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LA SEMAINE DU DROIT L’ENTRETIEN

ENTREPRISES

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« Mais qu’est-ce que l’entreprise ? »

Après le rapport Notat/Senard résultant de la mission « Entreprise et intérêt général »,


lancée en janvier dernier, le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des
entreprises dit Pacte est actuellement en discussion au Parlement. Mais qu’est-ce que
l’entreprise ? Cela fait des décennies que les juristes en débattent sans pouvoir trouver
un accord, sans définir son identité, sans s’entendre sur une notion qui pourrait être com-
mune à tous les textes. Le problème est complexe et la solution n’est pas facile. Existe-t-il
une seule notion d’entreprise ou autant de notions que de textes qui s’y réfèrent ?
Dans les deux entretiens qui suivent, deux juristes exposent leur point de vue, d’abord,
Jean Paillusseau, d’une manière générale, ensuite, Jacques Barthélémy, plus spécifique-
ment en droit du travail.
Invitation à la lecture.

Entretien avec JEAN PAILLUSSEAU, professeur prise » (V. Pour aller plus loin), des ré- tats de l’entreprise… Leur conclusion est
émérite (Rennes I), directeur honoraire du formes successives conduiront à une révo- que ces innovations ne peuvent s’expliquer
Centre de droit des affaires, avocat honoraire au lution dans la conception de la faillite et de que par l’existence d’une entité sociale :
barreau de Paris
l’organisation des procédures. On est passé l’entreprise. Mais comment voient-ils l’en-
alors d’un droit des faillites à un droit des treprise ? Elle serait une institution. L’insti-
difficultés des entreprises. Depuis, il n’a tution étant une notion et une construction
La Semaine Juridique, Édition générale : cessé de s’adapter aux transformations des sociologiques, sans statut juridique. Ce qui
Comment l’entreprise est-elle apparue entreprises et de leur environnement éco- conduit Despax dans sa thèse, à soutenir
dans le droit français ? nomique et social. qu’il y aurait une dissociation entre l’en-
Jean Paillusseau : Comme le montre En droit monétaire et financier, que ce soit treprise et la personne de l’entrepreneur
Jacques Barthélémy, c’est par le droit du pour l’information de la caution (C. monét. (la société ou la personne physique). Et il
travail que l’entreprise est entrée dans le fin., art. L. 313-22) ou en droit européen en conclut que cette dissociation devrait
droit français. Pendant une bonne partie du et en droit français pour la définition, par conduire à la reconnaissance d’un nouveau
XXe siècle, l’entreprise s’est identifiée dans exemple, des établissements de crédit. sujet de droit : l’entreprise, qui prendrait
la pensée de nombreux juristes à cette entité En droit des sociétés, où elle est parfois place à côté du sujet de droit traditionnel,
qu’il mettait en lumière. confondue avec la société. l’entrepreneur.
Pourtant, elle apparaît aussi dans bien Mais, de nombreux commercialistes ne
d’autres secteurs du droit. JCP G : Comment l’entreprise a-t-elle été partagent pas cette vision. Ils considèrent
C’est l’entreprise que les textes européens appréhendée par les juristes ? qu’il suffit de se référer aux qualifications
ont mise au centre du droit de la concur- J. P. : Au XIXe et au début du XXe siècle, classiques de propriété et de contrat :
rence (Traité CEE, art. 85 et 86, désormais l’entreprise n’existe pas. Ou elle est souvent l’entreprise est et n’est qu’un ensemble de
Traité UE, art. 101 et 102). Ce droit euro- confondue avec le fonds de commerce. moyens, d’éléments d’actifs, objets de pro-
péen se diffusera dans les droits nationaux, Seuls commencent à en parler au XXe siècle, priété, quant à la relation entre la société
dont le droit français, notamment par la dans les années quarante, quelques spécia- (l’employeur) et chacun de ses salariés,
voie des règlements et des directives. listes du droit du travail, en particulier Paul elle résulte d’un simple contrat de travail.
En droit des faillites, où à la suite des tra- Durand. Ils veulent comprendre et expli- Cette analyse est encore présente dans des
vaux remarquables du doyen Houin qui quer les importantes innovations législa- ouvrages de droit commercial et de droit
affirmait : « … qu’une législation moderne tives, comme l’institution des comités d’en- des sociétés. On ajoute parfois que, dans
de la faillite devrait faire place au besoin treprises, celle des délégués du personnel, la société anonyme, l’entreprise est la pro-
économique de permanence de l’entre- ou la participation du personnel aux résul- priété des actionnaires.

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Dans son célèbre ouvrage : Aspects juri- est évidemment plus simple de n’employer peut être que sa propriété ou un sujet de
diques du capitalisme moderne, Ripert qu’un seul terme : « entreprise », que droit autonome.
établira un rapport important entre l’en- l’expression : « exercice d’activités éco- Or, cette analyse ne correspond pas à la
treprise et la société. Il explique que l’entre- nomiques ». C’est à cette seule entité éco- réalité de la société dotée de la personnalité
prise exploitée en société anonyme est une nomique que se réfèrent de nombreuses morale.
communauté hiérarchisée : « … elle a un règles juridiques. La théorie traditionnelle de la personna-
chef qui ne représente pas simplement le Mais le terme d’entreprise a aussi un autre lité morale est, notamment, totalement
capital, mais aussi toutes les forces engagées sens. L’exercice des activités économiques contredite par l’institution de la société
dans l’entreprise et qui doit la diriger dans crée une entité sociale : celle qui est formée unipersonnelle par la loi du 11 juillet 1985.
l’intérêt commun. Alors même que le chef par les salariés qui réalisent l’activité éco- Elle met en évidence la notion moderne de
est désigné par les détenteurs du capital, il nomique. Ils sont au cœur de l’activité. Ils société-personne morale. Une seule per-
ne représente pas le capital, il représente ont des intérêts personnels et des intérêts sonne – une personne physique, ou une
l’entreprise ». communs. L’entreprise n’est donc pas seu- société mère dans un groupe par exemple –
lement une entité économique, elle est aussi peut, pour diverses raisons, notamment
JCP G : Mais qu’est-ce que l’entreprise ? une entité sociale. C’est par la reconnais- pour limiter sa responsabilité, ou pour au-
J. P. : Pour bien comprendre la notion sance et la protection de leurs intérêts par tonomiser juridiquement certaines activités
d’entreprise, il faut partir de la notion fon- le droit du travail que la notion d’entreprise dans un groupe, instituer une société et
damentale et universelle d’exercice des acti- est entrée dans le droit français et a pris tant cette société jouit de la personnalité morale
vités économiques. Partout dans le monde d’importance. à dater de son immatriculation au registre
et depuis la nuit des temps, cet exercice est Dans ces deux sens, l’entreprise est une du commerce et des sociétés.
au cœur de la vie des sociétés. entité économique et une entité sociale, elle Cette société-personne morale, et la per-
L’exercice d’une activité économique est n’est pas une entité juridique. sonne qui l’institue, sont deux personnes
l’exercice d’une activité (ou d’activités) de
production, de transformation, de distribu-
tion de biens et de prestation de services ou
« Pour bien comprendre la notion d’entreprise,
de certaines de ces fonctions. Cette activité il faut partir de la notion fondamentale
peut être industrielle, commerciale, finan-
cière, libérale, agricole, artisanale... Elle
et universelle d’exercice des activités
peut être aussi bien de nature civile que économiques. Partout dans le monde et depuis
commerciale. Elle est exercée par une per-
sonne juridique, personne physique ou per-
la nuit des temps, cet exercice est au cœur de
sonne morale, ou, dans certaines situations, la vie des sociétés. » Jean Paillusseau
par plusieurs personnes juridiques (ce qui
peut être le cas dans des groupes de sociétés JCP G : Quels sont les rapports entre l’en- juridiques distinctes. Et c’est précisément
par exemple). treprise et la société-personne morale ? pour établir ce cloisonnement patrimonial
L’exercice d’une activité économique se J. P. : Quand une personne morale exerce qu’elle crée la société. La personne morale
caractérise par de multiples éléments, dont une activité économique, l’entreprise est titulaire de son patrimoine et c’est elle
principalement : (1) une volonté d’exercer qu’elle crée est parfois classée par une partie qui exerce en son nom et sous sa respon-
une activité économique – une volonté de la doctrine en objet ou en sujet de droit sabilité l’activité économique. Les parties
d’entreprendre ; (2) un pouvoir – un centre (un sujet de droit en devenir, selon Des- prenantes et les tiers d’une manière géné-
de décision ; (3) un personnel, sauf si elle pax). C’est la conséquence d’une certaine rale n’ont comme interlocuteur que cette
est exercée par une seule personne ; (4) un conception de la personnalité morale. Dans société-personne morale.
ensemble de moyens ; (5) une organisation la doctrine traditionnelle, une personne Cette société-personne morale est juri-
particulière de l’exercice de l’activité qui morale est et n’est rien d’autre que la per- diquement organisée – qu’il s’agisse de
constitue son business model. L’exercice de sonnalisation juridique du groupement l’organisation de sa structure ou de celle de
l’activité économique crée une concentra- constitué par ses membres. Tel est le cas de son fonctionnement – par les statuts de la
tion d’intérêts dont il est la cause et/ou la la société-personne morale que l’on consi- société et par les textes légaux pour exer-
conséquence (associés, dirigeants, salariés, dère comme la simple personnalisation du cer l’activité économique décrite dans son
créanciers, clients…). groupement des associés ; en conséquence, objet. L’associé unique détient des parts ou
Dans une première acception, et de ma- les règles qui régissent la société sont et ne actions de la société. Elles lui confèrent le
nière très générale, le terme d’entreprise sont que l’organisation juridique du grou- droit d’exercer le pouvoir dans la société en
est utilisé pour désigner ce seul exercice pement des associés. Aussi, en raison de la qualité de représentant de cette société-per-
de l’activité économique (comme celui de division traditionnelle du droit privé entre sonne morale dans les conditions fixées par
Business dans le monde anglo-saxon). Il les personnes et les biens, l’entreprise ne les dispositions statutaires et légales. Il pro-

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fite de l’économie ou perçoit les bénéfices - la seconde est l’objet, la finalité et les ob- financement ; et que constitue une activité
pouvant résulter de l’exercice de l’activité jectifs des normes édictées, ou appliquées, économique toute activité consistant à of-
économique et, le cas échéant, supporte les dans telle ou telle branche du droit. Quels frir des biens ou des services sur un marché
pertes dans les limites de sa responsabilité. que soient leur objet, leur finalité et leurs donné.
La situation est identique pour les sociétés objectifs, elles ne peuvent être conçues C’est également en fonction des objectifs
pluripersonnelles. Si une société uniper- qu’en fonction de la réalité économique poursuivis par l’article L. 313-22 du Code
sonnelle devient pluripersonnelle à la suite et sociale de l’exercice des activités éco- monétaire et financier relatif à l’informa-
de cession de parts sociales ou d’actions nomiques et de ses composantes. Mais, il tion de la caution que la Cour de cassation
par l’associé unique à de nouveaux asso- est évident que toutes ces composantes ne décide que l’exercice d’une activité éco-
ciés ou actionnaires, ces cessions n’ont pas seront pas prises en compte pour la concep- nomique libérale constitue une entreprise
pour effet de changer la nature de la per- tion de toutes les normes. Seules seront re- (Cass. 1re civ., 23 mars 2004, n° 01-02.755 :
sonne morale, ni celle de son patrimoine. tenues les composantes qui sont pertinentes JurisData n° 2004-022960).
Ces nouveaux associés ou actionnaires pour qu’une norme ait un sens et que ses Les mêmes observations peuvent être
sont à l’égard de la personne morale et de objectifs soient réalisables. L’appréhension faites dans d’autres branches du droit. Il
son patrimoine dans la même situation des composantes de l’exercice des activités ne peut donc y avoir une notion unique
que celle de l’associé unique avant la ces- économiques est fonctionnelle. C’est donc de l’entreprise, c’est une notion purement
sion. Le raisonnement est le même quand, en fonction de l’objet, de la finalité et des fonctionnelle. Ce qui est commun à toutes
à l’inverse, une société pluripersonnelle objectifs de la norme ressortissant à telle ou les approches, c’est qu’elles prennent leurs
devient unipersonnelle à la suite de cession telle branche du droit que vont être recher- éléments fondamentaux dans la notion
de parts sociales ou d’actions par des asso- chés et appréciés, par exemple, le pouvoir d’exercice des activités économiques et ses
ciés ou des actionnaires à un seul d’entre de décision, l’activité ou les activités, les composantes.
eux. C’est la société qui est la personne intérêts des actionnaires, ceux du personnel
morale, les associés ou actionnaires sont et des parties prenantes. JCP G : Les droits des salariés sont-ils
d’autres personnes juridiques. Ni la socié- En droit du travail, par exemple, la finalité construits en fonction de l’organisation
té-personne morale ni son patrimoine ne des règles est la protection des travailleurs et juridique de la société-personne morale ?
changent de nature. de plus en plus leur promotion (V. ci-après J. P. : C’est la société-personne morale qui
Quel est alors le rapport entre la personne J. Barthélémy). Dans cette perspective, les exerce l’activité économique, il en résulte
morale et l’entreprise ? C’est simple : c’est la éléments essentiels de l’exercice des activi- que la société est l’organisation juridique
société qui exerce l’activité économique (ou tés économiques sont : (1) l’existence d’une de l’exercice des activités et donc de l’en-
en d’autres termes l’entreprise, entendue collectivité de travail ; (2) l’activité écono- treprise (dans le premier sens du terme),
dans son sens le plus commun) et c’est cet mique exercée (sa nature, son exercice, son et c’est cette activité économique qui crée
exercice de l’activité économique qui crée organisation…) et (3) le pouvoir de déci- l’entité sociale qu’est l’entreprise (dans le
l’entité sociale qui caractérise l’entreprise au sion (et son organisation). second sens du terme). Aussi est-ce par rap-
sens du droit du travail quand des salariés L’approche est très différente en droit de la port à la société-personne morale et à son
participent à la réalisation de l’activité éco- concurrence. L’objet de ce droit est de régu- organisation (notamment celle du pouvoir
nomique. Les droits des salariés sont alors ler les marchés de telle sorte que le jeu de la de décision, de ses activités…) que vont
construits en fonction de l’organisation concurrence ne soit pas affecté par des en- être conçus et organisés certains droits du
juridique de la société-personne morale. tentes illicites, des abus de position domi- personnel, que ce soit par le droit des so-
La société est une technique juridique qui nante ou des concentrations d’entreprises ciétés ou par le droit du travail, comme la
organise l’entreprise et qui la personnalise créant ou renforçant une position domi- participation des salariés au conseil d’admi-
quand elle jouit de la personnalité morale. nante. Ses objectifs sont divers et évolutifs : nistration, l’information et la consultation
l’efficience économique, la protection des du Comité social et économique (CSE),
JCP G : Comment l’entreprise est-elle ap- concurrents, celle des consommateurs... l’intéressement et la participation, l’alerte
préhendée dans les différentes branches En conséquence, les éléments essentiels économique…
du droit ? qui sont pris en considération sont : (1) les Mais, si l’exercice de ses activités excède
J. P. : L’entreprise est omniprésente dans marchés ; (2) les entités qui interviennent les limites de sa personnalité morale, ou
différentes branches du droit. Mais com- sur les marchés et (3) les comportements de qu’il est dépendant du pouvoir d’une ou
ment est-elle appréhendée par des normes ces entités sur les marchés qui sont suscep- d’autres personnes morales, le droit du
très différentes ? Deux considérations sont tibles d’enfreindre les règles de la concur- travail en tient compte pour organiser en
ici essentielles : rence. Aussi, l’entreprise y est-elle définie conséquence les droits des salariés. Ce qui
- la première est celle de la prise en compte comme toute entité exerçant une activité est le cas, par exemple, dans les groupes
par ces normes de la réalité économique économique, indépendamment de son de sociétés (institution des comités de
et sociale de l’exercice des activités écono- statut juridique (une ou plusieurs sociétés, groupe) ou dans les unités économiques
miques dans ses différentes composantes ; un groupe par exemple) et de son mode de et sociales (institution d’un CSE). Peut-on

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en conclure que le champ de l’entreprise


comprend ces extensions ? Cela dépend
des situations. Mais ce qui est important,
Pour aller plus loin
déterminant, c’est de relever l’existence de - M. Despax, L’entreprise et le droit : LGDJ, 1956.
certains des éléments essentiels de l’exercice - P. Durand, La notion juridique d’entreprise, Les Journées de l’Association Henri
des activités économiques pour en tirer des Capitant : Dalloz, 1947 ; Aux frontières du contrat et de l’institution in Traité de
conséquences juridiques. droit du travail.
- J. Barthélémy : Actionnaires, salariés : quelle entreprise ? : CDRH, n° 145, juill.
JCP G : Comment l’entreprise a-t-elle été 2008 ; L’intérêt de l’entreprise : aparté n° 146, sept. 2008 ; Turbulences entre
organisée à partir du modèle de l’entre- droits des sociétés et du travail : JCP S 1987, doctr. 3311.
prise industrielle ? - N. Catala, ss dir. Camerlynck, Traité de droit du travail : Dalloz, 1980.
J. P. : L’entreprise industrielle a été le mo- - G. Cette et J. Barthélémy, Travailler au XXIe siècle : Odile Jacob, 2016.
dèle à partir duquel a été conçu et orga- - R. Houin, Permanence de l’entreprise à travers la faillite, Liber amicorum, Baron
nisé le droit du travail (V. ci-après J. Bar- Louis Fredericq : Gent, 1965, p. 609 et s. ; In Aspects économiques de la faillite
thélémy). Ce modèle a eu aussi beaucoup et du règlement judiciaire, Rapport de l’Inspection générale des finances : Sirey,
coll. Bibl. dr. com., t. 20, 1969, p. 135 et s.
d’importance en droit des sociétés puisqu’il
a conduit à la création et à l’organisation de - J. Paillusseau, Entreprise et société – Quels rapports ? Quelle réforme ? :
D. 2018, p. 1395.
la société en commandite par actions, de la
société anonyme, des valeurs mobilières et - J. Paillusseau, Comment les activités économiques révolutionnent le droit
et les théories juridiques – Révolution dans les approches et raisonnements
au développement de l’ensemble de l’orga-
juridiques : D. 2017, p. 1004.
nisation boursière.
- J. Paillusseau, L’entreprise, société, actionnaires, salariés : quels rapports ? :
La vague anglo-saxonne de la corporate go-
D. 1999, p. 157.
vernance et de la shareholder value dans la
- G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne : LGDJ, 1951, 2e éd.,
seconde partie du XXe siècle a conduit à voir
p. 277.
le rapport entre l’entreprise et la société de
- M. Viénot, Rapport du comité sur le gouvernement d’entreprise, juill. 1999 :
manière très différente, certains ont même
http://www.ecgi.org/codes/documents/vienot2_fr.pdf)
considéré que l’entreprise appartenait à ses
actionnaires.
Aujourd’hui, les révolutions industrielles
qui se succèdent à un rythme toujours contractuelles établies entre la personne JCP G : Qu’est-ce que l’intérêt de l’entre-
plus rapide, la mondialisation, la digitali- juridique et les titulaires d’intérêts ; la pro- prise ?
sation, la prise de conscience de la respon- tection légale particulière qui peut concer- J. P. : Le projet de loi Pacte énonce « La
sabilité sociale et sociétale des entreprises ner certains de ces intérêts (le droit de la société est gérée dans son intérêt social… ».
conduisent à envisager de manière très consommation, par exemple) ; et plus gé- Mais qu’est-ce que l’intérêt social ? Il
différente les rapports entre les sociétés et néralement, la RSE. dépend en grande partie de la nature de
les entreprises. C’est le sens du projet de loi C’est la raison pour laquelle le projet de loi l’activité exercée par la société, de son objet
Pacte. Pacte relie ces intérêts à la société et à son social. Quand elle exerce une activité éco-
intérêt social en modifiant l’article 1833 du nomique, qu’elle crée une entreprise, l’inté-
JCP G : Quels rapports entre l’entreprise Code civil : « La société est gérée dans son rêt social est l’intérêt de l’entreprise.
et les parties prenantes ? intérêt social, en prenant en considération Cet intérêt a été défini dans le rapport Vié-
J. P. : L’exercice des activités économiques les enjeux sociaux et environnementaux de not (V. Pour aller plus loin) comme étant
crée une concentration d’intérêts très di- son activité ». celui de la personne morale : « L’intérêt so-
vers (les parties prenantes). Ces intérêts ne Cependant, si la société-personne morale cial peut ainsi se définir comme l’intérêt su-
résultent pas de l’existence d’une « entre- exerce aussi ses activités en totalité ou en périeur de la personne morale elle-même,
prise », mais de l’exercice même des activi- partie sous le couvert d’autres entités juri- c’est-à-dire de l’entreprise considérée
tés économiques, sauf à considérer que par diques, ou influence fortement leur com- comme un agent économique autonome,
« entreprise » on désigne – on identifie – cet portement, le droit peut en tenir compte poursuivant des fins propres, distinctes
exercice des activités. Dès lors, ces intérêts pour organiser les droits des parties pre- notamment de celles de ses actionnaires, de
sont liés à la personne juridique – personne nantes de ces entités et leur permettre d’en- ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de
physique ou personne morale – qui exerce gager la responsabilité de cette société-per- ses fournisseurs et de ses clients, mais qui
l’activité économique ou, le cas échéant, de sonne morale. Toutefois, c’est avec une très correspondent à leur intérêt général com-
sociétés appartenant à un même groupe. grande précaution que l’on porte atteinte mun, qui est d’assurer la prospérité et la
Ces intérêts sont pris en compte par le au principe fondamental du droit français continuité de l’entreprise ».
droit de plusieurs manières : les relations de l’autonomie de la personnalité morale. Pour la commission Notat/Senard, la socié-

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té a un intérêt propre « comme boussole, à celle de l’employeur conçu comme le diri- découpage issu du droit des sociétés – et
c’est-à-dire la continuité d’exploitation, la geant d’une société ou exploitant en nom l’unité sociale conduisant à une définition
pérennité grâce à l’investissement, à la créa- personnel, d’autant que la libre circulation fonctionnelle en liaison avec la finalité du
tion collective et à l’innovation ». des travailleurs implique son transfert (en droit du travail identifiée par des condi-
L’intérêt social – intérêt de l’entreprise – est fait son maintien) dans un ensemble éco- tions de travail similaires et coordonnées,
le dénominateur commun de la protection nomique coordonné… ce qui oblige à s’in- donc à partir d’une direction de fait com-
de l’ensemble des intérêts des parties pre- téresser à la définition de l’entreprise. mune. Ainsi est conférée une certaine
nantes. N’est-ce pas quand la continuité de Le contrat de travail est de ce fait proche consistance juridique à la collectivité de
l’exploitation est menacée que l’on estime d’une institution. En outre, le droit du travail, bien que le concept d’UES soit né
que l’entreprise est en difficulté ? travail est aussi celui des droits collectifs pour écarter la fraude à la loi dans la mise
fondés sur une consistance juridique de en place des institutions représentatives
JCP G : En quoi l’approche organisation- la collectivité de travail… de l’entreprise ! du personnel (qui contribuent à structurer
nelle permet-elle de mieux comprendre L’émergence du droit disciplinaire ne pou- cette collectivité).
l’entreprise et de résoudre ses problèmes ? vait qu’exiger aussi l’investigation sur la On voit, par ce qui précède, l’impor-
J. P. : L’approche organisationnelle c’est notion d’entreprise. À lui seul, le droit des tance de l’existence d’institutions repré-
comme la prose de M. Jourdain. sociétés ne peut justifier le pouvoir de sanc- sentatives du personnel, principalement
Que font par exemple les parlementaires tionner le travailleur. C’est par référence du comité social et économique (CSE),
lorsqu’ils conçoivent, construisent, rédigent aux objectifs de l’entreprise et aux moyens l’institution désormais unique qui peut
et adoptent un texte législatif ? Ils suivent permettant leur expression que les fautes du d’autant plus aisément devenir le « conseil
une démarche organisationnelle. L’adop- travailleur ne se résolvent pas par des dom- d’administration » de la collectivité du
tion de la société unipersonnelle par la loi mages et intérêts, voire par la rupture de la personnel que par accord collectif on peut
du 11 juillet 1985 en est un bon exemple (V. relation contractuelle. lui donner, en plus, la faculté de négocier
Pour aller plus loin). À l’époque, de nom- De ce qui précède, il ressort que le droit du les accords collectifs.
breux auteurs étaient contre l’adoption travail a joué un rôle premier et détermi- La participation contribue aussi à identifier
de la société unipersonnelle qu’ils consi- nant dans la reconnaissance (juridique) de juridiquement l’entreprise en droit social
déraient comme un non-sens ; ils s’oppo- l’entreprise. mais, par souci d’efficacité, il est indis-
saient à toute réforme de l’article 1832 du pensable que la participation financière
Code civil. Aujourd’hui, plus de la moitié JCP G : Comment l’entreprise a-t-elle été ne soit pas considérée comme un produit
des sociétés créées en 2017 sont des sociétés appréhendée par les juristes ? d’épargne (ce dont atteste le blocage pen-
unipersonnelles (INSEE). Qui en conteste J. B. : Le droit du travail ne peut se référer dant 5 ans) mais comme un « dividende de
l’existence ? au (seul) droit des sociétés pour définir les l’apport en industrie ».
Le droit, science d’organisation, c’est l’anti- droits des travailleurs. L’employeur est, en
thèse d’un droit technocratique. droit du travail, distinct du mandataire de JCP G : Mais qu’est-ce que l’entreprise ?
la société, peu important qu’il s’agisse de la J. B. : L’entreprise ne peut qu’être d’abord
même personne physique. Nicole Catala a une entité à finalité économique. Pourtant
Entretien avec JACQUES BARTHÉLÉMY, avocat consacré un ouvrage à l’entreprise dans la - et bien que l’objet de la société, qui ras-
honoraire, Cabinet Barthélémy, conseil en droit collection dirigée par Camerlynck intitu- semble des détenteurs du capital affecté à
social, ancien professeur associé, Faculté de lée Traité de droit du travail (V. Pour aller un objet particulier d’activité – dangereux
droit de Montpellier
plus loin). Elle y développe une réflexion de confondre entreprise et société. Cette
sur l’impact de la conception institution- remarque préliminaire est d’autant plus
La Semaine Juridique, Édition générale : nelle ou de l’approche contractualiste (de importante qu’au-delà de l’approche éco-
Comment l’entreprise est-elle apparue l’entreprise) sur l’intérêt de l’entreprise, nomique et de l’approche juridique, l’entité
dans le droit français ? donc sur le détournement de pouvoir (de se nourrit aussi d’une vision sociologique.
Jacques Barthélémy : Par souci de clarté, l’employeur), seule limite de fond au pou- La finalité du droit du travail – la protec-
il faut distinguer la référence à l’entreprise voir du dirigeant, celui qu’il tire de l’organi- tion et, de plus en plus, la promotion des
dans la loi - elle est très récente - et la sensi- sation de la société… composée des déten- travailleurs – fait que sans nier la primauté
bilisation de la doctrine, plus ancienne. En teurs du capital. de l’unité économique pour caractériser
droit social, elle est liée aux modes hiérar- Le concept d’unité économique et sociale l’entreprise, doit être prise en compte, en
chiques d’organisation du travail des activi- (UES) est la véritable définition de l’entre- plus, l’unité sociale, c’est-à-dire l’existence
tés industrielles ; du reste on parlait initiale- prise en droit social. L’unité économique d’une collectivité de travail dont les intérêts
ment de législation industrielle. – fondée sur l’existence de dirigeants com- doivent être aussi déclinés, indépendam-
La fonction protectrice génétique du droit muns et d’activités identiques, complé- ment de ceux individuels de chaque travail-
du travail induit que sa relation contrac- mentaires ou concourant à un même objet leur. La définition de l’entreprise y repose
tuelle de travail ne soit pas étroitement liée consolidé – sous-entendu quel que soit le donc sur le concept d’unité économique

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et sociale (UES), les deux aspects étant élues, aujourd’hui le CSE pouvant se voir ploi notamment) qui, par la consultation et
totalement indissociables. Le transfert du confier le pouvoir de négocier, mais aussi (ou) la négociation peuvent influencer les
contrat de travail (C. trav., art. L 1224-1 ; par les organisations syndicales d’autant positions de la personne morale employeur.
art. L. 122-12 ancien) en cas de transforma- plus depuis 1968 au travers du délégué syn- L’accord collectif de travail est la source d’ex-
tion de l’entreprise apparaît alors comme dical et de la section syndicale. Il n’est pas cellence pour y parvenir, la convention d’en-
consacrant une définition de l’entreprise inutile de souligner que le CSE est une per- treprise en premier lieu. Il n’est pas inutile
dans le temps, l’UES en étant la définition sonne morale ; de souligner que, pour la concrétisation des
dans l’espace. - c’est par référence à l’entreprise que droits collectifs du personnel, sont consa-
s’exercent les droits collectifs du personnel, crés, en aval de l’entreprise, l’établissement
JCP G : Quels sont les rapports entre l’en- notamment dans l’intérêt de celle-ci. La et, en amont, le groupe.
treprise et la société-personne morale ? société est, à cet égard, plus un cocontrac-
J. B. : En droit du travail, c’est avec l’em- tant, particulièrement s’agissant du droit JCP G : Comment l’entreprise a-t-elle été
ployeur que le salarié contracte. Ce peut de négociation collective. D’où la mise sur organisée à partir du modèle de l’entre-
être une personne physique mais, le plus orbite de l’intérêt de l’entreprise prenant en prise industrielle ?
souvent, c’est une personne morale, repré- compte celui de la collectivité du personnel ; J. B. : Pour le travailliste, cette question est
sentée alors par son mandataire social. Par - la relation individuelle de travail (entre essentielle car l’usine a été le modèle fort
voie de conséquence, la question des rap- l’employeur et le travailleur) est certes pour fabriquer la législation industrielle,
ports entre l’entreprise et la société intéresse caractérisée par un contrat. Très vite a été ancêtre du Code du travail. Ce sont les
beaucoup plus le droit commercial, celui écartée l’idée de louage de services parce organisations hiérarchiques induites de la
des sociétés spécialement, que le droit du que l’objet en est l’activité d’un Homme qui taylorisation du travail qui ont fait naître
travail. Il en résulte notamment que, dans dispose de droits naturels (cf. les stoïciens et des situations de dépendance du travailleur
le bilan de la société, les salariés sont consi- Sénèque), aujourd’hui constitutionnalisés rendant inévitable un arsenal protecteur
dérés comme des tiers, ce qui, du reste, dans les démocraties (États de droit). adapté. Ce sont aussi ces modes d’organi-
disqualifie le recours, pourtant habituel, à
l’expression « bilan de l’entreprise ».
Mais les rapports entre entreprise et société « Ce sont les organisations hiérarchiques
intéressent, au-delà de cette vision prio- induites de la taylorisation du travail qui ont
ritairement économique, aussi le droit du
travail au travers de la représentation du fait naître des situations de dépendance
personnel dans les instances statutaires de du travailleur rendant inévitable un arsenal
la société. La dissociation de l’entreprise et
de la société produit des effets dans le droit protecteur adapté. » Jacques Barthélémy
des relations de travail dès lors que la col-
lectivité du personnel est partie à l’entre- JCP G : Les droits des salariés sont-ils sations qui ont suscité la définition du sala-
prise, peu important que son intervention construits en fonction de l’organisation rié à partir de la seule subordination juri-
se limite à seulement donner un avis par ses juridique de la société-personne morale ? dique. Remarque essentielle dans la mesure
délégués. On voit là toute l’importance de J. B. : Les droits individuels et surtout col- où la dépendance économique vicie aussi
la distinction dans le droit espagnol entre lectifs du personnel exigent que l’identi- l’équilibre des pouvoirs entre les parties
l’hacienda (entreprise somme de biens) et fication du détenteur du pouvoir dans la au contrat et justifie donc aussi un arsenal
l’empresa (entreprise activité). C’est cette personne morale soit aisée. La publicité protecteur.
seconde qui, au travers des droits et obli- et plus largement l’information jouent un Gilbert Cette et moi-même avons imaginé
gations des salariés, consacre l’idée d’entre- rôle décisif à cet effet. Dans les sociétés de dans notre ouvrage Travailler au XXIe siècle
prise-institution (chère à Paul Durand). capitaux classiques (SARL - SA – SA à di- (V. Pour aller plus loin) qu’un droit de
rectoire), l’identification est de ce fait assez l’activité professionnelle dépassant celui du
JCP G : Comment l’entreprise est-elle ap- facile. C’est beaucoup plus délicat dans une travail sera bâti sur un socle de droits fon-
préhendée dans les différentes branches SAS (contrat entre une ou des personnes damentaux résultant de trois piliers, celui
du droit ? physiques ou morales) dans lequel le pour- d’une protection sociale universelle (tiens,
J. B. : Dans le droit du travail, l’entreprise centage de détention du capital est d’une tiens !), de relations individuelles sécuri-
s’est imposée à partir de trois idées forces : importance moindre. sées par le caractère substantiel des règles
- la collectivité de travail, même si ce n’est Les institutions représentatives élues du per- de conduite de la négociation du contrat,
pas une personne morale, existe ; elle dis- sonnel et les organisations syndicales de sala- des relations collectives organisées par le
pose au demeurant de droits spécifiques qui riés disposent de prérogatives, au nom de la recours prééminent au contrat collectif. La
s’exercent notamment par l’intermédiaire collectivité de travail, dans les ordres écono- notion d’entreprise en sera inévitablement
d’institutions représentatives du personnel mique, juridique, social, professionnel (em- affectée.

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JCP G : Quels rapports entre l’entreprise JCP G : Qu’est-ce que l’intérêt de l’entre- JCP G : En quoi l’approche organisa-
et les parties prenantes ? prise ? tionnelle permet-elle de mieux com-
J. B. : C’est au sein de l’entreprise – et non de J. B. : La notion d’intérêt de l’entreprise est prendre l’entreprise et de résoudre ses
la société – que sont mises en place les insti- au cœur des réflexions des juristes de droit problèmes ?
tutions représentatives du personnel, élues et social, dès lors qu’elle permet de transcen- J. B. : Tout d’abord, l’approche organi-
syndicales. Le droit de l’UES en atteste. Si les der les intérêts catégoriels. Au travers de cet sationnelle du droit repose sur l’idée que
conditions (unité économique et unité so- intérêt supérieur, peuvent plus aisément, en l’entreprise est à la fois objet et sujet de
ciale) sont réunies, il y a obligation de mettre théorie, se concilier des intérêts catégoriels. droit. De ce fait, elle permet des stratégies
en place le CSE à ce niveau ; ce n’est donc pas D’un point de vue sociologique, c’est un qui, fondées sur des techniques juridiques,
une simple faculté car on est sur le terrain de moyen de faire admettre qu’opposer l’inté- rendent possible la conception de projets ;
l’ordre public. Dès lors on peut soutenir que rêt des salariés et celui de l’entreprise n’a la décliner débouche sur des moyens pour
les rapports de la collectivité de travail avec aucun sens, contrairement à l’opposition y parvenir, sans qu’on soit tenu de faire ap-
l’entreprise priment sur ceux avec la société entre société et travailleur. Mais il faut faire pel à une vision théorique de l’entreprise.
qui s’exercent de manière plus formelle par jouer pleinement leur rôle aux institutions L’approche organisationnelle du droit
des obligations particulières, émanant du en charge des intérêts catégoriels. Est alors social se concrétise ensuite par la mise en
droit des sociétés notamment. critiquable de seulement dérouler adminis- place de normes adaptées à un contexte
Malgré la spécificité du contrat de travail liée à trativement, en les considérant comme une donné et au vu d’un objectif prédéterminé.
son objet, c’est à partir de la société personne somme de contraintes, les règles de fonc- Les droits collectifs des travailleurs étant
morale que se forgent les relations indivi- tionnement des institutions représentatives intimement liés au mode d’organisation
duelles, d’autant que la Cour de cassation du personnel, élues ou syndicales. du travail, ces instruments sont aisément
répugne à exporter ici le concept d’UES, sans Pour que l’intérêt de l’entreprise ait du sens, il mobilisables à cet effet, spécialement par
doute pour éviter de déplacer le débat sur celui est souhaitable que les collectivités qui com- l’accord collectif.
de la reconnaissance d’une personne morale à posent l’unité économique aient une réelle L’approche organisationnelle, c’est enfin,
la collectivité de travail. Ceci étant, le main- consistance juridique. La société est une per- parce que la règle de droit est alors appré-
tien du contrat nonobstant les vicissitudes sonne morale mais la collectivité de travail hendée non comme une fin en soi mais
(juridiques) de l’entreprise invite à soutenir n’en est pas une : d’où l’importance de la per- comme un moyen au service d’une finalité
qu’existent aussi des rapports entre le salarié sonnalité morale du CSE qui indirectement en rapport avec l’intérêt de l’entreprise,
et l’entreprise. L’esprit de L. 122-12, 2ème ali- renforce la consistance de la collectivité des la gestion préventive (prévisionnelle ?)
néa du Code du travail (devenu C. trav., art. travailleurs. Enfin si l’intérêt de l’entreprise a des risques, donc leur évaluation en ce
L. 1224-1) peut alors être appelé en rescousse du sens, il conditionne le comportement du qui concerne tant leur nature que leur ni-
pour soutenir la relation de chaque salarié dirigeant… qui trouve la source de son pou- veau. De ce fait, peuvent être mis en place
avec l’entreprise, d’autant plus depuis l’adop- voir dans la société. Le détournement de pou- non seulement des moyens d’éviter leur
tion, par la Cour de cassation, de sa définition voir est assurément la réponse, mais encore concrétisation, mais aussi le traitement
actuelle de la subordination juridique (des faut-il qu’on puisse le concrétiser au-delà du amiable des litiges qu’ils sont susceptibles
travaux et missions confiées par le donneur comportement matérialisant une fraude à la de provoquer.
d’ordre qui peut contrôler et sanctionner). loi, voire un abus de droit. Propos recueillis par Hélène Béranger

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