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ISBN 978-2-7288-0422-1

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Jacques Donzelot

Vers une citoyenneté


urbaine ?
La ville et l'égalité des

s chances

Une conférence-débat
de l’Association Emmaüs

28 janvier 2009

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Jacques Donzelot est sociologue. Maître de
conférences en science politique à l’université
Paris X-Nanterre, il mène actuellement des
travaux sur la politique de la ville. Il est
conseiller scientifique au PUCA (Plan Urbanisme
Construction Architecture), centre de recherche
du ministère de l’Équipement, et est reconnu
comme l’un des meilleurs spécialistes des
questions sociales et urbaines. Depuis janvier
2008, il dirige aux PUF la collection « La Ville
en débat ».
Il a notamment publié Quand la ville se défait :
quelle politique face à la crise des banlieues
(Paris, Points Seuil, rééd. 2008).

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Conférence

L'expression de « citoyenneté urbaine »


est apparue la fin du XXe siècle et l'on voit
bien les facteurs qui ont joué en faveur de
sa promotion. Le premier tient, sans doute, à
l'achèvement du processus d'urbanisation
dans les sociétés occidentales et à son accé-
lération dans le reste du monde. La globali-
sation constitue un autre motif de promotion
de cette expression à raison de la valorisation
de la ville comme lieu de convergence des
flux, et cela au détriment de la nation. Ainsi
parle-t-on de « glocalisation ». Les émeutes
urbaines de la fin du XXe siècle traduisent cela
à leur manière, révélant la présence dans la
ville de la diversité culturelle du monde.

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La promotion de cette expression semble


ainsi comme un retour de l'expression de
citoyenneté à ses origines, à la Cité qui fut son
berceau dans la Grèce antique. Son histoire
n'aurait été, depuis lors, qu'un long détour,
la faisant transiter par la nation et son terri-
toire avant qu'elle ne coïncide de nouveau
avec son cadre originel et naturel. Certes, il
n'y va, pour l'heure, que d'une formulation
indéfinie. La citoyenneté reste définie par la
nation et l'État, source de tous les droits.
Mais, s'agissant de droits, on a vu justement
monter le recours à l'expression de « droit à
la ville » pour souligner l'importance prise par la
question de la mixité sociale et pour traiter la
question des sans-abri. Et n'en va-t-il pas
de même pour l'accès à un logement
abordable, aux soins et à toutes les formes
de sécurité civile et sociale dès lors que
la population se trouve regroupée dans les
agglomérations ?
À travers l'importance prise par ces sujets,
on peut donc s'interroger sur la question de
savoir si la ville ne constituerait pas une dimen-
sion nouvelle de la citoyenneté, une figure
émergente de celle-ci. Comment identifier alors

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si cette expression de citoyenneté urbaine


correspond effectivement à une nouvelle
acception de la citoyenneté ? Le meilleur
moyen, pour en décider, consiste à la
confronter aux autres déclinaisons de celle-ci
afin de voir si elle correspond à un contenu qui
excède les définitions strictement associées
aux précédentes. Il existe, à cet égard, un
texte fameux qui peut servir de référence,
celui dans lequel Thomas Humphrey Marshall,
en 1950, a fourni une définition
de la citoyenneté sociale en
démontrant l'ajout de celle-ci par La ville,
rapport aux formulations précé- dimension
dentes, à savoir la citoyenneté nouvelle de la
civile et la citoyenneté politique. Il
y montre comment on passe de citoyenneté ?
l'une à l'autre à proportion de la
découverte des limitations de la précédente,
de la part trop grande de la population qui
se trouve exclue de cette forme d'égalité
déclarée et, à chaque fois, en changeant de siècle.
Le XVIIIe siècle correspond à l'avènement
de la citoyenneté civile, celle qui résulte de
l'égalité face aux tribunaux, du droit de propriété
et de la liberté d'échanger, ainsi que de la

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liberté d'expression. Mais cette égalité laisse


de côté ceux qui n'ont pas de propriété ou qui
ne disposent pas des moyens pratiques de
faire valoir leur opinion.
Compenser cette inégalité
maintenue par la citoyenneté civile
Citoyenneté fut le rôle de la citoyenneté politique,
civile et du combat pour celle-ci durant le
citoyenneté XIXe siècle. Cette nouvelle acception
– politique – de la citoyenneté faisait
politique.
de tous les hommes des individus
également souverains. Mais que
valait cette nouvelle forme politique d'égalité
tant que le droit civil permettait aux plus forts
d'imposer leur volonté aux plus faibles dans
les contrats qu'ils passaient avec eux, puisque
ces derniers, manquant de ressources propres,
se trouvaient à leur merci pour obtenir de quoi
satisfaire leurs besoins les plus élémentaires ?
L'industrialisation fit apparaître la cruauté de
cette situation, à la fin du XIXe siècle, alors que
les crises cycliques de l'économie entraînaient
des licenciements massifs et privaient les
ouvriers de tout revenu. Il en allait de la crédi-
bilité de la citoyenneté politique comme du
respect du droit civil qu'une garantie de pouvoir

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satisfaire ses besoins essentiels fût assurée à


tous les citoyens et à leur famille.
Ainsi s'ouvrit, avec le chantier de
construction de l'État social, celui de l'établis-
sement de la citoyenneté sociale. On assiste
à la proclamation des droits sociaux, ceux
que l'ONU entérinera en déclarant, en 1948,
que « les hommes sont égaux en dignité et en
droits ». La dignité est la garantie donnée à
tout homme de pouvoir satisfaire ses besoins
en matière de nourriture, de logement, d'édu-
cation, et de pouvoir disposer d'un revenu lui
permettant de veiller sur sa famille si, pour des
raisons indépendantes de sa volonté, il ne
peut exercer un emploi. Et l'affirmation de
cette égale dignité des hommes précède
celle de leur égalité en matière de droit civil et
politique. Elle en constitue la condition et
fournit comme le parachèvement de ce long
processus de maturation de la citoyenneté
retracé par T. H. Marshall.
Y a-t-il eu, depuis ce milieu du XXe siècle,
une évolution qui justifie d'ajouter un nouveau
chapitre à ce récit de l'avènement de la
citoyenneté, de le compléter par une nouvelle
déclinaison du type de celle offerte par

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l'expression de citoyenneté urbaine  ? La


nouveauté de la dimension urbaine peut
paraître bien faible si l'on considère que le
cadre de ce récit est déjà, d'un bout à l'autre,
foncièrement urbain. La citoyenneté civile naît
dans les villes marchandes et suit le dévelop-
pement des tribunaux destinés à arbitrer les
litiges autour de ces échanges qu'elles
favorisent. La citoyenneté politique répond à
la revendication du peuple des villes, pauvres
et bourgeois confondus, de voir reconnu son
pouvoir de peser sur l'orientation des gouver-
nements, même si la société toute entière est
appelée à en bénéficier. Quant à la citoyenneté
sociale, elle répond au problème posé par la
concentration croissante de la population
pauvre dans les villes où elle vient rechercher
un emploi et s'y trouve, en temps de crise,
exposée au pire dénuement. Les émeutes, les
grèves, là encore, sont urbaines. Sans doute
les émeutes urbaines de la fin du XXe siècle
présentent-elles pour particularité d'être le fait
de minorités ethniques. Faut-il voir là un effet
de l'urbain ou plus simplement celui d'une
discrimination dont pâtit cette part de la
population – exactement comme les femmes

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ou les homosexuels souffrent aussi


de discriminations de fait, mais Citoyenneté
pour d'autres raisons –, c'est-à- sociale et
dire d'un phénomène d'origine
culturelle ? citoyenneté
Ces discriminations sont urbaine.
apparues dans toute leur ampleur
durant la seconde moitié du XXe siècle. Sur le
fond, elles peuvent sembler de même nature
que les questions sociales antérieurement
reconnues, appellant, pour le coup, seule-
ment un additif à la citoyenneté sociale.
L'enjeu se situerait uniquement dans la
nécessité d'accroître les prérogatives de
l'État social, de lutter contre les menaces
que fait peser sur lui la mondialisation néo-
libérale. Accorder de l'intérêt à la question
urbaine sans voir la question sociale qui fait
retour sous son couvert conduirait à céder à
l'attrait d'une nouveauté factice en détournant
son attention de l'essentiel  : les règles de la
citoyenneté sociale telles qu'elles ont été
gravées dans le marbre au sortir de la Seconde
Guerre mondiale.
Il est toutefois un facteur non évoqué dans
ce type de raisonnement et qui peut justifier une

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prise en compte spécifique de l'urbain dans


l'histoire récente de la citoyenneté. C'est ceci
que, si rien n'est vraiment nouveau dans la
nature urbaine du processus de constitution de
la citoyenneté, notre rapport à l'urbain a changé,
lui, et considérablement, entre le moment où se
trouve posée la question sociale, à la fin du
XIXe siècle, et celui où l'on voit réapparaître les
émeutes urbaines, à la fin du XXe.
À la fin du XIXe siècle, le ton est à la
dénonciation de la ville, de ses méfaits, de sa
capacité à détruire la société par les sortilèges
néfastes de son attraction. La question sociale
se trouve lue à travers le prisme de cette
« urbaphobie » : comment réinventer la société,
la rétablir de manière qu'elle n'offre plus
l'horrible spectacle que les villes
À la fin nous fournissent – cette dégéné-
du XIXe siècle, rescence des individus, cette perte
la question des liens sociaux, ces émeutes ?
La question urbaine précède et
urbaine
révèle la question sociale. C'est
précède bien celle-ci qu'il faut résoudre,
la question mais de façon à éviter cette malé-
sociale. diction pour la société qu'est
devenue la ville.

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À la fin du XXe siècle, la donne semble


bien s'être inversée. Certes, les émeutes
des cités ou des inner cities signalent un
problème social vécu par les habitants et
qui est lié à leurs appartenances ethniques.
Mais, cette fois, c'est la question sociale
qui révèle la question urbaine, et non plus
l'inverse. On parle de ghettoïsation ; on
découvre les barrières qui bornent l'avenir
de cette population, barrières d'autant plus
puissantes qu'elles segmentent la ville de
manière invisible et en ruinent la vocation à
rapprocher ses habitants. La ville ne joue
plus le rôle de coupable mais de victime ;
mieux, de remède, car il suffirait, pense-t-on
maintenant, de réussir à rétablir le pouvoir
de la ville, sa vocation, pour conjurer ces
séparations. Il faut prendre appui sur la ville
pour faire société, réapprendre le « vivre
ensemble » – selon la formule française
préférée. Nous ne baignons plus, à présent,
dans un climat d'urbaphobie, mais dans
une « urbaphilie » telle que la ville, son
renouveau, peut apparaître comme la réponse
à tous les problèmes – sociaux, économiques,
écologiques.

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Partant du constat de cette inversion de


notre rapport à la ville au cours du siècle
dernier, je voudrais proposer une lecture de
l'évolution du concept de citoyenneté qui
permette de tester l'hypothèse d'un passage
de la citoyenneté sociale à une citoyenneté
urbaine. Il s'agira, d'abord, de voir comment
l'espace urbain construit au nom
Notre rapport de la citoyenneté sociale s'est
nourri de l'urbaphobie propre à
à la ville l'ère de l'industrialisation, relevant
s'est inversé. d'un modèle d'urbanisation
aujourd'hui obsolète. On tentera
ensuite d'examiner dans quelle mesure
l'urbaphilie, actuellement prédominante,
conduit à penser la société mais aussi la
citoyenneté en fonction des vertus supposées
de la ville  : le nouveau modèle de politique
urbaine renvoie plus ou moins explicitement à
l'idée d'un passage de la question sociale à la
question spatiale, et le concept de citoyen-
neté prend désormais la forme d'une valorisation
de l'urbain et non plus de sa dénonciation.

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Le Modèle de la cité sociale

Pour comprendre la philosophie de la vie


en société dans les cités qui se construisent
en Europe à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, il faut effectivement partir du climat
d'urbaphobie dans lequel elles ont vu le jour
et du rôle que celui-ci a joué dans la genèse
de leur formule matricielle  : la fameuse cité-
jardin d'Ebenezer Howard. Si les options
varient quelque peu selon les nations, elles
partagent toutes le souci de conjurer les trois
grands méfaits attribués à la ville.
Contre le premier, la dégénérescence
physique et morale des individus dans les
villes en raison de l'entassement qu'ils y
subissent, la cité déploie toutes les ressources
permettant de favoriser la vie familiale au
détriment de la rue et de la centralité. Contre
le deuxième, la perte du lien social du fait des
frustrations engendrées par le spectacle de
l'inégalité des conditions, la cité va aider à
rapprocher les différentes catégories sociales
en bornant l'importance des inégalités de
conditions à travers une même formule d'habi-
tation. Enfin, pour contenir la propension à

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l'émeute de la classe ouvrière qui se trouve à


la merci des patrons à l'usine et des proprié-
taires à la ville, et dont la fureur se trouve ainsi
redoublée, la cité va fournir un principe de
transaction par la séparation fonctionnelle des
espaces d'habitation et de production, par
une offre d'habitation confortable pour les
salariés située à distance de la ville comme
des manufactures. De sorte qu'ils échappent
au regard des patrons et à la rapacité des
propriétaires, et cela sans menacer l'ordre
public par l'émeute ni la régularité du travail
par une instabilité dans l'emploi qui diminue
à raison de l'éloignement de la ville et des
divertissements qu'elle procure.
À partir de cette restitution des traits
originels de la cité sociale, on pourra déduire
l'esprit de cette citoyenneté sociale qui se
trouve promue avec elle.

L'urbaphobie et la cité-jardin
Durant le XIXe siècle, on assiste à une
montée régulière de la dénonciation des
méfaits de la ville. Tout se passe comme si elle
incarnait la malédiction de Dieu, la punition
infligée à l'homme parce qu'il s'est écarté de

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sa destinée. Ceux qui propagent cette critique


ne sont pourtant pas des croyants, c'est
parfois même tout le contraire : des esprits
positifs, sinon positivistes, des médecins,
des observateurs scientifiques, des romanciers,
des critiques d'art. Mais la force de leurs
descriptions va nourrir ceux qui dénoncent le
cours de l'histoire. En premier lieu, les réac-
tionnaires, qui veulent la freiner, voire revenir
en arrière, et qui trouvent dans ces peintures
effroyables, savantes ou littéraires, matières
à justifier l'idée qu'il faut en finir avec ces
errements pour retrouver l'harmonie de la
société, que l'homme doit éviter les artifices
de la ville et renouer avec la vérité de la
nature. D'autre part, les révolutionnaires, qui
veulent, tout au contraire, accélérer l'histoire
et qui s'appuient sur le spectacle affligeant
offert par la société urbaine, sur la misère qui
s'y révèle, pour démontrer la nécessité d'en
sortir. Tout est bien affaire de sens de l'histoire
alors que la ville constitue manifestement une
impasse. Quelle voie faut-il choisir ? Celle du
retour en arrière ou celle du futur ? Pourquoi
ne pas cumuler les avantages de ces deux
formes de dénonciation de la ville ? Avec le

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modèle de la cité-jardin, c'est cette « troisième


voie » qui l'emportera.
Les médecins hygiénistes décrivent la
ville comme un espace propice à la maladie et
au crime. Les grandes épidémies, comme le
choléra de 1832, se révèlent particulièrement
graves dans l'espace urbain, notamment dans
ses parties les plus pauvres où les
La ville, habitants vivent dans les pires
conditions d'entassement. L'art
lieu de tous
des « Topographies physique et
les maux. morale » se développe dans la
première moitié du XIXe siècle et
sert immanquablement à démontrer l'intensité
des maladies et du crime dans les quartiers où
habitent les ouvriers attirés par les emplois qui
se créent dans les ateliers installés dans les
centres urbains. Avec la théorie de la dégéné-
rescence élaborée par Bénédict-Augustin
Morel en 1857, le discours des hygiénistes
prend un tour plus alarmiste. Il ne s'agirait pas
seulement d'une plus grande fréquence des
affections physiques et des infractions à la loi,
mais d'un processus de disparition des capa-
cités physiques et morales, d'une régression
vers un niveau antérieur, celui de l'habitant

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des grottes obscures de l'âge préhistorique.


La comparaison incessante entre ces grottes
et les caves où vivent et travaillent les ouvriers
montre que ce n'est pas là une simple
image.
La formule n'eut vraiment de traduction
légale qu'au bénéfice des mineurs délinquants.
Charles Lucas, inspecteur de l'administration
pénitentiaire et grand philanthrope, avait
déjà inspiré, en 1838, le vote d'une loi
entraînant la construction d'une cinquantaine
de colonies agricoles à destination des jeunes
vagabonds errant dans les villes. « Il faut,
disait-il, sauver le colon par la terre et la
terre par le colon. » Plutôt que mettre ces
jeunes en prison, on pouvait opérer leur
salut en les renvoyant à la campagne où
l'ordre de la nature, la splendeur impression-
nante des grandes futaies remplaceraient
avantageusement l'épaisseur des murs car-
céraux. La formule valut tout autant, sous la
Troisième République, pour les enfants de
l'Assistance publique, qui fit sienne cette
doctrine des bienfaits thérapeutiques de la
nature en plaçant tous les mineurs dont elle
avait la charge dans des familles à la campagne.

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Là aussi, elle pensait faire d'une pierre deux


coups : sauver des enfants corrompus par la
ville et combler les vides laissés par l'exode
rural. Bref, tous les partisans de l'ordre,
monarchistes, bonapartistes ou républicains,
font, chacun à son tour, valoir les avantages
de la campagne face aux périls engendrés par
la ville.
Quant à ceux qui appellent à la naissance
d'un nouveau monde sur les décombres du
capitalisme honni, ils l'imaginent sous les
traits d'une cité offrant tous les avantages
d'une harmonie sociale enfin établie selon des
principes conformes à une nature humaine
libérée du joug des seigneurs et des mar-
chands. Les faiseurs de projets de société
fleurissent tout au long du siècle à la mesure
des tourments qui affectent les rapports
sociaux dans les villes. Les utopistes sont
peut-être des urbanistes en herbe, comme le
suggère Françoise Choay* . Mais la ville n'est
pas leur objet premier. Ils ne la pensent pas

* F. Choay, Urbanisme, utopies et réalité, Paris, Le


Seuil, 1965.

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comme un processus qu'il conviendrait


d'analyser et de corriger. La société seule
constitue vraiment leur visée. Les cités dont
rêvent Charles Fourier, Étienne Cabet ou
Richard Owen ne sont pas des villes mais des
sociétés idéales. Les établissements et leur
disposition dans les cités qu'ils inventent
n'ont pas d'autre raison d'être que de servir à
illustrer leur vision de la société. Comme les
partisans du retour à la campagne,
ils cherchent une alternative à la Le rêve de la
ville sans se soucier de l'améliorer,
citée idéale.
mais dans un ailleurs imaginaire
plutôt que dans un avant idéalisé.
C'est l'anglais Ebenezer Howard qui va
réunir ces deux thèmes alimentés par l'urba-
phobie du XIXe siècle : l'idéalisation de la
campagne et la cité utopiste. Son ouvrage sur
la cité-jardin, publié en 1898, connaît aussitôt
un énorme succès. Pourquoi, après tant de
fascicules annonçant le remède enfin trouvé
à tous les maux de la société ? Outre qu'il
concilie les tentations contraires qui se
disputent l'imaginaire des esprits réforma-
teurs, il démontre de façon réaliste le bénéfice
que l'on pourra trouver à réunir ces deux rêveries

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politiquement antagoniques. Son argument


repose sur la fameuse théorie des trois
aimants, dont la grande force consiste à
entériner l'attractivité de la ville et à chercher à
la dépasser plutôt qu'à la combattre. La ville
constitue, dit-il, un aimant plus fort que la
campagne, même si cette dernière dispose
aussi d'une faculté d’attraction. Quelle force
peut alors l'emporter ? Aucune, sinon la
combinaison des deux aimants, ville et cam-
pagne, cité et jardin ! Cette cité idéale, à la
différence des cités utopistes, se trouve
connectée avec cette alternative à la ville que
constitue la campagne – une ceinture de
verdure destinée à alimenter ses habitants,
d'une taille calculée suivant leurs besoins et
leur nombre, lequel ne doit pas excéder une
trentaine de milliers. Une fois atteint ce chiffre,
les individus attirés par ce super-aimant sont
priés d'aller construire une cité équivalente.
Comment, concrètement, construire une
telle cité ? C’est peut-être là dans le dispositif
d'action, dans l'art de rendre crédible et
surtout praticable son modèle, que réside la
plus grande ingéniosité de la formule de
Howard. Son astuce consiste à déjouer les

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méfaits du marché… pour mieux s'en servir.


Achetez, dit-il, à travers une coopérative un
terrain assez éloigné d'une grande ville pour
qu'il ne vaille par cher, mais assez vaste pour
que vous puissiez y construire un nombre
défini de bâtiments. Commencez à les
construire en respectant un plan qui profile la
cité à venir. Cette perspective va faire venir
des habitants et augmenter d'autant la valeur
du terrain. La contribution des nouveaux
venus en termes de loyer, ou plutôt – coopé-
ratisme oblige – d'impôt local, leur paraîtra
moindre que celle qu'ils devraient donner
pour habiter un logement plus petit dans une
ville surpeuplée. Et cet argent servira à financer
les services dont tous ont besoin en calculant
leur importance en fonction d'un nombre
défini de destinataires.
Anticiper sur le foncier pour fournir un
logement confortable à un prix abordable, et
de surcroît dans un cadre agréable parce que
végétal : toute l'idée de la cité sociale se
trouve bien là.

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Un art anti-urbain de la construction


sociale
Il s'écoule tout de même un demi-siècle
entre la parution de l'ouvrage de Howard sur
la cité-jardin et le moment où la cité sociale
atteint sa forme achevée, dans les grands
ensembles en France, par exemple. Un demi-
siècle pendant lequel l'idée initiale se décante
pour mieux se réaliser, ou bien se trouve en
quelque sorte trahie ? Il faut distinguer entre
ce qui disparaît, ce qui se trouve accentué et
ce qui persiste – le ressort constitutif de la
formule.
Ce qui disparaît, c'est la part de rêverie
sociétale, cette prétention de réunir en un seul
lieu ceint de verdure, non seulement toutes les
composantes de la société mais tous les
services. Elle disparaît parce qu'elle n'est tout
bonnement pas réalisable, parce que l'on
peut attirer des habitants avec la promesse
d'un habitat agréable et relativement peu
onéreux, mais non contraindre les entreprises
à les suivre car leur logique de localisation
obéit à d'autres motivations (la proximité
d'axes de transport). En outre, le problème
qui se pose de façon urgente est celui du

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logement. Celui de refaire le monde peut


attendre. Les fonds publics disponibles arrivent
d'autant plus que progresse l'art de la
construction bon marché, qui permet de
redoubler les bénéfices escomptables de la
stratégie d'anticipation sur le foncier. En
France, justement, la technique du préfabriqué
permettant d'édifier les tours et les barres est
appliquée, pour la première fois, dans une
cité-jardin construite juste avant la Seconde
Guerre mondiale – celle de la Muette à Drancy.
Le même architecte, Beaudoin, construira le
premier grand ensemble en 1950, la cité
Rotterdam à Strasbourg.
Ce qui reste, ou plutôt apparaît plus
nettement encore, une fois disparue la rêverie
sociétale et accrus les moyens de la
construction, c'est la motivation anti-urbaine
du plan de Howard, la volonté de fuir les
dangers de la ville, non seulement par la
proximité de la campagne mais par la
conception de la cité.
L'entassement constitue le danger le
plus notoire, que la cité doit permettre de
conjurer. Le grand promoteur des cités-jardins
en France, Henri Sellier, raisonne en architecte

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hygiéniste. Il calcule le volume d'air nécessaire


par habitant pour faire baisser les statistiques
des maladies et du crime. Le logement doit se
retrouver au centre de la cité, alors qu'en ville
il n'occupait que les espaces résiduels entre
les monuments, les églises, les édifices
publics, les hôtels particuliers. Dans la cité, les
seuls bâtiments qui se donnent à voir sont
dédiés au logement. C'est à peine si l'on
aperçoit, au pied des tours et des barres, les
bâtiments des services, les écoles et les centres
sociaux.
Le deuxième péril, celui de la rue, ne peut
être conjuré qu'en la faisant disparaître, grâce
à une conception purement intercalaire des
espaces intermédiaires. Seuls d'étroits chemins
de passage relient à chaque bâtiment les lieux
de départ et d'arrivée dans la cité, et l'entrée
des bâtiments n'est jamais de plain-pied.
Parking ou espace vert, le dehors ne paraît
pas propice aux rencontres de la
vie extérieure : on ne fait que passer.
L'ancrage dans
L'essentiel est d'arriver au plus
le territoire vite dans le logement où s'établit
national. le vrai rapport entre le dehors et le
dedans, le seul qui préserve de la

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contagion des maladies physiques et morales :


la lumière du soleil pénétrant dans chaque
appartement, et le regard sur la nature à travers
la fenêtre apaisant les tourments inutiles.
Reste le dernier péril, celui de la ville tout
simplement, des tentations qu'elle procure,
de l'attrait de sa centralité. À cet égard, la
riposte est d'envergure puisqu'elle consiste à
construire en référence à un autre espace :
celui du territoire de la nation. La cité sociale
est une construction de l'État. Chaque espace
renvoie aux autres espaces de même type par
la similitude de ses formes, beaucoup plus
qu'à la ville adjacente qui varie, elle, en image
et en importance. Le territoire national fournit
un autre référent : il est, historiquement,
l'étendue sur laquelle s'exerce l'autorité de
l'État. La ville, on le sait, s'est développée au
Moyen Âge grâce aux privilèges qui lui assu-
raient une certaine autonomie par rapport à
cette autorité. Son attractivité emprunte
depuis à cette liberté. En créant le monde
uniforme des cités, l'État a réaffirmé son
autorité contre la ville. La cité n'est pas
urbaine mais sociale, comme l'État.

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La mixité par l'uniformisation de l'habitat


Le sujet de la mixité sociale n'est pas
traité explicitement dans la cité-jardin de
Howard. Son projet est plus vaste. Il veut
réunir les différentes classes sociales selon un
même principe organisationnel, la coopérative
– tous se trouvant ainsi copropriétaires d'un
ensemble qui dépasse l'habitat puisqu'il
concerne toute la vie sociale et économique.
Mais comment faire en sorte que les membres
de classes sociales différentes vivent ensemble
dans la plus grande harmonie ?
L'histoire de la première cité-jardin,
construite par l'architecte Unwin sous la
houlette de Howard lui-même, à Lechworth,
dans la banlieue de Londres, joua le rôle de
révélateur de la difficulté de la question. Les
premières habitations construites dans cette
cité pionnière trouvèrent vite preneurs. Il
s'agissait surtout de bourgeois attirés par
l'originalité du projet et soucieux de faire
prévaloir ainsi la leur (croyances religieuses
particulières, végétarianisme…) – des bobos,
dirait-on aujourd'hui. Une entreprise s'installa
bien dans la cité, mais ses ouvriers ne purent
y loger, faute de revenus suffisants ou réguliers.

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Ils habitaient dans des taudis de Londres d'où


ils gagnaient Lechworth à bicyclette…
L'événement fut suffisamment marquant pour
alimenter le débat parmi les partisans de la
cité-jardin. Fallait-il loger les classes populaires
et les classes moyennes séparément ou dans
les mêmes résidences ? Pouvait-on les dis-
tinguer et néanmoins obtenir que tous se
perçoivent comme des membres à part
entière de la cité ?
La réponse vint, en France, de la recherche
de critères d'attribution des logements dans
les cités-jardins construites par Sellier, et du
rôle qu'y jouèrent les assistantes sociales. La
condition sociale a quelque chose de subjectif
eu égard à la composition de la famille et de
son revenu : une famille nombreuse dont le
père est membre de la classe moyenne ne
disposera pas des mêmes moyens pour
chacun de ses membres qu'un couple
d'ouvriers avec un seul enfant, et aura le
même besoin d'espace pour se loger. Il fallait
donc prendre en compte la seule réalité
objective de la famille. Cette solution fut rete-
nue par la suite, lorsque commença la
construction des HLM, destinés, comme leur

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nom l'indique, non aux classes défavorisées


mais à l'homme moyen et, en fait, à presque
tous les salariés, « de l'OS à l’ingénieur »
selon la formule d'alors. Ainsi pouvait-on
escompter mettre fin à la haine sociale. Loger
tous les salariés à la même enseigne réduisait
d'autant la prétention des uns et l'humiliation
des autres.

La technique du compromis central


Mettre l'accent sur la fonction d'habitation
en la distinguant de la fonction de production
fut aussi et surtout le moyen de justifier l'inter-
vention de l'État en la matière, de compenser
les difficultés des patrons dans ce domaine
tout en ménageant la susceptibilité des
ouvriers et des partis de gauche.
La confusion des fonctions d'entrepreneur
et de logeur avait été de mise durant le XIXe
siècle, avant de révéler les limites de la formule
paternaliste de la cité ouvrière. En même
temps que diminuait la motivation des entre-
preneurs à investir dans ce domaine, à
immobiliser des sommes importantes sur
une longue durée avant de recevoir le retour
escomptable de cet investissement, la formule

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faisait l'objet d'une dénonciation croissante


de la part des socialistes à la fin du siècle.
Jules Guesde fut le plus ardent dénonciateur
de ces « ghettos ouvriers », de ces lieux de
« relégation » où l'on confinait les ouvriers
pour mieux pouvoir les surveiller, voire les
massacrer à coups de canon.
La séparation des fonctions de travail et
d'habitation l'emporta progressivement car
elle donnait satisfaction aux deux parties. Elle
convenait aux patrons en faisant reposer sur
l'État le poids de l'investissement foncier,
poids réduit par son aptitude à anticiper sur le
foncier à travers la maîtrise du territoire, et en
permettant de stabiliser les ouvriers
à distance de la ville dans des
logements dont le coût peu élevé Une formule
ne se répercuterait pas sur les satisfaisante
salaires. Elle permettait tout autant
pour patrons
de répondre aux attentes des
ouvriers en leur fournissant le loge- et ouvriers.
ment confortable auquel ils aspiraient,
mais loin du regard patronal.
L'État ne considère que des fonctions. Il
les extrait en quelque sorte de la société où
elles peuvent se trouver associées à des

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conflits ou des contradictions, et les gère à


travers des administrations distinctes. Cette
stratégie technocratique guide l'aménagement
du territoire, le dosage entre zones industrielles
et zones urbaines. On la retrouve également à
l'œuvre dans la séparation entre la fonction de
protection sociale des travailleurs et celle de
rentabilité économique des investissements.
Ou encore, entre la fonction de répression et
celle de prévention sociale de la délinquance
selon le modèle du penal welfarism si bien
décrit par David Garland* . La répression est le
moyen d'une prévention désignée comme la
finalité. La même disposition progressiste se
profile à travers la commande centralisée et
technocratique des relations entre les fonctions
de protection et de rentabilité, de production
et d'habitation dans la cité sociale : celle d'un
avenir radieux où les contraintes du rende-
ment auront apporté assez de fruit pour que la
protection s'améliore et que la durée du travail
diminue, permettant une existence toujours
plus épanouie dans la cité sociale.

* D. Garland, The Culture of Control : Crime and Social


Order in Contemporary Society, New York, Oxford University
Press, 2001.

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L'homme nouveau de la cité sociale


Dans quelle mesure cette généalogie de
la cité sociale nous permet-elle d'éclairer le
concept de citoyenneté sociale ? La citoyenneté
sociale repose d'abord sur le principe du droit
universel, c'est-à-dire de l'égal accès de tous
aux mêmes biens nécessaires, à la satisfaction
de leurs besoins élémentaires et donc à leur
égale dignité. Le logement dans la cité sociale
constitue une parfaite illustration de ce droit.
Ne le trouve-t-on pas à l’identique sur tout le
territoire ? Il incarne la revanche de l'État sur la
ville, procurant à tous les habitants cette
dignité qu'elle avait tant bafouée.
Autre trait caractéristique de la citoyenneté
sociale, l'accent mis sur la vocation de l'État
social à réduire les inégalités. Satisfaire les
besoins élémentaires de tous ne suffit pas à
garantir une véritable citoyenneté si l'hérédité
procure toujours la même supériorité à ceux
qui sont « bien nés ». Aussi, le rôle des politiques
de redistribution est-il d'œuvrer à une réduction
de l'importance des classes sociales. La mixité
sociale par uniformisation de l'habitat fournit
une illustration radicale de cet objectif. Les
premiers sociologues urbains qui se sont penchés

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sur les habitants des grands ensembles y ont


vu ou cru voir un cadre efficace pour produire
un « homme nouveau », un espace capable
d'« éradiquer les conditionnements sociaux »
qui entretiennent les inégalités. Comment ? En
« faisant jouer des pressions contradictoires ».
Celles qui poussent certains, au contact
d'autres plus avantagés, à rechercher une
position plus élevée. Mais aussi certains autres,
les mieux lotis, « à ne pas trop se distinguer et
à simplifier leur genre de vie* ». Si la condition
salariale fait de l'autre un semblable, l'unifor-
misation de l'habitat procure, de surcroît, la
faculté de rendre cette similarité efficace,
d'induire des comportements propres à
arracher l'individu aux prétentions ou aux
inhibitions que sa naissance pourrait lui procurer.
La citoyenneté sociale n'est pourtant
pas le socialisme entendu comme le rêve
marxiste d'une abolition des classes sociales.
T. H. Marshall la définit comme le fruit d'une
orientation social-démocrate qui réduit au

* Henri Chombart de Lauwe, Des hommes et des villes,


Paris, Payot, 1964.

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maximum le rôle des classes sociales sans


les supprimer, sans prétendre en finir avec
« l'opposition irréductible » entre les droits
civils des entrepreneurs et les droits industriels
des salariés. Seulement, l'orientation progres-
siste de l'État social l'amène à séparer, autant
que possible, les combattants, à rechercher la
complémentarité des fonctions derrière la
dureté des antagonismes, par la formule des
compromis centraux. L'urbanisme fonctionnel
avec son zonage constitue l'emprise spatiale
de cette gestion centrale, une emprise qui
impose à l'urbain de séparer sur le terrain ce
qu'il n'unifiera qu'en lui-même, selon un ordre
de priorité défini comme l'intérêt général dont
il se déclare être le seul dépositaire.
Vue dans le reflet qu'en renvoie la cité
sociale, la citoyenneté manifeste le triomphe
de l'État sur la ville. Il oppose en effet l'univer-
salité de son droit – le logement social – aux
attractions variables la ville, l'uniformité de son
mode d‘habitat aux frictions et à la perte du
lien social qu‘elle entraîne, la séparation des
fonctions par l‘urbanisme aux antagonismes
qu‘elle ne peut que favoriser.

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Le modèle de la renaissance urbaine

À la fin du XXe siècle, la question urbaine


fait retour à travers les désordres affectant
précisément les cités sociales à la périphérie
immédiate des villes, comme en France, ou
les vieux centres industriels, comme en
Grande-Bretagne. À travers l'étalement urbain,
l'installation de ceux qui travaillent en ville
dans les villages environnants se fait au
détriment de la beauté des paysages comme
de la pureté du climat. Mais, cette fois, la ville
ne fait plus figure d'accusée. Elle est ce qui
se perd et qu'il faut retrouver pour sauver
justement la société de ses tendances à
l'éclatement. Pour redonner corps à la société,
il faut faire droit à la ville, revaloriser les formes
urbaines que l'on avait tant stigmatisées au
moment de l'édification de la cité sociale.
L'uniformisation de l'habitat n'est plus de mise
tant il apparaît maintenant synonyme de
ségrégation. Pour réaliser la mixité sociale, il
faut au contraire jouer la carte de la diversité.
Quant à l'urbanisme fonctionnel, cette projec-
tion territoriale de l'État technocratique, il se
voit disqualifié au nom des séparations qu'il

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maintient entre la population et les opportunités


d'emploi, en raison aussi de ses conséquences
négatives pour la sécurité des lieux. Plutôt que
de séparer les fonctions, mieux vaut confron-
ter les entrepreneurs, les prestataires de ser-
vice et les habitants, de façon qu'ils établissent
entre eux, localement, les meilleures conditions
d'adaptation. Ce renversement du rapport à la
ville profile les traits d'une citoyenneté urbaine
propre à compenser les insuffisances de sa
définition sociale.

La nouvelle question urbaine ou l'amour


retrouvé des villes
La ville attirait dangereusement les pauvres
par ses lumières et la promesse d'emplois
plus lucratifs qu'à la campagne. À cette
déploration, qui a duré tout le XIXe siècle et une
partie du XXe, en succède une autre, rigoureu-
sement inverse : celle du départ des classes
moyennes hors des cités, de leur « évasion »
dans le périurbain, de leur recherche de la
nature au détriment de la ville, d'une nature
idéalisée, assurément illusoire, mais leur per-
mettant surtout d'éviter la proximité de ceux
qu'ils ne veulent plus fréquenter ni même voir,

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les pauvres et les minorités ethniques. Ce


refus va de pair avec une séparation de chaque
catégorie en fonction de son niveau de revenu.
Car les lotissements du périurbain offrent à
chacun pour voisin quelqu'un qui dispose de
revenus identiques. Pour les autres, le prix du
foncier produira, à peu près, les mêmes effets
de rapprochement et/ou d'éloignement. La
périurbanisation s'accompagne donc d'une
dispersion sociale dans un espace qui ne
cesse de s'élargir selon un schéma dit « en
doigts de gant » dans la mesure où il suit les
directions favorisées par les voies de circulation
autour des villes, aussi loin d'elles que le
permettent les nouveaux modes de dépla-
cement. À la crainte de l'entassement succède
celle de la perte de densité et des méfaits
consécutifs à cet étalement : la difficulté de
fournir des services situés à une distance
convenable de chacun, l'accroissement des
transports et de leur coût pour les individus,
mais aussi leur nocivité sur le plan écologique
pour la collectivité.
Les émeutes qui surgissent à partir des
années 1980 dans les cités de la périphérie
immédiate des villes et dans les quartiers

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populaires des vieux centres urbains rappellent


celles du XIXe siècle. Sauf que cette fois, ce
n'est plus la question urbaine qui joue le rôle
de révélateur de la question sociale, mais
l'inverse. Les questions sociales que posent
les émeutes urbaines sont justement urbaines
en ceci qu'elles donnent à voir et
à entendre la séparation sociale
produite par ce redéploiement de Le problème
la population au-delà de la ville. de la
Elles démontrent l'existence des ségrégation
barrières invisibles qui se sont
installées entre les habitants des spatiale.
cités et les populations alentours,
les enfermant dans une logique de ghetto
aussi bien par un rejet du dehors que par un
repli sur le dedans. De manière plus générale,
ces émeutes urbaines donnent à voir l'effet
d'une nouvelle inégalité – spatiale plus que
sociale. Si les politiques de redistribution de
l'État social conduisent bien à réduire les
inégalités de revenu moyen entre les régions,
on assiste à une déconnexion, au plan local,
entre les opportunités d'emploi et les popula-
tions pauvres. Le problème n'est plus dans le
rapport de force social mais dans l'évitement

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spatial. « La ségrégation spatiale (qu'elle soit


le fait des ménages ou des entreprises) joue
dans l'évitement du conflit social, le rôle de
mise à distance qu'ont eu les armes à feu
quand on les a introduites sur les champs de
bataille… Le conflit entre le pauvre et le riche
ne se règle plus sur le terrain social. Il s'enlise
désormais par la mise à distance des prota-
gonistes*. » À la « ségrégation associée » de
l'exploitation du pauvre par les capitalistes
hier, succède la « ségrégation dissociée »
dans les villes actuelles.
Il faut faire renaître la ville : tous les
experts le disent avec le même entrain que
leurs prédécesseurs avaient mis à la
condamner au XIXe siècle. Certains le font plus
méthodiquement que d'autres, comme
l'équipe réunie à la demande de Tony Blair
autour de Richard Rodgers, qui lui a remis
un rapport intitulé Towards an Urban
Renaissance (1999), devenu une référence
dans le reste de l'Europe. Un siècle après le

* Laurent Davezies, in Le Territoire, instrument providentiel


de l'État social, revue Liens social et Politiques, n° 52,
automne 2004, p. 48.

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livre de Howard sur la cité-jardin, il donne la


mesure du renversement qui s'est opéré au
sein de la nation britannique dans le rapport à
la ville, dans la recherche d'une solution non
plus à la ville mais par la ville. Pour résoudre
les problèmes d'exclusion sociale, de déclin
industriel et de menaces écologiques auxquels
la Grande-Bretagne se trouve confrontée, il
ne faut rien moins, selon les auteurs du rapport,
qu'une « renaissance urbaine ». Il est néces-
saire de redonner aux gens l'envie de vivre en
ville et donc de faire valoir auprès d'eux ses
avantages.

La revalorisation des formes urbaines


« La ville se meurt, vive la ville » : l'incan-
tation se mêle au constat depuis une trentaine
d'années dans l'ensemble des pays européens.
Renversant totalement le processus de
constitution de la cité sociale, on prend même
celle-ci comme contre-modèle pour penser
les avantages qu'il convient de redonner à la
ville.
De tous les vocables porteurs des valeurs
de la ville, celui de quartier est sans doute le
premier à faire retour, notamment en France.

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Les débuts de la politique dite « de la ville »


procèdent explicitement à la réhabilitation de
cette notion. La dégradation des bâtiments ne
serait que le signe du renoncement à faire
valoir le quartier, la preuve que renvoyer les
gens dans le seul espace de leur appartement
les conduit à considérer comme insignifiant
l'espace environnant, y compris leurs
immeubles. Le premier programme
La réhabilitation de cette politique, lancé en 1977,
du « quartier ». s'intitule « Habitat et vie sociale ».
On ne peut mieux dire la nécessité
de réarticuler ces deux besoins, à
savoir le logement et les relations qui s'instal-
lent entre voisins à la faveur d'une certaine
pérennité dans un lieu, de l'appropriation de
celui-ci et de l'acquisition d'une identité
commune à travers lui, par le biais du quartier.
Le mot lui-même se trouve ressuscité en 1983
avec le programme « Développement social
des quartiers » qui cherche, par le retour
explicite à ce terme, à conférer une dimension
positive à des lieux devenus synonymes
d'ennui et de ségrégation.
De la rue aussi, on redécouvre les mérites.
La politique dite de «  résidentialisation »

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s'inscrit dans cette perspective. En délimitant


nettement, par des murs au besoin, l'espace
environnant d’un ou plusieurs bâtiments, en
patrimonialisant ceux-ci, on fait apparaître le
dehors comme un espace public placé sous
le regard de chacun. Mais l'attrait de la rue
provient pour l'essentiel des commerces qui
offrent leur devanture au regard des passants.
Cette offre procure un « bien être » dans la
rue, dont on redécouvre les bénéfices en
termes de sécurité mais aussi d'« ambiance
urbaine », selon une expression en vogue
pour la réfection des cités comme pour
l'aménagement des vieux centres en déclin
ou même des gares. Particulièrement honni
au XIXe siècle par les observateurs sociaux qui
voyaient en lui la cause de tous les maux,
le café devient maintenant le symbole positif
de la vie urbaine. Sa formule lounge invite à
la décontraction grâce à ses lumières tamisées
et à son fond musical, remplaçant le bistrot
populaire trop bruyant ou la boîte de nuit mal
famée. Le café lounge symbolise la ville, mais
une ville libérée des excès d'autrefois.
De cette ville retrouvée témoigne la mode
du new urbanism, née aux États-Unis au

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début des années 1980, puis exportée en


Europe d'autant plus aisément qu'elle valorise
le charme de ses vieilles villes. Aux États-Unis,
ce nouvel urbanisme s'emploie à faire revenir
dans les villes les habitants des suburbs ou
à leur vendre, sur place, les ingrédients
constitutifs de la ville : rues, places, cafés. En
Europe, cette revalorisation du design urbain
se traduit par la récupération des places
centrales contre les voitures qui y station-
naient grâce à la construction de parkings
souterrains. Ainsi libérés, ces espaces devien-
nent propices à la tenue d'« événements »
culturels, auxquels les nouveaux tramways
permettent aux habitants de la périphérie
d'accéder rapidement. La ville-tram est aussi
celle de la bicyclette, autre moyen de recon-
quête du territoire de la ville par ses habitants
contre les effets dévastateurs de la circulation
automobile sur l'ambiance urbaine.

La mixité sociale par la diversification de


l'habitat
Cette manière de rechercher la mixité a
commencé, en France, avec la Loi d'orien-
tation pour la ville (LOV) qui, en 1991, a fait

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obligation à toutes les communes situées


dans de grandes agglomérations d'offrir a
minima un pourcentage défini de logement
sociaux (20 %). Considérée comme une
manière de faire « droit à la ville » pour les
populations défavorisées et jusque là canton-
nées dans les cités périphériques, cette loi
met fin à l'opposition de la cité sociale et de la
ville, considérée comme le lieu où il faut habiter
pour disposer des mêmes avantages que les
autres classes sociales. Bénéfice dont les
cités sociales vont profiter à leur tour avec la
loi dite de « rénovation urbaine » de 2003,
qui incite les élus locaux à engager des
opérations de démolition d'une partie des
immeubles des cités et à rendre possibles
d'autres constructions susceptibles de convenir
aux classes moyennes qu'on espère y attirer,
dans le but de recréer la mixité sociale qui
avait disparu.
Le but visé par cette mixité change
également. À travers la diversité de l'habitat,
on veut mettre l'accent sur la mobilité sociale,
la stimulation que chacun reçoit en vue d'amé-
liorer sa position. La promotion sociale peut
ainsi se traduire par un changement de lieu,

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ou bien, sur place, grâce à la mutabilité


accentuée du statut des habitations – de la
location à la copropriété ou à la propriété
individuelle. La mixité sociale n'est plus une
manière de contenir les ambitions individuelles
mais de les libérer, dès lors qu'elle s'appuie
sur la diversité de l'habitat.

La stratégie des partenariats locaux


Les grandes manufactures installées
durablement dans un lieu ont désormais
disparu. Les firmes font montre d'une grande
latitude dans leur choix de localisation… et de
délocalisation. Et la main-d'œuvre s'adapte à
cette mobilité à proportion de ses moyens et
de ses compétences. Des régions urbaines
qui déclinent parce qu'elles n'offrent pas
suffisamment d'attraits pour les entrepreneurs
dans le cadre d'une économie globalisée, des
quartiers qui se trouvent déconnectés des
opportunités de la ville parce que leurs habi-
tants s'en trouvent comme rejetés et s'adaptent
à ce refus en recourant aux trafics illégaux :
voilà une nouvelle donne que l'État ne peut
modifier avec la même superbe que lorsqu'il
aménageait le territoire comme sien. Même

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par temps de crise économique déclarée au


plan mondial, il peut seulement se faire incitatif,
favoriser des régions et des quartiers défavo-
risés, sans oublier que l'intérêt de la nation
consiste à pousser les villes plus avantagées
dans la compétition mondiale. L'État doit
donc prendre appui sur les acteurs locaux, les
inciter à se montrer attractifs, à s'unir pour
accroître leurs forces dans le cours
nouveau de l'économie. Incitation aux
Les élus locaux sont les entreprises et
premiers destinataires de ce
discours de l'État qui les incite à la implication des
création de partenariats locaux services.
pour (re)lancer leur ville dans la
compétition. Il leur incombe d'amener des
entrepreneurs à s'engager dans le développe-
ment de leurs villes et, à cette fin, de rendre
celles-ci plus attractives en renforçant leurs
avantages par un travail sur le design urbain,
une revalorisation du patrimoine historique, la
création de lieux et d'événements culturels qui
font d'elles une valeur offerte au personnel
des firmes, avantage comparatif dont il pourra
bénéficier s'il vient s'y installer. Le thème de la
renaissance urbaine se montre alors très écono-

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miquement intéressé, d'autant plus que les


firmes en question peuvent trouver bénéfice à
soutenir ce genre d'opération pour conférer
plus de prestige aux lieux choisis pour leur
localisation et se positionner en bienfaiteurs
des collectivités locales. Des villes comme
Birmingham ou comme Lille sont embléma-
tiques d'une telle stratégie. Victimes du déclin
industriel, elles ont fait fond sur la qualité
architecturale et la richesse culturelle de
leur centre pour engager une renaissance
urbaine en partenariat avec les entreprises
intéressées.
Pour surmonter la déconnexion socio-
économique des quartiers en voie de relé-
gation, il ne suffit pas aux élus d'avoir fait
renaître la ville dont ils font partie. Il faut aussi,
et plus encore, lever les barrières qui bornent
l'espérance des habitants aux limites de leur
quartier. Pour cela, il est nécessaire de trouver
aussi des alliés parmi les personnels chargés
des services sur place : ceux de l'enseigne-
ment, de la formation, de l'aide sociale, mais
également de la sécurité et de la santé. Ces
services se sont trouvés en panne d'efficacité
dès lors que leur public doutait de leur utilité,

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voire de leur bonne volonté. À quoi bon


s'acharner à réussir à l'école s'il n’y a pas de
bénéfice à escompter de cet effort en termes
d'emplois ? Les policiers sont-ils là pour
assurer la quiétude des habitants du quartier
ou pour préserver le reste de la ville des
désagréments engendrés par une jeunesse
toujours suspecte du seul fait de son apparte-
nance à la cité ? Le partenariat entre les
services n'a de chance d'efficacité que s'il se
prolonge auprès des habitants, s'il fait de
ceux-ci ses interlocuteurs. Interlocuteurs
auxquels il faut rendre des comptes et
démontrer que la sollicitude n'est pas com-
mandée par le seul souci de neutraliser la
jeunesse turbulente des quartiers.

Les formes de la citoyenneté urbaine


À travers cette évocation des lignes
constitutives du modèle de la renaissance
urbaine, on voit se profiler une nouvelle figure
de la citoyenneté. Dans sa définition sociale,
celle-ci allait de pair, d'abord, avec le souci
universel de satisfaction de tous les besoins
essentiels comme le logement. Avec le modèle
de la renaissance urbaine, ce droit se trouve

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réinscrit dans une perspective plus large, celle


du droit à la ville. Ensuite, il s'agissait de
réduire les inégalités entre les classes sociales,
de profiler ainsi la naissance de l'« homme
nouveau ». À présent, il s'agit plutôt d'aug-
menter l'égalité des chances entre les individus,
de valoriser l'« homme de la diversité », celui
qui se trouve stimulé par la confrontation
des cultures, par la capacité de chacun
d'assumer ses origines culturelles et non plus
d'échapper aux conditionnements sociaux.
Enfin, on ne s'en remet plus aux compromis
centraux à travers les grands mouvements
sociaux porteurs de l'exigence de progrès.
On invite plutôt les citoyens à participer
directement à la mise en œuvre des politiques
publiques dans le cadre des partenariats
locaux.
Ce basculement d'un modèle à l'autre
paraît considérable. Comment alors le situer
dans le récit logique de l'élargissement
progressif de la conception de la citoyenneté ?
La citoyenneté urbaine est-elle une manière
de prolonger les conquêtes de la citoyenneté
sociale, d'en étendre les acquis en terme
d'égalité à une nouvelle catégorie de la

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population comme celle des banlieues ? Oui,


mais pas seulement.
La citoyenneté urbaine introduit le droit à
la ville, manière d'ajouter au droit au logement
qu'avait promu la citoyenneté sociale peu
après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le droit à la ville, c'est le droit au logement
plus la vie sociale, le quartier et les opportunités
qu'elle représente. Tel paraît bien l'esprit du
législateur dans toutes les nations euro-
péennes qui entreprennent d'en finir avec ces
mondes à part que sont les cités
sociales, de réintégrer leurs habi- Le droit
tants d'une manière ou d'une
autre dans le cadre de la ville. Il y à la ville.
a la manière anglaise, celle de la
vente des appartements sociaux à ceux qui
les habitent et qui sortent pour le coup du
statut social, devenant des « urbains » comme
les autres (c'est le right to buy associé à
Margaret Thatcher et reconduit jusqu'à présent).
Le risque, c'est une « résidualisation » du
logement social, son association de plus en
plus exclusive avec les catégories les plus
pauvres et l'effet de stigmatisation qui en
résulte. La manière française procède à

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l'inverse : elle fait pénétrer la ville dans la cité,


en l'occurrence la population intéressée par
l'occasion offerte d'une accession à la pro-
priété à moindre coût. Mais c'est au prix du
relogement en d'autres lieux des habitants
des immeubles démolis pour faire place aux
nouvelles constructions. Et ces démolitions
isolent de manière de plus en plus nette la
part de la population qui ne peut ni ne veut
sortir de la catégorie purement sociale de
l'habitat. La double exigence du droit au
logement et de la mixité facilite cette différen-
ciation entre les populations « mixables » et
les autres, trop pauvres pour entrer dans le
jeu.
Autre trait caractérisant la citoyenneté
urbaine, la diversité de l'habitat comme moyen
de la mixité sociale peut paraître de nature à
lever cette difficulté. « L'homme de la diversité »
a succédé à « l'homme nouveau » au milieu
du siècle précédent. Il justifie la dénonciation
des ségrégations qui nuisent à la compétition
comme aux contacts créatifs, selon l'image
qu'en fournit Richard Florida dans sa célé-
bration de la « classe créative* ». La ville de la
renaissance urbaine a fait alliance avec la

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concurrence et avec la variété des talents


issus de cultures différentes, leur mise en
synergie comme en compétition. Mais cette
diversité de l'habitat se trouve par ailleurs
dénoncée comme un processus d'annexion
de la ville par cette classe dite « créative » qui
en chasse les pauvres tout en disant les aimer.
On appelle « gentrification » cette politique de
reconquête qui ne dirait pas son objectif, mais
se traduirait, en fait, par un déplacement des
populations pauvres vers des zones moins
amènes en matière d'urbanité.
Que produit, enfin, la promotion des
partenariats locaux, destinés à accomplir
mieux la tâche de rationalisation des politiques
publiques dont ils délestent les administrations
centrales ? L'État se fait animateur, entraîneur
de la société, renonçant à une partie de
l'exercice de son pouvoir au bénéfice de
l'engagement des citoyens. Mais en même
temps que s'opère ce glissement du central
au local, on voit remonter vers l'État des

* R.Florida, The Rise of the Creative Class, New York,


Basic Books, 2002.

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demandes qui reviennent à charger celui-ci


d'une tâche protectrice renouvelée, en une
sorte de retour du « populisme ». Ces
revendications manifestent l'attente d'une
protection nationale contre les effets de la
concurrence globale, et émanent toujours
de la partie fragilisée de la population. Elles
disent bien la tension qui s'installe entre la
citoyenneté urbaine récemment promue et la
nostalgie des anciennes formules de protection
associées à la citoyenneté sociale.

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Conclusion

Quels enseignements tirer de cette brève


histoire de la citoyenneté durant le siècle
écoulé, mesurée à l'aune de son rapport à
l'urbanité ?
Celui-ci d'abord que la citoyenneté sociale
a à voir avec une forme d'urbaphobie qui
trouve son illustration dans la cité sociale,
cette anti-ville déclarée, et en raison de sa
défiance constitutive envers le marché et ses
méfaits, lesquels se sont trouvés associés à la
ville de manière décisive durant le XIXe siècle.
Destiné à compenser les inégalités dans
l'échange marchand de la force de travail,
l'État social prend la ville pour cible. Elle est le
lieu du mal, de la cupidité éhontée des
propriétaires, de l'entassement malsain des
pauvres, de l'étalage insolent de la richesse,
de l'émeute en conséquence. Il est le principe
du bien, du moins de la mise à disposition des
biens nécessaires à la dignité de l'homme, le
moyen aussi de la correction des inégalités, le
promoteur d'une cité conçue comme le « tom-
beau de l'émeute » (selon la formule de Henri
Sellier).

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La faveur nouvelle dont bénéficie la ville à


la fin du XXe siècle repose sur un rapprochement
nécessaire de l'économique et du social dans
le cadre de la globalisation. L'État ne se situe
plus contre la ville. Il devient l'instance qui
veille à la compétitivité de la société à travers
l'attractivité retrouvée des villes et le souci
d'en faire les lieux de la cohésion sociale par
une remise en mouvement de ceux qui stagnent
dans les quartiers défavorisés et la recherche
d'une plus grande égalité des chances entre
les individus. Autant la ville avait pu être le
mauvais objet durant la période libérale classique,
celui qui révélait les limites de la logique de
marché et qui justifiait la constitution d'un État
social propre à en compenser les méfaits,
autant avec l'ère néolibérale qui s'ouvre au
début des années 1980, la ville devient le
point fort de la société, celui qu'il faut renforcer
pour qu'elle puisse s'affirmer dans une concur-
rence mondialisée. L'État ne vaut plus alors
comme principe de compensation de la ville,
mais de stimulation de ses capacités.
Peut-on alors parler du passage de la
citoyenneté sociale à la citoyenneté urbaine
comme d'une avancée supplémentaire sur le

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chemin déjà long du concept de citoyenneté ?


On a pu mesurer toute l'ambivalence des
attitudes face à ce retour en grâce de la ville
sous les auspices de la concurrence. Autant
l'État social détachait les individus de la ville
pour les protéger contre les injustices de
l'échange marchand, autant la citoyenneté
urbaine les réconcilie avec la ville en leur enjoi-
gnant d'œuvrer à la compétitivité de celle-ci, en
les soumettant à la logique économique. Cette
nouvelle figure de la citoyenneté prend en
compte les exclusions de fait que l'universalité
des droits sociaux ne faisait que masquer, mais
elle engendre la crainte que l'activation des
individus ne soit que le moyen d'une réduction
déguisée de leurs droits. Elle met l'accent sur
l'égalité des chances, le rôle du mérite et
l'autonomie du local, mais fait redouter une
remise en cause des protections propres à
chaque corporation. La citoyenneté urbaine
valorise l'engagement local, direct, de chacun,
la responsabilisation des prestataires de services
par rapport à leurs publics, mais génère la
crainte que l'État ne se défausse ainsi de ses
devoirs et ne veille pas suffisamment à protéger
les citoyens contre les menaces de l'intérieur

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ou de l'extérieur, un phénomène de « populisme »


qui connaît une fortune croissante dans le domai-
ne pénal comme dans celui de l'immigration.
Peut-on sortir de l'ambivalence à l'égard
de cette nouvelle figure de la citoyenneté ?
À l'évidence, il n'existe que deux options
possibles, une fois exclu le sacrifice de l'État
social sur l'autel du libéralisme ancien ou
nouveau – ce dont la crise actuelle et la
révélation des méfaits dudit libéralisme livré à
lui-même suffit à nous dissuader.
La première solution consiste à jouer les
valeurs éprouvées, en l'occurrence la citoyenneté
sociale. Celle-ci fournit un ancrage qu'il
conviendrait de renforcer pour faire face à un
monde dévasté par une concurrence débridée.
Certes, les problèmes des cités sont bien
réels, mais ils n'auraient rien de spécifiquement
urbain. Il faudrait plutôt décortiquer les problèmes
rangés sous cette enseigne urbaine pour en
extraire la nature sociale et les traiter en consé-
quence. Il y a là matière à justifier un additif
à l'État social, mais surtout pas une remise en
question du mode de fonctionnement de celui-
ci. En revanche, parler en termes d'activation, de
diversité, de participation à des partenariats,

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conduirait à se retrouver sur le terrain de la


compétitivité, de la cohésion sociale qu'elle
requiert, et à s'incliner devant le néolibéralisme
au lieu de lui résister à travers le seul rempart
de l'État social. C'est l'option retenue par la
plus grande partie de la gauche en France,
qui voit dans l'expression de citoyenneté
urbaine, au mieux une continuation de la
citoyenneté sociale, au pire une menace
contre celle-ci.
La seconde solution consiste
à œuvrer pour une citoyenneté Pour une
urbaine qui fasse de la citoyenneté citoyenneté
sociale son moyen et non une urbaine et
formulation ultime de la démocratie.
En supposant d'abord que la nou- « individuel-
velle citoyenneté urbaine ne serve lement »
pas d'alibi à une remise en cause efficace.
des apports fondamentaux de la
citoyenneté sociale précédente.
(Manifester, comme Nicolas Sarkozy, une sol-
licitude ostentatoire pour les banlieues tout en
se vantant d'exténuer la pratique de la grève
montre bien que cette tentation existe.) Il est
tout aussi nécessaire que ces acquis sociaux
soient considérés comme des moyens au

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service des valeurs promues par la nouvelle


urbanité : la mobilité, l'égalité des chances, la
capacité d'expression dans les instances
locales. Le droit protecteur ne vaut qu'autant
qu'il permet cette mobilité, se module en
fonction d'elle et ne pétrifie pas les individus
dans leurs statuts. La réduction des inégalités
de revenus constitue une nécessité mais en
tant que moyen d'augmenter les chances des
individus. L'individu n'est plus le moyen de
renforcement du collectif considéré comme une
fin en soi, c'est le collectif qui devient le suppor-
ter de l'individu à travers les dispositifs de
participation aux partenariats locaux et les
nouvelles formules d’organisation en réseau.
La ville peut ainsi devenir le lieu de conciliation
de l'économique, de l'écologique et du social.
Non sous la forme d'une illusoire promesse
d'harmonie, mais comme le territoire propice à
des alliances nécessaires et portées au plan
politique. Une vision qui ne diminue pas le rôle
de l'État, mais qui donne à celui-ci un horizon
de civilisation – cet horizon dont ne dispose
plus la citoyenneté sociale maintenant que son
utopie a disparu avec la cité qui portait son
nom.

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Débat

Question : Vous considérez que la pensée sociale de


gauche est trop nostalgique du passé car elle conti-
nue à réfléchir en termes de réduction des inégalités
entre les classes. Mais quand vous écrivez un livre
qui a pour titre Quand la ville se défait, et que vous
y décrivez le fait qu'elle se scinde en trois parties qui
sont, grosso modo, les très très riches, puis les clas-
ses moyennes, et enfin les exclus du territoire urbain,
cela ne montre-t-il pas aussi une inquiétude ?
J. Donzelot : C'était pour l'essentiel un livre de
diagnostic. L'expression « quand la ville se défait »,
je l'avais utilisée une première fois dans la revue
Esprit en 1999. C'est cette même année que sort
en Angleterre le fameux rapport de Richard Rogers,
« Pour une renaissance urbaine ». Les deux titres
sont liés : c'est parce que la ville se défait qu'il
faut la faire renaître. La ville ne se défait pas parce
qu'elle serait affectée par une malignité intrinsèque.
Cela, c'était le diagnostic au XIXe siècle : la ville est

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mauvaise. À la fin du XXe siècle, on pense que la


ville est la solution. Ainsi, après avoir constaté son
délitement, on cherche le moyen de la faire renaître
par de la mixité, par une revalorisation des formes
urbaines (rues, cafés, quartiers, partenariats locaux,
etc.). C’est dans ce contexte que se met en place la
citoyenneté urbaine.
La question est de savoir dans quelle mesure
la citoyenneté urbaine constitue un prolongement
de la citoyenneté sociale, de la même façon que cet-
te dernière était un prolongement de la citoyenneté
politique. Il y a, comme je l'ai dit, deux interprétations
possibles : l'une qui regarde vers le passé et pense
la citoyenneté urbaine au mieux comme une conti-
nuation de la citoyenneté sociale, l'autre qui pense
qu'elle la dépasse en s'appuyant sur elle. La première
témoigne d'une nostalgie de la condition salariale
offrant un statut garanti, durable – protection offerte
par l'État social. La seconde pense que la solution
est dans la rénovation urbaine qui poursuit un idéal
d'égalité des chances individuelles, supposant la
reconnaissance de la logique concurrentielle
Intervention : Je suis un peu surprise que vous ne
fassiez pas plus le lien entre urbanisation et emploi.
À l'époque du développement industriel, il y avait
de plus en plus besoin de main-d'œuvre. Les cités
d'Aulnay ont été construites pour répondre aux

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besoins de l'industrie automobile. L'urbanisation de


Roubaix s'est faite autour du textile. Les exemples
sont ainsi nombreux de ce lien direct entre urbani-
sation et emploi.
J. Donzelot : Le lien entre l'urbanisation et l'emploi
est un élément essentiel. Il y a eu un rapport très
direct dans l'aménagement du territoire entre la
construction des zones industrielles et celles des
zones à urbaniser en priorité. L'État avait réussi à
arbitrer les contradictions entre les souhaits des
entrepreneurs et ceux des salariés.
Aujourd’hui, du fait de la mondialisation et des
délocalisations, l'État ne peut plus maîtriser la ques-
tion du rapport entre le logement et l'emploi. En
conséquence, il la renvoie vers le local. Les élus
locaux, les habitants, les services, les entrepre-
neurs, doivent se rencontrer pour répondre à cette
question à l'aide de partenariats locaux. C'est cela,
la citoyenneté urbaine.
Intervention : Quelles ont été les répercussions des
nombreuses guerres, notamment des deux guerres
mondiales, sur la citoyenneté ?
J. Donzelot : Votre question est extrêmement pertinente
au sens où pour parler de la citoyenneté sociale,
il faudrait d'abord parler de la Seconde Guerre
mondiale, sans laquelle il n'y aurait pas de welfare

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state. Le welfare state est la suite du war state. Il


y a eu un état de guerre qui procurait aux gens des
avantages destinés à les rassembler pour qu'ils puissent
faire face à une situation extraordinaire. À la fin de
la guerre, Churchill décida de maintenir ces avantages
en temps de paix.
Question : Avantages ou inconvénients ?
J. Donzelot : Le war state, c'était pour l'essentiel
une série d'avantages, des avantages sociaux offerts
en particulier aux veuves de guerre. Il fallait donner
une grande protection aux gens pour qu'ils soient
solidaires par rapport à un danger externe. Et ce war
state a même été étoffé après la guerre. Les deux
guerres mondiales ont indéniablement joué un rôle
d'accélérateur dans l'édification de l'État social.
C’est ainsi. Quand on a besoin des gens, quand on
réalise qu'on a besoin d'eux, on prend soin d’eux.
Aujourd’hui, ce sont peut-être les crises qui
jouent ce rôle. C'est la même chose que les guerres,
mais c'est moins meurtrier, et si cela permet de poser les
problèmes avec les mêmes bénéfices – c'est-à-dire
à quelles conditions peut-on sortir de ces moments
fâcheux avec le sentiment que l’on est mieux armé
contre, et qu'ils ne se reproduiront plus ? –, les crises
ont d’une certaine manière un aspect positif.

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X. Vandromme* : J'ai été un peu déstabilisé par ce


que vous avez dit lorsqu'on a abordé la question de
la dignité. Je ne vois pas très bien comment, dans
les années qui viennent, entre l'égale dignité, l'égale
citoyenneté et l'égal accès à un monde urbain, on va
pouvoir permettre aux gens de la rue de trouver une
dignité nouvelle.
J. Donzelot : Je ne vois pas très bien, moi non plus,
comment ceux que vous appelez les gens de la rue,
c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de logement, vont
trouver une dignité nouvelle en France par les temps
gouvernementaux qui courent. Je sais qu'il y a une
formule anglaise du temporary housing qui reste
encore valide. Ce sont des immeubles où les gens ont
de véritables appartements. Ils sont en même temps
aidés à se réinsérer. Ce n'est pas de l’accueil de nuit.
C'est une formule très chère. Elle a été créée à la fin
des années 1970, et elle a été perpétuée, je pense, en
bonne partie pour des raisons de standing, d'image
d'une ville globale. Mais à la différence de Londres,
Paris manque d’espace pour ce type de solution. La
réponse viendra peut-être de la construction d’un
Grand Paris…

* Xavier Vandromme est délégué à la vie associative à l'Association


Emmaüs.

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Dans la même collection

Hébergement d'urgence : quelle politique ?,


par Étienne Pinte, Rue d'Ulm, 2009

L'Europe des sans-abri,


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Le travail au noir : une fraude parfois vitale ?,


par Florence Weber, Rue d'Ulm, 2008

Comment sortir des logiques guerrières ?,


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Pauvreté et stratégies de survie,


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Le Lien familial en crise,


par François de Singly, Rue d’Ulm, 2007

*Architecture, urbanisme, territoire et lien social,


par Roland Castro, 2007

*Redéfinir le travail social ?,


par Saül Karsz, 2007

*La Reconnaissance : une revendication de dignité ?,


par Joël Roman, 2006

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*Le Don est-il généreux ?,
par Alain Caillé, 2005

*Peut-on vaincre l’insécurité sociale ?,


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*Le Droit d’asile : un idéal en crise,


par Gérard Noiriel, 2004

*De l’exploitation à l’exclusion,


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*L’Exclusion, phénomène structurel ou conjoncturel ?,


par Jean-Baptiste de Foucauld, 2003

*Agir sur les autres, métiers en mutation,


par François Dubet, 2003

*La Rue : rêve et réalité,


par Patrick Bruneteaux, 2003

Les titres précédés d’un * ont été publiés


par les éditions du Temps des Cerises
(www.letempsdescerises.net)

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Dépôt légal : avril 2009

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