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Une telle dissociation ne semble pas être acceptable. Elle a été, en son
temps, critiquée par André de Laubadère qui contestait, à juste titre à notre
avis, que l'affectation pût être assimilée à une servitude.
146. Les biens du domaine privé ne sont affectés ni à l'usage de tous ni aux
services publics, ils ne bénéficient pas d'un aménagement spécial et sauf
indication précise de la loi ne remplissent pas les conditions pour être
incorporés dans le domaine public.
Le fait qu'ils ne soient pas affectés ne signifie pas qu'ils fassent l'objet d'une
gestion uniquement patrimoniale. Le doyen J.-M. Auby a soutenu dans un
article célèbre (Contribution à l'étude du domaine privé de l'administration :
Études et documents du Conseil d'État, 1958, p. 35) que toutes les
dépendances pouvaient « être le siège d'activités administratives d'intérêt
général », que certains biens pouvaient être affectés à des services publics
sans avoir été l'objet d'aménagements spéciaux. Dans les cas où il n'est pas
affecté à l'intérêt général, sa gestion est « souvent dominée par des
considérations d'intérêt général » ou « comporte au moins à titre médiat une
destination d'intérêt général ». La gestion du domaine privé serait
assimilable à un service public de gestion privée.
Le doyen J.-M. Auby avait été l'initiateur de cette thèse car il estimait que les
éléments exorbitants du droit commun « loin de constituer une exception
limitée, occupent au contraire une place considérable dans le régime
juridique » (Contribution à l'étude du domaine privé de l'administration,
p. 55). Une idée proche a été développée par C. Lemercier (La part du droit
administratif dans la gestion du domaine privé, thèse Paris II, 1990, p. 379)
et O. de David Beauregar-Berthier (La justification actuelle de la distinction
entre le domaine public et le domaine privé, Thèse, Aix-Marseille, 1994,
p. 299-310) : « fi faut se rendre à l'évidence, l'exception est devenue la
règle, la gestion du domaine privée est une gestion publique. Les actes les
plus importants de la gestion, c'est-à-dire de mise en œuvre des opérations
domaniales sont des décisions administratives. Finalement, le contentieux du
domaine privé de l'État est davantage administratif que judiciaire ; les
principaux régimes sont largement dérogatoires du droit commun, ce qui
laisse supposer que la gestion du domaine privé répond à une logique
administrative. Il suffirait de peu de chose pour que cette logique soit
effective » (C. Lemercier).
Cette thèse n'est pas reçue par la doctrine dominante qui considère que le
contentieux est principalement judiciaire, même si quelques cas de
compétence administrative existent (Auby et Bon, Droit administratif des
biens, p. 177. – Brard, Domaines public et privé des personnes publiques,
p. 46. – Godfrin et Degoffe, Droit administratif des biens, p. 219 – Lavialle,
Droit administratif des biens, p. 179.
Ainsi, il apparaît que le domaine privé n'est pas uniquement une propriété
publique faisant l'objet d'une gestion patrimoniale alors que le domaine
public relèverait de la seule préoccupation de puissance publique. C'est
l'affectation du bien qui joue un rôle fondamental et marque la nature et
l'exercice du droit de propriété de la personne publique.
152. Une partie de la doctrine, notamment les professeurs Klein (La police
du domaine public, LGDJ, 1966, notamment p. 189-190) et Picard (La notion
de police administrative, LGDJ., 1984, notamment p. 322 s.), considèrent
que la gestion et la police du domaine sont très proches et que la deuxième
prévaut sur la seconde.
154. Philippe Yolka conteste cette analyse en rappelant que « toutes les
utilisations du domaine public sont devenues normales, par suite du
processus d'intégration des utilisations compatibles avec l'affectation dans la
normalité. La notion d'anormalité a simplement facilité pour certains usages
la transition entre l'idée d'interdiction et celle de compatibilité » (op. cit,
p. 264). Pour cet auteur, la propriété est le fondement exclusif des pouvoirs
de gestion domaniale. « La reconnaissance d'un droit de propriété sur le
domaine public acquise dès le début du siècle, ne s'est jamais démentie… ».
Mettre en cause cette idée : « c'est méconnaître les sources textuelles, au
demeurant fort nombreuses, qui affirment sans la moindre ambiguïté la
soumission du domaine public au droit de propriété des personnes
publiques… ». « La remarque vaut pour les sources jurisprudentielles de la
propriété publique qui ne peuvent sérieusement être considérées comme
taries… La plupart des commissaires du gouvernement qui ont conclu en
matière domaniale se sont ralliés à la thèse propriétariste… ». La plus grande
partie de la doctrine adhère à la thèse de la propriété du domaine (op. cit,
p. 275 s.).
La thèse défendue par Philippe Yolka est convaincante et elle est confirmée
par les propositions faites par le Conseil d'État dans une importante étude,
intitulée Réflexions sur l'orientation du droit des propriétés publiques (EDCE,
o
n 38, 1987, p. 13 ; RDI 1987. 313).
Le document, est très important en lui-même et par l'influence qu'il a eue
sur la rédaction de l'avant-projet de l'ordonnance portant Code général des
propriétés des personnes publiques qui est le droit applicable aujourd'hui, et
os
cela justifie qu'il soit analysé (v. ci-dessus n 46 et s.).
155. Le débat sur l'existence d'un droit de propriété dont les biens
composant les domaines des personnes publiques est désormais clos. La
publication de l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du
Code général des propriétés des personnes publiques a mis fin à des
discussions doctrinales qui existaient encore mais qui depuis une ou deux
décennies portaient davantage sur la qualification du droit de propriété que
sur l'existence d'un droit de propriété reconnu aux personnes publiques qui
détenaient des biens mobiliers et immobiliers.
161. Le fait que le code régisse la propriété des biens des personnes
publiques manifeste la volonté du législateur de préciser que les personnes
publiques détiennent un droit de propriété sur des biens. Elles ont la
possibilité d'en jouir, de les utiliser elles-mêmes ou de les affecter à d'autres
usagers et, dans une certaine mesure selon le régime juridique auquel ces
biens sont soumis, d'en disposer. C'est la confirmation de la thèse de la
propriété par un texte de nature législative qui met fin à un long débat.
162. L'existence d'un droit de propriété des personnes publiques sur leurs
biens étant acquise, la nature du droit de propriété est sujette à débat.
163. On ne reviendra pas sur l'exposition des thèses les plus anciennes qui
ont débattu de l'existence d'un droit de propriété des personnes publiques
sur leurs biens et, au cas de réponse affirmative à la question de l'existence
os
d'un droit de propriété de la nature de cette propriété (voir ci-dessus n 141
à 154). Il s'agit de savoir si le CGPPP apporte des réponses définitives aux
questions posées depuis longtemps.
164. Les auteurs de l'avant-projet de code ont tenu compte des règles
constitutionnelles qui s'appliquent à la matière.
Ces règles ont été fixées par le Conseil constitutionnel dans les décisions qu'il
a rendues à propos de projet de lois portant nationalisation ou
dénationalisations de biens appartenant à des personnes privées ou de
transfert à des personnes de droit privé de biens qui appartenaient
précédemment à des personnes publiques qui seront exposées ci-dessous
(on lira avec profit l'étude du professeur E. Fâtome, À propos des bases
constitutionnelles du droit du domaine public : AJDA 2003. 1192 ).
Pour ce qui concerne le sujet traité ici, on peut déduire de cette décision que
les propriétés privées et publiques bénéficient de la même protection et que
le Conseil constitutionnel appuie sa décision sur la qualité de propriétaire et
néglige le fait qu'il s'agisse d'une dépendance du domaine public ou du
domaine privé pour ce qui concerne le propriétaire qui serait une personne
publique.
167. On peut conclure que le droit de propriété est celui du Code civil dans
sa nature mais que les conditions dans lesquelles les biens qui sont l'objet de
ce droit sont soumis à des règles qui sont différentes selon qu'ils sont ou non
soumis au régime juridique particulier qui est de droit public.