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Les critères d’identification des biens du domaine public au Sénégal

Le législateur sénégalais a procédé dans un premier temps à une longue énumération de biens
qui font partie du domaine public. Il s’agissait là du domaine public par détermination de la
loi. Par ailleurs, le domaine public va au-delà de cette énumération. Et c’est pour cette raison
que le législateur a arrêté une définition du domaine public en vue de l’identification au cas
par cas des autres dépendances du domaine public.
Aux termes de l’article 2, al. 1er du Code domaine de l’État, « le domaine public et le domaine
privé de l’État s’entendent de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui
appartiennent à l’État ». Le deuxième alinéa de cet article ajoute que « ceux [des biens de
l’État] qui, en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée, ne sont pas
susceptibles d’appropriation privée, constituent le domaine public ». Au sens de cette
définition, les biens du domaine public sont tous les biens qui appartiennent à l’État et qui ne
peuvent pas être l’objet d’une propriété privée, soit au regard de leur nature, soit au regard de
leur destination.
Problématique : Les critères d’identification des biens du domaine public au Sénégal sont-ils
efficaces ?

I – L’apparente efficacité de la définition du domaine public


A – Le domaine public, une propriété exclusive de l’État
 Le Code du domaine de l’État est très précis : seul l’État détient un domaine public. Toutes
les autres personnes publiques n’auraient donc pas un domaine public, alors que même
qu’elles assurent des missions d’intérêt général au même titre que l’État.
 Ce choix de n’envisager le domaine public que dans la propriété de l’État montre, s’il en
était besoin, une forte concentration du pouvoir par l’autorité centrale. Cela rappelle la
question de la redistribution des compétences qui part du centre vers la périphérie ; dans ce
sillage, l’État semble être dans la logique de conférer à chaque entité publique la gestion de
biens nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Selon l’article 13 du Code général des
Collectivités territoriales, « l'État peut transférer à une collectivité locale la gestion d'une
partie de son domaine public ».
B – Le domaine public, un domaine insusceptible d’appropriation privée
 Outre le critère organique, le législateur a prévu un critère matériel. Non seulement le bien
doit appartenir à l’État, mais aussi il doit être insusceptible d’appropriation privée, soit en
raison de sa nature, soit en raison de sa destination. Ce critère recouvre un sens clair : le
domaine public ne doit être composé que de biens spéciaux ; cette spécialité tient ou à leur
nature ou à leur destination. Le législateur sénégalais a repris ici une définition de la
domanialité publique retenue par les auteurs du XIX e siècle. On rappelle que la doctrine n’a
fait que reprendre l’ancien article 538 du Code civil français qui disposait : « Les chemins,
routes et rues à la charge de l'Etat, les fleuves et rivières navigables ou flottables, les rivages,
lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et généralement toutes les portions du
territoire français qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée, sont considérés comme
des dépendances du domaine public ». Le législateur sénégalais avait repris ce critère dans

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l’article 2 du CDE du 28 décembre 1957. Depuis lors, le critère figure dans la législation
sénégalaise, alors qu’il a disparu en France. Avant même sa disparition en France, le juge
refusait de l’appliquer.
II – L’efficacité relative de la définition du domaine public
A – La reconnaissance explicite d’un domaine public aux Collectivités territoriales
 Le domaine public n’est pas une exclusivité de l’État. Selon l’article 13 du Code des
collectivités territoriales, « le domaine public et privé d'une collectivité locale se compose de
biens meubles et immeubles acquis ». Il en résulte que les Collectivités territoriales détiennent
un domaine public. Le critère organique dans la définition législative du domaine public doit
donc être relativisé.
B – La faiblesse du critère de l’insusceptibilité d’appropriation privée
 Les critiques formulées à l’égard de la doctrine du XIX e siècle sont valables concernant le
critère de l’insusceptibilité d’appropriation privée dégagée par le législateur sénégalais. En
effet, « il est démontré qu’il n’existe pas de biens non susceptibles de propriété privée par
nature ou en raison de leur destination. C’est pourquoi cette définition législative du domaine
public n’a jamais été utilisée par le juge français ».
Au Sénégal, les plages peuvent être considérées comme insusceptibles d’appropriation privée
au regard de leur nature. Pourtant, force de reconnaître que certaines parties de plages sont
devenues une propriété privée.

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Le critère de l’affectation au Sénégal et en France
En France comme au Sénégal, le législateur est intervenu pour octroyer directement le
caractère de domaine public à certaines dépendances. Au Sénégal, les articles 5 à 7 du Code
du domaine de l’État énumère l’ensemble de ces biens en distinguant entre le domaine public
naturel et le domaine public artificiel. Il existe des dispositions similaires dans le CGPPP en
France qui énumère les dépendances du domaine public maritime, du domaine public fluvial,
du domaine public routier, du domaine public ferroviaire, du domaine public aéronautique, du
domaine public hertzien et même du domaine public mobilier.
Faut-il préciser que l’énumération n’est pas exhaustive, d’où l’importance des critères
d’identification du domaine public.
Aux termes de l’article 2, al. 2 e du Code domaine de l’État au Sénégal, « ceux [des biens de
l’État] qui, en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée, ne sont pas
susceptibles d’appropriation privée, constituent le domaine public ».
Les critères législatifs selon le droit positif français sont fixés par le CGPP en son article L.
2111-1 : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une
personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont
soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas
ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service
public ».
Les deux dispositions législatives citées ci-dessus prévoient le critère de l’affectation des
biens du domaine public. Le législateur sénégalais ne le dit pas expressément, mais il ne fait
pas de doute que la destination renvoie à l’affectation. L’article 20 du CDE revient d’ailleurs
sur cela : « Nul ne peut, sans l’autorisation délivrée par l’autorité compétente, occuper ou
exploiter une dépendance du domaine public ou l’utiliser dans les limites excédant le droit
d’usage qui appartient à tous sur les parties de ce domaine affectées au public ».
Problématique : Le critère de l’affectation remplit-il le même rôle au Sénégal et en France
quant à l’identification des biens du domaine public ?
I – Le rôle variable du critère de l’affectation dans l’identification du domaine public
A – Un critère central en France
 En France, l’affectation constitue un critère central dans la mesure où la définition du
domaine public repose principalement sur ce dernier. Le bien doit en principe être affecté pour
qu’on envisage son appartenance au domaine public.
 L’affectation à l’utilité publique comprend deux facettes : l’affectation au service public et
l’affectation à l’usage direct du public. Le critère de l’affectation au service public va dominer
pendant longtemps avant l’apparition du critère d’affectation à l’usage du public établi par
l’arrêt Marécar (CE, 28 juin 1935). À partir de ce moment, deux critères alternatifs
permettaient d’identifier le domaine public : l’affectation au service public ou l’affectation à
l’usage du public. La mise en pratique du premier critère – l’affectation au service public –
avait pour conséquence d’étendre le champ du domaine public. Le juge décida alors de le
rétrécir en y ajoutant une condition. À travers l’arrêt Société « le Béton » (CE, 19 octobre
1956), le Conseil d’État considéra que l’affectation au service public ne suffit plus. Il faudrait,

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en outre, que le bien fasse l’objet d’un aménagement spécial qui le rendrait propre à l’usage.
Cette jurisprudence a été reprise par le Code générale de la propriété des personnes publiques,
qui exige désormais « un aménagement indispensable », à la place d’un « aménagement
spécial ».
B – Un critère alternatif au Sénégal
 Outre le critère organique, le législateur a prévu un critère matériel. Non seulement le bien
doit appartenir à l’État, mais aussi il doit être insusceptible d’appropriation privée, soit en
raison de sa nature, soit en raison de sa destination. Ce critère recouvre un sens clair : le
domaine public ne doit être composé que de biens spéciaux ; cette spécialité tient ou à leur
nature ou à leur destination. Le législateur sénégalais a repris ici une définition de la
domanialité publique retenue par les auteurs du XIX e siècle. La destination doit être entendue
ici dans le sens de l’affectation.
 Il s’agit donc d’un critère alternatif car un bien peut être insusceptible d’appropriation
privée en raison de sa nature, et non en raison de sa destination (affectation).
II – Un rôle imparfait dans l’identification du domaine public
A – L’ambivalence du critère de l’affectation au Sénégal : le domaine privé affecté
 Au Sénégal, le critère de l’affectation est imparfait dans la mesure où l’affectation n’est
pas propre aux dépendances du domaine public. Selon l’article 32 du CDE, « le domaine privé
immobilier de l’État se divise en domaine affecté et en domaine non affecté ». Il en résulte
qu’un bien affecté au service public ne constitue pas toujours une dépendance du domaine
public.
B – L’existence de techniques d’identification alternatives en France
 En France, le critère de l’affectation est tranchant, en ce sens que les biens affectés dans les
conditions prévues par le CGPPP sont systématiquement considérés comme appartenant au
domaine public.
 On relativisera en disant que certains biens non-affectés sont quand même intégrés dans le
domaine public en dehors même du domaine public par détermination de la loi. Le juge
français a en effet inventé des techniques d’extension du domaine public sans application des
critères prévus par le CGPPP :
La théorie de la domanialité publique par accessoire : Selon l’article L. 2111-2 du CGPP,
« Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à
l'article L. 1 qui, concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public (lien
fonctionnel), en constituent un accessoire indissociable (lien physique) ». Les deux critères
qui deviennent cumulatifs étaient alternatifs dans la jurisprudence avant l’entrée en vigueur du
CGPPP.
La domanialité publique globale : Elle est souvent confondue avec la domanialité publique
par accessoire. Pour les distinguer, la doctrine considère celle-ci est verticale, alors que celle-
là est horizontale. L’objectif visé à travers cette extension est d’appliquer un seul régime
juridique à un ensemble immobilier cohérent : par exemple, les aéroports, etc.

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Illustration jurisprudentielle de la domanialité publique globale : CE, avis, du 19 juillet
2012, Domanialité publique de Chambord
Cet avis du Conseil d’État illustre la théorie de la domanialité publique globale. Le CE
considère que le domaine national de Chambord constitue un ensemble historique d’un seul
tenant. Il en déduit que, sous la seule réserve de la forêt qui relève du domaine privé par
détermination de la loi, le domaine national de Chambord appartient dans sa globalité au
domaine public de l’État.

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