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Encyclopédie des collectivités locales

B - De quelle propriété s'agit-il ?

141. Certains auteurs (Maroger, L'affectation des biens des patrimoines


administratifs, avec la préface de R. Capitant), considéraient que le droit de
propriété des personnes publiques était de même nature que celui des
personnes privées mais qu'il serait frappé d'une servitude d'intérêt général
au profit de l'État ou du public. Cette thèse n'est pas acceptable. En effet elle
a des conséquences illogiques : comment pourrait-on admettre que le
domaine public de l'État soit l'objet d'un droit de propriété de l'État et en
même temps qu'il soit frappé d'une servitude au profit de l'État ?
L'affectation qui caractérise les biens du domaine public ne peut pas être
assimilée à une servitude.

142. La Doctrine a parfois qualifié de « sociale » la propriété que les


personnes publiques ont sur leur domaine public. R. Bonnard, (Précis de
e
droit administratif 4 éd., p. 550), M. Duverger (L'affectation des immeubles
domaniaux aux services publics, Thèse, Bordeaux, 1940, p. 226) et Natrin,
(Quelques rapports entre les notions de police, service public et domaine
public : RDP., 1936, p. 161) ont soutenu la thèse selon laquelle il existerait
deux sortes de propriétés : la propriété individualiste dans laquelle le
propriétaire se réserve l'usage du bien et la propriété sociale qui est
caractérisée par l'attribution à un tiers de l'usage de la chose. Cette
argumentation n'est pas convaincante. En effet, l'affectation d'un bien au
service public peut emporter la qualification de domanialité publique alors
même que la dépendance est utilisée par la personne publique propriétaire
elle-même.

143. La majeure partie de la doctrine contemporaine (Auby J.-M., Bon P.,


e
Auby J.-B., Droit administratif des biens, Précis Dalloz, 4 éd., 2003. –
J. Dufau, Le domaine public, 2 t., Moniteur, 4 éd., 2003. – R. Chapus, Droit
e
administratif général, t. 2, 15 éd., Montchrestien, 2001. – Gaudemet Y.,
e
Droit administratif des biens, 6 éd., 2001. – Godfrin Ph et Degoffe M., Droit
e
administratif des biens, 7 éd., Armand Colin, 2005. - J. Morand-Deviller,
e
Cours de droit administratif des biens, 2 éd., Montchrestien, 2001. –
P. Yolka, La propriété publique, éléments pour une théorie, Bibliothèque de
droit public, t. 191, LGDJ, 1997) considère avec le doyen Hauriou
(L'utilisation en droit administratif des principes de droit privé : Recueil en
l'honneur de F. Gény, p. 9), que la propriété des personnes publiques sur
leur domaine public est différente de celle que les personnes privées
détiennent sur les biens qui leur appartiennent.

II s'agit d'une « propriété administrative », caractérisée par l'existence d'une


affectation du bien à l'usage du public ou aux services publics, qui paralyse
les composantes du droit de propriété : l'exclusivité de l'usus et l'absence
d'abusus. Elle n'est une propriété de droit civil limitée dans certains de ses
aspects, elle constitue une notion autonome.

144. Certains auteurs (Lavialle C., Des rapports entre la domanialité


publique et le régime des fondations, RDP., 1990, p. 471 ; Droit administratif
des biens, PUF., 1996, p. 79) défendent la thèse selon laquelle la propriété
sur le domaine public serait « fondative », définie comme dépassant l'intérêt
corporatif de la personne publique propriétaire pour se reporter sur la
destination du bien du domaine, qu'il s'agisse de l'utilisation par le public ou
de la mise à la disposition du service public. Cette thèse avait été autrefois
défendue par Henry Backausen (Etude sur la théorie générale du domaine
public : RDP 1903. 50) puis reprise par certains commissaires du
gouvernement qui soutenaient que la propriété des personnes publiques sur
leur domaine était affectée d'une servitude publique d'affectation. René
Capitant et Gilbert Maroger avaient construit une théorie ingénieuse pour
expliquer que l'acte d'affectation, qui ne relève d'ailleurs pas toujours du
propriétaire, n'a rien à voir avec la propriété. Le droit de propriété existe
mais il est limité par l'affectation du bien tant qu'elle perdure.

Le professeur Lavialle reprend cette idée en dissociant la propriété de


l'affectation « le domaine privé, propriété ordinaire et le domaine public,
propriété fondative sur laquelle concourent les droits du propriétaire et de
l'affectataire. ».

Une telle dissociation ne semble pas être acceptable. Elle a été, en son
temps, critiquée par André de Laubadère qui contestait, à juste titre à notre
avis, que l'affectation pût être assimilée à une servitude.

145. La nature du droit de propriété des personnes publiques, tout


particulièrement des collectivités locales, sur leur domaine privé a parfois été
assimilé purement et simplement à celui que les personnes privées
détiennent sur leurs biens ; cette thèse a notamment été défendue, puis
abandonnée, par le professeur Chapus (Droit administratif général, t. 2,
e
Montchrestien, jusqu'à la 9 édition. – voir aussi P. Yolka, op. cit, p. 535
et s.). Cette interprétation est restée minoritaire. En effet, on peut
considérer que le domaine privé est l'objet d'une propriété publique mais que
ce droit de propriété est de nature mixte, c'est-à-dire que les règles du droit
commun sont assorties de dispositions de nature administra- rive (y.
notamment J.-P. Amedei, Le droit de propriété du domaine privé : RDP.,
1998, p. 505).

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision 86-207 DC Privatisations


e
des 25 et 26 juin 1986 (GDCC, 8 éd., p. 650 et s.), que la propriété
publique englobait le droit des personnes publiques tant sur leur domaine
privé que sur leur domaine public. Néanmoins, la propriété sur le domaine
privé n'est pas identique à celle qui porte sur des biens du domaine public et
la raison de la différence se trouve dans l'affectation du bien.

146. Les biens du domaine privé ne sont affectés ni à l'usage de tous ni aux
services publics, ils ne bénéficient pas d'un aménagement spécial et sauf
indication précise de la loi ne remplissent pas les conditions pour être
incorporés dans le domaine public.

Le fait qu'ils ne soient pas affectés ne signifie pas qu'ils fassent l'objet d'une
gestion uniquement patrimoniale. Le doyen J.-M. Auby a soutenu dans un
article célèbre (Contribution à l'étude du domaine privé de l'administration :
Études et documents du Conseil d'État, 1958, p. 35) que toutes les
dépendances pouvaient « être le siège d'activités administratives d'intérêt
général », que certains biens pouvaient être affectés à des services publics
sans avoir été l'objet d'aménagements spéciaux. Dans les cas où il n'est pas
affecté à l'intérêt général, sa gestion est « souvent dominée par des
considérations d'intérêt général » ou « comporte au moins à titre médiat une
destination d'intérêt général ». La gestion du domaine privé serait
assimilable à un service public de gestion privée.

147. La jurisprudence du Conseil d'État et ses avis font néanmoins prévaloir


la conception traditionnelle du domaine privé pour les forêts publiques non
affectées à l'intérêt général. La Haute juridiction ne retient que l'affectation à
l'usage du public pour imposer des contraintes à la collectivité propriétaire.

148. La propriété publique du domaine privé est soumise à un régime mixte.


La compétence exclusive des tribunaux judiciaires et l'application intégrale
du droit commun aux dépendances du domaine privé n'existent plus
aujourd'hui, même si elles sont dominantes.

Le doyen J.-M. Auby avait été l'initiateur de cette thèse car il estimait que les
éléments exorbitants du droit commun « loin de constituer une exception
limitée, occupent au contraire une place considérable dans le régime
juridique » (Contribution à l'étude du domaine privé de l'administration,
p. 55). Une idée proche a été développée par C. Lemercier (La part du droit
administratif dans la gestion du domaine privé, thèse Paris II, 1990, p. 379)
et O. de David Beauregar-Berthier (La justification actuelle de la distinction
entre le domaine public et le domaine privé, Thèse, Aix-Marseille, 1994,
p. 299-310) : « fi faut se rendre à l'évidence, l'exception est devenue la
règle, la gestion du domaine privée est une gestion publique. Les actes les
plus importants de la gestion, c'est-à-dire de mise en œuvre des opérations
domaniales sont des décisions administratives. Finalement, le contentieux du
domaine privé de l'État est davantage administratif que judiciaire ; les
principaux régimes sont largement dérogatoires du droit commun, ce qui
laisse supposer que la gestion du domaine privé répond à une logique
administrative. Il suffirait de peu de chose pour que cette logique soit
effective » (C. Lemercier).

Cette thèse n'est pas reçue par la doctrine dominante qui considère que le
contentieux est principalement judiciaire, même si quelques cas de
compétence administrative existent (Auby et Bon, Droit administratif des
biens, p. 177. – Brard, Domaines public et privé des personnes publiques,
p. 46. – Godfrin et Degoffe, Droit administratif des biens, p. 219 – Lavialle,
Droit administratif des biens, p. 179.

149. Le régime juridique des biens du domaine privé relève principalement


du droit privé. Ces biens peuvent être l'objet d'une expropriation pour cause
d'utilité publique. Ils sont également aliénables et prescriptibles, sauf pour
les immeubles et meubles classés monuments historiques et les archives
publiques qui sont considérés comme faisant partie du domaine public.

Certains biens bénéficiaient d'une large protection. C'était le cas du capital


social des entreprises nationales d'électricité qui ne pouvaient être aliéné que
par une loi (article L. 62 du Code du domaine de l'État). Actuellement, le
transfert d'entreprises publiques du secteur public au secteur privé est
décidé par une loi ; les biens du Conservatoire de l'espace littoral et des
rivages lacustres sont aliénables après décret en Conseil d'État et la vente
des chemins ruraux est soumise à une procédure spéciale.

Les dépendances du domaine privé peuvent être frappées de servitudes


administratives qui s'ajoutent aux droits réels privés qui existent parfois. Les
premières se manifestent lorsque le titre contractuel ou unilatéral
d'occupation du domaine privé est de nature administrative ; par exemple les
concessions de logement des agents publics sont des décisions unilatérales
qui relèvent du contentieux administratif et accordent des droits réels
administratifs.

Ainsi, il apparaît que le domaine privé n'est pas uniquement une propriété
publique faisant l'objet d'une gestion patrimoniale alors que le domaine
public relèverait de la seule préoccupation de puissance publique. C'est
l'affectation du bien qui joue un rôle fondamental et marque la nature et
l'exercice du droit de propriété de la personne publique.

150. Philippe Yolka a construit une théorie de la propriété publique qui


présente un très grand intérêt (La propriété publique, éléments pour une
théorie, LGDJ, 1997). Après avoir fait une critique très fouillée des théories
classiques qui reposent sur les notions de droit de garde et de police, l'auteur
montre que les personnes publiques sont titulaires d'un véritable droit de
propriété et que ce qui a longtemps fait douter la doctrine de la réalité de ce
droit est qu'elle ne concevait le droit de propriété que dans les termes du
droit civil. Le droit de propriété tel que défini par le Code civil, qui est un
droit seulement limité par la fraude et l'abus de droit, ne peut évidemment
pas être appliqué à des biens que les personnes publiques détiennent et
utilisent parfois dans presque les mêmes conditions qu'une personne privée,
s'agissant de ce que l'on dénomme le domaine privé, mais le plus souvent
sont titulaires d'un droit qui est fortement marqué par les effets de
l'affectation à l'usage du public ou bien aux services publics qui les privent
d'éléments essentiels de la propriété, comme la libre disposition du bien ou
le bénéfice des fruits. Cette constatation a parfois conduit la doctrine à
soutenir que les personnes publiques n'étaient pas propriétaires du bien mais
qu'elles détenaient sur lui des droits originaux.

L'auteur confronte sa thèse au droit positif au moment où il écrivait et il


montre que les personnes publiques, notamment les collectivités
territoriales, qu'il s'agisse de l'État ou bien des collectivités locales, sont
propriétaires de domaines très importants qu'elles exploitent conformément
à l'affectation, lorsqu'elle existe, mais aussi comme un patrimoine qui est
productif de ressources.

On a longtemps insisté sur les difficultés de concilier l'intérêt général qui


dirige l'action de l'administration et l'intérêt financier qui ne lui est pas
toujours étranger (voir notamment Teitgen-Colly C., La légalité de l'intérêt
financier dans l'action administrative, Paris, Economica, 1981. – Corail J.-
L. de, L'intérêt financier dans l'action administrative, Mélanges Gaudemet,
Paris, Economica, 1984, p. 335. – C. Lavialle, note sous CAA Lyon 10 octobre
1990, Autard : JCP., 1991, 11, 21761. – D. Truchet, Les fonctions de la
notion d'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d'État, Paris, LGDJ,
1977, p. 296 s.). La jurisprudence et la doctrine admettent actuellement que
les actes, comme la permission de voirie qui avait été longtemps considérée
comme des actes liés au pouvoir de police, puissent être conditionnés par
des préoccupations patrimoniales (ces éléments seront développés lors de
l'étude des modes de gestion des dépendances domaniales). Le permis de
stationnement, qui était la manifestation du pouvoir de police tend à se
rapprocher de la permission de voirie et être conditionné par des
considérations de gestion économique ; « il n'y a plus guère de différence
entre la permission de voirie et la simple autorisation d'occupation
temporaire » (Lagrange M., L'évolution du droit de la domanialité publique,
RDP 1974. 15). Le Conseil d'État a jugé dans un considérant de principe
« qu'il appartient à l'autorité chargée de la gestion du domaine public de
fixer, tant dans l'intérêt dudit domaine et de son affectation que dans
l'intérêt général, des conditions auxquelles elle entend subordonner les
permissions d'occupation ; que ni le principe de la liberté du commerce et de
l'industrie, ni celui de la liberté de la presse, ni les règles établies pour la
surveillance et le contrôle des publications destinées à l'enfance et à
l'adolescence, ne sauraient faire obstacle à l'exercice de ces pouvoirs de
gestion » (CE 20 décembre 1957, Société nationale d'éditions
cinématographiques : Rec. Lebon p. 702 ; RDP., 1958, p. 347 ; RPDA, 1958,
p. 22 ; S., 1958, J., 73, concl. Guldner).

151. M. Lagrange considère que les opposants à la théorie de la propriété


ont essayé d'expliquer la gestion domaniale par l'exercice d'un pouvoir de
police. II apparaît que la distinction entre les actes de police et les actes de
gestion est devenue difficile après l'arrêt précité Société nationale d'éditions
cinématographiques de 1957. On constate que les autorités de police
peuvent prendre, sous certaines conditions, des mesures qui ayant pour but
d'assurer la satisfaction de l'intérêt général mais qui peuvent également
avoir pour effet de permettre une meilleure utilisation du domaine public
(voir Lebreton J.-P., L'occupation du domaine public, Thèse Paris 2, p. 30).
Dans l'arrêt Taillandier (CE 6 mai 1932 : Rec. Lebon p. 467 ; D., 1934, 3, 18,
concl. Rousselier, note P. Duclos), la Haute juridiction administrative admet
la validité du retrait d'une permission de voirie pour des raisons auxquelles
l'ordre public n'était pas étranger.

152. Une partie de la doctrine, notamment les professeurs Klein (La police
du domaine public, LGDJ, 1966, notamment p. 189-190) et Picard (La notion
de police administrative, LGDJ., 1984, notamment p. 322 s.), considèrent
que la gestion et la police du domaine sont très proches et que la deuxième
prévaut sur la seconde.

C'est grâce à la notion de « police du domaine public » que les pouvoirs de


gestion sont insérés dans la notion de police (Picard, op. cit., p. 268). Cette
thèse repose sur le postulat que la finalité de la gestion et de la police est la
même ; assurer la protection, qui comporte la bonne utilisation au sens
économique et de la conformité à l'affectation, de la dépendance domaniale
en prenant les mesures appropriées. Les opposants à cette thèse (Ph. Yolka,
op. cit, p. 241 s.) soutiennent que les deux notions sont différentes, tant
dans leur objet que dans les moyens mis en œuvre.

153. Le professeur Fâtome soutient la thèse selon laquelle l'administration


serait soumise à l'exécution de trois obligations : maintenir l'ordre public ;
veiller à l'affectation qui a été donnée aux biens ; exploiter le domaine dans
des conditions compatibles avec l'affectation. Il en découlerait trois
pouvoirs : le pouvoir de police ; le pouvoir de gestion de l'affectataire ; le
pouvoir de gestion du propriétaire (Le pouvoir de réglementer l'utilisation du
domaine public affecté à l'usage de tous. Recherches sur son fondement et
son étendue, thèse Caen, 1974) Le pouvoir de police ayant perdu le
e
caractère exclusif que la doctrine lui reconnaissait au XIX siècle, resterait
celui de l'affectataire qui s'exercerait sur les usages conformes à l'affectation
et le pouvoir du propriétaire pour les usages anormaux. Ce serait donc le
caractère anormal de l'utilisation qui donnerait au propriétaire les pouvoirs
de gestion de la dépendance. Cette thèse, ingénieuse, a reçu quelques
applications jurisprudentielles mais elle a été contredite par le fait que des
utilisations normales peuvent donner lieu à perception d'une redevance, par
exemple lors de l'utilisation de parcs de stationnement, et que certains
usages qualifiés d'anormaux relèvent parfois du pouvoir de police.

154. Philippe Yolka conteste cette analyse en rappelant que « toutes les
utilisations du domaine public sont devenues normales, par suite du
processus d'intégration des utilisations compatibles avec l'affectation dans la
normalité. La notion d'anormalité a simplement facilité pour certains usages
la transition entre l'idée d'interdiction et celle de compatibilité » (op. cit,
p. 264). Pour cet auteur, la propriété est le fondement exclusif des pouvoirs
de gestion domaniale. « La reconnaissance d'un droit de propriété sur le
domaine public acquise dès le début du siècle, ne s'est jamais démentie… ».
Mettre en cause cette idée : « c'est méconnaître les sources textuelles, au
demeurant fort nombreuses, qui affirment sans la moindre ambiguïté la
soumission du domaine public au droit de propriété des personnes
publiques… ». « La remarque vaut pour les sources jurisprudentielles de la
propriété publique qui ne peuvent sérieusement être considérées comme
taries… La plupart des commissaires du gouvernement qui ont conclu en
matière domaniale se sont ralliés à la thèse propriétariste… ». La plus grande
partie de la doctrine adhère à la thèse de la propriété du domaine (op. cit,
p. 275 s.).

La thèse défendue par Philippe Yolka est convaincante et elle est confirmée
par les propositions faites par le Conseil d'État dans une importante étude,
intitulée Réflexions sur l'orientation du droit des propriétés publiques (EDCE,
o
n 38, 1987, p. 13 ; RDI 1987. 313).
Le document, est très important en lui-même et par l'influence qu'il a eue
sur la rédaction de l'avant-projet de l'ordonnance portant Code général des
propriétés des personnes publiques qui est le droit applicable aujourd'hui, et
os
cela justifie qu'il soit analysé (v. ci-dessus n 46 et s.).

§ 2 - L'affirmation législative du droit de propriété des personnes


publiques sur leurs domaines

155. Le débat sur l'existence d'un droit de propriété dont les biens
composant les domaines des personnes publiques est désormais clos. La
publication de l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du
Code général des propriétés des personnes publiques a mis fin à des
discussions doctrinales qui existaient encore mais qui depuis une ou deux
décennies portaient davantage sur la qualification du droit de propriété que
sur l'existence d'un droit de propriété reconnu aux personnes publiques qui
détenaient des biens mobiliers et immobiliers.

Remplacer le Code du domaine de l'État par le Code général des propriétés


des personnes publiques n'est pas un acte anodin mais une véritable
mutation juridique qui marque une étape dans l'évolution du droit des biens
des personnes publiques.

A - La place centrale donnée à la propriété des biens des personnes


publiques

156. Le CGPPP n'est pas le fruit d'une improvisation géniale mais


l'aboutissement d'un long chemin marqué par des œuvres qui donnaient une
place importante à la notion de propriété des personnes publiques.

Le rapport du Conseil d'État consacré à des Réflexions sur l'orientation du


droit des propriétés publiques publié en 1987, la constitution d'un groupe de
travail présidé par M. Querrien pour étudier l'évolution souhaitable du droit
des propriétés publiques, les nombreux travaux de la Doctrine et tout
particulièrement ceux de nos collègues Y. Gaudemet, J.-M. Auby, et
R. Chapus, qui ont soutenu l'idée de l'existence d'un droit de propriété avec
constance et Ph. Yolka qui a tenté et réussi dans sa thèse de faire une œuvre
majeure en traitant de La propriété publique. Éléments pour une théorie
(Thèse Paris II, LGDJ, 1997).
157. Le titre du Code est significatif et il n'est pas nécessaire de développer
longuement cette idée pour prouver sa véracité. M. D. Labetoulle
remarquait : « Je voudrais, pardonnez-moi, souligner à cet égard le rôle
particulier qu'a tenu le Conseil d'État dans cette affaire… Ce qui est
fondamentalement original ici, c'est que le texte qui a été publié est en
réalité le fruit de la rédaction propre des rapporteurs de ce code devant le
Conseil d'État » [il s'agit de Mme Maügué et de M. Bachelier] (Présentation
du Code général de la propriété des personnes publiques, Colloque sur la
o
circulation des propriétés publiques : JCP N 26 octobre 2006, n 43-44,
p. 1881). Il est vrai que le travail réalisé par les membres du Conseil d'État,
tant dans les rapports antérieurement présentés que dans l'avant-projet
d'ordonnance a été considérable mais il est regrettable qu'il ait ignoré que
e
c'est la Doctrine qui depuis le début du XIX siècle a construit la théorie du
domaine en commentant les décisions rendues par le Conseil d'État mais
aussi en faisant des propositions qui ont été reprises par la Haute juridiction.
La preuve la plus récente de l'action déterminante de la Doctrine dans
l'évolution du droit des propriétés des personnes publiques est, sans doute le
colloque organisé en 2006 par l'Université de Paris II et l'Institut de la
gestion déléguée. La conception et la rédaction se nourrissent de la réflexion
menée par des maîtres pendant des décennies.

158. Le passage du Code du domaine de l'État, du Code général des


collectivités territoriales, plus des codes particuliers et de nombreux textes
législatifs ou réglementaires isolés à un Code général des propriétés des
personnes publiques ne manifeste pas seulement un effort de
systématisation des règles applicables aux biens des personnes publiques
mais surtout une réorientation de la nature des biens des personnes
publiques qui passe de l'accumulation de richesses qu'il convient de
conserver à l'obligation de valoriser les biens qui sont une propriété publique.

La volonté des rédacteurs du texte est clairement exprimée dans le rapport


au président de la République relatif à l'ordonnance 2006-460 du 21 avril
2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des
personnes publiques : « Afin de simplifier ces règles, de les harmoniser, et
d'améliorer la gestion domaniale, la codification peut en outre s'étendre à
des règles de fond et dépasser ainsi, ce qui constitue une innovation, le strict
encadrement d'une codification classique à droit constant. » (JCP A 29 mai
o
2006, n 22, p. 691).

159. Mettre la notion de propriété au centre de la législation nouvelle n'est


pas un changement anodin : «…l'intitulé du code – qui vise la propriété, pas
les domaines – révèle toutefois un paradigme : le centre de gravité de la
théorie domaniale se déplace d'une logique de protection (centrée sur
l'affectation publique) vers une démarche de valorisation fondée sur le droit
de propriété » (Yolka Ph., Naissance d'un code : la réforme du droit des
o
propriétés publiques , JCP A 29 mai 2006, n 22, p. 687).

160. Le titre du nouveau code pose des questions d'interprétation.

La première est l'ambiguïté du mot de propriété selon qu'il est au singulier


ou au pluriel. Au singulier, la propriété et l'idée de droit de propriété ont fait
l'objet au cours de deux dernières décennies de recherches aboutissant à des
conclusions nouvelles. On a tendance à n'intéresser moins aux prérogatives
conférées par le droit de propriété, ce que certains appellent la définition en
extension, qu'à son principe qui est la relation entre une personne et un bien
(sur ces questions on pourra consulter avec le plus grand profit les ouvrages
suivants : Bioy X., La propriété éminente de l'État, RFDA. 2006. 963 . –
Chamard C., La distinction des biens publics et des biens privés, contribution
à la notion de biens publics, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, vol.
33. – Colloque organisé par l'Institut fédératif de recherche « Mutation des
normes juridiques », Qu'en est-il de la propriété ? L'appropriation au débat,
Université de Toulouse 1, Presses de l'Université des sciences sociales de
Toulouse, 2006. – Delvolvé P., Droit de propriété de droit public, Mélanges
Guy Braibant, Dalloz 1996, p. 153. – Zénati F., Pour une rénovation de la
théorie de la propriété : RTD ci. 1993, p. 305). – Zénati F. et Revet T., Les
e
biens, PUF, Droit civil, 2 éd. 1997). Cette nouvelle voie est qualifiée de
définition en compréhension, autrement dit selon son principe même.

La seconde est que la notion de propriétés s'intéresse à l'objet matériel et


non pas au rapport entre l'homme et l'objet. La différence de sens selon la
formulation que l'on choisit est lourde de conséquences juridiques dont les
travaux préparatoires de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen sont l'expression (voir Suel M., La Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen ; l'énigme de l'article 17 sur le droit de propriété, la
grammaire et le pouvoir, RDP 1974. 1295). Au singulier, le mot propriété est
pris comme un lien juridique entre une personne et un bien, comme un droit,
une liberté. Les propriétés sont des objets matériels, mobiliers ou
immobiliers mais elles peuvent porter sur des droits juridiques et des
éléments immatériels. Cette notion est bien définie notamment par la
doctrine de droit public. On peut citer deux auteurs : le professeur Verpeaux
qui écrit qu'« il existe une certaine correspondance, ou une affinité, à défaut
de conclure à une synonymie, entre le droit de propriété et la liberté de
disposer de ses biens » (Le juge administratif, gardien du droit de propriété,
RFDA 2003. 1096 ) ; le professeur Yolka pense que « L'épure de la
propriété s'analyse comme une relation d'appartenance entre un sujet et un
objet, par laquelle le premier dispose en principe d'un droit général lui
permettant de tirer du second toutes les utilités » (La propriété publique,
éléments pour une théorie, op. cit., p. 175).

161. Le fait que le code régisse la propriété des biens des personnes
publiques manifeste la volonté du législateur de préciser que les personnes
publiques détiennent un droit de propriété sur des biens. Elles ont la
possibilité d'en jouir, de les utiliser elles-mêmes ou de les affecter à d'autres
usagers et, dans une certaine mesure selon le régime juridique auquel ces
biens sont soumis, d'en disposer. C'est la confirmation de la thèse de la
propriété par un texte de nature législative qui met fin à un long débat.

B - La nature du droit de propriété

162. L'existence d'un droit de propriété des personnes publiques sur leurs
biens étant acquise, la nature du droit de propriété est sujette à débat.

163. On ne reviendra pas sur l'exposition des thèses les plus anciennes qui
ont débattu de l'existence d'un droit de propriété des personnes publiques
sur leurs biens et, au cas de réponse affirmative à la question de l'existence
os
d'un droit de propriété de la nature de cette propriété (voir ci-dessus n 141
à 154). Il s'agit de savoir si le CGPPP apporte des réponses définitives aux
questions posées depuis longtemps.

164. Les auteurs de l'avant-projet de code ont tenu compte des règles
constitutionnelles qui s'appliquent à la matière.

Ces règles ont été fixées par le Conseil constitutionnel dans les décisions qu'il
a rendues à propos de projet de lois portant nationalisation ou
dénationalisations de biens appartenant à des personnes privées ou de
transfert à des personnes de droit privé de biens qui appartenaient
précédemment à des personnes publiques qui seront exposées ci-dessous
(on lira avec profit l'étude du professeur E. Fâtome, À propos des bases
constitutionnelles du droit du domaine public : AJDA 2003. 1192 ).

165. La première décision importante est relative à la notion de propriété qui


s'applique aux biens des personnes privées comme à ceux des personnes
publiques.
o er
Dans la décision n 132 DC du 1 janvier 1982, Loi de nationalisation (voir le
texte de la décision, le commentaire et la bibliographie donnée par les
e
auteurs dans Favoreu et Philip, GDCC, 8 éd. p. 444 et s.), le Conseil
constitutionnel reconnaît la nature constitutionnelle de la protection de la
propriété et la plasticité du droit de propriété : « Considérant que, si
postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions
d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois
par une notable extension de son champ d'application à des domaines
individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les
principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le
caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue
l'un des buts de la société politique et qui est mise au même rang que la
liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les
garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la
puissance publique ; que la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la
Déclaration consiste à pouvoir faire tout ce qui ne suit pas à autrui, ne
saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives
étaient apportées à la liberté d'entreprendre ».

166. Le Conseil constitutionnel fit un pas de plus dans la construction d'un


droit constitutionnel du droit de propriété dans la décision 86-207 DC du 25-
26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures
d'ordre économique et social (Rec. p. 61).

D'une part, le Conseil constitutionnel affirme que les personnes publiques


bénéficient comme tout propriétaire de biens, de la protection
constitutionnelle qui s'attache au droit de propriété et résultant de l'article 17
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans ce
cadre-là il considère que les biens appartenant à des patrimoines publics ne
peuvent pas être vendus à un prix inférieur à leur valeur, cette obligation est
l'application des dispositions conjuguées du principe d'égalité et de la
protection constitutionnelle du droit de propriété.

Pour ce qui concerne le sujet traité ici, on peut déduire de cette décision que
les propriétés privées et publiques bénéficient de la même protection et que
le Conseil constitutionnel appuie sa décision sur la qualité de propriétaire et
néglige le fait qu'il s'agisse d'une dépendance du domaine public ou du
domaine privé pour ce qui concerne le propriétaire qui serait une personne
publique.

D'autre part, le Conseil constitutionnel, dans une décision ultérieure 94-346


DC, Loi complétant de code du domaine de l'État et relative à la constitution
de droits réels sur le domaine public (Rec. p. 96 ; AJDA 1994. 786, note
Gondouin) , précise que le législateur doit, lorsqu'il modifie les dispositions
relatives au domaine public, ne pas priver de garanties légales les exigences
constitutionnelles que sont l'existence et de la continuité du service public
auxquels les biens domaniaux sont affectés. Par conséquent, le droit du
législateur de modifier la consistance ou le régime des biens faisant partie du
domaine public est limité par l'obligation de préserver la continuité du service
public, auquel les biens participent, qui est de valeur constitutionnelle.

On constate que si le droit de propriété des personnes privées et des


personnes publiques sur leur patrimoine est traité de la même manière au
plan de la protection, l'exercice de ce droit n'obéit pas aux mêmes règles
selon le statut de droit privé ou de droit public auquel les biens sont soumis.

167. On peut conclure que le droit de propriété est celui du Code civil dans
sa nature mais que les conditions dans lesquelles les biens qui sont l'objet de
ce droit sont soumis à des règles qui sont différentes selon qu'ils sont ou non
soumis au régime juridique particulier qui est de droit public.

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