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INTRODUCTION

Le Droit Administratif des Biens concerne l’étude des moyens matériels


de l’administration. Il s’agit d’un prolongement du cours de Droit
Administratif Général qui s’intéresse au patrimoine des personnes
publiques. Il traite des biens, meubles et immeubles, de
l’administration, de l’acquisition de ses biens par l’administration et de
leur aménagement par les personnes publiques.
La notion de bien est une notion transversale qui s’applique quelle que
soit la qualité de la personne titulaire du bien. N’ayant jamais été
définie par le Code civil, l’Association Henri Capitant a proposé en 2008
dans l’avant-projet de réforme du Code civil la définition suivante :
« sont des biens […] les choses corporelles ou incorporelles faisant
l’objet d’une appropriation ». Ainsi, les choses qui sont insusceptibles
d’appropriation ne sont pas considérés comme des biens. Les biens
doivent également présenter une utilité « qui justifie l’appropriation ».
Ils renvoient aussi à « tout ce qui a une valeur patrimoniale » et sont
alors constitués de choses et de droits.
Quant à la notion de biens publics, elle peut être définie dans un double
sens. Au sens large, les biens publics sont les biens affectés à l’intérêt
général. Ce sont les biens affectés à une utilité publique pouvant
appartenir à une personne publique ou à une personne privée. Au sens
restreint, les biens publics sont définis par référence à un critère
organique. Ce sont les biens qui appartiennent aux seules personnes
publiques. Les biens publics sont alors conçus comme des éléments
patrimoniaux des personnes publiques, par opposition aux biens privés
qui sont la propriété de personnes privées et qui peuvent tout aussi
bien être destinés à satisfaire les intérêts de leur propriétaire comme
l’intérêt général.
C’est la définition organique de biens publics qui s’impose dans le cadre
de ce cours dès lors qu’on y traite du droit des biens publics et non du
droit public des biens : on rend compte de l’ensemble des règles
applicables aux biens des personnes publiques, qui ne relèvent pas de
la seule sphère du droit public.
L’étude de la discipline Droit administratif des biens inclut dans son
domaine les règles relatives au domaine des personnes publiques, à
l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux travaux publics. Il
s’agit en premier lieu des biens qui sont la propriété des personnes
publiques. Ces biens sont communément appelés « domaine », qui
peut être un domaine public ou un domaine privé. Il s’agit en deuxième
lieu des travaux que les personnes publiques effectuent sur ces biens
pour les mettre en valeur. Ces travaux immobiliers dont le caractère est
le plus souvent public sont qualifiés de « travaux publics ». Il s’agit en
troisième lieu des acquisitions que les personnes publiques peuvent
être conduites à faire pour accroître la consistance de leurs biens. Elles
peuvent, à ce titre, recourir soit à des acquisitions amiables comme la
vente, soit à des acquisitions forcées comme l’expropriation pour cause
d’utilité publique.
Ces trois éléments constitutifs du cours de Droit administratif des biens
ne se recoupent pas nécessairement. Le patrimoine des personnes
publiques n’est pas toujours enrichi par la voie de l’expropriation. Les
personnes publiques peuvent également étoffer leur patrimoine par
des acquisitions à titre onéreux, des dons et legs, etc. De même, les
travaux qui y sont effectués ne sont pas toujours des travaux publics,
comme par exemple les travaux accomplis sur la voie publique par les
permissionnaires de voirie dans leur propre intérêt.
En revanche, ces trois éléments présentent certains traits communs. Il
s’agit d’abord du rôle important joué par la jurisprudence pour combler
les vides laissés par des textes anciens ou laconiques et pour mettre de
l’ordre dans l’interprétation de la réglementation souvent
hétérogènes. Il s’agit ensuite de la mixité droit public-droit privé qui se
rencontre dans le droit administratif des biens (distinction domaine
public-domaine privé, ouvrages complexes, occupations domaniales),
dans le droit de l’expropriation (succession phase administrative et
phase judiciaire, personnes privées pouvant bénéficier de biens
expropriés) et dans le droit des travaux publics (participation de
personnes privées dans la réalisation et au fonctionnement des
ouvrages). Il s’agit également de matières qui sont le lieu privilégié
d’exercice des prérogatives exorbitantes du droit commun. Ces règles
exorbitantes sont destinées à encadrer les prérogatives de
l’administration. Il s’agit enfin de la complexité de l’actualité de ces
matières. En effet, les trois branches du droit administratif des biens
connaissent deux évolutions majeures. Il s’agit d’une part de l’influence
croissante des garanties constitutionnelles et conventionnelles
attachées à la propriété qui contribue à encadrer davantage les
prérogatives de l’administration dans ses rapports avec la propriété
privée. Il s’agit d’autre part de l’influence toujours plus forte de la vie
économique sur les moyens matériels de l’administration. Les
questions de valorisation du domaine des personnes publiques
notamment le domaine public, de transparence et d’éthique dans la
passation des contrats domaniaux et des marchés de travaux publics,
d’équilibre entre la défense de la propriété privée, l’objectif
d’aménagement et celui de l’environnement dans l’expropriation. On
assiste ainsi à l’émergence de « règles hybrides » dans lesquelles le
droit public et le droit privé tendent à se confondre.
Le Droit administratif des biens est un droit qui connait de nos jours des
sources diversifiées. Si au départ ses sources étaient constituées par la
jurisprudence ainsi que de sources écrites éparpillées entre des textes
législatifs et réglementaires, ce droit n’échappe pas aujourd’hui au
double phénomène de communautarisation et de
constitutionnalisation des sources du droit.
La source constitutionnelle du droit administratif des biens réside dans
la protection du droit de propriété des personnes, publiques et privées.
Sur la base des articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen de 1789, la valeur constitutionnelle du droit de propriété
a été solennellement consacrée par le Conseil constitutionnel français
dans sa décision du 16 janvier 1982 (Voir Cons. Cons., décision n°81-
132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation). Au Sénégal, outre
l’adhésion à ladite déclaration à travers le Préambule, la protection
constitutionnelle du droit de propriété est expressément consacrée
dans le dispositif de la Constitution (Voir article 15 de la Constitution du
22 janvier 2001, modifiée). Cette protection constitutionnelle du droit
de propriété ne se limite pas à la seule propriété privée. Le Conseil
constitutionnel français l’a transposée à la propriété des personnes
publiques. Il a en effet considéré dans sa décision des 25 et 26 juin 1986
que la protection constitutionnelle du droit de propriété « ne concerne
pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre
égal, la propriété de l’État et des autres personnes publiques » (Voir
Cons. Const., décision n°86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Loi
autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre
économique et social).
La source internationale réside d’une part dans les règles convenues
dans des traités internationaux, en particulier le droit du domaine
public maritime qui est influencé par le droit international de la mer
(Convention de Montégo Bay sur le droit de la mer du 10 décembre
1982). Elle réside d’autre part dans le droit communautaire. Il en est
ainsi en Afrique de l’Ouest avec la Directive n° 002/2006/CM/UEMOA
de l’UEMOA relative à l’harmonisation des régimes applicables aux
opérateurs de réseaux et fournisseurs de services, la Directive n°
04/2005/CM/UEMOA relative aux procédures de passation,
d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de
service public. Ces directives font évoluer le droit des biens publics avec
l’introduction des règles de la concurrence en matière d’accès au
domaine public. En France, on assiste à une européanisation du droit
des biens publics à travers deux ensembles normatifs : le droit
européen des droits de l’homme et le droit européen de la
concurrence. Le premier notamment la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
garantit la protection du droit de propriété et le droit à un procès
équitable en ce qui concerne les contentieux générés par des
procédures qui ont trait à la gestion du domaine public et qui oppose
un particulier à la personne publique propriétaire. Le second de son
côté impose la libre concurrence dès lors que le régime des biens
publics interfère avec l’intervention économique des personnes
publiques conformément aux prescriptions du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne.
La source législative et réglementaire se trouve dans les textes de base
des matières qui sont l’œuvre du législateur et de l’autorité
réglementaire. Pour les biens des personnes publiques, il convient de
rappeler qu’au Sénégal, il y avait une réglementation de l’autorité
coloniale qui régissait le domaine public avant les indépendances. Il
s’agissait du décret du 29 septembre 1928 portant règlementation du
domaine public et des servitudes d’utilité publique en Afrique
Occidentale Française et de l’arrêté général du 28 novembre 1928
règlementant les conditions d’application du décret du 29 septembre
1928 portant règlementation du domaine public et des servitudes
d’utilité publique en Afrique Occidentale Française. Cette
réglementation a survécu à l’indépendance jusqu’en 1976. C’est à
partir de cette date que le Sénégal a adopté la loi n° 76-66 du 2 juillet
1976 portant code du domaine de l’État, modifiée par la loi n° 85-15 du
25 février 1985, ainsi que son décret d’application n° 81-557 du 21 mai
1981 en ce qui concerne le domaine privé. En France, c’est
l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 portant code général de la
propriété des personnes publiques, modifiée et le décret n° 2011-1612
du 22 novembre 2011 relatif à la partie réglementaire du CG3P qui
constituent principalement la base textuelle du patrimoine des
personnes publiques. Concernant le droit de l’expropriation, il est régi
au Sénégal par la loi n° 76-67 du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation
pour cause d’utilité publique et autres opérations foncières d’utilité
publique et son décret d’application n° 77-563 du 3 juillet 1977. En
France, l’expropriation est encadrée par l’ordonnance n° 2014-1345 du
6 novembre 2014 portant code de l’expropriation pour cause d’utilité
publique et le décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014 relatif à la
partie réglementaire du code de l’expropriation. Enfin, pour les travaux
publics, il y a la loi du 19 juillet 1965 portant code des obligations de
l’administration (COA) pour le Sénégal et la loi du 28 pluviôse an VIII,
soit le 17 février 1800 pour la France.
Enfin, le droit prétorien constitue une source importante du droit
administratif des biens. D’ailleurs, en France, avant l’entrée en vigueur
du code générale de la propriété des personnes publiques, l’essentiel
du droit applicable au domaine des personnes publiques était de
source jurisprudentielle. La jurisprudence est ainsi à l’origine de la
définition du domaine public, ainsi que des traits saillants du régime de
la domanialité publique. Concernant les travaux publics, c’est à la
jurisprudence qu’il est revenu également de dégager les critères de
définition de la notion de travail public devant le silence de la loi. Au
niveau de l’expropriation, la jurisprudence occupe une place
importance devant l’élargissement de la notion d’utilité publique et la
nécessité de protéger la propriété privée en jouant le rôle de
protecteur du droit de propriété.
Ce cours de droit administratif des biens est construit à partir d’une
analyse des dispositions textuelles et des décisions de justice. Ces
dernières sont explicitées et commentées en s’appuyant également sur
les théories doctrinales. Ces développements sont élaborés en fonction
du droit sénégalais et du droit français et en fonction des différentes
évolutions qui ont marqué les trois éléments constitutifs du cours.
Le cours est articulé autour du domaine des personnes publiques (Titre
I), de l’expropriation pour cause d’utilité publique (Titre II) et des
travaux publics (Titre III).

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