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L’ÉVANGILE
SELON IRÉNÉE

Textes évangéliques
lus et commentés par Irénée de Lyon

Agnès Bastit
Traduction originale
Lyon, Fondation Saint Irénée, janvier 2020
Icône du Christ dit « Pantocrator » (tout
puissant), tenant le livre des évangiles,
provenant de Constantinople, conservée
au monastère de sainte Catherine au
2 mont Sinaï (début VIème s.). Source : The
3
Picture Art Collection / Alamy Banque
D’Images

Mes remerciements vont d’abord à Philippe Barbarin, à Étienne Piquet-Gauthier et à L’ÉVANGILE


Claudine Sauvinet, mais aussi à Laurence Mellerin, sans laquelle ce travail n’aurait pas
été possible, ainsi qu’à Christophe Guignard, Sylvain Detoc et Elisabeth Bastit pour leur SELON IRÉNÉE
relecture et leur aide.

SAINT
IRÉNÉE
Textes évangéliques
2O2O lus et commentés par Irénée de Lyon

Couverture : Jésus se penche vers l’aveugle et pose sa main sur ses yeux (voir textes 27-28 p. 29).
Agnès Bastit
Détail d’un sarcophage chrétien ancien (IVème s.). Museo Pio Cristiano (Vatican) Traduction originale
Lyon, Fondation Saint Irénée, janvier 2020
AVANT-PROPOS

Parcourir le récit évangélique et découvrir la façon dont saint Irénée,


vénéré comme le « Père des Pères », nous le présente, est un beau cadeau offert par
Agnès Bastit dans ces pages. « Evangile », voilà un mot essentiel de notre foi, qui,
comme quelques autres, est devenu trop connu… pour l’être bien ! On se rappelle la
merveilleuse expression d’Ignace d’Antioche, aîné de quelques décennies
d’Irénée, écrivant : « Je me réfugie dans l’Evangile comme dans la chair de Jésus
Christ1 ». Il faudrait, pour « réveiller » ce mot, le présenter dans la constellation
des différents vocables grecs qui l’entourent : épangile, souvent traduit par
promesse, anangile par annonce, parangellô rendu par ordonner ou prescrire
… En lisant le Nouveau Testament, les fidèles seraient heureux de découvrir la
proximité de ces mots fondamentaux avec celui qui résume le cœur du message
de Jésus, l’Evangile.
C’est une joie rafraîchissante et profonde de voir comment Irénée, en
contemplant la vie du Seigneur, nous offre une manière si concrète et charnelle
de lire l’Evangile. On peut le remercier d’avoir lui aussi magnifiquement garni
le « riche cellier » de l’Eglise - pour reprendre une de ses expressions les plus
suggestives. Irénée décrit tout le parcours de Jésus, de sa conception et de sa
4 naissance à sa Pâque, présente ses enseignements et ses miracles comme le 5
message de la Loi arrivé à son accomplissement, à la pleine lumière. Merci de
l’attention particulière apportée au miracle de l’aveugle-né en Jean 8 ou à la
première des trois paraboles de la miséricorde, en Luc 15. Combien de Pères de
l’Eglise s’inspireront de cette image splendide du Bon Pasteur ramenant sur ses
épaules à la Maison du Père l’humanité entière, symbolisée par la petite brebis
égarée !
La lecture d’Irénée, si chère aux chrétiens de toutes confessions, peut
certainement contribuer à restaurer l’unité de la grande famille de l’Eglise. Elle
peut aussi permettre à d’autres, jusqu’alors étrangers à cette Parole, d’en découvrir
toute la richesse et la saveur.

Philippe, cardinal Barbarin


Fête de l’Immaculée Conception, 8 décembre 2019

1 Ignace d’Antioche, Lettre aux Philadelphiens V, 1.


INTRODUCTION

« Ce n’est pas l’esprit seul qui parle à l’esprit,


c’est la chair qui parle à la chair » (P. Claudel)1

Lorsque le théologien H.U. von Balthasar citait, en 1962, ce mot du poète


Paul Claudel, il voulait dire que Dieu, en Jésus, parle non pas comme un esprit qui
communiquerait avec un autre esprit, mais comme une chair, c’est-à-dire comme un
homme dans toute la présence de sa corporéité, s’adressant à la chair de ceux qui
ont pu l’entendre, le voir, le toucher, ou de ceux qui, à travers le récit évangélique,
peuvent considérer (avec, cette fois-ci, les yeux de leur esprit) les paroles de Jésus, ses
dialogues, ses gestes, ses réactions, sa souffrance enfin et sa gloire. Le lecteur, au fil
des textes d’Irénée qui sont présentés ici, verra une succession de séquences, proches
de plans cinématographiques, où il entendra Dieu parler comme « une chair qui parle
à la chair ». L’image de Jésus qui ressort de ces textes du dernier tiers du deuxième
siècle2 est incroyablement riche et diversifiée ; elle est en même temps très équilibrée
au sens où elle ne sacrifie ni la pleine humanité du maître et sauveur, ni le fait qu’à
travers ses paroles et ses actes c’est Dieu lui-même, plus exactement le Verbe (ou la
Parole) de Dieu fait homme qui s’adresse aux hommes qu’il a originellement créés,
6 formés, éclairés, accompagnés, secourus et avertis. 7
De ce foisonnement, je retiendrai ici rapidement quelques aspects
qui sont particulièrement présents dans ces extraits : le lien avec les récits
et les textes de la Bible juive ; la nature de l’enseignement de Jésus, qui est à la
fois dans la continuité des exigences de la loi juive, et porteur d’une autre
exigence encore ; l’importance de la vérité et de la liberté comme thématiques
dominantes de cet enseignement ; la mise en valeur de la générosité comme lien de
l’homme avec Dieu et avec autrui ; l’enjeu du dialogue ; l’importance des gestes de

1 H.U. von Balthasar, La gloire et la croix, t. 1, Paris, 1968, p. 340 (traduction française de l’original allemand
paru en 1961). Le théologien y paraphrase P. Claudel qui, dans « Sensation du divin », Présence et Prophétie,
Fribourg, 1942, p. 55, écrivait : « c’est l’esprit qui parle à l’esprit, mais c’est aussi la chair qui parle à la chair
» (repris en Œuvres complètes, t. XX, Paris, 1963, p. 252). Balthasar lui-même, dans le chapitre consacré à
Irénée, au deuxième volume du même ouvrage, a fait le lien entre l’approche de Claudel et celle d’Irénée (t.
2/1, p. 71 de la traduction française).
2 On a utilisé ici presque exclusivement le principal ouvrage d’Irénée, le Contre les hérésies ou Adversus
haereses (dorénavant abrégé AH), dont la visée est d’abord de réfuter les interprétations gnostiques du
christianisme, mais qui fait aussi une large place à la réflexion constructive et positive sur les données de la
révélation judéo-chrétienne.
régénération de Jésus à l’égard des corps malades ou affaiblis ; la souffrance de Jésus dans la générosité, jusqu’à l’amour des ennemis. Irénée aime à répéter que la liberté
devant l’indifférence et le refus que rencontre sa parole ; la soumission et l’obéissance des enfants de Dieu n’est pas licence mais incitation à la responsabilité envers Dieu
patiente de « l’agneau de Dieu » qui restaure le lien de confiance entre l’homme et et autrui ou, comme le disait Paul, à se faire librement l’esclave des autres. À partir
Dieu ; la richesse des mystères laissés par Jésus aux disciples, spécialement le baptême de cela, Irénée insiste sur deux points connexes qui lui semblent déterminants dans
et l’eucharistie ; l’autorité du seul maître enfin et la vision prophétique qu’il transmet à le discours de Jésus, l’authenticité et la sincérité de l’acte : il est hors de question de
ses disciples, qui laisse déjà deviner l’expansion de la foi, de la grâce et de la vitalité qui se contenter de bonnes intentions ou, pire, d’avoir une conduite double comme celle
seront diffusées par l’Église dans ce monde complexe de l’empire romain à ses débuts. que Jésus reproche aux Pharisiens qui, selon Irénée, présentent leur offrande, non
seulement sans s’être au préalable réconciliés avec ceux qu’ils peuvent avoir lésés,
Le lien avec la Bible juive (qui est en train de se constituer en « ensemble mais même offrent des sacrifices « factices », c’est-à-dire sans véritable repentir du
délimité » à l’époque d’Irénée ou un peu avant) est très net, surtout dans la première mal et sans intention profonde de renoncer à leur conduite mauvaise.
partie des évangiles mais pas seulement. Jésus intervient dans une lignée humaine
avec laquelle, si on peut dire, il interagit : sans parler des premiers hommes, du couple ls n’offrent alors qu’un culte extérieur, superficiel, qui ne les engage pas,
Adam-Éve, très présent chez Irénée parce qu’ils représentent l’humanité voulue par contrairement à Jésus lui-même qui montre dans sa passion l’exemple de la patience et
Dieu à l’origine, la lignée de Jésus commence vraiment avec Abraham, puis David, de l’amour des ennemis qu’il avait auparavant enseignés : « c’était la vérité même qui
conformément au premier verset de l’évangile de Matthieu. Ces « Pères » ne sont pas parlait », aime à répéter Irénée, si bien que tout ce qu’il a dit, il l’a fait. Les situations
seulement reliés à Jésus par l’ascendance charnelle, ils le sont plus encore par une de déficiences qui nous entourent deviennent alors le moyen, et même la condition,
proximité spirituelle, faite de désir et de joie anticipée de la part des ancêtres de Jésus pour que l’homme puisse offrir un authentique culte à Dieu, en répondant aux besoins
(et, plus largement, de tous les prophètes), d’attachement filial et de préoccupation de ceux qui l’interpellent par leur précarité, conformément à la scène du jugement
salvatrice de la part du Christ, qui « lutte pour ses Pères » contre Satan et va jusqu’à final, où le roi qui n’est autre que Dieu lui-même dit : « j’ai eu faim et vous m’avez
descendre dans le monde des morts pour en libérer les justes des générations donné à manger », ou le contraire. Dieu en effet, selon une idée répandue au-delà du
antérieures. christianisme à l’époque d’Irénée, est sans aucun besoin, il ne « profite » pas du culte
qui lui est rendu, mais pour le théologien ce culte lui est dû comme expression d’action
Du point de vue textuel, on remarque un procédé répété chez Irénée : là de grâces et comme mise en œuvre effective de la générosité qui nous rapproche de
où l’évangéliste renvoie de manière raccourcie ou allusive à un texte de la Bible Dieu et nous conforme à celui qui, comme aime à le dire Irénée avec Matthieu, « fait
hébraïque, prophète ou psaume en particulier, Irénée complète la référence en donnant lever son soleil sur les bons et les mauvais, et pleuvoir sur les justes et les injustes »
8 tout le texte qui se trouve à l’arrière-plan du passage évangélique. Une telle pratique, (Mt 5, 45). C’est sur cette ligne de partage entre la vérité de l’acte et la duplicité que 9
en l’absence d’éditions annotées du Nouveau Testament comme elles existeront plus se situe pour Irénée le jugement, le critère d’adhésion ou non au Dieu unique.
tard, suppose chez Irénée une bonne connaissance de ces textes de l’Ancien Testament
et la conscience que le passage évangélique en question ne peut être pleinement Il lit alors en ce sens les scènes de dialogue où, par une sorte de progression
compris que sur le fond de la Bible hébraïque. En continuité sans doute avec cette scandée par l’échange des répliques, Jésus conduit son interlocuteur au point où il voulait
conviction, et pas seulement pour s’opposer aux hérétiques qui, tels Marcion, voyaient le mener, lui insérant dans l’âme comme la pointe d’un scalpel : on lira ici un exemple de
un abîme entre la loi ancienne, perçue comme associée au péché, et la « loi nouvelle » ce procédé dans l’analyse faite par Irénée du dialogue de Jésus avec le « jeune homme
de liberté, on verra dans ces extraits Irénée revenir à plusieurs reprises sur le fait que riche », auquel le maître rappelle d’abord les commandements fondamentaux, puis
Jésus, loin de violer la loi ou de s’y opposer, la porte à son plein accomplissement. l’engage dans la voie de la liberté à l’égard des richesses, en vue de la perfection. On
aurait pu donner aussi le dialogue avec le « docteur de la loi », qui aboutit à la parabole
Cela est particulièrement affirmé dans les textes évoquant les polémiques du bon samaritain. On verra ici en revanche, non directement assumé par Jésus mais
autour du sabbat, dont Jésus montre toute la portée, mais concerne aussi l’ensemble raconté par lui à l’intérieur d’une parabole, un dialogue du même type entre Abraham
de l’enseignement de Jésus, en particulier le « discours sur la montagne », à propos et le riche en proie à la souffrance dans l’autre monde, sans parler de la longue analyse
duquel Irénée insiste à la fois sur la continuité avec la loi mosaïque et sur le « plus » par Irénée du dialogue conflictuel entre Jésus et le tentateur.
apporté par Jésus : la loi ancienne, faite pour les « serviteurs », est un garde-fou qui
détourne des actes mauvais (rapacité, vol, meurtre, adultère etc.), le « plus » proposé Au-delà de l’enseignement et du dialogue, mais en connexion avec la parole, vient à
par Jésus aux « fils » est de l’ordre du don gratuit, de l’abandon de toute volonté de proprement parler le « langage » de la chair, celui des gestes et des actions de Jésus.
puissance et de possession, de la recherche d’une sainteté qui puisse se conformer Le récit-phare est ici celui de la guérison de l’aveugle-né, chez Jean. L’évangile insiste
à la perfection d’un Dieu miséricordieux et généreux : c’est l’impulsion interne de déjà en gros plan sur la main de Jésus qui humecte la terre, la malaxe et en recouvre
ceux qui, certes, se gardent des actes susceptibles de léser autrui, mais vont au-delà les yeux de l’aveugle. Irénée amplifie encore ce langage du geste qui reproduit celui de
la formation originelle de l’homme, créé par Dieu à partir de la terre humide. Jésus se annoncée … comme devant être douce et paisible, venue où il n’a ‘ni brisé le
montre ainsi être toujours le Verbe de Dieu, celui qui dès l’origine a formé l’homme, roseau froissé ni éteint la mèche fumante’ ». De fait, l’ensemble de ce texte d’Isaïe,
lorsqu’il met en évidence, sur l’exemple d’un organe, le travail d’organisation tel que le donne Matthieu, contient plusieurs motifs mis en avant par Irénée : la
progressive du corps humain in utero. Lors de la création de l’homme racontée par consécration par l’Esprit, l’humilité et la patience sans violence de Jésus, sa parole
la Genèse comme dans chaque embryon en train de se former, la « main de Dieu » et son action encourageante qui restaure la flamme au lieu de l’éteindre, l’exercice
intervient, signe du prix qu’a pour Dieu la corporéité, et la guérison opérée ici par le du jugement discernant entre le bien et le mal, et l’ouverture du salut aux non juifs :
Sauveur, comme toutes ses autres guérisons, pointe vers l’incorruptibilité finale de « je déposerai sur lui mon Esprit et il annoncera le jugement aux nations. Il ne
l’homme dans le royaume. Chaque infirme guéri témoigne ainsi de la beauté du corps contestera pas et ne criera pas, on n’entendra pas sa voix sur les places publiques, il
humain dans son intégrité, tel qu’il a été voulu par Dieu. ne brisera pas le roseau froissé et n’éteindra pas la mèche fumante jusqu’à ce qu’il
émette le jugement victorieux, et les nations espèreront en son nom » (Is 42, 1-4 cité
Jésus a donc enseigné, travaillé au corps ses interlocuteurs, pris les foules
en Mt 12, 18-21).
en pitié et guéri les malades, mais sa parole se heurte à l’indifférence, au mépris,
voire à l’hostilité ou à la calomnie. On l’accuse de chasser les démons par connivence Le portrait de Jésus tel que compris par Irénée serait plus riche et plus
avec ceux-ci, et il prend la peine de se disculper longuement. Le ton du Sauveur se diversifié si nous avions choisi davantage de textes, ou des textes plus divers. La
fait douloureux, lorsqu’il évoque le sort des villes qui ont vu ses miracles et ne se sélection présentée ici correspond environ à un quart du matériau se rapportant aux
sont pas converties, ou quand il prend l’image de la poule soucieuse de protéger ses évangiles dans l’œuvre d’Irénée3. J’ai cherché à éviter la dispersion et l’émiettement
poussins : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j‘ai voulu rassembler tes enfants susceptibles de résulter de « l’effet florilège », j‘ai aussi éliminé les doublets, voire les
comme la poule prend ses petits sous son aile… » (Lc 13, 34). Cependant, les dernières occurrences multiples, pour ne retenir en pratique, à l’une ou l’autre exception près4,
semaines de Jésus sont à la fois pleines d’amertume et de déceptions, et tournées qu’un seul texte d’Irénée sur plusieurs se rapportant au même lieu évangélique. La
déjà vers l’espérance de la conversion des nations, qui rejoindront les croyants contrepartie est sans doute un certain appauvrissement, au profit d’une plus grande
« de la circoncision ». Déjà l’Église, avec son expansion, sa beauté, son universalité, cohérence. J’ai choisi de situer la vie de Jésus sur le fond de l’ordre suivi par les
se profile et, à ses disciples, Jésus fait le don inimaginable de son corps et de son sang trois premiers évangiles, dits synoptiques (Matthieu, Luc et Marc)5, en me rattachant
eucharistiques : comme le vin de Cana apportait une qualité et une saveur que n’avait plus ou moins au fil que je viens de dérouler ci-dessus. Par ailleurs, je me suis laissé
pas l’eau des jarres où il avait été puisé, de même le corps et le sang du Christ à la inspirer par Irénée, qui aime introduire des « dominantes » associant des ensembles de
Cène ajoutent une intensité incroyable, transfigurée par l’Esprit, au pain et au vin de passages.
10 la création. En quittant ses proches, Jésus leur laisse aussi le baptême, qui se répandra 11
Pour ce qui est de son recours aux lieux évangéliques, il est possible
sur toute la terre habitée, l’enveloppant de la grâce du Père, du Fils et de l’Esprit. Mais
d’identifier trois principaux types d’approche, allant de la citation complète ou quasi
auparavant le serviteur fidèle aura poussé jusqu’à son terme la douceur, la patience et
complète du texte ou de l’épisode, suivie de son commentaire, à l’insertion d’un ou
l’obéissance dont il a déjà fait preuve lors des tentations, il aura subi les pires souffrances
deux mots tirés du discours de Jésus, en passant par des citations brèves accompagnées
et humiliations pour compenser, par son adhésion sans faille, l’apostasie du péché de
d’une rapide explication. On trouvera, assez inégalement réparties, ces trois manières
l’homme. Jésus a vraiment souffert, il est allé jusqu’au bout de l’obéissance à Dieu et
de la miséricorde à l’égard de l’homme, et rien ne scandalise davantage Irénée, surtout
au vu des souffrances des martyrs, que les hypothèses gnostiques selon lesquelles soit 3 Alors que chez ses prédécesseurs chrétiens du deuxième siècle, seules quelques allusions ou rares
le « Christ » aurait abandonné l’homme Jésus avant la passion, soit celui-ci n’aurait été citations laissaient transparaître l’existence, peut-être encore principalement orale, de nos évangiles, chez
crucifié qu’en apparence. De même, sa résurrection glorieuse est corporelle, comme l’a Irénée on assiste à une véritable explosion : selon le précieux outil lyonnais Biblindex, on dénombre dans le
été sa souffrance, elle est réelle et sans subterfuge, et son corps garde les marques des principal ouvrage d’Irénée environ 3500 citations ou allusions à des livres bibliques, dont 62% aux livres du
plaies, qui sont éminemment « langage de la chair », selon l’expression de Claudel : Nouveau Testament (pour les presque deux tiers aux évangiles canoniques, et pour un gros tiers aux épîtres
pauliniennes), soit plus de 1500 allusions ou citations des quatre évangiles.
« ressuscitant dans la chair, au point de pouvoir montrer aux disciples les marques des
4 On verra en particulier ci-dessous le cas intéressant des textes 14 et 15, à peu près identiques quant au
clous… », écrit Irénée.
contenu, mais dont le premier est tiré du second livre du Contre les hérésies, où Irénée n’invoque pas encore
Ces paroles, ces actions, ces manières d’être de Jésus peuvent se retrouver explicitement les Écritures – il procède donc par paraphrase allusive -, et le second, extrait du L. IV, où il
toutes dans un texte du prophète Isaïe invoqué par l’évangéliste Matthieu, et apporte toutes les citations précises qui manquaient dans le texte antérieur.
qu’Irénée cite à plusieurs reprises. Il en fait même, en son verset central, la 5 On appelle « synoptiques » (c’est-à-dire « parallèles ») les trois premiers évangiles, Matthieu, Marc et Luc
parce qu’ils suivent une trame commune et contiennent beaucoup d’éléments similaires, contrairement à Jean
caractérisation de toute la vie de Jésus : « par cela (la « brise légère » en laquelle
qui est postérieur et présente une approche plus originale.
Dieu se révèle au prophète Élie), la venue du Seigneur en tant qu’homme était
dans les extraits proposés : les longs emprunts commentés n’apparaissent qu’assez « défenseur passionné du Testament du Christ » (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique V,
tard dans l’œuvre d’Irénée, et sont tous concentrés sur sa dernière partie, à savoir la fin 4, 2). Environ un siècle et demi après la vie publique de Jésus, l’idée d’un « testament
du quatrième livre et le cinquième et dernier livre du Contre les hérésies6 ; la pratique du Christ », qui succède au testament de Moïse, s’impose. Les Églises disposent déjà,
médiane, sous diverses formes, est la plus répandue, comme on pourra en juger sur les comme concrétisation de leur spécificité aussi bien à l’égard des communautés juives
extraits présentés. Quant aux « micro-citations », elles sont assez sous-représentées que des écoles helléniques, d’une petite bibliothèque de textes saints proprement
ici en tant que telles, car il est difficile de faire place dans ce type de recueil à des chrétiens, rouleaux mais souvent déjà aussi petits cahiers de papyrus, à l’instar de nos
références aussi ténues. cahiers d’écoliers modernes. Il n’est pas impossible qu’à l’époque d’Irénée les quatre
évangiles aient déjà été regroupés en un ou deux cahiers (probablement selon l’ordre
Ainsi, quand Irénée commente le récit des noces de Cana avec, en ligne
Matthieu-Luc/Marc-Jean), de même qu’une collection de lettres de Paul9.
de mire, le repas eucharistique, il insère d’abord le mot « nourriture » à côté de la
« boisson » (dont il est seul question dans l’évangile des noces), puis écrit : « ayant En ce sens, la désignation d’Irénée comme « défenseur du Testament du
pris les pains faits à partir de la terre et ayant rendu grâce, et ayant fait de même Christ » peut légitimement être comprise, non seulement comme l’expression
avec l’eau devenue vin, il rassasia ceux qui étaient étendus et désaltéra les invités aux du zèle d’Irénée dans son service de la communauté chrétienne, mais aussi plus
noces » (AH III, 11, 5). La simple expression – un participe en latin et en grec7 - ceux particulièrement comme l’expression de sa passion pour les Écritures nouvelles, pour
qui étaient étendus pointe vers le verset de l’évangile de Jean où, dans le récit de la les textes où s’exprime l’enseignement de Jésus transmis par les apôtres - lettres et
multiplication des pains, il est dit que les apôtres transmettent le pain multiplié à ceux documents apostoliques et surtout les quatre évangiles – « testament du Christ » par
qui étaient étendus sur l’herbe (Jn 6, 11). Par ce seul mot donc, Irénée instaure un excellence ! -, qui commencent à être considérés par les communautés chrétiennes
parallèle entre les récits de Cana et du pain multiplié et distribué, entre le pain et le vin, comme la référence privilégiée où elles peuvent puiser pour découvrir les diverses
dans une perspective nettement eucharistique. Comme on le voit, ce type d’allusion faces de l’unique Christ Jésus, à l’exclusion d’autres documents jugés moins utiles
fine ne parle pas immédiatement et demande à être mis en lumière par un commentaire ou moins fidèles. Irénée lui-même parle d’ « ancien » et de « nouveau » Testament,
plus développé, ce qui n’est pas le cas dans ce recueil où on a cherché à réduire le au sens de deux alliances, mais aussi en citant, pour ce qui est du premier, des textes
commentaire, dans l’annotation, au strict nécessaire pour aider à la compréhension du Pentateuque et, pour le second, des phrases de saint Paul. On est proche ici de
ou pour attirer l’attention, chez Irénée, sur des procédés suggestifs. La traduction est l’utilisation de ces dénominations pour des ensembles de livres10. Cependant, Irénée,
mienne : j’ai cherché à respecter le rythme des phrases d’Irénée8, la concision et la force qui peut certes être défini comme le « scribe » instruit dans le royaume des cieux
de son langage, sans pouvoir toujours m’y tenir, quand une telle fidélité stylistique de Mt 13, 52, « tirant de son trésor du neuf et de l’ancien » (texte 92), et qui parfois
12 aurait nui à l’intelligibilité et à la lisibilité de la version française. même fait en passant des remarques sur le texte en tant que texte, va bien au-delà de 13
l’attitude du scribe : par delà le texte, par delà les mots dont il pèse pourtant tout le
Il ne sera peut-être pas inutile d’apporter pour finir quelques précisions
poids, par delà même l’éloquence des gestes de Jésus, c’est le Verbe fait chair qui parle
d’ordre historique. Lorsque les confesseurs de la foi lyonnais, au moment de la violente
à la chair par sa simple présence qui l’intéresse11. De fait, il répondait ainsi à ceux
persécution datable de 177, recommandent à l’évêque de Rome le pape Éleuthère
qui l’accusaient de trop insister sur la continuité, voire l’identité, de l’enseignement
« leur frère et membre de leur communauté Irénée », ils le présentent d’abord comme
de Jésus par rapport à la parole de Dieu dans l’Ancien Testament : « -‘alors, qu’a-t-il
donc apporté de nouveau par sa venue ?’ - il a apporté toute nouveauté en s’apportant
6 Le Contre les hérésies est un ouvrage important, en cinq livres ou tomes, dont la rédaction s’est sans lui-même » (AH IV, 34, 1).
doute étalée sur plusieurs années (en tout cas, Irénée envoie les livres un à un à leur destinataire au fur et à
mesure de leur achèvement). Au premier livre, Irénée s’attache à exposer les caractéristiques de la doctrine
et du fonctionnement des groupements gnostiques qu’il veut réfuter, au livre II il leur répond sur la base de
l’argumentation rationnelle, sans invoquer encore les Écritures inspirées, qu’il utilisera aux livres III, IV et
V. Vers la fin du L. IV et avec le L. V, on observe une nette propension à citer plus largement et à donner 9 Au moins dix, qui est le nombre d’épîtres acceptées au milieu du IIème s. par Marcion, un hérétique rejetant
beaucoup plus de place au commentaire biblique. On peut donc résumer ainsi la trajectoire d’Irénée dans le tout lien avec le judaïsme et, par conséquent, amputant les textes saints chrétiens de tout ce qui s’y rattache.
Contre les hérésies : de la philosophie à l’exégèse, via la théologie. 10 AH IV, 15, 2, texte 16 du présent recueil, cf. aussi IV, 9, 1 (en lien avec Mt 13, 52 cité dans cette page).
7 Recumbentibus en latin, ἀνακειμένοις en grec. Il est parfois délicat de discerner si Irénée parle de la phase correspondant à chaque « testament », avec sa
8 Pour ce qui est du Contre les hérésies, principalement utilisé ici (il n’y a qu’un extrait de la Démonstration culture et ses pratiques propres, ou s’il pense aussi aux textes où celles-ci s’expriment.
de la prédication apostolique), l’original grec n’est transmis que fragmentairement, et on doit souvent partir 11 Les textes d’Irénée donnés ici sont, pour quelques-uns d’entre eux, accompagnés d’images, fresques,
de l’ancienne version latine de cet ouvrage d’Irénée, généralement très fidèle, y compris quant à l’ordre des représentations sculptées ou mosaïques, qui témoignent aussi de la réception des récits évangéliques, de la
mots et au rythme de la phrase. Néanmoins, cette ancienne traduction comporte aussi des défaillances. fin du IIème s. au début du VIème s.
L’ÉVANGILE SELON IRÉNÉE

Préambule
1. Les évangiles sont fiables, et Jésus y enseigne la vérité
AH III, 5, 1*
La tradition qui vient des apôtres est telle que nous l’avons dite et perdure
jusqu’à maintenant dans l’Église1, ce qui nous permet d’en venir à la mise en
lumière des écrits de ceux, parmi les apôtres, qui ont rédigé l’évangile, où ils ont mis
par écrit leur vision de Dieu et montré que notre Seigneur Jésus-Christ « est vérité »
(Jn 14, 6) et qu’« en lui il n’y a pas de mensonge » (1 P 2, 22)2. Comme David le dit,
prophétisant à la fois la naissance de Jésus d’une vierge et sa résurrection
des morts : « la vérité a surgi de la terre » (Ps 84, 12)3. Les apôtres, qui étaient les
disciples de la vérité en personne, sont indemnes de tout mensonge, car « l’obscurité
n’a rien à voir avec la lumière » (2 Co 6, 14c), et la présence de l’une exclut l’autre4.
Notre Seigneur était vérité, il ne mentait pas.

* Le titre courant en latin du Contre les hérésies d’Irénée est Adversus haereses, d’où l’abréviation AH, suivie
14 du numéro du livre (cinq en tout), puis des numéros de chapitre et de paragraphe. Par souci de brièveté, les 15
textes d’Irénée, ou ses citations bibliques, ont parfois été coupés. Les coupures, dues au traducteur, sont
signalées par « … » ou […].
1 Dans les deux premiers livres du Contre les hérésies, Irénée a exposé les opinions et les pratiques des
chrétiens gnostiques et a cherché à leur répondre sur le terrain de l’argumentation rationnelle, sans invoquer
l’autorité des Écritures, qu’il étudiera au cours des trois livres suivants. Dans les premiers chapitres de son
troisième livre, Irénée parle de la tradition venue des apôtres et conservée dans l’Église par leurs successeurs,
les évêques et anciens responsables des communautés, ainsi que de la mise par écrit des évangiles par
Matthieu et Jean (disciples directs de Jésus) et par Marc et Luc, qui transmettaient l’enseignement de Pierre
et de Paul. Dans les références des textes donnés ici, le chiffre romain indique le livre parmi les cinq du
Contre les hérésies, suivi d’un numéro de section et de sous-section en chiffres arabes. Cette numérotation
des passages d’Irénée est standard.
2 La déclaration de Pierre dans la Première lettre de Pierre citée ici par Irénée reprend littéralement le verset
du prophète Isaïe sur le « serviteur souffrant » : « il n’a pas commis le péché et le mensonge n’était pas dans
sa bouche » (Is 53, 9).
3 Irénée développe ensuite cette allusion rapide : « la vérité surgira de la terre » annonce la résurrection du
corps enseveli de Jésus, mais aussi déjà sa naissance de Marie, dont le corps est terrestre, et qui est comme
Jésus est représenté deux fois sur deux niveaux et sous deux formes différentes : au niveau supérieur une nouvelle terre vierge.
sous une forme d’homme siégeant entre les apôtres Pierre et Paul, au niveau inférieur sous la forme de 4 Les adversaires gnostiques d’Irénée mettaient en avant l’obscurité, selon eux, des évangiles, et avançaient
l’agneau immolé debout sur une butte d’où s’écoulent les quatre fleuves du paradis, images des quatre la thèse d’un double enseignement de Jésus, une parole plus large et moins exacte d’une part et, de l’autre, un
évangiles, et entouré des quatre évangélistes qui lui rendent gloire ; catacombes des saints Pierre et discours de vérité cachée, ésotérique, réservé à un petit groupe.
Marcellin, Rome, (IIIème – IVème s.). Source : Akg-images / André Held.
Venue au monde de Jésus 4. Le double nom de Jésus
2-3. La conception virginale Démonstration, § 53
AH III, 21, 4
C’est la coutume de donner un nom à un enfant qui vient d’être mis au monde. Lui, il
Les apôtres5 attestent qu’« avant que Joseph ait cohabité avec Marie », alors qu’elle aura deux noms : Christ, c’est-à-dire consécration, et Jésus, c’est-à-dire Sauveur7. Ces
gardait sa virginité, « elle s’est trouvée enceinte du fait du Saint-Esprit » (Mt 1, 18) et deux noms signifient ce que le Seigneur sera et fera. D’une part, en effet, l’enfant est
que l’ange Gabriel lui dit : « l’Esprit-Saint viendra sur toi, la puissance du Très-Haut appelé Christ parce que, par lui, le Père a consacré et rendu belles toutes choses. D’autre
te prendra sous son ombre, c’est pourquoi le rejeton saint qui naîtra de toi sera appelé part, il est appelé Sauveur, car il a été cause de salut pour ceux qui, de son vivant, ont été
Fils de Dieu » (Lc 1, 35) et que « l’ange dit à Joseph en songe : cela s’est fait pour sauvés par lui de toutes sortes de maladies et de la mort, mais aussi parce qu’il donnera
accomplir ce qui est dit par le prophète Isaïe : ‘Voici que la vierge concevra…’ » (Mt le salut à venir et la vie sans fin à ceux qui, par la suite, auront foi en lui.
1, 22-23 citant Is 7, 14).
5. L’étoile et les offrandes
III, 21, 5 des mages
L’Écriture […] a posé et confirmé l’expression « fruit du sein » (Ps 131, 11), pour décrire AH III, 9, 2
la naissance de celui qui devait provenir d’une vierge, comme Élisabeth remplie de
C’est un seul et même Dieu qui était proclamé
l’Esprit-Saint l’a attesté : « tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni »
par les prophètes et annoncé par l’évangile
(Lc 1, 42), signifiant pour ceux qui veulent bien entendre ce que dit le Saint-Esprit que
avec son Fils, l’Emmanuel (Is 7, 14) « fruit
la promesse faite à David de susciter un roi issu du « fruit de son sein » (Ps 131, 11)6
du sein » de David (Ps 131, 11)8 , c’est-à-dire Trois mages, dont le premier désigne l’étoile
a été accomplie dans la vierge, c’est-à-dire dans l’accouchement de Marie. au-dessus du lieu où se trouvait « l’enfant et sa
de la vierge descendante de David, lui dont mère » (Mt 2, 9 et 11), offrent leurs présents.
Balaam a prophétisé ainsi l’étoile : « une Les chameaux indiquent leur origine orientale
Un berger, appuyé sur un arbre, médite
devant l’enfant Jésus déposé dans une man- étoile se lèvera de Jacob et un chef surgira et rappellent leur voyage ; détail d’un sarco-
d’Israël » (Nb 24, 17). Matthieu de son côté phage, Musée Pio Cristiano, Vatican (V s.).
ème
geoire champêtre ; en arrière-plan le bœuf et
Source : Lanmas / Alamy Banque D’Images.
l’âne évoqués par le prophète Isaïe (Is 1, 3); dit que les mages venus d’Orient avaient
couvercle du sarcophage de Marcus Claudianus, déclaré : « nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer » (Mt 2,
Palazzo Massimo alle Terme, Rome (330-335).
16 Photographie Richard Stracke, CC-BY-ND. 2) : ils ont été conduits par l’étoile jusqu’à la maison de Jacob auprès de l’Emmanuel et 17
ont montré, par les présents qu’ils apportèrent (Mt 2, 11), qui était celui qu’ils adoraient9.
La « myrrhe », parce qu’il était celui qui devait mourir et être enseveli pour le genre
humain (cf. Jn 19, 39b) ; « l’or », parce qu’il était ce roi, « dont le règne n’aura
pas de fin » (Lc 1, 33) ; « l’encens » enfin, parce qu’il était ce « Dieu qui s’est fait
connaître en Judée » (Ps 75, 2), et qui « s’est manifesté à ceux qui ne le recherchaient
pas » (Rm 10, 20 citant Is 65, 1).

7 « Christ » est la traduction grecque de « messie » en langue hébraïque, qui désigne celui qui est consacré par
l’onction. Ici comme en d’autres passages, Irénée suggère que l’onction reçue par Jésus a débordé sa propre
personne et qu’elle a été à l’origine d’une « consécration » plus large, par l’intermédiaire de l’Église. Jésus,
comme l’explique Matthieu, veut dire « Dieu sauve » (Mt 1, 21).
8 Voir note 6 ci-dessus.
5 Irénée se réfère parallèlement aux deux évocations évangéliques de la conception virginale de Jésus, 9 C’est ici la plus ancienne occurrence de l’interprétation symbolique des présents des mages, qui connaîtra
chez Matthieu et Luc, auteurs qu’il désigne sous l’appellation générique d’« apôtres ». Cette appellation ne une très grande diffusion dans le tout le monde chrétien antique puis au Moyen âge, et était déjà peut-être
convient à proprement parler qu’à Matthieu, mais elle se comprend dans la mesure où Luc peut être considéré sous-jacente au récit de Matthieu. Irénée modifie ici l’ordre des éléments énumérés dans le verset de Mt 2, 11,
comme un apôtre au sens large, et surtout parce qu’il s’agit ici d’un point de foi déterminant pour tout le qui évoque « l’or, l’encens et la myrrhe », pour qu’il s’accorde mieux avec la progression de la foi chrétienne,
groupe des apôtres et leurs successeurs. qui proclame d’abord l’humanité authentique, la mort et l’ensevelissement de Jésus (signifiées par la myrrhe,
6 Cette expression curieuse du psaume (« fruit de ton sein »), surtout à propos d’un homme, s’explique si à que l’on utilisait dans les rites funéraires), puis sa royauté révélée par sa résurrection (symbolisée par l’or) et
terme c’est la maternité de Marie, descendante de David, qui est visée par le texte sacré. enfin sa divinité manifestée par l’expansion de la connaissance du nom de Dieu en Jésus-Christ (exprimée
6-8. La prédication du Baptiste L’entrée de Jésus dans la vie publique
III, 10, 310 9. Le baptême de Jésus
AH III, 9, 3
Enfin (Zacharie son père) dit en s’adressant à Jean : « et toi, petit enfant, tu seras
appelé prophète du Très-haut, tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer Et Matthieu dit à propos du baptême : « les cieux se sont ouverts, et il vit l’Esprit de
ses chemins, pour donner à son peuple la connaissance de son salut, en rémission Dieu venir sur lui comme une colombe, et une voix des cieux dit : ‘celui-ci est mon
de ses péchés » (Lc 1, 76-77). Ce qui leur manquait en effet, c’était la connaissance Fils bien-aimé, en qui je me suis complu’ » (Mt 3, 16-17) […]. C’est le Verbe de Dieu
du Salut, la connaissance du Fils de Dieu, celui que Jean a fait connaître en disant : lui-même, le Sauveur de tous et le Seigneur du ciel et de la terre, qui est Jésus (comme
« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlèvera le péché du monde. C’est lui dont je disais : nous l’avons déjà montré), lui qui a pris chair et qui a été consacré avec l’Esprit par
‘après moi vient un homme qui désormais est devant moi, car il était avant moi’ » (Jn le Père, et est devenu ainsi Jésus-Christ, comme le dit Isaïe : « une tige sortira de
1, 29-30), et « nous avons tous reçu de sa plénitude » (Jn 1, 16). Telle est en effet la la souche de Jessé, et une fleur poussera de cette souche, et sur ce rejeton reposera
connaissance du Salut : c’est celle du Fils de Dieu, qui est dit (par l’Écriture) Salut, l’Esprit de Dieu […]. Il ne jugera pas selon la réputation et ne condamnera pas sur ce
Sauveur et puissance salvifique, et qui l’est en vérité. qui se dit, mais il fera justice à l’humble et condamnera les glorieux de la terre » (Is
11, 1.3-4). Le même Isaïe a dit à nouveau, signifiant à l’avance de quelle onction et en
III, 11, 4
vue de quoi il serait consacré : « l’Esprit de Dieu est sur moi, et voici en vue de quoi il
Le Seigneur a déclaré qu’il considérait (Jean) comme « plus qu’un prophète » (Mt 11,
m’a consacré par l’onction : il m’a envoyé
9). Tous les autres prophètes en effet annonçaient la venue de la lumière provenant du
évangéliser les pauvres, guérir les cœurs
Père, et désiraient être dignes de voir celui qu’ils proclamaient à l’avance. Jean a fait
brisés, annoncer aux captifs la délivrance
la même annonce prophétique, et en outre il a vu celui qui venait ainsi, il l’a montré
et aux aveugles la vue, proclamer une
et en a incité beaucoup à croire en lui, si bien qu’il a fait fonction à la fois de prophète
année de réconciliation et le jour de la
et d’apôtre. C’est ce que signifie « plus qu’un prophète », car (dit Paul) il y a « en
rétribution, pour consoler tous ceux qui
premier lieu les apôtres, ensuite les prophètes » (1 Co 12, 28), tous envoyés par un
pleurent » (Is 61, 1-2, cf. Lc 4, 18)11. De
seul et même Dieu.
fait, dans la mesure où le Verbe de Dieu
III, 9, 1 était « homme », issu de la souche de
C’était lui (Jean) le précurseur du Christ, dont Matthieu dit (cf. Mt 3, 3) – et Luc de la Jessé et fils d’Abraham, dans cette même
18 même façon : « c’est lui que le Seigneur a désigné par le prophète : ‘voix de celui qui
19
mesure « l’Esprit de Dieu reposait sur
crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre lui », et il était « consacré pour évangéliser Jean-Baptiste baptise Jésus, bientôt rejoint
Dieu, toute vallée sera comblée, toute montagne ou colline abaissée […], et toute chair les humbles », mais dans la mesure où par la colombe qui représente l’Esprit-Saint ;
catacombe de st Callixte, Rome (IIIème s.).
verra le Salut de Dieu’ (Lc 3, 4-6 citant Is 40, 3-5). Ainsi, c’est un seul et même Dieu, le il était Dieu, « il ne jugeait pas selon la Source : Granger Historical Picture Archive /
Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a d’abord promis par les prophètes d’envoyer réputation et ne condamnait pas sur ce qui Alamy Banque D’Images.
un précurseur, puis qui a donné son Salut à voir à toute chair, c’est-à-dire son Verbe se dit » (Is 11, 3), « il n’avait pas besoin
lui-même, incarné, pour qu’en tout il se manifeste comme étant leur roi. en effet qu’on lui apporte de témoignage sur l’homme parce qu’il savait par lui-
même ce qui était dans l’homme » (Jn 2, 25). Ainsi, il appelait à lui « tous ceux qui
pleurent » (Is 61, 2), et donnant la rémission à ceux qui avaient été entraînés à la captivité
par leurs péchés, il les libérait des liens dont parle Salomon : « chacun est enserré dans
par l’encens, dont l’offrande dans le culte juif était réservée à Dieu). On notera chez Irénée la richesse des
les chaînes de ses péchés » (Pr 5, 22). L’Esprit de Dieu descendit donc sur lui, Esprit
connexions avec d’autres textes bibliques, pour exprimer l’idée-force de l’adoration des mages : le futur roi, fils
de celui qui, par ses prophètes, avait promis de le consacrer, pour que nous puissions
du vrai Dieu, se fait connaître « en Judée » - c’est-à-dire dans le contexte de la foi juive, mais à des étrangers,
être sauvés en ayant part à la surabondance de son onction.
annonçant ainsi l’universalité du salut.
10 À partir de l’expression « connaissance du salut » (Lc 1, 77), utilisée par Zacharie pour exprimer la mission
de son fils Jean (sans doute reprise par les gnostiques), sur le fond aussi de la prophétie d’Isaïe 40 citée par Marc 11 Irénée prolonge l’évocation du baptême de Jésus par l’énumération des dons de l’Esprit qu’il a reçus et par
et Luc, Irénée insiste sur la cohérence de la mission du Baptiste, tout entière tournée vers la proclamation du une réflexion sur sa mission messianique. Là où l’évangile de Lc (en Lc 4, 18) coupe à l’intérieur de la citation
salut en Jésus-Christ : en même temps que Jean désigne le Messie sauveur, il pointe en lui celui qui s’offre en d’Isaïe 62, Irénée, comme il l’avait fait juste avant avec la référence à Isaïe 11, développe l’ensemble du texte
expiation pour le péché d’Israël et plus largement « du monde » (cf. Jn 1, 29), mais aussi la plénitude du Fils de d’Isaïe, ce qui lui permet d’enrichir la présentation de la mission de Jésus en l’élargissant à l’évocation de son
Dieu, Verbe incarné venu sauver les hommes. jugement clairvoyant ainsi que de la consolation et de la libération apportées par le Sauveur.
10. Les tentations 11. Les étapes de la vie publique de Jésus
AH V, 22, 212 AH II, 22, 314
Et nous, qui avons été libérés (dans le Christ), il nous a appris, par le précepte Il y a vraiment de quoi s’étonner en constatant que ces gens (les gnostiques), qui
même (de la loi), à attendre la nourriture donnée par Dieu quand nous avons faim prétendent avoir pénétré les profondeurs de Dieu, n’ont pas « scruté » les évangiles
; nous qui jouissons de la sublimité de toute sorte de charismes, qui nous fions à (cf. Jn 5, 39), pour voir combien de fois après son baptême le Seigneur est monté
nos œuvres de justice et sommes distingués par le plus haut degré du ministère13, il à Jérusalem au moment de la Pâque, selon la coutume des Juifs de toute contrée,
nous a appris à ne pas nous élever nous-mêmes et à ne pas tenter Dieu, mais à avoir de se rassembler chaque année à ce moment-là à Jérusalem et d’y célébrer le jour
des sentiments humbles en toute chose et à nous souvenir toujours de la mise en de la fête15.
garde : « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu », comme l’enseigne l’Apôtre :
Une première fois en effet Jésus monta (à Jérusalem) pour le jour de la Pâque lorsqu’il
« n’ayez pas des sentiments hautains, mais soyez attirés par ce qui est humble » (Rm
fit du vin à partir de l’eau à Cana en Galilée (Jn 2, 11), quand il est écrit : « beaucoup
12, 16) ; il nous a appris enfin à ne pas nous laisser entraîner par les richesses ni par la
crurent en lui, à la vue des signes qu’il faisait » (Jn 2, 23)16, comme le rappelle Jean le
gloire de ce monde ni par ce qui s’offre maintenant à notre imagination, mais à savoir
disciple du Seigneur. Après s’en être à nouveau retiré, il se trouve en Samarie, quand il
qu’il convient « d’adorer le Seigneur ton Dieu » et de le servir lui seul, sans accorder
s’entretint avec la Samaritaine (cf. Jn 4, 6-27) ; (cette fois-là) il guérit aussi à distance le
de crédit à celui qui promet faussement ce qui ne lui appartient pas, en disant : « je te
fils du centurion, par ce mot : « va, ton fils est vivant » (Jn 4, 50).
donnerai tout cela, si tombant à mes pieds tu m’adores » (Mt 4, 9 ; Lc 4, 7).
Après cela, il monta une seconde fois à Jérusalem pour le jour de la Pâque, quand
Par ces mots, (Satan) reconnaît lui-même que l’adorer et faire sa volonté, c’est tomber de
il guérit le paralytique étendu auprès de la piscine depuis trente-huit ans, en lui
la gloire de Dieu […]. Et comment pourrait-il offrir quelque chose à un homme tombé ?
enjoignant de se lever, de prendre son brancard et de marcher (Jn 5, 5.8). S’éloignant à
Il domine peut-être les hommes, mais Dieu domine sur lui, et « pas même un passereau
nouveau de (la ville), il traversa la mer de Tibériade pour aller dans un lieu où, comme
ne tombe à terre indépendamment de la volonté de notre Père qui est aux cieux »
une grande foule l’avait suivi (Jn 6, 1-2), il rassasia toute cette multitude à partir de
(Mt 10, 29). Ainsi, ce que (Satan) dit : « tout cela m’a été remis, et je le donne à qui je
cinq pains, et il resta douze corbeilles de morceaux (Jn 6, 13).
veux » (Lc 4, 6), c’est le mot d’un être qui s’élève par orgueil, car la création n’est pas
en son pouvoir, dans la mesure où il est lui-même l’une des créatures, et ce n’est pas Enfin, après avoir ressuscité des morts Lazare (cf. Jn 11), à un moment où les Pharisiens
lui qui attribue aux hommes les royautés humaines, mais celles-ci et tout le reste de ce tramaient des embûches, il se retira dans le bourg d’Ephraïm (Jn 11, 53-54), et il est
20 qui regarde les hommes est disposé selon l’ordonnance de Dieu le Père. écrit que de là il vint à Béthanie six jours avant la Pâque (Jn 12, 1). De Béthanie il vint 21
à Jérusalem, mangea la Pâque (cf. Jn 13) et souffrit (sa passion) le jour suivant. Que
D’ailleurs, le Seigneur (Jésus) dit : « le diable est menteur depuis le commencement
ces trois temps de la Pâque ne sont pas une année, chacun en conviendra.
et n’est pas dans la vérité » (Jn 8, 44). Puisqu’il est menteur et n’est pas dans la vérité,
il est vraisemblable qu’en disant « tout cela m’a été remis, et je le donne à qui je
veux » (Lc 4, 6), il ne disait pas la vérité, mais proférait un mensonge.

14 Il est impossible d’organiser en fonction de ce plan, emprunté par Irénée à l’évangile de Jean, le matériau
se rapportant à Jésus présenté ici, dont la majeure partie provient des trois premiers évangiles (Matthieu, Luc
et Marc, dits « synoptiques » parce qu’ils sont globalement parallèles), mais nous signalerons au passage ce
qui est associé aux trois montées successives de Jésus à Jérusalem selon le dernier évangile.
12 Irénée consacre en son cinquième et dernier livre une longue réflexion à l’épisode des tentations, dont nous 15 À l’encontre des gnostiques valentiniens, qui voulaient que « l’année de réconciliation » annoncée par Isaïe
ne donnons ici qu’un extrait synthétique. Irénée suit l’ordre des trois tentations de l’évangile de Matthieu (Mt 61, 2 corresponde pour Jésus à une unique année de vie publique, Irénée recourt aux repères chronologiques
4, 1-11) : jeûne et humble attente du pain/ refus de tenter Dieu/ refus du pouvoir terrestre qui serait conféré par nets donnés par l’évangile de Jean, qui évoque, comme il rappelle ici, trois montées de Jésus à Jérusalem.
allégeance à Satan. À propos de ce dernier point, il fait une place à la version de Luc (4, 6), où Satan exprime Si on se rappelle que le Contre les hérésies d’Irénée est le plus ancien document se référant aux évangiles
sa prétention à disposer des pouvoirs humains. comme à des textes complets, et non plus seulement comme à des récits ou sentences dispersées, on restera
13 Le ministère, ou service de l’Église, se décline sur trois degrés : diacres, prêtres et évêques, comme surpris du sérieux de sa prise en considération de la trame narrative de l’évangile de Jean.
l’atteste entre autres un contemporain d’Irénée, Clément d’Alexandrie, Stromate VI, 13. Les évêques, tels 16 Voici le verset complet : « comme il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en lui, à
Irénée et le destinataire de son ouvrage, sont au plus haut degré. la vue des signes qu’il faisait » (Jn 2, 23).
D’ailleurs, le mois où on célèbre la Pâque et où souffrit le Seigneur, n’est pas le De fait, prenant les pains provenant de la terre après avoir rendu grâce (cf. Jn 6, 11), de
douzième mais le premier17, et si ces gens, qui prétendent tout connaître, l’ignorent, ils même qu’en faisant du vin avec de l’eau, il rassasia les convives étendus (Jn 6, 11), et
n’ont qu’à l’apprendre de Moïse18. désaltéra les invités aux noces, montrant ainsi que le Dieu « qui a fait le ciel et la terre »
(Gn 1, 1), « lui enjoignit de porter du fruit » (Gn 1, 11), qui a fondé les eaux et a fait
jaillir les sources, ce même Dieu, par son Fils, fait don au genre humain, en ces temps
Vers la première montée à Jérusalem : nouveaux, de la bénédiction de la nourriture et de la grâce de la boisson.
12. Les noces de Cana (Jn 2, 1-11)
AH III, 11, 519
Il était bon, ce vin qui fut produit par Dieu de façon naturelle sur la vigne et il a été bu en
premier. Nul de ceux qui en burent n’y trouva rien à redire, et le Seigneur lui-même en
prit. Cependant, il était meilleur ce vin qui fut produit par le Verbe de manière raccourcie
et simplifiée à partir de l’eau, à l’intention des invités aux noces.
Et même si le Seigneur aurait été en mesure d’offrir du vin aux convives comme de
combler de nourriture ceux qui avaient faim, sans aucun substrat naturel tiré de la
création, il ne le fit pas.

Cana : un convive transmet à Jésus la constatation que


l’évangile met dans la bouche de Marie, mère de Jésus : « ils
n’ont plus de vin » (Jn 2, 3). Une tige relie la main droite de
Jésus aux jarres posées sur le sol, pour concrétiser l’action
Cette scène représente la multiplication des cinq pains et des deux poissons apportés par un jeune gar-
du Sauveur sur leur contenu, l’autre main porte le rouleau
çon à gauche : les convives sont étendus, comme en Jn 6, 10-11 (cf. Mt 15, 35), et sept corbeilles seule-
biblique, détail d’un sarcophage, Museo Pio Cristiano,
ment sont visibles, soit en lien avec le récit de Mt 15, 37, soit pour des raisons de place. La disposition
Vatican, 300-325 ap. J.C., Photographie Richard Stracke,
évoque celle de la Cène ou d’un repas eucharistique, et le geste de Jésus, un bras levé au-dessus de la
CC-BY-ND.
tête, est celui du dormeur, il annonce que le Sauveur s’endormira dans la mort, et suggère peut-être le
lien entre l’eucharistie et la mémoire de la mort de Jésus ; détail d’un sarcophage, Musée Pio Cristiano,
22 Vatican (fin IIIème s.), Lanmas / Alamy Banque D’Images. 23
L’enseignement de Jésus
13. La grandeur de Dieu
AH IV, 2, 5
Il enseignait clairement et sans parabole le Dieu véritable : « ne jurez pas du tout »,
17 Les gnostiques voyaient un symbolisme du nombre douze lié à la passion de Jésus, mais Irénée se réfère à dit-il, « ni par le ciel, qui est le trône de Dieu, ni par la terre, qui est son marchepied,
Ex 12, 2, qui lie la célébration de la Pâque et l’ouverture de l’année par le « premier des mois ». ni par Jérusalem, qui est la ville du grand roi » (Mt 5, 34-35). Cette déclaration se
18 « Moïse » est une expression raccourcie pour le Pentateuque, où Moïse guide et enseigne le peuple (ici rapporte manifestement au Créateur, comme le dit Isaïe : « le ciel est mon siège, et
livre de l’Exode, en Ex 12, 2-3).
la terre est mon marchepied » (Is 66, 1). Et en dehors de lui il n’y a pas d’autre Dieu,
19 Irénée rapproche l’épisode des noces de Cana de la multiplication des pains chez Jean, d’une part parce
sinon il n’aurait pas été appelé « Dieu » ou « grand roi » par le Seigneur. Il ne peut y
qu’il anticipe la progression du ch. 2 au ch. 6 de ce même évangile, et surtout parce que ces deux miracles
de surabondance, de don gratuit venant combler un manque humain sont pour lui, et plus généralement pour
avoir là aucune comparaison ni aucune autre supériorité.
l’Église primitive, des figures de l’eucharistie, où le Fils de Dieu prend le pain et le vin et les change en un
don de grâce plénier, dans lequel Dieu se donne lui-même comme nourriture et boisson aux « invités des 20 Irénée répond ici à une opinion émise par certains gnostiques, selon laquelle il était bien d’expérimenter
noces », c’est-à-dire aux membres de l’Église dans leur cheminement vers la vie éternelle avec Dieu. Le toute sorte de conduites, et que d’ailleurs les actes extérieurs étaient assez indifférents, n’engageant pas notre
récit de Jean 6 est repérable au détail des convives « étendus » (Jn 6, 11), comme dans un banquet à l’époque moi profond, spirituel. Pour ce faire il présente dans toute son exigence l’enseignement de Jésus dans le
romaine. Pour Irénée comme pour les peintres des premières fresques des catacombes, les apôtres étaient discours sur la montagne (Mt 5-7, ici Mt 5, 21-40), mais seulement de manière indirecte, sans citation : nous
aussi « étendus » à la Cène lors de l’inauguration par Jésus de l’offrande eucharistique (cf. Contre les hérésies sommes en effet ici à la fin du deuxième livre, où Irénée réfute les gnostiques rationnellement sans mettre en
IV, 22, 1). avant les Écritures, qui n’interviendront en tant que telles qu’au Livre III (et aux deux suivants).
14. Jésus enseigne à faire le bien et à éviter le mal donnent de bon gré, par une faveur concédée à autrui plus que forcés par la nécessité.
AH II, 32, 1 « Et si quelqu’un te requiert pour un mille, fais-en encore deux avec lui » (Mt 5, 42), sans
le suivre comme un esclave, mais comme le précédant librement, te montrant disponible
Leur opinion impie à propos des actes (humains), qui prétend qu’il leur convient
et utile à ton prochain en toute chose, sans regarder la malice d’autrui, mais en allant
d’expérimenter toute sorte de conduites, y compris mauvaises, peut se trouver détruite par
plus loin dans la bonté, te configurant toi-même au Père, « qui fait lever son soleil sur les
l’enseignement de Jésus. Pour lui, est rejeté non seulement celui qui commet l’adultère,
mauvais et sur les bons, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45).
mais celui qui en a déjà l’intention (Mt 5, 27-28), et non seulement celui qui tue sera
Tout cet enseignement, comme nous l’avons dit plus haut, n’était pas le fait de
coupable de meurtre et destiné à la damnation, mais déjà celui qui se met en colère sans
quelqu’un qui aurait détruit la loi, mais de celui qui l’accomplissait22, l’étendait et
motif contre son frère (Mt 5, 21-22) ; lui qui a enjoint, non seulement de ne pas haïr,
la dilatait pour nous, comme si on disait que l’acte de la liberté était plus grand (que
mais d’aimer ses ennemis (Mt 5, 43-44) ; non seulement de s’abstenir de jurer, mais de
celui de la servitude23) et qu’ainsi nous était demandée une soumission et une affection
s’abstenir de tout serment (Mt 5, 33-37) ; non seulement de ne pas parler mal du prochain,
plus entière à l’égard de celui qui nous a libérés. De fait, il ne nous a pas libérés
mais même de ne dire à personne « fou » ou « idiot », sous peine d’être passible du feu de
pour que nous nous éloignions de lui – il est impossible en effet, en dehors des biens
la géhenne (Mt 5, 22) ; non seulement de ne pas frapper, mais si on est frappé de présenter
offerts par le Seigneur, de se procurer par soi-même la nourriture du salut -, mais pour
l’autre joue (Mt 5, 39) ; non seulement de ne pas détourner le bien d’autrui, mais même
qu’ayant reçu une plus grande grâce nous l’aimions d’un plus grand amour, et plus
si on vous prend ce qui est à vous de ne pas le réclamer (Mt 5, 40) ; non seulement de ne
nous l’aurons aimé, plus grande sera la gloire que nous recevrons de lui, quand nous
pas léser autrui et de ne pas lui faire de mal, mais de se montrer magnanimes à l’égard de
serons pour toujours en présence du Père.
ceux qui en usent mal avec vous, de faire montre de bienveillance à leur égard et de prier
pour eux, afin qu’ayant fait pénitence ils puissent être sauvés, bref de n’imiter en rien
16. Vie sexuelle : exigence et concessions
l’agressivité, la licence ou l’arrogance des autres.
AH IV, 15, 2

15. L’exigence évangélique assume la loi ancienne, Le Seigneur a fait connaître que certains préceptes avaient été donnés (aux juifs) par
mais va au-delà Moïse à cause de leur dureté et insoumission, en leur disant, en réponse à leur question
AH IV, 13, 3 de savoir « pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner un livret de répudiation pour
renvoyer sa femme ? » (Mt 19, 7 ; cf. Dt 24, 1) : « il vous l’a permis du fait de la dureté
C’est pour cela que le Seigneur, au lieu de « tu ne commettras pas d’adultère », a
de votre cœur, mais au commencement il n’en était pas ainsi » (Mt 19, 8). Il excusait
24 recommandé de ne pas convoiter ; au lieu de « tu ne tueras pas », de ne pas même se 25
ainsi Moïse, son fidèle serviteur, confessant en même temps l’unique Dieu qui « au
mettre en colère ; au lieu de (simplement) verser la dîme, de partager tout ce qu’on
commencement a fait l’homme et la femme » (Gn 1, 27 et 2, 24), et il leur faisait grief
a avec les pauvres, de ne pas seulement aimer les proches, mais aussi les ennemis,
de leur dureté et de leur insoumission, à cause desquelles ils reçurent de Moïse un
de ne pas être seulement de bons donateurs et des personnes généreuses, mais même
précepte de divorce adapté à leur dureté.
de donner gratuitement à ceux qui s’emparent de notre bien : « à celui qui t’enlève
ta tunique, remets aussi ton manteau », dit-il (Mt 5, 40), « ne réclame pas ton bien Mais pourquoi ne dire cela que de l’Ancien Testament ? Quand nous trouvons que les
à celui qui te l’enlève, agissez à l’égard des hommes comme vous voulez qu’ils apôtres ont fait la même chose pour cette même raison dans le Nouveau24 ? Paul dit en
agissent avec vous » (Lc 6, 30-31), pour que nous ne nous attristions pas comme des effet : « ce que je vous dis là est de moi, non du Seigneur » (1 Co 7, 12). Et encore :
personnes frustrées malgré elles, mais que nous nous réjouissions en personnes qui « je vous le dis par manière de concession, non comme un commandement » (1 Co 7,
6). Et encore : « à propos des vierges, je n’ai pas de commandement du Seigneur, mais

je vous donne un conseil… » (1 Co 7, 25).

20 Irénée répond ici à une opinion émise par certains gnostiques, selon laquelle il était bien d’expérimenter 22 Selon Mt 5, 17, invoqué pas moins de huit fois par Irénée au L. IV (IV, 2, 6 ; IV, 8, 2 ; IV, 8, 2 ; IV, 13, 1
toute sorte de conduites, et que d’ailleurs les actes extérieurs étaient assez indifférents, n’engageant pas notre bis & 3 ; IV, 16, 4 ; IV, 24, 2) et en Dém. 89.
moi profond, spirituel. Pour ce faire il présente dans toute son exigence l’enseignement de Jésus dans le 23 Irénée reprend à Paul (cf. Ga 4, 31 et 5, 1 ; Rm 8, 15) l’opposition de la servitude de la loi ancienne et de
discours sur la montagne (Mt 5-7, ici Mt 5, 21-40), mais seulement de manière indirecte, sans citation : nous la liberté de la loi nouvelle, mais il s’agit comme il le montre d’une liberté qui engage plus fortement et plus
sommes en effet ici à la fin du deuxième livre, où Irénée réfute les gnostiques rationnellement sans mettre en étroitement encore que les liens de la loi. Paul lui-même, en Ga 5, 13, dit que la liberté chrétienne, bien loin
avant les Écritures, qui n’interviendront en tant que telles qu’au Livre III (et aux deux suivants). d’être licence, pousse à se faire esclave d’autrui par amour.
21 On notera la différence avec le passage du L. II présenté juste avant : le contenu en est à peu près le même, 24 On remarquera qu’Irénée utilise déjà les termes d’« ancien » et « nouveau » Testament, non seulement
mais ici Irénée se réfère explicitement aux textes de Matthieu et de Luc, avec des citations précises. pour se référer à deux alliances successives, mais bien à deux séries de textes.
Et ailleurs il dit encore : « pour éviter que Satan ne vous induise en tentation du 18. Incompatibilité de la vie au service de l’argent et de celle
fait de votre incontinence » (1 Co 7, 5). Ainsi donc, si on trouve dans le Nouveau au service de Dieu
Testament des préceptes concédés sans claire connaissance par les apôtres du fait de AH III, 8, 1
l’incontinence de certains, pour éviter que de tels endurcis n’en viennent à désespérer
« Vous ne pouvez pas servir deux maîtres » (Mt 6, 24) : il enseigne ainsi aux disciples,
entièrement de leur salut et à se séparer de Dieu, il ne faut pas s’étonner si dans
qui servent Dieu, à ne pas se soumettre au pouvoir de « Mammon » et à ne pas se laisser
l’Ancien Testament aussi le même Dieu a bien voulu qu’une telle chose soit faite pour
dominer par lui. « Qui commet le péché », dit-il, « se rend esclave du péché » (Jn 8,
l’utilité du peuple, en les attirant par ces pratiques et les accrochant ainsi à l’hameçon
34). De même qu’il appelle « esclaves du péché » ceux qui sont asservis au péché,
salutaire du Décalogue, pour que, bien tenus par celui-ci, ils ne retournent pas vers
sans pour autant appeler « Seigneur » le péché, de même il appelle « esclaves de
l’idolâtrie et ne se séparent pas de Dieu, mais apprennent à aimer Dieu de tout leur
Mammon » ceux qui lui sont asservis, sans pour autant l’appeler « Seigneur ».
cœur (Dt 6, 5, cf. 10, 12).
Mammon en effet, dans le parler des juifs que partagent aussi les samaritains, désigne
un personnage cupide, avide de posséder plus qu’il ne faut, mais en langue hébraïque,
17. L’argent païen sert à vêtir le Christ
avec un suffixe, on dit « Mamuel », qui signifie « vorace », celui qui ne peut mettre un
AH IV, 30, 3
frein à sa voracité. Selon l’une et l’autre de ces significations29, il nous est impossible de
Il savait bien en effet que nous ne pouvions faire le bien que sur nos fonds, que nous « servir à la fois Dieu et Mammon » (Mt 6, 24).
avons reçus d’un autre. « Que celui, dit-il, qui a deux tuniques partage avec qui n’en
a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même » (Lc 3, 11)25. Et encore : 19. Les violents s’emparent du royaume
« j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’étais nu, et vous m’avez vêtu » (Mt AH IV, 37, 7
25, 35-36), et encore : « quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce
Et c’est pourquoi le Seigneur a dit que « le royaume des cieux revenait à ceux qui le forcent
que fait ta main droite » (Mt 6, 3), et toutes les actions par lesquelles nous accédons
et que ce sont ceux qui font le coup de force qui le ravissent » (Mt 11, 12) - c’est-à-dire que
à la justification en faisant le bien, comme si nous rachetions ce qui nous appartient
le ravissent ceux qui (le recherchent) par une veille instante, avec effort et lutte30. C’est
avec des biens étrangers. En disant « avec des biens étrangers », je ne veux pas dire
pourquoi aussi l’apôtre Paul dit aux Corinthiens : « ... courez, de manière à l’emporter... »
que le monde soit étranger à Dieu, mais que nous faisons ces dons après les avoir reçus
(1 Co 9, 24). Ainsi donc, le bon lutteur nous exhorte à la lutte pour l’incorruptibilité, afin
d’autrui : tels les anciens hébreux avec les biens des Égyptiens26 qui ne connaissaient
que nous puissions être couronnés et accorder du prix à la couronne, à condition qu’elle
pas Dieu, par ces biens en effet nous édifions en nous-mêmes un tabernacle à Dieu,
26 ait été acquise par la lutte et ne soit pas venue toute seule31. Car ce qui nous vient par 27
car Dieu habite avec ceux qui font le bien. Comme le dit le Seigneur, « faîtes-vous
lutte nous est d’autant plus précieux ; et plus quelque chose nous est précieux, plus nous
des amis avec ce Mammon d’iniquité, afin que ceux-ci, quand vous aurez été expulsés
l’aimons de façon persistante. On n’aime pas de la même façon en effet ce qui nous arrive
(d’ici), vous reçoivent dans les tabernacles éternels » (Lc 16, 9)27 ; ainsi, tout ce que
tout seul et ce à quoi nous parvenons par beaucoup d’efforts.
nous avons acquis en dehors de la justice quand nous étions encore païens28, si nous
le faisons passer au service du Seigneur à présent que nous sommes croyants, nous
permet d’accéder à la justification. 29 Irénée utilisait peut-être déjà, comme plus tard Origène, des recueils de « Noms sacrés » à l’usage des lecteurs
hellénophones, proposant un ou plusieurs sens pour les mots sémitiques parsemés dans la Bible grecque, en
particulier dans les évangiles. « Mammon » est un mot araméen, pour évoquer le gain et l’argent avec une
nuance dépréciative, voire franchement péjorative. « Mammu-el » est une construction de type hébraïque qui
25 Ici, ce n’est pas Jésus qui parle, mais Jean-Baptiste dans sa prédication près du Jourdain, cependant il entend désigner le « dieu argent ». On ne sait pas ce qui justifie le glissement, chez Irénée, de ces noms à des
s’agit foncièrement du même enseignement. adjectifs péjoratifs évoquant l’avidité (« cupide », « vorace »).
26 Le tabernacle, demandé par Dieu en Ex 25, 8 (« ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux 30 Dans ce paragraphe, Irénée passe de la mise en avant du libre choix à l’ardeur persévérante dans le
»), est élaboré à partir des matériaux précieux pris par les Hébreux en compensation des années de travail désir du bien : son interprétation de Mt 11, 12 est celle d’une bonne « violence » : la « violence » et la
forcé (cf. AH IV, 30, 1 début). « rapine » (les termes évangéliques sont très forts) de ceux qui s’emparent du royaume des cieux sont
27 Ce conseil est la conclusion de la parabole de l’intendant malhonnête (Lc 16, 1-8), qui se fit « expulser » de celles d’une recherche instante et passionnée, conformément à la version paulinienne de ce thème :
son poste, d’où cette expression ici pour désigner la fin de la vie terrestre. Sur Mammon, voir le texte suivant. « concours pour la bonne épreuve de la foi, empare-toi de la vie éternelle » (1 Tm 6, 12).
28 Qu’Irénée dise ici « nous » ne signifie pas nécessairement qu’il ait été lui-même converti du paganisme – 31 L’interprétation que donne Irénée de la comparaison de la vie chrétienne avec une course
au contraire, le fait qu’il ait écouté Polycarpe dans son jeune âge laisse penser qu’il était d’une famille déjà sportive, proposée par Paul dans la première Lettre aux Corinthiens, ne s’intéresse pas d’abord à la
chrétienne -, mais il s’adresse ici à un lectorat plus large, qui comprend sans doute une majorité de païens « couronne » et au désir qu’elle doit mobiliser (selon la perspective de Paul), mais est légèrement décentrée
convertis. sur l’observation psychologique constatant que l’effort dépensé majore le prix attaché à la victoire.
20. Bonté et justice de Dieu 23. Le paralytique de Bethesda (seconde montée de Jésus à Jérusalem)
AH III, 25, 3 AH V, 15, 2
Or Dieu est miséricordieux, bon, patient et sauve ceux qu’il convient de sauver, sa Et c’est pourquoi tous les autres, auxquels des maladies étaient venues du fait de leur
bonté n’est pas affectée par l’exercice de sa justice, et sa sagesse ne se trouve pas transgression, il les guérissait par la parole33 et leur disait : ‘te voilà devenu sain,
diminuée : il sauve ceux qu’il doit sauver et juge ceux qui ont mérité le jugement. Il ne ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire’ (Jn 5, 14), faisant
se montre jamais juste avec dureté, sa bonté venant (toujours) en premier et précédant connaître ainsi que les maladies sont arrivées aux hommes en conséquence du péché
(la justice). Mais le Dieu qui, avec bienveillance, fait lever son soleil sur tous, et fait de désobéissance…34.
pleuvoir sur les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45) jugera ceux qui, après avoir reçu de
manière égale sa bienveillance, n’ont pas correspondu de la même façon à la grandeur 24-26. Le paralytique de Capharnaüm
du don qui leur était fait, mais se sont tournés vers les plaisirs et la luxure, allant à AH V, 17, 1
l’encontre de sa bienveillance, et blasphémant contre celui qui leur a accordé tant de
Ce Dieu Créateur est celui qui, selon l’amour, est Père, selon la puissance est Seigneur,
bienfaits.
selon la sagesse notre artisan et Formateur, et dont nous sommes devenus ennemis en
transgressant son précepte. C’est pour cela que, dans ces temps nouveaux, le Seigneur
rencontres salutaires
nous a rétablis dans son amitié par son incarnation, s’étant fait médiateur entre Dieu et
21. La Samaritaine
les hommes, intercédant pour nous auprès du Père, envers lequel nous avions péché,
AH III, 17, 2
et le rendant propice, en le consolant de notre désobéissance par son obéissance, nous
Notre Seigneur a fait miséricorde à la Samaritaine, cette pécheresse, qui n’était pas faisant don enfin de la conduite et de la soumission qui conviennent à l’égard de celui
restée avec un seul homme mais s’était livrée à de nombreuses unions (cf. Jn 4, 10), qui nous a faits.
lui montrant et lui promettant « l’eau vive, pour que désormais elle n’ait plus soif »
(Jn 4, 14), et ne soit plus tenue à la recherche laborieuse de l’eau, mais ait en elle une
boisson « jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4, 14). Le Seigneur, ayant lui-même Jésus porteur du rouleau biblique
reçu ce don du Père, le communiqua à son tour à ceux qui « ont part avec lui » (cf. Jn fait un geste de bénédiction à
13, 8) et envoya l’Esprit-Saint sur toute la terre. destination du paralytique, qui
marche en portant vaillamment
28 son brancard au-dessus de sa tête. 29
22. « Ce ne sont pas les bien portants qui ont Sur les parois des sarcophages, les
besoin de médecin » (Lc 5, 31) bénéficiaires des miracles de Jésus
AH III, 5, 2 sont généralement représentés en
plus petit ; détail d’un sarcophage,
Quel médecin, voulant soigner un malade, ira dans le sens de ce qu’il souhaite, et non Musée Pio Cristiano, Vatican (début
IVème s.). Photographié par © CM
dans celui qui convient au traitement médical ? Le Seigneur est venu en médecin de
Dixon/Heritage Images, Source :
ceux qui allaient mal, comme il l’atteste lui-même en disant : « les bien portants n’ont The Print Collector / Alamy Banque
pas besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal : je ne suis pas venu appeler D’Images.
les justes, mais les pécheurs à la pénitence » (Lc 5, 31-32). Or, comment ceux qui
vont mal retrouveront-ils des forces ? Et comment les pécheurs feront-ils pénitence ?
32 Le sérieux dans l’information et la conscience professionnelle du médecin sont un modèle pour Irénée
Est-ce en continuant comme ils sont, ou bien au contraire en acceptant un grand
lui-même, dans son entreprise de réponse au gnosticisme, comme il l’écrit dans la préface au quatrième
changement, pour aller à l’encontre de leur première manière de vivre qui a été la
Livre : « il est impossible de soigner ceux qui se portent mal, si on ignore l’affection dont ils souffrent » (AH
cause pour eux d’une grave maladie et par laquelle ils se sont chargés de beaucoup de IV, préface, § 1).
péchés ? L’ignorance, qui est la mère de tous ces maux, est chassée par la connaissance, 33 Irénée oppose ici la guérison par la simple parole, et la guérison par le toucher, qui sera mise en œuvre
c’est pourquoi le Seigneur s’efforçait de donner la connaissance à ses disciples, par par Jésus avec l’aveugle-né.
laquelle il soignait ceux qui souffraient et détournait les pécheurs de leur péché. Il ne 34 La dégradation et l’impuissance des corps comme des âmes trouve leur cause originelle dans le premier
leur tenait certainement pas un langage conforme à leur précédente façon de voir et péché et dans la séparation d’avec Dieu. Il ne s’agit pas d’une culpabilité personnelle du malade ou de
ne répondait pas à ceux qui l’interrogeaient selon leur attente, mais leur proposait un l’homme handicapé, comme Jésus le déclare clairement à propos de l’aveugle-né (Jn 9, 3). Voir ci-dessous
enseignement salutaire, sans hypocrisie et sans biaiser en fonction des personnes32. le texte d’AH V, 15, 2.
C’est pourquoi il nous a enseigné à dire dans la prière : « remets-nous nos dettes » 27-28. La guérison de l’aveugle-né
(Mt 6, 12), puisque c’est lui « notre Père » dont nous étions débiteurs pour AH V, 15, 2
avoir transgressé son précepte […] ; ce précepte a été communiqué à l’homme par le
Celui qui était aveugle de naissance, il lui restitua la vue non plus simplement par la
Verbe : « Adam en effet, dit-il, entendit la voix de Dieu » (Gn 3, 8). C’est donc à bon
parole, mais par une action, et ce non pas en vain ou au hasard, mais pour qu’ainsi il puisse
droit que le Verbe de Dieu dit à cet homme (le paralytique) : « tes péchés te sont remis
faire voir la « main de Dieu », qui forma l’homme au commencement. C’est pourquoi,
» (Mt 9, 2) : c’est le même envers lequel nous avions péché au commencement qui fait
aux disciples qui l’interrogeaient en lui demandant pour quel motif (cet homme) était né
don à la fin de la rémission des péchés.
aveugle, si c’était sa faute ou celle de ses parents, il dit : « ni lui ni ses parents n’ont péché,
V, 17, 2 mais (cela est arrivé) pour qu’en lui soit manifestée l’œuvre de Dieu » (Jn 9, 2-4).

C’est pourquoi, voyant le paralytique guéri, le peuple « glorifiait Dieu qui a donné une
Or, l’œuvre de Dieu, c’est la formation de l’homme. Il a donc opéré (cette guérison) par
telle puissance aux hommes » (Mt 9, 8) […] Mais puisque le Fils unique était venu
une action, comme dit l’Écriture : « Dieu prit de la boue de la terre et forma l’homme » (Gn
pour le salut des hommes, (envoyé) par le Dieu qui est réellement, et que, par les actes
2, 7)37. C’est pourquoi le Seigneur lui aussi envoya un jet de salive sur la terre, fit de la boue
de puissance qu’il accomplissait, il provoquait les incrédules à rendre gloire au Père,
et l’étala sur les yeux (de l’aveugle, cf. Jn 9, 6) : il donnait ainsi à voir le mode sous lequel
puisqu’il disait aux Pharisiens qui ne recevaient pas la venue de son Fils et, de ce fait,
s’était faite la formation primitive et, à ceux qui étaient susceptibles de comprendre, il faisait
ne croyaient pas à la rémission (des péchés) par lui : ‘pour que vous sachiez que le Fils
connaître la main de Dieu, main par laquelle l’homme a été formé de la boue. Ce que le Verbe
de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés’ (Mt 9, 6a), en disant cela ‘il ordonna à
artisan en effet avait omis de former dans le ventre de sa mère, il l’accomplit désormais au
l’homme paralysé de prendre le brancard sur lequel il gisait et de rentrer chez lui’ (Mt 9,
grand jour, pour que l’œuvre de Dieu soit manifestée à cette occasion et que nous ne
6b). Il confondait ainsi les incrédules par son action et signifiait qu’il était lui-même la
cherchions plus une autre main, par laquelle l’homme a été formé, ni un autre Père,
« voix de Dieu », par laquelle l’homme a reçu les préceptes qu’il a transgressés en
conscients du fait que la même « main de Dieu » qui nous a formés au commencement
devenant pécheur : de fait, la paralysie est une conséquence des péchés.
forme encore l’homme dans le ventre de sa mère […]. Et puisque nous sommes formés in
V, 17, 3 utero par le Verbe, ce même Verbe forma l’organe de vision pour celui qui était aveugle
En même temps donc qu’il remettait les péchés, il guérit l’homme, et montra de naissance, faisant voir en pleine lumière celui qui nous forme dans le secret, explicitant
manifestement qui il était35. En effet, si « personne ne peut remettre les péchés sinon quelle fut la formation originelle d’Adam, comment il fut créé et par quelle main il fut
Dieu seul » (Lc 5, 21 ; cf. Mc 2, 736), et si le Seigneur pouvait les remettre et soigner les formé, donnant à voir le tout sur une partie : le Seigneur en effet qui forma ici l’organe de la
30 hommes, il était alors manifeste qu’il était le Verbe de Dieu devenu Fils de l’homme, vision n’est autre que celui qui forma l’homme tout entier, en suivant la volonté du Père38. 31
qui recevait du Père la puissance de remettre les péchés comme homme et comme
V, 15, 3
Dieu et qui, de même que dans son humanité il a eu compassion de nous, en tant que
Et puisque l’homme, qui avait péché dans ce (corps) formé selon Adam avait besoin
Dieu nous a pris en pitié et nous a remis les dettes que nous avions à l’égard du Dieu
du bain de la régénération39, après lui avoir étalé la boue sur les yeux, il lui dit : ‘Va
qui nous a faits.
te laver à Siloé’ (Jn 9, 7a), lui restituant à la fois la formation originelle et lui faisant
don de la régénération opérée par le bain. Et c’est pourquoi, « une fois lavé, il revint
voyant » (Jn 9, 7b), pour qu’il puisse reconnaître son Formateur et apprendre qui est
le Seigneur qui lui donna la vie.

35 Les guérisons ne sont pas seulement un « signe » qui authentifie la divinité de Jésus, mais elles donnent à 38 La lecture que fait Irénée de cette action de Jésus se situe sur un double plan : d’un côté il met en avant l’aspect
voir la relation entre le créateur et l’homme déchu, le désir de sainteté et d’intégrité de Dieu pour l’homme, visuel et même pédagogique de l’acte de Jésus, sur lequel l’évangéliste concentrait aussi l’attention : faire de la
exprimé d’abord dans le précepte initial de mise en garde de la Genèse, puis concrétisé par la médiation du boue avec sa main et former ainsi l’organe de la vision, déficient chez cet infirme, en écho au récit de la Genèse.
Verbe fait chair, qui prend soin de l’homme et le restaure. Sur un plan plus théologique, il insiste sur la proximité entre le créateur, qui forme chaque homme in utero, et son
36 L’épisode de la guérison du paralytique de Capharnaüm se trouve raconté dans les trois évangiles dits œuvre. La corporéité humaine, en particulier, est directement l’œuvre de Dieu.
« synoptiques » : Irénée suit principalement le texte de Matthieu, mais insère aussi cette explication sur 39 L’aveugle du récit de Jean concentre en lui, de manière pédagogique, deux étapes de l’humanité : la formation
l’exclusivité du pardon des péchés réservée à Dieu, présente dans les textes parallèles de Marc et de Luc. originelle et la régénération de la « nouvelle naissance » dans le Christ par le bain du baptême : de même que le vin
37 Le verset précédent (Gn 2, 6) parle d’une source montée des profondeurs pour abreuver toute la surface de des noces et le pain multiplié étaient chargés d’un sens eucharistique, de même la guérison du paralytique pardonné
la terre. La poussière ou l’argile se trouve ainsi humectée, de façon à pouvoir être malléable. et celle de l’aveugle illuminé à la sortie du bain aident à mieux comprendre le baptême de la régénération.
tensions et résistances
29-31. L’accusation de guérir « par Beelzebul » et le modèle
du « fort » ligoté
AH III, 18, 640
De fait, c’était un homme qui combattait pour ses Pères41, défaisant la désobéissance
par l’obéissance (cf. Rm 5, 19) : ainsi, il lia le Fort, délia les faibles (Mt 12, 29) et
donna le salut à son œuvre en détruisant le péché. Car le Seigneur est plein d’affection
et miséricordieux et il aime le genre humain.

III, 18, 7
Il a donc étroitement uni l’homme à Dieu. En effet, si ce n’était pas un homme qui
avait été vainqueur de l’adversaire de l’homme, l’ennemi n’aurait pas été vaincu avec
justice ; à l’inverse, si ce n’était pas Dieu qui avait fait don du salut, nous ne l’aurions
pas reçu avec assurance42.

V, 21, 3
Par le lien (immobilisant le Fort), l’homme s’est trouvé délié, « nul ne peut en effet
pénétrer dans la maison du Fort et s’emparer de ses instruments s’il n’a pas d’abord
lié le Fort » (Mt 12, 29) […]43. Le Verbe de Dieu le lia ensuite fermement, en tant
qu’esclave fugitif, et dispersa ses instruments, c’est-à-dire les hommes détenus par lui
et dont il usait injustement. Ainsi, c’est avec justice qu’il a été rendu captif, celui qui
avait injustement rendu l’homme captif ; quant à l’homme qui avait été rendu captif,
il a été soustrait au pouvoir de son possesseur, conformément à la miséricorde de Dieu
le Père, qui a eu miséricorde de son œuvre et lui a fait don du salut, la réintégrant par
le Verbe, c’est-à-dire par le Christ, afin que l’homme apprenne par expérience que ce
32 n’est pas par lui-même, mais par le don de Dieu qu’il reçoit l’incorruptibilité.
33

40 Devant les guérisons opérées par Jésus, les chefs juifs l’accusent de mettre en œuvre des pouvoirs
démoniaques. Jésus se justifie par une solide argumentation, qu’il résume dans une petite histoire frappante,
où on imagine un brigand ayant attaqué une maison et réduit ses habitants à l’impuissance pour pouvoir
les voler. Ce brigand est appelé le « Fort ». Pour libérer les otages et reprendre les biens séquestrés, il faut
l’intervention d’un plus fort encore, qui à son tour ligote le « Fort » et le réduit à l’impuissance (Mt 12, 29,
cf. Mc 3, 27 et Lc 11, 21-22). L’histoire de l’humanité se trouve là résumée, comme l’explique Irénée : Satan
a réduit les hommes à l’impuissance, mais il sera vaincu par Jésus, qui libère ses captifs.
41 La lutte du Christ au moment de sa passion, qui est ici en question, est une lutte « pour les Pères », non
seulement parce que, dans sa descente aux Enfers, il délivrera les anciens justes et les patriarches, mais
surtout parce que l’enjeu premier du salut est la libération d’Adam, le premier père formé par Dieu, qui
représente en quelque sorte toute l’humanité pécheresse.
42 Pour que cette victoire remportée par Jésus soit réelle et assurée, il faut qu’il soit « plus fort » que le Fort,
donc à la fois homme et « le Fils de Dieu, à la ressemblance duquel l’homme a été fait » (AH IV, 33, 4).
43 Irénée reprend au moins sept fois ce motif dans le Contre les hérésies. Dans ce passage du livre V, le
théologien évoque l’affrontement entre Jésus et Satan lors des tentations au début de sa vie publique : par sa
patience, son humilité et son obéissance, le sauveur réduit Satan à l’impuissance et déjà libère les hommes,
L’aveugle est caractérisé par un bâton (tombé ici) et était présenté par un disciple à Jésus, qui fait
un geste de bénédiction sur ses yeux. On notera le grossissement de la main de Jésus ; détail d’un comme il le fera pleinement sur la croix.
sarcophage, Musée Pio Cristiano, Vatican (IVème s.). Source : Lanmas / Alamy Banque D’Images.
32-33. Polémiques sur le sabbat mangea les ‘pains de proposition’46 et en donna à ceux qui l’accompagnaient, alors
AH IV, 8, 2 qu’il n’était normalement permis qu’aux prêtres de les consommer ? » (Lc 6, 4 et Mt
12, 3-4 ; cf. 1 S 21, 7). David en effet était considéré comme prêtre devant Dieu, bien
Le Seigneur en effet venait revendiquer pour lui la descendance d’Abraham, la déliant
que Saul l’ait persécuté : de fait, tous les justes jouissent du rang sacerdotal, et tous les
de ses liens et l’appelant au salut, et il l’exprima clairement dans le cas de cette femme
disciples du Seigneur sont prêtres47, eux qui n’héritent ici-bas ni champs ni maisons,
qu’il guérit, en disant à ceux qui avaient la même foi qu’Abraham : « hypocrites, tous
mais sont toujours au service de Dieu et de l’autel. C’est eux qu’évoque Moïse dans le
autant que vous êtes ne déliez-vous pas vos bœufs et vos ânes le jour du sabbat et ne
Deutéronome, à l’occasion de la bénédiction de Lévi : « celui qui dit à son père et à sa
les menez-vous pas boire ? Et cette fille d’Abraham, que Satan avait liée il y a dix-huit
mère : ’je ne t’ai pas connu’, qui a renié ses frères et renoncé à ses enfants, celui-là a
ans, ne convenait-il pas de la délier de cette chaîne le jour du sabbat ? » (Lc 13, 15-16).
gardé tes préceptes et observé ton alliance » (Dt 33, 9).
Il est bien clair ainsi qu’il a délié et vivifié ceux qui avaient une foi semblable à celle
d’Abraham et qu’il n’a rien fait à l’encontre de la loi en guérissant le jour du sabbat. Qui sont ceux qui ont délaissé père et mère et renoncé à tous leurs proches à
La loi en effet n’interdisait pas de soigner des hommes le jour du sabbat, puisqu’on cause du Verbe de Dieu (cf. Mt 19, 29) et de son alliance, si ce n’est les disciples
pratique la circoncision ce jour-là et qu’elle demandait aux prêtres d’accomplir du Seigneur ? Eux dont Moïse dit encore : « ceux-là n’auront pas d’héritage, car le
pendant le sabbat des services cultuels pour le peuple, en outre elle n’interdisait pas Seigneur lui-même sera leur héritage » (Dt 10, 9, cf. Nb 18, 20) […]. C’est pourquoi
non plus le soin des animaux. aux disciples du Seigneur qui vivaient comme des lévites du point de vue de la
subsistance il était permis, lorsqu’ils avaient faim, de prendre leur nourriture dans
A Siloe, les guérisons avaient souvent lieu le sabbat, c’est pourquoi beaucoup de monde
les semences : « car l’ouvrier mérite sa nourriture » (Mt 10, 10). Les prêtres dans
y venait alors44. Ce que la loi interdisait- détournant ainsi de l’appât au gain -, c’était
le temple violaient aussi le sabbat sans être coupables. Pourquoi donc n’étaient-ils
de se livrer le jour du sabbat à tout travail servile, c’est-à-dire, à toute acquisition
pas coupables ? Parce qu’étant dans le temple ils exerçaient des ministères pour le
d’argent se faisant soit par le commerce soit par toute autre activité terrestre ; elle
Seigneur et non pas des services profanes et ainsi, bien loin d’aller à son encontre, ils
encourageait à l’inverse l’activité de l’âme qui se fait par la réflexion et les discours
accomplissaient la loi (du sabbat).
bénéfiques qui viennent en aide au prochain45. C’est pourquoi le Seigneur retournait
leur accusation à ceux qui lui reprochaient de guérir le sabbat. De fait, il ne détruisait
34-36. L’ivraie parasite
pas mais accomplissait la loi, lui qui faisait fonction de grand-prêtre en intercédant
AH IV, 40, 3
pour les hommes auprès de Dieu, purifiant les lépreux, guérissant les malades, et en
34 mourant enfin lui-même, pour que l’homme exilé soit délivré de sa condamnation et Un homme « a semé de la bonne semence dans son champ » (Mt 13, 24) – or le 35
réintègre en toute confiance son héritage. champ, dit l’évangile, c’est le monde (Mt 13, 38) – et « pendant que les hommes
dormaient, survint un ennemi, qui sema de l’ivraie au milieu des blés, puis
IV, 8, 3
repartit » (Mt 13, 25). (Satan) en effet, un ange du Seigneur a fait défection et est
La loi n’interdisait pas à ceux qui avaient faim de prendre de la nourriture qui se
trouvait sur leur chemin le jour du sabbat, en revanche elle interdisait de moissonner
et de rentrer le grain dans les silos. C’est pourquoi le Seigneur a dit, à ceux qui
critiquaient ses disciples parce qu’ils mangeaient des épis arrachés : « n’avez-vous
pas lu ce que fit David quand il eut faim, comment il entra dans la maison de Dieu,

46 Le rituel du tabernacle hébraïque, puis du temple, prévoyait l’exposition, sur une table, de douze pains
azymes disposés devant Dieu (un pour chacune des tribus d’Israël). Chaque sabbat, ils sont consommés dans
44 Le récit de Jean précise que le jour où Jésus avait envoyé l’aveugle-né se laver à Siloé après lui avoir appliqué l’espace sacré par les prêtres – auxquels il sont réservés -, puis remplacés par d’autres, cf. Ex 25, 22-30 et Lv 24,
de la boue sur les yeux était un sabbat (Jn 9, 14). Plus haut, Jean indiquait que la guérison du paralytique de 5-9. Dans son errance avec ses partisans, David se voit réduit à solliciter du prêtre de pouvoir consommer ces
Bethesda était survenue aussi un jour de sabbat (Jn 5, 9), et décrit une grande foule d’infirmes aux alentours du pains, et celui-ci le lui permet (1 S 21, 7).
bassin (Jn 5, 3). Irénée a-t-il confondu ces deux épisodes similaires, ou disposait-il d’une tradition particulière à 47 Le passage d’évangile visé ici par Irénée (Mt 12, 1-8 = Lc 6, 1-5) concerne le groupe des apôtres en chemin
propos de la fréquentation de Siloé lors des sabbats ? avec Jésus, c’est pourquoi l’expression qu’il emploie « tous les disciples du Seigneur » s’applique d’abord à
45 Irénée fait allusion ici aux réunions du sabbat, analogues à celle évoquée par l’évangile de Luc en Lc 4, 16- eux, puis à ceux qui, de la même façon, s’adonneront entièrement à la prédication et à l’annonce de l’évangile,
22, où la parole de Dieu est écoutée puis méditée à l’aide d’une homélie. Le raisonnement d’Irénée est le même c’est-à-dire aux ministres consacrés qui, comme les Lévites, « sont toujours au service de Dieu et de l’autel »,
que dans le texte suivant (AH IV, 8, 3) : ceux qui s’adonnent à la prédication, au bien du prochain ou au service dépendant de la communauté pour leur subsistance. Déjà Clément de Rome à la fin du premier siècle, avait
divin ne vont pas contre la loi mosaïque, mais au contraire l’accomplissent pleinement. comparé les degrés du ministère chrétien à ceux du ministère du temple (Lettre aux Corinthiens 40, 5).
devenu son ennemi, depuis qu’il fut pris de jalousie envers l’œuvre de Dieu48 et et ce fut fait ; il donna l’ordre, et ils furent créés » (Ps 32, 9 LXX, cf. ps 148, 5) […].
s’efforça de la rendre ennemie de Dieu. C’est pourquoi aussi Dieu chassa de sa Pour ce qui est de la nature en effet, qui correspond à la création, nous sommes tous
présence celui qui de sa propre initiative avait semé secrètement l’ivraie, c’est-à-dire pour ainsi dire fils de Dieu, puisque nous avons tous été faits par Dieu. Pour ce qui
avait introduit la transgression. Quant à l’homme qui avait fait place en lui, par une est, en revanche, de l’obéissance à sa parole et à son enseignement, tous ne sont pas
négligence mauvaise, à la désobéissance, il le prit en pitié […], détournant de lui son « fils de Dieu », mais seulement ceux qui croient en lui et font sa volonté. Ceux qui à
inimitié, pour l’infléchir et la renvoyer toute vers le serpent. C’est pourquoi l’Écriture l’inverse ne croient pas en lui et ne font pas sa volonté sont « des fils ou des anges du
écrit que Dieu dit au serpent : « j’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre toi diable, dans la mesure où ils accomplissent les actions du diable » (Jn 1, 12 et 8, 44, cf.
et celui qui naîtra de la femme : il t’écrasera la tête et tu viseras son talon » (Gn 3, Mt 12, 50) […]. Quant à leur nature, ils sont fils de Dieu, dans la mesure où ils ont été
15). Et le Seigneur a récapitulé en lui cette inimitié49, en homme né de la femme qui a créés par lui, mais pour ce qui est de leurs actions ils n’en sont pas les fils.
écrasé la tête (de l’ennemi).
37. L’accroissement des grâces en Jésus
IV, 40, 2
AH IV, 9, 2
Et c’est cela que le Seigneur a rendu clair dans la parabole des ivraies et du blé (Mt 13,
24-30, relue par Jésus avec ses disciples en Mt 13, 36-43), en disant : « de même qu’on « Il y a ici », dit-il, « plus que le temple » (Mt 12, 6). Le plus et le moins ne se disent
ramasse les ivraies et qu’elles brûlent au feu, de même en sera-t-il à l’achèvement du pas de réalités qui n’ont rien en commun et sont de nature contraires et inconciliables,
monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges pour ôter de son royaume tous les objets mais ils se disent de réalités de même substance ou communiquant entre elles, qui ne
de scandale et ceux qui commettent l’iniquité, pour les rassembler et les jeter dans la diffèrent que par le nombre ou la grandeur52, comme l’eau d’une autre eau, la lumière
fournaise de feu, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. C’est alors que les d’une autre lumière et la grâce d’une autre grâce. Ainsi, la loi de la liberté est plus
justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père » (Mt 13, 40-43)50. grande que celle donnée dans la servitude53, et c’est pourquoi elle ne concerne plus une
seule nation, mais s’est répandue dans le monde entier.
IV, 41, 1
Lorsqu’il dit à propos de l’ivraie : « les ivraies sont les fils du Malin » (Mt 13, 38), Il n’y a qu’un seul et même Seigneur, qui fait don aux hommes de « plus que le
il est nécessaire de préciser qu’il rattache certes à l’initiateur de la transgression tous temple » (Mt 12, 6), de « plus que Salomon » (Mt 12, 42) et de « plus que Jonas »
ceux qui ont fait défection, mais ce n’est en aucun cas le diable qui aurait fait par (12, 41)54, car il leur fait don de sa présence et de sa résurrection d’entre les morts,
nature51 ces anges ou ces hommes. D’ailleurs, on ne trouve pas que le diable ait fait sans changer de Dieu ni annoncer un autre Père, mais professant le même Dieu et
36 quoi que ce soit, lui qui est lui-même une créature de Dieu, au même titre que les Père, qui a toujours davantage à distribuer à ses proches et qui leur fait des dons 37
autres anges. Tout en effet a été fait par Dieu, comme le dit David à ce propos : « il dit, plus nombreux et plus grands au fur et à mesure de l’accroissement de leur amour
envers lui, comme le Seigneur disait aussi à ses disciples : « vous verrez des choses
plus grandes ! » (cf. Jn 1, 50 et Jn 5, 20)55 […]. Et maintenant, en recevant « plus que
48 L’« œuvre de Dieu » est l’homme, particulièrement dans sa corporéité, qui provoque l’envie de l’ange bientôt le temple » et « plus que Salomon », à savoir la venue du Fils de Dieu, nous n’avons
déchu. Conformément à l’enseignement du Livre de la Sagesse, « c’est par l’envie du diable que la mort est
entrée dans le monde » (Sg 2, 24), et préalablement le mal.
49 Pour Irénée, qui s’inspire entre autres d’Ep 1, 10 (« Dieu projetant de tout récapituler dans le
Christ »), « récapituler » signifie à la fois « reprendre depuis le début », « condenser », et « porter à son 52 Irénée part, à propos de l’expression « plus » plusieurs fois utilisée par Jésus, d’une explication philosophique
plein achèvement ». C’est ainsi que l’antagonisme entre la descendance de la femme et le serpent atteint son du langage et de la réalité qu’il permet d’analyser pour dégager le sens profond de ces déclarations de Jésus.
paroxysme et son point de non-retour dans le conflit entre Satan et Jésus. Irénée choisit ainsi de donner à 53 Nous avons vu plus haut (n. 23) la reprise par Irénée de l’opposition paulinienne entre la servitude de la loi
la parabole toute son ampleur temporelle, englobant le temps de l’histoire entre le drame des origines et la ancienne et la liberté de la loi nouvelle, qu’il ne faut pas comprendre comme une licence irresponsable, mais au
clarification finale. contraire comme une plus grande responsabilité liée à une maturité supérieure.
50 Cette référence au jugement ultime évoqué par la parabole de l’ivraie intervient, avec d’autres évocations du 54 Jésus a désigné plusieurs fois son corps comme étant le « temple » véritable (Jn 2, 21) et il est aussi Salomon,
jugement, à l’issue d’un développement détaillé d’Irénée sur le libre-arbitre : chacun fait ses choix, c’est-à-dire le bâtisseur du temple (Jn 2, 19). À plusieurs reprises aussi, il identifie sa mission au « signe de Jonas » (Mt 12,
à terme se détermine pour ou contre Dieu, engageant ainsi son sort final. On remarquera qu’Irénée, en IV, 40, 2, 39-40 et Mt 16, 4). Nous verrons ci-dessous qu’Irénée utilise le parallèle de Jonas à propos de l’ensevelissement
commence par la fin non seulement de la parabole, mais de sa relecture explicative donnée par Jésus aux seuls de Jésus.
disciples proches, et qu’il revient ensuite au début du récit et de son interprétation. 55 Irénée cite ici Jn 1, 50 au pluriel selon une variante de ce verset largement attestée, ce qui explique qu’il
51 Les gnostiques distinguaient trois natures parmi les humains, dont une foncièrement bonne et une l’introduise en accommodant aussi au pluriel (« à ses disciples ») ce que Jésus disait, selon le récit de Jean, au
foncièrement mauvaise. À l’encontre, Irénée insiste sur la dépendance de toutes les créatures à l’égard de Dieu seul Nathanaël : « tu verras des choses plus grandes » (avant de préciser qu’il s’agit de la venue glorieuse du
et sur leur liberté de choix. Fils à l’accomplissement des temps).
pas appris à reconnaître un autre Dieu que l’Artisan et Créateur de toutes choses, en 41. Le messie destiné aux souffrances
dehors de celui qui a été montré dès le commencement, ni un autre Christ (Messie) si AH III, 18, 4
ce n’est celui qui avait été annoncé par avance par les prophètes.
Le Seigneur lui-même dit clairement qui est celui qui a souffert57. Comme (Jésus)
avait demandé à ses disciples : « qu’est-ce que les hommes disent de moi, du Fils de
38-39. L’échec de la prédication de Jésus et de ses disciples l’homme ? » (Mt 16, 13)58 et que Pierre, pour lui avoir répondu : « tu es le Christ, le Fils du
AH IV, 36, 3 Dieu vivant » (Mt 16, 16), avait été loué par lui comme « n’ayant pas reçu cette
révélation de la chair et du sang, mais du Père qui est aux cieux » (Mt 16, 17), il fit voir
En ces jours-là, le sort de Sodome et Gomorrhe sera plus doux que celui de cette ville clairement que le Fils de l’homme est le Christ (messie) Fils du Dieu vivant. « À partir
ou de cette maison qui n’a pas reçu la parole de ses apôtres : « et toi, Capharnaüm, de ce moment, dit le texte, il commença à montrer à ses disciples qu’il lui faudrait aller
disait-il, tu ne seras pas exaltée jusqu’au ciel, mais bien abaissée jusque sous terre, à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des prêtres, être rejeté, crucifié et ressusciter
car si les actions puissantes (les miracles) qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu là- le troisième jour » (Mt 16, 21)59. Celui qui a été reconnu Christ (messie) par Pierre et
bas, ces villes seraient toujours là aujourd’hui ; c’est pourquoi je vous dis : le sort de qui l’a dit « bienheureux parce que le Père lui avait révélé le Fils du Dieu vivant » a
Sodome sera plus tolérable au jour du jugement que le vôtre ! » (Mt 11, 23-24). déclaré qu’il devait lui-même beaucoup souffrir et être crucifié. Il réprimanda ensuite
IV, 36, 4 Pierre, lui reprochant de le considérer comme Christ conformément à l’opinion des
Ainsi, au jour du jugement, il sera moins exigeant avec Sodome qu’avec ceux qui hommes et de s’opposer à sa passion (cf. Mt 16, 23), et il dit à ses disciples : « si
ont vu les miracles qu’il faisait et n’ont ni cru en lui ni reçu son enseignement. Car quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il
de même que, par sa venue, il a fait don d’une grâce plus grande à ceux qui ont cru vienne à ma suite. Celui qui aura voulu sauver sa vie la perdra, et qui l’aura perdue
en lui et font sa volonté, de même leur signifia-t-il qu’il y aurait au jugement une pour moi la sauvera » (Mt 16, 24-25). Il est clair que le Christ disait cela dans la
peine plus grande pour ceux qui n’ont pas cru en lui ; de fait, il se situe avec justice et mesure où il était lui-même le Sauveur de ceux qui seraient livrés à la mort pour
équitablement au-dessus de tous, et « à ceux auxquels il a donné plus, il demandera l’avoir confessé et qui perdraient leurs vies (pour lui).
plus » (Lc 12, 48) […], parce que, par sa venue, il a donné et répandu sur le genre
humain une plus grande grâce du Père.

38 39
Le tournant central : la confession
de Pierre et la première annonce de la passion
40. Qui est Jésus ? La confession de Pierre
AH III, 11, 6
C’est enseigné par lui (le Père) que Pierre a reconnu « le Christ, Fils du Dieu vivant »
(Mt 16, 16), du Dieu qui disait : « ‘celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis
complu’ (cf. Mt 3, 17), je déposerai sur lui mon Esprit et il annoncera le jugement 57 Ce passage de Mt 16, 13 à 25 est charnière dans la vie de Jésus et de son groupe d’apôtres : Pierre proclame
aux nations. Il ne contestera pas et ne criera pas, on n’entendra pas sa voix sur les clairement, au nom du groupe, que Jésus est le Messie, mais refuse pour Jésus l’humiliation et la souffrance,
places publiques, il ne brisera pas le roseau froissé et n’éteindra pas la mèche fumante, qui vont être les modes sous lesquels s’exprimera sa messianité. Les gnostiques refusaient de même un Christ
souffrant, et supposaient que le « Christ » (spirituel) abandonnait « Jésus » avant sa passion. Irénée, dans
jusqu’à ce qu’il émette le jugement victorieux, et les nations espèreront en son nom »
la continuité du récit évangélique, insiste fortement sur l’intégration de la passion dans la vie du Christ : la
(Is 42, 1-4 cité en Mt 12, 18-21) .
souffrance et la mort font partie de la mission de Jésus et en sont même la marque, qui peut être assumée
aussi par ses disciples.
58 Matthieu (16, 13) fait porter la question sur le « Fils de l’homme », tandis que Luc et Marc l’expriment
plus simplement : « qu’est-ce que les hommes disent de moi ? » (Mc 8, 27 ; Lc 9, 18). Irénée, ou son
56 À partir d’une suggestion de l’évangéliste Matthieu lui-même, en Mt 12, 18 ss., Irénée lit la parole du Père traducteur latin, a rassemblé les deux en une seule question plus riche.
proclamant que Jésus est « son Fils en qui il s’est complu » (cf. Mt 3, 17 ; Mt 17, 5) sur le fond d’Is 42, 1, et plus 59 Irénée suit apparemment Matthieu, mais il ajoute « être rejeté » attesté par Marc (8, 31) et Luc (9, 22). Par
largement du début du ch. 42 du prophète Isaïe, qui évoque Jacob-Israël : « mon enfant et serviteur choisi, mon ailleurs, le texte transmis d’Irénée raccourcit peut-être la citation, en évoquant les seuls « prêtres », alors que
bien-aimé, en qui mon âme s’est complu ». Matthieu, Luc et Marc parlent tous trois des grand-prêtres, des anciens et des scribes.
42-43. La transfiguration sur la montagne, accomplissement 44. Il convient de payer ses impôts, d’ailleurs Jésus l’a fait
des promesses à Moïse et Élie AH V, 24, 1
AH IV, 20, 960
Par Salomon aussi le Verbe a dit : « c’est par moi que règnent les rois et que les
« Et le Verbe parlait à Moïse face à face, comme quelqu’un qui parlerait avec son ami puissants détiennent le pouvoir de la justice ; c’est par moi que les princes sont
» (Ex 33, 11). Mais Moïse désira voir à découvert celui qui lui parlait. Il lui fut dit élevés et que les souverains règnent sur la terre » (Pr 8, 15). L’apôtre Paul dit la
alors : « tiens-toi sur le faîte du rocher, et je te couvrirai de ma main. Quand ma gloire même chose : « soyez soumis à toutes les puissances les plus élevées, car il n’y a pas
passera, tu me verras par derrière car ma face ne sera pas vue de toi (Ex 33, 21-23) de pouvoir si ce n’est concédé par Dieu. Ce qui est en place a été ainsi disposé par
– « l’homme en effet ne verra pas ma face de son vivant » (Ex 33, 20), cette parole Dieu » (Rm 13, 1). Au sujet des mêmes, il dit plus loin : « ce n’est pas sans raison
signifiait à la fois, d’une part, qu’il était impossible pour l’homme de voir Dieu et, de que celui qui dispose de l’autorité porte un glaive : il est en effet un serviteur de
l’autre, que par la sagesse de Dieu, dans ces temps nouveaux, l’homme le verrait « sur Dieu, qui exerce sa vengeance sur celui qui agit mal » (Rm 13, 4). Et il ne parle
le faîte du rocher », c’est-à-dire lors de sa venue en tant qu’homme. C’est pourquoi pas ici de puissances angéliques ni de dominations invisibles, comme certains osent
il lui parla face à face sur le faîte de la montagne, en présence aussi d’Élie, comme l’interpréter64, mais des pouvoirs humains, comme il le dit : « c’est pourquoi vous
l’évangile le rapporte (cf. Mt 17, 3 ; Mc 9, 3 ; Lc 9, 30)61, acquittant à la fin son devez leur payer des impôts : ils sont en effet des serviteurs de Dieu affectés à cette
ancienne promesse. tâche » (Rm 13, 6). Le Seigneur a confirmé cela, d’une part en ne faisant pas ce
que le diable lui suggérait (cf. Mt 4, 9)65 et, de l’autre, en ordonnant que soit versé
IV, 20, 10 (Élie)
aux percepteurs l’impôt pour lui même et pour Pierre (cf. Mt 17, 27)66, puisque ces
Les prophètes en effet ne voyaient pas à découvert la face même de Dieu, mais
percepteurs sont « des serviteurs de Dieu affectés à cette tâche » (Rm 13, 6).
seulement les dispositions mystérieuses par lesquelles l’homme commençait à voir
Dieu. Comme lorsqu’il a été dit à Élie : « tu sortiras demain et tu te tiendras devant la
45-46. Les deux premiers commandements
face du Seigneur (sur la montagne). Le Seigneur passera. Il y a eut un grand vent fort
Démonstration, § 87
qui désagrégeait les montagnes et brisait le rocher, devant la face du Seigneur – mais
le Seigneur n’était pas dans ce vent. Après le vent, un tremblement de terre, mais le Isaïe proclame aussi que ce n’est pas selon l’abondance des paroles de la loi, mais selon
Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre un la concision de la foi et de l’amour que l’humanité doit être sauvée : « Une parole concise
feu, mais le Seigneur n’était pas dans le feu. Après le feu, la voix d’une brise légère » et brève dans la justice, parce que c’est une parole brève que produira Dieu dans le
40 (1 R 19, 11-12)62. monde entier » (Is 10, 23). C’est pourquoi l’apôtre Paul dit : « la plénitude de la loi, 41
c’est l’amour » (Rm 13, 10), car qui aime Dieu accomplit la loi.
Par cela, le prophète, qui était violemment irrité63 du fait de la défection du peuple et
de l’assassinat de prophètes, apprenait à se comporter avec plus de douceur ; par cela Mais le Seigneur surtout, à qui on demandait : « quel est le premier comman-
aussi, la venue du Seigneur en tant qu’homme était annoncée, après la loi donnée par dement ? », dit : « ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute
Moïse, comme devant être douce et paisible, venue où il n’a « ni brisé le roseau froissé ta force’ (Dt 6, 5). Le second lui est semblable : ‘tu aimeras ton prochain comme
ni éteint la mèche fumante » (Is 42, 3 cité en Mt 12, 40) ; par cela était enfin montré le toi-même’ (Lv 19, 18) ; toute la loi et les prophètes dépendent de ces deux com-
(futur) repos doux et pacifique de son règne. mandements » (Mt 22, 36-40). Ainsi donc, grâce à la foi dans le Seigneur, il a

60 Selon les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), après la révélation de la messianité de Jésus et 64 Les gnostiques diabolisaient le pouvoir politique, mais dans la suite de ce passage, en AH V, 21, 2-3, Irénée
la première annonce de sa passion et de sa mort, celui-ci révèle sa gloire à quelques apôtres dans un moment de explique, à la suite de Paul, que les autorités civiles sont au service du bien commun et qu’aucune communauté
transfiguration sur une montagne, auquel sont associés les prophètes Moïse et Élie. ne pourrait tenir sans régulation (ce serait « la loi de la jungle »).
61 On voit que, sous la plume d’Irénée, « l’évangile » est ici considéré comme un récit et sans doute aussi 65 C’est-à-dire en ne s’emparant pas, comme le lui suggérait Satan, du pouvoir politique détenu par les autorités
comme un livre. temporelles.
62 Le verset, après avoir mentionné la voix, s’achève sur « c’est là qu’était le Seigneur ». Cette conclusion reste 66 Selon le récit de Matthieu, l’impôt en question est destiné au temple de Jérusalem, et Jésus le paie pour Pierre
implicite ici dans la citation d’Irénée. et pour lui-même en donnant une pièce d’un didrachme miraculeusement trouvée dans la bouche d’un poisson
63 Le prophète Élie déclare au v. 10 : « je suis enflammé de zèle pour le Seigneur tout-puissant, parce que les fis (Mt 17, 27). Irénée, comme plus tard Origène, pense apparemment qu’il s’agit d’un impôt profane. D’ailleurs,
d’Israël t’ont abandonné, ils ont renversé tes autels et tué tes prophètes par l’épée… » (1 R 19, 10). il semble qu’à partir d’un certain moment, l’impôt du temple ait été détourné à son profit par l’occupant romain.
augmenté notre amour pour Dieu et pour le prochain, nous rendant pieux, justes 48-50. La brebis perdue
et bons. C’est bien pourquoi « il a produit une parole concise sur la terre, dans le AH III, 23, 1
monde » (Is 10, 23, cf. Rm 9, 28)67.
Ainsi, il était nécessaire que le Seigneur vienne jusqu’à la brebis perdue, qu’il reprenne
IV, 12, 3 au point de départ70 une si grande réalisation et qu’il vienne rechercher son œuvre, pour
Puisque donc, dans la loi comme dans l’évangile, le premier et plus grand précepte est sauver l’homme même qui avait été fait à sa propre image et ressemblance, à savoir
d’aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur puis, semblablement, d’aimer le prochain Adam […], pour que Dieu ne soit pas mis en échec et que son art ne soit pas infirmé.
comme soi-même, il est évident qu’il n’y a qu’un seul et même fondateur aussi bien
de la loi que de l’évangile. Dans la mesure en effet où les préceptes essentiels de la V, 12, 3
vie sont les mêmes dans l’un et l’autre testament, ils montrent un même Seigneur, qui Ce n’est pas en effet une autre réalité qui meurt et une autre qui revient à la vie, ni
a prescrit des préceptes particuliers adaptés à chacun des deux (testaments), mais a une autre qui se perd et une autre qui est retrouvée (cf. Lc 15, 32), mais le Seigneur
conseillé dans l’un et l’autre les mêmes commandements suprêmes et principaux, sans est venu chercher la brebis perdue. Quelle était la réalité qui avait subi la mort ? La
lesquels il est impossible d’être sauvé. substance corporelle, qui avait perdu le souffle de vie, ne respirait plus et était morte.
Ainsi, c’est elle que le Seigneur est venu rendre à la vie […]71.
V, 15, 2
Les paraboles de la miséricorde La main de Dieu, dans ces temps
47. Le Fils aîné et le fils prodigue nouveaux, vient nous rechercher,
AH IV, 36, 7 regagnant et prenant sur ses
épaules la brebis perdue (Lc
Il a montré encore qu’il n’y a qu’un seul et même Père par la parabole des deux fils,
15, 5)72 pour la réintégrer, au
dont le cadet « consomma son bien en vivant dans la luxure » « avec des prostituées »
milieu des acclamations, dans
(Lc 15, 13 et 30)68. Ce Père n’avait « pas même donné un chevreau à son aîné » (Lc 15,
l’assemblée des vivants.
29), mais pour son cadet qui « avait été perdu » (Lc 15, 24) il ordonna que « soit tué le
veau gras (Lc 15, 23) et lui (re)donna sa robe d’avant (Lc 15, 22)69».

42 43
Vêtu en berger et dans un paysage
bucolique qui évoque le bonheur du
salut, le Christ porte sur ses épaules la
brebis récupérée ; catacombe des Sts
67 Le texte grec du verset d’Isaïe se termine sur « dans le monde entier », comme Irénée le cite au début de ce Pierre et Marcellin, Rome (début IVème s.)
paragraphe, mais ce verset se trouve repris par Paul dans la Lettre aux Romains avec la variante finale « sur la
terre ». La citation conclusive d’Irénée associe les deux versions en les juxtaposant (à moins que ce ne soit le https://brewminate.com/late-antique-art-and-architecture-catacombs-to-constantine/
fait du traducteur arménien).
68 Irénée associe un verset du début du récit, où il est dit que le fils a consommé son bien dans la licence
(Lc 15, 13) avec l’expression plus forte du fils aîné à la fin de la parabole, qui rapporte les choses de façon
méprisante pour son frère et dit qu’il a « dévoré ses ressources avec des prostituées » (Lc 15, 30). 70 Irénée recourt ici au premier sens du verbe « récapituler » (voir ci-dessus n. 49) : reprendre à zéro, repartir
69 Au livre III, Irénée fait une lecture transposée et théologique de ce détail, en écrivant à propos du début de depuis le début : le salut est en partie une nouvelle création.
l’évangile : « déjà se préparait le veau gras, qui devait être sacrifié pour les retrouvailles du fils cadet » (AH III, 11, 71 Comme Irénée le fait remarquer ailleurs, l’âme spirituelle subsiste et ne meurt pas, c’est donc la corporéité
8). En ce sens, c’est le sacrifice du Christ, véritable « veau » immolé, qui non seulement marque le retour du animée qui a besoin d’être restaurée et délivrée de la mort. On voit qu’il a présent à l’esprit l’ensemble du
fils égaré, mais plus profondément permet sa réintégration. Fondamentalement, il s’agit de l’homme éloigné chapitre 15 de Luc puisqu’il assimile les deux paraboles voisines de la brebis retrouvée et du fils revenu, en
de la maison du Père par le péché, pour lequel le sacrifice de la croix rend possible qu’il soit à nouveau revêtu appliquant le verset final de la parabole du fils perdu (« il était mort et il est revenue à la vie, il était perdu et
de sa « robe d’avant » (littéralement : de sa « première robe »), de l’intégrité et de l’innocence antérieures a été retrouvé », Lc 15, 24) au cas de la brebis dans la première parabole.
au péché. On notera les allusions baptismales (le vêtement pur) et eucharistiques (le banquet sacrificiel) 72 L’art de l’Église primitive s’est plu à reprendre un motif déjà présent dans l’art gréco-romain de l’époque,
dans la lecture de cette parabole par Irénée, qui se centre sur le drame de l’homme perdu puis sauvé (l’aîné celui du berger portant un agneau sur ses épaules. Ici, ce qui se trouve évoqué par Irénée, c’est la réintégration
représentant sans doute les anges, créés avant l’homme). et le triomphe de la corporéité humaine lors de l’ascension de Jésus auprès du Père.
51. Le Pharisien et le publicain 53. Zachée
AH IV, 36, 8 AH IV, 12, 5 - suite
Ce publicain, qui dépassa le pharisien dans sa prière […], le Seigneur lui rendit ce Et que la distribution aux pauvres de ce qu’on possède libère de la cupidité passée,
témoignage qu’il reçut une justification supérieure (Lc 18, 14) parce qu’il s’était Zachée l’a montré clairement en disant : « je donne la moitié de mes biens aux pauvres
confessé à Dieu avec une grande humilité, sans arrogance ni prétention. et, si j’ai volé quelqu’un, je lui rends au quadruple » (Lc 19, 8).

Les sculpteurs ont souvent intégré l’épisode


de Zachée dans la scène de l’entrée de Jésus
Appel à la générosité à Jérusalem : Jésus lève la main vers Zachée
52. Le jeune homme riche installé dans l’arbre et qui s’apprête à en
AH IV, 12, 5 descendre ; détail d’un sarcophage, Museo
diocesiano, Ischia (fin IVème s.). Source : http://
Par sa réponse à celui qui l’interrogeait pour savoir ce qu’il devait faire pour hériter la algargosarte.blogspot.com/2019/12/
vie éternelle (cf. Mt 19, 16), Jésus a montré clairement que la loi préparait l’homme
à suivre le Christ. Il lui dit en effet : « si tu veux entrer dans la vie, observe les
préceptes » (Mt 19, 17). Comme (l’homme) lui demandait : « lesquels ? », le Seigneur
répondit : « tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu
ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère » (Ex 20, 12-16) et
« tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Il proposait ici les préceptes
de la loi comme une première étape en vue de l’entrée dans la vie, à l’intention de
ceux qui voulaient le suivre : en s’adressant en effet ici à un seul, c’est à tous qu’il
54. La veuve généreuse (Lc 21, 4)
parlait73. Sur la base de sa réponse : « tout cela, je l’ai fait » - en réalité, peut-être
AH IV, 18, 2
ne l’avait-il pas fait tant que cela, sinon le Seigneur ne lui aurait pas dit : « observe
les préceptes »74 -, le Seigneur, mettant le doigt sur son amour de l’argent, lui dit : Il y avait des offrandes là (dans le culte juif), il y en a aussi ici (dans le culte chrétien).
« si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et Il y avait des sacrifices dans le peuple (juif), il y en a aussi dans l’Église ; seul le mode
44 viens, suis-moi » (Mt 19, 21), promettant ainsi à ceux qui auront fait cela une part de l’offrande a changé, car elles ne sont plus présentées par des esclaves, mais par des 45
identique à celle des apôtres […]. Bref, il enseignait à faire ce que Dieu avait prescrit enfants libres […]. C’est pourquoi, les premiers consacraient la dîme de leurs biens,
au commencement, à se libérer de la cupidité originelle75 par les bonnes œuvres et à mais ceux qui ont reçu la liberté consacrent tout ce qu’ils ont au service du Seigneur,
suivre le Christ. donnant joyeusement et largement un bien (certes) non négligeable76 puisqu’ils ont
une espérance plus grande, comme cette « veuve pauvre qui mit tout ce qu’elle avait
pour vivre dans le trésor de Dieu » (cf. Lc 21, 4).

73 Le récit évangélique n’est pas seulement un rapport de ce qu’a fait Jésus, il transmet son enseignement
destiné à tous les hommes de bonne volonté, et déjà aux chrétiens. Selon Irénée, c’est le rôle des apôtres et
des pasteurs de l’Église leurs successeurs que de transmettre et de relayer fidèlement cet enseignement. On
parle alors de « tradition ».
74 On notera la touche d’humour discrète de cette remarque. 76 Il se pourrait que le traducteur arménien (qui traduit « des biens négligeables », sans négation) ait disposé
75 La faute originelle était à la fois désir d’autonomie orgueilleuse vis à vis du Créateur et volonté avide d’un texte fautif ou n’ait pas bien compris l’expression d’Irénée : si le texte latin est fidèle à l’original grec,
de posséder (le fruit). L’aumône et la générosité ne viennent donc pas seulement compenser les péchés Irénée pense en effet que le don de biens matériels, même minimes comme l’offrande de la veuve, a une
d’attachement à l’argent, mais plus profondément aussi la volonté d’emprise originelle. valeur réelle en vue des promesses de Jésus.
55. Le riche et Lazare : le message d’Abraham 57. Les appels à la conversion : Jésus, le figuier et Jérusalem
AH IV, 2, 4 AH IV, 36, 8
Ce n’est pas une (simple) histoire77 en effet que (l’évangile) nous a rapportée à propos Avec la parabole du figuier aussi, à propos duquel le Seigneur dit : « voici déjà la
du pauvre et du riche. Le Seigneur nous enseigne d’abord qu’il ne convient pour troisième année que je viens chercher du fruit sur ce figuier et que je n’en trouve
personne … d’être asservi à ses plaisirs et d’oublier Dieu : « il y avait, dit-il, un riche pas » (Lc 13, 7), il signifiait sa venue par les prophètes, par la voix desquels il était venu
vêtu de pourpre et de lin fin, qui trouvait ses délices dans des festins splendides » plusieurs fois rechercher auprès d’eux un fruit de justice sans le trouver, et manifestait
(Lc 16, 19). Isaïe avait déjà évoqué de telles gens […] (cf. Is 5, 12). Pour que nous clairement que l’arbre devrait être abattu pour cette raison. Mais le Seigneur disait
n’en venions pas à la même peine qu’eux, le Seigneur nous donne à voir leur fin, en aussi sans parabole à Jérusalem : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et
nous faisant comprendre en même temps qu’en « obéissant à Moïse et aux prophètes lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes fils, comme une
ils pouvaient croire en celui que ceux-ci proclamaient à l’avance, au Fils de Dieu poule ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu. Voici que votre demeure sera
ressuscité des morts » (cf. Lc 16, 30-31), qui « nous donne la vie » (cf. Jn 5, 21), et abandonnée » (Lc 13, 34-35).
montre à l’évidence que tout cela est de même nature, aussi bien Abraham, Moïse, les
Ce qu’il avait dit en parabole : « voici déjà la troisième année que je viens chercher
prophètes, que le Seigneur lui-même ressuscité des morts, auquel croient beaucoup
du fruit » (Lc 13, 7), puis à nouveau de manière claire et directe82 : « que de fois j‘ai
de ceux qui viennent de la circoncision, qui entendent ce que Moïse et les prophètes
voulu rassembler tes fils » (Lc 13, 34) serait un mensonge si nous ne le comprenions
proclamaient à l’avance à propos de la venue du Fils de Dieu78.
pas de sa venue par les prophètes, si c’était la première et l’unique venue (du Verbe)
auprès de nous.
Tournés vers la fin
56. Le banquet du royaume avec Abraham
AH IV, 36, 8
Comme attestation du fait que c’est le même Verbe de Dieu qui a élu les patriarches et
les visitait souvent par son Esprit prophétique et qui nous a appelés de toutes parts par sa
venue79, il disait en outre : « beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et s’attableront
avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, mais les propres fils du royaume
46 seront jetés dans les ténèbres extérieures, où il y a des pleurs et des grincements de 47
dents » (Mt 8, 11-12)80. Donc, si ceux qui croient au Christ par la prédication des
apôtres, venant de l’Orient comme de l’Occident81, doivent s’attabler dans le royaume
des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, il est évident qu’il n’y a qu’un seul et même 80 Luc, en Lc 13, 28-29, présente un passage parallèle, mais il est clair qu’Irénée cite ici avec exactitude et
sans confusion le texte de Matthieu. Au début du même livre en revanche, en AH IV, 8, 1, Irénée citait ces
Dieu, qui a élu les patriarches, a visité son peuple et a appelé à lui les nations.
paroles de Jésus selon la version de Luc, avec un ajout inspiré de Matthieu. Disposait-il de versions parallèles,
ou encore d’une sorte d’« évangile en quatre » ? Des tentatives d’harmonisation des textes synoptiques sont
attestées dès son époque, et même peut-être à celle de Justin.
81 Irénée lui-même vient de l’Orient, et ses fidèles, les chrétiens de Lyon et de Vienne, sont en Occident
77 En précisant que la parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31), n’est pas « une histoire » (en (par rapport au centre de l’empire qui est à Rome). Il est très conscient de cette large ouverture de compas
grec sans doute mythos, en latin fabula), Irénée, me semble-t-il, ne cherche pas tant à authentifier géographique : il écrivait au L. I, en mentionnant des Églises situées aux quatre points cardinaux (toujours
la vision de l’au-delà que présente le récit raconté par Jésus qu’insister sur le contexte réaliste de cette par rapport à Rome), comme celles d’Orient, d’Égypte, d’Afrique, d’Espagne, de Gaule et de Germanie :
« histoire », comme le montre la citation d’Isaïe, qui évoque un même type de vie luxueuse. Il s’agit donc « de même que le soleil, cette créature de Dieu, est unique pour toute la terre, de même la lumière qu’est la
déjà, avec cette parabole, d’une vigoureuse mise en garde morale, mais Irénée entend aussi souligner proclamation de la vérité brille partout et éclaire tous les hommes qui veulent venir à la connaissance de la
l’enseignement mis dans la bouche d’Abraham à la fin de la parabole, où la foi au ressuscité suppose de vérité » (AH I, 10, 2).
prendre au sérieux Moïse et les prophètes. 82 On remarquera le regard analytique avec lequel Irénée aborde ce chapitre 13 de Luc : il relève d’abord la
78 Plus haut (cf. n. 28), Irénée s’adressait majoritairement aux convertis du paganisme, ici il atteste une différence de genre d’expression entre le récit parabolique (Lc 13, 6-9) et la déclaration claire (Lc 13, 34-35),
présence importante, dans les communautés, de chrétiens venant du judaïsme. qui tous deux ne délivrent qu’un seul message, puis se montre aussi attentif au fait que la déclaration claire
79 Ces trois moments – élection des patriarches, révélations prophétiques, venue du Verbe en personne – vient après la parabole, une bonne vingtaine de versets plus loin, comme un éclaircissement supplémentaire
correspondent aux trois venues (« voici déjà la troisième fois… ») du texte suivant, qui appartient au même qui donne à connaître le sens plénier de la parabole. Les gnostiques valorisaient à l’inverse l’obscurité de
développement et commente la parabole du figuier. l’expression parabolique.
58. Paraboles des heures (Mt 20, 1-16)
AH IV, 36, 7
Par la parabole des ouvriers envoyés à la vigne à différents moments, était encore
montré qu’il n’y a qu’un seul et même Seigneur, appelant les uns dès le commencement
de la création du monde, les autres un peu plus tard, d’autres au milieu du temps,
d’autres au moment où le temps est déjà avancé, d’autres encore à la fin, de sorte que
les ouvriers sont divers par les temps auxquels ils appartiennent, mais que le maître du
domaine qui les appelle est unique.
La vigne en effet est unique, c’est la justice83, et il n’y a qu’un seul intendant, l’unique
Esprit de Dieu qui dispose toutes choses ; c’est ainsi qu’il n’y a aussi qu’un seul
salaire, le denier que tous ont reçu, qui porte « l’image et l’inscription du roi » (cf. Mt
22, 20)84, la connaissance du Fils de Dieu qui est incorruptibilité. C’est pourquoi il a
commencé à donner le salaire par les derniers, puisque le Seigneur s’est pleinement
donné lui-même85 à tous lors de sa manifestation dans ces temps nouveaux.

59. Ultime montée à Jérusalem : la résurrection de Lazare


AH V, 13, 1
Il appela Lazare d’une voix forte en disant : « Lazare, viens dehors » (Jn 11, 43). Alors
« le mort », dit le texte, « sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes » (Jn
11, 44a). C’était le symbole de l’homme, qui s’était trouvé lié par le péché86. C’est
pourquoi le Seigneur dit : « déliez-le, et laissez-le aller » (Jn 11, 44b). La résurrection de Lazare est très souvent représentée sur les sarcophages : elle rappelle le pouvoir
du Christ sur la mort : Lazare, figuré plus petit comme tous les miraculés des évangiles, apparaît lié
de bandes ; par son geste impérieux, Jésus donne l’ordre de le délier et de le laisser sortir ; détail d’un
48 sarcophage, Museo Pio Cristiano, Vatican (vers 300). Photographie Richard Stracke, CC-BY-ND. 49

La dernière semaine de Jésus


83 Irénée se réfère ici à la parabole de la vigne racontée au début du livre du prophète Isaïe : en Isaïe 5, 7, il 60. L’entrée à Jérusalem et la louange des petits
est dit : « la vigne du Seigneur, c’est la maison d’Israël… il en attendait la justice, et ne trouve que les cris AH IV, 11, 3
des malheureux ».
84 Le « denier » promis, puis donné en salaire aux ouvriers (Mt 20, 2 et 9-10) porte « l’image et l’inscription »
De fait, ceux qui entendent dire par leurs proches que le roi s’apprête à venir ne se
du souverain, comme on le voit dans l’épisode de la question sur l’impôt, en Mt 22, 19-20. Avec sans doute réjouissent que modérément, en fonction de leur attente ; en revanche, ceux qui l’ont
un arrière-plan baptismal (car le baptême est vu comme une « marque »), Irénée identifie « l’image et vu présent, en ont reçu la liberté et ont bénéficié de ses largesses87 éprouvent une
l’inscription du roi » à la ressemblance finale avec Dieu, et déjà avec l’humanité glorifiée de Jésus ressuscité, reconnaissance plus grande et une exultation plus débordante, ils se réjouissent de la
qu’il appelle « incorruptibilité ». venue du roi, comme le dit David : « mon âme exultera dans le Seigneur, elle goûtera
85 Le verbe utilisé par Irénée (nous avons la chance de disposer ici du texte grec original) signifie la joie de son salut » (Ps 34, 9). C’est pourquoi, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem,
« redonner », « rendre pleinement », et indique que, pour le théologien, Dieu, qui s’est déjà fait connaître tous ceux qui étaient sur la voie de David avec une âme douloureuse, reconnurent
partiellement auparavant, se donne finalement en plénitude. leur roi, étalèrent leurs vêtements sur son passage et décorèrent le chemin avec des
86 Cette phrase est la seule, dans le Contre les hérésies, où Irénée utilise par lui-même le mot
« symbole » à propos d’un élément évangélique, dont il ne nie pas l’historicité mais qui est porteur d’un
sens plus profond (il évite en général le vocabulaire de l’« énigme » et du « symbole », courant chez les 87 La venue d’un roi hellénistique ou, à l’époque d’Irénée, de l’empereur dans une cité s’accompagnait
gnostiques). Plus haut (texte 9, AH III, 9, 3), Irénée évoquait la libération apportée par l’« Oint » ou le messie de bienfaits pour celle-ci, de largesses et d’affranchissements. Irénée aime utiliser ce modèle
de Dieu, en écrivant : « il les libérait des liens dont parle Salomon : ‘chacun est enserré dans les chaînes de pour parler de l’incarnation comme de la « venue du roi ». C’est d’ailleurs l’un des sens du mot
ses péchés’ » (Pr 5, 22). « évangile » en grec : annonce de la venue d’un roi ou d’un grand personnage, qui sera bénéfique à la cité.
rameaux verdoyants (cf. Mt 21, 8), en criant avec grande joie et exultation : « Hosanna 61. L’attachement au temple
au fils de David, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, hosanna au plus haut AH IV, 2, 6
(des cieux) » (Mt 21, 9).
C’était la vérité même qui parlait (Jn 14, 6) et qui, par l’expulsion des changeurs
Mais les mauvais gestionnaires, qui circonvenaient les petits et dominaient sur qui y achetaient et vendaient, revendiquait sa demeure en leur disant : « Il est
ceux dont la raison n’était pas encore affermie88, furent pris de jalousie, et pour écrit : ‘ma maison sera appelée maison de prière’ et vous en avez fait une caverne de
cette raison ne voulaient pas (reconnaître) la venue du roi ; ils lui dirent alors : brigands » (Mt 21, 13 ; Lc 19, 46) […]. Pour dénoncer ceux qui transgressaient la loi
« tu entends ce qu’ils disent, ceux-là ? » (Mt 21, 16a), mais le Seigneur leur dit : de son Père, il n’avait aucune accusation contre la demeure ni aucune critique contre
« vous n’avez jamais lu le verset : ‘dans la bouche des enfants et de ceux qui sont à la la loi, qu’il était venu accomplir (cf. Mt 5, 17), mais il adressait ses reproches à ceux
mamelle, tu as fait surgir une louange’ (Ps 8, 3) » (Mt 21, 16b). qui n’usaient pas bien de sa demeure et transgressaient la loi.
Il montrait ainsi que ce qui avait été dit par David du Fils de Dieu se réalisait dans
sa personne, et signifiait qu’eux-mêmes (scribes et prêtres) ignoraient le sens de 62. Le figuier desséché
l’Écriture ainsi que les dispositions de Dieu ; quant à lui, il indiquait qu’il était le AH IV, 36, 4
messie qui avait été annoncé par les prophètes, dont « le nom est loué par toute
Un seul et même Verbe de Dieu, qui aux croyants fait don d’une source d’eau jaillissant
la terre » (cf. Ps 8, 2), puisque son Père « a fait (pour lui) surgir une louange dans la
en vie éternelle (Jn 4, 14), mais qui dessèche en un instant le figuier stérile (Mt 21,
bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, parce que sa grandeur s’élève
19)89…
au-dessus des cieux » (Ps 8, 3/2).

La dernière semaine de Jésus à Jérusalem est le cadre de plusieurs larges paraboles


et de confrontations avec les chefs juifs.

63-64. La vigne transmise (Mt 21, 33-41)


AH IV, 36, 1
« Il y avait un père de famille qui planta une ville, l’entoura d’une clôture et y
creusa un pressoir […] » (Mt 21, 33-41)90. Par ce récit, il faisait voir clairement à
50 ses disciples qu’il n’y a qu’un seul et même père de famille, l’unique Dieu Père, qui
51
fit toutes choses par lui-même, mais qu’il y a divers cultivateurs, les uns querelleurs,
orgueilleux, stériles et meurtriers du Seigneur, les autres rendant en toute obéissance
les fruits (de la vigne) en leur temps, et ce même père de famille envoyait tantôt des
serviteurs, tantôt son fils […]. Celui que les serviteurs proclamaient comme Seigneur
sans rencontrer la foi, le Christ l’a donné comme Père à ceux qui lui obéissent, et
le Dieu qui avait d’abord appelé les Anciens par la loi de servitude, a accueilli par
l’adoption ceux qui sont venus ensuite.
IV, 36, 2 (suite)
Dieu planta en effet la vigne du genre humain par la formation d’Adam et l’élection
Le Christ, suivi d’un disciple, monte un petit cheval qui foule des branchages, pendant qu’un personnage des Pères (patriarches) ; il la confia à des vignerons par le moyen de la législation de
dans l’arbre s’apprête à en détacher d’autres ; des disciples et de petits personnages l’acclament ; détail Moïse, il l’entoura d’une clôture, c’est-à-dire fixa leurs frontières, et bâtit une tour, en
du sarcophage d’Adelphia, musée Paolo Orsi, Syracuse (milieu IVème s.). Photographie Richard Stracke,
CC-BY-ND.
89 Le contraste marqué ici entre la Samaritaine et le peuple juif, représenté par le figuier stérile, repose sur
88 Les « petits » en question ne sont pas seulement les enfants dont parle le psaume, mais les gens simples l’opposition entre foi et refus de croire : le refus de croire bloque l’irruption de la grâce fécondante.
qui étaient sous la coupe de l’élite religieuse. Plus avant dans ce texte, Irénée élargit la citation faite par 90 De manière assez exceptionnelle dans le Contre les hérésies, Irénée donne ici le texte complet de la
Matthieu, qui se limite à Ps 8, 3, en remontant vers le verset précédent (Ps 8, 2). Cela suppose une bonne parabole en Matthieu, soit une dizaine de versets. En cette fin du quatrième Livre, les références aux textes
connaissance des psaumes, peut-être appris par cœur. évangéliques se font plus amples et leurs commentaires plus étendus.
choisissant Jérusalem ; il creusa un pressoir, c’est-à-dire qu’il prépara un réceptacle Et qui est le Dieu des vivants si ce n’est Dieu, au-dessus duquel il n’y a pas
pour l’Esprit prophétique. C’est ainsi qu’il envoya des prophètes avant l’exil à d’autre Dieu ? Lui que le prophète Daniel annonça à Cyrus, roi des Perses, qui lui
Babylone, et d’autres encore, plus nombreux que les premiers, après l’exil. Il leur demandait : « pourquoi n’adores-tu pas Bel ? – parce que je n’honore pas
demandait du fruit, en leur disant : « parole du Seigneur tout-puissant : redressez vos des idoles faites de main d’homme, mais le Dieu vivant, qui a établi le ciel et la
voies et vos mœurs, portez un jugement de justice, que chacun exerce la miséricorde terre et détient la domination sur toute chair » (Dn 14, 4-5), et ce prophète dit
et la compassion à l’égard de son frère… [citations de Jérémie 7, 3 ; Zacharie 7, 9-10 encore : « j’adorerai le Seigneur mon Dieu, c’est lui le Dieu vivant » (Dn 14,
et 8, 17 ; Is 1, 16-18 ; Ps 33, 14-15]. C’est par de telles paroles que les prophètes 25). Or le Dieu vivant adoré par les prophètes est aussi le Dieu des vivants,
demandaient un fruit de justice91. Comme ils ne rencontraient pas la foi, (Dieu) envoya et son Verbe est le même qui parla à Moïse, répliqua aux Sadducéens et fit
récemment son Fils notre Seigneur Jésus-Christ, que les mauvais vignerons, après don de la résurrection, en mettant en lumière pour ceux qui s’aveuglaient à la
l’avoir tué, jetèrent hors de la vigne (cf. Mt 21, 39). C’est pourquoi le Seigneur Dieu fois la résurrection et Dieu. De fait, si « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des
l’a remise, non plus circonscrite mais dilatée dans le monde entier, à d’autres vignerons vivants » (Mt 22, 31) et qu’il s’est dit le Dieu des Pères endormis (dans la mort), il est
qui en rendent les fruits en leur temps, la tour de l’élection se dressant haute et belle certain alors qu’ils « vivent pour Dieu » (Lc 20, 38) et n’ont pas disparu, étant « fils de
partout où brille l’Église, avec aussi partout un pressoir, là où il y a des (hommes) pour la résurrection » (Lc 20, 36)94. La résurrection, c’est notre Seigneur lui-même, qui dit :
recevoir l’Esprit92 […]. Il n’y a qu’un seul et même Dieu et Père, qui planta la vigne, « je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25), et les Pères sont ainsi ses « fils », comme
fit sortir le peuple (d’Égypte), envoya les prophètes, envoya enfin son Fils, qui donna il a été dit par le prophète : « au lieu de tes pères, ils sont devenus tes fils » (Ps 44, 17).
la vigne à d’autres vignerons, qui rendent les fruits en leur temps. Le Christ lui-même donc, avec le Père, est le Dieu des vivants, qui a parlé à Moïse et
s’est révélé aux Pères (patriarches).
65. Les Sadducéens et la résurrection des morts (Mt 22, 23-33)
AH IV, 5, 2 66. Imprécation contre les Pharisiens (Mt 23, 13-36)
AH IV, 18, 3
Notre Seigneur et maître, dans sa réponse aux Sadducéens - qui prétendent qu’il
n’y a pas de résurrection et de ce fait déshonorent Dieu et amputent la loi -, tout Si quelqu’un en effet tente d’offrir son offrande à Dieu avec une pureté, une droiture et
en mettant en lumière la résurrection montra aussi qui est Dieu par les mots : une justice seulement apparentes, mais que dans son âme il ne partage pas avec droiture
« vous vous égarez, en ignorant les Écritures et la puissance de Dieu » (Mt 22, ce qu’il doit, au titre de la vie commune, à son prochain et qu’il n’a aucune crainte de
29), « à propos de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce qui a été dit par Dieu, qu’il ne s’imagine pas tromper Dieu par le sacrifice qui est extérieurement offert
52 Dieu (à Moïse) : ‘je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’ avec droiture, quand il garde en lui son péché : une telle offrande ne lui sera d’aucun 53
(Ex 3, 6) ? ». Et il ajouta : « il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt 22, 31)93 – secours, mais bien la cessation du mal qu’il a conçu en lui, de peur que le péché, sous
« car tous (ces saints) vivent pour lui » (Lc 20, 38) ». Il fait ainsi clairement couvert de l’acte simulé, ne fasse de l’homme son propre meurtrier. C’est pourquoi le
connaître que celui qui a parlé à Moïse depuis le buisson et s’est révélé comme étant Seigneur disait aussi : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui êtes
le Dieu des Pères (patriarches), celui-là est le Dieu des vivants. semblables à des tombeaux blanchis. De l’extérieur le tombeau paraît beau, à l’intérieur
il est plein d’os de morts et de toute sorte de pourriture : de même vous, de l’extérieur,
vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais à l’intérieur vous êtes pleins de
91 La transposition de la parabole est transparente : les serviteurs sont les prophètes et le fils est Jésus lui-même. méchanceté et d’hypocrisie » (Mt 23, 27-28). Extérieurement, ils semblaient présenter
Irénée s’intéresse principalement ici à la concordance entre l’enseignement moral des prophètes (dont il cite de des offrandes droites, mais en eux-mêmes ils cachaient une jalousie semblable à celle
nombreux passages) et celui de l’évangile. de Caïn (cf. Gn 4, 7), c’est pourquoi ils mirent à mort le juste (cf. Jc 5, 6).
92 Le ton d’Irénée se fait plus lyrique pour évoquer la dilatation de la grâce et la beauté spirituelle
de l’Église. C’est en ce sens qu’il intervertit l’ordre du récit de la parabole en Mt 21, 39. Dans ce verset,
et conformément à ce qui se produira lors de la passion proche, le fils est d’abord jeté hors de la vigne
(hors de la ville), puis tué, mais Irénée inverse les deux actions, en conférant au récit une valeur 94 Tout en citant principalement d’après Matthieu, Irénée demande ici la clé de lecture de ce passage à la
prophétique : c’est après avoir été tué que le Christ va passer aux nations extérieures, en débordant les seules version de Luc, qu’il lit en parallèle avec celle de Matthieu ; ce sont les deux ajouts de Luc : « ils sont fils
limites d’Israël où il était resté durant sa vie. de la résurrection » (Lc 20, 36) et « tous vivent pour lui » (Lc 20, 38), qui lui permettent, non seulement
93 Dans son commentaire de cet épisode, Irénée néglige l’historiette sur la femme aux sept maris proposée par d’établir que les patriarches sont destinés à la résurrection et que leur vie n’a pas été détruite, mais de soutenir,
les Sadducéens à Jésus, ce qui lui permet de sauter aussi le verset de Mt 22, 30 : « à la résurrection, on n’épouse grâce au verset de Jn 11, 25, qu’ils bénéficieront par contrecoup et comme par un effet boomerang, de la
ni n’est épousé mais on est comme des anges dans le ciel », verset qui pouvait prêter – et avait effectivement grâce vivifiante apportée par Jésus. On notera que Marcion, dans son évangile basé sur Luc, avait supprimé
prêté - à dévalorisation de la corporéité ressuscitée, dans une perspective gnostique ou proche du gnosticisme. précisément les versets de Lc 20, 37-38, qui associent la résurrection au lien étroit des patriarches avec Dieu.
Un autre thème important des derniers jours de l’enseignement de Jésus est l’appel 69. Vierges folles (Mt 25, 1-13)
à la vigilance IV, 27, 2
Et quand l’époux viendra (Mt 25, 6), celui dont la lampe ne sera pas prête, ne brillant
La vigilance
d’aucune lumière visible, recourra à ceux qui tirent en tous sens dans l’obscurité
67-68. Vigilance et bonnes œuvres
l’explication des paraboles, laissant de côté celui qui, par sa prédication claire96, donne
IV, 37, 2 fin95
gratuitement (cf. Mt 10, 8) accès auprès de lui, et il sera exclu de la demeure nuptiale
Les prophètes exhortaient les hommes à pratiquer la justice et à faire le bien, parce que (Mt 25, 12).
ces conduites dépendent de nous, mais du fait de la négligence qui conduit à l’oubli
et de notre besoin d’un conseil en vue du bien, Dieu qui est bon nous donnait par les 70. Les talents
prophètes des conseils en vue du bien. IV, 11, 2
IV, 37, 3 Dieu en effet ne cesse jamais de faire le bien et d’enrichir l’homme, et l’homme
C’est pourquoi le Seigneur aussi disait : « que votre lumière luise devant les hommes, ne cesse de recevoir du bien et d’être enrichi par Dieu […]. Lui qui a promis de
pour qu’ils voient ce que vous faîtes de bien et rendent gloire à votre Père qui est aux donner davantage à ceux qui portent du fruit en permanence et augmentent l’argent
cieux » (Mt 5, 16) ; et : « prenez garde que vos cœurs ne s’appesantissent dans la qu’ils ont reçu du Seigneur : « c’est bien, serviteur bon et fidèle : tu as été fidèle
débauche, l’ivrognerie et les préoccupations de ce monde » (Lc 21, 34) ; et : « tenez- en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton Seigneur »
vous les reins sanglés et les lampes allumées, tels des (serviteurs) qui attendent leur (Mt 25, 23) ; ainsi, c’est le Seigneur lui-même qui promet de donner davantage97.
maître à son retour des noces, pour lui ouvrir quand il viendra et frappera. Heureux
un tel serviteur, si son maître le trouve ainsi lors de sa venue » (Lc 12, 35-37) […] ;
et : « pourquoi me dire : ‘Seigneur, seigneur’, et ne pas faire ce que je dis ? » (Lc 6, 46)
et encore : « si un serviteur se dit dans son cœur : mon maître tarde (à venir), et qu’il
commence à frapper ses compagnons, à manger, à boire et à s’enivrer ; son maître
arrivera le jour où il ne s’y attend pas […] (Lc 12, 45-46).
Tous ces versets montrent le libre-arbitre de l’homme et l’intention de conseil de Dieu,
54 qui cherche à nous détourner de l’incrédulité, mais sans contrainte. 55

96 Irénée oppose ici, sur le fond du récit de la parabole où il y a d’un côté celles dont les lampes brillent
et, de l’autre, celles qui sont à court d’huile et qui doivent aller s’en procurer dans l’obscurité, deux modes
d’approche des paraboles : celle des gnostiques qui « trafiquent » le texte au prétexte de son obscurité
foncière, et celle d’Irénée lui-même, et sans doute d’autres dans l’Église, qui préconise de lire les paraboles
95 Ces citations sont insérées dans un développement sur le libre-arbitre, où Irénée argumente entre autres à la lumière de l’enseignement clair et direct de Jésus. On en a un exemple plus haut avec la parabole du
en invoquant, comme preuve de la liberté de l’homme, les conseils donnés par Dieu et portés par les figuier (cf. ci-dessus n. 82).
prophètes ou énoncés par Jésus dans les évangiles. Il est intéressant de noter qu’Irénée prend ici ses exemples 97 Les paroles du maître de maison dans la parabole se trouvent directement attribuées à Jésus, en tant que
principalement chez Luc et qu’il s’attache principalement au motif de la vigilance, particulièrement éloquent Seigneur et juge ultime. Dans ces paraboles de la fin de la vie de Jésus, il est particulièrement évident que
quant à la conscience du choix fait par le serviteur (fidélité ou négligence) et par ses conséquences. On a ici Jésus, au moment où il les raconte, se met lui-même en scène avec son Père : il devient donc possible de
affaire à une lecture philosophique des textes évangéliques. prendre les paroles du personnage de l’histoire racontée pour des paroles « du Seigneur ».
71-72. Jugement dernier Préalables à la passion
AH IV, 18, 6 73. Rejet de Jésus par les autorités juives
AH II, 19, 7
Nous lui apportons nos offrandes, non pas comme à quelqu’un qui en aurait
besoin, mais comme action de grâces pour ce dont il nous fait don et comme Si (ce que disent les gnostiques) était vrai, le grand-prêtre Caïphe, Anne et les autres
sanctification de la création98. Autant en effet Dieu n’a pas besoin de ce que nous grand-prêtres et docteurs de la loi ainsi que les chefs du peuple auraient été les
avons, autant nous avons besoin d’offrir quelque chose à Dieu, comme le dit premiers à croire dans le Seigneur […], et avant eux le roi Hérode. Cependant, ni
Salomon : « qui fait miséricorde au pauvre prête à Dieu » (Pr 19, 17). Car Dieu, qui par le roi Hérode ni les grands prêtres ni ceux qui avaient le pouvoir ni les hommes en
lui-même est sans aucun besoin, reçoit nos actes bons, pour nous donner en échange vue dans le peuple n’accoururent vers lui (Jésus), mais à l’opposé les mendiants qui
ses bienfaits, comme le dit notre Seigneur : « venez, les bénis de mon Père, recevez le étaient assis dans les rues, les sourds, les aveugles, ceux qui étaient foulés aux pieds
royaume qui a été préparé pour vous, car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger, et méprisés par les autres, comme l’a dit Paul : « voyez, frères, votre assemblée :
j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire, j’ai été étranger, et vous m’avez reçu, nu, pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de
et vous m’avez couvert, malade et vous m’avez visité, en prison et vous êtes venu nobles... » (1 Co 1, 26).
jusqu’à moi » (Mt 25, 34-36). En tout cela il n’est pas lui-même dans le besoin, mais
veut que ces actes soient faits par nous, pour que nous évitions de rester stériles […]. 74. Le lavement des pieds
Il veut que nous apportions souvent notre offrande à l’autel, continuellement. AH IV, 22, 1
IV, 28, 2 (Mt 25, 41/34) Dans ces temps nouveaux, quand fut venue la plénitude du temps de la liberté, le
Pour tous ceux auxquels le Seigneur aura dit : « éloignez-vous de moi, maudits, dans Verbe en personne lava par lui-même « les souillures des filles de Sion » (cf. Is 4,
le feu perpétuel » (Mt 25, 41), ils seront damnés pour toujours, mais ceux auxquels 4) en lavant de ses propres mains les pieds de ses disciples (Jn 13, 5), c’est-à-dire la
il aura dit : « venez, les bénis de mon Père, recevez l’héritage du royaume qui a été fin du genre humain99 destiné à recevoir Dieu en héritage pour que, de même qu’au
préparé pour vous pour toujours » (cf. Mt 25, 34), ils recevront le royaume et s’y commencement, par les premiers hommes, nous nous sommes tous trouvés réduits en
épanouiront, puisqu’il n’y a qu’un seul et même Dieu Père avec son Verbe toujours servitude par l’obligation de mourir, de la même façon à la fin, par les hommes les plus
présent au genre humain, agissant largement par diverses dispositions et sauvant dès le récents, tous ceux qui ont été ses disciples depuis le début, purifiés et lavés des œuvres
commencement ceux qui seront sauvés, c’est-à-dire ceux qui aiment Dieu et à toutes de mort, viennent à la vie de Dieu, car celui qui a lavé les pieds des disciples a aussi
56 les époques suivent le Verbe de Dieu, condamnant ceux qui seront condamnés, ceux lavé l’ensemble du corps (cf. Jn 13, 9-10) et l’a conduit à la purification. 57
qui oublient Dieu, le blasphèment et transgressent sa parole (Verbe).

98 Dans la tradition philosophique grecque, déjà reprise par le juif Philon au premier siècle, l’un
des attributs importants de Dieu était son absence de besoins, qui exprime de manière négative
sa perfection et sa plénitude. Le culte rendu à Dieu devient alors en premier lieu un devoir
d’action de grâces (Irénée pense sans doute ici à l’offrande eucharistique, qui est en même temps 99 Irénée a une conscience très vive de l’unité du genre humain, qu’il présente ici comme un seul corps
« sanctification du créé), puis un moyen pour rapprocher l’homme de Dieu, enfin l’allusion à Mt s’étendant dans le temps : Adam et les premiers hommes en étaient la « tête », alors que les disciples, au temps
25, 34-36, par l’identification du roi ultime à ceux qui sont ici-bas dans le besoin, montre dans du Christ, en sont les « pieds ». Conformément à l’une de ses intuitions récurrentes, Irénée voit la purification
les œuvres de miséricorde le déploiement naturel du culte, qui n’est pas limité à l’activité accomplie par Jésus au seuil de sa passion comme une purification rétroactive, c’est-à-dire remontant vers les
« religieuse », mais sollicite toute la vie de l’homme, comme le montre le passage final du « souvent » au générations passées jusqu’à Adam. En lavant les seuls pieds, Jésus purifie ainsi le corps entier de l’humanité.
« continuellement ». Selon la coutume des banquets dans le monde romain, Irénée se représente les disciples étendus à la cène.
75-76. L’institution de l’eucharistie 77. La demande de Philippe
AH IV, 17, 5 AH III, 13, 2
En donnant à ses disciples aussi le conseil d’offrir les prémices de la création, À Philippe aussi, qui voulait voir le Père, le Seigneur fit cette réponse : « depuis tant
non pas qu’il en ait besoin, mais pour qu’eux–mêmes ne soient ni inféconds ni de temps je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père.
ingrats100 , il prit le pain qui provient de la création et rendit grâces en disant : « ceci Comment peux-tu dire : montre-nous le Père ? Je suis dans le Père et le Père est en
est mon corps » (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19). Et de même pour la coupe qui moi » (Jn 14, 9-10), « maintenant vous l’avez connu et vous l’avez vu » (Jn 14, 7).
provient de cette création où nous vivons, il affirma qu’elle était « son sang » (Mt Le Seigneur atteste ici que (les disciples) ont connu en lui-même et vu le Père (Jn 14,
26, 28 ; Mc 14, 24 ; Lc 22, 20)101 et enseigna qu’il s’agissait là de « l’offrande de la 7)104, or le Père est vérité, prétendre qu’ils n’ont pas connu la vérité est le fait de faux
nouvelle alliance » (Lc 22, 20) , offrande que l’Église a reçue des apôtres (cf. 1 Co 11, témoins et de gens qui sont devenus étrangers à l’enseignement du Christ.
23) et qu’elle offre à Dieu dans le monde entier, à lui qui nous donne ce dont nous nous
nourrissons, les prémices de ses dons dans la nouvelle alliance102. 78. « Que là où je suis, ils soient aussi et voient ma gloire »
AH IV, 14, 1
V, 2, 2 103

Or si la corporéité n’est pas sauvée, le Seigneur ne nous aura pas non plus, à ce qu’il Et c’est pour cela qu’il disait à ses disciples : ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais
semble, « rachetés par son sang » (Ap 5, 9, cf. Ep 1, 7 etc.) et la coupe de l’eucharistie moi qui vous ai choisis » (Jn 15, 16), signifiant qu’il ne tirait pas gloire du fait qu’ils
ne sera pas « communion à son corps » (cf. 1 Co 10, 16). Car le sang ne peut que le suivaient, mais que c’étaient eux qui, par le fait même de suivre le Fils de Dieu, en
provenir des veines de la chair et de tout le reste de la substance de l’homme, comme recevaient de la gloire. Il disait encore : « je veux que là où je suis, ils y soient eux
l’était véritablement devenu le Verbe de Dieu qui nous « a rachetés par son sang ». aussi, de sorte qu’ils puissent voir ma gloire » (Jn 17, 24). Ce n’est pas qu’il en ait
Comme le dit aussi l’Apôtre : « (Jésus), en qui nous avons la rédemption par son vainement tiré de la gloire, mais il voulait que ses disciples puissent avoir part à sa
sang, et le pardon des péchés » (cf. Col 1, 14). Dans la mesure aussi où nous sommes gloire, eux dont le prophète Isaïe disait : « de l’Orient je ferai venir ta descendance,
« ses membres » (Ep 5, 30, cf. 1 Co 6, 15) et que nous tirons notre nourriture de la et je la rassemblerai de l’Occident. Je dirai au vent du nord : conduis-les, et au vent
création, lui-même nous offre, lui qui « fait lever son soleil et fait pleuvoir comme il du sud : ne leur fait pas obstacle, attire mes fils qui sont au loin, et mes filles des
veut » (cf. Mt 5, 45), la coupe provenant de la création, dont il a affirmé qu’elle était extrémités de la terre, tous ceux qui ont été appelés en mon nom. Je les ai préparés,
« son sang » (Mt 26, 28 ; Mc 14, 24 ; Lc 22, 20), par lequel s’accroît notre propre sang, formés et faits pour ma gloire » (Is 43, 5-7)105. Et cela parce que « là où se trouve le
58 ainsi que le pain provenant de la création, dont il a assuré qu’il était « son corps » (Mt cadavre, là se rassembleront les aigles » (Mt 24, 28)106, pour avoir part à la gloire du 59
26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19), par lequel s’accroissent nos propres corps. Seigneur, qui nous a formés et nous a préparés dans ce but, pour que tant que nous
sommes avec lui nous ayons part à sa gloire.

100 Pour Dieu sans besoin et l’action de grâces humaine, qui s’exprime par le fruit de la charité, voir ci-
dessus n. 98.
101 Irénée intègre ici la précision sur « l’alliance nouvelle », qui était peut-être présente dans les paroles
eucharistiques qu’il prononçait. Ce complément, qui provient de l’annonce par le prophète Jérémie d’une
« alliance nouvelle » (Jr 31, 31 et suivants), est absent des évangiles de Matthieu et de Marc, et n’est indiqué 104 La déclaration de Jn 14, 7 sur la connaissance du Père et du Fils était chez Jean à l’origine du dialogue entre
dans le Nouveau Testament que chez Luc, en Lc 22, 20 et dans le récit de l’institution de l’eucharistie que fait Philippe et Jésus (Jn 14, 8-10). Irénée évoque d’abord celui-ci et remonte ensuite à cette affirmation initiale de
Paul aux Corinthiens, en 1 Co 11, 25. Jésus, à laquelle il donne toute sa portée.
102 L’idée que l’eucharistie est « prémices », pour le temps de l’Église, des dons définitifs de Dieu aux 105 Cette citation d’Isaïe est à l’arrière-plan des passages de Matthieu et de Luc sur la convergence des
hommes, c’est-à-dire de l’incorruptibilité dans le royaume éternel, reprend une expression utilisée par Paul élus venant rejoindre les patriarches au banquet du royaume (voir ci-dessus n. 80-81). Matthieu n’a gardé
dans le grand texte sur l’attente de la résurrection en Rm 8, 23, elle-même proche du motif paulinien des que l’opposition initiale de l’est et de l’ouest, tandis que Luc, comme le prophète, invoque les quatre points
« arrhes » sur les biens à venir (2 Co 1, 22 et 5, 5). cardinaux.
103 En AH V, 1, 3, Irénée mentionne le fait que certains parmi les gnostiques qu’il cherche à réfuter 106 Ce verset un peu énigmatique, à l’allure de proverbe, reprend un verset du Livre de Job (Jb 39, 30), et
n’acceptent pas le mélange d’eau et de vin dans la coupe eucharistique, mais veulent célébrer, sans doute par se trouve présent aussi bien chez Matthieu (24, 28) que chez Luc (17, 37) dans les discours apocalyptiques
ascétisme, avec la seule « eau de ce monde », refusant ainsi l’union de Dieu et de l’humanité que représente qui précèdent la passion : il évoque la convergence des croyants, tels des oiseaux poussés par le vent de
le mélange de l’eau et du vin. Dans sa réfutation, Irénée insiste sur la réalité de corps humain de Jésus et sur l’Esprit, autour du corps glorifié de Jésus, qui se profile (comme l’indique le contexte) derrière l’évocation du
la nature et les effets biologiques des espèces eucharistiques. « cadavre ». Irénée suit ici le texte de Matthieu.
79. Diversité des demeures auprès du Père 81. La patience de Jésus dans sa passion
AH V, 36, 207 AH III, 18, 6
Il y a une différence entre les demeures de ceux qui ont porté du fruit au centuple, De fait, s’il n’a pas vraiment souffert, il n’a aucun mérite puisqu’il n’aurait subi
soixante fois plus ou trente fois plus (cf. Mt 13, 23) […], c’est pourquoi le Seigneur aucune passion. Et nous, lorsque nous commençons à souffrir vraiment, il paraîtra
a dit qu’il y avait de nombreuses demeures auprès du Père (Jn 14, 2). Tout en effet trompeur quand il nous exhorte à nous laisser frapper et à présenter l’autre joue (Mt 5,
dépend de Dieu, qui offre à chacun la demeure qui lui convient, selon que son Verbe a 39), si lui-même n’a pas d’abord souffert en vérité, et de même qu’il aurait trompé les
dit que le Père a tout réparti pour tous selon que chacun en est ou en sera digne. C’est témoins qui auraient vu une apparence sans réalité, il nous trompe en nous exhortant
cela, la salle de banquet où seront étendus les invités aux noces qui jouiront du festin à supporter ce que lui-même n’aurait pas supporté109. Nous serions alors « au-dessus
(cf. Mt 22, 2). du maître » (Mt 10, 24), en souffrant et supportant ce que le maître n’aurait ni souffert
ni supporté. Mais parce qu’il est le seul vrai maître et que le Fils de Dieu est bon, le
Passion Verbe de Dieu s’est fait Fils de l’homme susceptible de souffrir. De fait, il a lutté et il
80. L’agonie et le cœur transpercé, au terme a vaincu.
des sept souffrances de Jésus
AH III, 22, 208 82. Le pardon de Jésus en croix
AH III, 18, 5
S’il n’avait rien reçu de Marie, il n’aurait pas touché aux nourritures tirées de la terre,
par le moyen desquelles se nourrit le corps tiré de la terre : Sur la base aussi de ce que le Seigneur a dit sur la croix : « Père, remets-leur (cette
(1) après avoir jeûné quarante jours comme Moïse et Élie il n’aurait pas « eu faim » action), car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 24, 34), est montrée la longanimité, la
(Mt 4, 2 ; Lc 4, 2), son corps réclamant la nourriture qui lui était propre ; 
 patience, la miséricorde et la bonté du Christ, puisqu’il souffrait et excusait ceux qui le
(2) Jean son disciple, dans ce qu’il a écrit sur lui, n’aurait pas dit non plus : « Jésus, maltraitaient. Le Verbe de Dieu en effet qui nous a dit : « aimez vos ennemis et priez
fatigué du chemin, s’assit » (Jn 4, 6) ;
 pour ceux qui vous haïssent » (Mt 5, 44), l’a fait lui-même sur la croix110, aimant à tel
(3) et David n’aurait pas non plus proclamé à l’avance à son sujet : « ils ont ajouté à la point le genre humain qu’il priait même pour ceux qui le mettaient à mort.
souffrance de mes blessures » (Ps 68, 27 LXX) 

(4) il n’aurait pas non plus pleuré sur Lazare (Jn 11, 35) ;
60 (5) ni transpiré des gouttes de sang (Lc 22, 44) ; 
 61
(6) il n’aurait pas dit non plus : ‘mon âme est triste à l’extrême’ (Mt 26, 37) ; 

(7) et de son côté percé ne seraient pas sortis du sang et de l’eau (Jn 19, 34). 

Tout cela était des indices de la chair tirée de la terre, chair qu’il avait récapitulée en
lui-même pour sauver ce qu’il avait lui-même formé.


107 Ce passage se trouve à la fin du cinquième et dernier livre du Contre les hérésies tel qu’il nous a été
transmis. Irénée y évoque la diversité des demeures dans le royaume, en fonction des mérites et de la fécondité
(c’est-à-dire de la générosité) de chacun. Il reprend aussi l’image de l’unique salle de noces, utilisée par Jésus
lui-même dans la parabole des noces (Mt 21, 11-14, longuement commentée par Irénée en AH IV, 36, 5 et 6).
Les convives y sont représentés étendus, comme dans les premières figurations du banquet eucharistique dans
les catacombes. 109 Le « Christ » des gnostiques n’a pas souffert réellement : soit il n’a souffert qu’en apparence,
108 Irénée regroupe ici, par ordre globalement chronologique (des tentations initiales au coup de lance comme d’ailleurs il n’a eu que l’apparence d’un corps (thèse dite « docétiste » du verbe grec signifiant
perçant le corps mort depuis peu), sept marques attestant la réalité concrète de la corporéité de Jésus, soumise « sembler »), soit il a abandonné avant la passion l’humanité qu’il avait empruntée.
à une souffrance de plus en plus lourde : ces « signes de la chair » seront inlassablement repris dans la 110 Pour Irénée, Jésus était « la vérité même » (Jn 14, 6, cf. AH III, 5, 1, texte 1 en ouverture de ce
tradition patristique et présentés en balance avec les « signes de divinité » (miracles, pouvoirs surnaturels recueil), sans faux-fuyant ni double langage, c’est pourquoi ses actions et son enseignement s’accordent
etc.). On remarquera la prédominance de Jean et l’insistance sur l’agonie, pour laquelle Irénée recourt aux pleinement : ce qu’il a dit, il l’a fait.
récits de Matthieu et de Luc.
83. La foi en celui qui est suspendu 86-87. La descente aux enfers
IV, 2, 7 AH V, 31, 1115
Qu’ils (les chefs juifs) n’aillent pas imputer leur refus de croire à la loi, car la loi En réalité, il a demeuré trois jours au séjour des morts, comme le prophète le dit de
n’interdisait pas de croire au Fils de Dieu, elle y exhortait bien plutôt, en disant que les lui : « le Seigneur s’est souvenu de ses saints, de ceux qui dormaient dans la terre de
hommes ne pouvaient être sauvés de l’ancienne plaie faite par le serpent qu’en croyant leur sépulture, et il descendit les en retirer et les sauver »116. Le Seigneur lui-même
en celui qui, élevé de terre111 sur le bois du supplice avec un corps à l’image de la chair dit : « de même que Jonas est resté trois jours et trois nuits dans le ventre du cétacé,
pécheresse (cf. Rm 8, 3)112, a attiré toutes choses à lui (Jn 12, 32, cf. Nb 21, 8) et donne ainsi le Fils de l’homme au cœur de la terre » (Mt 12, 40). Et l’Apôtre également : « il
la vie à ceux qui sont atteints par la mort. est monté – qu’est-ce à dire si ce n’est qu’il était descendu dans les profondeurs de la
terre ? » (Ep 4, 9). Et David aussi a dit prophétiquement de lui : « tu as arraché mon
84-85. La réalité du corps de Jésus âme au gouffre des enfers » (Ps 85, 13).
AH IV, 33, 2113
IV, 22, 2
S’il n’était pas de chair, mais avait seulement eu une apparence d’homme, comment Ce n’est pas seulement en effet pour les seuls hommes qui sont devenus croyants
aurait-il pu être mis en croix, et comment le sang et l’eau auraient-ils jailli de son côté à l’époque de l’empereur Tibère que le Christ est venu, et le Père n’a pas exercé sa
percé (Jn 19, 34) ? Comment a-t-on pu ensevelir son corps et quelle est la réalité qui providence sur les seuls hommes d’aujourd’hui, mais en faveur d’absolument tous les
ressuscita des morts ? hommes qui depuis le commencement, à la mesure de leur force en fonction de leur
génération, craignirent et aimèrent Dieu, et vécurent avec justice et bienveillance à
IV, 35, 3
l’égard de leur prochain, qui « désirèrent voir » le Christ et « entendre sa voix » (cf.
Dans quel monde le « Christ céleste » a-t-il été abreuvé de vinaigre et de fiel (Mt 27,
Mt 13, 17).
34, cf. Jn 19, 29-30) ? Dans quel monde ses vêtements ont-ils été partagés (Mt 27,
35 ; Mc 15, 24 ; Lc 23, 34 ; Jn 19, 23) ? Dans quel monde a-t-il été transpercé, pour
qu’il en sorte du sang et de l’eau (Jn 19, 34) ? Dans quel monde a-t-il transpiré des
gouttes de sang (Lc 22, 44) ? Et tout ce qui est arrivé au Seigneur, dont avaient parlé
les prophètes.
62 63

111 Dès les premières générations chrétiennes, l’épisode du serpent d’airain dressé dans le désert
en remède des morsures de serpent (Nb 21, 8) a été rapproché de la contemplation de Jésus « pendu au L’histoire de Jonas, resté trois jours dans le ventre d’un poisson, puis rejeté par celui-ci, avait été utilisée
par Jésus pour parler de sa descente dans la mort (Mt 12, 40). Elle inspire de nombreuses images
bois », porteuse de guérison et de salut.
chrétiennes parmi les plus anciennes ; ici, sur le fond d’une mer agitée où, à l’arrière-plan, Noé balloté
112 Quand Irénée parle ici de « similitude à la chair de péché », il se réfère à l’expression paulinienne : dans son arche reçoit le rameau de la colombe, Jonas est recraché par le monstre marin et revient ainsi
« Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché » (Rm 8, 3). Cependant, il ne faut pas se à la vie, détail du sarcophage dit de Jonas (fin IIIème s.), Museo Pio Cristiano, Vatican, Photographie
méprendre sur ce langage, car Irénée est le premier, comme le montrent les autres textes de cette section, à Richard Stracke, CC-BY-ND.
ne pas présenter la corporéité de Jésus comme un « paraître », mais bien comme une réalité du même ordre
que notre propre corporéité. 115 Au livre premier du Contre les hérésies, Irénée se réfère à une répartition tripartite de la Bible, en train de
113 On voit par ces textes que la première méditation chrétienne s’est attachée avec dévotion et douleur aux se constituer au moment où il écrit : les prophètes (au sens strict et plus largement tout l’Ancien Testament)
diverses souffrances de Jésus dans sa passion, ce qui explique le ton âpre d’Irénée réfutant l’idée d’un « Christ / le Seigneur (dans les évangiles) / les apôtres (les écrits apostoliques) : ici, les trois témoignages sur la
céleste » sans inscription dans le monde réel. descente aux Enfers, complétés par une référence aux psaumes, illustrent parfaitement ce rythme ternaire, où
114 On remarque que ce texte du quatrième livre reprend partiellement la liste des souffrances énumérées en AH les évangiles sont au centre.
III, 22, 2 (texte 80 ci-dessus). Le ton se fait ici plus dur, avec la récurrence de l’interrogation rhétorique insistant 116 Ce verset, évoqué aussi par Justin, était attribué par Irénée à Jérémie (cf. AH IV, 22, 1), mais est absent
sur le fait que c’est bien dans notre monde concret, et non pas dans un « ailleurs » spirituel, que Jésus a souffert. du livre de ce prophète tel que nous le connaissons.
88-89. Souffrance et gloire Résurrection
AH III, 19, 2 90-91. Les apparitions du ressuscité
AH V, 31, 1
Les saintes Écritures attestent l’un et l’autre, aussi bien que (le Christ) est « un homme
sans beauté, en butte à la souffrance » (Is 53, 2-3), « assis sur le petit d’une ânesse » En ressuscitant le troisième jour, il disait à Marie qui fut la première à le voir et à
(Za 9, 9), « abreuvé de vinaigre et de fiel » (Mt 27, 34), objet de mépris dans le peuple l’adorer : « ne me touche pas : je ne suis pas encore monté vers le Père, mais va trouver
et descendu jusqu’à la mort, et qu’il est « un Seigneur saint » (Is 6, 3), « conseiller les disciples et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père » (Jn 20, 17).
admirable » (Is 9, 5), « de belle apparence » (Ps 44, 3), « Dieu fort » (Is 9, 45), « juge
V, 31, 2
de tous venant sur les nuées du ciel ». Les Écritures prophétisaient tout cela de lui.
Si donc il est vrai que le Seigneur respecta la loi de la mort, pour devenir le « premier-
III, 19, 3 né d’entre les morts » (Col 1, 18), et qu’il est resté jusqu’au troisième jour dans les
En tant qu’homme en effet il subissait la tentation, mais en tant que Verbe il recevait profondeurs de la terre (cf. Ep 4, 9), ressuscitant ensuite dans la chair, au point de
la gloire, le Verbe demeurant inactif pour qu’il puisse subir la tentation, être bafoué, pouvoir montrer aux disciples les marques des clous (Jn 20, 25 et 27) et que c’est
crucifié et mourir, l’homme se trouvant alors absorbé dans celui qui est vainqueur, ainsi qu’il monta vers le Père, comment ne seraient pas confondus ceux qui prétendent
supporte l’épreuve, ressuscite et est élevé (au ciel)117. qu’il faut entendre par « les Enfers » ce monde où nous sommes d’où leur « homme
intérieur », abandonnant ce corps, s’élève jusqu’aux lieux supracélestes ? Et si le
Seigneur « est allé dans l’ombre de la mort » (Ps 22, 4), où étaient les âmes des morts,
L’apôtre Thomas avance son doigt vers le s’il est ensuite ressuscité avec son corps et s’est élevé, il est clair que les âmes de ses
côté du Christ, qui fait un geste de victoire ;
disciples aussi, pour le bien desquels il a opéré cela, s’en iront vers un lieu invisible
les trois autres apôtres représentés semblent
aussi intrigués, voire dubitatifs devant Jésus qui leur est fixé par Dieu et y demeureront jusqu’à la résurrection, en attendant la
ressuscité ; coffret d’ivoire conservé au British résurrection. Retrouvant ensuite leurs corps et ressuscitant pleinement, c’est-à-dire
Museum, Londres (première moitié du Vème s.). corporellement, de la même façon que le Seigneur est ressuscité, ils s’en iront ainsi
Source : British Museum website, CC BY-NC-
vers la face de Dieu.
SA 4.0

92. Enseignement aux disciples d’Emmaüs (Lc 24, 25-27)


64 AH IV, 26, 1 fin 65
Comme nous l’avons montré, celui qui lit les Écritures – elles que le Seigneur a
explicitées à ses disciples après sa résurrection des morts, en leur montrant à partir
des Écritures elles-mêmes qu’il fallait que le Christ (messie) souffre puis entre dans sa
gloire et que la rémission des péchés en son nom soit annoncée dans le monde entier
– celui-là sera un disciple accompli, semblable à un « maître de maison qui sort de ses
réserves du neuf et du vieux » (Mt 13, 52)118.

117 Ignace d’Antioche déjà, environ 70 ans avant Irénée, avait opposé Jésus-homme et Jésus-Dieu, pour 118 À la suite du modèle qu’est l’enseignement du Christ, les premières générations chrétiennes auront à cœur
montrer l’équilibre de la complémentarité de ces deux dimensions. Ici, Irénée tente de déterminer le rôle de rechercher, dans les livres de l’Ancien Testament, des témoignages, des préfigurations et des prophéties
du Verbe de Dieu et de l’homme, c’est-à-dire des deux natures de l’unique Jésus, dans la passion et la pointant vers la venue du Christ et vers son œuvre de salut. Le « scribe » chrétien, celui qui a accès à l’écrit, doit
glorification : le Verbe se tient « en retrait » pour que l’homme puisse affronter la souffrance, mais il lui savoir manier « le neuf et le vieux » (Mt 13, 52), c’est-à-dire regrouper des témoignages des Écritures nouvelles
donne la force de la traverser, et surtout d’être vainqueur par-delà la mort. et anciennes, comme Irénée le pratique couramment.
93. L’envoi final des disciples en mission Postlude
AH III, 17, 1 95. le rayonnement des quatre évangiles
Et encore : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré », cet AH III, 11, 8
Esprit dont le Seigneur dit : « ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Les Chérubins (d’Ezéchiel 1, 10) ont une quadruple forme, et leurs formes sont les
Père parle en vous » (Mt 10, 20). Et en donnant encore à ses disciples le pouvoir de images de l’activité du Fils de Dieu : le premier animal, dit (le prophète), est ‘semblable
régénérer (les hommes) en Dieu il leur disait : « allez, enseignez toutes les nations, les à un lion’, caractérisant ainsi l’efficacité (du Christ), sa souveraineté et royauté, le
baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19). second est ‘semblable à un veau’, donnant à voir son rang sacerdotal et sacrificiel, le
troisième ‘avait face d’homme’, décrivant en toute clarté sa venue comme homme,
94. Le Verbe fait homme a la primauté en tout, car « tout pouvoir le quatrième était ‘semblable à un aigle en vol’, exprimant le don de l’Esprit planant
lui a été donné » (Mt 28, 18) au-dessus de l’Église121.
AH IV, 20, 2
Les évangiles, sur lesquels siège le Christ, s’accordent avec ces images. L’un expose
Le Seigneur dit de même : « toutes choses m’ont été remises par mon Père » (Mt sa naissance du Père, souveraine, efficace et glorieuse, en disant : « au commencement
11, 27), en désignant clairement celui qui a fait « toutes choses » : ce ne sont pas des était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1). Et
biens étrangers, mais ses biens propres qu’il lui a remis. C’est pourquoi aussi il est encore : « tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait » (Jn 1, 3). C’est pourquoi,
« le juge des vivants et des morts » (Ac 10, 42), « il a la clé de David : il ouvre et nul ne tout cet évangile est plein d’assurance, c’est sa personnalité.
fermera ; il ferme et nul n’ouvrira » (Ap 3, 7). « Nul autre en effet, ni au ciel, ni sur terre,
ni sous terre, n’était en mesure d’ouvrir le livre ni d’y jeter les yeux » (Ap 5, 3) si ce n’est Quant à celui qui est selon Luc, puisqu’il est de caractère sacerdotal, il s’ouvre sur
« l’agneau immolé » (Ap 5, 12), « qui nous a rachetés par son sang » (Ap 5, 9, cf. Ep Zacharie offrant un sacrifice à Dieu (cf. Lc 1, 8). Déjà en effet était préparé le veau
1, 7). gras, qui devait être immolé pour le fils cadet retrouvé (Lc 15, 23-24).

La puissance lui a été remise par ce Dieu qui a tout fait par son Verbe et Matthieu expose sa naissance selon l’humanité, en disant : « Livre de la naissance
tout embelli par sa Sagesse, quand « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14)119 afin que, de de Jésus-Christ, fils d’Abraham, fils de David » (Mt 1, 1), et encore : « telle a été la
même qu’il détenait la primauté dans les cieux en tant que Verbe de Dieu, il ait aussi la naissance de Jésus Christ » (Mt 1, 18). C’est pourquoi cet évangile a forme humaine,
primauté sur terre en tant qu’homme juste, qui « n’a pas commis de péché et dont la et tout au long de cet évangile [Jésus] reste toujours un homme ‘doux et humble’ »
66 bouche était pure de mensonge » (1 P 2, 22), et qu’il ait aussi la primauté sur ce qui (Mt 11, 29). 67
est sous terre, lui qui est devenu « le premier-né d’entre les morts » (Col 1, 18), afin Marc commence par l’Esprit saint venant d’en haut sur les hommes, en disant :
qu’ainsi, comme nous l’avons dit plus haut, toutes choses voient leur roi, afin que la « commencement de l’évangile, comme il est écrit chez le prophète Isaïe… » (Mc 1,
lumière du Père vienne dans la chair de notre Seigneur, et que de sa chair éclatante 1-2), donnant une image vive et ailée d’un évangile en plein vol, c’est pourquoi son
elle vienne aussi en nous, et qu’ainsi l’homme accède à l’incorruptibilité, baigné de la annonce est ramassée et faite à grands traits, conformément au caractère prophétique122.
lumière du Père120.
121 À l’ouverture de son livre, le prophète Ezéchiel décrit une somptueuse vision de la « gloire du
Seigneur » (Ez 1, 28), « comme une forme d’homme siégeant sur un trône » (Ez 1, 26), portée par un char soulevé
par des êtres à quadruple forme (homme, lion, veau et aigle, en Ez 1, 10). La tradition chrétienne ancienne a
transposé cette vision à la session glorieuse du Christ, et l’Apocalypse le montre siégeant entre quatre vivants (lion,
veau, homme et aigle, en Ap 4, 7). C’est cet ordre de l’Apocalypse que suit ici Irénée pour l’identification des
évangiles aux différentes dimensions, complémentaires entre elles, de « l’activité du Fils de Dieu ».
122 Dans ce passage, Irénée cherche à identifier la « personnalité », c’est-à-dire la tonalité particulière, de
119 Même si, au moment où Irénée écrit, la Bible comme organisation de livres n’est pas encore constituée, chacun des évangiles canoniques, qui présentent chacun une caractéristique. Les animaux d’Ezéchiel
on voit que, pour lui, la Genèse et l’Apocalypse sont les deux pôles de l’œuvre créatrice divine, centrés sur le et de l’Apocalypse sont certes associés aux évangélistes, mais en réalité ils ne les représentent pas,
moment de l’incarnation du Verbe, qui en constitue le nœud et le pivot. On notera que le motif de la souveraineté ils mettent chacun en valeur un aspect spécifique de la personnalité et de la mission de Jésus. Les
du Christ sur la terre n’est pas seulement sa royauté divine, mais déjà sa justice personnelle en tant qu’homme textes proposés dans ce recueil ont pu donner des exemples de la richesse de la personne de Jésus telle
intègre. qu’Irénée s’est attaché à la comprendre et à la présenter, dans la plénitude et l’élévation de sa divinité
120 La succession des trois subordonnées de but (« afin que… ») montre la progression du plan de Dieu, – qui s’exprime entre autres dans son enseignement -, dans l’authenticité de son humanité, l’humilité
orienté vers sa finalité qui est la proximité, dans la lumière, entre l’homme glorifié et son créateur. de son offrande pour l’homme et sa tension vers l’Église à venir pour laquelle il diffuse son Esprit.
Index scripturaire
(les chiffres indiqués renvoient au numéro des textes d’Irénée)
NB. Les références en italiques renvoient à l’annotation : il ne s’agit donc pas
uniquement de passages scripturaires invoqués par Irénée, mais aussi de lieux
bibliques auxquels se réfère le commentaire d’A. Bastit

Ancien Testament Dt 24, 1 : 16 Sg 2, 24 : note 48 Za 8, 17: 64


Gn 1,1 : 12 Dt 33, 9 : 33 Za 9, 9 : 88
Is 1, 16-18 : 64
Gn 1, 11 : 12 1 S 21, 7: 33;
Is 4, 4 : 74 Nouveau
Gn 1, 27 : 16 note 46
Is 5, 7 : note 83 Testament
Le Christ dans une mandorle tient un rouleau sur lequel on Gn 2, 6 : note 37 1 R 19, 10 :
Is 5, 12 : 55 Mt 1, 1 : 95
lit « voici le Dieu en qui nous espérons et en qui nous nous Gn 2, 7 : 27 note 63
réjouissons de notre salut … » (Is. 25, 9-10), une prophétie Is 6, 3 : 88 Mt 1, 18 : 2; 95
Gn 2, 24 : 16 1 R 19, 11-12 : 43
de la victoire finale de Dieu, qui rassemblera les nations Is 7, 14 : 2 ; 5 Mt 1, 21 : note 7
Gn 3, 8 : 24
et apportera la paix aux siens ; il est entouré des quatre Jb 39, 30 : Is 9, 5 : 88 Mt 1, 22-23 : 2
animaux de la vision d’Ezechiel 1, 10, cités aussi dans Gn 3, 15 : 34
note 106 Is 9, 45 : 88 Mt 2, 2 : 5
l’Apocalypse (4, 7) (les deux personnages sur les côtés Gn 4, 7 : 66
de la voûte sont peut-être Ezéchiel et Jean). Ces animaux Is 10, 23 : 45 Mt 2, 11 : 5; note 9
Psaumes1
représentent selon Irénée les quatre faces du Fils de Dieu, Ex 3, 6 : 65 Is 11, 1.3-4 : 9 Mt 3, 3 : 8
Ps 8, 2 : 60 ;
illustrées par les quatre évangiles canoniques. Au pied du Ex 12, 2-3 : Is 40, 3-5 : 8 Mt 3, 16-17 : 9
Christ, les quatre fleuves du paradis, auxquels s’ajoute le note 88
notes 17 et 18 Is 42, 1-4 : 40 ; Mt 3, 17 : 40 ;
Jourdain, matérialisent ces évangiles, qui coulent d’une Ps 8, 3 : 60 ;
même source ; mosaïque de l’abside dans l’oratoire du Ex 20, 12-16 : 52 note 56 note 56
note 88
Christ Latomos, dit aussi église saint David, Thessalonique ( Ex 25, 8 : note 26 Is 42, 3 : 43 Mt 4, 1-11 :
Ps 22, 4 : 91
Vème s.). Source : AMSHistoria-Université de Bologne, Usage Ex 25, 22-30 : Is 43, 5-7 : 78 note 12
pédagogique autorisé. Ps 32, 9 : 36
68 note 46 Is 53, 2-3 : 88 Mt 4, 2 : 80 69
Ps 33, 14-15 : 64
Ex 33, 11 : 42 Is 53, 9 : note 2 Mt 4, 9 : 10 ; 44
Ps 34, 9 : 60
Ex 33, 20 : 42 Is 61, 1-2 : 9 ; Mt 5, 16 : 68
Ps 44, 3 : 88
Ex 33, 21-23 : 42 note 15 Mt 5, 17 : 61 ;
Ps 44, 17 : 65
Is 65, 1 : 5 note 22
Lv 19, 18 : 45 ; 52 Ps 68, 27 : 80
Is 66, 1 : 13 Mt 5, 21-22 : 14
Lv 24, 5-9 : note Ps 75, 2 : 5
Mt 5, 21-40 :
46 Ps 84, 12 : 1 Jr 7, 3 : 64
note 20
Ps 85, 13 : 86 Jr 31, 31 : note 101
Nb 18, 20 : 33 Mt 5, 22 : 14
Ps 131, 11 : 3 ; 5
Nb 21, 8 : 83 ; Ez 1, 10 : note 121 Mt 5, 27-28 : 14
Ps 148, 5 : 36
note 111 Ez 1, 26 : note 121 Mt 5, 33-37 : 14
Nb 24, 17 : 5 Pr 5, 22 : 9 : Ez 1, 28 : note 121 Mt 5, 34-35 : 13
note 86 Mt 5, 39 : 14 ; 81
Dt 6, 5 : 16; 45 Dn 14, 4-5 : 65
Pr 8, 15 : 44 Mt 5, 40 : 14 ; 15
Dt 10, 9 : 33 Dn 14, 25 : 65
Pr 19, 17 : 71
Dt 10, 12: 16 Za 7, 9-10 : 64

1 Les psaumes sont indiqués ici dans la numérotation de la Bible grecque des Septante, qui était utilisée
par Irénée (cela entraîne souvent un décalage d’un numéro par rapport aux bibles modernes, basées sur la
numérotation de la Bible hébraïque).
Mt 5, 42 : 15 Mt 13, 40-43 : 35 Mt 22, 30 : note 93 Lc 4, 7 : 10 Lc 16, 19-31 : 55 ; Jn 5, 3 : note 44 Jn 19, 29-30 : 85 Ep 1, 7 : 76 ; 94
Mt 5, 43-44 : 14 Mt 13, 52 : 92 ; Mt 22, 31 : 65 Lc 4, 16-22 : note 77 Jn 5, 5.8 : 11 Jn 19, 34 : 80 ; Ep 1, 10 : note 49
Mt 5, 44 : 82 note 118 Mt 22, 36-40 : 45 note 45 Lc 16, 30-31 : 55 Jn 5, 9 : note 44 84; 85 Ep 4, 9 : 86 ; 91
Mt 5, 45 : 15 ; 20 Mt 16, 4 : note 54 Mt 23, 13-36 : 66 Lc 4, 18 : 9 ; Lc 17, 37 : Jn 5, 14 : 23 Jn 19, 39b : 5 Ep 5, 30 : 76
Mt 6, 3 : 17 Mt 16, 13 : 41; Mt 23, 27-28 : 66 note 11 note 106 Jn 5, 20 : 37 Jn 20, 17 : 90
Col 1, 14 : 76
Mt 6, 12 : 24 note 58 Mt 24, 28 : 78 ; Lc 5, 21 : 26 Lc 18, 14 : 51 Jn 5, 21 : 55 Jn 20, 25 : 91
Col 1, 18: 91 ; 94
Mt 6, 24 : 18 Mt 16, 13-25 : note 106 Lc 5, 31-32 : 22 Lc 19, 8 : 53 Jn 5, 39 : 11 Jn 20, 27 : 91
Mt 8, 11-12 : 56 note 57 Mt 25, 1-13 : 69 Lc 6, 1-5 : note 47 Lc 19, 46 : 61 Jn 6, 1-2 : 11 1Tm 6, 12: note 30
Ac 10, 42 : 94
Mt 9, 2 : 24 Mt 16, 16 : 40 ; 41 Mt 25, 6 : 69 Lc 6, 4 : 33 Lc 20, 36 : 65 ; Jn 6, 11 : 12 ;
Jc 5, 6 : 66
Mt 9, 6a : 25 Mt 16, 17 : 41 Mt 25, 12 : 69 Lc 6, 30-31 : 15 note 94 note 19 Rm 5, 19 : 29
Mt 9, 6b : 25 Mt 16, 21 : 41 Mt 25, 23 : 70 Lc 6, 46 : 68 Lc 20, 37-38 : Jn 6, 13 : 11 Rm 8, 3 : 83 ; 1 P 2, 22 : 1; 94
Mt 9, 8 : 25 Mt 16, 23 : 41 Mt 25, 34 : 72 Lc 9, 18 : note 58 note 94 Jn 8, 34 : 18 note 112
Ap 3, 7 : 94
Mt 10, 8 : 69 Mt 16, 24-25 : 41 Mt 25, 34-36 : 71 ; Lc 9, 22 : note 59 Lc 20, 38 : 65 ; Jn 8, 44 : 10 Rm 8, 15 : note 23
Ap 4, 7: note 121
Mt 10, 10 : 33 Mt 17, 3 : 42 note 98 Lc 9, 30 : 42 note 94 Jn 8, 44 : 36 Rm 8, 23 :
Ap 5, 3 : 94
Mt 10, 20 : 93 Mt 17, 5 : note 56 Mt 25, 35-36 : 17 Lc 11, 21-22 : Lc 21, 4 : 54 Jn 9, 2-4 : 27 note 102
Ap 5, 9 : 76; 94
Mt 10, 24 : 81 Mt 17, 27 : 44 ; Mt 25, 41 : 72 note 40 Lc 21, 34 : 68 Jn 9, 3 : note 34 Rm 9, 28 : 45
Ap 5, 12 : 94
Mt 10, 29 : 10 note 66 Mt 26, 26 : 75 ; 76 Lc 12, 35-37 : 68 Lc 22, 19 : 75 ; 76 Jn 9, 6: 27 Rm 10, 20 : 5
Mt 11, 9 : 7 Mt 19, 7 : 16 Mt 26, 28 : 75 ; 76 Lc 12, 45-46 : 68 Lc 22, 20 : 75 ; Jn 9, 7a : 28 Rm 12, 16 : 10
Mt 11, 12 : 19 ; Mt 19, 8 : 16 Mt 26, 37 : 80 Lc 12, 48 : 39 76 ; note 101 Jn 9, 7b : 28 Rm 13, 1 : 44
note 30 Mt 19, 16 : 52 Mt 27, 34 : 85 ; 88 Lc 13, 6-9 : Lc 22, 44 : 80 ; 85 Jn 9, 14 : note 44 Rm 13, 4 : 44
Mt 11, 23-24 : 38 Mt 19, 17 : 52 Mt 27, 35 : 85 note 82 Lc 24, 25-27 : 92 Jn 11 : 11 Rm 13, 6 : 44
Mt 11, 27 : 94 Mt 19, 21 : 52 Mt 28, 18 : 94 Lc 13, 7 : 57 Lc 24, 34 : 82 ; 85 Jn 11, 25 : 65 ; Rm 13, 10 : 45
Mt 11, 29: 95 Mt 19, 29 : 33 Mt 28, 19 : 93 Lc 13, 15-16 : 32 note 94
Jn 1, 1 : 95 1 Co 1, 26 : 73
Mt 12, 1-8 : Mt 20, 1-16 : 58 Lc 13, 28-29 : Jn 11, 35 : 80
Mc 1, 1-2 : 95 Jn 1, 3 : 95 1 Co 6, 15 : 76
70 note 47 Mt 20, 2 : note 84 note 80 Jn 11, 43 : 59 71
Mc 2, 7 : 26 Jn 1, 12 : 36 1 Co 7, 5 : 16
Mt 12, 3-4: 33 Mt 20, 9-10 : Lc 13, 34 : 57 Jn 11, 44a : 59
Mc 3, 27 : note 40 Jn 1, 14 : 94 1 Co 7, 6 : 16
Mt 12, 6 : 37 note 84 Lc 13, 34-35 : 57 ; Jn 11, 44b : 59
Mc 8, 27 : note 58 Jn 1, 16 : 6 1 Co 7, 12 : 16
Mt 12, 18-21 : 40 ; Mt 21, 8 : 60 note 82 Jn 11, 53-54 : 11
Mc 8, 31 : note 59 Jn 1, 29 : note 10 1 Co 7, 25 : 16
note 56 Mt 21, 9 : 60 Lc 15, 5 : 50 Jn 12, 1 : 11
Mc 9, 3 : 42 Jn 1, 29-30 : 6 1 Co 9, 24 : 19
Mt 12, 29 : 29; 31 ; Mt 21, 11-14 : Lc 15, 13 : 47 ; Jn 12, 32 : 83
Mc 14, 22 : 75 ; 76 Jn 1, 50 : 37 ; 1 Co 10, 16 : 76
note 40 note 107 note 68 Jn 13 : 11
Mc 14, 24 : 75 ; 76 note 55 1 Co 11, 23 : 75
Mt 12, 39-40 : Mt 21, 13 : 61 Lc 15, 22 : 47 ; Jn 13, 5 : 74
Mc 15, 24 : 85 Jn 2, 1-11 : 12 1 Co 11, 25 :
note 54 Mt 21, 16a : 60 note 69 Jn 13, 8 : 21
Jn 2, 11 : 11 note 101
Mt 12, 40 : 43 ; 86 Mt 21, 16b : 60 Lc 1, 8 : 95 Lc 15, 23 : 47 ; 95 Jn 13, 9-10 : 74
Jn 2, 19 : note 54 1 Co 12, 28 : 7
Mt 12, 41 : 37 Mt 21, 19 : 62 Lc 1, 33 : 5 Lc 15, 24 : 47 ; Jn 14, 2 : 79
Jn 2, 21 : note 54
Mt 12, 42 : 37 Mt 21, 33-41 : 63 Lc 1, 35 : 2 95 ; note 71 Jn 14, 6 : 1 ; 61 ; 2 Co 1, 22 :
Jn 2, 23 : 11 ;
Mt 12, 50 : 36 Mt 21, 39 : 64 ; Lc 1, 42 : 3 Lc 15, 29 : 47 note 110 note 102
note 16
Mt 13, 17 : 87 note 92 Lc 1, 76-77 : 6 Lc 15, 30 : 30 ; Jn 14, 7 : 77 ; 2 Co 5, 5 :
Jn 2, 25 : 9
Mt 13, 23 : 79 Mt 22, 2 : 79 Lc 1, 77 : note 10 note 68 note 104 note 102
Jn 4, 6 : 80
Mt 13, 24: 34 Mt 22, 19-20 : Lc 3, 4-6 : 8 Lc 15, 32 : 49 Jn 14, 9-10 : 77; 2 Co 6, 14c : 1
Jn 4, 6-27 : 11
Mt 13, 24-30 : 35 note 84 Lc 3, 11 : 17 Lc 16, 1-8 : note 104
Jn 4, 10 : 21 Ga 4, 31 : note 23
Mt 13, 25 : 34 Mt 22, 20 : 58 Lc 4, 2 : 80 note 27 Jn 15, 16 : 78
Jn 4, 14 : 21 ; 62 Ga 5, 1 : note 23
Mt 13, 36-43 : 35 Mt 22, 23-33 : 65 Lc 4, 6 : 10 ; Lc 16, 9 : 17 Jn 17, 24 : 78
Jn 4, 50 : 11 Ga 5, 13 : note 23
Mt 13, 38 : 34 ; 36 Mt 22, 29 : 65 note 12 Jn 19, 23 : 85
Liste des textes d’Irénée Le tournant central : 58. Paraboles des heures (Mt 20, 1-16)
la confession de pierre (AH IV, 36, 7)
Préambule 18. Incompatibilité de la vie au service et la première annonce
de la passion 59. Ultime montée à Jérusalem : la
1. Les évangiles sont fiables, et Jésus de l’argent et de celle au service de Dieu
40. Qui est Jésus ? La confession résurrection de Lazare (AH V, 13, 1)
y enseigne la vérité (AH III, 5, 1) (AH III, 8, 1)
de Pierre (AH III, 11, 6) La dernière semaine de jésus
Venue au monde de jésus 19. Les violents s’emparent du royaume 60. L’entrée à Jérusalem et la louange
2-3. La conception virginale (AH IV, 37, 7) 41. Le messie destiné aux souffrances
des petits (AH IV, 11, 3)
(AH III, 21, 4-5) (AH III, 18, 4)
20. Bonté et justice de Dieu 61. L’attachement au temple
4. Le double nom de Jésus (AH III, 25, 3-4) 42-43. La transfiguration sur
(AH IV, 2, 6)
Démonstration, § 53 la montagne, accomplissement
Rencontres salutaires des promesses à Moïse et Élie 62. Le figuier desséché (AH IV, 36, 4)
5. L’étoile et les offrandes des mages 21. La Samaritaine (AH III, 17, 2) (AH IV, 20, 9-10)
(AH III, 9, 2) 63-64. La vigne transmise
22. « Ce ne sont pas les bien portants 44. Il convient de payer ses impôts, (Mt 21, 33-41) (IV, 36, 1-2)
6-8. La prédication du Baptiste qui ont besoin de médecin » (Lc 5, 31) d’ailleurs Jésus l’a fait (AH V, 24, 1)
(AH III, 10, 3 ; III, 11, 4 et III, 9, 1) (AH III, 5, 2) 65. Les Sadducéens et la résurrection
45-46. Les deux premiers des morts (Mt 22, 23-33) (AH IV, 5, 2)
L’entrée de jésus dans 23. Le paralytique de Bethesda commandements
la vie publique (seconde montée de Jésus à Jérusalem) 66. Imprécation contre les Pharisiens
Démonstration, § 87 ; AH IV, 12, 3
9. Le baptême de Jésus (AH III, 9, 3) (AH V, 15, 2) (Mt 23, 13-36) (AH IV, 18, 3)
Les paraboles de la miséricorde
10. Les tentations (AH V, 22, 2) 24-26. Le paralytique de Capharnaüm 47. Le Fils aîné et le fils prodigue
La vigilance
(AH V, 17, 1-2-3) 67-68. Vigilance et bonnes œuvres
11. Les étapes de la vie publique (AH IV, 36, 7)
(AH IV, 37, 2 fin et 3)
de Jésus (AH II, 22, 3) 27-28. La guérison de l’aveugle-né 48-50. La brebis perdue
(AH V, 15, 2-3) 69. Vierges folles (Mt 25, 1-13)
72 Vers la premiere montée (AH III, 23, 1 ; V, 12, 3 ; V, 15, 2) 73
(AH II, 27, 2)
a Jérusalem Tensions et résistances 51. Le Pharisien et le publicain
12. Les noces de (Jn 2, 1-11) 29-31. L’accusation de guérir « par 70. Les talents (AH IV, 11, 2)
(AH IV, 36, 8)
(AH III, 11, 5) Beelzebul » et le modèle du « fort » 71-72. Jugement dernier
ligoté (AH III, 18, 6-7 et V, 21, 3) Appel a la générosité
L’enseignement de Jésus 52. Le jeune homme riche
(AH IV, 18, 6 ; IV, 28, 2)
13. La grandeur de Dieu (AH IV, 2, 5) 32-33. Polémiques sur le sabbat (AH IV, 12, 5) Préalables à la passion
(AH IV, 8, 2-3) 73. Rejet de Jésus par les autorités juives
14. Jésus enseigne à faire le bien 53. Zachée (AH IV, 12, 5 - suite)
et à éviter le mal (AH II, 32, 1) 34-36. L’ivraie parasite (AH II, 19, 7)
(AH IV, 40, 3 ; IV, 40, 2 ; IV, 41, 1) 54. La veuve généreuse (Lc 21, 4)
15. L’exigence évangélique assume la loi 74. Le lavement des pieds (AH IV, 22, 1)
(AH IV, 18, 2)
ancienne, mais va au-delà (AH IV, 13, 3) 37. L’accroissement des grâces en Jésus 75-76. L’institution de l’eucharistie
(AH IV, 9, 2) 55. Le riche et Lazare : le message
16. Vie sexuelle : exigence et (AH IV, 17, 5 ; V, 2, 2)
d’Abraham (AH IV, 2, 4)
concessions (AH IV, 15, 2) 38-39. L’échec de la prédication de Jésus 77. La demande de Philippe
et de ses disciples (AH IV, 36, 3-4) Tournés vers la fin
17. L’argent païen sert à vêtir le Christ (AH III, 13, 2)
56. Le banquet du royaume avec
(AH IV, 30, 3) Abraham (AH IV, 36, 8) 78. « Que là où je suis, ils soient aussi et
voient ma gloire » (AH IV, 14, 1)
1 Le titre courant en latin du Contre les hérésies d’Irénée est Adversus haereses, d’où l’abréviation 57. Les appels à la conversion : Jésus,
AH, suivie du numéro du livre (cinq en tout), puis des numéros de chapitre et de paragraphe. le figuier et Jérusalem (AH IV, 36, 8)
79. Diversité des demeures auprès Résurrection
du Père (AH V, 36, 2) 90-91. Les apparitions du ressuscité
(AH V, 31, 1-2)
POUR ALLER PLUS LOIN
Passion
80. L’agonie et le cœur transpercé, au 92. Enseignement aux disciples
terme des sept souffrances de Jésus d’Emmaüs (Lc 24, 25-27) (AH IV,
(AH III, 22, 2) 26, 1 fin) Les quatre évangiles (éd. O. Clément-H. Oltramare), Paris, Folio classiques
n. 3144, 1998 ;
81. La patience de Jésus dans sa passion 93. L’envoi final des disciples
Repris en Le Nouveau Testament, Paris, Folio classiques n. 5393, 2001
(AH III, 18, 6) en mission (AH III, 17, 1)
82. Le pardon de Jésus en croix Les quatre évangiles (trad. I. Le mestre de Sacy), Paris, éd. Grand caractère, 2004
94. Le Verbe fait homme a la primauté
(AH III, 18, 5) en tout, car « tout pouvoir lui a été A. Bastit-Kalinowska, Irénée entre Smyrne et Lyon, Lyon, Fondation St Irénée, 2014
donné » (Mt 28, 18) (AH IV, 20, 2)
83. La foi en celui qui est suspendu Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Paris, Cerf, 2001
(AH IV, 2, 7) Postlude
95. le rayonnement des quatre évangiles Irénée de Lyon, Démonstration de la prédication apostolique, Paris, Cerf, 1995,
84-85. La réalité du corps de Jésus
(AH III, 11, 8) ou autre version en ligne http://www.patristique.org/sites/patristique.org/IMG/pdf/
(AH IV, 33, 2 et AH IV, 35, 3)
Predication.pdf
86-87. La descente aux enfers
(AH V, 31, 1 ; IV, 22, 2) Premiers écrits chrétiens, Paris, Gallimard (La Pléiade), 2016 (reprend plusieurs
écrits d’Irénée et de ses contemporains ou successeurs)
88-89. Souffrance et gloire
(AH III, 19, 2-3) M. Dulaey, Symboles des évangiles (Ier-VIème s.) : Le Christ médecin et thaumaturge,
Paris, Le Livre de poche, Histoire, Série antiquité n. 613, 2007

P.-M. Beaude, Premiers chrétiens, premiers martyrs, Paris, Gallimard (Découvertes


74 n. 189), 1993 75
Fr. Richard-A. Pelletier, Lyon et les origines du christianisme en Occident,
Lyon, 2011

1 Le présent livret ou L’évangile selon Irénée prend la suite de cette présentation de 2014.
Le Christ jeune entouré des quatre évangélistes.
Verre doré (IVème s.), British Museum. Source : British
Museum website, CC BY-NC-SA 4.0.

L’ÉVANGILE SELON IRÉNÉE

De la vie de Jésus, quatre évangélistes privilégiés ont témoigné. Un peu plus d’un
siècle plus tard, le grec Irénée en témoigne à son tour. À l’occasion de l’année dédiée
par le diocèse de Lyon à son grand saint, Agnès Bastit a rassemblé ici une sélection de
95 textes d’Irénée de Lyon d’où émergent, souvent pour la première fois dans l’histoire,
76 des versets et passages d’évangiles. On y observe Jésus, présenté par le plus ancien
théologien chrétien, qui donne à voir son enracinement en Dieu et son attention aux
hommes, sa grandeur, sa générosité, son authenticité et son abaissement.
Un appel, de la part d’Irénée, à apprendre à connaître Jésus et à écouter sa parole, car
« il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire, comme celle d’un Fils unique de
la part de son Père, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14).
Traduction originale

SAINT
IRÉNÉE
2O2O

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