frédéric VARLET
21RCI MINISTERE DE L’AGRICULTURE, Étude d’impact social du volet d’appui à la mise en œuvre de la loi sur le
foncier rural du PARFACI. Rapport final, août 2014. Rapport réalisé par Frédéric VARLET (Annexes cartographiques)
22Idem
9
nourricière des vivants et des choses avec lesquelles le matériel et l’immatériel ont des
relations d’existence. C’est pourquoi, la terre conjuguant la réalité matérielle et immatérielle
ne peut s’appréhender qu’à travers une double démarche : la démarche liée au sacré et celle liée
à la réalité matérielle.
C’est cette dualité de la terre qui explique que sa surface et sa profondeur sont considérées
comme des lieux où se rencontrent à la fois le sacré et la réalité matérielle. Voilà pourquoi la
surface de la terre sur laquelle vivent les êtres, les choses se divisent en domaine du sacré et
en domaine réservé aux vivants. Ainsi, sans que l’homme n’intervienne pour prendre contact
avec la terre, il a toujours présenté à l’esprit la coexistence de ce double domaine : le domaine
du sacré et le domaine des vivants.
La terre et tout ce qui la peuple rappellent constamment la dualité d’existence.
En effet, pour les communautés traditionnelles, la terre ( -non pas la planète appartenant au
système solaire - ) est la richesse des richesses. L’on vit de la terre et l’on vivra dans la terre.
Elle est le commencement de toute vie et en même temps la fin de toute vie. Cette dualité est
telle que, pour ces communautés, quiconque perd la terre, perd la double existence.
La terre est incrustée dans la conscience des hommes, elle les modèle, modèle leur
« création » et leur vie.
La terre, en effet, était pour ces populations, non pas une chose à s’approprier, mais un « être »
auquel on demandait le strict minimum pour la survie du groupe, et qui inspirait un profond
respect. Comment pouvait-il en être autrement ? C’est elle qui préside aux naissances et
partant, perpétue le groupe.
Elle est la puissance fécondante. C’est encore elle qui entretient la vie des hommes par la
nourriture qu’elle produit, la végétation qu’elle porte, les animaux qu’elle anime. C’est aussi
sur elle que tous les hommes se meuvent, prennent leurs appuis pour s’épanouir, se développer
comme l’oiseau s’appuie sur la branche de l’arbre pour voler. Ainsi, la terre est-elle perçue
comme un élément nourricier, une divinité, la clé du développement et plus fondamentalement
de la survie. Elle est aussi source de noblesse. Et comme nous l’avons noté, le rapport à la
terre, avant d’être un mode de subsistance, est une manière d’être et de vivre, un mode de
penser et d’agir ; elle est source de vie. Elle est enfin, l’habitacle des défunts, des ancêtres, et
partant, elle est intermédiaire entre les morts et les vivants.
Cette question est épineuse et essentielle. En effet, l’on vit de la terre et l’on vivra dans
la terre. C’est donc le commencement de toute vie et en même temps la fin de toute vie23. Cette
dualité est telle que quiconque perd la terre, perd la double existence que nous avons
précédemment évoquée.
a- la prise de contact
La prise de contact a lieu par la première occupation qui se réalise elle-même par un
défrichement et/ou par un parcours de territoire vierge.
Le défrichement qui lie l’homme à la terre se réalise par la culture, le droit de feu pour
préparer l’installation du village, du marché ou la création de nouvelles plantations.
23 On aura compris, le rapport de l’homme à la terre en droit traditionnel négro-africain est plus fort, plus profond que le
rapport de l’homme à la terre dans l’ancien droit coutumier romain et dans le droit ancien germanique. Pour ces derniers en
effet, « le bien essentiel, celui qui ne pouvait appartenir qu’aux hommes libres, qui conférait la puissance économique et
politique, qui est la source de la richessse et de la souveraineté qui traduisait une union presque mystique entre l’homme et la
nature, c’était la terre, parce qu’elle était destinée aux descendants et devait être conservée dans la famille. C’était un bien
impérissable, au caractère prononcé et on ne pouvait en disposer qu’à des conditions très strictes ; en outre, elle était
pratiquement insaisissable » (Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Les biens, 2ème édition, Paris, Dalloz, 2005, p. 26)
10
Pour ce qui est du parcours de territoire vierge ; on notera que c’est à partir du lieu
d’installation du village, que les chasseurs qui, dans les expéditions, reconnaissent les environs
et, marquant des arbres sur leur passage pour retrouver leur chemin, ébauchent en même
temps un domaine.
Ainsi, il n’est pas rare de voir dans les environs d’un village, une zone de forêt, de savane où
les bosquets, marigots et les bois portés le nom du chasseur ou plus souvent de son lignage,
qui les découvrit. Mais notons-le, cette toponymie n’implique en aucune manière
l’appropriation des terres ainsi désignées par le lignage éponyme. L’ensemble de ces terres
constitue le terroir villageois sur lequel les habitants pratiquent collectivement la chasse.
La terre communie avec les groupes (lignage, village…). Mais les individus qui l’utilisent, mis
directement en rapport avec elle suivant des modalités diverses, dépendant de certaines
conditions ; conditions tenant au rattachement des individus au groupe, entrent également en
communion directe avec elle. Le « droit d’accès » des individus à la terre est étroitement
subordonné à leur position au sein de leur communauté respective. Dans les relations entre
individus de communautés différentes les liens qui unissent ces groupes entre eux,
commanderont encore les rapports fonciers.
L’appartenance au groupe. Le droit d’exploiter une terre découle originellement de
l’appartenance à un groupe de parenté localisée. Aussi donc, pour exploiter des parcelles de
terres à des fins individuelles, il faut être membre de la collectivité qui porte la terre, sa
génitrice, son aïeule dans sa conscience.
Mais aussi et surtout, il faut avoir la capacité juridique au sens du droit traditionnel : être un
homme. En effet, seul un homme peut cultiver une parcelle de terre pour lui-même, ce qui est
une manifestation de sa promotion, de sa maturité d’esprit. Les femmes peuvent également
cultiver sur les terres en jachère pour y planter des condiments (piment, aubergine etc.) de
leur choix dans un but alimentaire et/ou commercial.
De même, seuls les chasseurs, membres du groupe, peuvent parcourir le territoire du groupe.
Mais, il arrive que des personnes n’appartenant pas à la communauté se soient vues attribuer
des terres à usage individuel : ce sont les alliés et les étrangers.
L’allié. L’alliance est réalisée le plus souvent soit par le mariage soit à partir d’un pacte entre
communautés auparavant en relation conflictuelle. Le pacte peut se réaliser par le sang versé
des représentants des parties en présence ou par un sacrifice rituel à la frontière des deux
communautés. Les alliances sacrificielles revêtent toujours un aspect ésotérique et théâtral.
Une raison parmi tant d’autres est de rendre patent et d’imprimer dans la conscience collective,
un état d’entente cordiale, valable pour les générations présentes et à venir. On peut souligner
qu’aucun document écrit ne peut enregistrer ni égaler de semblables procédures du fait du
châtiment imminent à toute dénaturation ou transgression (24).
Parfois, les membres du lignage primitif accueillent les frères de l’une de leurs épouses.
Généralement dans ce cas, le lignage des premiers occupants absorbe le lignage des frères de
l’épouse.
Cependant, si un frère d’épouse sait profiter de sa position ambivalente (donneur d’épouse et
obligé) et s’avère particulièrement grand guerrier ou expert en quelque technique, il fonde
parfois son propre lignage, ou ses descendants conservent une certaine autonomie au sein du
lignage « refuge ».
Un lignage peut aussi accueillir les enfants issus d’un autre mariage d’une de ses épouses : soit
que les enfants d’un premier mariage s’installent définitivement auprès du second mari de leur
mère soit qu’une épouse ait quitté son mari pour aller se marier ailleurs et que plus tard ses
enfants, issus du premier mariage, reviennent chez leurs propres parents paternels en amenant
avec eux leurs frères utérins cadets issus du second mariage de leur mère. Dans l’un et l’autre
cas, si ces frères utérins d’hommes du lignage deviennent des individus importants, ils peuvent
11
être à l’origine d’un autre lignage qui formera un groupe exogame avec le premier. A côté de
ce type d’allié, il y a l’allié à plaisanterie à qui on ne peut refuser une demande.
Au total, l’allié est intégré au groupe fondateur (lignage primitif) comme membre à part entière
et peut donc se voir attribuer une parcelle de terre de ce dernier.
L’étranger. Est considéré comme étranger, tout individu qui n’est pas membre de l’un
des lignages primitifs du village. Il ne peut y exercer des droits d’exploitation que s’il est
autorisé par les autorités compétentes à y résider. C’est ainsi que dès son arrivée, il s’adresse
au chef de la famille à laquelle « appartiennent » les terres sur lesquelles il veut s’établir.
L’autorisation est presque toujours donnée ; elle est gratuite car, dit-on, « on n’est jamais trop
nombreux sur une terre ».
L’acte qui crée le droit du groupe sur une terre est posé par une personne très importante
appelée : chef de terre.
b- le chef de terre
Le chef de terre est celui qui s’est installé le premier sur la terre et autour duquel les
autres sont venus s’installer. Le chef de terre est avant tout, celui qui est partie au pacte avec
le sol, c’est-à-dire l’homme de l’alliance primordiale avec les forces telluriques et les esprits
fertilisateurs du sol. Et comme le culte de la terre se transmet par succession dans la même
famille, le chef de terre, aujourd’hui, est le descendant mâle – par ordre de primo progéniture
– du premier occupant qui noua avec la terre une alliance éternelle, sacrée.
Descendant du premier occupant, le chef de terre sacrifie à la terre du village et invoque
les ancêtres. Il est soumis à plusieurs obligations et protégé par de nombreux interdits.
Homme d’autorité, homme de paix, le chef de terre veille à la concorde et à la justice dans la
communauté : par sa présence, il fait cesser une querelle ; par sa parole, il réconcilie les
adversaires ; par des sacrifices, il répare les fautes qui menacent la terre de stérilité.
Lorsqu’un conflit éclate entre des agriculteurs au sujet des limites d’un champ, le collège des
anciens intervient pour régler les problèmes des hommes installés sur les terres. Mais, un tel
conflit pourra apparaître également comme un outrage fait à la terre. Pour à la fois réparer
l’outrage et entériner la résolution du conflit, l’intervention du chef de terre est nécessaire.
Dans l’exercice de ses fonctions, il désigne les terres à cultiver par les étrangers et
alliés ou accueillera dans le village de nouveaux arrivants. Mais, il n’exerce pas ce droit en
vertu de son titre chef de terre, mais en tant que porte-parole de son groupe car il remplit aussi
la fonction de chef de village (25).
Au total, le chef de terre n’a que des fonctions strictement cultuelles. Il convient de l’assimiler
à un prêtre, un intercesseur, un médiateur entre les forces surnaturelles et la société des
hommes, car « il est tout à la fois, le symbole vivant de l’alliance religieuse avec la terre comme
entité spirituelle et de l’unité de la communauté territoriale dans sa triple dimension passée,
présente et future. Il est celui en qui s’unissent solidairement communauté de sang et
communauté de sol ; en qui fusionnent les deux sources complémentaires de la vie, la parenté
et la terre : en lui, la parenté se territorialise et la terre se parentalise ; médiatisant l’ici-bas et
l’au-delà. Il représente à la fois l’ancêtre fondateur et le lien de fondation, ce nombril de la
terre, qui donne naissance à une vie commune, partagée par des descendants et alliés, et
unissant les compagnons d’âge et d’initiation, les proches, ceux qui portent les mêmes
interdits »(26). Ces rôles du chef de terre sont un frein, l’empêchant de se transformer en
propriétaire foncier. Le chef de terre n’est pas « maître de la terre, du sol », comme la
traduction littérale voudrait le dire mais, responsable devant les dieux du maintien des clauses
du contrat par lequel les « ancêtres » ont acquis le monopole incessible et insaisissable
d’exploiter la terre. Cette prise de contact produit inéluctablement des effets juridiques.
12
c- les effets de la prise de contact
L’espace découvert devient l’espace territorial, la zone de juridiction des lignages
primitifs, c’est-à-dire, l’espace sur lequel ils assurent la réglementation des activités de toutes
sortes et exercent la plénitude de leur souveraineté. C’est le lieu où l’autorité politique s’exerce
effectivement. Ainsi, les lignages primitifs « possèdent » une surface de sol sur laquelle ils
peuvent tout à la fois imposer leur propre puissance et repousser l’intervention de toute
puissance étrangère.
Sur leur territoire, les lignages primitifs exercent une puissance, c’est le pouvoir
politique. Ce pouvoir a la charge d’assurer l’ordre et la sécurité, de construire et de maintenir
l’unité du groupe. Ce pouvoir, une fois le rituel de prise de contact effectué, n’est soumis à
aucun autre pouvoir, ni dans l’ordre interne ni dans l’ordre externe.
Au plan interne, la souveraineté implique la suprématie absolue du pouvoir politique. Ce
pouvoir impose sa souveraineté à l’intérieur du territoire non seulement aux individus mais
aussi à tous les lignages (primitifs ou non) et aux activités.
« Ainsi, même entre villages parents, il faut à un individu de l’un quelconque de ces villages
l’autorisation de cultiver sur le territoire du village voisin même s’il s’agit de terres
vierges »(27).
Vis-à-vis de l’extérieur, la souveraineté se caractérise par une indépendance complète
et par conséquent, l’absence de toute soumission à l’égard d’autres groupes. On le voit, le
territoire encadre l’exercice du pouvoir des lignages primitifs.
Les divergences doctrinales. Les thèses concernant la nature des droits que détiennent les
communautés traditionnelles peuvent être classées en deux catégories. Les thèses qui font
appel à la notion de propriété en affirmant ou en infirmant la propriété des sols détenus par
les communautés traditionnelles et les thèses qui se passent de la notion de propriété.
La thèse de l’absence de propriété. Pour les coutumiers juridiques de l’A.O.F. (28), « les droits
sur la terre ne sont pas constitutifs de propriété telle que nous (Européens) l’entendons », et
encore, « parce que la terre est considérée comme une divinité, parce que s’appartenant à elle-
même et par conséquent n’appartenant à personne, (…) nul individu,… nulle collectivité, ne
peut exercer ni acquérir sur elle un droit de propriété » (29).
H. LABOURET renchérit pour écrire : « le mot propriété, dont nous usons, … au sens romain
avec ses attributs si crûment dessinés, ne convient pas ici (en AOF) : son seul emploi serait
souvent source d’erreur » (30).
27 MEILLASSOUX (C.), Anthropologie économique des Gouro de Côte d’Ivoire : De l’agriculture de subsistance à l’agriculture
commerciale, 3è édition, Paris – La Haye, Mouton, 1974, p 257
28 Coutumier juridique AOF, volume II, p. 116.
29 Cf. Coutumier juridique AOF, volume III, p. 607.
30 H. LABOURET, Paysans d’Afrique Occidentale, Paris, Gallimard, 1947, p. 59
13
R. DOUBLIER (31) et M. BACHELET (32) abondent dans le même sens.
Mais, il convient de noter que les thèses relatives à l’absence de propriété en matière foncière
en droit traditionnel n’ont pas et ne donnent pas de solution viable aux problèmes posés dans
la pratique.
Aussi, d’autres auteurs ont-ils essayé de prouver que, malgré les apparences, la notion de
propriété existe en droit traditionnel.
La thèse des droits sui generis. « La terre, selon V. GELDERS, formait l’assiette des sociétés
(traditionnelles). Aucune taxe n’était perçue pour la terre, pas plus pour l’eau ou l’air. Il est
difficile de comprendre et d’exprimer les droits sur la terre avec nos idées et dans notre
langage. Les collectivités ont les droits exclusifs et absolus. Il n’y a pas de terre sans maître…
Il y a là une appropriation entière, manifestée par le fait et l’intention. Les droits appartiennent
à la collectivité et non au chef qui la représente. Ce sont des droits sui generis » (36).
Sous leur apparence de pure forme, ces notions de terminologie recouvrent le fond du débat ;
l’indigence de la langue française à catégoriser d’un seul mot la nature des droits fonciers
africains, explique les difficultés de l’ancien colonisateur à les comprendre, ses hésitations et
ses tâtonnements, ainsi que la réticence des populations qu’il administrait à se plier à ses
catégories juridiques.
Aucune de ces thèses ne permet de déterminer la nature exacte des droits que les collectivités
familiales exercent sur la terre.
Ce que nous retenons. La terre, en Afrique, n’est pas un bien économique et personne ne peut
en disposer. Avant d’être source de richesse, elle est source de vie. Elle se prête, mais ne se
14
soumet pas aux hommes. Ce n’est donc pas au seul droit qu’il faut demander l’explication des
liens entre les hommes et la terre (37). C’est la raison pour laquelle, nous nous tournons vers
l’idéologie, la philosophie africaine.
La terre étant un être vivant, il n’est pas possible d’en devenir propriétaire. Il s’ensuit que les
relations entre l’homme et la terre sont des relations d’être à être et non entre une personne
et une chose. En conséquence, la terre ne peut faire l’objet d’utilisation ou d’occupation qu’avec
son accord (à elle). Cet accord est demandé par le prêtre de la terre ou le chef de la terre,
médiateur obligatoire entre le groupe et la terre.
Au total, il convient de retenir que « l’essence du droit à la terre est fondée sur un contrat
religieux passé entre le premier occupant et les puissances chtoniennes des lieux. Ce contrat
n’autorise l’utilisation du sol que pour assurer la vie et la postérité du groupe. Il s’établit entre
le premier occupant et le lieu où il s’installe un lien qui n’est pas un droit de propriété « mais
de médiation biologique » (38).
Le caractère collectif des droits fonciers ne s’oppose pas à ce que des droits individuels puissent
s’exercer sur les terres.
Nature juridique des droits individuels portant sur la terre. A l’intérieur du groupement familial ou
villageois, l’individu dispose de certains droits qui lui sont propres. Ces droits lui sont accordés
à titre essentiellement viager ; car, à sa mort, la terre qui lui a été attribuée retourne à la
communauté qui peut, par le biais de son chef, désigner un nouveau titulaire. Comme pour les
groupements familiaux, les droits individuels portant sur la terre font l’objet de polémique.
Les divergences doctrinales. Pour certains auteurs, l’individu est un usufruitier. Pour
d’autres, il un copropriétaire.
La thèse de l’individu usufruitier. Certains auteurs ont soutenu que l’individu dispose d’un
droit d’usufruit sur le patrimoine foncier de sa communauté. Certes, dans la terminologie
juridique issue du droit romain, le terme d’usufruit est peut-être le seul qui convient à l’analyse
des relations entre l’individu et la parcelle de sol qu’il exploite. En effet, tel un usufruitier, il
use de la terre et en recueille seul les fruits. A sa mort, la terre revient à la communauté qui
détient la nue-propriété.
Mais nos hésitations sont grandes à considérer les droits fonciers individuels comme ceux d’un
usufruitier. Il s’en rapproche sans s’y identifier pour deux raisons :
D’abord, on ne saurait parler d’un usufruit sans admettre l’existence d’un droit de propriété,
le premier étant le résultat du démembrement de l’autre. Or, nous avons pu écrire que le terme
de propriété ne convient pas pour caractériser l’ensemble des relations qui s’établissent entre
les diverses collectivités et le sol dont elles ont pris possession. Qui n’admet donc pas le
concept de propriété à propos des droits fonciers collectifs, ne peut admettre celui d’usufruit à
propos des droits fonciers individuels.
D’autre part, l’usufruit est un « jus in re aliena », en ce sens qu’il porte sur l’objet appartenant
à autrui. Il suppose de ce fait l’existence de deux (2) sujets de droit bien distincts : l’usufruitier
et le nu-propriétaire. Or, la terre dont dispose l’individu, ne peut être considéré comme un
« res aliena ». L’individu aussi n’est pas étranger à son groupe, il est son groupe lui-même, ce
qui rend fort incertaine son assimilation à un usufruitier.
La thèse de l’individu copropriétaire. D’autres auteurs ont écrit que l’individu est
copropriétaire. Ceci nous paraît tout aussi inexact ; car, la copropriété n’est autre chose que la
propriété elle-même entre les mains de plusieurs titulaires. Elle suppose, en outre, qu’au départ
chaque propriétaire a une part bien déterminée, ce qui n’est pas le cas pour les droits fonciers
collectifs en Afrique noire traditionnelle où les parts individuelles ne sont pas déterminées à
l’avance ; à l’intérieur de sa communauté, l’individu n’a pas au départ des droits fonciers
15
mathématiquement précisés, son appartenance au groupement familial lui donne seulement
vocation à être titulaire de certains droits, et ceux-ci ne seront définis qu’à partir du moment
où il en fait la demande.
Au total, retenons que l’individu n’est ni usufruitier, ni copropriétaire. Ses droits se
déterminent par rapport à ceux de la communauté dans laquelle il se trouve. Pas plus que pour
les droits collectifs, une terminologie juridique issue du droit romain ne peut permettre de
caractériser la véritable nature des droits que l’individu possède sur le patrimoine de sa famille.
Ce qui doit être retenu. L’individu ne disparaît pas dans la collectivité dont il est membre. Il
a des droits précis qui, sans nécessairement s’opposer à ceux de son groupe, s’en distinguent
nettement. Mais, il existe un lien étroit entre les droits collectifs et les droits individuels en ce
sens que les domaines individuels sont toujours rattachés au domaine collectif ; et il ne saurait
y avoir des droits fonciers individuels sans droits fonciers appartenant au groupement dont
leur titulaire est membre. Le statut juridique de l’individu influe forcément sur l’étendue de
ses droits. Selon qu’il est membre du groupement titulaire de droits sur la terre, allié ou
étranger au groupe, son droit ne sera pas le même.
Ceci nous amène à préciser non seulement les conditions dans lesquelles les membres d’une
collectivité donnée peuvent prétendre, à titre individuel, à des droits sur les terres soumises à
la souveraineté de celle-ci, mais aussi l’étendue de ces droits, car la hiérarchie sociale est
inscrite au sol. Il est évident que pour exploiter une parcelle de celle-ci à des fins individuelles,
il faut être membre de la collectivité qui la détient. L’affirmation de ce principe n’est cependant
pas suffisante, et il faut encore que les coutumes reconnaissent à l’individu l’autonomie
indispensable à son existence en tant que personne juridique susceptible d’être titulaire de
droit foncier : il faut qu’il soit un homme.
Le droit de l’individu sur la terre est moins étendu que celui de la communauté puisque
l’individu procède du groupe.
Les droits des individus portant sur la terre sont un droit d’exploitation, un droit d’usage. Ce
droit d’usage est lié à une communauté de résidence. Il est perpétué par une occupation stable,
affirmé par le travail qui, lui, est concrétisé par une plantation d’arbres et d’arbustes. Toutefois,
ces droits d’usage ne sont pas l’équivalent d’une location précaire, mais de véritables droits
réels, transmissibles par héritage. Ainsi, dans le cas de l’étranger, il ne sera troublé dans la
jouissance de ses biens que pour faute grave ou dans la mesure où sa présence est jugée
indésirable par la majorité de la population qui l’a accueilli.
Dans tous les cas, le droit de l’individu est moins important que le droit des lignages primitifs.
a- L’espace familial.
L’espace familial est composé de l’espace domestique habité et des espaces de cultes, de
communion avec des esprits.
L’espace domestique. Il existe une relation entre le lien de parenté et le lieu où l’on habite.
Il existe en effet, une relation entre la disposition des cases et la structure familiale. En d’autres
termes, la structure hiérarchique familiale a un correspondant topographique au niveau du sol
du village.
Au niveau de la relation entre le sol et la structure de la famille, on remarque que
chaque famille a tendance à occuper un espace d’un seul tenant en rapport avec la notion de
quartiers.
16
Les lieux de culte. Il existe principalement deux lieux de culte les lieux de culte des familiaux
et les lieux de culte individuels.
Les lieux de cultes familiaux peuvent être des espaces domestiques ou des espaces
situés en dehors du village. Dans les deux cas, les lieux de cultes familiaux participent de la
cohésion de la famille en connectant l’ancêtre commun à toute la famille pour que la solidarité
se renforce et permette à la famille, tout en évoluant dans la communauté villageoise, de
resserrer ses liens.
Les lieux de cultes familiaux fonctionnent dans le « patrimoine » de la famille et non plus dans
le patrimoine collectif villageois ou tribal. Ce qui interpelle les théories selon lesquelles
l’espace communautaire n’aurait pas connu de transformation dans sa nature et dans sa
destination. En effet, l’existence des lieux de cultes familiaux confère par rapport à certains
espaces, des droits exclusifs aux membres de la famille et discrimine ainsi les autres membres
de la communauté villageoise ou tribale. Voilà comment s’opèrent dans les sociétés holistes,
des fissures qui, avec l’apparition et l’accroissement des contradictions dans les champs
productionnels peuvent créer un fossé et opposer ainsi les membres de la communauté. Cette
remarque veut souligner la dimension dynamique des sociétés traditionnelles africaines
contrairement à certaines théories ou thèses amorphiques pour qui, l’espace villageois est
indivisible.
Les lieux de cultes individuels procèdent à l’instar des lieux de cultes familiaux de la
soustraction d’un individu pour l’arrimer à une force immatérielle. Ici, l’espace tout comme le
nom devient un élément d’identification de la personne. L’espace le particularise pour en
ajouter aux faisceaux de relations sociales dans lesquelles, la force immatérielle était
immergée. C’est une autre réalité qui constitue son cachet particulier. Il n’est plus identifié par
le groupe mais par l’espace.
On le voit, les éléments structurants sont des invariants morphologiques du genre et mode de
vie. En l’absence de l’un de ceux-ci, une part importante des relations sociales perd de sa
signification.
La terre familiale est le symbole visible des liens qui unissent les membres d’une famille.
Les liens familiaux restent importants. Mais, au-delà de ces liens familiaux, se crée entre les
familles par l’effet du voisinage, une communauté de résidence, vécue et institutionnalisée : le
village qui est l’espace de participation politique par excellence.
17
La communauté villageoise apparaît également comme l’élément régulateur de la vie sociale à
l’intérieur et à l’extérieur du village. C’est en effet, la communauté villageoise représentée par
le groupe des aînés qui arbitre les conflits entre individus.
La communauté villageoise inscrite sur un territoire, porte un nom et est dirigé par une
autorité politique. Le village se présente comme la dimension territoriale de l’espace politique.
Dans un village, on distingue l’espace résidentiel, la réserve et l’espace sacré.
L’espace résidentiel39. Les Africains vivent dans l’espace villageois sans se limiter au bâti ; la
structure extérieure est fondamentale. Le bâti n’est pas représentatif de l’espace à disposition.
Dans chaque village, il y a une place publique autour duquel sont regroupées les
concessions qui forment des quartiers. Les villages peuvent avoir leur petit marché local.
L’espace habité est ainsi un espace « fermé » contrairement à l’espace utilisé pour fournir
à la communauté ses moyens de subsistance. Cet autre espace est un espace ouvert. Ce sont
les terres de la réserve qu’il convient d’examiner maintenant.
Les terres de réserves. Ce sont le domaine des plantations, de la cueillette, la réserve foncière
destinée à recevoir l’implantation de nouveaux groupes résidentiels et le terroir de chasse.
Les champs ne sont jamais contigus au village. Ils sont séparés des premières cases du village
par une bande de friches large de quelques mètres. Cette bande opère une coupure entre le
monde habité, contrôlé par la société et la nature sauvage, la forêt ou la savane, domaine des
forces naturelles et surnaturelles que l’homme peut apprivoiser par des sacrifices mais, qu’il
ne contrôle pas.
Au-delà de la bande, il y a l’endroit où les villageois déposent les détritus et enterrent
les enfants morts à bas âge. Cet endroit ne fait pas partie du village ni de la brousse. C’est un
sous-produit du village (40).
Les domaines du sacré.Ce sont les espaces réservés aux morts et les lieux de cultes.
Les espaces réservés aux morts : les cimetières. Les cimetières, en tant que domaine des
morts41, sont des lieux de distanciations réduites entre les hommes et le sacré. Cette distance
réduite entre les hommes et le sacré révèle les difficultés pour l’homme d’accepter la perte d’un
être. C’est pourquoi le cimetière est un lieu sacré que la collectivité doit protéger parce qu’étant
le lieu de protection des vivants. De là, suit l’interdiction de certaines activités dans les
cimetières pour que les morts qui s’y trouvent, puissent continuer à jouer leur rôle protecteur,
pour qu’ils ne se mettent pas en colère pour réduire le flux sacral indispensable à l’harmonie
des vivants.
pas vraiment la négation de la vie, mais plutôt une mutation, un changement d’état. Tout se passe comme si le groupe social
voulait minimiser l’aspect annihilant de la mort et sauvegarder la permanence du phylum collectif. C’est pourquoi, la mort en
tant que fait social, rapproche deux dimensions du temps à la fois opposées et complémentaires : le temps éternité puisque
tout se passe comme si la collectivité se voulait éternelle ; puis le temps concret qui est rupture à la fois imprévisibilité et
usure, en l’occurrence le temps où s’installe la mort. Puisque la mort est transition, sommeil, voyage ; puisqu’elle n’existe pas
vraiment comme concept, rien d’étonnant qu’elle ne soit que très rarement personnifiée. Et pourtant ce « non-être », cette
« métaphore de la vie » qu’est la mort n’apparaît jamais comme un acte gratuit. Elle est conçue soit comme une punition c’est-
à-dire une diminution de la force vitale, soit comme une récompense, une délivrance, attitude qu’on ne rencontre guère que
chez les vieillards limités dans leur efficacité et qui attendent avec sérénité l’instant où ils pourront rejoindre leurs ancêtres »
(THOMAS ( L. – V. ) et LUNEAU ( R. ), Les religions d’Afrique noire, Fayard / Denoël 1964, p 225)
L’idée de la mort est à la fois tragique et consolatrice. Tragique en ce sens que chaque individu, sur le plan biologique,
constitue une aventure unique qui n’a pas eu de précédent et ne se reproduira jamais. Chaque individu qui naît représente une
réalisation exclusive, et chaque individu, qui meurt, une perte irréparable. Tragique également en ce qu’elle marque
brutalement une séparation, engendre la douleur. Consolatrice, parce qu’elle assure un passage du monde des vivants à celui
des morts et permet de rejoindre les ancêtres défunts.
18
Les lieux de culte. Ces domaines participent du regroupement des populations autour d’une
croyance qu’elles se donnent par une épiphanie d’une divinité à travers un objet ou animal qui
se révèle à un membre de la collectivité. Ceci arrive souvent quand la collectivité est frappée
par une calamité naturelle. D’où la réhydratation du groupe par le sacré. Cela peut être aussi
un transfert d’une divinité par l’intermédiaire d’un membre du groupe. C’est la réactivation du
sacré dans un groupe où se trouve la sécheresse spirituelle.
Il existe par ailleurs une relation entre le lieu de vénération et le sentiment d’appartenance au
village ; les pierres à sacrifices sont les lieux de cultes. Ce sont les lieux où, suivant la gravité
du cas, le consultant pratique des sacrifices incantatoires. « La superficie d’action » d’une pierre
à sacrifices varie en fonction du type de sacrifice exigé et de l’officiant.
Une pierre à sacrifices dotée d’un pouvoir religieux qui s’étend au village entier est située en
brousse. Elle est utilisée pour les sacrifices auxquels les femmes ne peuvent assister. Enfin, il
arrive que des habitants d’autres villages viennent pratiquer des sacrifices sur les pierres du
village. Dans un tel cas, la « superficie d’action » de la pierre s’étend à tous ces villages
impliqués.
On le voit, le village négro-africain n’est pas une simple juxtaposition des concessions des
lignages exploitant en commun un terroir.
Il est l’expression spatiale par la disposition même des cases regroupées en gros quartiers,
lieux publics, autels et sanctuaires et les nombreuses manifestations de la vie collective, d’une
commune volonté d’être et de vivre ensemble.
L’espace tribal. Les tribus sont des groupements sociaux et politiques fondés sur une parenté
plus ou moins homogènes et couvrant plusieurs villages. La tribu est une « vaste famille
étendue où chaque membre se situe dans une relation bien définie par rapport à chacun des
autres. La tribu est manifestement une société, et non un simple conglomérat d’individus
vivants sur le même territoire » (42). L’espace tribal est bien délimité. Il est formé de l’ensemble
des terres des villages composant la tribu. L’espace tribal est d’un seul tenant. La tribu est
l’unité sociale la plus large.
La tribu se compose soit de plusieurs villages dominés par un noyau exogame, soit de plusieurs
villages de descendances hétérogènes.
La tribu est à la fois une aire matrimoniale organisée et une aire judiciaire. Les villages d’une
même tribu ne recourent pas pour régler leurs litiges aux armes mais à la justice.
D’où l’émergence d’un pouvoir civil réglant ou tendant à régler non seulement les
affaires de filiations, mais aussi tous les conflits opposant entre eux les lignages de différents
villages qui sont solidaires des parties en cause.
a- Le principe de l’inaliénabilité
La signification du principe. La terre est inaliénable. Elle ne peut faire l’objet
d’appropriations (43) privatives. Elle est le support de subsistance et de reproduction de la
communauté qui développe, par la même occasion, un esprit de prévision car « l’on sera
certainement plus nombreux demain ». Le sol attribué dans un village à une famille est sa
« propriété », entendue comme un droit sans doute plus fort que celui du code civil parce qu’il
réside précisément dans la collectivité qui ne disparaît jamais.
De plus, suivant le concept de l’ordre social négro-africain, la présente génération a des
obligations envers le passé et le futur. Et l’attachement au sol est une preuve de l’attachement
42TURNBULL (Colin), L’Africain désemparé (traduit de l’Anglais par Jacques PERNOT), Paris, éd. Du Seuil, 1965, p. 199.
43 Entendue "appropriation disposition" et non " appropriation affectation".
19
aux ancêtres dont les esprits veillent sur le groupe. Ainsi, vendre la terre, c’est renier ses
ancêtres, c’est être un parricide, c’est se priver de protection et refuser la prospérité.
Etre sans terre, c’est être un esclave, coupé de tout lien, c’est être un apatride ; pire, c’est perdre
sa condition humaine. Car, si les oiseaux ont des nids, les rats des tanières, l’homme doit avoir
une terre, avoir une relation personnelle et ontologique avec elle.
La terre est en outre rendue indisponible par la coutume qui voudrait que chaque génération
transmette intacte à la suivante le « patrimoine commun ». La terre en effet, ne s’individualise
pas malgré les droits individuels qui peuvent s’y exercer. De ce fait, l’individu ne peut
valablement aliéner les droits particuliers dont il est titulaire sur la terre, droits qui s’analysent
en droits d’usage.
b- la circulation de la terre
« Le mode d’appropriation de la terre renvoie toujours à l’organisation des groupes sociaux,
et les règles de transmission n’ont de sens que comme illustration de leur logique interne » (45).
Aussi, les droits sur la terre et les ressources sont-ils liés aux appartenances sociales ; l’accès
aux ressources est subordonné aux relations sociales et aux rapports de clientèle.
Ainsi, l’individu n’a pas en tant que tel une autonomie qui l’autorise à s’approprier une terre à
titre privatif. L’appropriation par un individu d’une parcelle de terre implique la médiation de
la communauté à laquelle il appartient. Le rapport à la terre, qu’il soit d’ordre collectif ou
individuel, est toujours d’ordre personnel. Il ne saurait avoir de droits réels absolus et exclusifs
sur la terre au sens du droit occidental.
Il n’est pas interdit à un individu ou à une collectivité de se dessaisir à titre temporaire d’une
partie des droits qu’il a sur la terre. Ainsi, est-il permis de donner un terrain en garantie de
paiement d’une dette. Cependant, comme l’ont montré les travaux de R. VERDIER cité par
N. ROULAND, « on doit distinguer selon que l’opération de transfert de la terre est interne
ou externe au groupe »(46).
44 E. LE ROY, « Caractère des droits fonciers coutumiers » in Encyclopédie juridique de l’Afrique, tome1, op.cit., p. 50.
45 Philippe LAVIGNE, op.cit p. 21
46 N. ROULAND, op.cit p. 26
20
A l’intérieur du groupe, l’endo-transmissibilité de la terre. En droit traditionnel, « un individu
accède moins à une terre qu’à une position sociale. L’objectif du groupe n’est pas la terre en
tant que telle, mais la reproduction des rapports sociaux » (47).
« La mort d’un individu ou de groupes d’individus n’affectait pas le statut juridique de la terre.
Celle-ci ne pouvait donc jamais faire l’objet de dispositions testamentaires de la part
d’individus parce que chaque individu était depuis sa naissance bénéficiaire d’une sorte de
succession universelle. Elle appartenait absolument aux générations passées, présentes et
futures » (48).
La terre circule également au sein de la communauté sous la forme de l’agriculture itinérante,
par l’ouverture permanente de terres nouvelles résultant de l’abandon des anciennes, en raison
de l’exigence de jachère longue.
D’autre part, les concessions entre les membres d’une même communauté ou d’une même
famille ne faisaient pas de difficulté. Car la terre concédée se trouve toujours dans le domaine
communautaire ou familial. La terre pouvait ainsi être cédée en gage d’une créance entre les
membres de la même famille ou de la même communauté.
A la vérité, c’est le droit d’exploitation qui est cédé pour un temps. Car, nous l’avons noté, en
Afrique, la terre est un être ; et les rapports qu’elle a avec les hommes sont des rapports d’être
à être. D’ailleurs, les espaces vierges appartenant à la famille sont accessibles à tous les
membres de la famille sans qu’aucune autorisation ne soit demandée à qui que ce soit excepté
à la terre elle-même. Il apparaît une autre restriction tenant à la capacité juridique de l’individu
désireux de créer un champ, d’exploiter un lopin de terre appartenant à la famille : le
prétendant à l’exploitation doit être un homme.
Les femmes, elles, dépendent pour l’accès à la terre, de leur époux ou de leur fils, par
l’intermédiaire de qui elles peuvent obtenir des droits de culture au sein du patrimoine foncier
de leur époux. Il s’agit ici donc de droits d’exploitation résultant de l’alliance matrimoniale au
lignage de leur époux… Pour autant, leur accès à la terre n’est pas nécessairement précaire,
puisque ce droit leur est garanti tant que la situation matrimoniale demeure. Les vieilles filles,
les divorcées ou les veuves qui vivent auprès de leurs frères ou de leur père peuvent également
avoir accès à la terre, à la terre de leur lignage d’origine. Ce droit d’accès à la terre n’a pas la
même étendue que celui qu’exercent leurs frères sur la terre. Elles ne peuvent exercer qu’un
droit « d’usufruit ». Ainsi peuvent-elles recevoir « l’usufruit viager » de portion de terre et
d’arbres utiles (kolatier, palmier à huile). « L’accès des femmes à la terre est donc lié… à leur
investissement réel dans le travail agricole » (49).
Si l’homme libre tient ses droits fonciers de son rattachement à un clan, une famille ayant un
« territoire » et à ce « territoire » lui-même, il n’en est pas de même de l’esclave. L’esclave est
l’homme coupé de sa terre, « et rattaché au clan de son maître. Il n’a pas de lien direct avec la
terre qu’il cultive pour le compte de son maître. A côté de ces types, existait un autre qui se
pratiquait dans le cadre de « l’hospitalité ». Il convient d’exposer maintenant ce « nouveau »
type.
A l’extérieur du groupe, « l’exo-intransmissibilité » de la terre. Une même parcelle peut faire l’objet
de différents droits emboîtés ; si certains détiennent des droits d’appropriation ou des droits
d’affectation des terres, d’autres n’ont accès aux ressources que par délégation de droit
d’exploitation obtenu grâce à la relation sociale avec les premiers. Ces délégataires sont les
alliés et les étrangers.
L’allié est intégré à la famille comme un membre à part entière et peut donc se voir attribuer
une parcelle de la terre de cette dernière aux fins d’exploitation. Au-delà de l’aspect formaliste
du droit, un principe domine tous les rapports relatifs à la terre entre co-villageois et alliés
21
celui par lequel on ne refuse jamais à son « frère » une terre pour se nourrir. Les rapports
humains sont à la base de la seule « loi » que l’on puisse énoncer en cette matière.
Pour cultiver donc sur les terres vierges mais réservées par une autre communauté que la
sienne, il suffit d’en demander l’autorisation à l’aîné sans que celle-ci puisse être refusée à un
co-villageois. L’autorisation de cultiver ne se solde entre co-villageois par aucun transfert, don
ou redevance. Ce qui n’est pas le cas pour l’étranger.
L’étranger qui arrivait dans un village, après un « stage » probatoire, se voyait attribuer un
lopin de terre pour exploitation afin de subvenir à son besoin. Cette attribution se faisait par
l’aîné de la famille qui détient des droits exclusifs sur la terre qu’il veut exploiter. En fait
« l’allochtone (étranger) qui sollicite son admission sur une terre est tenu de passer par le
mandataire de la communauté autochtone. La demande est transmise aux notables qui
l’instruisent. La requête est généralement agréée et l’immigrant se fait accompagner sur la
portion de forêt qui lui est attribuée. Les limites sont fixées à l’aide de points de repères
naturels : marigot, ligne de crête, arbre caractéristiques,… »(50).
Mais l’autorisation ne devenait effective qu’après que l’étranger a offert des offrandes
symboliques qui pouvaient être complétées par des redevances. Ces offrandes et redevances
font l’objet de libations collectives, au cours desquelles l’aîné de la communauté invoque les
ancêtres en versant un peu de vin de palme ou bière de mil sur le sol et sollicite leur
approbation. Offrandes et redevances s’interprètent comme une reconnaissance de la
souveraineté des autochtones qui accueillent le migrant sur leurs terres.
Le droit de l’étranger sur la terre à lui « concédée » est un « droit d’usufruit » limité. L’étranger
ne peut pratiquer sur la terre que des cultures saisonnières. Il lui est formellement interdit d’y
planter des arbres. « L’usufruitier » étranger ne peut couper ou abattre des arbres utiles
(kolatier, palmier à huile, fromager) se trouvant sur la parcelle à lui « concédée ». Ces arbres
sont la propriété des lignages primitifs. Il doit donc conserver ces arbres avec la même capacité
de production. « L’usufruitier » doit user de la parcelle sans la détruire ou la détériorer. Il doit
la rendre dans l’état où il l’a prise. Il peut y faire des libations qui ne doivent pas violer les
coutumes et les interdits de la communauté d’accueil et ceux relatifs à la terre. Par
ailleurs, « son fonds » peut être grevé ou bénéficier de servitude de passage en cas d’enclave.
Toutefois « l’usufruit » n’a pas de délai fixe en droit traditionnel ; les héritiers de
« l’usufruitier » peuvent également bénéficier de ce droit après sa mort.
La « concession » de terre se fait d’une manière générale pour une durée indéterminée ;
l’étranger peut à n’importe quel moment renoncer à ses droits ; soit d’une manière expresse,
soit en laissant la terre en friche. Mais, tant qu’il exerce son droit d’usage et que la terre porte
les fruits de son travail, on ne peut l’expulser ; la reprise de la terre ne peut avoir lieu qu’après
la récolte.
Dans tous les cas, l’étranger n’a ni la possession, ni la propriété de la dimension matérielle de
la terre. Ainsi donc, la terre anthropomorphisée par la prise de contact avec l’ancêtre du
lignage primitif, ne peut pas tomber dans le patrimoine de l’étranger.
Ainsi, « à l’extérieur du groupe, s’applique le principe de l’exo intransmissibilité : on peut
prêter ou louer la terre à des étrangers au lignage, mais non la céder à titre définitif » (51) car,
la terre est le ciment qui unit tous les membres du groupe. Et vendre la terre (céder la terre à
titre définitif), c’est se vendre, s’aliéner soi-même.
50 SCHWART ( A. ), « Grands projets de développement et pratique foncière en Côte d’Ivoire, l’exemple de l’occupation de
San – Pédro », in LE BRIS, LE ROY, LEIMDORFER, Enjeux fonciers en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983, p 294
51 N. ROULAND, op.cit., p. 26
22
attitudes envers la nourriture et le travail, idéologie religieuse et système d’autorité souvent
imbriqués, relations de parenté et de solidarité.
La conception multidimensionnelle de la terre et l’organisation de l’espace telles qu’on
vient de les exposer dans les sociétés traditionnelles vont se heurter à une autre conception de
la terre et à une autre organisation de l’espace ; celles de l’Etat moderne colonial avec lequel
elles entrent en contact direct au début du XVIIIème siècle.
in Le droit de la terre en Afrique (au sud du Sahara), Paris, éditions G.P. Maisonneuve et Larose, 1971, pp. 67-88
23
spéculateurs africains. La terre, qui abondait, en vint ainsi à se raréfier et à entrer dans le
circuit commercial ; il fut alors procédé à des transactions souvent mal définies qui donnèrent
lieu à d’interminables palabres.
L’Etat colonial, face à cette situation complexe, tenta à la fois d’y adapter ses lois et de faire
évoluer le droit foncier traditionnel
Hésitations et contradictions jalonnèrent ses essais réformistes. Il faut en dresser un rapide
bilan, car si la législation coloniale domaniale et foncière devait se solder par un échec assez
général, elle a servi d’expérience au législateur ivoirien.
Le législateur colonial s’assigna une double tâche : d’une part établir un régime domanial
qui permette à l’Etat français de faire mettre en valeur les terres inexploitées, par ses
services publics ou par des concessionnaires, d’autre part instaurer un régime foncier de
droit écrit, qui prenne progressivement la relève des droits fonciers traditionnels. De
l’histoire de plus d’un demi-siècle de politique législative, nous nous bornerons à retracer le
sens général et les principales variations.
2. La réforme coloniale de la propriété et des droits fonciers54
Toute la législation coloniale relative à la terre aura été marquée par la volonté du
colonisateur d’amener l’indigène à une conception européenne du droit de la propriété, et
d’instaurer un système foncier en tout point semblable à celui en vigueur en France. Quand le
principe du respect des coutumes locales venait se mettre au travers de cette voie, c’était
toujours pour mieux aplanir tout obstacle susceptible de retarder la marche vers la propriété
romaine de la terre.
« La politique domaniale a oscillé entre deux grandes tendances contradictoires, l’une
consistant à interpréter le domaine de façon extensive, l’autre de façon restrictive »55
a. La théorie du domaine éminent :
Suivant cette théorie, l’Etat se considère comme propriétaire de toutes les terres. Un arrêté
gubernatorial de 1862 avait décidé que les terres non appropriées selon les règles classiques,
appartenaient à l’Etat. Cet arrêté fut abrogé un an après.
Mais un nouvel arrêté de 1865 sembla rétablir cette théorie, dite < du domaine éminent de
l’Etat. Elle se justifiait par la « théorie de la succession d’Etats ». On soutenait que la France
s’était substituée aux chefs indigènes et, en conséquence, avait hérité de tous leurs droits,
notamment du droit de propriété sur les terres conquises pendant les guerres coloniales.
La jurisprudence admit la théorie du domaine éminent de l‘Etat par un arrêt célèbre de la Cour
de Bordeaux, du 24 juin 1903.
Cependant, le décret du 23 octobre 1904, et surtout celui du 24 juillet 1906, semblèrent
consacrer la thèse inverse en admettant l’existence de droits coutumiers sur les terres
colonisées. Les tribunaux ne désarmèrent point pour si peu et, à part quelques décisions
dissidentes, donnèrent à ces textes une interprétation qui leur permit de maintenir leur
jurisprudence antérieure.
L’article 83 du décret du 26 juillet 1932 reprit l’article 58 du décret du 24 juillet 1906, qui
avait paru mettre fin à la théorie du domaine éminent.
54 Confère sur ce point Kéba M’Baye, « Le régime des terres au Sénégal », in Le droit de la terre en Afrique (au sud du Sahara),
Paris, éditions G.P. Maisonneuve et Larose, 1971, pp. 131-157
55 R. Verdier, « L’Ancien droit et le nouveau droit foncier de l’Afrique noire face au développement », in Le droit de la terre en
24
b. La théorie de la propriété de l’Etat sur les terres vacantes et
sans maître
En ne maintenant la propriété de l’Etat que sur les terres vacantes et sans maître, le décret du
15 novembre 1935 réduisit enfin, d’une façon considérable la portée de la théorie du domaine
éminent de l’Etat.
c. Le système du Code Civil :
Le Code Civil a été introduit au Sénégal et dans ses dépendances (dont la Côte d’Ivoire) par
arrêté du 5 novembre 1830. Cette introduction suffisait à elle seule pour permettre
l’application du régime foncier de la métropole. Il s’agit du régime de l’inscription à la
Conservation des Hypothèques des droits réels grevant les terres. Ainsi, il s’est constitué ce
qu’on a pu appeler les « terres du Code Civil ».
Le régime de l’inscription était évidemment incomplet. Il a fallu instaurer, par une loi du 23
mars 1855, le système de la transcription. Alors que l’inscription était réservée aux
hypothèques, la transcription intervient à l’occasion des mutations.
Par le système de l’inscription ou de la transcription, l’acte constatant la transaction est déposé
au Bureau du Conservateur par le notaire, avec un bordereau de transcription, et inscrit au
registre de la Conservation des Hypothèques. Mais le receveur n’a pas reçu la mission de
vérifier la validité de l’acte ou la disponibilité de l’immeuble. Il se borne à constater
passivement l’opération. Tout juste devra-t-il se contenter de vérifier la régularité apparente
des instruments qui lui sont remis.
Cette forme de publicité, dans un pays comme les colonies de l’AOF, ne pouvait pas avoir un
grand succès ; il a fallu lui substituer un autre.
d. Le système l'immatriculation :
L'insuffisance de l'inscription et de la transcription a amené à chercher dans d'autres
directions, les règles susceptibles d'instaurer dans les colonies françaises un régime des terres
adapté : l’immatriculation. L'immatriculation a été instituée au début du XXème siècle par un
ensemble de dispositions, et singulièrement par le décret du 24 juillet 1906, repris par celui du
26 juillet 1932.
L'immatriculation pourrait se définir comme étant une garantie instituée au bénéfice des
titulaires des droits réels sur les immeubles, et consistant en une publicité par l'inscription
desdits droits et de leurs modifications, au livre foncier, en vue de l'établissement de titres
intangibles. Ainsi, contrairement au régime de l'inscription et de la transcription,
l'immatriculation opérait essentiellement une véritable publicité en matière immobilière. Mais
cette publicité est réelle et non personnelle.
L’immatriculation consiste en l’inscription du droit du requérant dans un registre spécial
dénommé livre foncier, en l’établissement d’un titre foncier, et en l’annulation automatique des
anciens titres de propriété.
Mais comme l’immatriculation n’était pas obligatoire, elle a été, dans l’ensemble, soit
délaissée, soit ignorée. Il a fallu trouver un système mieux adapté.
e. La publicité des tenures coutumières
L’immatriculation n’ayant pas satisfait tous les espoirs, il était indispensable de prévoir des
règles permettant de constater la nature et l’objet des tenures sur les terres. C‘est dans ce but
que sont intervenus les décrets de 1925 et de 1956.
25
Le décret du 8 octobre 1925 a permis à ceux qui détenaient des droits sur le sol
conformément aux coutumes locales, d’en faire constater l’existence et l’étendue, par une
procédure spéciale. La personne qui prétendait posséder des droits coutumiers sur le sol,
devait adresser une demande à l’autorité administrative compétente.
A la suite de cette demande comportant une description des lieux, il était procédé à une enquête
sur le terrain dans le but de révéler l’existence d’autres droits détenus par d’autres individus.
En cas de difficultés, notamment en cas d’opposition opérée par des tiers, une mainlevée
amiable ou judiciaire devait intervenir pour permettre la poursuite des formalités.
A la fin de la procédure, l’ensemble des pièces ayant été utilisées était réuni en un document
dénommé : le livret foncier. Les droits que constatait le livret foncier étaient inscrits dans un
registre spécial. Le livret foncier, contrairement au titre foncier, ne valait que jusqu’à preuve
contraire. Le décret de 1925 à son tour, n’a connu que peu de succès. La cause en est qu’il a
ignoré une partie extrêmement importante du régime foncier des coutumes africaines : les
tenures collectives.
Et c’est pourquoi le décret du 20 mai 1955 et celui du 10 juillet 1956 qui en porte
application, sont intervenus, d’une part, pour combler cette lacune, et d’autre part, pour établir
un inventaire complet du domaine privé des collectivités publiques.
Un des mérites du décret de 1955 a été de reconnaître, d’une façon nette, l’existence des droits
coutumiers et d’en assurer la protection.
Il était fait une distinction entre les tenures individuelles et les tenures collectives, mais les
unes et les autres pouvaient être constatées par le système du livret foncier instauré par le
décret de 1925.
En cas de demande de constatation de droits fonciers coutumiers, l’intéressé devait
présenter une requête, à la suite de laquelle une publicité contradictoire était organisée sur le
terrain, après que par des moyens appropriés, soit collectifs soit individuels, les intéressés aient
été informés de la demande. Une fois les oppositions purgées, il était établi un livret foncier
précisant l’étendue des droits individuels ou collectifs qu’il constate.
S’agissant des droits individuels, le décret admettait qu’ils pouvaient, selon les règles
coutumières, comporter droit de disposition et emprise évidente et permanente sur le sol. Dans
ce cas, le livret foncier devait porter la mention Q; l‘immeuble et les droits immobiliers du
présent livret foncier peuvent être aliénés ou grevés de tous les autres droits réels, au profit
de tous tiers par leurs titulaires ».
Les autres droits constatés au livret foncier pouvaient, lorsque les deux conditions de « droit
de disposition » et d’emprise évidente et permanente sur le sol » étaient remplies, faire l‘objet
d’une constatation qui permettait leur mutation dans les mêmes conditions que les droits de
propriété. De tels droits pouvaient être immatriculés. La demande d’immatriculation était
d’ailleurs obligatoire en cas de mutation, si celle-ci était faite au profit d’une personne non
soumise au statut coutumier local.
Les autres droits coutumiers ne pouvaient pas être immatriculés. Ils pouvaient tout juste être
transférés à des individus ou des collectivités soumis aux coutumes locales, ou abandonnés,
soit à des personnes morales de droit public, soit à des demandeurs en concessions.
Le deuxième objet de la réforme de 1955 et de 1956 a été de réaliser l’inventaire du
domaine privé des collectivités publiques.
C’est peut-être là seulement, de toute cette législation coloniale tourmentée relative à la terre,
que l’on peut enregistrer un plein succès. La coexistence de plusieurs personnes morales de
26
droit public (l‘Etat, la fédération de l‘A. O. F., la colonie, les communes et les établissements
publics) avait fini par créer, dans le Domaine Privé, une situation quasi inextricable. La
réforme de 1955 a eu le mérite d’apporter une lumière éclatante dans cette situation confuse.
Dès son article premier, abandonnant définitivement la théorie du domaine éminent de l’Etat,
le décret du 20 mai 1955 a indiqué clairement que le domaine privé immobilier des collectivités
publiques était constitué par les immeubles détenus selon le régime du Code Civil ou de
l’immatriculation. Le texte établit ensuite des règles d’affectation claires et simples : les
terrains domaniaux, qui supportaient des édifices ou aménagements entretenus aux frais d‘une
collectivité publique locale, ainsi que les immeubles bâtis que ces terrains supportaient, étaient
attribués à la dite collectivité. Ainsi le principe de l’affectation se trouva réglé par référence au
budget d’entretien.
III- DIVISION
C’est de ces deux modèles, de ces deux types de régimes fonciers en concurrence que succède
l’Etat de Côte d’Ivoire indépendante en 1960. Ce dernier va choisir entre ces deux. Et, comme
dans les autres aspectes de sa vie juridique et institutionnelle, il va opter pour le modèle
occidental (procédures, notions, idéologie, logique ; tout y est repris) venu à lui par le fait
colonial. L’Etat de Côte d’Ivoire, malgré des débats récurrents, la législation foncière reste,
plus de cinquante ans après l’Indépendance, clairement inscrite dans un legs colonial qui voit
dans l’immatriculation et le titre foncier la seule forme de droit de propriété reconnu par l’État.
Cours d’histoires des Institutions Coloniales, 2ème année, UFR SJAP, UCA, 2001-2002.
27
Et ce, aussi bien en ce qui concerne l’accès à la terre (1ère partie) que la gestion de celle-ci (2ème
partie).
28
PREMIERE PARTIE
L’ACCÈS À LA TERRE
En Côte d’Ivoire, la terre est un bien immeuble d’une importance vitale aussi bien pour les
populations que pour les pouvoirs publics. Elle est l’objet d’une quête permanente. Aussi,
différents modes d’accession au domaine foncier sont-ils prévus (titre I). Et comme tout bien,
elle circule et fait l’objet de transmission (titre II).
29
TITRE I
LES MODES D’ACCES AU DOMAINE FONCIER
En Côte d’Ivoire, le système juridique étatique et non étatique se trouve imbriqué de façon
complexe et, de cette imbrication entre droits traditionnels coutumiers, étatiques et
populaires, naît une cohabitation ambiguë, sinon une confusion entre droit formel et “droit
informel“, entre l’autorité reconnue aux chefs traditionnels et le pouvoir réservé exclusivement
à l’Administration. La multiplicité des modes de gestion foncière et de tenure60, conduit
aujourd’hui à établir une distinction précise entre la propriété foncière (chapitre I), le droit
d’usage (chapitre II) et les obligations liées à l’accès à la terre (chapitre III).
60 Emile Le Bris, Etienne Le Roy, Paul MATHIEU, L’appropriation de la terre en Afrique noire, éd. KARTHALA 1991 p21
30
CHAPITRE I- LA PROPRIETE FONCIERE61
Le droit de propriété est protégé par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
de 1948 en son article 17 : “Toute personne aussi bien seule qu’en collectivité a droit à la
propriété et nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété“. La Côte d’Ivoire a inclu la
protection de ce droit dans sa Constitution en son article 15 qui précise que “Le droit de
propriété est garanti à tous. Nul ne doit être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité
publique et sous la condition d’une juste et préalable indemnisation“.
Toutefois, en milieu rural et conformément à la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative
au domaine foncier rural, seul l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques
ivoiriennes sont admises à être propriétaires fonciers62. C’est dans ce cadre juridique que sera
analysée l’appropriation des terres rurales (Section1). Est désignée terre rurale, tout fonds de
terre situé en dehors du domaine public, des périmètres urbains, des zones d’aménagement
différé et du domaine forestier classé63.
Tout comme les terres rurales, les terrains urbains sont l’objet d’appropriation. Les
terrains urbains correspondent aux terrains situés dans l’étendue d’une agglomération déjà
existante ou en voie de formation et compris dans les limites des plans de lotissement
régulièrement approuvés. Sont également visés les terrains qui bien que situés en dehors des
agglomérations, sont destinés à des opérations de développement non agricoles (opérations
immobilières, zones industrielles, etc.). L’appropriation des terrains urbains (Section2) fait
appel à un ensemble d’opérations minutieusement règlementées par les textes en vigueur.
61Etymologiquement, la propriété suppose l’exercice d’un droit de maîtrise exclusif et éventuellement absolu sur un bien, ici,
un bien foncier. La propriété se traduit également dans la conception mercantile, contrairement à la conception sacrale, par
la valeur pécuniaire que l’on reconnaît à la terre.
62 Article premier de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
63 Voir article 2 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 précitée
64 -L'appropriation privée de la terre n'est guère possible dans les pays qui ont nationalisé leurs terres. Voir les exemples de
la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et de la République populaire du Congo cités en 1986 par M. FOLI :
utilisation traditionnelle et moderne des terres dans quelques pays francophones africains, Rapport de mission FAO 1986P.91.
65 -Albert Ley, La logique foncière, l’expérience ivoirienne, in Enjeux fonciers en Afrique Noire, P. 135
66 -Monique Caverivière et Marc Debene, Le droit foncier sénégalais, Berger-Levrault, p.57
67 -Albert Ley : La logique foncière, l’expérience ivoirienne, in Enjeux fonciers en Afrique Noire, op.cit.P.139.
31
un droit ou l’éteindre68. Par ailleurs, les particuliers et les sociétés avaient besoin, avant toute
transaction immobilière, d’être informés dans un délai raisonnable, sur la situation juridique
des immeubles concernés ; ils ne pouvaient attendre trente ou même dix ans pour avoir les
informations relatives à ces immeubles.
Toutes ces difficultés d'application des dispositions du code civil en matière
foncière, ont amené l'administration coloniale à recourir au système de l'immatriculation
foncière. Avec ce système, des enquêtes foncières sont réalisées dans un délai raisonnable, avec
toutes les garanties de publicité nécessaires, afin de consolider la propriété du sol. Cette
solution permet rapidement aux investisseurs de connaître la situation juridique du bien
foncier qu'ils veulent acquérir ou exploiter.
Régie par le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété
foncière en Afrique Occidentale Française (A.O.F), l’immatriculation constitue aujourd’hui le
fondement de la propriété foncière en Côte d’Ivoire. A cette forme de propriété par la voie de
l’immatriculation, s’ajoute depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998, la propriété
résultant de la possession d’un certificat foncier. En effet, aux termes de l’article 4 de la loi n°
98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, « la propriété d’une terre du
domaine rural est établie à partir de l’immatriculation de cette terre au registre foncier ouvert
à cet effet par l’Administration et en ce qui concerne les terres du domaine coutumier, par le
certificat foncier »
Il résulte de ce qui précède que l’étude de l’appropriation des terres rurales
portera d’une part, sur la propriété immatriculée (sous-section 1) et d’autre part, sur la
propriété certifiée (sous-section 2).
spécial n° 2, recueil des textes de droit foncier rural applicables en Côte d’Ivoire, P. 25.
32
l’immatriculation. Le décret du 26 juillet 1932 (art. 21) indique sur ce point que la propriété
des biens immeubles de même que les autres droits réels (usufruit, emphytéose, droit de
superficie, etc..) ne se conservent et ne produisent effet à l'égard des tiers que s'ils ont été
publiés au livre foncier.
Sur le plan technique, Le système de l'immatriculation est considéré comme l'un
des meilleurs en matière de sécurisation de la propriété foncière. Sur le plan socio-économique,
il peut permettre de remédier aux incertitudes inhérentes aux tenures coutumières,
incertitudes qui sont à l’origine de nombreux conflits fonciers. Il favorise également la sécurité
juridique nécessaire aux transactions foncières, au crédit et aux investissements.
En raisons de ces multiples avantages, le système de l'immatriculation a été
adopté par plusieurs pays, notamment la Tunisie, Madagascar, le Togo, le Sénégal, le Maroc,
etc.. Le même système existe en Allemagne avec quelques variantes. Mais pourtant, depuis
son introduction en Côte d'Ivoire, jusqu'à ce jour, ce système n'a pas connu le succès escompté.
Les dernières estimations disponibles indiquent une très faible proportion de terres
immatriculées71.
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs. Le premier, d'ordre socio-
culturel, réside dans la non adhésion des populations à cette procédure. En effet, les
populations locales et en particulier les propriétaires coutumiers des terres, se considèrent déjà
propriétaires de leurs terres, et ne jugent pas nécessaire de recourir à une procédure qui leur
est étrangère. Le deuxième facteur est d'ordre technique et financier et a trait au caractère
complexe et onéreux de la procédure d'immatriculation72.
71 -Sur une superficie du domaine foncier rural évaluée à 23 000 000 d’hectares, 460 000 hectares seulement ont été
immatriculés, soit 2%. Sources du Ministère de l’Agriculture 2010.
72 -J.Gastaldi : les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, in quelles politiques foncières pour l’Afrique
régime foncier en Côte d’Ivoire : RID 1973.P.29 ; Victor Gasse : les régimes fonciers africains et malgaches, LGDJ 1971 ;
J.Dutheil de la Rochère : l’Etat et le développement économique de la Côte d’Ivoire, Annales de l’Université d’Abidjan, P.238
et s.
74- La France n’a pas adopté le système de l’immatriculation ; elle a plutôt opté pour le système de la publicité foncière avec
la mise en place de la conservation des hypothèques. Avec ce dernier système, les formalités prévues ne donnent pas de valeur
à l’acte publié, mais le rendent seulement opposable aux tiers. Ce qui rend difficile la preuve de la propriété, de sorte qu’on a
pu parler de « probatiodiabolica ».
33
Paragraphe 2- Conditions et modalités de l'immatriculation
L’immatriculation est laissée à l’initiative des personnes intéressées (personnes
physiques, Etat, Collectivités Publiques). En pratique, pour simplifier la tâche aux
demandeurs, notamment aux particuliers, il revient au service des domaines de constituer le
dossier d’immatriculation. Mais quels sont les immeubles et notamment, les terres qui doivent
être immatriculées ? (A). Et en quoi consiste la procédure d'immatriculation ? (B).
B- la procédure d’immatriculation
Cette procédure est réglementée par le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation
du régime de la propriété foncière en Afrique occidentale française. Mais après un siècle de
mise en œuvre, cette procédure connaît peu d’application. Aussi, en vue de favoriser la
sécurisation foncière, les pouvoirs publics ont-t-ils jugé nécessaire, à travers la réforme
foncière du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, d’assouplir et de simplifier la
procédure d’accès à la propriété foncière. Cette option a eu pour effet d’apporter des
aménagements à la procédure d’immatriculation, telle que réglementée par le décret du 26
juillet 1932. Avant de relever ces aménagements (2), il s’avère nécessaire d’étudier la procédure
d’immatriculation telle que réglementée par le décret précité (1)
-Décret du 26 juillet 1932, portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française,
75
34
a- La réquisition d’immatriculation
Elle se présente sous la forme d’un dossier déposé entre les mains du conservateur de
la propriété foncière. Dans cette réquisition, le particulier ou l’Etat affirme sa propriété sur
une parcelle de terre et demande donc au conservateur de l’immatriculer, c’est-à-dire de
l’inscrire au livre foncier. Constitué par le service des domaines du lieu de situation du terrain,
le dossier comporte de nombreuses indications sur le demandeur (identité, domicile, etc..) et
sur le terrain dont la propriété est revendiquée (description valeur, liste des droits réels, etc..).
b- La publicité de la réquisition
Afin de savoir si des tiers n’ont pas de droits à faire valoir sur le terrain dont la
propriété est revendiquée, la demande d’immatriculation doit être portée à la connaissance du
public. Les formalités de publicité comprennent une publication de l’avis d’immatriculation au
journal officiel, et un affichage en divers lieux publics de la localité concernée (à la préfecture,
à la sous-préfecture, au village, à la communauté rurale, à la région, à la commune, à la chambre
d'agriculture, à la direction départementale de l'agriculture localement concernée et au
tribunal compétent).
c- Le bornage du terrain
Le bornage consiste en une identification matérielle du terrain, à la reconnaissance de
ses limites. Cette opération a lieu en présence de tous les intéressés et d’un géomètre
assermenté du service du cadastre. Ce dernier est chargé de dresser un procès-verbal de
bornage.
35
le conservateur de la propriété foncière dispose d’un délai maximal de 3 mois, à compter de la
réception de la requête, pour procéder à l’immatriculation du terrain concerné.
Pour faciliter l’accès à la propriété foncière, la réforme foncière de 1998, réalise un
allègement de la procédure d’immatriculation, telle que prévue par le décret du 26 juillet 1932.
Cet allègement longtemps souhaité par les populations et les praticiens, s’observe à travers :
- l’absence d’exigence du constat de mise en valeur comme condition de demande de
l’immatriculation pour les terrains du domaine coutumier ;
- la non intervention du conservateur de la propriété foncière au stade initial de la
procédure, par une plus grande responsabilisation des acteurs locaux (autorités
administratives, comités sous-préfectoraux et villageois de gestion foncière) ;
- l’absence de recours aux tribunaux pour régler les litiges découlant de l’opposition des
tiers ;
- la réduction des frais de procédure (barèmes de timbrage des certificats fonciers, frais
d’immatriculation des biens fonciers, reprise du plan aux frais de l’opérateur technique,
etc..).
76-Décret n° 2013-224 du 22 mars 2013 portant réglementation de la purge des droits coutumiers sur le sol pour intérêt
général.
77- Le paiement en espèces varie de 600 francs à 2000 francs le mètre carré, en tenant compte du lieu de situation de la terre
concernée (District Autonome d’Abidjan- 2000F, District Autonome de Yamoussoukro-1500F, Chef-lieu de région-1000F,
Chef-lieu de département-750F, Sous-préfecture 600F.
78 -Décret n° 95-817 du 29 septembre 1995 fixant les règles d’indemnisation pour destruction de cultures. Arrêté interm.n°
247 /MINAGRI/MPMEF/MPMB/ du 17 juin 2014 portant fixation du barème d’indemnisation des cultures détruites.
36
B- La création d’un titre foncier définitif inattaquable et imprescriptible
Le titre foncier est définitif, inattaquable et imprescriptible (1). Il s’agit de cette façon
de protéger les bénéficiaires de l’immatriculation et de garantir subséquemment la sécurité
foncière nécessaire aux investissements, aux transactions foncières et au crédit. Cependant,
pour permettre la réparation de certains préjudices ou erreurs imputables à l’immatriculation,
des atténuations ont été apportées à ce principe (2).
79 Edmond. MATHIEU : régime et effets de l’immatriculation et de la constatation des droits fonciers coutumiers,
Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome V, les biens pp 143-163.
80 (C.S, CH. Jud, section civile, 22 février 1974, R.I.D 1976, /1-2/, p 5).
81 -D. du 26 juillet 1932, art.82 modifié par l’article 3 de la loi de finance n° 70-726 du 31 décembre 1970 ; EDC spécial N° 2
p.1991, p.121.
82 -Edmond MATHIEU, op. cit., BACHELET (M.), Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, (préface de ALLIOT
37
manœuvres frauduleuses, la jurisprudence considère que de simples affirmations mensongères,
des dissimulations ou des réticences peuvent être assimilées à des manœuvres frauduleuses83.
La seconde atténuation est relative à l’inscription des créances hypothécaires ou
privilégiées, des charges foncières et des servitudes. Lorsque les créances hypothécaires ou
privilégiées et les charges foncières sont tenues directement du propriétaire, initiateur de
l’immatriculation, elles peuvent être inscrites au livre foncier même après la fin de la
procédure. Mais dans cette hypothèse, non seulement l’inscription de ces créances et charges
ne doit pas porter atteinte aux droits déjà régulièrement inscrits, mais aussi, elle ne prend rang
qu’à compter de sa date de réalisation.
En ce qui concerne les servitudes, notamment celles qui dérivent de la situation
naturelle des lieux, elles produisent effet, même si elles n’ont pas été inscrites au livre foncier
avant la fin de la procédure d’immatriculation. Cette disposition ne s’applique pas aux
servitudes de passage pour cause d’enclave ; celles-ci doivent être inscrites au moment de
l’immatriculation du fonds grevé.
La troisième atténuation à l’intangibilité du titre foncier a trait à la rectification des
mentions inscrites au livre foncier. Cette rectification n’est possible qu’en cas d’erreur ou
omission commise au moment de la rédaction du titre foncier. Mais en aucun cas, elle ne peut
aboutir à l'inscription d’un droit non révélé ou à la contestation d’un droit inscrit84. En tout
état de cause, le conservateur est responsable des erreurs matérielles commises dans la
rédaction des titres fonciers. Lorsqu’une erreur est constatée, elle est rectifiée d’office par le
conservateur ou à la demande des parties.
83- Cass.6 juin 1950, rev.union française 1950,568 ; Cass. Civ. 1ère , 17 décembre 1959, Penant 1960, p 293.
84 -Edmond. MATHIEU, op.cit.
85 -Loi de finances n° 70-209 du 20 mars 1970 ; EDC Spécial n° 2, 1991 ; P.119..
86 -Cass. Civ. 1ère, 28 avril 1960, Bul. Civ. 1960 p 172.
38
parce que le droit à inscrire n’est pas encore établi. Dans ce cas, pour éviter que le titulaire de
ce droit ne subisse un préjudice, le décret du 26 juillet 1932 a prévu la possibilité d’une
inscription préventive à travers la procédure de la prénotation.
La prénotation est une mention sommaire portée sur le livre foncier et prévenant les
tiers qu’une ou plusieurs inscriptions sont litigieuses. Elle peut par exemple être utilisée en
cas de vente par expropriation forcée par un créancier à l’encontre de son débiteur. En effet,
dans l’attente du titre exécutoire, le créancier peut faire publier au livre foncier l’acte
introductif d’instance tendant à obtenir le titre exécutoire87.
La prénotation a donc pour effet de rendre le jugement opposable aux tiers à compter
de la date de l’inscription préventive. En l’absence de prénotation, le jugement n’a d’effet à
l’égard des tiers qu’à compter du jour où il a été inscrit au livre foncier. Il en résulte que la
validité des inscriptions faites entre le moment de la prénotation et celui du jugement est
subordonnée à la décision judiciaire. Si cette décision reconnaît le droit du prénotant, les
inscriptions postérieures à la prénotation portant sur ce même droit sont rétroactivement
annulées88.
Procédure extrêmement rapide, la prénotation doit être autorisée par ordonnance du
président du tribunal. Celui-ci doit vérifier si la demande qui lui est adressée est sérieuse. Il
s’agit de cette façon d’éviter les demandes fantaisistes susceptibles de porter préjudice au
possesseur inscrit.
87 -J. Chabas, la propriété foncière en Afrique noire. JC. Civ. Annexe, Fasc. A n° 59 Lib. Tech. 1957.
88-E. MATHIEU, op. cit p 161.
89- Demaison (D) : le régime de l’immatriculation foncière en Afrique de l’Ouest, in RJPUF, 1958, PP 421-478.
90 -Civ. 26 février 1958 ; Penant 1958, n° 661 p 273.
91-Emile le bris, Etienne Leroy, Paul Mathieu : l’appropriation de la terre en Afrique Noire, Karthala, p 31.
92-Verdier R. : « Civilisations paysannes et traditions juridiques », pp 5-27, in Systèmes fonciers à la ville et au village : Afrique
Levrault 1966 ; p 40 et s. ; Elias O : la nature du droit coutumier africain ; présence africaine 1961, p 294 et s. ; M. Bachelet :
systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, Paris LGDJ 1968; E. Leroy : caractères des droits fonciers
coutumiers, in Ency. Jurid. de l’Afrique, T 5, les biens p 39 ; Demaison (D) : le régime foncier coutumier des autochtones en
A.O.F, RJPUF 1956, p 257 ; Verdier (R) : l’ancien droit et le nouveau droit foncier de l’Afrique face au développement, in le
droit de la terre en Afrique, éd. D Tallon, Paris 1971).
39
Ces valeurs qui caractérisent la gestion coutumière des terres, sont aux
antipodes de celles véhiculées par la réglementation foncière étatique. Ainsi, avec l’avènement
de la colonisation et ensuite de l’Etat ivoirien, la propriété foncière coutumière va connaître
des mutations plus ou moins profondes95. Celles-ci sont généralement caractérisées par la
minoration ou marginalisation de la propriété foncière coutumière. Il faudra attendre la loi du
23 décembre 1998 portant domaine foncier rural pour voir le législateur changer le fusil
d’épaule en reconnaissant de jure la propriété foncière coutumière. L’étude de la propriété
foncière coutumière va porter successivement sur son fondement et sa nature (paragraphe 1),
d’une part, et sa portée et son étendue, d’autre part (paragraphe 2).
95-Chabas J : de la transformation des droits fonciers coutumiers en droit de propriété, An. Af. 1959, p 73-107 ; E. Leroy : les
objectifs de la colonisation française ou belge, Ency. Jurid. de l’Afrique T5 NEA, 1982 p 85 et s. ; De Latour Dejean E. :
Transformation du régime foncier : appropriation des terres et formation de la classe dirigeante en pays Mawri (Niger), in
Agriculture africaine et le capitalisme, Anthrpos-Idep, Paris, 1975 ; Moleur B. : « la loi coloniale : son idéologie, ses
contradictions », pp. 79-100, in : système foncier à la ville et au village : Afrique noire francophone, Paris : L’HARMATTAN,
1986.
96 -décret du 24 juillet 1906, JOAOF, p 969.
97 Décret du 28 octobre 1925, JOCI 1925, p 591.
98 -Albert Ley ; op.cit p 247.
40
(propriété immatriculée) déroge aux dispositions du code civil sur la propriété99, et apparaît
comme un mécanisme de renforcement de la sécurité foncière, qu’en est-il de la seconde ?
De ce qui précède, il résulte que le droit conféré par le certificat foncier, présente bien
les caractéristiques de la propriété au sens civiliste du terme. Mais au regard du droit foncier
ivoirien, cette propriété n’est synonyme de propriété foncière qu’en passant par le moule de
l’immatriculation foncière. C’est pourquoi le titulaire du certificat foncier, nonobstant son
droit de propriété, peut être obligé à immatriculer sa terre dans un délai défini par la
réglementation foncière. C’est le lieu de rappeler que dès l’adoption du système de
l’immatriculation par l’administration coloniale, la même obligation avait été mise à la charge
des personnes physiques ou morales dont le droit de propriété trouvait son fondement dans
les dispositions du code civil. Le décret du 26 juillet 1932 (art. 21) indique sur ce point que la
propriété des biens immeubles de même que les autres droits réels (usufruit, emphytéose, droit
de superficie, etc..) ne se conservent et ne produisent effet à l'égard des tiers que s'ils ont été
publiés au livre foncier.
Ainsi donc, si le titulaire du certificat foncier n’est pas propriétaire au regard de la
réglementation foncière, il n’en est pas moins propriétaire au sens des dispositions du code
civil. En conséquence, les droits résultant du certificat foncier ne sont pas de simples droits
d'usage à l'image de ceux prévus sous l'empire du défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971
99 -supra,
100- supra,
101 -article 17 de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
102- article 22 du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural de la loi n°
41
relatif aux procédures domaniales et foncières. En effet, ce décret disposait en son article 2,
que les droits portant sur l’usage du sol, «dits droits coutumiers, sont personnels à ceux qui
les exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ».
A- Portée
Le certificat foncier peut conférer une plus grande fiabilité aux droits coutumiers. Dès
lors que ceux-ci sont constatés et enregistrés conformément à la réglementation foncière103,
ils apportent la preuve de la propriété foncière coutumière laquelle conduit après
immatriculation, au titre foncier.
En outre, le certificat foncier peut être loué ; il peut même être cédé en tout ou partie à
un tiers par acte authentifié par l’administration. Cette disposition a le mérite de permettre
des transactions foncières qui jusqu’à la loi du 23 décembre 1998 étaient interdites aux
propriétaires fonciers coutumiers. Désormais, ceux-ci pourront avec l’obtention du certificat
foncier, louer par exemple leur terre, en ayant la certitude que celle-ci leur reviendra à
l’échéance convenue d’accord-parties. Corrélativement, c’est la mise en valeur des terres qui
s’en trouve ainsi favorisée.
Le certificat foncier a enfin l'avantage de tenir compte du caractère collectif de la
propriété coutumière. Il peut en effet être délivré à toute collectivité ou même tout groupement
informel d'ayants-droit dûment identifiés (village, lignage, etc..). L'obtention du certificat
foncier par un groupement lui confère la personnalité morale104 ; ce qui lui permet, dès lors
que le certificat est publié au Journal Officiel de la République, d'ester en justice et
d'entreprendre tout acte de gestion foncière. En cas de nécessité, les certificats fonciers
collectifs peuvent être morcelés au profit des membres du groupement ou de tiers.
En somme, le certificat foncier est le reflet d’une double préoccupation du législateur
ivoirien : tenir compte des tenures coutumières sans oublier la nécessité de sécuriser le
détenteur dudit certificat.
B- Limites
Le droit de propriété conféré par le certificat foncier suffit-il pour garantir la sécurité
nécessaire à la réalisation de transactions foncières ? En effet, il y a lieu de se demander si les
opérateurs économiques et en particulier les établissements financiers accepteront, par
exemple, d'accorder des prêts sur la base du certificat foncier. Ceux-ci ne vont- ils pas, par
mesure de prudence, attendre que le terrain objet de la transaction soit d'abord immatriculé ?
La question se pose d'autant plus que la terre objet du certificat foncier n'est pas en principe
hypothécable105. Or c'est l'hypothèque qui, en pareille circonstance, peut conférer la garantie
nécessaire aux opérations financières.
Il y a lieu également de se demander si l'obtention du certificat foncier peut favoriser
les investissements durables. C’est le lieu de rappeler que les titulaires du certificat foncier ont
103 -décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n°
98-750 du 23 décembre 1998.
104 -Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, article 10.
105 -Infra p.
42
l’obligation d’immatriculer leur terrain dans un délai de trois ans, au risque de le voir
reprendre par l’Etat106. Dans ces conditions, il est à craindre que ceux-ci n’investissent
durablement qu’après obtention du titre foncier. La question se pose dans les mêmes termes
pour les tiers bénéficiaires d’un contrat de location réalisé sur la base du certificat foncier.
En effet, de quelle garantie d'exploitation dispose le tiers locataire ? Les dispositions
actuelles de la réforme foncière du 23 décembre 1998 ne permettent pas pour l'instant de
répondre à cette interrogation. Mais une situation analogue existe pour les tiers dont
l'occupation est antérieure à la délivrance du certificat foncier. Dans ce cas de figure, la
réglementation en vigueur107 ordonne que les tiers occupants de bonne foi dont les droits sont
confirmés par le titulaire du certificat foncier, soient traités de façon équitable par un recours
aux clauses et conditions du bail emphytéotique et conformément aux loyers en vigueur. Dans
la mesure où le titulaire du certificat foncier n'est pas encore propriétaire au sens de la
réglementation foncière, ce bail est consenti par l’Etat. D’où une superposition de droits
fonciers sur la même parcelle de terre : droits de l’Etat, droits de l’emphytéote et droits du
titulaire du certificat foncier.
Une autre limite de la reconnaissance de la propriété foncière coutumière réside dans
l'infériorité du droit de propriété se rattachant au certificat foncier. En effet, si l'on se rappelle
que les autorités foncières coutumières se considèrent déjà propriétaires, il faut craindre que
comme par le passé, elles ne jugent inutile de s'engager dans une procédure qui de toute
évidence ne leur confère pas la propriété au sens de la réglementation foncière. Faut-il, à ce
sujet rappeler que la formule du certificat foncier ressemble à peu de chose près au certificat
administratif, lequel a été expérimenté sans succès sous l'empire du décret colonial du 24 juillet
1906 ?108 Enfin, fût-elle moins complexe et moins onéreuse que la procédure
d'immatriculation, la formule du certificat foncier entraîne nécessairement des frais que bon
nombre de détenteurs coutumiers trouvent élevés109 malgré les efforts de réduction réalisés
par l’Etat.
Le système de propriété foncière à deux vitesses introduit par la nouvelle loi foncière
s'explique, à n'en point douter, par la coexistence de l'ordre juridique coutumier d’une part, et
de l'ordre juridique étatique, d’autre part. S'il apparaît à la lueur de ce qui précède que les
détenteurs coutumiers ne sont pas, avant immatriculation de leur terre, propriétaires au sens
de la réglementation foncière, l'Etat non plus ne peut depuis la réforme foncière du 23
décembre 1998, revendiquer la propriété foncière des terres non immatriculées. Mais alors qui
est aujourd'hui propriétaire des terres non immatriculées ?
Sur ce point, la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 dispose dans son article 1er que le
domaine foncier rural constitue un patrimoine national. Autrement dit les terres non
immatriculées appartiennent à la Nation. Cette disposition qui rapproche le Droit foncier
ivoirien des législations sénégalaise110, togolaise et camerounaise met ainsi un terme à
l'appropriation par l'Etat des terres non immatriculées. Mais en pratique, la Nation ne pouvant
elle-même exercer les droits qui lui sont reconnus, c'est à l'Etat qu'il revient naturellement de
gérer lesdites terres.
En réalité, en sa qualité de gestionnaire des terres non immatriculées, l'Etat conserve
une maîtrise foncière évidente qui lui permet d'attribuer des parcelles de terre aux personnes
physiques et morales remplissant les conditions définies par la réforme foncière du 23
décembre 1998. Tout se passe comme si l'on avait déshabillé St Pierre pour habiller St Paul.
d’immatriculation aux livres fonciers, ils sont de 300 F/ha pour les certificats fonciers individuels et de 100 F/ha pour les
certificats fonciers collectifs. Voir arrêté n° 033 MEF/MINAGRA du 04 juillet 2002 établissant les barèmes de timbrage des
certificats fonciers et des frais d’immatriculation des biens fonciers du domaine foncier rural ; recueil de textes du Ministère
de l’Agriculture, P.82.
110 -Monique Caverivière et Marc Debene : le droit foncier sénégalais, op.cit.
43
SECTION 2. L’APPROPRIATION DES TERRAINS URBAINS
Lors de son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire hérite du droit foncier laissé par
le colonisateur, dont le texte essentiel est le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation
du régime de la propriété foncière en Afrique Occidental Française, complété par le décret du
15 novembre 1935, portant règlementation des terres domaniales en A.O.F111 et l’arrêté
n°2164 du 9 juillet 1936 portant aliénation des terrains domaniaux.
A travers les textes susvisés, l’appropriation apparaît comme un processus qui permet
d’attribuer la propriété d’un terrain à une personne ou à un sujet de droit. En milieu urbain,
c’est-à-dire dans les villes ou les agglomérations, l’appropriation foncière par l’Etat et ses
démembrements (Paragr.1) obéit à une logique différente de celle des particuliers (Paragr.2).
111Kouamé Prosper YAO, Développement urbain et prolifération des quartiers précaires à Abidjan : le cas du quartier Banco
1 (commune d’Attiécoubé), Mémoire, Ingénieur des techniques en bâtiment et urbanisme , INPHB de Yamoussoukro, 2010,
mémoire online 2000-2013 webmaster.
112 Philippe HAERINGER, Structures foncières et création urbaine à Abidjan, op cit p 222
113 Albert LEY, Régime domanial et foncier, cours et textes commentés, ENA, 1996, p34
44
depuis le désintéressement des détenteurs de droits coutumiers lors de la purge des droits
coutumiers jusqu'au bornage effectué conformément à un plan d'urbanisme préalablement
établi. L’immatriculation des terres urbaines au nom de l’Etat permet donc de les purger
radicalement de tous droits des tiers et de garantir l’origine de la propriété.
Par titre de propriété, il faut entendre les actes délivrés par l’administration et dont les
droits réels qu’ils comportent sont inscrits au livre foncier. En pratique, il s’agit de la copie du
titre foncier délivrée au demandeur pour attester de sa propriété sur un terrain.
Cependant, apparu en 2002, par l’effet de annexe fiscale à la loi n°2002-156 du 15 mars
2002 portant loi de finances de l’année 2002, le certificat de propriété qui, aux termes de
l’art.36 de cette annexe, supprime et remplace la copie du titre foncier qui attestait de la
propriété d’une personne sur un terrain118 en milieu urbain. La demande de certificat de
propriété a suscité beaucoup d’intérêts auprès des personnes désireuses de consolider leurs
droits sur leurs parcelles, de telle sorte que sa délivrance a donné lieu à des contestations
devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Cette chambre a décidé de façon
précise dans l’arrêt n°19 du 21 mai 2008119 que le certificat de propriété n’est pas un acte de
114 Article premier du décret n°71-71 du 16 février 1971 : Toute occupation de terrain pour être légale doit être
justifiée,…pour les terrains urbains, par la possession d’un titre de concession provisoire ou définitive délivré par le Ministre
de la Construction et de l’Urbanisme qui peut déléguer ses pouvoirs aux préfets.
115 Art.121 al1 du décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale
Française.
116 Hubert KOBON ABE, Conseiller à la Chambre Administrative de la Cour suprême de Côte d’Ivoire : le certificat de
propriété est un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, in la tribune de la Chambre Administrative,
n°02 de juin 2014, p14.
117 RID 1976 n°3/4 p4.
118 Hubert KOBON ABE, op.cit, p14
119 Arrêt n°19 du 21 mai 2008, in la tribune de la Chambre Administrative, n°02 de juin 2014, p15
45
gouvernement pour être inattaquable, mais plutôt un acte administratif susceptible de recours
pour excès de pouvoir. Le caractère innovant de cette décision de principe est que les juges de
la chambre administrative considèrent qu’en matière foncière, les certificats de propriétés et
même au delà, les arrêtés de concession définitive, n’appartiennent plus à la zone d’impunité
que la jurisprudence antérieure et les règlements leur avaient réservée. Désormais, la chambre
administrative se donne le droit d’analyser les conditions dans lesquelles les certificats de
propriété ont été délivrés.
Dans l’arrêt n°19 du 21 mai 2008, les juges retiennent que les décisions administratives
obtenues à la suite de fraude, peuvent être toujours rapportées, car elles ne créent jamais de
droits définitifs120. Cette position jurisprudentielle ne remet pas en cause le principe de
l’immatriculation préalable de l’immeuble fonds au nom de l’Etat qui, par cette procédure,
garantie l’origine de la propriété sur une terre urbaine “débarrassée“ de toutes revendications
des tiers. A ce titre, les juridictions ne peuvent pas revenir sur les résultats d'une procédure
d'immatriculation régulièrement accomplie. Certains auteurs ont critiqué cette sécurité du
régime de l'immatriculation et auraient voulu laisser aux tribunaux une certaine liberté
d'appréciation en cas de contestation des limites. Cette solution aurait ouvert la porte à
l'insécurité caractéristique du régime foncier du droit civil français. Le législateur avait donc
le choix entre la sécurité absolue et la justice absolue. Il a opté pour la sécurité absolue comme
l'ont demandé les investisseurs et les banquiers. Sinon on en serait revenu à l'époque de 1830
où il était «dangereux de prêter sur hypothèque et d'acheter des immeubles121.
Dans l’espèce du 21 mai 2008, il ne s’agit donc pas d’une remise cause de
l’immatriculation, mais plutôt d’une contestation relative à la délivrance de l’acte ou document
qui matérialise le droit de propriété d’une personne sur une terre, en l’occurrence le certificat
de propriété. En effet, face à la course effrénée à la propriété des terrains urbains, il n’est pas
rare de découvrir que l’administration foncière délivre deux titres d’occupation à des
personnes différentes sur un même terrain. Plus concrètement, sur une même parcelle, elle
établit soit deux lettres d’attribution à deux personnes différentes ; soit, accorde à chacune
d’elles un arrêté de concession provisoire, soit leur décerne un certificat de propriété. Il arrive
également qu’alors que le terrain est objet d’une concession provisoire ou d’un certificat de
propriété, l’administration foncière y délivre une lettre d’attribution, ou lorsqu’il y existe une
lettre d’attribution non retirée, elle accorde une autre lettre d’attribution, un arrêté de
concession provisoire et même un certificat de propriété. Dans ces différents cas, à qui revient,
en définitive, un tel terrain122. Voilà quelques sources de contestation qui s’apparentent au cas
évoqué dans la décision du 21 mai 2008. Il ne s’agit pas une fois de plus d’une remise en cause
de l’immatriculation mais d’une irrégularité, d’une méconnaissance de la règle de droit ou
fraude dans la délivrance de l’acte translatif du droit de propriété qui appartient déjà à l’Etat
en milieu urbain. L’appropriation des terrains urbains par l’Etat peut également se faire à
travers d’autres méthodes que sont l’expropriation, le déclassement et l’achat.
peuvent être délivrés sur un terrain à des personnes différentes, in la tribune de la Chambre Administrative, n°02 de juin
2014, p07
46
dernière méthodes étant entendu que l’expropriation fera l’objet d’analyse au chapitre des
cessions forcées des terres123.
1- Le déclassement
A l’intérieur du domaine de l’Etat ou de la collectivité territoriale, il est possible de
concevoir un mouvement qui fait passer une terre d’une zone – domaine public – à une autre
zone – domaine privé – et vice versa, c’est la mutation foncière intra-domaniale124.
A ces terres propriétés de l’Etat ou des collectivités vont s’appliquer selon le cas deux
régimes, celui de droit privé et le régime de droit public. Ici plus que dans les hypothèses
précédemment décrites, l’Etat reste le maître des opérations qui se déroulent sur un bien
foncier lui appartenant.
Selon l’art.17 de l’arrêté du 24 novembre 1928, les déclassements du domaine public
sont prononcés, dans les centres lotis, après enquête de commodo et incommodo et en outre,
dans les communes, après avis des conseils municipaux ou des commissions municipales.
L’alinéa 2 de l’art.17 ajoute que les portions du domaine public déclassées rentrent dans le
domaine de l’Etat - entendu le domaine privé de l’Etat - et leur aliénation est soumise aux
conditions ordinaires d’aliénation des terrains domaniaux. La cessation de son appartenance
au domaine public est subordonnée à l’intervention d’une décision de déclassement qui doit
être expresse.
Avec la loi n°2003-489 du 26 décembre 2003, le législateur va plus loin en accordant
aux riverains de ce domaine déclassé un droit de préemption lorsque le déclassement concerne
une voirie dans le but de l’aliéner. C’est ce que précise l’art.215 de la loi susvisée125.
Comme le déclassement, l’achat constitue également une méthode d’appropriation des
terrains urbains par l’Etat et les collectivités territoriales.
2- L’achat
L’appropriation d’un terrain par l’Etat ou la collectivité territoriale peut se faire par
achat de ce bien. Cette transaction se réalise entre l’Etat et le détenteur légal de la parcelle
conformément aux règles de droit commun. Le paiement du prix du terrain entraîne le
transfert de la propriété dudit terrain à l’Etat.
47
Ainsi, toute occupation de terrain pour être légale doit être justifiée, pour les terrains
urbains, par la possession d’un titre de concession provisoire ou définitive délivré par le
Ministre de la Construction et de l’Urbanisme qui peut déléguer ses pouvoirs aux préfets126.
Ce processus d’appropriation des terrains urbains par les particuliers peut s’analyser sous
deux angles, d’abord la procédure d’attribution des terres de l’Etat aux particuliers (A), ensuite
celle des titres afférents à ces terres des particuliers (B).
S’agissant des lots de terrains à usage d’habitation, il faut distinguer deux situations
de lieu :
- les terrains à usage d’habitation de l’agglomération d’Abidjan ;
- les terrains à usage d’habitation des autres agglomérations.
126Art.1er du décret n°71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières, in Recueil des textes de droit
foncier rural applicables en République de Côte d’Ivoire, E.D.C spécial n°2 mai 1991, revue du CIREJ.
48
Les opérations de morcellement ou lotissements sont réalisées sur des terrains appartenant
à l’Etat ou aux collectivités territoriales (Adjamé, Abobo, Attiécoubé, Cocody, Koumassi,
Marcory, Plateau, Port-Bouët, Treichville et Yopougon). A Abidjan, les morcellements après
aménagement sont quasiment réalisés sur des terrains propriétés de l’Etat conformément au
décret n°2013-224 du 22 mars 2013 portant règlementation de la purge des droits coutumiers
sur le sol pour intérêt général. Ainsi, une fois la purge réalisée, les terres concernées sont
immatriculées au nom de l’Etat ou de la collectivité initiatrice127.
127 Art.13 du décret n°2013-224 du 22 mars 2013 portant règlementation de la purge des droits coutumiers sur le sol pour
intérêt général.
128 Art.36 relatif à la simplification de la procédure de délivrance des titres fonciers : loi n°2002-156 du 15 mars 2002 portant
49
quatre mois, au service du domaine urbain du ministère de la construction et de l’urbanisme à
Abidjan, un dossier technique de bornage-morcellement dressé par un géomètre privé agréé,
en vue de l’obtention d’un arrêté de concession provisoire. Il est prescrit que l’installation sur
les lieux est subordonnée à l’obtention de cet arrêté. Il est aussi indiqué dans la lettre
d’attribution qu’aucune cession du lot n’est admise avant l’obtention de l’arrêté de concession
provisoire, voire du titre foncier. La lettre d’attribution ne constitue pas un titre de propriété.
50
1- Le transfert de propriété par l’octroi de la concession définitive
La concession définitive s’analyse comme un transfert de la propriété de l’Etat au
particulier. Cette concession fait suite à l’octroi d’une concession provisoire pure et simple. En
effet, sur le bien foncier déjà immatriculé au nom de l’Etat, celui-ci va accorder un droit de
superficie au concessionnaire conformément à l’art.23 du décret du 26 juillet 1932132.
132 Art.23 du D.du 26 juillet 1932 : “Le droit de superficie consiste dans le fait de posséder des constructions, ouvrages ou
plantations sur un fonds appartenant à autrui, ou d’être autorisé à en établir. Le titulaire peut grever de servitudes les biens
qui font l’objet de son droit, mais seulement dans la limite qui lui est imposée pour l’exercice de ce droit“.
133 Albert LEY, op.cit p34
51
- à titre transitoire, les détenteurs des lettres d’attribution délivrées avant
l’entrée en vigueur de la loi de 2002, doivent obtenir préalablement l’arrêté
de concession provisoire ou tout document en tenant lieu auprès du
Ministère en charge de la Construction et de l’Urbanisme.
La maîtrise de la procédure d’établissement de l’acte ayant sous été décriée par les
usagers et face à l’implication de l’Etat à travers le Ministère de la Construction et de
l’Urbanisme dans moult procès, il fallait trouver une construction juridique qui crédibilise
l’action de l’Etat dans le fondement du droit de propriété. Ainsi a été adopté le procédé de
transfert de la propriété par l’établissement de l’arrêté de concession définitive.
134 Ce que prévoyait l’art.4 du décret n°71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières.
52
C- Les enjeux liés à l’appropriation des terrains urbains
Les conflits au niveau du domaine foncier urbain illustrent bien les enjeux liés à
l’appropriation des terrains urbains. En effet, la permanence et l’acuité des conflits fonciers ont
fait dire, qu’en Côte d’Ivoire, “payer un terrain, c’est payer un procès“. Cette maxime,
traduction moderne d’une autre qui avait cours dans la Rome Antique, “Qui Terre a, Guerre
a“, situe la portée de la mission des juridictions dans ce monde où la terre est avant tout un
instrument de production, une source d’enrichissement et un moyen d’affirmation de son rang
social135.
Appelée à démêler le nid à procès qu’est devenu le processus d’attribution des terrains
urbains aux particuliers par l’Etat, “le nouveau Maître de la terre“, du fait de la pression
foncière mais aussi des logiques différentielles, sinon des contradictions des institutions en
charge de la gestion foncière136, la Chambre Administrative de la Cour Suprême s’est
prononcée dans une affaire objet de l’arrêt n°53 du 27 juillet 2011. C’est l’affaire dans laquelle
madame P.D a, par acte notarié des 05 août 1996 et 15 février 2002, cédé au groupe scolaire
“les G.“ le lot n°1722 îlot 91 de Cocody Riviera Bonoumin Est-ouest à elle attribué suivant
lettre n°4968 du 09 décembre 1993 du Ministre de l’Environnement, de la Construction et de
l’Urbanisme indiquant que l’installation sur les lieux et la mutation concernant ce lot étaient
subordonnées à l’établissement préalable d’un arrêté de concession provisoire et imparti un
délai de quatre mois à cette fin ; Que le Ministre de la Construction et de l’Urbanisme
invoquant la non mise en valeur a, par lettres n°19413 et 19414 prises le 26 décembre 2005,
retiré le lot et annulé celle du 09 décembre 1993 lui attribuant ledit lot puis attribué le lot à
madame M.D ; Qu’estimant ces lettres illégales et après un recours gracieux du 18 janvier
2008 resté sans suite, madame P.D et le groupe scolaire “les G.“ ont, par requête du 27 juin
2008, saisi la Chambre Administrative de la Cour Suprême en vue de les annuler pour excès
de pouvoir.
A travers cet arrêt, il faut retenir que la lettre d’attribution, eu égard à sa nature d’acte
conditionnel, ne peut être maintenue qu’autant que les conditions dont elle est assortie sont
respectées137
C’est le lieu de rappeler que les conditions de délivrance et de retrait voire l’annulation de
la lettre d’attribution par les autorités compétentes n’ont pas toujours été conforme à la
règlementation en vigueur. En témoigne les décisions ci-dessous :
l’arrêt n°28 du 29 juillet 1998 et 53 du 27 juillet 2011, La tribune de la Chambre Administrative n°02-juin-2014 p06
53
Arrêt n°60 du 18/04/2012 CS chadm. (Rec. des Chambres Regroupées 03/2012, document
CNDJ) : Aux termes de l’art.4-2° du décret n°71-74 du 16 févr.1971, toute attribution d’un
terrain urbain est subordonnée à la vérification des titres par le service de la conservation
foncière et bornage du terrain. La lettre d’attribution du requérant étant antérieure à la
seconde, il ne fait aucun doute que la délivrance de la seconde lettre d’attribution procède d’un
défaut de vérification des titres et donc de la violation de l’art.4.2° du décret.
54
j. Retrait de terrain en dehors de la Commission de
Régularisation, de Retrait et de Réattribution (C3R)
Arrêt n°003 du 19/01/2011 CS chadm. (Rec. des Chambres Regroupées 01/2011, document
CNDJ) : Ayant procédé seul à l’annulation de la lettre d’attribution et partant au retrait pour
non mise en valeur du lot, au mépris de la procédure instituée par la Commission de
Régularisation, de Retrait et de Réattribution (C3R), la décision est entachée d’illégalité.
A travers les décisions de la Chambre Administrative de la Cour Suprême, il s’agit
d’inviter les autorités compétentes à plus de rigueur dans la gestion des mutations foncières.
L’administration demeure la pièce maîtresse de l’efficacité et de la pertinence du système
d’attribution des lots. Malheureusement, elle est très souvent au banc des accusés. Cette
situation a incité l’Etat à adopter d’un nouveau système dans lequel la chaîne des intervenants
est réduite afin de mieux situer les responsabilités et rendre le système plus performant. C’est
la naissance de l’arrêté de concession définitive qui renforce le pouvoir de l’Etat dans la
procédure d’appropriation des terrains urbains.
55
CHAPITRE -2- LE DROIT D’USAGE DE LA TERRE
138 Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU, L’appropriation de la terre en Afrique noire. Ed. KARTHALA, 1991,
p60
139 Voir supra, la propriété foncière, p
140 Voir supra, logique et avantage du bail emphytéotique, p
56
foncier qui l’institue. Le droit d’usage se conçoit, depuis la loi foncière de 1998, dans deux
hypothèses. Il s’agit d’abord du cas où le titulaire du certificat foncier est en présence d’un
occupant de bonne foi d’une portion du terrain objet du certificat foncier. Dans cette
hypothèse, le cahier des charges annexé au certificat foncier précise que, les droits de cet
occupant seront confirmés par le titulaire du certificat foncier de façon juste et équitable pour
les deux parties, aux clauses et conditions du bail emphytéotique et conformément aux loyers
en vigueur fixés par les textes règlementaires. Malgré l’absence de textes règlementaires en
la matière, il faut relever qu’un droit d’usage est accordé à l’occupant de bonne foi qui peut
donc poursuivre son activité agricole en respectant la convention entre lui et le titulaire du
certificat foncier.
La seconde hypothèse est celle qui met en présence l’Etat et un titulaire de certificat
foncier non admis à être propriétaire en milieu rural car selon l’al2 de l’article premier de la
loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, seuls l’Etat, les
collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à être propriétaire
d’une terre rurale. Dans ces condition, lorsque le titulaire du certificat foncier n’est pas admis
à être propriétaire, - l’art.29 du décret n°99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités
d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 -,
l’immatriculation de la parcelle est faite au nom de l’Etat avec promesse de contrat de location
ou de bail emphytéotique à l’ancien titulaire du certificat foncier. Dès cet instant, c’est un droit
d’usage que les textes reconnaissent à ce dernier, l’Etat restant propriétaire du terrain. Il en
est de même de l’ancien concessionnaire de terres rurales qui ne consolide pas son droit mais
qui continue à exploiter ladite terre immatriculée au nom de l’Etat.
Ce droit d’usage est garanti par la durée du contrat qui est signé par les parties car l’une
des spécificités du bail emphytéotique est sa durée.
57
aménagements qui lui sont imposés par son contrat (plantation, construction etc..) mais encore
d’en faire profiter, sans indemnité, le propriétaire du fonds à la fin du bail. Par ailleurs, il ne
peut se soustraire à l’exécution des conditions du bail en délaissant sa concession qui, dans ce
cas, ferait retour au bailleur143. Ces différentes clauses et conditions du contrat de bail sont de
nature à atténuer les craintes liée à la durée du contrat.
Après l’affirmation des droits des uns et des autres à travers les documents officiels que
sont le certificat foncier et le titre foncier, il appartient aux parties au contrat de bail, en
fonction des cultures ou des spéculations à réaliser de s’accorder sur la durée de la convention
à signer pour l’utilisation du sol144 car au cours de la durée du bail, l’emphytéote jouit du fonds
de la même manière que le propriétaire. Le bail confère au preneur un droit réel hypothécable.
143 Circulaire du 27 avril 1937 relative à l’amodiation des terres domaniales par bail emphytéotique.
144 Aujourd’hui, avec les conseils des experts en hévéaculture par exemple, il est possible de déterminer la durée de production
du caoutchouc naturel qui pourrait correspondre à la durée du bail (environ 35 à 40 ans).
145 L’article 4 de l’arrêté n°1343/MCU/DCDU du 22 août 1983 accordant une concession provisoire avec promesse de bail
emphytéotique d’un terrain sis en zone industrielle du BANCO, précise que “le concessionnaire versera annuellement et
d’avance à la caisse du directeur des recettes domaniales à Abidjan, une redevance fixée à raison de cinquante (50) francs le
mètre carré, à la somme de soixante quinze mille (75.000) francs avec effet rétroactif à compter de la date d’attribution du
terrain, le 11 août 1980.
58
mettre l’accent sur la mise en valeur permanente du sol par des investisseurs. Aujourd’hui,
l’immeuble fonds est une source de richesse et comme telle, il serait difficilement concevable
de maintenir une pratique aux antipodes des lois qui gouvernent le monde des affaires. C’est
un mode particulier d’exploitation d’un bien qui doit tendre vers le bail commercial ou le bail
à construction eu égard au fait que généralement, les activités qui sont réalisées sur le fonds
rapportent beaucoup de ressources à l’emphytéote.
Aujourd’hui plus que par le passé, en raison de la pression foncière, l’institution du bail
emphytéotique est un puissant instrument de constitution de réserves foncières de l’Etat au
lieu de se dessaisir de ses terres par la vente de celles-ci à des investisseurs tant en milieu
urbain qu’en zone rurale. Au demeurant, le bail emphytéotique est intéressant pour les
investisseurs qui n’ont pas à immobiliser des capitaux pour l’achat du terrain, lesquels
peuvent immédiatement servir à financer la mise en œuvre de l’activité projetée. Dans le
même sens, une collectivité territoriale peut utiliser ce type de bail de longue durée pour
louer son bien immobilier à un tiers qui pourra y construire un ouvrage et l’utiliser sans
59
devoir assumer le coût financier du terrain. Ainsi, dans l’accomplissement d’une mission de
service public ou la réalisation d’une opération d’intérêt général relavant de sa compétence,
une collectivité publique pourra recourir au bail emphytéotique pour atteindre ses objectifs.
Sur les terres coutumières, le titulaire d’un certificat foncier qui n’est pas admis à être
propriétaire - les non nationaux et les personnes morales -, immatricule le terrain au nom de
l’Etat avec promesse de bail emphytéotique. Le recours à ce bail locatif est un procédé qui
permet à l’Etat de garantir les droits fonciers des occupants non propriétaires assurés dès
lors de continuer leur exploitation en toute quiétude. L’idée est louable mais elle n’aura
d’impact que si en amont, les différents acteurs du monde rural jouent chacun sa partition
dans la quête d’une sécurisation foncière renforcée. En effet, aussi longtemps que le non
national reste inactif dans le processus de certification du fonds qu’il occupe - dix ans pour
l’établissement des droits coutumiers exercés de façon paisible et continue à travers le
certificat foncier -, il ne peut bénéficier des droits conférés par le bail. D’où la nécessité de
massifier la délivrance du certificat foncier également gage de paix durable dans
l’exploitation des terres rurales. C’est toujours pour cette paix que le cahier des charges
annexé au certificat foncier prévoit aussi la possibilité de contrat de longue durée aux
conditions du bail emphytéotique entre le titulaire du certificat foncier et l’occupant de bonne
foi.
60
Paragraphe 1- Les terres appartenant à l’Etat
En zone urbaine, l’administration ou l’Etat propriétaire peut mettre les terres de son
domaine privé à la disposition des particuliers sous forme de location précaire (A). Sur ses
terres du domaine rural, les locations “ordinaires“ sont consenties conformément aux
dispositions de la loi foncière de 1998 (B).
Ce texte de 1936 indique le mode de gestion des terrains des zones non lotis mais
faisant partie du périmètre urbain. En effet, avec le plan cadre de l’utilisation des sols défini à
travers le plan d’urbanisme directeur d’une agglomération donnée, il est permis à l’Etat de
mettre à la disposition des particuliers des parcelles à des fins diverses en attendant la
parcellisation officielle de la zone. Une telle organisation suppose l’existence d’un plan
d’évolution de la ville qui permet de matérialiser les limites entre la zone urbaine dont la
gestion relève de la compétence du Ministère de la Construction et de l’Urbanisme et les terres
rurales gérées par le Ministère de l’Agriculture.
Au mois de février 2015, le Ministère de la Construction, du Logement, de
l’Assainissement et de l’Urbanisme a présenté les résultats d’étape des études d’urbanisme
visant à doter trente-deux (32) chefs-lieux de régions et de districts de Côte d’Ivoire de Schéma
et plan d’urbanisme directeur. A terme, il s’agit de mettre fin aux improvisations et de
contrôler et de réguler toutes les activités qui s’exercent sur les terres de l’Etat.
Il faut relever que la location précaire du domaine privé de l’Etat n’est pas incompatible
avec la projection qui est faite à travers le plan d’urbanisme en ce sens que la location peut être
résiliée à tout moment par l’administration et aucun droit de préemption n’est reconnu à
l’occupant.
61
l’Etat et celles qui sont propriété des particuliers et surtout des terres du domaine coutumier,
il appartient à l’Etat de gérer librement ses terres. Mais encore faut-il, avant tout acte de
gestion, connaître la consistance du patrimoine foncier de l’Etat au niveau des terres rurales
car le domaine foncier rural est à la fois, selon l’art.2, hors du domaine public, hors des
périmètres urbains, hors des zones d’aménagement différé officiellement constituées, hors du
domaine forestier classé. Il ne serait pas superflu d’identifier de manière précise les terres
propriété de l’Etat qui peuvent éventuellement faire l’objet de location. En effet, avant la loi
foncière de 1998, l’Etat a concédé de vastes superficies de terre à des sociétés agro-industries
sous forme de bail emphytéotique, ce qui pourrait réduire sa capacité à disposer de terres à
louer. De même, jusqu’à l’expiration du délai147 de dix ans pour la constatation des droits
coutumiers exercés de façon paisible et continue, les terres coutumières sont gérées
conformément aux règles coutumières, échappant ainsi au contrôle de l’Etat qui ne peut se
prévaloir d’un droit quelconque sur lesdites terres. Seules les anciennes concessions
provisoires sous réserve des droits des tiers peuvent mériter l’attention de l’Etat qui, lorsque
le concessionnaire n’a pas consolidé son droit dans les délais requis148, considère les terres
objet de cette concession comme étant sans maître et qu’il est libre d’en disposer.
En tout état de cause, en cas de location, lorsque le loyer n’est pas payé, outre les
poursuites judiciaires prévues par les textes en vigueur, les impenses réalisées par le locataire
constituent le gage de l’Etat dont les créances sont privilégiées même en cas d’hypothèque
prise par des tiers149.
Autant l’Etat a la possibilité de mettre en location les terres sur lesquelles il exerce
légalement un droit, de même, les particuliers titulaires de droit peuvent en faire également
mais surtout en milieu rural car la règlementation foncière urbaine relative à la mise en valeur
des terrains urbains détenus en pleine propriété150 ne favorise pas ce type de convention.
147 Art.6 nouveau de la loi n°2013-655 du 13 septembre 2013 modifiant la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au
domaine foncier rural
148 Art.4 du décret n°99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires
provisoires de terres du domaine foncier rural et l’art.6 nouveau de la loi n°2013-655 du 13 septembre 2013 modifiant la loi
n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural
149 Art.25 de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
150 Loi n°71-340 du 12 juillet 1971 règlementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété et son
62
faut retenir que le propriétaire peut louer tout ou partie de sa terre. Cependant, si la location
est conclue pour une durée supérieure à trois années, la convention doit être passée devant un
notaire qui procédera à son inscription sur le livre foncier. A défaut, cette convention est
frappée d’une nullité absolue. Les locations de moins de trois ans ne sont pas soumises à cette
condition.
La donation à charge est la convention par laquelle le détenteur coutumier cède une
partie de ses terres à l’exploitant moyennant la création d’une plantation à son profit. 153. Si la
pratique de la donation à charge procure à moindre frais des plantations aux détenteurs
coutumiers, elle permet en revanche à l’exploitant d’avoir facilement accès à l’usage de la terre
et donc de prétendre plus tard à la propriété de la parcelle mise en valeur.
in Actes du colloque sur le droit et l’accès à la terre en milieu rural, EDC spécial n°1 février 1991 p 256
153 EDC spécial n°1 février 1991, op cit p257
63
une location de longue durée alors que la validité du certificat est de trois ans. En effet,
conformément à l’al.2 de l’art.4, “le détenteur du certificat foncier doit requérir
l’immatriculation de la terre correspondante dans un délai de trois ans à compter de la date
d’acquisition du certificat foncier“. Dès lors que le bail ne remet en cause, ni les droits du
titulaire du certificat foncier, ni ceux du titulaire du titre foncier créé à la suite du certificat, ni
même la consistance du bien foncier, il n’y a pas de raison d’interdire cette convention au cours
de la procédure d’immatriculation comme c’est le cas lorsqu’il y a cession de tout ou partie du
bien foncier.
Aujourd’hui, huit cent dix-sept (817) titulaires de certificat foncier dont cent neuf (109)
femmes peuvent régulièrement ou légalement prétendre assurer la gestion de leur certificat
conformément à la loi. Quantitativement, la certification concerne environ trente cinq mille
quatre cent soixante et un hectares (35.461 ha), soit 0,15% des 23.000.000 ha de terres
rurales154
Ces opérations sont incontournables pour une mise en valeur durable des terres, une
des manifestations des obligations liées à l’accès à la terre.
154Rapport de l’atelier de réflexion sur la relance de la mise en œuvre de la loi relative au domaine foncier rural ; Projet
d’appui à la relance des filières agricoles de Côte d’Ivoire, Abidjan- Février 2015.
64
CHAPITRE III- LES OBLIGATIONS LIEES A L’ACCES A LA TERRE
Le code civil en son article 544 affirme le caractère absolu de la propriété des biens.
Mais, en matière foncière, des considérations socio-économiques ont largement atténué cette
disposition. Ainsi, pour éviter que la terre reste à l’abandon pendant de longues années, le
droit français a eu recours à l’impôt foncier pour contraindre le propriétaire à mettre sa terre
en valeur. L’Etat ivoirien, à travers sa réglementation foncière, a également mis l'accent sur la
fonction socio-économique de la terre. Il en résulte que nonobstant ses prérogatives, le
propriétaire a l'obligation de mettre sa terre en valeur. L’occupant non propriétaire est
également assujetti à cette obligation. A cette obligation de mise en valeur qui pèse sur le
propriétaire foncier et l’occupant (Section 1), il y a lieu d’ajouter l’obligation de payer l’impôt
foncier (Section 2).
A- Fondement
L’exigence de la mise en valeur des terres répond au plan économique à la nécessité de
réaliser, par une exploitation rationnelle, la rentabilité du fonds de terre. Cet objectif de
rentabilisation de la terre se retrouve dans la quasi-totalité des réglementations foncières des
pays africains155.En tout état de cause, il s’agit d’orienter le droit foncier vers le
développement.
155-Jacqueline Dutheil de la Rochère : l’Etat et le développement économique de la C.I ; Annales de l’Université d’Abidjan
1975, serie A Vol.4, p 238 et s. ; Alfred SCHWARTZ : Grands projets de développement et pratiques foncières en C.I in
Enjeux fonciers en Afrique Noire, P 293 ; Encyclopédie juridique de l’Afrique : les biens, p 261 et s.
65
Cette orientation de politique foncière a fait l’objet, dans les deux premières décennies
de l’indépendance, d’une véritable campagne de sensibilisation de la part des plus hautes
autorités politiques156. Dans un message adressé à la Nation le 15 janvier 1962, le Chef de
l’Etat déclarait déjà que la Côte d’Ivoire n’a pas de terres à répartir mais à mettre en valeur. Il
précisera plus tard : « Plutôt que de songer aux méthodes de répartition des richesses
existantes, mieux vaut travailler en priorité à créer de nouvelles richesses. Il ne sert à rien de
vouloir partager la pauvreté157 ».
Cette option de politique foncière et agricole s’est traduite au plan juridique par
l’adoption de dispositions législatives et réglementaires mettant l’accent sur la nécessité de la
mise en valeur des terres, et obligeant les concessionnaires à mettre leurs terres en valeur.
Ainsi, le décret du 16 février 1971 relatifs aux procédures domaniales faisait du constat de
mise en valeur une condition d’accès à la propriété des terrains ruraux et urbains158. En milieu
rural, la défunte loi du 12 juillet 1971 relative à l’exploitation rationnelle des terrains ruraux
détenus en pleine propriété disposait à cet effet que tout propriétaire est tenu de mettre en
valeur et de maintenir en bon état de production l’intégralité des terres qu’il exploite159. Cette
exigence a été reprise par la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998relative au domaine foncier
rural. Aux termes de l'article 20 de cette loi, les propriétaires de terres du domaine foncier
rural autres que l'Etat, ont l'obligation de les mettre en valeur.
156 -Albert Ley : le régime domanial et foncier et le développement économique de la C.I. LGDJ, 1972, p.568 et s.
157 -Fraternité Hebdo du 18 décembre 1964.
158 -Le décret n° 71-74 du 16 février 1971 a été abrogé par le décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013 portant modalités
d’application de l’ordonnance fixant les règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains. Quant aux dispositions du
décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatives aux terres rurales, elles ont été de fait abrogées par les décrets portant application
de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
159 -Loi n° 71-338 du 12 juillet 1971 relative à l’exploitation rationnelle des terrains ruraux détenus en pleine propriété,
JORCI 1971, P.1102 ; E.D.C Spécial-N° 2 Mai 1991 P.127. Cette loi a été abrogée par la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural.
160 -Loi N° 71-340 du 12 juillet 1971 relative à la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété. Guide jurid.
de la C.I, Vol.II, P.396 ; Codes et lois TVII, P.18 ; Décret N° 71-341 du 12 juillet réglementant la mise en valeur des terrains
urbains détenus en pleine propriété.
161 -Ord.N° 61-124 du 15 avril 1961, JORCI du 17 avril 1961 P.567. Alphonse YapiDiahou : le plan foncier ivoirien, in
appropriation de la terre en Afrique Noire, Karthala 1991, P.309. La surtaxe foncière a été supprimée à travers l’annexe fiscale
à la loi de finances pour la gestion 2004,.
162 -supra. P.
163 - Mais jusqu’ici ce décret n’a pas encore été pris. Il en résulte qu’en milieu rural, le propriétaire défaillant n’encourt pour
66
En milieu urbain, le propriétaire défaillant encourt, en cas d’insuffisance ou de défaut
de mise en valeur de son terrain pendant une période de cinq ans, la perte de son terrain au
profit de l’Etat ou d’une personne plus diligente. La décision de transfert du terrain à l’Etat
est prise par arrêté du Ministre chargé de la construction et de l’urbanisme après constat de
l’absence de mise en valeur.
L’emphytéote défaillant n’est pas à l’abri des sanctions prévues pour insuffisance ou défaut de
mise en valeur ; son terrain peut être retiré par l’Etat faute d’avoir été mis en valeur dans le
délai de deux ans.
L’Etat ne se contente pas d’obliger le propriétaire à mettre sa terre en valeur ; il peut
nonobstant le droit de propriété des collectivités publiques et personnes physiques, interdire
certaines activités préjudiciables à la réalisation de ses programmes de développement164.
B- Portée
Au regard des acteurs concernés, l’obligation de mise en valeur d’une terre rurale
vise non seulement les détenteurs de titres de propriété ou de bail emphytéotique, mais aussi
les titulaires de concession provisoire165ou de certificat foncier. Lorsqu’il s’agit du titulaire
d’une concession provisoire pure et simple, la mise en valeur du bien foncier est une condition
d’accès à la propriété foncière166. De même, le cahier des charges annexé au certificat foncier à
délivrer au demandeur, doit, dans tous les cas, mentionner l’obligation de mise en valeur de la
terre concernée167.
Si les dispositions précédentes ne laissent aucun doute sur l’existence de l’obligation
de mise en valeur à la charge des titulaires de droits fonciers précités, quid des titulaires de
concession provisoire sous réserve des droits des tiers ? Avant la réforme foncière du 23
décembre 1998 et nonobstant l’absence d’immatriculation du terrain concerné, ceux-ci étaient
assujettis à une obligation de mise en valeur. Pour la consolidation des droits fonciers de ces
concessionnaires sous réserve des droits des tiers, la réglementation en vigueur168 exige
aujourd’hui, sans aucune référence à l’obligation de mise en valeur, que le terrain concerné soit
immatriculé. L’immatriculation est faite au nom de l’Etat qui peut ensuite le rétrocéder au
concessionnaire si celui-ci remplit les conditions d’accès à la propriété foncière. Parmi ces
conditions, figurent non seulement celle relative à la nationalité du concessionnaire169, mais
aussi celle relative à la mise en valeur. Car si la mise en valeur constitue pour le titulaire de la
concession provisoire pure et simple, le moyen d’accès à la propriété foncière, il ne saurait en
être autrement pour le concessionnaire provisoire sous réserve des droits des tiers.
Parmi les acteurs titulaires de droits fonciers, figure en bonne place l’Etat qui depuis
la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, n’est désormais propriétaire que
des terres immatriculées en son nom. Mais la même loi à travers son article 20, dispose que
l’obligation de mise en valeur vise les propriétaires autres que l’Etat. Il en résulte que l’Etat,
nonobstant son statut de grand propriétaire foncier, n’est assujetti à aucune obligation de mise
en valeur. En revanche, tout comme les personnes physiques, les collectivités publiques
(collectivités territoriales, établissements publics et entreprises publiques) ont l’obligation de
mettre leurs terres en valeur sous peine de contrainte.
67
En milieu urbain, sont assujettis à l’obligation de mise en valeur les détenteurs d’arrêté
de concession définitive (ACD)170. Sont également visés les détenteurs de titres de propriété
délivrés avant l’ordonnance du 2 juillet 2013. Mais si la mise en valeur est une obligation
permanente pour le propriétaire foncier urbain, elle ne constitue guère une condition d’accès
à la propriété pour les détenteurs de lettres d’attribution ou de concession provisoire. Ceux-ci
peuvent aujourd’hui obtenir un arrêté de concession définitive, même si leur terrain n’a pas été
mis en valeur. Tel était déjà le cas avec la loi de finances pour la gestion 2002 laquelle avait,
en vue de simplifier la procédure d’obtention du titre foncier, jugée longue, supprimé les étapes
de l’obligation et du constat de mise en valeur.
Au regard des activités concernées, l’obligation de mise en valeur ne vise plus
seulement, depuis la loi portant réforme foncière du 23 décembre 1998, l’activité agricole
proprement dite ; elle prend en compte la conservation de l’environnement. Ainsi,
l'enrichissement ou la constitution de forêts tout comme les jardins botaniques et zoologiques
sont considérés par la réforme foncière du 23 décembre 1998 comme des opérations de
préservation de l'environnement. C’est donc la reconnaissance de la mise en valeur à des fins
écologiques. Il en résulte un élargissement du champ d’application de l’obligation de mise en
valeur prenant en compte les activités agricoles au sens large (production végétale, production
animale, sylviculture, maintien, enrichissement ou constitution de forêts, aquaculture, jardins
botaniques et zoologiques, etc.)171.
Pour les terrains urbains, outre le retrait de la terre174, une surtaxe foncière avait été
instituée pour contraindre les propriétaires à s’acquitter de leur obligation de mise en
valeur175. Cette surtaxe foncière venait s’ajouter à l’impôt foncier exigible.
170 -Voir Ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 fixant les règles d’attribution de la propriété des terrains urbains et son
décret d’application n° 2013-482 du 2 juillet 2013.
171 -article 18 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
172-L’article 20 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural dispose sur ce point que les
propriétaires de terres du domaine foncier rural qui n’ont pas mis leur terre en valeur peuvent y être contraints par l’autorité
dans des conditions qui seront ultérieurement déterminées par décret pris en conseil de ministres.
173 -Monique Caverivière et Marc Debene : le droit foncier sénégalais, Berger-levrault, p.223.
174 -V. article 2 de la loi n° 71-340 du 12 juillet 1971 réglementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine
propriété lequel dispose que les terrains urbains non mis en valeur doivent faire retour en totalité ou en partie au domaine de
l’Etat en vue de leur utilisation à des fins économiques et sociales. CS ch. Adm. n° 44 du 28 mars 2012 « les terrains urbains
détenus en pleine propriété ne peuvent faire l’objet de retour au domaine privé de l’Etat que s’ils n’ont pas été mis en valeur ».
CS ch. Adm.n° 14 du 25 janvier 2012.
175-Supra p.
68
présence physique de l’occupant à travers des travaux rendant le terrain propre à une
destination agricole, industrielle ou à l’habitation. Du fait de la diversité des finalités
poursuivies, les critères de la mise en valeur ne sauraient être uniformes ; ils varient selon que
le terrain concerné soit situé en milieu rural (A), en milieu urbain(B) ou destiné à la
conservation de l’environnement (C).
Emile LE BRIS, Etienne LEROY, Paul MATHIEU, l’appropriation de la terre en Afrique Noire, Karthala 1991 P. 56 ; Etienne
LEROY : op.cit. P. 166.
69
celui par qui le terrain a été défriché, planté et cultivé181. Ce qui revient à dire, face à l’absence
de définition législative formelle et directe de la mise en valeur, que n’importe quel travail ne
pouvait être synonyme de mise en valeur. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’est rangé le
législateur de 1998, lequel à travers la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier
rural a défini directement la notion de mise en valeur. Aux termes de cette loi (article 18), les
propriétaires de terres ont l’obligation de les mettre en valeur en réalisant soit une opération
de développement agricole, soit toute autre opération visant à préserver l’environnement. Les
opérations de développement agricole, selon le législateur peuvent de façon non limitative
prendre la forme :
- de cultures,
- d’élevage d’animaux domestiques ou sauvages,
- de maintien, d’enrichissement ou de constitution de forêts,
- d’activités aquacoles,
- d’infrastructures et aménagements à vocation agricole,
- de jardins botaniques et zoologiques,
- d’établissements de stockage, de transformation et de commercialisation de produits
agricoles.
Mais à l’analyse de la définition législative de la mise en valeur des terres rurales, des
incertitudes demeurent qui n’ont pas été levées par les textes réglementaires pris en
application de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Il s’agit
précisément de savoir si n’importe quelle opération de développement agricole suffit à
caractériser l’existence de la mise en valeur. Peut-on considérer qu’une plantation comprenant
quelques pieds de manioc ou de palmiers disséminés dans la broussaille est mise en
valeur parce que comprenant des cultures? En un mot quels sont les critères d’appréciation de
la mise en valeur ?
Pour les terres domaniales concédées provisoirement avant l’entrée en vigueur de la
loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 précitée, le cahier des charges annexé à l’arrêté d’octroi de
la concession provisoire constitue un document de référence. A ce document s’ajoutent les
dispositions de la défunte loi du 12 juillet 1971 relative à l’exploitation rationnelle des terrains
ruraux détenus en pleine propriété. Sous l’empire de cette loi, il revenait à l’Administration du
domaine de vérifier si les cultures réalisées occupaient la totalité ou les 2/3 au moins de la
superficie concédée. Non seulement la plantation devait bénéficier de méthodes culturales
appropriées, son rendement devait être au moins égal à celui obtenu habituellement dans la
région pour les terres présentant les mêmes conditions d’exploitation et de fertilité. S’agissant
des jachères, étaient réputées mises en valeur celles dont la superficie totale était conforme au
système d’assolement en usage dans la région182.
Faute de nouvelles dispositions définissant les critères de la mise en valeur, il est fort
probable que pour l’appréciation de la mise en valeur des terres concédées provisoirement,
l’Administration du domaine continuera de façon pragmatique à recourir aux critères
précédemment indiqués. En d’autres termes, sauf si le cahier des charges annexé à l’arrêté
d’octroi comporte des conditions particulières, il s’agira pour l’Administration domaniale de
vérifier si la mise en valeur réalisée correspond aux normes communes d’exploitation
rationnelle observées par les concessionnaires de la même région ou localité. Au demeurant,
c’est cette même approche qui est prévue par la réglementation en vigueur relativement aux
terres du domaine coutumier. En effet, le décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les
modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre
181-CAA, n° 277 du 26 juin 1970, RID 1971/2 P. 55 ; n° 46 du 25 janvier 1980, EDC n° 1 1987, P.140 ; n° 430 du 21 mars
1982, N’cho Boni c/0ssey Anou, inédit ; tri. De 1èreInst. D’Abj. Section d’Adzopé, Jgt n° 74 du 16 mai 1986, AsseuAchi
c/AkissiChouen, inédit.
182 -Des dispositions semblables figurent dans la législation malgache. Voir Ramarolonto R. : accès à la terre à Madagascar,
70
1998 dispose en son article 14 que le cahier des charges annexé au certificat foncier doit
préciser dans tous les cas l’obligation de mise en valeur. Cette mise en valeur indique ce texte,
est appréciée en tenant compte des pratiques suivies dans la région en matière de jachère.
183 -Arr. n° 1089 du 22 novembre 1976 portant règlement général de construction, et modifiant l’arrêté du 22 mai 1974, Codes
et Lois Tome VII, p. 119.
184
-Arr. du 23 décembre 1970 pris en application de la loi n° 65-248 du 4 août 1965 , Codes et Lois Tome VII. P. 107.
185 -décret n° 77-941 du 29 novembre 1977 ; Arr.n° 1593 du 1er octobre 1983.
186 -Loi n° 65-248 du 4 août 1965 ; Décret n° 92-398 du 1er juillet 1992 ; Arr.n° 1596 du 1er octobre 1983.
187 - Cette exigence de la conformité de l’emprise matérielle à des normes précises, s’observe également à travers la législation
sénégalaise du 17 juin 1964 relative au domaine national. L’article 2 du décret du 30 juillet 1964 portant application de cette
loi dispose en effet que « la mise en valeur doit consister exclusivement en des constructions complètement terminées » Plus
loin, l’article 4 précise encore que « la superficie du terrain considéré mis en valeur doit être au plus égale à quatre fois la
superficie bâtie, augmentée le cas échéant de celle des étages ». Voir annales Africaines 1965, Paris ed. Pédone : le domaine
national du Sénégal.
188 -L’obligation du permis de construire est générale et résulte de la combinaison de la loi du 31 juillet 1962, de la loi n° 65-
248 du 4 août 1965, et du décret n° 92-348 du 1er juillet 1992. Aux termes de l’article 1er de la loi du 4 août 1965 « quiconque
désire entreprendre une construction à usage d’habitation ou non, doit, au préalable, obtenir un permis de construire. Les
dispositions du permis de construire imposant une autorisation préalable pour tout changement d’affectation ne semblent pas
avoir d’équivalent en milieu rural. Mais en France notamment, certaines cultures nécessitent une autorisation ou une
déclaration par dérogation à la règle de la libre initiative. Voir Jean MEGRET ; Droit agraire, 2, P. 28 Litec.
71
au fond, conforme aux règles d’urbanisme et d’utilisation des sols. L’Administration
compétente serait bien avisée de faire preuve de discernement en pareil cas. Car si la réalisation
de constructions sans permis de construire constitue une infraction punissable, la violation
ouverte des dispositions d’un permis de construire régulièrement obtenu, l’est peut-être
davantage.
189 . Le patrimoine forestier ivoirien est passé de 16 millions d’hectares au début du 20 ème siècle à 12 millions d’hectares à
l’indépendance (1960) et à environ 3,7 millions d’hectares de forêts denses humides, non compris les parcs nationaux, les
réserves naturelles et les plantations forestières, à la fin du 20 ème siècle. Ce qui équivaut à un rythme de déboisement de
200 000 hectares par an, in L’agriculture ivoirienne à l’aube du 21ème siècle, MINAGRA 1999 ; Gago Chelom Niho : Rapport
d’étude portant révision de la législation forestière, FAO/Ministère des Eaux et Forêts, 2004.
190 -Gago Chelom Niho : op.cit.P 14 et s.
191 - Loi n° 2014-427 du 14 juillet 2014 portant Code forestier.
192 -Supra. p
72
envisagée sur le terrain concerné. Mais tel n’étant pas toujours le cas, le Service du contrôle
des mises en valeur agricoles n’aura d’autre recours que de mener les enquêtes susceptibles de
lui fournir les éclaircissements nécessaires.
De toute évidence, le constat d’abandon d’une exploitation agricole ne pourra être
assimilé à une mise en valeur à des fins écologiques. Mais au cas où les enquêtes établiraient
la volonté du concessionnaire ou de l’occupant de préserver l’environnement, le constat de
mise en valeur en serait plus aisé. En effet, alors que dans le secteur agricole stricto sensu la
mise en valeur exige au moins la réalisation de cultures, en matière de conservation de
l’environnement, le simple maintien des lieux suffit à établir l’existence de la mise en valeur.
Dans cette optique, sans qu’il ne soit nécessaire de planter des essences forestières ou toute
autre ressource ligneuse, la mise en défens, la protection d’un biotope contre toute forme de
dégradation (feux de brousse, lutte contre le braconnage, etc.) en vue de sa régénération
naturelle, peuvent être considérées comme des activités ou opérations de mise en valeur.
Il résulte des développements qui précèdent un double constat. En premier lieu,
si pour les terrains agricoles, la rentabilité de l'exploitation constitue un critère déterminant
d'appréciation de la mise en valeur, pour les terrains à vocation écologique, ce critère apparaît
inopérant car les bienfaits de la préservation de l'environnement ne peuvent toujours pas être
évalués en termes économiques. En second lieu, en ce qu’elle prend en compte le recours ou
non à des techniques d’exploitation rationnelle, l’appréciation de la mise en valeur des terrains
objet d’un titre d’occupation apparaît plus rigoureuse que celle qui a cours pour les terrains
régis par la coutume. Alors que pour les terrains objet d’un titre d’occupation, l’usage de
techniques rationnelles d’exploitation ou de densification de l’espace apparaît déterminant,
pour les terrains coutumiers l’existence de cultures suffit pour constater la mise en valeur. Peu
importe la rentabilité de ces cultures dès lors que celles-ci sont réalisées en conformité avec
les usages coutumiers de la région concernée.
193-V. art.21 du décret-loi du 26 juillet 1932 relatif à la réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique
Occidentale Française : « Le titre foncier est définitif et inattaquable ; il constitue devant les tribunaux le point de départ
unique de tous les droits réels existant sur l’immeuble au moment de l’immatriculation ». Lapoyade-Deschamps (C) : le régime
foncier ivoirien (le système de l’immatriculation), RID 1989 /1-2/. Chantal BLANC : le foncier rural en C.I P 13.
M.BACHELET : Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique Noire, p.191, LGDJ 1968 ; APHING-KOUASSI (J) et
Albert LEY : note sous Cour suprême n° 17/74 du 22 février 1974, RID 1976 /3-4/, p5.
73
revendications194 et de faire expulser l’auteur de la mise en valeur irrégulière ; peu importe
que celui-ci ait été de bonne foi. Mais pour éviter un enrichissement injuste du bénéficiaire de
l’immatriculation qui a pris possession des constructions édifiées, la jurisprudence considère à
juste titre que les auteurs de bonne foi des mises en valeur effectuées sur le terrain d’autrui
ont droit au remboursement des impenses réalisées contra legem195.
En ce qui concerne les terrains non immatriculés, la question de la régularité de la mise
en valeur revêt toute son importance du fait même de la précarité des droits dont ils sont
l’objet. Même non immatriculés les terrains domaniaux peuvent faire l’objet d’attributions au
profit de particuliers. En milieu rural, ces attributions prennent la forme de certificats
fonciers196 auxquels il convient d’ajouter les concessions provisoires sous réserve des droits
des tiers (permis d’occuper)délivrées avant la réforme foncière du 23 décembre 1998.En milieu
urbain, sont concernés les titres d’occupation provisoire délivrés avant l’ordonnance du 02
juillet 2013 fixant les règles d’attribution de la propriété des terrains urbains (lettre
d’attribution, permis d’habiter).
Les titulaires des titres d’occupation sus-indiqués peuvent s’en prévaloir pour exiger
l’expulsion de tout autre occupant. En effet, la jurisprudence donne généralement gain de
cause à la partie qui produit une autorisation d’occupation antérieure à la mise en valeur.197
Mieux, elle considère comme irrégulière, la mise en valeur effectuée sur un terrain qui a été
ultérieurement attribué par l’autorité compétente à une autre personne. C’est notamment le
cas pour les attributions de terrains effectuées après déclassement d’une forêt classée198.
Cette solution jurisprudentielle qui s’applique à la fois aux terrains ruraux et urbains,
se justifie, depuis plusieurs décennies, par la nécessité de mettre fin à ces croyances paysannes
selon lesquelles la mise en valeur quel qu’en soit le lieu, peut conférer des droits sur la terre.
Elle trouve à l’origine son fondement dans les dispositions du défunt décret du 16 février 1971
relatif aux procédures domaniales et foncières199. Aux termes de l’article 1er de ce texte, toute
occupation de terrain pour être légale doit être justifiée par la concession d’un titre de
concession provisoire ou définitive ou à défaut d’une autorisation d’occupation à titre précaire
et révocable. Depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998, la légalité de l’occupation d’une
terre du domaine coutumier rural résulte soit du titre foncier, soit du certificat foncier.
En conséquence de ce qui précède il résulte que la mise en valeur est jugée irrégulière
dès lors que l’occupation en elle-même est illégale. Ce qui justifie la préférence accordée au
possesseur du titre d’occupation lorsque celui-ci est opposé à l’auteur d’une mise en valeur
irrégulière. Peu importe que cette mise en valeur soit antérieure ou postérieure à la délivrance
du titre d’occupation ; et peu importe la bonne foi de l’auteur de cette mise en valeur200.
Mais quid des mises en valeur effectuées sur les terrains ayant été attribués, hors
l’Administration, par les détenteurs fonciers coutumiers ? Sous l’empire du décret du 16 février
1971 précité, ces attributions étaient frappées de nullité201. Car, aux termes de l’article 2 de ce
décret, « les droits portant sur l’usage du sol, dits droits coutumiers sont personnels à ceux
qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ». Par ailleurs, dans un
contexte où la jurisprudence considérait que les terres non immatriculées appartenaient à
594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23
décembre 1998.
197 -Trib. de 1ère instance de Sassandra ; jgt n° 61 du 24 mai 1989, inédit ;jgt n° 40 du 23 mars 1988, inédit.
198 -CAA n° 430 du 21 mai 1982, C’cho Boni c/ Ossey Anou, inédit ; n° 462 du 28 mai 1982, AnguiBende c/ Eugène Kouadio,
inédit.
199 - Ce décret a été abrogé par le décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013 portant modalités d’application de l’ordonnance fixant
comme dans le cas des terrains immatriculés lui ouvrir droit à remboursement des impenses par lui effectuées et conservées
par le titulaire du titre d’occupation..
201 -Loi de finances n° 70-209 du 20 mars 1970 (articles 8 et 9), JORCI 1970 p. 577.
74
l’Etat, il ne pouvait en être autrement202. Dès lors que ces attributions étaient nulles, les mises
en valeur effectuées ne pouvaient être déclarées régulières203. C’est dans ce sens que s’était
prononcée la Cour d’Appel d’Abidjan en faisant droit à l’action en déguerpissement engagée
par le propriétaire foncier coutumier dont le terrain avait été cédé à son insu alors même que
le défendeur était de bonne foi. Mais dans la mesure où la mise en valeur effectuée profitait au
demandeur, la Cour avait exigé que soient remboursées au défendeur les impenses
effectuées . En fait, cette décision de la Cour d’Appel d’Abidjan confirme la reconnaissance
204
des tenures foncières coutumières telle qu’énoncée par le décret du 26 février 1971 précité.
Mais ici, à la différence des terrains attribués par l’autorité administrative, c’est moins la
régularité que la légitimité de l’occupation qui a déterminé l’issue du litige opposant le
détenteur coutumier de la terre à l’auteur de la mise en valeur. Depuis la loi n° 98-750 du 23
décembre 1998 relative au domaine foncier rural, cette légitimité est aussi reconnue aux
cessionnaires de terrains du domaine foncier rural coutumier. En effet, en vertu de l’article 3
de cette loi, le domaine foncier rural coutumier est constitué par l’ensemble des terres sur
lesquelles s’exercent, d’une part des droits coutumiers conformes aux traditions, d’autre part,
des droits coutumiers cédés à des tiers.
Pour les terrains urbains attribués sur la base d’attestations villageoises ou issus de
lotissements non approuvés, la légitimité de l’occupation l’emporte également sur la mise en
valeur réalisée par un tiers.
202 -CAA, n° 129 du 7 mars 1969, RID 1970 (1) p. 47 ; n° 158 du 24 février 1978, RID 1981 /1-2/, p. 51
203 -La pratique des Sous-préfets consistant à « légaliser » les signatures des parties ne pouvait rendre régulière la mise en
valeur effectuée par l’une des parties concernées.
204 -CAA, n° 262 du 9 avril 1976, RID 1981 (1-2) p. 52. CA de Daloa, n° 53 du 12 février 2012 ; n° 137/12 du 18 avril 2012,
inédits.
205 -Voir supra
206 -La loi du 12 juillet 1971 s’est substitué à la loi du 3 mai 1964 qui imposait des mises en valeur permanentes.
75
du titre d’occupation, la question de la permanence de la mise en valeur ne saurait se poser.
En revanche, elle se pose lorsqu’à l’expiration de ces délais, un abandon de l’exploitation est
constaté. Mais en pratique, le constat d’abandon, notamment en milieu rural, est difficile à
établir du fait d’une part, de la pratique des jachères, et d’autre part de l’insuffisance des
contrôles de mise en valeur des terrains immatriculés attribués.
Cette difficulté se pose dans les mêmes conditions pour les terrains non immatriculées
objet de concession provisoire, à cette différence près que le titulaire de la concession
provisoire, désireux d’accéder à la pleine propriété, est moins enclin à abandonner la mise en
valeur de son terrain. Mais si la réglementation en vigueur prévoit un délai de mise en valeur
des terrains concédés provisoirement207, délai pouvant permettre de constater ou non la
permanence de la mise en valeur, elle demeure muette relativement au délai de mise en valeur
des terrains objet d’un certificat foncier. Mais ce mutisme du législateur peut se comprendre
aisément. D’abord, le détenteur du certificat foncier est de toute façon tenu de demander
l’immatriculation de son terrain dans le délai de 3 ans208 à compter de la date d’obtention dudit
certificat, au risque de le perdre au profit de l’Etat209. Peu importe que le terrain concerné ait
été ou non mis en valeur. Ensuite, le constat de mise en valeur n’étant pas pour le titulaire du
certificat foncier une condition d’accès à la propriété immatriculée210, l’absence ou
l’insuffisance de mise en valeur ne saurait logiquement déterminer la perte de la propriété
certifiée. Dans ces conditions, il est permis de dire que l’obligation de mise en valeur qui est
mise à la charge du titulaire du certificat foncier n’a pas en réalité d’effets juridiques ; elle a
plutôt un fondement essentiellement économique.
Enfin, en ce qui concerne les terrains non immatriculés et ne faisant l’objet d’aucune
attribution, l’absence d’une obligation de mise en valeur à la charge des occupants (détenteurs
coutumiers ou non) rend encore plus improbable l’appréciation d’une condition de permanence
de la mise en valeur et explique l’existence d’importantes jachères inexploitées211.
En fait, il faut recourir ici à la jurisprudence pour admettre que la condition de
permanence de la mise en valeur concerne également les terrains coutumiers. Ainsi, la Cour
d’Appel d’Abidjan a pu juger que si le droit d’usage d’une terre coutumière doit être reconnu
à celui qui l’a occupé le premier et mise en valeur, ce droit ne saurait être reconnu à l’occupant
d’une parcelle qui, après l’avoir temporairement mise en valeur, a ensuite cessé toute
exploitation212.
Il résulte de ce qui précède que si la permanence de la mise en valeur constitue une
préoccupation des pouvoirs publics, son appréciation pose de sérieux problèmes pratiques.
Mais, en tout état de cause, lorsqu’une mise en valeur est régulière et permanente, elle confère
à son auteur des prérogatives foncières.
207 -Pour les terrains ruraux, ce délai est de 5 ans qui court à compter de la date de publication de la loi n° 2013-655 du 13
septembre 2013 portant prorogation du délai initial prévu par la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural. Pour les terrains urbains, le délai est également de 5 ans.
208 -Les délais de mise en valeur prévus jusqu’à ce jour dans la réglementation foncière vont de 5 ans (milieu urbain) à 10 ans
(Voir article 30 du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier
de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
210 -Infra p.
211 -En 1983, il a été recensé dans le Sud-ouest de la C.I, 238 962 ha de surfaces en jachères, soit 59% de la superficie totale
du domaine agricole de la région. Voir OUATTARA Niho et COFFI J-P : Rapport d’enquête sur les problèmes fonciers dans
le Sud-ouest ivoirien, mars 1991, P 12 et s. Certes, une circulaire de 1984 indique que les jachères ne doivent pas servir de
prétexte à une occupation stérile et constituer un procédé de blocage des terres au profit des occupants. Mais cette circulaire
qui ne rappelle que la nécessité de l’exploitation rationnelle des terres n’oblige nullement les occupants à mettre leurs terres
en valeur. Mieux, elle indique que les jachères doivent en principe être laissées à la disposition de ceux qui les ont défrichées
et cultivées.
212 -CAA n° 651 du 3 décembre 1976, RID 1981, /1-2/, p.49.
76
Sous-section 2- MISE EN VALEUR ET PREROGATIVES FONCIERES
Facteur générateur de prérogatives foncières, la mise en valeur lorsqu'elle est conforme au
cahier des charges et à la réglementation en vigueur donne naissance soit à un droit de
propriété foncière (Paragraphe 1), soit à un droit d'usage sur la terre (Paragraphe 2).
213 -Supra P ;
77
ivoirien sur les terres régies par le droit coutumier214. En d’autres termes, en reconnaissant la
propriété foncière coutumière à travers l’institution du certificat foncier, il a paru logique au
législateur de 1998 de mettre fin au primat de la mise en valeur sur l’antériorité de l’occupation
telle que consacrée par les tenures coutumières.
En milieu urbain, la volonté de l’Etat de faciliter l’accès à la propriété foncière, à travers
la délivrance d’arrêtés de concession définitive (ACD) a également motivé l’abandon de
l’exigence de la mise en valeur comme moyen d’y accéder. En effet, la procédure d’accès à la
propriété foncière urbaine telle que régie par les textes en vigueur215, ne fait aucune référence
à la mise en valeur. Au regard de cette procédure, pour l’obtention de l’arrêté de concession
définitive, le demandeur ne doit fournir à l’autorité compétente que les pièces justificatives de
son occupation foncière (lettre d’attribution, concession provisoire, etc.).
214-Voir Décret du 15 novembre 1935 portant réglementation des terres domaniales en A.O.F.
215- Ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 fixant les règles d’attribution de la propriété des terrains urbains et son décret
d’application n° 2013-482 du 2 juillet 2013.
216 -Loi n° 71-340 du 12 juillet 1971, réglementant la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété.
217 -Togo, Sénégal, Cameroun, Congo, Mali, etc. Voir FAO 1987 : la réforme du droit de la terre en Afrique francophone.
218 -Supra. P.
219 -décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières, JORCI 1971 P. 344.
78
n’éprouvent guère le besoin de recourir à une quelconque procédure administrative nécessitant
des démarches fastidieuses et onéreuses.220. Mieux, ils se sont toujours opposés à ce que les
allogènes qui occupent leurs terres aient recours à ces procédures. Pour toutes ces raisons, peu
de paysans disposent d’un titre d’occupation221.
Cette absence de titres d’occupation favorise l’insécurité foncière et est en partie à
l’origine des conflits fonciers opposant les autochtones aux auteurs de mise en valeur. Tandis
que les premiers revendiquent la propriété coutumière de la terre, les seconds ont toujours
excipé des prérogatives foncières résultant de la mise en valeur. C’est dans un tel contexte que
le Chef de l’Etat, dans le but de favoriser la mise en valeur des terres a pu déclarer que « ce
qui a été mis en valeur revient à celui qui a créé cette valeur »222. Autrement, dit (c’est le sens
que véhiculera le langage courant), la terre appartient à celui qui la met en valeur223.Si cette
déclaration a permis l’essor des cultures pérennes d’exportation, sources de devises pour le
pays, elle a en revanche accentué les antagonismes entre détenteurs coutumiers de la terre et
allogènes.
Du point de vue normatif, cette déclaration du Chef de l’Etat n’avait que valeur de simple
directive. Mais, interprétant cette déclaration du Chef de l’Etat, la jurisprudence a pu avant
l’avènement de la réforme foncière du 23 décembre 1998, reconnaître un droit d’usage aux
auteurs de mise en valeur des terres coutumières224. D’où le mécontentement des propriétaires
fonciers coutumiers qui craignaient à juste titre d'être dépossédés de leurs terres au profit des
allogènes et allochtones225.Ce mécontentement pouvait emprunter soit la forme d’actes de
destruction des mises en valeur réalisées par les nouveaux occupants, soit d’oppositions
farouches à l’application des décisions de justice défavorables aux propriétaires coutumiers226.
220 -Sarassoro (H) : le droit foncier ivoirien à la croisée des chemins, RID 1988 ; Droit foncier ivoirien, occupants et
propriétaires coutumiers, EDC n°1 avril 1987, p.125 ; Ouattara Niho et Coffi Jean-Paul, rapport d’enquête sur les problèmes
fonciers dans le Sud-ouest, P.95 ; Laurence Idot, rapport de synthèse relatif à la table ronde sur le droit foncier rural, EDC
1987, n° 1 avril 1987, P.125.
221 -Par exemple, concernant le département de Soubré, il n’a été délivré de 1986 à 1989que 67 titres juridiques (permis
d’occuper), soit une moyenne de 17 titres par an pour une population qui comprend des dizaines de milliers de paysans.
222
-Cette déclaration du Chef de l’Etat vise les terres coutumières, c’est-à-dire celles qui n’ont jamais fait l’objet d’une
attribution administrative. Ces terres représentent plus de 90% du territoire national.
223 -Supra p.
224 -C.S. n° 21 du 9 juillet 1971, RID 1972/73, /1-2/ p. 74 : « Celui qui occupe le terrain non immatriculé en le mettant en
valeur acquiert un droit de propriété coutumière, c’est-à-dire d’occupation et d’usage ». Voir dans le même sens : C.S. n° 3 du
7 février 1969, RID 1970 (1° ) p. 30 ; CAA, n° 129 du 7 mars 1969, RID 1970 (1) p. 47 ; n° 277 du 26 juin 1970, RID 1971 (2)
p. 55 ; n° 30 du 5 juin 1970, RID 1971 (3) p.60, n° 651 du 3 décembre 1976, RID (1-2) p.49.
225- Dans le sud-ouest par exemple, où 80 % environ des terres ont été mises en valeur par les nouveaux occupants, les
fréquents conflits fonciers constituent une menace pour la paix sociale. Ouattara Niho et Coffi Jean-Paul, op. cit.
226 -Diaby Keldi : études de cas, in actes du colloque sur le droit et l’accès à la terre, EDC spécial n°1 p.287.
227 - Voir dans ce sens la décision de la Cour d’Appel de Daloa qui indique que la mise en valeur n’est pas une condition
suffisante pour acquérir des droits coutumiers sur un terrain du domaine foncier rural. CA de Daloa, n° 08/12/ du 11janvier
2012. Inédit
228 Aux termes de l’article 23 de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, « le bien foncier objet d’un
79
valeur réalisées postérieurement à la réforme foncière du 23 décembre 1998, quid des mises en
valeur antérieures effectuées sur les terrains coutumiers ?
Sur cette question, la réglementation en vigueur dispose que la location entre le
détenteur du certificat foncier et l’auteur de la mise en valeur doit se conformer aux clauses et
conditions du bail emphytéotique229. Autrement dit, l’auteur de la mise en valeur devrait
bénéficier des privilèges reconnus à l’emphytéote avec la possibilité de jouir d’un droit réel.
Mais n’étant pas propriétaire au regard du régime foncier, le titulaire du certificat foncier ne
peut évidemment consentir le bail emphytéotique. C’est pour contourner cet obstacle que le
bail est accordé au metteur en valeur du terrain, par le Ministre chargé de l’Agriculture
représentant l’Etat, à la demande du titulaire du certificat foncier. Mais pour bénéficier des
droits résultant de ce bail, l’auteur de la mise en valeur doit être de bonne foi. A défaut de
l’accord préalable du propriétaire coutumier, cette bonne foi de l’occupant qui a mis le terrain
en valeur, avant la délivrance du certificat foncier, peut être établi par tout moyen.
Ainsi donc, alors que l’auteur d’une mise en valeur effectuée de bonne foi sur un terrain
objet d’un certificat foncier délivré ultérieurement, peut bénéficier de droits réels consécutifs
au bail emphytéotique, l’auteur d’une mise en valeur autorisée par le titulaire d’un certificat
foncier ne peut se prévaloir que d’un simple droit personnel de jouissance. La reconnaissance
de droits réels conférés sur la base du certificat foncier trouve son fondement dans la volonté
de l’Etat de tenir compte des nombreuses mises en valeur effectuées antérieurement à la
réforme foncière du 23 décembre 1998 par des occupants qui n’ont pas la qualité de
propriétaires fonciers coutumiers. Si cette solution qui s’apparente à un compromis permet de
protéger ces occupants dont certains ont réalisé des cultures pérennes (café, cacao, hévéa, etc.),
elle prive, pendant une longue période, les propriétaires coutumiers même titulaires d’un titre
de propriété230, de la jouissance de leur bien foncier. Dans ces conditions, si l’utilisation du bail
emphytéotique peut se concevoir pour l’Etat, il n’est pas évident, qu’elle convienne aux
particuliers dont les contraintes sont naturellement différentes.
229 -article 14 du décret n° 99-594du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier
de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
230 -La loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural accorde un délai de 3 ans au titulaire du certificat foncier
de Philippe Lavigne Delville, Camille Toulmin et Samba Traoré, P. 327, Karthala-URED 2000
232 -Tano Felix, op.cit.
80
Paragraphe 1- La fiscalité foncière urbaine
La fiscalité foncière urbaine s’applique aux immeubles urbains. Sont considérés comme
des immeubles urbains les « terrains situés dans l’étendue d’une agglomération déjà existante
ou en voie de formation et compris dans les limites des plans de lotissement régulièrement
approuvés ». Cette définition vise également les terrains non bâtis qui situés en dehors du
périmètre des agglomérations, sont destinés à l’établissement de maisons d’habitation,
factoreries, comptoirs avec leurs aisances et dépendances, lorsque lesdites constructions ne se
rattachent pas à l’exploitation agricole ».Les immeubles ainsi définis sont passibles de l’impôt
foncier et étaient avant le 1er janvier 2008 frappés d’une multitude d’impositions233.
Des exonérations temporaires ont été accordées pour les immeubles bâtis appartenant
à certaines entreprises, en tenant compte des contraintes liées au conflit armé de 2011, de leur
secteur d’intervention et du caractère social de leur affectation237.
Pour les immeubles urbains non bâtis improductifs de revenus, l’impôt est assis
sur la valeur vénale des terrains non bâtis au premier janvier de l’année d’imposition. Il faut
entendre par valeur vénale, la valeur de l’immeuble eu égard à sa situation présente et au prix
que l’on tirerait de sa vente.
233 -contribution foncière des propriétés bâties, contribution foncière des propriétés non bâties, surtaxe foncière sur les
propriétés insuffisamment mises en valeur, taxe des biens de mainmorte, taxe sur le revenu net des propriétés bâties, taxe sur
la valeur vénale des propriétés non bâties, taxe de voierie et d’hygiène, taxe d’assainissement, contribution nationale.
234 -Voir annexe fiscale à la loi n° 2004-271 du 15 avril 2004 portant loi des finances pour la gestion 2004 (article 23).
235 -Voir l’article 17 de l’annexe fiscale à la loi de finances pour la gestion 2007. Cette réforme est applicable depuis le 1 er
janvier 2008.
236- Articles 149 à 179 bis et 305 à 309 du Code Général des impôts.
237 -Article 158 bis du Code Général des impôts.
81
La valeur vénale des terrains situés à l’intérieur d’une agglomération est fixée pour une
période d’imposition de trois ans238, au cours du 2ème trimestre de l’année précédant ladite
période par des commissions communales mises en place par arrêté du Ministre chargé des
finances. Mais lorsque le terrain est situé en dehors d’une agglomération, le Code Général des
impôts prévoit deux méthodes de calcul. La première consiste à fixer la valeur vénale par voie
de comparaison au moyen d’actes translatifs de propriété des terrains imposables ou des
terrains voisins. La seconde qui découle de l’impossibilité d’utilisation de la première, est faite
par voie d’estimation directe. Qu’ils soient situés ou non à l’intérieur d’une agglomération, les
immeubles urbains non bâtis sont imposés à 1, 5% de leur valeur vénale, à l’exception des
immeubles qui sont l’objet d’une exemption permanente ou temporaire accordée par le Code
Général des Impôts239.
Sont imposables à l’impôt sur le patrimoine foncier des propriétés bâties le propriétaire
ou le possesseur au premier janvier de l’année d’imposition, l’usufruitier, l’emphytéote et le
preneur de bail à construction. Pour les propriétés non bâties, sont concernés, le propriétaire,
le concessionnaire, le détenteur d’un droit de superficie, l’usufruitier et l’emphytéote.
Pour le recouvrement de l’impôt sur le patrimoine foncier, les propriétaires sont tenus
chaque année de souscrire une déclaration au service d’assiette des impôts au lieu de situation
de l’immeuble, déclaration qui doit se faire, pour les propriétaires personnes physiques, entre
le 1er octobre et le 15 novembre de chaque année, et pour les propriétaires personnes morales,
au plus tard le 31 janvier. A cet effet, le débiteur légal de l’impôt peut bénéficier de mesures
d’assouplissement et d’allègement lui permettant de payer ses impôts en plusieurs tranches240.
Mais il peut arriver que le débiteur légal ne puisse être atteint. Dans ce cas, l’impôt est exigible
de tout locataire ou sous-locataire jusqu’à concurrence de la somme due par lui au débiteur
légal.
238 -Cette valeur vénale était antérieurement fixée pour chaque année d’imposition, au cours des deux derniers mois de l’année
précédente. Ce mode de fixation a été abandonnée en raison de l’irrégularité ou de l’absence de réunions des Commissions
créées à cet effet ;
239-Voir articles 162 à 163 bis du Code Général des impôts : Il s’agit notamment des terrains faisant l’objet d’une interdiction
de construction ou de jouissance, des terrains non productifs de revenus appartenant à l’Etat et aux collectivités territoriales,
des terrains à usage scolaire, des terrains bornés concédés ou attribués durant l’année d’acquisition et les deux années
suivantes, des entreprises bénéficiant de mesures d’incitation liées au conflit armé de 2011, des entreprises agrées au régime
fiscal en faveur des grands investissements dans l’habitat, etc...
240 -Pour le débiteur personne physique, le paiement peut se faire en quatre tranches égales, au plus tard le 15 mars, le 15 juin,
le 15 septembre et le 15 décembre de chaque année. Pour le débiteur personne morale, le montant est payé en deux fractions
égales au plus tard le 15 mars et le 15 juin de chaque année (Voir annexe fiscale à loi de finances pour la gestion 2013). Un
allègement se traduisant par une réduction de 25% est accordé au débiteur personne physique dont le paiement intervient au
plus tard le dernier jour du trimestre.
241 -La clé de répartition est la suivante : 35% pour les Communes, 30% pour les régions, 10% pour les organismes
d’assainissement et 25% pour les organismes de gestion et traitement des ordures (Voir annexe fiscale à la loi des finances
pour la gestion 2013).
242 -Article 151 du Code Général des impôts.
82
l’impôt sur le revenu foncier les immeubles bâtis énumérés par le Code Général des impôts, en
son article 151243.
L’impôt sur le revenu foncier est calculé sur la base de la valeur locative de l’année
précédente des propriétés mises en location, en tenant compte le cas échéant, de la valeur
locative des sols, des bâtiments de toute nature et des terrains formant une dépendance
indispensable et indirecte des constructions concernées. La valeur locative correspond au prix
que le propriétaire retire de l’immeuble lorsqu’il le donne à bail, ou, s’il l’occupe lui-même,
celui qu’il pourrait en tirer en cas de location. Elle est déterminée selon les procédés indiqués
par le Code Général des Impôts244.
Le taux de l’impôt sur le revenu foncier est fixé à 4% de la valeur locative des
immeubles productifs de revenus. Cet impôt est payé suivant les cas, par le propriétaire245, le
possesseur, l’usufruitier, l’emphytéote, le locataire du bail à construction ou le bailleur lorsque
celui-ci perçoit un loyer.
L’impôt sur le revenu foncier est recouvré suivant les mêmes modalités que l’impôt sur
le patrimoine foncier. Cependant, à la différence de l’impôt sur le patrimoine foncier, le produit
de l’impôt foncier sur le revenu est reversé intégralement au budget de l’Etat.
Quant à la taxe d’habitation, elle est assise sur les propriétés bâties passibles de l’impôt
foncier à un taux forfaitaire de 20 000 francs CFA par an. Elle est due par les personnes
physiques ou morales occupant les immeubles d’habitation ou professionnels en qualité de
propriétaires ou locataires. Sont exonérés de cette taxe les immeubles exemptés de l’impôt sur
le revenu foncier et de l’impôt sur le patrimoine foncier de même que les habitations à loyer
modéré246
Les prélèvements et taxes assimilées sont perçus dans les mêmes conditions et suivant
les mêmes procédures, sanctions et sûretés que l’impôt sur le revenu foncier et l’impôt sur le
patrimoine foncier.
Il résulte de ce qui précède que la fiscalité foncière urbaine vise le bien foncier à travers
soit sa valeur locative, soit sa valeur vénale. Mais, il ne suffit pas de fixer l’assiette et le taux
de l’impôt ; il faut aussi le recouvrer pour favoriser l’amélioration des conditions de
243 -Il s’agit principalement des immeubles bâtis appartenant à l’Etat, aux Collectivités publiques ; des immeubles bâtis à
caractère social ou sportif lorsqu’ils sont improductifs de revenus.
244 -Voir article 153 du Code Général des Impôts : « la valeur locative est déterminée au moyen de taux authentiques ou de
locations verbales passées dans des conditions normales. En l’absence d’actes de l’espèce, l’évaluation est établie par
comparaison avec des locaux dont le loyer aura été régulièrement constaté ou sera notoirement connu. Si aucun de ces
procédés n’est applicable, la valeur locative est déterminée par voie d’appréciation directe : évaluation de la valeur vénale,
détermination du taux moyen d’intérêt des placements immobiliers de la région considérée pour chaque nature de propriété,
application du taux d’intérêt à la valeur vénale. La valeur vénale des biens imposables peut être déterminée par les services
compétents de la Direction Générale des Impôts, par tous moyens, notamment le recours à des experts immobiliers privés ».
245 -Le propriétaire imposable est celui figurant comme tel au 1 er janvier de l’année d’imposition.
246 -L’habitation à loyer modéré est définie comme celle dont l’abonnement à un concessionnaire de service public de
distribution d’électricité relève de la tranche sociale (V. article 308-2 nouveau du Code Général des impôts).
83
fonctionnement des services publics. Or, au regard de l’ensemble des recettes fiscales perçues
annuellement, le niveau de recouvrement de l’impôt foncier reste encore faible.
247 Catherine Araujo Bonjean et Gérard Chambas : Taxe foncière rurale : quelles perspectives en Afrique subsaharienne ? in
Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale, sous la direction de Philippe Lavigne Delville, P. 351, Karthala 1998.
248 - L’assiette de l’impôt est constituée par la superficie du terrain planté déterminée par hectare. Sont exclus les superficies
des espaces non plantées. Il ne s’agit donc pas d’un véritable impôt foncier mais d’un impôt sur l’activité agricole. Le produit
de l’impôt sur les exploitations agricoles est réparti comme suit : 30% pour les Communes, 60% pour les régions et 10% pour
l’Etat.
249 -Albert Leyop.cit.p. 361
250Chantal Blanc : Le foncier rural en Côte d’Ivoire, étude réalisée pour la direction du développement rural, Ministère du
Le plan foncier rural est une opération qui consiste en une vaste enquête foncière menée en zone rurale sur la base de photos
aériennes, complétées par des enquêtes au sol. Il a pour objectif d'établir une cartographie du territoire national en précisant
les limites foncières à l'intérieur de chaque terrain villageois et en recensant pour chaque parcelle identifiée l'ensemble des
droits qui s'y exercent et les détenteurs de ces droits. Le plan foncier rural qui a connu une phase pilote dans certaines
régions du pays (Korhogo, Beoumi, Daloa, Abengourou et Soubré) vise à faciliter le règlement des conflits fonciers, constituer
une base pour l'aménagement et la gestion des terroirs villageois, favoriser l'entretien du patrimoine foncier, faciliter l'accès
au crédit. Voir Jean-Pierre Chauveau, Pierre-Marie Bosc et Michel Pescay : le plan foncier rural en Côte d’Ivoire : in quelles
politiques foncières pour l’Afrique rurale, op.cit. p. 553. Les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, in
quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale, op.cit.
84
s’exercent des droits de propriété. Par ailleurs, les implications juridiques des premiers
résultats obtenus à travers le plan foncier rural n’ont pas été définies par l’Etat, nonobstant
une étude réalisée à cet effet252. Ce qui rend difficile, pour l’instant, la prise en compte de ces
résultats par la réglementation foncière.
Malgré toutes ces contraintes, le législateur a opté pour une fiscalisation du foncier
rural à travers la réforme foncière du 23 décembre 1998.
252 -Cabinets Klein-Goddard et N’goran-Dié-Kouakou, 1996, Etude juridique et administrative du plan foncier rural, Abj.,
Côte d’Ivoire.
253 -Supra. P.
254 -Plus de 15 ans après l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, très peu de
certificats fonciers ont été délivrés au point où pour éviter que l’Etat ne redevienne propriétaire par l’application de la théorie
des terres sans maître, le législateur a dû proroger de 10 ans le délai initialement accordé aux populations pour demander le
certificat foncier ( V. loi n° 2013-655 du 13 septembre 2013). La réticence des populations est en partie à l’origine de cette
situation. Il faut donc craindre que l’imposition de la propriété certifiée ne vienne accentuer cette réticence des populations.
255-En termes de pourcentage de terrains immatriculés, sur une superficie du domaine foncier rural évaluée à 23 000 000
d’hectares, 460 000 hectares seulement ont été immatriculés, soit 2%. Sources du Ministère de l’Agriculture 2010.
256 -Source du Ministère de l’Agriculture.
85
a été recensé en 1983, 238 962 hectares de jachères improductives, soit près de 60% du domaine
agricole de cette région257.
A l’examen des données chiffrées, il ressort que 248 concessions définitives seulement,
ont pu être délivrées par l’Etat contre 817 certificats fonciers258. En termes de pourcentage de
terrains immatriculés, sur une superficie du domaine foncier rural évaluée à 23 000 000
d’hectares, 460 000 hectares seulement ont été immatriculés, soit 2%. Par ailleurs, la taxe
annuelle due au titre du bail emphytéotique reste très modique259. Il en résulte que quels que
soient l’assiette, le taux et la base d’imposition choisis par l’Etat, la moisson fiscale risque pour
l’instant d’être bien faible en milieu rural. Mais loin d’être dissuasif, ce constat doit au contraire
amener l’Etat à accélérer le processus d’immatriculation des terres rurales. Il s’agit de
favoriser non seulement la sécurité foncière mais aussi la capitalisation du fonds de terre.
86
TITRE II
LES TRANSMISSIONS DES DROITS FONCIERS
La terre peut être transmise par son titulaire de son vivant. On parle de transmission
entre vifs ou cessions de terres (chapitre 1). Elle peut aussi être transmise à cause de mort : les
successions (chapitre 2).
87
CHAPITRE 1- LES TRANSMISSIONS ENTRE VIFS OU CESSIONS DES
TERRES
Il y existe deux types de transmission d’un droit entre vifs ou cessions : Les cessions
volontaires (section 1) et les cessions forcées (section 2).
A- La réalisation de la donation260
Pour désigner les actes à accomplir afin qu'une donation soit pleinement et définitivement
réalisée, des conditions de formes (1) et de fond (2) doivent être respectées.
88
2- Les règles de fond261
La donation est soumise à des règles dont les unes sont communes à elle et au testament,
d'autres lui sont particulières. Le but de ces dernières est de protection, car la donation est un
acte dangereux, puisqu'elle appauvrit. Il faut protéger le donateur lui-même, dont la capacité
est réduite ; protection de sa famille, victime indirecte de sa générosité.
Il faudrait parler aussi de la protection d'autres victimes éventuelles : les créanciers du
donateur, qui, par suite de donations, risquent de se trouver en face d'un insolvable. Mais il
suffira de rappeler que si l'action paulienne ne permet de révoquer les aliénations à titre
onéreux du débiteur qu'en prouvant la complicité frauduleuse de l'acquéreur (qui lutte pour
éviter un dommage), elle atteint les aliénations à titre gratuit sans que pareille preuve soit
exigée (parce que l'acquéreur lutte pour conserver un profit). Cette règle, déjà admise par les
Romains, a été reprise par les Glossateurs. Elle a passé rapidement en droit coutumier', et de
là au droit moderne.
La donation est aussi parfois un acte suspect, car un geste aussi inattendu peut amener à
s'interroger sur les véritables raisons qui l'inspirent, et sur les contreparties qu'il peut
comporter. La protection qui sera en cause alors s'apparentera à celle de l'ordre public et des
bonnes mœurs.
Aussi donc, en droit ivoirien, le donateur doit-il être sain d’esprit et majeur ou mineur
émancipé (article 8 de la loi relative aux donations et aux testaments). Et pour le destinataire,
il suffit d’accepter262 la donation.
Cependant, le donataire doit, pour la personne physique, être conçu au moment de la
donation, puis naître vivant et viable. Et pour les terres du domaine foncier rural, avoir la
nationalité ivoirienne263. En ce qui concerne les personnes morales, donataires, seules les
collectivités publiques ivoiriennes et l’Etat peuvent l’être pour les terres du domaine foncier
rural (article 1er de la loi relative au domaine foncier rural).
Quid la consistance des portions des biens disponibles ?
Les terres ne peuvent être cédées à titre gratuit que si leur valeur ne dépasse pas ¼ des biens
du disposant quand ce dernier a des enfants ou des descendants. A défaut d’enfant ou de
descendant, et s’il a des frères et sœurs ou descendants d’eux, des ascendants ou conjoint
survivant, la valeur des biens cédés ne doit pas excédée la moitié des biens. (Article 11 et
suivants de la loi relative aux donations et aux testaments). Autrement, l’on procède à la
réduction des donations (articles 16 et 17).
La tendance naturelle de celui qui a donné, et qui vient à en éprouver des regrets, est de se
dire qu'après tout, il ne devait rien, et de se croire moralement fondé à reprendre. S'il avait
seulement promis de donner, sans l'avoir réalisé effectivement, il pensera que sa promesse
n'était qu'un projet, et qu'elle ne le lie pas.
Le droit ne peut pas toujours admettre la seconde attitude, et il ne peut jamais accepter la
première. L’irrévocabilité des donations comporte en Côte d’Ivoire un principe et admet des
exceptions.
261Idem, p.1415
262
La donation entre vifs n’engagera le donateur, et ne produira aucun effet, que du jour qu’elle aura été
acceptée en termes exprès (article 27 de la loi relative aux donations et aux testaments). Les donations faites au
profit des collectivités publics ou des établissements d’utilité publiques, seront acceptées par les administrateurs
de ces collectivités ou établissements, après y avoir été dûment autorisés (article 31).
263
Exception à cette règle, l’article 26 de la loi relative au domaine foncier rural qui dispose : «
264Histoire du droit civil, p. 1422
89
1. Le principe
Une fois transmis, que ce soit à cause de donation ou à un autre titre, les biens appartiennent
à l'acquéreur, qui peut les transmettre à son tour. Ils ont définitivement échappé au donateur.
2. Les exceptions
La loi du 7 octobre 1964 relative aux donations et testaments admet la « révocation »
de la donation en ses articles 45, 46, 47, 48, 49 et 50 lorsque la cause pour laquelle elle a été
faite a disparu notamment, pour inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite
et pour cause d’ingratitude.
Le marché foncier est très prospère actuellement en Côte d’Ivoire (B). Ceci est dû à un certain
nombre de facteurs (A).
1- En milieu rural
« La terre est très recherchée actuellement. La vente des terres s’est maintenant généralisée
dans notre contrée. Elle ne concerne pas uniquement les terres urbaines. Les terres rurales
265 G. CIPARISSE, p. 90
266 G. CIPARISSE, p. 91
90
n’échappent pas à cet événement. La terre est vendue un peu partout. La vente des terres
rurales est en réelle expansion dans les territoires de l’ouest ivoirien et au sud.
Ces facteurs peuvent relever des gestionnaires coutumiers ou des attributaires coutumiers des
terres.
Le développement des activités agropastorales et la précarité des conditions de vie des chefs
de terres sont les facteurs les plus cités comme à la base de l’émergence du marché des terres
rurales.
Les chefs de terre sont pauvres. Ils n’arrivent à payer les factures de soins médicaux, la dot,
les frais de mariage, les frais de funérailles, etc. Ils aiment aussi « manger ». C’est pourquoi ils
vendent la terre. ».
91
A- Les procédures et conditions foncières légales
Suivant la loi de 1998 et ses décrets d’application (n*99-593, n*99-594 et n*99-595 du 30
octobre 1999), la procédure de constatation des droits sur le domaine foncier rural coutumier
se réalise en deux étapes. Une première qui consiste à établir les droits coutumiers(1), et une
deuxième qui tend à les traduire en droits légaux afin d’en permettre la transmission(2).
1- L’enquête préliminaire
Le législateur prévoit le déroulement de l’enquête(b), ainsi que les structures habilitées à la
mener(a).
- Il y a six (6) représentants de l’Etat, qui représentent chacun son ministère de tutelle. Il y
a donc un représentant des ministères de l’agriculture et des ressources animales, de
l’environnement et de la forêt, du logement et de l’urbanisme, des infrastructures
économiques, ainsi, qu’un représentant du service du cadastre, et le sous-préfet. Ce dernier
préside le comité, avec une voix prépondérante, en cas de partage égal des voix. Le
secrétariat est assuré par le représentant du ministère de l’agriculture.
268 PESCAY M., Une nouvelle donne pour le foncier rural en Côte d’Ivoire ? Eléments d’analyse des choix de la Loi de Décembre 1998,
de ses novations et de ses risques, Cirad-TERA, Septembre 1999/Avril 2000
269 AKA A., Vers de nouvelles dynamiques entre loi et coutume ? Comparaison des nouvelles politiques nationales de gestion du foncier
et des ressources naturelles en Côte d’Ivoire et à Madagascar, Rapport de terrain réalisé à Aboisso, Cirad- université Panthéon-
Sorbonne, Juil.- Oct. 2003
92
fonction essentielle est directement liée à la procédure d’établissement des droits fonciers. En
effet, leur rapport valide ou invalide les enquêtes officielles de constat des droits coutumiers.
C’est sur la base de ce rapport que les préfets de département prendront la décision finale de
reconnaissance ou non de la détention coutumière.
b- Le déroulement de l’enquête
Elle se déroule en Cinq phases :
L’intention expresse d’établir les droits fonciers :
- Soit par une demande individuelle ou collective (de la communauté villageoise), adressée
au sous-préfet.
- Soit par la mise en œuvre d’un programme public d’intervention
93
- Un « procès-verbal de publicité » est dressé, à partir duquel le comité villageois de gestion
foncière établira le « constat d’existence continue et paisible de droits coutumiers ».
- Le dossier foncier constitué, la validation finale est alors effectuée par le comité de gestion
du foncier rurale de la sous-préfecture, suivie d’une notification au prétendant coutumier,
et d’une transmission à la direction départementale du ministère de l’agriculture.
L’enquête constatant l’existence « continue et paisible » des droits coutumiers, donne lieu à la
délivrance d’un certificat foncier.
270CHAUVEAU J-P., La nouvelle loi sur le domaine foncier rural : formalisation des « droits coutumiers » et contexte socio- politique
en milieu rural ivoirien, IRD, Septembre 2000
94
compter de la date d’acquisition du certificat foncier. La procédure a été étudiée plus haut. On
notera seulement que le processus d’immatriculation, dans sa forme définitive, produit donc
nécessairement, l’individualisation de la terre, et lui donne une valeur marchande, qui vient
contredire la définition traditionnelle de la terre coutumière.
En ce qui concerne les conditions de forme physique, outre l’Etat et les collectivités
territoriales, l’acquéreur doit être une personne physique et non morale. Il est donc interdit à
toute société, association ou structure coopérative ne répondant pas de l’Etat ou des
collectivités territoriales d’acquérir en pleine propriété une terre du domaine foncier rural.
Ceci pour éviter aux autochtones d’être dépossédés trop grandement et trop rapidement par
des structures privées dotées de grands moyens financiers.
La condition de nationalité quant à elle, est stipulée à l’article premier de la loi : « seuls l’Etat,
les collectivités publiques et les personnes physiques ivoirienne sont admis à en être
propriétaires ».
Cette disposition qui paraît proche du principe d’autochtonie régissant la plupart des coutumes
foncières, est reçue selon Chauveau avec beaucoup d’enthousiasme chez les populations
autochtones rurales. Il estime en effet que « Du point de vue des autochtones, le principe de la
substitution (par le système de location) des droits acquis par les non autochtones à la suite
des transactions coutumières ne peut être que bien accueilli. »271.
Face à une grave pénurie de terres exploitables, et à la frustration accumulée avec la
colonisation agraire, cette disposition intervient, en même temps que celle sur la
reconnaissance des droits coutumiers, comme un nouveau départ entre l’Etat et le monde
paysan autochtone. La condition de nationalité vient, en effet, résoudre une question
extrêmement importante aujourd’hui pour les autochtones : pourront-ils récupérer les
immensités foncières cédées sur demande du gouvernement ou sur accord personnel à des
populations allochtones ?
La loi leur répond « oui ». Non seulement, les transactions passées en dehors du Droit sont
considérées comme régis par la coutume, mais les allogènes ne pourront que s’y plier puisque
la loi ne leur permet pas d’accéder à la propriété.
« La méconnaissance et le détournement des procédures foncières légales. La diversité et la
complexité des instruments du droit foncier moderne sont à la base de multiples malentendus
et de pratiques confligènes »272.
271Elle écarte en effet une fraction importante de prétendants fonciers CHAUVEAU J-P., La nouvelle loi sur le domaine foncier
rural : formalisation des « droits coutumiers » et contexte socio- politique en milieu rural ivoirien, IRD, Septembre 2000
272Kobo, la question foncière, …
273Chauveau compare cette location à « prix fixe », à celle réalisée par les détenteurs coutumiers et au caractère aléatoire du
« tutorat ». CHAUVEAU J-P., La nouvelle loi sur le domaine foncier rural : formalisation des « droits coutumiers » et contexte socio-
politique en milieu rural ivoirien, IRD, Septembre 2000
95
contenter d’une location, qui peut prendre les allures de bail emphytéotique et s’étendre sur
plusieurs décennies.
Le concessionnaire d’une terre de l’Etat la gère librement. Cependant, le détenteur d’une
concession provisoire ne peut la transférer. Il ne peut la céder directement, ni la sous-louer.
Les concessions se transfèrent par l’administration, sur demande expresse du cédant, et sans
que ce transfert puisse constituer une violation des droits des tiers. Un délai maximum de trois
ans est fixé au concessionnaire, après le délai de mise en valeur qui est de cinq ans, pour
consolider ses droits. Passé ce délai, la terre retourne dans le domaine de l’Etat, après constat
par acte administratif.
Les non ivoiriens ont aussi la possibilité de signer avec un propriétaire terrien un contrat de
location simple ou un contrat de bail emphytéotique. Cependant, si la loi précise en son article
23 que les bases d’estimation des loyers du domaine foncier rural de l'État sont fixées par la
loi de finances, elle se contente d’envisager, pour ce qui concerne les loyers des terres rurales
des personnes privées, des contrats de location accordés à l’occupant « de bonne foi », par le
propriétaire privé. En réalité, cette absence de précision est tout à fait compréhensible dans la
mesure où la valeur des terres diffère d’un endroit à un autre, et qu’un contrat entre personnes
privées, nécessite une certaine liberté des parties. Cependant, Chauveau prévoit que la location,
entre personnes privées, des terres rurales sera soumise, pendant longtemps encore, à des
clauses sociales fortes. Il n’exclut pas en effet, le maintien du « tutorat » et du « devoir de
reconnaissance »274.
Par ailleurs, il considère que l’État étant le concurrent direct des propriétaires privés, par
rapport à la location des terres rurales, le caractère fixe des prix proposé par ce dernier, va
provoquer « un différentiel de coût d’opportunité », ayant pour conséquence de « susciter un
marché officieux et clandestin de la location » et de la sous-location.
Il propose donc que l’Etat réglemente le prix de ses concessions, en tenant compte des
pratiques locales en matière de fixation du montant des loyers.
Car, si l’objectif de l’Etat est l’instauration et la généralisation de la propriété privée, celle-ci
ne peut-être consolidée qu’avec l’approbation et la participation des populations rurales.
En effet, les suites de la loi de 1998 dépendent, en réalité, non seulement de la manière dont
les différents types d’acteurs vont y réagir, mais aussi de la capacité de l'État à régir la situation
sociopolitique délétère du pays. Cependant, 15 ans après sa promulgation, l’application de la
loi en est encore à ses prémices. Et alors même qu’il est de plus en plus question d’une nouvelle
loi, la gestion du foncier rural reste aux mains de ceux qui peuvent s’imposer, cédant ainsi la
force du Droit au droit de la force.
Le même désordre règne par ailleurs dans la gestion du foncier urbain, même si celui-ci semble
moins explosif que le foncier rural.
B- Les pratiques
Un grand nombre de pratiques foncières contemporaines ne sont ni purement
"traditionnelles", ni purement "modernes" et légales : parfois qualifiées "d'intermédiaires", ces
pratiques sont métissées275 et elles s'épanouissent "à l'ombre du droit moderne" (Hesseling),
ou encore à la marge des lois de l'Etat. Ne se conformant pas aux procédures formelles du droit
positif, ces pratiques qui semblent ignorer les lois sont cependant tolérées et même légitimées
par l’administration276, et cela de manières très diverses.
Pour ce qui concerne l'administration, on connaît combien elle rechigne à inscrire ses actions
96
dans le cadre tracé par la légalité. Dans les matières qui nous occupent, si dans ses opérations
et ses décisions, les administrations concernées invoquent la réglementation foncière et
d'urbanisme, elles ne se confinent pas pour autant toujours à ses prescriptions, normes et
procédures. Celles-ci, ressenties comme des contraintes ou jugées inadaptées par une
administration sûre de sa vérité technocratique et convaincue de servir l'intérêt général, sont
généralement réinventées ou écartées. Autrement dit, les procédures et les normes
qu'empruntent l'administration ou qui fondent la plupart de ses décisions et opérations
ressortissent moins de la réglementation officielle édictée par les lois et règlements que de ses
propres pratiques ou créations. Celles-ci procèdent de l'interprétation ou de la recréation des
textes légaux qui, faute d'être contestés en arrivent à recueillir l'opiniojuris et à être le droit
que l'administration impose aux administrés »277.
97
mises à leur disposition, le plus souvent sans aucune contrepartie financière ; selon eux, on ne
peut donc dans ces cas parler de vente de terre. Le problème lié à la vente est un phénomène
récent apparu lorsque certains migrants, notamment baoulés, qui considéraient s'être octroyés
légalement ces terres « ont commencé à vendre les terres à leurs parents qui arrivaient,
arguant que les parcelles qui leurs ont été cédées leur ont été vendues. Par conséquent, voyant
donc que les allochtones et certains allogènes se constituaient de l'argent avec les terres qu'ils
leur avaient cédées, les autochtones se sont mis à vendre eux aussi la terre. En clair, pour
certains autochtones, ce sont les « étrangers » qui les premiers se sont mis à vendre les terres
à leurs « compatriotes ». Les autochtones n'ont commencé cette pratique que bien après, pour
aussi tirer partie de la manne que représentait finalement «la vente des terres »279.
On le voit, la vente des terres rurales est conclue suivant un long processus. Le plus souvent,
il s’agit d’une transformation des conventions foncières coutumières en une cession définitive
de la terre. En d’autres termes, la terre est d’abord acquise en coutume ; elle est ensuite
enregistrée auprès des administrations territoriales et foncières après être purgée des
différents droits coutumiers et paysans
Les « ventes et donations » coutumières réalisées avant la loi du 23 décembre 1998 portant
réforme foncière, sont censées n’avoir jamais existé. Même la théorie des droits acquis ne
saurait ici être valablement invoquée par les « acheteurs et donataires » car les droits des
prétendus cessionnaires n’ont pu prendre naissance. Pour éviter les préjudices pouvant
découler de cette situation, le décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 a prévu au profit des
occupants cessionnaires une location aux clauses et conditions du bail emphytéotique. Ce bail
est consenti par l’Etat sur la demande écrite du titulaire du certificat foncier.
Or suivant l’Article 2. - Les droits portant sur l'usage du sol, dits droits coutumiers, sont
personnels à ceux qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit.
Nul ne peut se porter cessionnaire des dits droits sur l'ensemble du Territoire de la
République.
279 II Interpeace, Dynamique et capacités de gestion des conflits à l’Ouest de la Côte d’Ivoire, Abidjan, GAMACI, p. 29
98
des lieux qui situe sur l’état initial du terrain à lotir ; ainsi qu’un dossier constitué en vue
de l’immatriculation globale du terrain à lotir.
- Le ministre de la construction et de l’urbanisme est en charge de l’instruction du dossier
de lotissement. C’est donc à lui qu’est adressé le dossier de demande de lotissement.
- Une enquête de commodo et incommodo d’une durée de 30 jours s’ouvre dans la
collectivité concernée par le lotissement.
- Le service concerné de la collectivité fait parvenir le procès-verbal de la réunion de la
commission mixte de lotissement au ministère chargé de l’urbanisme qui procèdera à
l’immatriculation du périmètre à lotir et prendra un arrêté d’approbation du lotissement.
Il faut signaler que depuis la loi de 2003, c’est le district et les communes hors des districts
qui sont en charge non seulement de délivrer les lettres d’attribution, les arrêtés de concession
provisoire mais aussi d’initier, d’’élaborer et de mettre en œuvre les projets de lotissement
(article 22 du décret d’application n°2005-261de la loi de n°2003-208).
Dans la procédure usitée, une fois le lotissement approuvé par arrêté d’approbation du ministre
de la construction et de l’urbanisme, les lots sont attribués aux ayant-droits sur la base des
droits coutumiers. Munis ou non d’une attestation coutumière, ces détenteurs de droits
coutumiers vont alors alimenter le marché foncier en proposant à la vente un ou plusieurs lots.
Les éventuels acquéreurs vont, pour l’immense majorité, conclure directement la vente avec
les vendeurs de droits coutumiers, en présence ou non du chef de village. Ils pourront ensuite
obtenir après paiement d’une somme forfaitaire variant selon les villages de 75 000 FCFA à
250 000 FCFA, une attestation villageoise de reconnaissance de vente ou de propriété avec
laquelle ils se rendront au service de la conservation du ministère de la construction et de
l’urbanisme. Ils iront alors s’assurer grâce au double du registre villageois tenu par
l’administration que la parcelle n’a pas déjà fait l’objet d’une attribution administrative. Ils
pourront aussi, grâce à l’attestation, engager la procédure administrative en vue d’obtenir un
titre foncier.
Le constat de la mise en valeur. Depuis l’Annexe fiscale à la loi de Finances pour la gestion
2005, le demandeur d’un Certificat de propriété n’est plus tenu de mettre au préalable son
terrain en valeur. Pour obtenir son Certificat de propriété ou Concession définitive, il lui faut
uniquement payer le prix de cession du terrain dans un délai de six (6) mois et formuler la
demande d’obtention du Certificat de propriété du terrain dans un délai de deux (2) mois à
compter de la date de paiement du prix de cession.
99
L’octroi du Titre foncier
De cette procédure qui cumule transaction foncière entre particuliers et intégration d’espaces
villageois dans le territoire urbain, trois remarques substantielles sont à noter.
La troisième remarque concerne d’ailleurs la transaction foncière entre particuliers qui est
censée se réaliser devant notaire selon l’article 5 du décret de 1971. C’est ce dernier qui opère
la transition des droits de propriété du vendeur à l’acquéreur. Cela suppose donc que le
vendeur qui est aussi le propriétaire ou qui en a reçu mandat possède les documents écrits
prouvant la propriété. Or dans le cas des transactions de terrains d’origine villageoise, non
seulement elles sont réalisés dans une forme assimilable au contrat sous-seing privé, mais le
terrain est vendu sans que ne soient transmises les preuves légales de la propriété. C’est le
ministre, au nom de l’Etat qui délivre un acte administratif marquant la première étape vers
l’accession à la propriété.
Il y a donc une violation évidente des règles de droit dans la pratique de la gestion foncière en
milieu urbain. Une pratique qui met en évidence la complémentarité entre une partie des
normes administratives et la régulation traditionnelle en matière de gestion foncière, puisque
la procédure usitée a pour point de départ la prise en compte des droits traditionnels et aboutit
à la délivrance du titre foncier.
Le mélange des genres que l’on observe dans la pratique du foncier urbain ne tire donc pas
son origine d’un quelconque aménagement de la loi qui prévoirait en amont de la procédure
l’application des droits traditionnels et en aval l’application des dispositions administratives.
Si en 1998, le législateur a tenté d’adapter la loi aux réalités du monde rural, ce n’est qu’en
2003, à la suite de la loi de 2001 réorganisant la politique territoriale, qu’il se penchera sur la
question du foncier urbain. Mais au lieu de le repenser en profondeur, il se contente de repartir
les compétences entre les différentes collectivités, sans envisager en aucune manière les droits
coutumiers fonciers.
Il se contente d’envisager le lotissement administratif, c'est-à-dire initié, élaboré et réalisé par
les collectivités territoriales (article 13 de la loi de 2003, article 22 du décret d’application). Il
passe sous total silence l’exercice des droits coutumiers et la suprématie factuelle du
lotissement villageois.
En conséquence, la pratique administrative et judiciaire, confrontée à l’insuffisance législative
et règlementaire depuis les indépendances jusqu’à nos jours, s’est elle aussi adaptée en optant
pour des compromis à certains niveaux de la procédure.
100
Ainsi, la purge des droits coutumiers par l’immatriculation au nom de l’Etat est réalisée
conformément à la procédure prévue par le décret n°96-884 pour tous les projets
d’aménagement territorial d’intérêt public comme la construction d’une voie, d’une zone
industrielle etc. Certaines réserves sont par ailleurs mises à la disposition de promoteurs
immobiliers pour la création de quartiers entiers. Cette purge est principalement réalisée par
l’Agence de Gestion foncière (AGF) qui a succédé à la SVI, héritière elle-même de la SETU.
En revanche, toute latitude est laissée aux détenteurs coutumiers de décider quand et comment
alimenter le marché foncier en parcelles à usage d’habitat privé. Le soin revient ensuite au
nouvel acquéreur d’immatriculer sa terre.
C’est là une adaptation qui permet à l’Etat de répondre à la forte demande en habitats de la
population urbaine sans être obligé de réaliser en masse des purges qui ressemblent fort à des
« expropriations » pour cause d’utilité publique. En effet, l’Etat qui est selon les textes en
vigueur propriétaire de ces terres détenues à titre personnel et incessible par les détenteurs
coutumiers, doit d’abord « acquérir » ces terres en obtenant l’accord des villageois moyennant
une indemnisation (en principe moins avantageuse que les ventes privées). Il doit ensuite les
purger par une procédure judiciaire donc contradictoire au cours de laquelle tous les droits
ayant existé sur la superficie concernée sont annulés et remplacés par ceux du requérant, en
l’occurrence l’Etat. Il y a donc en réalité une expropriation sans qu’ait été auparavant reconnu
la propriété.
101
qui se sentent lésés parce qu'ils n'ont rien reçu de la vente et que leur patrimoine familial se
trouve fortement réduit »280.
280 II Interpeace, Dynamique et capacités de gestion des conflits à l’Ouest de la Côte d’Ivoire, Abidjan, GAMACI, p. 28
102
23 du décret de 2005 qui précisent que « Tout transfert de la propriété d’un terrain se fait par acte
notarié. Aucun transfert ne peut s’opérer si la parcelle concernée n’a fait l’objet d’un arrêté d’attribution
ou d’un certificat de propriété ». En plus de ces dispositions, on peut encore rappeler l’article 2
du décret de 1971 qui énonce que « les droits coutumiers sont personnels à ceux qui les exercent et ne
peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ».
Confronté donc à un conflit dont les deux parties ne possèdent qu’une attestation villageoise,
le magistrat les ramènera vers l’administration afin de finaliser leur démarche. Mais ce cas
n’arrive guère car dans l’immense majorité des cas, l’une des parties a veillé à obtenir une lettre
d’attribution. Dans un tel cas, et même si le détenteur de l’attestation villageoise prouve qu’il
a « acheté » le terrain bien longtemps avant le bénéficiaire d’une lettre d’attribution, le juge
n’aura pas d’autre choix que de confirmer les droits de ce dernier. Ainsi, dans un arrêt datant
du 14 novembre 2001 (Zarour Hadele/Yapobi Attié Lucien [inédit]), opposant un détenteur
reconnu par les autorités villageoises à un détenteur d’une lettre d’attribution émise
postérieurement au certificat villageois, la chambre judiciaire de la Cour Suprême a considéré
que : « Attendu qu’aux termes de l’article 1er du décret n° 71-71 du 16 février 1971, modifiant le décret
du 26 juillet 1932, « toute occupation de terrain, pour être légale, doit être justifiée par la possession
d’un titre de concession provisoire ou définitive délivré par le ministre de la construction et de
l’urbanisme qui peut déléguer ses pouvoirs aux Préfets » ; qu’il en résulte que seul, le sieur YAPOBI ,
détenteur d’un titre de concession provisoire à lui délivré le 05 mars 1997 par le service du domaine
urbain, agissant sur délégation du Ministère de tutelle, est détenteur d’un droit immobilier opposable
aux tiers, alors que ZAROUR HADELE ne produit aucune preuve justificative de l’occupation des
lieux ».
Ce n’est qu’en présence de deux ou plusieurs détenteurs de documents administratifs allant de
la lettre d’attribution au titre foncier en passant par l’arrêté de concession provisoire et le
certificat de propriété foncière, que le magistrat prendra en compte l’ancienneté de la
procédure, c'est-à-dire la date d’émission de la lettre d’attribution (comme en attestent nos
magistrats interviewés). Cependant, cette pratique juridique ne fait pas l’unanimité et il arrive
dans certains cas que la priorité soit accordée à la valeur hiérarchique du document
administratif.
L’articulation formel/informel, loi/coutume présente de nombreuses zones d’ombre
puisqu’elle n’arrive ni à sécuriser le processus d’appropriation, ni à garantir les droits des
acquéreurs au niveau de la justice.
Elle tend, par ailleurs, à favoriser un malaise environnemental dont les effets se font ressentir
de plus en plus fortement.
Dans ce contexte incertain, les nouvelles pratiques de transactions foncières expriment des
intérêts contradictoires et se réalisent dans un jeu à somme nulle : le gain des uns (profit
monétaire, sécurisation foncière) se fait nécessairement aux dépens des autres (perte du foncier
pour les jeunes autochtones ou pour les ayants-droits familiaux, par exemple, dans le cas des
ventes à des migrants réalisées de façon occulte par un chef de terre ou un membre du lignage).
L'issue des conflits, dans ce contexte de jeu à somme nulle, est le plus souvent déterminée par
le droit des plus forts, des plus riches, des plus habilement opportunistes, et des mieux
informés ou "relationnés"281.
Les conflits fonciers en milieu rural sont si violents que dans l’ouest ivoirien, un sous-préfet a
dû prendre un arrêté pour tenter de juguler le problème.
Le Préfet du Département, M. Dembélé Lassana, a pris l’arrêté N°01/P.BL/SG du 15 Mars
2012 qui porte interdiction de vente de toute parcelle de forêt. Celui-ci vise notamment les
forêts villageoises dans trois (03) des quatre (04) cantons que compte le Département ainsi
que les forêts classées.
103
Son article 1er est libellé dans les termes suivants : « Il est interdit, toute vente de parcelle dans les
forêts villageoises et notamment dans les cantons :
- Boo
- Néao-Nord
- Néao-Sud
Sont également interdites, toutes transactions relatives aux ventes de forêts villageoises dans les Cantons
précités. »
Les articles 2 et 3 qui concernent les forêts classées se veulent un peu plus clairs que la
première disposition qui a exclu de son champ d’application un (01) des quatre (04) qui connait
également les mêmes problèmes que les trois autres. L’article 2 dispose comme suit : « Quant
aux forêts classées, les personnes qui y pénètrent, seront purement et simplement expulsées conformément
à la réglementation en vigueur. ». Quant à l’article 3, il stipule que : « S’agissant des forêts classées
qui constituent un patrimoine de l’Etat de la Côte d’Ivoire, aucune vente ni transaction n’est possible. ».
Enfin, l’article 4 a conclu en soulignant que toute personne prise en violation de ces mesures
sera poursuivie devant les tribunaux.
Malgré la vulgarisation de ce texte auprès des différentes communautés du Département, les
ventes de forêts n’ont pas baissé en intensité. Il nous a même été rapporté que face à l’afflux
des ressortissants burkinabè (venus directement du Burkina Faso) pour l’acquisition des
terres dans la région, le Consul burkinabè de la zone a convié ses compatriotes à une réunion
à Guiglo. Au cours de cette séance d’échange, la mise en garde du Consul sur l’acharnement
de ces compatriotes sur les terres de la région aurait conduit l’assistance à conspuer le
diplomate et à quitter précipitamment la salle de réunion. Cette information nous a été donnée
à Guiglo par les responsables de la SODEFOR de la localité. En raison donc de l’inefficacité
des mesures de l’autorité préfectorale, les Sous-préfets, ont à leur niveau, mis en place un
instrument qui semble plus ou moins donner des résultats probants.
L’abondance des conflits fonciers282 oblige à des réformes.
1- L’intervention du Notaire
L’intervention du notaire assurerait le sérieux de l’opération, permettrait de mieux
vérifier l’identité et la capacité des parties, de mieux assurer l’identification du bien vendu, de
rendre plus fréquente et plus efficace la publicité.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, un article 1er du décret du 15 novembre 1935, reprenant l’article
1599 du Code Civil français, frappe de nullité absolue les contrats sous-seing privés, réalisés
sur des terres non immatriculées, car, considérées comme portant sur le bien d’autrui (en
l’occurrence, ici l’Etat).
Prenant la suite du gouvernement colonial, le gouvernement de l’Etat indépendant, pose, dans
un décret n°71-74 du 16 février 1971, le principe général de l’interdiction des ventes, louages,
282 Constat fait par le président de la chambre administrative de la cour suprême de Côte d’Ivoire in La question foncière
283 Par titre foncier, il faut entendre ici certificat foncier, ACD,…
104
constitution de gages et tout autre contrat portant sur les terres non immatriculées, sur
lesquelles s’exercent des droits d’usage collectifs ou individuels.
Confirmant cette décision, l’article 26 du décret de 2005 d’application de la loi de 2003 précise
que tout transfert de la propriété de terrain s’opère par acte notarié.
B- Les pratiques
Cependant, dans la gestion pratique du foncier urbain, nous sommes très loin de ce schéma
légal. De l’étude des différentes pratiques (1) vont suivre nos remarques (2).
2- Les remarques
De cette procédure qui cumule transaction foncière entre particuliers et intégration
d’espaces villageois dans le territoire urbain, trois remarques substantielles sont à noter.
105
La troisième remarque concerne justement la transaction foncière entre particuliers
qui est censée se réaliser devant notaire selon l’article 5 du décret de 1971. C’est ce dernier qui
opère la transition des droits de propriété du vendeur à l’acquéreur. Cela suppose donc que le
vendeur qui est aussi le propriétaire ou qui en a reçu mandat possède les documents écrits
prouvant la propriété. Or dans le cas des transactions de terrains d’origine villageoise, non
seulement elles sont réalisés dans une forme assimilable au contrat sous-seing privé, mais le
terrain est vendu sans que ne soient transmis les preuves légales de la propriété. C’est le
ministre, au nom de l’Etat qui délivre un acte administratif marquant la première étape vers
l’accession à la propriété.
Il y a donc une violation évidente des règles de droit dans la pratique de la gestion foncière en
milieu urbain. Une pratique qui met en évidence la complémentarité entre une partie des
normes administratives et la régulation traditionnelle en matière de gestion foncière. La
procédure usitée a, en effet, pour point de départ la prise en compte des droits traditionnels
et aboutit à la délivrance du titre foncier. Cette pratique en marge de la légalité s’observe aussi
au niveau de la construction bien que les conditions y soient strictes.
284 François TERRE et Philippe SILMER, Droit civil. Les biens, Paris, Dalloz, 1998, p. 340.
285 Idem, p. 337.
106
Paragraphe 1- L'expropriation pour cause d'utilité publique
L'utilité publique est le but que doit poursuivre l'expropriation ; c'est une notion qui n'a cessé
de s'étendre sous l'influence de la transformation du rôle de l'État et de son intervention de
plus en plus profonde dans la vie économique et sociale de la nation.
La loi ne donne aucune définition de l'utilité publique pouvant justifier le recours à
l'expropriation. C'est donc à l'autorité administrative qu'il appartient d'apprécier cette utilité,
mais elle le fait sous le contrôle du juge. Ce contrôle est de plus en plus étendu et, dans la
pratique, le juge ne se refuse plus à substituer son appréciation sur l'opportunité de
l'expropriation à celle effectuée par l'Administration. Ceci résulte en France de la nouvelle
conception de l'utilité publique définie dans l'affaire « Ville Nouvelle Est ». Aux termes de
l'arrêt du Conseil d'État du 28 mai 1971, «... une opération ne peut être légalement déclarée
d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement
les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs, eu égard à l'intérêt
qu'elle présente». Cette conception de l'utilité publique a encore été élargie par l'inclusion de
« l'atteinte à d'autres intérêts publics dans les éléments dont il faut tenir compte. Ainsi, le juge
accepte d'établir une véritable hiérarchie entre deux intérêts publics pour déterminer l'utilité
publique d'une expropriation.
Le législateur français lui-même est d'ailleurs parfois intervenu pour préciser les cas dans
lesquels il peut y avoir lieu à expropriation(A). La diversité des buts que l'expropriation doit
permettre de réaliser souligne l'importance des atteintes à la propriété privée(B) : ils peuvent
être, en effet, d'ordre économique, social, sanitaire, scientifique, esthétique, voire écologique,
etc.
A- Domaine de l'expropriation
Sa délimitation ne dépend pas seulement de la détermination de la notion d'utilité publique.
Encore faut-il savoir qui peut exproprier(1) et quels biens peuvent être expropriés(2).
107
valeur que la propriété foncière acquise selon les règles du code civil ou de l'immatriculation.
En conséquence, l'alinéa 2 de l’article 3 a prévu une compensation en cas d'expropriation:
En Afrique occidentale française, sont confirmés les droits fonciers coutumiers exercés
collectivement ou individuellement sur les terres non appropriées selon les règles du code civil
ou du régime de l'immatriculation. Nul individu, nulle collectivité ne peut être contraint de
céder ces droits si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste compensation...
(Décret du 20.5.1955: art. 3 al. 2)
Les droits fonciers sont donc désormais concernés par la procédure d'expropriation même si,
comme ci-dessus évoquée, la réparation du dommage subi n'est pas la même. Cette affirmation
constitue donc un changement de cap, car le décret du 25.11.1930 (B.O.C.: 1809) sur
l'expropriation pour cause d'utilité publique n'a pas, semble-t-il, prévu d'indemnisation en cas
d'expropriation de terres soumises au régime foncier coutumier considérées comme partie de
la domanialité:
Toutefois, les terres formant la propriété collective des indigènes ou que les chefs indigènes
détiennent comme représentants de collectivité indigène conformément aux règles du droit
coutumier locale restent soumises aux dispositions de la réglementation domaniale qui les
concerne. (Décret du 25.11.1930: art. 2 al. 2).
Ici, le décret de 1930 opérait une distinction entre les terres coutumières. Les terres
coutumières soumises à la procédure de constatation des droits fonciers coutumiers institués
par le décret du 8.10.1925 bénéficiaient d'un régime identique à celles immatriculées sans en
avoir rigoureusement la même valeur, tandis que celles dites sans emprise individuelle et
permanente (la majorité des terres coutumières) restaient soumises à la réglementation
domaniale. Etant du domaine de l'État, qu'il soit public ou privé cela a peu d'importance ici, on
ne peut plus parler d'expropriation puisque l'État est déjà propriétaire. Or, le décret-loi de
1955 ne cite plus les terres coutumières parmi les immeubles des domaines public et privé de
l'État. Les immeubles domaniaux sont constitués par "les biens et droit immobiliers détenus
[par l’État] dans les formes et conditions prévues par le code civil ou l'immatriculation"
(Décret du 20.5.1955: art. 1). Formellement les terres coutumières ne sont donc soumises ni à
l'immatriculation ni à la réglementation domaniale »286.
L'expropriation ne peut porter que sur des immeubles qui sont propriété privée et non sur les
biens du domaine public de l'État, des départements ou des communes, pour lesquels il y a lieu
simplement à un changement d'affectation. L'expropriation peut atteindre les biens des absents
et des incapables, les biens du domaine privé de l'État, ceux des départements, des communes
et des établissements publics. Les immeubles peuvent être expropriés même s'ils sont frappés
d'inaliénabilité.
L'expropriation porte sur tous les droits réels grevant un immeuble ; elle atteint même un
droit personnel : le droit au bail. Il est aussi possible d'exproprier des droits réels immobiliers
indépendamment de l'immeuble. Ainsi est-il possible d'exproprier : l'usufruit et les droits
d'usage et d'habitation, le droit d'emphytéose, le droit du concessionnaire de mine et du
titulaire du permis d'exploitation, les servitudes prévues par le code civil.
Il n'est pas possible de créer par voie d'expropriation une servitude de droit privé sur un fonds
privé. Des servitudes ne peuvent être établies par voie d'autorité que dans la mesure où la loi
établit des servitudes administratives.
Textes applicables :
- Décret du 26 novembre 1930 portant expropriation pour cause d'utilité publique et
occupation temporaire en AOF ;
- Loi n°2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des
collectivités territoriales.
286Gbaguidi Noël,…
108
C’est une procédure par laquelle l’Etat peut forcer un particulier à lui céder ses
propriétés lorsqu’il y a utilité publique déclarée et moyennant une juste et préalable indemnité.
Cette procédure est un moyen de contrainte, elle suppose également une utilité publique et
enfin, elle oblige l’administration au paiement d’une indemnité.
Les expropriations au profit des collectivités territoriales sont sollicitées par
délibération du conseil et approuvée par l'autorité de tutelle. La délibération doit porter sur
l'utilité publique de l'opération justifiant l'expropriation. L'expropriation est alors réalisée par
les services de l'Etat conformément aux lois et règlements (art.222 et s loi n°2003-489 du 26
décembre 2003).
B- La procédure d’expropriation
La procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique comporte deux phases, une
administrative(1) et une phase judiciaire (décret du 26/11/1930)(2).
L’arrêté est précédé (art. 6) d’une enquête de commodo et incommodo comportant les phases
suivantes :
dépôt à la mairie ou à la sous-préfecture de la situation des biens des documents ci-après,
projet des travaux, plan des parcelles touchées par l’opération ;
avis de ce dépôt est publié au moyen d’affiches apposées au lieu de situation des propriétés
touchées et aux endroits habituels d’affichages
délai de un mois pour présenter les objections. En effet les particuliers ont un délai d’un
mois à compter de l’avis de dépôt du projet de travaux pour faire leurs observations. Ce
délai peut être réduit à huit jours en cas d’urgence (art. 27) (travaux militaire et
d’assainissement).
Après clôture de l’enquête un arrêté dit arrêté de cessibilité déclare seulement cessible
les parcelles touchées par le projet. Il est publié au Journal Officiel (art. 7 al. 1). Il est ensuite
notifié sans délai par l’administration aux propriétaires, aux occupants et aux usagers notoires,
c’est- à dire connus (art.7 al. 2).
Dans le délai de 2 mois, à dater des publications et notification, les propriétaires
intéressés doivent faire connaître les locataires et les détenteurs de droits réels sur leurs
immeubles, faute de quoi ils restent seuls chargés envers ces derniers des indemnités que ceux-
ci pourraient réclamer au titre de l’indemnité pour frais de déménagement.
109
Après l’arrêté de cessibilité (art. 4) aucune construction, ni plantation, ni amélioration
ne peut être effectuée sur les terrains touchés par les travaux sans autorisation administrative.
Passé le délai de 2 mois les intéressés identifiés ou leurs mandataires doivent
comparaître avec l'expropriant ou son mandataire devant une commission administrative de
trois membres pour essayer de fixer à l’amiable le montant de l’indemnité (art. 9).Si l’accord
intervient, le Tribunal est dessaisi. A défaut d’accord le dossier est transmis au tribunal. C’est
alors que commence la phase judiciaire de la procédure d’expropriation.
Cependant, toute cette procédure d’enquête préalable dont le but est de constater la nature et
l’étendue des droits que les tiers pourraient avoir sur les terres à exproprier se déroule souvent
à l’insu des paysans ou sans que ces derniers comprennent son enjeu, seule la présence du
chef287 étant négociée. Ainsi, elle peut tendre à considérer toute terre non couverte par un
document du cadastre comme non occupée ou appartenant au chef, puisque c’est auprès de lui
que l’on rachète les droits coutumiers.
L'ampleur exacte de ces phénomènes est sans doute impossible à établir. Une grande quantité
d'accords sont passés en toute discrétion.
287 Le chef est agent de l’administration en vertu de …/ il n’est pas vraiment le représentant des communautés.
110
Au cas où le propriétaire présumé ne produirait pas de titre, ou si le titre produit ne paraît pas
régulier, l'Administration serait également tenue de consigner l'indemnité. Dans ce cas, un
avis inséré au Journal officiel et affiché au lieu de la situation de l'immeuble exproprié fait
connaître ce dernier, le montant de l'indemnité et le nom du propriétaire présumé ; si, dans le
délai de six mois à dater de la publication au Journal Officiel, aucune opposition n'est parvenue,
l'indemnité est versée entre les mains du propriétaire présumé.
Si l'indemnité n'est pas acquittée ou consignée dans les six mois de l'acte de cession amiable
ou du jugement du tribunal, les intérêts de 5% par an courent de plein droit au profit du
propriétaire de l'expiration de ce délai.
Dès le payement de l'indemnité ou dès sa consignation, l'Administration peut entrer en
possession de l'immeuble exproprié. Les actes en résolution, revendication et toutes autres
actions réelles ne peuvent arrêter l'expropriation ou en empêcher les effets. Les droits des
réclamants sont transportés sur l'indemnité et l'immeuble en demeure affranchi.
Si les immeubles acquis pour des travaux d'utilité publique ne reçoivent pas cette destination
ou si les immeubles expropriés pour cause de plus-value ne sont utilisés conformément à l'acte
déclaratif d'utilité publique, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause peuvent en
demander la remise. Le prix des immeubles rétrocédés est alors fixé à l'amiable et, s'il n'y a pas
accord, par le tribunal. La fixation par le tribunal ne peut en aucun cas excéder la somme
moyennant celle à laquelle les immeubles ont été acquis.
Il s'agit là de la procédure d'expropriation telle que définie par le Code d'expropriation en AOF
en 1892 et modifié en 1933 et toujours d’application en Côte d’Ivoire.
Cependant, si cette procédure est utilisée dans certains cas, en zone urbaine, et notamment
pour ce qui est des terrains déjà immatriculés, elle n'est que très difficilement applicable aux
terres coutumières qui « restent soumises aux dispositions de la réglementation domaniale qui les
concerne ». Or, peut-on exproprier celui à qui on admet que des droits d’usage et non de
propriété ? La qualité de propriétaire doit donc leur être reconnue avant d’envisager
l’expropriation.
Les procédures d’expropriation sont donc aménagées de sorte à pouvoir être appliquées et
acceptées par les villageois.
Cependant, malgré toute la diplomatie utilisée lors des négociations et les indemnisations
financières, la frustration des populations n’est que très légèrement atténuée face à la réduction
considérable des terres coutumières. En effet, le patrimoine foncier coutumier de la
communauté autochtone est désormais limité aux villages Ebrié et Attiés et à leur extension
dont le périmètre est fixé à six (6) fois celle du village288. Par ailleurs, bien que le droit
d’indemnisation soit reconnu depuis 1904 par l’administration coloniale et reconduit par le
gouvernement ivoirien, il reste très faible et sans commune mesure avec les pertes subies par
les communautés villageoises. C’est seulement en 1970 qu’un compromis passé avec les chefs
coutumiers Ebrié, vient améliorer le montant des indemnisations. Le périmètre loti à cette
époque est immatriculé au nom de l’Etat. Cependant le lotissement administratif de l’époque
fait place progressivement à la prédominance du lotissement villageois.
Enfin, si l’immeuble exproprié n’est pas utilisé conformément à l’acte déclaratif d’utilité
publique, l’ancien propriétaire peut en demander la rétrocession. De même si le projet est
abandonné, les anciens propriétaires peuvent reprendre leurs immeubles. Le prix de
l'immeuble rétrocédé est fixé à l'amiable et à défaut par le tribunal. En aucun cas le prix ne
peut excéder la somme versée par l'expropriant pour l’acquisition de l’immeuble.
L’expropriation n’est donc possible et définitive que s’il y a véritablement utilité publique.
KOBO P., Droit et ville en Afrique, Essai sur le droit de l’urbanisme en Côte d’Ivoire, Thèse de Droit, Université de Nice, Octobre
288
1984
111
Paragraphe 2- L’expropriation des terrains urbains pour non-usage ou non mise
en valeur
La mise en valeur, on l’a noté, est un processus par lequel une étendue inoccupée ou faiblement
occupée devient productrice de richesses. La mise en valeur est d’abord, ou principalement,
obtenue par l’agriculture. Elle peut supposer d’importants travaux de culture, d’élevage et
d’échanges agricoles: délimitation des parcelles, défrichements, labours, spécialisation des
terres, habitat pour l'homme, les troupeaux et les récoltes (FÉNELON, 1991).
Obliger un propriétaire à exploiter son bien, c'est porter atteinte à son pouvoir d'user et de
jouir de la chose, car c'est aussi user et jouir que de ne pas user ou jouir de cette chose. Le fait
est pourtant que, même dans des systèmes où la propriété privée domine et inspire la loi, l'on
constate de semblables limitations. Il arrive que le devoir positif d'exploiter soit
solennellement affirmé.
L'expropriation pour non mise en valeur289 d'un terrain détenu en pleine propriété concerne
les terrains dont la mise en valeur n’a pas été assurée dans les conditions fixées par les textes.
Ces terrains doivent faire retour en totalité ou en partie au domaine de l’Etat en vue de leur
utilisation à des fins économiques et sociales. Ces conditions sont de procédure (A) et de délai
(B).
112
Sous-section 2- Cessions forcées au profit de particuliers
Le code civil lui-même, avec la cession obligatoire de mitoyenneté, admettait, comme nous
l'avons rappelé, une cession forcée de propriété au profit d'un voisin (paragraphe 1). La
législation contemporaine a prévu d'autres cas de cession forcée (paragraphe 2). Rappelons
ainsi les échanges obligatoires de parcelles en cas de remembrement ou encore les obligations
d'exploiter des terres.
On mentionnera encore l'existence de droits de préemption qui peuvent être octroyés non
seulement à des personnes publiques, mais aussi à des particuliers, tels qu'un fermier ou un
locataire.
113
Paragraphe 2- Les autres cas de cessions forcées au profit des particuliers
Les autres cas de cessions forcées au profit des particuliers sont notamment les échanges
obligatoires de parcelles (A), les saisies immobilières (B).
En Côte d’Ivoire, la saisie immobilière est organisée par le livre 2, titre 8 de l’acte uniforme
portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution de l’OHADA292.
Aux termes de cet acte uniforme, pour que la saisie immobilière se réalise, il faut :
- un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ou un titre exécutoire par
provision, ou pour une créance en espèces non liquidées. Cependant, l’adjudication ne
peut être effectuée que sur un titre définitivement exécutoire et après la liquidation
(article 247)
- que l’immeuble faisant l’objet de la cession forcé soit préalablement immatriculé (article
253)
Parfois, l'exécution forcée est rendue plus difficile en raison d'obstacles juridiques : le débiteur
ne possède que des droits indivis sur un immeuble et/ou fait l'objet d'une procédure collective.
Dans ces derniers cas, l'exécution immobilière n'est pas impossible mais elle est soumise à des
régimes distincts (articles 249 à 250)
292traité du …
114
Procédure de saisie immobilière. Toute poursuite en vente forcée d’immeubles doit être
précédée d’un commandement aux fins de saisie (article 254).
Le commandement doit être remis au conservateur de la propriété foncière ou à l’autorité
administrative (pour les terrains simplement affectés) pour publication (article 259).
Après la publication, un cahier des charges précisant des conditions et modalités de vente de
l’immeuble saisi est rédigé par les avocats du créancier poursuivant et déposé au greffe de la
juridiction de laquelle se situe l’immeuble dans un délai de cinquante jours à peine de
déchéance (article 266). Dans les huit jours, au plus tard, après le dépôt du cahier des charges,
le créancier saisissant fait sommation au saisi et aux créanciers inscrits de prendre
communication, au greffe, du cahier des charges et d'y faire insérer leurs dires. A peine de
nullité, cette sommation est signifiée au saisi, à personne ou à domicile, et aux créanciers
inscrits à domicile élu. (Article 269).
Une audience éventuelle est organisée pour lever tout obstacle en cas de contestation des
dispositions des cahiers de charges. Quand tout obstacle est levé, on réalise alors une publicité
en vue de la vente trente jours au plus tôt et quinze jours au plus tard avant l’adjudication
(article 276).
Enfin, la vente elle-même peut être effectuée (articles 280-297).
115
CHAPITRE 2- LA SUCCESSION DES TERRES
116
lorsqu’elle porte sur des biens déterminés dont la loi, par exception, règle la dévolution en
raison de leur origine, en les faisant retourner à leur donateur lorsque le donataire est
prédécédé sans postérité. Ainsi, les héritiers légitimes d’un donateur peuvent récupérer la
donation si le donataire meurt avant ou au moment du décès du donateur, sans laisser
d’héritier.
Les héritiers légitimes sont, en Côte d’Ivoire, et de manière exclusive, les enfants du défunt,
et en cas de décès, les descendants de ces derniers. Si le défunt n’a aucun descendant, alors la
succession est dévolue, par ordre de priorité à ses ascendants, à ses parents collatéraux et à
son conjoint survivant. Pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession.
Ainsi, ne peuvent prétendre à la succession l’enfant qui n’était pas conçu au moment du décès297
ainsi que celui qui n’est pas né viable.
Un héritier légitime peut, par ailleurs, être considéré légalement comme indigne de succéder.
Il en est ainsi de celui qui a été condamné en tant qu'auteur, coauteur ou complice, pour avoir
volontairement donné ou tenté de donner la mort ou porté des coups mortels au défunt. De
même, peut être déclaré indigne de succéder celui qui s'est rendu coupable, envers le défunt,
de sévices, délits ou injures graves, ou encore qui a gravement porté atteinte à l'honneur, à la
considération ou aux intérêts patrimoniaux du défunt ou de sa famille. Cependant, l'indignité
est personnelle et ne rejaillit pas sur les descendants de l’indigne. Les descendants de l'indigne
lui succèdent donc comme si leur auteur était prédécédé. Ainsi, les petits enfants sont réputés
succéder à leur père vivant (mais considéré comme prédécédé) alors que concrètement, ils
succèdent à leurs grands-parents. Par ailleurs, le pardon accordé par le défunt met fin à
l'indignité. La preuve de ce pardon accordé par le défunt peut être faite par tous moyens.
Quelles que soit la nature, le contenu ou encore les destinataires de la succession, elle se réalise
devant notaire.
La succession s'ouvre au dernier domicile du défunt pour l'ensemble des biens, y compris les
biens immeubles. En ce qui concerne les immeubles, l’estimation de leur valeur marchande
doit être faite, et la base de l'estimation précisée. Entre le décès du défunt propriétaire et le
partage des biens, le patrimoine est détenu en indivis par les héritiers. Toutefois, la loi298 est
claire à ce sujet : les héritiers ne peuvent être contraints à demeurer dans l'indivision. A défaut
de testament ou d’entente pour le partage, celui-ci peut être toujours provoqué, nonobstant
les prohibitions et conventions contraires. On peut cependant convenir de suspendre le
partage pendant un temps limité ; cette convention ne peut être obligatoire au-delà de cinq
ans, mais elle peut être renouvelée. Au-delà, il est procédé, dans les conditions fixées par le
tribunal, à l'estimation des immeubles composant la succession. Il doit être vérifié que les
immeubles peuvent être commodément partagés ou non. Dans l'affirmative, il faut aussi
préciser de quelle manière et la valeur de chacune des parts qu'on peut en former.
Chacun des cohéritiers peut demander sa part en nature des meubles et immeubles de la
succession, à l’exclusion de toute autre réclamation sur les biens. Lorsque ces réclamations
existent, notamment sous la forme de créances ou d’hypothèques, ou, si la majorité des
cohéritiers juge la vente nécessaire pour l'acquittement des dettes ou charges de la succession,
les meubles et les immeubles sont vendus dans les formes prévues par le tribunal. En effet, si
les immeubles ne peuvent être commodément partagés ou attribués, ils doivent être proposés
à la vente. Chaque cohéritier fait rapport à la masse des sommes dont il est débiteur envers la
succession.
Après que les meubles et immeubles aient été estimés ou vendus, il est procédé, dans les
conditions prévues par le tribunal, à la formation de la masse générale et à la composition des
lots. Il s’agit ici d’estimer la valeur marchande de l’ensemble du patrimoine objet de la
succession et des parts revenant à chacun des cohéritiers. La notion de lot est donc ici à
différencier du terme utilisé dans le cadre du paragraphe sur le lotissement. Le lot, dans le
297 A la différence, l’infans conceptus, c’est-à-dire l’enfant conçu avant le décès mais né après est un successible légitime.
298 Article 84 de la loi n° 64-379 du 7 octobre 1964 relative aux successions.
117
cadre d’une succession foncière peut être ainsi composé de plusieurs lots d’un lotissement en
plus de biens meubles par exemple.
Soucieux d’éviter le morcellement des exploitations agricoles ou des habitations, le législateur
insiste sur la pertinence des divisions qui sont faites dans le cadre du partage des biens. Aussi,
insiste-t-il sur le fait que l'inégalité des lots en nature peut être compensée par un retour soit
en rente, soit en argent. Par ailleurs, dans la mesure où le morcellement des héritages et la
division des exploitations peuvent être évités, chaque lot doit, autant que possible, être
composé, soit en totalité, soit en partie, de meubles ou d'immeubles, de droits ou de créances
de valeur équivalente.
Une fois le morcellement réalisé, l'attribution des lots doit se fait par tirage au sort, dans la
recherche d’une certaine équité, et pour éviter que les plus influents l’emportent sur les plus
faibles. Evidemment, les cohéritiers sont admis à proposer des réclamations contre leur
formation. S'il s'élève des contestations, le notaire, l'officier public ou l'expert commis dressent
le procès-verbal des difficultés et des dires respectifs des parties et les renvoie devant le
tribunal. Un procès-verbal sera dressé aussi en cas d’entente sur le partage, et celui-ci
homologué par le tribunal.
Une fois le partage réalisé, chaque copartageant recevra des titres particuliers aux objets qui
lui seront échus.
La procédure est différente lorsque les terres n’ont pas fait l’objet d’une appropriation légale
préalable.
299L’article26 du décret de 2005 d’application de la loi de 2003 précise, en effet, que tout transfert de la propriété de terrain
s’opère par acte notarié.
300
Confère les développements sur l’ACD au paragraphe consacré à…
301 Après évidemment la procédure largement expliquée dans les paragraphes précédents.
118
Il faut comprendre, en effet, que bien que l’ordonnance de 2013 semble abroger le décret de
1971 qui jusqu’alors régulait le foncier en zone urbaine302, en réalité il n’en est rien, puisque le
décret de 2013 n’aborde qu’une partie des aspects du foncier urbain traité par le décret de 1971.
En effet, l’abrogation ici ne concerne que les aspects du droit foncier urbain traités par les deux
textes, notamment la procédure d’appropriation des terrains urbains. Une procédure qui
débute, dans l’ordonnance de 2013 et dans son décret d’application, par une lettre d’attribution
ou une concession provisoire, c’est à dire des documents qui sont bel et bien des actes
administratifs.
Quid donc de la provenance coutumière du terrain et des droits coutumiers ? Quid du
lotissement villageois, pourtant le plus répandu303 ? Quid des lots provenant du lotissement
villageois et qui alimentent l’essentiel du marché foncier ?
L’ordonnance de 2013 et son décret d’application ne se prononcent guère sur ces questions. Il
en est de même pour la loi de 2003 relative au transfert de compétences de l’Etat aux
collectivités territoriales et pour son décret d’application de 2005.En aucun moment, en effet,
les textes de 2003 et de 2013 ainsi que leur décret d’application ne traitent de l’exercice effectif
de la propriété sur les lots issus des lotissements villageois.
Si l’on s’en tient au processus hybride qui implique d’une part un lotissement initié par les
villageois ainsi que des lots qui leur reviennent, et d’autre part une immatriculation faite au
nom de l’Etat, on peut considérer que nous sommes dans le cas d’une sorte de contrat de bail
entre l’Etat et la communauté villageoise. Toutefois, la situation est bien plus complexe
puisque dans un contrat de bail normal, le bailleur est le propriétaire non seulement légal mais
aussi légitime de l’objet du bail. Or, assurément, dans le cas des lotissements villageois, ni les
villageois, ni l’administration elle-même ne reconnaissent la moindre légitimité étatique en ce
qui concerne la propriété des lots304. On arrive donc à un processus hybride de propriété
foncière dans lequel l’Etat est censé se comporter comme un bailleur, mais agit en réalité
comme un simple bureau d’enregistrement des décisions coutumières. En effet, les lots,
immatriculés au nom de l’Etat, sont légalement la propriété de l’Etat, pourtant, ceux qui y
exercent effectivement les droits de propriété (c’est à dire l’usus, le fructus et l’abusus) sont
bel et bien les détenteurs coutumiers. L’Etat, ici, se contente d’entériner l’acte d’abusus, de lui
en donner un caractère administratif, et de fournir à l’acheteur ou à l’héritier le titre de
propriété qui, désormais, consiste en l’attestation de concession définitive.
Pourtant, légalement, puisque l’Etat est le bailleur de ces lots, les villageois ne détiennent sur
eux qu’un simple droit d’usage. Un droit d’usus qui ne peut être cessible ou transmissible
qu’avec l’accord préalable du propriétaire qu’est l’Etat. Celui-ci demeure, en principe, le seul à
pouvoir exercer sur le lot des droits d’abusus. Cela n’empêche pas, pour autant, que dans la
pratique, les lots soient considérés comme la propriété de chacun et que le droit d’usus se
transforme en droit d’abusus.
Ainsi, de même que les détenteurs se considèrent en droit de les céder à une tierce personne,
de même, à leur décès, ces lots sont transmis à leurs héritiers, avec la bénédiction de la
communauté villageoise. Il importe de faire ici le constat de l’influence du modèle occidental
sur les coutumes villageoises dans le sens où, la succession des lots tend à se réaliser au profit
exclusif des enfants. En effet, bien que les coutumes autochtones (Atchan ou Attié) privilégient
une succession collatérale, c’est-à-dire à l’intérieur de la fratrie du défunt, l’observation de la
pratique actuelle montre une tendance ascendante en faveur de la succession filiale, c’est-à-
dire entre les enfants du défunt.
302 Il est précisé à l’article 38 du décret n°2013-482 du 2 juillet 2013 portant modalité d’application de l’ordonnance fixant les
règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains que « Le présent décret abroge les dispositions antérieures contraires,
notamment le décret n°71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières. ».
303 Certes, le lotissement villageois est régi par le décret n° 77-906 du 6 novembre 1977, néanmoins, il porte sur ces terres
dites « coutumières » régies, elles, par le décret de 1971. Si ces terres sont considérées comme n’existant pas, alors comment
faut-il nommer celles qui font l’objet d’un lotissement villageois ?
304 Il faut dire que cette administration est composée de personnes qui sont elles-même imbibées de toutes les logiques
119
En réalité, cette transmission de droit d’usage dans le cadre d’une succession n’apporte aucun
changement notable dans l’exercice conjoint de la propriété foncière entre l’Etat et le collectif
villageois. En effet, bien que les deux parties détiennent chacun une copie du « registre »
foncier du lotissement, seuls les lots importent. A la différence de l’immatriculation au registre
foncier qui accorde une égale importance à l’identification de l’immeuble, ainsi qu’à l’identité
du propriétaire, et même aux différentes servitudes qui y sont grevées, le registre du
lotissement villageois n’a pas de véritable valeur légale. Il se présente comme un simple
archivage de la répartition réalisée entre les villageois et officieusement, comme le moyen pour
l’administration de s’assurer qu’un même lot ne fasse pas l’objet d’une attribution multiple.
Aussi, le fait qu’une transmission successorale se réalise dans le cadre villageois ne change rien
à la tenue du registre. Il suffira pour l’héritier qui veut se doter des actes administratifs de
propriété de suivre la procédure administrative, après avoir signalé le décès de son parent. Il
lui faudra probablement fournir non seulement un acte de décès et avoir peut-être la caution
du chef de village pour convaincre l’administration de son droit. Mais quoiqu’il en soit, tout
cela se fera dans un cadre strictement officieux, puisque le droit de « propriété » dont il
« hérite » appartient officiellement à l’Etat. Ainsi, aucun acte administratif ou authentique ne
fera mention de cette succession.
La succession du lot se fait donc dans un cadre officieux avant de donner lieu, si l’héritier le
désire, à une procédure administrative de mutation du terrain de la propriété de l’Etat à celle
de l’héritier.
En zone rurale, la procédure est différente, en raison notamment de l’extrême rareté des
lotissements villageois et de l’existence d’une législation spécifique.
120
En revanche, la loi est un peu moins opaque sur la question des plantations agricoles et donc
sur le droit d’usage des terres cultivées. Mais, ce n’est pas du côté de la loi de 1998 qu’il faut
aller chercher, mais plutôt du côté de la loi de 1964 relative aux successions305.
La loi explique ainsi que tout héritier qui, antérieurement au décès du de cujus, participait avec
ce dernier à l'exploitation d'une entreprise agricole dépendant des biens de la succession et
susceptible de faire vivre une famille, a la faculté de se faire attribuer celle-ci par voie de
partage, après estimation par expert commis. S'il le requiert, il peut exiger de ses
copartageants, pour le paiement de la soulte306, des délais qui ne pourront excéder cinq ans. Il
s’agit donc ici de réaffirmer la volonté de non-morcellement d’un bien immobilier et d’étendre
à la plantation agricole (mais aussi à l’exploitation artisanale et commerciale) ce qui est valable
pour le terrain nu et pour le terrain construit. Toutefois, le législateur insiste sur le fait que
seuls les héritiers qui sont susceptibles de les faire valoir par eux-mêmes peuvent prétendre à
l'attribution des droits antérieurement détenus par le de cujus portant sur l'usage du sol. Il ne
s’agit donc pas pour l’héritier potentiel de faire valoir l’exploitation par une tierce personne.
Il peut, par ailleurs, ne pas être le seul des héritiers potentiels à remplir la condition exigée, et
dans ce cas, un morcellement s’impose et il est procédé au partage des droits si l'étendue de
ceux-ci le permet. Ce qui, évidemment, n’empêche pas un travail d’équipe et une indivision de
fait.
Si le partage n'est pas possible, et sauf accord amiable, les droits sont attribués par tirage au
sort. Par ailleurs, il faut préciser que la loi reconnait à ces héritiers âgés de plus de dix-huit
(18) ans, qui ont travaillé à l’exploitation du vivant du de cujus, sans en avoir jamais obtenu la
moindre rémunération comme des employés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à
salaire différé. Ils exercent donc ce droit de créance différé après le décès de l'exploitant et au
cours du règlement de la succession. Cependant, ce droit de créance est annulé si l'exploitant,
de son vivant, a pourvu les bénéficiaires de leur droit de créance, notamment lors d’une
donation-partage à laquelle il aurait procédé. Pour chacune des années durant lesquelles
l'héritier a participé à l'exploitation dans les conditions fixées à l'alinéa premier, le taux du
salaire auquel il peut prétendre est égal à la moitié du salaire minimum interprofessionnel
garanti, prévu pour la branche professionnelle correspondante. Si les héritiers sont mariés et
que leurs conjoints participent également à l'exploitation dans les conditions fixées à l'alinéa
premier, chacun des époux est réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire
différé, dont le taux est égal aux trois huitièmes du salaire visé à l'alinéa précédent. L'époux
qui n'est pas le descendant de l'exploitant perd le bénéfice de ces dispositions en cas de divorce
ou de séparation de corps prononcé à ses torts exclusifs. Quelle que soit la durée de la
collaboration apportée à l'exploitant, le droit de créance ne peut dépasser pour chacun des
bénéficiaires, la somme représentant le montant de la rémunération due pour une période de
dix ans.
Pour ce qui concerne les cohéritiers n’ayant pas travaillé à l’exploitation du terrain du vivant
du de cujus, ils ne peuvent prétendre à une soulte que si les terrains sur lesquels ils s'exercent
portent des cultures, plantations ou constructions bénéficiant à l'attributaire. Le montant de
cette soulte est déterminé d'après les barèmes établis pour fixer l'indemnité due au titulaire
des droits lorsque l'État donne au sol une destination qui en exclut l'exercice.
La transmission des terres détenues de manière individuelle est donc assez clairement cernée.
Il en est différemment pour la succession des terres détenues collectivement.
121
Paragraphe 2- La transmission des terres collectives
Poser le problème de la transmission des terres collectives alors qu’on est dans le cadre des
successions pour cause de mort peut étonner. Pourtant cela n’en est pas moins pertinent,
sachant que la loi de 1998 autorise la propriété collective de terres307. Ainsi, s’avère-t-il
intéressant de s’interroger sur la succession des parts détenues par les membres défunts des
collectifs. Cependant, s’interroger sur la transmission des terres collectives, c’est d’abord
comprendre la notion de terres collectives (A) avant de saisir le principe de l’individualisation
préalable (B).
Pour les secondes, c’est-à-dire les personnes morales privées, elles se présentent sous des
formes diverses, mais sont identifiables à leur personnalité juridique de droit privé. Il peut
s’agir ainsi d’une société juridique, d’une association, d’une coopérative…, en bref, d’un « sujet
de droit fictif, qui sous l’aptitude commune à être titulaire de droits et d’obligations, est soumis à un
régime […] de droit privé311». Pour ces personnes morales de droit privé, la loi n°98-750 du 23
décembre 1998 établit clairement l’interdiction qui leur est faite d’acquérir des terres du
domaine foncier rural. Elles sont donc réputées ne pas avoir à les transmettre. Cependant, le
législateur admet qu’elles puissent être propriétaires de terrains du domaine rural avant
l’entrée en vigueur de la loi de 1998. Dans ce cas, et dans le cas où les biens fonciers de la
collectivité sont détenus en zone urbaine, la transmission se fera selon les conditions propres
à chaque structure, dans le respect des limites prévues par la loi. Ainsi, pour ce qui est par
fonction sont autorisés à les racheter. Mais c’est là une appropriation qui répond à une procédure administrative autorisée
par le législateur.
311 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 2012, op. cit. p.753
122
exemple des sociétés coopératives dont font partie les coopératives agricoles, les articles 28 et
29 de la loi de 1997312 prévoient, en cas de décès d'un membre, que les ayants-droit qui
reprennent ses activités se substituent de plein droit à lui, par l'intermédiaire d'un
représentant, pour la durée de l'exercice en cours. Après quoi, ces héritiers ont la possibilité
de demander leur adhésion ou de se retirer. Ils peuvent demander, par ailleurs, le
remboursement de leurs droits, après apurement complet de leur compte. A l’inverse, dans les
sociétés commerciales agricoles (les groupements d’intérêt économiques), le décès d’un des
membres entraîne la dissolution de la société, sauf clause contraire prévue dans le contrat313.
La dissolution du Groupement d'Intérêt Economique (GIE) entraînant sa liquidation, une fois
les dettes épurées, l'excédent d'actif est réparti entre les membres ou leurs héritiers dans les
conditions prévues par le contrat. A défaut, la répartition est faite par parts égales 314. Ainsi,
pour un GIE dissout détenant des biens immobiliers, la répartition de ces biens sera faite, une
fois les dettes épurées entre les associés, et la part de l’associé défunt sera intégrée à son
patrimoine et vouée à la succession.
Outre ces personnes morales de droit public ou de droit privé dont l’organisation et le
fonctionnement sont prévus par des textes juridiques spécifiques, il existe cette autre catégorie
de personnes morales envisagées uniquement dans le cadre de la loi de 1998 relative au foncier
rural. Il s’agit des groupements informels.
Ces groupements informels ont, en réalité, été prévus par le décret n°99-594 du 13 octobre
1999 fixant les modalités d’application du Domaine foncier rural coutumier créé par la loi de
1998. Ces groupements, composés pour l’essentiel de membres d’une communauté villageoise,
sont formés uniquement dans le but de revendiquer, à titre collectif, la propriété d’un terrain.
Leur rassemblement se fait, en principe sur la base d’une communauté d’intérêts. Celle-ci
trouve son origine, d’une manière générale, dans une ascendance commune plus ou moins
lointaine : il s’agit selon les cas, soit d’une communauté familiale, soit d’une communauté
villageoise. Elle obéit aussi au désir de préservation de l’héritage commun. Le groupement
informel est représenté par un gestionnaire (bien souvent, chef de famille ou de communauté)
désigné par l’ensemble des membres du collectif. Il agit au nom de tous, défend l’intérêt
collectif, notamment en justice et face à l’administration.
Le groupement informel est donc un groupement ad hoc, différent par exemple du village qui
est une circonscription administrative, à qui l’Etat reconnait, de façon exceptionnelle, et
uniquement dans le cadre de la procédure prévue par la loi de 1998, une personnalité juridique.
Cette personnalité juridique est attribuée au groupement en tout début de procédure
d’acquisition du certificat foncier collectif et prend fin avec la procédure d’immatriculation, qui
elle, nécessite l’individualisation de la propriété collective. Cette individualisation est tout
aussi nécessaire en cas de dévolution successorale.
123
(transitoire) de propriété donc, il est cessible et transmissible. Toutefois, c’est un acte de
propriété collectif, et à ce titre, la transmission et même la cession s’avèrent plus
problématique. Il faut bien comprendre que le certificat collectif est délivré à un groupe de
personnes physiques dont les noms sont mentionnés sur le document. Toutes ces personnes
sont propriétaires au même titre de la parcelle concernée. Et parce qu’elles le sont à part égale,
aucune de ces personnes ne peut en disposer sans l’accord des autres. Le gestionnaire nommé
a l’obligation et non la faculté d’agir dans l’intérêt de tous. En conséquence, toute motivation
autre que l’intérêt du groupe devient illégale.
Le groupe est donc l’entité prise en compte dans le cadre du certificat foncier collectif. Pour
autant, le législateur n’en omet pas moins la possibilité d’une aliénation de tout ou partie du
certificat collectif. Toutefois, cette aliénation reste limitée, dans le texte de loi à la seule
cession. La loi reste absolument muette sur la question de la succession des parts d’un certificat
collectif. Elle ne prévoit ni un remplacement d’office à l’intérieur du collectif par l’un ou
l’ensemble de ses héritiers, ni un remboursement en termes monétaires de la part du défunt à
ses héritiers, ni même la possibilité pour ces héritiers de revendre la part du de cujus. Par
ailleurs, il est difficile de tirer des statuts spécifiques d’une forme juridique comme la
coopérative ou la GIE des éléments de réponse puisque le groupement informel n’est affilié à
aucune de ces sociétés. C’est donc de la disposition prévue pour la cession qu’il faut déduire ce
qu’il en est pour la succession, puisque celle-ci est, avec la donation, une autre forme
d’aliénation en ce qu’elle permet un transfert définitif de la propriété. En effet, s’il est crédible
d’envisager qu’en tant que dispositions constitutionnelle316, le droit de propriété sur sa parcelle
de terre ne peut pas ne pas être reconnu au défunt, il est tout aussi crédible de croire qu’en
tant que tel, cette propriété sera inclue dans le patrimoine successoral.
Or, concernant la cession, le législateur prévoit en son article 17 : « Le Certificat foncier peut
être cédé, en tout ou en partie, par acte authentifié par l'autorité administrative, à un tiers ou, lorsqu'il
est collectif, à un membre de la collectivité ou du groupement dans les limites de l'article premier ci-
dessus ». Ainsi, l’ensemble du collectif peut décider de céder son bien à une tierce personne
physique ou morale, dès lors que cette personne répond aux critères établis par la loi. Les
membres du collectif ont, eux aussi, le droit de céder leur part du bien collectif. Mais alors,
explique le texte législatif, ce droit ne doit être cédé qu’à un membre, et seulement à un
membre du collectif. Cette forte restriction, assurément, complique la situation des héritiers
en cas de décès d’un membre du collectif. Si, comme nous le supposons en raison du caractère
constitutionnel de la propriété, il leur est permis d’hériter de la part du de cujus au sein du
collectif, c’est probablement sous la forme d’un remplacement du De cujus par l’un des héritiers
comme dans le cas de la société coopérative. A moins que la succession se réalise sous la forme
d’une vente forcée à un membre ou à l’ensemble du collectif ; le prix de vente étant, par la suite,
partagé entre les cohéritiers, suivant les règles légales de dévolution.
En zone urbaine, la loi ne prévoit ni groupement informel, ni certificat collectif. Les seules
formes collectives prévues sont les différentes formes de sociétés dotées de la personnalité
juridique.
Toutefois, comme cela a déjà été signalé précédemment, les lotissements villageois qui sont
réalisés sur initiative villageoise ont bel et bien un caractère collectif. C’est, en effet, le collectif
villageois, représenté par son chef qui introduit la demande de lotissement auprès de
l’administration. Toutefois, les textes restent particulièrement opaques sur la nature juridique
du demandeur et préfèrent se limiter aux expressions « communauté villageoise »317 ou
« collectif villageois ». Quoi qu’il en soit, il n’y a là point de demandeur doté de la personnalité
juridique, car, le village, en tant que subdivision de circonscription administrative n’est guère
doté de la personnalité juridique. Le lotissement villageois a, en effet, ceci de particulier qu’il
est initié par un collectif dont on ne sait s’il faut l’identifier ou non au groupement informel
316 « Le droit de propriété est garanti à tous. Nul ne doit être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et
sous la condition d’une juste et préalable indemnisation ». Article 15 de la constitution ivoirienne de 2000
317 A ne pas confondre avec la communauté rurale qui est une collectivité territoriale.
124
prévu dans le cadre du foncier rural. On peut s’interroger sur une telle faille de la loi : comment,
alors qu’elle n’a pas de personnalité juridique, la communauté villageoise peut-elle initier un
lotissement ? Pourquoi ne pas lui avoir appliqué les mêmes avantages qu’en zone rurale ?
Un élément de réponse réside probablement dans le fait qu’une fois initiée, le lotissement est
réalisé sur la base d’une immatriculation du terrain au nom de l’Etat et non pas de la
communauté villageoise. Ainsi, à la différence du groupement informel qui a nécessairement
besoin de la personnalité juridique pour revendiquer la propriété que lui confère le certificat
foncier, la communauté villageoise elle, ne peut revendiquer aucune propriété puisque
l’immatriculation est faite au nom de l’Etat. La non prise en compte juridique de la
communauté villageoise trouve probablement sa justification dans le refus délibéré des
législateurs de la loi de 2003318 et de l’ordonnance de 2013319 d’envisager toute la procédure
d’avant l’immatriculation au nom de l’Etat. Théoriquement donc, le lotissement entier
appartient à l’Etat, qu’importe l’initiateur. La première conséquence de ce processus pour le
moins ambigu est le passage d’une prétention foncière collective à une propriété individuelle
de la collectivité territoriale. Désormais, en effet, l’Etat, en tant que personne morale, est le
seul propriétaire du lotissement. A ce titre, l’Etat en dispose comme il le désire.
Toutefois, et c’est la seconde remarque, s’il peut y avoir cession, il ne peut, en revanche, être
question de transmission au titre d’une dévolution successorale puisque c’est une collectivité
publique.
Néanmoins, la pratique est loin d’être conforme, et la communauté villageoise reste, en réalité
celle qui exerce effectivement les droits de propriété en procédant à un partage des lots entre
les individus. Lesquels, à leur tour, les céderont ou les transmettront selon un processus qui a
déjà été expliqué dans le cadre de la succession des patrimoines individuels.
Ce décalage entre théorie et pratique entraine des conséquences pour le moins incertaines.
318 Loi de 2003 relative au transfert des compétences de l’Etat aux collectivités territoriales
319 Ordonnance de 2013 relative aux procédures d’acquisition des terrains urbains
125
mais possédant des biens dans son pays d’origine où seuls les enfants légitimes peuvent hériter.
Il se trouve que X est un enfant légitime né dans le pays d’origine, tandis que Y est un enfant
naturel reconnu né après la naturalisation de son père. A ce titre, il ne peut hériter des biens
de son père existant dans le pays d’origine. Seul X qui est enfant légitime et possédant la
nationalité du pays d’origine peut prétendre à cet héritage. Resté en Côte d’Ivoire, Y (que la
loi admet comme héritier dès lors que sa filiation est établie, même s’il n’est pas issu d’une
union légitime) pourra demander à ce que soit déduit (en sa faveur) du patrimoine successoral,
la valeur en bien de l’héritage que X a déjà perçu dans le pays d’origine. Le partage égalitaire
entre les deux cohéritiers ne se fera que sur le reste du patrimoine.
Cette disposition répond à un besoin d’équité. Il s’agit de créer une situation d’égalité entre
les cohéritiers nationaux et non nationaux, quand une partie d’entre eux a été lésée. A la
différence, la loi de 1998 ne s’est prononcée que très superficiellement sur la question des
héritiers nationaux ou non.
Pourtant, en incluant l’exigence de nationalité parmi les conditions nécessaires à l’acquisition
de la propriété foncière, la loi de 1998 a placé les héritiers présumés d’un propriétaire étranger
dans une situation d’incertitude. En effet, si les héritiers de nationalité ivoirienne héritent au
même titre que n’importe quel autre héritier légal, ceux qui n’ont pas la nationalité ivoirienne
ne peuvent, en principe, hériter d’un terrain du domaine foncier rural320. La loi de 1998 les
oblige à demander et à obtenir la nationalité iv oirienne avant de rentrer en possession de
l’héritage. Or, la Côte d’Ivoire applique un droit du sang et non un droit du sol, et l’héritier
peut se voir refuser la nationalité ivoirienne. Auquel cas, on peut envisager (même si la loi ne
se prononce pas clairement) que le terrain serait inclus dans le domaine de l’Etat qui pourrait
leur proposer alors un bail emphytéotique.
Toutefois, suite à la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 et aux nombreux accords
qui ont suivi, notamment celui de Linas Marcoussis, le Conseil des ministres a examiné et
adopté le 18 décembre 2003, un projet d’amendement de la loi relative au domaine foncier
rural. Cet amendement de l’article 26 dispose, non seulement que les droits de propriété de
terres du Domaine Foncier Rural acquis antérieurement à la loi par des personnes physiques
ou morales ne remplissant pas les conditions d'accès à la propriété sont maintenus, mais aussi
que les étrangers propriétaires de terres doivent pouvoir transmettre leurs terres à leurs
enfants, même si ceux-ci ne remplissent pas les conditions de nationalité.
Repris par la loi n° 2004-412 du 14 aout 2004321, cet amendement de l’article 26 va être
confirmé en ce qui concerne la transmission du patrimoine par les personnes physiques à leurs
héritiers non nationaux. En revanche, la cession aux non nationaux n’est point admise. Les
personnes morales, quant à elles, ne sont point concernées par les successions. Toutefois, en
insistant sur le droit de préemption reconnu aux propriétaires d’un certificat foncier collectif,
le législateur de 1998 semble confirmer l’une des hypothèses envisagées précédemment sur la
succession d’un propriétaire de certificat collectif.
Si la loi de 1998 a été faite dans le but évident d’apaiser les populations autochtones détentrice
terriennes, l’amendement de l’article 26 de la loi de 1998 a été fait dans le but tout aussi avoué
de rassurer les populations agricoles non ivoiriennes. Cependant, compte tenu du pourcentage
extrêmement faible des personnes physiques propriétaires de terrain en zone rurale, les
retombées de cet amendement promettent d’être pour le moins négligeables. Il s’agit en effet
de la propriété foncière au sens légal du terme, c’est-à-dire une propriété consacrée en zone
rurale soit par le certificat foncier (pendant une période de trois ans) soit par une
immatriculation au livre foncier. Si l’on considère le pourcentage d’immatriculation des terres
en zones rurales qui avoisinait il y a quelques années les 2% et l’état d’avancée des procédures
320 En effet, la première version de l’article 26 de la loi de 1998 disposait que « Les droits de propriété de terres du Domaine
foncier rural acquis antérieurement à la présente loi, par les personnes physiques ou morales ne remplissant pas les conditions
d’accès à la propriété fixés par l’article 1 ci-dessus sont maintenus à titre personnel ».
321 Portant amendement de l’article 26 de la loi N° 98-750 du 23 décembre1998 relative au domaine foncier rural
126
d’obtention du certificat foncier qui en sont encore à la phase expérimentale, il va sans dire
que les propriétaires non nationaux sont des cas exceptionnels.
En revanche, les exploitants et les travailleurs non nationaux de la terre font partie du paysage
habituel de la vie agricole.
C’est peut-être en raison de cette réalité rurale que les amendements fonciers de 2003 et de
2014 ont été accompagnés d’amendements du code de la nationalité, notamment les articles
105322 et 107323. Ces amendements visent à faciliter l’acquisition de la nationalité ivoirienne
pour certaines catégories d’étrangers. Il s’agit notamment des personnes qui étaient installés
en Côte d’Ivoire avant l’indépendance et celles nées en Côte d’Ivoire avant 1973. Ces
amendements, qui sont, en réalité, des mesures d’accompagnement de la modification de la loi
de 1998 sont censés favoriser l’acquisition de la terre par des personnes d’origine étrangère en
leur permettant de remplir la condition de nationalité.
Pour autant, l’ensemble de ces dispositions ne résout pas l’essentiel de la question de l’héritage
des non nationaux en milieu rural, qui, tout compte fait, rejoint celle des nationaux. Il s’agit,
en effet, du contenu du patrimoine successoral dans une zone rurale où, rappelons-le, le taux
d’appropriation légale est dérisoire. Le fait que les héritiers acquièrent la nationalité ne change
rien à leur situation successorale si la propriété légale du bien foncier n’est pas établie. Ainsi,
bien que des efforts aient été faits au niveau législatif pour résoudre certaines situations
particulières (comme celle des héritiers non nationaux), il est certain que ces efforts restent
peu productifs dès lors que le nécessaire préalable à la sécurisation des droits fonciers n’est pas
accompli.
Et quand bien même cela sera fait, il restera encore à envisager toute la part d’informel
intervenant dans les relations en matière foncière. Ainsi en est-il de la question du passif de la
succession.
nationalité ivoirienne par déclaration dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi si à la date du 20
décembre 1961, il était mineur ou s’il est né avant le 25 janvier 1973, s’il a en Côte d’Ivoire sa résidence habituelle et si la
preuve de sa naissance en Côte d’Ivoire résulte d’une déclaration à l’état civil ou d’un jugement supplétif.
324 Loi n° 64-379 du 7 Octobre 1964 relative aux successions.
127
envisagés dans les « dettes et charges » pesant sur l’héritage du de cujus ? Mais c’est peut-être
en raison justement de l’existence de cette réalité contractuelle que les législateurs se
montrent plutôt évasifs sur la forme juridique des « dettes et charges », alors qu’ils sont bien
plus éloquents en ce qui concerne les hypothèques.
Ainsi explique la loi325, lorsque des immeubles d'une succession sont grevés des rentes par
hypothèque spéciale, chacun des cohéritiers peut exiger que les rentes soient remboursées et
les immeubles rendus libres avant qu'il soit procédé à la formation des lots. C’est l’hypothèse
par exemple d’un immeuble de location. Les revenus de la location pourraient servir dans un
premier temps à rembourser l’hypothèque avant que le partage ne soit fait entre les héritiers.
En revanche, si les cohéritiers décident de partager la succession dans l'état où elle se trouve,
l'immeuble grevé doit être estimé au même taux que les autres immeubles, et il n’est fait
déduction du capital de la rente que sur le prix de l’ensemble de la succession. Ainsi, l’ensemble
des héritiers bénéficie de la déduction de la rente hypothécaire, mais seul l'héritier dans le lot
duquel tombe l’immeuble hypothéqué, demeure chargé du service de la rente. C’est une charge
qui lui incombe et dont il doit garantir ses cohéritiers, car, s’ils sont tenus des dettes et charges
de la succession, personnellement pour leur part et portion virile, il n’en est pas de même pour
les hypothèques. En effet, en ce qui concerne les hypothèques, les cohéritiers sont tenus pour
le tout afin de garantir au détenteur de l’hypothèque le recouvrement de sa créance. En cas
d'insolvabilité d'un des cohéritiers ou successeurs à titre universel, sa part dans la dette
hypothécaire est répartie sur tous les autres. Ainsi, le partage des biens ne met pas à l’abri les
cohéritiers d’un remboursement ultérieur de l’hypothèque, quitte pour eux à recourir ensuite,
soit contre leurs cohéritiers, soit contre les légataires universels, à raison de la part pour
laquelle ils doivent y contribuer.
De même, s’il advient qu’un cohéritier ou successeur à titre universel en remboursant
l’hypothèque se retrouve à payer au-delà de sa part de la dette commune, il lui est permis de
se retourner contre ses cohéritiers, en vue d’un éventuel rééquilibrage financier. Toutefois, il
n'a de recours contre les autres cohéritiers ou successeurs à titre universel, que pour la part
que chacun d'eux doit personnellement en supporter. Et ce, même dans le cas où le cohéritier
qui a payé la dette se serait fait subroger aux droits des créanciers. Néanmoins, cela doit se
faire sans préjudice des droits d'un cohéritier qui, par l'effet du bénéfice d'inventaire, aurait
conservé la faculté de réclamer le payement de sa créance personnelle. En ce qui concerne les
titres exécutoires, si des mesures avaient été prises à l’encontre du défunt, elles sont
pareillement exécutoires contre l'héritier personnellement. Toutefois, les créanciers ne
pourront en poursuivre l'exécution que huit jours après la signification de ces titres à la
personne ou au domicile de l'héritier. Il est permis, par ailleurs, aux créanciers de la succession
de demander, dans tous les cas, et contre tout créancier, la séparation du patrimoine du défunt
d'avec le patrimoine de l'héritier, et ce, aussi longtemps qu’ils n’auront pas accepté l’héritier
comme nouveau débiteur. Mais, si jamais ils reconnaissent l’héritier comme nouveau débiteur,
toute distinction est supprimée entre le patrimoine personnel du cohéritier et celui qu’il
acquiert par la succession. Ce choix qui est laissé aux créanciers de la succession échappe, en
revanche, aux créanciers des cohéritiers qui ne peuvent nullement influencer la réunion ou
non des deux patrimoines. Par contre, la loi326 leur accorde le droit de s'opposer à ce que le
partage soit procédé hors de leur présence, pour éviter qu’il ne soit fait en fraude de leurs
droits.
La loi327 offre ainsi quelques garanties aussi bien aux créanciers de la succession qu’à ceux des
cohéritiers, mais encore faut-il que ceux-ci puissent apporter la preuve de leur créance et qu’ils
aient connaissance de ces garanties.
En cas de conflits, ils peuvent toujours saisir la justice qui tranchera dans un sens difficilement
prévisible.
325Article 114 de la loi de 1964
326Article 124 de la loi n° 64-379 du 7 Octobre 1964 relative aux successions.
327Loi n° 64-379 du 7 Octobre 1964 relative aux successions, notamment dans ses articles 111 à 124.
128
Paragraphe 2- L’effet des pratiques judiciaires
Les pratiques judiciaires oscillent entre la volonté de dire le droit et la nécessité de pallier aux
insuffisances flagrantes du droit en matière foncière. Ainsi, alors même que ces pratiques
tendent à se conformer de plus en plus à la loi en zone urbaine (B), elles optent, en revanche,
pour le compromis en zone rurale (A).
129
juge prend clairement le parti de ne point ignorer un concubinage notoire, quand bien même
celui-ci s’est fait au détriment d’un mariage tout à fait légal. Il choisit d’identifier ce
concubinage à une société de fait sur la base des droits coutumiers, et accorde donc la moitié
des biens acquis pendant le concubinage à la concubine. Ce faisant, il assure aux enfants du
couple illégal, à travers leur mère, une partie du patrimoine de leurs parents332.
Il arrive aussi que le magistrat donne droit à l’héritier légitime. Ainsi, dans l’affaire Gbalou
Jeannette contre Méon Sami et autres333, l’ex concubine remet en cause la gestion de l’héritier
coutumier soutenu par une partie des enfants du défunt. En l’espèce, huit (8) enfants se
disputent la succession des plantations de leur défunt père, dont trois, d’un premier lit, associés
à l’héritier coutumier, et cinq, d’un second lit, soutenus par leur mère334. Ici, le juge préfère se
limiter au strict partage des biens entre les héritiers légaux, sans remettre en cause la gestion
antérieure par l’héritier coutumier et donc sans exiger de réparation pour les quatre années de
gestion exercées par l’héritier coutumier.
Cependant, il faut noter que ces décisions judiciaires tranchant en faveur des héritiers légaux
impliquent que le défunt ait acquis en propre la parcelle cultivée. D’une manière générale donc
ces terres sont suffisamment détachées d’une éventuelle parcelle coutumière collective pour
éviter toute confusion. Par ailleurs, le droit de propriété ou à défaut, le droit d’usage personnel
du défunt (obtenu par la location ou par une simple cession) doit être admis par les instances
traditionnelles. Dans le premier cas, le juge reconnait le droit de propriété de la plantation et
de la terre qui l’abrite aux héritiers légaux. Dans l’autre cas, il reconnait le droit de propriété
de la plantation et le droit d’usage sur la terre aux héritiers légaux. En ceci d’ailleurs, il ne se
distingue pas particulièrement de la pratique judiciaire en zone urbaine qui, bien que de plus
en plus conforme à la légalité, n’en respecte pas moins les droits coutumiers collectifs.
332En effet, pour peu que l’épouse légale remette en cause la reconnaissance de paternité au motif qu’elle n’a jamais accepté
cette reconnaissance, celle-ci doit être annulée et les enfants non reconnus sont insusceptibles de prendre part à l’héritage.
Article 22 de la loi n°64-377 du 7 octobre 1964 relative à la paternité et à la filiation et modifiée par la loi n°83-799 du 2 août
1983.
333 Arrêt N°10, Gbalou jeannette contre Meon Sami et autres, du 28 janvier 1999, du tribunal de première instance d’Abidjan,
inédit.
334 Il faut souligner que dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y a pas eu de mariage légal.
335Supériorité numérique par rapport aux mariages légaux que l’observation des ménages dans la ville d’Abidjan permet
d’établir.
336 Les décisions judiciaires analysées plus loin en témoignent.
337 Arrêt n°16, Dame Lamizana du 06 juillet 1988, consultable sur le site de la CSCA : http://juris.consetat.ci/page_book.php
130
cour réaffirme ce principe. En effet, dans l’arrêt Toure Abibata et autres338, la Chambre
administrative de la cour suprême (CSCA) donne droit aux héritiers du défunt Toure
Abdoulaye détenant de son vivant un arrêté de concession provisoire sur un terrain à lui
disputé par M. Emissah Kouao détenteur d’un certificat de propriété sur la même parcelle339.
De même, dans un arrêt Tabley Dabley Abel et autres de 2010340, la cour donne droit aux
prétentions des héritiers du feu Tabley Dabley Basil malgré la mise en valeur par un
concurrent du terrain litigieux. Toujours dans la même logique, la chambre administrative de
la Cour suprême confirme la légalité d’une lettre d’attribution accordée à feu Ollo Gabriel,
reconnaissant ainsi aux héritiers le droit de réclamer l’annulation d’un arrêté de concession
provisoire accordant à un nouvel attributaire le lot litigieux341. Pour autant, même si les droits
des héritiers légaux sont aussi fermement affirmés, la pratique judiciaire en zone urbaine ne
rejette pas aveuglement les prétentions coutumières. Ainsi, dans un arrêt Nanan Teye Nyamke
de 2010342, le juge a considéré qu’un bien acquis légalement depuis 1955 mais ayant fait l’objet
à plusieurs reprises d’une succession coutumière ne pouvait revenir aux héritiers légaux du
dernier successeur coutumier. En effet, a estimé la cour : « Considérant que le lot 288 en cause a
fait l'objet d'un arrêté de concession définitive au profit de SAI ANDRE le 5 mars 1955 ; Qu'il ne
résulte pas du dossier que cet acte, créateur de droits, a été annulé préalablement à la délivrance du
certificat de propriété à un tiers ; Qu'au surplus ce bien, demeuré dans l'indivision, ne pouvait devenir
la propriété exclusive de EKRA TANO et de ses seuls descendants ; Que dès lors le certificat de propriété
n°01169 du 6 juillet 2006, établi au nom de EKRA TANO, sur le lot n°288 concédé à titre définitif à
SAI André, est entaché d'illégalité.». La cour a donc tranché, ici, en faveur de l’héritier coutumier
du défunt Ekra Tano, c’est-à-dire le requérant Nanan Teye Nyamke.
Il faut noter aussi que, dans bien des cas, la cour tranche sans s’étendre sur la nature de la
succession dont les ayant-droits se prévalent. Ainsi, dans l’arrêt Adou Kouassi de 1998343, il
est simplement affirmé que le lot litigieux a été accordé par le roi d’Abengourou à M. Assie et
ses quatre frères et que ledit lot est passé par voie successorale à Kouamé Dongo, N’da Kouassi
et enfin à Adou Kouassi. Est-ce par la voie successorale légale ou par la coutume ? Il est difficile
de savoir, sachant que l’arrêt ne le précise pas et que le lien de parenté n’est pas signifié.
Quoiqu’il en soit, l’arrêt est prononcé en faveur de l’héritier, c’est-à-dire le requérant Adou
Kouassi. La cour opte aussi, dans certains circonstances, pour une reconnaissance globale des
droits des ayant-droits, sans faire de distinction particulière entre les ayants-droits légaux et
ceux coutumiers. Ainsi, dans l’arrêt Dame Aka N’da Thérèse de 2011344, la cour a reconnu les
droits de l’épouse et des héritiers légaux sans pour autant remettre fermement en cause les
prétentions successorales d’un prétendant coutumier. La cour a ainsi tranché : « Considérant
que le Préfet de Grand-Bassam, en transférant le terrain détenu en indivision par l'ensemble des ayants-
droit de Feu NIAMKE Aka à AMICHIA Gnankouyounge Roger sans avoir au préalable annulé le
permis d'habiter établi au nom de NIAMKE Aka a méconnu les droits des autres héritiers. ».
338 Arrêt n°55 Touré Abibata et autres du 17 décembre 2008, Trimestriel de la Chambre administrative de la cour suprême
(CSCA) n°2, juin 2014
339
Dans cette affaire, le juge reconnait non seulement aux héritiers de M. Touré Abdoulaye le droit à réclamation de la
parcelle de leur père défunt, mais reprend le principe posé dans l’arrêt Deflorin Marcel Werner, selon lequel un acte
administratif de propriété foncière demeure un acte administratif susceptible d’un recours en annulation pour illégalité.
L’illégalité provenant dans ce cas d’espèce de ce que le certificat de propriété a été émis sur la base d’un arrêté de concession
provisoire irrégulier puisque survenu après que le terrain ait été concédé à M. Touré.
340 Arrêt n° N° 44 du 20 juillet 2011 TableyDabley Abel et autres contre Ministre de la construction de l’urbanisme et de
et de l’habitat.
342 Arrêt N° 52 du 23 juin 2010 Nanan TeyeNyameke contre conservateur de la propriété foncière et des hypothèques.
CSCA : http://juris.consetat.ci/page_book.php
131
L’observation de la pratique judiciaire en matière de succession foncière fait donc état d’un
certain hétéroclisme et d’une incertitude amenant, bien souvent, les parties en conflit à tenter
une négociation à l’amiable. Ainsi, certaines stratégies de partage des biens entre la famille du
défunt d’un côté, et l’épouse et les enfants de l’autre, se sont mises en place pour éviter les
conflits. La veuve, au nom de ses enfants, cède une partie de la succession de son mari à sa
belle-famille et obtient en échange la tranquillité pour elle-même et ses enfants345. La situation
est plus complexe quand il s’agit d’un mariage polygamique ou encore quand les enfants ne
sont pas issus du même lit. Ce sont là des cas de conflits qui s’observent de plus en plus avec
une tendance pour les enfants plus âgés à exclure leurs jeunes demi-frères346. C’est le cas aussi
pour les enfants légitimes qui tentent d’écarter de la succession les enfants illégitimes, s’ils
n’ont pas été élevés dans la maison familiale347.
345 Les craintes ici concernent certes le harcèlement physique, le poison, mais aussi les représailles d’ordre spirituel ou
ésotériques comme la malédiction ou la sorcellerie.
346 IIPEC, Rapport 2013, op. cit.
347 Il est courant, en effet, dans la pratique des ménages urbains, que des enfants adultérins soient élevés dans la maison
familiale.
132
DEUXIEME PARTIE
LA GESTION DES TERRES
A l'origine de la politique de gestion des terres, il faut citer le décret du 15 Novembre 1935
portant réglementation des terres domaniales en Afrique Occidentale française. Le régime
juridique des terres était celui de la concession et reposait sur l'article premier dudit décret qui
précisait que les terres vacantes et sans maître appartiennent à l'Etat.
En 1998, la loi du 23 décembre 1998 introduit une réforme concernant le domaine foncier
rural où l’on voit apparaître un nouveau concept, celui de patrimoine national.
Dans la pratique, la République de Côte d’Ivoire n’innove pas. Certains textes
coloniaux et quelques règles édictées après l’indépendance vont permettre d’une part de
connaître l’étendue des droits de l’Etat par rapport à ceux des particuliers et d’autre part
d’identifier les matières sur lesquelles s’exercent ces droits.
Aussi, convient-il de présenter l’ensemble des d’instruments juridiques (titre 1) qui
sous-tend un cadre structurel et opérationnel de gestion des terres qu'il faudra examiner
également (titre 2).
133
TITRE 2
LES REGLES DE GESTION
La loi n°98-750 du 23 décembre 1998consacre la reconnaissance juridique de la propriété
foncière coutumière. Elle marque également la fin du monopole foncier de l’Etat sur les terres
non immatriculées, c’est-à-dire sur la quasi-totalité des terres rurales. Cette nouvelle
orientation de politique foncière s’est traduite par l’édiction de plusieurs textes règlementaires
relatifs à la gestion du domaine foncier rural (chapitre 1). Contrairement au domaine foncier
rural, le domaine foncier urbain fait l’objet d’un monopole de l’Etat, à travers une kyrielle de
textes (chapitre 2).
134
CHAPITRE I : LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE FONCIER
RURAL
348A. LEY : le régime domanial et foncier et le développement économique de la Côte d’Ivoire p.282 et 283
135
rachetées font partie du domaine privé de l’Etat ; elles sont gérées conformément aux règles
qui régissent ce domaine349.
349 -supra P :
350
Ces terres sont immatriculées directement au nom des détenteurs de certificat fonciers : voir décret n°99-594 du 13 octobre
1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
351Voir décret n° 99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires provisoires
en vertu des droits coutumiers exercés collectivement et individuellement font partie du domaine privé de l’Etat (V. loi n°
86-91/AN/RM du 12 juillet 1986).
136
consenties moyennant le paiement d’un loyer dont les bases d’estimation sont fixées par la loi
de finances. La cession directe du contrat par le locataire et la sous-location sont interdites
(art.15 alin.3 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998). Enfin, à condition qu’il ne porte atteinte
aux droits des tiers, le contrat de location se transfère par l’Administration sur demande
expresse du cédant.
Les contrats de location comportent obligatoirement des clauses de mise en valeur dont
le non-respect expose le locataire défaillant à des sanctions, notamment la résiliation ou la
perte de la superficie non mise en valeur. En cas de résiliation pour non-respect des clauses
du contrat, les impenses réalisées par le locataire défaillant sont vendues aux enchères. Le
produit de la vente est remis au locataire défaillant après déduction des frais éventuels et
apurement de son compte vis-à-vis de l’Etat.
Outre la location, les terres immatriculées au nom de l’Etat peuvent être vendues à
l’ancien concessionnaire ou à tout demandeur remplissant les conditions d’accès à la propriété
foncière.
terres du domaine coutumier et portant modification de l’article 6 de la loi n° 98-750 du 23 décembre relative au domaine
foncier rural, telle que modifiée par la loi n° 2004-412 du 14 août 2004, JORCI du 14 octobre 2013, P.598.
361 -Infra p.
137
2- Les terres des Collectivités territoriales
Conformément à la législation en vigueur362, le domaine foncier rural des Collectivités
territoriales (districts, régions, communes) est composé des terres qui leur sont transférées ou
cédées (a), des terres acquises (b) et des terres d’intérêt local (c).
362 Loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des Collectivités territoriales modifiée
par la loi n° 2005-161 du 27 avril 2005 (Articles 202 à 223).
363 -Articles 202 à 204 de la loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 précitée.
364 -Articles 203 de la loi n° 2003-489 du 26 décembre précitée.
365 Voir supra
138
les données disponibles indiquent que 248 concessions définitives seulement, ont pu être
délivrées par l’Etat366.
Aux terres immatriculées, s’ajoutent celles que les particuliers ont pu acquérir sous le
régime du code civil. En effet, sous ce régime introduit en Côte d’Ivoire par l’arrêté Binger du
10 septembre 1893, l’administration coloniale avait concédé de vastes portions de terres
domaniales aux personnes physiques et morales capables de les mettre en valeur367. Mais les
droits fonciers résultant de ces concessions n’ont pu légalement être maintenus que par la voie
de l’immatriculation. Le décret du 26 juillet 1932 (art. 21) indique en effet que la propriété des
biens immeubles de même que les autres droits réels (usufruit, emphytéose, droit de superficie,
etc..) ne se conservent et ne produisent effet à l'égard des tiers que s'ils ont été publiés au livre
foncier.
En dehors de l’appropriation des terres par voie d’immatriculation (« propriété
immatriculée »), la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural a
consacré la « propriété certifiée », c’est-à-dire celle qui résulte du certificat foncier et dont les
caractéristiques sont similaires à la propriété civiliste368. Cette propriété découlant de
l’exercice de droits coutumiers est également reconnue par le législateur guinéen. L’article 39
du code foncier et domanial guinéen dispose à cet effet que sont propriétaires fonciers, les
occupants, personnes physiques ou morales, justifiant d’une occupation paisible, personnelle,
continue et de bonne foi d’un immeuble à titre de propriétaire369.
Les propriétaires de terres rurales immatriculées peuvent en disposer librement sous
réserve des dispositions de l’article 1 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au
domaine foncier rural370. Quid des titulaires de certificats fonciers dont les droits sont
assimilables à la propriété civiliste ? Ceux-ci ont toute latitude de louer leurs terres ou même
de les céder par acte authentifié par l’autorité administrative (article 17 de la loi n° 98-750 du
23 décembre 1998 précitée).
Contrairement aux catégories de terres précitées dont la propriété peut être établie par
les personnes ou entités concernées, les terres dites sans maître, ont toujours été au centre
d’un contentieux récurrent opposant l’administration aux populations locales.
admis à être propriétaires des terres du domaine foncier rural. Les personnes physiques ou morales ne faisant pas partie de
cette énumération peuvent néanmoins bénéficier d’un certificat foncier.
371Ce décret abroge le décret du 23 octobre 1904 qui s’inspirant des articles 539 et 713 du code civil disposait que les terres
brousse est toujours sous la juridiction d’un chef quelconque » : Elias Olowale ; la nature du droit coutumier africain
139
l’administration coloniale et des colons capables de mettre les terres en valeur 373. C’est la
raison pour laquelle le Conseiller Jean Baptiste Mockey, après avoir dénoncé les
revendications foncières de l’Etat colonial, avait demandé l’arrêt des concessions et le retour
dans le patrimoine coutumier des terres déjà concédées374.
Face à la levée de boucliers des propriétaires coutumiers et des intellectuels africains,
les dispositions du décret du 15 novembre 1935 relatives aux terres vacantes et sans maître
avaient été abrogées entraînant ainsi une renonciation de l'Etat auxdites terres. Mais en
réalité, cette renonciation n'était qu'apparente ; car, l'article 13 du décret du 20 mai 1955 qui
la consacrait, renvoyait à l'article 713 du code civil aux termes duquel les terres vacantes et
sans maître appartiennent à l'Etat. Ce qui maintenait implicitement la revendication de l'Etat
colonial sur les terres vacantes et sans maître.
En réalité, le mérite du décret du 20 mai 1955, était d'avoir, comme le prévoit l'article
1315 du code civil, réalisé le renversement de la charge de la preuve de la vacance et de
l'absence de maître. En effet, sous l'empire du décret du 15 novembre 1935, il appartenait aux
autochtones de prouver que leurs terres n'étaient ni vacantes, ni sans maître. Une telle preuve
était très malaisée, car bien souvent, ceux-ci ne disposaient pas de titre d'occupation. Avec le
décret du 20 mai 1955, on revenait donc aux dispositions du code civil (art. 1315) de sorte qu'il
incombait à l'Etat colonial de prouver la vacance et l'absence de maître. Juridiquement, l'on se
trouvait dans une situation paradoxale dans laquelle ni l'Etat colonial, ni les détenteurs
coutumiers, n'étaient propriétaires des terres non immatriculées.
Le décret n° 55-580 du 20 mai 1955 n’a pas connu d’application en raison de l’accession
de la Côte d’Ivoire à l’autonomie interne et plus tard à l’indépendance. Il n'est d'ailleurs pas
certain que la situation aurait été fondamentalement différente, si l'indépendance n'était pas
intervenue, car les textes antérieurs au décret du 20 mai 1955 ont en réalité connu peu
d'application.
En ayant recours au concept de terre sans maître375, le législateur ivoirien, pour éviter
toute équivoque, a pris soin d'en donner la définition. Ainsi, dans la version initiale de la loi n°
98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, étaient d'abord considérées
comme des "terres sans maître", les terres objet d'une succession ouverte mais non réclamée
depuis plus de trois ans. Tel était le cas ensuite des terres sur lesquelles des conflits
perduraient dix ans après la publication de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998. Tombaient
enfin sous le coup de cette appellation, les terres concédées provisoirement mais non mises en
valeur trois ans à compter de cette publication.
Les délais précités n’ont pu être respectés par les titulaires de droits fonciers concernés.
Aussi, pour éviter que ceux-ci ne soient dépossédés de leurs terres par application de la théorie
des terres sans maître, le législateur a été amené par la loi n° 2013-655 du 13 septembre
2013, à proroger les délais initiaux par une modification de l’article 6 de la loi n° 98-
750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Cette prorogation qui prend
effet, à compter de la date de publication de la loi du 13 septembre 2013, court pour 10 ans, en
ce qui concerne les terres du domaine coutumier et pour 5 ans, en ce qui concerne les terres
provisoirement concédées376.
De ce qui précède, il convient de se demander à qui incombe la charge de la preuve de
l'absence de maître? Cette charge en vertu de l'article 6 de la loi n° 98-750 du 23 décembre
1998 précitée, incombe à l'administration. Celle-ci doit à cet effet, délivrer un acte administratif
373«L’ordre juridique colonial s’analyse comme un ensemble de procédés juridiques de spoliation des terres coutumières en
vue de leur distribution aux colons et surtout aux grandes compagnies » : ReneDegni-Segui ; le diagnostic du droit foncier
rural, Etudes et Documents du CIREJ n° 1 avril 1987 p 95 ; voir dans ce sens H.Sarassoro ; Droit foncier ivoirien, occupants
et propriétaires coutumiers ; Etudes et documents du CIREJ n° 1 avril 1987 p 125.
374René Degni-Segui, op.cit
375Il convient de relever que le législateur ivoirien a fait l’économie du concept « terres vacantes » ; ce qui suggère que même
les terres mises en valeur peuvent dans les conditions de délais prévus par la loi, être considérées comme des terres « sans
maître ». En d’autres termes, l’absence de vacance ou l’exploitation d’une terre ne sont guère synonymes de maîtrise foncière.
376Supra.p
140
constatant le défaut de maître. Cette disposition qui est conforme à l'article 1315 du code civil,
est à l'avantage des propriétaires fonciers coutumiers, car ceux-ci ne disposent pas le plus
souvent d'un document attestant de leurs prérogatives foncières.
Cependant, une fois que la preuve de l’absence de maître est établie, les terres concernées377
peuvent être incorporées au domaine privé de l’Etat et gérées conformément aux textes en
vigueur378. Si l'on tient compte du nombre important de conflits fonciers non résolus et du
manque de moyens des populations rurales pour la mise en valeur des terres, l'Etat apparaît
d'ores et déjà comme le potentiel bénéficiaire de l'application du concept de terres sans maître,
tout comme ce fut le cas de l'administration coloniale, relativement à la théorie des « terres
vacantes et sans maître ».
Dans l’ensemble, malgré leur diversité, les terres du domaine foncier permanent se
caractérisent par un statut relativement stable. Tel n’est pas le cas en revanche, des terres du
domaine foncier rural transitoire.
377Terres objet de conflits interminables et irrésolus 10 ans après la promulgation de la loi n° 2013-655 du 13 septembre
précitée, de même que les terres concédées n'ayant pas été mises en valeur dans le délai de cinq ans imparti.
378 -sur la gestion des terres du domaine privé de l’Etat, voir supra. P
379L’immatriculation constitue le fondement de la propriété foncière en Côte d’Ivoire. Il en résulte que l’appropriation d’une
terre sur la base des dispositions du code civil ne suffit pas pour conférer la propriété telle que résultant du régime foncier.
380 -Article 3 de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998
381 -Le certificat foncier qui consacre la propriété foncière coutumière peut être cédé en présence de l’Administration
compétente (article 20 du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural
coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998).
382 -Nonobstant la loi du 23 décembre 1998, des transactions foncières coutumières continuent d’être effectuées sans que le
141
coutumier est aussi composé de droits cédés aux tiers, le législateur de 1998 semble consacrer
non seulement l’existence, mais aussi la reconnaissance de ces droits.
En ce qui concerne les droits coutumiers cédés postérieurement à la réforme foncière
de 1998, dès lors que le législateur ne fait aucune distinction entre ceux qui sont régulièrement
cédés et ceux qui ne le sont pas, il y a lieu d’admettre que ces droits sont indifféremment
reconnus comme faisant partie du domaine coutumier, au même titre que les droits cédés
antérieurement à ladite réforme. En d’autres termes, qu’ils soient antérieurs ou postérieurs à
la réforme foncière de 1998, les droits coutumiers cédés sont reconnus. Mais cette
reconnaissance ne préjuge en rien de la régularité de la cession. Aussi, revient-illogiquement
à la jurisprudence d’apprécier au besoin, la régularité ou non des cessions de droits coutumiers.
Sur ce point, la Cour d’Appel de Daloa383a pu juger à plusieurs reprises que la « cession d’une
terre coutumière opère au profit du cessionnaire un transfert des droits coutumiers de sorte
que le cédant n’est plus fondé à s’en réclamer ».
Mais à l’analyse, cette solution qui s’accommode des cessions de terres rurales
dépourvues de certificats fonciers, semble remettre en cause le bien-fondé des procédures
domaniales et foncières. En effet, la reconnaissance de droits fonciers coutumiers cédés, sans
passer par la certification, s’apparente à un blanc-seing à la prolifération des actes sous-seing
privés ou des conventions coutumières contra-legem. Si elle est déjà discutable pour les droits
cédés avant la réforme foncière de 1998, elle l’est davantage pour les droits cédés après ladite
réforme. En d’autres termes, cette reconnaissance se concilie difficilement avec la nécessité
actuelle de promouvoir la certification foncière. Or, concernant le domaine foncier coutumier,
le certificat foncier constitue le point de départ de la propriété foncière immatriculée384. En
effet, tout titulaire d’un certificat foncier dispose, conformément à la réglementation en
vigueur, d’un délai de trois ans pour demander l’immatriculation de sa parcelle de terre.385
Certes, le titulaire du certificat foncier peut disposer de son bien foncier conformément
aux dispositions du Code civil, mais cette faculté ne lui confère pas pour autant la propriété au
sens de la réglementation foncière, propriété qui découle nécessairement de l’immatriculation
foncière386.
Faute d’immatriculation au nom d’un ayant-droit, les terres du domaine coutumier
conservent leur statut transitoire. Il en va de même des terres du domaine concédé.
383 -Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 59/12/ du 1er février 2012 ,Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 36/12 du 25 janvier 2012
et Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 110/12 du 14 mars 2012.
384 -voir infra p.
385 -Voir article 24 du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier coutumier
142
Exception faite des terres appartenant déjà aux particuliers, les terres du domaine
foncier permanent ou du domaine foncier transitoire peuvent faire l’objet d’attribution,
conformément à la réglementation en vigueur.
1- le permis d'occuper
Régi essentiellement par le défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971, le permis d’occuper
était une autorisation d’occupation délivrée par le préfet ou le sous-préfet. Ce texte disposait
en son article 1 que « toute occupation de terrain pour être légale doit être justifiée, pour les
terrains ruraux…par une autorisation d’occupation à titre précaire et révocable délivrée par
le Ministre de l’intérieur ou son représentant… ».
Du fait même de sa précarité, le permis d’occuper n’était ni cessible, ni négociable, ni
transmissible. Le préfet ou le sous-préfet ne pouvait accorder qu’une superficie de 50 hectares.
Au-delà de cette superficie, la demande devait être transmise au Ministre de l’Agriculture
accompagnée de l’avis de la commission d’attribution. Faute de mise en valeur de la terre
concernée dans le délai de 5 ans, le permis pouvait être retiré par l’Administration. Les
titulaires du permis d’occuper pouvaient demander la concession provisoire ou définitive, mais
bien souvent la majorité des attributaires restaient sous le régime du permis d’occuper.
Aujourd’hui encore, plusieurs terrains ruraux sont détenus sur la base du permis d’occuper.
Mais leur titulaire tout comme les titulaires de concessions provisoires sous réserve des droits
des terres, sont tenus de demander l’immatriculation de leurs terres dans le délai de 5 ans, au
risque de perdre leurs prérogatives foncières au profit de l’Etat, en vertu de la théorie des
terres sans maître387.
143
d’un an à compter du décès du concessionnaire. En cas de défaut de mise en valeur ou
d’insuffisance de mise en valeur, le terrain concerné pouvait être retiré par arrêté du Ministre
de l’Agriculture. Dans le cas contraire, le concessionnaire pouvait rester sous le régime de la
concession provisoire aussi longtemps qu’il le désirait alors même que l’arrêté du 31 janvier
1938 (article 10) lui faisait obligation de passer au stade de la concession définitive.
Plus d’une décennie après la réforme foncière du 23 décembre 1993, de nombreuses terres
demeurent encore sous le régime de la concession provisoire et font partie du domaine foncier
transitoire389. Pour remédier à cette situation, la réforme foncière oblige les titulaires de
concessions provisoires à immatriculer, dans le délai de 5 ans, leurs terrains, sous peine de les
perdre en application de la théorie des terres sans maître390.
3- La concession définitive
La concession définitive réalisait la cession par l’Etat d’un terrain à un particulier ou à une
collectivité. Elle avait lieu sous la condition résolutoire du paiement par le concessionnaire
définitif, au plus tard le mois qui suit la notification de l’arrêté, du prix de cession (50 000
FCFA par hectare), des frais d’inscription au livre foncier et des frais d’enregistrement et de
timbre.
La concession était accordée si au moins les 2/3 du terrain étaient mis en valeur et après
création du titre foncier. Mais pour limiter les accaparements et le gel stérile des terres, la
concession définitive a été limitée à une superficie de 12 hectares391, suite à une délibération
de l’Assemblée territoriale du 27 novembre 1948. S’il y a un surplus de superficie, celui-ci était
donné en bail emphytéotique.
La concession définitive opérait transfert de propriété au profit du concessionnaire. Celui-
ci ne pouvait pendant la durée de 30 ans céder son terrain sans l’autorisation du Ministre de
l’Agriculture. Par ailleurs le concessionnaire est assujetti à une obligation permanente de mise
en valeur. Il en résulte qu’en cas d’abandon du terrain ou de défaut de mise en valeur pendant
la durée de 10 ans, le terrain concerné pouvait être retiré par l’Etat392.
4- Le bail emphytéotique393
Le bail emphytéotique a été institué à l'origine pour mettre fin à l’exploitation
anarchique des terres et à la spéculation foncière consécutive à la facilité d’obtention de la
concession définitive par les sociétés étrangères. C’est un bail qui est accordé par le Ministre
chargé de l’Agriculture pour une durée qui varie de 18 à 99 ans. Mais en pratique, la durée du
bail est de 25 ans renouvelables.
Le bail emphytéotique est un droit réel cessible et susceptible d’hypothèque conformément à
l’article 31 du décret du 26 juillet 1932. De ce point de vue, et compte tenu de sa durée, il
procure une sécurité suffisante aux investisseurs et aux établissements financiers. Tout en
instituant une obligation permanente de mise en valeur, le bail emphytéotique permet par la
même occasion, de réserver des terres pour l’avenir. Il permet, comme le relève, à juste titre,
A. Ley394, de répondre à l’augmentation démographique, sans expropriation, ni réforme
agraire. C’est donc un instrument de gestion rationnelle des ressources foncières.
389 -supra ; P.
390Supra.P
391 -cette disposition n’a pas encore été remise en cause de façon formelle par le législateur ivoirien ou même par l’autorité
administrative compétente.
392 -Loi et décret du 12 juillet 1971 relatifs à l’exploitation des terrains ruraux détenus en pleine propriété. Arrêté du 9 juillet
1936 précité.
393 -Ce mode d’attribution de la terre a été déjà traité en divers endroits du présent ouvrage et ne fera donc pas ici l’objet de
144
B- Depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998
Avec la réforme du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, l'attribution des
terres se réalise désormais à travers le certificat foncier (1), la concession de la propriété (2)
par obtention du titre foncier et le bail emphytéotique (3).
1- Le certificat foncier
Aux termes de la loi du 23 décembre 1998 (art.8), l’obtention du certificat foncier est
subordonnée au constat d’existence paisible et continue de droits coutumiers. Ce constat est
établi à l’issue d’enquêtes officielles réalisées conformément à la procédure définie par le décret
n° 99-594 du 13 octobre 1999. Cette procédure comporte plusieurs étapes qui sont :
-Le déroulement de l’enquête : l’enquête est ouverte par affichage de la demande en divers
lieux (sous-préfecture, village concerné, services extérieurs du MINAGRA, etc..). L’enquête
est effectuée par une équipe dirigée par le commissaire-enquêteur. Elle aboutit à la constitution
d’un dossier de délimitation et à l’établissement d’un procès-verbal de recensement des droits
coutumiers. Le dossier de délimitation comprend le plan du bien foncier et un constat des
limites établis par l’opérateur technique agréé.
-La validation de l’enquête : l’enquête est validée par le comité de gestion foncière rurale de
la sous-préfecture, après une période de publicité de trois mois qui court à compter de la séance
publique de présentation des résultats de l’enquête. La publicité est réalisée par le
commissaire-enquêteur dans les villages concernés, sous l’autorité des comités villageois de
gestion foncière rurale. A compter de la validation de l’enquête, le demandeur insatisfait
dispose d’un délai de 6 mois, pour introduire une ultime demande d’enquête. Passé ce délai, les
résultats de l’enquête peuvent être utilisés par tout ayant droit déterminé par l’enquête.
Après validation de l’enquête, le certificat foncier est signé et publié au journal officiel
par le préfet de département. A compter de la signature du certificat par le préfet, le titulaire
dudit certificat dispose d’un délai de trois ans pour requérir l’immatriculation du bien foncier
concerné.
Si le délai pour demander l’immatriculation, est comme on le constate, précisé, le délai
accordé aux détenteurs coutumiers de la terre pour demander le certificat foncier ne l’est
guère. Il en résulte que ceux-ci ont toute latitude de demeurer le plus longtemps possible sous
l’empire du droit coutumier. Mais en fait, les détenteurs coutumiers inactifs ou négligents
courent le risque de perdre leurs terres par application des dispositions de la loi du 23
395-Après plusieurs échanges entre les services compétents du Ministère de l’Agriculture et l’ordre des géomètres experts,
le choix de la légalité l’a emporté de sorte que les opérations de délimitation des parcelles rurales sont réalisées par les
géomètres experts. Mais malheureusement, le nombre insuffisant de géomètres-experts (une trentaine pour le territoire
national), vient aggraver les difficultés d’accès au certificat foncier.
145
décembre 1998 relatives aux «terres sans maître ». Car, après avoir indiqué que «les terres
sans maître » appartiennent à l’Etat, ces dispositions précisent notamment que sont
considérées comme des terres sans maître, les terres du domaine coutumier sur lesquels des
droits coutumiers exercés de façon paisible et continue n’ont pas été constatés dix ans après la
publication de la loi du 23 décembre 1998.
Les droits fonciers coutumiers n’ayant pas été constatés dans leur quasi-totalité, dans
le délai prescrit, leurs titulaires couraient le risque dès 2009 de perdre leurs prérogatives
foncières par application de la théorie des terres sans maître. C’est pour éviter une telle
situation qu’une prorogation pour la même durée de dix ans a été accordée par la loi n° 2013-
655 du 13 septembre396. Cette prorogation court, à compter de la date de publication de cette
loi.
Au regard des dispositions de la réforme foncière du 23 décembre 1998, le certificat foncier
qui ne concerne que les terres du domaine rural coutumier ne donne pas accès à la propriété
au sens de la réglementation foncière397. Il rappelle singulièrement le certificat administratif
foncier expérimenté sans succès sous l’ère coloniale398.
396 -Supra
397 -Infra p.
398D. du 26 juillet 1932 abrogeant décret du 24 juillet 1906, D. du 20 mai 1955
399Infra.p
400 Ouattara Nanakan : contribution de la sécurisation du foncier rural dans le développement durable de l’Agriculture en
Côte d’Ivoire, Centre d’Etudes Financières, économiques et bancaires, Marseille 2013. P.31
146
efforts que l’on observe également dans la définition des critères d’attribution des terres
rurales.
2- Le critère personnel
Aux termes de l'article premier de la réforme foncière du 23 décembre 1998, seuls l'Etat,
les Collectivités Publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admises à être
propriétaires. Il en résulte que d'une part, les personnes physiques non ivoiriennes, d'autre
part, les personnes morales, quelle que soit leur nationalité, ne peuvent requérir en leur nom
l'immatriculation d'un terrain du domaine coutumier.
Si ces dispositions d'une importance capitale se justifient par la volonté de l'Etat de mettre
un terme à la mainmise croissante des non nationaux sur les terres et à réserver
corrélativement aux nationaux la maîtrise du patrimoine foncier ivoirien, elles posent
nécessairement le problème des droits acquis des personnes physiques non ivoiriennes et des
personnes morales visées.
En ce qui concerne les personnes physiques non ivoiriennes, la loi foncière de 1998, dans
la formulation initiale de son article 26, disposait que les droits fonciers que celles-ci avaient
déjà pu acquérir étaient maintenus à titre personnel. Autrement dit, ces droits cessaient en
401 -Infra p.
147
principe avec le décès de leur titulaire. Cependant, la loi foncière dans sa première formulation,
opérait une discrimination qui permettait aux héritiers de nationalité ivoirienne, de demander
l'immatriculation à leur nom. Dans le cas où ceux-ci n’étaient pas ivoiriens, ils disposaient
alors d'un délai de trois ans pour céder les terres à une personne physique ivoirienne, ou pour
requérir à leur profit une location, après retour des terres concernées au domaine de l'Etat.
De toute évidence, cette disposition de l’article 26 n’est guère en harmonie avec la
théorie des droits acquis. Aussi avait-elle fait l’objet de critiques virulentes, à telle enseigne
que suite aux accords de Linas Marcoussis (en France), consécutifs à la crise sociopolitique de
2002, elle a été modifiée par le législateur ivoirien, à travers la loi n°2004-412 du 4 août 2004.
Cette modification qui a pris forme à travers l’article 26 nouveau de la loi du 23 décembre
1998, indique que les droits de propriété foncière que les personnes physiques non ivoiriennes
ont pu déjà acquérir sont maintenus. Autrement dit, ces droits fonciers n’ont plus un caractère
personnel et peuvent être transmis aux héritiers, quelle que soit leur nationalité.
En ce qui concerne les personnes morales maintenues dans leur droit de propriété
en vertu de la règle des droits acquis, elles ne peuvent céder leurs droits à un cessionnaire qui
n'a pas accès à la propriété foncière qu'à la condition de déclarer le retour de leurs terres au
domaine de l'Etat. Dans une telle hypothèse, le cessionnaire désigné peut bénéficier d'un bail
emphytéotique ou d’une location de la part de l'Etat.
Si les personnes physiques non ivoiriennes et les personnes morales n'ont pas accès à
la propriété foncière, rien n'interdit qu'elles puissent obtenir un certificat foncier. Il suffit pour
cela qu'elles puissent justifier de l'existence paisible et continue de droits sur le domaine
coutumier. Mais le certificat foncier qui leur est délivré dans ces conditions ne peut en aucun
cas leur ouvrir la voie à la propriété foncière; tout au plus peut-il, après immatriculation du
terrain au nom de l'Etat, leur permettre de bénéficier d'une location ou d'un bail
emphytéotique.
402 -Infra.P.
148
A- L’expropriation des terres
Pour la réalisation de travaux publics, L'Etat et les Collectivités territoriales peuvent
obliger les particuliers à leur céder leur bien foncier : c'est la procédure d'expropriation pour
cause d'utilité publique (1). Sous l’empire du décret n° 71-388 du 12 juillet 1971403,
l’expropriation pouvait également frapper les terres détenues en pleine propriété, pour défaut
ou insuffisance de mise en valeur. Mais depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998, cette
forme d’expropriation a été supprimée. (2).
403 -Recueil des textes de droit foncier rural applicables en République de Côte d’Ivoire ; E.D.C. spécial n° 2, Mai 1991
404Infra.p.
405 -décret du 26 novembre 1930 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique et l’occupation temporaire en Afrique
Occidentale Française ; B.O.C p.1892 modifié par les décrets du 16 juin 1931 et du 20 décembre 1933.
406V.ord. n° 61-124 du 15 avril 1962, JORCI du 17 avril 1961
407 -supra p :
408 Voir décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi
n° 98-750 du 23 décembre 1998 ; recueil de textes , Direction du foncier rural et du cadastre rural, Ministère de
l’Agriculture, p 14.
149
l’immatriculation, moyennant le remboursement des frais exposés par l’Etat. En pareille
hypothèse, le titulaire qui n’est pas admis à être propriétaire, peut bénéficier d’un contrat de
location.
En revanche, au cas où le titulaire du certificat foncier n’aurait pas réagi dans le délai
imparti, l’immatriculation consacrerait le retrait du bien foncier concerné au profit de l’Etat.
S’agissant d’un retrait sanctionnant la défaillance du titulaire du certificat foncier, la
réglementation foncière ne prévoit aucune indemnité ou compensation au profit de celui-ci,
nonobstant les droits de propriété qui lui sont reconnus409.
409 -Aux termes de l’article 4 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, « la propriété d’une terre du domaine foncier rural est
établie à partir de l’immatriculation de cette terre au registre foncier…et en ce qui concerne les terres du domaine coutumier
par le certificat foncier ».
410 Sur cette question, voir supra p
411 -Supra.p…
412Loi n° 2013-655 du 13 septembre 2013 relative au délai accordé pour la constatation des droits coutumiers sur les terres
du domaine coutumier et portant modification de l’article 6 de la loi n° 98-750 du 23 décembre relative au domaine foncier
rural, telle que modifiée par la loi n° 2004-412 du 14 août 2004, JORCI du 14 octobre 2013, P.598
413 -Supra P.
414 -Décret n° 99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires provisoires de
150
Paragraphe 3- Le contrôle des transactions foncières
Fonction régalienne de l’Etat, le contrôle des transactions foncières prend forme en
amont, à travers l'immatriculation foncière (A), et en aval avec l’interdiction des actes sous
seing privés (B).
A- L’immatriculation foncière
L’immatriculation foncière constitue le fondement de la propriété des terres en Côte
d’Ivoire415. Entre autres fonctions, la procédure d’immatriculation permet à l’Etat, à travers
l’inscription des droits de propriété au livre foncier, de s’assurer la maîtrise de la circulation
des biens fonciers. Ainsi, avant la réforme foncière de 1998, les terres domaniales étaient
d’abord immatriculées au nom de l’Etat qui les rétrocédait ensuite aux concessionnaires
provisoires qui avaient mis leur terre en valeur. C’est le principe de la double immatriculation.
Pour l’Administration, cette option visait à remédier aux difficultés pour les particuliers de
faire constater leurs droits au moyen de la procédure d’immatriculation.416. Mais cette option
avait aussi fait l’objet de critiques en ce qu’elle rallongeait inutilement la procédure d’accès à
la propriété foncière.
Il faudra attendre la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier
rural pour voir l’Etat apporter un aménagement notable au principe de la double
immatriculation. Avec cet aménagement, une distinction est faite entre les terres concédées à
titre provisoire d’une part, et les terres du domaine foncier coutumier, d’autre part. Tandis que
les premières sont assujetties à la double immatriculation, les secondes sont immatriculées
directement au nom des titulaires de certificat foncier. A l’analyse, si l’on admet que le domaine
foncier coutumier représente la quasi-totalité du patrimoine foncier, l’on mesure amplement
les efforts consentis par l’Etat pour alléger la procédure d’accès à la propriété foncière,
procédure dont la complexité et la lourdeur ne sont pas les moindres handicaps417.
En fait, la suppression du principe de la double immatriculation pour les terres du
domaine foncier coutumier tombe sous le coup du bon sens. Car, après la reconnaissance de la
propriété foncière coutumière à travers le certificat foncier (propriété certifiée)418, il aurait paru
incongru et illogique de maintenir l’immatriculation préalable au nom de l’Etat.Ce n’est
pourtant pas le lieu de se méprendre sur la volonté de l’Etat de s’assurer le contrôle des
transactions foncières. La certification foncière et l’immatriculation foncière consécutive sont
en principe des mécanismes de contrôle suffisamment fiables des transactions foncières. C’est
pourquoi l’Administration, même dépourvue de la faculté de recourir à l’immatriculation
préalable au nom de l’Etat, ne sera pas handicapée outre mesure.
Mais il est de notoriété que bien souvent, en raison de facteurs sociologiques, le droit
et la pratique ne font pas bon ménage. Ce constat ici,est encore avéré, car comment contrôler
des transactions foncières qui ont lieu en marge de la légalité, hors l’intervention de
l’Administration du domaine. Les transactions ou conventions foncières coutumières sont
depuis longtemps un secret de polichinelle ; elles constituent, depuis l’antagonisme primaire
etrécurrent entre l’ordre juridique étatique, d’une part, et l’ordre juridique coutumier, d’autre
part, un phénomène tentaculaire qui défie l’Administration dans sa mission de contrôle de la
circulation des biens fonciers. Dans cette opposition des normes et des valeurs, l’interdiction
des actes sous seing privé constitue l’une des armes de l’Administration.
415 -Supra.P.
416 -Albert LEY, op.cit.p.436
417 -Supra.P
418 Supra. P.
151
B- L’interdiction des actes sous seing privé
Connues sous l’appellation juridique d’actes sous seing privé, les transactions foncières
coutumières constituent de toute évidence une entrave à la mission de contrôle de
l’Administration du domaine. Pire, elles fragilisent la réglementation foncière mise en place
par l’Etat. C’est pourquoi, les actes sous seing privé ont été interdits en matière foncière419.
Cette interdiction sera renforcée par la loi de finance du 20 mars 1970420 laquelle loi prescrit
la nullité absolue des transactions foncières effectuées hors l'intervention d'un notaire.
Mieux, pour dissuader les contrevenants, le décret du 16 février relatif aux procédures
domaniales et foncières a prévu une sanction pénale de 2000 à 72 000 F CFA d'amende et de
10 jours à deux mois de prison pour les rédacteurs et les utilisateurs d'actes sous seing privés.
Malgré toutes ces mesures, l'on a pu encore observer une propension des populations à
recourir aux actes sous seing privés, même après la réforme foncière du 23 décembre 1998.
Ce dernier constat atteste de la prévalence des pratiques populaires sur les règles de gestion
en matière de foncier rural. Cette attitude des populations est aussi perceptible au niveau des
normes régissant la gestion du domaine urbain.
419 -Décret n° 64-164 du 16 avril 1964 portant interdiction des actes sous seing privé en matière immobilière, Recueil des
textes de droit foncier rural applicables en République de Côte d’Ivoire, EDC, n° 2 mai 1991. P.99.
420 -Loi de finances n° 70-209 du 20 mars 1970 (art.8 et 9), Recueil des textes de droit foncier rural applicables en
152
CHAPITRE II- LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE URBAIN
La définition du domaine public (§1) permet d’appréhender les relations domaniales entre
l’Etat et les collectivités territoriales depuis leur avènement (§2). Le domaine public, qu’il soit
étatique ou relevant des collectivités publiques doit être utilisé et protégé conformément aux
prescriptions établies (§3).
421 Monique CAVERIVIERE et Marc DEBENE : Le droit foncier sénégalais, collection Monde en devenir, 1988, p99.
422 Albert LEY : Régime domanial et foncier, cours et textes commentés, ENA Abidjan Juin 1996 p5
153
A- La définition par énumération
En droit public français, d’après l’art.2111-1 du code général de la propriété des personnes
publiques, le domaine public d’une personne publique (Etat, collectivités territoriales et leurs
groupements, établissements publics) est constitué, sauf dispositions législatives spéciales, de
biens qui appartiennent à cette personne publique et :
- soit sont affectés à l’usage direct du public (comme les routes ou les jardins
publics)
- soit sont affectés à un service public. Dans ce cas, ils doivent avoir fait l’objet
d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service
public (comme une université ou un tribunal, une mairie ou une école).
Contrairement à certains Etats issus du bloc aofien comme le Sénégal et le Béninqui ont adopté
une nouvelle réglementation relative au domaine public, la Cote d’Ivoire n’innove pas. Elle
reproduit la législation antérieure.
Au Sénégal, le code du domaine de l’Etat reprend en grande partie l’énumération de 1928
même si des spécificités locales peuvent être relevées avec l’une des grandes innovations qui a
consisté à intégrer le sous-sol sénégalais dans le domaine public naturel. Il en est de même de
l’institution des pas géométriques qui remplacent les anciennes servitudes de halage et de
marchepied423
La loi n°2013-01 du 14 janvier 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin
adopte en ses articles 264 et 265 la définition par énumération s’agissant respectivement du
domaine public naturel et le domaine public artificiel immobilier de l’Etat et des collectivités
territoriales. La loi béninoise de 2013 innove par rapport au décret de 1928 en ce qu’elle ajoute
aux sites naturels, les terres et zones inondables, marécageuses ou mouvantes et l’espace
aérien. Le domaine public artificiel comprend quant à lui les aménagements et ouvrages de
toute nature réalisés dans un but d’intérêt général ou d’utilité publique ainsi que les terres qui
les supportent. A ce titre, la loi retient, en plus de l’énumération du décret de 1928, les ports
maritimes et fluviaux et leurs dépendances, les aménagements aéroportuaires et leurs
dépendances, les stations radioélectriques et les autres installations, les ouvrages déclarés
d’utilité publique en vue de....et du transport de l’énergie électrique, solaire ou éolienne et les
dépendances des voies publiques.
En Côte d’Ivoire, la définition n’est certainement pas scientifique, mais dans la pratique, elle a
l’avantage d’éviter les interprétations. C’est le mode opératoire que le législateur ivoirien a
retenu à travers le décret du 29 septembre 1928 qui fait la distinction entre le domaine public
naturel (1) et le domaine public artificiel (2).
154
et pleines lunes et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves“. Un arrêt du
Conseil d’Etat – Kreitmann du 12 octobre 1973 a décidé que “ces dispositions doivent être
entendues comme fixant la limite du domaine public maritime au point jusqu’où les plus hautes
mers peuvent s’étendre, en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles“424. La
zone périphérique de 100 mètres s’applique sur le terrain à partir de la limite des plus hautes
marées sur le rivage de la mer425.
155
b- Le domaine public fluvial
Ce domaine comprend :
- les cours d’eau navigables ou flottables dans les limites déterminées par la hauteur
des eaux coulant à plein bord avant de déborder ainsi qu’une zone de passage de
vingt-cinq mètres de large à partir de ces limites sur chaque rive et sur chacun des
bords des îles ;
- les sources et cours d’eau non navigables ni flottables dans les limites déterminées
par la hauteur des eaux coulant à plein bord avant de déborder ;
- les lacs, étangs et lagunes dans limites déterminées par le niveau des plus hautes
eaux avant le débordement avec une zone de vingt-cinq mètres de large à partir de
ces limites sur chaque rive extérieure et sur chacun des bords des îles ;
- les nappes aquifères souterraines, quelles que soient leur provenance, leur nature et
leur profondeur.
Comme au Bénin427 et au Sénégal, le domaine public fluvial en Côte d’Ivoire comprend non
seulement les étangs, lacs, sources, nappes aquifères et les fleuves mais également les rivières
que constitue la catégorie des cours d’eau non navigables ni flottables.
En reconduisant la législation coloniale, l’Etat de Côte d’Ivoire entend se donner les moyens
pour une gestion équitable et durable des ressources (notamment, les ressources en eau et le
sous-sol) pour la satisfaction des besoins des populations.
S’il est notoirement établi que les conflits les plus sanglants portent essentiellement sur la
terre aujourd’hui en Côte d’Ivoire, ailleurs, la ressource en eau constitue l’objet principal des
conflits sociaux. Ce faisant, le décret du 29 septembre 1928 et le code de l’eau réglemente ce
domaine et anticipent sur les conflits pour assurer une gestion consensuelle de l’eau qui ne
peut faire l’objet d’appropriation que dans les conditions déterminées par les lois et règlements
en vigueur. En Côte d’Ivoire, l’eau fait partie du patrimoine commun national.
À côté du domaine public naturel, il existe un autre dit artificiel.
En Côte d’Ivoire, c’est à travers le décret du 29 septembre 1928 que la notion de domaine
public artificiel est appréhendée notamment dans l’énumération de l’article premier. En effet,
le domaine public artificiel comprend l’ensemble des biens créés par l’homme. Il y a le domaine
public maritime artificiel composé des ports, de canaux de navigation, de digues etc...et le
domaine public terrestre qui comprend les routes, autoroutes, voies ferrées, aérodromes. A ces
éléments, il faut ajouter leurs dépendances par application de la théorie de l’accessoire. Ainsi
sont considérés comme dépendances des voies publiques, les nombreux éléments compris dans
l’emprise des routes comme par exemple les caniveaux, les accotements, les panneaux de
signalisation, les trottoirs etc428. Le décret du 29 septembre 1928 mentionne dans
l’énumération, les installations téléphoniques et leurs dépendances, les ouvrages déclarés
d’utilité publique en vue de l’utilisation des forces hydrauliques et du transport de l’énergie
électrique et les ouvrages de fortification des places de guerres ou des postes militaires, ainsi
qu’une zone large de 250 mètres autour de ces ouvrages.
427 Art.264 de la loi n°2013-01 portant code foncier et domanial en République du Bénin.
428 Dosso KARIM : Cours de droit administratif des biens, UCAO 2013-2014
156
La délimitation de ce bien résulte des plans d’aménagement approuvés et déclarés d’utilité
publique. Ce plan vaut classement dans le domaine public. Pour le domaine public artificiel,
l’incorporation ou le classement nécessite un acte déterminant la destination d’intérêt général
du bien. En Côte d’Ivoire, incorporation s’opère différemment selon qu’il s’agit de l’Etat ou
d’une collectivité territoriale.
La définition par énumération ne doit pas faire oublier la particularité du domaine public
ivoirien qui fait appelle également à une définition synthétique.
B- La définition synthétique
L’article premier du décret de 1928 ajoute, après l’énumération, que “et généralement les biens
de toute nature que le code civil et les lois françaises déclarent non susceptibles de propriété
privée“.
A l’époque de l’adoption de ce texte, quelle réalité recouvrait les biens insusceptibles de
propriété privée ? Au-delà des controverses que cette question peut susciter, il faut simplement
préciser que cette définition synthétique vient rappeler que l’énumération n’est pas exhaustive.
Avec cette approche, le législateur a la possibilité tout comme la jurisprudence, d’allonger la
liste et d’élargir le champ des biens du domaine public429 en tenant compte des besoins de
l’Etat et des collectivités territoriales430. C’est chose faite par exemple avec la loi n°2002-102
du 11 février 2002 relative à la création, à la gestion et au financement des parcs nationaux et
des réserves naturelles. En son art.7, la loi précise que “les réserves naturelles intégrales et les
parcs nationaux font partie du domaine public inaliénable de l’Etat“. L’alinéa 3 dispose que “le
domaine public des réserves naturelles intégrales et des parcs nationaux comprend, selon le
cas indistinctement, le domaine public terrestre, maritime, lagunaire, fluvial ou aérien“.
Comme on le constate, l’objectif de la loi est la volonté de l’Etat de conférer aux biens fonciers
des parcs nationaux et réserves naturelles, la domanialité publique afin de renforcer et rendre
plus dynamique leur gestion obéissant ainsi aux impératifs de gestion rationnelle de ces
espaces.
En milieu urbain plus qu’en zone rurale, la gestion du domaine public fait intervenir plusieurs
acteurs – Etat et collectivités territoriales - qui entretiennent des relations de
complémentarité.
157
1) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et qui ont reçu, de droit
ou de fait, une affectation comme rues, routes, places et jardins publics. En sont
exclus, les ouvrages ci-dessus énumérés dont la création et l’entretien incombent à
l’Etat ou à une autre collectivité territoriale ;
2) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et qui supportent des
ouvrages d’intérêt public chaque fois que la charge incombe à la collectivité
territoriale ;
3) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et constituant l’assiette
d’un ouvrage prévu aux plans d’aménagement ou d’urbanisme régulièrement
approuvés ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ;
4) tous les autres biens compris dans le domaine public lorsqu’ils ont été transférés à
la collectivité territoriale conformément aux dispositions légales et règlementaires
relatives au domaine public.
De ce qui précède, il faut retenir que le critère géographique pris isolement semble inopérant
pour déterminer lien de rattachement du bien à l’Etat ou à la collectivité car un bien public
situé sur le territoire d’une collectivité territoriale donné peut appartenir à une autre
collectivité ou à l’Etat dès lors que sa création ou son entretien incombe à ce dernier. Il
convient de combiner le critère géographique et celui de la création ou de l’entretien pour
déterminer à qui appartient le bien public.
Au-delà de ces éléments d’appréciation énumérés aux points 1 et 2 de la loi susvisée, le texte
fait également référence au critère de la cession ou du transfert lorsqu’au moment de la
création de la collectivité territoriale, l’Etat lui cède la propriété de ses biens situés sur son
territoire.
S’agissant des voies de communication et des réseaux divers, les décrets n°84-851 du 4 juillet
1984 et n°84-5-852 du 4 juillet 1984, pris en application de la loi n°83-788 du 2 août 1983
déterminant les règles d’emprise et de classement des voies de communication et des réseaux
divers de l’Etat et des collectivités territoriales précisent, pour les communes identifiées dans
leur rapport avec l’Etat, à quel domaine public doit être rattaché les voies de communication
et les réseaux divers. Ainsi, la combinaison des textes permet de retenir que les voies piétonnes
communément appelées trottoirs, longeant les voiries énumérées par les textes, de même que
les jardins situés dans l’emprise desdites voiries, sont réputées d’intérêt communal. A titre
résiduel, les voiries situées dans les limites des communes et non déclarées d’intérêt national
ou d’intérêt départemental, sont également réputées d’intérêt communal.
Dans la pratique, la distinction entre le domaine public de l’Etat et celui des collectivités dans
l’espace urbain n’est pas toujours perçue de façon nette par les populations. Dans les
communes, les habitants de la cité n’ont aucun repère pour opérer cette distinction de sorte
que le domaine public appartient de facto à la municipalité. Les communes ne disposent non
plus de récapitulatifs de dépendances de leur domaine public. Il importe que les communes et
d’une manière générale les collectivités territoriales et l’Etat unissent leurs efforts afin que
leur domaine public respectif soit précisément inventorié pour une gestion plus efficace431.
158
significative mais insuffisante dans la mesure où ce texte ne prend en compte que la voirie et
les réseaux divers432.
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire compte cent quatre vingt dix sept (197) communes, quatorze (14)
districts, trente et une (31) régions et cinq cent neuf (509) sous-préfectures433. C’est le lieu de
relever que la loi déterminant les limites de chaque commune ou collectivité territoriale
devrait également inventorier les biens publics de chaque entité afin que leurs gestionnaires
aient une idée précise de l’assiette des domaines tant publics que privés. C’est un gage de bonne
gouvernance. L’inventaire permettrait à chaque acteur – Etat, collectivités territoriales et
usagers- d’affirmer et d’exercer ses droits dans le respect des textes.
Par ailleurs, avec la dynamisation de l’œuvre voire la politique de décentralisation qui emporte
gestion des entités territoriales par des élus locaux, les populations apprécieraient à sa juste
valeur l’idée d’avoir un seul interlocuteur quant aux actes portant sur un bien public en milieu
urbain. En effet, en l’absence de transfert d’un bien public de l’Etat à la collectivité territoriale,
les biens énumérés par le décret du 29 septembre 1928 restent acquis à l’Etat. Il s’agit par
exemple du domaine public hydraulique qui comprend, conformément à la loi n°98-755 du 23
décembre 1998 portant code de l’eau :
- les eaux atmosphériques ou météoriques ;
- les eaux de surface que sont : les cours d’eau navigables ou flottables, les sources et
cours d’eau non navigables ni flottables, les lacs, étangs et lagunes,
- les eaux souterraines ou les nappes aquifères souterraines comme les eaux
minérales;
- les eaux de la mer territoriale dans les limites précisées par le code de l’eau.
432 Art.5 du décret n°84-852 du 4 juillet 1984 : “dans les limites des communes visées à l’art.2, sont déclarées d’intérêt national
les réseaux divers ci-après, les oléoducs, les réseaux téléphoniques.......
433 Décret n°2013-294 du 2 mai 2013 portant érection de trente et une régions , circonscription administrative en collectivités
territoriales.
159
1- Le domaine public affecté au service public
Le domaine public appartient à l’Etat et aux collectivités territoriales. A ce titre, le domaine
public peut être utilisé par la personne publique elle-même ou par un concessionnaire434.
Au Bénin, cette préoccupation trouve son fondement dans l’art.282 de la loi n°2013-01 du14
janvier 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin qui précise que les
occupations du domaine public peuvent répondre à un besoin collectif ou général tels les
appontements en vue d’un service public, les entrepôts, les occupations par une collectivités
territoriales ou un service public.
Lorsque la personne publique utilise elle-même son domaine, a priori, cela ne pose pas de
problèmes particuliers. Cependant, l’administration propriétaire ne doit pas détourner le bien
public de son affectation. Toutefois, ce bien peut être utilisé pour un but autre que celui qui
entre dans l’affectation – lieu de dégroupage des ordures ménagères, aménagement des
bordure de la voirie dans le périmètre d’un marché pour la construction d’abri ou échoppes
pour le commerce par la municipalité, aménagement des bordures de lagunes par la commune
comme aire de jeux et de détente -.
Lorsque le service public fait l’objet de concession, l’utilisation du domaine public dépendant
de ce service public est confiée au concessionnaire conformément à l’acte de concession. Ainsi,
des organismes comme la société de distribution de l’eau en Côte d’Ivoire (SODECI), la
compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), le port autonome d’Abidjan (PAA), Côte d’Ivoire
télécommunication (CI- Telcom) etc...sont concessionnaires du service public dans leur
domaine respectif. A l’occasion de l’exécution de la convention de concession, le
concessionnaire peut utiliser les dépendances du domaine concédé. Le concessionnaire peut
également consentir des occupations du domaine public à des tiers et percevoir des redevances.
Le domaine public portuaire en est une parfaite illustration. Ainsi, dans l’affaire qui oppose le
PAA et la société E.A., la chambre administrative de la Cour Suprême dans l’arrêt n°81 du 28
juillet 2010 a jugé que les actes par lesquels le PAA donne et retire une autorisation d’occuper un bien
immobilier du domaine public sont des actes administratifs par détermination de la loi, que le
contentieux qui en résulte relève de la chambre administrative de la Cour Suprême suivant la procédure
du recours pour excès de pouvoir ; dès lors, le juge des référés et la Cour d’Appel sont incompétents pour
en connaître435.
Cette décision est riche d’enseignements. Au-delà de la concession du domaine public, les juges
précisent clairement que les actes pris en exécution de la convention par le concessionnaire
sont des actes administratifs par détermination de la loi. La nature de ces actes est
indépendante du statut d’entreprise privée du concessionnaire, aspect juridique que la Cour
d’Appel a ignoré, faisant prévaloir le caractère commercial de l’acte pris par le PAA, société
commerciale par la forme.
160
libre, gratuite et égale pour tous, certaines personnes sollicitent de la collectivité qu’elle leur
laisse utiliser de manière privative une parcelle du domaine public. En pratique, des difficultés
naissent souvent de ces occupations.
La liberté d’utilisation.
En principe, sur le domaine public, toute personne peut y accéder librement sans avoir besoin
d’une autorisation et sans limitation. C’est l’expression de la liberté d’aller et venir garantie
par la Constitution ivoirienne – la Côte d’Ivoire proclame son adhésion aux droits et libertés
tels que définis dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 -.
La liberté d’utilisation du domaine public a pour conséquence la prohibition des mesures
d’interdiction générale et absolue. Ainsi, un Maire ne peut, même s’il y est parfaitement fondé
par des considérations liées à la nécessité du maintien de l’ordre public, prendre des mesures
d’interdiction générale de la circulation ou du stationnement automobiles436.
Cependant – c’est l’exception - cette liberté d’utilisation du domaine public ne fait pas obstacle
à la mise en place d’une règlementation437. Les mesures interdisant le stationnement des
véhicules automobiles sur certains emplacements ou à certains endroits sont compatibles avec
la liberté d’utilisation du domaine. A ce titre et en application d’une décision de la Mairie de
Treichville dans le District autonome d’Abidjan, les autorités municipales, avec l’aide d’une
société de la place, ont débarrassé les rues de la commune des véhicules en stationnement438.
L’opération menée par l’administration municipale n’est que la mise en œuvre des pouvoirs de
police du Maire contre les abus observés au niveau du stationnement – stationnements
anarchiques – des véhicules.
Alors qu’à Treichville et dans la commune du Plateau, les Maires font appliquer la
réglementation, dans la commune de Yopougon, le Maire affiche un laisser-aller face à une
situation similaire d’occupation anarchique du domaine public439.
L’utilisation du rivage de la mer et des plans d’eau lagunaires et fluviaux constituant des
dépendances du domaine public, respecte le même principe de liberté. En effet, tout le monde
a le droit de circuler, de stationner et de se reposer sur le rivage de la mer.
Ce libre accès se trouve néanmoins contrarié dans son exercice par des personnes ou parfois
des communautés riveraines qui apposent des panneaux indiquant le caractère privé de la
plage. En dehors de tout acte de concession ou autorisation administrative – la concession est
accordée sans porter atteinte au droit d’accès libre -, les auteurs de ces indications, violent les
libertés publiques.
avenues 1 et 9 et les ronds-points du commissariat du Biafra et de la rue 12 ; in Fraternité Matin, du mardi 1er avril 2014 p13
439 Fraternité Matin, du samedi 13 avril 2014 p11
161
Sur les plans d’eau lagunaire et fluviaux, la navigation est libre de sorte que l’administration
ne peut instituer un monopole au profit d’un concessionnaire chargé de l’exploitation des
transports lagunaires au détriment de transporteurs privés n’ayant pas de lien de droit avec
l’Etat ou la collectivité territoriale.
Toutefois, l’administration chargée de la gestion du domaine public lagunaire peut
subordonner la circulation des embarcations par la possession de document ou aménagement
spécial pour assurer la sécurité des usagers utilisant ce mode de transport.
La gratuité de l’utilisation.
Le principe de gratuité est la contrepartie nécessaire de son usage collectif. Les particuliers
ont le doit de jouir du domaine public – jouir gratuitement – suivant les conditions spéciales à
chaque nature de biens440.En France, la gratuité du domaine public n’existe que reliée à la loi
et dans la mesure de celle-ci.
Par conséquent, de nombreux ouvrages publics font l’objet de péages, dans des conditions
définies ou instituées par la loi. Il en est ainsi des autoroutes en application de la loi modifiée
du 18 avril 1955 à son art.4, des ponts et des tunnels routiers sur la base de la loi n°79-591 du
12 juillet 1979 relatives à certains ouvrages d’art reliant les voies nationales ou
départementales et des bacs établis sur le domaine fluvial441.
Héritage de l’ère coloniale, ce principe connaît également des exceptions en Côte d’Ivoire
énoncées par l’art.3 de l’arrêté du 24 novembre 1928. En effet, les autorités administratives
sont habilitées à prendre, dans le cadre des règlements administratifs, toutes mesures
d’exécution et d’application non réglées et toutes autres dispositions que comporte la situation
des lieux.(....) notamment pour l’utilisation des voies de communication, l’usage et la police des
ponts, bacs, quais et appontements et l’installation des pêcheries. Ainsi, en s’appuyant sur cet
arrêté le péage institué sur l’autoroute du Nord se justifie par son utilité, le coût de l’ouvrage
et le mode de gestion utilisé. En plus du péage, l’Etat pourrait envisager une taxe à l’essieu
pour les véhicules routiers de fort tonnage afin de compenser les dépenses supérieures
d’entretien et de renforcement de la voirie occasionnées par la circulation de ces véhicules. La
mise en service du système de pesage ou de contrôle de la charge utile des véhicules de
marchandises vise également à règlementer l’utilisation de ce domaine public routier.
Sur la base de l’arrêté du 24 novembre 1928, une collectivité territoriale peut convenir avec
un utilisateur notamment un exploitant forestier, une subvention pour dégradation
extraordinaire des voies lors du passage des véhicules transportant les grumes.
C’est l’une des manifestations du principe d’égalité des citoyens devant la loi ou les charges
publiques. Les personnes utilisant une même dépendance du domaine public sont traitées sur
un pied d’égalité. Elles ont les mêmes droits. Ainsi, l’égal traitement des citoyens dans
l’utilisation du domaine public commande que les autorisations de manifester sur la voie ou
440 Le Conseil constitutionnel (CC du 12 juillet 1979, AJDA 1979, II, p46) saisi de cette important question, a été amené à
rappeler que “si la liberté d’aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle, celui-ci ne saurait faire obstacle à ce que
l’utilisation de certains ouvrages donne lieu au versement d’une redevance“. En conséquence de quoi, le Conseil const. a jugé
que le principe de la gratuité de circulation ne pouvait être regardé au nombre des principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République.
441 Francis QUEROL, Cours de droit administratif, leçon 5 : l’utilisation collective de domaine public (université numérique
juridique francophone) p7
162
place publique ne peuvent être délivrées à certaines associations ou groupements politiques et
refusées à d’autres.
Toutefois, pour des raisons de sécurité publique voire la prévention des troubles à l’ordre
public442, des discriminations peuvent être instituées entre les manifestants443. Ainsi, le
principe d’égalité comporte de nombreuses exceptions qui visent les usagers dont la situation
n’est pas identique ou lorsqu’un intérêt général le justifie. En dehors des cas particuliers des
riverains des voies publiques qui disposent d’aisances de voiries – droit d’accès, droit de vue,
droit de déversement des eaux –, des exemples limitant la portée du principe peuvent être
retenus en Côte d’Ivoire comme en France. Le Conseil d’Etat admet la légalité des couloirs de
circulation institués par l’autorité de police sur certaines voies publiques au profit des autobus
et taxi, des véhicules de service de police et des services d’urgence. Dans l’agglomération
d’Abidjan, des couloirs sont également réservés aux autobus et aux véhicules des services
d’urgence.
442Soirinfo n°5859 du 04 avril 2014 p4 : un groupement politique a décidé d’engager son secrétariat général à prendre toutes
les dispositions en vue d’organiser dans les meilleurs délais et dans une logique de ripostes graduées les grandes actions de
masse. Ces actions d’envergure sont notamment des marches, des sit-in et des opérations villes mortes….C’est la rue qui va
faire tomber le régime………
443 A la prévention des troubles à l’ordre public évoquée par l’administration s’oppose la violation des droits des citoyens
163
proprement dits du domaine – l’occupation ne doit pas compromettre la conservation du
domaine – mais encore la sauvegarde d’autres intérêts de caractère général, en ce sens que
l’occupation privative qu’elle autorise doit demeurer compatible avec un usage normal de la
dépendance dont il s’agit445.
S’agissant de l’atteinte à l’intégrité du domaine public, la chambre administrative de la
Cour Suprême de Côte d’Ivoire dans l’arrêt n°20 du 31 mars 2010 (N.Y.M. c/ MCUH, Rec.
Ch. regroupées n°01/2010 doc. CNDJ 2014) a annulé un arrêté qui concédait à titre définitif
à monsieur N.Y.M., un terrain inclus dans le domaine public en application de l’art.1er du
décret du 29 septembre 1928 et ce en méconnaissance du régime de l’occupation du domaine
public. La cour a qualifié cette décision de concession d’inexistant en raison du vice incorrigible
qui l’affecte.
L’occupation individuelle confère un droit strictement personnel limité aux besoins
indiqués et essentiellement révocable à première réquisition pour un motif d’intérêt public.
Aucune condition de durée ne peut en conséquence être stipulée comme le précise l’art.14 al.2
et 3 de l’arrêté du 24 novembre 1928. L’intérêt public peut recouvrir plusieurs réalités
englobant la sécurité, la salubrité, l’hygiène, l’esthétique, etc…. Par conséquent,
l’administration n’est pas en droit d’annuler une autorisation d’occupation selon “son bon
vouloir ou son plaisir“ sans préciser l’intérêt public qui sous-tend l’opération.
L’occupant privatif légal, conforme à la destination du domaine public, bénéficie d’un
droit d’occuper les dépendances du domaine même si ce droit est marqué par le principe de la
précarité. Ce droit lui permet de disposer d’un minimum de garantie à l’égard des tiers pour
faire respecter ses droits et de s’opposer à la décision d’autorisation nouvelle et d’exercer les
actions en réparation du préjudice que lui causerait l’octroi d’une autorisation de
l’administration délivrée antérieurement446.
Alors qu’en France les textes font la distinction entre permission de voirie – occupation
avec emprise modifiant l’assiette du domaine public – et permission de stationnement –
occupation sans emprise -, en Côte d’Ivoire, l’arrêté du 24 novembre 1928 fait simplement
référence à un besoin individuel sans aucune précision particulière. C’est à travers le cahier
des charges annexé à l’autorisation que les obligations incombant au permissionnaire sont
précisées notamment, le type d’aménagement, les matériaux à utiliser, l’espace à occuper etc…
Le non-respect de ces prescriptions entraine le retrait de l’autorisation. En outre, l’occupant
est soumis à une obligation de redevance. A ce titre, l’art.16 de l’arrêté du 24 novembre 1928
dispose que “les permis d’occuper peuvent être soumis au paiement d’une redevance fixée soit
de gré à gré, soit dans les formes règlementaires.
164
L’occupation en vertu d’un titre conventionnel.
La concession de voirie est un contrat conclu entre l’administration et le particulier ou
un groupement en vue de l’occupation du domaine public447. Cette convention obéit au même
régime juridique que l’autorisation unilatérale, notamment en ce qui concerne l’autorité
compétente, l’exigence de la compatibilité avec l’affectation de la dépendance domaniale dont
il s’agit et sa destination, le paiement de la redevance de même que la précarité du droit
d’occupation.
Cependant, contrairement au permissionnaire de voirie, le concessionnaire, selon
l’art.14 al.4 de l’arrêté du 24 novembre 1928, peut bénéficier d’un bail renouvelable. La
résiliation dudit bail ne peut intervenir qu’après un préavis de six (6) mois au plus. Une
indemnisation en cas de résiliation avant terme de la convention est prévue. De même, à la fin
du bail, si l’administration veut conserver les installations faites par le concessionnaire, elle
peut, conformément à l’art.14 al.5, les racheter à un prix fixé par la commission arbitrale
prévue par l’art.9 du décret du 29 septembre 1928.
Ce régime juridique s’applique, selon les textes, aux appontements en vue d’un service
public, aux magasins généraux, aux entrepôts de consignation, aux transitaires, aux
commissionnaires ou armateurs, aux permis d’occuper délivrés à une commune ou à un
établissement public etc…L’importance de ces activités qui se déroulent sur le domaine public
semble être en contradiction avec la précarité de l’occupation du concessionnaire. Cette
situation d’incertitude explique que, en France, l’on ait recherché, à apporter des
aménagements juridiques aux situations dans lesquelles le problème de la compatibilité de la
situation de l’occupant avec le régime traditionnel de la domanialité publique pouvait être la
source des difficultés les plus graves. Il en fût ainsi principalement du régime des ports et
accessoirement de celui des domaines publics ferroviaires, aéroportuaires et universitaires448.
Le droit ivoirien ne connaît pas une telle évolution. Au contraire, des mesures sont édictées
pour assurer avec rigueur la protection du domaine public.
447L’arrêt n°47 du 30juillet 2008 de la Chambre administrative de la Cour suprême illustre bien la concession qui existe entre
l’Etat de Côte d’Ivoire et la SOTRA. Dans cette décision, il est question de savoir si le Maire de la Commune d’Adjamé peut
prendre un arrêté contraire aux dispositions de la convention qui lie la SOTRA à l’Etat. La requête de la SOTRA tendant à
l’annulation de l’arrêté municipal n°118 du 07 décembre 2006 étant sans objet à la date de cette requête, la Cour n’a pas pu
donner une position plus claire. Voir site web consetat.ci de la Chambre administrative de Côte d’Ivoire.
448 Francis QUEROL, Cours de droit administratif, leçon 6 : l’occupation privative du domaine public (université numérique
juridique francophone) p23 : la loi du 25 juillet 1994 complétant le code du domaine de l’Etat a introduit dans le droit de la
domanialité publique la possibilité de droits réels sur le domaine public de l’Etat en France.
449 Albert LEY, op.cit. p18
165
l’ordre, de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publique. Mais à côté de celle-ci, est
instituée une police spéciale dite police de la conservation qui a pour but la protection de
l’intégrité du domaine public contre les dégradations. Dès lors, une distinction doit être faite
entre la protection contre les dégradations (a) et celle mise en œuvre contre les occupations
sans titre(b).
En Côte d’Ivoire, il y a une seule catégorie qui se résume aux contraventions de voirie
pour toutes les atteintes portées au domaine public450. En cas de contravention de voirie
s’applique l’art.8 du décret de 1928 qui prévoit une amende ou lorsqu’il y a récidive dans les
douze mois ou non-exécution des travaux prescrits dans le laps de temps déterminé par le
tribunal, l’amende peut être triplée et le contrevenant peut encourir une peine
d’emprisonnement, sans préjudice de la réparation des dommages causés.
En tout état de cause, le contrevenant doit être condamné à la remise en l’état du bien
domanial, c’est l’action domaniale qui rattache au contentieux de la répression, la réparation
civile451.
Le décret prévoit également que les travaux prescrits pour la remise en état du domaine
public peuvent être exécutés par l’administration aux frais du contrevenant.
Sont également, des contraventions de voirie, toutes les occupations du domaine public
sans titre.
450 En rapport avec l’arrêté du 24 novembre 1928 notamment l’art.18 qui précise “toute indue occupation malgré défense faite,
toute dégradation du domaine public ou de ses dépendances, toute entrave opposée à l’exercice ou à l’établissement des
servitudes… et en général toute infraction aux dispositions du présent arrêté sont sanctionnées conformément à l’art.8 du
décret de 1928“. On retiendra à ce titre: le déversement des eaux usées ou des détritus sur les voies de communications de
toute nature, la dégradation d’installation de télécommunication, le déversement de résidus industriels dans le lit d’un cours
d’eau, l’extraction se sable ou de pierre non autorisée etc….
451 Dosso KARIM, op. cit. p26
166
Le recours aux contraventions de voirie.
En dehors de ces cas, si la personne publique procède à une expulsion sans recourir au
juge, elle commet une voie de fait qui engage sa responsabilité. En pratique, l’administration
a les moyens de justifier les mesures de déguerpissement des occupants titre qui, dans la
majorité des cas, ne respectent pas les textes règlementant les occupations du domaine
public452.
Contrairement à la protection pénale, la protection civile permet à l’administration de
préserver la consistance même du domaine public.
Une personne privée peut disposer, dans le respect de la loi, comme elle le veut de la
propriété de ses biens qui peuvent être aliénés. Il n’en va pas de même quant aux biens relevant
du domaine public. En France, le code général de la propriété des personnes publiques dispose
que “les biens des personnes publiques (…) qui relèvent du domaine public sont inaliénables
et imprescriptibles“453. En Côte d’Ivoire, le caractère inaliénable du domaine public se déduit
de sa définition synthétique donnée par le dernier alinéa de l’article premier du décret du 29
septembre 1928 qui classe dans le domaine public, les biens de toute nature que le code civil
et les lois françaises déclarent non susceptibles de propriété privée. Un bien insusceptible de
452 Prosper NKOU MVONDO : La situation juridique de l’occupant sans titre d’une parcelle du domaine national au
Cameroun, in Revue togolaise des sciences juridiques, janvier-juin 2012 n°0002, p79 et s “Si l’occupant sans titre d’une parcelle
du domaine national peut juridiquement défendre sa possession lorsqu’il se trouve en face d’un particulier, il doit par contre
se plier lorsque l’Etat sollicite la parcelle qu’il occupe. (…) Le déguerpissement peut être ordonné au profit du domaine public.
Selon l’art.18 de l’ordonnance 74/2 du 6 juillet 1974, dans sa rédaction issue de l’ord. N°77/1 du 10 janvier 1977, l’Etat peut
classer au domaine public (…), des portions du domaine national, en vue de la réalisation des opérations d’intérêt public,
économique ou social. Peu importe qu’il s’agisse de terres occupées ou de terres libres de toute occupation.
453 Le principe de l’inaliénabilité va être consacré pour la première fois de manière absolue par l’édit de Moulins de 1566
comme principe fondamental du royaume et a pour but de responsabiliser le souverain pour l’empêcher de dilapider les biens
de la Couronne, source de revenus essentielle pour le royaume. Par la suite, lorsque la doctrine créera la notion de domaine
public, elle réaffirmera le principe de l’inaliénabilité, en disant que les biens affectés à l’intérêt général doivent être protégés.
167
propriété privé est un bien inaliénable. Plus récemment, la loi n°84-1244 du 8 novembre 1984
portant régime domanial des communes et de la ville d’Abidjan, précisera que “le domaine
public de la commune ou de la ville d’Abidjan est inaliénable et imprescriptible“.
168
1- Les biens transférés.
Selon l’art.204 de la loi susvisée, le domaine privé de la commune est constitué par
transfert ou cession des biens du domaine de l’Etat, d’une autre collectivité territoriale, à titre
onéreux ou gratuit. La cession ou le transfert des biens de l’Etat est autorisé par décret pris
en Conseil des ministres, soit à la requête de la collectivité territoriale, soit à l’initiative de
l’Etat. Les biens acquis dans ces conditions, deviennent la propriété de la collectivité
territoriale qui en assure la gestion ou l’administration conformément aux lois et règlements
en vigueur. Le transfert est réalisé au moment de la création de l’entité décentralisée ou après.
Cependant, à défaut de Plan d’Urbanisme Directeur pour chaque ville ou commune de Côte
d’Ivoire, les gestionnaires des cités sont toujours confrontés à ces difficultés liées à
l’impossibilité de connaître la consistance de leur patrimoine privé.
Dans l’affaire qui a opposé la commune D à la société C, les juges de la chambre
administrative de la Cour suprême, dans l’arrêt n°104 du 24 novembre 2010455, ont annulé ou
débouté la commune de D en ce sens qu’elle ne rapporte pas la preuve que le terrain litigieux
dont le lotissement a été réalisé par la société C, fait partie du domaine privé communal comme
transféré ou cédé par l’Etat dans les formes prévues par les dispositions en vigueur. Cette
affaire met en exergue, les difficultés rencontrées dans la gestion des terrains urbains.
455 Cour suprême, Ch. Adm. Arrêt n°104 du 24/11/2010 Rec. CS, Ch. Regroupées n°04/2011, Doc CNDJ: il résulte des
dispositions combinées des art.103 nv et 106 de la loi n°80-1180 du 17 oct.1980 modifiée par les lois du 29 juillet 1985 et du
03 août 1995 et le décret n°2005-261 du 21 juillet 2005 fixant les modalités d’application de la loi n°2003-308 du 07 juillet
2003, que chaque collectivité territoriale dispose d’un domaine et en assure la gestion. Le domaine des communes est constitué
ou acquis au moment de leur création ou ultérieurement, par transfert ou cession des biens meubles et immeubles du domaine
de l’Etat à titre onéreux ou gratuit au travers d’un décret en Conseil des ministres et réalisé par acte de cession ou de transfert.
La commune de D. ne rapporte pas la preuve que le terrain litigieux dont le lotissement a été réalisé par la C. fait partie du
domaine privé communal comme transféré ou cédé par l’Etat dans les formes prévues par les dispositions en vigueur.
456 La procédure d’expropriation ayant été traitée au chapitre des cessions, il ne reste qu’à traiterdes autres modes
exceptionnels.
169
1. La confiscation pénale
Dans la loi n°81-640 du 31 juillet 1981 instituant le code pénal, une distinction est faite
entre la confiscation générale et la confiscation spéciale au titre des peines complémentaires.
2. Le droit de préemption
Le droit de préemption est reconnu dans certains cas – droit de préemption fiscale457 –
à l’administration d’acquérir la propriété d’un bien lors de son aliénation par préférence à tout
autre acheteur. Dès lors l’administration se substitue à l’acheteur au cours de la transaction.
Le droit de préemption peut porter aussi bien sur un bien meuble comme bien immeuble458.
En effet, concernant le droit de préemption fiscale, l’article 798 du Code général des
impôts précise que “pendant un délai de six mois à compter du jour de l’enregistrement en
Côte d’Ivoire de l’acte ou de la déclaration, le service de l’enregistrement peut exercer au profit
du Trésor, un droit de préemption sur les immeubles, droits immobiliers, fonds de commerce
ou clientèle, droit à un bail ou au bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie
d’un immeuble dont elle estime le prix de vente insuffisant, en offrant de verser aux ayants
droit le montant de ce prix majoré d’un dixième. Toutefois, ce droit n’est pas applicable aux
opérations de crédit-bail immobilier“459.
Le droit de préemption fiscale dont il est en réalité question ici, s’analyse davantage
comme une expropriation car ce droit n’intervient pas avant la vente mais après. L’exercice du
droit a pour effet de substituer rétroactivement l’Etat à l’acquéreur évincé. Cette situation a
amené certains analystes ou auteurs460 à relever que la terminologie employée par le texte est
fallacieuse. Il n’y a pas préemption mais éviction car la somme versée par l’Etat à l’acquéreur
ne fait pas l’objet d’une “offre“ mais est en fait fixée unilatéralement. Elle comprend le prix
stipulé au contrat, le tout majoré d’un dixième.
droit d’enregistrement des biens immobiliers acquis par crédit-bail. Ces mesures ont pour objectif d’alléger les charges
financières des bailleurs et des preneurs dans le cas d’une opération de crédit-bail. ; in Mémento Fiscal 2014 Fidafrica p506
460 Monique CAVERIVIERE et Marc DEBENE : Le droit foncier sénégalais, Collection Mondes en devenir- XLIV Manuel
170
Pour l’essentiel, il faut retenir que la purge des droits coutumiers :
- vise l’extinction des droits coutumiers des détenteurs sur leur sol ;
- donne lieu, pour les détenteurs de ces droits, à compensation, en numéraires ou en
nature et à indemnisation. A cet effet, une commission administrative est chargée
d’identifier les terres concernées, leurs détenteurs et de proposer la compensation
au Ministre en charge de l’urbanisme et au Ministre chargé de l’Economie et des
Finances.
- s’opère par voie administrative ; ainsi, cette purge est exercée par l’Etat pour son
compte ou pour celui des collectivités territoriales ;
- permet à l’Etat de se constituer une réserve foncière ;
L’art.4 du décret du 22 mars 2013 énonce que les droits coutumiers sur les sols dans
les centres urbains et les zones d’aménagement différé, sont personnels à ceux qui les exercent
et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit, et nul ne peut se porter cessionnaire desdits
droits sur l’ensemble du territoire national. Autrement dit, en milieu urbain comme sur toute
l’étendue du territoire, seul l’Etat procède à la purge des droits coutumiers pour opérer
l’acquisition des sols. La chambre administrative de la Cour suprême a réaffirmé ce principe
dans l’arrêt n°32 du 29 février 2012 (RCR 02/2012). La chambre administrative a admis que
la purge des droits coutumiers incombe à l’Etat ou à ses représentants chargés de la gestion
foncière. Que celle-ci doit intervenir avant toute attribution ou vente du terrain à un
particulier, lequel ne peut être tenu responsable du manquement de l’Etat à ses obligations.
Qu’ainsi, le défaut de paiement des droits coutumiers est sans incidence sur la légalité du
certificat de propriété. Qu’il appartient aux requérants, s’ils se sentent fondés, à exercer un
recours de plein contentieux pour obtenir le paiement des droits coutumiers.
461Arrêté n°2164 du 9 juillet 1936 portant aliénation des terrains domaniaux modifié par arrêté du 31 janvier 1938 ; JOCI
1936 p1053
171
titre de concession provisoire ou définitive délivré par le Ministre de la construction et de
l’urbanisme qui peut déléguer ses pouvoirs aux Préfets.
L’art.4 du décret du 16 février 1971 renseigne sur les formalités à remplir par
l’attributaire d’un terrain urbain. A cette époque, l’octroi de la concession définitive, sous la
forme de transfert de propriété était considéré comme la récompense de la mise en valeur du
terrain, l’immatriculation ayant déjà été faite au nom de l’Etat pour garantir l’origine de la
propriété. La mise en valeur précédait donc la propriété du terrain. La procédure proprement
dite commence par une demande adressée à l’autorité administrative territorialement
compétente. A cet effet, le décret n°78-690 du 18 août 1978, portant règlementation de la
procédure d’attribution des lots de terrains urbains précise les droits et obligations du
pétitionnaire.
172
- les détenteurs d’une lettre d’attribution délivrée après l’entrée en vigueur
de la loi de finances de 2002,
- les détenteurs d’actes administratifs de vente émanant de l’ex Direction du
Contrôle des Grands Travaux (DCGTx), de l’ex Service des Ventes
Immobilières (SVI), du Bureau National d’Etudes Techniques et
Développement (BNETD) ou de l’Agence de Gestion Foncière (AGEF).
Dans la pratique, l’intervention de plusieurs acteurs pour l’établissement des différents
actes relatifs à l’attribution d’un terrain en milieu urbain constitue une source de difficulté
dans la gestion des terres. Les problèmes récurrents sont la résultante de plusieurs actes,
notamment :
- l’attribution d’un terrain en dehors de la commission
- les conditions de retrait de la lettre d’attribution
- l’attribution de terrain sans vérification des titres
- deux attributaires pour un même lot
- la fraude dans l’établissement de la lettre d’attribution
- le retrait de lot sans mise en demeure et réattribution à un tiers du même
lot.
- la mise en demeure non conforme aux prescriptions des art.247 et 253 du
code de proc. civ. com. et adm. et à l’art.11 de l’arrêté de 1936.
- l’établissement frauduleux d’un certificat de propriété
- l’attribution de lot sur un terrain objet de certificat de propriété.
A la lumière de ce qui précède et compte tenu des conflits fonciers quotidiens qui
menacent la paix sociale, le Ministère en charge de la Construction et de l’Urbanisme a pris
d’autres dispositions pour sécuriser la gestion du foncier par la mise en place du guichet unique
et la reconnaissance d’un seul acteur dans la délivrance d’un seul acte qui consacre le transfert
d’un terrain issu du domaine foncier urbain de l’Etat à une personne privée, c’est l’arrêté de
concession définitive (ACD).
173
domanial concerné qui vérifie la validité des pièces contenues dans le dossier avant de
soumettre à la signature du Directeur du Domaine Urbain, le projet d’attestation domanial.
Aux termes de l’Ordonnance n°2013-481 du 2 juillet 2013, tous les actes – lettre
d’attribution, arrêté de concession provisoire et certificat de propriété de même que
l’attestation villageoise – ne seront plus délivrés, ce qui justifie que l’administration ne
réceptionnera plus les demandes concernant ces actes ci-dessus énumérés.
174
TITRE 2
LE CADRE STRUCTUREL ET OPERATIONNEL DE
GESTION
Plusieurs structures interviennent dans la gestion des terres. Il s’agit des structures de
l’Administration centrale ou déconcentrée auxquelles il convient d’ajouter les structures de
décentralisation territoriale ou technique. Leur examen ci-après (chapitre 1) sera suivi de
l’étude du cadre opérationnel de gestion (chapitre 2).
175
CHAPITRE 1.- LES STRUCTURES DE GESTION
Les structures de gestion varient selon qu’il s’agisse du milieu rural (section 1) ou du
milieu urbain (section 2).
462-Voir dans ce sens le décret n° 2013-506 du 25 juillet 2013 portant attributions des membres du Gouvernement, tel que
modifié par le décret n° 2013-802 du 21 novembre 2013.
463 Voir dans ce sens le décret n° 2011-397 du 16 novembre 2011 portant organisation du Ministère de l’Agriculture.
464 -article 11 du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier
départements ministériels. Il s’agit d’une part, du Ministère auprès du Premier Ministre chargé de l’Economie et des Finances
(Décret 2014-864 du 23décembre 2014), d’autre part, du Ministère auprès du Premier Ministre, chargé du Budget (Décret n°
176
et des Finances, envisagé dans toutes ses composantes classiques dont le budget.
L’intervention du Ministère chargé de la gestion du domaine immobilier de l’Etat et en
particulier des terres rurales revêt un double aspect technique et financier.
Au plan technique, il intervient à travers d’une part, le service de la conservation
foncière et d’autre part, le service du cadastre. Le service de la conservation foncière est chargé
des formalités d'immatriculation au livre foncier; il assure également la tenue des actes et plans
relatifs aux immeubles immatriculés de même que la communication au public de toute
information ayant trait à ceux-ci. L’ensemble de ces tâches sont accomplies par le conservateur
à qui la réglementation assigne trois tâches principales : création des titres fonciers, inscription
sur lesdits titres de droits réels y afférents et conservation des documents d’archives relatifs
aux titres fonciers créés.
Quant au service du cadastre, son rôle consiste à constituer des documents officiels qui
donnent des informations sur le patrimoine immobilier national. A ce titre, plusieurs missions
lui sont assignées : créer et conserver le cadastre en zones urbaines et rurales, coordonner les
activités cadastrales des services extérieurs de la Direction Générale des impôts, coordonner
les opérations d’assiette, contrôler l’impôt foncier, etc.
Au plan financier, le ministère chargé de la gestion du domaine immobilier de l’Etat perçoit
les produits découlant des ventes et locations des biens fonciers ruraux de l’Etat. De même, il
définit l'assiette de l'impôt foncier et assure son recouvrement.
2014-865 du 23 décembre 2014). C’est ce dernier ministère qui a dans ses attributions la gestion financière du domaine
immobilier de l’Etat. Cette gestion relève précisément de la Direction du Domaine, de la Conservation foncière, de
l’Enregistrement et du Timbre (article 40 du décret n° 2014-865 précité).
466-Aux termes de l’article 11 du décret n° 2014-521 du 15 septembre 2014 portant organisation du Ministère des Eaux et
Forêts, la Direction Générale des Eaux et Forêts est notamment chargée de maintenir l’intégralité du domaine forestier de
l’Etat.
177
partie du domaine foncier urbain. Il s'agit de cette façon de préserver contre toute atteinte les
plans directeurs ou d'urbanisme et les zones d'aménagement différé (Z.A.D).
Le comité de gestion foncière rurale est présidé par le sous-préfet. Celui-ci est chargé
de créer des comités villageois de gestion foncière rurale, chargés de la gestion des terroirs. Il
est également chargé de transmettre au préfet les dossiers de délibération. La décision finale
revient au préfet qui dispose alors de deux semaines pour donner une suite aux avis et
propositions formulés par le comité. Le Secrétariat du comité est assuré par la direction
départementale de l’Agriculture du ressort de la sous-préfecture du siège du Comité
Si le décret précité a le mérite de fixer une répartition paritaire des acteurs étatiques et
des représentants des communautés rurales au sein du comité, il faut cependant craindre une
sous-représentation des femmes et des jeunes. Car, au regard des tenures foncières
coutumières, la gestion des terres est plutôt une prérogative des autorités foncières
coutumières (chefs de familles, chefs de villages, chefs de lignage, etc.).
2- Attributions et fonctionnement
La création des comités de gestion foncière rurale répond au souci de l'Etat d'associer
davantage les populations locales à la gestion des ressources foncières. Elle est en corrélation
avec le programme national de gestion des terroirs (PNGTER) dont l'un des objectifs majeurs
est d'accroître la participation et la responsabilisation des populations rurales dans la gestion
de leurs terroirs. Certes, dans la réglementation en vigueur avant la réforme foncière du 23
décembre 1998, ces populations et en particulier les autorités foncières coutumières, n'étaient
pas ignorées. Cependant leur rôle en pratique était plus consultatif que décisionnel et se
limitait qui plus est, à l'attribution des terres.
178
coutumiers, l’implantation des projets d’urbanisation ou des opérations de reboisement, etc.
Le Comité peut également être saisi pour avis simple par les autorités compétentes de toute
question relative au domaine foncier rural.
467 -article 4 du décret n° 99-593 du 13 octobre 1999 portant organisation et attributions des Comites de Gestion Foncière
Rurale.
468 -Les dernières données disponibles datant de 2014 font état de la création d’une centaine de comités sous-préfectoraux de
gestion rurale (CGFR) sur 500 sous-préfectures et de 3000 comités villageois de gestion foncière (CVGFR) pour 11 000
villages.
469 -Articles 2 et 3 de l’arrêté n° 55 du 11 juillet 2003 portant organisation de la Commission foncière rurale
470 -Voir article 3 de l’arrêté n° 55 du 11 juillet 2003.
471 -OuattaraNanakan, op.cit.p.31.
179
SECTION 2- LES STRUCTURES DE GESTION DU DOMAINE URBAIN
Plusieurs structures centrales interviennent dans la gestion du domaine foncier urbain
(§ 1). A celles-ci, il y a lieu d’ajouter les structures décentralisées et ad hoc (§ 2).
1- Les directions
La gestion du foncier relève de deux directions, celle du domaine urbain(a) et celle de
la topographie et de la cartographie au sein de la direction générale de l’urbanisme et du
foncier(b). Les attributions de chaque direction permettent d’apprécier le rôle éminemment du
ministère en charge de la construction et de l’urbanisme dans la délivrant des titres
d’occupation et la gestion des litiges qui peuvent subvenir. Ainsi :
Les attributions ainsi énoncées sont de nature à assurer une gestion rationnelle des
terrains urbains débarrassées de tous litiges. Mais d’où viennent alors les litiges récurrents au
niveau du domaine foncier urbain ?
180
Dans les deux cas, il s’agit de la violation de dispositions de l’article 11 de l’arrêté n°2164 du
09 juillet 1936 règlementant l’aliénation de terrains domaniaux. Dans les deux espèces le
ministère de la Construction et de l’urbanisme n’a pas satisfait à la formalité substantielle qui
consiste à notifier régulièrement une mise en demeure à l’ancien concessionnaire avant tout
retrait du terrain à lui concédé474.
2- Les services
Au titre des services, il faut retenir le service de la recherche du foncier pour les grands
projets de l’Etat, le service de vérification et de sécurisation des actes administratifs et le
service du Guichet unique du foncier et de l’Habitat. Ces services sont rattachés au cabinet du
Ministre en charge de la construction et de l’urbanisme.
474Arrêts n°16 du 06 juillet 1988 et n°09 du 18 janvier 2012 de la chambre administrative de la Cour Suprême, in la Tribune
de la Cambre Administrative, n02-juin 2014- Trimestriel, p25
181
- de programmer les opérations de constitution de réserves foncières sur le
territoire national ;
- d’assister l’Agence de Gestion Foncière dans ses activités de constitution
de réserves foncières auprès des détenteurs des droits coutumiers ;
- d’assurer la supervision des conventions entre les détenteurs de droits
coutumiers et les promoteurs immobiliers ou les aménageurs fonciers ;
- de promouvoir l’aménagement foncier avec les professionnels agréés ;
- d’informer les populations sur la disponibilité de terrains urbains viabilisés
et de communiquer sur les modalités d’accès ;
- d’animer un marché du foncier urbain dans un cadre règlementaire établi ;
- d’établir les statistiques des demandes et autres besoins exprimés en
matière de terrains par zones géographiques et par catégories socio-
professionnelles.
182
Dans les cas ci-dessus, la chambre administrative de la Cour Suprême a annulé les actes
délivrés par le Ministère de la construction et de l’urbanisme pour irrégularité voire non
respect de la réglementation en vigueur, ce qui laisse croire que ce service ne joue pas son rôle
de veille susceptible de garantir la crédibilité des actes qui sont signés par le Ministre. Malgré
ce constat, ce service a sa place dans le dispositif de sécurisation des actes administratifs car il
est également chargé de dénoncer les auteurs des faux documents. En tout état de cause, une
fois l’acte établi, c’est au service du Guichet unique que le retrait s’effectue.
476 Art.7 du décret n°2013-482 du 02 juillet 2013 portant modalités d’application de l’Ordonnance fixant les règles
d’acquisition de la propriété des terrains urbains, “le dossier de demande d’arrêté de concession définitive est déposé au service
du Guichet Unique du Foncier et de l’Habitat du Ministère en charge de la construction et de l’urbanisme“. Il en est de même
de l’article 17 dudit décret lorsqu’il s’agit des chefs-lieux de régions.
477 Décret n°2011-392 du 16 novembre 2011 portant organisation du ministère des Infrastructures Economiques, Journal
183
- participer à la révision et à l’élaboration des textes en matière de gestion et de
préservation du domaine public ;
- mettre en application les lois et relatifs au domaine public de l’Etat et notamment la
réglementation de l’occupation du domaine public de l’Etat ;
- recenser, de délimiter et d’immatriculer les parcelles du domaine public ;
- participer à l’immatriculation des parcelles du domaine public.
De ce qui précède, le rôle de la direction générale des impôts peut s’analyser à deux
niveaux, au plan financier avec la direction du domaine, de la conservation foncière, de
l’enregistrement et du timbre(1) et au plan technique avec la direction du cadastre(2).
184
2- La Direction du cadastre
Au plan technique, la direction du cadastre est chargée :
- de procéder à la création et d’assurer la conservation du cadastre en zones
urbaine et rurale ;
- de coordonner les activités cadastrales des services extérieurs de la
Direction Générale des Impôts ;
- de coordonner les opérations d’assiettes et d’assurer le contrôle de l’impôt
foncier ;
- d’assurer le suivi des dégrèvements en matière d’impôt foncier ;
- de procéder à l’expertise et à l’évaluation immobilière.
185
commune contre récépissé. L’attribution se traduit par la délivrance de lettres d’attribution et
d’arrêtés de concession provisoire ou de tout autre document en tenant lieu 481. Aujourd’hui,
avec l’ordonnance n°2013-481 du 02 juillet 2013 fixant les règles d’acquisition de la propriété
des terrains urbains qui met un terme à la délivrance de lettres d’attribution et d’arrêtés de
concession provisoire, de nouvelles dispositions s’imposent. Il en est de même des attributions
au niveau des Districts.
Cette surveillance qui s’opère en liaison avec les services compétents du ministère en
charge de la construction et de l’urbanisme, se résume à la police de l’occupation des terrains
urbains et consiste notamment à :
- prendre des mesures pour empêcher l’occupation anarchique et illégale des terrains ainsi
que la prolifération des quartiers précaires ;
- veiller au respect par les villes, les communes, les promoteurs immobiliers et les
particuliers, des schémas et plans d’urbanisme et d’aménagement approuvés et en vigueur ;
- faire observer les prescriptions du droit foncier ainsi que les règles en vigueur dans les
domaines de l’urbanisme opérationnel, de l’architecture et de la construction des
bâtiments.
481Art.12 al.2 du décret n°2005-261 du 21 juillet 2005 fixant les modalités d’application en matière d’urbanisme et d’habitat,
de la loi n°2003-208 du 07 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales.
186
directement ou indirectement à l’objet social ou à tous objets similaires, connexes ou
complémentaires.
En matière d’aménagement foncier, il faut remonter aux activités de la SETU (Société
d'Equipement des Terrains Urbains), créée par l'Etat ivoirien pour mieux comprendre les
opérations d'aménagement des espaces urbains. Mais pour des insuffisances relevées au niveau
de la gestion, elle est dissoute en avril 1987 et la liquidation confiée à l'ex Direction de
Contrôle des Grands Travaux (DCGTx) devenue maintenant Bureau National d’Etudes
Techniques et Développement (BNETD).
De 1987 à 1996, la Direction des Ventes Immobilières (DVI) s'est occupée de
l'Aménagement et de la vente des terrains dans le cadre de la liquidation de la SETU qui prend
fin en 1996, date à laquelle, la DVI désormais devenue Service des Ventes Immobilières (SVI)
sera rattaché au Cabinet du Ministère du Logement, du Cadre de Vie et de l'Environnement.
En 1999 sera créée l’AGEF. En effet, après la SETU, la DVI et le SVI, l’AGEF prend
la relève pour assurer la gestion du patrimoine foncier de ces différentes structures. Agissant
pour le compte de l’Etat, l’Agence de gestion foncière, est chargée de constituer des réserves
foncières et de faire des aménagements fonciers sur toute l’étendue du territoire ivoirien en
confiant ces opérations à des sociétés d’aménagement par voie de concession. Dans le cadre de
cette mission, elle procède à la purge des droits coutumiers conformément au décret n°2013-
224 du 22 mars 2013 qui réglemente la purge des droits coutumiers sur le sol pour intérêt
général.
Cependant, dans la pratique, l’AGEF rencontre des difficultés dans l’accomplissement
de cette tâche en raison de l’interférence non seulement du Ministère de la Construction et de
l’Urbanisme qui délivre à des opérateurs économiques des documents administratifs en
violation des textes en vigueur, mais également des personnes privées ou des promoteurs
immobiliers qui interviennent dans la chaîne foncière pour acheter directement des parcelles
de terrains aux détenteurs de droits coutumiers. Ainsi, des personnes morales et/ou physiques,
en dehors de l’Etat, de ses démembrements et des structures créées pour gérer son domaine
foncier, acquièrent des terres qui, en principe, devaient d’abord être immatriculées au nom de
l’Etat avant toute cession à un tiers.
Malgré ces difficultés, l’AGEF a à son actif plusieurs réserves foncières et concessions
d’aménagement. Dans la recherche d’une saine gestion des terres en milieu urbain, l’AGEF
constitue sans aucun doute, par son statut et ses missions, la structure de référence de
sécurisation des droits fonciers.
187
CHAPITRE 2- LE CADRE OPERATIONNEL DE GESTION
En Côte d'Ivoire les opérations d'aménagement sont définies au niveau urbain comme
rural par divers plans. A partir du cadre général d'intervention défini par les plans, des actions
spécifiques vont être exécutées sur le terrain, ce sont les techniques de gestion (section 1). Des
instruments de gestions sont également mis en place pour garantir les droits des occupants
des terres (section 2).
Le schéma directeur d’aménagement du territoire voté est valable pour cinq ans.
Cependant, il peut être révisé dans le but d’éventuelles améliorations et ce dans les mêmes
formes et conditions que celles prévues pour son élaboration.
188
Après son adoption, le schéma directeur d’aménagement du territoire est décliné en
autant de schémas directeurs régionaux d’aménagement qu’il existe de régions en Côte
d’Ivoire.
A- Le lotissement
Le lotissement est une opération de création volontaire d'un tissu parcellaire qui
consiste à diviser un terrain en plusieurs parcelles destinées à la construction. Le lotissement
est le mode d'aménagement du sol en milieu urbain qui s’appuie sur un principe(1) à partir
duquel les différents types de lotissements seront déclinés(2)..
1- Le principe du lotissement
La réalisation de l'opération de lotissement comporte deux étapes :
a- Le plan de lotissement
Le plan de lotissement est le résultat d'une recherche intégrant les contraintes les plus
diverses. L'analyse de ces contraintes fait appel à plusieurs données qui ont trait :
- à la vocation de la zone,
- aux données générales de l'insertion dans la ville,
- à la densité,
- aux contraintes réglementaires,
- au programme qui prend en compte la population utilisatrice, la taille des parcelles,
le nombre approximatif des parcelles, les équipements collectifs, le coût d'investissement et le
coût d'entretien. La cohérence de ce programme devrait être vérifiée de la manière suivante :
75% pour équipements et parcelles, 25 % pour circulations.
- aux données géographiques et hydrogéologiques.
A la suite de cette analyse, il faut procéder à l'élaboration proprement dite du plan dont
les principales étapes sont :
189
1°) Esquisses d'îlots,
2°) Détermination de la situation des bassins versants et les principes de
l'assainissement naturel,
3°) Détermination des zones pouvant recevoir certains éléments du programme en
fonction des caractéristiques du relief,
4°) Tracés possibles des infrastructures principales (voirie, assainissement,
alimentation en eau, électricité, téléphone),
5°) Esquisse du lotissement,
6°) Mise au net et découpage parcellaire. En même temps que le dessin définitif du plan
sera précisé, il faut établir le canevas de la réglementation (cahier de charges).
Après l'élaboration du plan, il faut passer à la mise en application.
b- La procédure de lotissement
La mise en œuvre du plan sur le terrain se fait en plusieurs étapes :
Première étape : il faut procéder à la reconnaissance du site en identifiant les types
d'occupation et la nature des droits des occupants de même que l'aptitude et la vocation du site
à être urbanisé compte tenu de ses caractéristiques techniques ;
Deuxième étape : à la diligence du Préfet et en collaboration avec la Direction
Régionale de l'Urbanisme territorialement compétente, il faut élaborer d'un avant-projet
accompagné d'une notice économique et technique ;
Troisième étape : visa de l'avant projet de lotissement par le Ministre chargé de
l'Urbanisme ou son représentant habilité par lui à cette fin ;
a- Le lotissement administratif
Cette filière de production de terrain est réglementée par l'arrêté du 9 juillet 1936
portant aliénation des terrains domaniaux.
Le lotissement administratif est initié soit par le Sous-préfet - lotissement public de
l'Etat - soit par le maire - lotissement communal.
La demande de lotissement est adressée au Ministre chargé de l'urbanisme et le dossier
est instruit par la Direction de l'urbanisme. Une mission de reconnaissance du site est effectuée
par les services techniques qui dressent un avant-projet si le dossier de la demande n'en
comportait pas déjà. L'avant -projet de lotissement est alors retourné au Préfet pour une
enquête publique.
190
Ce mode d'aménagement toujours en pratique sur l'ensemble du territoire tend à
disparaître au niveau d'Abidjan où l'ensemble des travaux de lotissement est dévolu à des
sociétés privées.
Il faut préciser concernant le lotissement communal qu'il résulte des textes suivants :
loi n°2003-208 du 7 juillet 2003 portant répartition et transfert de compétences de l’Etat aux
collectivités territoriales, Décret n°2005-261 du 21 Juillet 2005 fixant les modalités
d’application en matière d’urbanisme et d’habitat, de la loi n°2003-208 du 7 juillet 2003 portant
répartition et transfert de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales.
Les Communes disposent d'appréciables pouvoirs relatifs :
- d'une part à l'acquisition, à la gestion et à la concession ou cession de terrain et ;
- d'autre part, à l’élaboration et la mise en œuvre de ses projets de lotissement et à
l'aménagement de son territoire.
Toutefois, l'exercice par la Commune de ces compétences domaniales et
d'aménagement foncier n'est possible qu'autant qu'elle y est autorisée par l'Etat. Sous cette
réserve, la Commune peut acquérir des sols, les immatriculer à son nom puis les lotir et les
concéder.
b- Le lotissement privé
C'est le décret 70-294 du 13 mai 1970 qui régit les lotissements privés.
Le lotissement privé est initié par des personnes physiques ou morales qui procèdent à
des morcellements et à la vente de parcelles selon les règles en vigueur et sous le contrôle du
Ministère de la construction. Les lots peuvent avoir plusieurs destinations, soit d'habitation,
de jardins ou d'établissements industriels ou commerciaux.
Le lotissement est subordonné à une autorisation délivrée par le Ministère de la
construction.
Lorsque le lotissement a été approuvé, le lotisseur doit informer l'administration des
dates d'ouverture du chantier et d'achèvement des travaux.
Le Directeur Régional de l'urbanisme procède au contrôle des travaux avec l'aide des
services de la mairie ou de la Sous-préfecture.
B- La restructuration urbaine
Elle est régie par l'ordonnance n° 77-615 du 24 août 1977 relative aux opérations de
restructuration urbaine.
La décision de restructuration est prise en Conseil des ministres sur proposition du
Ministre chargé de l'Urbanisme. Le District a l’initiative et la réalisation de ses plans de
restructuration urbaine, après avis consultatif des villes et communes qui le composent et de
la Région dont il relève.
- Le dossier foncier fait l'état des droits existants, du nouveau plan de lotissement, de
l'état futur des droits, du programme de relogement et de réinstallation des personnes
et activités devant être éventuellement déplacées. Le dossier dresse également la liste
des propriétés et parcelles dont l'expropriation et la reprise sont déclarées d'utilité
publique.
482Elle est régie par l'ordonnance n° 77-615 du 24 août 1977 relative aux opérations de restructuration urbaine.
191
L'enquête publique préalable à l'approbation du plan de restructuration vaut enquête
de commodo et incommodo. Le décret d'approbation vaut Arrêté de cessibilité. Le
décret portant plan de restructuration contient la déclaration d’utilité publique des
travaux et opérations de classement, déclassement, affectation, redressement, échange,
remembrement483, acquisition, reprise, expropriation, alignement et lotissement
arrêtés par ce plan.
A chaque titre foncier correspond dans les archives de la conservation, un dossier comprenant :
- Les pièces de la procédure d’immatriculation ;
- Le plan définitif de l’immeuble ;
483Le remembrement urbainou opération de modification d’un périmètre donné est adopté par arrêté du Ministre en charge
de la construction, de l’urbanisme et de l’habitat. A compter de la publication de l’arrêté portant approbation du
remembrement, aucune modification ou transaction ne peut être effectuée sur les immeubles situés dans le périmètre à
remembrer.
484 -Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française.
485 -Supra
192
- La série des bordereaux analytiques successivement établis
- Les actes et pièces analysés.
Outre le livre foncier et les dossiers qui les accompagnent, la réglementation en vigueur
prévoit d’autres registres486 destinés soit à la vérification de la suite de la procédure
d’immatriculation, soit à la constatation des demandes d’inscription sur les livres fonciers, soit
enfin à la communication des informations aux usagers. Il s’agit :
- du registre d’ordre des formalités préalables à l’immatriculation, lequel enregistre
notamment les dépôts de réquisition, la publication des demandes, la procédure de
purge, etc.
- du registre des oppositions à l’immatriculation ;
- du registre des dépôts des actes à inscrire, sur lequel les tiers peuvent demander
l’inscription de droits réels dont ils sont titulaires ;
- du répertoire des titulaires de droits réels lequel permet de renseigner à tout moment
non seulement le titulaire de l’immeuble, mais aussi les tiers désireux de connaître la
situation juridique d’un immeuble déterminé.
B- Evolution
Du point de vue de sa présentation matérielle, le livre foncier est un registre souvent
volumineux et épais487. Cette présentation s’explique par le fait que l’histoire de chaque
immeuble immatriculé est retracée dans le livre foncier. Instrument de constatation, de
conservation et de suivi des droits réels immobiliers, le livre foncier n’est pas seulement utile
pour l’Administration. Tout contribuable moyennant le paiement de droits de recherche et de
copie, peut aussi obtenir communication des renseignements consignés dans le livre foncier
(état des droits réels appartenant à une personne, état des charges et droits réels grevant un
immeuble ; etc...).
Au plan institutionnel, le livre foncier est tenu et mis à jour par les services de la conservation
foncière488. En France par contre, dans les régions de l’Alsace et de la Moselle notamment, le
service du livre foncier est assuré au sein des tribunaux d’instance et dépend du Ministère de
la Justice. Dans tous les cas, pour améliorer le fonctionnement des services de la conservation
foncière et faciliter l’accès des usagers aux informations du titre foncier, la tendance actuelle
est à l’informatisation de certaines données du livre foncier489. C’est dans cette optique que
par ordonnance du 24 mars 2015, le Conseil des Ministres a institué le livre foncier
électronique. Cette option vise à accompagner le dynamisme des transactions immobilières en
sécurisant au mieux les données du livre foncier et en améliorant l’accès aux informations qu’il
contient. Le livre foncier électronique réalise, au moyen des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, une centralisation des données relatives aux opérations
d’immatriculation et de publicité des droits réels effectuées par l’ensemble des conservations
foncières du territoire national. Il s’agit de cette façon de contribuer à l’amélioration de
l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire, dans l’intérêt de l’Administration et du
contribuable.
chargé du Budget, la gestion du livre foncier relève de la Direction Générale des Impôts et plus précisément de la Direction
du domaine, de la Conservation foncière, de l’Enregistrement et du Timbre laquelle comprend en son sein la sous-direction
de la conservation foncière.
489 -L’Alsace et la Moselle (France) qui ont hérité du système de l’immatriculation ont adopté depuis 2008 le livre foncier
électronique.
193
Paragraphe 2- Le cadastre
La définition, les missions et l’évolution du cadastre méritent d’être élucidées (A)., sa nature
juridique mérite non moins (B). Il convient également de faire le rapprochement entre le
cadastre et le plan foncier (C)
1- Définition
Le cadastre peut être défini comme un ensemble de documents officiels donnant des
informations sur les propriétés bâties et non bâties et sur l’identité de leurs propriétaires. Au
sens large, c’est un inventaire de la propriété foncière dont il donne une description plus ou
moins détaillée en vue de répondre aux besoins individuels et collectifs de la société490. Cet
inventaire se fait généralement par l’établissement d’une documentation graphique (plans
cadastraux) et d’une documentation littérale contenue dans un registre. La mise en relation
des données graphiques et littérales se fait à travers l’utilisation d’un numéro d’identification
qui permet de passer de l’information graphique à l’information littérale491.
Au sens strict, le cadastre affecte la forme d’un démembrement foncier établi par l’Etat. Ce
démembrement s’articule sur trois principales opérations concomitantes492qui sont :
- l’opération d’arpentage et de levée destinée à lever les plans parcellaires ;
- l’opération d’assiette fiscale qui permet de déterminer l’impôt foncier ;
- l’opération juridique qui a pour finalité de préciser le statut des terres de même que les
droits et obligations des propriétaires ou occupants.
A la différence du cadastre français qui est de type graphique, le cadastre ivoirien est de type
numérique, c’est-à-dire que toutes les limites connues par procédés terrestres sont portées en
coordonnées géodésiques ; ce qui permet la reconstitution des limites en cas de litiges
fonciers493.
2- Missions
La création du service du cadastre remonte à l’époque coloniale avec la création en
1903 du service topographique rattaché à la Direction des travaux publics. Mais au lendemain
de l’indépendance, un service du cadastre sera créé par arrêté du 20 avril 1962 en substitution
du service topographique après que la loi de finances du 17 février 1962 eut ouvert les crédits
budgétaires nécessaires à son fonctionnement494. Les attributions de ce service qui sont
définies par l’article 1 portaient essentiellement sur les missions techniques, juridique et
foncière du cadastre. A ces missions initiales se sont ajoutées plus tard les missions fiscales et
490 -Cabinet Klein-Godard et associés et Cabinet N’Goan, Dié-Kacou associés : étude juridique et administrative du Plan
foncier rural, Rapport 1996 volume 1, P. 113 et s..
491 -Alain Durand-Lasserve : cadastre à but fiscal, cadastre polyvalent, cadastre simplifié : faux problèmes et vraies questions,
194
documentaires avec l’érection du service du cadastre en Direction centrale, au sein de la
Direction Générale des Impôts495.
3- Evolution du cadastre
L’histoire du cadastre remonte à la civilisation Gréco-romaine497et s’articule depuis toujours
sur la volonté des gouvernants de prélever sur les terres des particuliers les ressources
financières nécessaires au fonctionnement de l’Etat ou des collectivités territoriales ou de façon
générale au développement socio-économique du pays. Cette volonté de prélèvement est à
l’origine de l’impôt foncier. Mais bien évidemment, l’imposition suppose que chaque portion
de terres soit localisée, identifiée et évaluée. Or, cette tâche n’est pas toujours aisée pour des
raisons techniques, juridiques ou financières.
En Côte d’Ivoire, l’adoption du système de l’immatriculation depuis l’époque coloniale,
constituait déjà un pas vers l’identification et la capitalisation des terres. Mais le caractère
facultatif de l’immatriculation498 n’a guère favorisé la mise en place d’un cadastre général499.
En effet, au regard de la réglementation coloniale en vigueur500, le cadastre était considéré
comme le résultat de l’immatriculation de proche en proche jusqu’à l’immatriculation de toutes
les parcelles d’un secteur donné. Il en résulte le caractère progressif du cadastre car les
opérations de délimitation et de confection des plans sont faites au fur et à mesure des
immatriculations volontaires des particuliers. Conscient de cet obstacle, l’Administration
coloniale a pris le décret du 20 mai 1955, lequel a permis de procéder à l’immatriculation
obligatoire de toutes les parcelles situées dans les périmètres urbains à cadastrer ayant fait
495 -Décret n° 2011-222 du 07 septembre 2011 portant organisation du Ministère de l’Economie et des Finances. La direction
du cadastre dispose de services centraux (sous-directions) et de services déconcentrés dans les Directions Régionales des
Impôts.
496 -Cabinet Klein-Godard et associés, op.cit.
497 -désigné par le mot latin « capistratum », le cadastre comportait sous l’empire romain une description des superficies et
des valeurs des terres et servait à l’Administration impériale à déterminer l’assiette de l’impôt foncier par tête la
« capitatioterrena ». Albert Ley.op.cit. p.343 et s.
498 -décret du 26 juillet 1932 précité, article 5
499 - Albert Ley : op.cit. p.343 et s.
500 -décret du 26 juillet 1932 préc.
195
l’objet d’un plan d’urbanisme501. Ainsi a été réalisé de 1964 à 1967 le cadastre complet de la
ville d’Abidjan.
Si en milieu urbain, notamment à Abidjan, le cadastre a connu une application, il n'en est pas
de même en milieu rural. Il faut dire que contrairement au milieu urbain où, du fait de la forte
pression foncière, le coût du cadastrage est facilement amorti par l’Etat, en milieu rural, il en
va autrement. Pour remédier à cette situation, le Ministère de l’Agriculture a créé dès 2002
un service du cadastre rural rattaché à la Direction du foncier rural. Ce service est notamment
chargé de la délimitation des terroirs villageois laquelle constitue une étape vers la
stabilisation des droits coutumiers et le cadastrage des terres en liaison avec les services
compétents du Ministère de l’Economie et des Finances. A ce niveau, au regard de l’immensité
des terres rurales et du coût des opérations de délimitation, un effort financier important est
attendu de l’Etat s’il veut procéder à un cadastrage général des terres rurales.
196
C- cadastre et plan foncier rural
En vue de collecter des données fiables sur l’occupation des terres en milieu rural, l’Etat a
initié depuis 1988 le Plan foncier rural. Le Plan foncier rural est une opération qui consiste en
une vaste enquête foncière menée en zone rurale sur la base de photos aériennes, complétées
par des enquêtes au sol. Il vise notamment à faciliter le règlement des conflits fonciers, à
constituer une base pour l'aménagement et la gestion des terroirs villageois et à faciliter l'accès
au crédit503.
Après une phase pilote (1990-1996) suivie successivement d’une phase de consolidation (1996-
1997) et d’une phase d’extension (1997-1999), le plan foncier rural a couvert au total neuf
zones. A la fin du projet en 2002, 1 117 000 hectares ont été délimités, 44 201 parcelles ont
été levées, 708 villages ont été couverts pour une superficie numérisée s’élevant à 638 550
hectares504.
Après 2002, le plan foncier rural est devenu une composante du programme national de gestion
des terroirs et de l'équipement rural (PNGTER), programme visant à rationaliser l'utilisation
des ressources foncières par l'association et la responsabilisation des communautés rurales
dans la gestion de leur terroir. Ce programme sera suivi du programme national de
sécurisation foncière rurale (PNSFR) à travers lequel est mise en œuvre la réforme du 23
décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
A la différence du cadastre qui porte sur des parcelles aux délimitations plus précises et sur
lesquelles s’exercent des droits de propriété, le Plan foncier rural a pour objectif d'établir une
cartographie du territoire national. Cette cartographie précise les limites foncières à l'intérieur
de chaque terrain villageois et recense pour chaque parcelle identifiée l'ensemble des droits qui
s'y exercent et les détenteurs de ces droits. De ce point de vue, le plan foncier rural apparaît
comme un dispositif technique embryonnaire du cadastre. En effet, la documentation
graphique du Plan foncier rural comprend deux éléments essentiels qui sont d’une part, le plan
parcellaire et d’autre part, le plan du terroir. Or, à l’analyse, le plan parcellaire s’apparente au
plan de titre foncier du cadastre ; tandis que le plan du terroir se rapproche du plan cadastral
foncier ou tableau d’assemblage.505 Faut-il en déduire que les documents du plan foncier rural
ont la même valeur juridique que ceux du cadastre ? Une telle déduction ne semble guère
possible car les documents cartographiques du plan foncier rural sont réalisés sans les
éléments essentiels du cadastre que sont le bornage, la présence d’un géomètre assermenté et
le dossier technique de chaque plan de parcelle.
Il résulte de ce qui précède que si les résultats du plan foncier rural présentent des avantages
certains, leur articulation à la réglementation foncière n’a pu se réaliser donnant ainsi la
sensation d’une symphonie inachevée. A l’instar de la Côte d’Ivoire, le Benin a également
expérimenté et mis en œuvre un plan foncier rural506. Mais à la différence de la Côte d’Ivoire,
503 -Jean-Pierre Chauveau, Pierre-Marie Bosc et Michel Pescay : le plan foncier rural en Côte d’Ivoire, in quelles politiques
foncières pour l’Afrique rurale, sous la direction de Philippe Lavigne Delville, Karthala 1998, p. 553 et s. ; Jacques Gastaldi :
les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, op.cit p. 475 et s. du même auteur : les systèmes d’information
foncière, op.cit. P.449 et s. ; Cabinet Klein-Godard et associés, op.cit. ;
504 -sources : Direction du foncier rural, Ministère de l’Agriculture.
505 Cabinet Klein-Godard et associés, op.cit.
506 -Jacques Gastaldi : les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, op.cit p. 475
197
les résultats de ce plan foncier rural ont été pris en compte dans la législation foncière
béninoise507.Ainsi, aux termes de l’article 119 de la loi béninoise, la confirmation des droits
fonciers en milieu rural se fait principalement à partir du plan foncier rural. L’article 201 de la
même loi dispose à cet effet qu’une copie du certificat de propriété foncière est délivrée à la fin
des opérations d’établissement du Plan foncier rural à la demande du requérant dont le nom
figure au registre des ayants-droit.
507 - Loi n° 2013-01 du 14 janvier 2013 portant code foncier et domanial en République du Benin.
198
CONCLUSION GENERALE
En Côte d’Ivoire, du fait de la faiblesse du pouvoir de l’Etat, le lieu du pouvoir foncier réel est
aujourd'hui de plus en plus souvent incertain, instable et fragmenté. Les mécanismes de la
gestion foncière effective sont tiraillés entre la prétention formelle du monopole foncier de
l’Etat et les influences bien réelles, quoique limitées dans leur zone d’influence, des pouvoirs
politiques locaux. Cette tension est l’arrière-plan, mais aussi le non-dit et l’enjeu des conflits
fonciers. Elle est très souvent médiatisée et gérée par les administrations locales. Celles-ci
travaillent dans l’interface entre le pouvoir de l’Etat central et les stratégies propres des
“populations locales” et des pouvoirs politiques locaux. La gestion de cet interface -qui est sans
doute la mission la plus délicate de ces administration- est déterminante pour amortir les
tensions, ainsi que pour "adapter" les modalités de mise en oeuvre concrète des
transformations et des compétitions foncières actuelles.
L’ineffectivité du droit foncier en Côte d’Ivoire pourrait fondamentalement s’expliquer par
l’inadéquation de l’œuvre du législateur au contexte social. En d’autres termes, les règles ne
seront efficaces que si elles sont légitimes, que si elles relèvent d’une autorité légitime, que s’il
existe des mécanismes associant les communautés locales pour renégocier les règles. Aussi,
les communautés locales doivent pouvoir bénéficier d’une reconnaissance socio politique et
d’une maîtrise foncière et domaniale minimale de leur espace indispensables à leur identité et
à leur développement ; c’est-à-dire être responsabilisée et pouvoir participer aux procédures
de domanialité. En plus, la participation desdites populations à la gestion et à l’exploitation
des ressources s’avère nécessaire pour permettre une gestion intégrée de l’environnement dans
l’optique d’un développement durable. Or faire participer les collectivités à la gestion des forêts
et satisfaire à leurs besoins socioéconomiques, participe du respect du droit de l’homme à
l’environnement. C’est ce qui ressort également du principe 22 de la déclaration de Rio de
1992 qui dispose : « les populations et communautés autochtones et autres communautés
locales ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l’environnement et le développement du fait
de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats devraient
reconnaître leurs identité, leur culture et leurs intérêts, leurs accorder l’appui nécessaire et
leur permettre de participer efficacement à la réalisation d’un développement durable ».
Bien entendu, la réglementation foncière ne saurait être une simple codification du savoir local.
Mais ce dernier doit inspirer le législateur dans tous les domaines où il se révèle utile et
pertinent. Parce que le droit s’applique à l’homme, il doit partir de l’homme. Dans tous les
domaines économiques et sociaux, surtout ceux touchant le monde rural encore attaché aux
traditions, les pouvoirs publics gagneraient à s’affranchir d’un certain nombre de préjugés
pour interroger la psychologie des destinataires des politiques de développement au lieu de se
contenter d’une copie souvent maladroite des textes de la Métropole.
Il faut donc négocier. La démocratie participative fait de l’écoute citoyenne un principe
essentiel de développement durable. En collant mieux aux attentes des citoyens, les démarches
de concertation, voire de co-construction renforcent les chances de réussite et d’appropriation
d’une action sur le long terme.
199
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- Loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des
Collectivités territoriales. JO 2004 ; n° 1
- Ordonnance n° 2013-481 du 02 juillet 2013 fixant les règles d’acquisition de la propriété
des terrains urbains
II / TEXTES REGLEMENTAIRES
2-1/ DECRETS
- Décret du 08 octobre 1925 portant mode de constatation des droits fonciers des indigènes
en AOF et textes modificatifs
- Décret du 29 septembre 1928 portant réglementation du domaine public et des servitudes
d’utilité publique
- Décret du 26 novembre 1930 portant expropriation pour cause d’utilité publique et
l’occupation temporaire en AOF
- Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en
AOF
- Décret du 15 novembre 1935 portant réglementation des terres domaniales en AOF
- Décret-loi du 20 mai 1955 portant réorganisation foncière et domaniale en AOF et en
AEF ; JORF 21 mai, p 5080
- Décret n° 57-243 du 24 février 1957 instituant dans les territoires d’Outre-Mer une
procédure d’expropriation spéciale pour certaines terres acquises à la suite de concessions
domaniales
- Décret n° 63-77 du 28/03/1963 sur la gestion financière du domaine de l’Etat
- Décret n° 64-164 du 16 avril 1964 portant interdiction des actes sous seing privé en
matière immobilière
- Décrets n° 67-18, 70-294 et 77-906 des 11 janvier 1967, 13 mai 1970 et 6 novembre
1977 sur les principes généraux des lotissements ?
- Décret n° 68-77 du 9 février 1968 portant création d’une zone d’aménagement différée au
pourtour de l’agglomération d’Abidjan ; JO 1968 .02/09
- Décret n° 71-170 du 25 mai 1971 prescrivant l’établissement d’un plan directeur
d’urbanisme dans l’agglomération d’Abidjan ; JO 1971 05/25
- Décret n° 71-493 du 23 septembre 1971 portant prix de cession des terrains des zones
résidentielles d’Abidjan. JO 1971 n° 45
- Décret n° 72-488 du 11 juillet 1972 portant réglementation des établissements de
tourisme ; JO 1972 ; 07/11
- Décret n° 74-136 du 12 avril 1974 fixant la procédure et les conditions d’attribution des
terrains domaniaux destinés à la promotion touristique
- Décret du 6 novembre 1977 sur le lotissement villageois
- Décret n° 77-646 du 24 août 1977 sur les restructurations urbaines
- Décret n° 78-690 du 18 août 1978 portant réglementation de la procédure d’attribution
des lots de terrains urbains et abrogation du décret n° 70-338 du 25 mai 1970
- Décret n° 79-718 du 2 octobre 1979 portant réglementation de la profession d’agent
immobilier, d’administrateur de biens et de mandataire en vente ou location de fonds de
commerce. JO 1980 ; n° 30
- Décret n° 82-262 du 17 mars 1982 sur les mesures de protection, surveillance et
préemption ?
- Décret n° 84-851 du 04 juillet 1984, portant déclaration des voieries et des réseaux divers
d’intérêt national et d’intérêt urbain dans les limites de la ville d’Abidjan
209
- Décret n° 84-852 du 04 juillet 1984 portant déclaration des voiries et des réseaux divers
d’intérêt national et d’intérêt départemental dans les limites des communes autres que
celles composant la Ville d’Abidjan
- Décret n° 86-451 du 25 juin 1986 portant application de la loi n° 62-253 du 31 juillet
1962 sur les plans d’urbanisme ?
- Décret n° 87-365 du 1er avril 1987, portant dissolution, mise en liquidation et dévolution
du patrimoine de l’Etablissement public à caractère industriel et commercial dénommé
« Société d’Equipement des terrains urbains » en abrégé SETU
- Décret n° 87-368 du 1er avril, portant création du Compte des terrains Urbains, en abrégé
C.T.U et fixant les modalités de son fonctionnement
- Décret n° 96-884 du 25 octobre 1996 réglementant la purge des droits coutumiers sur le
sol pour intérêt général
- Décret n° 92-398 du 1er juillet 1992 portant réglementation du permis de construire et
abrogeant le décret n° 77-941 du 29 novembre 1977
- Décret n° 99-593 du 13 octobre 1999 portant organisation et attributions des Comités de
gestion foncière rurale
- Décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités d’application au domaine foncier
rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998
- Décret n° 99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des
concessionnaires provisoires de terres du domaine foncier rural
- Décret n° 2000-669 du 6 septembre 2000 portant approbation du Schéma directeur
d’Urbanisme du Grand Abidjan. JO 2000 ; n° 45
- Décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013 portant modalités d’application de l’ordonnance
fixant les règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains
210
- Arrêté interministériel n° 950 MEFP/MECU du 25 octobre 1993 relatif à l’aménagement
des terrains attribués à la SETU et non amenagés à la date de signature du décret n° 87-
365 du 1er avril 1987 portant dissolution, mise en liquidation et dévolution du patrimoine
de l’Etablissement
- Arrêté n° 147/MINAGRA/ du 9 décembre 1999 portant modèle officiel du formulaire de
demande d’enquête en vue de l’établissement d’un certificat foncier et précisant la
compétence des sous-préfets
- Arrêté n° 002/MINAGRA/ du 08 février 1999 portant modèles officiels du certificat
foncier individuel et du certificat foncier collectif
- Arrêté n° 85/MINAGRA/MEF/ du 15 juin 2000 fixant les modalités de réalisation et de
présentation des plans des biens fonciers du domaine foncier rural coutumier
- Arrêté n° 111/MINAGRA/ du 06 septembre 2000 définissant le procès-verbal de
recensement des droits coutumiers et les documents annexés
- Arrêté n° 112/MINAGRA/ du 06 septembre 2000 définissant le formulaire de constat
d’existence continue et paisible de droits coutumiers sur un bien foncier du domaine rural
- Arrêté n° 139/MINAGRA/ du 06 septembre 2000 définissant les formulaires de requête
d’immatriculation d’un bien foncier rural objet d’un certificat foncier
- Arrêté n° 140/MINAGRA/ du 06 septembre 2000 définissant les formulaires de demande
de bail emphytéotique sur un bien foncier rural objet d’un certificat foncier
- Arrêté n° 030/MINAGRA/ du 15 mai 2001 définissant les formulaires d’approbation et
de validation des enquêtes foncières rurales officielles
- Arrêté n° 033/MINAGRA/ du 28 mai 2001 définissant le formulaire de procès-verbal de
clôture de publicité des enquêtes foncières rurales officielles
- Arrêté n° 041 /MEMID/MINAGRA du 12 juin 2001 relatif à la constitution et au
fonctionnement des comités de gestion foncière rurale
- Arrêté n° 032 /MINAGRA/MEF du 04 juillet 2002 instituant un barème de rémunération
des opérations de délimitation des biens fonciers du domaine foncier rural et fixant les
modalités de son établissement
- Arrêté n° 033/MEF/MINAGRA du 04 juillet 2002 établissant les barèmes de timbrage
des certificats fonciers et des frais d’immatriculation des biens fonciers du domaine foncier
rural
- Arrêté n° 034 du 04 juillet 2002 fixant les modalités d’inscription sur la liste d’agrément
des opérateurs techniques pouvant effectuer les opérations de délimitation des biens
fonciers du domaine foncier rural
- Arrêté n° 55 du 11 juillet 2003 portant organisation de la Commission foncière rurale
- Arrêté n° 55 du 11 juillet 2003 portant organisation de la Commission foncière rurale
- Arrêté n° 0100/MCLAU/DGUF/DAJC/DDU du 16/09/2013 portant mise en œuvre du
décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013, déterminant les modalités d’application de
l’ordonnance n° 2013-481 du 02 juillet 2013 fixant les règles d’acquisition de la propriété
des terrains urbains
2/ Circulaires
- Circulaire n° 106 SE/4 du 15 février 1937 relative aux terrains occupés sans titre régulier
- Circulaire n° 263 SE/4 du 27 avril 1937 relative à l’amodiation des terres domaniales par
bail emphytéotique
- Circulaire n° SE/4 du 6 mai 1938 relative aux baux emphytéotiques
- Circulaire n° 4266 TP/ST du 29 septembre 1955 relative au cadastre et aux travaux
fonciers
I- FONCIER RURAL
211
1/ Sur l’applicabilité de la loi foncière de 1998
L’arrêt n°195/05 du 07 avril 2005 de la Cour suprême ch. Jud
L’arrêt n°251/2010 du 01 avril 2010 de la CS chjud
2/ Sur l’application de la loi de finance de 1970 aux transactions sur les terres
coutumières
L’arrêt n°40/12 du 01 févr 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
11/ Sur les conséquences juridiques de la cession des droits coutumiers à titre onéreux
ou gratuit
Arrêt n°36/12 du 25 janv. 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
Arrêt n°59/12 du 1er févr. 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
Arrêt n°110/12 du 14 mars 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
12/ Sur l’exigence ou non de l’acte notarié pour les cessions de droits coutumiers
Arrêt n°21 du 09 juill. 1971, CS ch. Civ.
Arrêt n°113/12 du 14 mars 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
212
14/ Sur le rejet de la mise en valeur comme condition d’accès aux droits fonciers
Arrêt n°08/12 du 11 janv. 2012 de la Cour d’Appel de Daloa
15/ Sur le respect des délais de sécurisation des droits dans le domaine foncier rural
Arrêt n°195/05 du 7 avril 2005 de la CS chjud.
1/ Domaine public
- Aliénation et appropriation privative du domaine public
Arrêt n°001 du 18/01/2012 CS chadm. (RCR 01/2012)
3/ La lettre d’attribution
- Attribution d’un terrain en dehors de la commission
Arrêt n°11 du 18/01/2012 CS chadm. (RCR 01/2012)
4/ Retrait de lot
213
- Retrait de lot sans mise en demeure
Arrêt n°009 du 18/01/2012 CS chadm. (RCR 01/2012)
- Mise en demeure non conforme aux prescriptions des art.247 et 253 du code de proc.
Civ. comm. et adm. et à l’art.11 de l’arrêté de 1936.
Arrêt n°30 du 29/02/2012 CS chadm. (RCR 02/2012
CS chadm. arrêt n°51 du 28/03/2012 (RCR 03/2012).
8/ Certificat de propriété
- Etablissement frauduleux d’un certificat de propriété
Arrêt n°42 du 21/03/2012 CS chadm. (RCR 02/2012)
Arrêt n°37 du 21/03/2012 CS chadm. (RCR 02/2012)
214
11/ Inscription sur le livre foncier
Arrêt n°186/02 du 14/10/2002 CS chjud
215
TABLE DES MATIERES
RESUME ......................................................................................................................................................... 2
SOMMAIRE ................................................................................................................................................... 4
INTRODUCTION ......................................................................................................................................... 5
I- LE PROBLEME ET SON APERÇU ..................................................................................................... 6
II – LES MODELES REFERENTS DES LOGIQUES CONCURRENTES.......................................... 9
A- Le droit foncier traditionnel dans la Côte d’Ivoire précoloniale................................................. 9
1- La représentation de la terre à la Côte d’Ivoire précoloniale .................................................. 9
2- La naissance des droits fonciers traditionnels ........................................................................ 10
a- la prise de contact ....................................................................................................................... 10
b- le chef de terre ............................................................................................................................ 12
c- les effets de la prise de contact ................................................................................................. 13
3- La nature juridique des droits portant sur la terre ................................................................. 13
4- Le statut des terres ..................................................................................................................... 16
a- L’espace familial. ......................................................................................................................... 16
b- Les espaces de participation politique ..................................................................................... 17
5- Le caractère inaliénable de la terre .......................................................................................... 19
a- Le principe de l’inaliénabilité .................................................................................................... 19
b- la circulation de la terre............................................................................................................. 20
B- Le droit foncier colonial ................................................................................................................. 23
III- DIVISION ........................................................................................................................................... 27
216
Paragraphe 2- Portée et limites de la reconnaissance de la propriété foncière coutumière ..................... 42
A- Portée ............................................................................................................................................... 42
B- Limites.............................................................................................................................................. 42
SECTION 2. L’APPROPRIATION DES TERRAINS URBAINS ........................................................ 44
Paragraphe 1- L’appropriation des terrains urbains par l’Etat et ses démembrements ............................. 44
A- L’immatriculation, fondement de la propriété foncière urbaine de l’Etat. .............................. 44
1- L’immatriculation des terres au nom de l’Etat. ....................................................................... 44
2- Les effets de l’immatriculation.................................................................................................. 45
B- Les autres méthodes d’appropriation des terrains urbains par l’Etat. ...................................... 46
1- Le déclassement .......................................................................................................................... 47
2- L’achat .......................................................................................................................................... 47
Paragraphe 2- L’appropriation des terrains urbains par les particuliers ..................................................... 47
A- La procédure d’attribution des terres de l’Etat au particulier .................................................. 48
1- Les terrains à usage d’habitation de l’agglomération d’Abidjan ........................................... 48
2- Les terrains à usage d’habitation des autres agglomérations................................................ 49
3- L’attribution des terrains dits villageois dans les agglomérations ....................................... 50
B- Les titres afférents à ces terrains .................................................................................................. 50
1- Le transfert de propriété par l’octroi de la concession définitive ......................................... 51
2- Le transfert de propriété par le certificat de propriété.......................................................... 51
3- Le transfert de propriété par l’arrêté de concession définitive ............................................. 52
C- Les enjeux liés à l’appropriation des terrains urbains ................................................................ 53
CHAPITRE -2- LE DROIT D’USAGE DE LA TERRE ............................................................................. 56
Section 1. Le bail emphytéotique ............................................................................................................. 56
Paragraphe 1- Les caractéristiques du bail emphytéotique .......................................................................... 56
A- Le bail, droit d’usage ...................................................................................................................... 56
B- Le bail, contrat de longue durée ................................................................................................... 57
C- Le bail, droit réel immobilier ........................................................................................................ 58
D- Le bail et le canon emphytéotique ............................................................................................... 58
Paragraphe 2- Les motifs d’utilisation du bail emphytéotique ..................................................................... 59
A- Les terres propriétés de l’Etat et des collectivités publiques .................................................... 59
B- Les terres propriétés des particuliers ........................................................................................... 60
SECTION 2. LES AUTRES LOCATIONS FONCIERES ..................................................................... 60
Paragraphe 1- Les terres appartenant à l’Etat ................................................................................................ 61
A- Les locations précaires en zone urbaine ....................................................................................... 61
B- Les locations ordinaires des terres rurales .................................................................................. 61
Paragraphe 2- Les terres appartenant aux particuliers.................................................................................. 62
A- La location d’une terre objet d’un titre foncier ........................................................................... 62
B- La location d’une terre objet d’un certificat foncier ................................................................... 63
CHAPITRE III- LES OBLIGATIONS LIEES A L’ACCES A LA TERRE ................................................ 65
Section 1- L’obligation de mise en valeur ............................................................................................... 65
Paragraphe 1- Fondement et portée de l’obligation de mise en valeur ....................................................... 65
A- Fondement ....................................................................................................................................... 65
B- Portée ............................................................................................................................................... 67
Paragraphe 2- Les critères de la mise en valeur ............................................................................................. 68
A- Critères de la mise en valeur des terrains ruraux ....................................................................... 69
B- Critères de la mise en valeur des terrains urbains ...................................................................... 71
C- Critères de la mise en valeur à des fins écologiques ................................................................... 72
Paragraphe 3- Les caractères de la mise en valeur ......................................................................................... 73
A- La régularité de la mise en valeur ................................................................................................. 73
B- La permanence de la mise en valeur ............................................................................................. 75
Sous-section 2- Mise en valeur et prérogatives foncières .................................................................................. 77
Paragraphe 1- Mise en valeur et propriété foncière ....................................................................................... 77
A- La mise en valeur des terres concédées à titre provisoire ......................................................... 77
B- La mise en valeur des terres du domaine coutumier ................................................................... 77
C- Le maintien de l’obligation de mise en valeur des terres appropriées ...................................... 78
Paragraphe 2- Mise en valeur et droit d'usage de la terre ............................................................................ 78
A- Avant la réforme foncière du 23 décembre 1998 ........................................................................ 78
B- Après la réforme foncière du 23 décembre 1998 ......................................................................... 79
SECTION 2- LA FISCALITE FONCIERE ............................................................................................. 80
217
Paragraphe 1- La fiscalité foncière urbaine .................................................................................................... 81
A- L’impôt sur le patrimoine foncier ................................................................................................. 81
B- L’impôt sur le revenu foncier ......................................................................................................... 82
C- Les taxes foncières .......................................................................................................................... 83
Paragraphe 2- La fiscalité foncière rurale ....................................................................................................... 84
A- Les contraintes à la fiscalité foncière rurale................................................................................ 84
B- L’institution de la fiscalité foncière rurale à travers la réforme foncière du 23 décembre 1998
................................................................................................................................................................ 85
218
Paragraphe 1- La cession obligatoire de mitoyenneté ................................................................................. 113
A- Les conditions de la cession obligatoire de mitoyenneté......................................................... 113
B- Objet de la cession forcée : un mur. ............................................................................................ 113
Paragraphe 2- Les autres cas de cessions forcées au profit des particuliers ............................................. 114
A- Les échanges obligatoires de parcelles en cas de remembrement .......................................... 114
B- Les saisies immobilières ............................................................................................................... 114
CHAPITRE 2- LES TRANSMISSIONS A CAUSE DE MORT : LA SUCCESSION DES TERRES .... 116
SECTION 1- LA SUCCESSION DES TERRES INDIVIDUALISEES ET COLLECTIVES .......... 116
Paragraphe 1- La succession des terres individualisées............................................................................... 116
A- La succession des terres individuelles sur lesquelles existe un droit de propriété ............... 116
B- La succession des terres sur lesquelles n’existe pas un titre de propriété ............................. 118
1- La procédure en zone urbaine ................................................................................................. 118
2- La procédure en zone rurale .................................................................................................... 120
Paragraphe 2- La transmission des terres collectives .................................................................................. 122
A- La notion de terres collectives .................................................................................................... 122
B- Le principe de l’individualisation préalable ............................................................................... 123
SECTION 2- DES CONSEQUENCES INCERTAINES ...................................................................... 125
Paragraphe 1- Les conséquences légales ....................................................................................................... 125
A- Le cas particulier de l’héritier non national .............................................................................. 125
B- En ce qui concerne l’apurement du passif de la succession ...................................................... 127
Paragraphe 2- L’effet des pratiques judiciaires ............................................................................................ 129
A- La primauté du compromis en zone rurale ................................................................................ 129
B- Une pratique judiciaire urbaine de plus en plus conforme à la légalité.................................. 130
DEUXIEME PARTIE- LA GESTION DES TERRES ............................................................................. 133
TITRE 1- LES REGLES DE GESTION ................................................................................................... 134
CHAPITRE I : LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE FONCIER RURAL ............................... 135
SECTION 1 : LA CLASSIFICATION DES TERRES RURALES ...................................................... 135
Paragraphe 1- Les terres du domaine foncier rural permanent .................................................................. 135
A- Les terres appartenant à l'Etat ou aux Collectivités territoriales .......................................... 135
1- Les terres de l’Etat ................................................................................................................... 135
a- Les terres rachetées .................................................................................................................. 135
b- Les terres immatriculées ......................................................................................................... 136
c- Les terres expropriées ou retirées .......................................................................................... 137
d- Les terres sans maître .............................................................................................................. 137
2- Les terres des Collectivités territoriales................................................................................ 138
a- Les terres transférées ou cédées ............................................................................................. 138
b- Les terres acquises.................................................................................................................... 138
c- Les terres d’intérêt local .......................................................................................................... 138
B- Les terres appartenant aux particuliers...................................................................................... 138
C- Les terres sans maître ................................................................................................................... 139
Paragraphe 2- Le domaine foncier rural transitoire..................................................................................... 141
A- Le domaine foncier coutumier .................................................................................................... 141
B- Le domaine foncier concédé ........................................................................................................ 142
SECTION 2 : L'ATTRIBUTION DES TERRES RURALES ............................................................. 143
Paragraphe 1 : Les modes d'attribution des terres rurales .......................................................................... 143
A- Avant la Réforme foncière du 23 décembre 1998 ..................................................................... 143
1- le permis d'occuper................................................................................................................... 143
2- Les concessions provisoires ..................................................................................................... 143
3- La concession définitive ........................................................................................................... 144
4- Le bail emphytéotique ............................................................................................................. 144
B- Depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998 ..................................................................... 145
1- Le certificat foncier .................................................................................................................. 145
2- La concession de la pleine propriété ...................................................................................... 146
Paragraphe 2 : Les critères d'attribution des terres..................................................................................... 147
A- L'attribution des terres du domaine coutumier ........................................................................ 147
1- Le constat d'existence paisible et continue de droits fonciers............................................ 147
2- Le critère personnel.................................................................................................................. 147
219
B- L'attribution des terres du domaine concédé ............................................................................ 148
Paragraphe 2- Le retrait des terres ................................................................................................................ 148
A- L’expropriation des terres ........................................................................................................... 149
1- L’expropriation pour cause d’utilité publique ....................................................................... 149
2- La suppression de l’expropriation pour défaut ou insuffisance de mise en valeur ............ 149
B- Le retrait de terres objet d’un certificat foncier ....................................................................... 149
C- Le retrait de terres pour le non-respect de clauses contractuelles ......................................... 150
D- Le retrait de terres concédées à titre provisoire ...................................................................... 150
Paragraphe 3- Le contrôle des transactions foncières ................................................................................. 151
A- L’immatriculation foncière .......................................................................................................... 151
B- L’interdiction des actes sous seing privé.................................................................................... 152
CHAPITRE II- LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE URBAIN .............................................. 153
SECTION 1- LA GESTION DU DOMAINE PUBLIC. ...................................................................... 153
Paragraphe 1- La définition du domaine public............................................................................................ 153
A- La définition par énumération..................................................................................................... 154
1- Le domaine public naturel. ...................................................................................................... 154
a- Le domaine public maritime .................................................................................................... 154
b- Le domaine public fluvial ........................................................................................................ 156
2- Le domaine public artificiel..................................................................................................... 156
B- La définition synthétique ............................................................................................................. 157
Paragraphe 2- Les relations domaniales entre l’Etat et les collectivités territoriales ............................. 157
A- Les règles actuelles de répartition des biens du domaine public ............................................ 157
B- La nécessité d’une actualisation du fichier des biens des collectivités et de l’Etat............... 158
Paragraphe 3- L’utilisation et la protection du domaine public ................................................................. 159
A- L’utilisation du domaine public................................................................................................... 159
1- Le domaine public affecté au service public .......................................................................... 160
2- Le domaine public utilisé par les administrés ....................................................................... 160
a- L’utilisation commune du domaine public ............................................................................. 161
b- L’utilisation privative du domaine public .............................................................................. 163
B- La protection du domaine public ................................................................................................ 165
1- La protection pénale du domaine public ................................................................................ 165
a- La protection contre les dégradations.................................................................................... 166
b- La protection contre les occupations sans titre. ................................................................... 166
2- La protection civile du domaine public.................................................................................. 167
SECTION 2- LA GESTION DU DOMAINE PRIVE .......................................................................... 168
Paragraphe 1- Les modes de constitution du domaine privé ...................................................................... 168
A- Les voies contractuelles d’acquisition des terres ...................................................................... 168
1- Les biens transférés. ................................................................................................................. 169
2-Les biens acquis ......................................................................................................................... 169
B- Les modes exceptionnels d’acquisition des terres. .................................................................... 169
1. La confiscation pénale ............................................................................................................. 170
2. Le droit de préemption ............................................................................................................. 170
3. La purge des droits coutumiers ............................................................................................... 170
Paragraphe 2- Les modes de gestion du domaine privé............................................................................... 171
A- La méthode de gestion antérieure à l’ordonnance du 2 juillet 2013. ...................................... 171
1- La concession domaniale urbaine .......................................................................................... 171
2- L’attribution des terrains urbains. .......................................................................................... 172
3- La délivrance du certificat de propriété................................................................................. 172
B- La gestion des terres avec l’Arrêté de Concession Définitive ................................................. 173
1- La procédure d’obtention de l’Arrêté de Concession Définitive dans le District
d’Abidjan. ....................................................................................................................................... 173
2-La procédure d’obtention de l’Arrêté de Concession Définitive hors du District
d’Abidjan. ....................................................................................................................................... 174
220
A- Le Ministère chargé de l’agriculture, gestionnaire du domaine foncier rural ....................... 176
B- Les autres Ministères intervenant dans la gestion du domaine foncier rural ........................ 176
1- Le Ministère chargé de la gestion financière du domaine immobilier de l’Etat ............... 176
2- Le Ministère chargé de l'intérieur et de la décentralisation ............................................... 177
3- Le Ministère chargé des eaux et forêts .................................................................................. 177
4- Le Ministère chargé de la construction et de l'urbanisme .................................................. 177
Paragraphe 2- Les structures de gestion participative du domaine foncier rural .................................... 178
A- Les comités de gestion foncière rurale....................................................................................... 178
1- Organisation .............................................................................................................................. 178
2- Attributions et fonctionnement .............................................................................................. 178
B- La Commission foncière rurale.................................................................................................... 179
SECTION 2- LES STRUCTURES DE GESTION DU DOMAINE URBAIN ................................. 180
Paragraphe 1- Les structures centrales ......................................................................................................... 180
A- Le Ministère en charge de la construction et de l’urbanisme .................................................. 180
1- Les directions ............................................................................................................................ 180
a- La direction du domaine urbain. ............................................................................................. 180
b. La direction de la topographie et de la cartographie. .......................................................... 181
2- Les services................................................................................................................................ 181
a- Le service de la recherche du foncier pour les grands projets de l’Etat ............................ 181
b- Le service de vérification et de sécurisation des actes administratifs ............................... 182
c- Le service du Guichet unique du foncier et de l’Habitat...................................................... 183
B- Le Ministère en charge des Infrastructures Economiques ....................................................... 183
C- Le Ministère auprès du Premier Ministre, chargé du Budget ................................................. 184
1- La Direction du domaine, de la conservation foncière, de l’enregistrement
et du timbre ................................................................................................................................... 184
2- La Direction du cadastre ......................................................................................................... 185
Paragraphe 2- Les structures décentralisées et ad hoc ................................................................................ 185
A- Les collectivités territoriales ...................................................................................................... 185
1- Les compétences transférées à la commune .......................................................................... 185
2- Les compétences transférées au District ............................................................................... 186
B- Les structures ad hoc, l’exemple de l’Agence de Gestion Foncière ........................................ 186
CHAPITRE 2- LE CADRE OPERATIONNEL DE GESTION ............................................................... 188
SECTION 1- LES TECHNIQUES DE GESTION DES TERRES ..................................................... 188
Paragraphe 1- Les documents d’urbanisme ................................................................................................... 188
A- Le schéma directeur d’aménagement du territoire ................................................................... 188
B- Le plan d’urbanisme directeur ..................................................................................................... 189
Paragraphe 2- Les opérations d’urbanisme ................................................................................................... 189
A- Le lotissement ............................................................................................................................... 189
1- Le principe du lotissement ...................................................................................................... 189
a- Le plan de lotissement.............................................................................................................. 189
b- La procédure de lotissement ................................................................................................... 190
2- Les types de lotissement .......................................................................................................... 190
a- Le lotissement administratif.................................................................................................... 190
b- Le lotissement privé ................................................................................................................. 191
B- La restructuration urbaine ........................................................................................................... 191
SECTION 2- LES INSTRUMENTS DE GESTION ........................................................................... 192
Paragraphe 1- Le livre foncier ........................................................................................................................ 192
A- Présentation .................................................................................................................................. 192
B- Evolution....................................................................................................................................... 193
Paragraphe 2- Le cadastre ............................................................................................................................... 194
A- Définition, missions et évolution du Cadastre .......................................................................... 194
1- Définition .................................................................................................................................. 194
2- Missions ..................................................................................................................................... 194
3- Evolution du cadastre .............................................................................................................. 195
B- Nature juridique du cadastre ....................................................................................................... 196
C- cadastre et plan foncier rural....................................................................................................... 197
CONNCLUSION GENERALE .................................................................................................................. 199
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 200
221
TABLE DES MATIERES .......................................................................................................................... 216
222