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Chapitre 2nd.

Le Domaine Privé des Collectivités Publics

L’exigence de critères législatifs, visés à l’article L. 2111-1 du CGPPP, pour


l’appartenance d’un bien public au domaine public, a pour effet de ranger ceux des
biens qui ne les remplissent pas dans une autre catégorie juridique. Le « domaine
privé » des personnes publiques sert de réceptacle juridique aux biens exclus de la
catégorie du domaine public. Cette dualité a justifié plusieurs réflexions doctrinales
consacrées au domaine privé (Jean-Marie Auby, Contribution à l’étude du domaine
privé de l’Administration, EDCE n° 12, 1958, p. 35 ; G. Lemée, Le domaine privé
des collectivités locales, Etudes foncières, mars 1996, p. 22 ; Eric Delacour, Le
régime juridique du domaine privé des collectivités territoriales, Collectivités
Territoriales-Intercommunalité, juin 2004, étude n° 9, p. 6). L’étude et la
compréhension du régime juridique du domaine privé (Section 2), qui se trouve
être mixte, sont d’autant plus indispensables qu’il importe de le distinguer de la
domanialité publique. En outre, les biens et dépendances rattachés au domaine
privé (Section1), représentent une part importante du patrimoine des collectivités
publiques, des collectivités territoriales notamment.

Section 1 : Contenu de la notion de Domaine Privé

Partant des dispositions de l’ancien Code du domaine de l’Etat, dont l’article L. 2


prescrivait que : « Les autres biens constituent le domaine privé », la doctrine avait
historiquement retenu une conception a contrario, et donc négative, du domaine
privé. Ont vocation à faire partie de ce domaine privé, les biens qui ne peuvent être
rattachés au domaine public. Une forme de « définition négative » comblant,
partiellement, une absence de définition positive. Tout en modifiant la rédaction
initiale de l’article L. 2 de l’ancien Code du domaine de l’Etat, le nouveau CGPPP,
issu de l’ordonnance du 21 avril 2006, reste fidèle pour l’essentiel, à la conception
classique du domaine privé. « Font partie du domaine privé les biens des personnes
publiques mentionnées à l’article L. 1, qui ne relèvent pas du domaine public par
application des dispositions du titre 1er du Livre 1er » (article L. 2211-1, alinéa
1er). On retrouve la « définition négative » qui, combinée avec d’autres
dispositions du même Code, contient les critères de rattachement d’un bien public
au domaine privé.

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Deux critères alternatifs déterminent l’appartenance d’un bien au domaine privé.
Le domaine privé est la catégorie juridique qui accueille ceux des biens publics qui
n’ont reçu aucune affectation à l’utilité publique au sens de la domanialité
publique. Autrement dit, les biens qui ne remplissent pas les critères fixés à
l’article L. 2111-1 du CGPPP. Il convient de ranger dans cette catégorie les biens
des personnes publiques autres que celles mentionnées à l’article L. 1, dont les
textes qui les régissent n’organisent pas l’incorporation dans le domaine public
(voir article L. 2). Le domaine privé n’est pas pour autant le réceptacle des seuls
biens publics dépourvus d’affectation à l’utilité publique, c’est-à-dire ne
remplissant pas les critères du domaine public. Certaines catégories de biens
publics sont obligatoirement rangées dans le domaine privé des personnes
publiques par prescription législative. Autrement dit, et c’est le second critère
alternatif, un bien public peut faire partie du domaine privé par détermination de la
loi. Le CGPPP offre plusieurs applications.

La non-appartenance au domaine public entraînant, quasi automatiquement, le


classement des biens considérés dans le domaine privé, il n’en résulte aucune
originalité particulière. L’appartenance au privé par détermination de la loi
présente, juridiquement, plus d’intérêt dans la mesure où certains des biens visés
sont susceptibles de remplir les critères de la domanialité publique. En examinant
la consistance du domaine privé, sous l’angle du critère législatif, quatre catégories
de biens se distinguent.

A – L’appartenance des chemins ruraux au domaine privé par détermination


de la loi

Les chemins ruraux sont des voies de communication appartenant aux


communes et affectées à la circulation publique. Mais ils ne sont pas
classés comme « voies communales ». Cette définition traditionnelle résulte
de la loi du 26 août 1881. Ces chemins ruraux font obligatoirement partie
du domaine privé des communes en application de deux textes datant des
débuts de la Ve République. Ce rattachement résulte, en effet, de
l’ordonnance n° 58-1351 du 27 décembre 1958 et de l’ordonnance n° 59-

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115 du 7 janvier 1959. Ces dispositions législatives sont codifiées aux
articles L. 161-1 et suivants du Code rural.

L’article L. 2212-1 du CGPPP confirme cette appartenance en disposant que


les chemins ruraux font partie du domaine privé. Il peut être observé que sans
ces différentes prescriptions législatives, les chemins ruraux, qui remplissent
à l’évidence les critères requis, auraient été rangés dans le domaine public :
appartenance à une personne publique et affectation à l’usage direct du
public. Cette appartenance des chemins ruraux au domaine privé des
communes, imposée par le législateur, n’en suscite pas moins un certain
étonnement voire une forme de contestation de la part de la doctrine.
Rappelons le décalage qui semble exister entre le régime juridique des
chemins ruraux et leur vocation principale. L’ordonnance du 7 janvier 1959
destine, explicitement, ces chemins ruraux à l’usage direct du public. Un
chemin rural est utilisé par le public comme une voie de passage. Il s’agit
donc d’un élément de la voirie au sens large. L’article L. 161-2 du Code rural,
modifié par l’article 52 de la loi du 25 juin 1999 relative à l’aménagement
durable du territoire (JO, 29 juin 1999) confirme cette affectation. «
L’affectation à l’usage public est présumée, notamment par l’utilisation du
chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance
ou de voirie (travaux) de l’autorité municipale… ». Le texte précise que la
destination du chemin rural peut être définie notamment par l’inscription sur
le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée. Ce texte
renforce l’affectation des chemins ruraux. Ces mêmes chemins ruraux,
souvent aménagés et équipés, représentent une partie importante des
promenades publiques. Une promenade publique est traditionnellement
considérée comme faisant partie du domaine public, en raison de certains
aménagements, de l’appartenance à une personne publique et de l’affectation
à l’usage direct du public (CE, 11 mai 1959, Dauphin ; CE, Ass., 22 avril
1960, Berthier). Mais aucune transposition de ces solutions n’est
envisageable, étant donné l’obstacle de texte, que constituent, tout à la fois,
l’ordonnance du 7 janvier 1959 et l’article L. 2212-1 du CGPPP qui classent,
délibérément, les chemins ruraux dans le domaine privé.
Deux arguments sont traditionnellement avancés au soutien de cette
appartenance au domaine public. Les chemins ruraux sont ainsi qualifiés en
raison de leur localisation dans les zones non urbanisées. Cette situation

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explique qu’ils soient régis non par le Code de la voirie routière mais par le
Code rural (voir TC, 16 mai 1994, Consorts Allard, Droit administratif, 1994,
commentaire n°446 ; CE, 9 mai 1958, Delort, AJDA 1959, p. 331). Est
également avancé l’argument suivant lequel les communes n’ont pas
l’obligation d’assurer l’entretien des chemins ruraux. Sauf exception (CAA
Nantes, 28 juin 2002, GAEC du Gilar et SARL de travaux agricoles de
l’Authon, JCP A 2002, 1167).
La suppression d’un chemin rural est subordonnée à l’adoption d’une
délibération du conseil municipal. Cette décision formelle est
obligatoirement précédée, sauf exception, d’une désaffectation préalable du
chemin rural considéré et d’une enquête publique (voir l’article L. 121-17
du Code rural ; CE, 25 novembre 1988, Laney, rec., p. 425 ; CAA
Bordeaux, 14 octobre 2004, Association de défense des propriétaires
exploitants, fermiers et riverains de Sévérac-le-Château, Collectivités
Territoriales-Intercommunalité, janvier 2005, n° 10, p. 21, note Jacques
Moreau). Il importe de ne pas confondre les chemins ruraux du domaine
privé des communes et les chemins destinés à désenclaver des parcelles
remembrées. Ce sont là des voies de passage obligatoires pour les seuls
riverains et non pour l’ensemble du public, ce sont non des chemins ruraux
mais des « chemins d’exploitation » (Cour de cassation, 3e chambre civile,
19 mai 2004, Commune de Sonchamp c/ SCI Moulin Moyen, RDI 2004, p.
371, observations J.-L. Bergel ; Revue de droit rural, janvier 2005, n° 1, p.
23, note Delphine Chédoseau). Ces mêmes chemins ruraux doivent être
distingués des voies privées ouvertes à la circulation du public (voir
l’exemple des voies de circulation comprises dans des lotissements : CE, 23
janvier 1985, Mme Renaud de la Faverze, Droit administratif 1985,
commentaire n° 174 ; CAA Paris, 8 juillet 2004, M. Julia, Collectivités
Territoriales-Intercommunalité, novembre 2004, n° 224, p. 24, note
Damien Dutrieux).

B – Le classement dans le domaine privé des bois et forêts appartenant aux


personnes publiques

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Le CGPPP confère un fondement législatif aux solutions jurisprudentielles
qui ont toujours rangé dans le domaine privé la plupart des bois et forêts
publics. En application de l’article L. 2212-1-2°, les bois et forêts des
personnes publiques relevant du régime forestier font partie du domaine
privé. Le législateur procède, ce disant, à une réception de la jurisprudence
issue de l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 28 novembre 1975, ONF c/
Abamonte, rec., p. 601 ; AJDA 1976, p. 148 ; RDP 1976 n° 4 ; Dalloz 1976,
p. 335). Plusieurs fondements juridiques sont avancés pour justifier ce
rattachement. Le défaut d’aménagement spécial et la destination principale
des bois et forêts publics expliquent leur appartenance au domaine privé.
Avec plus de 15 millions d’ha, les forêts représentent plus du quart de la
superficie totale du pays. Le patrimoine forestier a enregistré une très forte
expansion ces cent cinquante dernières années. Les bois et forêts appartenant
aux personnes privées représentent 60 % de l’ensemble. Ceux qui se
rattachent aux personnes publiques sont essentiellement communales (11
000 communes en comptent) et étatiques : les « forêts domaniales ». Ces
forêts domaniales sont des biens publics qui donnent lieu à une activité
économique particulièrement significative. Leur exploitation économique et
financière prend la forme de la « commercialisation » du bois de feu et du
bois de construction. Elles constituent, pour cette raison même, une source
de revenus non négligeable pour les collectivités publiques propriétaires. Les
autres fonctions et utilisations des forêts et des bois, à savoir les activités
touristiques, les loisirs (promenade, visites, randonnées) et l’alimentation (la
qualité de l’eau, la cueillette de champignons, de fraises, de framboises, etc.),
ne correspondent à aucune affectation à l’utilité publique. L’apport
fondamental de l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 28 novembre 1975,
ONF c/ Abamonte, rec., p. 601, a consisté à poser le principe
d’incompatibilité de la gestion des forêts avec la domanialité publique. Pour
le Conseil d’Etat, l’ouverture au public d’une forêt appartenant à l’Etat,
même après la réalisation de certains aménagements spéciaux, ne permet pas
de classer cette catégorie de biens dans le domaine public. L’explication
juridique est celle consistant à soutenir que l’affectation au public d’une
forêt, susceptible d’être rencontrée, n’a qu’un caractère secondaire. Si
certaines formes d’utilisation sont tolérées (promenade, cueillette, repos,
détente, loisirs), l’affectation dominante et officielle reste la gestion
patrimoniale (l’exploitation économique et financière des ressources

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forestières). Une telle gestion et le régime de la domanialité publique sont
incompatibles.

Il convient de souligner que la jurisprudence Abamonte du 28 novembre


1975 a été vivement critiquée par une partie de la doctrine. L’analyse
proposée par Marcel Waline était représentative de la lecture critique (RDP
1976, n° 4). Favorable à la domanialité publique des forêts, l’auteur avait
insisté sur le rôle environnemental et écologique des forêts (fixation des
dunes, protection contre l’érosion) et sur la fragilité d’un tel espace. La
domanialité publique aurait favorisé une meilleure protection des forêts,
étant donné ces différentes implications. Quelques exceptions admises, à cet
égard, par une jurisprudence antérieure et postérieure, contribuent à renforcer
l’appartenance juridique de principe des bois et forêts au domaine privé. Le
juge administratif considère que lorsqu’un bois ou une forêt domaniale a
pour destination première l’accueil du public, du fait notamment de sa
proximité avec une grande agglomération, il acquiert alors le statut d’une «
promenade publique », partie intégrante du domaine public. Ce classement
exceptionnel de forêt ou bois dans le domaine public a profité au « Bois de
Vincennes » à Paris (CE, 14 juin 1972, Eidel, AJDA 1973, p. 495 ; rec., p.
442) et au « Bois de Boulogne » à Paris (CE, 23 février 1979, Gourdain,
AJDA 1979, p. 40).

La rédaction de l’article L. 2212-1-2° du CGPPP confirme et contient cette


construction. « Les lois et forêts des personnes publiques relevant du régime
forestier » font partie du domaine privé. Les autres types de forêts
(promenades publiques situées près des agglomérations) sont susceptibles
d’être rattachés au domaine public.

C – L’inclusion des immeubles à usage de bureaux et des réserves foncières


dans le domaine public

Dans le but de faciliter la gestion patrimoniale de certains biens, affectés à l’utilité


publique, le législateur fait le choix d’exclure, par principe, leur possible
appartenance au domaine public. L’article L. 2211-1 alinéa 2 du CGPPP range, dans
cet esprit, les biens immobiliers publics à usage de bureaux et les réserves foncières
constituées par les collectivités publiques dans le domaine privé.

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La démarche s’explique par la volonté d’éviter que le jeu des critères législatifs de
l’article L. 2111-1, éventuellement interprétés par les juges à l’occasion d’un litige,
puisse entraîner la domanialité publique des deux catégories de biens visées. Le
législateur les classe d’office dans le domaine privé. Les critères ayant conduit à
cette qualification juridique sont distincts.
1. Dans le cas particulier des « biens immobiliers publics à usage de bureaux »,
le législateur a entendu procéder à la codification des dispositions de
l’ordonnance du 19 août 2004, à l’origine de cette construction juridique (voir
le commentaire de E. Fatôme, AJDA 2005, p. 584). Partant de cette première
expérience, jugée satisfaisante, les auteurs du Code ont décidé d’en étendre le
champ d’application. L’article L. 2211-1 alinéa 2 étend à l’ensemble des
immeubles à usage de bureaux le régime de domanialité privée initialement
prévu pour les seuls immeubles à usage de bureaux appartenant à l’Etat. Il en
résulte une règle générale suivant laquelle cette catégorie de biens publics,
quelle qu’en soit la collectivité publique propriétaire, fait obligatoirement
partie du domaine privé. Il convient de souligner que l’assouplissement du
régime juridique permet de procéder à l’aliénation des immeubles à usage de
bureaux sans aucune contrainte de déclassement préalable. C’est cette facilité
de gestion qui fonde le choix de la catégorie d’appartenance.
Les exceptions initiales ont été reconduites. Les biens immobiliers publics à
usage de bureaux qui forment un ensemble indivisible avec des biens
immobiliers appartenant au domaine public font partie de ce même domaine
public, par exception (article L. 2211-1 alinéa 2). On retrouve, indirectement,
la théorie de la « domanialité publique globale ». Une dépendance du
domaine public est insusceptible d’être fractionnée entre domaine public et
domaine privé.
2. Le CGPPP innove en classant, explicitement, dans le domaine privé, les
propriétés immobilières publiques détenues sous la forme de « réserves
foncières » (article L. 2211-1 alinéa 2). La notion juridique de « réserves
foncières » se rattache au droit de l’urbanisme. L’article L. 221-1 du Code de
l’urbanisme permet à l’Etat, aux collectivités territoriales et aux
établissements publics d’acquérir des immeubles, au besoin par la voie de
l’expropriation, en vue de constituer des « réserves foncières » destinées à
permettre la réalisation d’une opération d’aménagement.

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La procédure des « réserves foncières » constitue un outil juridique et foncier
facilitant l’adaptation des projets d’aménagement à l’écoulement du temps. La
collectivité publique acquiert une parcelle, dans le but d’y réaliser un jour une
opération d’aménagement. Mais elle est dispensée, juridiquement, de préciser
l’affectation de ladite parcelle, la nature de l’opération au moment de l’acquisition.
La disponibilité de la parcelle est de nature à faciliter la réalisation d’une opération
non expressément prévue. L’utilité ou l’opportunité est justifiée par les
circonstances. La collectivité publique échappe ainsi, par anticipation, à la
spéculation foncière ou à la rétention des terrains aménageables par les particuliers.
Les opérations d’aménagement susceptibles de fonder la constitution de « réserves
foncières », au sens des articles L. 221-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, sont
assez variées : création d’espaces verts publics, lotissements, villages touristiques,
zones d’aménagement concerté…
Les dispositions législatives applicables aux réserves foncières n’imposent aucune
condition de délai pour l’affectation du bien acquis. On peut observer que
l’affectation prévue est toujours d’utilité publique. Le régime juridique de ces «
réserves foncières » tel qu’il résulte du Code de l’urbanisme (article L. 221-2) limite
les possibilités de cession ou d’échange ou d’utilisation différente de ces biens. En
les rangeant dans la catégorie juridique qu’est le domaine privé, l’article L. 2211-1
alinéa 2 du CGPPP, facilite leur aliénation et leur exploitation économique. La
collectivité publique bénéficiaire et propriétaire serait susceptible de changer d’avis
par rapport aux projets d’aménagement éligibles.
Cette solution législative visant les « réserves foncières » semble emprunter à la
jurisprudence suivant laquelle les immeubles expropriés, en attente d’affectation,
appartiennent au domaine privé. Bien qu’ayant été acquis pour cause d’utilité
publique, et destinés à être utilisés dans un but d’utilité publique, les biens seulement
expropriés non encore affectés relèvent du domaine privé (CE, 17 mai 1993, Dame
Scherrer, rec., p. 319 ; AJDA 1994, p. 252 ; RFDA 1994, p. 185). Trouve à
s’appliquer ici la règle suivant laquelle un bien acquis intègre, d’abord et sauf
exception, le domaine privé des personnes publiques

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