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Cours de Madame le professeur Dyaâ

SFENDLA

Semestre 4/Droit privé en Français

Année Universitaire 2019/2020

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INTRODUCTION

L’étude du droit des sociétés dans votre cursus universitaire vous donnera les bases
indispensables pour comprendre qui sont les principaux acteurs de la vie juridique et
économique, quels sont les biens financiers des entreprises (parts sociales, valeurs
mobilières…) et quelles sont les principales situations économiques de ces entreprises.
Aucun juriste ne peut se permettre de les ignorer, y compris ceux qui se destinent à une
carrière administrative, car la fonction juridico-économique se développe rapidement dans
les entreprises privées comme dans les entités publiques.
L’introduction s’ouvre sur une première section (Section 1) qui expose l’intérêt (tant
économique, social et juridique) du droit des sociétés. Elle est suivie d’une seconde section
qui traite de la nature juridique de la société (Section 2), puis d’une troisième section qui
s’intéresse aux différentes formes ou catégories de sociétés et les groupements voisins
(Section 3). Enfin, une dernière section portera sur la réglementation du droit des sociétés
(Section 4).

Section 1 : Intérêt du droit des sociétés

Saisir l’intérêt du droit des sociétés suppose de s’intéresser à la notion même de société (I),
à la place du droit des sociétés parmi le droit commercial et le droit des affaires (II). Enfin,
les motifs pouvant inspirer l’adoption de la forme sociétaire (III).

I. Notion de société

Importance des sociétés. Tout le monde connaît plus ou moins les sociétés et leur
importance dans l’activité économique nationale et internationale.
La société est un concept riche, ancien et complexe. Elle est non seulement la forme
naturelle du groupement commercial mais aussi et surtout une structure d’accueil, une
technique juridique d’organisation de l’entreprise. Depuis longtemps, les sociétés n’ont
cessé d’être l’instrument juridique privilégié par les entrepreneurs pour exercer leur activité.
Leur développement a été parallèle à celui des découvertes et des progrès industriels et
scientifiques. En effet, les nécessités et les exigences de l’économie moderne dépassent
souvent et de très loin les capacités financières et techniques dont dispose un commerçant
isolé, aussi riche soit-il. De plus, elles offrent aux personnes physiques et aux personnes
morales (PM) les techniques adéquates pour organiser leur partenariat, pour protéger leur

3
patrimoine et pour doter les dirigeants sociaux de statuts sociaux et fiscaux avantageux. Les
sociétés sont donc mieux armées pour le commerce et les affaires que les simples
particuliers.
D’un point de vue économique ensuite, la capacité d’une société à réunir activités et
capitaux lui permet de réaliser des opérations commerciales de bien plus grande importance
qu’une entreprise individuelle par exemple, et le mouvement moderne de concentration qui
caractérise l’économie moderne conduit à la constitution de véritables groupes de sociétés
de dimension internationale. Tout ceci permet de dire que la société est bien l’outil par
excellence du progrès économique.
Société et Entreprise. L’entreprise est également un phénomène pluridisciplinaire
(juridique, économique, comptable et financier) et multidimensionnel par nature
(philosophique, sociologique, politique). Sa définition est sujette à d’infinie variations selon
le point de vue d’où l’on raisonne.
Elle a diverses significations au plan économique : ça peut être une idée, un projet et
l’exploitation de ce dernier (on parle ainsi de l’esprit d’entreprise). C’est également une
organisation regroupant des moyens en hommes, en capital et en matériel. C’est aussi un
agent économique productif, créateur de richesse et d’emplois. C’est enfin un acteur de
la vie économique et tend pour cela à devenir un véritable sujet de droit, bien qu’elle soit
aussi l’objet de droits sous l’angle de sa signification patrimoniale (un bien).
Une approche opératoire consistera à la définir comme organisation de moyens humains,
matériels, financiers et juridiques au service d’une finalité économique : l’exercice d’une
activité professionnelle lucrative par exploitation d’un fonds agricole, commercial, industriel
ou libéral. Par extension, c’est l’activité même de l’entrepreneur, le « chef d’entreprise ».
En termes juridiques, « l’entreprise » revêt plusieurs sens parfois différents des significations
économiques : elle désigne, suivant les contextes, un bien, une organisation juridique, un
ensemble de formes juridiques.
Sur le plan juridique, le concept d’entreprise a éclos et s’est affirmé au cours du XXème siècle.
Avec lui est apparue la question de savoir si l’entreprise devait être érigée, de plein droit, en
patrimoine autonome. C’est de cette idée que relève, notamment, l’émergence d’un fonds
de commerce en tant qu’universalité de fait. L’entreprise n’a en réalité, jamais accédé en tant
que telle, au statut de patrimoine d’affectation. Son indépendance juridique n’a été conquise
que par le truchement d’une structure sociétaire qui, en la dotant de la personnalité juridique
morale, lui assure une parfaite universalité patrimoniale formée d’un actif et d’un passif
propre. A défaut de ce biais sociétaire, l’entreprise, dite « individuelle », demeure un élément
de la fortune personnelle de son titulaire. Il en est certes le seul maître, mais il en supporte
aussi, seul, les conséquences d’un éventuel échec économique : la défaillance de son
entreprise est de nature à engloutir tout son actif patrimonial.
Définition de la société. La définition de la société est donnée par l’article 982 du DOC
(1913). Selon cet article, la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes
4
mettent en commun leurs biens ou leur travail ou les deux à la fois en vue de partager le
bénéfice qui pourra en résulter. Il apparaît de cette définition (classique et ancienne selon
D. MARTIN) que la société est un contrat, conclu entre deux ou plusieurs personnes, tendant
à la réalisation d’un projet ou à l’exploitation d’une idée avec pour finalité le partage des
bénéfices qui en résultent. Il s’agit donc d’un groupement de personnes à but lucratif.
Caractéristiques de la société. Si l’article 982 repose sur l’idée d’un groupement de
personnes pour constituer une société commerciale, le législateur a tempéré ce principe en
admettant, dès 1997, qu’une société, dans les cas exclusivement prévus par la loi, peut être
formée par l’acte de volonté d’une seule personne1. En effet, le législateur a pris acte de ce
que nombre de sociétés (notamment des SARL) étaient des sociétés unipersonnelles,
souvent familiales. Afin d’éviter ces sociétés de façade, il a donc institué la SARL d’associé
unique. Dès lors qu’elle est ainsi créée, la société repose non plus sur un contrat mais sur
un acte juridique unilatéral. Pour autant, le droit commun des sociétés continue de reposer,
dans une grande partie, sur le droit des contrats.

II. Place du droit des sociétés au sein du droit commercial et du droit


des affaires

Le droit commercial classique était un droit de marchands, séparé du droit commun : un


code et une juridiction propre, le tribunal de commerce, marquaient son autonomie. C’est
donc dans ce cadre où s’exprimaient les valeurs traditionnelles du commerce (rapidité,
sécurité), que s’est développé le droit des sociétés. Les sociétés commerciales (surtout les
sociétés par actions) ont servi d’instrument au développement de l’économie capitaliste. Il
en résulte que ces sociétés sont rapidement devenues les modèles, càd ont constitué le droit
commun des sociétés.
Durant le XXème siècle, le droit commercial a gagné de nouveaux territoires, au point que
son identité s’en est trouvé nettement diluée. On est en quelque sorte passé d’un droit de
caste à un droit ouvert à tous, même aux non-professionnels au point que nombre des
dispositions du droit des sociétés s’expliquent par le souci de défendre les profanes. Si l’on
est éloigné du droit commercial2, il n’est pas aisé de déterminer vers quelle rive le droit s’est
orienté : on parle tantôt de « droit des affaires », de « droit de l’entreprise », ou de « droit
économique ». Toutes ces appellations sont aujourd’hui utilisées et révèlent de manière
plus générale l’emprise de l’économie de marché sur le droit. C’est pourquoi certains auteurs
(Bruno DONDERO et LE CANNU 5ème éd., p. 32) considèrent le droit des sociétés comme
étant l’une des branches majeures de ce qu’on appelle aujourd’hui « Le droit de l’économie

1L’article 44 de la loi 5-96 relative à la SNC et aux autres formes de sociétés dispose que « La SARL est constituée par
une ou plusieurs personnes qui ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports ».
2Dont l’étude ne concerne pas spécifiquement les différentes formes de sociétés mais les actes de commerce, la qualité
de commerçant, le fonds de commerce…

5
de marché ». A l’appui de cette position le développement incontestable de l’économie,
lequel a nécessité des réponses juridiques qui font le cœur du droit des sociétés
d’aujourd’hui.

III. Motifs pouvant inspirer l’adoption de la forme sociétaire

A. L’exercice en commun d’une activité professionnelle : organisation


du partenariat

Dès l’origine, la société a été conçue comme un groupement de partenaires qui


« conviennent de mettre quelque chose en commun en vue de partager le bénéfice qui
pourra en résulter »3. Cette vocation de la société n’a pas changé avec le temps. Ainsi, la
société offre un cadre d’organisation aux partenaires désirant exercer en commun une
activité professionnelle. Bien qu’il ne soit pas la seule technique d’exercice en commun, le
cadre sociétaire est le plus adapté et le plus sécurisant pour les partenaires. Voilà pour le
premier motif. C’est l’organisation du partenariat.

B. La gestion indépendante des patrimoines : organisation du


patrimoine et limitation des risques juridiques et financiers

La création d’une société s’impose souvent, et en particulier pour satisfaire des besoins
juridiques, financiers et fiscaux. Les avantages escomptés dans ces domaines ne compensent
pas toujours la gestion lourde, les frais de constitution et le risque de perdre le contrôle de
l’entreprise. C’est pourquoi, toute entreprise n’est pas une société. Pour autant, la création
d’une société présente un intérêt majeur du point de vue juridique dès lors que celle-ci offre
une structure d’accueil à travers la personnalité morale (1), qu’elle constitue également une
source de financement important (2) mais aussi un formidable outil de limitation des risques
(3).
1. La société offre une structure d’accueil à l’entreprise par sa personnalité morale

Seules les personnes, physiques ou morales, peuvent avoir un patrimoine. Le patrimoine est
un attribut de la personnalité juridique. Il est le gage des créanciers. C’est pourquoi la
meilleure technique pour protéger son patrimoine est la création d’une société commerciale
dotée d’une personnalité morale, laquelle permettra une séparation des patrimoines et
empêchera les créanciers d’agir directement contre les associés.
La difficulté inhérente à la notion d’entreprise est qu’elle n’est pas un sujet de droit. Elle n’a

3 Art. 982 DOC.

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pas la personnalité morale, elle n’a pas de patrimoine, elle n’est ni créancière, ni débitrice
(débat sur la nécessité de sa personnification). Il lui manque cette individualité d’ordre
juridique qui lui permet d’être titulaire de droits et d’être tenue par des obligations, c’est à
dire d’avoir un actif et un passif, le premier répondant du second.
L’acquisition de la personnalité morale permettra à l’entreprise de disposer d’un patrimoine
propre distinct de celui des associés. C’est pourquoi, l’entreprise gagne à se mouler dans la
structure sociétaire qui lui procure la capacité juridique qui lui fait défaut. Il convient
toutefois de noter que toute société n’est pas nécessairement dotée de la personnalité
morale (on verra ça un peu plus loin).
La société apparaît ainsi comme une technique juridique d’organisation possible
de l’entreprise.

2. La société est une source de financement qui dépasse largement les possibilités d’un
seul individu

La création d’une entreprise ne nécessite pas de gros investissements au départ. En


revanche, son développement passe nécessairement par une augmentation des sommes
engagées et par un recours au crédit bancaire. C’est à ce stade que l’entrepreneur individuel
décidera de se mettre en société et tentera d’attirer les bailleurs de fonds4. C’est ce qui a fait
dire au Doyen G. RIPERT que la SA est un merveilleux instrument du capitalisme moderne
(Aspects juridiques du capitalisme moderne LGDJ p.51). De surcroît, la société par actions
est un instrument souple et efficace de rapprochement des sociétés (prises de participation,
fusions). Elle permet la constitution de puissants groupes dont certains auront vocation à
dominer l’économie mondiale (société mère et filiales) : holding. Enfin, la société offre
l’avantage de drainer d’énormes fonds sans pour autant qu’il y ait remise en cause du
pouvoir de décision en son sein. En effet, les apporteurs de fonds peuvent être privés du
droit de vote et ne disposer que d’actions à dividendes prioritaires sans droit de vote et
d’actions de préférence sans droit de vote.

3. La société est une technique de limitation des risques, par la séparation des
patrimoines

La création d’une société jouissant de la personnalité morale présente de nombreux


avantages, dont trois principaux :

4 Notamment en intéressant à son entreprise des proches et des amis qui lui font confiance et sur lesquels il doit
pouvoir compter pour garder la maîtrise de son affaire. Certains s’associeront à lui en apportant à la société créée de
l’argent ou des biens qui seront versés dans son capital. D’autres fourniront une sûreté personnelle (cautionnement)
ou réelle (hypothèque) indispensables à l’obtention de tout crédit bancaire lorsque la surface financière de la société
et/ou des associés est insuffisante.

7
-La protection des patrimoines : la création d’une société dotée d’un patrimoine
propre -distinct de celui des associés- présente en premier lieu l’avantage de limiter
les risques que génèrent certaines activités économiques en les répartissant entre les
associés ou en les faisant supporter par le seul patrimoine de la société.
Ex. : Dans le cadre d’une entreprise individuelle non sociétaire, l’entrepreneur qui n’est pas
constitué en SARL d’associé unique engage tous ses biens. C’est la raison pour laquelle il
pourrait être tenté de dissimuler une partie de sa fortune pour la mettre à l’abri des
poursuites de ses créanciers. Cette solution est à exclure eu égard à son caractère frauduleux.
C’est pourquoi, la loi lui donne la possibilité de mettre son entreprise individuelle en société
où sa responsabilité est limitée à son apport. C’est le principe de l’autonomie du patrimoine
qui prévaut ici.

- La société est une technique de transmission de l’entreprise entre vifs et pour


cause de mort :
Le décès de l’entrepreneur individuel entraîne souvent la disparition de l’entreprise qui
tombe en indivision5 et dont la gestion est difficile à organiser. Au contraire, la société
permet d’assurer non seulement la croissance mais aussi la pérennité de l’entreprise dans la
mesure où ce sont les actions -ou les parts sociales- et non l’entreprise qui appartiennent
aux héritiers co-indivisaires en cas de décès d’un ou de plusieurs associés. Le plus souvent,
il s’agit d’assurer la continuité d’une entreprise qui ne s’identifie plus à la personne de celui
qui l’a créée.

La structure sociétaire offre alors une permanence et une durée plus appropriée au
développement des activités économiques dans le temps.
La transmission de l’entreprise est également plus facile entre vifs lorsqu’elle est exploitée
sous forme sociétaire, surtout lorsque les dirigeants -proches de la retraite- souhaitent passer
la main à leurs enfants ou à des tiers repreneurs. La cession de propriété s’effectue par la
cession des droits sociaux. La cession d’actions ou de parts sociales s’opère d’ailleurs à des
conditions fiscales souvent avantageuses.
Les avantages fiscaux liés à la forme sociétaire : Le statut fiscal de l’entreprise et de ses
dirigeants diffère selon le statut juridique de l’entreprise. Ainsi, l’impôt sur les sociétés (IS)
est un impôt dont le taux est préalablement fixé par la loi de finances de chaque année.
C’est donc la société en tant que personne morale qui est assujettie à l’impôt6.
En revanche, en dehors de toute forme sociétaire, l’entrepreneur individuel est soumis pour
la totalité du bénéfice à l’impôt sur le revenu (IR), plus lourd, en ce que son barème est

5Situation juridique dans laquelle plusieurs personnes exercent des droits de même nature sur un même bien ou sur
une même masse de biens, sans pour autant que leurs parts respectives se trouvent matériellement divisées.
6 Inférieur ou égal à 300 000 mad : 10% ; de 300 001 à 1 000 000 : 17.5% ; de 1 000 000 à 5 000 000 : 31%.

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d’autant plus important que les revenus sont élevés.

Section 2 : La nature juridique de la société

À son origine, la société n’était qu’un contrat : en droit romain, elle constituait l’un des
quatre contrats consensuels (vente, louage, mandat, société) admis. La thèse contractuelle
(I) a montré ses insuffisances au XXème siècle, entraînant par là-même une remise en cause
de la nature de la société. Le contexte politico-économique évoluant, le droit s’est adapté et
une nouvelle conception de la société a vu le jour : la société-institution (II). Le débat qui
s’en suivit, a priori théorique, va en fait bien au-delà d’une simple opposition de concepts.
C’est pourquoi, il est apparu nécessaire à certains auteurs d’aborder la question de manière
différente et de voir dans la société une technique juridique d’organisation de l’entreprise
(III). Il s’agit là d’une conception moderne qui est tempérée par une autre approche mixte
(IV), à mi-chemin entre les thèses classiques et la conception moderne.

I. La nature contractuelle de la société

Les insuffisances de la nature contractuelle. La vision contractuelle de la société est


issue du droit romain et fait écho aux théories d’auteurs tels que DOMAT et POTHIER. Elle
va culminer au XIXème siècle, alimentée par les réflexions de ses partisans : MM. HAMEL,
LAGARDE, JAUFFRET...Cette conception repose sur l’idée que la création d’une société
relève par principe de la rencontre de plusieurs volontés7. C’est le dogme de l’autonomie de
la volonté qui se manifeste dans la théorie de la société-contrat. Il ne peut y avoir de contrat
sans volonté de contracter, il ne peut y avoir de société sans volonté des associés de créer
cette société. Cette vision classique de la société se base sur plusieurs constatations et
analyses. L’une des principales s’appuie sur la lecture de l’article 982 DOC mais aussi sur le
fait que le contrat de société se situe, au sein du DOC, dans le Livre II relatif aux différents
types de contrats nommés.
Comme pour tout contrat il doit y avoir consentement de la part des associés, et un
consentement élargi dans le cadre du contrat de société puisqu’il culmine dans la notion
d’affectio societatis. Par ailleurs, la liberté contractuelle du droit des sociétés s’exprime à de
nombreux niveaux : choix de la forme sociale, rédaction des statuts, détermination de
l’objet social, caractère essentiel de l’intuitu personae (prise en compte de la considération de
la personne) et de l’affectio societatis dans certaines formes de société.
Cependant la thèse de la nature contractuelle est insuffisante à justifier de nombreux aspects
du droit des sociétés et même du droit des obligations. Elle est controversée par une autre
thèse : la thèse institutionnelle.

7 Ce à quoi renvoie la définition de la société telle que prévue par le législateur à l’article 982 DOC.

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II. La nature institutionnelle de la société

Une vision complémentaire à la thèse de la société-contrat. La vision institutionnelle8


de la nature de la société trouve ses racines dans le Droit public et son système
institutionnel. Elle est développée par le doyen Maurice HAURIOU. La société, de par sa
personnalité propre, déborde les personnes qui la composent en tendant vers un intérêt
« supérieur » auquel les volontés particulières se soumettent. La liberté contractuelle s’efface
ainsi derrière l’ordre public. En effet, c’est le législateur qui règle de façon impérative les
formalités de constitution de la société, notamment les conditions d’attribution de la
personnalité morale. C’est la notion d’ordre public qui semble le guider.
De même, c’est lui qui détermine les organes nécessaires au fonctionnement de la société
et leurs pouvoirs tant internes que vis à vis des tiers : les dirigeants ne sont pas les
mandataires de la société mais les organes chargés de mettre en œuvre la volonté commune.
Ce lien organique est bien plus fort qu’un lien contractuel. En effet, la théorie contractuelle
ne peut pas appréhender à elle seule « la capacité de jouissance et d’exercice de la société
personnifiée, son autonomie patrimoniale ou l’existence de représentants légaux disposant
du pouvoir légal de la société à l’égard des tiers » (Cozian, Viandier, Deboissy, Droit des
sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28ème édition).
Cependant, il semble que le débat contrat-institution ou contrat-ordre public se soit enlisé
dans une opposition aussi ferme que statique car dans toute société se retrouve aussi bien
des règles de type contractuel que de type institutionnel, les aspects contractuels étant plus
marqués dans les sociétés de personnes et les aspects institutionnels dans les sociétés de
capitaux. De même, les notions de contrat et d’ordre public ne sont pas nécessairement
antinomiques ni incompatibles. Elles peuvent coexister au sein de chaque forme sociétaire
(Cozian, Viandier, Deboissy, Droit des sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28ème édition).
Par conséquent, la théorie contractuelle et la théorie institutionnelle ne pouvaient résoudre
à elles seules la question de la nature de la société, à moins que cette question ne soit pas la
bonne.

III. La société, technique juridique d’organisation de l’entreprise (la doctrine


de l’entreprise)

Une vision de la société axée vers sa finalité. Les auteurs de l’École de Rennes,
Messieurs CHAMPAUD et PAILLUSSEAU, ont constaté une véritable divergence entre les

8L’institution est un ensemble de règles qui organisent de façon impérative et durable un groupement de personnes
autour d’un but déterminé : les droits et intérêts privés sont subordonnés au but social qu’il s’agit d’atteindre.

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fondements traditionnels de la société et son évolution à la fois socio-économique et
juridique. Pour y remédier, ces auteurs ont développé une conception moderne abordant
la société par le biais de sa finalité : c’est la doctrine de l’entreprise. Pour eux, la
conception traditionnelle s’est développée en dehors de toute référence à la notion
d’entreprise qui, jusqu’à une période récente, était assimilée à la personne de l’entrepreneur.
Ainsi, on avait d’un côté l’entreprise, notion économique appliquée à l’entrepreneur et à ses
objectifs, et de l’autre une société, notion juridique permettant la personnification du
groupement. A partir de ce constat, l’École de Rennes a développé la conception moderne
de la société, au regard de sa finalité.
Dans cette conception, la société est considérée comme une technique juridique
d’organisation de l’entreprise, c’est-à-dire une structure d’accueil pour un certain
type d’activité.
L’entreprise étant fondamentalement une notion économique et humaine, elle a des besoins
en organisation juridique de telle sorte qu’elle puisse exister et vivre. C’est à ce niveau
qu’intervient la société comme structure d’accueil proposée par le législateur pour apporter
des solutions à ces besoins : tel est le cas pour ce qui est de la personnalité juridique, de
l’activité de la société, de la disposition d’actifs, l’organisation des pouvoirs, l’organisation
des résultats etc... La diversité des structures d’accueil (SA, SAS, SARL, SARL d’associé
unique) permet en outre de répondre à des besoins différents.
Le glissement vers une conception fonctionnelle au regard des différents intérêts
catégoriels. Cependant, l’entreprise ne se réduit pas à cette seule nécessité (le besoin en
organisation juridique). Elle est aussi le support d’un nombre très important d’intérêts
variés9. Le droit des sociétés prend en compte ces intérêts catégoriels et les protège de trois
manières : par l’attribution d’un droit direct aux titulaires de certains intérêts catégoriels, par
l’information, par l’organisation même de la société.
Ces intérêts catégoriels étant très divers, parfois concordants, parfois opposés, il est
nécessaire de trouver un juste équilibre, c’est-à-dire un intérêt de l’entreprise envisagée sous
son aspect économique. Cette conception fonctionnelle de la société admise comme pensée
dominante a elle aussi été controversée, car en réduisant la finalité de la société à la seule
organisation de l’entreprise, l’École de Rennes a en quelque sorte privilégié l’aspect
institutionnel de la société, selon certains auteurs.

IV. Le renouveau contractuel et l’analyse mixte de la nature de la société (La


conception mixte de la société)

La faveur pour une conception mixte de la société. La thèse fonctionnelle poussa

9Ceux des fondateurs, des investisseurs, des créanciers, du personnel, des clients, des fournisseurs, des sous-traitants,
des partenaires économiques, des consommateurs, de l’Etat et des collectivités locales (taxe professionnelle).

11
certains auteurs à relancer le débat sur la nature de la société, pour conclure à une certaine
mixité de celle-ci. L’impossibilité pour l’une des deux thèses traditionnelles d’expliquer à
elle seule la nature de la société entraîna de nombreux auteurs à plaider en faveur d’une
approche mixte de la société et à envisager une synthèse équilibrée (GUYON, MESTRE,
MERCADAL, MERLE, BERTREL). C’est ainsi que Messieurs COZIAN et VIANDIER
considèrent « qu’il n’y a pas un, mais plusieurs modèles de société : selon le cas c’est l’aspect
contractuel ou l’aspect institutionnel qui l’emporte, sans toutefois être exclusif ». Cela
revient à dire que la société est en quelque sorte un aimant juridique qui attire, selon la
forme envisagée et les personnes concernées, les ingrédients du contrat, de l’institution, de
la personnalité morale, et/ou de l’acte unilatéral, individuel ou collectif, en totalité ou en
partie en fonction du projet économique qui préside à sa création (COZIAN, VIANDIER,
DEBOISSY, Droit des sociétés, p. 4 et s., LexisNexis, 28ème édition).

Section 3 : Les différentes formes ou catégories de sociétés et les groupements


voisins

La société n’est pas le seul groupement de personnes qui existe. En revanche, elle reste le
seul groupement de personnes à but lucratif. C’est pourquoi il convient de la distinguer
d’autres groupements voisins dans un premier temps (I), avant de s’intéresser au classement
ou à la classification des sociétés telle que dégagée par la doctrine (II).

I. La société et les groupements voisins

La société doit d’abord être distinguée de l’association (A), puis du GIE (B), de la fondation
ensuite (C) et enfin de l’indivision (D).

A. La société et l’association

La société est d’essence capitaliste à l’inverse de l’association. Cette dernière se différencie


fondamentalement de la société en ce que son but n’est pas de partager les bénéfices entre
les membres. Son but est désintéressé. Le dahir du 15 novembre 1958 réglementant le droit
d’association définit l’association comme étant un groupement de personnes formé dans
un but autre que de partager des bénéfices10. La distinction entre les deux notions est donc
on ne peut plus claire.

10Art. 1er : L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon
permanente leurs connaissance ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à
sa validité, par les principes généraux applicables aux contrats et obligations.

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B. La société et le GIE

Le Groupement d’Intérêt Economique est un cadre juridique souple à mi-chemin entre


l’association et la société. C’est tout d’abord un groupement de moyens11, dont la recherche
de bénéfices n’est pas l’objectif premier. Il a été institué en vue de mettre en œuvre tous les
moyens propres à faciliter ou à développer l’activité économique de ses membres, et à
améliorer ou accroître les résultats de cette activité =) c’est pour gagner en compétitivité et
réduire les coûts, tout en permettant aux entreprises de garder leur indépendance.
C’est en réalité une structure de collaboration entre entreprises dont l’activité doit se
rattacher à l’activité économique de ses membres. Dans la plupart des cas, il permet de faire
du business et de réaliser des bénéfices pour les entreprises qui constituent ce groupement.
La société et le GIE se différencient davantage par leur utilité que par leur objet immédiat12.
En regroupant les efforts et les connaissances techniques, les membres du GIE pourront
créer une synergie et une économie d’échelle pour prospecter à l’étranger. C’est pourquoi,
contrairement à la société, le GIE a un objet restreint ; il doit nécessairement se rattacher à
l’activité économique de ses membres et revêtir un caractère auxiliaire par rapport à celle-
ci, ce qui signifie que le but du groupement n’est pas de réaliser des bénéfices. La chose ne
lui est certes pas interdite mais cet objectif ne constitue pas un objet statutaire.
Plusieurs groupements d’intérêt économique ont été créés au Maroc dans divers secteurs.
Parmi eux figure Mawadis, une enseigne spécialisée dans la distribution des matériaux de
construction et dont le lancement par Lafarge remonte à 2011. Le groupement permet aux
membres de mettre à niveau leurs process en termes de formation, de système informatique,
d’agencement des locaux… Le GIE permet à Lafarge d’écouler la moitié de sa production
de ciment. Des groupements d’intérêt économique ont également été créés dans le secteur
du textile. Il s’agit des consortiums à l’export, dont certains ont opté pour cette forme
d’organisation pour se développer à l’international.

C. La société et la fondation

La fondation ne peut pas se confondre avec la société. Elle ne se préoccupe pas de


rechercher des bénéfices ou des économies. Elle se rapproche de l’association sans pour
autant s’y assimiler. Alors que l’association représente un groupement de personnes, la

11Le GIE peut être constitué à but lucratif ou non.


12Article premier de la loi 13.97 relative aux GIE (Bulletin officiel n° 4678 du 1er avril 1999): Deux ou plusieurs
personnes morales peuvent constituer entre elles pour une durée déterminée ou indéterminée un groupement d’intérêt
économique (G.I.E.) en vue de mettre en oeuvre tous les moyens propres à faciliter ou à développer l’activité
économique de ses membres, et à améliorer ou accroître les résultats de cette activité.
L’activité du groupement doit se rattacher à l’activité économique de ses membres et ne peut avoir qu’un caractère
auxiliaire par rapport à celle -ci.
Le but du groupement n’est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même.

13
fondation naît d’une seule volonté, celle du fondateur qui donne ou lègue des biens affectés
à la réalisation d’un objectif déterminé par lui.
Contrairement à l’association, la fondation n’a pas de membres, ni de cotisation, ni d’A.G.
Son financement est assuré par l’apport au départ d’une donation constitutive et sa gestion
par un Conseil d’administration statutaire.

D. La société et l’indivision
La société est un état voulu, un groupement organisé et stable. L’indivision est souvent un
état subi, semi-anarchique et précaire (temporaire), mais pas toujours. L’indivision peut être
requalifiée en société (participation active des indivisaires, affectation des biens indivis à la
réalisation d’une œuvre commune). L’indivision n’a pas de personnalité morale
contrairement à la société immatriculée.

II. Le classement des sociétés

Aucun classement unique ne semble s’imposer. Les critères de classification des sociétés
sont nombreux mais, en les regroupant, on aboutit à cinq grandes catégories de distinctions
ou de comparaisons.

A. Les sociétés civiles et les sociétés commerciales

Cette distinction constituait la summa divisio (càd l’opposition majeure) pendant très
longtemps. C’est le critère de la nature et de l’objet des actes sociaux qui joue ici. Ces
sociétés ont un trait commun : la poursuite d’un but lucratif. Les sociétés civiles13 sont très
proches des sociétés commerciales, en particulier des SNC. Cependant, les sociétés civiles
ne peuvent effectuer que des opérations de caractère civil. Elles sont donc civiles par
l’objet : les activités libérales, la construction immobilière, l’activité d’enseignement... bref,
les activités intellectuelles principalement.
Les intérêts pratiques de la distinction entre sociétés civiles et sociétés commerciales se
manifestent notamment aux stades de leur constitution et de leur fonctionnement. Les
sociétés commerciales sont assujetties à la tenue de livres comptables et relèvent du
Tribunal de Commerce.

13 En droit marocain, il n’existe pas une loi spéciale organisant les sociétés civiles, la constitution de celle-ci obéit au
droit commun (DOC). Elle est soumise aux conditions générales de validité du contrat de société.
La société civile se caractérise par les éléments suivants : L’objet doit être civil et licite ; Avoir au mois deux associés ;
Pas de capital social minimum, ni de règles de libération ; L’apport peut consister en numéraire, en objets mobiliers ou
immobiliers ou en droits incorporels ; La désignation, le pouvoir et la responsabilité de la gérance sont fixées par les
statuts.

14
B. Les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux

Ce sont les critères de l’étendue des risques et des responsabilités ainsi que le nombre des
associés et l’importance du capital qui jouent ici. En réalité, il existe deux catégories
fondamentales de sociétés dites de personnes et de capitaux (SA ; SAS), ainsi qu’une
catégorie hybride ou mixte : la SARL.
Les sociétés de personnes sont dominées par l’intuitu personae et par l’aspect contractuel.
Elles sont composées d’associés qui se connaissent et se font confiance. C’est pourquoi, les
parts sociales ne sont cessibles qu’avec le consentement de tous les autres associés, et le
décès ou l’incapacité de l’un d’eux met en principe fin à la société, sauf clause statutaire
contraire. De même, les associés sont indéfiniment et solidairement tenus des dettes
sociales. On les qualifie de sociétés fermées. C’est le cas de la SNC, la SCS, les sociétés
civiles, les sociétés en participation et les sociétés créées de fait. Tout le monde participe à
l’exercice du pouvoir sauf stipulation contraire.
Les sociétés de capitaux ou par actions sont dominées par les capitaux apportés en
dehors de toute considération de la personne. Les actionnaires ne se connaissent pas et
l’exercice du pouvoir est fortement organisé et hiérarchisé. Chaque associé n’est tenu du
passif que dans la limite de son apport et les titres qu’il reçoit en contrepartie sont librement
négociables et cessibles. C’est la forme sociale réservée en principe aux affaires de grande
dimension et où la mort ou l’incapacité d’un actionnaire n’entraîne pas la dissolution de la
société. L’exemple-type est la SA.
Enfin, en ce qui concerne la SARL, importée d’Allemagne en 1925, elle représente un type
de société hybride, mixte. Elle est une société de personnes en raison du fort intuitu personae
qui préside à sa création et à son fonctionnement. Elle est relativement fermée aux tiers
étrangers. Le décès ou l’incapacité de l’un de ses membres ne provoque pas sa dissolution14.
La SARL ressemble en revanche à une petite société de capitaux parce que les associés ne
sont responsables que dans la limite de leurs apports ; elle exerce le commerce sous une
dénomination sociale et ses différents organes s’apparentent davantage à ceux des sociétés
par actions que des sociétés de personnes. Il n’en demeure pas moins que, de manière
générale, la distinction entre sociétés de capitaux et sociétés de personnes, tend à s’estomper
sur le terrain juridique par certaines stipulations statutaires.

C. Les sociétés offrant ou non au public un appel public à l’épargne

Il s’agit là du critère qui concerne l’ouverture ou de la fermeture du capital social de la


société. Seules les sociétés par actions peuvent avoir recours à l’appel public à l’épargne.

14 Art. 85 L. 5-96.

15
Ces sociétés sont soumises à un formalisme de constitution lourd ; elles sont tenues à des
mesures de publicité très complètes destinées à informer les actionnaires et à protéger les
épargnants. Elles sont soumises également au contrôle strict de l’Autorité Marocaine du
Marché des capitaux (AMMC) notamment lorsque leurs titres sont cotés en bourse. Ce
mode de constitution et de fonctionnement est réservé aux sociétés de grandes dimensions
qui pèsent économiquement très lourd, et drainent une épargne considérable en offrant des
produits financiers de plus en plus sophistiqués.

D. Les sociétés avec ou sans personnalité morale

On applique ici le critère de l’existence ou de l’absence de la personnalité morale. Le


principe est que dès lors qu’elles sont immatriculées au Registre du Commerce, les sociétés
sont dotées de la personnalité morale. Les sociétés en participation et les sociétés créées de
fait constituent les exceptions à ce principe. Elles sont sans PM en raison du fait qu’elles ne
sont pas immatriculées.
La société en participation (SEP)15 est la société que les associés ont décidé de ne pas
immatriculer et de ne pas soumettre à publicité. Elle est occulte si les associés ne la révèlent
pas aux tiers, ou ostensible dans le cas contraire : absence volontaire de PM. Elle se définit
comme un contrat de société, où les parties disposent d’une grande liberté dans
l’organisation de leurs rapports. A défaut, ce sont les règles applicables aux sociétés civiles
ou à la SNC qui auront vocation à régir la société.
La société créée de fait se rencontre lorsque des personnes qui, sans avoir passé un
contrat de société, ont en fait adopté entre elles et à l’égard des tiers, un véritable
comportement d’associés. Elle est soumise aux dispositions relatives à la société en
participation. Elle se distingue de la société de fait qui est la situation dans laquelle une
société, voulue par les participants, mais entachée d’un vice de constitution a cependant
fonctionné avant son annulation.

E. Les sociétés de droit privé et les sociétés de droit public

C’est le critère du secteur public et du secteur privé qui joue ici. L’intervention de l’Etat
dans l’économie va permettre l’élargissement et la diversification de la notion de service
public. On est passé de la conception liée à l’exercice de la puissance publique à une
conception liée à la satisfaction de l’intérêt général. Même avec cette politique de
privatisation, il subsiste un certain nombre d’entreprises publiques sous formes de

15 Art 88 et s. de la loi 5-96.

16
sociétés16.
Voilà pour le classement. D’autres critères sont envisageables et retenus : sociétés à risques
illimités ou limités, sociétés de famille ou non, sociétés unipersonnelles ou
pluripersonnelles, sociétés nationales ou multinationales...

Section 4 : La réglementation des sociétés commerciales et son évolution

Une réglementation initiale éparpillée. Les règles applicables aux sociétés commerciales
étaient contenues dans plusieurs textes dont deux constituaient les textes de base de la
discipline : il s’agit des articles 982 à 1063 du DOC ainsi que les articles 29 à 54 de l’ancien
code de commerce. D’autres textes s’intéressaient aux sociétés commerciales, notamment
les dispositions du dahir du 11 août 1922 relatif aux sociétés de capitaux. Ces textes sont
aujourd’hui expressément abrogés17.
En outre, la section première du chapitre II, titre 7ème du DOC (Livre II) consacrée à la
société contractuelle, est réservé aux dispositions générales qui concernent tant les sociétés
civiles que commerciales. Ces dispositions s’appliquent à défaut de prescriptions spéciales
propres à chaque type de société18.
Le temps des réformes. Le législateur est intervenu depuis maintenant plus de deux
décennies pour réglementer le droit des sociétés commerciales, parallèlement à leur
développement et au développement de l’économie de marché. Aujourd’hui, le droit des
sociétés repose sur deux textes spéciaux : il s’agit du dahir n° 1-96-124 du 30 août 1996
portant promulgation de la loi 17-95 relative aux SA19 et du dahir n° 1-97-49 portant
promulgation de la loi n° 5-96 du 13 février 1997 sur la SNC, la SCS, la SCA, la SARL et la
SEP20. Cette dernière loi a fait l’objet de plusieurs modifications législatives :
- Le dahir n° 1-99-328 du 30 déc. 1999 portant promulgation de la loi 82.9921.
- Le dahir n° 1-06-21 du 14 fév. 2006 portant promulgation de la loi 21.0522.
- Le dahir n° 1-11-39 du 2 juin 2011 portant promulgation de la loi 24.1023.
Le Maroc a plus récemment entrepris la mise en œuvre d’autres réformes en vue d’un

16 Office national de l’électricité et de l’eau potable ; Office chérifien des phosphates, La SAMIR privatisée en 1997…
17 Par les dispositions de l’article 128 de la loi 5-96 et 451 de la loi 17-95.
18La loi s’ouvre sur un article 1er ainsi libellé : « La société en nom collectif, la société en commandite simple, la société
en commandite par actions, la société à responsabilité limitée et la société en participation, sont régies par la présente
loi et par les dispositions du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant code des obligations et contrats, dans
la mesure où elles ne sont pas contraires aux dispositions de ladite loi ».
19 BO n° 4422 du 17 oct. 1996.
20 B.O. n° 4478, 1er mai 1997, p. 482.
21 BO n° 4758 du 6 janv. 2000, p. 5.
22 BO n° 5400 du 2 mars 2006, p. 347.
23 BO n° 5956 du 30 juin 2011, p. 1775.

17
accompagnement et d’une modernisation continue de l’arsenal juridique des sociétés, avec
pour finalité le développement de l’environnement des affaires. En effet, l’environnement
juridique d’un pays est un critère extrêmement important pour les investisseurs potentiels
afin d’évaluer la possibilité d’y investir. Celui-ci changeant et évoluant très rapidement, il
nécessite des mises à jour régulières du cadre juridique pour répondre aux préoccupations
liées à la croissance de l’économie nationale. C’est pourquoi, pour améliorer l’attractivité du
Maroc en tant que destination favorable aux investisseurs et par suite, hisser son classement
dans le rapport Doing Business établi par la Banque Mondiale, deux lois relatives aux sociétés
de personnes et de capitaux ont été adoptées l’année passée (le jeudi 04 avril 2019).

Le premier de ces textes est


- Le Dahir n° 1-19-78 du 26 avril 2019 portant promulgation de la loi n° 20-1924 modifiant
et complétant la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.
L’objet de ce texte est d’améliorer la gouvernance des SA, renforcer la responsabilité des
dirigeants sociaux tout en organisant une possibilité d’exonération et élargir l’information
et les droits des actionnaires.
Le second texte est
- Le Dahir n° 1-19-79 de la même date (26 avril 2019) portant promulgation de la loi n°
21-1925 modifiant et complétant la loi n° 5-96.
Les modifications de cette loi portent principalement sur le renforcement de la protection
des actionnaires minoritaires à travers les modalités de prise de décisions en assemblée
générale ainsi que l’encadrement des conditions de distribution des dividendes.

24 BO n° 6773, version arabe du 29 avril 2019 et le BO n° 6784 du 6 juin 2019, p. 1027 pour la version française.
25 BO n° 6773, version arabe du 29 avril 2019, p. 1030.

18
PARTIE 1 : LES REGLES DE CONSTITUTION COMMUNES A
TOUTES LES SOCIETES

Cette première partie fera l’objet de deux titres. On traitera successivement de la société en
tant que contrat (Titre 1), puis dans un second titre, on s’intéressera à la personnalité morale
de la société (Titre 2).

TITRE 1 : LE CONTRAT DE SOCIETE

Comme tout contrat, le contrat de société doit en premier lieu répondre aux conditions
générales de validité du contrat (Chapitre 1). La société doit remplir par ailleurs des
conditions propres, qui en font un contrat distinct des autres contrats (Chapitre 2). Enfin,
nous verrons dans un dernier chapitre que certaines sociétés resteront à jamais de simples
contrats, càd qu’elles n’acquerront pas la personnalité morale. Il s’agit des sociétés sans
personnalité morale (Chapitre 3).

CHAPITRE 1 : LES CONDITIONS GENERALES DU CONTRAT DE SOCIETE


La société, en tant que contrat, doit répondre à certaines conditions de fond qui assurent la
validité de l’acte juridique (Section 1), ainsi qu’à l’exigence de pluralité des contractants
associés (Section 2).

Section 1 : Les conditions de fond


Les conditions communes à tous types de contrats. En application de l’article 2 DOC,
4 conditions sont essentielles à la validité du contrat de société. Les deux premières,
attachées à la personne de l’associé, concernent son consentement (I) et sa capacité à
contracter (II). Les deux dernières exigent de la société qu’elle ait un objet mais aussi une
cause licites (III).

I. Le consentement des associés

Plan. Le consentement de chaque associé est une condition essentielle du contrat de


société. Si le DOC ne l’aborde que sous l’angle des vices qui peuvent l’affecter (A), le
consentement est, en droit des sociétés, fréquemment étudié sous l’angle de la simulation
(B).

19
A. Les vices du consentement

L’article 2 DOC ayant érigé le consentement comme une condition de validité du contrat
de société, celui-ci est nul dès lors que les associés n’ont pas valablement consenti à leur
engagement. Aussi, cela suppose-t-il que le consentement des associés existe et qu’il ne soit
pas vicié. Ainsi, le consentement des associés ne doit pas être donné par erreur, ni sous
l’effet d’un dol ou de la violence26.
L’erreur. En droit des sociétés, il existe trois sortes d’erreurs. Il peut s’agir d’une erreur sur
la personne de l’associé. Cette erreur est retenue lorsque la considération de la personne a été
la cause principale de la convention. Dès lors, ce type d’erreurs se rencontre dans les sociétés
de personnes, où l’intuitu personae est très marqué. Le second type d’erreur que l’on peut
rencontrer en droit des sociétés est l’erreur sur la forme de la société. Une telle erreur est assimilée
à une erreur sur la nature du contrat. Elle entraîne des conséquences dommageables
notamment lorsqu’un associé croit sa responsabilité vis-à-vis des créanciers sociaux limitée
aux apports qu’il a faits à la société alors qu’en réalité sa responsabilité est illimitée. Il est à
noter que ce moyen de nullité ne peut être invoqué dans les sociétés commerciales27.
Un dernier type d’erreurs consiste en une erreur sur les apports. L’apport est le bien qu’une
personne affecte à la société en contrepartie de son entrée dans une société comme associé.
On assimile une erreur sur les apports à une erreur sur le prix et cette erreur-là ne saurait
être retenue que si elle porte sur la réalité et la nature de l’apport, non sur sa valeur.
Le dol. Le dol se traduit par un acte de déloyauté commis par l’un des associés à l’encontre
d’un ou des autres associés. Il suppose la réunion de deux éléments : l’un intentionnel,
l’autre matériel. La victime du dol doit donc prouver qu’il n’aurait pas consenti à être associé
s’il avait eu connaissance des manœuvres frauduleuses pratiquées dans le but de le tromper
et le pousser à contracter. Le dol se rencontre plus fréquemment que l’erreur, mais il reste
tout de même rare en droit des sociétés.
Régime des vices du consentement. Tout consentement vicié rend en principe
l’engagement nul. Pour autant, il faut garder à l’esprit que les cas de nullité demeurent une
exception et sont restrictivement admis en jurisprudence. En pratique, en droit des sociétés,
au regard de la nature économique de cette discipline, les cas de nullité ne seront pas très
étendus. On observe en outre, plus fréquemment des cas de simulation du consentement.

B. La simulation du consentement

Définition. La condition relative à l’existence du consentement se traduit, en droit des


sociétés, par l’exigence d’un consentement non simulé. La simulation consiste pour les

26 Art. 39 DOC.
27 Art. 337 L. 17-95 auquel renvoie l’article 1 de la loi 5-96.

20
associés à donner l’apparence de constituer une société alors que la réalité est toute autre.
La simulation consiste donc à conclure un contrat fictif. A cette occasion, une société est
créée, mais elle dissimule une exploitation personnelle. Pour les associés qui donnent leur
consentement, ce consentement n’est qu’apparent.
Formes de la simulation. La simulation peut prendre trois formes différentes. Elle peut
porter sur l’existence du contrat de société, sur la nature du contrat conclu, ou sur la personne d’un ou
plusieurs associés : c’est l’hypothèse de l’interposition de personne.
Simulation portant sur l’existence du contrat. Dans l’hypothèse où la simulation porte
sur l’existence du contrat de société, on dit que la société est fictive. L’acte de constitution
est fictif. Une telle simulation se rencontre lorsque les prétendus associés n’ont eu aucune
intention de s’associer ni de coopérer, ni même de contracter, mais poursuivaient un but
étranger à la constitution d’une société.
La société ne répond pas aux critères distinctifs de la société comme la pluralité d’associés,
ou encore l’affectio societatis et n’a aucune existence juridique. Alors qu’une partie de la
doctrine considérait que la sanction d’une société fictive était l’inexistence, la jurisprudence
a tranché en faveur de la nullité, laquelle n’a pas d’effet rétroactif en droit des sociétés. Dès
lors, les tiers de bonne foi peuvent se prévaloir de l’existence, même très brève, de la société.
Simulation portant sur la nature du contrat. Cette hypothèse se rencontre lorsque la
conclusion du pacte social dissimule une autre opération, tenue secrète. Les parties donnent
au pacte qu’ils concluent l’apparence d’un contrat de société, alors qu’il s’agit, en réalité,
d’une opération dont ils se gardent de révéler la véritable nature aux tiers. Souvent, la société
apparente cache une opération illicite, déguisant une volonté de fraude (généralement
considérations fiscales, successorales...). Ex. : un contrat de travail pour se soustraire aux
lois sociales ; un contrat de vente pour bénéficier d’une fiscalité moins lourde…
Simulation portant sur la personne de l’associé. Cette catégorie de simulation
correspond à l’hypothèse de l’interposition de personne. Celui qui se présente comme
associé n’est en réalité que le prête-nom du véritable associé qui préfère agir en « coulisse ».
En pratique, deux contrats sont conclus : un contrat de société, le second étant un mandat
conclu entre le véritable associé et le prête-nom. Cette situation n’est sanctionnée qu’en cas
d’existence d’une fraude.

II. La capacité des associés

L’âge de la majorité légale. La capacité est l’aptitude d’une personne à participer à la vie
juridique, càd être titulaire de droits et à les exercer. Faute de dispositions particulières dans
les textes régissant les sociétés commerciales, il convient de se référer aux règles du droit

21
commun28. En effet, la capacité des individus est régie par le Code de la famille29. L’article
12 du Code du commerce renvoie lui-même aux dispositions du Code de la famille. Selon
l’article 209 du CF, l’âge de la majorité légale est fixé à 18 ans révolus.
Une capacité spéciale : la qualité de commerçant. En outre, la capacité requise en droit
des sociétés varie selon le type de sociétés. Selon la forme de la société il va falloir, ou non,
disposer d’une capacité spéciale : la qualité de commerçant. Or, l’exercice du commerce
étant une profession dangereuse qui suppose un certain degré de maturité, une certaine
expérience, il va falloir envisager le cas de certaines personnes potentiellement vulnérables.
Ainsi, un majeur incapable ou un mineur ne peuvent par exemple faire partie d’une société
où les associés ont la qualité de commerçants (SNC ou dans une SCS ou les commandités
d’une SCA (car responsabilité indéfinie))30. Le mineur ayant atteint l’âge de la majorité 31
peut avoir la qualité de commerçant, mais pas avant.
Jusqu’à une modification récente, le mineur étranger devait attendre d’avoir eu 20 ans révolus
conformément à l’article 15 du Code de commerce. Or, depuis une loi du 22 février 2018 32,
ce seuil a été baissé à l’âge de 18 ans.
Cas des majeurs incapables. Le Code du commerce ne contient, au surplus, aucune règle
propre aux majeurs incapables. Le Code de la famille retient néanmoins deux situations dans
la condition de ces derniers : celle de l’aliéné et du faible d’esprit d’une part, puis du
prodigue d’autre part. Concernant l’aliéné mental, l’article 217 du CF écarte toute capacité
juridique car celui-ci a totalement perdu la raison, de façon permanente, par hérédité ou
non. Il ne dispose en conséquence pas des facultés nécessaires à l’exercice du commerce.
L’article 216 considère la personne faible d’esprit comme étant frappé d’un handicap mental qui
l’empêche d’être maître de ses pensées et ses actes. L’article 228 aligne le cas du prodigue et du
faible d’esprit sur celui de l’enfant mineur doué de discernement (art. 225). Ainsi, l’article
225 considère que les actes profitables passés par lui sont acquis, ceux qui lui portent
préjudice nuls, alors que ceux qui présentent les deux caractères à la fois sont subordonnés
à l'approbation du son représentant légal.

28 Les deux lois relatives aux sociétés ne prévoient pas de dispositions express relativement à la capacité des associés.
29 Selon le CF, il y a deux sortes de capacité : la capacité de jouissance et la capacité d'exercice (art. 206 CF).
Les articles 207et 208 définissent ce que sont ces deux capacités. La capacité de jouissance est définie comme étant
« la faculté qu'a la personne d'acquérir des droits et d'assumer des devoirs tels que fixés par la loi. Cette capacité est
attachée à la personne durant toute sa vie et ne peut lui être enlevée ».
Selon l’article 208 du Code de la famille, « La capacité d'exercice est la faculté qu'a une personne d'exercer ses droits
personnels et patrimoniaux et qui rend ses actes valides. La loi fixe les conditions d'acquisition de la capacité d'exercice
et les motifs déterminant la limitation de cette capacité ou sa perte ». C’est pourquoi l’article 224 du Code de la famille
prévoit que les actes passés par l'incapable sont nuls et de nul effet.
30 Art. 3 : la SNC est une société dont les associés ont tous la qualité de commerçants (…).
31Il peut également l’acquérir par l’effet d’une déclaration anticipée de majorité auprès du président du tribunal du lieu
où il entend exercer.
32 Les dispositions de l’article 15 ont été modifiées en vertu de l’article unique du Dahir n° 1-1814 du 5 joumada II
1439 (22 février 2018) portant promulgation de la loi n° 54-17 modifiant l’article 15 de la loi n° 15-95 formant code de
commerce; Bulletin Officiel n° 6680 du 22 ramadan 1439 (7 juin 2018), p 1266.

22
En résumé, la capacité commerciale sera requise pour les associés en nom collectif, pour
les commandités et les gérants des sociétés en participation, à l’exclusion des
commanditaires et des participants. La seule capacité civile est requise pour être actionnaire
d’une SA, commanditaire ou associé d’une SARL. Un mineur dûment représenté par son
représentant légal, peut être actionnaire dans une SA, commanditaire dans une SCS ou une
SCA.
Cas de la femme mariée. Enfin, le Code du commerce prévoit également le cas de la
femme mariée, laquelle aux termes de l’article 17, « peut exercer le commerce sans autorisation
de son mari ». Le texte précisant par ailleurs que « toute convention contraire est réputée
nulle ». Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie étant une liberté publique et
un principe à valeur constitutionnel (art. 35), celui-ci est bien entendu libre et toute
personne, sous réserve des dispositions liées à la capacité, est libre de l’exercer quel que soit
son sexe.

III. Un objet et une cause licites

L’objet social. L’objet du contrat de société est donné de manière générique et abstraite
par l’article 982 DOC : il s’agit de la mise en commun d’apports en vue de partager les
bénéfices qui pourront en résulter. Il n’existe pas de définition légale de l’objet social mais
les auteurs le définissent comme le « genre d’activités » que la société se propose d’exercer.
En ce sens, l’objet désigne la nature de l’exploitation commune telle que définie dans les
statuts : commerce, industrie, finance... Il se détermine donc par sa description dans les
statuts : c’est l’objet social statutaire. Cependant, une société peut avoir une activité plus
restreinte que ce que décrivent les statuts. C’est l’objet réel.
Un objet social licite. L’objet doit être licite conformément à l’article 985 DOC. Ceci
signifie que tout ce qui est contraire aux bonnes mœurs, à la loi ou à l’ordre public sera
considéré comme étant illicite. Tel est le cas d’une société dont l’activité porterait sur les
stupéfiants, la contrebande, la prostitution. L’activité de la société ne doit pas non plus
porter sur des choses qui ne sont pas dans le commerce (corps humain par ex.).
La sanction civile frappant une société dont l’objet est illicite est la nullité absolue et elle
peut être invoquée par tout intéressé. Sur le plan pénal, l’illicéité de l’objet peut constituer
une infraction pénale et les associés eux-mêmes ne sont pas à l’abri de poursuites pénales.
Un objet social déterminé. L’objet social doit également pouvoir être déterminé. Il s’agit
du principe de spécialité en vertu duquel est apprécié la régularité des opérations effectuées.
En effet, une société ne peut avoir un objet social universel 33. Les statuts doivent
impérativement délimiter la sphère d’activité pour laquelle la société a été créée. En
pratique, les statuts stipulent que la société peut accomplir, outre son objet principal, tous

33 Les statuts dont il résulterait qu’une société peut exercer toutes sortes d’activités ne seraient pas réguliers.

23
les actes qui se rattachent directement ou indirectement à celui-ci. La détermination de
l’objet présente plusieurs intérêts : ça permet de déterminer si une société est civile ou
commerciale. Il en découle ensuite une règle de spécialité de la société qui impose à celle-ci
d’agir uniquement dans les limites de son objet tel que défini dans les statuts. Elle limite
également le pouvoir des dirigeants sociaux, notamment lorsque ceux-ci passent un acte de
gestion qui dépasse l’objet social. Dans ce cas de figure, ledit acte n’engagera, en principe
pas, la société.
La cause du contrat de société. La cause du contrat de société désigne le motif pour
lequel deux ou plusieurs personnes ont décidé de s’associer. Elle correspond à la motivation
profonde des associés. Toute obligation est présumée avoir une cause certaine et licite34.
Comme pour l’objet, la cause qui anime la mise en commun des parties doit elle aussi, être
licite. La cause est souvent confondue avec l’objet dans la mesure où la raison d’être de la
société consiste en la réalisation de son objet. Cependant, la cause n’a pas besoin d’être
exprimée, contrairement à l’objet. De même, il peut arriver que l’objet social soit licite et
non la cause (ce qui a poussé les parties à s’associer). C’est le cas du débiteur qui, en fraude
des droits de ses créanciers, fait apport de ses biens à une société pour les soustraire, derrière
l’écran de la société, aux poursuites de ses créanciers.

Section 2 : La pluralité d’associés


Principe et exception. Par définition, un contrat suppose la présence de deux parties,
voire plus, alors que l’acte juridique qui n’est l’œuvre que d’une seule volonté est unilatéral.
Cette règle vaut en principe pour toute société, notamment lors de sa création (I). Pourtant,
le principe souffre une atténuation et une exception. D’une part, en cours de la vie sociale,
la société peut survivre momentanément alors que toutes les parts sociales seraient
concentrées dans les mains d’une seule personne (II). D’autre part, il existe le cas particulier
de la SARL d’associé unique (III).

I. Lors de la constitution de la société

Principe. Le contrat de société visé par l’article 982 DOC exige le concours d’au moins
deux personnes. Deux associés suffisent donc pour créer une société de personnes ou une
SARL de type classique. Cette règle générale est précisée par des règles de droit spécial des
sociétés. Ainsi, 4 personnes au minimum sont nécessaires à la constitution des SCA35, 5
dans les SA (sans limitation du nombre des actionnaires). Un nombre maximum d’associés
n’est fixé que pour la SARL36 qui ne peut en comporter plus de 50. On le voit, aucune

34 Art. 63 DOC.
35 Le nombre des associés commanditaires ne saurait être inférieur à 3 (art. 31 L. 5-96).
36 Art. 47 L. 5-96.

24
société ne peut être librement constituée par un seul associé. La pluralité d’associés doit
exister non seulement lors de la constitution de la société, mais aussi tout au long de la vie
sociale. Cette exigence de pluralité des associés est la conséquence du principe de l’unité
(ou d’indivisibilité) du patrimoine énoncé à l’article 1241 DOC37.
Pourtant, il peut exister des situations dans lesquelles une société présentée comme ayant
plusieurs associés, soit en fait dominée et dirigée par une seule personne. Le reste des
membres du groupe ne sont en fait que des prête-noms. Ce montage juridique peut être
utilisé pour permettre à une personne qui tombe, sous le coup d’une interdiction d’exercice
légale ou conventionnelle, d’une déchéance ou d’une incompatibilité, d’exercer l’activité
commerciale sous le couvert d’une autre personne. Il peut également servir à masquer une
fraude aux droits des tiers lorsqu’il est fait apport de biens à une société pour les faire
échapper à la saisie des créanciers ou à dissimuler une simple fraude fiscale.
Atténuation. Plus grave est le cas d’une société pluripersonnelle qui devient unipersonnelle
en cours de vie sociale. Il en est ainsi lorsque toutes les parts sociales se trouvent réunies
entre les mains d’un seul associé. Ce type de difficultés peut se rencontrer dans les sociétés
ayant un faible nombre d’associés. L’un des deux associés décède et n’a pas d’héritier ; l’un
des associés rachète toutes les parts des autres associés. La société devient alors
unipersonnelle, on parle de société « à main unique ». En application de l’article 982 DOC,
la société unipersonnelle devrait être dissoute car en vertu de la théorie classique de l’unité
du patrimoine, on admettrait qu’une seule et même personne puisse être à la tête de deux
patrimoines. Ce n’est pourtant pas la solution qui a été admise et il a été admis, comme
tempérament, la survie temporaire de la société unipersonnelle.

II. La survie d’une société devenue unipersonnelle

Principe. Aux termes de l’article 48 de la loi 5-96, « en cas de réunion en une seule main
de toutes les parts d’une SARL, la société continue ». Celle-ci continue à vivre, bien que
temporairement. La situation doit en effet être régularisée dans le délai d’un an38. Dans ce
délai, l’associé unique a le choix entre trois alternatives : céder certaines de ses parts sociales
à un ou plusieurs tiers et permettre à la société de continuer ; créer de nouvelles parts en
procédant à une augmentation de capital ouverte à des tiers ou dissoudre la société.
Cette situation constitue en réalité une irrégularité, à laquelle l’article 49 de la même loi précise
que « la demande de dissolution ne peut être faite moins d’un an après la réunion des parts »
et que dans tous les cas, « le tribunal peut accorder un délai maximal de 6 mois pour
régulariser la situation et ne peut prononcer la dissolution si, au jour où il statue en première

37 « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers (…) ». En effet, le patrimoine est considéré comme
une universalité juridique qui comprend un actif et un passif et dans lequel l’ensemble des droits répond de l’ensemble
des obligations. Il en résulte qu’une seule personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, indivisible, selon l’analyse
classique (le patrimoine étant un attribut de la personnalité).
38 Art. 358 et 359 L. 17-95.

25
instance sur le fond, cette régularisation a eu lieu ». Ceci signifie que le délai d’un an peut
être prorogé par le tribunal pour un délai supplémentaire de six mois. Une fois ces délais
passés sans que l’associé n’ait régularisé la situation ni dissout la société, la loi accorde alors
à tout intéressé le droit de demander la dissolution de la société en justice.
Dans l’attente de la régularisation, la société doit continuer de fonctionner. L’associé unique
assume l’ensemble des fonctions et la responsabilité qu’il encourt reste conforme à celle
encourue lors de la constitution de la société.

III. Le cas de la SARL à associé unique

Une exception. Bien que la pluralité d’associés soit encore requise par la loi, l’alinéa 2 de
l’article 44 portant loi sur la SNC et les autres formes de société (loi 5-96) dispose que
« lorsque la société, contrairement aux dispositions de l’article 982 DOC ne comporte
qu’une seule personne, celle-ci est dénommée « associé unique ». L’associé unique exerce
les pouvoirs dévolus à l’ensemble des associés par les dispositions du présent titre ». Cette
exception légale porte un coup sévère à la théorie classique de l’unité du patrimoine et
consacre de ce fait la notion de patrimoine d’affectation39, distinct du patrimoine général,
qui va permettre à l’associé unique d’affecter, à titre exclusif, une partie de ses biens à
l’exercice d’une activité (1 personne et 2 patrimoines).
Il ne faut toutefois pas se méprendre sur la portée de cette innovation, laquelle reste limitée
dans la mesure où seule la loi peut être à l’origine d’une société unipersonnelle. Ceci signifie
non seulement que la source d’une telle société ne peut être que légale, mais aussi que la
société unipersonnelle peut revêtir uniquement les formes énumérées par la loi de manière
limitative. Au Maroc, il s’agit de la SARL d’associé unique.

39 Le patrimoine d’affectation est une universalité juridique comprenant un ensemble de biens, de droits, d’obligations
ou de sûretés qui, séparés idéalement de ses autres biens, répondent seuls des engagements professionnels de celui qui
les exploitent. Le patrimoine d’affectation est individualisé de telle sorte qu’à l’égard de ses créanciers, la responsabilité
de l’intéressé reste limitée à la valeur de ce patrimoine d’affectation.

26
CHAPITRE 2 : LES CONDITIONS SPECIFIQUES DU CONTRAT DE SOCIETE

Des conditions cumulatives. Le contrat de société doit répondre à certaines conditions


spécifiques qui le distinguent des autres contrats. En premier lieu, la société est caractérisée
par un élément matériel, la mise en commun d’apports (Section 1). Celle-ci procède de
l’affectation de biens ou de l’industrie à la société. Cet élément matériel répond en outre à
une finalité commune : la recherche d’un profit en vue de le partager. Mais la société a un
caractère aléatoire : ce partage peut se révéler être un partage des pertes et tout associé doit
donc s’engager à participer aux résultats, qu’il s’agisse de profits ou de pertes. C’est là le
second élément distinctif de la société (Section 2). Enfin, la réunion de ces deux éléments
ne suffirait pas à constituer une société sans la présence d’un troisième et dernier élément,
l’élément intentionnel du contrat de société, lequel, bien qu’il ne figure pas dans la définition
de l’article 982 DOC, est indispensable. Il s’agit de l’afectio societatis (Section 3).

Section 1 : La mise en commun d’apports

Nécessité d’une mise en commun d’apports en société. L’apport en société est un


élément essentiel du contrat de société, sans lequel cette dernière ne pourrait être
valablement constituée. Par l’acte d’apport, les associés manifestent leur volonté d’œuvrer
ensemble et rendent possible l’accomplissent du but intéressé de la société. En outre, les
apports donnent la mesure du capital social, instrument essentiel du fonctionnement de la
société40. Il existe néanmoins différentes catégories d’apports et toutes ne contribuent pas
à constituer le capital social. C’est pourquoi il convient d’envisager successivement les
différentes catégories d’apports (I), avant de voir en quoi la notion de capital social est
central (II).

I. Les différentes catégories d’apports

Au terme de l’article 982 DOC, chaque associé est tenu de mettre en commun des biens ou
son industrie (le travail). Traditionnellement, les biens apportés sont de deux types : ils sont
soit en numéraire (A), soit en nature (B). À ces deux types d’apports, vient s’ajouter l’apport
en industrie (C).

A. L’apport en numéraire

Définition. L’apport en numéraire est l’apport que l’associé réalise par le versement de la

40 On comprend donc la rigueur de la sanction prévue en l’absence d’apports qui est la nullité de la société.

27
somme à laquelle il s’est engagé. Il est de loin le plus fréquent en pratique. La somme est
transférée à la société et versé soit intégralement au moment de la constitution de la société,
soit successivement, à des époques fixées par les statuts. Le montant des apports pour la
SA par exemple est fixé à un minimum de 3 000 000 Dhs (si APE41). En contrepartie de
son apport, l’associé reçoit des droits sociaux (actions dans les sociétés par actions, parts
sociales dans les autres sociétés).
Régime juridique. Deux opérations distinctes président à la réalisation des apports : la
souscription et la libération. La souscription de l’apport s’analyse en une promesse de
réaliser l’apport tandis que la libération est le versement effectif de la somme d’argent
promise. La totalité du capital prévu doit être souscrite au moment de la promesse car la
société ne sera créée qu’autant que le capital aura été souscrit. En outre, une fraction de
l’apport doit obligatoirement être libérée par chaque associé au moment de la souscription.
En règle générale, il revient aux statuts de fixer le montant de cette fraction ainsi que les
modalités de la libération du reste, càd du solde des apports (notamment pour les sociétés
de personnes qui ne sont tenus par aucun délai légal).
Cette liberté statutaire disparaît néanmoins dans deux cas : dans les SA et les SARL, la loi
exige la libération du quart au moins de la valeur nominale des actions 42 ou des parts
souscrites43. La libération du surplus doit intervenir en une ou plusieurs fois dans un délai
qui ne peut excéder respectivement trois ans et cinq ans. Dans les SAS, le capital doit être
libéré en totalité dès la signature des statuts44.
A la date de libération du surplus, le versement effectif des fonds doit avoir lieu, par un
versement d’espèces, remise d’un chèque ou par ordre de virement.
Les fonds sont bloqués sur un compte bancaire au nom de la société en formation pour
devenir disponibles après l’exécution des formalités d’immatriculation.
Sanctions. Chaque associé est débiteur envers les autres associés de tout ce qu’il a promis
d’apporter à la société (art. 995 DOC al. 1er). Par conséquent, les autres associés peuvent le
contraindre à exécuter son engagement sans avoir été mis au préalable en demeure de
payer45. L’associé même de bonne foi peut être condamné à verser en outre des dommages-
intérêts moratoires (DI du fait du retard art. 997 DOC) pour le préjudice subi par la société
du fait dudit retard. Par ailleurs, les autres associés peuvent même faire prononcer son
exclusion, sans préjudice des DI (art. 996 al. 2nd).

B. L’apport en nature

41 Si la SA ne fait pas APE, ce minimum est de 300 000 Dhs.


42 Art. 21 al. 2 L. 17.95.
43 Art. 51 al. 1 L. 5-96.
44 Art. 427 al. 2 L. 17-95.
45 Il est en demeure par la seule échéance du terme fixé pour effectuer l’apport (art. 255 DOC).

28
Définition. L’apport en nature consiste en tout bien attribué à la société, autre qu’une
somme d’argent, susceptible d’une évaluation pécuniaire et pouvant être exploité
commercialement. Il peut s’agir de biens immobiliers (terrains et immeubles bâtis), de biens
meubles corporels (véhicules, matériel, outillage, mobilier, marchandise) ou
incorporels (fonds de commerce, droit au bail, droits de propriété industrielle, droits
d’auteur, créances…). L’apport en nature peut être fait selon trois modalités : en pleine
propriété, en jouissance ou en usufruit.
L’apport en pleine propriété. Il se réalise par le transfert à la société de la propriété du
bien et par sa mise à la disposition effective de la société. Cet apport est assimilé à une
vente, à cette différence près que la contrepartie n’est pas constituée par le paiement d’une
somme d’argent mais par l’attribution de droits sociaux. L’apporteur transfère à la société
tous les droits qu’il a sur ce bien, de même que les risques 46. Néanmoins, ce transfert ne
peut intervenir avant que la société ait été immatriculée, date à laquelle elle acquiert la
personnalité juridique47. Avant l’immatriculation, les risques demeurent donc à la charge de
l’apporteur. Le transfert de propriété doit être constaté selon les règles qui sont propres au
bien apporté : pour les immeubles immatriculés, il va falloir respecter les règles de la
publicité foncière pour l’opposabilité de l’opération aux tiers, pour un droit au bail, l’accord
du bailleur, pour les droits de propriété intellectuelle, l’inscription de l’apport sur le registre
national de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale...
L’apport en jouissance. Dans le cas d’un apport en jouissance d’un bien, l’apporteur
conserve la propriété de la chose, mais il est tenu de la mettre à disposition de la société
pour une durée déterminée. La société dispose ainsi du libre usage du bien apporté pour
une période déterminée ou pour toute la durée de vie de la société. Par conséquent, à la
dissolution de la société, l’apporteur reprend, en qualité de propriétaire, le bien qu’il a
apporté. Toutefois, si le bien porte sur des biens fongibles 48 (marchandises ou valeurs
mobilières), la société devient propriétaire du bien apporté et devra, à l’expiration du délai
convenu, en rendre une quantité et une valeur égales. Ce type d’apport est assimilable à une
location, à cette différence près que l’apport en jouissance permettra l’attribution de parts
sociales et une fraction des bénéfices, non le paiement d’un loyer. La perte de l’apport en
jouissance entraîne la dissolution de la société à l’égard de tous les associés (art. 1052 DOC)
puisque l’apporteur se trouve dans l’impossibilité de réaliser son apport.

46Dès lors, si au cours de la vie de la société, le bien vient à disparaître accidentellement, la société en subira les
conséquences et l’associé conservera, à la dissolution, son droit à restitution de la valeur pour laquelle le bien a été
apporté à l’origine.
47 Avant l’immatriculation, les risques demeurent donc à la charge de l’apporteur.
48Biens qui possèdent la particularité de pouvoir être remplacés par d'autres biens équivalents. Par chose fongible, il
faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre. Pour être des choses fongibles, elles doivent,
autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les
unes les autres. Exemple: une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série… Ainsi, pour
individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.

29
L’apport en usufruit. Cet apport confère à la société, outre l’usage et la perception des
fruits, un droit réel sur le bien apporté, même si elle n’en a pas la propriété. À la différence
de l’apport en jouissance, l’apport d’un usufruit repose sur un démembrement du droit de
propriété. Il entraîne le transfert en pleine propriété à la société d’un droit réel dont se
dépouille l’apporteur. L’apport en usufruit de biens immobiliers est réglementé par l’article
79 et suivants du Code des droits réels. La loi permet ainsi à l’usufruitier de constituer des
hypothèques sur l’immeuble dont il a l’usufruit. Cet apport s’opère donc par transmission
d’un droit réel, mais le droit transféré n’est qu’un droit de jouissance. La société n’acquiert
pas le droit de disposer du bien.
Régime juridique des apports en nature. L’apporteur reçoit des droit sociaux à hauteur
de la valeur du bien mis à la disposition de la société. Les apports en nature soulèvent par
ailleurs la difficulté particulière de leur évaluation. Il revient à l’apporteur de faire cette
évaluation mais, il y a lieu de craindre que le bien ne soit surévalué. Ce serait là une source
d’erreur pour les créanciers sociaux sur la solvabilité de la société. Une telle erreur peut
également avoir des conséquences particulièrement graves dans les sociétés où les associés
ne répondent pas personnellement du passif de la société. La surévaluation est également
préjudiciable à l’égalité entre associés. En effet, les parts ou actions sont attribuées à chacun
en proportion des apports effectués et toute majoration gonflerait artificiellement la
participation de l’apporteur. De la même manière, toute sous-évaluation de l’apport aurait
des conséquences néfastes sur la situation de l’apporteur. C’est pourquoi l’intervention d’un
commissaire aux apports est obligatoire pour tout apport en nature dans les SA ainsi que
pour les apports d’un montant important dans les SARL. Dans les SARL, les associés ne
sont pas liés par l’évaluation du commissaire aux comptes. S’ils décident de s’en écarter, ces
derniers deviennent alors responsables solidairement de leur propre évaluation.

C. L’apport en industrie

Définition. L’article 982 DOC vise, sous le nom d’apport en industrie, une troisième
catégorie d’apports. Le terme d’ « industrie » doit être pris dans son sens étymologique de
travail. L’apport en industrie est donc en premier lieu un apport de travail : l’apport par un
individu de son activité, de sa compétence, de son expérience professionnelle. L’apport en
industrie ne se limite toutefois pas à ce type d’apport. En effet, cet apport peut également
consister en un apport d’influence lorsque l’associé fait bénéficier la société de son nom, de
sa réputation, de ses relations. Quoi qu’il en soit, le travail effectué doit l’être de manière
indépendante sans que l’apporteur ne soit subordonné à la société ou aux autres associés.
L’apport en industrie reste rare en pratique. Le statut de salarié est souvent préféré aussi
bien par celui qui apporte son activité que par la société elle-même. Lorsqu’un associé fait
un apport en industrie, celui-ci est rémunéré par l’attribution de parts sociales et l’apporteur
est considéré comme un associé à part entière. Néanmoins, ce type d’apport ne contribue
pas à former le capital social et cette particularité fait son originalité par rapport aux autres
30
types d’apport.
L’apport en industrie n’est pas saisissable et ne peut conférer à son titulaire de parts sociales.
Ce type d’apports n’est possible que dans les sociétés de personnes dans lesquels les associés
sont tenus indéfiniment sur leurs bien personnels. On parle alors non pas de parts sociales
mais de parts d’ « intérêts » ou parts d’ « industrie », càd la contrepartie d’un apport non
constitutif du capital social. Ces parts donnent droit à une quote-part dans les bénéfices,
évaluée en fonction et d’après l’importance de l’apport effectué pour la société (art. 1033
al. 4 DOC).

II. Le capital social

Importance du capital social. Le capital social est un élément essentiel du pacte social. Il
ne peut être modifié qu’avec l’accord des associés, soit à l’unanimité, soit à une majorité
renforcée suivant la nature et la forme de la société. Il convient de définir la notion de
capital social (A) avant d’en analyser les fonctions (B).

A. Définition

Confusion du législateur marocain entre capital et actif social. Selon l’article 992 DOC
alinéa 1er, « le capital est constitué de l’ensemble des apports des associés et des choses
acquises moyennant ces apports, en vue des opérations sociales ». Vraisemblablement, le
DOC semble confondre capital et actif social. En effet, le capital social est composé du total
du montant des apports en numéraire et des apports en nature, à l’exclusion des apports en
industrie. L’actif quant à lui est constitué en revanche des choses corporelles et incorporelles
acquises moyennant ces apports. L’alinéa 4 du même article opère une autre déplorable
confusion, lorsqu’il assimile le capital au « fonds commun des associés qui y ont chacun une
part indivise proportionnellement à la valeur de son apport ». Le législateur marocain ici a
purement et simplement confondu la société dotée de la PM et l’indivision.
Règle de la fixité du capital social. En effet, le capital social est la propriété exclusive de
la société et non des associés qui n’y ont, à terme, qu’un simple droit de créance, lequel est
au surplus aléatoire au moment de la dissolution de la société.
D’un point de vue économique et financier, le capital représente la richesse de la société.
Mais cette affirmation n’est vraie qu’au moment de la constitution de la société, càd au
moment où celui-ci équivaut à l’actif net de la société. Cet actif net de la société est constitué
principalement, outre des apports des associés, des résultats accumulés et conservés dans
la société depuis sa création. C’est donc ce dernier qu’il convient de consulter pour
connaître la véritable valeur de la société en cours de vie sociale.
En revanche, le capital social représente la valeur portée au bilan indiquant le montant de

31
l’actif en dessous duquel les associés s’interdisent tout prélèvement à leur profit. En effet,
le capital social est régi par la règle de la fixité selon laquelle toute modification de cette
valeur en cours de vie sociale est en principe interdite. Le capital social joue dès lors une
fonction essentielle dans la société.
B. Les fonctions du capital social
La doctrine assigne deux fonctions primordiales au capital social. Le capital est à la fois le
gage des créanciers sociaux, mais aussi la clé de répartition du pouvoir entre les associés.
Une fonction de garantie. Intangible, le capital social l’est nécessairement parce qu’il
exerce en tout premier lieu une fonction de garantie. Celui-ci constitue le gage général des
créanciers sociaux. Dès lors, cette règle entraîne deux séries de conséquences. La première
est qu’il est interdit aux associés de distribuer, sous forme de dividende, une partie du capital
social. Une telle distribution constituerait une distribution fictive, càd effectuée en l’absence
d’un résultat d’activité positif. Une telle distribution est prohibée par la loi49. Par la règle de
la fixité, les créanciers sont assurés que les associés ne dissiperont pas les valeurs à
concurrence desquelles s’élève le capital social. En cas de diminution du capital consécutive
à des pertes, l’article 1038 alinéa 2 DOC (et art. 330 L. 17-95) interdit toute distribution de
bénéfices jusqu’à la reconstitution complète du capital, à moins que les associés ne décident
d’une réduction du capital social à hauteur du montant existant. De même, les apports des
associés ne sauraient être remboursés sur le capital social en cours de vie sociale.
En second lieu, l’intangibilité du capital social explique qu’à la dissolution de la société, les
associés ne pourront récupérer leurs apports qu’une fois que tous les créanciers auront été
désintéressés.
La clé de répartition des pouvoirs et des résultats. Le capital social constitue par ailleurs
la clé de répartition du pouvoir dans la société. En effet, la répartition du capital est
déterminante à deux niveaux. Au niveau du contrôle de la société, le capital social permet à
certains associés d’être aux leviers de commande. C’est la loi de la majorité : majorité relative
ou majorité renforcée selon les décisions à prendre. La détention du capital est un
instrument de pouvoir qui permet à un ou à plusieurs associés de désigner, d’une part, les
dirigeants sociaux et d’avoir par ce biais, une prise directe sur la gestion. D’autre part, cette
détention permettra de procéder à des modifications statutaires. Le lien capital-pouvoir peut
toutefois être tempéré par la théorie de l’abus de majorité. Au niveau de la distribution des
bénéfices, chaque associé reçoit une part dans les bénéfices, proportionnelle à sa part dans
le capital social. Il en est de même de la contribution aux pertes. Cette règle de la
proportionnalité est en outre d’ordre public (art. 1034 DOC).
Section 2 : La participation aux résultats

Outre les apports, l’article 982 exige que les associés participent tous aux résultats, càd aux

49 Emprisonnement et/ou amende art. 384 L. 17.95 et art. 107 L. 5-96.

32
profits et aux pertes. Il convient de définir l’objet de la participation (I), avant d’en décrire
le régime juridique (II).

I. L’objet de la participation

La participation aux résultats consiste soit à partager les bénéfices résultant de l’exploitation
(A) ou à contribuer éventuellement aux pertes (C).

A. Le partage des bénéfices

Notion de bénéfice. La recherche d’un bénéfice, afin de le partager, est l’objectif assigné
à toute société. Il s’agit du but, intéressé, de la société, qui a toujours permis de la distinguer
d’autres groupements. Encore fallait-il préciser cette notion de bénéfice. Un arrêt rendu en
chambres réunies par la Cour de cassation française, le 14 mars 1914 50, a considéré que le
bénéfice était « tout gain pécuniaire ou gain matériel qui ajouterait à la fortune des associés ».
Sans être nécessairement pécuniaire, le gain devait être appréciable en argent. Il consistait
donc en un enrichissement positif des associés et un accroissement de leur patrimoine qui
se traduit, soit par un gain pécuniaire qui correspond à la distribution des bénéfices, soit par
un gain matériel en nature telle la jouissance d’un immeuble appartenant à la société.

B. La contribution aux pertes

Notion. La société étant un contrat aléatoire et un investissement à risque, les associés, en


contrepartie de leur participation aux bénéfices, ou à l’économie réalisée, s’engagent à
contribuer aux pertes. Simple dans son énoncé, la règle appelle néanmoins quelques
précisions. La participation aux pertes est le corollaire du partage des bénéfices. Au cours
de la vie sociale, les pertes sont seulement comptabilisées ; les associés ne sont pas tenus de
contribuer aux pertes au fur et à mesure qu’elles apparaissent. Ce serait augmenter leurs
engagements, ce que la loi ne permet pas51. La contribution aux pertes sera déterminée
normalement à la fin de la société et elle ne concerne que les rapports entre associés. Elle
se distingue de l’obligation aux dettes sociales qui se caractérise par l’engagement des
associés à l’égard des créanciers sociaux et détermine le droit de poursuite des seconds sur
les premières.
Dans les sociétés à l’occasion desquelles la responsabilité des associés est illimitée,
l’obligation au passif social des associés est indéfinie, conjointe ou solidaire selon les cas.

50 Arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod


51 Art. 1 al. 3 L. 17-95.

33
Dans ce type de sociétés, les associés peuvent être poursuivis pour l’ensemble des dettes
sociales (en cas de solidarité) ou une fraction d’entre elles (en cas d’obligation conjointe).
Ils sont en quelque sorte garants de la société. A l’inverse, pour les associés qui voient leur
responsabilité limitée à leurs apports (SA), chacun n’est tenu qu’à la seule contribution aux
pertes52, limitée au montant de son apport (car la société seule est obligée à la dette). Une
fois qu’il a libéré celui-ci, ni la société, ni les créanciers sociaux ne peuvent plus rien exiger
de lui.
La contribution aux pertes permet ainsi de déterminer qui supportera définitivement le
poids de pertes de la société, et dans quelle proportion il le fera. En effet, les associés
doivent contribuer aux pertes en respectant la règle de la proportionnalité, càd selon la part
de capital détenue dans la société.

II. Le régime juridique de la participation

Après avoir présenté les conditions du partage de bénéfices (A), il conviendra d’étudier les
modalités de la participation (B).

A. Les conditions du partage des bénéfices

A l’inverse du régime de contribution aux pertes, le partage des bénéfices est soumis à une
double condition : il suppose, en condition de fond, l’existence de bénéfices distribuables
et doit obéir à une procédure particulière de distribution.
L’existence de bénéfices distribuables. Le partage des bénéfices a lieu sous forme de
dividendes distribuables à la fin de chaque exercice sur la base des comptes annuels53. Les
actionnaires ont donc un droit aux dividendes, càd une part des bénéfices réalisés dans
l’année ou prélevés sur les réserves disponibles. L’obligation qui est ainsi faite aux associés
de liquider les bénéfices à la fin de l’exercice empêche les associés majoritaires de constituer
abusivement des réserves pour priver les associés minoritaires de leur droit au bénéfice.
Tous les bénéfices ne sont pas toujours distribuables. Selon certains types de sociétés, la
société doit constituer des réserves. Par ailleurs, la décision de distribuer des bénéfices
implique qu’auparavant aient été apurées les pertes antérieures. Dans le cas contraire, une
telle décision reviendrait à opérer une distribution de dividendes fictifs. Une telle
distribution est interdite et les dirigeants qui procéderaient à cette distribution
s’exposeraient à la sanction pénale prévue pour les délits de distribution de dividendes

52 Si, après que toutes les dettes ont été payées, la valeur de l’actif est inférieure à celle du capital, la société accuse des
pertes et les associés doivent contribuer à ces pertes.
53 Art. 1037 DOC.

34
fictifs.
La décision de distribution. L’auteur de la décision est nécessairement l’assemblée
générale, à qui il revient, en premier lieu, d’approuver les comptes de l’exercice clos dans le
délai de 6 mois à compter de la clôture de l’exercice, de constater l’existence de sommes
distribuables et enfin de fixer le montant des dividendes. A partir de la décision de
répartition des dividendes, l’associé est considéré comme créancier de la somme constituant
le dividende.
Réserve légale. Le partage des bénéfices ne peut se faire qu’après prélèvement de 5% pour
constituer la réserve légale. Ce prélèvement cesse en outre d’être obligatoire lorsque le
montant de la réserve atteint 20% du capital social54. Ce fonds de réserve est plafonné à
10% pour les SA55.

B. Les modalités du partage

La règle de proportionnalité. La règle de répartition est celle de la proportionnalité en


fonction des apports et donc de la participation prise par chacun dans le capital social de la
société56. Une telle règle a pour but d’assurer une répartition équitable des bénéfices et des
pertes entre associés. Elle s’inscrit donc dans le cadre du principe de l’égalité des associés.
Ainsi, si l’assemblée décide de distribuer des dividendes, ceux-ci seront répartis entre les
associés selon une répartition proportionnelle à la fraction du capital détenu par chacun
d’eux. De même, s’il reste encore des biens après remboursement de tous les créanciers
sociaux à la liquidation, les associés se répartiront ce boni de liquidation en proportion de
leur apport. Pour l’apporteur en industrie, le DOC (art. 1036) permet de lui accorder,
statutairement, des bénéfices supérieurs à la part des autres. Si la société a enregistré des
pertes trop longtemps, elle fera l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire. Dans ce
cas, chacun des associés contribuera aux pertes proportionnellement à la part du capital
qu’il détient dans la société.
Cependant, cette règle n’est pas d’OP et admet les clauses statutaires contraires. Une telle
souplesse s’explique par le souci du législateur de permettre que certains associés soient
favorisés par rapport à d’autres, suivant l’intérêt qu’ils portent à la société. Dès lors, la loi
réserve aux associés le droit de fixer un autre mode de répartition des bénéfices et des
pertes.
La validité des clauses d’inégalité de traitement. Plusieurs hypothèses sont
envisageables, tel le retour à la règle de l’égalité. En effet, les statuts peuvent prévoir un
partage égal des bénéfices et des pertes malgré des apports de valeur inégale. Chacun recevra

54 Art. 1038 al. 1 DOC.


55 Art. 39 L. 17-95.
56 Art. 1033 al. 1 DOC.

35
la même quotité de dividende, indépendamment de sa participation initiale. A l’inverse, se
trouve le cas de partage inégal, en dépit d’apports de même valeur. Par ailleurs, les statuts
peuvent décider de favoriser certains associés en leur attribuant une part plus importante
des bénéfices. Ce type de partage non proportionnel est d’ailleurs légalement organisé dans
certains types de société. Par exemple, dans les SA notamment, le législateur permet de
créer des actions de priorité qui peuvent conférer à leurs titulaires des droits patrimoniaux
plus importants qu’aux titulaires d’actions ordinaires. On compte aussi les actions à
dividendes prioritaires sans droit de vote57.
Cette règle d’un partage égal ou inégal des bénéfices existe également pour la contribution
aux pertes. Les statuts peuvent ainsi prévoir que les pertes seront, elles aussi, soient
également partagées, ou l’être de manière inégale. Une certaine liberté est donc laissée aux
associés. Elle a toutefois une limite.
La prohibition des clauses léonines. Toute stipulation en vertu de laquelle il serait
attribué à un associé la totalité du profit58 procuré par la société ou l’exonérant de la totalité
des pertes59, ou encore celle excluant un associé de la totalité du profit ou mettant à sa
charge la totalité des pertes doit être réputée non écrite. Une telle clause vide le contrat de
société de son essence. En effet, l’interdiction repose sur l’idée qu’il est contraire à la nature
de la société que certains associés puissent participer aux bénéfices et ne rien risquer quand
d’autres, au contraire, subissent l’aléa social sans contrepartie.

Section 3 : La volonté de s’associer

Supposant que plusieurs personnes aient convenu chacune d’effectuer un apport dans le
but de partager le bénéfice, le contrat conclu ne sera un contrat de société que si tous les
contractants ont, en outre, l’intention de s’associer. Bien qu’elle ne soit pas formellement
exigée par l’article 982 DOC, elle constitue le troisième élément caractéristique du contrat
de société.
Notion. L’affectio societatis est un élément de nature psychologique qui doit exister lors de la
constitution de la société et qui doit se perpétuer tout au long de la vie sociale. Cette notion
est centrale en droit des sociétés, car elle assure la régulation de cette discipline au même
titre que les notions d’abus de droit ou d’intérêt social. Elle est même plus importante car
elle se retrouve à la source même de la société et permet de caractériser la fictivité d’une
société60. Elle n’est cependant pas facile à appréhender du fait de sa nature essentiellement

57 Art. 262 al. 1er L. 17-95.


58La société ici est nulle mais la clause est valable. L’article 1035 DOC considère que les associés ayant renoncé à
percevoir leur part dans les bénéfices ont fait une donation au profit de leur coassocié.
59Une telle clause est nulle et n’entraîne pas la nullité de la société.
60Les juges du fond sont invités à rechercher la présence de deux critères : une collaboration effective à une activité
dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité. Ces éléments doivent traduire la volonté de s’associer et les juges du
fond ont un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si les éléments constitutifs de l’affectio societatis sont

36
subjective et de son origine doctrinale et jurisprudentielle. En effet, l’affectio societatis n’a pas
reçu de définition légale.
Collaboration effective. Tout contrat de société implique la collaboration effective de tous
les contractants à l’œuvre commune en vue de son succès. L’associé ne doit pas être
cantonné dans une attitude passive, en attendant sa part de bénéfice. La société implique
une convergence d’intérêts du fait que les associés prennent ensemble le risque de réaliser
des bénéfices ou de subir des pertes. C’est cette notion d’intérêt commun qui confère au
contrat de société une certaine originalité, car dans les contrats synallagmatiques, les intérêts
des parties divergent et sont souvent antagonistes : chaque partie essaie de maximiser les
profits à son avantage. Dans la société, les associés poursuivent le même objectif ; l’intérêt
d’un associé se confond nécessairement avec celui de ses coassociés.
Les auteurs admettent que l’affectio societatis recouvre des comportements diversifiés,
notamment en fonction de la taille et de la forme de la société. Cette participation effective
pourrait donc être plus ou moins intense. En revanche, l’affectio societatis doit certainement
être beaucoup plus effectif dans les petites sociétés.
Application. La notion d’affectio societatis sert souvent, en pratique, à qualifier le contrat de
société et à le distinguer d’autres situations juridiques qui lui sont proches. Parfois, ce sera
le caractère volontaire et effectif de la collaboration entre les personnes qui permettra de
qualifier le contrat de société.
L’égalité entre actionnaires. La collaboration doit se faire sur un pied d’égalité, ce que
recèle la poursuite d’un intérêt commun et ce qui exclut tout lien de subordination entre les
associés. Par-là, le contrat de société est distinct du droit du travail, même assorti d’une
clause de participation aux bénéfices. Cependant, dans la plupart des cas, la collaboration
n’est pas vraiment égalitaire. Certains associés se comportent comme des maîtres de
l’affaire, les autres se contentant de recevoir les dividendes. Néanmoins, l’égalité reconnue
entre associés ou actionnaires doit permettre de reconnaître à tous les associés le droit de
contrôler, de critiquer le déroulement des affaires sociales, voire d’y participer.
Vraisemblablement, l’affectio societatis ne se conçoit pas à propos de la société unipersonnelle.
Seul un acte unilatéral de volonté préside à l’existence de ce type de société.

CHAPITRE 3 : LES SOCIETES SANS PERSONNALITE MORALE

Annonce. Si toute personne morale suppose un contrat originel, certaines sociétés restent
purement contractuelles ; c’est le cas de la société en participation et de la société créée de
fait. La constitution de ces sociétés s’achève avec la signature du contrat de société, pour la

réunis.

37
société en participation (Section 1), ou s’induit d’un comportement, pour la société créée
de fait, lorsque les tribunaux reconnaissent, dans certaines situations particulières,
l’existence de sociétés de fait ou de sociétés créées de fait (Section 2).

Section 1 : La société en participation (SEP)

Origines. Jusqu’à la loi 5-96, la SEP était une société occulte et devait le demeurer toute sa
vie. Si elle était dévoilée aux tiers, elle perdait cette qualité de SEP pour se transformer en
SNC61. Depuis ladite loi (ayant repris la loi française du 4 janvier 1978 ayant modifié le
régime des SEP), la SEP n’est plus nécessairement occulte.
Définition. La SEP est le contrat par lequel deux ou plusieurs personnes, dites les
« participants », conviennent de partager les bénéfices ou de contribuer éventuellement aux
pertes découlant des opérations qui seront effectuées par l’un d’entre eux en son nom
personnel, mais pour le compte de tous les participants. A l’instar de la société en nom
collectif, la considération des qualités personnelles de chaque associé joue un rôle essentiel.
Caractéristiques. La SEP se distingue principalement par deux caractéristiques des autres
sociétés. Elle n’a pas la personnalité morale62 et par conséquent, n’a aucun attribut de la
personnalité morale. Il ne s’agit pas d’une personne. De cette circonstance plusieurs
remarques peuvent être faites : la SEP n’a ni patrimoine, ni dénomination sociale ni siège
social, tout comme elle ne saurait être créancière ni débitrice. Elle ne peut, non plus, ester
en justice. Cette dernière n’existe que dans les rapports entre associés. Le second trait de
caractère de la SEP, qui découle du premier, est qu’elle n’est soumise à aucune mesure de
publicité et n’est pas enregistrée au registre du commerce63.
Ces sociétés sont assez nombreuses car elles conviennent aux entreprises n’ayant pas
vocation à durer dans le temps, et sont spécialement utilisées par les commerçants désireux
de s’associer pour une opération à durée limitée64. Cette forme sociale constitue aussi,
souvent, le modèle de rattachement des sociétés créées de fait, càd qui naissent
spontanément de la collaboration de plusieurs personnes sans intention claire de créer un
groupement social.
La SEP en tant que contrat repose sur une grande liberté contractuelle. Ses conditions
d’existence (I), de même que son régime juridique (II) seront étudiés dans les

61C’est toujours le cas lorsque celle-ci a un caractère commercial, à moins que les participants n’en aient disposé
autrement (art. 89 al. 2 L. 5-96).
62 Art. 88 al. 2 L. 5-96.
63 Art. 88 al. 3 L. 5-96.
64 La grande utilité pratique de cette société s’explique par le double avantage qu’elle présente : souplesse et discrétion.
C’est une structure légère et peu onéreuse en termes de coût de constitution et de fonctionnement. Elle peut également
s’adapter à des opérations très variées. Elle est ainsi utilisée lors d’une coopération interentreprises, par exemple, pour
constituer un pacte entre deux grands actionnaires pour la gestion de leurs droits de vote dans une troisième société…

38
développements qui vont suivre.

I. Conditions d’existence de la société en participation

Conditions de fond. En tant que véritable société, les participants doivent être au nombre
de deux, faire des apports, participer aux bénéfices, contribuer aux pertes et être animés par
la volonté de s’associer (affectio societatis). Lorsqu’il s’agit d’une SEP occulte à objet
commercial, seul le gérant doit avoir la capacité commerciale car il est seul responsable vis-
à-vis de tiers. Si la société est ostensible, les participants sont tenus, vis-à-vis des tiers,
comme des associés en nom collectif65 et doivent, en conséquence, avoir la capacité
commerciale.
Les droits sociaux de chaque associé sont représentés par des parts d’intérêt qui ne peuvent
être cédés qu’avec le consentement unanime de tous les associés, sauf clause contraire dans
les statuts.
Les apports ne peuvent être effectués que sous forme d’apports en jouissance (sauf clause
contraire), chaque participant conservant la propriété de son apport66 et ne fait qu’en
concéder la jouissance à la société. Toutefois, les participants peuvent décider de mettre
leur apports ou certains d’entre eux en indivision67. Aucun associé ne peut alors demander
le partage des biens indivis avant la dissolution de la société, sauf stipulation contraire 68.
Conditions de forme. Aucune condition de forme ou de publicité n’est exigée. L’existence
de la société peut être prouvée tant par les participants que par les tiers et ce, par tous les
moyens. Il est toutefois recommandé de rédiger un écrit pour déterminer les droits et
obligations des participants et lui conférer date certaine. En effet, l’enregistrement du
contrat ne fait pas perdre à celui-ci son caractère occulte à l’égard des tiers.
Preuve de la SEP. La preuve de ce type de sociétés n’est pas toujours aisée à rapporter. Se
pose ainsi la question de la confusion entre une société non immatriculée et une simple
opération de prêt qui sera parfois rémunérée par une participation aux bénéfices. Le critère
fondamental sera alors l’affectio societatis dont la présence permet de trancher en faveur
de la société lorsqu’il y a un doute sur le groupement : une collaboration effective opérée
dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité sera alors recherchée. En droit français, il
existe un contentieux très abondant de requalification, dont l’enjeu est le régime juridique
de la société en participation.

65 Art. 89 al. 2 L. 5-96.


66 Art. 90 al. 1er L. 5-96.
67 Art. 90 al. 2 L. 5-96.
68 Art. 91 al. 2 L. 5-96.

39
II. Le régime juridique de la société en participation

Dans les rapports des associés entre eux. La liberté statutaire est la règle dans les sociétés
en participation. Les associés conviennent donc librement de l’objet social, de leurs droits
et obligations respectifs et des conditions de fonctionnement de la société69. Si l’objet de la
société est civil, ce sont les règles du DOC qui s’appliquent ; s’il est commercial, ce sont les
règles relatives à la société en nom collectif qui sont appliquées.
Pourtant, certaines règles impératives relatives à la constitution et au fonctionnement des
sociétés doivent être respectées. Notamment, lorsque la société a un objet commercial, les
associés gérants doivent avoir la capacité commerciale si la société est occulte. Si la société
est révélée, tous les associés doivent avoir cette capacité.
Les statuts peuvent désigner un ou plusieurs gérants ; à défaut, tous les participants sont
gérants et chacun d’eux engage sa responsabilité personnelle à l’égard des tiers avec lesquels
il a traité.
La société n’étant pas dotée d’un patrimoine propre, seuls des apports en jouissance sont
possibles et les biens en nature mis à sa disposition restent donc la propriété personnelle
ou indivise des associés. Il est également interdit d’augmenter les engagements des associés
en cours de vie sociale sans leur consentement unanime. L’accord unanime des associés est
en principe nécessaire avant toute cession de parts sociales, sauf disposition statutaire
contraire.
Au moment de la dissolution de la société en participation, chaque associé a droit au
paiement de ses dettes, au remboursement de ses apports et à une part de l’actif subsistant
proportionnellement à ses apports. En l’absence de dispositions statutaires contraires, sont
applicables les règles régissant la société en nom collectif ou la société civile, suivant que la
société en participation a un objet commercial ou civil.
Dans les relations avec les tiers. Lorsque la société en participation est occulte, les tiers
ne sont en rapport qu’avec le gérant. Ils ne connaissent que ce dernier lorsqu’ils ont traité
avec lui et cela s’explique du fait que la société n’a aucune existence juridique pour eux (pas
d’immatriculation). En effet, le gérant agit en son nom personnel et pour son propre
compte (rappelez-vous, la SEP n’a pas la personnalité morale donc pas d’écran entre son
gérant et les tiers). Il est donc seul engagé, même lorsqu’il révèle le nom des autres
associés70, et les opérations qu’il effectue ne produisent effet que sur son patrimoine
personnel. S’il n’honore pas ses engagements envers les tiers, il peut être déclaré en
règlement ou en liquidation judiciaire. Les associés du gérant ne peuvent être poursuivis par
les créanciers de ce dernier et, de la même manière, les débiteurs de la société ne sauraient

69 Art. 89 al. 1er L. 5-96.


70 Art. 89 al. 3 L. 5-96.

40
être poursuivis que par le gérant lui-même, à titre personnel (la société n’est pas habilitée à
ester en justice faute de personnalité morale). On peut dire, au demeurant, que le gérant
d’une SEP est l’ « écran » entre les associés et les tiers. En revanche, lorsque la société est
ostensible, càd lorsque les participants agissent publiquement en qualité d’associé au vu et
au su des tiers, chacun est tenu indéfiniment des engagements souscrits par le gérant 71. La
révélation de la société aux tiers peut se faire de plusieurs manières : publicité, papiers à
entête, ouverture d’un compte bancaire au nom de la société…bref, tout acte révélant
l’existence de la société.
La dissolution de la SEP. La dissolution de la SEP intervient soit après la réalisation de
l’objet social, soit pour une cause personnelle à l’un des associés (incapacité ou décès).
Lorsqu’elle est à durée indéterminée, tout participant peut, à tout moment, demander la
dissolution via une notification adressée aux autres associés72. Faute de personnalité morale,
la dissolution de la SEP consiste en un règlement de comptes entre participants. Les
participants ayant conservé la propriété de leurs apports les reprennent, soit en nature ou
en valeur, et les biens indivis sont partagés entre les associés. Les bénéfices et les pertes
sont liquidés selon les clauses statutaires si celles-ci ont été prévues, dans le respect du
principe de proportionnalité à défaut73.

Section 2 : La société créée de fait et la société de fait

Seront successivement étudiées dans cette section la société créée de fait (I), puis la société
de fait (II). Il convient de ne pas confondre les deux.

I. La société créée de fait

Notion. La société créée de fait ne fait pas l’objet d’une définition légale. Celle-ci serait la
situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se comportent, en fait, comme des
associés, sans avoir entrepris les démarches nécessaires à la constitution d’une société et
sans en avoir pleinement conscience (car n’ayant tout simplement pas exprimé entre elles
la volonté de constituer une société). Ce n’est donc que par une analyse a posteriori des liens
existants entre lesdites personnes que l’on s’aperçoit de l’existence de tous les éléments
inhérents au contrat de société.
Il convient d’en étudier les conditions d’existence (A), puis le régime juridique (B).

71 Ibidem.
72 Art. 91 al. 1 L. 5-96.
73 Art. 1033 DOC.

41
A. Conditions d’existence de la société créée de fait
Eléments constitutifs de la société créée de fait. Afin de caractériser l’existence d’une
société créée de fait, les juges observent si les éléments du contrat en général, et du contrat
de société en particulier sont réunis. Comme tout contrat, la société créée de fait doit
répondre aux exigences relatives au consentement des parties, à leur capacité de contracter
et avoir un objet et une cause licites. Une mise en commun d’apports doit être effectuée.
Ils peuvent être en numéraire, en nature et, comme c’est très souvent le cas pour au moins
un associé, en industrie. La participation aux résultats suppose une participation non
seulement aux bénéfices, mais aussi une contribution aux pertes, ce qui ne sera pas le cas
en l’absence de risque supporté par l’un des associés. La preuve de l’existence de ces
éléments constitutifs peut être apportée par tout moyen. Cependant, la preuve de l’affectio
societatis est difficile à rapporter puisque, par définition, les personnes n’ont pas eu la volonté
de collaborer à une œuvre commune. Cet élément n’en est pas moins déterminant car il doit
faire apparaître qu’il y a bien eu participation à une activité commune.
Intérêt de la société créée de fait. L’intérêt d’une telle société (c’est en réalité une
technique, un mécanisme, plus qu’une société au sens littéral du terme) se retrouve dans les
relations de famille. En droit français, cette technique est particulièrement invoquée devant
les juges du fond en matière de concubinage, lorsqu’un(e) concubine a notamment
contribué à la prospérité de l’entreprise de l’autre concubin(e) et qu’au moment de la
rupture, il (elle) essaie de faire valoir cette circonstance pour obtenir une compensation.
Mais la société créée de fait peut également être invoquée entre frères et sœurs, parents et
enfants…. Cependant, elle ne peut être invoquée par les parties si celles-ci ont clairement
déterminé, dès le début de leurs relations, le cadre juridique de leurs relations contractuelles.
Ce n’est qu’à défaut de toute organisation préalable qu’il est possible d’y recourir pour
compenser, notamment, les effets négatifs d’une rupture de concubinage.

B. Le régime juridique de la société créée de fait


Lorsque l’existence de la société créée de fait est établie, il lui est fait application du régime
juridique de la société en nom collectif, càd responsabilité indéfinie et solidaire des associés
à l’égard des tiers lorsque la société a un caractère commercial.
Il faut bien comprendre que la société créée de fait n’est souvent reconnue juridiquement
que le jour où il doit être procédé à sa liquidation. En effet, c’est la rupture des relations
entre les associés, voire l’action des créanciers de ceux-ci qui révèleront l’existence d’une
telle société entre eux, pour en demander la liquidation.

II. La société de fait


Définition. La société de fait est une société voulue et créée selon une forme sociétaire

42
bien déterminée. Sauf que, par suite d’un vice affectant sa validité, ou d’une irrégularité
entachant sa constitution, la société sera annulée après avoir fonctionné un certain temps.
Effet atténué de la théorie des nullités. En principe, la nullité a un effet rétroactif et tous
les actes passés par la société doivent être déclarés nuls et de nul effet. Cependant, et pour
éviter les conséquences économiques néfastes d’une telle situation, la jurisprudence 74
atténue les effets de la nullité pour ne les faire jouer que pour l’avenir. Tout se passe comme
si la société a fonctionné normalement jusqu’au jour du prononcé de sa nullité. Dès le
prononcé de la nullité, la société est dissoute et liquidée conformément aux dispositions
statutaires et légales présidant à la forme sociétaire choisie. Cette atténuation des effets de
la nullité tient au fait que la théorie des nullités est difficilement applicable au contrat de
société. La spécificité de ce dernier est de donner naissance à une personne morale
disposant d’un patrimoine propre et engagée par différentes opérations vis-à-vis des tiers.
Décider purement et simplement que cette personne n’a jamais existé en application de la
théorie des nullités conduit à nier la réalité de son existence et, par suite, de la multitude de
contrats passés par celle-ci. Le législateur lui-même a consacré cette solution75 et offre
plusieurs possibilités de régularisation a posteriori, de sorte que le prononcé de la nullité d’une
société devrait, en théorie, être très rare76.

74 Rabat, 18 nov. 1933, D., 1935, II, 30, note P. Pic.


75 Art. 346 L. 17-95 et art. 61 L. 5-96.
76 Sauf cas de mauvaise volonté des associés de régulariser le vice ou l’irrégularité affectant la constitution de la société.

43
TITRE 2 : LA PERSONNALITE MORALE DE LA SOCIETE

Définition. « Une personne morale est le groupement de plusieurs individus animés par la
réalisation d’un but commun et auquel la loi confère la personnalité juridique »77. Le droit
marocain n’attribue pas expressément la personnalité morale aux sociétés. Celle-ci découle
implicitement des attributs que la loi reconnaît aux sociétés, et qui sont autant de
manifestations de la personnalité morale. Elle découle également de trois textes de lois : le
dahir du 12 août 1913 sur la condition civile des étrangers au Maroc (DCC) en son article
6, lequel assimile les sociétés civiles et commerciales aux personnes physiques. Les deux
autres lois sont celles relatives aux sociétés commerciales : la loi 17-95 et la loi 5-96,
lesquelles disposent que les sociétés commerciales n’acquièrent la personnalité morale qu’à
compter de leur immatriculation au registre du commerce (ci-après RC).
Personnalité morale et société. En règle générale, le contrat de société donne naissance
à un être juridique nouveau, dont l’existence va être indépendante et qui sera doué d’une
vie juridique propre. Cependant, la jouissance de la personnalité morale est subordonnée
pour toutes les sociétés, aussi bien civiles que commerciales, à l’accomplissement d’une
formalité : l’immatriculation au RC.
La notion de personnalité correspond essentiellement à un procédé de technique juridique
destiné à conférer au bénéficiaire une aptitude à devenir sujet de droits et d’obligations. Par ce
procédé, non seulement les personnes physiques se voient, à leur naissance, conférer cette
personnalité, mais aussi certains groupements et organisations. Ces personnes sont
désignées traditionnellement sous le vocable « personne morale ». L’avantage principal pour
un groupement de se voir attribuer une telle personnalité juridique est de lui conférer une
certaine autonomie eu égard aux droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux attachés.
La source de l’attribution de la personnalité morale a fait l’objet d’une controverse
doctrinale opposant la théorie de la fiction à celle de la réalité.
La théorie de la fiction. Soutenue par les juristes allemands IHERING et SAVIGNY au
XIXème siècle, cette théorie refuse l’attribution de la personnalité à toute autre personne que
celle dotée d’une faculté de vouloir et d’agir. Dès lors, seul l’homme peut être réellement
sujet de droits et d’obligations. Toutefois, par un acte de volonté, l’Etat souverain peut
décider d’octroyer de manière artificielle la personnalité morale à des groupements de
personnes ou de biens. Il en résulte qu’une loi est nécessaire pour attribuer la personnalité
morale. Pour les tenants de cette théorie, c’est donc le droit positif qui confère la
personnalité juridique à des sujets de droit créés artificiellement pour satisfaire certaines fins
pratiques qui n’auraient pu être réalisées autrement.
La théorie de la réalité. Selon cette théorie, défendue en France par François GENY, la
volonté est le seul critère permettant de révéler l’existence d’une personne. En effet, Cette
dernière considère que les êtres collectifs sont tous aussi réels que les personnalités

77 M. EL MERNISSI, Traité marocain de droit des sociétés, Paris, LexisNexis, 2019, p. 93.

44
physiques. Le droit ne fait que constater une réalité qui est à la fois psychosociologique,
psychologique et institutionnelle. Cette volonté suffit dès lors à révéler l’existence du
groupe, sans passer nécessairement par le législateur. Il convient ainsi de reconnaître la
personnalité juridique, même dans le silence de la loi, à tout groupement qui a un intérêt
collectif distinct de ses membres et qui obéit à une certaine organisation.
Plan. Seront successivement abordés dans ce titre les formalités inhérentes à la constitution
de la société (Chapitre 1), son organisation (Chapitre 2) puis, sa dissolution (Chapitre 3).

CHAPITRE 1 : LA CONSTITUTION DE LA SOCIETE

Particularité de la procédure d’immatriculation. L’acquisition de la personnalité morale


est subordonnée à l’immatriculation de la société au registre du commerce78. En effet, les
formalités nécessaires à l’obtention de la personnalité morale pour les sociétés ne trouvent
pas d’équivalent dans le droit commun des contrats. Elles se justifient par un souci de
protection des tiers mais aussi des associés. En effet, les tiers qui seront amenés à traiter
avec la société doivent être informés de la naissance d’une nouvelle personne morale, de
savoir de quel crédit elle dispose (càd quel est le montant de son capital social) ainsi que des
personnes qui la gèrent. La formalité de publicité concerne également les créanciers
personnels des associés, qui doivent avoir une idée claire et précise quant aux biens que les
associés, débiteurs à leur égard, ont décidé d’affecter au patrimoine de la société (et qui ne
feront donc plus partie du gage général). A l’égard des associés, ceux-ci doivent également
connaître leurs droits et obligations bien après la fondation de la société.
L’acquisition de la personnalité morale se révèle donc être une formalité de la plus haute
importance (Section 1), dont les effets doivent être déterminés (Section 3). Pour autant, et
bien avant l’immatriculation, la société dans de très nombreux cas commence à
fonctionner79. On parle alors de « société en formation » (Section 2).

Section 1 : L’acquisition de la personnalité morale

L’acquisition de la personnalité morale passe par l’immatriculation au Registre du


commerce80. Ainsi, des formalités de constitution doivent être respectées (I), sous peine de

78 Art. 2 L. 5-96 ; art. 7 L. 17-95. Il convient néanmoins de savoir que l’immatriculation ne concernait, jusqu’à la loi
n° 31-18, que les sociétés commerciales à l’exclusion des sociétés civiles. L’adoption de cette loi à l’unanimité le 26
juillet 2019 a pour objet de faire face au phénomène de la spoliation des biens immobiliers d’autrui. Par conséquent,
l’immatriculation de toutes les sociétés civiles immobilières deviendra obligatoire au registre du commerce.
79Art. 994 DOC : « La société commence dès l’instant même du contrat, si les parties n’ont établi une autre date.
Cette date peut même être antérieure au contrat ».
80Art. 7 L. 17-95 : « Les SA jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce
(…) ».

45
sanction des éventuelles irrégularités (II).

I. Les formalités de constitution


Plan. La rédaction des statuts constitue l’élément central des formalités visant
l’immatriculation d’une société. C’est pourquoi il convient de distinguer celles qui sont
préalables à la signature des statuts (A), et celles qui lui sont postérieures (B).

A. Les formalités préalables à la signature des statuts


Les formalités préliminaires. Le contrat de société suppose le plus souvent une période
préalable, régie pour l’essentiel par le droit commun des avant-contrats. En effet, à l’origine,
il n’existe qu’un simple projet de société. Les parties envisagent de s’associer, mais elles ne
sont pas encore parvenues à s’accorder sur les éléments essentiels de la future société. Il ne
s’agit que d’une invitation à entrer en pourparlers et, juridiquement, le projet de société
n’engendre aucune obligation à la charge des parties qui restent libres de poursuivre, ou
non, les négociations. Ce n’est que si les négociations progressent que le projet se
transforme en promesse de société. Les fondateurs ou les futurs associés ont, à ce stade, pu
envisager la forme de la société, le montant de son capital, le lieu de son siège et la
répartition des pouvoirs et fonctions. En cas de rupture de la promesse, l’exécution forcée
ne pourra être exigée et la sanction ne pourra consister qu’en l’octroi de dommages-intérêts
sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle. Si en revanche, les parties se sont
mises d’accord sur tous les éléments et poursuivre leur projet, l’étape qui suivra est celle de
l’établissement et de la signature81 de l’acte social appelé « statuts ».
La rédaction et la signature des statuts. Pour toutes les sociétés destinées à être dotées
de la personnalité morale, la loi prescrit la rédaction de statuts82. Un certain nombre de
mentions obligatoires doivent y figurer, qui comprennent l’indication du montant des
apports de chaque associé, la forme juridique de la société, sa durée, sa dénomination, son
siège et son objet. Ils doivent préciser les modalités de fonctionnement de la société83.
Les statuts peuvent être rédigés par acte authentique ou sous seing privé et doivent être
signés par tous les associés. Les statuts constituent non seulement le support nécessaire à
la publicité84 eu Registre du commerce mais aussi le fondement du pacte social : c’est à la

81 Art. 18 L. 17-95 : « Les statuts sont signés par les actionnaires en personne, soit par mandataire justifiant d’un pouvoir
spécial ».
82Cf. art. 37 al. 1 du Code de commerce : « Sont tenues de se faire immatriculer au registre du commerce toutes les
personnes physiques et morales, marocaines ou étrangères, exerçant une activité commerciale sur le territoire du
Royaume (…) ».
V. aussi l’art. 45 : « Les sociétés commerciales doivent mentionner dans leur déclaration d'immatriculation (…).
83 Art. 45, 6° Code de commerce : « (…) les noms des associés ou des tiers autorisés à administrer, gérer et signer pour
la société (…) ».
84 Art. 11 al. 1er L. 17-95 : « Les statuts de la société doivent être établis par écrit ».

46
date de leur signature que l’on apprécie les conditions requises pour la validité du contrat.
L’importance des statuts est telle qu’ils vont régir l’ensemble de la vie sociale et leur
modification ne pourra avoir lieu en cours de vie sociale que selon une procédure lourde et
complexe.
Outre les statuts, l’acte de société (statuts) comporte des « annexes » qui précisent les
décisions relatives aux premiers dirigeants, et contiennent le rapport des commissaires aux
apports (lorsqu’il y en a eu, en cas d’apports en nature85), ainsi que l’état des actes accomplis
par les fondateurs pendant la période où la société est dite « en formation »86. C’est cet état
des actes accomplis avant que la société ne soit immatriculée qui fera l’objet d’une reprise
ultérieure87, par la société nouvellement constituée, pour lui être pleinement imputable.

B. Les formalités postérieures à la signature des statuts

Dépôt au greffe. Deux exemplaires des actes et pièces de constitution de la société dûment
enregistrés doivent être déposés au greffe du tribunal de commerce ou, à défaut, du tribunal
de première instance du lieu du siège social auprès duquel le registre de commerce est tenu.
Ce dépôt permet à toute personne intéressée de consulter ces documents ou de s’en faire
délivrer une copie. Le dépôt au greffe doit être effectué dans les trente jours de la
constitution pour les sociétés de personnes et les SARL88. Pour les SA, la loi ne prévoit pas
de délai. La constitution doit, après immatriculation au registre du commerce, faire l’objet
d’une publicité au moyen d’avis au Bulletin officiel et dans un journal d’annonces légales
dans un délai ne dépassant pas les trente jours89.
Publication. La publication est faite à la diligence et sous la responsabilité des dirigeants,
ou par tout mandataire qualifié90, d’un extrait des actes constitutifs dans un journal
d’annonces légales du lieu du siège social et au Bulletin officiel 91. La première publication
peut être faite, au choix des dirigeants, en langue arabe ou en langue française dans un
journal habilité à recevoir les annonces légales. La seconde publication est faite
obligatoirement en langue arabe dans l’édition des annonces légales du Bulletin officiel.
Ces deux formalités de publicité sont prescrites à peine de nullité des sociétés de personnes,

85 Art. 24 L. 17-95.
86 Voire notre Section 3 de ce Chapitre.
87 En effet, l’article 20 de la loi 17-95 précise bien que la prise de fonctions des premiers administrateurs, des premiers
membres du conseil d’administration et des premiers commissaires aux comptes est effective à compter de
l’immatriculation de la société au RC, bien que leur désignation ait eu lieu dans les statuts ou par acte séparé ait eu lieu
antérieurement.
88 Art. 95 al. 1 L. 5-96.
89 Art. 33 L. 17-95 et art. 96 L. 5-96.
90 Art. 15 L. 17-95.
91 Art. 13 L. 17-95.

47
des sociétés à responsabilité limitée et des groupements d’intérêt économique, sous réserve
des régularisations prévues par la loi. Par ailleurs, toute modification ultérieure des statuts
doit également être soumise aux mêmes formalités de dépôt et de publication.
Immatriculation au Registre du commerce. Le greffier qui reçoit la demande
d’immatriculation doit s’assurer, sous sa responsabilité, de sa régularité et vérifier que les
énonciations fournies sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires en
vigueur. L’immatriculation au RC doit intervenir dans les trois mois de la constitution. Cette
immatriculation rend l’existence de la société opposable aux tiers.

II. Les sanctions des irrégularités de constitution

La régularisation privilégiée à la nullité. A partir du moment où la loi institue des règles


impératives et contraignantes pour la constitution d’une société, il semble évident que la
non-observation desdites règles expose à des sanctions. En effet, la sanction d’une
irrégularité de constitution est la nullité de la société 92. Cette sanction semble toutefois
emporter nombre de conséquences négatives, notamment pour les tiers ayant été amenés à
contracter avec la société. Dans ces conditions, le législateur a essayé d’établir un équilibre,
conscient que la sanction de la nullité n’était pas la plus appropriée en droit des sociétés.
Pour ce faire, le mécanisme de la régularisation a posteriori a permis de préserver la sécurité
des transactions, en rendant exceptionnel le prononcé de la nullité d’une société.
Corrélativement, la responsabilité civile et pénale des premiers dirigeants s’en est trouvée
aggravée93. En pratique donc, le régime des nullités est rarement mis en œuvre.
Le régime des nullités. Il est défini aux articles 337 à 348 de la loi 17-95. Il s’applique à
toutes les sociétés commerciales94. Ce régime définit les causes de nullité de manière
expresse95 et limitative. En effet, la nullité ne saurait résulter de causes autres que celles
énoncées à l’article 33796. Lorsqu’une cause de nullité existe, la nullité doit être mise en
œuvre par celui qui a le droit d’agir. En principe, toutes les nullités peuvent être couvertes
à l’exception de celles fondées sur l’illicéité de la cause (art. 985 DOC), de l’objet (art. 986
DOC) ou résultant de la constitution d’une société entre le père et le fils ou entre le tuteur
et le mineur (art. 984 DOC). Par ailleurs, le législateur a donné le maximum de chance pour
permettre la régularisation a posteriori et échapper à la sanction de nullité. Par exemple, le
tribunal ne saurait prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’introduction
de l’instance ; il peut même impartir à la société un délai pour couvrir la nullité97. En droit

92 Art. 346 al. 1er : « Lorsque la nullité de la société est prononcée, celle-ci se trouve de plein droit dissoute sans
rétroactivité (…) ».
93
94 Art. 1er al. 2 L. 5-96 lequel renvoie aux articles 337 à 348 de la loi 17-95.
95 Bien que la loi 17-95 n’énonce clairement aucune cause expresse de nullité pour les SA.
96 C’est là une application du principe « pas de nullité sans texte ».
97 Art. 340 al. 1er L. 17-95.

48
commun, pour apprécier les éléments du litige, le tribunal doit se placer à la date de
l’introduction de l’instance, ce qui n’est pas le cas ici.
Effets de la nullité. Lorsque la nullité est prononcée, la société est dissoute de plein droit
sans rétroactivité. A l’égard de la société et dans les rapports entre associés, la nullité produit
les mêmes effets qu’une dissolution judiciaire et il doit être procédé à la liquidation selon
les dispositions statutaires. Tout se passe comme si la société est dissoute après avoir
normalement fonctionné. Surtout, elle conserve la personnalité morale pour les besoins de
la liquidation. A l’égard des tiers de bonne foi (càd ceux qui ignoraient le risque d’annulation
de la société), ni la société, ni les actionnaires ne peuvent se prévaloir de la nullité98.
L’action en régularisation. Afin de prévenir les causes de nullité, le législateur a mis en
place un dispositif pour le moins ingénieux. En effet, lorsque les statuts ne contiennent pas
toutes les mentions obligatoires requises, ou qu’une formalité a été omise ou irrégulièrement
accomplie, tout intéressé99 de même que le ministère public peuvent demander en justice que
soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution de ladite société. L’action
en régularisation a pour objet de rendre la constitution conforme aux prescriptions légales.
Elle se prescrit par trois ans à compter100, soit de l’immatriculation ou de l’inscription
modificative au registre du commerce en cas de modification des statuts. Ce délai peut être
suspendu ou interrompu dans les conditions du droit commun.

Section 2 : Le statut de la société en formation

Une période de flottement ? En pratique, la société est le résultat de plusieurs étapes. Le


processus de constitution d’une société commence, nous l’avons vu, par la signature des
statuts. Il se poursuit avec l’accomplissement de formalités administratives, aboutissant à
l’immatriculation. Durant cette période, la société est dite « en formation »101. En théorie,
avant l’immatriculation, c’est le néant. Durant la période de constitution de la société se
pose le problème du régime juridique de la société en formation. Après avoir exposé la
notion de « société en formation » et compris ce que celle-ci recouvre (I), le sort des actes
passés pendant cette période méritera d’être précisé (II).

I. Notion de « société en formation »

Difficultés inhérentes à la « société en formation ». Le législateur (tant français que

98 Art. 347 L. 17-95.


99Il convient d’entendre par le terme « intéressé » les actionnaires eux-mêmes, les dirigeants, les commissaires aux
comptes et les créanciers. L’intervention de ministère public se justifie par le fait que la constitution et le
fonctionnement réguliers des SA participent de l’ordre public économique =) caractère institutionnel de la SA.
100 Art. 345 L. 17-95.
101 Art. 27 al. 1 L. 17-95, lequel est applicable à toutes les sociétés commerciales.

49
marocain) utilise la notion de société en formation sans en préciser les contours. Il est donc
revenu à la doctrine de définir la notion qui, selon elle, comporte deux éléments. D’un côté,
la société en formation est une société régulièrement constituée, ou en phase de l’être (car
les formalités administratives ne sont pas encore achevées). Mais, d’un autre, elle n’est pas
encore immatriculée et n’a donc pas encore acquis la personnalité morale. La société en
formation est donc une société en devenir. Elle ne doit pas être confondue avec la société
en participation, où les associés décident volontairement de ne pas immatriculer leur
société. La société en formation suppose à l’inverse la volonté des participants de
l’immatriculer. Elle se confond encore moins avec la société créée de fait qui se déduit du
comportement des personnes considérées.

1 Il s’agit tout d’abord d’une société contractuellement valable. A ce stade, la société


existe déjà dans la mesure où l’immatriculation n’incarne pas une formalité de
constitution, mais d’attribution de la personnalité morale.

2 Il convient ensuite de prendre en considération le fait que la société en formation


représente un groupement non encore immatriculé, mais dont les membres envisagent
l’immatriculation. C’est ce qui la différencie de la société en participation. Si dans
la société en formation, l’inscription au RC constitue une perspective à plus ou moins
brève échéance, dans la société en participation, les associés conviennent entre eux de ne pas
immatriculer le groupement social.

La seconde difficulté tient au fait qu’aucune disposition législative ne fixe la durée de la


période de formation. Or, le début de cette période est difficile à fixer : on s’accorde à dire
qu’il s’agit du moment où les participants signent les statuts mais elle peut aussi bien avoir
lieu avant, à considérer que les statuts matérialisent l’intention ferme et non équivoque des
participants de s’associer. De ce silence du législateur peuvent naître des situations où une
société peut rester en formation pour une durée assez longue, sans qu’elle n’encourt de
sanction.
Application des règles du DOC. Jusqu’à l’immatriculation, il n’existe donc qu’un contrat
de société. La société est dite en période de formation dont le début se situe avant la constitution
-donc avant la signature des statuts-, et la fin, à la date de l’immatriculation de la société au
registre du commerce. Son régime est défini à l’article 8 de la loi 17-95. Il est applicable à
toutes les sociétés commerciales. Selon cet article, dès la signature des statuts et jusqu’à
l’immatriculation, le contrat de société et les principes du droit applicables aux obligations
et aux contrats régissent les rapports entre associés. Le caractère contractuel de la société
ici est prégnant dans la mesure où cette dernière ne bénéficie pas encore de la personnalité

50
morale. Elle ne peut donc, en tant que telle, s’engager vis-à-vis des tiers ni faire d’opérations
par elle-même.

II. Le sort des actes accomplis pendant la période constitutive


Solution. La période précédant l’immatriculation d’une société est soumise à un régime
complexe. En effet, l’article 27 de la loi 17-95 dispose que « les personnes qui ont agi au
nom de la société en formation avant qu’elle n’ait acquis la personnalité morale sont tenues
solidairement et indéfiniment des actes accomplis au nom de la société, à moins que la
première assemblée générale ordinaire ou extraordinaire de la société régulièrement
constituée et immatriculée ne reprenne les engagements nés desdits actes ». L’alinéa second
du même texte poursuit en précisant que « ces engagements sont alors réputés avoir été
souscrits dès l’origine par la société ». Le législateur consacre ainsi le mécanisme de
reprise qui permet en réalité d’opérer une substitution de débiteur (A), et qui s’oppose aux
cas de défaut de reprise (B).

A. La reprise des engagements par la société


Les conditions de fond. La décision de reprise appartient à la société elle-même mais
suppose au préalable l’immatriculation de la société, puisque cette reprise ne peut être
effectuée que par une personne dotée de la capacité juridique (en l’occurrence la société).
Quant à la nature des actes susceptibles d’être repris, les articles 27 et 29 de la loi 17-95
visent « les actes et engagements souscrits » sans préciser lesquels. Toutefois, il semblerait
que les actes pouvant faire l’objet de reprise sont les actes juridiques de type contractuel, à
l’exclusion des engagements et créances de type délictuel ou d’actions en justice, ainsi qu’a
pu le juger la Cour de cassation française. Il doit en outre être apporté la preuve que lesdits
actes ont été pris au nom et pour le compte de la société en formation.
Les modalités de la reprise. Pour les actes accomplis pour le compte de la société
antérieurement à sa constitution, càd avant la signature des statuts, l’article 29 de la loi 17-
95 prévoit qu’il peut être dressé un état de ces actes, qui sera annexé aux statuts. L’alinéa 1
de ce même texte prévoit que « (…) la signature des statuts emportera reprise de ces
engagements par la société lorsque celle-ci aura été immatriculée au registre du commerce.
Si les futurs associés ne veulent pas reprendre ces engagements, il leur suffit de ne pas signer
les statuts et la société n’est pas constituée. En revanche, s’ils sont favorables à cette reprise
et qu’ils signent, c’est la société qui se substituera aux fondateurs dès son immatriculation.
Entre la signature des statuts et l’immatriculation de la société, et s’il n’est pas fait
publiquement appel à l’épargne, les associés peuvent donner mandat à l’un ou plusieurs
d’entre eux ou de prendre des engagements pour le compte de la société. Pour ces actes,
l’immatriculation de la société au RC emportera reprise par la société sous réserve « qu’ils

51
soient déterminés et que leurs modalités soient précisées par le mandat »102.
S’il est fait publiquement appel à l’épargne, l’immatriculation de la société au registre du
commerce emportera reprise des engagements pour la société si la première assemblée
générale ordinaire ou extraordinaire en décide ainsi 103. En dernier lieu, et qu’il soit ou non
fait appel public à l’épargne, les actes accomplis pour le compte de la société en formation
et qui n’ont pas été portés à la connaissance des futurs actionnaires doivent être repris par
décision de l’assemblée générale ordinaire.
Pour résumer, il y a trois modes de reprise des actes : la reprise automatique tout d’abord,
qui porte à la fois sur les actes accomplis avant ou après la signature des statuts ; entre la
signature des statuts et l’immatriculation, s’il y a mandat pour passer les actes, la reprise est
possible SOUS RESERVE que le mandat soit bien déterminé et ses modalités précisées ; la
reprise sur décision de l’assemblée générale après l’immatriculation. En effet, à la
suite de son accession à la vie juridique (càd après avoir été immatriculée et obtenu la
personnalité juridique), la société peut valablement reprendre les engagements qui ont été
souscrits en son nom durant la période de formation mais qui ne figuraient ni sur l’état
annexé aux statuts ni dans le mandat spécial. Cette reprise ne saurait opérer tacitement,
notamment du seul fait de l’exécution des engagements par les dirigeants de la société. Elle
doit résulter d’une décision expresse, répertoriée dans le registre prévu à cet effet, de
l’assemblée des associés, après l’immatriculation de la société.
Les effets de la reprise. L’acte est considéré comme ayant été souscrit, dès l’origine, par
la société. L’intérêt essentiel de la reprise réside donc dans sa rétroactivité. La loi permet de
faire remonter rétroactivement la naissance de la personnalité morale avant
l’immatriculation au registre du commerce. Dans ce cas, les engagements pris sont réputés
avoir été souscrits dès l’origine par la société. Cette reprise libère toutes les personnes qui
avaient agi au nom de la société et qui, en vertu de la solution de principe, étaient tenues
pour responsables de ces actes. La reprise permet également de passer outre le défaut initial
de qualité pour agir de la société.

B. Le défaut de reprise
Règle. En l’absence de reprise, c’est le principe de la responsabilité personnelle des
personnes qui ont agi au nom de la société en formation qui s’applique. Cette responsabilité
est solidaire si la société est commerciale, sans solidarité si la société est civile.

102 Art. 29 al. 2 L. 17-95.


103 Art. 29 L. 17-95, al. 3.

52
Section 3 : Les effets de la personnalité morale

L’aptitude de la société à être titulaire de droits. Une fois dotée de la personnalité


morale, la société a la capacité juridique d’agir par elle-même (capacité de jouissance et
capacité d’exercice). Elle jouit d’une capacité pleine et entière, en ce sens qu’elle ne saurait
être frappée par aucune cause d’incapacité qui frappe les personnes physiques. La seule
limite à sa capacité est celle qui découle du principe de spécialité. La société peut ester en
justice. En revanche, une personne morale ne saurait, seule et par elle-même, exercer ses
droits et agir d’elle-même. Cette incapacité d’exercice contraint la société à recourir à des
personnes physiques pour la représenter. C’est notamment le cas des représentants légaux
tels que les gérants pour les sociétés régies par la loi 5-96, le président directeur général
(PDG), le directeur général (DG)…Les représentants légaux agissent es qualité en usant de
la dénomination sociale dans le seul intérêt de la société.
En tant que personne morale titulaire de droits et d’obligations, la société dispose donc d’un
certain nombre d’attributs et de responsabilités. Ces attributs font qu’elle a un statut
juridique très proche de celui des personnes physiques. Il convient dès lors de distinguer les
attributs extrapatrimoniaux (I) et les attributs patrimoniaux (II) de la société, avant de
s’intéresser à la responsabilité qui peut être tienne (III).

I. Les attributs extrapatrimonaiux


Une fonction d’individualisation de la société. Ces attributs permettent d’individualiser
la société. Tout comme pour les personnes physiques, cette individualisation s’opère par
l’attribution d’un nom (la dénomination sociale), d’un domicile (le siège social) et d’une
nationalité. Il existe en outre un critère propre aux sociétés : leur qualité civile ou
commerciale.
La dénomination sociale. Elle sert à distinguer la société à la fois des autres sociétés et
de ses propres associés. C’est à la fois un élément d’identification de la société et un droit
de propriété incorporelle. Ainsi, toute société doit avoir une appellation figurant dans ses
statuts104. La dénomination sociale constitue une mention obligatoire devant être indiquée
dans les statuts, précédée ou suivie immédiatement de la désignation de la forme de la
société. Les sociétés choisissent librement leur dénomination sociale qui peut être tirée de
l’objet de l’entreprise, qui peut être une dénomination de fantaisie ou comporter le nom
d’un ou plusieurs associés. Le choix de l’appellation est donc libre, malgré quelques limites :
il est impossible de choisir plusieurs dénominations pour une même société, d’attribuer une
dénomination contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou celle d’une société

104 Sous l’empire de l’ancien Code de commerce de 1913, les sociétés de personnes devaient obligatoirement être
désignés par une raison sociale composée du nom d’un ou de plusieurs associés pour marquer leur engagement collectif
vis-à-vis des tiers. Avec les nouvelles lois sur les sociétés, toutes les sociétés sont désignées par une dénomination
sociale. Par conséquent, la raison sociale même si elle continue à être utilisée dans les mots de la loi, elle se confond
aujourd’hui avec la dénomination sociale.

53
concurrente105 (concurrence déloyale).
Le changement de dénomination obéit aux formalités requises pour la modification des
statuts.
Le siège social. Toute société doit avoir un siège social, qui est mentionné dans les statuts.
Celui-ci constitue le domicile de la personne morale106, le lieu du principal établissement, là
où se trouvent les organes de direction et les services administratifs, le centre de la vie
juridique de la société. Le lieu du siège social détermine l’endroit où doivent être effectuées
les formalités de publicité. Au regard de la nationalité, le lieu du siège social détermine la
nationalité de la société et de la loi applicable.
Cependant, le siège statutaire ne correspond pas toujours à la réalité. Il peut consister en
une simple adresse, sans correspondre au siège réel de la société107, càd le lieu où se prennent
les décisions et où se tient l’assemblée générale. Les conséquences de la localisation du siège
social se traduisent en termes de compétence, d’information et de nationalité de la société.
Lorsque la société est assignée en justice, elle doit l’être devant le tribunal du lieu où elle est
établie. Au Maroc, c’est le siège social effectif qui confère à la société la nationalité
marocaine108 et qui lui rend applicable la législation marocaine109.
La nationalité de la société. En tant que lien de dépendance politique unissant une
personne à un Etat, la nationalité n’est pas un attribut des seules personnes physiques. Les
sociétés, elles aussi, ont une nationalité110. La nationalité marocaine est implicitement
reconnue aux sociétés au terme de l’article 110 alinéa 1 de la loi 17-95, lequel interdit à
l’assemblée générale extraordinaire de changer la nationalité de la société.

II. Les attributs patrimoniaux


Le patrimoine social. La société dotée de la personnalité morale a un patrimoine distinct
de celui des associés111. Elle peut dès lors être débitrice, créancière ou propriétaire. L’actif

105D’où la nécessité d’effectuer une recherche d’antériorité au registre central du commerce tenu à l’Office marocain
de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC)pour obtenir un certificat négatif (art. 33 Code du commerce). Ce
certificat est d’ailleurs requis au moment du dépôt au greffe de la constitution de la société.
106Art. 522 C. proc. civ.
107Notamment pour des raisons fiscales, de nombreuses sociétés peuvent fixer leur siège dans des paradis fiscaux. De
la même manière, pour des questions de compétence territoriale ou pour profiter d’une législation plus attractive.
108 Art. 7 de dahir relatif à la condition civile des étrangers au Maroc (DCC).
109 Art. 5 L. 17-95.
110Lorsqu’on évoque les multinationales, celles-ci n’ont également qu’une seule nationalité. Ce n’est que par abus de
langage que le terme « multinationale » est employé, pour désigner le fait que ces sociétés exercent leurs activités dans
plusieurs pays. En réalité, celui-ci est porteur d’une connotation économique.
111 Ceci signifie que les associés ne sont pas copropriétaires des biens qu’ils ont affecté à la société au moment de sa
constitution. Ils ne sont titulaires que de droits sociaux (parts sociales ou actions) comportant des droits financiers
(droit aux bénéfices, au boni de liquidation...) et politiques (droits d’accès aux assemblées, de vote, à l’information...).
Les apports initiaux effectués deviennent donc la propriété de la société et les associés n’ont qu’un droit de créance sur
la société. Cette créance porte sur les bénéfices, le remboursement des apports et sur le boni de liquidation. C’est un
droit personnel de nature mobilière, et ce alors même que la société possède des immeubles.

54
social se compose des biens apportés à la société lors de sa constitution et des biens acquis
postérieurement. Il constitue le gage des créanciers de la société. Le passif social comprend
les dettes de celle-ci, notamment les droits de créance des associés à l’égard de la société,
qui constituent le capital social.
Les capitaux propres. Tandis que le patrimoine social reste une notion abstraite, les
capitaux propres représentent la véritable valeur de la société. Ceux-ci comprennent, outre
le montant du capital social, les réserves ou les pertes de la société. Ils donnent la mesure
de sa situation financière. S’ils deviennent inférieurs au montant du capital social, cela
signifie que la société a subi des pertes d’un montant supérieur à celui du capital social
augmenté des éventuelles réserves.
En contrepartie de ces attributs, qui sont en réalité des droits, la personne morale acquiert,
à l’instar des personnes physiques, des devoirs dont le non-respect engage sa responsabilité.

III. La responsabilité de la société

Responsabilité civile de la personne morale. Sur le plan civil, la société encourt une
responsabilité de droit commun de nature contractuelle comme délictuelle. En revanche,
l’attribution de la personnalité morale a pour effet de substituer celle-ci à la responsabilité
personnelle des associés. En effet, les mandataires sociaux ne contractent envers les tiers
aucune obligation personnelle ou solidaire quant aux engagements qu’ils prennent au nom
de la société. Ces engagements ne produisent effet que dans le seul patrimoine de la société.
La personnalité morale constitue donc un écran entre la société et ses dirigeants. Un tel
écran n’est cependant valable que tant que les mandataires sociaux agissent dans l’exercice
de leurs fonctions, càd tant qu’ils accomplissent les actes qui entrent dans le cadre de l’objet
social. A défaut, et en cas de dépassement de l’objet social (càd dépassement du cadre des
fonctions du mandataire social), la société peut demander la nullité de l’acte ainsi passé et
engager la responsabilité personnelle du dirigeant fautif.
Responsabilité pénale de la personne morale. En principe, la société ne peut être
responsable pénalement. En effet, il est impossible d’imputer à la personne morale une
volonté délictueuse et par suite, l’élément intentionnel n’est pas rempli. De la même
manière, on ne peut lui infliger des sanctions classiques telles que l’emprisonnement. C’est
pourquoi, seule la responsabilité pénale de ses représentants peut être recherchée. L’article
127 du Code pénal permet la condamnation des personnes morales à des peines pécuniaires
et aux peines accessoires de confiscation, de dissolution et de publication de la décision de
condamnation.

55
CHAPITRE 2 : L’ORGANISATION DE LA SOCIETE

Une organisation commune à toutes les sociétés. Trois règles de base sont communes
à toutes les formes de sociétés. La première veut qu’un associé puisse jouir dans la société
d’un minimum de droits et de pouvoirs, destinés à manifester qu’il est un membre du
groupement constitué par le pacte social. Une seconde règle commune d’organisation est
que toute société exprime sa volonté au travers d’un organe destiné à représenter la société.
Enfin, la troisième règle veut que les sociétés d’une certaine importance se dotent
impérativement d’un organe de contrôle dont la mission est permanente : le commissaire
aux comptes. Le fonctionnement de toute société pluripersonnelle repose sur cette
organisation afin d’assurer démocratie et équilibre au sein de ladite structure. Or, cet
équilibre est fragile entre d’une part les associés (Section 1), l’organe de gestion (Section 2)
et l’organe de contrôle (Section 3).

Section 1 : Les associés


Plan. Les associés se trouvent à la base de la pyramide des pouvoirs au sein de la société
pluripersonnelle. Ils exercent un pouvoir permanent de contrôle et de gestion, et prennent
des décisions dont pourrait dépendre la survie de la société. Ils arrêtent ainsi la politique de
la société. Après avoir étudié dans un premier temps les droits que la loi leur accorde (Sous-
section 1), leurs pouvoirs devront être déterminés (Sous-section 2).

Sous-section 1 : Les droits des associés


Des droits individuels. La notion d’associé se définit à partir de deux critères : la
réalisation d’un apport et la participation à la vie sociale. L’associé ne se voit pas reconnaître
un véritable statut mais il dispose d’un certain nombre de droits individuels. Ces droits
peuvent être réduits, le cas échéant, mais pas supprimés. Les droits individuels de l’associé
comportent le droit de participer à la vie sociale (I), le droit au maintien de la qualité
d’associé (II) et le droit de céder ses titres (III).

I. Le droit de participer à la vie sociale

Des droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Le droit de participer à la vie sociale


recouvre plusieurs prérogatives d’ordre, soit pécuniaire soit extrapatrimonial. Parmi cette
dernière catégorie, le droit de participer aux décisions sociales s’exprime principalement par
un droit de vote accordé à chacun des associés (B). Toutefois, ce droit de vote ne saurait
être effectif sans une information préalable (A), nécessaire pour participer à la vie sociale et
exercer son droit de vote. Ce droit de participer aux décisions sociales revêt donc deux
formes. Enfin, le droit de participer aux dividendes est le principal droit patrimonial dont

56
bénéficie l’associé (C).

A. Le droit à l’information
Il n’existe pas à proprement parler de disposition de droit commun posant le principe d’un
droit à l’information des associés. Toutefois, l’étude du droit spécial des sociétés 112 fait
apparaître des dispositions similaires entre les différents types de sociétés. En effet, le droit
des actionnaires à l’information sociale fait l’objet d’une attention toute particulière du
législateur qui pose des règles spécifiques et précises. Deux modalités du droit à
l’information peuvent être distingués : l’existence d’un droit permanent et d’un droit occasionnel.
Le droit d’obtenir les documents sociaux. De manière permanente, le droit est reconnu
à tout associé d’obtenir communication des documents sociaux. Dans les SARL 113 et les
SA, seuls certains documents limitativement énumérés peuvent être communiqués, et seuls
ceux relatifs aux trois derniers exercices114. A l’inverse, dans la SNC et les sociétés civiles,
aucune restriction n’est posée et ce droit porte sur tout document émis par la société.
Le droit occasionnel à l’information. Le rapport de gestion, les états de synthèse, le texte
des projets de résolution et le rapport du commissaire aux comptes sont envoyés d’office
aux associés quinze jours au moins avant la date de l’assemblée annuelle sans qu’il soit
besoin d’en faire la demande. En effet, le gérant (dans le cadre d’une SARL) est tenu de
dresser l’inventaire et d’établir les états de synthèse et un rapport de gestion pour chaque
exercice115 sous peine de sanction pécuniaire116. Le non-respect de ce droit occasionnel à
l’information peut entraîner la nullité des délibérations de l’assemblée.
Une fois que les associés sont en possession desdits documents, la loi leur reconnaît la
possibilité, à titre individuel, de poser par écrit des questions au gérant concernant la gestion
de la société. Celui-ci est tenu d’y répondre au cours de l’assemblée117.
Le droit à l’information, qu’il soit occasionnel ou permanent, est d’ordre public. Il ne peut
être ni supprimé ni atténué par une disposition statutaire. L’article 70 alinéa 7 de la loi 5-96
précise que toute clause contraire est réputée non écrite.

B. Le droit de vote
Un droit politique. Le droit pour tout associé de participer aux décisions collectives est

112 V. notre Partie II.


C’est notamment le cas des livres, de l’inventaire, des états de synthèse du rapport des gérants, du rapport du
113

commissaire aux comptes et procès-verbaux des assemblées générales (art. 70 L. 5-96).


114Un associé qui se voit opposer un refus de la part de la société peut obtenir communication de ces documents par
voie judiciaire.
115 Art. 70 al. 1 L. 5-96.
116 Une amende pouvant aller de 2000 à 40.000 Dhs (art. 109 L. 5-96).
117 Art. 70 al. 3 L. 5-96.

57
un droit essentiel de l’associé. Il trouve sa meilleure expression dans le droit de vote. En
effet, aucune disposition statutaire ne peut limiter l’accès aux assemblées ou le droit pour
un associé d’être consulté, sous prétexte notamment qu’il aurait peu de parts sociales118. Il
s’agit d’un droit d’ordre public119.
En principe, il revient à l’associé en personne d’exercer personnellement son droit de vote
au cours d’une assemblée générale. Néanmoins, et nonobstant toute clause contraire, un
associé peut se faire représenter.

C. Le droit aux dividendes


Principe. Tout associé doit pouvoir profiter des résultats positifs produits par l’activité
sociale. Ce droit de participer aux résultats s’exprime principalement par la perception d’un
dividende en cours de vie sociale. Le dividende est la part de bénéfices attribuée à chaque
associé ou actionnaire. En effet, les associés reçoivent, en principe, proportionnellement à
leurs parts ou actions, des dividendes, lesquels correspondent à la distribution des bénéfices
réalisés. Une répartition inégalitaire est ici possible, par dérogation au principe de
proportionnalité. Les associés participent également au boni de liquidation, à la dissolution
(c’est le dividende final) de la société.
Cependant, le droit de chaque associé au partage des résultats n’est pas absolu. L’assemblée
générale est en effet souveraine pour décider d’une mise en réserve systématique des
bénéfices sociaux, à condition de ne pas commettre un abus de droit. Après avoir approuvé
les comptes de l’exercice, prélevé les sommes destinées à être mises en réserve et constaté
l’existence de sommes distribuables, l’assemblée en fixe le montant. En principe, le
dividende est payé en numéraire. Dans les SA toutefois, les statuts peuvent offrir aux
actionnaires le choix entre le paiement du dividende en numéraire et son paiement sous
forme d’actions nouvelles.
Tout dividende distribué en violation des règles sur l’approbation des comptes et la
constatation d’un bénéfice distribuable constitue un dividende fictif et est sanctionné par la
loi.

II. Le droit au maintien de la qualité d’associé

Le droit de rester associé. Le droit de faire partie de la société dans laquelle l’associé est
entré consiste principalement à ne pas en être exclu. Il ne peut être privé malgré lui de sa
qualité d’associé dès lors, bien entendu, qu’il remplit ses obligations. Le respect de ce droit
interdit également au juge d’exclure un associé de la société, en ordonnant le rachat de ses

118L’article 72 al. 1 L. 5-96 dispose que « Chaque associé a le droit de participer aux décisions et dispose d’un nombre
de voix égal à celui des parts sociales qu’il possède ».
119 Art. 72 L. 5-96.

58
parts. Cette interdiction d’exclure un associé est un principe qui a été reconnu par la
jurisprudence française dans un arrêt de principe120, mais qui peut étendu à toutes les formes
de société et en droit marocain également. Cependant, le droit de rester dans la société n’est
pas absolu.
Limites légales. Une disposition légale peut faire échec au droit de l’associé ou de
l’actionnaire de demeurer dans la société. En effet, soit l’exclusion sert de sanction à un
manquement aux obligations légales de l’associé, soit la société est en phase de redressement
judiciaire et, pour sa survie, le juge ordonne la cession des actions d’un ou de plusieurs
dirigeants. La limite au droit de rester associé a donc un double fondement.
Le droit de ne pas être contraint à une augmentation des engagements. En entrant
dans la société, l’associé a pris un certain nombre d’engagements dont il connaît la nature
et l’étendue, mais dont il accepte aussi la responsabilité. Cet engagement ne saurait être
subordonné à l’obligation pour l’associé d’accepter un sacrifice supplémentaire, présent ou
futur, pour rester associé. C’est ce qu’énonce l’article 1001 DOC « Aucun associé n’est tenu
(…) d’augmenter son apport au-delà du montant établi par le contrat ». L’interdiction faite
d’augmenter les engagements des associés justifie notamment que l’assemblée générale
(ordinaire ou même extraordinaire) ne puisse imposer à un associé de souscrire une
augmentation de capital contre sa volonté. Elle ne saurait non plus subordonner le maintien
de sa qualité d’associé à la condition d’opérer un versement supplémentaire permettant
d’augmenter le capital social.
Librement entré dans la société, l’associé est donc libre d’y demeurer sans que ses
engagements ne puissent être augmentés. Mais il a le droit de se retirer sous certaines
conditions.

III. Le droit de céder ses titres

L’associé ne doit pas être prisonnier de son titre. Mais il n’est pas toujours libre de quitter
la société. Ses droits sont transmissibles. Il peut les céder soit à un associé ou un tiers, soit
il propose à la société de les lui racheter.

A. Le principe

Principe. Les droits sociaux (parts sociales ou actions), ont une valeur vénale et font partie
du patrimoine de l’associé ou de l’actionnaire. Dès lors, la cession121 de droits sociaux reste
une convention privée entre deux personnes, soumise aux conditions de droit commun de
la vente. Dans les SA, la cession est libre, tandis qu’en principe, elle ne l’est pas dans les

120 Cass. comm. 12 mars 1996.


121 Par cession, il faut entendre les ventes, donations, échanges et apports en société.

59
autres formes sociales. Cependant, la loi a permis la cession de parts (au sein de la SARL)
sous certaines conditions qui dépendent de la qualité du cessionnaire selon qu’il s’agit d’un
associé, d’un membre de la famille du cédant ou d’un tiers. En effet, le caractère plus ou
moins libre de la cession des parts sociales au sein de la SARL s’explique par le caractère
semi-fermé de la SARL. Ainsi, entre les associés, les parts sont librement cessibles, et il en
est de même entre conjoints, parents et alliés jusqu’au deuxième degré inclusivement. Les
parts sont également librement transmissibles par voie de succession.
De manière générale, le droit de céder ses droits sociaux, càd de transférer la qualité
d’associé à autrui, constitue l’un des droits fondamentaux de tout associé. Il n’en reste pas
moins que la société peut avoir intérêt à contrôler les opérations de cession afin d’éviter
notamment, l’entrée en qualité d’associé, d’une personne physique ou morale qui ne
présenterait pas les garanties que les organes sociaux ont estimées nécessaires. C’est ce qui
explique qu’un droit particulier est parfois accordé à la société lors d’une cession de droits
sociaux, afin d’agréer le cessionnaire.

B. L’agrément

Notion. L’agrément est le droit accordé à la société d’accepter ou de refuser l’accès de


nouveaux associés dans la société. Ce droit d’agrément renforce donc la considération de la
personne qui a prévalu lors de la constitution de la société. Ce mécanisme de l’agrément est
prévu par la loi, avec des variantes, dans l’ensemble des sociétés émettant des parts sociales.
L’associé qui souhaite céder ses parts doit notifier à la société ainsi qu’à l’ensemble des
associé son projet de cession. Il appartient ensuite à l’organe de gérance de convoquer une
assemblée générale aux fins de statuer sur la demande d’agrément. Lorsque l’agrément est
acquis, celui-ci résulte de la décision favorable de l’organe compétent. En cas de refus, une
décision expresse doit être notifiée à l’associé. Cependant, et pour ne pas contraindre
l’associé à rester dans la société malgré lui, la loi oblige dans la plupart des cas la société à
s’engager soit à faire acquérir les parts par un cessionnaire, soit à acquérir elle-même les
parts.

IV. L’abus de droit des associés

Source. Dans le silence de la loi sur ce point, la jurisprudence admet que l’abus de droit
puisse être sanctionné. En effet, cet abus provient de l’attitude d’une partie des associés,
majoritaires ou minoritaires selon les cas, lorsqu’il existe un conflit latent qui oppose les
deux camps. C’est ainsi que la jurisprudence sanctionne, sous certaines conditions, soit
l’abus de majorité (A), soit l’abus de minorité (B).

60
A. L’abus de majorité

Définition. L’abus de majorité a pu être rapproché de l’abus de droit. A l’origine, il


consistait, pour les associés majoritaires, à prendre des décisions dans l’intention de nuire
aux minoritaires. Mais la jurisprudence française a élargi la définition de l’abus en retenant
deux critères. Est désormais abusive la décision prise contrairement à l’intérêt général et dans
l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité122. Dès lors, les juges
relèvent en général comme élément déterminant la rupture intentionnelle d’égalité entre les
associés123. Mais selon une jurisprudence aujourd’hui constante, il n’y a pas abus en
l’absence de préjudice causé à la société124.
Sanction. La sanction principale de l’abus de majorité est la nullité de la résolution abusive.
Les associés majoritaires peuvent en outre être condamnés à verser des dommages-intérêts.
Exceptionnellement, la dissolution de la société pourrait être prononcé par le juge pour
mésentente entre associés125.

B. L’abus de minorité

Définition. Les droits des minoritaires sont strictement limités par le législateur, et le juge
veille à ce que ces prérogatives accordées aux associés minoritaires ne soient pas détournés
de leur but. C’est pourquoi l’abus positif est rare. En revanche, l’abus négatif est plus
fréquent. Il consiste à bloquer toute modification du pacte social en assemblée, soit par la
non-participation des minoritaires aux assemblées générales, soit par l’abstention ou le vote
systématiquement hostile, empêchant d’obtenir la majorité qualifiée exigée par la loi pour
les modifications du pacte social. On parle alors ici de minorité de blocage.
Les applications jurisprudentielles de l’abus sont plutôt restrictives. En effet, la Cour de
cassation relève non seulement que l’opération refusée est essentielle pour la société126, voire
à sa survie, mais également que les associés minoritaires ont adopté une attitude dans
l’unique dessein de favoriser les membres de la minorité au détriment de l’ensemble des
autres associés. C’est pourquoi les juges procèdent au cas par cas.
Sanction. S’agissant d’un abus négatif de minorité, aucune décision n’ayant pu être votée,
la nullité ne saurait être une sanction appropriée. Par ailleurs, l’allocation de dommages-
intérêts, bien qu’elle soit possible, est une sanction peu dissuasive et donc peu satisfaisante.
C’est pourquoi, une jurisprudence française a laissé entendre que la seule sanction efficace

122 Cass. comm., 18 avr. 1961.


123 C’est ainsi que la jurisprudence qualifie rarement d’abusive la décision systématique de mise en réserve.
124 Cass. comm., 21 janv. 1970.
125 V. infra, notre Chapitre relatif à la dissolution de la société et le cas de mésentente entre associés.
126 Cass. comm. 15 juil. 1992.

61
pour vaincre l’obstruction des minoritaires était de rendre exécutoire la résolution soumise
à l’assemblée par le juge127. La solution présentait néanmoins l’inconvénient de permettre à
l’autorité judiciaire de se substituer aux organes sociaux légalement compétents, ce que l’arrêt Flandin
du 9 mars 1993 a souligné. Dans cet arrêt, il a en revanche été précisé que le juge peut
désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée
et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social mais ne portant pas atteinte à
l’intérêt légitime des minoritaires.

Sous-section 2 : Les pouvoirs des associés

Les associés ont deux sortes de pouvoirs (I) et de modalités d’exercice de ceux-ci (II).

I. Les pouvoirs de gestion et de contrôle des associés

A. Le pouvoir de gestion
Les associés détiennent le pouvoir de décider, dans les grandes circonstances, du sort de la
société :
• sa transformation,
• sa dissolution,
• le changement de sa nationalité,
• la modification des statuts notamment à l’occasion d’une augmentation ou d’une
réduction de son capital.
Mais la majorité requise n’est pas toujours la même en raison de l’importance de telles
décisions. Enfin, les associés ont le pouvoir de décider de l’affectation des résultats de
l’exercice et la mise en distribution des sommes prélevées sur les réserves dont ils ont la
disposition.

B. Le pouvoir de contrôle

Un pouvoir de contrôle général et spécial. Les associés disposent de deux types de


pouvoirs : ceux-ci ont un pouvoir de contrôle général dans le cadre de l’assemblée annuelle
appelée à statuer sur le rapport de gestion, l’inventaire et les comptes annuels. Ils peuvent
les approuver ou les désapprouver, donner un quitus de gestion ou refuser ce quitus aux
dirigeants. Ce pouvoir de contrôle est une arme redoutable qui traduit effectivement

127 Cass. comm., 14 janv. 1992.

62
l’équilibre entre les organes de gestion et les associés, voulu par le législateur.
Les associés disposent également d’un pouvoir de contrôle spécial des conventions
conclues entre la société et les dirigeants ou associés pouvant être jugées très
désavantageuses pour celle-ci. Dans les SARL, il existe deux procédures de contrôle des
conventions réglementées : l’une a priori, l’autre a posteriori. Dans les SA, le contrôle est
préalable.

II. Les modalités d’exercice des pouvoirs des associés

Une structure pyramidale. La particularité de l’exercice des pouvoirs par les associés tient
aux modalités de consultation de ces derniers d’une part, et aux différentes catégories de
décisions qu’ils peuvent prendre d’autre part.
En principe, les décisions sont prises en assemblées qui, sont le lieu d’exercice du pouvoir
suprême. C’est la structure pyramidale des pouvoirs : l’assemblée générale (AG) est à la
base, le conseil d’administration (CA dans les SA) au milieu, le président du conseil
d’administration (PCA dans les SA), le directeur général (DG dans les SA) et président
directeur général (PDG dans les SA) au sommet.
Une AG est obligatoire pour l’approbation annuelle des comptes ou si un ou plusieurs
associés représentant une quote-part du capital social demandent sa réunion.
Les associés prennent deux types de décisions : ordinaires et extraordinaires. Les
premières portent principalement sur la nomination, la révocation des dirigeants,
l’approbation des conventions réglementées, des comptes sociaux et de la répartition des
dividendes. Les secondes portent essentiellement sur les diverses modifications statutaires :
changement d’objet social, de dénomination, du siège, de nationalité, augmentation du
capital, réduction du capital social, approbation des fusions et scissions, dissolution...

Section 2 : L’organe de gestion

Toute société est dotée d’un organe de gestion dont les membres sont les dirigeants de la
société. Initialement, les dirigeants sociaux étaient considérés comme des mandataires des
associés ou de la société. Aujourd’hui, ils détiennent leurs pouvoirs propres de la loi et ont
vu le domaine de ces pouvoirs largement étendu. Ce renforcement des pouvoirs des
dirigeants sociaux se retrouve dans l’ensemble des formes sociales (I) et explique,
parallèlement, l’accroissement de leurs responsabilités (II).

63
I. Les pouvoir des dirigeants

Les dirigeants sociaux ont pour mission d’agir, en toutes circonstances, dans l’intérêt de la
société. Leurs pouvoirs sont plus déterminés par la loi que par le contrat qui les lie à la
société (en ce qui concerne leur statut social). C’est « le principe du pouvoir légal ». C'est
ainsi que la loi opère une distinction quant à l’étendue des pouvoirs des dirigeants sociaux
selon qu’ils sont en relation avec les associés (A) ou avec des tiers (B).

A. Les pouvoirs des dirigeants dans les rapports entre les associés
Conclusion des actes de gestion dans l’intérêt de la société. Dans les rapports internes
(entre associés), les textes relatifs aux sociétés à risques illimités (SNC, SCS) mais aussi ceux
relatifs aux sociétés à risques limités (SARL et SA) sont identiques. Les dirigeants sociaux
peuvent effectuer, vis-à-vis des associés, tous actes de gestion. Cette règle impose une
double limite au pouvoir des dirigeants. Tout d’abord, seuls des actes de gestion peuvent
être accomplis, ce qui exclut toute compétence que la loi attribue de manière exclusive à un
autre organe social. Tel est par exemple le cas de la répartition annuelle des dividendes et
de l’approbation des comptes que la loi réserve expressément à la seule assemblée des
associés ou des actionnaires. En second lieu, les pouvoirs des dirigeants sociaux doivent
être utilisés dans l’intérêt de la société, faute de quoi ceux-ci engagent leur responsabilité
pour faute. Ce sera le cas toutes les fois où l’acte aura été effectué dans l’intérêt personnel
du dirigeant, mais aussi s’il a été accompli à la suite d’une négligence ayant eu des
conséquences graves pour la société.
Nature des actes. Les dirigeants peuvent donc valablement accomplir tous actes dans le
respect des limites qui leur sont imposées (dispositions impératives, conventionnelles,
statutaires), et de l’intérêt social. Il s’agit notamment des :
- actes se rattachant à leurs fonctions d’autorité : embauche, surveillance, licenciement et
rémunération des salariés ;
- actes se rattachant à l’administration du patrimoine social :
 les actes de nature conservatoire : réparation, renouveler le matériel ;
 les actes de gestion : prendre ou donner à bail les locaux, régler les dettes de
la société.
- actes relatifs à l’exercice de l’activité économique de la société : achat de matières
premières, vente de marchandises, ouverture ou fermeture de succursales, agences ou
comptoirs..., opérations courantes de crédit, les prises de participation dans d’autres
sociétés, acquisition d’immeubles...
- En revanche, parmi les actes susceptibles de compromettre l’objet social et donc excédant,
à ce titre les pouvoirs des dirigeants, on peut citer les actes d’aliénation ou de disposition
de biens sociaux, la constitution de sûretés, la modification du mode d’exploitation de

64
l’objet social et les actes à titre gratuit. Pour tous ces actes le dirigeant doit veiller à la fois
au respect de la poursuite de l’objet social, de l’intérêt social et des dispositions légales.

B. Les pouvoirs des dirigeants dans les rapports avec les tiers

Une société peut se retrouver engagée par un acte conclu par une personne qui n’avait pas
le pouvoir de l’accomplir (par exemple, un salarié de la société ou une personne se
présentant comme mandataire de celle-ci) lorsque le tiers avec lequel cette personne a
contracté a légitimement pu croire qu’elle disposait des pouvoirs nécessaires pour
représenter la société. On parle dans ce cas de « mandataire apparent ». Dans les sociétés à
responsabilité illimitée (SNC et SCS), tout acte dépassant l’objet social n’engagera pas la
société, mais seul le gérant ayant passé l’acte pourra voir sa responsabilité pour faute
engagée. C’est pourquoi les tiers sont tenus de vérifier si l’acte envisagé entre bien dans les
limites de l’objet de la société à responsabilité illimitée. Dans les sociétés à responsabilité
limitée, la société peut être engagée par un acte conclu par une personne qui n’en avait pas
le pouvoir (l’objectif étant la protection des tiers). Pour que celle-ci le soit, le tiers devra
démontrer que les circonstances entourant la conclusion du contrat ont été de nature à
l’autoriser à ne pas vérifier les pouvoirs réels de son interlocuteur. Ces circonstances
peuvent tenir à la qualité des parties, au caractère habituel des relations nouées entre elles
ou encore aux usages commerciaux. Pour ne pas être engagée, la société peut apporter la
preuve que le tiers contractant avait connaissance du dépassement de pouvoir.

II. La responsabilité des dirigeants

Une responsabilité aggravée. La loi ne comporte pas de texte général fixant les devoirs
des dirigeants. En application de la théorie de la représentation, ils doivent agir au mieux
des intérêts de la société, en apportant l’activité et la diligence nécessaires à la réalisation de
l’objet social. Ils engagent leur responsabilité civile au titre de diverses actions. En pratique,
la responsabilité est plutôt pour faute : violation des textes, faute de gestion... En réalité, les
dirigeants sociaux font l’objet de deux formes d’actions : une action individuelle à l’encontre
du dirigeant, séparable de ses fonctions128, et une action sociale. La première repose sur une
responsabilité délictuelle personnelle, fondée sur une faute séparable des fonctions du
dirigeant. En effet, la responsabilité personnelle du dirigeant est prévue par divers textes, à
l’égard de la société et des « tiers », en cas d’infraction aux lois et règlements, violation des
statuts et faute de gestion. La seconde, appelée action « sociale », est appelée de la sorte
parce qu’elle est destinée à réparer un préjudice propre à la société (ex. : un détournement

128 Une faute séparable des fonctions du dirigeant est caractérisée, en jurisprudence, lorsque le dirigeant commet
intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales, ce
qui est le cas d’une faute pénale intentionnelle ou dès lors qu’il a agi en dehors de l’objet social.

65
de fonds sociaux par le dirigeant).
La révocation des dirigeants sociaux. La responsabilité civile du dirigeant n’exclut pas
la possibilité de sa révocation dans l’ordre interne (càd par les associés). C’est un mode de
cessation des fonctions à côté de l’arrivée du terme et de la démission pour convenance
personnelle. Dans les SNC, SARL et SCS, le gérant peut être révoqué soit par les associés
(pour juste motif), soit par décision (pour cause légitime appréciée comme le juste motif)
de justice. Le gérant injustement révoqué a droit à des dommages et intérêts.

Section 3 : L’organe de contrôle

Domaine et évolution. La société est soumise à un contrôle des comptes effectué par le
commissaire aux comptes129 (ci-après CAC). Sa présence est obligatoire130 dans toutes les
sociétés commerciales d’une certaine taille131. En règle générale, la nomination d’un CAC
n’est pas obligatoire dans une SARL, ces sociétés étant essentiellement constituées de
petites et moyennes entreprises132. Mais sur décision des associés, prise à la majorité des ¾
du capital requise pour la modification des statuts, ces derniers peuvent nommer un CAC133.
En pratique, la mission de CAC est assurée par les experts comptables inscrits au tableau
de l’ordre dans le cadre d’une profession libérale organisée134.
Avant l’adoption de la loi 17-95, le CAC était un simple mandataire des actionnaires (ou
associés), chargé seulement de faire un rapport sur les comptes annuels pour permettre à
l’assemblée d’approuver les comptes en connaissance de cause. Aujourd’hui, celui-ci a une
véritable mission d’audit de la société, en ce sens qu’il est investi d’une véritable mission de
contrôle dans l’intérêt de la société, de ses actionnaires et des tiers.
Il convient de voir le statut de ce dernier (I), ses attributions (II), mais aussi ses devoirs et
ses responsabilités (III).

129 A distinguer du « commissaire aux apports » qui est un organe extra-social de contrôle. Il a pour mission d’évaluer
les apports en nature et les avantages particuliers, notamment dans les SA et SARL. Son intervention se situe soit au
moment de la constitution d’une société, soit postérieurement, lors de l’augmentation du capital et de façon
exceptionnelle, lors d’une fusion. C’est lui également qui évalue les avantages particuliers résultant de l’émission
d’actions de préférence au profit d’actionnaires nommément désignés. Le commissaire aux apports est soumis aux
mêmes incompatibilités que les CAC, sous peine de sanctions pénales. Il y va de son indépendance.
130 Lorsque la société est tenue de désigner un commissaire aux comptes, le gérant qui n’aura pas provoqué cette
désignation ou qui n’aura pas convoqué le CAC à toute assemblée des associés est puni d’un emprisonnement de un à
six mois et/ou d’une amende de 10 000 à 50 000 Dhs (art. 104 al. 2 L. 5-96 qui renvoie à l’article 403 de la loi 17-95).
131C’est le cas des sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse, à la clôture de l’exercice social ; cinquante millions de
dirhams hors taxes (art. 80 al. 2 L. 5-96).
132De plus, la SARL ne peut émettre de titres négociables ni faire appel public à l’épargne. Il s’ensuit que les associés
disposent d’un droit de contrôle personnel sur les comptes et sur la gestion de la société.
133C’est également le cas si un ou plusieurs associés représentant au moins le ¼ du capital social saisissent le juge à
cette fin (art. 80 al. 3 L. 5-96). C’est là une disposition permettant la protection des intérêts de la minorité.
134Art. 160 L. 17-95. Par ailleurs, les conditions d’accès aux fonctions de CAC sont énumérées à l’article 20 de la loi
15-89 réglementant la profession d’expert-comptable et instituant un ordre des experts comptables.

66
I. Le statut du commissaire aux comptes

Nomination. Le statut du CAC et les conditions d’exercice de ses fonctions sont régis par
les dispositions de la loi 17-95 auxquelles renvoie l’article 13 de la loi 5-96. C’est en
particulier les articles 159 à 181 de la loi 17-95 qui fixent le régime général du commissariat
aux comptes. En tant qu’organe social, le CAC est nommé soit par les statuts lors de la
constitution de la société, soit par l’AG en cours de vie sociale135. S’agissant des SA,
présentant un fort caractère institutionnel, la nomination d’un CAC y est obligatoire136. Les
SA faisant appel public à l’épargne sont tenus d’en désigner au moins deux137 pour prévenir
toute défaillance et sécuriser les marchés financiers138. Lorsqu’il est nommé par les statuts,
la durée des fonctions du CAC est d’un exercice139, alors qu’elle est de trois exercices en cas
de nomination par AG. Par ailleurs, le CAC est indéfiniment rééligible, sur délibération
expresse de l’AG ordinaire.
Incompatibilités. La loi a édicté un certain nombre d’incompatibilités visant à garantir leur
indépendance vis-à-vis des gérants ou des administrateurs. De manière générale, les
fonctions de commissaire aux comptes sont incompatibles avec toute activité ou tout acte
de nature à porter atteinte à son indépendance, avec tout emploi salarié et avec toute activité
commerciale140. En définitive, le CAC ne peut avoir de relations financières ou
professionnelles avec la société ou ses filiales que dans le strict cadre de sa mission telle que
définie par la loi141. Sa mission revêt donc un caractère exclusif.
Plus spécialement, un CAC ne peut être nommé ni dirigeant ni salarié des personnes
morales qu’il contrôle moins de cinq ans après la cessation de ses fonctions142. L’idée ici est
d’éviter que les dirigeants ne promettent, en échange d’une neutralité voire, en leur
demandant de « fermer les yeux » sur les comptes, aux commissaires aux comptes d’être
nommés comme dirigeant à la cessation de leurs fonctions. Réciproquement, la personne
qui a été dirigeant ou salarié d’une personne morale ne peut être nommée commissaire aux

135 Art. 163 al. 1er L. 17-95.


136 Art. 159 al. 1er L. 17-95.
137 Art. 159 al. 2 L. 17-95.
138C’est également le cas des sociétés d’investissement, de banque, de crédit…qui drainent une épargne considérable
et nécessitent de ce fait un double contrôle.
139 Art. 163 al. 1er L. 17-95.
140Ainsi, l’article 16 de la loi 15-89 établit une incompatibilité entre l’exercice de la profession d’expert-comptable et
toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à l’indépendance de l’expert-comptable. C’est le cas de tout emploi
salarié, à l’exclusion de celui offert au service d’un expert-comptable ou d’une société d’experts-comptables ; tout acte
de commerce ou d’intermédiaire autres que ceux directement liés à l’exercice de la profession ; tout mandat de dirigeant
de société à objet commercial ; tout mandat commercial.
141Aussi, la loi énumère de manière limitative les situations dans lesquelles les liens entre le CAC et la société contrôlée
sont tels qu’on peut craindre un défaut d’indépendance (art. 161 L. 17-95).
142 Art. 162 al. 1 L. 17-95.

67
comptes de cette personne morale moins de cinq ans après la cessation de ses fonctions.
Si une des incompatibilités survient en cours de mandat, le CAC doit immédiatement cesser
l’exercice de ses fonctions et en informer les dirigeants au plus tard 15 jours après la
survenance de ladite incompatibilité143.

II. Les attributions du commissaire aux comptes

Les CAC sont investis de plusieurs missions. Les unes sont permanentes (A) les autres sont
exceptionnelles (B).

A. La mission permanente de contrôle

La mission de contrôle des comptes. Le commissaire aux comptes a pour mission


essentielle et permanente de vérifier les documents comptables de la société et de contrôler
leur conformité aux règles en vigueur144. En particulier, et pour mener à bien cette mission,
il doit certifier, en justifiant de ses appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et
sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi
que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l’entité à la fin de cet
exercice.
L’information. Quant à son devoir d’information, il est pour l’essentiel destiné aux
dirigeants et aux associés. En effet, une fois le contrôle effectué, le CAC est tenu d’une
triple mission. Il doit informer les dirigeants sociaux du résultat de ses contrôles. Il prend
la décision de certifier les comptes, avec ou sans réserves, ou de ne pas les certifier. Enfin,
il présente un rapport général à l’assemblée chargée d’approuver les comptes de l’exercice,
en faisant valoir, le cas échéant, les raisons qui l’ont conduit à émettre des réserves ou à
refuser de certifier les comptes.
En cas de pluralité de CAC, ils doivent agir d’accord entre eux. En cas de désaccord, c’est
le président du tribunal de commerce qui tranchera notamment la question de la
convocation de l’AG et fixera son ordre du jour.

B. Les missions occasionnelles

Le devoir d’alerte. Il est une mission confiée au CAC visant de prévenir les difficultés
d’une entreprise et de protéger l’intérêt social. Dès que celui-ci relève, à l’occasion de
l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation,

143 Art. 161 L. 17-95.


144 Art. 166 et 167 L. 17-95.

68
le CAC doit en informer les dirigeants sociaux145 et provoquer la prise de mesure de
redressement pour éviter la cessation des paiements de la société. Le commissaire doit
informer les dirigeants du résultat de ses contrôles : des irrégularités et inexactitudes et des
conclusions qui en découlent (ex. : perte de marchés importants, destruction de l’outil de
travail, grèves à répétition, redressement fiscal majeur...).
Révélation des faits délictueux. Le CAC doit révéler au Procureur de la République les
faits délictueux, significatifs et délibérés, qui sont en rapport avec le fonctionnement de la
société : abus des biens et du crédit de la société (ABS), publication de bilan inexact... dont
il a eu une connaissance précise, sous peine de sanctions pénales et de responsabilité civile.

III. Les responsabilités du commissaire aux comptes

Les CAC encourent une responsabilité d’ordre disciplinaire lorsqu’ils ont commis des faits
contraires aux règles déontologiques de la profession. Le pouvoir disciplinaire est exercé
par les conseils régionaux et en appel par le conseil national. Les peines encourues sont le
blâme, la suspension pour une durée de six mois maximum et la radiation du tableau.
Au plan civil, les CAC sont responsables à l’égard de la société et des tiers, des fautes et
négligences qu’ils ont commises dans l’exercice de leurs fonctions. Dans l’ensemble, et selon
la doctrine dominante et la jurisprudence, ils sont tenus à une obligation de moyens,
rarement à une obligation de résultat. Au plan pénal, les commissaires aux comptes sont
passibles de divers délits, comme ceux de non révélation de faits délictueux, de violation
des règles d’incompatibilités, de violation du secret professionnel ou d’informations
mensongères sur la situation de la société.

CHAPITRE 3 : LA DISSOLUTION DE LA SOCIETE

Notion. La dissolution marque la fin de l’existence de la société146. Le patrimoine n’a plus


de titulaire. Il convient alors de le liquider, de payer les créanciers et de partager le solde
entre les associés. Cette dissolution est provoquée par un certain nombre d’évènements,
prévus ou imprévus. On examinera successivement les causes de la dissolution (Section 1)
ainsi que ses effets (Section 2).

Section 1 : Les causes de dissolution

Le livre V du Code de commerce relatif aux mesures de prévention et de traitement des difficultés de l’entreprise
145

met à la charge du CAC cette obligation.


146 La liquidation est assimilable à la dévolution successorale à la suite du décès d’une personne physique.

69
L’article 1051 DOC énonce les causes de dissolution communes à toutes les sociétés, civiles
soient-elles ou commerciales. Ces causes peuvent être d’origine légale, volontaire ou
judiciaire. A ces causes s’ajoutent celles qui sont propres à chaque type de société et qui
seront étudiées ultérieurement, car propres à chaque type de société. Il convient dès lors de
distinguer les causes de dissolution volontaire (I) de la société, des causes de dissolution de
plein droit (II).

I. Les causes de dissolution volontaire


Dissolution voulue par un ou plusieurs associés. La dissolution volontaire résulte de la
volonté des associés. On peut distinguer trois causes volontaires de dissolution d’une
société : la volonté des associés, la volonté unilatérale d’un ou de plusieurs associés ou la
fusion.
La volonté commune ayant été à l’origine de la constitution de la société peut aussi décider,
de manière anticipée, de la fin de celle-ci. C’est purement et simplement une application du
principe de l’autonomie de la volonté, principe général du droit des contrats.
C’est bien entendu une décision grave, qui ne peut être prise qu’aux conditions exigées par
la loi ou les statuts pour les modifications statutaires. Ainsi, dans les sociétés de personnes,
l’accord unanime des associés est requis tandis qu’une majorité est nécessaire à la
modification des statuts dans les autres types de sociétés. La dissolution anticipée ne doit
cependant pas être inspirée par une intention frauduleuse ou par l’intention de nuire à la
minorité. Dans une telle hypothèse, la décision de dissolution peut être judiciairement
annulée.
Lorsque la durée de la société n’est pas déterminée147, l’article 1057 DOC permet à chacun
des associés, après l’avoir notifié aux autres coassociés, de se retirer de la société et
provoquer la dissolution anticipée148. C’est ici une application d’un principe général qui
permet à tout contractant, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminé, de le résilier
unilatéralement. Cependant, une telle dissolution ne s’applique plus aux sociétés
commerciales depuis l’adoption de la loi 17-95149, la durée de la société devant être
déterminée dans les statuts. A défaut, tout intéressé de même que le ministère public
peuvent demander en justice que soit précisée la durée de la société. Il s’ensuit que la
dissolution anticipée par manifestation unilatérale de volonté ne peut avoir lieu que dans le
cas des sociétés civiles ou en participation, dans lesquelles la loi n’impose pas la fixation

147Sachant que la durée de vie d’une société est fixée à 99 ans (art. 2 L. 17-95).
148La dissolution par manifestation de volonté unilatérale n’est bien entendu pas automatique car si la cession des
droits de l’associé souhaitant se retirer est possible, celui-ci peut se retirer de la société en cédant ses droits. Ce n’est
que lorsque la cession des droits n’est pas possible que le retrait unilatéral de l’associé provoque la dissolution de la
société. Quoi qu’il en soit, pour se prémunir contre le risque de dissolution par manifestation de volonté unilatérale
d’un associé, il est permis de prévoir dans les statuts une clause d’exclusion de l’associé qui donne lieu à la dissolution.
149 Art. 2 L. 17-95, applicable à toutes les sociétés commerciales.

70
statutaire de la durée.
Enfin, une société peut prendre fin suite à sa fusion 150 avec une autre société. Cette cause
de dissolution résulte bien entendu de la volonté des associés. Elle est donc volontaire.
Cependant, l’article 18 de la loi 5-96 la considère comme une cause de dissolution de la
société en nom collectif.

II. Les causes de dissolution de plein droit


La dissolution de plein droit trouve son origine dans certains évènements qui entraînent
automatiquement la dissolution de la société. Si une intervention judiciaire est nécessaire
dans ces cas, le juge ne fera que constater l’existence de l’évènement et prononcera la
dissolution sans user de son pouvoir d’appréciation. Ces causes de dissolution sont au
nombre de cinq.
L’arrivée du terme. C’est la cause de dissolution la plus naturelle. En effet, lorsque la
société a été constituée pour une durée déterminée, l’arrivée du terme met fin à la vie de la
société151. Ce terme ne peut dépasser 99 ans en application de l’article 2 de la loi 17-95.
Néanmoins, il peut être prorogé, expressément, par une modification des statuts. A défaut
de prorogation formelle, la société est censée être prorogée tacitement d’année en année
dès lors que les associés continuent d’effectuer les actes sur lesquels porte l’objet social152.
Cette disposition est heureuse car elle évite aux associés de se retrouver associés « de fait »,
et garantit à la société la continuité de la personnalité morale.
La réalisation ou l’extinction de l’objet social. La société prend fin par la réalisation de
son objet social. Cette réalisation de l’objet suppose que l’opération pour laquelle la société
a été instituée soit définitivement accomplie. L’extinction de l’objet implique, en revanche,
que l’activité pour laquelle la société a été créée se révèle impossible. Dans ce cas, la société
devient sans objet. Cette cause de dissolution joue rarement en pratique puisque les statuts
définissent l’objet de manière très large.
La liquidation judiciaire. Le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire emporte de
plein droit dissolution de la société, qui entre en phase de liquidation. C’est le jugement de
clôture de la liquidation qui met fin à la personnalité morale153.
La réunion des droits sociaux entre les mains d’un seul associé. En principe, les
associés doivent être au minimum deux. C’est pourquoi la réunion de tous les droits sociaux
en une seule main entraîne la dissolution de plein droit de la société. Tel est le cas des
sociétés de personnes. Les SARL ne sont pas concernées par ce cas de dissolution puisque
la société devient automatiquement et sans formalité particulière une SARL d’associé

150 La fusion est la réunion de deux ou de plusieurs sociétés en une seule.


151 Art. 1054 al. 1 DOC.
152 Art. 1054 al. 2 DOC.
153 Art. 669 Code de commerce.

71
unique.
L’annulation du contrat de société. Ce cas de dissolution n’emporte pas rétroactivité et
il est procédé à la liquidation de la société annulée154.

III. Les causes de dissolution judiciaire

Les causes énoncées à l’article 1056 DOC. L’article 1056 DOC permet à tout associé de
poursuivre la dissolution de la société avant son terme s’il y a de justes motifs155. Pour
illustrer les « justes motifs » pouvant amener un associé à demander la dissolution judiciaire
de la société, ledit article énonce, à titre indicatif et non limitatif, les « mésintelligences
graves survenues entre les associés », « le manquement d’un ou de plusieurs d’entre eux aux
obligations résultant du contrat » et « l’impossibilité où ils se trouvent de les accomplir ».
Les « mésintelligences graves entre associés », càd la mésentente entre associés constitue de
loin, la première raison, en pratique, de demander la dissolution de la société. Cette
mésentente entre associés n’est retenue que lorsqu’elle aboutit à paralyser le
fonctionnement normal de la société et l’empêche d’avoir une activité normale. Les juges
du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation de la gravité de la mésentente et
de son impact sur le fonctionnement de la société. De même, les conséquences
économiques et sociales doivent toujours être présentes dans l’esprit des juges lorsqu’il
s’agit de statuer sur une demande en dissolution d’une société.
Le manquement d’un associé à ses obligations peut être illustrée par l’hypothèse où un
associé a promis de faire un apport, mais ne tient pas sa promesse. En effet, l’apport est un
élément essentiel de la formation du contrat de société, sans lequel il ne saurait y avoir de
contrat de société. Le manquement peut encore consister en la création par un associé d’une
entreprise concurrente, voire le travail chez un concurrent.
L’impossibilité pour un associé d’accomplir ses obligations découlant du contrat de société,
bien qu’elle soit non fautive, ouvre le droit à dissolution pour les associés. C’est notamment
le cas lorsqu’il y a perte de l’apport en numéraire (vol des fonds), en nature (incendie) ou
en industrie (accident provoquant une infirmité physique). Le contrat de société est alors
résolu en application du droit commun de la résolution des contrats156.
Dans tous ces cas-là toutefois, l’article 1060 alinéa 1 DOC prévoit la possibilité pour les
autres associés de continuer la société entre eux, en faisant prononcer judiciairement
l’exclusion de l’associé qui donne lieu à la dissolution. Par ailleurs, l’appréciation du tribunal
étant souveraine, celui-ci peut qualifier de justes motifs toute autre raison invoquée par un

154 Art. 346 L. 17-95.


155 Il s’agit d’une disposition d’ordre public.
156 Art. 259 DOC.

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associé. La liste des raisons énoncés à l’article 1056 n’étant pas limitative.
Dissolution à titre de peine accessoire à une condamnation pénale. L’article 36 du
Code pénal prévoit, parmi les peines accessoires, la dissolution d’une personne juridique.
Une telle dissolution interdit par conséquent la continuation de l’activité sociale, même sus
un autre nom et avec d’autres dirigeants157. Elle entraîne la liquidation de la société.

Section 2 : Les effets de la dissolution

La dissolution s’effectue en deux étapes : la liquidation (I), suivie du partage (II).

I. La liquidation

La condition juridique de la société en liquidation. La dissolution de la société entraîne


immédiatement sa liquidation158. Cette opération est nécessaire pour déterminer de manière
précise et définitive la situation de la société à l’égard des tiers mais aussi dans les rapports
entre associés entre eux159. Cependant, la liquidation n’entraîne pas automatiquement la
perte de la personnalité morale de la société. Bien que la société dissoute ne peut plus
reprendre le plein exercice de son activité160, le maintien de la personnalité morale de celle-
ci se justifie pour les besoins de la liquidation, seulement161. Elle survit donc en tant que
personne juridique pendant tout le temps nécessaire à sa liquidation162. Plusieurs
conséquences découlent de cette règle de la survie de la personne morale de la société :
celle-ci conserve son nom163 et son siège social, les créanciers sociaux conservent les
avantages principaux de la personnalité morale et, notamment, le droit d’agir contre elle.
Les conservent surtout leur droit de préférence sur le patrimoine de la société. A l’égard des
tiers, la dissolution ne prend effet qu’à compter de la date à laquelle elle est inscrite au

157 Art. 47 Code pénal.


158Art. 362 al. 1 L. 17-95. On entend par liquidation l’ensemble des opérations qui consistent à terminer les affaires en
cours dans lesquelles la société s’était engagée avant sa dissolution, à réaliser l’actif pour le rendre liquide en procédant
au recouvrement des créances de la société, à acquitter le passif en payant les dettes et en remboursant aux associés le
montant de leurs apports.
159Ne font en revanche pas l’objet de liquidation les sociétés dissoutes pour cause de fusion ainsi que les sociétés en
participation. Dans le premier cas, le patrimoine universel de la société dissoute est transmis à la société bénéficiaire et
dans le second cas, faute de personnalité morale, la SEP ne dispose ni d’actif ni de passif à liquider. Les participants
reprennent les apports effectués et dont ils sont restés propriétaires.
160En effet, la décision de liquidation est irrévocable et ne peut être remise en cause. Par conséquent, la société ne
saurait être engagée dans de nouvelles opérations, à moins qu’il s’agisse d’opérations nécessaires à l’exécution de
contrats en cours.
161 Art. 362 al. 2 L. 17-95.
162 Elle conserve par conséquent sa structure sociétaire et son autonomie juridique.
163 Qui doit être suivi de la mention « société en liquidation » (Art. 1067 al. 1 DOC).

73
registre du commerce164, et ce bien que l’article 1059 DOC prévoit un délai de prise d’effet
à leur égard d’un mois après la publication du jugement de dissolution dans les journaux.
En effet, le texte spécial (la loi 17-95) prévalant sur les dispositions de droit commun
(DOC), c’est donc l’inscription au RC qui est déterminante de l’opposabilité aux tiers de la
décision de dissolution. Jusqu’à cette date, les organes de la société sont réputés conserver
leurs attributions. La survie de la société concerne aussi les associés qui continuent de
profiter de l’organisation collective de la société sans voir leur situation réduite à un état
d’indivision. En revanche, la société perd certaines prérogatives, de même que ses
dirigeants : elle perd le droit d’ester en justice et seuls les liquidateurs sont habilités à agir
pour représenter la société. Elle perd en outre la possibilité de se transformer ou d’exercer
une nouvelle activité.
La société est radiée d’office du registre du commerce au terme d’un délai de trois ans
courant à compter de la mention de dissolution. Toutefois, le liquidateur peut demander la
prorogation de l’immatriculation pour les besoins de la liquidation.
Nomination d’un liquidateur. Le mandat des dirigeants prend fin du seul fait de la
dissolution165. Dès lors, la société ne peut valablement agir que par l’intermédiaire d’un ou
de plusieurs liquidateurs166. Lorsque les associés sont d’accord sur la désignation du
liquidateur et l’étendue de ses pouvoirs, la liquidation est dite « amiable ». En cas de
désaccord de ceux-ci, le tribunal désigne le liquidateur à la requête de l’associé le plus
diligent167. Le liquidateur peut être choisi parmi les associés ou en dehors d’eux168. L’acte
de nomination du liquidateur doit être déposé au greffe du tribunal, inscrit au RC et publié
dans un délai de 30 jours dans un journal d’annonces légales. S’il est en principe nommé
pour toute la durée de la liquidation, le liquidateur, à l’instar des mandataires sociaux, peut
être révoqué. Lorsqu’il a été désigné par les statuts, le liquidateur ne peut être révoqué qu’à
l’unanimité des associés et pour justes motifs, sauf stipulation contraire des statuts.
Mission du liquidateur. Le liquidateur représente la société. Ce pouvoir de représentation
lui permet de se substituer pour cela à l’organe de gestion. A ce titre, il a le pouvoir et le
devoir de poursuivre les affaires en cours. Il est là pour liquider la société et est donc investi
des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l’actif (en vue de désintéresser les créanciers) et
parvenir au partage de l’actif net entre les associés. Son pouvoir général d’administration lui
permet de vendre les meubles, immeubles et fonds de commerce. Il a le pouvoir de
recouvrer les créances et de payer les créanciers sociaux.

164 Art. 362 al. 3 L. 17-95.


165Art. 930 DOC : « Le mandat donné par une personne morale ou une société cesse avec la fin de la personne morale
ou de la société ». Cependant, tant que le liquidateur n’a pas été nommé, les dirigeants demeurent chargés des affaires
urgentes (art. 1066 DOC).
Les associés ne se réunissent que pour statuer sur les comptes de la liquidation, prononcer la clôture de celle-ci ou
166

pour donner au liquidateur les autorisations spéciales lui permettant de disposer des biens de la société.
167 Art. 1065 al. 3 DOC.
168 En pratique, les experts-comptables sont fréquemment nommés en qualité de liquidateurs.

74
Le liquidateur est responsable, à l’égard de la société et des tiers, des conséquences
dommageables des fautes qu’il pourrait commettre dans l’exercice de ses fonctions169.

II. Le partage
Effets. La clôture de la liquidation entraîne, à compter de la date de son prononcé (par les
associés ou le tribunal), la disparition définitive de la personne morale, la fin du mandat du
liquidateur et le partage de l’actif net entre les associés (s’il y a lieu). Le partage est effectué
conformément aux dispositions des articles 1083 à 1091 DOC. Il porte sur l’actif restant
après extinction du passif. Si après remboursement des apports, il reste une somme à
partager, ce boni de liquidation est réparti entre les associés en proportion de leur
participation au capital social, sauf dispositions statutaires contraires.
Dans l’hypothèse où il reste un passif non réglé intégralement, les associés dont la
responsabilité est limitée au montant de leur apport perdent tout ou partie de ceux-ci170 (car
il faut d’abord désintéresser les créanciers). Les associés tenus solidairement et indéfiniment
(dans les sociétés de personnes) des dettes sociales devront, quant à eux, désintéresser
personnellement les créanciers sociaux. Dans les deux cas, les créanciers sociaux ne sont plus,
à ce stade, prioritaires : ils sont en concours avec les créanciers personnels des associés. En
effet, la liquidation étant clôturée, il n’y a plus de personne morale, donc plus de patrimoine
social (et plus d’écran de protection du patrimoine personnel des associés). Les biens de la
société sont entrés dans le patrimoine personnel des associés, devenant ainsi le gage de tous
les créanciers, sans distinction.

169 Art. 371 al. 1 L. 17-95.


170 Art. 1087 DOC.

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